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Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

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ESSAI SUR LE CULTE

ET LES

MYSTÈRES DE MITHRA

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5481-99-— CoRBEiL. Imprimerie Éd, Crété.

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MYSTÈRES DE MITHRA

PAR

Af^GASQUETRECTEUR DK l'ACADÉMIE DE NANCY

PARIS

1^ARMAND COLIN ET C^% ÉDITEURS

H 5, RUE DE MÉZIÈRES, 5 ^

J899 .

Tous droits réservés.

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121035

AVANT-PROPOS

C'est une disgrâce fâcheuse pour cet humble et

modeste Essai, composé, et, à quelques retouches

près, écrit depuis deux ans, que de paraître

juste au moment où se publie l'admirable et

magnifique ouvrage de M. Franz Cumont sur les

Mystères de Mithra. Aussi ma première pensée

fut-elle de garder dans mes cartons ces pages ,

fruit cependant de longues recherches. Des amis

m'en ont détourné, jugeant qu'en un sujet si

complexe et où la conjecture tient encore tant de

place, une vue personnelle et indépendante

pouvait avoir son intérêt et son utilité.

A. G.

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Page 12: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE

ET

LES MYSTÈRES DE MITHRA

Le culte et les mystères de Mithra s'introdui-

sirent à Rome, à l'époque oii la République à son

déclin, après avoir réalisé l'unité du monde ancien

aux dépens des patries particulières, était mûre

déjà pour la domination de César. De tous les

points du bassin oriental de la Méditerranée,

pacifié et asservi, d'Egypte, de Syrie, de Perse et

de Chaldée, commençaient à affluer A^ers la capitale

les cultes orientaux et les superstitions étran-

gères. Cybèle et Isis avaient ]Drécédé Mitbra. Au

temps de Cicéron et de Jules César, la colonie juive

avait pris assez d'importance pour préoccuper les

hommes d'État et inquiéter le pouvoir. Bientôt,

à la suite de ces Palestiniens et d'abord confondus

avec eux, les premiers disciples du Christ, précé-dant l'apôtre Paul, vont aborder aux ports ita-

liens et prendre pied sur ce sol, où, quatre siècles

plus tard, l'emblème de la croix couvrira l'empire

Gasquet. — Millira. 1

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2 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÀ.

de son ombre. Il semble que toutes ces religionsd'Orient aient, dès lors, l'obscur pressentiment quel'unité politique prépare la voie à l'unité morale

et que dans cette ville, abrégé de tous les peuples^rendez-vous de toutes les croyances et de toutes les

superstitions, va s'élaborer la crise religieuse quidoit donner au monde un Dieu universel. C'est en

vain que les pontifes et les empereurs essaient

d^opposer une digue à cette invasion, qu'ils multi-

plient contre les nouveaux venus les précautions

législatives, et qu'ils consignent dans les faubourgsde la banlieue ces dieux étrangers. Le flot déborde

tous ces obstacles, et bientôt par la lassitude et

avec la complicité des pouvoirs publics, les cultes

nouveaux parviennent à s'implanter dans l'enceinte

sacrée et sur les sept collines.

Les temps étaient propices pour la propagandede ces étrangers. La vieille religion officielle se

mourait au milieu de l'indifférence générale. A bout

de seye, elle avait perdu toute prise sur les âmes,toute action sur les consciences. Il n'en restait queles rites, la liturgie, les gestes extérieurs. Cette

mythologie fripée n'imposait plus même aux

enfants et aux vieilles femmes. Condamnée déjà

par Platon et par les philosophes, au nom de la

morale, elle était un objet de dérision pour ceux-là

mêmes qui acceptaient et recherchaient les sacer-

doces publics. Tandis que le paysan italien restait

encore fidèle à ses divinités locales, rustiques et

familières, dont il ne se défit jamais complète-

ment, la société des honnêtes gens et des lettrés ne

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ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 3

comptait guère que des athées comme César et

Lucrèce ou des platoniciens comme Cicéron et

Virgile. Les aventures des dieux ne servaient plus

que de matière aux vers ingénieux des poètes, de

thèmes plastiques aux sculpteurs et aux peintres,de sujets pour les tableaux vivants, obscènes ou

sanglants, de la scène et de l'amphithéâtre. Scenamde cœlo fecistis, écrivait avec raison un des plus

fougueux adversaires du paganisme. Ces dieux pour-

tant, malgré le discrédit qui les atteint, continuent

à être invoqués jusqu'à la fin du paganisme ;on leur

rend les mêmes honneurs;on leur fait les mêmes

sacrifices. Mais les mêmes noms recouvrent des

conceptions bien différentes;

le sens qui s'attache

à ces dénominations vieillies s'est modifié en même

temps que le sentiment du divin. Pour certains théo-

logiens, les anciens dieux sont réduits à la condi-

tion de démons subalternes qu'on relègue dans les

astres ou qui circulent, messagers invisibles, entre

ciel et terre; pour d'autres, ils prêtent leur person-

nalité méconnaissable aux abstractions de la théo-

sophie ^lexandrine (1).

On a souvent reproché aux apologistes chrétiens

les procédés faciles de leur polémique contre le

paganisme, et l'étalage copieux et indiscret oii ils se

sont complu des méfaits de ses dieux. En réalité les

chrétiens n'ont fait que suivre l'exemple qui leur

(1) Les belles et savantes études de G. Boissier : la Religionromaine sous les Antonins et de Réville : la Religion sous les Sé-

vères, me permettent de n'insister que sur les points essentiels

de cette question.

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4 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

était donné par les païens eux-mêmes. Ceux-ci ne

cachent pas leur honte et leur mépris pour ces divi-

nités entremetteuses qui sollicitent tous les bas

instincts de la nature humaine par l'exemple de leur

impudicité. Le peuple n'entrait pas, comme le phi-

losophe, dans l'interprétation symbolique des

mythes ;il n'en retenait que l'expression figurée et

qui frappait ses sens. Le jeune homme de Térence

s'autorisait des adultères de Jupiter pour excuser

ses entreprises de séduction. Par lui-même le paga-nisme n'a été capable d'enfanter ni dogme ni mo-rale (4) ;

il est indifférent par essence, n'étant que la

glorification des forces naturelles et la traduction

mythique de ces énergies en action. Certes, quel-

ques intelligences d'élite, à travers la beauté, étaient

capables de sentir le divin;mais l'esthétique sera

toujours une base fragile pour édifier une morale.

D'une manière générale, on peut affirmer que la

moralité et la vertu, qui certes ne firent pas défaut

au monde antique, vinrent d'ailleurs, fondées sur

des conceptions puisées à des sources toutes dif-

férentes.

A cette impuissance du paganisme à formuler les

règles d'une morale populaire, il faut joindre les

effets désastreux du socialisme d'Etat (on peut lui

donner ce nom), tel qu'il fut pratiqué par les empe-reurs. On doit se représenter le prolétariat des

grandes villes, presque entièrement entretenu et

nourri aux frais du trésor, déshabitué du travail,

(1) Aristote, comme d'ailleurs Socrate, séparent comme deuxchoses distinctes la religion et la morale.

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ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITURA. 5

récréé dans les thermes, corrompu par les spec-

tacles, çamené aux instincts les plus bestiaux de la

sauvageri.e .primitive, par les tueries de l'amplii-

théâtre. On n'a rien trouvé de mieux pour engourdirses fureurs et ses goûts d'émeute, pour le dédom-

mager de la confiscation des libertés publiques.Sevré^dfô agitations de la politique et du souci gé-néreux de la patrie qu'il n'a plus à défendre, exclu

de la religion officielle, qui est un privilège de

l'aristocratie, il ne lui reste rien pour alimenter et

satisfaire les besoins supérieurs de sa nature,

latents dans toute âme humaine. Autour de lui, la

richesse du monde entier aboutit à la jouissancescandaleuse de quelques-uns. Jamais l'égoïsme n'a

été plus triomphant ni plus avide, la société plusméchante aux petits et aux humbles, la vie plus

précaire et plus avilie, que dans le siècle qui suivit

l'établissement de l'empire. Mais en même temps,cette détresse qui exaspère la dureté des uns,

tourne chez les meilleurs en attendrissement, et les

âmes, amollies par la souffrance ou brisées par

l'épouvante, s'ouvrent soudain à la pitié.

Afin de répondre à ces besoins qu"il soupçonne,

Auguste,' plus par esprit de gouvernement que par

piété— car il partageait l'incrédulité de son temps— avait imaginé de toutes pièces une réforme reli-

gieuse. Agrandissant à la mesure du monde con-

quis le culte de la Cité-Reine, il fonda la religion de

l'État, conçu comme une divinité. Dans toutes les

provinces, par ordre, s'élevèrent des temples en l'hon-

neur de Rome et d'Auguste ; partout se multi-

i.

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•6 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITDRA.

plièrent les collèges et les sacerdoces, et dans les

carrefours on proposa à l'adoration populaire les

Lares nouveaux. Cette religion administrative,

froide et glacée, et qui nous paraît, avec notre ma-nière de sentir, comme le rêve de bureaucrates en

"délire, n'eut que le succès qu'elle méritait. Elle sub-

sista par la docilité et la crainte, recueillit l'em-

pressement officiel des fonctionnaires, et suscita

l'émulation des courtisans ou des provinciaux en

•quête de sacerdoces lucratifs. Elle n'eut pas, elle

ne pouvait avoir les cœurs.

Plus efficace fut l'action de la philosophie

grecque, surtout du stoïcisme, qui, transplanté à

Rome, devint vraiment pour ses adeptes une disci-

pline morale. Pendant les persécutions qui sévirent

sur l'aristocratie romaine, il a formé quelques-unsdes plus beaux caractères qui aient honoré l'huma-

nité. Il prit, sous les Antonins, l'allure et la forme

d'une religion et prétendit par ses missionnaires et

ses prédicateurs à la direction des consciences.

Mais lui-même était voué à la stérilité. Même dans

le plus élevé et le plus honnête des ouvrages qu'il

ait inspirés, dans les Mémoires de Marc-Aurèle,

règne l'incertitude dogmatique la plus déconcer-

tante. Le pieux empereur, dans sa sublime sincérité,

n'ose affirmer ni l'existence des dieux, ni l'immorta-

lité de l'àme. Le précepte, auquel il revient sans

•cesse, s'adapter à l'harmonie universelle, se sou-

mettre à l'ordre et aux lois éternelles de la nature,

peut bien être en définitive le dernier mot de la sa-

gesse humaine;mais il est de peu d'usage dans la

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ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 7

pratique de la vie, et suppose d'ailleurs, en dehors

des nécessités inexorables et élémentaires attachées

à la condition mortelle, une connaissance de ces

lois, de cet ordre, de cette harmonie, qui échappaitaux contemporains de Marc-Aurèle, et sera l'éter-

nel postulat dé la science humaine. La prescription

suprême de cette philosophie, « faire le bien quandmême », quelle que soit notre ignorance des fins de

l'homme et le but du cosmos^ semble bien le cri

d'un optimisme désespéré. Rien ne convenait moins

aux multitudes, qui ont besoin d'une foi, qui vivent

d'espérance et souvent d'illusions.

Le peuple en effet entendait d'autres voix, allait

à d'autres maîtres. L'absence de toute certitude

dogmatique le jetait en proie à toutes les crédulités.

. Jamais le monde n'a vu pareil débordement de su-

perstition, pareille orgie de surnaturel; jamais

tant de devins, de charlatans, d'augures, d'astro-

logues, de vendeurs de recettes pieuses et d'amu-

lettes, n'ont capté des esprits plus avides et plus

faciles à duper. La grossière supercherie d'Alexandre

d'Abonotique et de son dieu-serpent pouvait se

renouveler tous les jours sans risque de décourager

l'empressement des dévots. L'espace se peuplait de

démons et de génies dociles aux incantations. Les

plus hauts esprits se laissent gagner par cette con-

tagion et ceux qui se targuent le plus de leur incré-

dulité marquent par quelque endroit qu'ils en ont

leur part. Mais cette folie même est le signe d'un

travail intérieur, d'une fermentation spirituelle,

d'uneattente. Des préoccupations nouvelles assiègent

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8 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÂ.

les esprits et s'en emparent; des mots nouveauxciculent. On les entend dans les réunions secrètes,

dans les associations des humbles;on les retrouve

gravés sur la pierre des tombeaux. Conscient de

sa faiblesse, incertain de sa destinée, troublé par

l'inquiétude de la mort, l'homme, au milieu des

ténèbres qui l'enveloppent, sent sa détresse ;il

implore un iS'a^^î;e^«' qui le guide dans la vie, l'assiste

à l'heure suprême et soit son médiateur au delà de

la tombe. Il lui demande le chemin du sahit et le

secret de "la vie bienheureiise (1). Il souffre de la

tare du péché ; non pas seulement de cette dé-

chéance de la dignité personnelle qui résulte du

sentiment de la faute commise ; mais de cette souil-

bure radicale et foncière qui vient de l'infirmité

originelle de l'homme. Pour la laver et l'effacer, il

a recours aux lustrations, aux expiations connues

et il en invente de nouvelles. Pour l'atteindre à sa

racine et le plus près possible de son origine,

l'usage se répand des initiations précoces et mul-

tipliées. Des enfants sont initiés en bas âge aux

(1) Sur le sens mystique et eschatologique que prennent ces

mots de o-wTr,p et de o-tùTYipta, voir G. Aniich : Dus anlike Myste-

7'ienwesen, chap. lu, 3, et G. Wobbermin : Rnligiongeschicluliche

Studien, 189G;les deux vers fameux des mystères cités par Fir-

micus Materuus : De err. prof, relig., 22 :

GapçEÏTE, (lu erra;, roù' Oeou (TsacoijjJilvou ;

"E,a-a.: Y^J ûnïv èx nôviav ffutïjçîo,

A rapprocher les passages d'Apulée : Méiam.,W : « Nam et infe-

rum claustra et Sululis tutelam in dei manu posita, ipsamqueiràdilioriem ad instar voluntariiE mortis et prccarix sahdis cele-

brari », cliap. xxi; « Ad nova reponere l'ursus saluHs curri-

ciila », chap. v.

Lir. nombr. Inscr. : Pro Sainte, Pro incolumilate animée.

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ESSAI SUR LE CULTE ET "LES MYSTÈRES DE MITHRA. 9'

mystères de Samothrace et de Liber, et même à

ceux d'Eleusis (1). L'initiation a cette vertu d'abolir

l'homme ancien et de le faire i^enaître do son vivant

à une vie nouvelle. Ce terme de renatus, qui se

rencontre dans saint Paul et dans l'évangile de Jean

et qui exprime la situation du chrétien libéré du

péché, se lit sur la pierre des inscriptions mystiquesdu paganisme, et dans le même sens et avec la même

acception, dans le onzième livre des Métamorphoses

d'Apulée (2).

Ces idées datent de fort loin;

elles viennent

directement de Pythagore, des Orphiques, des mys-tères

;surtout de ceux d'Eleusis. Ils avaient été la

grande école do moralité du monde grec. Le siècle

qui finit avec Périclès et qui suffit à illustrer pour

jamais le nom d'Athènes, en avait été tout pénétré.Plus tard la vogue des mystères s'était ralentie et

l'enseignement de la philosophie avait pris sa place^

laissant au peuple les rites discrédités des expiationset des lustrations familières. Il leur empruntait

.cependant et leur phraséologie spéciale et le plus

pur de leurs doctrines. Pour Platon, la philosophieest ime initiation et le moyen de salut par excel-

lence;elle mène seule les âmes à l'époptie, c'est-à-

dire à la contemplation du premier principe et à

la vision de Diçu ; pour ses successeurs, qui ren-

chérissent sur son enthousiasme, la connaissance

(1) Voir les textes réunis par G. Anrich, op. cil., p. 55.

(2) Apulée : Mé/am., lib. XI, cap. 16 et cap. 20 : « Ter beatus qui'vitae scilicet praecedentis innocentia fideque meruerlt tB.m prœcla-rum de cœlo patrocinium, ut renatus quodammodo sacrorum

obsequio desponderetur. »

Page 21: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

40 ESSAI SÛR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

est un mystère, mie orgie céleste;

le philosopheun mystagogue et un hiérophante ;

le fruit de la

connaissance est la f/nose, c'est-à-dire, la vérité. Et

voici qu'a plusieurs siècles d'intervalle, à la faveur

du désarroi croissant des consciences, les mêmes idées

et avec elles les mêmes expressions apparaissent de

nouveau;leur tradition conservée dans l'âme popu-

laire s'impose à la philosophie qui les avait refou-

lées; peu à peu elles dominent tous les esprits.

Les religions orientales profitent presque seules de

ce mouvement. Non seulement elles ont conservé

le dépôt des révélationspremières ; plus rapprochéesdes origines et de ces temps fabuleux où l'homme

vivait dans la familiarité des dieux, elles savent les

prières, les formules, les mots qui agissent sur la

divinité et la forcent à répondre ;mais par leurs

pratiques, l'appareil de leurs cérémonies, la mise en

scène de leurs initiations, elles s'entendent autre-

ment que les religions- officielles, à troubler les

âmes, à secouer les sens, à faire jaillir des cœurs la

source longtemps fermée de l'émotion religieuse.

De toutes ces religions concurrentes, laquelle

allait donner au monde le Dieu universel qu'il

attendait? Le judaïsme, qui avait joui un instant

d'une extraordinaire faveur et qui l'avait méritée

parla simplicité grandiose de son dogme et la pu-reté de ses mœurs, se met de lui-même hors de

cause, lorsque après la ruine de Jérusalem et la dis-

persion, il renonce à la propagande et se cantonne,

tout à ses rêves de revanche messianique, dans la

citadelle de son Talmucl. Le charlatanisme et l'im-

Page 22: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA. 1*

pudence de ses galles finissent par discréditer le culte

de Gybèle, qui ne dure qu'à l'état de basse super-stition populaire, ayant d'ailleurs prêté à d'autres-

cultes ses rites de purification et de rénovation (1).' Restent donc les deux religions d'Isis et de Mithra,

qui se maintiennent jusqu'au v" siècle. Mais la

première, toute amollie de tendresse féminine et

de maternelle douceur, convient mal pour lutter

contre l'ennemi commun, le christianisme, dont

l'extraordinaire progrès menace d'une ruine com-mune tous les dieux étrangers. Elle cède le pas au

culte de Mithra, religion de combat autrement vi-

rile et sévère et qui, dès la fin du ni" siècle, a fini

par absorber en elle et à résumer le paganisme du

dernier âge. Elle balance, en effet, un moment, lafor-

tune du christianisme : « Le monde, a écrit Renan,

eût été mithriaste, si le christianisme avait été ar-

rêté dans sa croissance par quelque maladie mor-

telle. »

Cet antagonisme fait l'intérêt principal d'une

étude de mithriacisme. Cependant elle a peu tenté

les érudifcs. Lb, curiosité est allée de préférence à

d'autres formes religieuses, à celles surtout qui ont

exprimé l'âme d'un peuple, d'une race, d'une civi-

lisation. Le mithrianisme n'a pas eu cette fortune.

C'est une religion composite, constituée des élé-

ments les plus divers, qui s'est adaptée aux milieux

les plus différents. Moins originale, elle doit à cette

faculté d'adaptation, le caractère d'universalité qui

(1) De imysteriis, chap. nr. 10.

Page 23: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

liî ESSAI SUR. LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITflRA.

a contribué à son succès. Ajoutons que l'étude en

est des plus malaisées, surtout avant que ne fus-

sent dissipées les ténèbres, qui entouraient les langueset les religions des pays où le culte de Milhra prit

naissance. Aucun des ouvrages spéciaux de l'anti-

quité qui traitaient de inithriacisme, ceux d'Eubuie,de Pallas, de Kronios, n'est venu jusqu'à nous. Nousn'en connaissons que les fragments épars dans les

deux traités de Porphyre (1), les interprétations

personnelles de ce philosophe et celles de Celse, les

attaques des Pères de l'Eglise (2). Lesmonuments mi-

thriatiques eux-mêmes ont été fort maltraités. Onconnaît par une lettre de saint Jérôme la destruc-

tion âL\\.mithrgeum du Capitole par le préfet Gracchus

et celle du mihrœum d'Alexandrie par le patriarche

de cette ville. Bien d'autres monuments eurent le

même sort. Leurs débris pourtant sont précieux :

ils permettent avec les nombreuses inscriptions rele-

vées en tous pays, d'interpréter les symboles fami-

liers aux adeptes de Mithra. C'est, encore là notre

source principale d'information. En notre siècle,

Lajard a conipromis par les hypothèses les plus

hasardeuses le labeur de toute une vie consacrée à

l'étude de Mithra. A part les planches de son pré-

cieux Atlas, quelques pages à peine de son œuvre

méritent de rester. C'est aussi tout ce qui subsiste

>de l'ouvrage jadis célèbre de Dupuis, VOrigine de

(1) Le De antro Nympliarum et le De abstinentia.

(2) Voir surtout Justin Martyr : Apologie et Dial. cont. Tryphon ;

•Origène : Contra Ceisum ; Tertullien : Apologie, De baptismo, Decorona, etc. ;

saint Augustin, saint Jérôme et Firmicus Maternus :

De errore profan. religion.

Page 24: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

'ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITDRA. 13

4ous les cultes^ qui eut l'idée -bizarre de faire

à\\ christianisme une branche du mithriacisme;

quelque chose comme une hérésie milhriaque. Ré-

-cemment un professeur de l'Université de Gand,. M. F. Cumont, s'est proposé de reprendre la ten-

tative de Lajard. Il a réuni un grand nombre de

'textes relatifs à Mithra et publié la collection -la

plus complète des monuments de son culte. Le

commentaire qu'il a promis ne peut manquer, de

jeter une lumière décisive sur la plupart des points,

-qui restent encore obscurs, de la doctrine secrète

'des mithriastes (1).

n

LES ORIGI^'ES.

Si nombreuses que soient les greffes qu'ait subies le

-culte de Mithra, au cours de ses pérégrinations, partoutes ses racines- il tient à l'Orient. C'est de lui qu'il a

reçu la sève qui a nourri jusqu'à ses derniers rameaux,la forme de ses dogmes, ses symboles, la morale dont •

il est pénétré. La philosophie et la théologie grecque'ont bien pu broder sur ce fond, mais sans l'abolir.

Étudiqr le mithriacisme, abstraction faite de ses ori-

gines et comme un produit attardé du syncrétisme

occidental, c'est en méconnaître àplaisir la tendance

(1) Nous devons signaler, outre le travail déjà ancien de Win-'dischmann : Jl/i//2?'a, les études du P. Allard sur le mêip.e sujet, et

surtout l'excellent chapitre de Réville sur le mithriacisme, dansla ReRgion sous les Sévères.

Gasquet. — Mithra. 2

Page 25: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

i4 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

et la portée. Mais ces origines elles-mêmes sont

complexes. Il suffit d'un regard jeté sur les monu-ments mithriaques pour y découvrira la fois des

influences iraniennes et des influences chaldéênnes.

Le taureau immolé par Mithra, qui occupe le centre

de la plupart de ces compositions, est bien le tau-

reau des légendes zoroastriennes;mais à des signes

irrécusables, il est aussi le taureau astronomique de

Babylone. Les animaux figurés auprès de lui, le

chien, le corbeau, surtout le serpent, sont les ani-

maux de VAvesta; mais les douze signes du zodiaque,

qui ornent le cintre de ces monuments, les sept pla-

nètes qui en parsèment le champ, d'autres indices

encore manifestent la religion sidérale, qui fut celle

de Ninive et de la Chaldée. Les anciens ne s'y sont"

pas mépris. Ils donnent indifféremment à Mithra

ï'épithète de Persan et de Ghaldéen (1). Ammien

Marcellin, qui accompagna l'empereur Julien sur les

rives de l'Euphrate assure que Zoroastre empruntaaux mystères de la Chaldée une partie de sa doc-

trine (2). Il se trompait assurément, mais seulement

sur l'attribution de l'emprunt au législateur légen-daire des Perses. Car VAvesta, à part. le calcul des

périodes cosmiques, pendant lesquelles Ormuzd et

(1) Citons le vers bien connu de Claudisn :

Rituque juvencumChaldœo stravère tnagi ;

et l'inscription en vers de Rufius Ceïonius :

Persidicique Mithrœ autistes babylonie templi.

(2) Amm. Marcel!, lib. 23. «Cujus scientise saeculis priscis multaex Chaldœorum arcanis Bactriauus addidit Zoroaster, deinde

Hystaspes rex prudentissimus Darii pater.»

Page 26: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

- ESSAI SUR LÉ CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 15

Ahriman se partagent la domination du monde, ne

contient presque aucune donnée astronomique.Parmi les modernes, Hyde et Fréret eurent les pre-miers le pressentiment de cette double origine. Elle

semble aujourd'hui hors de doute, depuis que les

textes religieux de la Chaldée, déchiffrés par de

patients érudits, permettent des rapprochements et

découvrent des analogies, qu'on ne pouvait soupçon-

ner, avant qu'ils ne fussent publiés.

*

Si l'on connaît aujourd'hui la langue et le texte

de VAvesta, on est loin d'être fixé sur la plupart des

problèmes que sou Iè5';e le livre sacré. On n'est

d'accord ni sur le temps, ni sur le lieu oii le maz-

déisme parut. Les uns lui donnent pour berceau la

Médie, d'autres la Bactriane;Eudoxe et Aristotè

font naître, Zoroastre six siècles avant Alexandre;Pline le croit antérieur de mille ans à Moïse ;

Burnouf place sa naissance vingt-deux siècles avant

Jésus-Christ;ceux-là le font contemporain d'Hys-

taspe, le père de Darius. J. Darmesteter lui refuse

toute réalité et le transforme en un personnage my-thique.. Enfin Renan ne croit pas que VAvesta ait

jamais contenu le code d'un peuple ou d'une race.

Et de fait, rien n'est plus malaisé que de situer

dans une période historique précise la doctrine du

législateur persan.- Celle qui convient le mieux,

l'époque des Achéménides, paraît devoir être res-

treinte au règne des premiers princes de la dynastie.

Page 27: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

16 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA..

Les opinions moyennes et probables, dont Spiegeîs'est fait l'interprète le plus judicieux, ont reçu de-

graves échecs par les conjectures pénétrantes, auda-

cieuses, mais souvent paradoxales, du regretté-

Darmesteter (1).

Cependant dans ce conflit de doctrines au sujet.•

des antiquités persanes, quelques points peuvent,être considérés comme acquis.

'L'Avesta, dans sa forme actuelle, a été arrêté et

compilé sous la dynastie des Sassanides, c'est-à-

dire, seulement au iv'' siècle de notre ère, avec les

débris d'un ancien Avesta, en partie perdu ou détruit

sous les successeurs d'Alexandre. 11 n'en subsiste

que des fragments, dont quelques-uns remontent

à une époque fort ancienne. Il est écrit en langue

zend, qui est celle des inscriptions achéménideSyalors que, du temps des Sassanides, la langue usuelle

était le peàlvi.

Par la langue aussi bien cjue par les mythes et

par le nom des divinités, VAvesla se rattache à

cette époque pré-arienne, d'où sont issus les Védas

de l'Inde. Mais tandis que l'imagination de l'Hindou^

dans son inépuisable fécondité, multipliait ses.

créations et ses genèses divines, le génie plus sobre

de l'Iran choisissait dans le trésor commun un mythecentral, le drame céleste de l'orage, la lutte delà

lumière et des ténèbres, du dieu irayonnant et du

(1) Voir par exemple, d'une part Spiegeî : Die œrafiiscfie Aller-

thûmer, 3 vol., et de l'autre : J. Darmesteter : Ormuzd et Ahri-

man; surtout : l^rcface à la traduction de l'Avesla (Coll. du musée

Guimet).

Page 28: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI su II LE CULTE ET LES MYSTÈHES DE MITHRA. 17

serpent de la nuée,, et le transposant dans le do-

maine moral, en faisait la lutte du génie du bien

et du génie du- mal, représentés l'un par Ormuzd,l'autre par Ahriman. Cette lutte dont la création et

l'homme sont l'enjeu, implique, dans le mazdéisme

classique, une parité absolue entre les deux anta-

gonistes, égaux en puissance et en énergie créatrice.

L'idée métaphysique que le mal n'a pu sortir du

bien a probablement présidé à ce partage. Mais, à

considérer de près les textes, VAvesla lui-même

permet de reconnaître dans .Ormuzd un principed'antériorité et de supériorité. Ahriman n'a pas la

prescience de l'avenir;il subit, mais ne commande

pas la destinée. Il a conscience de son impuissancefinale. 11 est, mais ne sera pas toujours. Sa création

même n'est pas originale ;elle est toute d'opposition

et de con tradition. Et, si l'on va au fond de la

doctrine, il semble bien que le mal n'entre dans le

monde qu'avec la créature (1).

Ormuzd (Ahura-Mazda) est le seigneur omniscient.

Il est l'espace lumineux antérieur à toutes choses

et qui les contient toutes. Le ciel est son vêtement

brodé d'étoiles, le soleil l'œil par lequel il surveille

la création. « Il ressemble de corps à la lumière et

d'âme à la vérité. » Il a créé le monde par son

verbe, qui en nommant les êtres, projette hors de

lui et insuille la vie.'IJ ressemble au Jéhovah de la

Genèse. On comprend que les Juifs de la captivité

aient cru reconnaître en lui l'image de leur Dieu et

(1) Avesta : Yesht xm, §§ 77-78.

Page 29: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

.18 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

lait de son serviteur. Cyrus le serviteur de ce Dieu

•et l'exécuteur de ses desseins, en même temps quele libérateur de son peuple.Ormuzd s'est donné comme assesseurs les sept

amshaspands^ qui ne sont, au vrai, que les qualités

abstraites,, émanées de lui. Il semble que l'Iran,

obsédé de la toute-puissance de son Dieu, ait été

impuissant à donner à ces entités la plasticité de

personnes divines. Plus précis et moins inconsistants

«ont les vingt-huit izeds, les génies des éléments,

•du feu, de l'air, des vents, des eaux courantes. Tout

mazdéen leur doit un culte, ses prières et ses ado-

rations. Viennent enfin dans la série des créations

divines, les ferouërs ou frcwashis^ plus difficiles à

déterminer;

ils sont à la fois les types immortels

•et les idées des choses, et aussi les mânes des êtres

qui ont vécu. Ils descendent temporairement s'in-

carner dans les corps mortels, pour remonter, leur

tâche accomplie, à leur patrie céleste. Les livres

parsis de la basse époque leur donnent pour séjourles astres et la voie lactée.

Ormuzd a donné à Zoroastre sa révélation, pour

qu'il enseigne aux hommes la doctrine de pureté,

les paroles et les formules efficaces qui doivent leur

assurer la victoire sur le mal. Lorsque les tempsfixés seront accomplis et le cycle dos douze mille

années révolu, il suscitera de la semence de Zo-

roastre un sauveur, qui réveillera les morts, séparerales bons, achèvera par une expiation suprême la

purification des méchants et consommera la défaite

et l'anéantissement d'Ahriman.

