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L’APPLICATION DU DROIT NATIONAL, INTERNATIONAL ET EUROPÉEN
Jean-Sylvestre Bergé
Dalloz – collection « Méthodes du droit »
A paraître (mars/avril 2013)
Exraits…
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4ème de couverture
L’APPLICATION DU DROIT NATIONAL, INTERNATIONAL ET EUROPÉEN
L’application du droit développe, dans la variété des situations juridiques mondiales, un
dynamisme qui lui est propre. Elle ne peut résulter de la seule mise en œuvre d’une méthode
ou d’une solution juridique à un instant donné, dans un espace et à un niveau prédéterminés,
par un acteur dûment identifié. Il faut l’appréhender dans un mouvement. Pour une même
situation, plusieurs droits doivent être parfois mobilisés, alternativement, cumulativement,
dans un même temps ou à des moments différents, dans un seul ou une pluralité d’espaces ou
niveaux, par un acteur unique ou des acteurs multiples.
Cette dynamique particulière, dont le juriste doit s’imprégner en passant d’un contexte -
national, international ou européen - à l’autre, exerce une influence sur le droit, ses
utilisations et, parfois, son contenu.
Cet ouvrage propose d’expliciter, autour de nombreuses situations et par des exemples
concrets (250 environ), l’analyse du juriste chaque fois qu’il est confronté à un cas de
pluralisme juridique mondial où plusieurs droits, élaborés dans un contexte national (français,
étranger), international (ONU, OMC, OMPI, OIT, OMS, UNIDROIT, CCI, HRW, CIJ, CPA,
CIRDI, etc.) ou européen (UE, CEDH), ont vocation à s’appliquer ensemble.
De nombreux outils d’une application plurielle du droit sont ainsi maniés. Ils sont ordonnés
autour d’une démarche élémentaire en trois temps, consistant pour le juriste à comparer
(Partie 1), combiner (Partie 2) et hiérarchiser (Partie 3) les méthodes et solutions du droit
national, international et européen qu’il lui revient de mettre en œuvre pour résoudre son cas.
Jean-Sylvestre Bergé est ancien avocat, professeur à la Faculté de Droit de l’Université Jean
Moulin – Lyon 3 depuis 2011 où il anime différents projets de recherche au sein de l’Equipe
de Droit international, européen et comparé (EDIEC, EA n° 4185). Il a précédemment
exercé dans les Universités de Nanterre, Nouvelle-Calédonie, Rouen et Panthéon-Sorbonne.
Il est membre-fondateur du Réseau universitaire européen « Droit de l’espace de liberté
sécurité et justice » (GDR CNRS ELSJ, n° 3452).
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Page intérieure
L’APPLICATION DU DROIT NATIONAL, INTERNATIONAL ET EUROPÉEN
Approche contextualisée des cas de pluralisme juridique mondial
Jean-Sylvestre Bergé
Professeur à l’Université Jean Moulin - Lyon 3 (EDIEC - GDR CNRS ELSJ)
Dalloz – collection « Méthodes du droit »
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Avant-propos
Cet ouvrage est le résultat d’une recherche menée sur quatre années (2009-2012).
Des temps précieux d’échanges ont ponctué sa réalisation. Le questionnement qui l’anime a
ainsi été présenté et débattu dans différents espaces publics, essentiellement universitaires, en
France comme à l’étranger1. Un blog lui a été en partie consacré, présentant des travaux
provisoires au fur et à mesure de l’état d’avancement de la réflexion2.
Une première écriture de ce travail a bénéficié de la relecture bienveillante et critique de mes
collègues et amis Marie-Noëlle Jobard-Bachellier et Patrick Daillier.
Le professeur Philippe Jestaz, directeur de la collection « Méthodes du droit », a soutenu et
accompagné ce travail, du projet à sa publication.
Un semestre sabbatique m’a été aimablement accordé (Université de Paris Ouest - Nanterre
La Défense, année 2010/2011, 2nd
sem.).
Je remercie chaleureusement celles et ceux qui ont prêté une attention à la fabrication de ce
travail.
Lyon, novembre 2012.
1 Le thème de l’application plurielle du droit national, international et européen a été présenté de manière
générale ou sous des aspects particuliers lors de séminaires, conférences ou à l’occasion de contributions à des
colloques organisés à Aix-en-Provence, Bayonne, Bologne, Bruxelles, Buenos-Aires, Colchester (Essex),
Florence (Fiesole), Hanoï, Limoges, Louvain, Luxembourg, Lyon, Madrid, Montpellier, Nanterre, Nantes, Nice,
Paris, Rouen, Strasbourg, Toulouse, Tunis et Washington DC. 2 http://www.universitates.eu/jsberge/
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Sommaire
Glossaire _________________________________________________________________ 10
Introduction ______________________________________________________________ 16
La question de l’application du droit dans le contexte national, international et européen ou les cas de
pluralisme juridique mondial appliqué _____________________________________________________ 17
Le traitement de la question en amont : définition du droit, identification des systèmes juridiques et de
leurs rapports, résolution des conflits de droits et quête d’un droit global ________________________ 19
Le traitement de la question en aval : explicitation du travail du juriste confronté à l’application du droit
dans différents contextes national, international et européen __________________________________ 31
Le choix d’une méthode élémentaire en trois étapes : comparer, combiner, hiérarchiser l’application du
droit dans le contexte national, international et européen _____________________________________ 34
Le choix d’un mode de démonstration : des situations, des exemples ____________________________ 36
Première partie - La comparaison du droit national, international et européen ________ 38
Chapitre 1 – La démarche comparative _____________________________________________ 39
Section 1 – Les présupposés _____________________________________________________________ 40
§ 1 – Le présupposé de l’incomplétude _______________________________________________ 40
§ 2 – Le présupposé de la localisation _________________________________________________ 45
A - Les différents lieux d’application du droit ___________________________________________ 45
B - Les différents acteurs de l’application du droit _______________________________________ 50
Section 2 – Les préjugés ________________________________________________________________ 54
§ 1 – Les préjugés intellectuels ______________________________________________________ 54
A – Les limites de la comparaison ____________________________________________________ 54
1/ À propos de deux métaphores (« qui embrasse trop mal étreint » et « le mariage de la carpe
et du lapin ») __________________________________________________________________ 54
2/ Les verrous à faire sauter ______________________________________________________ 58
3/ La comparaison multiniveau : un autre principe de réalité ___________________________ 64
4/ Une distinction utile mais difficile entre les droits « sources » et les droits « objets » ______ 67
B - La spécialisation du juriste et le décloisonnement des spécialités ________________________ 72
§ 2 – Les préjugés culturels _________________________________________________________ 75
A - L’histoire _____________________________________________________________________ 75
B - La langue _____________________________________________________________________ 77
Section 3 – Les finalités _________________________________________________________________ 81
§ 1 – La connaissance des contextes juridiques pertinents ________________________________ 81
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A – La recension des contextes juridiques pertinents ____________________________________ 81
B – La comparaison des contextes juridiques pertinents __________________________________ 83
§ 2 – La définition d’une stratégie juridique ____________________________________________ 85
Chapitre 2 – La comparaison proprement dite _______________________________________ 90
Section 1 – La comparaison des domaines d’application _______________________________________ 91
§ 1 – Le domaine matériel __________________________________________________________ 91
A- Le recours à des qualifications juridiques ____________________________________________ 91
B- Les différents types de qualifications juridiques ______________________________________ 93
§ 2 – Le domaine spatial ___________________________________________________________ 96
A – La question de l’applicabilité dans l’espace du droit national, international et européen _____ 96
B – La diversité des solutions ________________________________________________________ 98
§ 3 – Le domaine temporel ________________________________________________________ 104
Section 2 – La comparaison des conditions d’invocabilité _____________________________________ 107
§ 1 – Les cas d’invocabilité dans le triple contexte national, international ou européen ________ 107
A – L’invocabilité et la relation droit international - droit national _________________________ 107
B – L’invocabilité et la relation droit européen - droit national ____________________________ 110
C – L’invocabilité et la relation droit international - droit européen ________________________ 112
§ 2 – Les différentes significations de l’invocabilité dans le triple contexte national, international ou
européen ______________________________________________________________________ 116
A – La variable « sujet » : qui invoque ? ______________________________________________ 116
B – La variable « objet » : qu’est-ce qui est invoqué ? ___________________________________ 119
Section 3 – La comparaison des méthodes et solutions _______________________________________ 125
§ 1 – De l’interprétation ___________________________________________________________ 125
§ 2 – De la contextualisation _______________________________________________________ 134
Deuxième partie - La combinaison du droit national, international et européen _______ 141
Chapitre 1 – La complémentarité des droits ________________________________________ 142
Section 1 –Les complémentarités institutionnelles et matérielles ______________________________ 143
§ 1 – Les complémentarités institutionnelles __________________________________________ 143
§ 2 – Les complémentarités matérielles ______________________________________________ 149
Section 2 – L’existence de rapports de mise œuvre __________________________________________ 154
§ 1 – Les rapports de mise en œuvre institutionnels ____________________________________ 154
§ 2 – Les rapports de mise en œuvre matériels ________________________________________ 160
Section 3 – La recherche d’un effet _______________________________________________________ 168
§ 1 - La recherche d’un effet tantôt équivalent tantôt différent ___________________________ 168
§ 2 - La recherche d’un effet tantôt global tantôt contenu _______________________________ 172
Chapitre 2 – La circulation des situations __________________________________________ 182
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Section 1 – Le phénomène de circulation __________________________________________________ 183
§ 1 – Premiers éléments de définition _______________________________________________ 183
§ 2 – La circulation au sein d’un même niveau _________________________________________ 184
§ 3 – La circulation interniveau des situations _________________________________________ 189
A- Intervention de juridictions à différents niveaux _____________________________________ 189
B – Application du droit à plusieurs niveaux ___________________________________________ 194
Section 2 – L’existence d’une contrainte de circulation _______________________________________ 200
§ 1 - La définition d’un cadre juridique de référence ____________________________________ 200
§ 2 - La contrainte d’un droit invocable bien que non applicable __________________________ 203
Troisième Partie – La hiérarchisation du droit national, international et européen _____ 211
Chapitre 1 – La hiérarchisation des droits dans les différents contextes __________________ 212
Section 1 – La hiérarchisation des droits dans le contexte national : l’exemple du droit français ______ 213
§ 1 - Les hypothèses de hiérarchisation ______________________________________________ 213
A - Les rapports entre le droit national et le droit international ___________________________ 213
1/ Les hypothèses envisagées par la Constitution ____________________________________ 214
2/ Les hypothèses non explicitement prévues par la Constitution _______________________ 219
B - Les rapports entre le droit national et le droit européen ______________________________ 224
1/ Alignement des solutions définies pour le droit international et le droit européen (UE) ___ 224
2/ Différenciation des solutions définies pour le droit européen (UE) et pour le droit
international _________________________________________________________________ 226
§ 2 - Les acteurs de la hiérarchisation ________________________________________________ 235
A - L’effacement du pouvoir législatif et exécutif _______________________________________ 235
B - Le renforcement du pouvoir des juges étatiques ____________________________________ 236
§ 3 - Les mots et le moment de la hiérarchisation ______________________________________ 239
A - Contrôle de constitutionnalité en amont et contrôle de conventionnalité en aval __________ 239
B - Le contrôle prioritaire de constitutionnalité et le contrôle secondaire de conventionnalité __ 246
Section 2 – La hiérarchisation des droits dans le contexte international : les réponses du droit
international_________________________________________________________________________ 249
§ 1 - Le refoulement du droit national et européen _____________________________________ 249
§ 2 - L’atrophie des procédés de hiérarchisation formelle ________________________________ 253
§ 3 - Le développement des procédés de hiérarchisation matérielle _______________________ 255
Section 3 – La hiérarchisation des droits dans le contexte européen : le cas de l’Union européenne __ 261
§ 1 - Une intégration hiérarchique __________________________________________________ 261
A- La primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national des Etats membres _______ 261
1/ la primauté par la supériorité__________________________________________________ 261
2/ La primauté par l’autonomie __________________________________________________ 266
3/ La primauté par la loyauté ____________________________________________________ 267
8
B - La primauté du droit de l’Union européenne et le droit international ____________________ 269
§ 2 - Une hiérarchie interne ________________________________________________________ 270
A - Les éléments d’une hiérarchie d’ensemble _________________________________________ 270
1/ La hiérarchie entre le droit primaire et le droit dérivé ______________________________ 270
2/ La hiérarchie entre les différentes normes de droit dérivé __________________________ 272
3/ La place des sources internationales dans le système juridique de l’Union européenne ___ 273
B - Les apports et les limites d’une approche hiérarchique en droit de l’Union européenne ____ 276
Chapitre 2 – La hiérarchisation des droits et l’application du droit à différents niveaux _____ 278
Section 1 - La hiérarchisation par application du droit à un niveau : l’appel à la hiérarchie des normes 279
§ 1 - La signification propre de la hiérarchisation des droits dans un contexte de pluralisme
juridique mondial ________________________________________________________________ 279
A - La hiérarchie des normes comme outil de repli d’un système juridique sur lui-même _______ 279
B - Les autres voies de repli des systèmes juridiques sur eux-mêmes _______________________ 285
1/ La mesure du phénomène : différenciation, autonomisation, appropriation, dédoublement,
etc. _________________________________________________________________________ 285
2/ Illustrations dans le système juridique français ___________________________________ 286
3/ Illustrations dans le système juridique de l’Union européenne _______________________ 292
§ 2- Le choix d’un niveau d’application du droit plutôt que d’un autre ______________________ 296
A - Le spectre d’un forum shopping mondial __________________________________________ 296
B - Les limites à la liberté de choix___________________________________________________ 301
1/ La présence de juridictions diversement spécialisées aux différents niveaux ____________ 301
2/ L’existence de systèmes intégrés _______________________________________________ 305
Section 2 - La hiérarchisation par application du droit à un autre niveau : l’appel à un droit hiérarchisé 308
§ 1 - Les voies de passage d’une hiérarchie définie à un niveau à une hiérarchie définie à un autre
niveau _________________________________________________________________________ 308
A - Les voies de passage entre le niveau national et international _________________________ 308
B - Les voies de passage entre le niveau national et européen ____________________________ 310
C - Les voies de passage entre le niveau international et européen ________________________ 316
§ 2 - La référence à un droit hiérarchisé ______________________________________________ 320
A - Les hypothèses où la référence à un droit hiérarchisé est utile et nécessaire ______________ 320
B - La détermination du contenu et de la nature du droit hiérarchisé ______________________ 322
Conclusion _______________________________________________________________ 334
Bibliographie sélective _____________________________________________________ 336
Table des abréviations _____________________________________________________ 339
Table des textes et des jurisprudences cités ____________________________________ 342
I./ Textes ____________________________________________________________________________ 342
9
A - Textes nationaux ______________________________________________________________ 342
B - Textes internationaux __________________________________________________________ 343
C - Textes européens _____________________________________________________________ 345
II./ Jurisprudences ____________________________________________________________________ 347
A - Jurisprudences nationales ______________________________________________________ 347
B - Jurisprudences internationales __________________________________________________ 351
C - Jurisprudences européennes ____________________________________________________ 352
Index général ____________________________________________________________ 358
Table analytique (matières, situations et exemples) _____________________________ 375
10
GLOSSAIRE
Les termes ou expressions ci-après présentés sont de deux types. Les premiers décrivent de
manière générale l’objet de cette étude. Les seconds désignent, de façon plus précise, les
différents résultats auxquels elle a abouti1.
I./ Termes ou expressions décrivant l’objet d’étude
Pluralisme juridique mondial
L’expression « pluralisme juridique mondial » désigne une forme particulière de
pluralisme juridique induit par les phénomènes de mondialisation du droit et ses
différentes déclinaisons (globalisation, transnationalisation, fragmentation,
régionalisation, etc.). Même si ce pluralisme n’échappe pas à des formes de
standardisation/domination, il décrit la multiplication des lieux de fabrication et
d’application du droit qui apparaissent en dehors ou au-delà du modèle strictement
étatique. Le droit ne se construit pas seulement à l’intérieur des seules sphères
nationales. Il est, en effet, le résultat de l’activité propre d’organisations
internationales et régionales, notamment européennes, que ces organisations aient
une origine étatique (Organisation des Nations Unies, Organisation mondiale du
commerce, Organisation internationale du travail, Organisation mondiale de la santé
ou de la propriété intellectuelle, Union européenne, Cour internationale de justice,
Cour permanente d’arbitrage, Centre international de règlement des différends liés à
l'investissement, Cour européenne des droits de l’homme, etc.) ou privée
(organisations non gouvernementales, multinationales, syndicats professionnels,
etc.). Le contexte national, qui connaît également des formes de pluralisme juridique,
ne disparaît pas. Mais il coexiste avec les méthodes et solutions juridiques définies
dans le contexte international et européen.
Cas de pluralisme juridique mondial appliqué
L’extension « pluralisme juridique mondial appliqué » est attachée aux cas, de plus
en plus fréquents, où plusieurs droits élaborés dans un environnement national,
1 Pour ces derniers, un renvoi est opéré aux développements pertinents de l’ouvrage.
11
international ou européen sont susceptibles d’être appliqués ensemble à une situation
juridique donnée.
Le processus d’application du droit est particulier dans un contexte de pluralisme
juridique mondial. Le droit appliqué développe, dans la variété des situations
juridiques mondiales, un dynamisme qui lui est propre. Il ne peut résulter de la seule
mise en œuvre d’une méthode ou d’une solution juridique à un instant donné, dans
un espace et à un niveau prédéterminés, par un acteur dûment identifié. Il faut
l’appréhender dans un mouvement. Pour une même situation, plusieurs droits doivent
être parfois mobilisés, alternativement, cumulativement, dans un même temps ou à
des moments différents, dans un seul ou plusieurs espaces ou niveaux, par un acteur
unique ou des acteurs multiples.
Cas ou situation juridique
Un cas ou une situation juridique désigne la question théorique ou pratique que le
juriste doit résoudre en mettant en œuvre les méthodes et solutions juridiques
susceptibles d’être appliqués dans les différents contextes. La situation peut être
illustrée par un ou plusieurs exemples. Ces exemples sont tirés d’une pratique du
droit qui a existé à l’occasion d’un cas donné ou ils résultent de scénarios inventés
pour les besoins de la démonstration. Pour traiter ce cas ou cette situation, le juriste
est invité à décliner, dans un contexte de pluralisme juridique mondial, l’ensemble
des méthodes et solutions juridiques susceptibles d’être appliquées au niveau
national, international ou européen.