Page 30: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITHRA. 19

Mithra est l'un des vingt-huit izeds. Il appartientà la plus vieille mythologie arienne. On a pu dire

qu'il était un de^ premiers dieux du paganisme et

qu'il en fut le dernier. Dans lés plus antiques

Védas, il est déjà un dieu-lumière, l'assesseur et le

compagnon de Varouna. 11 fait le hien « par son

regard et par le jour qu'il apporte »;

il s'identifie

peu à peu avec le soleil. Dans l'Iran, sa fortune est

plus éclatante. Dans les parties liturgiques et ri-

tuelles de VAvesta^ son rôle est encore effacé et de

second plan, bien, que son nom soit associé à celui

d'Ahura. Mais bientôt sa personnalité se précise et

se dégage. Dans le Yesht (acte d'adoration) qui lui

est consacré et qui appartient probablement à une

époque plus récente, il apparaît avec les premierslinéaments de la physionomie qu'il gardera désor-

mais jusqu'à la fin.

Il a été créé par Ahura, qui l'a fait aussi digned'honneur que lui-même. Il s'avance au-dessus de

la montagne de Hara, sa demeure, précédant la

course du soleil, caressant le premier de ses blan-

cheurs les sommets élevés et survivant à la

disparition de l'astre. Il est à la fois l'aurore et le

crépuscule. Guerrier impétueux, il combat infati-

gablement les ténèbres et les œuvres de ténèbres. Il

a dix mille yeux et dix mille oreilles. Rien ne se

fait sur la terre: qui lui échappe et les plus secrètes

pensées lui sont connues. Il découvre et déteste le

mensonge : il est le Dieu de vérité. Seigneur des

,Tas tes pâturages du ciel, il distribue la richesse et

ia fécondité. Il est le gardien des contrats et le ga-

Page 31: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

20 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MiTHRA.

rant de la parole donnée;

il préside aux relations

de société, aux liens qui unissent les liooimes, et as-

sure la stabilité du foyer. Il est l'ami et le consola-

teur. « Le pauvre, pratiquant la doctrine de vérité,

privé de ses droits^ l'invoque à. son secours, les

mains levées au ciel, lui, dont la voix, quand il se

plaint, s'élève et atteint les astres. » « La vache em-

menée captive l'appelle à grands cris, pensant à son

étable : que Mithra nous conduise a l'étable, commele mâle, chef du troupeau, marchant derrière

nous"! » Il est le médiateur entre les hommes, et le

médiateur entre les créatures et le créateur. Il pré-side au sacrifice, comme le prêtre, et offre le pre-mier le homa dans un mortier émaillé d'étoiles.

Quand il prie, sa voix éclatante, qui parcourt la

terre, se répand dans les cieux superposés. Aprèsla mort enfin, c'est lui qui aide les âmes à passer le

pont fatal, et pèse leurs actions bonnes et mauvaises

dans les plateaux équitables de sa justice. Il est

déjà le triple Mithra, dieu du ciel, de la terre et de

la mort.*

Des influences étrangères allaient altérer profon-dément cette religion si pure et si simple, et modi-

fier surtout la physionomie de la divinité secon-

daire qui nous occupe.

Quand les vigoureux montagnards de la Perse,

adorateurs d'Ahura et de Mithra envahirent la

Médie et les pays du Tigre et de l'Euphrate, ils trou-

vèrent ces contrées en possession d'une des plus

Page 32: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 2*

vieilles civilisations du njionde, à la fois très-

savante et très corrornpue, et d'institutions politi-

ques et religieuses fortement organisées par un

corps de prêtres puissants. Ils en eurent d'abord la

défiance et l'horreur : mais, comme toujours, le

vainqueur primitif et barbare se laissa gagner parle vaincu plus raffiné. Cette civilisation était celle de

Ninive et de Bàbylone. Sur les boues fécondes et

malsaines des marais de TEuplirate, il est probable-

qu'a vécu la première humanité; l'esprit s'effraie à

sonder les profondeurs infinies de ce passé. Sans

entrer dans les controverses que soulève la question-

de ces lointaines et obscures origines, il semble bien

que deux races, chacune d'un génie et de croyances-

différents, aient concouru à cette civilisation. Une

première population, ingénieuse et misérable, cb

proie aux surprises, aux séductions et auxépouvan-tements d'une nature violente et généreuse. Elle

croit à une multitude de génies malfaisants, aux

formes bizarres et monstrueuses, qui s'acharnent

sur l'homme, lui env'oient la maladie, la peste, les

fïéàux et la mort ^ sa religion est toute en formules,

en incantations déprécatoires, en amulettes et en

phylactères : c'est la magie. De ce foyer s'est envolé

sur le monde ce sombre essaim de larves, de lé-

mures, de vampires, d'être fantastiques aux corps

composites, qui onteffrayé l'imagination de tous les

peuples; encore aujourd'hui, dans les vieux procèsde sorcellerie, se ren.contrent des formules magiquesdont le sens s'est perdu et qui se retrouvent sur les

briques d'Our en Chaldée et de Ninive. Ces peuples

Page 33: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

22 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA.

xîependant deviennent nombreiix et puissants; ils se

J)âtissent les premières cités, s'asservissent quelques-uns de leurs génies, dont ils se font des dieux protec-

teurs, ordonnent leur religion, fondée sur le culte des

•éléments et des forces de la nature. Ils connaissent

les arts et inventent l'écriture aux caractères cunéi-

formes. A ces populations se mêlèrent ou se super-

posèrent,probablement parla conquête, des Sémites,

venus du Midi, Sabéistes adorateurs des astres.

Par le travail séculaire des écoles sacerdotales, les

croyances s'amalgamèrent, sans se détruire; lesmy-

tliologies des dynasties locales se simplifièrent et

s'unifièrent;les dieux anciens se répandirent dans

les régions de la voûte céleste. De cette élaboration

sortit une religion toute sidérale, comportant des

spéculations élevées sur l'âme et sur la destinée, et

qui s'accordaient avec un culte très sensuel et une

théocratie féroce.

L'astrologie, qui suppose la connaissance du ciel,

-était la grande affaire de leurs prêtres, la science

maîtresse; par là, ils ont été même avant les

Egyptiens, les créateurrs de l'astronomie et les vrais

maîtres de la Grèce. Eudoxe et Hipparque se sont

•instruits à leur école. Des hautes tours à étages,

-qui leurs servaient d'observatoires, au-dessus de la

poussière et du bruit des cités, ils plongeaient de

leurs regards aiguisés par l'habitude dans les pro-

fondeurs sereines du ciel oriental. Ils montraient à

Callisthène, envoyé par Aristote, des observations

astronomiques enregistrées depuis 1903 années

consécutives. Dans les débris de la bibliothèque

Page 34: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET. LES MYSTÈRES DE MITIIRA. ^S-

d'Assiirbanipal, recueillis à Ninive, en même temps-

que des traités de magie et de numération, on

trouve des calendriers et des livres d'astronomie^

qui montrent cette science constituée dès le temps-de Sargon l'Ancien

;des catalogues d'étoiles avec

leurs levers et leurs couchers, la notation des phasesde la lune, les singularités de la course vagabondedes planètes. Ils savaient calculer les éclipses de

lune, peut-être même celles du soleil;du moins

possédaient-ils les éléments nécessaires à ce calcul.

Ils pressentirent la précession des équinoxes. Ils

fixaient la naissance du monde au moment où le so-

leil était entré dans le Taureau, et lui assignaient pourlin le moment oiile soleil rentrerait dans ce signe (1 ).

Le soleil était en etFet l'objet principal de leur

étude. Ils lui avaient tracé sa voie dans le ciel,

compté pour autant de victoires son entrée dans les-

douze signes, ses hôtelleries célestes, nommé ces

signes des vagues figures ébauchées par les clous

d'or des étoiles, et rattaché à ces signes autant de

légendes héroïques. Ils avaient divisé le zodiaqueen 360 degrés et réparti méthodiquement les cons-

tellations dans. ces divisions prolongées sur toute

l'étendue des cieux. Ils avaient affecté à ces signesleurs -douze dieux principaux, dont sept étaient en

même temps les dieux des sept planètes, et attribué

aux trente-six décans les trente-six divinités infé-

rieures. Mais pour eux le ciel était surtout le livre

des destinées, la manifestation sensible des volontés

(1) Voir Jenseq : Kosmologie der Babylonier.: Maspéro :Hisf. des

peuples de L'Orient : Tom L La Chalde'e.

Page 35: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

;24 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

divines. Des influences constatées ou supposées, du

soleil, de la lune, des planètes sur les phénomènesnaturels et sur l'homme, ils concluaient à des

•influences permanentes et occultes, que la science

pouvait pénétrer, « En rattachant, dit Philon, les

•choses terrestres aux choses d'en haut et le ciel

au monde inférieur, ils ont montré dans cette

-sympathie mutuelle des parties de l'univers, sépa-

rées quand aux lieux, mais non pas en elles-mêmes,

l'harmonie qui les unit, par une sorte d'accord

•musical. »

Cette civilisation servie pendant des siècles par les

-armes victorieuses des rois de Babylone et de

Ninive, avait pénétré toute l'Asie occidentale. La

Médie, la première étape de la conquête persane,en était comme imprégnée. Ecbatane, que vit Héro-

dote, avait, comme les villes de la Chaldée, septenceintes aux couleurs des sept planètes. Les mages

y dominaient, semblables à ceux de Babylone. La

pure religion de la Perse, presque absolument dé-

pouillée d'éléments naturistes,- ne tarda pas à

s'altérer par l'infiltration des idées propres au,x

systèmes religieux de la Chaldée. L'Avesia, mêmedans ses parties anciennes,- porte la trace de ces

influences;non seulement la fixation des périodes

•de la grande année cosmique, mais le nombre les

amshaspands^ celui des izeds^ qui répondent- au

chifl're des planètes et à celui des jours du mois

•lunaire, en sont le témoignage. 11 y eut, il est

vrai, des réactions violentes.. La plus connue est la

révolution politique et religieuse, opérée par le

Page 36: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITllRA. 23

fils d'Hystaspe, Darius, et attestée par la grande

inscription de Béhistoun, par le massacre des mages

usurpateurs et la restauration dans toute sa pureté

du culte d'Ahura-Mazda. Mais jusque dans ce mo-

nument du vainqueur se fait sentir l'empreinte des

idées et des formes, dont il se flatte d'avoir triomphé.Les caractères cunéiformes de l'écriture, les noms

. des mois sont chaldéens;chaldéens et comme déta-

chés des monuments de Bahylone sont les génies

qui représentent les dieux persans; toute l'icono-

graphie persane dérive de cette imitation. La bête

ahrimanique que combat le serviteur d'Ahura,

appartient à la même origine ;on la retrouve sur

ces milliers de cônes et de cylindres exhumés de la

poussière des cités mésopotamiennes et qu'on a

relevés jusque sur le champ de bataille de Marathon.

Le sigle même de la divinité, l'Ahura en buste

ceint de la tiare, aux quatre ailes éployées et qu'en-serre le cercle, svmbole de l'éternité, vient en

droite ligne de l'Euphrate, où peut-être il fut im-

porté d'Egypte. La l'evanche d'ailleurs ne se fit pasattendre

;elle vint probablement des influences de

harem si puissantes dans les monarchies d'Orient.

La femme de Xercès, Ames tris, est toute dévouée au

magisme. Elle sacrifie aux divinités infernales et

fait enterrer vivants neuf couples de garçons et de

filles appartenant aux plus grandes familles de la

Perse, pour préparer le succès de l'expédition contre

la Grèce. Pareil sacrifice expiatoire se consommesur les bords du Strymon, au cours de la marchedes armées dii grand roi.

Gasquet. — Mithra. 3

Page 37: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

26 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITDRA.

Sous Artaxercès Mnémon, s'achève la trahison

des dieux nationaux et se consomme la plus gravedes altérations que le mazdéisme ait subies par son

contact avec l'Assyrie et la Chaldée. Deux des izeds

avestéens, Mithra le génie de la lumière, Anahîta

le génie des eaux courantes et la dispensatrice de

la fécondité, sortent tout à coup du second rang,

pour apparaître au premier. Tous deux se prêtaient

aisément à l'assimilation avec les divinités de Baby-lone. Mithra, assesseur d'Osmuzd, a détourné peuà peu sur lui la piété et l'adoration des fidèles.

Moins lointain que lui, moins métaphysique, moins

dégagé de formes et de contours, il est plus près des

fidèles, qui le reconnaissent dans l'astre qui les

inonde de ses bienfaits. Pareille évolution s'était

déjà produite en Chaldée, où le dieu Soleil, Samash,s'était vu substituer peu à peu ses parèdres,

Mardouk, Ninip, Nergal et Nébo, d'abord assignésà la garde des planètes et qui bientôt représententle soleil même, dans chacune des périodes de sa

course annuelle. Les caractères même de la divinité

persane, tels que nous les avons relevés dans le

Yesht consacré à Mithra, nous les retrouvons avec

une similitude, qui n'est peut-être pas l'effet du

hasard, dans divers fragments d'hymnes chaldéens

récemment déchiffrés. — « Soleil, l'arbitre suprêmedu ciel et de la terre— la loi qui enchaîne l'obéis-

sance des pays, c'est toi. — Tu connais la vérité,

tu connais le mensonge.—

r Soleil, le seigneur qui

développe la vie, celui qui répand la grâce sur 1&

pays, c'est toi. — » Et dans un autre, on lit :

Page 38: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 27

— « Toi qui fais évanouir les mensonges, toi qui

dissipes la mauvaise influence — des prodiges, des

augures, des pronostics fâcheux, des songes, des

apparitions mauvaises, — toi qui déçois les com-

plots méchants, toi qui mènes à la perdition— les

hommes et les pays qui s'adonnent aux sacrilèges et

aux nialéfices. »— Pour les Chaldéens, comme pourles Persans, le soleil est donc le dieu de la vérité,

l'ennemi du mensonge; sa lumière éclaire les se-

crets de la nature comne les réplis de la conscience.

Génie des sources et des eaux qui suscitent la

vie, Anahita, dont le nom même est celui de l'Anat

babylonienne, devient la déesse nature de la géné-

ration, la mère de la fécondité, la lune, conser-

vatoire de l'élément humide, de qui procède toute

croissance, pour la terre comme pour les hommes.Ainsi naît un nouveau couple, conçu sur le mo-

dèle des couples babyloniens d'Ishtar et de Mardouk,

l'Aphrodite chaldéenne et le dieu solaire et dé-

miurge. Artaxercès le premier, comme en témoigne

l'inscription de Suze, l'impose à l'adoration de ses

sujets et dresse ses statues à Suze, à Ecbatane, à

Babylone, comme à Damas et à Sardes. A leurs

temples, qui subsistaient encore au temps des Sé-

leucides, il affecta d'immenses revenus et il attacha

au service de la déesse des milliers d'hiérodules des

deux sexes, voués aux prostitutions sacrées.

Le culte d'Ahura-Mazda n'est point pour cela dé-

laissé. Les inscriptions achéménides nous le mon-

trent, sous les successeurs d'Artaxercès, associé tan-

tôt à Mithra, tantôt à Mithra et à Anahita. Mais dès

Page 39: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

28'

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA.

lors, il commence à s'effacer et à s'éclipser devant

l'éclat de son coadjuteur (4 ).Sans jamais disparaître,

il recule au delà du ciel des planètes et des étoiles

fixes, dans le ciel inaccessible de la lumière incréée(2) .

C'est à lui encore, comme au dieu suprême, que dans

les derniers monuments du iv'' siècle après Jésus-

Christ, Mitlira médiateur conduit les âmes, monté

sur le char solaire. Mais les philosophes seuls le

perçoivent et le supposent ;la foule ne s'en préoccupe

plus et semble l'ignorer. En même temps, Mithra,

distinct du soleil dans les livres sacrés, s'identifie

de plus en plus avec lui. De génie de la lumière, il

est devenu le foyer lumineux qui anime la nature.

Il se confond avec lui, comme chez les Grecs Apol-lon avec Hélios. Le soleil apparaît comme l'imagevisible et secourable du dieu; l'abstraction s'est

réalisée en un objet sensible pour tous. C'est ainsi

que peu à peu la fusion s'opère entre les religions

de la Perse et de la Chaldée. C'est la fête d'un culte

complètement sidéral quenous décrit Quinte-Curce,

certainement d'après des documents originaux,sous le règne de Darius, l'adversaire d'Alexandre.

La procession qui se déroule au soleil levant, nous

montre, à la cime de la tente royale, l'image glo-

rieuse de l'astre incrustée dans un bloc de cristal,

le feu porté sur des autels d'argent, un cortègede 365 jeunes gens, vêtus de pourpre, égaux en

(1) Strabon dira de Mithra: 'Ov Iléocrat c-éêovTat ôewv [iôvov.

(2) Gela ressort nettement du discours de Dion Chrysostome,où ce philosopiie traite de la religion des Perses. [Orat. 2G. Bo-

rysUienica. éd. Dindorf, t. II, p. 309.) Y. aussi l'Iriser. d'Antio-

chus au temple de Nemrud-dagh, et celle de Sahin (Phénicie) :

8£6> {i'I/t(7"M oùpavûù.

Page 40: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITllRA. 20

nombre aux jours de l'année, un char consacré à

Jupiter (Ormuzd) traîné par des chevaux blancs et

suivi d'un cheval d'une grandeur merveilleuse

. qu'on appelait le cheval du Soleil (1) (Mithra).

Telles sont les altérations qu'a subies la doctrine

de Zoroastre. Si donc plus tard, dans les mystères. de l'Occident, Mithra nous apparaît dégagé de toute

promiscuité féminine, le plus austère dans son

culte et dans ses symboles de tous les dieux de

l'antiquité, nous sommes conduits à conclure à

une séparation violente du dieu perse avec les

cultes chaldéens, à une sorte de réforme puritaine,

qui ramena Mithra à une partie de la pureté des

conceptions avestéennes. Cette réforme, nous n'en

connaissons ni le temps, ni le lieu. Elle s'opéra

probablement sous la domination des successeurs

d'Alexandre, ausein d'une de ces sectes, qui, commeles zerwanistes unitaires, naquirent de la ruine du

magisme, avant la restauration du zoroastrisme,

commencée par les Arcacides et cousommée parles Sassanides. Anahîta, seule et sans son acolyte,

reste la déesse -nature, adorée en Arménie, en Cap-

padoce et dans le Pont, sous des noms divers.

Mithra semble être demeuré le dieu des Parthes,-

de Tiridate et de Vologèse (2),un Mithra tout persan

(1) « Orto sole procédant ;et super régis tabernaculo, unde ab

omnibus conspici posset, imago Solis crystallo inclusà fulgebat.

Ignis argenteis altaribus prîBferebatur. Magi prt)ximi patriumCarmen canebant. Magos 365 juvenes sequebantur, puniceis ami-culis velati, ad nuœerum dierum anni. Currum Jovi sacratumalbentes vehebant equi : hos eximiâ magnitudine equus, quemsolis appellabant, sequebatur, etc. » Quinte-Curce, lib. III, cap. 7.

(2) Yo'.ogèse 1, l'ami de Néron, est probablement le Yalkash qui

3.

Page 41: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

3Û- ESSA.I SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.;.

pur les directions de sa morale et le caractère de

sa doctrine, chaldéen par la forme de ses dogmeset son symbolisme astronomique.

*

Le commentateur de Stace, Lactantius Placidus

a? marqué en ces termes les étapes suivies par le

eulte de Mithra : « Les Perses ont connu les pre-miers ses mystères, les Phrygiens les ont reçus

des Perses et Rome des Phrygiens (1).» 11 ne nous

reste aucun document du séjour de Mithra en Phry-

gie. C'est la principale lacune de son histoire, et il

y a peu d'apparence qu'aucune découverte vienne

jamais la combler. S'il ne semble pas que la doc-

trine du dieu persan se soit altérée au contact des

divinités phrygiennes, dont les cultes orgiastiqueset sensuels ont peu de rapport avec ceux de Mithra,

déjà se manifeste en lui cette facilité singulière à

s^dapter aux divers milieux où il se transporte, et

à s'apparenter aux dieux étrangers qu'il fréquente.C'est ainsi qu'il emprunte à Attis le costume sous

îîequel il figurera désormais sur les monuments, les

braies flottantes, serrées aux chevilles, la blouse et

lu bonnet phrygien, distinct de la tiare persane. 11

conclut alliance avec Sabazios, le dieu solaire, « le

berger des astres brillants (2),» qui déjà, sous le

fit, d'après le Dinkart, réunir le premier les fragments de l'Avesta

dispersés {V. Préface de l'Avesta par J. Darmesteter).

(I)« Quae sacra primum Persœ habuerunt, a Persis Phryges, a

Bhrygibus Romani. »

(,2) Philosophoumena, lib. V (169-171). .

Page 42: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

,:: ESSAT SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 31"

tpatrôiiago du Bacchus de Thrace, a pénétré jusque. dans les mystères d'Eleusis. Son nom gravé se jit

sur le taureau mithriaque du Capitole. Dans la fa-

meuse catacombe de Prétextât,^un prêtre de Saba^

izios et un pontife de Mithra (?) dorment dans la paixdu même tombeau, fraternellement unis dans la

nrort (J). Pareil rapprochement, attesté par les mo-numents du iv"' siècle, s'opère avec le dieu Men ou

Lunus, qui ressemble de si près au Chaldéen Sin,

ie dieu mâle de la l'une, représenté, le pied posésur la tête du taureau (2). D'ailleurs les deux

mytbologies, phrygienne et chaldéenne, trahissent

des ressemblances sensibles, qui proviennent moins

d'une influence réciproque, que de Taction exercée

sur toute l'Asie occidentale, pendant des siècles,

par la domination assyrienne; pour marquer cette

filiation, les Grecs faisaient d'Attis le fila de Nanna,

'qui est une déesse de Babylone. Il est possible aussi'

que, dès lors, le culte de^ithra ait emprunté à

€elui de Cybèle l'usage du taurobole et du criobole,

bien que l'immolation du taiireau et du bélier, quitous deux symbolisent, à deux périodes différentes,

l'année "zodiacale, fût une coutume générale dans

les pays de l'Euphrate. Enfin lej^in, emblème jdlim-

-mortalité, qui garde en hiver sa verdure, et qu'on\ promenait pendant les lamentations d'Attis, devient

un des accessoires figurés du sacrifice mithriaque.De Phrygie, le culte de Mithra gagna les côtes i

(11. V. plus loin pour l'interprétation de ce monument.(2} L'épifchète de Menotyrannus donnée à Mithra est fréquente

•dans les inscriptions.

Page 43: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

32 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA.

de la Méditerranée. Il était le dieu principal dos

pirates qiie Pompée poursuivit dans leurs retraites

de Gilicie. Les légions le rapportèrent de Tarse, la

vieille colonie assyrienne, et par elles il fit soiî

entrée daiis Rome.Ce point d'attache du culte occidental de Mithra

avec l'Orient n'est pas indifiFérent. Tarse passait

pour une des villes les plus anciennes du monde,Ses traditions lui donnaient pour premier fondateur

le héros Sandan et Hercule ou Persce. Plus tiird,

le monarque assyrien Sennachérib l'avait de nou-

veau conquise ;elle se réclamait aussi de ce second

fondateur. Tous les cinq ans, en l'honneur du dieu

national Sandan, se célébrait une fête fameuse qu'on

appelait « la fête du bûcher », Dion Chrysostômeen parle longuement dans le discours ou panégy-

rique qu'il prononça à Tarse même. Ce Sandan,

qui est le même personnage que le dieu national

des lydiens Sandan, n'était autre que l'Hercule

assyrien et le dieu du feu, d'où par conséquence, le

soleil. Bérose rapporte que les Babyloniens con-

naissaient une divinité de ce nom, et Oppert le

désigne comme une épithète de Ninip, un dès

parèdres de Samash. Aucun doute n'est donc pos-sible sur ses origines.

L'épisode principal des fêtes sacrées de Tarse

était fourni par la mort de Sandan, dont l'image,

était brûlée sur un bûcher de forme particulière,

dont les médailles de la ville reproduisent le type.

C'était un pirée gigantesque, en forme de pyramide

reposant sur une base carrée. A l'intérieur, Sandan

Page 44: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈUES DE MITHRA. 33

est dressé debout, les pieds posés sur un lion, dans

l'altitude même que certains monuments de l'Occi-

dent ont conservé à Mithra. Au faite du bûcher, un

ai'gle ouvre ses ailes. C'était l'Orne du héros, qui,

purifiée par le feu de ses souillures mortelles,

s'envolait vers le ciel, pour s'unir au soleil. Avec

quelques variantes, on retrouve le même type en

diverses villes d'Asie, de Syrie et de Phénicie.• Sur ces médailles, l'aigle est quelquefois remplacé

par un quadrige qui émpprte vers les astres l'âme

ou le double du dieu. A Tyr même, on fêtait, à la

.date du mois Péritius, répondant au 25 décembre

du calendrier romain, qui sera la date des natalitia

de Mithra, le réveil (sy^p^'-?) ou la renaissance do

Melchart. Il s'agit donc bien d'une fête de purifi-

cation et de résurrection ou d'apothéose (1). Ses

rites mêmes furent empruntés plus tard par . les

Romains pour la consécration des empereurs (2).^ Or c'est la même doctrine^ d'expiation pour l'âme,

de résurrection et d'immortalité qu'enseigne Mithra.

dieu (ie lumière comme Sandan.

Le. culte de Mithra végéta d'abord obscurément

à Rome. Le premier monument qui le signale est

une inscription de Naples, du terhps de Tibère.

(1)' Sur le "culte de Tarse, Voir Oltf. Muller. Sandan and Sarda-

napal ; R. Rochette : Vllercule assyrien, Mém. de VAc. Insc. et B. L.

Tom. XYII 11*=. F. Lenormant : Commentaire sur. Bérose p. 110 et

145 Dion Chrysostome : Orat. 33.

(•2)Hérodien IV, 3 « Quand l'image en cire qui surmontait le

bûcher de l'empereur défunt était sur le point de disparaître, sous

l'action de la flàrrime, on voyait au faîte de cet édifice un aigles'élancer dans les airs. Les Romains s'imaginent qu'en lui planeet s'élève vers le ciel l'àme de l'empereur. »

Page 45: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

34 ESSAI SUR LE CULTE Eï LES MYSTÈRES DE MITIIRA.

Néron lui fait accueil et demande, dit-on, à ses

mystères l'expiation de son parricide. Il se lie

d'amitié avec les souverains parthes, et reçoit leurs

ambassadeurs qui célèbrent à Rome ouvertement

leur culte (1). On sait que la légende longtemps

populaire voulait que le césar, échappé à ses meur-

triers, eût trouvé un refuge dans le royaume de

î'Euphrate, d'où il devait revenir avec ses alliés

pour se venger de ses ennemis. Le culte de Mithra

est florissant sous Trajan. Adrien l'interdit un

moment, à cause des scènes cruelles qui passaient

pour ensanglanter ses cérémonies. Commode se

se fait initier et se souille au cours des épreuvesd'un homicide qui fait scandale (2). Avec les em-

pereurs syriens se répand la vogue des cultes

solaires. Élagabal, le prêtre syrien couronné, pré-tend subordonner au dieu d'Emèse toutes les divi-

nités de l'empire, préludant à un syncrétisme pré-

maturé, qui, dans sa pensée, devait embrasser le

judaïsme et le christianisme (3). Mais c'est surtout

d'Aurélien que datent l'extension et l'immense

popularité de Mithra. Né en Pannonie, d'une prê-tresse du Soleil, élevé par sa mère dans le temple,il est envoyé comme ambassadeur en Perse. Aucours d'un festin, il lit dans le relief d'une coupe

'

consacrée à Mithra la promesse de sa grandeur

(1) Le Parthe Tiridate initie à Rome Néron. Voir Pline, lîist. Naf.,

cap. 30, et Dion Cassius, Lib. IV, ch. 63. Voir aussi Suétone :

«>Quin et facto per magos sacro evocare mânes et exorare ten-

tavit. »

(2) Lampride : Vita Commodi, cap. 9.

(3J Lampride : Vita lleliog., cap. 3.

Page 46: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LÈS MYSTERES DE MITIIRA..35

future. Plus tard, empereiir, vainqueur de Zénobie,il transporte à Rome le dieu solaire de la cité

palmyréenne ; reprenant la tentative d'ElagabaLcette fois avec succès, il unit dans une même ado-

ration et dans un même temple tous les cultes du

soleil. Au nouveau Dieu, il consacre l'empire, et

pour la première fois, sur les médailles et sur les

monuments, se lit, avec l'emblème de Vinvictics^

cette formule : Sol,'^dommiis imperii Romani [\\.

Ce Dieu n'a pas de nom patronymique, rien qui

rappelle une origine particulière,-^ dévotion spé-

ciale d'un peuple. C'est Sol, le dieu invincible,

dont les ténèbres de la nuit et de l'orage ne peu-vent triompher, que les siècles ne diminuent pas;le dieu certain [certus sol) dont la réalité vivante et

agissante éblouit l'univers. Mais à cet anonyme la

faveur populaire attache un nom, celui du dieu

persan, dont les mystères se répandent en raison

même du succès des cultes solaires. Sol et MithriL,

comme l'attestent les inscriptions, ne sont plus

désormais qu'une même divinité. C'est celle de

Dioctétien, de Constance-Chlore, des derniers em-

pereurs ;c'est celle aussi de Constantin, dont les

monnaies portent l'emblème de ïmvictus et qui

longtemps hésita entre Mithra et le Christ. C'est

surtout lé dieu de Julien, voué dès sa jeunesse 'à

Mithra, dont il fait le conseiller et « le gardien de

son âme »(2^. Le monothéisme latent, que porte

(1) Fl. Vopiscus : Aurelinni vila, cap. 4, 14, 25.

(2) Julien. : C07livium, .336 : Hzig^lol v.al ôpfjibv ào-çaXïi Çwvrt.^.

(j.£-à TTjç àyaôïiç âXraôoç 7iY£fji.6va Oeov eÙjjlîvtî xa6tc"ràç o-eauTÛ.

Page 47: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

36 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

en lui le paganisme, trouve sa formule dans le

traité que l'impérial écrivain intitule : le Roi

Soleil (1).•

mLA DOCTRINE.