Juriste
On peut avoir toutes sortes de représentations du juriste. On peut vouloir se limiter
principalement à la figure du juge, maître de l’interprétation du droit, ou réfléchir à
l’existence de la doctrine, chantre d’un droit savant, ou, encore, distinguer, par
exemple, la famille des juristes de France, la communauté des juristes travaillant au
sein d’une institution européenne ou, encore, les juristes qui évoluent dans des
structures à vocation mondiale. Toutes ces acceptions sont recevables. Ce qui
compte, c’est la pratique du droit par le juriste, c’est-à-dire, sa recherche d’un
résultat. Que le juriste travaille de manière indépendante (un avocat, un consultant,
un magistrat, un notaire, un universitaire) ou sous l’autorité d’une institution
publique (administration) et la subordination d’un organisme privé (organisation non
12
gouvernementale, entreprise, syndicat, association), il est le plus souvent guidé, en
effet, par la recherche d’une finalité : la formulation d’une règle, d’une décision,
d’une argumentation, d’une analyse et même d’une théorie.
Contexte ou niveau national, international et européen d’application du droit
L’expression « Contexte national, international et européen » désigne
l’environnement juridique dans lequel le juriste s’efforce de traiter d’un cas ou d’une
situation. Cet environnement peut être essentiellement imprégné de droit national, de
droit international ou de droit européen. Pour distinguer ces contextes, il est parfois
utile de parler de « niveau d’application du droit ». Cette seconde expression n’a, pas
plus que la précédente, de valeur théorique forte. Elle n’a pas vocation notamment à
désigner un ordonnancement juridique global où un niveau d’application du droit
serait placé de manière immuable et définitive sous l’autorité d’un autre. Mais elle
est parfois éclairante. Elle permet, en effet, de représenter les hypothèses où un cas
est susceptible d’être appréhendé successivement à des étages - national,
international ou européen - différents du droit. Cette superposition des niveaux rend
compte des différences qui peuvent caractériser la manière dont le droit s’applique
dans des contextes nationaux, internationaux ou européens distincts.
Méthodes et solutions juridiques ou droit national, international et européen
Dans cet ouvrage, les expressions « Méthodes et solutions juridiques » ou « Droit »
national, international et européen visent le droit appliqué dans un contexte national,
international ou européen. Peu importe que ces méthodes et solutions juridiques
soient de source étatique, interétatique ou a-étatique, qu’elles résultent d’un
processus de formation révélé, délibéré ou spontané. Ce qui compte c’est
l’application qui peut en être faite par le juriste dans les différents contextes.
Comparaison
La comparaison est la première étape que le juriste peut être amené à franchir pour
tenter d’appliquer le droit dans le contexte national, international et européen.
Cantonné généralement à la seule étude des droits nationaux et à un exercice de pure
connaissance, le « droit comparé » mérite de recevoir une signification plus large
dans la perspective d’un pluralisme juridique mondial appliqué. La comparaison du
droit national, international et européen implique, en effet, une potentielle mise à plat
13
de l’ensemble des méthodes et solutions susceptibles d’être sollicitées au stade du
traitement d’un cas ou d’une situation juridique. Elle commande une recherche sur la
manière dont le droit peut être appliqué dans un environnement national,
international ou européen. Cette recherche est un préalable. Elle permet, en effet, au
juriste de prendre la mesure des ressemblances et différences caractérisant
l’application du droit dans des contextes aussi bien nationaux, internationaux
qu’européens.
Combinaison
L’étape de combinaison du droit national, international et européen est celle où le
juriste s’efforce d’assembler les méthodes et solutions identifiées au terme d’un
travail de comparaison, en vue de construire son raisonnement juridique. Elle peut
être pratiquée dans deux grandes hypothèses : celle où les droits en présence sont
complémentaires et entretiennent un rapport de mise œuvre ; celle où une circulation
des situations d’un niveau du droit à l’autre peut être observée.
Hiérarchisation
L’étape de hiérarchisation des droits permet au juriste d’identifier les règles qui
occupent une place dans un système juridique donné. Ce processus peut être
considéré de manière cloisonnée, système par système, dans un contexte national,
international et européen. Mais il a également une dimension dynamique où
l’application des constructions hiérarchiques à différents niveaux conduit à des
phénomènes d’interaction. A ce titre, deux scénarios doivent être soigneusement
distingués. Le premier met en scène un juriste qui en appelle à une application du
droit à un niveau, ce qui revient, pour lui, à faire potentiellement jouer une hiérarchie
des normes. Le second désigne la situation du juriste aspirant à l’application du droit
à un autre niveau, ce qui le conduit à rechercher les manifestations d’une
concrétisation d’un droit hiérarchisé appliqué.
II./ Termes ou expressions désignant les résultats de l’étude
Comparaison multiniveau
La comparaison des droits définis dans un contexte national, international et
européen est devenue une nécessité chaque fois que la question de droit posée
appelle une pluralité de réponses selon le niveau national, international ou européen
14
considéré. Dans la mesure où, bien souvent, ces niveaux coexistent, en ce sens qu’ils
n’ont pas vocation à se substituer dans leur application les uns aux autres, le juriste a
le devoir de dégager par la comparaison, les ressemblances et différences entre les
méthodes et solutions offertes. Il est rare, en effet, que le droit européen ou
international ait vocation à faire disparaître toute applicabilité du droit national. Il en
va de même dans les rapports entre le droit international et le droit européen, lesquels
alimentent de nombreuses interactions. Chaque fois que la situation en cause est
susceptible d’être présentée dans ces différents contextes, une comparaison
multiniveau conduit le juriste à comparer, au plus fort de son analyse, l’application
qui peut être faite du droit national, international et européen dans les trois contextes
à la fois. Voir sur ce thème, les développements proposés aux n° xxx et s.
Cadre juridique (de référence)
L’expression « cadre juridique de référence » et ses dérivés (« cadre de référence »
ou, plus modestement, « cadre juridique ») sont assez fréquemment utilisés en droit
européen. La Cour de justice de l’Union européenne et, dans une moindre mesure, la
Cour européenne des droits de l’homme l’emploient pour désigner le contexte
juridique – européen mais aussi national ou international – dans lequel s’insère la
question de droit qui leur est posée. Cette pratique des deux grandes juridictions
européennes trouve un certain écho dans le contexte international et national. On sait
que la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités a inscrit, au titre des
directives d’interprétation, un principe « d’interprétation systémique » selon lequel il
doit être tenu compte du contexte des traités, et en particulier de « toute règle
pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ».
Quant au droit national, il peut, par différents moyens, inviter le juriste à mobiliser
l’ensemble des fondements juridiques de droit national, international et européen
susceptibles d’asseoir son raisonnement. Voir sur ce thème, les développements
proposés aux n° xxx et s.
Rapport de mise en œuvre
L’expression « rapports de mise en œuvre » désigne un processus particulier de
combinaison du droit national, international et européen. Chaque fois qu’une
institution ou une règle de droit d’un système juridique national, international ou
européen permet à une institution ou une règle de droit définie à un autre niveau
15
national, international ou européen de fonctionner ou d’être appliquée, il s’établit
entre elles un rapport de mise œuvre. Les institutions et règles juridiques en présence
ne se substituent pas les unes aux autres. Elles interagissent en raison de leur aptitude
à produire ensemble un effet juridique propre, qu’aucune d’entre elles ne permettrait
d’atteindre seule. Voir sur ce thème, les développements proposés aux n° xxx et s.
Circulation
La circulation désigne l’ensemble des phénomènes qui permettent au juriste
d’appréhender une situation dans un espace juridique autre que celui où elle a pris
naissance. L’effet produit par ces mouvements d’un espace normatif à un autre peut
être parfaitement identique, la circulation propageant trait pour trait un effet juridique
- entendu au sens le plus large : effet obligatoire, effet d’opposabilité ou même effet
de fait - donné dans deux environnements distincts. Mais cet effet comporte souvent
des différences, la circulation étant alors partielle, portant sur tel ou tel aspect de la
situation amenée à circuler. Le phénomène intéresse la circulation chaque fois qu’un
effet de la situation née dans un environnement juridique donné se manifeste à
nouveau dans un autre environnement juridique en raison de son origine. Si les effets
produits sont totalement étrangers l’un à l’autre ou sont purement fortuits, il n’est
plus utile de parler de circulation. Voir sur ce thème, les développements proposés
aux n° xxx et s.
Droit appliqué et droit hiérarchisé
La référence à un « droit appliqué » désigne l’opération par laquelle le traitement
d’un cas, dans un contexte (national, international ou européen) donné, requiert un
examen du droit mis en œuvre dans un autre contexte. Cette référence est nécessaire
dans les situations où une contrainte de circulation existe. Elle doit être notamment
envisagée par le juriste, chaque fois que la mise en œuvre du droit dans un contexte
est évaluée, en termes de compatibilité, dans un autre contexte. La recherche du
contenu du droit appliqué procède parfois d’une démarche concrète. Ce n’est pas tant
l’énoncé du droit dans un autre contexte qui compte que la manière dont il a été, il
est ou il sera mis en œuvre. Cette concrétisation du droit appliqué peut alors prendre
la forme d’un « droit hiérarchisé » dont la teneur est tributaire de la manière dont une
hiérarchie des normes définies dans un autre contexte a été, peut être ou sera mise en
œuvre. Voir sur ce thème, les développements proposés aux n° xxx et s.
16
INTRODUCTION
1. Un juriste s’interroge. Dans une situation interne à un Etat (par exemple, un différend
entre deux Français, résidant en France, à propos d’un accident survenu sur le territoire
national), soumise à l’application ordinaire du droit défini dans le contexte national (en
l’occurrence, le droit français), il ne sait pas s’il doit ou non reconsidérer son analyse à l’aune
de méthodes et solutions juridiques appliquées dans d’autres contextes : international ou
européen. Dans une situation présentée devant une instance internationale, publique (une
administration ou une juridiction internationale) ou privée (un arbitre international), il se
demande si les effets produits par un droit appliqué au niveau national ou européen peuvent y
être considérés ou doivent, au contraire, être nécessairement refoulés. Dans un contexte
européen (Union européenne ou Conseil de l’Europe), il aimerait pouvoir déterminer avec
précision si les méthodes et solutions qui s’y sont développées depuis soixante ans se
substituent ou, à l’opposé, s’ajoutent aux constructions juridiques définies à d’autres niveaux
qui l’ont précédé : national ou international.
2. Le degré d’interrogation du juriste s’accroît un peu plus quand il observe que son cas
est susceptible, dans certaines circonstances, d’être examiné successivement dans des
environnements juridiques différents.
Ainsi, par exemple, un litige présenté devant un juge national peut parfois donner lieu à une
procédure devant une juridiction européenne (par exemple, une question préjudicielle en
interprétation ou validité portée devant la Cour de justice de l’Union européenne ou une
requête présentée à la Cour européenne des droits de l’homme après épuisement des voies de
recours internes) ou, plus rarement, internationale (par exemple, un conflit national élevé en
conflit interétatique soumis à la Cour internationale de justice). De la même manière, une
situation traitée par une instance publique ou privée internationale peut conduire à des
prolongements devant des instances européennes et/ou nationales (par exemple, une sanction
prononcée par les Nations Unies et exécutée à un échelon européen et national ou encore, une
sentence arbitrale internationale présentée devant un juge étatique qui décide de faire
application du droit de l’Union européenne et d’interroger, à ce titre, la Cour de justice de
l’Union européenne).
3. En définitive, notre juriste en arrive à la conclusion - provisoire - qu’en dépit de tous
ses efforts pour mettre en œuvre les méthodes et solutions juridiques appliquées dans un
17
contexte national, international ou européen donné, son analyse peut être malmenée à
l’occasion du réexamen de son cas dans un autre contexte national, international ou européen
d’application du droit.
Pour éviter que ce nouvel examen n’échappe totalement à son expertise et ne la fragilise, il
s’interroge sur la démarche qui doit être la sienne. Doit-il s’ouvrir à d’autres environnements
juridiques que celui dans lequel il a l’habitude de travailler ? Doit-il, au contraire, demeurer
dans l’environnement national, international ou européen qu’il maîtrise le mieux et qui lui
semble offrir la plus grande prévisibilité des solutions ?
La question de l’application du droit dans le contexte national, international et
européen ou les cas de pluralisme juridique mondial appliqué
4. Conçu par Santi Romano1 comme un instrument de définition des ordres juridiques, le
pluralisme juridique a été largement travaillé en théorie, sociologie ou anthropologie du
droit2. Il permet de décrire « l’existence, au sein d’une société déterminée, de mécanismes
juridiques différents s’appliquant à des situations identiques »3. Les juristes s’y réfèrent
volontiers quand ils étudient, d’une part, les différentes manières dont le droit est susceptible
de se développer en dehors des processus étatiques de délibération ou de décision et, d’autre
part, les divers modes d’interaction qui résultent de la coexistence d’une pluralité de systèmes
ou d’ordres juridiques. Le thème suscite un intérêt continu, dans des domaines extrêmement
diversifiés4.
5. Dans un environnement mondial, le pluralisme juridique a une signification plus
étroite, qui lui est propre5. L’expression « pluralisme juridique mondial »
1 désigne, en effet,
1 S. Romano, L’ordre juridique, trad. P. Gothot et L. François, éd. Sirey 1975, rééd. Dalloz, 2002, préface P.
Mayer. 2 Pour une approche d’ensemble, voir avec les nombreuses références bibliographiques citées, A.-J. Arnaud
(dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et sociologie du droit, LGDJ, 2e éd. 1993, Verbis « Pluralisme
juridique » par J.-G. Belley et N. Rouland. Comparer, D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture
juridique, éd. PUF, 2003, V° Pluralisme juridique par H. Moutouh. Voir également, plus récemment, Cahiers
d’Anthropologie du droit, Les pluralismes juridiques, éd. Karthala, 2003 ; J.-L Bergel (dir.), Le plurijuridisme -
Actes du 8ème congrès de l’Association internationale de méthodologie juridique, éd. PUAM, 2005 ; Collectif,
Le pluralisme, Archives de philosophie du droit, éd. Dalloz, 2006. 3 J. Vanderlinden, Le pluralisme juridique - Essai de synthèse, in J. Gilissen (dir.), Le pluralisme juridique, éd.
de l’Université de Bruxelles, 1972, spéc., p. 19. 4 Voir, par exemple, récemment : L. Boy, J.-B. Racine et J.-J. Sueur (dir.), Pluralisme juridique et effectivité du
droit économique, Larcier 2011. 5 Sur cette signification propre : M. Delmas-Marty, Les Forces imaginantes du droit – 1. Le relatif et l’universel,
éd. Seuil 2004, spéc. p. 228. Voir également du même auteur, distinguant le pluralisme de fusion, du pluralisme
de séparation et le pluralisme de juxtaposition du pluralisme ordonné, Les Forces imaginantes du droit – 2. Le
18
une forme tout à fait particulière de pluralisme juridique, immédiatement induit par les
phénomènes de mondialisation2 du droit et ses différentes déclinaisons (globalisation
3,
transnationalisation4, fragmentation
5, régionalisation
6, etc.). Même si ce pluralisme juridique
mondial n’échappe pas à des formes de standardisation/domination, il décrit la multiplication
des lieux de fabrication et d’application du droit qui apparaissent en dehors ou au-delà du
modèle strictement étatique. Le droit ne se construit pas seulement à l’intérieur des seules
sphères nationales. Il est le résultat de l’activité propre d’organisations internationales et
régionales, notamment européennes, que ces organisations aient, pour l’essentiel, une origine
étatique (Organisation des Nations Unies, Organisation mondiale du commerce, Organisation
pluralisme ordonné, éd. Seuil 2005, spéc. pp. 7 à 32. Pour une réflexion sur le pluralisme au départ des outils de
la théorie analytique du droit, voir J.-J. Sueur, Analyser le pluralisme pour comprendre la mondialisation ?, in J.-
Y. Chérot et B. Frydman (dir.), La science du droit dans la globalisation, Bruylant, 2012, p. 89. 1 L’expression « pluralisme juridique mondial » ou « Global Legal Pluralism » est régulièrement utilisée depuis
la fin des années 1990 par un auteur : F. Snyder, Governning Economic Globalisation Global Legal Pluralism
and European Law, Eur. Law Rev. 1999, p. 334 (pour une version en français : Droit et Société 2003/2, p. 435).
Elle connaît un beau succès, spécialement dans la littérature juridique en anglais. Voir, par exemple, : O. Perez,
Ecological Sensivity and Global Legal Pluralism : Rethinking the Trade and Environment Conflict, Hart, 2004 ;
P. S. Berman, Global Legal Pluralism, South. Calif. Law Rev. 2007, p. 1155 ; R. Michaels, Global Legal
Pluralism, Annual Review of Law & Social Science, 2009, p. 45. 2 Sur lequel, voir en particulier : C. Kessedjian et E. Loquin (dir.), La mondialisation du droit : Litec 2000 ;
Collectif, La mondialisation entre illusion et utopie, Archives de Philosophie du Droit : Dalloz, t. 47, 2003 ; J.-L.
Halpérin, Profils des mondialisations du droit : Dalloz, 2009 ; H. Ruiz Fabri et L. Gradoni (dir.), La circulation
des concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation : SLC,
2009. 3 La littérature est devenue considérable sur le sujet. Pour différentes approches du phénomène dans différentes
disciplines juridiques : G. Teubner (ed.), Global Law without a State, Dartmouth, Aldershot, 1997 ; J. Basedow
et T. Kono (ed.), Legal aspects of Glogalization : Kluwer Law International, 2000 ; J.-B. Auby, La globalisation,
le droit et l’État : Montchrestien, 2me éd., 2010 ; M. Faure et A. van de Walt, A Globalization and private law:
Edward Elgar, 2010 ; J.-Y. Chérot et B. Frydman (dir.), La science du droit dans la globalisation : Bruylant,
2012. 4 Les travaux sur l’émergence d’un droit transnational sont anciens (sur les discussions à propos du
développement de la lex mercatoria, voir infra, n° xxx). On mentionnera ici deux publications contemporaines
marquantes qui s’attachent à reconsidérer le phénomène en droit constitutionnel et en droit privé : Ch. Joerges,
I.-J. Sand, and G. Teubner (ed.), Transnational Governance and Constitutionalism : Hart, 2004 ; G.-P. Callies et
P. Zumbansen, Rough Consensus and Running Code - A theory of Transnational Private Law : Hart, 2012. 5 Le thème connaît un bel essor. Voir, en particulier : J.-M. Thouvenin et Ch. Tomuschat (dir.), Droit
international et diversité des cultures juridiques : Pedone, 2008 ; M. Forteau, J.-S. Bergé, M.-L. Niboyet, J.-M.