L'initiation mithriaque était donnée dans des

grottes naturelles ou artificielles, a Zoroastre le pre-

mier, écrit Porphyre, consacra en l'honneur de

Mithra, créateur et père de toutes choses, un antre

naturel dans les montagnes voisines de la Perse,

arrosé par des sources, couvert de fleurs et de feuil-

lages. Cet antre représentait la forme du nionde,

créé par Mithra (2). A l'intérieur étaient disposés

çà et là les symboles des éléments cosmiques et des

climats. Après Zoroastre, l'usage persista d'initier et

de célébrer les mystères dans des antres ou des

cavernes. » Il ajoute que dans cet antre, dont la

description est empruntée à Homère, habitent des

Naïades ou des Nymphes qui représentent les

âmes fiancées à des corps mortels. C'est là une des-

cription assez exacte de la grotte mithriaque, telle

que des fouilles récentes nous l'ont révélée. Mais il

n'est question dans VAvesta, ni de grottes, ni de

nymphes, ni de l'appareil astronomique, dont nous

parle Porphyre. Bien au contraire, nous savons par

(1) 3e renvoie pour la diffusion du culte de Mithra sous l'erapireau livre de J. Réville : la Religion sous les Sévères.

(2) Porphyre : De a7it>'0 Nymph., cap. G-8 : :3-j[iSoXov -zr^ç, -jX-^jç

ï% ^; ô y.do-iAOç.

Page 48: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 37

Hérodote et Strabon que les Mazdéens proscrivaientles temples et sacrifiaient à leurs dieux sur lé som-

met des montagnes. Mais nous saisissons en cet

usage la survivance d'une des plus vieilles tradi-

tions des religions orientales. La grotte, image du

monde créé, avec le foyer qui l'éclairé, symbole du

soleil, se retrouve dans le culte de la Gybèle Phry-

gienne et dans les vieux cultes de la Grèce, en

Crète et en Arcadie (1).

Ces antiques souvenirs trouvent un écho dans

Platon, qui dans un mythe célèbre, représente le

monde terrestre comme une caverne. Les Chaldéens

affectaient de donner à leurs tours prismatiquesla forme de montagnes, creusées de chambres à la

base, et pour eux le même terme traduisait le templeet la terre. Pareille conception s'imposait aux Égyp-tiens dans la construction de leurs pyramides, oiile

mort vivait sa seconde existence. Enfin les Etrus-

ques et les Latins eux-mêmes avaient la prétentiondans le plan et dans l'orientation de leurs temples,de reproduire l'ordre et la disposition de l'univers. Ensorte que la grotte mithriaque est simplement le

temple sous sa forme la plus primitive.L'exactitude des assertions de Porphyre a d'ail-

- leurs été surabondamment prouvée par les fouilles

qui ont mis au jour les nombreux sanctuaires du

culte mithriaque. Ces grottes, dans les villes, sont

presque Jtoujours artificielles et ressemblent à des

caves voûtées, auxquelles on accède souvent par de

(1) Porphyre lui-même signale ces ressemblances.

Gasquet. — Mitlira. 4

Page 49: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

38 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

longs corridors souterrains. Les plus connues et les

mieux explorées sont celles du MithrsBum du

Capitole, celle d'Ostie et celle de Saint-Clément.

Toujours s'y rencontre la source, signalée par

Porphyre, comme élément essentiel du. culte et qui

servait aux lustrations rituelles. Les Chrétiens du

iv^ siècle ne manquaient pas de s'égayer aux dépensd'une secte qui cherchait le soleil sous la terre

;ce

roi des ténèbres, qui pouvait-il être, sinon Lucifer,

prince du mal? (1).

Le Mithra des mystères reçoit le nom de petro-

genès^ â'invictus de petrâ natus^ de Tpecç à/. ::àôaç. Il

est difficile d'en donner une raison satisfaisante.

A-t-on voulu exprimer par là l'éclair des rayonsnaissants à l'aube au sommet des montagnes et quisemble jaillir des rochers ? On peut le croire,

puisque le petrogenès est souvent représenté sur les

monuments par une figure radiée en buste se déga-

geant d'une gaine rocheuse. Peut-être voulait-on

plutôt expliquer par là l'origine du feu, qui sort en

étincelles du choc de la pierre (2).Il est curieux que

les plus vieilles religions de l'Asie rendaient unculte au soleil sous la forme d'un cône de pierre.

La pierre noire d'Emèse, emblème de Baal, dont

Elagabal fut le prêtre, fut par lui transportée à

(1) Quid quod et Invictum spelœa sub antra recondunt,Quemque tegunt tenebris audent hune dicere solem,

Quis colat occulté lucem, sidus que super-numCelet in infernis, nisi rerum causa malarum ?

Paulin de Noie : Op. Ed. Veron, p. 703. Rossi {Biillet. 1868,

p. 57) cite ce fragment Qui docuit sub terra quœrere solem.

(2) C'est l'explication que donne Lydus : De mens, III, p. 43 : Six

10 Toy îrpbpc xÉvrpov.

Page 50: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 39

Rome, quand il y vint pour exercer l'empire. Ce

cône de -pierre, la petra genitrix, se retrouve

aussi dans plusieurs des mithrsea explorés de nos

jours (1).I

C'est encore aux plus anciennes traditions reli-

i,gieuses de l'Orient qu'il faut remonter pour rendre'

compte de l'épilhète de (Bouy.Xé'^oç, volèhr de bœufs,

que donné Poi^phyre à Mithra et que répètent à

l'envi, dans une intention ironique, les auteurs chré-

tiens (2). Comme le dieu solaire des hymnes védi-

ques, Mithra chasse devant lui les nuages qui sont

les vaches célestes. Dans l'Avesta, il est toujours le

dieu des vastes pâturages. Il ramène à l'étable les

troupeaux égarés. Il les arrache au serpent de la

nuée qui les détourne;il frappe l'ennemi, il délivre

les prisonnières, qui déversent alors leurs pluies

nourricières sur le sol altéré (3).

C'est ici le lieu d'indiquer les traits principauxdu tableau mithriaque, tel qu'il était représentéen relief sur la pierre dans tous les sanctuaires

du dieu persan. Les artistes se sont efforcés d'y

tracer les principaux symboles du culte et de la

doctrine, à ce point/que)si nous savions les déchifl'rer

et entrer dans leur esprit, le culte de Mithra n'aurait

(1) Rossi, Bullei. 1870, Le mithrseum de Rainl-Clémpnt.

(2) Porphyre, De antro Nymph. 24 ; Gommodien, Instruct. 1, 13 :

Vertebatque boves aliènes semper in antris

Sicut et Cacùs, Vulcani filius...

Firmicus, Ve^errore prof. : « Virum abactorem boum », etc., etc.

(3) M. Bréal dans son livre célèbre, Hercule et Cacus a montré

l'origine de cette légende et comment elle s'est répandue et

transformée dans les diverses mythologies. Voir aussi J. Darmes-teter : Eludes iraniennes, tome II, p. 193.

Page 51: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

40 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

plus de secrets pour nous. Mais d'une part l'indé-

cision des formes et des figures, qui vient autant

des maladresses du sculpteur que de la dégrada-tion du temps, de l'autre notre ignorance de bon

nombre de ces emblèmes et des croyances qu'ils

recouvi'ent, ne nous permettent guère ,que de

pénétrer à la surface du mythe et laissent pournous dans l'ombre bien des points encore ina-

perçus.On peut distinguer trois représentations diffé-

rentes de Mithra. Le Mithra égorgeant le taureau,

le plus connu et le plus répandu de ces types, n'est

peut-être pas le premier. Je croirais volontiers quele type le plus ancien nous est donné par le monu-ment de la villa Altièri, figurant Mithra debout, en

costume phrygien, les pieds sur le taureau. C'est

l'attitude que semble décrire Porphyre et que pré-cise Macrobe, quand il dit qu'à l'équinose vernal,

le taureau porte le soleil. Si l'on veut se reporteraux innombrables cônes et cylindres recueillis dans

la poussière de la Mésopotamie, on remarque quela divinité solaire y est très fréquemment figuréedebout sur l'animal, qui symbolise le signe repré-sentatif du Dieu. C'est en particulier l'attitude

habituelle donnée dans ces intailles à la déesse Ishtar,

debout sur la taureau ou le lion. Si l'on veut bien

aussi se reporter aux types des médailles de Tarse

et se souvenir que c'est de cette ville que le mithria-

cisme vint à Rome, on sera frappé de la ressem-

blance, pour ne pas dire de l'identité, que présenteavec le Mithra de la villa Altieri, le dieu Sandan,

Page 52: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 41

debout sur le bûcher qui doit le consumer (1).

On connaît plus de vingt représentations de

Mithraj sous la figure d'un homme à tête de lion

ou à masque léonin, enlacé dans les replis d'un

énorme serpent. Montfaucon le premier, et après lui

Visconti, ont reconnu dans ce type étrange le dieu

persan; Au commencement de ce siècle, le danois

Zoéga, suivi par toute une école d'archéologues,contesta cette attribution et baptisa le léontocéphaledu nom vague d'Eon, un de ces génies que les gnos-

tiques d'Orient interposent entre l'infini et la créa-

tion. L'attribution à Mithra paraît cependant des

plus vraisemblables. Le commentateur de Slace,

Lactantius, fait allusion à deux des types du dieu

persan, dont l'un au visage de lion [leonis vultu).

Les attributs du léontocéphale se rapportent assez

exactement aux symboles à la fois astronomiqueset moraux, qui s'étalent plus abondamment autour

hdu type du tauroctone.. Le lion représente le soleil

I pans le signe qui répond à l'ardeur de l'été, comme'

le taureau le représente dans celui qui répond au

printemps ;le premier étant le symbole du principe

igné, comme l'autre celui du principe humide. Le

serpent est à la fois l'ennemi mythologique du

soleil, à toutes les périodes de sa course et le géniedu mal dans les livres du parsisme. Il tend la tête

vers le cratère, qui est auprès du dieu, comme pour

épuiser la -source de vie aui alimente l'univers

créé.

(1) R. Rochetle, Acad. Inscr. et Belles- Lellres, t. XVII. VoirPL IV, nos 1 à 6, 8, 10, 17.

Page 53: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

42 ESSAI SIR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

Entre les replis du serpent et sur le torse du

monstre divin, sont distribués les signes du

zodiaque, tout au moins les quatre principaux : les

deux équinoxes et les deux solstices, ligures par le

Cancer et le Capricome, le Bélier et la Balance. Il

tient à la main tantôt une clef, tantôt deux, percées

de tfous. Que peuvent être ces clefs, sinon celles

des deux portes des âmes;celle du Capricorne qui

ouvre l'accès du ciel, si la clef est unique? Tous

ces faits répondent bien à la doctrine mithriaque.La présomption se change en certitude, si l'on se

'

rappelle que dans le mithrœum de Saint-Clément,

la figure du léontocéphale est peinte sur les

fresques des salles, et que, dans celui d'Ostie, la

plus connue et la mieux conservée des images de

ce type fut découverte au fond du sanctuaire, en

même temps que celle du type du tauroctone. Sur

les deux compositions se lit, avec la date de la con-

sécration, la dédicace du même donateur, Gaïus

Valerius Hercules. Le léontocéphale nous parait

donc représenter Mithra, sous l'un des aspects de

sa vie solaire, comme les Phéniciens représentaientleur Baal.

Le plus souvent, c'est sous la figure_du,. taurjoc-

y tone que Mithra nous apparaît. (Quelquefois,

comme à Felbach (Wurtemberg) le bélier se

substitue au taureau comme victime dusacrifice).

Il passe pour avoir emprunté l'attitude de la

Victoire égorgeant le taureau, qu'il rappelle en

effet presque trait pour trait. L'emprunt n'en reste

pas moins douteux, le Mithra et la Victoire parais-

Page 54: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 43

sant procéder run et l'autre d'un type commun,une aphrodite asiatique sacrifiant la bête qui lui est

consacrée.

Dans le tableau mithriacrue,' le dieu coiffé du

bonnet phrygien [Pileatus)^ vêtu du costume

d'Attis, dans un élan qui gonfle derrière lui les plis

%- de sa tunique flottante, appuie du genou sur le flanc

du taureau;d'une maîn il saisit la corne de la bête

ou lui relève le muffle vers le ciel;de l'autre, il lui

plonge un poignard dans le cou, d'où dégoutte unruisseau de sang. A droite et à gauche du lauroc-

tone se tiennent debout deux génies dadophores,l'un tenant son flambeau levé, l'autre le tenant

abaissé vers la terre; ils représentent le jour et la

nuit, le printemps et l'hiver, la vie et la mort;

peut-être aussi, ce qui revient d'ailleurs au même,les deux équinoxes, entre lesquels, selon le texte

de Porphyre, est la place de Mithra (1).

Autour de ces figures sont disposés les animauxde la légende mithriaque ;

animaux symbolique?,

qui comportent presque tous une double acception,"^astronomique et morale. C'est le serpent, la couleuvre

d'Ahrimann, l'ennemi de la création d'Ormuzd,en qui Macrobe voit aussi la ligne onduleiise quesuit le soleil sur l'écliptique ;

le chien, l'ami le plus

précieux qu'Ormuzd ait donné à l'homme, son

auxiliaire dans la lutte contre le mal, et qui est

^(1) Cumont croit Cfue c'est à. ces dadophores que s'appliquentles noms de Caùtes et de Cautopates, qu'on lit sur quelques mo-numents. Rossi pansait que ce sont des épithètes, au sens d'ail-

leurs inconnu, qui s'appliquent à Mithra.

Page 55: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

44 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈHES DE MITHRA-,

encore la constellation qn'on appelle le paranatellondu Taureau

;le Scorpion, un des êtres malfaisants

que suscita la création d'Ahrimann;est le signe

céleste qui présage la mort de la nature;le Corbeau

« qui s'en va tout joyeux a l'instant où l'aube perce,

désirant que la nuit ne soit plus la nuit et que le

monde sans aurore ait l'aurore » (1) ;et qui donne

en même temps son nom à l'une des constellations

du printemps (2). Aux pieds de Mithra est placé le

cratère, qui, d'après Porphyre, symbolise la source

de vie, et qui lui aussi figure dans les groupesstellaires. 11 est en relation avec le Serpent et avec

le Lion.

Très souvent au-dessus du Sacrifice, et au cintre

de la grotte, se déploient les signes du zodiaque.

Au-dessus encore et au fronton du monument, sont

représentés, à droite et à gauche, le soleil et la

lune, tous deux en buste, l'un avec l'auréole radiée,

l'autre avec le croissant;souvent aussi le premier

s'élançant de l'Orient sur un quadrige, la seconde

s'inclinant vers l'Occident sur un bige. Entre les

deux, cinq pirées qui sont les cinq planètes. Les

pirées sont souvent séparés par des pins, dont le

feuillage constant est symbole d'immortalité.

A mesure qu'on approche de la fin du iv® siècle,

la composition mithriaque se complique et se

charge d'accessoires, de scènes variées et confuses.

Dans plusieurs monuments, des deux côtés du

(1) Avesta Yesclit XIV, 20.

(2) On constate la rareté du coq et de l'aigle qui sont les

oiseaux sacrés par excellence de l'Avesta.

Page 56: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 45

tableau du sacrifice, s'étagent une série de compar-timents qui représentent probablement des scènes

d'initiation et d'épreuves. En quelques autres, lacom

position paraît divisée en trois registres ;celui du

milieu le plus considérable reste toujours consacré

au Tauroctone;le registre supérieur flanqué des

images du Soleil et de la Lune semble représenterle ciel des bienheureux, avec les figures du Sagittaire,

du Capricorne, peut-être aussi celles des planètessous la forme des divinités hellénique et romaines ;

le registre inférieur semble vouloir dépeindre des

scènes doutre-tombe; banquet des bienheureux,

délivrance par Mithra, monté sur son char lumi-

neux, des coupables qui expient, enlacés par

l'esprit du mal. L'ensemble de la composition

répond au triple domaine sur lequel règne Mithra,

dieu du ciel, de la terre et des enfers (1).

*

Les mystères de Mithra, comme en général tous

les mystères de l'antiquité, avaient pour objet d'expli-

quer aux initiés le sens de la vie présente, de

calmer les appréhensions de la mort, de rassurer

l'âme sur sa destinée d'outre-tombe, et par la puri-fication du péché, de l'affranchir de la fatalité de la

génération et du cycle des existences expiatoires.

Cette libération s'opère par l'entremise d'un dieu

psychopompe et sauveur, qui lui-même a passé par

(1) Voir les monuments de Sarmizaegetusa et d'Apulum.

Page 57: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

40 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

l'épreuve, subi une passion et traversé l'éclipse

d'une mort passagère pour revivre jeune et triom-

phant (1).

C'était le dogmefondamental des mystères d'Eleu-

sis et le sens mystique de la cathode et de Vanode de

Gora, arrachée aux bxas de son ravisseur Iladès et.

rendue à la lumière, en même temps qu'elle

ramène pour la nature les floraisons du printemps ;

symbole- emprunté à la métamorphose du grain de

blé, qui pourrit de longs mois dans le sol, avant

de surgir en pousse verdoyante et en épi jaunissant.Plus tard, sous l'influence de l'orphisme et des

religions venues de Thrace ou d'Egypte, la légendede Cora se complique et s'enrichit de développe-ments nouveaux. A l'fladès primordial se substitue

Bacchus, l'époux mystérieux de Déméter; le prin-

cipe de vie se dédouble et se constitue de deux

éléments, masculin et féminin. De leur union naît

l'enfant sacré, lacchos ou Zagreus, le Dieu krà tô>

ixaa-cw, le guide des initiés, le médiateur des âmes,

le gage de leur rédemption et de leur immortalité»

Tel est aussi le sens, dans les Dionysies et les mys-tères de Liber, de la passion [xk tzx%\j.x-x) et de la

résurrection de Dionysos. Déchiré par les Titans,

qui sont les esprits du mal, ses membres dispersés,

à l'exception du cœur saignant qui est recueilli par

(1) C'est le sens très clair des deux vers déjà cités, prononcéspar le prêtre aux mystères d'Adonis ;

"Etnai fip UjAïv ex xôvwv (rwrr.çîa.

Et Firmicus Maternus à cette citation ajoute : « Habet ergo dia-

iolus christos suos », cap. xxiv.

Page 58: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 47

Pallas, il est ranimé par Zeus et renaît en une apo-ihéose définitive. 11 est, pour les mystes, le principede la force immortelle et libératrice qui circule

dans la nature, et de la vie qui naît de la mort;comme du sarment de vigne desséché par l'hiver,

émondé par le ciseau, sort, sous la poussée de la

sève, le bourgeon verdoyant, qui porte les pro-messes de l'automne.

Les mystères orientaux s'inspirent des mêmesdoctrines et visent aux mêmes enseignements, s'il

«st vrai que c'est d'eux qu'ils sont parvenus aux

sanctuaires de la Grèce. Dans la légende d'Adonis,

dont celle d'Attis n'est qu'une variantOj les femmesde Syrie déplorent en leurs lamentations le jeune

berger, la grâce du printemps et l'amant d'i^Lstarté,*

tranché dans sa fleur par le boutoir de la bête

qui symbolise les frimas, puis ranimé et rendu à la

déesse, au milieu des transports d'une joie fréné-

tique, qui s'accompagne de délirantes orgies. Plus

sobre, plus savant, pénétré d'une plus haute

inspiration religieuse, se déroulait le mythe d'Osi-

ris dans les sanctuaires d'Abydos et d'Héliopolis.

Symbole du soleil et de la vie qui en émane, Osiris

meurt chaque soir à l'occident, pour renaître chaquematin en la gloire d'Horus; pendant son éclipse

apparente il parcourt les royaumes de la mort,

l'Amenti; il y guide les âmes échappées à l'exis-

tence terrestre;

iî leur enseigne par quelle voie de

purification, par quelles épreuves elles doivent pas-

ser, avant dé pouvoir, allégées de toute matérialité,

aborder sur la barque solaire aux royaumes' de la

Page 59: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

48 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

lumière. Et c'étaient, avec d'autres symboles, les

mêmes consolations et les mêmes espérances que sug-

géraient aux initiés Vanabase et la calabase mithria-

ques. Semblable à l'Ôsiris égyptien et à l'iacchus

d'Eleusis, c'était Mithra psycliopompe, qui leur en-

seignait les voies de la perfection et de la libération

de l'âme, les soutenait par son exemple dans les

épreuves, qui leur ouvrait, au terme de l'expiation,

le seuil de la vie bienheureuse.

Tous ces mystères supposent un ensemble de

doctrines sur l'origine spirituelle et immortelle de

l'âme, sa déchéance et son rachat. Il serait inté-

ressant d'en rechercher la genèse et de remonter à

leur source première (1). Les Grecs eux-mêmes,

presque sans exception, en reconnaissaient la prove-nance orientale. Ils en attribuaient l'importation à

Pythagore, qui passait pour les tenir directement

ou par l'intermédiaire de Phérécyde de Scyros, des

sanctuaires d'Egypte et de Chaldée. De fait, elles

sont absolument étrangères à la religion d'Homère,et n'ont rien à démêler avec ses dieux enivrés de

leur force et enchantés de leur beauté, qui ont si

intimement pénétré l'art et la poésie helléniques.Sans doute la croyance à un principe immortel

dans l'homme, àla survivance de l'âme, est en germedans le culte des morts et des héros, commun à

presque toute l'humanité;mais combien vague,

imprécise et flottante, avant que les mystères ne

(1) Voir entre beaucoup d'autres ouvrages : J. Girard, Le senti-

ment religieux en Grèce; Th. Weil, De l'immortalité de l'âme

chez les Grecs [Journ. des savants, sept. 1895) ; Rliode, Psyché.

Page 60: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR, LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 49

l'aient formulée en dogme religieux et que Pytha-

gore et Platon n'aient tenté d'en donner la démons-

tration philosophique (1). Dans Homère et jusquedans Pindare, il ne s'agit guère que d'une immor-talité d'exception et d'adoption, objet d'un privilègedes dieux, d'une immortalité aristocratique. Quantà la vie d'outre-tombe elle leur apparaît misérable

et désolée. Qu'on se rappelle l'enfer de ÏOdi/ssée et

ces ombres exténuées, sans consistance et sans cons-

cience, qui ne recouvreQt un moment le sentiment

et le souvenir, qu'après s'être abreuvées du sangchaud et fumeux des victimes, et qui soupirent, la-

mentablement vers la vie qui les a quittées. Tous

les peuples de l'Orient, à un certain moment de

leur évolution, ont passé par des croyances presque

identiques. On connaît le scheol hébreu « qui ne

rend pas ses morts m. L'Aralou chaldéen est un(c lieu où les morts n'ont que la poussière pour leur

faim, la boue pour aliment, oii ils ne voient pas la

lumière, où les ombres, comme des oiseaux de nuit,

remplissent la voûte ». Les plaintes du ûfoz^ô/e égyp-

tien, dans la terre de V Occident^ sont aussi expres-sives de l'amer regret de la vie. « L'Occident est

une terre de sommeil et de ténèbres lourdes, une

place où les habitants, une fois établis, dorment en

leur forme de momies, sans plus s'éveiller pourvoir leurs frères, sans jamais plus apercevoir leur

(1) Pausanias, lib. IV, 32; Maxime de Tyr: Dissert., 16 : « Pri-

mus Pythagoras Samius inter Grœcos dicereausus est interiturumesse corpus suum, animam vero mortis immunem seniiqueevolaturam esse ; prius quam enim hue veniret, exstitisse olim. »

Gasquet. — Mithra. 3

Page 61: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

50 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITtIRA.

père et leur mère, le cœur oublieux de leurs femmes<3t de leurs enfants. L'eau vive que la terre donne

è. quiconque vit sur elle, n'est plus ici pour moi

qu'une eau croupie et morte... Qu'on me donne à

boire de l'eau qui court; qu'on me mette la face

au. vent du nord, sur le bord de l'eau, afin quela brise me caresse et que mon cœur en soit

rafraîchi de son chagrin (1). »

Mais l'Egypte et la Chaldée ne s'en sont pas.

tenues à ces conceptions rudimentaires. Bien avant

la Grèce, qui devait hériter de leur sagesse, elles ont

de ces données encore grossières, fait sortir quelques-uns de§ mythes grandioses qui ont consolé et récon-

forté l'humanité. Je rappelle seulement que l'Egypte,

pour qui la mort fut la grande affaire de la vie, a

conçu dans les sanctuaires d'Abydos et populariséle mythe de l'Osiris infernal, qui semble bien avoir

passé delà à Eleusis. La Chaldée et la Perse, quinous intéressent de plus près, connurent aussi l'en-

seignement consolateur d'un dogme d'immortalité

pour l'âme. « Les Chaldéensles premiers, écrit Pau-

sanias, ont dit que l'âme de l'homme est immor-telle (2) ». Si nous ignorons à peu près tout de la

doctrine morale des prêtres de Babylone et de

NiniA^e, du moins a-t-on recueilli et déchiffré assez

de fragments de leurs légendes mythologiques, pour

pressentir les promesses et. les espérances que la

religion offrait aux hommes pieux et braves. Lesombre royaume d'Allât, préservé par ses sept en-

(1) Trad. Maspero.

(2) Pausanias, Lib. IV, cap. xxxii.

Page 62: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA. 5t

ceintes, n'était pas irrémédiablement clos. La vo-

lonté des dieux pouvait l'ouvrir à quelques mortels-

privilégiés. La déesse Istar put y descendre, et nonseulement réussite en sortir, mais elle y puisa, à las

source de vie, l'eau* bienfaisante, l'eau de Jouvence,

qui devait arracher à la mort son amant Thammouz.et lui garder une jeunesse éternelle. Une pensée

philosophique profonde mettait ainsi au sein mêmede la mort une promesse d'immortalité, dans l'enfer

morne et désolé une éclaircie vers le ciel des bien-

heureux. Si difficile que soit l'accès de cette source,,

gardée par les génies, pour malaisé qu'il paraissed'arracher aux grands dieux le décret particulier

qui laisse échapper une âme de sa prison, il faut

croire qu'avec le temps leur volonté faiblit et queleur humeur fut plus bienveillante. Un hymne à

Mardouk l'appelle « le miséricordieux, qui relève

les morts à la vie »;à un monarque assyrien ses

sujets font ce souhait : « la région qui brille comme

l'argent, les autels splendides, le bienfait de l'état

de bénédiction, parmi les banquets des Dieux^et les jardins bienheureux dans leur lumière — qu'il

leshabite, la vie joyeuse dans le voisinage des dieux

qui habitent l'Assyrie ! (1) »

Dans le récit chaldéen du déluge, rappelons l'île

fortunée où les dieux ont placé le patriarche qui a

sauvé dans l'arche l'humanité nouvelle. Là, fleurit

l'arbre de vie, là coule aussi la source merveilleuse

où le héros Gilgamès vient laver ses souillures >

(1) Voir Ch. Lenormant; Un véda chaldéen.

Page 63: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

52 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.r.

Rappelons encore l'enlèvement d^Étana par l'aigle

de Samash, enlèvement suivi d'une chute mortelle,

oiî nous trouvons en germe à la fois le mythe de

, Ganymède et celui de Phaéton.

Mais la plus féconde de ces légendes est à coupsûr celle même du héros solaire, Izdiibar ou Gilga-

mée, qui fait le sujet de la vaste épopée babylo-

nienne, dont l'histoire du déluge n'est qu'un épisode.Tous les Assyriologues, depuis Rawlinson, s'accor-

dent à diviser cette épopée en douze chants, dont

chacun se rapporte à l'un des signes du zodiaque.C'est probablement l'histoire des victoires du soleil

sur les constellations qui s'échelonnent sur l'éclip-

tique, symbolisée par les combats de l'Hercule

d'Ourou. Le soleil qui l'a sans cesse protégé dans

ses épreuves, finit par l'adopter, par le réunir à lui,

et lui délègue l'office de juger les mortels dignesde participer au bonheur de l'éternité. Nous trou-

vons une variante de cette légende, florissante sur-

tout en Gilicie et en Lydie. C'est encore l'Hercule

assyrien, mais sous le nom de Sandan, qui finit sa

vie par la purification suprême du bûcher et dont

l'âme s'envole vers le soleil sous la forme d'un aigle

ou du phénix ;« Assyrii phœnica vocant » dira

Ovide (1).

Le dogme persan est plus sobre, mais pour la

première fois, il nous renseigne sur l'origine des

(1) Sur les idées des Assyriens touchant l'immortalité de l'âme,voir Halévy : Les croyances à l'immortalilé de l'âme chez les Chal-déens ; et Jeremias : Die Babylonisch-Assyrisclien VorstellungeavomLeben nach dem Tode.

Page 64: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MIinRA. 53

âmes et de la vie, et à ce titre il nous met sur la voie

de quelques-unes des doctrines qui firent la fortune

des mystères de Mithra. Les Férouërs ou Fra-

vashis sont non pas précisément les âmes, mais

comme l'entendra Platon, les types éternels des

choses. Tout être créé ou à naître a son l'ravashi.

Ils résident au sein de la lumière d'Ormuzd. Onvoudra plus tard leur assigner une place plus pré-

cise, leur domicile sera la voie lactée ou les millions

d'étoiles qui constituant l'armée céleste. Ces fé-

rouërs, principes de connaissance et de vie, se

prêtenttemporairement à des formes mortelles, plus

par dévouement à l'œuvre de salut" d'Ormuzd que

par inclination pour les choses terrestres. Mais ils

sont en même temps des mânes. L'enveloppe qu'ils

ont revêtue une fois anéantie par la mort, ils

remontent au fonds originaire des ci eux, et vont

grossir l'armée des purs qui forment- l'assemblée

céleste. Spirituels et indestructibles dans leur

essence ils vivent éternellement. Cette croyance se

concilie avec la doctrine du jugemenl des âmes, de

leur mérite et de leur démérite. Car il est souvent

question dans l'Avesta de peines et de récompenses.« Celui qui est pur de pensée, dit Ormuzd, pur de

parole et pur d'action, ira éclatant de gloire dans

les^ demeurés du behesht. Il sera, ô Zoroastre, au-

dessus des astres, de la lune, du soleil. Je me

charge de le récompenser, moi qui suis Ormuzd, le

juste juge (1) ». Ailleurs « l'homme pieux demande

(I) Venelidad, farg. VIL •

Page 65: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

54 ESSAI SUR LE GULTE-ET LES MYSTÈRES DÉ MITHRA.

que son âme parvienne au lieu de lumière et n'aille

pas dans le lieu des ténèbres. » Et le Boundehesh

formulera plus courtement tout cet ensemble de

croyances. « L'âme est une lumière qui. à la nais-

sance, descend du ciel, et qui, à la mort yretourne ».

*

•¥•

Voyons maintenant l'application que les mi-

thriastes ont faite de ces idées et de quelles formes

symboliques ils les ont enveloppées.Le dogme mithriaque de la catabase et de Vana-

base (quelques auteurs emploient aussi les termes de

cathode QÏ d'anode^ â^hypobase et de 'parembolé)n'est expliqué dans son ensemble et dans ses déve-

loppements par aucun des auteurs de l'antiquité. Il

se déduit et s'éclaire pour nous par le rapproche-

ment, que nous allons tenter, de divers fragtnents,

empruntés principalement à Celse, à Porphyre et

à Macrobe (1).

Les symboles astronomiques de la grotte repré-sentaient la voûte du ciel et la double révolution

céleste, celle des étoiles fixes et celle des planètes,

les premiers séjour de lumière et de splendeur,habitacle des dieux et des bienheureux

;les secondes

réservées à l'évolution des âmes.

Porphyre ajoute : « Numénius et son ami Gronius

disent qu'il y a dans le ciel deux points extrêmes,

l'un dans la partie du ciel la plus méridionale est

(1) Origènes : Jn celsum, VI, 22. Porphyre : De aniro nympha-rum, cap. X-XXII. Macrobe : In somniiim Scipionis, C. XI.

Page 66: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES -DE MITHRA. 55-

au tropique d'hiver; l'autre dans ta partie la plus

septentrionale est au tropique d'été. Le point esti-

val est sur le signe du Cancer;le point hivernal sur

le signe du Capricorne. Et comme le signe du Can-cer est pour nous le signe le plus rapproché de la

terre, on l'attribue avec toute raison à la lune, quiest la plus voisine de la terre, tandis que le pôl&austral n'étant pas visible pour nous, on attribue

le Capricorne à Saturne, la plus éloignée et la plusélevée des planètes.

« Les théologiens établissent que le Cancer et Ifr

Capricorne sont les deux portes du ciel {-kùXoh).

Platon les appelle les deux ouvertures(c7T:[j/.a).

Ils-

disent que le Cancer est la porte par laquelle des-

cendent les âmes, et le Capricorne celle par laquelleelles remontent. Le Cancer est au nord et favorable

à la descente;

le Capricorne au midi et favorable

à l'ascension. Car les régions septentrionales sont

propres aux âmes qui descendent dans la généra-tion.

« De niême les théologiens ont établi pour portesdes âmes le Soleil et la Lune, disant que le soleil

est la porte par laquelle montent les âmes, la lune

celle par où elles descendent. »

Ces mêmes portes sont ailleurs appelées. « portesdes- hommes » et « portes des dieux » parce que

par l'une les âmes descendent s'incarner en des corps

humains, et que par l'autre elles rentrent au séjourde la divinité. Leur invention date des temps les

plus lointains • de l'astrologie chaldéenne. « Les

positions des dieux Bel et Ea, il fixa lui-même —

Page 67: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

56 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

dit une tablette ninivite — et il ouvrit les grandes

portes dans l'obscurité. Par l'une sort Ourou (la

lune) pour dominer la nuit — par l'autre à l'Orient

sort Samash (le soleil) » On les nommait Portes d'Ea

et de Bel, et l'on donnait le nom de chemin d'Ea et

de Bel à la route tracée par le soleil sur l'écliptique.

Du Cancer au Capricorne les signes de constella-

tion s'échelonnent dans l'ordre suivant:. le Lion,

séjour ou mansion du Soleil, la Vierge de Mercure,la Balance de Vénus, le Scorpion de Mars, le Sagit-

taire de Jupiter, le Capricorne de Saturne. Dans

l'ordre inverse, du Capricorne au Cancer, le Ver-

seau devient la mansion de Saturne, les Poissons

de Jupiter, le Bélier de Mars, le Taureau de Vénus,les Gémeaux de Mercure, enfin le Cancer de la

Lune. Quand à Mithra, il siège exactement entre

les deux équinoxes. C'est pourquoi, dit Plutarque,on l'appelle médiateur. « Il tient le glaive du Bélier,

signe de Mars et il est porté par le Taureau, signede Vénus ». Car il est le dieu de la génération, celui

par qui la vie s'entretient ici-bas, en même temps

qu'il préside à l'évolution par laquelle les âmes

entrent dans la vie et en sortent.

On remarquera que ce planisphère céleste répondà l'exaltation du soleil dans le signe du Bélier, dans

le temps où le Bélier et la Balance sont les deux

points équinoxiaux. C'était celui dont usaient les

mithriastes, ainsi qu'en témoignent les monuments,où les signes du zodiaque se déploient au cintre de

la grotte des mystères. Six d'entre eux sont tournés

vers la droite, les six autres vers Iq, gauche ;mais

Page 68: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSM SUR LE CULTE ET LES -MYSTÈRES DE MITHRA. 57

c'est toujours le Bélier qui commence là série. Ce

système ne répond pas au plus ancien calendrier

chaldéen, à celui qui avait présidé aux vieilles cos-

mogonies. Il était disposé d'après l'exaltation du

soleil dans le Taureau, date à laquelle, pour les

théologiens de Perse et de Chaldée, avait com-

mencé le monde. Le Taureau et le Scorpion étaient

alors les points équinoxiaux ;le Lion et le Verseau

les points solstitiaux (1).

La conjonction du Soleil avec la constellation du

Déliera commencé en l'an 2266 avant Jésus-Christ.

Il faut donc faire remonter à cette date les modifica-

tions introduites dans le calendrier et le planisphèreChaldéen. Mais d'autre part, à l'époque de Celse et

de Macrobe et de la grande faveur des mystères de

Mithra, ce planisphère avait à son tour cessé de

répondre au tableau réel du ciel. Depuis cent-vingtans

environ av^ant notre ère, le Soleil était entré dans

le signe des Poissons. Les Mithriastes se servaient

donc d'un planisphère qu'ils savaient inexact. Mais

ce planisphère était consacré par une tradition très

lointaine et remontait à l'époque où leurs dogmesavaient été arrêtés et fixés. Us continuaient à en.

faire usage, malgré sa désuétude, à cause de l'im-

portance qu'avaient prise dans leur théologie le

Taureau et le Bélier.

Un texte capital de Celse nous apprend au moyende quel symbole les Mithriastres figuraient la des-

cente et l'ascension des âmes et les étapes qu'illeur fal-

. (1) V. Jensen : Kosm-der BabyL p. 89-93 et p. 315.

Page 69: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

^8 ESSAI SUH LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA.

lait parcourir, une fois que de la Lune elles des-

cendaient par la porte du Cancer « dans les voies de

la génération » c'est-à-dire dans l'espace interpla-

nétaire. «C'est, dit-il, une échelle ou escalier qui a

sept portes et au-dessus une huitème.La première est

de plomb, la deuxième d'étain, la troisième d'airain,

la quatrième de fer, la cinquième de métaux

mélangés, la sixième d'argent, la septième d'or. Ils

attribuent la première à Kronos (Saturne) témoi-

gnant par le plomb la lenteur de cet astre. Ils rap-

portent la deuxième à Aphrodite à cause de l'éclat

et de la mollesse de l'étain, la troisième à Zens à

cause de la dureté de l'airain, la quatrième à Hermès,

parceque il passe parmi les hommes pour être dur

à la peine et fécond, comme le fer, en utiles travaux,

la cinquième à Mars, sa nature mixte le rendant

inégal et varié. Enfin les Perses attribuent à la lune

la sixième porte et au Soleil la septième, qui est d'or,

parceque ces deux métaux ont la couleur de la Luneet du Soleil. « Nous n'insisterons ici, ni sur les cou-

leurs, ni sur les métaux attribués à chaque planète^ni sur les secrètes influences que les anciens sup-

posaient à. ces astres sur la formation des métaux dans

le sein de la terre. Nous remarquerons en passant

que l'ordre dans lequel les planètes sont énumérées

répond à celui des jours de la semaine, si on la fait

commencer par le samedi, qui pour nous la ter-

mine. Ces sept portes sont les sept stations de

l'âme, soit qu'elle s'appesantisse vers la terre, soit

qu'elle remonte à sa source première, à ce séjourde la divinité, auquel on accède dans la construction,

Page 70: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 59

de Celse, par la huitième porte. ''A cliacTin des

paliers, nous le savons d'ailleurs, se tient un génieou archôn^ qui ne laisse passer l'âme, ou dans les

mystères l'initié, qu'après s'être assuré de son état

de perfection et de purification.

De l'escalier de Celse il serait facile de rapprocherbien des traits épars dans les historiens, qui confir-

ment l'authenticité de cette conception symbolique ;

depuis les sept enceintes d'Echatane, décrites parHérodote et peintes de la couleur des métaux, jus-

qu'au songe de Viraf dans le livre persan, le Viraf-

namch. Le songeur est au pied d'une échelle mys-térieuse dont il monte successivement les sept

degrés ;à chacun d'eux, il est introduit dans un ciel

particulier, jusqu'à ce qu'il arrive au huitième, où il

trouve Zoroastre entouré de ses fils et des âmes des

purs, et où il goûte les joies de la félicité éternelle.

Il est un lieu des âmes candidates à la vie. Les

vieux théologiens d'Egypte et de Chaldée, suivi

d'ailleurs par les (jrecs, le plaçaient, comme nous

l'avons vu, dans la Lune (1). C'est pourquoi le Tau-

reau, symbole de la génération, était consacré à cet

astre et pourquoi tant de déesses asiatiques, commeHathor et Isis sur les bords du Nil, sont figurées

avec.le croissant sur le front, ou traînées par un bigeattelé de taureaux. Mais pourquoi cette chute origi-

nelle? qui la détermine? quelle est la raison de

ces étapes à chacune des planètes ? A toutes ces

questions Porphyre répond dans un passage obscur

(1) Èv vî Tr,ç yzvé(jh(x)ç àtTc'at Kà.cn\z. Proclus : Comment, à la Rép. de

Platon, ch. xxr.

Page 71: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

60 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIÎRA.

et confus (1), qui nous ouvrirait peu de jour sur ces

mystères, s'il n'était illustré par quelques pages très

précises de Macrobe. Le philosophe grammairien,dans son Commentaire du songe de Scipion, passeen revue les diverses opinions des sages sur -les

destinées de l'âme. On reconnaît les doctrines de

Platon, de Pythagore, des néoplatoniciens, celles

des Isiaques. Il en vient enfin à celle qui nous

occupe. 11 ne désigne pas expressément la secte

mithriaque ;mais il n'est pas possible de se mé-

prendre^ puisque lui-même a soin de nous renvoyerau De antro Nym,pharum de Porphyre. Il insiste

tout particulièrement sur cette doctrine;on sent

qu'elle lui est chère et il ne dissimule pas les préfé-

rences qu'il a pour elle (2).

« La Lune, dit-il, est le lieu où la vie et la mort

.se limitent et se touchent; c'est de là que les âmes

coulent à la terre pour y mourir et s'élever ensuite

aux régions supérieures, où elles recouvrent la vie.

A la lune commence le royaume des choses cadu-

ques et qui passent ;d'elle que les âmes commen-

cent à tomber sous le domaine et du temps et des

jours ».

Dans un bonheur infini, libres de toute cqntagion

corporelle, et les possèdent le ciel. Cependant de cette

haute et perpétuelle lumière elles aspirent à descen-

dre. C'est l'appétence du corps, un désir latent de

volupté, le poids seul delà pensée de la terre qui les

entraîne. Elles s'enivrent d'un miel qui leur verse

(1) De ant. Nymph, cap. xvi.

(2) Quorum sectfB amicior est ratio.

Page 72: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 61

l'oubli des choses éternelles et ^réveille en elles

l'appétit des charnelles (1). Mais ce n'est pas d'un

coup et brusquement, que de son incorporalité par-

faite, l'âme en vient à revêtir un corps de boue péris-

sable. La chute est graduée. De la porte du Cancer,

elle glisse aux sphères subjacentes et s'arrête à cha-

cune d'elles. A mesure qu'elle descend de Tune à

l'autre, elle perd de sa pureté première et ressent

des altérations successives de sa perfection. Elle se

gonfle et se sature de chacune des substances sidé-

rales qui émanent de l'astre, chaque sphère la revêt

d'un éther moins pur, d'une enveloppe de plus en

plus sensible. Elle éprouve autant de morts par-tielles qu'elle traverse de mondes, jusqu'à ce qu'en-

fin, de chute en chute, elle parvienne à celui qu'on

appelle le monde delà vie. En même temps, chaque

planète la dote des facultés nécessaires à son nouvel

être. Saturne lui confère le raisonnnement et le-

calcul, Jupiter l'énergie active, Mars l'ardeur pas-

sionnée, le Soleil l'imagination et le sentiment,.

Vénus le désir. Mercure l'hermémeutique, c'est-à-

dire, la faculté de s'exprimer: la Terre enfin celle

de croître et de grandir; car la dernière des qua-lités divines est la première des nôtres »

(2).

Pour revenir au bonheur qu'elle a perdu, l'âme

suit une route inverse : les degrés qu'elle a descendus,

à nouveau elle les franchit et stationne à chaque pla-nète. Elle s'allège de la substance prêtée par cha-

(1) Porph. : Coeuiidi voluptas mellis dulcedo significat.

(2) Oa remarquera que l'ordre des planètes n'est plus celui d&Celse.

Gasquet. — Uithra, 6

Page 73: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

62 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

•cune d'elles; elle se dépouille successivement de

tous les éléments d'emprunt de sa corporalité, jus-

qu'à devenir Fâme pure qu'elle était dans sa condi-

tion première, toute spirituelle et semblable aux

dieux.

Ces symboles astronomiques, cette septuple vôture

«t le dépouillement successif qui lui répond, nous

ramènent directement aux rites et aux usages les plus

-anciens de la Chaldée.

Là, sous l'influence de la religion qui domine

toutes les manifestations de la vie, les nombres

trois, douze, mais surtout le nombre sept, régnent•en souverains. Sept est le chiffre sacré. Le Temple,

image réalisée par l'homme de Tordre cosmique,•est la haute tour à sept étages, en recul l'un sur

l'autre,, reliés par de larges rampes d'escaliers exté-

rieurs, où se déroule à l'aise la pompe des proces-sions. Au-dessus du pays, elle se dresse gigan-

tesque, écrasant tout de son énormité, portant son

faite aussi haute que les pyramides d'Egypte. Quel-

ques-unes de ces tours ont compté jusqu'à 180 mè-tres. Sept bandes de couleurs la bariolent de leurs

tons tranchants et hardis. Les briques de la tour

de Korsabad portent encore dans le stuc des traces,

de l'émail, blanc, noir, pourpre et bleu qui les cou-

vrait, etles ruines amoncelées trahissentles vestigesdu vermillon, de l'argent et de l'or. Ainsi sont

reconstitués les sept étages aux couleurs variées,

consacrés aux sept j)lanètes. L'inscription de Nabu-chodonozor sur la tour de Borsippa qu'il fît res-

taurer, donne à cette tour le nom de « Temple des

Page 74: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 63-

sept lumières ». Chacune d'elles'^a son étage, sa

demeure particulière, sa chapelle pratiquée dans"

l'épaisseur de la construction. Au sommet se dresse le

sanctuaire du dieu, Anou, Nébo, Sin, ou Mardouk,

splèndide édicule, oii s'est donnée carrière la ma-

gnificence du monarque. Parfois, la statue du dieu s'y

dresse, faite de métal précieux et son esprit habite

ce simulacre; d'ordinaire, on y voit le lit où il est

censé reposer, la table où les prêtres lui apportentles offrandes. « J'ai couvert d'or la charpente du lit

de repos de Nébo, dit Nabuchodonozor;

les tra-

verses de la porte des oracles ont été plaquées d'ar-

gent. J'ai incrusté d'ivoire les montants, le seuil et

le linteau de la porte du lieu de repos. J'ai recou-

vert d'argent les montants en cèdre de la chambre des

femmes, etc. »(1). Qui ne reconnaîtrait ù ces détails

et à cet ensemble, l'escalier mithriaque de Gelse,

prodigieusement agrandi? Qui ne voit que la ziggurât

babylonienne en est le prototype et le modèle?

Les cérémonies religieuses obéissent au mêmerythme numérique. On connaît le poème d'Istar,

veuve du « fils de la vie » descendant pour le sauver

dans « le pays immuable de la mort o. Ce poèmeis'adaptait évidemment, comme l'a remarqué Gh. Le-

normant, aux diverses phases d'une cérémonie sym-

bolique, et « se jouait dans les temples, comme une

sorte de mystère » (2). Ce pays, où se rue dans sa

(1) Voir Maspf^ro ; Tom. I, la Chaldée. Perrot et Chipiez:Histoire de Cari. Tom. II. Babelon : Manuel d'archéol. orientale^

p. 84.

(2) Gh. Lenormaut. Le déluge et l'épopée babylonienne.

Page 75: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

64 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA.

passion la violente déesse, FAralpu, est divisé en

sept cercles, sur le modèle des sphères célestes. Elle

franchit les sept enceintes;à chacune le serviteur

d'Allat, la déesse des ombres, la dépouille d'un de

ses vêtements, depuis la tiare jusqu'au voile de sa

pudeur, pour qu'elle paraisse nue devant la sombre

divinité. Au retour, dans le même ordre, ses vête-

ments lui sont rendus, après qu'elle a obtenu, pourcelui qu'elle pleure, l'eau de la source scellée au

seuil de l'enfer.

Si la bibliothèque d'Assourbanipal nous avait

conservé un rituel liturgique des cérémonies de

Babylone, nous constaterions vraisemblablement

que la plupart sont enfermées dans le même cadré,

s'y développent avec les mêmes formules et que

lazigguratenest aussi le théâtre. Les débris mutilés

de la cent soixante-deuxième tablette ninivite semble

bien une page de ce recueil que nous regrettons.Il s'agit d'une fête analogue « aux Plinthéries athé-

niennes ou au bain de la Pallas argienne », de la

purification d'une déesse-nature. Elle monte les

longues rampes des escaliers de la ziggurat. A cha-

cune des sept portes, un dialogue s'engage entre la

déesse et le prêtre, qui garde l'entrée du sanctuaire :

« Entre, ô dame de Tiggalâ

que le sanctuaire du dieu immuable se réjouissedevant ta face. »

Il la dépouille d'une partie de son costume; et

elle va ainsi, de degré en degré, jusqu'à ce qu'elle

pénètre nue dans le sanctuaire supérieur, qui figure

Page 76: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 65

l'empyre. Là, d'autres déesses s'enipressent autour

d'elle, la purifient par des lustrations et des exor-

cismes; puis leur office terminé, elles la laissent

redescendre et compléter d!étage en étage l'ajuste-

ment qu'elle a quitté (l).

La scène est trop confuse, le texte a trop de

lacunes pour qu'il soit possible de déterminer la

nature même de la cérémonie, dont nous saisissons

seulement l'allure générale. Mais renversezl'ordre

de cette cérémonie, appliquez à l'âme la double

évolution accomplie par la déesse; vous aurez

l'exacte description de la catabase et de Vanabase

des mystères. Tout l'appareil extérieur oii le dogmeest inclus s'est fidèlement conservé.

Nous ne signalerons qu'en passant la fortune de

ces symboles et la trace qu'ils ont laissée dans les

spéculations des philosophes grecs et latins. Bien

avant Gicéron et avant Porphyre, dont la doctrine

propre est toute pénétrée d'idées mithriaques,Platon lui-même en a subi l'influence, à travers la

tradition de Pylhagore, et par les Pythagoriciens

qui sont les interlocuteurs du Timée et de la Répu-

blique. Son imagination, plus orientale qu'hellé-

nique, se plaît à emprunter aux cosmogonies an-

tiques, les mythes dont il enveloppe ses doctrines

sur l'origine et la fin 'des âmes. A cet égard, le

mythe d'Er l'Arménien nous paraît significatif. Onse souvient du fuseau de la destinée, qui est l'axe

du monde, et de ce peson, formé de huit sphères

(1) Gh. Lenormairit : Commentaire deBérose (la fin du volume).

6.

Page 77: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

€6 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITDRA.

emboîtées, aux couleurs différentes, qui sont les

planètes ;sur le rebord de chacune chante une

sirène, et l'union de ces notes différentes donne

l'accord parfait, symbole de l'harmonie univer-

selle (1). Cet Er l'Arménien a fait activement tra-

vailler l'imagination des philosophes. C'était unhéros

solaire, proche parent du Sandon Lydien ou du

Sandan de Tarse, et qu'adoraient les Pamphyliens.Clément d'Alexandrie fait à son sujet d'intéressantes

réflexions. Et d'abord il voit en lui Zoroastre lui-

même. La légende rapporte qu'il resta douze joursétendu sur le bûcher, puis ressuscita. Cette durée

« faisait allusion à l'ascension des âmes et à leur pas-

sage à travers les douze signes du zodiaque »(2).

Proclus à son tour, dans son Commentawe au

dixième livre de la République, relève les innom-

brables discussions dont ce texte a été l'objet (3). Il

rappelle que pour l'épicurien Colotès, Er de Pam-

phylie n'était autre que Zoroastre; pour Kronios,

il en était le disciple et l'élève, tant le mythe pla-

tonicien leur paraissait bien emprunté à des sources

persanes. Peut-être trouvera-t-on plus saisissant

encore de ressemblance, le rôle attribué par Platon

aux astres dans la formation des âmes des hommes.Emanation directe de l'âme sidérale, elles reçoivent

des corps célestes, identifiés à des dieux [divinisa

animata mentibus^ traduira Cicéron), les éléments

(1) Celse établit que les Mithriastes reconnaissaient une rela-

tion entre les sept notes de la gamme et les sept planètes.

(2) Clem. d'Alex. Stromat, L. V., 14 Tov oï Zopoâorpïiv xoîi-ov »IlXaTwv ûtùoexaTÔtiov km ir\ Trypa xeîasvov àvaêtdivat Xeyet.

(3) Proclus. Coriimenl., p. GO éd. Schœll.

Page 78: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 67

sensibles qui les appesantiront vers la terre, de

sorte qu'elles participent par leur intermédiaire à

l'âme universelle et à la raison divine. Quant au

Soleil, le plus éclatant de ces luminaires célestes,

la SOTirce de toute vie et de toute chaleur, il est pourPlaton, le fils du Dieu suprême, celui que le Père a

engendré semblable à lui-même (ovTàyaOov h{b)rrpfi-

àvaXoyov sauTw), dieu sensible, qui crée les choses vi-

sibles et leur communique l'être et la vie. Paroles

inquiétantes, dangereuse collusion d'images et

d'idées ! Toute la Gnose se prendra plus tard à leur

mirage.

*

J'en viens à la,manifestation la plus connue^

mais pourtant la plus mystérieuse du culte d&

Mithra, celle que les monuments ont rendue la plusfamilière à nos yeux, le sacrifice dû Taureau.

Il est fort malaisé de démêler les sens précis et

très divers de cette image. Les mystes, obligés au

secret sur la doctrine révélée des mystères ont bien

tenu leur serment;rien de certain n'en a transpiré

au dehors;les hésitations et les contradictions des

amis aussi bien que des adversaires de la secte,

prouvent combien fut absolue cette discrétion. Res-

tent donc les monuments. Ils suffisaient aux initiés,

au courant delà symbolique du culte, pour retrou-

ver sous les images le sens de l'enseignement donné

par les prêtres. Ils constituent pour nous une langue

presque inconnue, périlleuse à déchifirer, féconde

Page 79: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

68 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITtlRA.

en erreurs, où l'intuition la plus sûre d'elle-même

est sujette à faillir.

Dans toutes les religions antiques, ariennes ou

sémitiques, le Taureau représente le dieu solaire quidéchaîne l'orage. C'est lui qui, de ses traits d'or, fé-

conde les vaches, c'est-à dire les nuées, qui fait des-

cendre sur les terres desséchées les pluies bienfai-

santes, et qui, au fort de la tempête, remplit l'air de

ses mugissements. Il est le dieu de la génération et

de la fécondité;en même temps qu'il est le signe

de l'équinoxe de printemps, qui marque le réveil de

la vie dans la nature. L'Indra védique est le Taureau

divin, comme aussi Mardouk ou Anou de Babyloneet l'Horus d'Egypte. Osiris a pour incarnation sen-

sible la bœuf Apis. Chez les Grecs, Zeus se trans-

forme en taureau pour enlever Europe ou séduire

Pasiphaë. Le Bacchus des mystères est figuré sous

la forme d'un taureau ou le front armé de cornes,

d'oii son surnon de Po;jysvy)ç. Les femmes d'Elée,

pendant les fêtes du printemps, chantaient un hymnecélèbre : « Accours, divin Bacchus, escorté des

Grâces, porté sur tes pieds de bœuf: accours, divin

taureau, taureau bienfaisant ! «Mitlira, comme toutes

ces divinités, est aussi le taureau, « le mâle du trou-

peau » dont parle l'hymne persan, « l'auteur des

choses et le maître de la génération », comme

s'exprime Porphyre.Dans les mêmes pays et dans les mêmes mylholo-

gies la Lune est aussi le Taureau, dont les coriies imi-

tent le croissant de l'astre nocturne. On sait que les

théologiens d'Orient regardaient la Lune comme le

Page 80: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 69

conservatoire des germes qui assurent la propa-

gation de la vie « Elle a, dit Plutarquet, la propriétéde produire et d'humecter, favorise la générationdes animaux et la végétation des plantes ; fécondée

et rendue mère par le Soleil, elle pénètre l'air à son

tour et y répand des principes de fécondité »(1).

Porphyre nous dit de même. « La Lune préside à

la génération et son point d'exaltation est le Tau-

reau »(2). C'est sous une figure bovine que toutes

les déesses de la fécondation, Isis, Hathor, les

Astartés phéniciennes, les Vénus et les Dianes de

l'Asie sont représentées.Mais dans le tableau mithriaque, tout en gar-

dant son double caractère solaire et générateur, ce

n'est pas comme personne divine, mais comme

symbole représentatif que le Taureau nous appa-raît. Le rôle actif et souverain est dévolu à Mithra,

qui préside à l'évolution du monde stellaire et en

dirige en maître les mouvements. C'est bien lui quedécrit Claudien:

Vaga volventem sidéra Mithram (3)

Il s'élance. Dieu jeune et triomphant ;le

ciel, comme dit TAvesta, est son vêtement, et

dans les plis de son manteau livré au vent, transpa-raissent les constellations en marche. Tout parledans ce tableau de renouvellement, de résur-

rection et de vie naissant de la mort. Si l'un des

(1) Plutarque. De Isidé, cap. xli et xlhi.

(2) Porphyre. De anlro Nymph., ch. xviii.

(3) De Consul. Slilieh., Lib. I, v 63.

Page 81: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

70 ESSAI SUK LE CULTE ET LLS MYSTÈRES DE MITQRA-.

dadophores incline vers le ciel son flambeau éteint,

l'autre élève le sien tout en flammes. Le pin dresse

tout auprès son feuillage d'immortalité;

il est

l'arbre de vie des anciennes légendes. La bête

immolée c'est le soleil annuel. Entre ses pattes

se glisse un scorpion qui pince et ronge ses parties

génitales ;c'est le signe de l'équinoxe d'automne

qui tarit la fécondité de l'année et épuise sa force

productrice. Mais au-dessus du soleil mourant, un

jeune soleil monté sur un quadrige, lancé à pleine

allure, recommence sa course. En d'autres com-

positions, c'est le Lion, symbole de l'été brûlant

qui égorge le taureau, c'est-à-dire l'été qui dévore

le printemps. Le corbeau, percbé sur l'épaule ou

au-dessus du sacrificateur, annonce l'aube nouvelle,

ou, comme dans la légende chaldéennè du déluge,la vie qui va pouvoirrenaître sur la terre renouvelée.

Pour accentuer la signification astronomique de

l'ensemble, dans un grand nombre de monuments,la série des signes zodiacaux se développe au-

dessus du Mithra tauroctone.

Mais ce taureau est en même temps le taureau

persan. Il est le taureau primordial « créé unique

par Ormuzd », ou plutôt, comme le fait entendre le

terme zend, le premier des êtres vivants, la pre-mière manière organisée et animée. Sitôt créé,

l'esprit du mal porte sur lui le besoin, la soufl'rance

et la maladie. Sous ces coups répétés, le taureau

s'amaigrit, dépérit et meurt. De chacun de ses

membres sourdent les diverses espèces de graineset déplantes salutaires, de. sa semence les animaux

Page 82: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 71

utiles à l'homme. Ce qu'il en reste est porté dans la

sphère de la lune et purifié par la lumière de l'astre.

L'âme du taureau s'échappe à son tour;elle se

dresse devant le Créateur, et d'une voix aussi forte

que celle de dix mille hommes et qui résume la

plainte de toute la création, vouée à la misère et à

la mort, elle lui crie : « A qui as-tu confié l'empire

des créatures que le mal ravage la terre et que les

plantes sont sans eau? Où est l'homme dont tu

avais dit : je le créerai pour prononcer la parole se-

courable? » Ormuzd emporta l'âme plus haut que le

ciel des planètes et des étoiles fixes, et, pour la con-

soler, lui montra le ferouër de Zoroastre, en disant :

« Je le donnerai au monde pour lui apprendreà se préserver du mal. » Plus tard et à la fin

des temps, de la semence de Zoroastre, portéecomme celle du taureau dans la lune, naîtra

Çaoshyo^ le Sauveur, qui consommera la ruine

d'Ahriman, et par la vertu d'un second sacrifice du

taureau, donnera aux hommes l'immortalité à tout

jamais.Gr le taureau mithriaque est bien sûrement le

taureau de l'Avesta;de sa queue sortent des épis de

blé; il en jaillit de sa blessure ouverte; il meurt,mais répand sa semence que recueille le cratère,

où s'élabore là vie de l'avenir. A ses pieds se déroule

le serpent, qui est Ahriman, le meurtrier de l'être

primordial; c'est lui l'antique Ahi, qui porte le

besoin, la maladie et la mort sur le premier né

d'Orrnuzd. II se dresse pour boire le saiig jailli ducouteau sacrificateur, c'est-à-dire, pour saisir l'âme

Page 83: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

72 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MÎTHRA.

qui s'échappe (1). Mais le chien l'en écarte, le

chien, l'animal sacré par exceUence, qu'Ormuzdconsidère presque à l'égal de l'homme, dont il

estime la vie presque au même prix. <( Celui qui le

tue donne la mort à son âme» (2). C'est si bien cette

scène de la dispute de l'âme entre le serpent et le

chien, que décrit le tableau mithriaque, qu'encore

aujourd'hui les Parsis approchent un chien de la

bouche des mourants, pour qu'il dispute l'âme quiva s'envoler à l'esprit du mal. Car « un regard du

chien met en fuite les devas. »

Au figuré, le Taureau de la légende persane

représente donc la créature, l'être engagé dans les

liens de la matière, en proie au mal physique et

au mal moral, le principe humide et terrestre,

comme l'explique Aristote, opposé au principe ignéet céleste, représenté par le Lion, l'être humainavec ses faiblesses, ses défaillances^ ses souillures,

j'oserais dire, la bête humaine. C'est cet être de chair

et de péché, alourdi par ses instincts, qu'il faut

affranchir et libérer. Car, ainsi que l'enseigne Hera-

clite, au sujet de ces âmes humides et tombées dans

/«^e>ie>«^zo?2,(( vivre pour elles, c'est mourir, et cequenous appelions la mort, c'est pour elles la vie (3) ».