Thouvenin (dir.), La fragmentation du droit applicable aux relations internationales – Regards croisés des
internationalistes privatistes et publicistes : Pedone, 2011 ; M. Young (ed.), Regime Interaction in International
Law - Facing Fragmentation: Cambridge University Press, 2012 6 Sur le phénomène de régionalisation du droit induit par le développement du droit européen, voir notamment :
S. Poillot-Peruzzetto et L. Idot (dir.), Internormativité et réseaux d’autorités : l’ordre communautaire et les
nouvelles formes de relations entre les ordres juridiques : Petites Affiches 2004, n° 199 & 200 (numéros
spéciaux) ; V. W. Graf Vitzthum, C. Prieto et R. Mehdi (dir.) Europe et Mondialisation – Europa und die
Globalisierung : PUAM, 2006 ; S. Robin-Olivier et D. Fasquelle (dir.), Les échanges entre les droits,
l’expérience communautaire : une lecture des phénomènes de régionalisation et de mondialisation du droit :
Bruylant, 2008 ; M. Le Barbier-Le Bris (dir.), L’Union européenne et la gouvernance mondiale - Quel apport
avec quels acteurs ?, Bruylant, 2012. Sur les autres formes de régionalisation et leur impact sur le droit
international public, voir S. Doumbé-Billé (coord.), La régionalisation du droit international public, Bruylant,
2012.
19
internationale du travail, Organisation mondiale de la santé ou de la propriété intellectuelle,
Institut international pour l'unification du droit privé, Union européenne, Cour internationale
de justice, Cour permanente d’arbitrage, Centre international de règlement des différends liés
à l'investissement, Cour européenne des droits de l’homme, etc.) ou, plus exceptionnellement,
privée (organisations non gouvernementales comme la Chambre de commerce international
ou l’Human Rights Watch par exemple, multinationales, syndicats professionnels, etc.)1. Le
contexte national, qui connaît également des formes de pluralisme juridique, ne disparaît pas.
Mais il coexiste avec les méthodes et solutions juridiques définies dans le contexte
international et européen.
6. L’extension « pluralisme juridique mondial appliqué » est attachée, quant à elle, aux
cas, de plus en plus fréquents, où plusieurs droits élaborés dans un environnement national,
international ou européen sont susceptibles d’être appliqués ensemble à une situation
juridique donnée.
Le processus d’application du droit est particulier dans un contexte de pluralisme juridique
mondial. Le droit appliqué développe, dans la variété des situations juridiques mondiales, un
dynamisme qui lui est propre. Il ne peut résulter de la seule mise en œuvre d’une méthode ou
d’une solution juridique à un instant donné, dans un espace et à un niveau prédéterminés, par
un acteur dûment identifié. Il faut l’appréhender dans un mouvement. Pour une même
situation, plusieurs droits doivent être parfois mobilisés, alternativement, cumulativement,
dans un même temps ou à des moments différents, dans un seul ou plusieurs espaces ou
niveaux, par un acteur unique ou des acteurs multiples.
Le traitement de la question en amont : définition du droit, identification des systèmes
juridiques et de leurs rapports, résolution des conflits de droits et quête d’un droit
global
7. Pour appréhender la question de la mise œuvre du droit dans le contexte national,
international et européen, le juriste peut vouloir se placer en amont de cette application pour
essayer d’élaborer des constructions juridiques susceptibles de l’aider à faire face aux
1 Il n’est pas facile de quantifier de manière précise la part du pluralisme juridique mondial induit par le
comportement respectif des acteurs publics et des acteurs privés. L’entreprise n’est à vrai dire possible qu’à
travers l’étude de champs d’activité relativement bien délimités, autorisant ainsi une analyse de terrain. Dans cet
ouvrage, c’est moins le phénomène pluraliste qui sera étudié en tant que tel que sa perception par le juriste au
stade de l’application du droit (voir, sur ce traitement aval du pluralisme juridique mondial, nos explications,
infra, n° xxx). Or cette application est inséparable du jeu, à un moment donné ou à un autre, d’instruments de
source publique (étatique, interétatique, régionale), lesquels seront donc largement privilégiés dans cette étude.
20
difficultés soulevées par le pluralisme juridique mondial.
8. Disons-le d’emblée : pour légitime et recevable qu’elle soit, cette démarche n’est pas
celle qui préside à la réalisation de cet ouvrage1. Deux raisons principales ont guidé ce choix.
La première est propre au phénomène étudié. Le pluralisme juridique mondial appliqué, c’est-
à-dire, rappelons-le, le traitement par le juriste de situations, de plus en plus fréquentes, où
plusieurs droits élaborés dans un environnement national (français, étranger), international
(ONU, OMC, OMPI, OIT, OMS, CIJ, CPA, CIRDI, CCI, HRW, etc.) ou européen (UE,
CEDH) sont susceptibles d’être appliqués ensemble à un cas donné, s’est fortement développé
ces trente dernières années. Pour prendre la mesure de cette évolution, il suffit, par exemple,
de se représenter ce qu’était le travail d’un juriste français au lendemain des célèbres arrêts de
la Cour de cassation et du Conseil d’Etat « Jacques Vabre » et « Nicolo »2 et ce qu’il est
aujourd’hui devenu avec la prolifération des sources internationales et européennes du droit
susceptibles de s’appliquer et d’être invoquées sur le sol national.
Sans être radicalement nouveau3, le phénomène atteint incontestablement une ampleur
jusqu’alors inégalée. Avons-nous pris, nous juristes, la mesure de cette évolution ?
Connaissons-nous, si ce n’est l’ensemble, du moins les principales situations concrètes que
fait naître ce pluralisme juridique mondial appliqué ? Le sentiment qui était le nôtre, il y a
quatre ans (en 2009), en posant ce projet d’étude, était qu’en dehors de quelques spécialistes,
fins connaisseurs et précurseurs de ces sujets4, la communauté des juristes demeurait dans son
ensemble largement ignorante du phénomène. Les esprits évoluent. Mais il n’est pas certain
qu’une attention suffisamment grande ait été portée jusqu’à présent à la très forte variété des
situations de droit étatique ou a-étatique, de droit public ou de droit privé, de droit national,
international ou européen prenant part au phénomène de pluralisme juridique mondial
appliqué.
1 Pour un exposé de notre démarche « en aval », voir, dans cette Introduction, n° xxx et s.
2 Sur ces jurisprudences restées célèbres, voir infra nos développements, n° xxx. Sur l’extension (à géométrie
variable) du domaine d’applicabilité et d’invocabilité du droit national, international et européen, voir infra, n°
xxx. 3 Les historiens du droit ont beaucoup à nous apprendre sur les pratiques antérieures susceptibles d’alimenter une
réflexion contemporaine sur le pluralisme juridique mondial appliqué. Voir, à titre d’illustration, M. Bottin in Le
droit par-dessus les frontières- Il diritto sopra le frontiere, "Atti" delle Journées internationales d’Histoire du
droit de Turin, mai 2001, Napoli, Jovene, 2003. Sur la relation jus commune et le développement contemporain
du droit européen, voir R. Schulze, Un nouveau domaine de recherche en Allemagne : l’histoire du droit
européen, RHDFE, 1992, 29 ; J.-L. Halpérin, L’approche historique et la problématique du jus commune, RIDC,
2000, n°4, 717 ; R. C. Van Caenegem, Le droit européen entre passé et futur, Dalloz 2010 (présentation E.
Jeuland). 4 Voir en particulier, les travaux les plus anciens signalés en bibliographie sélective, en fin d’ouvrage, p. xxx.
21
Un travail d’explication s’impose comme un préalable indispensable à tout traitement en
amont du phénomène. C’est en tout cas l’hypothèse que nous formulons.
9. La seconde raison qui nous pousse à privilégier un « traitement aval » plutôt qu’un
« traitement amont » du pluralisme juridique mondial appliqué, tient au constat, qu’en dépit
des efforts considérables déployés par la pensée juridique pour faire face aux transformations
du monde dans lequel elle évolue, le pluralisme juridique mondial appliqué demeure, à ce
jour, rétif à toute explication de portée générale et abstraite. Même si les choses peuvent
changer à l’avenir, nous ne voyons pas et, pour tout dire, nous ne croyons pas à l’émergence
d’une analyse - une théorie par exemple - qui s’imposerait à l’ensemble des acteurs juridiques
mondiaux en leur permettant d’appréhender, par des méthodes et solutions préalablement
posées, en nombre sans doute limité, la variété des situations de pluralisme juridique mondial
appliqué.
Avant d’expliquer ce constat par la démarche que nous avons choisi de retenir1, il faut essayer
de l’asseoir, en rendant compte, même de manière succincte, des principales voies de
traitement « en amont » qui ont pu ou peuvent être envisagées. Quatre voies doivent, à ce
titre, être distinguées : la définition du droit, l’identification des systèmes juridiques et de
leurs rapports, la résolution des conflits de droits et, enfin, la quête d’un droit global. Nous
présenterons brièvement ces différentes voies en expliquant les raisons pour lesquelles nous
avons fait le choix de ne pas les emprunter comme point de départ à notre analyse.
10. La première voie - la définition le droit - n’est pas la plus à même de décrire un
processus d’application du droit. Si l’on s’en tient au positivisme normativiste, qui se propose,
en disant les choses simplement (et avec une pointe d’ironie), de définir le droit par le droit,
on peut même dire que c’est la plus mauvaise des voies à envisager. La définition du droit par
référence à des « normes » conduit, en effet, le juriste à renoncer, sauf cas particuliers, à faire
du processus d’application du droit un objet d’étude à part entière. Elle revient, en effet, à dire
que l’application du droit est inséparable de la définition du droit lui-même. Comme l’a écrit
le père de cette doctrine, « l’application du droit est en même temps création du droit (…) ces
deux notions ne représentent pas une antithèse absolue ; il n’est pas juste de distinguer et
opposer des actes créateurs de droit et des actes applicateurs de droit. Car, si l’on fait
abstraction des cas-limites entre lesquels se déroule le processus de création du droit - ces cas-
limites étant la supposition de la norme fondamentale, et l’exécution des actes de contrainte -,
1 Voir infra, cette Introduction, n° xxx.
22
tout acte juridique est à la fois application d’une norme supérieure et création, réglée par cette
norme, d’une norme inférieure »1.
D’autres approches théoriques du droit existent2, spécialement des conceptions pragmatiques
du droit sur lesquelles nous reviendrons3. Mais aucune ne s’est semble-t-il véritablement
imposée à ce jour comme faisant du temps et de l’espace dédiés spécifiquement à
l’application du droit, un champ d’étude distinct de l’opération de définition du droit. En
effet, l’application du droit est le plus souvent comprise comme un élément de la définition du
droit. La référence à « l’application du droit » est d’ailleurs généralement inexistante dans les
ouvrages (manuels, précis ou même traités) qui s’efforcent de définir le droit4. Si les auteurs
ne sont pas indifférents aux questions de mise œuvre, c’est pour aborder les outils
processuels, sanctionnateurs et, éventuellement, contractuels qui accompagnent le maniement
de la plupart des règles de droit. Quant à l’étude de la jurisprudence qui « applique » le droit,
cela fait bien longtemps qu’elle est considérée, à mots couverts ou à mots ouverts, comme une
source primordiale d’interprétation, inséparable de la définition du droit lui-même5.
11. Ramenée à l’hypothèse qui est la nôtre de l’étude d’un pluralisme juridique mondial
appliqué, la voie de la définition du droit conduit au mieux le juriste à faire la part entre les
phénomènes qui s’inscrivent dans une démarche juridique et ceux qui, au contraire, lui
seraient étrangers. Par exemple, l’emprunt par un juriste d’une méthode ou solution juridique
ayant cours dans un autre système juridique, parfois à un autre niveau d’application du droit
(national, international ou européen), peut nourrir des discussions sur la juridicité de cet
emprunt. Mais ces discussions sont souvent décevantes : que le juriste conclue, de manière
1 H. Kelsen, Théorie pure du droit (1934-1960), trad. française de la 2me éd. de la « Reine Rechtslehre » par Ch.
Eisenmann, éd. Dalloz, 1962, p. 315. 2 On renverra volontiers le lecteur aux ouvrages de présentation générale des grandes théories du droit. Voir,
notamment, en France : B. Oppetit, Philosophie du droit, Dalloz, 1999 ; M. Troper, La philosophie du droit,
PUF, 3me éd., 2003 ; E. Millard, Théorie générale du droit, Dalloz, 2006. 3 Voir, par exemple, en Europe, les travaux de la fameuse « Ecole de Bruxelles », sur laquelle (en liaison avec
d’autres courants de pensée juridique comme la libre recherche scientifique de François Geny ou, encore, le
mouvement réaliste américain) : B. Frydman, Perelman et les juristes de l’Ecole de Bruxelles, in B. Frydman et
M. Meyer (dir.), Chaïm Perelman - De la nouvelle rhétorique à la logique juridique, PUF 2012, p. 13. Sur la
perception du droit global par ceux qui portent aujourd’hui cette école, voir infra, n° xxx. 4 Il y a des exceptions. On signalera en particulier, l’ouvrage de J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, Dalloz,
5ème éd., 2012, spéc. Titre 2 (« L’application du droit ») de la seconde partie (« La mise en œuvre du droit ») où
l’auteur dévoloppe quatre thèmes : l’interprétation, le raisonnement juridique, le mouvement dialectique
fait/droit et le juge et le procès. 5 Pour une présentation synthétique de l’évolution qu’a connue le statut de la jurisprudence dans différents
environnements juridiques et à différentes époques, voir, avec les références citées : Ph. Jestaz, Les sources du
droit, Dalloz, 2005, p. 47 et s. Sur les rapports dialectiques entre la loi et la jurisprudence, voir F. Zenati, La
jurisprudence, Dalloz, 1991.
23
plus ou moins assurée, au caractère juridique ou non juridique de cet emprunt, il n’est pas plus
renseigné, nous le verrons, sur la place occupée par cet emprunt dans une approche
dynamique d’application du droit par le juriste à une échelle potentiellement mondiale1.
12. Une deuxième voie s’attache à identifier les systèmes juridiques et les rapports qui se
nouent entre eux. Cette voie a été ouverte par Santi Romano2 dans un travail reçu, nous
l’avons déjà signalé, comme le berceau du pluralisme juridique. Rappelons brièvement que
l’auteur s’est donné pour ambition « de faire entrer dans le monde juridique ce fait de l’ordre
social que l’on tenait généralement pour antécédent au droit »3. Il propose une définition de
l’ordre juridique capable de dépasser le seul modèle étatique. Il définit un critère de
« relevance » permettant de conduire les rapports entre deux ordres juridiques distincts.
Un travail sur le pluralisme juridique mondial appliqué ne pourrait certainement pas être
mené aujourd’hui sans l’œuvre léguée par Santi Romano. L’existence d’une pluralité de
systèmes juridiques et les difficultés nées de la définition des rapports qui se nouent entre eux
sont, en effet, omniprésentes dans une recherche de ce type.
Pour autant, il n’est pas certain que cette réflexion menée autour de la définition de « l’ordre
juridique » nous permette aujourd’hui d’affronter l’ensemble des difficultés inhérentes à
l’application du droit dans le contexte national, international et européen. Qu’il soit possible
çà et là de reconsidérer les rapports entre des systèmes juridiques différents au départ de la
notion « d’ordre juridique » est une chose4. De là à en tirer un enseignement de portée
générale sur les rapports entre les systèmes dans le triple contexte national, international et
européen, en est une autre. Le « fait de l’ordre social » considéré par Santi Romano dans la
première moitié du 20ème siècle à travers le prisme de « l’institution » que l’auteur a
emprunté à Maurice Hauriou, ne correspond plus à notre environnement contemporain. La
multiplication des « institutions » publiques et privées de dimension nationale, internationale
et européenne, les manières extraordinairement diversifiées dont ces institutions interagissent
les unes sur les autres, dont les situations se déplacent des unes vers les autres, etc., justifient
1 Sur des discussions de ce type, à propos notamment de la place du droit national en droit international et
européen et sur l’emprunt extensif de solutions de droit international et européen dans le contexte national, voir
infra, n° xxx. 2 S. Romano, L’ordre juridique (1918-1945), trad. P. Gothot et L. François de la 2ème édition, éd. Sirey 1975,
rééd. Dalloz, 2002, préface P. Mayer. 3 Note à la deuxième édition, préc., p. 30.
4 Voir à propos des rapports entre les ordres juridiques étatiques et les systèmes de droit international uniforme
(exclusion étant faite du droit européen) et de leur incidence sur le jeu des conflits de lois, la thèse de D. Sindres,
La distinction des ordres et des systèmes juridiques dans les conflits de lois, LGDJ, 2008.
24
que le point de départ d’une étude qui se donne pour objectif d’expliciter le pluralisme
juridique mondial appliqué soit différent de celui considéré il y a près de cent ans. Or ce point
de départ ne saurait être la théorie d’une théorie, ni même une théorie tout court et encore
moins son application mécanique. Le seul point d’ancrage qui vaille pour ce travail, c’est
l’explicitation d’un phénomène, préalable à toute approche en amont.
13. La même justification peut être donnée au refus qui est le nôtre d’inscrire cette
recherche sous le sceau d’un monisme, dualisme ou pluralisme affiché. On a parfaitement
montré qu’une analyse des rapports entre les systèmes, obnubilée par des lectures dualistes et
monistes1, fortement relativisées aujourd’hui
2, est proprement incapable de rendre compte
d’une approche pluraliste des systèmes juridiques3. La variété des situations fait, qu’aucune
lecture - moniste, dualiste (ou même pluraliste) - des rapports de systèmes ne s’impose
définitivement sur les autres. Le fait est, nous l’observerons tout au long de ce travail, que les
situations que l’on rencontre aujourd’hui (c’était sans doute déjà vrai hier) ne peuvent être
immuablement réduites à l’une ou l’autre de ces figures algébriques. Selon le contexte dans
lequel elles évoluent, selon le résultat recherché par le juriste, l’approche peut basculer d’un
état à un autre. Plutôt que de partir de l’une ou l’autre de ces théories, il faut considérer ces
situations et rechercher dans quelle mesure ces dernières sont animées par des mécanismes
sous-jacents dont nous n’aurions pas encore pleinement pris conscience.
14. La troisième voie est celle de la résolution des conflits de droits. L’expression
« conflits de droits » désigne, dans le champ de cette étude, les hypothèses de conflit entre les
droits de dimension nationale, internationale et européenne. Il peut s’agir de droits objectifs
(le droit français qui entre en conflit avec le droit international et le droit européen, etc.) ou
même parfois de droits subjectifs définis dans ces différents contextes (par exemple, la
confrontation d’un droit de grève défini notamment par un droit national et d’une liberté
économique de circulation ou de concurrence posée par le droit européen ou international).
1 Pour une présentation synthétique des différentes thèses dualistes et monistes, voir par exemple, A.
Berramdane, La hiérarchie des droits – Droits internes et droits européen et international, L’Harmattan, 2002,
spéc. p. 17 et s. 2 M. Virally, "Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes", Mélanges Rolin,
Pedone 1964, 488 ; voir plus récemment, à titre d’exemple, militant en faveur une lecture irréductiblement
dualiste du système juridique français présenté généralement comme moniste : A. Pellet, Vous avez dit
« monisme » ? Quelques banalités de bon sens sur l’impossibilité du prétendu monisme constitutionnel à la
française, publié in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Economica, 2006, 827 ;
M. Troper, Le pouvoir constituant et le droit international, Recueil des cours de l’Académie de droit
constitutionnel, 2007, vol. XVI, 357. 3 Voir sur ce point, la démonstration de D. Boden, Le pluralisme juridique en droit international privé, Arch. de
Philo du droit 2006, t. 49, Le pluralisme, préc., p. 275.