C'est ainsi que le sacrifice du Taureau assure le

salut. C'est à cette immolation volontaire et absolue

que Mithra, par son exemple, convie ses fidèles.

(1) Quelquefois le serpent au lieu de s'élancer vers le sang dutaureau, plonge sa gueule dans le cratère. C'est au fond la mêmeidée exprimée sous deux formes diiierentes. ,

(2) Voir Vendidad. Fargard, XIII, touientier.

(3) Porphyre. De antro Nymph., cap. x.

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ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITHRA.- 73

Mais ce sacrifice est de plus un sacrifice de rédem-

ption,— caries anciens recherchaient ces symboles à

sens multiples, cfui permettaient de graduer l'initia-

tion, suivant l'instruction et la sainteté du myste.—

L'animal chargé des péchés de l'homme et offert

•en holocauste rachète le pécheur et satisfait la

•divinité. •

Cette conception est à la fois une des plus an-

ciennes et des plus générales de l'humanité. Elle

suppose celle d'un Dieu vindicatif et jaloux dont

il est nécessaire de désarmer la colère et de se

concilier la faveur par l'offrande des prémices les

plus précieuses; c'est là l'origine des holocaustes

•sanglants de Babylone, de Tyr et de Carthage,des prostitutions sacrées et des dévouements hé-

roïques, comme ceux des Décius à Rome. Decette idée, l'on passa à celle plus humaine de la

substitution, qui, par une sorte de supercherie

sacrée, permet de charger de l'expiation personnelleou collective, une victime volontaire ou choisie,

qui peut être l'animal du troupeau. Ce point de

vue apparaît, en Israël, dans le sacrifice d'Isaac,

dont un bélier prend la place sous le couteau

d'Abraham, dans les prescriptions du Lévitique,dans le célèbre passage d'Isaïe sur l'agneau symbo-

lique (1). Aussi dans les sanctuaires de l'autiquité,

(1) Lévitique : ch.xvi : « Aaron prendra deux boucs parmi les

•chèvres pour les péchés et un bélier eu holocauste... Quant àl'autre bouc, il l'égorgera pour les péchés du peuple devant le

Seigneur, et il apportera de son sang du côté intérieur du voile,•et il répandra le sang sur la base de l'autel du sacrifice ot il fera

•une expiation sainte pour les souillures des fils d'Israël, pour

Gasquet. — Mithra. 7

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74 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÀ.

les lustrations et les aspersions sanglantes étaient

la ressource suprême de la catliartique pour l'ex-

piation des crimes. Le sang lavait la faute. Les

mystères de Samothrace avaient la spécialité de ces

purifications pour le meurtre.

Elles firent la vogue immense du taurobole dans

les derniers siècles de l'empire romain. Le poètePrudence a décrit cette cérémonie dans toute sa

sauvage horreur. Ce baptême sanglant se recevait

dans une fosse à claire- voie, à peine recourverte de

quelques lattes ou poutrelles. Le pénitent y prenait

place, ou le prêtre, quand le sacrifice était donné

pour la communauté des fidèles. De la plaie de

l'animal égorgé, la pluie rouge tombait, souillant le

malheureux, qui tendait vers la rosée sanglante son

front, ses yeux, sa bouche, toute sa personne (1). Onsortait de là renouvelé pour l'éternité, m seternum

renatus\ quelques textes disent, pour Adngt ans

seulement. A l'expiration de cette période, un second

taurobole semblait nécessaire pour abolir les nou-

velles tares contractées par l'àme pécheresse. Des

villes, des provinces s'associaient pour faire les frais

de ce sacrifice, qui supposait ainsi une sorte de so-

lidarité dans le péché commun. On pouvait encore

en rapporter le mérite et en appliquer le bénéfice à

leurs injustices et pour tous leurs péchés. » — Voir Isaïe,Ch. XLIII.

A rapprocher, à plusieurs siècles d'intervalle, les-vers de Lucainsur la mort de Caton, P/iars., II, v. 312 :

Hic redimat sanguis populos, hac caede luatur

Quidquid Romani meruerunt pendere mores.

(1) Prudence : Peristeph, X, v. 1012 et sqq.

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ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 75

des personnes désignées et absentes. Nous possé-dons des inscriptions, où le taurobole est offert à

l'intention des empereurs régnants.On a prétendu, bien à tort selon nous, faire du

taurobole et du criobole le privilège exclusif du

culte de Cybèle. L'image même du sacrifice mi-

thriaque proteste, avec la clarté de l'évidence, contre

cette interprétation étroite. Cette image est ancienne,

puisque déjà Stace décrit Mithra dans l'attitude con-

sacrée par les monuments du iv° siècle (1);

elle est antérieure à la première inscription tauro-

bolique connue, qui est datée de l'an 133. Si l'on se

refuse à y reconnaître Mithra, offrant lui-même le

taurobole pour l'humanité, comment peut-on expli-

quer la substitution du bélier au taureau, qu'onobserve en d'autres monuments ? Taureau et bélier

sont en effet les deux victimes de Mithra, commecelles du taurobole et du criobole. C'est pur jeude l'esprit que de supposer une rencontre fortuite

ou une contrefaçon intentionnelle en cette simili-

tude. Les nombreuses inscriptions tauroboliquestrouvées dans le sanctuaire de Cybèle au Vatican,attestent certes que cette dévotion était intimement

liée aux cultes phrygiens. Mais elle appartient avec

une égale certitude au culte de Mithra(2). Parmi les

(1) stace : Thébaïde, v. 719.

.... Perssei sùb rupibus antri.

Indignata sequi torquentem cornua Mithram.

(2) Le monument en verre coulé du musée Olivier! en serait

une preuve sans réplique. Mais l'authenticité de ce monument aété fortement contestée. (Voir A. Lebègue, Revue archéoL, 1889),et nous ne voulons pas en faire état. Il nous reste pourtant des

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76 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

autres inscriptions, nous ne pouvons revendiquer en

faveur de notre thèse celles qui portent à la fois le

nom de Mithra et de la grande déesse. Elles sont

nombreuses. Mais il en est d'autres où figure le nomde Mithra, sans celui des divinités de Phrygie (1).

Dans les deux inscriptions qui sont à leur nom, le

grand prêtre Agorius Prsetextatus et sa femme, énu"

nièrent, dans les plus minutieux détails, tous les sacer-

doces dont ils sont investis, tous les mystères auxquelsils furent initiés. Tous deux déclarent avoir reçu le

bénéfice de l'oblation taurobolique. Cependant ni

l'un ni l'autre ne se disent affiliés aux cultes de Phry-

gie. Si l'on en croit saint Augustin et l'auteur inconnu'

du De mysteriis^ le culte de Cybèle semble en défaveur

au iv° siècle. Comment concilier cette décadence

avec la vogue et la folie du taurobole qui coïncide

avec la plus grande ferveur des mystères de Mithra?

Dans les derniers siècles de l'empire, le syncré-tisme des religions païennes et des cultes orientaux

autorisa de perpétuels emprunts des ims aux autres.

En ce qui concerne Mithra, l'emprunt du taurobole

put s'opérer dans cette Phrygie même, où le dieu

persan avait vécu en si bonne intelligence avec les

divinités locales. Mais on peut même aller plus

doutes sérieux. Les expressions mystiques de la consécration nesont pas pour étonner ceux qui sont au courant de la littérature

dévote du iv<= siècle. Les poupées ailées qui s'envolent aux deux côtés

de Mithra sont directement empruntées à l'art égyptien et repré-sentent lésâmes. Cet emprunt, lui aussi, n'a rien d'insolite. Leterme de Lari appliqué à Mithra, qui a scandalisé M. Lebègue, se

retrouve ailleurs. Dans iElius Aristide [Orat. in Aselep.). Escu-

lape est appelé « Lare commun du genre liumain. »

(1) C. J, l.Vl, no^ 504, 697, 1778 et 1779.

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ESSAI SUR LE.CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 77

loin. En réalité le sacrifice expiratoire de la bête,

chargée de l'opprobre des hommes, remonte à l'an-

tiquité la plus haute. Il n'est le privilège ni des

dieux phrygiens, ni du dieu persan. Nous l'avons

vu pratiqué chez les anciens Hébreux « pour les

souillures des fils d'Israël, pour leurs injustices et

pour tous leurs péchés ». Il en était très vraisem-

blablement de même en Ghaldée, où le taureau et

le bélier figuraient les deux animaux emblématiquesdu soleil nouveau.

'

Ce caractère de rédemption s'attache, pour une

autre raison encore, à l'immolation du taureau

mithriaque. Nous savons que ce sacrifice rappelaitcelui du taureau primordial, victime du l'esprit du

mal, et, par sa mort, bienfaiteur de l'humanité. Il se

rapportait certainement aussi au sacrifice des derniers

jours, accompli par le sauveur Çaoshyo, qui devait

précéder le triomphe définitif du Bien et la résur-

rection bienheureuse des hommes. « A la fin des

siècles, dit le Bundehesch, Caoshvo immolera le

taureau Çarçaok. Avec sa moelle et avec le hômblanc, il préparera un second corps, et on en don-

nera un à tous les hommes et chacun d'eux sera

immortel à tout jamais (1). » Cette tradition, con-

signée dans le livre parsi, remonte aux origines de

l'Avesta et s'est conservée jusqu'à nos jours. Il

paraît très probable que la scène des monuments

mithriaques y fait une allusion directe, et que le

taurobole lui-même, par lequel les pécheurs ra-

(1) Bundehesch, chap. lxxv. Voir Darmesteter : Ormuzd et Ahri-

ran, 2^ partie, ch. v, et Éludes iraniennes, t. II.

7.

Page 89: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

78 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA.

«hetés peuvent renaître de leur vivant, n'est que la

figure et la commémoration du sacrifice final, quidoit procurer la renaissance universelle (1).

Les contemporains ont-ils poussé plus loin l'inter-

prétation du symbole? Au fort de la concurrence

soutenue contre le Christianisme, ont-ils jamaisinstitué un rapprochement entre le sacrifice du

taureau et le sacrifice chrétien de l'agneau, si sou-

vent figuré dans les peintures des catacombes? Des

modernes l'ont pensé (2). Ils y semblaient autorisés

par un texte de Firmicus Maternus, qui compare le

sang de l'agneau au sang sacrilège versé dans le

taurobole. Mais l'analogie n'est que de surface.

Firmicus est possédé d'une hantise. Il voit partoutdans les cultes païens l'intervention du démon quis'acharne à multiplier les contrefaçons des mystèresde la vraie foi. Il en est de puériles et de ridicules,

auxquelles nui n'a jamais pensé que lui seul. Dans

l'espèce, la comparaison est boiteuse. Le sacrifice

de l'agneau est un sacrifice figuré, la victime est

symbolique ;le sang du taurobole était une hor-

rible réalité. D'ailleurs, pour que la comparaisonfût de tout point exacte, il faudrait supposer, queles païens ont vu dans l'image du tauroctone,

Mithra s'immolant lui-même et de sa main, sous

(1) Il est très vraisemblable que Mithra a absorbé le personnagede Çaoshyo, comme il a fait pour la plupart des génies de la

mythologie perse.

(2) Firmic. Mat. : De error. profan. relig., cap. xvii.Pro salute

hominum agni istius veneraudus sanguis effunditur, ut sanctos

suos filius Dei profusione pretiosi sanguinisredimat...Miseri sunt

qui profusione sacrilegi sanguinis cruentantur.

Page 90: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÂ. 79

les espèces de l'animal emblématique. Or il n'est

trace nulle part d'une interprétation de ce genre ;

pas un texte ne l'autorise. Ni les auteurs païens,ni TertuUien, ni Firmicus, n'ont soupçonné pareil

rapprochement, ni établi un parallèle entre la

qualité des deux victimes. Ce qu'immole Mithra,

sous la figure du taureau, dans le sacrifice qui ouvre

la période de la création et dans celui qui la ferme,

c'est l'être matériel et de chair qui obnubile le

principe spirituel de l'âme, ce sont les passions quialtèrent et corrompent son essence divine; l'objet

du dernier sacrifice, c'est la libération définitive

des servitudes corporelles (1).

Les Pères de l'Église, mais surtout saint Justin

et Tertullien, ont fréquemment signalé, dans les

mystères de Mithra, des sacrements, dont le nomau moins serait commun avec ceux des chrétiens.

Ces sacrements sont le baptême, la pénitence,l'oblation du pain et de la coupe. Tertullien ajoute

qu'ils possèdent l'image de la résurrection. C'est

trancher aisément une grave difficulté, que de ne

voir dans ces ressemblances qu'imitation grossière•et qu'impudente contrefaçon. Les auteurs chrétiens

contemporains eux-mêmes s'abstiennent de juge-

(1) La preuve en est dans le commenfaire même, dont le Bun-dehescli accompagne le récit du sacrifice; pendant la dernière

période qui précède la résurrection, l'homme cesse peu à peu dese nourrir de la chair des animaux, puis de [a pulpe des végétaux,puis du lait, et finit par acquérir un corps glorieux.

Page 91: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

80 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

ment S aussi sommaires;ils ne suspectent, ni n'in-

criminent les intentions de leurs adversaires ;ils

disent seulement que les démons, c'est-à-dire les

faux dieux, ont suggéré mécliamment aux hommesde telles analogies, pour troubler l'esprit des fidèles

et jeter la confusion sur les vérités divines. Ils

accusent la perversité de l'Esprit du mal et non la

perfidie des hommes (1).

Nous sommes malheureusement très mal rensei-

gnés sur la nature de ces ressemblances;et l'in-

suffisance des textes laisse le champ libre aux hypo-thèses. Ne pouvant connaître la signification intime

des sacrements mithriaques, c'est-à-dire ce que la

religion a de plus secret et déplus particulier, nous

sommes réduits à rechercher latra ce de pratiques

analogues dans les rites persans et chaldéens, ou

même dans les mystères qui se partageaient la dé-

votion des derniers païens. Nous avons conscience

de n'effleurer ainsi que la surface de la question.D'un culte à l'autre, en effet, ce ne sont pas tant

les pratiques extérieures qui diffèrent, que le sens

mystique attaché par la religion à ces pratiques.

Les moules et les formes sont anciens;seule la

liqueur est nouvelle versée dans les outres vieilles.

Les sacrements des mystères supposent toujoursune intervention magique. Il est des mots, des

rites, des formules qui ont la faculté d'agir directe-

ment sur les dieux et de contraindre leur volonté.

(1) Tertullien : De praescript.^ cap. xl ;De coi'onâ, cap. xv

;Jus-

tin : Dialog. contra Trypli^, cap. lxvi. Voir aussi Firmicus Matei*-

nus '.De erroreprof. relig.

Page 92: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITERA. 81

Peu importe que l'homme qui en fait usage, n'en

connaisse ni le sens, ni la raison. « Les symbolesfont d'eux-mêmes leur œuvre propre, et les dieux

à qui ces symboles s'adressent, y reconnaissent

d'eux-mêmes leurs propres images, sans avoir

besoin de nous. » C'est pourquoi, il faut conser-

ver les formes des prières antiques, n'en rien

supprimer, n'y rien ajouter jamais; « car elles

sont en connexité avec la nature des choses et

conformes aux révélations divines »(1). Ceux qui

ont le mieux noté ces mystérieuses correspon-dances sont les ChaldéenSj les Egyptiens et les

Perses.

On sait que toute l'antiquité a connu et pratiquéle baptême ou les lustrations par l'eau. Les auteurs

classiques, comme Yirgile et Ovide, les ont maintes

fois décrites. Juvénal se moque de ces baptes, quivont en foule se jeter dans le Tibre. L'Orient ne les

a pas plus ignorées que l'Occident. Partout elles

étaient le prélude de l'initiation. La première jour-née des mystères d'Eleusis leur était consacrée et

un prêtre spécial y présidait. Apulée nous parle,

dans sa description des mystères d'isis, du bain de

l'initié (2). Comme celui d'Eleusis, c'était un bain

rituel, destiné à procurer la pureté rituelle, à laver

le myste des contacts impurs et profanes qu'il avait

subis, à le régénérer et à lui assurer te pardon de

(1) Orig., Cont. Çels., I, 24; De mysteriis, Pars II, 11 et Pars Vi,

cap. IV et V.

[•!)« Stipatum me religiosû, cohorte, deducit ad proximas bal-

neas et prius sueto lavacro traditum, prœfatus deûm veniam

purissino circumrorans abluit. »

Page 93: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

«2 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

ses fautes (1). Le baptême mithriaque ne paraît pasavoir dépassé cette conception. Dans l'Avesta, l'en-

fant nouveau-né est lavé avec soin;on approche de

sa bouche le hôma terrestre, qui est le symbole et

lui donne l'avant-goût du breuvage d'immortalité.

Il est ainsi purifié et fortifié pour les jours qui lui

restent à vivre. Les mithriastes pratiquaient dans

leurs cérémonies les purifications par l'eau, par le

feu et même par le miel (2), Le miel est le symbole•de la mort et s'oppose au fiel qui est le symbole de

la vie. Le miel est le produit des abeilles, qui dans

le vocabulaire mystique désignent les âmes. On

ajoutait à ces cérémonies l'onction sur le front et

certains indices portent à penser que l'initié rece-

vait un nom nouveau, sous lequel il était connu•dans les assemblées des mystcs.

L'idée sur laquelle repose la Pénitence appartientau fond même de l'esprit humain. L'aveu volon-

taire soulage de la faute et allège le remords; mais

rien ne peut effacer la tache que le repentir parfait.

Celui-ci suppose le sentiment intime de l'indignité

du pécheur en présence de la puissance et de la

miséricorde divine. Le paganisme pratiquait

exceptionnellement la confession. Plutarque la

mentionne dans les mystères laconiens. A Samo-

thrace, un prêtre, le Koës, recevait l'aveu des fautes

(l)TertuL : De prœscripl. 40, : « Sacris quibusdam par lavacrumînitiantur... idque se in regenerationem et impunitatem perju-riorum suorum agere prœsumunt ». « Diabolus tingit et ipse

quosdam et expiationem delictorum de lavacro repromittit. »

Voir Porphyre : De abstinentia, lib. II, 49, 50.

(2) Porphyre : De anb'o, cap. xviu.

Page 94: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITURA- 85

avant de procéder à la purification (1). Mais c&

sont les religions orientales qui ont le plus vive-

ment senti l'infirmité de la condition humaine et la.

distance infinie qui sépare le Créateur de la créa-

ture. Dans une lamentation éloquente, qu'on croirait

détachée des Psaumes, un Chaldéen exhale en

ces termes son repentir : « Seigneur, mes péchés-

sont nombreux, grands mes méfaits. Le Seigneurdans la colère de son cœur m'a frappé; le Dieu

dans le ressentiment de son cœur m'a abandonné.

Je m'effraie, et nul ne me tend la main. Je pleure,et personne ne vient à moi

; je crie haut et personnene m'écoute. Je succombe au chagrin, je suis acca-

blé et je ne puis plus lever la tête. Yers mon Dieu

miséricordieux, je me tourne pour l'appeler et je

gémis. Seigneur, ne rejette pas ton serviteur. S'il

est précipité dans les eaux impétueuses, tends lui

la main. Les péchés que j'ai faits, aies-en miséri-

corde. Les méfaits que j'ai commis, emporte-lesau vent, et mes fautes nombreuses, déchire-le&

comme un vêtement (2).« Assurément ce ne sont

là que les accents d'une âme contrite et repentie ;

mais ailleurs, par exemple, chez les Persans, la

confession revêt la forme d'une cérémonie reli-

gieuse, qui l'ait partie de la liturgie. Elle s'adresse

moins au Dieu suprême qu'aux puissances célestes

et aux âmes des Purs, que le pénitent invoque commeintercesseurs. Nous lisons dans \Hymne au Soleil :

« Je me repens de tous mes péchés, j'y renonce :

(1) Plutarque : Apophteg. Lacon. Hesychins : Koës.

{%) Ra\vliiison : C. I. W. A. Tablette IV (traduct. Lenormant).

Page 95: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

U ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

Je reïionce à toute mauvaise pensée, à toute mau-vaise parole, à toute mauvaise action, à tout ce que

j'ai pensé, ou dit, ou cherclié à faire de mal. Que

je devienne comme cette lumière qui est haute et

•élevée ! » Les Patêts des Parsis sont de véritables

manuels de pénitence, contenant l'examen minu-tieux et méthodique de la conscience, les actes de

foi et les prières rituelles. Mais nulle part il n'est

parlé de l'absolution, descendant sur le pécheur, en

même temps que la grâce opère dans son cœur. Enl'absence de documents précis, il n'est pas téméraire

-de penser que la confession mithriaque s'inspirait

du même esprit de contrition et avait gardé quel-

ques-unes de ces pratiques.Nous ne sommes pas mieux renseignés sur la

•communion mithriaque. Nous savons par saint

Justin qu'elle consistait dans l'oblation du pain et

de l'eau, sur lesquels le père prononçait quelques

paroles (1). C'est pourquoi, dans les monuments de

Mithra, figuré toujours une coupe auprès de l'ani-

mal sacrifié. A notre avis, ce n'était là, comme s'ex-

prime Tertullien, que « l'image » de la communionchrétienne. On sait en quels termes, d'une précisionet d'une énergie toutes réalistes, saint Paul et l'au-

teur du quatrième évangile ont défini l'Eucharistie.

Elle est le sacrement chrétien par excellence, et

comme le dogme central du christianisme. On lui

connaît dans les mystères de très lointaines analo-

gies, mais point d'équivalence. Les repas religieux

(1) Justin : Apolog., I, cap. lxvi : "0-t yàp ap-oç -/.al TîOT-^ptov

-joaTOç TtOe-at âv tocIç to-j (jluojxévou TeXe-raï?, (j.£- ÈutXôywv Tivôiv.

Page 96: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 80

des Esséniens, les agapes sacrées d'Eleusis, le breu-

vage du Cycéon, auxquels on a voulu tour à tour

la comparer, ont un sens religieux tout différent (1).

Ce sens nous parait très clairement indiqué par un

passage de Plutarque : « Ce n'est pas, dit-il, la

quantité des vins, ni l'abondance des viandes, quiest l'essentiel dans ces fêtes et en constitue le bien-

fait; c'est la bonne espérance et la persuasion de la

présence d'un dieu favorable, qui répand sur nous

ses grâces (2).» De même, dans les repas funéraires

les morts étaient censés prendre leur part du festin

•et entrer ainsi en communion mystique avec les

vivants. Ce repas en commun établit un lien entre

ceux qui le donnent et la divinité en l'honneur de

qui il est offert;c'est par là qu'il est un acte essen-

tiellement religieux. Seules les liomopliagies des

Dionysiaques ont un rapport lointain et grossier

a,vec le mystère chrétien de la transsubstantiation (3).

Quant à la communion mithriaque, elle ne rappelleen rien ce type, et devait participer à la fois du repassacré et du sacrifice qui nous est décrit dans VAvesta.

Ce sacrifice consistait, comme encore aujourd'huichez les Parsis, dans l'oblation des pains de pro-

position [daroûns) et d'un breuvage qui est l'eau de

source ou le suc du hôma. Le Yacna nous déroule

(t) Le rapprochement est de Firmicus Madernus : De err. prof,

relig., cap. xix.

(2) Plutarque : Non passe suav. vivere sec. Epiciir.

(3) Voir surtout le passage d'Arnobe, lib. Y : « L't vos plenos dei

numine ac majestate doceatis, caprorum reclamantium visceracruentatis oris dissipatis. » Voir aussi Prudentius : Conti'ci Sym-mach, lib, I, v. 129 et sq. ; Porphyre : De absiin. IV, 19.

Gasquet. — Mithra. g

Page 97: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

86 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA.

les longues péripéties de l'office mazdéen. La partie

principale réside dans la préparation et la consé-

cration du liôma. « 1] guérit tous les maux; il donne

santé et longue vie;il procure aux femmes la fécon-

dité. Il est le trésor le plus précieux pour l'âme. Il

rend le cœur du pauvre aussi élevé que celui du

riche : toi qui es de couleur d'or, je te demande

la sagesse, la force, la victoire, la santé, la prospé-rité. » L'office se termine par le repas en commun,

composé du pain, de la viande et de l'eau apportés

par les fidèles; mais pour y prendre part, ils doi-

vent être en état de pureté parfaite. On a tout lieu

de penser que ces rites, qui se sont conservés

jusqu'à nos jours au fond de l'Asie, sont ceux-là

mêmes, du moins en partie, qui étaient pratiquésdans les mystères de Mithra (1).

La résurrection est un dogme essentiellement

iranien;

il en est fait mention dans les Gathas^

comme dans les livres très postérieurs. Les Grecs

en savaient l'origine, et trois siècles avant notre

ère. Théopompe expliquait le calcul des périodes

cosmiques, qui devaient, d'après VAvesta, précédercette rénovation. Des Perses, ce dogme passa aux

Juifs, qui ne semblent l'avoir adopté qu'avec répu-

gnance. Les Esséniens et les Pharisiens l'avaient

accepté, mais les Sadducéens, c'est-à-dire l'aris-

tocratie conservatrice des Hébreux, le rejetaient.

(1) Voir le Yaçna (trad. Darmesteter, chap. i à x). Le repasmithriatique est très souvent représenté sur les monuments. Voir

par exemple le monument de Bessapara (Thrace) décrit par Dû-ment.

Page 98: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 87

Elle s'accorde mal, en effet, avec la croyance au sheol,

qui garde à jamais ses morts. Pour les Mazdéens, le

monde a commencé au moment de l'exaltation duSoleil dans le signe du Taureau

;il doit finir quand

le Soleil reviendra dans ce signe. Cette révolution

comprend douze mille années. Elle se subdivise en

quatre périodes ou saisons de trois mille ans. Ladernière sera marquée par le triomphe d'Ormuzd

et l'écrasement du démon, au milieu de la confla-

gration générale. Aux derniers jours, quand la terre

sera « comme malade et semblable à la brebis quitombe en frayeur devant le loup », la résurrection

des corps s'opérera. Par la volonté d'Ormuzd, les

éléments rendront co qu'ils avaient repris aux corps

après la dissolution de l'être. De la terre revien-

dront les os, de Feau reviendra le sang, des arbres

les poils et les cheveux, et la vie reviendra du feu,

comme à la création des êtres. Mais il semble quecette résurrection de la chair doive être provisoireet limitée au temps réservé à l'expiation des mé-chants et à leur réconciliation définitive. Car il est

dit que les hommes finiront par ne plus prendre de

nourriture et que « leurs corps ne feront plusd'ombre ». Ils deviendront lumineux et semblables

au soleil (J).

La doctrine des chrétiens fut assez hésitante sur

ces divers points. A vrai dire, la question n'existait

pas pour la première génération du christianisme,

qui croyait à l'imminence de la pa7'ousia. Saint Paul,

(1) Bundehescfi, chap. xxxi. — Yaçna, § 23, 30, 42, 43.

Page 99: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

88 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

qui a fait de la résurrection un des dogmes fonda-

mentaux de sa foi, et qui croit qu'il verra de son

vivant l'apparition du Christ sur les nuées, proclame

qu'à ce moment les morts seront réveillés et que« les vivants seront changés ». Les uns et les autres,

renaîtront incorruptibles. « Ni la chair, ni le sangne peuvent être appelés au royaume de Dieu, ni

le corruptible à l'incorruptible. » Ils revêtiront un

corps « psychique et spirituel» dont le type est

fourni à l'apôtre par le corps du Christ transfi-

guré (1), D'autres, essayant de préciser les données-

flottantes sur la vie future, préfèrent à une immor-

talité spirituelle dont la conception échappe à leur

esprit, une palingénésie, une création nouvelle, et

dans une Jérusalem splendide et matérielle, le règnedu royaume de Dieu, enfermé dans une durée

limitée. A mesure que les temps s'écoulèrent, sans

amener le cataclysme final et promis, les difficultés

se pressèrent. L'imagination des millénaires put se

donner ample carrière dans la supputation de la

redoutable échéance. Sagement, on finit par aban-

donner ces spéculations vaines aux sectes hérétiques.Toutefois sur un point essentiel une solution sïm-

posait. Entre la mort et le terme fatal fixé au

monde, que devenaient les âmes? Attendaient- elles

le jour promis dans le morne repos et la froide

insensibilité de la tomb.e? ou, sitôt délivrées de la

chair, étaient-elles admises à goûter l'active immor-

talité du bonheur ou de la souffrance? Il semble

(1) Saint Paul, Ep. ad Coi'inth., l, 15.

Page 100: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 89

bien que sur ce point les chrétiens, comme aussi les

mithriastes, finirent par adopter l'opinion communede leur temps, celle que la doctrine des mystèreset la philosophie platonicienne avaient propagée.Car saint Justin écrit : « La Sibylle et Hystaspe

(le législateur des Perses, souvent confondu avec

Zoroastre) ont annoncé la consomption par le feu

des choses corruptibles et nous suivons leur opinion.

Quand nous enseignons que les âmes des méchants

doivent, après la mort, conserver le sentiment et

être punies, celles des bons, libres de toutes peines,

jouir de la béatitude, nous disons la même chose

que vos poètes et que vos philosophes (1).»

IV

LES ÉPREUVES ET LES GRADES.

Dans tous les mystères, les divers degrés de

l'initiation étaient précédés d'épreuves, qui avaient

pour objet de s'assurer de la foi du candidat et de

la solidité de sa vocation. On lui imposait une

attente de quelques mois, ou de quelques jours,

qui était occupée par la prière, le jeûne et des

abstinences variées. Nous savons par Apuléecomment on se préparait, sous la direction d'un

prêtre, à l'initiation des mystères d'Isis. Les épreu-ves des mystères de Mithra passaient pour les

plus longues et les plus rudes. La secte ne voulait

(1) Justin : Apolog.,1, chap. xviii.

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90 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITURA.

admettre que des hommes trempés par la souf-

france, dont aucime surprise des sens ne pouvait

déconcerter la volonté, parvenus à cet état d'in-

sensibilité qu'on appelait Vapathie. On disait que•ces épreuves allaient parfois jusqu'au sacrifice de

la vie;soit que l'initié succombât à la violence de

ia douleur ou à sa durée, soit qu'il dût pousser

l'esprit d'obéissance jusqu'à donner la mort, sur

l'ordre de ses chefs. Il est possible qu'à une époque

déjà lointaine le mépris de la vie et le fanatisme

religieux aient conduit à ces extrémités;de pareils

exemples ne sont pas rares chez les sectaires

•orientaux. Mais, sous l'empire, Lampride nous

-assure que ces homicides étaient simulés et que

l'empereur Commode se souilla d'un crime inusité,

en faisant suivre d'effet le geste commandé, et en

'Commettant un meurtre au cours de l'initiation.

Plus tard, cette discipline dut encore fléchir, au

moment de la grande faveur des mystères. Toute-

fois les mithriastes ne craignaient pas, par des

rigueurs peu communes, de contenir l'empresse-ment des fidèles : ils savaient qu'il est dans la

nature de l'homme de n'attacher de prix qu'à une

récompense qui lui a coûté peine et douleur.

Les épreuves étaient au nombre de douze et

duraient probablement quatre-vingts jours (1). Ce

chiffre se rapportait aux signes du Zodiaque et aux

(1) C'est ce qui ressort des textes de Nonnus, commentateur de

•Grégoire de Naziance, i'Élias de Crète, de Nicétas de Serres, duViolarium de l'Impératrice Eudoxie. Voir Grég. de Naziance :

Orat. 3 in Julian.

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ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 91

travaux de l'Hercule assyrien. Il rappelait ses douze

victoires sur les monstres, gardiens des hôtelleries

célestes, qui lui avaient mérité la tunique astrale

et valu avec d'adoption des Dieux l'immortalité (1).

Dans tous les mystères. Hercule était le modèle

proposé aux initiés, il était le myste parfait.

De ces épreuves graduées, d'abord légères, puisde plus en plus pénibles

—Grégoire de Naziance

ies appelle des supplices— on ne connaît pas le

détail exact. Elles comportaient des jeûnes prolon-

gés, quelquefois de cinquante jours, dit Nicétas de

Serres, l'abandon dans la solitude, l'épreuve des

éléments, du feu, de l'eau, du fouet; le patient était

enfoui dans la neige, traîné par les cbeveux dans

des cloaques. Les injures et les dérisions s'ajoutaient

à ces souffrances physiques.

Quelques-uns des monuments mithriaques, parmiles nombreuses figures dont ils sont surchargés,

permettent de distinguer certainement les épreuves

imposées à l'initié. La plupart sont malheureuse-

ment mutilés, ou le temps en a effacé le relief. Le

monument d'Heddernheim nous montre, en trois

médaillons séparés par des pins, le myste vain-

queur du taureau, le myste ceint de la couronne

héliaque, c'est-à-dire, d'une auréole radiée, le

myste introduit par la main de Mithra dans le ciel

des bienheureux. C'est là comme la synthèse des

épreuves avec la récompense qui les couronne. Undes plus complets de ces monuments, celui de

(1) Dion Ghrysost. : Orat. 33. Porphyre cité par Eusèbe : Pi^se-

par. Ev., lib. II!, c. xi. Servius : In ^weirf, lib. VI, v. 294.

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92 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITflRA.

Mauls en Tyrol, offre, des deux côtés de l'image du

tauroctone, douze compartiments superposés, où

sont représentées distinctement l'épreuve du feu,

celle de l'eau (un homme luttant à la nage contre

le courant d'une rivière), celle du jeûne ou de la

solitude (un homme couché nu dans un désert

semé de rochers), celle du fouet, à moins quel'instrument brandi par le tortionnaire ne soit le

poignard, destiné à donner au myste l'illusion d'une

menace de mort. Les compartiments de droite

semblent consacrés à l'anabase^ ou plutôt marquentles étapes vers l'apothéose. Ils nous font voir le

myste reçu en grâce et pardonné, puis couronné

par la main de Mithra du diadème héliaque, monté

enfîii sur le char que dirige le Soleil et accueilli

dans le ciel par des personnages, qui sont ou les

dieux ou les bienheureux. La lecture de ce curieux

monument doit se faire, croyons-nous, d'abord à

gauche, puis à droite, en commençant dans les

deux cas par la base. Au bas de la preniière série

est figuré le taureau, seul et debout sur ses quatre

pieds ;dans le compartiment qui lui répond à

droite, et qui précède la scène de l'ascension vers

la lumière, le taureau est vaincu, traîné par les

pattes de derrière. Le même motif, avec des va-

riantes, est seproduit en plusieurs monuments.Dans ceux de Sarmizsegetuza et d'Apulum, le tau-

reau debout est monté; l'homme fait corps avec la

bête. Dans celui de Neuenheim la légende est

développée. Entre le taureau debout et le taureau

traîné par les pieds, s'intercalent deux médaillons

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ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITHRA. 93

représentaiit, Fun, l'homine portant la bête dans

l'attitude de l'Hermès criophore, l'autre l'hommeentraîné par la bête au galop. S'il n'est pas trophasardeux de chercher l'explication de ces symboles,

je dirais- que le taureau debout me semble repré-senter le principe matériel et charnel, dont l'initié

doit se libérer pour mériter la récompense, le

taureau vaincu signifier la victoire du myste. Les

figures intermédiaires marqueraient les péripétiesde la lutte. Dans nombre de cylindres chaldéens la

défaite du monstre mythique s'exprime par des

attitudes presque semblables. (4) Du monument de

ZoUfeld, il ne reste que la scène de l'apothéose.

Nous la citons, parceque l'enlèvement du mystesur le char du Soleil, précédé d'un Hermès psy-

chopompe, reproduit exactement le dessin d'un

vase grec représentant l'entrée d'Hercule dans

rOlymphe. (2)

Les épreuves surmontées permettaient l'accès aux

grades. La religion mithriaque instituait ainsi parmiles initiés une hiérarchie rigoureuse, selon le

degré d'instruction ou l'intelligence de chacun, son

dévouement à la communauté et les services

rendus. Cette organisation avait l'avantage d'incul-

quer aux fidèles le principe d'obéissance, de les dis-

cipliner et de susciter entre eux une émulation

salutaire. Le mithriacisme avait par là, avec ses

mots de passe et se's signes mystérieux, comme on

(1) Dans le mémoire de R. Rochette, Insc. et B. L., Tom. XVII.Voir pi. II, no 9; pi. V, no 7, 18.pl. VI de 1 à 13.

(2) Gerhard. Antik. Bildwerke Cent. I.

Page 105: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

^4 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÀ.

l'a souvent fait remarquer, quelque analogie avec la

iranc-maçonnérie .

On n'est d'accord ni sur le nombre des grades,

ni sur leur ordre, ni même sur leurs noms. Le

passage de saint Jérôme dans la lettre à Laeta, oii

ils sont énumérés, est un des plus contestés des

manuscrits et d'une lecture très incertaine. Lajard,

tourmenté par l'idée fixe de retrouver partout le

nombre douze, s'est évertué à créer des noms nou-

veaux, dont son imagination a fait tous les frais.

Une saine critique commande de n'admettre que«eux que mentionnent expressément les textes

anciens et les inscriptions. Or ils sont au nombre de

sept, répondant ainsi à celui des planètes et aux

degrés de l'échelle mystérieuse de Gelse. Ce sont,

les Miles, le Léo, le Corax, le Gryphius, le Perses,

î'Hélios, le Pater. La réception à chacun de ces

grades était l'occasion d'autant de fêtes, dont les

inscriptions gardaient le souvenir; les léontiques,

les coraciques, les gryphiques, les persiques, les

héliaques, les patriques.

Que signifient ces noms bizarres, empruntés pourla plupart à des êtres et à des animaux, soit réels,

soit fantastiques, et à quelles conceptions répondentils ? Le problème est des plus malaisés

;il a embar-

rassé les anciens eux-mêmes plus voisins que nous

•de tels usages ;et ils n'ont pu lui donner une solu-

tion précise et satisfaisante. Plusieurs hypothèses-se présentent à l'esprit. Ces animaux représentaient

ils les instincts primitifs de l'humanité, l'animalité

primordiale dont le myste devait peu à peu se

Page 106: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 9î^

dépouiller pour libérer son âme? Plutarque au

contraire voit dans les animaux des miroirs fidèles

que nous offre la nature et démôle en eux des

traits d'obscure similitude avec la puissance divine,

comme le soleil se reproduit dans la goutte d'eau.

Il explique ainsi l'adoration des animaux par les

Egyptiens ;elle ne serait que la survivance d'un

culte totémique, antérieur à l'organisation sacerdo-

tale, et que l'on a observé au berceau de plusieurs

peuples sauvages. Les quatre monstres qui appa-raissent au prophète Ézéchiel, ceux en mêmenombre qui, dans l'Apocalypse, gardent le trône de

Dieu, semblent rentrer dans la même formule;ils

expriment des manifestations de la puissance

divine, ses propres attributs, sagesse, puissance,omniscience , pouvoir créateur. La signification

des animaux mithriaques nous paraît toute diffé-

rente. Porphyre émet, avec quelque restriction,

l'idée qu'ils pourraient bien se rapporter à une

doctrine de la transmigration des âmes, et que les^

mithriastes admettaient une sorte de parenté et de

communauté entre l'homme et les animaux.

L'incertitude et les hésitations de Porphyremontrent à quel point restaient encore indécises les

notions des contemporains sur la doctrine secrète

des mystères. En réalité, la métempsycose est

absolument étrangère au milhriacisme, comme elle

l'est aussi aux religions d'Egypte ;l'erreur n'a pu

venir que d'une confusion favorisée par les idées

pythagoriciennes et les vagues connaissances qu'on

pouvait avoir à Alexandrie du système religieux de

Page 107: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

^6 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA.

l'Inde. Mais le même Porphyre nous met sur la

voie de la solution véritable, en nous rapportant un

passage de Pallas, dont il n'a pu clairement pénétrerle sens. « L'opinion commune, dit cet historien,

est que ces noms d'animaux et de monstres ont

trait au zodiaque ;mais en réalité les mithriastes

veulent faire entendre ainsi certains secrets sur

l'âme, qu'ils représentent comme revêtue de diverses

enveloppes corporelles »(i). Que l'on veuille bien se

reporter à l'explication que nous avons donnée do

l'anabase et de la catabase, à ces voyages de l'âme

à travers les planètes, à ces enveloppes de plus en

plus matérielles qu'elle reçoit à chacune de ces

stations et qu'elle dépouille ensuite pour recouvrer

sa piireté et sa spiritualité; on reconnaîtra que les

travestissements successifs imposés à l'initié ré-

pondent à ces voyages planétaires, aux personna-lités différentes qu'il revêt à chacune de ces stations,

à l'allégement progressif qu'il en doit ressentir dans

sa matérialité, à l'être nouveau qu'il devient à

•chaque étape vers la, perfection et la vie bienheu-

reuse.

Ilresteraità savoir quelles secrètes affinités les mi-

thriastes supposaient entre les êtres symboliques qui

figuraient les gradesde l'initiation et les vertu s des pla-

nètes. Mais ces rapports restent inconnus. Une telle

explication a du moins pour elle de rentrer exacte-

ment dans l'esprit de l'enseignement dogmatique des

mystères, elle est logique et en conformité avec la

Page 108: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 97

doctrine. Peut-être pourrait-on la compléter, en

admettant que, sous chacun de ses aspects nou-

veaux, le myste reflétait quelqu'une des vertus ou

des actions particulières de Mitlira, considéré, tour

à tour, comme le guerrier courageux en lutte

contre le mal, le principe du feu, le messager de la

saison de vie, le sauveur des hommes, etc. Les

deux explications sont plausibles, et n'ont rien

d'exclusif ni de contradictoire.

Ajoutons encore que les mithriastes n'étaient passeuls à user envers les initiés de ces désignationsbizarres. Les inscriptions révèlent des bœufs, des

bouviers et des archibouviers dans les mystères de

Sabazios et de Liber, des chevreaux dans les Orphi-

ques, des ours et les boucs dans le culte de l'Arté-

mis d'Ephèse.Nous devons à Tertullien quelques renseigne-

ments sur la réception du Miles (1). Le myste,

vainqueur des épreuves, doit refuser la couronne

qui lui est présentée sur une épée : il la fait glisser

sur son épaute et répond : « Mithra est ma seule

couronne. » Comme le soldat enrôlé dans l'armée

romaine, il est alors marqué d'un signe au front et

fait partie de la milice sacrée (2). Le lion n'est plusun simple initié, il est déjà attaché au service du

dieu; la plupart s'en tenaient à ce grade. Les

femmes elles-mêmes pouvaient y prétendre et rece-

(1) Tertullien : De covonà, cap. XV.(2) Les initiés d'autres cultes, de "celui de Cybèle par exemple,

recevaient de même un sigae particulier. Sur la marque des sol-

dats, voir Acla Maximiliani et aussi Végèce, 11, 5.

Gasquet. — Mithra. 9

Page 109: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

98 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA-

vaient le nom de lionnes (1). La réception donnait

lieu à d'étranges et obscures cérémonies, dont le

sens nous échappe en partie. Le myste revêtait

successivement les formes de divers animaux, dont

il devait imiter les cris et les mouvements (2). On

l'enveloppait du manteau mystique, bariolé des

figures des constellations, semblable au voile olym-

pique des éleusinies et des isiaques, à Vastrochitôn

d'Hercule et à la nébride des dionysiaques. On lui

purifiait avec le miel les mains, la bouche et la

langue, ha corheaii était déjà un ministre inférieur

du culte (3); son nom venait de la constellation,

dont le lever héliaque annonce le solstice d'été ;

pour la même' raison, chez les Grecs, le corbeau est

consacré à Apollon (4) ;son image figure sur presque

tous les monuments au-dessus ou à côté du tauroc-

tone.

L'étrange figure du Griffon^ qui participe à la

fois du lion et de l'aigle, dénonce par cette parentéseule des rapports certains avec les religions so-

laires. Il apparaît sur les monuments assyriens et

chaldéens de toute époque. Le motif du griffon

vainqueur du taureau, du bélier, du cerf, illustre

nombre de médailles et de vases orientaux et grecs ;

il se substitue à celui du lion, comme lui symboledu principe igné qui triomphe du principe humide,

(1) Porphyre : Be abstin., lY, IG.

(2) Idem, ibid. : « Alii sicut aves alas percutiunt, voceni cora-

ris imitantes, alii vero leonum more fremunt. » {Quœstiones ve-

leres, attrib. à saint Augustin. Migne, t. XXXIV, p. 2214.)

(3) Porphyre : De abst., IV. 16, •JTrspE-uo'jVTs;.

(4J ^iien, De aiiim.., cap. XYIII.

Page 110: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LB CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 99

figuré par les animaux herbivores. Les Grecs l'adop-tèrent et lui firent place dans leur mythologie. Sur

des vases Bacchus est représenté traîné par un

griffon. Il sert de monture à Apollon quand le

Dieu revient du pays des hyperboréens. Il est le

gardien de l'or et des trésors cachés et son nom est

associé à d'innombrables légendes orientales.

Bien plus intéressante est la figure du Perses;

plus mystérieuse son origine. L'antiquité l'a iden-

tifié au Persée grec ;il parait avoir été dans les âges

primitifs de la Grèce le premier exemplaire, le

prototype du dieu solaire, vainqueur du dragon et

du serpent. Son nom est mêlé aux plus lointaines

légendes qui établissent les rapports mythiquesdes populations asiatiques avec les races qui bâti-

rent Argos et Mycènes. Xercès, peut-être pourflatter la vanité des Grecs et se gagner parmi eux

des sympathies, publiait la parenté de sa race avec

le héros qui délivra Andromède. Hérodote, de quinous tenons ce détail, donne ailleurs à Persée le

nom d' « assyrien »(1). Et telle paraît bien être

son origine. Phérécyde rattache son mythe à

la Phénicie, et l'on montrait en effet près de Joppéle rocher oii fut enchaînée la victime du dragon.Cette légende,remonterait plus loin encore, s'il faut

voir, comme le croit Oppert, en Persée, le héros

assyrien d'une aventure semblable à la délivrance

d'Andromède (2). Dion Chrysostôme, Ammien

(1) Hérodote, VI, 54 éwv Ao-oùptoc.

(2) Voir Rev. archéoL, 1892; Lenormant, L'épopée babylonienne ;

^lien : Histoire des animaux, 'Mi, 21.

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100 ESSAI SUR "LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA-

Marcellin font dePersée le fondateur de Tarse, cette

ville, une des plus vieilles de l'Asie, dont l'origine

assyrienne est incontestable et qui avait pour Dieu

national ce Sandan, dont nous avons relevé l'étroite

parenté avec Mithra (1).

Non moins curieux sont les éléments de la lé-

gende empruntés aux traditions persiques. Saint

Justin qui semble attacher une importance toute

particulière à Persée, nous met sur la voie de ces

recherches. Il y revient à deux reprises dans son

Apologie et dans le Dialogue contre Tryphon. Il

voit en lui le Sauveur, né d'une vierge, que le démon

oppose au Christ (2). Ce Sauveur ne serait-il pas ce

Çaoshyo fils de la vierge Eredat-Fedhri, né de la

semence de Zovoastre, et qui doit accomplir le der-

nier sacrifice et sauver aux derniers jours l'huma-

nité? Comme les autres génies de la Perse, il finit

par se confondre avec Mithra et par perdre en lui

sa personnalité. UAvesta fait une claire allusion à

sa destinée, le Bundehesch développe son rôle ; les

légendes arméniennes et parses conservent à

travers tout le moyen âge le souvenir de sa mira-

culeuse origine (3).

Le grade d'Hélius ou à'Héliodromus porte avec lui

(1) Dion Chrysost. : Oral., 23. Sur Tarse ; Amaiien Marc.

Hist. XIV.

(2) S. Justin : Dial. cont. Triph., cap. LXX. « Quando autem ex

Virgine audio Perseum, id quoque fraudulentum serpentem imi-tatum intelligo ». ApoL, I. ch. LIV. <i Qimm autem illud audissentex Virgine nasciturum et per se ipsum in cœlum ascensurum,

perl'ecerunt ut Perseus diceretur. »

(3) Avesta. Yescht des Ferouërs, carda, 30; Bundelies/i,cdcp. xxxii;

Voir J. Darmesteter : Eludes iraniennes. Tom. II, p. 208.

Page 112: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE- MITHRA. 101

son explication solaire. Dans les monuments mi-

thriaques, on voile l'Héliiis, la tête ceinte de rayonsdebout à côté de Mithra sur le char qui le conduit

au ciel (1).

Quant aux Patres^ ils constituaient le clergé pro-

prement dit;on leur donnait le nom d'éperviei^s et

(Vaigles. Porphyre distingue parmi eux trois degrésde prêtrise, que les inscriptions mentionnent éga-lement : les pères, les pères du culte {patres sacro-

rwn) et les pères des pères [patres patruin) (2). Le

père des pères était le chef suprême de la religion.

11 est intéressant de noter que les mêmes degrésse retrouvent encore de nos jours chez les parsis

de l'Inde, au témoignage d'Anquetil : le hobed^ quia la connaissance des livres sacrés et des coutumes,le mobed, qui est l'ancien mage, et le ministre du

culte; le mobeddesîoiir^ le chef religieux, chargé

d'interpréter les difficultés de la loi, et dont la dé-

cision est souveraine

V

SUCCÈS ET DÉCADENCE DU MITHRTACISME .

Le milhriacisme a dû le succès éclatant de sa

propagande à bien des causes différentes. Voici,

croyons nous, les deux principales :

(1) II semble qu'on doive lire Hélîodromits dans le manuscrit de

saint Jérôme. {Lettre à Lœta). Le même terme se lit sur une ins-

cription de Phrygie publiée par Ramsey, en 1883.

(2) Porphyre : JJe ahstin, IV, 16; confirmé par saint Jérôme,

Ep. 52, conlra Jovinianum.

9.

Page 113: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

^

*02 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MYTHRA.

En lui le paganisme a trouvé la forme du mono-

théisme, auquel, à la dernière période de son évo-

lution, il devait aboutir, sous la double influence

de la philosophie et de l'enseignement des mystères.

Presque tous les dieux des religions anciennes

sont des dieux de l'atmosphère, des dieux de lu-

mière. Zeus est le frère, très reconnaissable, de

l'Ahura persan, du Varuna et de l'Iridra védiques.Sur ces données premières, très vagues et relati-

vement simples, le génie plastique et anthropo-

morphique des Grecs a brodé les brillantes fan-

taisies de sa mythologie. Il a distingué et précisé,

mis de l'ordre et de la clarté dans le monde divin.

Par une série de dédoublements il a multiplié ses

dieux et traduit en drame et en action la physiquecéleste. Or voici qu'à la fin des temps, grâce à des

simplifications facilitées par l'identité de nature,

ces dieux tendent à revenir à l'unité première. Ces

fils de la lumière s'absorbent dans le grand lumi-

naire, foyer de toute clarté. Mais ce syncrétisme ne

date pas seulement du m^ et du lV siècle de notre

ère. Il a été de tout temps dans l'esprit de la Grèce

et de Rome, en même temps que la tendance con-

traire à l'individualisme et à la variation. Grecs

et Romains donnaient les noms de leurs dieux à

toutes les divinités des barbares. C'est par un pa-reil travail de simplification que l'hellénisme s'était

imposé à Rome et qu'une première fois s'était opéréela fusion des deux mythologies. Rome à son tour

avait transformé en ses propres divinités les dieux

des peuples qu'elle avait conquis. Même la Tanit

Page 114: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 103

de Carthage, elle l'avait revêtue du nom et des attri-

buts de la Junon céleste.

Il lui fut plus malaisé d'absorber les dieux orien-

taux qui ont une personnalité plus tranchée, et qui

pénètrent à Rome avec leurs adorateurs et leur sacer-

doce. La supérioriété de l'Orient,, en matière reli-

gieuse, s'aflirma pour la première fois. Rome ne

put rien gagner sur ces intrus, et ce fut elle quicéda. Il se fit entre les divinités correspondantes un

échange continuel de dévotions et d'attributs. La

pénétration fut réciproque, bien qu'elle s'opérât

plutôt au profit de l'Orient, et les dissemblances en

vinrent à s'atténuer, au point que le Jupiter duLatium ne différa plus sensiblement de Sérapis ou

de Mithra. Ceux-ci à leur tour s'enrichirent du

trésor accumulé de la pensée grecque ;la concep-

tion de la divinité s'élargit et s'épura, et ces dieux

égyptiens, syriens et persans se rapprochèrent du

dieu de Platon et de Philon.

Déjà nous avons vu qu'Élagabal avait essayé de

subordonner tous les dieux de l'empire à son dieu

d'Emèse, le Baal de Syrie. Les folies exotiques de

ce maniaque discréditèrent sa tentative, d'ailleurs

prématurée. Plus heureux, Aurélien, sous prétexted'unifier Jes dieux solaires, consacra l'empire au

Sol invictus. Mais pour le plus grand nombre bien-

tôt, le Soleil, ce fut Mithra, qui, par la vogue crois-

sante de ses mystères, dériva à son profit le courant

créé par la nouvelle religion officielle. Dès lors

c'est à lui que, par des détours subtils, tous les

dieux sont peu à peu ramenés. L'empereur Julien,

Page 115: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

104 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

dans son traité le Roi Soleil, montre déjà com-ment toutes les divinités de l'Orient et de l'Occident

peuvent rentrer les unes dans les autres et se ré-

duire au seul Mithra; qu'une seule intelligence,

une seule providence agit sur le monde sous des

noms différents et qu'elle seule communique son

action aux anges, aux génies, aux héros et aux

âmes, qui veillent sur tous les mouvements du

monde, de la nature et de l'âme (1). Mais le théo-

ricien par excellence du syncrétisme païen fut Ma-

crobe. Ses Saturnales en sont comme le manifeste.

Dans ce dia;logue, imité de ceux de Platon, l'homme

qui par le prestige de son rang, par son autorité et

par sa science sacerdotale, dirige la conversation,

résume les avis et donne le ton aux débats, n'est

autre que Praitextatus, le préfet de Rome et le

père des pères du culte de Mithra. Parmi les inter-

locuteurs figurent les plus grands noms de l'aris-

tocratie païenne, Symmaque, le jurisconsulte Pos-

tumius, Flavien, Avienus Nicomachus, le philo-

sophe Eustathius, le grand médecin Disarius, le

grammairien Servius, tous personnages réels, quiont marqué dans l'histoire ou dans les lettres, et

dont les recueils d'inscriptions nous énumèrent les

fonctions et les dignités. C'est devantcette assemblée

que Prœtextatus s'évertue à démontrer l'identité

originelle et foncière de toutes ces divinités que

l'ignorance et l'erreur ont seules séparées et op-

posées.

(t) Julian, xii-xvi.

Page 116: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. i05

C'est ainsi que par l'effet d'un syncrétisme effréné

toute démarcation en vient à s'effacer entre les reli-

gions les plus disparates. Les dieux, jadis hostiles

comme les cités, se réconcilient dans l'unité romaine.

Les traits particuliers de leur physionomies'émoussent

;leur personnalité se perd ou s'échange.

Chacun d'eux devient à son tour tous les Dieux.

Cette fusion s'opère au profit surtout du dieu solaire.

L'œuvre commencée dans les sanctuaires d'Orient,

poursuivie dans les mystères de la Grèce, s'achève

aux; derniers siècles du paganisme dans la pleinefaveur des mystères renouvelés. Bacchus, qui n'était

déjà plus que le prête nom d'Apollon pendant les

saisons d'automne et d'hiver, s'identifie avec Osiris

et Sérapis, et finit par prêter ses formes ambiguëset ses attributs à Mithra lui-même. Comme Zeus,

comme Sérapis, Hélios, et surtout Hercule, il

devient un Invictus. La personnalité orientale de

l'Hercule grec, longtemps dissimulée sous les fan-

taisies anthropomorphiques des poètes, reparait dans

tout son éclat. Pour les contemporains de Porphyre,il n'est plus que le Soleil et la fiction des douze

travaux que sa marche dans les douze signes (1).

Pour Plutarque. Hercule « est incorporé au soleil et

accomplit avec lui son évolution (2) ». Dans ses

Dionijsiaques\ le poète Nonnus accumule sur lui

la gloire de tous les dieux. » Hercule à la tunique

astrale, prince du feu, gouverneur du cosmos, qui

(1) Porph. dans Eusèbe : Prœpar. Evang., L. III, c. II). Voir aussi

Servius. In Mneid, lib. VI, v. 294.

(2) Plut. •: De Iside, cxli: tÇ y))Im £vtSpy[j.é\ov (7"J[j.7r£pt7roX£tv.

Page 117: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

d06 ESSAI SÛR LE CULTE ET- LES MYSTÈRES DE MITBRA.

sur le disque brûlant du soleil, pousse ses chevaux

sur la voûte de l'écliptique, bélier de l'Euphrate,

Hammon, Apis, Zeus assyrien, Sérapis, Kronos,

Phaéton, Mithra, Soleil de Babylone, Eros (1) ».

J'arrête ici l'énumération qui n'est pas close. Le

dieu Janus, trouvé jadis si rebelle à toute identifi-

cation qu'on le reléguait seul dans un coin du ciel,

rentre maintenant dans le système général. Lui

aussi a droit à sa part de divinité solaire. Car il

ouvre l'année avec le solstice d'hiver;

il comptedouze autels, en l'honneur des douze mois, et ses

deux mains portent le chiffre de 363. L'hymnecurieux à Attis, conservé dans les Philosophoumena^montre le dieu syrien identifié à la fois à Pan,à Bacchus, àSabazius, à Saturne, à Zeus, à Adonis,à Sérapis, à Men, à l'Adam de Samothrace etc. (2).

Toutes ces divinités se fondent en un amalgane

mystique, se mêlent, figurent côte à côte dans les

inscriptions. Il en est de même des déesses; Junon,

Aphrodite, Démêler, Athéné, Hécate se distinguentà peine ou ne se distinguent plus des Astarté ou

des Isis. On connaît les belles litanies de l'Isis

myrionyme d'Apulée (3). La plupart d'ailleurs ne

sont que le dédoublement des dieux mâles, leur face

ou leur miroir, comme disaient les Phéniciens de

leur Bélith. Leur personnalité n'est que d'empruntet de retlet, comme l'éclat de la lune réfléchit celui

du soleil. Tous les panthéons païens aboutissent à

(1) Lib. XL, V. .^75.

(2) Philosoph., lib. V, 169-171.

(3) Apulée : Métam., lib. XI.

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ESSAI SUR LE CyLTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÂ. 107

l'apothéose du dieu solaire, dont le vrai nom pourle plus grand nombre est Mithra (1). C'est ainsi quedans les compositions mithriaques, le tableau se

charge de plus en plus de divinités, traitées à la

grecque ou à la Romaine, en qui l'on a peine à

reconnaître les génies de la Perse et de la Chaldée.

L'astre naissant chasse des monstres anguipèdes

qui ressemblent aux Tétans, ennemis de Zeus. Les

cinq planètes revêtent les corps des divinités de

l'Olympe et la cour de Jupiter remplace le bêhesht

ou le Paradis persan (2).

En même temps et par les voies concordantes,

la philosophie néo-platonicienne aboutissait à des

conclusions identiques. Mêlant l'astrologie aux

spéculations théologiques et la théurgie à la dialec-

tique, elle proclame l'f/h, principe de toute chose,

dont la manifestation sensible est le soleil. Il y a'

parité étroite de doctrine entre Macrobe et Proclus,

Ce fut surtout sa morale active et pratique quivalut au mithriacisme la faveur des derniers Ro-

mains.

La morale est l'expression la plus fidèle des

forces intimes et réellement efficaces d'une religion .

Elle en représente le suc et la moelle. Quand cette

sève tarit, la religion dépérit et meurt, réduite à de

(1) Sur le syncrétisme de ces derniers siècles, je renvoie eux

chapitres du beau livre de J. Réville : la Religion sous les Sévù es.

(2) Monument d'Osterbruckeû.

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•108 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA.

simples rites et à des formules, comme la plantedesséchée à des fibres sans nourriture. Mithra mé-rita safortune parce qu'il sut garder de la pureté du

culte de Mazda. S'il se dépouilla d'une partie des

formes rituelles, presque aussi touffues et aussi minu-

tieuses que celle du T'almud, il en conservera du

moins l'esprit général et les directions spirituelles.

La mazdéisme est par essence une religion mo-rale. Elle tient tout entière dans la lutte de la

lumière contre les ténèbres, du bien, contre le malet dans la victoire du premier principe. Le drame

céleste, transporté dans le domaine de la conscience,

gouverne la vie du croyant et commande toutes

ses actions. La condition de la victoire est l'effort,

effort de toutes les heures et que rien ne peut dé-

courager. Les ferouers eux-mêmes n'acceptent la

déchéance d'un corps mortel, que par vaillance et

pour aider Mazda dans le combat universel contre

le mal. Aussi à l'exemple de Mithra, le guerrier

infatigable, qui ne dort ni jour, ni nuit, lemithriaste

est avant tout un soldat, et le mithriacisme une

milice. En cette doctriiie, les Romains sentaient

revivre, avec la résignation et l'abstention en moins,

l'allégresse de l'action en plus, quelque chose de

l'esprit du stoïcisme, qui deux siècles auparavant,avait eu pour eux tant d'attrait

;en même temps

qu'ils y trouvaient un ensemble de dogmes qui ré-

pondait mieux à l'état présent de leurs âmes.