25
Dans un environnement de pluralisme juridique mondial appliqué, la figure du conflit peut
sembler omniprésente. L’application du droit dans un triple contexte national, international et
européen fait naître toutes sortes de contradictions formelles ou matérielles entre les normes
que le juriste peut souhaiter catégoriser (par exemple, en distinguant, comme on l’a fait à
l’origine outre-Atlantique, les vrais des faux conflits1) pour essayer de dégager des solutions à
chacun des conflits. Nous savons également que la figure du conflit sert véritablement de
matrice à certaines matières ou grandes questions juridiques (le droit des « conflits de
conventions », le droit des « conflits de lois » ou de « juridictions » et, au-delà, le droit des
« conflits de normes »2).
Sans même chercher d’emblée à minimiser les phénomènes de conflit que le juriste a souvent
tendance à exagérer3, le fait est qu’il n’existe pas au jour d’aujourd’hui « un droit » des
conflits de normes organisé, qui peut être déployé en toutes matières comme il existe, par
exemple, pour les situations privées internationales, un droit des conflits de lois (droit
international privé) ou, pour les situations de droit international public, un droit des conflits de
conventions. Dans un environnement de pluralisme juridique mondial, le juriste ne dispose
pas d’une seule boîte à outils pour résoudre des conflits entre le droit national, international et
européen. Il est obligé de décliner les différents conflits en distinguant les situations selon
qu’elles relèvent d’un environnement national, international ou même européen d’application
du droit. Chacun de ces contextes livre, en effet, des méthodes et solutions juridiques
permettant d’arbitrer l’application éventuellement concurrente de ces différents droits4.
1 Le premier auteur à avoir, semble-t-il, rendu compte de cette distinction d’origine américaine en France est B.
Audit dans sa thèse (La fraude à la loi, Dalloz, 1974). De nombreux travaux sont aujourd’hui consacrés à cette
doctrine américaine. Voir en particulier, avec les nombreuses références étrangères citées : D. Bureau et H. Muir
Watt, Droit international privé, 2me éd., PUF, T. 1, n° 358. 2 Pour une présentation systématique des différentes hypothèses de conflits autour de la figure générale « du
droit des conflits de normes », voir P. Deumier, Introduction générale au droit, LGDJ, 2011, pp. 265-335. 3 Voir en prolongement sur ce thème, nos développements infra, n° xxx. Observons, tout de même, que certaines
hypothèses de conflit appellent des constructions inversement proportionnelles aux occurrences de conflit que le
juriste est pratiquement amené à résoudre. Par exemple, la figure du conflit entre la norme constitutionnelle
nationale et le droit international ou européen ou entre le droit international et le droit européen est à l’origine
d’une littérature fleuve alors que nombreuses sont les voies qui permettent de poser la relation entre ces
différents droits autrement qu’en ces termes. Parfois le juriste va plus loin. Il fantasme des situations de conflit.
Par exemple, l’idée aussi répandue que fausse est régulièrement avancée (au départ de trois ou quatre décisions
de justice, toujours les mêmes) que le droit européen se serait construit sur les bases d’une mise en concurrence
ouverte des droits nationaux des Etats membres. Pour une réfutation de cette idée en considération des théories
économiques de la « regulatory competition », d’une part, et des ressorts de la construction européenne, d’autre
part, voir notre étude avec S. Harnay (économiste), Les analyses économiques de la concurrence juridique : un
outil pour la modélisation du droit européen ?, RIDE 2011, 165). 4 Pour le traitement cloisonné des différentes situations dans le contexte national, international ou européen, voir
infra, Partie 3, Chapitre 1.
26
15. Face à cette situation, la tentation peut être grande de décloisonner « par le haut » les
spécialités juridiques. Si l’on s’en tient à la démarche suivie par des juristes privatistes1, on
observe ainsi une tendance déjà ancienne consistant à utiliser et enrichir le prisme du conflit
de conventions internationales comme outil de résolution des conflits de traités et accords
internationaux susceptibles de naître à l’occasion de situations de droit privé international2.
Aux critères classiques de résolution de ces conflits (lex posterior, lex specialis, res inter alios
pacta), ont été ajoutés, par exemple, la théorie de l'efficacité maximale3, le respect des valeurs
ou, plus exactement, de certaines valeurs supposées avoir l'ascendant sur d'autres4, le recours à
la volonté des parties au litige5 ou encore, le jeu d’un principe général du droit d'harmonie
matérielle des solutions6.
16. Des travaux plus récents s’inscrivent dans cette dynamique au départ des outils du
droit international privé. Des expressions et mécanismes du droit des conflits de lois (lato
sensu) sont employés pour décrire des processus d’application du droit, non pas seulement de
source étatique et de niveau national, mais également a-étatique, international et,
éventuellement, européen7. Ces différentes initiatives ambitionnent, à des degrés divers, de
résoudre des conflits de droits qui se développent dans un contexte national, international et
européen par l’énoncé, en amont, de règles de conflit d’un genre renouvelé en s’appuyant sur
les innombrables ressources du droit international privé. Des règles de ce type seraient
notamment amenées à se développer dans toutes les situations qui impliquent un
1 Des juristes publicistes se tournent également vers des techniques de droit privé si ce n’est de résolution des
conflits de normes, du moins d’appréhension de ces conflits. Par exemple, les expressions forum shopping ou
law shopping occupent une place grandissante dans les travaux de droit international public alors
qu’historiquement, c’est chez les privatistes internationalistes qu’elles ont fait florès. Voir, à ce titre, les
réflexions croisées proposées in M. Forteau, J.-S. Bergé, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin (dir.), La
fragmentation du droit applicable aux relations internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes
et publicistes : Pedone, 2011. 2 Sur les rapports de conflit entre les sources conventionnelles, voir le travail accompli par F. Majoros, Le droit
des conflits de conventions, Pedone, 1980. Voir, plus récemment : C. Brière, Les conflits de conventions
internationales en droit privé, LGDJ 2001 ; D. Bureau, Les conflits de conventions, Travaux du Comité français
de droit international privé, Pedone 2001, p. 201 ; L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit
international privé (Étude de droit international privé de la famille)", LGDJ 2001.
3 F. Majoros, préc.
4 D. Bureau, préc. et C. Brière, préc.
5 C. Brière, préc.
6 L. Gannagé, préc. 7 On peut, à ce titre, signaler deux initiatives marquantes : un cours à l’Académie de droit international de La
Haye (W. van Gerven, Plaidoirie pour une nouvelle branche du droit : le « droit des conflits d’ordres juridiques »
dans le prolongement du « droit des conflits de règles », RCADI 2011, T. 350, p. 11) et un programme de travail
collectif (dir. H. Muir Watt et D. F. Arroyo, Private International Law as Global Governance, Sciences Po,
Paris : http://blogs.sciences-po.fr/pilagg/).
27
chevauchement des constructions de droit international public, de droit international privé et
de droit européen. Ce type de chevauchement tient au fait que les trois matières juridiques
n’ont pas de périmètres véritablement propres. En effet, le droit international public et le droit
européen se définissent principalement par l’origine de leurs règles alors que le droit
international privé se construit par référence aux situations de droit privé international
auxquelles il s’applique. Il est donc parfaitement envisageable qu’une règle de droit
international public (un traité international) ou de droit européen (un texte de droit dérivé)
s’applique dans une situation de droit privé international, concurremment à un ou plusieurs
droits nationaux. Des règles de conflit de droits sont également envisagées à propos du droit
transnational qui se développe dans certains domaines où les sujets privés de droit s’efforcent
d’organiser leurs relations sans recourir à des mécanismes d’origine étatique.
Ce type de travaux poursuit, nous semble-t-il, divers objectifs. Un premier objectif consiste,
pour des spécialistes d’une discipline juridique, à reconsidérer les fondamentaux de leur
matière compte tenu, disons-le rapidement, des évolutions du monde. C’est l’effort déployé,
par exemple, par une doctrine de droit international privé qui considère que les solutions
construites sur le postulat d’une équivalence des lois et juridictions nationales, c’est-à-dire
d’une totale substituabilité des ordres juridiques nationaux censés appréhender de manière
complète et cohérente l’ensemble des situations de droit privé, ne tient plus aujourd’hui du
fait du développement du droit international, régional et transnational1. Un autre objectif,
autrement plus ambitieux, consiste à imaginer que les concepts développés au départ d’une
discipline, en l’occurrence le droit international privé, sont de nature à appréhender les
questions de gouvernance mondiale ou globale2.
17. Aucun de ces deux objectifs ne sera repris dans notre travail. Outre le fait, déjà
signalé, que nous ne croyons guère à l’émergence d’une science juridique globale, capable de
s’imposer, à l’image de l’économie, aux acteurs du monde entier3, une analyse en termes de
« pluralisme juridique » ne peut, sauf à détruire les bases sur lesquelles elle repose, se traduire
1 Sur la présentation des postulats classiques du droit international privé, voir, par exemple, M.-L. Niboyet et G.
de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, 3ème éd. 2001, n° 7. 2 Pour un plaidoyer en faveur d’une reconsidération du droit international privé comme outil de gouvernance
globale, H. Muir Watt, Private International Law Beyond the Schism, Transnational Legal Theory (2011) 2(3),
347. 3 Si l’on adhère, au moins partiellement, à l’idée selon laquelle les juristes construisent « leur propre monde »
(voir sur ce thème la préface de M.-A. Hermitte et P. Napoli au premier ouvrage d’anthologie des écrits du
romaniste Yan Thomas, Les opérations du droit, éd. EHESS, Gallimard, Seuil, 2011), on se gardera de penser
que les juristes sont plus légitimes que d’autres à « faire le monde ».
28
par la domination d’une discipline juridique sur les autres.
Or c’est bien de cela qu’il s’agit. L’appréhension d’une situation à un niveau national - ce qui
est le propre, historiquement, du droit international privé : des lois nationales et des juges
nationaux - n’a rien de commun avec l’appréhension d’une situation dans un contexte de droit
véritablement international, de droit européen ou a fortiori de droit transnational. Les juristes
qui travaillent dans ces différents contextes n’ont pas été formés aux mêmes écoles. Ils
n’utilisent pas les mêmes outils institutionnels et matériels. Ils ne répondent tout simplement
pas aux mêmes questions juridiques. Le constat vaut pour toute une série de sujets qui seront
abordés dans l’ouvrage (par exemple : l’attribution d’une nationalité à un individu, la
reconnaissance d’une immunité de juridiction ou d’exécution à un Etat, la réalisation d’un
droit subjectif, le jeu d’une règle d’ordre public, etc.). Il est également pertinent sur le terrain
de la recherche du droit applicable dans l’espace1.
C’est pourquoi, nous ne pouvons adopter comme postulat, le cadre méthodologique d’une
spécialité - aussi noble et aussi riche qu’elle soit - au détriment de toutes les autres. Dans un
environnement pluraliste, le juriste doit essayer d’apprendre à penser les questions de manière
plurielle en rendant compte, autant que possible, des différentes rationalités en présence.
18. Quoi qu’il advienne du développement futur « d’un droit des conflits de Droits », une
dernière observation devrait achever de nous convaincre que la résolution de ces conflits n’est
pas de nature à régler, en amont, toutes les difficultés inhérentes au pluralisme juridique
mondial appliqué.
1 Voir, par exemple, le traitement comparé en droit international public et en droit international privé de la
question du droit applicable proposé par l’internationaliste publiciste M. Forteau qui montre que les
questionnements ne peuvent être placés à un même niveau (Forum shopping et fragmentation du droit applicable
aux relations internationales - Le regard de l’internationaliste publiciste, in La fragmentation du droit applicable
aux relations internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes, préc., spéc. p. 148
et s). On peut développer le même type d’analyse en droit européen. Combien de fois des arrêts de la Cour de
justice de l’Union européenne, ne statuant pas sur une question de droit international privé, ont été lus comme
emportant un enseignement de droit international privé (voir, par exemple, l’arrêt « Centros » (CJCE 9 mars
1999, aff. C-212/97) compris, à de multiples reprises, comme interdisant aux Etats membres de recourir
dorénavant en droit des sociétés au critère du siège réel, lecture qui a été contredite par la jurisprudence
ultérieure : CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06) alors que si le droit international privé permet de
manier avec une grande dextérité la distinction « national » / « étranger », il a les plus grandes difficultés à
intégrer une dimension « européenne » à ses constructions (voir sur ce thème, notre échange avec E. Pataut : La
distinction national, étranger et européen, Chronique du CEJEC, LPA 2008, n° 221, 5 et s.) ? On assiste ainsi
parfois à une véritable « extrapolation » du droit européen, qui, si elle trouve une résonance en droit international
privé, n’en n’a aucune en droit européen. C’est donc qu’il faut dissocier les raisonnements, selon que l’on se
place sur un terrain ou sur un autre, en évitant de confondre un droit et le discours qu’on peut tenir sur lui au
départ d’un autre droit. Sur cette figure rhétorique de l’extrapolation, voir infra, n° xxx).
29
Nous l’avons déjà indiqué à plusieurs reprises dans cette introduction : le propre de ce
pluralisme est de désigner les hypothèses où plusieurs Droits de dimension nationale,
internationale et européenne s’appliquent à une situation donnée. Ces hypothèses excluent
nécessairement les cas où une règle de conflit (conflits de lois, conflits de conventions, etc.)
est intervenue en amont pour désigner un seul et unique Droit applicable. Ces cas existent fort
heureusement. Le juriste ne baigne pas dans un état de pluralisme permanent. Mais ces cas
sortent de notre champ d’étude. Par définition, nous nous intéressons aux seules hypothèses
où plusieurs Droits, évoluant dans des contextes différents - national, international et
européen -, s’appliquent à une situation donnée.
Or la diversité des situations et des exemples qui seront envisagés dans cet ouvrage montre
que la résolution en amont des soi-disant « conflits de Droits » ne peut pas être la seule, ni
même la principale préoccupation du juriste. Ce qui pêche, ce n’est pas l’absence de « règle
de conflit », mais l’absence de « véritable conflit » entre des Droits de dimension nationale,
internationale et européenne qui, le plus souvent, n’entretiennent pas entre eux des rapports de
stricte substituabilité1. Ils s’appliquent ensemble à un cas donné car bien souvent ils ne
portent pas exactement sur le même objet2. Le juriste doit apprendre à maîtriser ces situations
en abandonnant l’illusion qu’il peut les traiter en amont par l’élection d’un seul Droit
applicable. Il doit abandonner le prisme du conflit à résoudre, compris comme le préalable
indispensable à toute analyse.
19. La quatrième voie que le juriste peut être tenté d’emprunter pour appréhender la
question de l’application du droit dans le contexte national, international ou européen par une
construction en amont est la quête d’un droit global ou d’une gouvernance globale. Elle n’est
pas très différente des trois premières voies qui ont été envisagées. Mais elle s’inscrit dans un
courant dominant : celui emprunté notamment par une myriade de programmes de recherche
nationaux, internationaux et européens qui dépassent le petit monde des juristes mais
auxquels ces derniers ont pris part, à juste titre3.
La quête d’un droit global est devenue progressivement, ces dernières années, le nouveau
graal d’une expertise juridique mondiale qui souffre, incontestablement, du même phénomène
1 Sur cet état d’incomplétude des systèmes juridiques dans leur aptitude à s’appliquer à des situations juridiques,
voir infra, n° xxx. 2 Sur cette altérité des droits en présence, voir infra, n° xxx.
3 A titre d’illustrations, on consultera, par exemple, les programmes français ANR (http://www.agence-
nationale-recherche.fr/) et européens ERC (http://erc.europa.eu/) proposés sur ces thématiques.
30
de massification et de standardisation que celui que l’on peut observer dans d’autres domaines
de l’activité humaine. L’essentiel de la réflexion est aujourd’hui mené principalement en une
langue1 et pour permettre aux analystes de se distinguer les uns des autres, le vocabulaire
prolifère dans un état d’abstraction toujours plus grand2.
20. Par manque de visibilité, il nous est proprement impossible de rendre compte de ce qui
ressemble fort au développement d’une pensée « post-moderne » (ou « post-post-moderne »,
selon l’idée que l’on se fait de son état d’évolution). On se contentera donc de dire très
simplement, au départ de trois travaux précurseurs, quoique relativement récents, que notre
étude n’a aucunement l’ambition de prendre part à la définition d’un droit global.
La quête d’un droit global peut être, tout d’abord, tournée vers la figure d’un « droit construit
sans l’Etat » et qui ambitionne de répondre à des problématiques planétaires (environnement,
finance, énergie, responsabilité sociale, etc.)3. Elle peut également emprunter la voie d’une
approche dialectique du droit, celle d’un « droit en réseau », mettant en relation une multitude
de cercles de production du droit, approche qui entend dépasser, sans l’exclure véritablement,
la figure d’un droit monolithique, construit sur mode pyramidal4. Elle peut, enfin, se donner
pour objectif de rassembler sous un même label, celui d’un « pluralisme ordonné »,
l’ensemble des tensions qui caractérisent une dynamique contemporaine de fabrication du
droit par tous les acteurs : organisations internationales, régionales, Etats, entités privées5.
Aucune de ces démarches ne sera suivie dans ce travail parce que notre but, encore une fois,
1 Le recours systématique à l’anglais conduit les auteurs, y compris ceux de langue maternelle autre, à ne plus se
référer qu’aux écrits rédigés dans cette langue. Les mêmes références alimentent ainsi en boucle une doctrine
juridique qui s’appauvrit au fur et à mesure qu’elle s’élève dans des cercles de plus en plus étroits. Même avec la
meilleure volonté du monde, il est très difficile de lutter contre ce phénomène, d’autant qu’il ne faudrait
privilégier théoriquement aucune langue, ni l’anglais, ni sa langue maternelle, objectif difficile à réaliser en
« toutes langues » chaque fois que le sujet traité est de dimension vaste. 2 Pour une dénonciation du phénomène de prolifération du vocabulaire à propos des interactions « droit
international et droit européen », voir notre chronique : Les mots de l’interaction : compétence, applicabilité et
invocabilité (à propos de CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10 - CJUE, 15 mars 2012, SCF, aff. C-135/10 -
CE, 11 avril 2012, GISTI, req. n° 322326), in « Interactions du droit international et européen », JDI 2012, 1005.
Ce phénomène est particulièrement visible dans les études qui se donnent pour ambition de redécouvrir une
réalité au départ d’un mot « nouveau ». Il faut, en effet, se méfier de ces réflexions en forme de « sur-couches »,
portées par un vocabulaire toujours plus sophistiqué et qui éloignent progressivement les analystes de l’objet
initialement étudié. 3 Voir, toujours cité, G. Teubner, The Two Faces of Janus: Rethinking Legal Pluralism, 1992 (13), Cardozo Law
Review, 1443 ; comp. du même auteur, Global Bukowina : Legal Pluralism in the World Society, in Global Law
without a State, Dartmouth, Aldershot, 1997, p. 3. 4 F. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit : Bruxelles,
2002. 5 M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit, T2. Le pluralisme ordonné, éd. Seuil, 2006 (traduit en
anglais par N. Norberg : Ordering Pluralism : A Conceptual Framework for Understanding the Transnational
Legal World, Hart, 2009).