Dès leur premier contact avec les Perses, les

Grecs furent frappés par la supériorité morale de

ce peuple de montagnards qui faillit conquérir le

Page 120: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 109

monde et ils sentiront pour lui une vive admira-

tion. On connaît le mot d'Hérodote : « Les Perses

apprennent trois choses à leurs enfants;à monter à

cheval, à tirer de l'arc et à ne point mentir». Il vante

la sûreté de leur parole et de leurs engagements.« La poignée de main d'un Perse, écrira Diodore,

est le gage le plus certain d'une promesse. » Parole

conforme à cette belle sentence de VAvesta : « Le

contrat doit tenir envers le fidèle comme envers

l'infidèle. » Défense est faite au mazdéen de con-

tracter une dette;car la dette induit au mensonge,

qui est le plus grand péché contre Mithra. Xéno-

phon, qui est un témoin, écrit son roman de la Cyro-

pédie, comme plus tard Tacite sa Germanie^ pour

opposer l'éducation virile et réservée des Perses, à

la vie frivole et dissipée des jeunes gens d'Athènes ;

et Platon lui-même reconnaîtra que leur culte est le

plus pur que l'on rende aux dieux.

Religion à base pessimiste, puisque pour elle la

vie est une épreuve de l'âme et une diminution de

l'être, le mazdéisme ne conclut pas, comme le boud-

dhisme, à la suppressine de l'action et à l'anéantis-

sement de la pensée. Une verse pas, comme quel-

ques sectes chrétiennes, dans un ascétisme stérile.

Le roi Yézdegerd reprochait aux chrétiens de ses

États « de louer la mort et de mépriser la vie, de

ne point faire cas de la fécondité de l'homme et

de vanter au contraire la stérilité, de sorte que,si leurs disciples les écoutaient, ils n'auraient plusaucun commerce avec les femmes, ce qui amènerait

la fin du monde ». Au contraire, le Persan a le goûtGasquet. — Mithra. 10

Page 121: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

'i:10 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA,

Ik plus vif de la vie et de l'action. Ce n'est pas dans

lu résignation, mais dans la lutte qu'il fait consister

là vertu. Multiplier la vie et les œuvres de vie, c'est

accroître le domaine de Dieu. La vie est le moyenque la divinité nous donne pour mériter les récom-

penses futures. « Quelles sont, demande Zarathustra,

les trois choses qui causent le plus de joie à la terre ?

•— C'est d'abord, répond le dieu, la piété de l'homme

Juste ; puis c'est là oii un homme juste se bâtit une

tlemeure, pourvue de feu, pourvue de bétail, de

femmes, d'enfants et de gens de service excellents;

la troisième, c'est là oii se cultive le plus de grains,

d'arbres, de pâturages et d'arbres portant des fruits,

oii l'on arrose les terrains secs et l'on dessèche les

terrains humides. » « Qui sème le blé, sème la sain-

teté, il fait marcher la loi de Mazda. » L'homme

marié, dit encore le législateur, est préférable à celui

qui ne l'est pas ;le père de famille a celui qui n'a

pas d'enfants;

le possesseur de terres à celui quin'en a point. »

La loi de Mazda est une loi de pureté. Ce n'est

pjas seulement la pureté rituelle qu'elle prescrit,

maisla pureté en paroles, en pensées et en actions II

n'est pas de formule qui revienne plus souvent dans

VAvesia. Elle condamne dans les termes les plussévères la prostitution, l'infidélité, les manœuvres

abortives, la séduction des jeunes tilles. Elle vante

la sainteté de l'état de mariage et l'avantage d'une

nombreuse postérité. Elle fait au riche un mérite

de faciliter l'établissement des filles pauvres. Ces

maximes devaient plaire, aux Romains, qui depuis

Page 122: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA. Ifl

Auguste, multipliaient les lois contre le célibat, la

dépopulation de Fltalie, la ruine de l'agriculture et

l'extension menaçante des terres infertiles. La reli-

gion, par ces opportunes prescriptions, prêtait em.

législateur son autorité pour conjurer un mal,contre lequel toutes les forces de l'État s'avouaient

impuissantes.A ces jugements pratiques sur la dignité de la

vie et l'utile emploi de l'activité humaine, VAvesta;

joint un sentiment très élevé et très délicat de la

beauté morale. Je sais peu de pages, dans les litté-

ratures antiques, plus poétiques et plus gracieuses

que celles qui décrivent la mort du juste. « Dès quela lumière commence à poindre, l'âme de l'homme

juste se trouve au milieu des plantes. Un souffle

parfumé lui arrive du côté du midi. L'âme aspire

ce souffle. Alors de ce parfum s'avance vers lui sa

propre nature, sous la forme d'une jeune fille, belle,

brillante, aux bras vermeils, de taille élancée et

droite. — Qui es-tu-, toi, la plus belle des jeunesfilles que j'ai jamais vues?— Alors sa propre nature

lui répond : Je suis tes bonnes pensées, tes bonnes

actions, la nature même de ton être propre.— Qui

t'a parée de cette grandeur, de cette excellence, de

cette beauté, qui répandent une odeur parfumée,telle que tu te présentes devant moi? — C'est toi,

ô jeune homme, qui m'as parée de la sorte. Lors-

que tu voyais ici-bas quelqu'un pratiquant les

œuvres du mal, se rendant coupable de séduction

OQ d'oppression, tu t'inclinais en l'avertissant, réci-

tant devant lui les gâthas à haute voix. Ainsi tu

Page 123: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

112 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

m'a rendue, moi aimable déjà, plus aimable encore,

belle, plus belle, désirable, plus désirable. »

Quelqiies auteurs, pour avoir abordé, peut-ôtreavec quelque prévention, l'étude du mithriacisme,ont contesté la pureté de sa doctrine et prétendufaire de ses mystères une école de vice et d'immo-

ralité (1). Cette thèse est fondée sur un document

unique, dont l'interprétation reste fort douteuse.

Il s'agit de la curieuse eténigmatique sépulture trou-

vée dans le cimetière chrétien de Prétextât à Rome.

Là, sont inhumés à côté l'un de l'autre, Vincentius

qui s'intitule numinis autistes Sabazis, prêtre du

dieu Sabazius, et Aurélius— SDSIM — ce qui peutse lire sacerdos dei Solis invicti. Mithrse^ pontife du

dieu Soleil invaincu Mithra. La tombe du premierest ornée de deux fresques ;

l'une représente le

banquet de sept prêtres ;l'autre nous peint la destinée

de Vibia, l'épouse défunte de Vincentius. Entraînée

dans les enfers, elle comparait devant le tribunal oii

siègent Dis Pater et Abra Cura, c'est-à-dire Pluton

et la bonne déesse Cora. Elle est assistée par Alceste,

le type de l'épouse fidèle, qui par son dévouement à

son mari à mérité de revivre, et symbolise ainsi la

(1) AUard {Dernières persécutions) : p. 220 et suiv. « Il n'imposeà ses fidèles bI austérité, ni renoncement, ni vertu. Les tombesdes prêti'es et des initiés montrent des peintures immorales, des

sentences matérialistes, mêlées à des images qu'on croirait

échappées d'un pinceau chrétien. — 11 se propage surtout dans les

camps, séjour des vices grossiers et des généreuses vertus. «Aucontraire, voir Tertullien : De coronâ, c. xv, le passage quicommence ainsi : Erubescite, commilitones ejus, jam non ab ipso

judicandi, sed ab aliquo Mithrœ milite « Et Idem: De prescrifit.,

c. XL : « Et summum pontificem unius nuptius statuit; habet et

virgines, habet et continentes. »

Page 124: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITHRA. H3

résurrection. Reconnue indemne de fautes, elle est

introduite par son bon ange [angélus bonus) dans la

salle du banquet des justes. Une inscription mutilée

accompagne la fresque et place ces paroles dans la

bouche de Vibia : plures me antecesseriint, omnes

expecto. Manduca, Inbe, lude et veni ad me. Cumvives henefac hoc tecum feres » On peut traduire

« Plusieurs m'ont précédé et j'attends tous (les

autres) ; mange, bois, joue, et viens à moi. Fais toi

du bien tant que tu vivras^ cela seul tu Cemiporterasavec toi )> ou « Fais le bien tant que tu vivras., tu

n'emporteras que cela dans la tombe » La tombed'Aurélius est sans peinture ;

à côté seulement sont

dessinées deux figures, en qui l'on prétend recon-

naître le me/es de Mithra; au sommet deVarcosolium,est figurée une Vénus nue, entourée des emblèmes

des quatre éléments. On lit sur une inscription ces

paroles étranges : Qui basia, voluptatem jocumalumnis suis dédit » (1). ,

La singularité de cette tombe appelle quelques

remarques nécessaires.

A part l'inscription SPSIM, dont le sens est hy-

pothétique, rien n'y suggère l'idée du culte et des

mystères de Mithra. La Vénus nue, vue de dos,

environnée des quatre éléments, fait penser à une

déesse-nature de la Phrygie ou de la Ghaldée. Onne la retrouve sur aucun monument mithriaque au-

thentique. L'absence même de toute figure féminime

(1) Voir Garucci : Mystères du syncrétisme phrygien (Cahier et

Martin, t. IV). Le Blanc : Inscr. c/irét. de la Gaule, T. ][, p. 71•;

Lenormant : Rev. arch., t 29, ann. 1815. Rossi : Bullet., 1870.

10.

Page 125: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

114 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITRnA,

sur ses monuments est une des particularités signa-

létiques du mithriacisme. Le personnage lauré,

en qui l'on a cru reconnaître un miles, me paraîtdouteux. Le miles des mystères, si on lui présenteune couronne, doit la repousser et répondre : Mithra

est ma seule couronne.

Tout au plus pOurrait-on supposer que l'Aurélius

du cimetière de Prétextât, appartient à quelquesecte dissidente issue du Mithriacisme, à quelquehérésie mithriaque. L'hypothèse n'auraitrien d'im-

possible. A l'ombre des églises officielles, à côté

d'elles et contre elles pullulaient des sectes pareilles,

témoignage de la fermentation religieuse qui agitales derniers siècles du paganisme et les premiersdu christianisme. J, Darmesteter nous apprend

qu'en Perse, après la réforme du Sassanides, plu-sieurs sectes à tendances épicuriennes se réclamaient

du Zoroastrisme. Bien qu'illégitime, cette descen-

dance s'explique par cet amour de la vie et des

œuvres dévie qui éclate dans les versets do VAvesta

et que le livre sacré concilie avec les prescriptionsles plus minutieuses concernant la pureté.

Sans recourir à cette hypothèse, on ne saurait

trop s'étonner de l'opposition qui éclate entre le

texte des inscriptions et les tableaux qu'elles

semblent devoir illustrer. C'est la descente d'une

âme pure aux enfers que ceux-ci représentent, sa

justification et son admission au ciel des bienheu-

reux. Un bon ange l'accompagne et Alcestre l'escorte,

l'épouse modèle, qui pour son dévouement mérita

d'être ressuscitée. Et c'est de la bouchede cette Vibia,

Page 126: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE" ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 118

femme aimée et honorée par son mari, que sortent

ces triviales invitations au matérialisme le plus gros-

sier, cette négation de la récompense d'outre-tombe !

Cette contradiction suffit seule à tenir en défiance.

Elle a justement inquiété le sagacité du docte

Rossi, Il remarque que peut-être les paroles de Yibia

ne font pas allusion à de honteuses orgies et qu'elles

se rapportent à ce banquet des bienheureux où

l'épouse justifiée est conviée àprendre sa place. Dans

VAvesta, ajoute-t-il, tout parle de purification de

l'âme. Mithra est appelé par excellence le pur, et

l'inscription du mithrseum, d'Ostie le qualifie de

jiivenis incorruptiis. Il rapproche enfin la fresquede Prétextât de celle de Saint-Clément, où est figuréle chaste Hippolyte fuyant les séductions de l'inces-

tueuse Phèdre et pressant avec ses compagnons les

préparatifs de la chasse. La vie éternelle lui est pro-mise pour prix de sa vertu.

L'inscription manduca, bibe, Inde du tombeau

de Vincentius, fait penser à une autre inscription,

plus Abeille de bien des siècles et qui s'exprime en

termes absolument identiques. Arrien nous rap-

porte (l) que lorsque les soldats d'Alexandre tra-

versèrent la Cilicie, ils trouvèrent à Anchiale, prèsde Tarse, le tombeau, dit de Sardanapale, sur lequel

on lisait le fameux : Izxiz, r:bn, '::aTÇ£, que devait ré-

péter si longtemps après la Yibia des catacombes.

Les Grecs, dit Arrien, furent scandalisés et la fâ-

cheuse réputation du fabuleux monarque assyrien

(1) Arrien, H, 5.

Page 127: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

116 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA-

tient peut-être à cette lecture. Or le monumentd'Anchiale n'est pas le tombeau de Sardanapale.C'est un pyrée, semblable à ceux des médailles de

Tarse, probablement élevé en l'honneur du dieu

régional, Sandan, l'hercule assyrien, qui, purifié

par la flamme du bûcher, retourne au ciel se con-

fondre dans la gloire du soleil. On a supposé encore

qu'il s'agissait du tombeau de Sennuchérib, le

second fondateur de Tarse, dont Bérose nous apprend

qu'il se fit élever un monument recommandantV à la mémoire des siècles sa vaillance et sa ver-

tu »(1). Dans les deux cas, nous surprenons

la même contradiction, précédemment relevée,

entre la signification du monument et le sens litté-

ral des paroles prêtées au héros. Il ne nous appartient

pas de la résoudre;

il nous suffit de la constater.

Peut-être sont-ce là tout simplement des paroles

mystiques, dont le sens réel nous échappe, et quese transmettaient de siècle en siècle les initiés,

comme celles des mystères d'Eleusis, relatives, au

cyceun et au tympanon^ qui ne sont pas sans res-

semblance avec elles.

Pour conclure, il est peu vraisemblable que le

mithriacisme soit intéressé dans les découvertes

faites au cimetière de Prœtextat;

le fùl-il, les

inscriptions et les dessins que ces tombes ren-

ferment ne prouvent rien contre la moralité de

son culte.

11 serait assurément téméraire de conclure àI

(1) Voir le Mémoire de R. Rochette : l'Hercule assyrien. (Ac.I.B. L. t. XV1L1

Page 128: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 117

l'identité absolue de la doctrine avestéenne et de

l'enseignement donné dans les mystères de Mithra.

Les mêmes causes qui, à travers les siècles, ont

altéré le dogme persan, et détruit même la hiérar-

chie de ses dieux, les adaptations successives aux-

quelles Mithra s'est prêté, ont dû certes exercer leur

action sur d'autres parties de la doctrine. Il est cer-

tain que VAvesta ne fut pas le livre sacré, la Bible

des mithriastes. Du moins se réclamaient-ils de

Zoroastre et de la tradition de son enseignement,conservé au sein de ces sectes religieuses de l'Asie,

qui précisément à la même époque, reconstituaient

le texte perdu et proscrit et restauraient le ma-

gisme. Remarquons encore* que VAvesta est une

morale, bien plus qu'une mythologie ;autant l'une

est indigente, autant l'autre est riche en préceptes-

d'une rare élévation. Seule celle-ci méritait de sur-

vivre. Tout ce que nous savons par les anciens de

l'histoire et de la morale dumithriacisme, le témoi-

gnage même que lui rendent les auteurs chrétiens,

établit et fortifie cette concordance. Faut-il ajouter

que, de nos jours encore, les Parsis ont gardé fidè-

lement l'observance des préceptes de Zoroastre, et

qu'ils se distinguent entre toutes les populationsde l'Inde, par les mêmes vertus que recommande

le livre sacre? sévérité des mœurs, goût de la vie

familiale, aversion du mensonge, probité dans les

transactions, amour du travail. Ces qualités, aux-

quelles il faut joindre de secrètes affinités de na-

ture, déjà signalées, et la singulière opportunité de

sa prédication, expliquent la séduction particulière

Page 129: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

118 ESSAI SUR LE CULTE ET LES M-YSTÈRES DE MYTHRA.

que le mithriacisme exerça sur les Romains de la

dernière période de l'empire,

Quand le christianisme apparaissant à la lumière

des prétoires força les lettrés et les gens du mondeà s'occuper de lui, après l'avoir d'abord pris pourune secte juive, on le confondit avec un de ces

cultes solaires, qui venaient si nombreux de

l'Orient. L'empereur Adrien, visitant cette Alexan-

drie oii fermentait l'agitation religieuse de tant de

sectes discordantes, ne distingue pas encore nette-

ment les adorateurs de Sérapis de ceux du

Christ (1). Mais déjà Gelse, mieux informé, démêle

des ressemblances entre le christianisme et le culte

de Mithra : « Celui, dit-il, qui veut comprendre les

mystères des chrétiens doit les comparer avec les

mystères des Perses (2),» et lui-même institue

cette comparaison au cours du traité que réfute

Origène. Tertuilien à son tour avoue des analogies

qui ont pu prêter à la confusion. « D'autres, dit-il,

cette fois avec jjIus de bienveillance pour nous et de

vraisemblance^ croient que le soleil est notre dieu,

parce que, pour prier, nous nous tournons vers

(1) Ep. Eddr. nd Servianum (FI. Vopiscus : Salvrnini vita).

« ilii qui Serapiin colunt, christiani sunt et devoti sunt Serapi

qui se Christi episcopos dicunt. »

(2) Origine : ad Celsum, cap. 24. Trad. « Absoluto de Mithriacis

sermone, déclarât Ceisus eum qui mysteria christiana exigerevoluerlt ad Persarum mysteria, alia cum aliis comparaverit,

cogniturum quid inter utraque iatersit discriminls. »

Page 130: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITURA. Ad

l'orient et parce que nous faisons du jour du soleil

<ielui du repos et de la joie ;mais nous agissons ainsi

pour des raisons tout autres (1),« Saint Augustin

relève les mêmes confusions, en ajoutant que les

chrétiens célèbrent le créateur dans sa création.

Il faut dire que les chrétiens, surtout ceux

d'Orient, par leur langage tout pénétré de formules

empruntées aux religions de la Syrie et de la Perse,

•entretenaient eux-mêmes cette illusion. Pour

l'évangéliste d'Ephèse, Christ est la lumière venant

en ce monde. L'Apocalype abonde en images et en

symboles qui portent la marque de la Perse et de la

•Chaldée. Ignace d'Ephèse parle en ces termes de la

venue du fils de Dieu : « Un astre a brillé dans le ciel

au-dessus de tous les astres, et les astres ainsi que le

•soleil et la lune, lui ont fait cortège ;et lui-même

par son éclat éclipsait toutes les lumières (2j. »

Plus étrange encore est la réflexion de Meliton de

Sardes : « Si le soleil, la lune et les étoiles se

plongent dans l'océan, pourquoi le Christ ne se

serait-il pas plongé dans le Jourdain? » Car il est

« le soleil qui s'est élevé de l'orient (3) •>->. On accu-

mulerait les citations dé ce genre, qui excusent

l'erreur des païens. Le chrétien, mis en demeure

•de sacrifier aux idoles, répondait par le mot de

l'exode (cqu'il ne sacrifierait qu'à Dieu seul »

(Domino so/i). Le magistrat habitué à lire la même

(1) TertuUien : ApoL, c. xvi. «Alii plane humanius vel verisi-

•milius soleiu credunt deum nostrum, etc. »

(2) Ignatius, Eph.. 19, 2.

(3) Melito (Frag. Ttôpi ).o-jTpo-j dans les les Analecla deDomPitra)cité par G. Wobheriuin, p. 127, op. cit.

Page 131: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

120 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE 'MITHRA.

formule sur les monuments et les monnaies, répli-

quait: « Sacrifie donc au dieu soleil? » Ce jeu de

mot qu'on retrouve dans les Actes des martyrs était

fort,connu, et plusieurs auteurs chrétiens prennentla peine d'en donner l'explication (1).

Mais ce sont surtout les sectes gnostiques, mai

séparées encore pour les profanes de l'orthodoxie

chrétienne, qui travaillent de propos délibéré à

cette confusion (2). Transfuges de tous les sanc-

tuaires de l'Orient, ces dangereux hérétiques pré-tendent appliquer au christianisme les procédés du

syncrétisme, qui a déjà fondu et amalgamé les

religions asiatiques. Peu faits à la simplicité de&

Ecritures et du culte primitif, il s'efforcent de

découvrir un sens caché et raffiné au texte sacré.

Ils se réclament de révélations particulières, d'une

doctrine secrète de Jésus, transmise aux apôtres,et multiplient les écrits apocryphes, qui ont laissé

tant de traces dans les traditions populaires. A la

liturgie trop sèche et trop nue de la synagogue, ils-

mêlent les pratiques des mystères chaldéens,

phrygiens, égyptiens, et, selon la forte expressiond'un Père, « diffament le Christ en lui prêtantles traits et les attributs d'Attis, d'Adonis et

d'Osiris» (3). Ils prodiguent les charismes, les arts-

magiques, l'astrologie, les formules d'incantation.

(1) Saint Augustin, De civifate Dei, 19. Voir Le Blant : Les persé-cutions et les Martyj's, c. vu.

(2) Sur les gnostiques, voir surtout l'auteur des Philosophoumena, lib. V, et saint Épiphane: Contra hoer.

(3) Philosoph.. lib. V, c. cxl-clu : » Congerentes mysteriaethnicorum, diffamantes Christum. Inventores novae grammaticae:

Page 132: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITERA^ 121

Ceux-ci voient dans l'astre Céphée Adam, Eve dans

Canopée, le logos dans Persée; ceux-là suscitent

Hercule pour combattre contre les mauvais anges,et* ses douze travaux ne sont que les péripéties de

cette lutte. Mais ce sont surtout les spéculations de

Platon et de Philon sur le logos qui exercent leur

subtile dialectique. Il devient pour eux, le Christ,

dont Hermogène place le tabernacle dans le soleil.

D'autres l'identifient au mystérieux lao chaldéen,

interprétant de façon nouvelle l'oracJe de Clàros,

qui consulté sur ce dieu, avait répondu : « Sache

que le premier des dieux est /«o, qui s'appelle Hadès

pendant l'hiver, Zeus au printemps, le Soleil l'été

et lao l'automne (1).» Jésus devient un éon et on

lui donne pour assesseurs 360 éons inférieurs, qui

répondent aux 360 degrés du zodiaque. Basilide ex-

prime la toute-puissance divine par le terme magiqueà^abraxas qui reproduit par la valeur numérique de

ses lettres le chiffre de 36S. Saint Jérôme (2) cons-

tate que les mithriastes usent du même procédé et

obtiennent le même résultat, en opérant sur le&

lettres du mot MeÀthras. Le secte des pauliciens,

qui subsista jusqu'au xii° siècle sur les bords d&

l'Euphrate, Aboyait distinctement la figure du Christ

dans l'orbe solaire. Le succès des manichéens, qui. séduisirent un instant la jeunesse de saint Augus-

artis vatem suum Homerum hœe prodere per arcana profltenturet sacrarum scripturarum expertes in talia commenta abducen-

tes, ludifjcantur. »

(1) Macrobe : Saturn., i, c. xvrii.

(2) Saint Jérôme. Comm. in Amos, 9-10 : « Quem ethnici subeodem nomine aliarum literi'arum vocant Metôpxv. »

Gasqdet. — Milh'a. 1 1

Page 133: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

122 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITBRA.

tin, est surtout fondé sur l'alliance des cultes mi-

thriaque et chrétien. Ils avaient formé « une sorte

de glu des syllabes du nom de Dieu, de celui de

Jésus -Christ et du Paraclet, l'esprit saint consola

teur » (1).« Quel aliment, continue le Père,

offraient-ils à mon âme affamée ? C'était au lieu de

vous, le soleil et la lune, œuvres splendides de vos

mains, mais enfin vos œuvres et non pas vous. »

A la conférence contradictoire de Cascar. l'évêqueArchélaûs dit à Manès : « Prêtre de Mithra, tu

n'adores que ,

le soleil »;et dans la cérémonie de

réconciliation imposée aux manichéens, on leur

fait jurer que le Christ et le Soleil ne sont pas

pour eux la même personne (2).

En réalité, le mithriacisme et le christianisme

^

doivent fort peu l'un à l'autre. Les analogies sont

toutes de surface. Les croyances et les dogmes mi-

tliriaques plongent leurs racines dans les traditions

très lointaines de la Perse et de la Chaldée. Ils

procèdent de données premières, dont on peutvérifier l'origine et qui furent fécondées par la

science des prêtres et les leçons de la philosophie

grecque, pour les accommoder aux goûts, aux idées

et aux formes de la civilisation greco-romaine. Sa

symbolique était arrêtée, avant que ne se répandîtla foi des chrétiens, puisque Stace, le contemporainde Domitien, nous dépeint déjà Mithra sous les

attributs et avec le geste qu'il gardera jusqu'à la

fin. Il est toutefois vraisemblable que le désir de

(!) Saint Augustin : Confes., lib. III, c. iv.

^2) Saint Épiph. : Adv. liserés, t. II, lib. ii, par. 4G.

Page 134: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 125

rivaliser avec le christianisme et d'entraver sa pro-

pagande, a pu conduire, surtout dans les derniers

temps, les mithriastes à insister davantage sur cer-

taines analogies et à donner plus de relief à quelques-uns' de leurs symboles. L'introduction sur le&

monuments de la dernière époque du repas sacré,

surtout l'extension du taurobole doivent procéderde ce sentiment. Grégoire de Naziance accuse for-

mellement Julien d'avoir été guidé dans sa politique-

religieuse par un parti pris d'imitation sacrilège ;

et tout dans la conduite de l'empereur justifie ce

reproche (1). C'est une préoccupation de mêmeordre que semble trahir ce propos d'un prêtre do

Mithra, rapporté par saint Augustin : « Mithra est

chrétien (2). »

Quant au christianisme, comme pendant long-

temps il ne recruta sa clientèle que parmi les déser-

teurs des cultes paiens, « qu'on ne naissait pas-

chrétien, mais qu'on le devenait, « il est inévitable

qu'une foule de termes empruntés à la langue des

mystères ait passé dans la sienne, que des usages se

soient maintenus, que certaines dévotions exté-;

rieures se soient fait leur place dans le nouveau!

culte (3). Les gnostiques, qui prétendaient jeter lel

pont entre les deux religions et les concilier grâceà l'interprétation arbitraire des symboles, aidèrent

(1) Grég. de Naziance, Orat. cont. Jul., 1. c. lu: A^fiaTt [aèv

oy)^ôffffp 10 Xo-JTpbv àuopp'JTrrsTat, ir^ zaô'ï;[Aâç Tc),£!W(7t TviV Tc).£tw(7tv-

TO-j jA-lcroyç àvTtTtôslç.

(2) Saint Augustin ,In Joannem, 5.

(:î) Voir la longue liste de ces emprunts dans G. Anrich, Da»antike Mystei-iénwes,:n, c. i\ .

Page 135: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

124 . ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

beaucoup à ce passage. On avait beau dépouillerle vieil homme et revêtir par la foi et le baptêmede Jésus un homme nouveau, les habitudes d'esprit

étaient plus tenaces que l'idée religieuse elle-même.

La rupture ne s'opérait pas d'un coup brusque et

absolu;

la conversion changeait l'âme, les yeuxs'ouvraient à une lumière inconnue, mais les

termes manquaient pour noter les sentiments qui

s'agitaient confusément au fond des âmes. Les

moules de la pensée restaient intacts, quand la

pensée s'était déjà modifiée. Saint Paul lui-même,

pour se faire entendre, emprunte aux mystères les

termes d'initiation et d'époptie. Il faut considérer

enfin qu'après la conversion des empereurs, et sur-

tout après l'échec de la restauration de Julien, la

foule longtemps indécise, hésitante à prendre parti,

se précipita dans l'Eglise. Les temples païens se

fermèrent, les basiliques se remplirent. A ces nou-

veaux venus les évoques ne pouvaient opposer les

barrières, interjeter strictement les délais, quiétaient justement imposés aux catéchumènes, afin

de les instruire et d'éprouver leur foi. Ces conver-

sions en masse, sans altérer la doctrine, laissèrent

pourtant filtrer bon nombre d'éléments de prove-nance étrangère. L'Eglise, toute à la joie de son

triomphe, sûre d'ailleurs, avec la connivence du

pouvoir, d'avoir raison des dernières résistances

de ses ennemis et de rester à l'abri de. leurs revan-

ches, ne se montra ni trop sévère, ni trop exi-

geante. Même elle crut pouvoir sans danger com-

poser avec quelques-unes des superstitions les plus

Page 136: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI -SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 125

profondément enracinées dans les habitudes popu-laires. Au lieu de les heurter de front, elle préférales adopter, et les sanctifier en les faisant siennes.

C'est ainsi que plusieurs des fêtes et des pompesdu paganisme, celles surtout qui associaient la divi-

nité aux changements des saisons qui rythment les

travaux périodiques de la terre, devinrent chré-

tiennes.

La plus notable et la plus heureuse de ces adap-tations consista à fixer. la fête de la Nativité au

25 décembre, le jour même des Natdlitia de Mithra

et celui où le soleil entre dans le solstice d'hiver.

C'était une des grandes fêtes du paganisme ;elle

succédait immédiatement aux saturnales;des jeux

solennels et magnifiques étaient donnés par le

prince en l'honneur de l'Invincible (1). La foule se

pressait à ces réjouissances, et les chrétiens eux-

mêmes ne pouvaient s'arracher à la séduction du

spectacle et à la contagion de la joie générale (2).

Ce jour n'était pas seulement la fête de la renais-

sance de Mithra;tous les adeptes des cultes so-

laires saluaient en lui l'apparition du soleil nouveau.

Vers la même date, en effet, le 7 du mois de paophi,

d'après le calendrier égyptien, se célébrait la fête

de la naissance d'Horus ou Harpocrate. Ce jour-là,

dit Macrobej on présentait le soleil naissant sous

la figure d'un petit enfant; comme plus tard au

(1) Voir les textes réunis par Mommsen : C. I. L., t. I, p. 409.

Julien, le Roi-Soleil, c. xx.

(•2) Le texte du Scriptor Syrus cité par Mommsen: « Horumsolemnium et festivitatura etiam ctiristiani participeserant. »

Page 137: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

126 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MlTfiRA.

printemps, on lui prêtait la forme d'mi jeunehomme vigoureux; au solstice d'été celle d'un

homme barbu dans sa pleine maturité, enfin celle

d'un vieillard décrépit, appuyé sur un bâton.