31
n’est pas de proposer une explication globale du droit. Ce qui est à notre portée, c’est le
travail du juriste compris, au premier niveau, comme l’appréhension concrète des situations
juridiques.
Le traitement de la question en aval : explicitation du travail du juriste confronté à
l’application du droit dans différents contextes national, international et européen
21. Plutôt que de considérer en amont de la mise en œuvre du droit dans différents
contextes national, international ou européen, la construction de méthodes et solutions à
même d’appréhender le pluralisme juridique mondial, il est possible de changer de
perspective. Pour ce faire, il faut s’atteler, en aval de ces méthodes et solutions, à la résolution
des nombreuses difficultés auxquelles le juriste est confronté quand il lui revient d’en faire
application.
Ce changement de perspective présente des points communs avec le travail actuellement
réalisé par un centre de recherches1 et qui préconise une approche pragmatique du droit
global2. En partant, notamment, de l’observation de nouveaux objets du droit (des « objets
juridiques non identifiés » (OJNI), comme par exemple, le contentieux transnational des
droits de l’homme, la corégulation de l’Internet ou encore la responsabilité sociale des
entreprises), ses artisans cherchent à échapper aux définitions préalables du type de celles qui
commandent une approche « en amont », pour mieux redessiner les contours d’un droit qui se
forme hors des cadres théoriques existants.
22. Mais notre démarche n’en est pas moins différente et spécifique. Elle traduit un
déplacement de l’objet d’étude. Nous nous proposons, en effet, d’examiner, non de nouvelles
façons de définir le droit mais bien les manières dont le juriste travaille quand il fait
application du droit dans des contextes national, international et européen potentiellement
différents. Comment cette pluralité de contextes agit-elle sur le maniement des méthodes et
solutions juridiques ?
1 Centre Perelman de Philosophie du droit (Universtité Libre de Bruxelles). Sur « l’Ecole de Bruxelles » dont se
recommande ce centre, voir supra, n° xxx. 2 Pour une présentation et une justification de cette démarche, voir B. Frydman, Comment penser le droit
global ?, in J.-Y. Chérot et B. Frydman (dir.), La science du droit dans la globalisation : Bruylant, 2012, p. 17.
Voir également, du même auteur, Les théories pragmatiques du droit global, in Les théories du droit global, à
paraître.
32
Ce juriste, on peut en avoir toutes sortes de représentations. On peut se limiter à la figure du
juge, maître de l’interprétation du droit1, ou réfléchir à l’existence de la doctrine, chantre d’un
droit savant2, ou, encore, distinguer, par exemple, la famille des juristes de France
3, la
communauté des juristes travaillant au sein d’une institution européenne4 ou, encore, ces
juristes qui évoluent dans des structures à vocation mondiale5.
Toutes ces acceptions sont recevables. Ce qui compte, c’est la pratique du droit par le juriste,
c’est-à-dire, sa recherche d’un résultat. Que le juriste travaille de manière indépendante (un
avocat, un consultant, un magistrat, un notaire, un universitaire) ou sous l’autorité d’une
institution publique (administration) et la subordination d’un organisme privé (organisation
non gouvernementale, entreprise, syndicat, association), il est le plus souvent (pour ne pas
dire toujours) guidé, en effet, par la recherche d’une finalité : la formulation d’une règle,
d’une décision, d’une argumentation, d’une analyse et même d’une théorie (fût-elle la plus
« pure » ou la plus objective), etc.
23. Cette recherche permanente de résultat par le juriste est largement conditionnée par le
contexte - national, international ou européen - dans lequel il est conduit à appliquer le droit.
L’expression « contexte national, international et européen » désigne l’environnement
juridique dans lequel le juriste s’efforce de traiter d’un cas.
Cet environnement peut être essentiellement imprégné de droit national. C’est le lot de la
grande majorité des juristes qui travaillent dans un cadre purement interne. Mais c’est
également le sort du juriste internationaliste privatiste quand il applique une loi nationale ou
saisit un juge étatique désigné par une règle de rattachement. Ce droit interne qui est appliqué
par le juriste n’est pas seulement fait de droit dur (hard law), délibéré, bref de « lois » au sens
légaliste du terme. On peut y trouver également la trace d’un droit révélé, d’un droit spontané
ou d’un droit mou (soft law), par exemple6.
1 Sur la valorisation du rôle du juge par les théories de l’interprétation, spécialement (souvent exclusivement, ce
qui limite considérablement le champ d’investigation) quand ce juge occupe les fonctions d’un juge suprême ou
supérieur : voir, notamment, La théorie de l’interprétation, Revue française de droit constitutionnel, 2002, n° 50. 2 Ph. Jestaz, Ch. Jamin, La doctrine, Dalloz, 2004.
3 J. Moret-Bailly et D. Truchet, Déontologie des juristes, PUF, 2010.
4 J.-P. Jacqué, Les juristes de l’Union -Aperçu sociologique, JCP G 2011, I 1297.
5 Ch. Jamin (prés.), « Table-ronde sur les cabinets d’avocats à vocation mondiale : quelles stratégies pour demain
? », CDEnt. 2011, n° 5, 9. 6 Pour une présentation systèmatique et synthétique des différents sens du mot droit : Ph. Jestaz, Le droit, Dalloz,
7ème éd. 2012.
33
Le contexte international vise l’application par le juriste de méthodes et solutions juridiques
de dimension internationale. C’est le lot des juristes internationalistes, publicistes ou
privatistes, quand ils mettent en œuvre des mécanismes juridiques adaptés à des situations
internationales1. Ces mécanismes peuvent avoir une dimension formelle internationale (un
traité international, une coutume internationale, une procédure devant une juridiction
internationale). Ils peuvent être également de dimension matérielle internationale (par
exemple, une règle nationale destinée à s’appliquer spécifiquement à des situations
internationales : règle de conflits de lois ou de juridictions, règle matérielle substantiellement
internationale comme, par exemple, une règle française d’ordre public international, etc.). Ce
droit international appliqué a parfois une dimension transnationale. Il n’est pas le fruit du
travail des Etats mais résulte de la pratique des opérateurs non étatiques pour régir des
situations spécifiques.
Le contexte européen désigne l’application par le juriste d’un droit qui est élaboré dans un
environnement juridique de dimension européenne. Deux grandes organisations européennes
entendent ainsi fabriquer du droit : l’Union européenne et le Conseil de l’Europe (avec, au
sein de cette deuxième organisation, une place tout à fait particulière occupée par la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et
son juge, la CEDH). Le juriste européaniste qui fait une application quotidienne du droit
européen (lequel peut revêtir également toutes les formes du droit signalées plus haut) est
ainsi amené à s’immerger dans les ressorts d’un droit qui s’est souvent affirmé par son
originalité (relative) par rapport aux constructions définies dans le contexte national et
international2.
24. Ces trois contextes ne sont évidemment pas cloisonnés et le juriste peut, par une
simple manipulation de l’esprit, passer d’un contexte à un autre, certains acteurs occupant
d’ailleurs des positions parfaitement ambivalentes3. Mais ils existent en propre. Ils ont chacun
1 Sur ce thème, voir notamment, S. Poillot-Peruzzetto et J.-P. Marty (dir.), L’internationalité, bilan et
perspectives, Revue Lamy, Supplément n° 46, fév. 2002. Comp. la notion voisine, mais différente, d’extranéité :
E. Wyler et A. Papaux (dir.), L’extranéité ou le dépassement de l’ordre juridique étatique, Pedone, 1999. 2 Pour de plus amples développements sur ce thème, voir, avec les références citées, notre étude : La part
d’originalité du droit communautaire, in Les échanges entre les droits, l’expérience communautaire (dir. S.
Robin-Olivier et D. Fasquelle), éd. Bruylant, 2008, p. 159. 3 C’est le cas du juriste national, chaque fois qu’il doit appréhender une situation privée dans sa dimension
internationale. C’est le cas également, par exemple, du juge national quand il se présente comme le juge
européen de droit commun (pour une présentation de la question et les enjeux de ce dédoublement, voir J.-S.
Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen - Union européenne et Conseil de l’Europe, PUF, 2me éd., 2011, n°
526 et s.). C’est le cas du juge européen (CJUE) chargé d’appliquer au terme d’une clause compromissoire un
34
leur langage juridique, leur rationalité, leurs outils institutionnels et matériels.
Or le pluralisme juridique mondial appliqué permet justement de poser la question de la
manière dont le juriste peut être amené à penser l’application du droit, non pas seulement dans
le contexte qui forme son cadre habituel de travail, mais dans les autres contextes. Quels sont
les outils de travail du juriste quand il s’interroge sur l’application du droit dans un autre
environnement juridique que le sien ?
25. Pour distinguer ces trois contextes national, international et européen, il est utile
parfois de parler de « niveau d’application du droit ». Cette expression n’a pas de valeur
théorique forte. Elle n’a pas vocation, notamment, à désigner un ordonnancement juridique
global où un niveau d’application du droit serait placé de manière immuable et définitive sous
l’autorité d’un autre. Mais elle est parfois éclairante. Elle permet, en effet, de représenter les
hypothèses où un cas est susceptible d’être appréhendé successivement à des étages - national,
international ou européen - différents du droit.
Cette superposition des niveaux (auxquels on peut en ajouter d’autres : local, régional, fédéré,
fédéral, inter-régional, inter-planétaire1, etc.) rend compte des différences qui peuvent
caractériser la manière dont le droit est appliqué dans des contextes distincts. Les méthodes et
solutions juridiques mises en œuvre à un niveau national pour appréhender les situations
juridiques ne sont pas les mêmes que celles mises en œuvre au niveau international ou
européen. Peu importe qu’une même règle juridique tirée du droit national (une loi interne),
international (un traité international) ou européen (un texte de droit européen dérivé) trouve
parfois à s’appliquer à ces différents niveaux. Ce qui importe c’est l’environnement juridique
dans lequel cette application est considérée par le juriste. S’il y en a plusieurs, le juriste doit
se montrer capable de renouveler son analyse chaque fois qu’il évolue dans un nouvel
environnement.
Le choix d’une méthode élémentaire en trois étapes : comparer, combiner, hiérarchiser
l’application du droit dans le contexte national, international et européen
26. Notre juriste, celui que nous avons présenté au début de cette introduction2, est décidé
droit national à un contrat conclu par l’UE (art. 272 TFUE ; sur l’ambivalence du juge CIRDI à la fois juge
interne et juge international : M. Forteau, Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne,
juge international, ou l’un et l’autre à la fois ?, Mélanges J.-P. Cot, Bruylant 2009, spéc. p. 101). 1 Sur lequel, par exemple : Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes (ONU
- 1979). 2 Voir supra, n° 1.
35
à inscrire sa démarche d’application du droit en considération d’une pluralité de contextes :
national, international et européen. Par où doit-il commencer ? Quelle(s) étapes(s) doit-il
franchir pour aboutir au point ultime de son analyse ?
Pour répondre de manière générale à cette question, et avant de s’attacher au traitement de cas
particuliers, il n’est pas nécessaire de construire un cheminement tortueux. Au contraire, notre
juriste aura suffisamment à faire, nous le verrons, avec la complexité des situations qu’il aura
à résoudre, sans qu’il soit besoin d’en ajouter sur le terrain de la méthode.
Aussi, notre juriste est-il décidé à adopter la méthode la plus élémentaire. Pour cela, il se
représente l’image d’un enfant de 4 ans qui contemple, devant lui, les cubes disposés sur le
sol (comparaison), qui s’efforce de les empiler par deux, par trois, etc., au gré notamment de
leurs couleurs et de leurs tailles (combinaison) et qui, à tout moment, peut décider de se saisir
d’un seul cube en écartant tous les autres (hiérarchisation).
Notre juriste se propose alors de comparer l’application du droit dans les différents contextes
(comparaison), de combiner éventuellement (ce n’est pas systématique) ces applications,
notamment si elles lui permettent d’atteindre un résultat différent de celui obtenu dans chacun
des contextes (combinaison), sachant qu’il a potentiellement la possibilité de se replier, à un
moment ou un autre, sur une application du droit dans un contexte donné, plutôt qu’un autre
(hiérarchisation).
27. Considérée de manière générale, la comparaison est ainsi la première étape que le
juriste doit parvenir à franchir pour tenter d’appliquer le droit dans le contexte national,
international et européen. Cantonné généralement à la seule étude des droits nationaux et à un
exercice de pure connaissance, le « droit comparé » mérite de recevoir une signification plus
large dans la perspective d’un pluralisme juridique mondial appliqué. La comparaison du
droit national, international et européen implique, en effet, une potentielle mise à plat de
l’ensemble des méthodes et solutions susceptibles d’être sollicitées au stade du traitement
d’un cas ou d’une situation juridique. Elle commande une recherche sur la manière dont le
droit peut être appliqué dans un environnement national, international ou européen. Cette
recherche est un préalable. Elle permet, en effet, au juriste de prendre la mesure des
ressemblances et différences caractérisant l’application du droit dans des contextes aussi bien
nationaux, internationaux qu’européens.
L’étape de combinaison du droit national, international et européen est, quant à elle, celle où
le juriste s’efforce d’assembler les méthodes et solutions identifiées au terme d’un travail de
36
comparaison, en vue de construire son raisonnement juridique. Elle peut être pratiquée dans
deux grandes hypothèses : celle où les droits en présence sont complémentaires et
entretiennent un rapport de mise œuvre ; celle où une circulation des situations d’un niveau du
droit à l’autre peut être observée.
Le processus de hiérarchisation des droits permet, enfin, à chaque système juridique, présent
au niveau national, international ou européen, de définir les règles qui occupent une place
dans son ordonnancement juridique. Ce processus peut être considéré de manière cloisonnée
dans un contexte national, international et européen. Mais il a également une dimension
dynamique où l’application des constructions hiérarchiques à différents niveaux conduit à des
phénomènes d’interaction. A ce titre, deux scénarios doivent être soigneusement distingués.
Le premier met en scène un juriste qui en appelle à une application du droit à un niveau, ce
qui revient, pour lui, à faire potentiellement jouer une hiérarchie des normes. Le second
désigne la situation du juriste aspirant à l’application du droit à un autre niveau, ce qui le
conduit à rechercher les manifestations d’une concrétisation d’un droit hiérarchisé appliqué.
28. Les trois temps de la démarche - comparaison, combinaison et hiérarchisation - ne
répondent pas un ordre immuable. Bien des juristes hiérarchisent les applications du droit,
sans même procéder à leur comparaison et, a fortiori, leur combinaison. Mais pour les besoins
de la démonstration et de manière à expliciter l’ensemble des potentialités offertes par le
pluralisme juridique mondial appliqué, nous suivrons cet ordre logique : la comparaison avant
toute chose, puis l’éventuelle combinaison et/ou hiérarchisation.
Le choix d’un mode de démonstration : des situations, des exemples
29. Un travail sur le pluralisme juridique mondial appliqué doit être articulé autour de cas.
Même si notre recherche ne prétend pas avoir, pour l’heure, de dimension véritablement
empirique, elle n’a de sens que si elle met en scène des situations et des exemples.
Le terme situation désigne la question théorique ou pratique que le juriste doit résoudre en
mettant en œuvre les méthodes et solutions juridiques susceptibles d’être appliquées dans les
différents contextes. La situation peut être illustrée par un ou plusieurs exemples. Ces
exemples sont tirés d’une pratique du droit qui a existé à l’occasion d’un cas donné ou ils
résultent de scénarios inventés pour les besoins de la démonstration.
Ainsi, total, ce sont près de 250 situations et exemples qui sont passés en revue dans cet
ouvrage.
37
30. Ce mode de présentation autour de situations et d’exemples poursuit trois objectifs. En
déclinant différents cas de figure, nous formons l’espoir que le lecteur, intéressé par un cas en
particulier, puisse identifier dans l’ouvrage, notamment grâce au sommaire, aux différentes
tables et à l’index, les occurrences de comparaison, de combinaison et/ou de hiérarchisation
qui sont envisagées. Ainsi le lecteur sera conduit à observer que son cas peut être traité de
différentes manières selon la démarche retenue par le juriste. Certains cas se prêtent plus
facilement que d’autres à un traitement multiple. Mais dans toute la mesure du possible, nous
avons essayé de faire en sorte que les mêmes situations et les mêmes exemples soient
présentés sous le triple éclairage de la comparaison, combinaison et hiérarchisation.
En articulant notre démonstration autour de situations et d’exemples, notre deuxième objectif
est de limiter l’immensité du champ d’étude ainsi ouvert par le pluralisme juridique mondial
appliqué. Renonçant, d’emblée, à tout objectif d’exhaustivité, le choix a été fait de
l’exemplarité pour essayer de peindre par petites touches les multiples facettes de ce
pluralisme. Le choix des situations et des exemples a été, d’abord, guidé par nos centres
d’intérêt, même s’il nous a fallu souvent sortir de notre domaine de spécialité1 pour embrasser
les différents contextes. Ces situations et ces exemples ne sont pas développés en tant que
tels. Leur traitement et les démonstrations qu’ils appellent sont entièrement focalisés sur ce
projet d’étude même si parfois nous nous sommes autorisé quelques petites digressions.
Enfin, le travail mené autour de situations et d’exemples répond à une exigence scientifique
qui est d’essayer de déterminer comment le droit se concrétise. Pour répondre à cette
interrogation absolument redoutable, de multiples voies peuvent être envisagées2. Dans le
champ de cette étude sur le pluralisme juridique mondial appliqué, il nous est apparu
clairement que les réponses devaient être trouvées autrement qu’au terme d’une explication
générale et abstraite. C’est pourquoi notre propos et les quelques éléments de démonstration
qu’il s’efforce de formuler et d’ordonner sont systématiquement logés au cœur de situations et
d’exemples, lesquels sont présentés sous la forme d’encadrés.
1 Droit international privé (notre formation), droit de la construction européenne (notre spécialité) et droit
international et européen de la propriété intellectuelle (notre domaine de prédilection). 2 Deux modes, étrangers à cette recherche, nous viennent immédiatement à l’esprit : la réalisation des droits
subjectifs (sur laquelle, en particulier : H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé - La
théorie des éléments générateurs des droits subjectifs, 1948, rééd. Dalloz, 1991) et le raisonnement judiciaire (sur
lequel, entre autres travaux, on signalera : P. Hurt, Les hypothèses juridiques - Une étude du raisonnement
judiciaire, Thèse Paris I (Panthéon-Sorbonne), 2006 ; M. Troper (dir.), Comment décident les juges, Economica,
2008).
38
PREMIERE PARTIE - LA COMPARAISON DU DROIT NATIONAL,
INTERNATIONAL ET EUROPEEN
31. Rappelons que la comparaison est la première étape que le juriste peut être amené à
franchir pour tenter d’appliquer le droit dans le contexte national, international et européen.
Cantonné généralement à la seule étude des droits nationaux et à un exercice de pure
connaissance, le « droit comparé » mérite de recevoir une signification plus large dans la
perspective d’un pluralisme juridique mondial appliqué. La comparaison du droit national,
international et européen implique, en effet, une mise à plat potentielle de l’ensemble des
méthodes et solutions susceptibles d’être sollicitées au stade du traitement d’un cas. Elle
commande une recherche sur la manière dont le droit peut être appliqué dans un
environnement national, international ou européen. Cette recherche est un préalable. Elle
permet au juriste de prendre la mesure des ressemblances et différences caractérisant
l’appréhension de son cas dans des contextes aussi bien nationaux, internationaux
qu’européens.
Chapitre 1 – La démarche comparative
Chapitre 2 – La comparaison proprement dite
39
CHAPITRE 1 – LA DEMARCHE COMPARATIVE
32. La comparaison du droit national, international et européen s’appuie sur des
présupposés (Section 1). Elle suppose que soit vaincu un certain nombre de préjugés
(Section 2). Elle poursuit différentes finalités (Section 3).
40
Section 1 – Les présupposés
33. La comparaison du droit national, international et européen repose sur deux
présupposés : l’incomplétude des systèmes juridiques dans leur aptitude à appréhender les
situations juridiques (§ 1) et la nécessité de localiser les situations juridiques (§ 2).
§ 1 – Le présupposé de l’incomplétude
34. Le critère de « complétude » alimente des discussions d’ordre théorique sur la nature
et la définition des systèmes juridiques, du droit, des lois, des règles, etc.1. On enseigne
traditionnellement qu’un ensemble de méthodes et solutions juridiques ne peut constituer un
« système juridique » que s’il présente un caractère suffisamment complet. C’est à ce titre
qu’a été âprement discutée, par exemple, l’existence d’un ordre juridique marchand (« lex
mercatoria »)2
Dans un contexte international ou européen, ces discussions sont également susceptibles
d’affecter les organisations interétatiques. Le principe d’attribution des compétences à ces
organisations, la préexistence des États et des droits nationaux font que le droit
« supranational » est généralement présenté comme un droit lacunaire ou subsidiaire3.
L’existence, dans le contexte européen, de droits qui reposent sur un principe d’intégration
juridique ne modifie en rien la donne. Le droit de l’Union européenne (UE) ou de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
1 Pour approche d’ensemble, voir avec les nombreuses références bibliographiques, A.-J. Arnaud (dir.),
Dictionnaire encyclopédique de théorie et sociologie du droit, LGDJ, 2e éd. 1993, Verbis « Incomplétude » et
« Système juridique ». 2 La définition d’une « loi des marchands » a soulevé un débat, notamment en France, sur l’existence d’une
société marchande capable de produire ses propres règles juridiques, en marge de celles construites dans les
enceintes étatiques ou interétatiques. Elle a connu un développement particulièrement significatif en droit du
commerce international où les acteurs utilisent abondamment des outils de source privée ou à caractère spontané
(les contrats internationaux, l’arbitrage international, les usages du commerce international, la jurisprudence
arbitrale, etc.). Un des éléments fort de discussion a porté sur le caractère complet de ce droit. C’est, en effet, la
principale critique (voir notamment en ce sens, P. Lagarde, Approche critique de la lex mercatoria, Mélanges
Goldman, Ed. Litec, 1982, p. 125) qui a été adressée aux thèses développées en France au début des années 1960
(Voir notamment : Ph. Kahn, La vente commerciale internationale, thèse Dijon, Ed. Sirey, 1961 ; B. Goldman,
Frontières du droit et Lex mercatoria, Arch. de Philo du droit, 1964, p. 177) autour de ce droit non étatique. Pour
une analyse renouvelée de ces débats français autour du développement du droit spontané, Voir P. Deumier, Le
droit spontané, Ed. Economica, 2002, notamment § 352 s. et 376 s. Pour une analyse renouvelée de ces
discussions outre-Atlantique autour notamment de l’existence d’un droit privé transnational, G.-P. Callies et P.
Zumbansen, Rough Consensus and Running Code - A theory of Transnational Private Law, Hart, 2012. 3 Voir par exemple, P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8
e éd. LGDJ 2009, n° 389 et s.
41
(CESDHLF) a beau être parvenu à s’émanciper des cadres nationaux et internationaux
existants, il n’en conserve pas moins une nature incomplète1.
Cette analyse n’épargne plus cependant les systèmes juridiques nationaux. Que l’on approuve
ou que l’on regrette cette évolution, le fait est, en particulier, que le développement du droit
international et européen a contraint les États à rogner progressivement sur leur sphère de
compétence. Dans le domaine du droit économique ou des droits fondamentaux, par exemple,
les États subissent des pressions extérieures extrêmement fortes de sorte qu’ils ne disposent
plus d’une totale marge de manœuvre dans la conduite de leur politique juridique. C’est
également le cas dans situations particulièrement exposées au développement d’un droit
transnational défini par des acteurs privés, que ces derniers agissent dans un contexte local,
national, international ou européen.
35. La montée en puissance du droit international et européen et le recul corrélatif du droit
national conduisent à une sorte d’égalisation des droits dans leur aptitude à appréhender les
situations juridiques. Cette évolution exerce nécessairement une influence sur le travail de
comparaison mené au stade de l’application du droit. Sans contester l’utilité théorique de ces
discussions sur le caractère a priori complet des systèmes juridiques, il faut donc bien
admettre qu’elles n’ont aucune incidence sur l’analyse du comparatiste qui s’efforce
d’amorcer un processus de mise en oeuvre du droit.
L’examen des ressemblances et différences entre les différents droits applicables dans le
contexte national, international et européen ne remet pas en cause, en effet, le caractère
complet des différents systèmes en présence. Elle se place sur un autre terrain que celui de la
définition du système juridique, du droit, de la loi ou de la règle. La comparaison a un objectif
essentiellement empirique dans le processus d’application du droit. Elle permet de poser la
question de la propension des systèmes juridiques nationaux internationaux et régionaux à
régir l’ensemble des situations qui se présentent à eux2.
1 Voir sur ce thème : J.-S. Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen (Union européenne – Conseil de l’Europe),
PUF, 2ème
éd. 2011, spéc. n° 59 et s. 2 Ce questionnement n’est pas sans rappeler le théorème de l'incomplétude de Kurt Gödel (E. Nagel, J. R.
Newman, K. Gödel et J.-Y. Girard, Le théorème de Gödel, Éd. du Seuil 1989). On sait que Gödel a démontré en
1931 la nécessaire incomplétude de tout système axiomatique contenant la théorie des nombres. Autrement dit,
selon Gödel, un système ne peut s'auto-justifier, il n'est cohérent que parce qu'il est incomplet. Ramenée à la
science juridique, la théorie arithmétique de Gödel trouve à s'appliquer (voir, par exemple, H. Thevenaz "Le
théorème de Gödel et la norme fondamentale de Kelsen", Droit et Société, n° 4, 1986, 435 et s.). Il est, en effet,
permis de s'inspirer de cette philosophie mathématique pour essayer d'approcher la question des rapports entre
les différents droits sous l'angle de leur incomplétude d’application. Dans cette optique, l'incomplétude ne doit
pas être comprise comme une tare que le juriste aurait pour mission de combattre. Il s'agirait plutôt de considérer
qu'elle constitue une réalité incontournable qui appelle la recherche d'une méthode de travail susceptible d'en
42
36. Prise sous l’angle de l’application, la question de l’incomplétude appelle, en définitive,
le constat suivant : aucun système juridique ne peut prétendre réglementer seul une situation
donnée. Le domaine d’application de tout système juridique est potentiellement concurrencé
par la présence d’autres systèmes juridiques. En ce sens, on peut dire que tout système
juridique est inapte à régir complètement les situations juridiques. Le système juridique n’est
pas en lui-même incomplet. Il s’efforce de définir le plus complètement possible des
solutions. Mais au stade de son application, il doit bien souvent renoncer à appréhender seul
la situation qui se présente à lui. La loi française, par exemple, n’est pas apte à s’appliquer
universellement à toute situation, quelles que soient la matière à laquelle elle se rapporte, sa
localisation dans l’espace et sa fixation dans le temps. Elle est doublement concurrencée. A
son niveau, la loi française coexiste, dans son application, avec d’autres lois nationales. A
d’autres niveaux, notamment international et européen, l’application de la loi française est
concurrencée par des sources internationales et européennes.
C’est cette forme d’incomplétude que s’efforce de prendre en compte l’exercice de
comparaison du droit national, international et européen.
Situation – L’incomplétude des systèmes juridiques dans leur aptitude à régir l’ensemble
des cas juridiques
L’exemple du droit de la propriété littéraire et artistique
La protection internationale et européenne du droit d’auteur et des droits voisins est régie par
des sources informelles (sur le développement d’une lex mediatica, Voir néanmoins A.
Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique, 4ème
éd. LexisNexis 2012, spécialement n° 1392 s.) et formelles. Ces dernières sont, pour
l’essentiel, tirées du droit conventionnel classique (sources internationales), du droit de
l’Union européenne (sources européennes) et du droit étatique (sources nationales). Outre les
sources nationales, on relève que cinq entités participent à l'effort global de définition d'un
régime transnational de protection du droit de propriété littéraire et artistique.
Historiquement, il est revenu à l'OMPI et, dans une moindre mesure, à l'UNESCO et,
accessoirement, au Conseil de l’Europe de forger les règles applicables. Le rôle traditionnel
dévolu à ces trois institutions a été concurrencé par le développement d’organisations
économiques, telles que l’UE et l’OMC. La multiplication des organisations internationales
faciliter la compréhension et de réduire les incohérences ou paradoxes auxquels elle peut conduire. Cette
méthode n’est autre que la comparaison (pour une mise à l’épreuve de cette forme de comparaison entre les
différentes catégories juridiques du droit européen, voir notre étude : Paradoxes et droit communautaire :
observations sur l'interaction des catégories juridiques à partir de données récentes tirées des droits intellectuels
et du droit de la concurrence, JDI 1999, 85).
43
ayant reçu des États une compétence spéciale pour régir le droit de la propriété littéraire et
artistique s'est traduite par l'adoption prolifique de textes nouveaux. Procédant selon la
méthode de l'empilage, ces différents organismes se sont appuyés sur les conventions les
plus anciennes pour élaborer des règles nouvelles. C’est notamment le cas de l’Union
européenne qui a tiré profit de l’acquis conventionnel pour définir un niveau de protection
plus élevé. Le droit national conserve son importance. Il joue un rôle nécessaire de
complément du dispositif international et européen existant.
Ce pluralisme juridique mondial implique qu’aucun système juridique ne peut avoir la
prétention d’appréhender seul l’ensemble des situations juridiques dans ce domaine. Les
droits nationaux entrent potentiellement en conflits, de même que l’application du droit
national est inséparable, bien souvent, des normes de droit international ou européen qui
régissent la matière, y compris dans les situations présentées devant une instance nationale.
L’exemple du droit de la famille
Le droit de la famille relève traditionnellement du droit national. En France, par exemple, les
règles relatives au mariage, au divorce ou à la filiation sont principalement énoncées dans le
Code civil ou, pour des populations autochtones vivant dans certaines régions éloignées (par
exemple, en Nouvelle-Calédonie) par du droit coutumier. Ce droit d’inspiration nationale ou
locale n’échappe pas aux phénomènes d’internationalisation ou de régionalisation du droit.
Ainsi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (COE, 1950) ou, encore, la Convention de New York relative aux droits de
l’enfant (ONU, 1989) sont à l’origine de profonds bouleversements sur des questions aussi
importantes que la représentation dans les procès sur l’autorité parentale des intérêts des
enfants mineurs ou que l’égalité de statut entre les enfants naturels et les enfants légitimes
(Voir sur ce thème : F. Dekeuwer-Défossez (avant-propos), Internationalisation des droits de
l’homme et évolutions du droit de la famille, Actes de journées d’études du LERADP
(Université de Lille II), éd. LGDJ, 1996 ; pour une présentation synthétique des sources du
droit de la famille : Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, éd. Defrénois – Lextenso, 4ème
éd. 2011, § 55 et s.).
Ce pluralisme des sources rejaillit nécessairement sur la question du droit applicable. Aucun
droit – national, international ou européen – ne peut prétendre appréhender seul les situations
relevant traditionnellement du droit de la famille, là où pendant longtemps, le juriste pouvait
se contenter d’avoir recours aux ressources de son seul droit national.
L’exemple du droit pénal
Le droit pénal n’échappe pas non plus au développement du pluralisme juridique mondial.
Un exemple peut être donné en matière de lutte contre le trafic de drogue (P. Pourzand,
44
L’internationalisation pénale en matière de trafic de drogue – Etude critique de
l’enchevêtrement des espaces normatifs, éd. LGDJ – Fondation Varenne, 2008). Les
solutions mises en œuvre pour tenter de lutter contre un commerce mondial ont pendant
longtemps été le fait des seuls rapports d’États à États. Un droit de dimension globale
(Nations Unies, par exemple) ou régionale (Union européenne, par exemple) s’est
progressivement développé de manière autonome.
Il en résulte une imbrication très forte des différentes sources en présence qui, le plus
souvent, se combinent pour appréhender les situations juridiques. Les règles internationales
(convention d’entraide judiciaire) et européennes (mandat d’arrêt européen) s’ajoutent aux
règles nationales (règles de fond et de procédure) pour appréhender le plus complètement
possible une situation qu’aucun système juridique ne peut prétendre régir seul.
L’exemple des droits de l’homme
Un autre exemple concerne l’affirmation des droits de l’homme. Proclamés dans le contexte
national par différents textes fondateurs (en Angleterre : Bill of rights de 1689 ; en Virginie :
la Déclaration de 1776 ; en France : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789, Préambules des Constitutions de 1946 et 1958), ils ont peu à peu pris place dans
l’environnement international (notamment : Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948, Pactes internationaux relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels et aux
droits civils et politiques de 1966, ONU) et européen (notamment : Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, COE ; Charte
des droits fondamentaux de 2000, UE). Pour une présentation d’ensemble, voir F. Sudre,
Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 10ème éd., 2011.
Ce pluralisme des sources pose question sur l’aptitude de ces différents instruments à faire
vivre une vision réellement pluraliste des droits de l’homme (M. Delmas-Marty, Les Forces
imaginantes du droit – 1. Le relatif et l’universel, éd. Seuil 2004, spéc. p. 55 et s.). La
discussion a une importante portée pratique, dès lors que les sources en la matière s’ajoutent
volontiers les unes aux autres pour appréhender les situations juridiques. Aucune source en
la matière ne peut prétendre régir, à titre exclusif, l’ensemble des situations juridiques. Or la
référence par le juriste à une source plutôt qu’une autre, à toutes les sources potentiellement
applicables plutôt qu’à une seule (etc.), peut avoir une incidence sur le traitement des
situations. Elle n’est jamais anodine.
Voir en comparaison, pour le continent africain, F. Viljoen, International Human Rights Law
in Africa, Oxford University Press, 2012 : qui structure la protection des droits de l’homme
par une juxtaposition des systèmes de protection au niveau global, régional, sous-régional et
national susceptibles d’être mobilisés pour appréhender des situations sur ce continent.
45
L’exemple du droit du sport
Le pluralisme juridique mondial frappe également des domaines d’activité très spécialisés.
Le droit du sport en est un exemple parmi d’autres. Les rapports du footballeur français avec
son club italien intéressent les droits construits à l’intérieur de ces deux pays, qu’ils soient
d’origine étatique ou privée (fédérations sportives nationales), celui de l’Union Européenne
(notamment les libertés de circulation, voir le célèbre arrêt Bosman : CJCE, 15 décembre
1995, Bosman, aff. C-415/93) et, bien entendu, le droit transnational des institutions
internationales de ce sport (par exemple, la Charte du football élaborée par la FIFA ; sur ce
thème, voir F. Latty, La lex sportiva – Recherche sur le droit transnational, éd. Martinus
Nijhoff Publishers, 2007).
L’activité sportive et le statut des joueurs ne peuvent être enfermés à l’intérieur d’un seul
système. Les différents droits coexistent et ont vocation à interagir les uns avec les autres
devant des instances nationales, internationales ou européennes. Par exemple, la question de
la nationalité sportive d’un joueur, qui est parfois débattue au moment de la formation des
équipes nationales, se règle par référence à des solutions juridiques définies, non pas
seulement au niveau national, mais également au niveau international et éventuellement
européen (sur ce thème, voir J. Guillaumé, L’affaiblissement de l’État-Nation et le droit
international privé, LGDJ, 2011).
§ 2 – Le présupposé de la localisation
37. Pour que le juriste puisse se reconnaître dans le dédale des droits potentiellement
applicables dans le contexte national, international et européen, il est pour lui nécessaire de
faire un travail d’identification des différents lieux d’application du droit (A) et des acteurs
potentiels de cette application (B).
A - Les différents lieux d’application du droit
38. Une approche délibérément ouverte de la comparaison rend compte de la situation où
un droit national, international ou européen peut être appliqué hors du contexte qui lui a
permis de voir le jour. Les méthodes et solutions juridiques nationales, internationales et
européennes sont dès lors inséparables de l’espace dans lequel elles sont mises en œuvre. Il
est impossible d’affirmer avec certitude qu’un principe, une règle ou une décision produisent
exactement le même effet, quel que soit le lieu de leur mise en œuvre. Cette dernière est
contingente. Elle peut fortement varier selon le contexte d’application du droit considéré.
39. L’observation n’est pas nouvelle dans le contexte national, pour l’application du droit
étranger, du droit international uniforme et du droit dérivé de l’Union européenne.
46
Situation – L’application du droit étranger en droit national
L’exemple de l’application de la loi étrangère par le juge national
Quand un juge national est amené à appliquer une loi étrangère en vertu d’une règle de droit
international privé ou, plus exceptionnellement, de droit administratif international, il se peut
que le statut de la loi étrangère diffère de celui reconnu à la loi nationale. Par exemple, en
France, on sait que la Cour de cassation refuse d’exercer son contrôle quant à l’interprétation
du droit étranger. Seul est sanctionné le cas de dénaturation du droit étranger, c’est-à-dire
une altération du texte de la loi étrangère (M.-N. Jobard-Bachellier et X. Bachellier, La
technique de cassation, 7ème éd. Dalloz, 2010, spéc. p. 78). Ce traitement du droit étranger
est potentiellement différent de celui réservé au droit national dans les matières où la Cour de
cassation exerce un contrôle très étroit de l’interprétation de la loi donnée par les juges du
fond (par exemple, sur la définition de la faute au sens de l’article 1382 du Code civil). Cette
attitude de la Cour de cassation, qui s’explique par le fait qu’elle n’entend pas donner une
interprétation uniforme du droit étranger, là où c’est son rôle pour le droit français, montre
qu’un droit national peut subir un traitement juridique différent selon le lieu où il est
effectivement appliqué.