Toutes les phases de cette vie annuelle étaient soi-

gneusement consignées dans un livre spécial: Les

anniversaires d'Horus (1). Les mystères de Liber,

et probablement d'autres encore, avaient empruntéles mêmes usages (2).

L'Eglise, pendant trois siècles, ne s'était pas préoc-

cupée de déterminer l'anniversaire de la naissance

du Christ. Les évangiles ne disent rien de cette

date. Cependant à défaut d'une tradition authen-

tique, des calculs particuliers essayaient de la fixer

au moyen des repères fournis par les évangélistes.

Clément d'Alexandrie donne comme probable le

19 avril; d'autres celle du 29 mai;d'autres encore

s'arrêtent à celle du 28 mars (3). Vers le milieu du

iv" siècle, on célébrait à Rome la Nativité, celle

du 6 janvier. C'est seulement en 354, que, pour la

première fois, le papeLiberius fixa la fête au 2S dé-

fi) « HfB autem diversitates ad solem referuntur, ut parvulusvideaturhiemali solstitio, qualem ^gyptii proferunt ex adyto die

certQ, quod tuuc brevissimo die veluti parvus et infaus videatur^exiude autcin, procedentibus augmentis, œquinoctio vernali sitni-

liter atque adolescentis adipiscitur vires, figuraque juvenis orna-

tur ; postea slatuitur œstas plenissima effigie barba solstitio

éestivo, quo teinpore summum sui consequituraugmentum. Exinde

per dimiiiutiones dierum veluti senescenti quarta iorma deus

figuratur. » (Macrobe, Saturn., i, c. xvxii}. Voir aussi Maspero :

Les dieux de VÉgyide.. (2) Macrobe, Ilddem.

(3) Sur la fixation de cette date, voir abbé Duchesne, Les

origines du culte chrétien, c. vu, § 5.

Page 138: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. i2T

cembre. Toutefois l'Orient n'accepta cette date que-

vingt-deux ans plus tard. Nous le savons exacte-

ment par le texte de l'homélie prononcée parsaint Jean Chrysostome à Antioche, en 386 (1) :

(f Yoici la dixième année à peine que cette date

nous a été pleinement connue. » Alors aussi appa-

raissent, comme une floraison spontanée et char-

mante, ces noëls de l'enfance du Christ, dont le-

poète Prudence et saint Paulin de Noie semblent

avoir dès lors jQxé le type (2).

Certaines circonstances particulières qui ont poé-tisé le récit de la nativité, la grotte oii naquit l'en-

fant, la présence des mages guidés par l'étoile auprèsde la crèche de Bethléem, ont pu faire supposerune influence plus directe encore de souvenirs-

empruntés au culte de Mithra, dans l'élaboration de

la légende de l'enfance. Mais cette impression

s'atténue, quand on considère de près les textes et

les faits. L'arrivée des mages à Bethléem est déjàmentionnée dans saint Mathieu; c'est dire qu'elle

remonte aux temps les plus lointains du chris-

tianisme. Les mithriastes ne sont pour rien dans-

cette rencontre. Elle résulte plus simplement de

l'application de la prophétie d'Isaïe (ch. 60) an-

nonçant (jue les peuples et les rois les plus éloignés

(1) Jeau Chrysostome, liomel. in diem nalalcm. Pa.troL Gr..

t. XLIX, tfad. : « Nondum decimus annus est ex que hic ipse dies

manifeste nobis annotuit... Non aliter hic dies, cum ab exordio

lis qui in occidente habitant cognitus fuerit, nunc ad nos demumnon ante multos annos transmissus... «

(2) Prudence, Kalhemerinnn, XI et XII. Paulin de Noie: Felicis

natal, carmen., 9. Rapprocher le chant des mystères d'Adonis

yaips vy[/.çtï, y^o-Xçz véov çûç

Page 139: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

128 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

viendront, à Jérusalem adorer Jéhovali, apportanten présents de l'or et de l'encens; et aussi d'un

passage du psaume 72, qui fait allusion au Messie

attendu (1). Et ces ambassadeurs furent les mages,sans doute à cause du souvenir reconnaissant queles Juifs de la captivité avaient gardé de la sagesseet de la science des prêtres persans (2).

L'adoration

des mages est d'ailleurs un des motifs les plus an-

ciens et les plus fréquents qui ait inspiré les artistes

chrétiens dans la décoration des catacombes. Ils y

voyaient comme un« figure de la vocation des gen-tils. Au contraire, le motif de la nativité, avec les

accessoires de la crèche, du bœuf et de l'âne, n'ap-

paraît qu'à une époque très postérieure. Elle se

laisse voir pour la première fois sur la fresque de

San Sebasttano, qui est du milieu du vi^ siècle,

c'èst-à-dire, du temps même où la nativité com-

mence à être fêtée officiellement;elle est contem-

poraine des premiers noëls, comme si tous les

arts avaient en même temps conspiré à l'apothéosede l'enfance divine.

La première mention qui soit faite de la grotte

oiî naquit Jésus se trouve dans saint Justin, quivivait au ii° siècle (3). Natif de Sichem, il se fait

probablement l'écho d'une légende palestinienne,

déjà répandue de son temps. Il est aussi le premier

qui compare cette grotte à la caverne de l'initiation

(1) Voir la discussion de Strauss, chap. iv, § 3G.

(2) Krause, Hist. de Vai't chrétien, p. 151. Pératé : AnliquHêschrétiennes.

(3) Justin, Blal. cont. Tryph., c.lxxviii.

Page 140: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA. 129

mithriaque, et il voit un piège du démon dans

cette ressemblance. Un siècle plus tard, Origène,

pour confondre les doutes qui s'élèvent parmi les

controversistes sur le lieu de la naissance du Christ,

"tranche le débat par cet argument : Ne montre-t-on

pas à Bethléem la grotte où il a vu le jour (1)?

Beaucoup plus tard encore, saint Epiphane s'efforce

de mettre d'accord les versions contradictoires quiont cours siir la grotte, en même temps que sur

l'étable et la maison dont parlent les évangiles ;il

les explique par des séjours successifs de l'enfant

miraculeux (2). Mais dès lors le rapprochement,

qui avait frappé saint Justin, s'était fait de lui-

même dans l'esprit de la foule;de là à conclure à

un emprunt d'un culte à l'autre, il n'y avait qu'un

pas. Toutefois et malgré la vraisemblance, j'ai

peine à reconnaître un souvenir de Mithra dans la

légende de la grotte de Bethléem. Je verrais bien

plutôt en elle la grotte d'Adonis, que visita saint

Jérôme et qui inspirait cette réflexion au pieuxsolitaire : « Bethléem, qui est pour nous aujour-d'hui le lieu le plus auguste du monde entier, fut

ombragé jadis par un bois sacré de Thammouz,c'est-à-dire d'Adonis; et dans la grotte où le

Christ, petit enfant, a vagi, l'amant de Vénus était

pleuré (3).»

Si l'Eglise adopta la date du 25 décembre pour

(1) Ovig., Ad Cels. i, 51.

(*2) Saint Épiph. , Advevs. hœres, li. (Migne, Pat. Gr., t. T, pag. 927).

(3) Saint Jérôme, Ep 49 ad Paul. : « Et in specu ubi quondumChristus parvulus vagiit, Veneris amasius plangebatur. »

Page 141: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

130 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA.

' arracher le peuple à l'attrait qu'exerçaient sur lui

les fêtes du Nalalis Invicti (1) et si les princes chré-

tiens continuèrent à donner ce jour-là des jeux

magnifiques (2), il restait à prémunir les fidèles

contre des confusions fâcheuses, et à les mettre en

garde contre des souvenirs qu'il importait d'abolir.

Nul ne s'y appliqua avec plus d'activité et de succès

que saint Ambroise. Nous n'avons pas moins de

six sermons de ce prélat sur la nativité. Tous sont

significatifs et montrent avec une précision, qui ne

laisse place à aucune équivoque, dans quelles con-

ditions et sous le couvert de quelles idées, s'opéra

la substitution de la fête chrétienne à la fête

païenne. « Gomment s'étonner, dit-il, que la lumière

augmente en ce jour, oii un nouveau soleil de justice

a brillé sur le monde, oii la lumière splendide de

la Vérité a illuminé la terre? Dieu, dans une mêmenaissance a apporté la lumière et aux hommes et

aux jours. » Et ailleurs : « Dans un certain sens, la

foule a raison d'appeler la nativité le jour du soleil

nouveau. Les juifs et les gentils s'accordent pour

appeler ainsi cette fête. Mais, nous aussi, nous re-

vendiquons volontiers cette interprétation, puis-

qu'au moment oii le Sauveur est né, se levait

l'aurore du salut pour le genre humain, en même

(1) Auctor Syrus (cité par Mommsen) : a Cum vero animadver-terent doctores ad hoc festum propendere Cliristianos, consilio

inito, statuerunt hoc die vera natalitia esse celebranda. »

(2) Corippus : De laude Justin. Min., i,v. 314 :

Esse deum 50]eni rectâ non mente putantes.tune munere Solis adempto,

Principibus delatus hoiios.

Page 142: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MiTHRA. 131

temps que se renouvelait la clarté du soleil (1).»

Plus d'un demi-siècle après saint Ambroise, le

pape saint Léon se croyait encore obligé de réagircontre les souvenirs trop tenaces qu'avait laissés la

religion' du soleil et le culte de Milhra. « Gardez-

vous, disait-il à ses auditeurs, des embûches dudémon

;fermez vos oreilles aux paroles empoison-

nées de ces gens, qui veulent qu'un tel jour mérite

d'être honoré, moins à cause de la nativité duChrist qu'à cause de la naissance du soleil nouveau,comme ils l'appellent (2).

La fixation de la nativité au solstice d'hiver

est, croyons-nous, le seul emprunt positif que le

christianisme ait fait au culte de Mithra;bien que

des calculs du même ordre soient souvent intervenus

pour déterminer la date de la passion et de la

résurrection du Christ et la faire concorder avec

l'équinoxe du printemps. Peu à peu le mithriacisme

s'éteignit. L'une après l'autre, toutes les grandesfamilles de l'aristocratie romaine qui l'avaient

embrassé et soutenu, se laissèrent gagner par la

prédication chrétienne. Peut-être serait-il possiblede suivre à travers le moyen âge les traces laissées

dans les superstitions populaires et les usages locaux

(1) Saint Âmbr.i Sermo iv : « Uno eodemque ortu lucem pariterintulit et homiaibus et diebus. » Senno vi : Bene quodammodosanctum huuc diem natalis Doinini solem novuin vulgus appel-lat... Quod libenter amplectendum nobis est, quia oriente Salva-

tore, non soliiu humani generis salus, sedetium solis ipsius cla-

ritas innovatur... »

(2) Saint Léon, Sermo xxii : « Persuasione pestiferâ quo-

rumdam, quibus htec solemnitatis nostrae, non tam de nativitate

Christi quaui de novi, ut dicunt, solis ortu honorabilis vidoatur. »

Page 143: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

132 ESSAI sua LE CULTE ET LÉ^ MYSTÈRES DE MITHRA.

par les cultes solaires. Mais cette étude serait en

somme de peu d*intérôt. De ces souvenirs on trou-

verait des vestiges dans quelques sectes obscures,

issues du manichéisme, et aussi dans les spécula-tions astrologiques de quelques théologiens quidans les phénomènes du ciel, s'efforcent de dé-

couvrir la figure et l'explication des mystères chré-

tiens. L'iconographie garda longtemps quelques-uns des emblèmes familiers aux cultes solaires ;

les grifFons, la lutte du lion et du taureau. Sur les

sarcophages, et sur les portails de nos vieilles

églises, on voit encore figurer les sept planètes ,le

soleil et la lune, tantôt avec la face humaine et en

buste, tantôt sur le quadrige et le bige des monu-ments romains

; quelquefois même le soleil est re-

présenté avec le bonnet phrygien et la couronne

héliaque. C'est là tout ce qui reste d'un culte quifaillit conquérir l'Occident et disputer au christia-

nisme l'empire des âmes (1).

Il est facile de démêler à distance les causes de

cette défaite, et pourquoi le mithriacisme dut céder

à une religion supérieure, qui répondait mieux quelui aux aspirations du présent et aux besoins de

l'avenir.

Préoccupé de pureté, au point que Tertullien

vante à ses coreligionnaires et leur propose en

(1) Sur cette iconographie consulter Krause, op. cit., 3"= chap.^p. 207. Çéi^iè: Archéulogie chrétienne. Bayet : Vart byzantin.

Page 144: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 133

exemple la chasteté des vierges et la continence des

prêtres mithriaques, il n'a pas au même degré le

sentiment de l'amour du prochain, la charité.

« Celui-là est un homme du mal, dit le Yaçna^ quiest bon pour l'homme du mal

; celui-là est unhomme à^asha (un vrai mazdéen) à qui est cher

l'homme à^asha. >) Le prochain est exclusivement

l'homme de la loi. Faire le mal à ses ennemis est,

à la lettre, une obligation religieuse. Le mépris de

l'infidèle a dicté parfois au législateur les pres-

criptions les plus étranges. Le médecin qui veut

éprouver la vertu d'un remède, doit d'abord l'expéri-

menter sur un adorateur des dewas;c'est seulement

après trois cures vérifiées, qu'il le recommandera à

un mazdéen. Rien n'est moins chrétien que ces pen-sées. Sans doute, au cours des siècles et au contact

de la civilisation romaine, cet exclusivisme intrai-

table, cette rigueur égoïste durent se modifier et

s'adoucir. L'amour du genre humain a remplacé le

préjugé étroit de la cité. Les cœurs se sont ouverts

à la conception d'une humanité, dont tous les mem-bres sont solidaires. Le stoïcisme qui a laissé non

seulement sur les lois, mais aussi sur les cœurs, une

empreinte si profonde, reconnaît et proclame la

fraternité humaine. Mais, chez les stoïciens même,la charité du genre humain n'est pas l'amour absolu

de son semblable;elle est un fruit de la raison, elle

dérive de l'harmonie du cosmos, de la correspon-

dance et de la dépendance de toutes les pièces de

cet univers. Elle descend du cerveau dans le cœur;

elle ne s'épanche pas spontanément comme une

Gasquet. — Milhra. 1^

Page 145: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

134 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

source naturelle d'un foyer brûlant d'amour.

Son austérité même et sa rudesse furent pour le

mithriacisme un principe de faiblesse. La rigueurde sa doctrine plus encore que la difficulté de ses

épreuves dut rebuter bien des âmes. Tout un mondede sentiments semble lui être fermé. S'il n'exclut

jpas la femme de ses mystères, il ne lui fait aucune

j place dans son dogme religieux. L'élément féminin

en est absolument proscrit. C'est là son originalité

unique entre toutes les religions de l'antiquité.

Celles-ci, môme les plus spiritualistes, traînent

toutes après elles, comme une gangue tenace, dont

elles ne peuvent se déprendre, l'obscénité des vieux,

cultes naturalistes. S'être affranchi de cette conta-

gion fut sans doute un incontestable mérite pour la

religion de Mithra. Mais aussi elle ne connut ni

la majesté de la douleur maternelle, telle qu'elle

s'exprime dans le marbre de.Déméter du British

Muséum, ni la tendresse passionnée et les élans

mystiques, que sut inspirer Isis à ses dévots. Rien

n'égale dans l'antiquité la suavité pénétrante et

persuasive des paroles de la déesse à Lucius, dans

le livre d'Apulée. C'est par là que ce culte prit les

cœurs et conquit si fortement les femmes dans la

société romaine. Autant Mithra fut bien inspiré,

au début de sa carrière, en consommant son brusquedivorce avec les divinités sensuelles d'Assyrie et de

Babylone, autant le fut-il mal, en rejetant de l'héri-

tage du paganisme, qu'il recueillait à ses derniers

jours, son legs le plus précieux. Le christianisme

au contraire eut l'inappréciable fortune de trouver

Page 146: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

liSSAr SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. i3^

dans son berceau le culte de Marie, à la fois Viergeet Mère, plus pure que Déméter et qu'Isis, commeelles mère de douleurs et consolatrice des affligés.

Ce culte point déjà dans les évangiles de Luc et de

Jean;

il se propage par les apocryphes et les gnos-

tiqucs, jusqu'au développement prodigieux qu'il

prend, vers la fin du v" siècle et après le concile

d'Éphèse.Le mithriacisme dut une part notable de sonsuceès

à sa facile adaptation au, paganisme gréco-romain;mais le paganisme condamnél'entraîna danssaruine.

Dès le début, il entre de plain-pied dans le pan-théon religieux de Rome; non seulement il s'accom-

mode du voisinage des divinités de l'Olympe grec ;

mais, à leur déclin, il en vient à les protéger et à les

envelopper du prestige de sa jeune gloire. Si elles se

perdent et s'effacent en lui, il aliène par leur absor-

ption quelque chose de sa personnalité. 11 prend à

son compte quelque chose de leur renomméefâcheuse et de la juste impopularité qui les atteint.

Après avoir profité des faveurs du culte officiel,

il souffre des compromissions que ce culte lui im-

pose. A la fin, il lui devient impossible de se dé-

gager ,il reste le prisonnier et la victime de ses

protégés.

Conséquence plus grave encore. Le chrétien ne

connaît que son Dieu; ce Dieu jaloux ne permetd'adorer que lui seul. Plutôt que d'encenser les idoles

le chrétien brave l'horreur des supplices ;dans

l'ardeur de sa foi, il puise la force de résister à la

douleur et de mépriser la mort, sûr que son sang

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136 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

répandu lui vaudra des récompenses éternelles. Loin

de craindre le martyre, souvent il le provoque pour-avoir la gloire de confesser sa foi. Plusieurs empe-reurs et surtout les princes syriens, ne nourris-

saient aucune hostilité contre le christianisme;et

Alexandre Sévère faisait au Christ une place dans

son oratoire. On ne demandait aux chrétiens que la

tolérance des autres cultes et la reconnaissance du

culte d'Etat, sur lequel était fondé l'empire. Mais

ils se refusèrent à toute concession, à tout partage ;

ils s'enfermèrent dans une intransigeance qu'auciine

persécution ne put entamer, et ils durent de

vaincre à cette obstination. S'ils avaient cédé, s'ils

avaient accepté de figurer parmi les religions subor-

données à l'État et de reconnaître sa divinité, le

Christ aurait suivi la fortune de Zeus, de Sérapisou de Mithra.

Le mithriaste au contraire n'est jamais exclusive-

ment milhriaste.. Mithra n'est pas un Dieu jaloux.Il souffre que ses fidèles adressent leur encens à

d'autres autels, que les initiés de ses mystèresdemandent à d'autres mystères les secrets du salut.

Il est plusieurs chemins, dira Symmaque, pour par-venir à la vérité

; chaque culte propose le sien, et

l'homme avisé les pratique tous, pour que la vérité

ait moins de chance de lui échapper. C'est ainsi

qu'Apulée se vantait déjà, de son temps, d'avoir reçu

les initiations de tous les mystères connus. Son

exemple fut suivi. Il semblait que l'on prît autant

d'assurances contre les terreurs d'outre-tombe. Les

inscriptions mithriaques nous révèlent les plus sin-

Page 148: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE, CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA. d37

gulières associations de dévotions, sans doute éga-lement efficaces. Agoriiis Preetextatus, le grandprêtre de Mithra, le héros des Saturnales, cumuleles sacerdoces les plus divers. Il est quindécemvir.

pontife de Vesta, hiérophante d'Isis. Sa femme,Aconia Paulina, se félicite d'avoir été initiée aux

mystères d'Eleusis, à ceux de Bacchus, de Cérès et

de Cora, au Liber des mystères de Lerna, à Isis et

à l'Hécate d'Egine. Symmaque, un des derniers et

des plus sincères défenseurs du paganisme, est

pontife de Vesta et du Soleil, curiale d'Hercule et

isiaque. Bien plus, le dernier hiérophante d'Eleusis

est en même temps grand prêtre de Mithra. Tous

les interlocuteiirs du dialogue de Macrobe, et l'on

peut dire la plupart des membres de la haute aris-

tocratie romaine ont la foi aussi large et aussi

éclectique. Mais qu'attendre de la fermeté d'une foi

qui admet à ce point le partage? Entre tous ces

dieux, lequel chérir d'un assez ardent amour pourlui faire le sacrifice de sa vie ? Le véritable amourest exclusif. On ne meurt pas pour des dieux col-

lectifs; on ne meurt que pour un seul. C'est pour-

quoi le paganisme expirant ne compta que des

martyrs involontaires, victimes du fanatisme popu'laire où de l'intolérance du pouvoir.

Allons plus loin. Quel aliment pouvaientbien offrir

aux âmes, quelle prise au sentiment et à ce besoin

d'abnégation et de sacrifice, qui est le meilleur de

nous-mêmes, ces religions importées d'Orient, et

pourtant si supérieures par leur faculté d'émotion

aux dieux d'Homère et à ceux du Latium ! Gomment12.

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138 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA.

pour l'adepte se dissimuler qu'il était la dupe volon-

taire d'une fiction? Les pleureuses d'Adonis elles-

mêmes, leur délire hystérique une fois passé, pou-vaient bien aimer leur ivresse et en savourer le

délice; mais leur illusion était de courte durée, et

un regard jeté sur l'astre rayonnant à la voûte du

ciel suffisait à les rassurer sur l'aventure de leur

dieu. Le taureau mithriaque, à la fois symbole dés-

instincts matériels vaincus et emblème du soleil

succombant aux morsures de l'hiver, devait avoir

moins de vertu encore pour s'emparer des âmes.

Comment s'échauffer pour une froide allégorie mo-rale et pour une fiction astronomique ?- Ce deiis^

certus^ dont les yeux constataient l'évidence, dont

l'évolution régulière s'accomplissait au jour et à.

l'heure marqués, rassurait la raison, mais ne tou-

chait pas le cœur. Jésus sanglant, cloué sur la croix»

victime volontaire offerte pour le rachat de l'huma-

nité, était une réalité autrement efficace et acces-

sible. Ce drame tout humain remuait autrement

le cœur que le drame céleste des religions solaires.

Ces souffrances trouvaient un écho dans .toutes les

souffrances humaines.

Toutes les religions antiques s'organisent, à la fin de

l'empire, sur le modèle des mystères grecs ;chacune-

a son enseignement secret, ses symboles à double

et à triple sens qu'on ne découvre qu'avec précautionet à longs intervalles aux initiés et dont quelques-uns restent comme le privilège des seuls pontifes.

La religion, comme du reste la philosophie néo-

platonicienne, craint le grand jour et fuit les-

Page 150: Gasquet.essai sur le culte et les mysteres de mithra.book

ESSAI SUR LE, CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 13&

oreilles profanes. Elle ne trouve pas de voiles-

assez épais pour s'envelopper et dérober ses ar-

canes. La vérité ne doit être que le privilège d'une

élite. Seul le christianisme répudia le principe des

initiations longues et difficiles; il n'admit que le

stage nécessaire du catéchuménat. Un instant, il

est vrai, l'on put craindre qu'il ne versât dans

l'ornière de cette imitation. Les chrétiens d'Orient,,

surtout les docteurs de l'Egypte, essayèrent de

l'engager dans cette voie. Clément d'Alexandrie et

Origène abondent en déclarations formelles sur

la nécessité d'une discipline secrète et sur la

gnose chrétienne. On affecte de décrire le mystèrechrétien avec les termes mêmes usités dans les ini-

tiations de Déméter ou d'Isis (1). Les révélations-

mystérieuses dont l'on est dépositaire, « on ne peutles découvrir dans leur nudité et leur intégrité qu'àAaron ou au fils d'Aaron ». Christ a voulu sa doc-

trine obscure, « c'est pourquoi il l'a voilée par des-

figures, enfermée dans les sacrements ». Le bon

sens de l'Occident réagit heureusement contre ces-

tendances, absolument contraires d'ailleurs à l'esprit

de l'Evangile. « Chez nous, dit Tatien, ce ne sont

pas seulement les riches qui ont accès à la sagesse.

Nous la distribuons aux pauvres et pour rien. Quiveut apprendre, peut entrer (2)!

»

Nous touchons là au point capital qui explique le

succès de la propagande chrétienne. Même les cultes

(1) Clem. Alex., Locjo^ prolre-pt.,c. xii. Origène, 7n num. hom.f

5, 1. Petrus Chrysologus, à'ej-m. 12G. Voir Anrich, oj!7. cit.

(2) Tatien : Adv.. Grœc, 32,

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140 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.

orientaux n'avaient pas réussi à créer une religion

populaire. Seules les classes élevées et instruites se

faisaient initier et avaient part aux mystères. Le peu-

ple gardait ses croyances puériles ou se ralliait aux

basses superstitions entretenues par les galles men-

diants, les métragyrtes et les magiciens, qui pullu-laient dans les grandes villes et couraient les campa-

gnes, faisant, malgré les lois, commerce public de

leurs recettes, de leurs horoscopes et de leurs amu-lettes pieuses. J'avoue même avoir quelques doutes

sur le degï'é de popularité de Mithra. Les monuments

mithriaques, si nombreux qu'ils paraissent, ris-

quent de nous renseigner imparfaitement. Ils sont

nombreux, à Rome, à Milan, à Naples; surtout ils

abondent sur toute la ligne de frontière de l'empireet la jalonnent, de la Transylvanie aux bouches du

Rhin, marquant la place du cantonnement des lé-

gions. Mais les trente-sept temples relevés à Romene sont guère que des chapelles, en y com-

prenant même le mithrœon du Capitole. Rien qui

rappelle ou fasse pressentir la basilique chrétienne,

capable de contenir des multitudes et qui va bien-

tôt devenir un forum. Par le caractère de son en-

seignement, son système d'épreuves et de grades,

par l'abstraction savante de ses symboles, le mi-

thriacisme nous parait surtout une religion de let-

trés et de soldats. En dehors des cantonnements

des légions, rien n'indique qu'il ait profondément

pénétré les populations. Le peuple n'en retint quede vagues formules et des habitudes d'esprit quifurent lentes à déraciner. Le christianisme fut de

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ESSAI SUR LE^CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. Itl

«uite la religion populaire, celle des humbles, des

simples, celle surtout des souffrants, de tous ceux

que la religion officielle écartait et froissait par son

orgueil cruel et la morgue de ses préjugés. Rien

n'est' plus étranger à la culture antique, rien ne

révolte davantage Celse et ses contemporains, quela prédilection de Jésus pour les misérables, les en-

fants, les pécheurs et les courtisanes. Le nouveau

royaume de Dieu lui parait un paradis de gueux.Qu'un vil esclave, échappé de l'ergastule, un con-

damné de droit commun puisse, dans les destinées

d outre-tombe, prendre le pas sur un patricien délicat

ei lettré, sur un philosophe nourri de la sagesse

grecque, cette prétention le soulève d'indignationet de mépris. Au fond c'est là sa principale objec-

tion au christianisme (1). Il n'a jamais compris ni

« l'éminente dignité du pauvre », ni ce que peutcontenir de tendresse, de reconnaissance et de mys-

tique amour, une aine humiliée par la faute et qui,

par le pardon, s'ouvre au repentir et à la réhabili-

tation. « Vos docteurs, écrit Origène, quand ils par-

lent bien, font comme ces médecins qui gardent

leurs remèdes pour les riches et négligent le vul-

gaire (2).» Et mieux encore saint Augustin : « Dans

les temples, on n'entend pas cette voix : Venez à

(1) Voir Celse, lib. III, c. xmv : « Nemo eruditus, nemo sapiens,

neino prudens ad nos accédât; hcec enim mala ôîstimantur. Sed

si quis est ignarus, si quis stultus, si quis insipiens, is fidenter

veniat, etc. « Id, c. lix et c. lxii G'2 : « Cui' non missus est ad im-

munes a peccatis ? Quid malum est non peccasse ? Quâ igitur

causa peccatores prfefenmtur ? » Voir aussi Arnobe : Ad. Nation,

lib. I, c. XL, et Julien : Fin des Césars.

(2) Origène : Contra Cels., lib. Vil, 60.

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142 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA.'

moi, vous qui souffrez;

ils dédaignent d'apprendre

que Dieu est doux et humble de cœur. Car vous avez

caclié ces choses aux sages et aux savants et vous

les avez révélées aux doux et aux humbles (1).»

Pour la première fois, avec la prédication de l'Évan-

gile, le ciel des béatitudes s'ouvrait aux pauvres

gens. Ils se sentaient pénétrés et gagnés par la grâcedes paroles divines, par l'aimable familiarité des

paraboles, par cet enseignement qui, sans effort,

insinuait à leur intelligence le meilleur de la sa-

gesse des philosophes, flattés jusque dans leurs ran-

cunes sociales par l'anathème jeté aux riches et aux;

puissants (2), Jamais pareil levier ne s'offrit à une

religion pour soulever le monde et le renouveler.

Oui ! tout avait été dit, tout avait été trouvé parles sages du paganisme

— ou presque tout. Laforme même des dogmes chrétiens, « leur figure »^

comme s'exprime Bossuet, n'était pas étrangère aux

religions antiques. Les plus instruits des chrétiens

reconnaissent eux-mêmes, dans les pensées des phi-

losophes, dans Socrate, dans Pythagore^ dans Pla-

ton, comme un avant-goût de la vérité révélée parle Christ. C'est Dieu lui-même qui éclairait leur

intelligence et les chargeait de préparer ses voies.

« Par tout ce qu'ils ont dit de bien, ils nous appar-tiennent », écrit Justin (3). A ce point de vue, la

thèse de Havet reste vraie dans son ensemble. Mais^

(1) Saint Au?., Co7ifess., ]ib. VII, c. xxi.

(2) Voir le récit de la conversion deTatien par lui-même, Orai.fc. XIX.

(3) Justin, Apoloff., II, 13.

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ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 143

comme l'explique l'un d'eux, autre chose est de dé-

couvrir, du haut d'un arbre, un sentier au sein d'une

immense forêt;autre chose d'ouvrir la route toute

grande et d'y marcher. Autre chose de tenir la vé-

rité dans sa main fermée et de la jeter à mains

pleines, comme la graine aux sillons. Tout avait

été dit — mais sous une forme populaire, le ton et

l'accent de l'Evangile, rien ne l'avait égalé. Le charme

môme de Platon paraît, par comparaison, trop intel-

lectuel;

il s'abandonne, trop épris, à l'enthousiasme

de sa dialectique. C'est par le sentiment plus que

par la raison que se prennent les hommes, et le suc-

cès d'une religion est une victoire sur les âmes.

(1) August., Confess., YII, 21.

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TABLE

Avant-Propos - v

I. — Le Culte et les Mystères de Mithra 1

IL — Les origines 13

III .— Les Doctrines "86

IV. — Les épreuves et les grades 89

Y. — Succès et décadence du Mythriacisme 101

S48i-99. — CoRBEiL, Imprimerie Éd. CrÉtb.

13

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