Pour établir la teneur du droit étranger, on utilise volontiers en France ce que l’on appelle un
« certificat de coutume ». Cet acte est une attestation écrite d’origine publique (un consulat,
par exemple) ou privée (un juriste, avocat ou professeur de droit) sur la teneur d’un droit
étranger, produite en vue d’une occasion déterminée. Sa teneur peut être reconsidérée à
l’aune de tout élément de nature à favoriser la preuve du droit étranger. Parmi ces éléments,
les interprétations données par la jurisprudence étrangère du droit étranger constituent des
éléments de premier ordre. Ce sont ces éléments qui sont ainsi amenés à circuler d’un ordre
juridique à un autre. Des instruments de coopération judiciaire permettent parfois cette
circulation (Convention européenne relative à l’information sur les droits étrangers (COE –
1968) ; Réseau judiciaire européen (UE – 1997)). Sur la question de manière générale, voir
Répertoire de Droit international – Dalloz, V° Loi étrangère par H. Muir Watt, 2009. Pour
des éléments de comparaison, voir, B. Fauvarque-Cosson, Foreign Law before the French
Courts: the Conflicts of Law Perspective, in Comparative Law Before The Courts, G.
Canivet, M. Andenas, D. Fairgrieve (ed.), BIICL 2004, 3.
Situation – L’application du droit international uniforme dans deux États différents
L’exemple des interprétations nationales divergentes d’une loi internationale uniforme : le
cas célèbre de la jurisprudence « Hocke »
Une jurisprudence ancienne, qui est demeurée célèbre (arrêt Hocke : Cour de cassation,
Com., 4 mars 1963, JDI 1964, p. 806 note B. Goldman ; P. Lagarde « Les interprétations
47
différentes d’une loi uniforme donnent-elles lieu à un conflit de lois ? » : RCDIP 1964,
p. 235) a mis en lumière une possible interprétation divergente d’une convention
internationale portant unification des droits nationaux en vigueur dans les États signataires.
Dans cette affaire, ont été confrontées deux interprétations opposées, en Allemagne et en
France, d’une règle de preuve tirée de la Convention de Genève du 7 juin 1930 relative à la
lettre de change. Le juge français a décidé de traiter cette divergence de solutions comme un
véritable conflit de lois opposant deux ordres juridiques étatiques distincts. Cet exemple
montre ainsi qu’un même texte international peut ne pas recevoir la même application, sans
que cette différence d’approches soit considérée nécessairement comme une anomalie qu’il
s’agirait d’enrayer par une interprétation uniforme.
Voir cependant, en contre-exemple, la Convention de Vienne sur la vente internationale de
marchandises (ONU – CNUDCI, 1980) qui préconise en son article 7.1 une interprétation
uniforme : « Pour l’interprétation de la présente convention, il sera tenu compte de (…) la
nécessité de promouvoir l’uniformité de son application ». La formule est devenue rituelle
dans bon nombre d’instruments d’unification du droit à l’échelle internationale (voir, par
exemple, l’article 1.6.1 des Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce
international (2010). Elle est tautologique (l’interprétation (uniforme) s’impose par une
uniformité d’application, ce qui revient à dire strictement la même chose) et manifeste un
souhait qui ne se réalise pas toujours, compte tenu de l’absence d’interprète authentique (une
juridiction internationale) et de la multiplicité des acteurs. Elle peut néanmoins être de nature
à guider les analyses dans les hypothèses où l’interprétation d’une disposition par les acteurs
du commerce international se veut globalement convergente.
Voir sur ce thème : Cl. Witz, « La quête de l’universalisme dans l’interprétation », in La
CNUDCI : à propos de 35 ans d’activité, LPA 2003, n° 252, p. 54. Sur les limites de cette
interprétation uniforme et les solutions qu’elles appellent sur le jeu traditionnel des règles de
conflit de lois, voir V. Espinassous, L’uniformisation du droit substantiel et le conflit de lois,
éd. LGDJ, 2010.
Situation – La mise en œuvre du droit européen dans les différents États membres
L’exemple de la marge d’appréciation nationale dans la transposition des directives
d’harmonisation minimale
Le droit de l’Union européenne fait de l’uniformité de ses solutions un objectif essentiel à la
construction européenne. Nombreux sont les arrêts de la Cour de justice qui le rappellent
(voir pour les arrêts de principe, toujours cités :CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, aff.
29/69 ; CJCE, 16 janv. 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, aff. 166/73). Pour autant,
l’interprétation uniforme du droit européen n’est pas toujours exigée. Le droit européen fait
48
jouer un rôle propre aux droits nationaux en leur concédant une marge d’appréciation.
L’exemple le plus significatif est celui de la transposition des directives emportant
harmonisation minimale des lois nationales (voir, par exemple, à propos de la Directive
85/577/CEE concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en
dehors des établissements commerciaux : CJUE, 17 déc. 2009, Eva Martin, aff. C-227/08).
Dans ces domaines, le droit européen laisse subsister des différences de mise en œuvre du
texte européen par les différents États membres. Voir également sur ce thème : J. Porta, La
réalisation du droit communautaire – Essai sur le gouvernement juridique de la diversité, éd.
Fondation Varenne : LGDJ (2 t.), 2007.
40. Le paysage juridique international et européen offre des perspectives nouvelles de
recherche. Les méthodes et solutions du droit élaborées dans un contexte – national,
international ou européen – peuvent être appréhendées dans un autre contexte. Les analyses
en présence ne sont pas nécessairement contradictoires. Mais elles empruntent des voies
potentiellement différentes selon l’interprète compétent et le système juridique auquel il
appartient.
Situation – La mise œuvre du droit des Nations Unies par l’Union européenne et un Etat
partie à la CESDHLF
L’exemple des mesures de lutte contre le terrorisme prises par le Conseil de sécurité des
Nations Unies devant la CJUE et la CEDH
Le Conseil de sécurité des Nations Unies dispose d’un pouvoir de sanction qu’il exerce par
voie de résolutions. En matière de lutte contre le terrorisme, des actes de ce type sont
intervenus pour geler les avoirs d’entités ou personnes physiques suspectées d’entretenir des
liens avec des mouvements terroristes. Ces résolutions ont été mises œuvre par différents
États ainsi que par l’Union européenne. La valeur juridique des mesures prises par le Conseil
de sécurité a été discutée à l’occasion de leur application par l’Union européenne (voir
notamment : CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05) ou un
Etat partie à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (voir par exemple : CEDH, 31 mai 2007, Behrami et Behrami c/ France, Req.
71412/01 et Saramati c/. France, Allemagne et Norvège, Req. 78166/01 ; comparer : CEDH,
12 sept. 2012, Nada c/. Suisse, Req. 10593/08). Dans ces deux hypothèses, les actes pris par
une autorité internationale sont examinés dans le contexte de deux autres espaces juridiques :
celui de l’UE et de la CESDHLF (Voir, notamment, à propos de ces affaires : M. Forteau
« La CJCE et la CEDH face à la question de l’articulation du droit européen et du droit des
Nations Unies : quelques remarques iconoclastes », in J.-M. Thouvenin (dir.), A la rencontre
49
des droits (international, communautaire et interne) – Les rapports de systèmes après
l’affaire Kadi, Journée d’études du CEDIN, RMCUE 2009, 397).
Situation – Une liberté fondamentale de source nationale, internationale ou européenne
devant les juges européens
L’exemple de la liberté syndicale invoquée devant la CJUE et la CEDH
La liberté syndicale est traditionnellement analysée comme un droit fondamental. En France,
elle a une valeur constitutionnelle (al. 6 du préambule de 1946). Elle est consacrée par des
textes internationaux (par exemple : Convention OIT n° 87 sur la liberté syndicale et la
protection du droit syndical - 1948) et européens (CESHHLF, art. 11 ; CDFUE, art. 12). Son
exercice a été discuté devant les juridictions européennes à l’occasion de la mise en œuvre
des objectifs de libre circulation définie par l’Union européenne (voir par exemple, CJCE, 11
déc. 2007, Viking, aff. C-438/05 et 18 déc. 2007, Laval, aff. C-341/05) ou de protection des
droits fondamentaux par le Conseil de l’Europe (voir par exemple, CEDH, 12 nov. 2008,
Demir et Baykara c/ Turquie, Req. 34503/97). Pour une comparaison de ces jurisprudences,
voir S. Robin-Olivier, Normative interactions and the Development of Labour Law, A
European Perspective, Cambridge Yearbook of European Legal Studies, 2009, Hart, 377.
Pour une mise en perspective théorique de la confrontation devant le juge de l’UE entre les
droits fondamentaux et les libertés européennes de circulation, voir A. Bailleux, Les
interactions entre libre circulation et droits fondamentaux dans la jurisprudence
communautaire : Essai sur la figure du juge traducteur, Publications des facultés
universitaires Saint-Louis, Bruylant, 2009.
Situation – La protection des droits de l’homme par les deux organisations européennes et
les Etats membres
Le cas du « triangle » Conseil de l’Europe - Union européenne - Etats membres
En Europe, la protection des droits de l’homme conduit à des interactions de plus en plus
fréquentes entre les sources et les acteurs du Conseil de l’Europe (Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et Cour européenne des
droits de l’homme), de l’Union européenne (Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne et Cour de justice de l’Union européenne) et des différents Etats membres (textes
et juges nationaux). Il en résulte un rapport que l’on peut qualifier de « triangulaire » (COE -
UE - National) qui conduit le juriste à devoir distinguer l’application du droit dans des
enceintes de trois types différents. Ces lieux de protection des droits de l’homme ont chacun
leurs spécificités. L’accès au juge n’est pas le même, l’énoncé des droits diffère parfois, la
traduction des droits dans les situations concrètes peut prendre des formes variées. Même si
50
le juriste peut avoir le sentiment d’appliquer la même matière du droit européen des droits de
l’homme, il est amené à distinguer les différents lieux de protection des droits. Il lui faut
localiser son travail. Pour une étude des interactions triangulaires entre la jurisprudence de la
Cour de Strasbourg (CEDH), Luxembourg (CJUE) et des juridictions nationales, voir
notamment P. Popelier, C. Van de Heyning, Piet Van Nuffel (ed), Human rights protection in
the European legal order : The interaction between the European and national courts,
Intersentia, 2011.
B - Les différents acteurs de l’application du droit
41. Pour situer l’application du droit dans un contexte national, international ou européen,
il est nécessaire de procéder à une identification du ou des acteurs susceptibles de réaliser ce
travail. Le premier acteur auquel on songe est le juge - institution publique ou institution
privée (arbitrage) - qui est potentiellement présent à tous les niveaux d’application du droit.
La figure du juge étatique travaillant principalement dans un contexte national peut être
facilement distinguée de celles du juge international et du juge européen dans leur aptitude à
trancher une question de droit dans un contexte fortement mondialisé1.
Situation – Le juge étatique, international ou européen
La comparaison des justices nationales, internationales et européennes : l’exemple du
recours direct intenté par un requérant ordinaire
La question de l’accès au juge par les requérants ordinaires, c’est-à-dire les particuliers,
personnes physiques ou morales, ne se présente pas de la même manière selon la juridiction
considérée. Consacré le plus souvent comme un droit fondamental devant les juridictions
ordinaires des États, le recours direct est tantôt un principe, tantôt une exception devant les
juridictions européennes et internationales. Il est un principe devant la Cour européenne des
droits de l’homme de Strasbourg où tout requérant peut saisir, quels que soient sa nationalité
ou son lieu d’établissement, la juridiction européenne, dès lors qu’il estime qu’un Etat
signataire de la CESDHLF n’a pas respecté ses obligations. Le recours direct a un caractère
plus exceptionnel devant la CJUE où seules les décisions de portée individuelle peuvent être
contestées par les particuliers (pour une lecture étroite de cet accès au juge : voir en
particulier, CJCE, 25 juill. 2002, UPA c/ Conseil, aff. C-50/00 ; pour une modification des
traités en vigueur en vue d’un élargissement des voies d’accès, voir le nouvel art. 263 al. 4
TFUE). Il est généralement impossible devant les juridictions internationales en vertu d’un
1 Voir sur ce thème, l’ouvrage éclairant de J. Allard et A. Garapon, Les juges dans la mondialisation – La
nouvelle révolution du droit, éd. La République des Idées - Seuil, 2005.
51
principe d’exclusivisme étatique même si des solutions ont été aménagées parfois pour
tempérer la vigueur de cette solution (c’est le cas, par exemple de la Cour pénale
internationale de La Haye qui peut s’auto-saisir d’une affaire hors la présence d’un Etat
requérant).
Pour une analyse comparée du procès dans sa triple dimension nationale, internationale et
européenne, voir S. Guinchard et alii, Droit processuel – Droits fondamentaux du procès,
Dalloz, 6ème
éd. 2011).
42. Le recours à l’arbitrage offre également des perspectives intéressantes en termes
d’identification des acteurs chargés d’appliquer le droit dans différents contextes. On a
l’habitude de considérer que son origine privée rend plus difficile son rattachement à un
système juridique plutôt qu’un autre. L’arbitre n’a pas de for et même s’il est parfois
institutionnalisé, il demeure distinct de la justice étatique ou interétatique. Mais cette
autonomie de l’arbitrage ne doit pas être exagérée. Des règles étatiques ou interétatiques
existent, en effet, pour distinguer trois grands types d’arbitre : interne, international et même
européen.
Situation – L’arbitre interne, international et européen
La comparaison des justices arbitrales nationales, internationales et européennes :
exemples de règles définies dans différents contextes
Le Code de procédure civile français aménage pour l’arbitrage international des règles
distinctes de celles normalement applicables à l’arbitrage interne (voir, Livre quatrième de
CPC). Au regard de la réglementation française, il existe donc deux types d’arbitrage :
l’arbitrage interne et l’arbitrage international, des règles souvent plus souples ayant été
aménagées pour ce dernier de manière à satisfaire aux exigences propres du commerce
international.
En droit international public ou en droit international économique, l’arbitrage occupe une
place très importante dans le règlement des différends impliquant notamment des Etats. On
songe, par exemple, la Cour permanente d’arbitrage (CPA), ou encore aux arbitrages
d’investissement prévus par le CIRDI (Centre international de règlement des différends liés à
l'investissement) ou selon le modèle CNUDCI (Commission des Nations Unies sur le droit
du commerce international). En droit du commerce international, des instances arbitrales ont
également été institutionnalisées (voir, par exemple, les arbitrages rendus sous les auspices
de la Chambre du commerce international : CCI).
Un troisième type d’arbitrage, beaucoup plus modeste, existe dans le contexte du droit
européen. Dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art. 272 TFUE), une
52
règle est aménagée pour permettre la désignation de la juridiction européenne (Cour de
justice ou Tribunal de première instance) par une clause compromissoire insérée dans un
contrat de droit public ou privé passé par l’Union our pour son compte (sur ce texte et son
application, voir J.-S. Bergé, La Cour de justice, juge du contrat soumis à la loi étatique
choisie par les parties, RDC 2005, 463).
D’autres formes d’arbitrage existent également en marge de cette triple distinction
« arbitrage national, international et européen ». Voir ainsi, l’exemple envisagé par F.-X.
Licari, L’arbitrage rabbinique, entre droit talmudique et droit des nations, RA 2013, à
paraître.
Cette référence au juge est pertinente. Elle alimente une approche du droit qui se donne pour
principal objet, l’étude de la jurisprudence1. Les moyens d’y accéder sont connus et le travail
des juges est largement étudié et commenté.
43. La figure du juge n’est cependant pas la seule qu’il faille envisager. Même s’il est un
acteur privilégié, le juge ne représente qu’une partie du travail des juristes amenés à faire
application du droit. Autour de lui ou en dehors de lui, nombreux sont ceux qui participent à
ce processus.
Pour identifier ces juristes dans la perspective qui est la nôtre de l’application du droit dans le
contexte national, international et européen, il est indifférent de savoir quelles fonctions ils
occupent. Peu importe qu’ils travaillent de manière indépendante (un avocat, un consultant,
un magistrat) ou sous la subordination d’une institution publique (administration) ou d’un
organisme privé (organisation non gouvernementale, entreprise, syndicat, association). Ce qui
compte, c’est la dimension nationale, internationale ou européenne de l’environnement
juridique dans lequel il travaille. Cet environnement est de nature, en effet, à influer
considérablement sur son travail.
Situation – Le juriste de droit interne, international et européen
Trois juristes pour une même question : l’exemple d’une mesure nationale d’interdiction
de commercialisation d’un produit en raison d’un impératif de santé publique
Soit un Etat qui décide d’interdire la commercialisation sur son territoire d’un produit
d’origine animale considéré comme dangereux pour la santé humaine. Cette mesure affecte
1 Sur ce phénomène, son évolution et ses errements, voir, par exemple, les écrits de A. Esmein « La
jurisprudence et la doctrine », RTDCiv. 1902, 5 ; J.-D. Bredin, « Remarques sur la doctrine », Mélanges
Hébraud, Toulouse, 1981, 111 ; Ph. Jestaz, « La jurisprudence, ombre portée du contentieux, D. 1989, Chron.,
149.
53
les intérêts de diverses entreprises (producteurs, importateurs, exportateurs, revendeurs)
situées dans l’État concerné ou dans des pays tiers. Chaque entreprise saisit son service
juridique pour savoir s’il existe un moyen pour faire échec à cette mesure de police nationale
ou, à tout le moins, pour compenser les pertes subies. Selon que le juriste saisi de la question
travaille dans un environnement national, international ou européen, on peut imaginer trois
développements très différents.
Dans un contexte national, la question se pose de la légalité en droit interne de la décision
prise de l’État et de la possibilité d’obtenir des mesures provisoires ou définitives de
compensation.
Dans un contexte européen, la conformité de la décision à la réglementation agroalimentaire
de l’Union européenne peut être discutée.
Dans un contexte international, on peut imaginer que la décision de l’État soit contestée par
un autre Etat partie à l’Organisation mondiale du commerce.
Aucun de ces fronts n’a vocation à se substituer à l’autre. On peut imaginer, en effet, que les
entreprises décident d’agir dans tous les contextes à la fois : national, international ou
européen. Dans ces trois scénarios, trois familles de juristes seront amenées à se prononcer :
les juristes de droit interne, européen et international.
Voir sur ce thème, le programme de recherches « ERC » dirigé par F. Collart-Dutilleul :
http://www.droit-aliments-terre.eu/. À titre d’illustration, voir le fameux « conflit du bœuf
aux hormones » opposant, notamment, les Etats-Unis, le Canada et l’Europe et qui est
l’occasion, depuis 1988, de plusieurs batailles et négociations juridiques. Voir notamment
sur cette affaire : A. Hervé, Le mécanisme de règlement des différends de
l'OMC. L'interminable contentieux transatlantique sur le bœuf aux hormones : RMCUE
2009, 246.
54
Section 2 – Les préjugés
44. La comparaison du droit national, international et européen butte généralement sur
différents préjugés qu’il faut savoir vaincre si l’on veut essayer de la mener jusqu’à son terme.
Ces préjugés sont de deux ordres : intellectuels (§1) et culturels (§2).
§ 1 – Les préjugés intellectuels
45. Les obstacles d’ordre intellectuel à la comparaison des droits dans le contexte national,
international et européen tiennent à l’existence de limites (A) et à la spécialisation des juristes
(B).
A – Les limites de la comparaison
1/ À propos de deux métaphores (« qui embrasse trop mal étreint » et « le mariage de la
carpe et du lapin »)
46. La comparaison des droits dans le contexte national, international et européen – que
l’on peut désigner également par l’expression « comparaison multiniveau » - ouvre des
perspectives d’analyse extrêmement vastes. Dans l’absolu, tous les contextes du droit y sont
considérés sur un pied d’égalité. Le juriste ne se donne aucune limite dans sa recherche. Il
tente d’identifier l’ensemble des méthodes et solutions utiles à la résolution de la question
qu’il se pose, que ces méthodes et solutions soient définies dans un environnement national,
international ou européen.
Cette démarche comparative soulève immédiatement deux objections qui peuvent être
présentées sous la forme de deux métaphores : « qui embrasse trop mal étreint » et « le
mariage de la carpe et du lapin ».
47. La première expression (« qui embrasse trop mal étreint ») peut être reçue au premier
degré comme une leçon élémentaire de modestie. Les capacités d’analyse du juriste sont
nécessairement limitées. À vouloir tout considérer, tout voir et tout comprendre, il risque fort
de se perdre dans l’immensité du droit. Il lui faut donc ramener ses perspectives d’analyse à
l’échelle humaine. Celle qui correspond à son périmètre géographique et matériel de
compétence. Mais elle a également une signification plus profonde. Le droit n’est pas porté
par un langage universel. Même s’il existe des domaines tels que la philosophie du droit où
des questionnements de portée générale trouvent à se déployer, le fait est que le droit se pense
généralement à un seul niveau (national, international ou européen) et qu’il y est enfermé à
l’intérieur de frontières géographiques. La très grande majorité des juristes est ainsi formée
55
dans un contexte essentiellement national et n’aspire pas spécialement à en sortir. Si d’autres
ont fait du droit international ou du droit européen une spécialité, ils n’en maîtrisent bien
souvent qu’un aspect sans pouvoir prétendre, mieux que les autres, embrasser le droit dans
toutes ses dimensions. Cette série de constats nourrit d’ailleurs une certaine méfiance à
l’égard d’utilisations non contextuelles (dites « fonctionnelles ») du droit étranger1. Elle a
également servi de creuset à un nationalisme juridique, clairement hostile aux processus
contemporain d’européanisation et d’internationalisation du droit2.
48. La seconde expression « le mariage de la carpe et du lapin » est généralement
présentée sous la forme d’un syndrome. En comparant les méthodes et solutions définies dans
différents contextes, à des niveaux variables, le juriste prend le risque de rapprocher des droits
qui ne se ressemblent pas. Son analyse peut le conduire à de curieux mélanges de genres qui
sont de nature à fausser ses jugements. Il est donc invité à demeurer sagement cloisonné à
l’intérieur de chaque genre, en s’attachant du mieux qu’il peut à rendre son domaine d’étude
le plus cohérent possible. La comparaison multiniveau est ainsi condamnée. Au mieux des
possibilités qui lui sont offertes, le juriste doit se cantonner à une comparaison par niveau :
national, international ou européen.
49. Ces deux métaphores sont utiles. Elles signalent les dangers que fait courir
potentiellement une démarche comparative totalement ouverte, du type de celle qui est
envisagée ici.
Le premier de ces dangers concerne le juge quand il donne l’impression de faire son marché
dans un droit mondial, sans considération du droit applicable et invocable.
Situation - La comparaison tous azimuts : quand le juge fait son marché
Des exemples américains et européens
La jurisprudence offre des illustrations d’une comparaison « sans limite » où le juge se plaît
à rechercher dans la jurisprudence nationale étrangère, régionale ou internationale ou, plus
largement entendu, dans l’ensemble des systèmes juridiques qu’il estime être en mesure de
connaître, les réponses qui peuvent y être données. Les droits de l’homme ou, plus largement
entendu, les droits fondamentaux sont propices à ce type de comparaison.
1 Voir, selon une tonalité très différente : J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, éd.
Flammarion, 1996, spéc., chap. III : « Ces droits venus d’ailleurs », p. 44 et s. ; P. Legrand, Le droit comparé, éd.
PUF, coll. Que sais-je, 1999, spéc. la conclusion du chap. I : p. 62. 2 Sur, par exemple, la thèse du non-droit européen : J.-S. Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen (Union
européenne – Conseil de l’Europe), PUF , 2ème
éd. 2011, spéc. n° 4 et s.
56
Dans l’affaire Lawrence v. Texas (539 U.S. 558 (2003)) par exemple, la question était posée
à la Cour suprême des Etats-Unis de la conformité à la Constitution américaine de la
réglementation d’Etats fédérés réprimant une pratique sexuelle. Différentes références ont
été faites dans cette affaire à une jurisprudence « étrangère », notamment à des décisions de
la Cour européenne des droits de l’homme. Cette comparaison a soulevé une très vive
polémique outre-Atlantique (pour une approche d’ensemble, voir, avec les nombreuses
références citées, Ch. Baron, La théorie de l’intention originelle, la sincérité dans la
rédaction des opinions des juges et les références à des sources juridiques étrangères dans le
processus d’interprétation de la Constitution aux Etats-Unis, in Mélanges en l’honneur de
Michel Troper, Economica, 2006, p. 109 ; R. Bismuth, L’utilisation de sources de droit
étrangères dans la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis, RIDC 2010, 105).
Les juges nationaux en Europe pratiquent également ce type de comparaison non contrainte
(voir sur ce thème, l’analyse de S. Robin-Olivier, La référence (non imposée) par les juges
des Etats membres de l’Union européenne, in Les échanges entre les droits, éd. Bruylant
2008, p. 141). Elle est également fréquente dans la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme (voir, à titre d’illustration : CEDH 7 juillet 2011, Req. 27021/08, Al-Jedda
c. R.-U., qui, dans une affaire mettant en cause les conditions de détention du plaignant en
Irak par les soldats britanniques, se réfère, au titre des « Eléments pertinents de droit
international », à différentes sources du droit international humanitaire, à la charte de
Nations Unies de 1945, aux dispositions de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités, à la jurisprudence de la Cour internationale de justice, de la Cour de justice de
l’Union européenne, de la Cour suprême des Etats-Unis et à des textes de la Commission de
droit international). Nous verrons que la Cour internationale de justice a été récemment
tentée de recourir à ce type de comparaison, en se référant notamment aux jurisprudences de
juridictions régionales, ce qui était impensable il y a quelques années encore (voir, sur ce
point, nos développements, infra n° xxx).
L’allégorie du « dialogue des juges »
La comparaison menée sans contrainte, affichée par le juge, celle qui le conduit à éprouver
parfois les raisonnements utilisés par d’autres juges dans des contextes juridiques différents
du sien pour s’en inspirer ou, au contraire, s’en écarter, a pris une forme allégorique avec
l’expression « dialogue des juges » qui a connu un certain succès en France, notamment dans
la doctrine administrativiste (sur cette expression, ses origines, ses significations et son
utilisation notamment par les juridictions supérieures ou suprêmes, voir, avec les auteurs
cités, A. Le Quinio, Recherche sur la circulation des solutions juridiques : le recours au droit
comparé par les juridictions constitutionnelles, Fondation Varenne, 2011, spéc. p. 151 et s).
Bien souvent ce dialogue est plus imaginé que pratiqué, plus volontaire que contraint.
57
Critiqué violemment parfois pour son absence de valeur juridique, ce « dialogue » est
l’expression d’une démarche ouverte de comparaison.
50. Le second danger vise ce que l’on peut appeler la figure de l’extrapolation où le juriste
compare, sans ménagement, des situations appréhendées dans des contextes radicalement
différents.
Situation – Comparaison n’est pas raison : quand le juriste extrapole des méthodes et
solutions juridiques (sans même s’en rendre compte parfois)
L’exemple du droit européen lu au travers des catégories du droit national ou du droit
international
Le droit européen (UE - CESDHLF) est un droit jeune, hautement spécialisé. Il a ses
rationalités, ses justifications, ses méthodes de raisonnement. Les arrêts rendus par les deux
grandes juridictions européennes (CEDH et CJUE) font l’objet de multiples analyses. Les
analyses menées par les juristes spécialisés en droit européen s’attachent à expliciter le sens
et la portée de ces jurisprudences dans cette matière. Mais les juristes de droit national et de
droit international ne peuvent ignorer leur existence. Le passage d’une perspective de droit
européen à une perspective de droit national ou international n’est cependant pas neutre. Elle
peut même être de nature à transformer radicalement la perception des raisonnements et
constructions de droit européen. C’est une extrapolation. Ce mode de raisonnement est utile.
Il permet de déplacer le contexte dans lequel une question a été traitée pour mesurer l’impact
de la réponse dans d’autres contextes. Mais souvent ce passage est mal assuré. Combien de
juristes (confirmés) s’autorisent ainsi à extrapoler des solutions européennes dans un
contexte de droit national ou international - de droit public, comme de droit privé - sans
prendre préalablement la précaution de préciser qu’une chose est d’apprécier la valeur de la
réponse donnée dans son contexte et qu’une autre est d’en mesure l’impact dans un tout autre
contexte. Nos revues regorgent ainsi de commentaires d’arrêts de la CEDH ou CJUE lus
comme impliquant une transformation radicale et immédiate de branches du droit national ou
international, alors pourtant que ces arrêts ont été rendus en droit européen, par référence à
des méthodes et solutions juridiques qui n’ont pas leur équivalent en droit national ou
international. Ce type de démarche doctrinale s’explique par la difficulté toujours très grande
à penser qu’une méthode ou solution de droit peut avoir des significations très différentes
selon le contexte dans lequel elle est envisagée. Elle est souvent inconsciente. Parfois, elle
est utilisée à dessein, comme un outil de caricature.
Pour un dialogue confrontant des logiques nationales et européennes en droit des contrats,
voir « Quadrilogue : Le titre III livre III du Code civil a-t-il un avenir européen ? » (débat
organisé par J.-P. Marguénaud, avec la participation de J.-P. Marguénaud, F. Marchadier, D.
58
Mazeaud, J. Rochfeld et J.-S. Bergé, RDC 2011, 229) ; pour des exemples d’analyse de ce
type s’agissant des rapports entre le droit européen du marché intérieur et le droit
international privé, voir notre étude : Le droit du marché intérieur et le droit international
privé communautaire : de l’incomplétude à la cohérence in « Le droit, les institutions et les
politiques de l’Union européenne face à l’impératif de cohérence », V. Michel (dir.), Presses
universitaires de Strasbourg, 2009, 339. Pour une analyse critique de cette démarche,
notamment en droit de la mobilité des sociétés, au départ d’une lecture fausse des rapports
concurrentiels entre les lois nationales des Etats membres, voir notre étude avec S. Harnay
(économiste), Les analyses économiques de la concurrence juridique : un outil pour la
modélisation du droit européen ?, RIDE 2011, 165.
Même si elles dénoncent à juste titre certains excès, ces métaphores peuvent être surmontées.
Elles ne font pas obstacle à une comparaison, spécialement quand cette dernière s’inscrit dans
une démarche d’application du droit dans différents contextes.
2/ Les verrous à faire sauter
51. L’étude des ressemblances et différences entre les méthodes et solutions définies dans
un contexte mondial devrait s’inscrire dans le vaste processus de comparaison des droits que
la science juridique désigne par l’expression « Droit comparé ». Or il n’en est rien. Le droit
comparé est enfermé le plus souvent dans différents carcans qui rendent difficile, voire
impossible, une prise en considération de la dimension internationale et européenne du droit1.
Un premier carcan cantonne la comparaison aux sphères nationales. Il n’y aurait de
comparaison possible qu’entre les droits nationaux, une comparaison « horizontale » entre des
données juridiques de nature équivalente, situées dans un même contexte à un même niveau
juridique. Au nom du « comparer le comparable », le droit international et européen est le
1 L’ensemble des traités, manuels et cours de droit comparé peuvent être cités en exemple, qu’ils portent sur les
grands systèmes juridiques contemporains ou sur telle ou telle branche du droit comparé : Voir pour les ouvrages
les plus récents parus en France, R. Legeais, Grands systèmes de droit contemporains, 2ème
éd. Litec, 2008 ; Y.-
M. Laithier, Droit comparé, éd. Dalloz 2009 ; G. Cuniberti, Grands systèmes de droit contemporains, éd. LGDJ,
2ème éd. 2011 ; A. Gambaro, R. Sacco et L. Vogel, Traité de droit comparé : le droit de l’occident et d’ailleurs,
éd. LGDJ, 2011. Seuls font exceptions, certains ouvrages de réflexion sur le droit comparé, spécialement les
travaux collectifs qui consacrent une partie de leurs développements au phénomène d’internationalisation et
d’européanisation du droit : Voir par exemple, deux ouvrages collectifs qui permettent de prendre la mesure
d’une ouverture du droit comparé au double contexte international et européen : M. Reimann et R. Zimmermann
(dir.), Comparative Law, Oxford University Press, 2006, spéc. la partie II ; E. Örücü et D. Nelken, Comparative
Law, Hart, 2007, spéc. la partie II. Comparer également : M. Delmas-Marty et S. Breyer (dir.), Regards croisés
sur l’internationalisation du droit : France – Etats-Unis, éd. SLC, 2009. On peut également citer les ouvrages
spécialisés qui, s’efforçant d’appréhender telle ou telle matière juridique précise, sont obligés de s’ouvrir à une
perspective pluridimensionnelle. Les ouvrages de ce type sont de plus en plus nombreux. Voir, par exemple,
dernièrement : R. Cabrillac, Droit européen comparé des contrats, LGDJ, 2012. Voir également, les références
cités dans ce chapitre.
59
plus souvent exclu de la comparaison, dès lors qu’il entretient avec les droits nationaux une
relation « verticale ». Il est au mieux appréhendé au travers des mesures nationales qui le
transposent ou le réceptionnent le cas échéant.
Le second carcan repose sur une idée largement répandue selon laquelle le droit comparé se
caractériserait par son absence de positivité1. La comparaison des droits nationaux est
généralement présentée comme un outil de pure connaissance. Sauf dans des cas tout à fait
exceptionnels comme, par exemple, l’énoncé d’un principe général commun aux droits de
plusieurs États ou à la confrontation de solutions nationales incompatibles, la méthode
comparative n’est pas perçue comme un outil capable de résoudre des questions juridiques
concrètes. Son utilité est le plus souvent lointaine, notamment quand elle s’inscrit dans les
processus nécessairement longs et aléatoires de rapprochement des droits nationaux. Cette
absence de positivité du droit comparé serait un obstacle supplémentaire à l’intégration du
droit international et européen dans le champ de la comparaison. Dans l’environnement
international et européen, la comparaison des méthodes et solutions offre, en effet, des
perspectives très différentes. Contrairement aux droits nationaux, les rapports entre le droit
international et européen ne s’inscrivent pas dans un contexte de forte interchangeabilité. Les
sources du droit international et européen s’appliquent le plus souvent de manière cumulative
de sorte que leur comparaison est nécessairement synonyme de confrontation. Qu’elle
conduise à une combinaison ou une hiérarchisation des droits en présence (voir infra, Parties
2 et 3 de cet ouvrage), la comparaison est indissociable de l’énoncé de solutions de droit
positif. Elle s’éloigne donc de la conception largement répandue selon laquelle le droit
comparé n’est pas apte à résoudre des cas concrets.
52. Ce double verrou, qui isole le droit comparé dans une réalité nationale de plus en plus
étriquée, doit sauter. Le droit comparé ou la comparaison dans le droit ne peut délaisser pour
des motifs parfaitement secondaires, le processus d’internationalisation et d’européanisation
du droit. Les pratiques et réflexions sur la comparaison en sciences sociales et humaines ont
montré, depuis longtemps, les vertus du « comparer l’incomparable »2. De même, la soi-
disant opposition entre le droit comparé et le droit positif fait figure d’artifice quand on la
confronte à la réalité du travail des juristes. La comparaison des droits a, comme tout objet
1 Pour une approche vigoureusement critique de cette manière de recevoir le droit comparé, voir E. Picard, Le
droit comparé est-il du droit ?, Annuaire 2009 de l’Institut Michel Villey, Dalloz 2010, p. 173. 2 M. Detienne, Comparer l’incomparable, éd. Seuil, 2000 ; C. Vigour, La comparaison dans les sciences sociales
– Pratiques et méthodes, éd. La Découverte, 2005.
60
d’étude juridique, une dimension potentiellement positive. Elle permet de dégager des
solutions juridiques de manière plus ou moins immédiate selon le contexte dans lequel elle est
utilisée. Le découpage entre la comparaison du droit national – d’essence essentiellement
neutre – et la comparaison du droit international ou européen – à vocation plus instrumentale
– ne répond à aucune exigence théorique ou pratique. Tantôt la comparaison est un outil de
pure connaissance du droit, tantôt elle permet de définir des solutions de droit positif. Qu’elle
soit envisagée dans un contexte interne ou international et européen n’y change rien.
53. Les réflexions sur une approche multidimensionnelle du droit comparé sont d’ailleurs
de plus en plus nombreuses1. Deux grands phénomènes y contribuent. Le premier –
international – intéresse le thème de la globalisation du droit. Face à des interrogations
communes à l’humanité tout entière (droits de l’homme, environnement, sécurité, accès aux
ressources naturelles et intellectuelles, définition de standards internationaux, etc.), la
comparaison juridique implique une mise à plat de l’ensemble des méthodes et solutions
existant dans tous les contextes du droit : local, national, international, régional2. On imagine
ainsi difficilement qu’une étude comparée de la réglementation en matière de sécurité des
produits ou sur les pratiques de blanchiment d’argent, par exemple, puisse faire abstraction
des différents contextes d’application du droit. Ces questions ont bien souvent une dimension
globale de sorte que la comparaison des droits implique, outre les sources nationales, celles
internationales, régionales et, éventuellement, locales.
Situation – La comparaison du droit national, international et européen
L’exemple de la réglementation des OGM dans le contexte mondial, européen, national et
local
La circulation des organismes génétiquement modifiés, notamment leur dissémination
volontaire dans l’environnement, leur mise sur le marché, leur importation ou exportation
font l’objet d’une réglementation multiple à différents niveaux du droit. Ce pluralisme
juridique mondial contraint les acteurs privés et publics intervenants dans ce secteur très
controversé à procéder à une comparaison multiniveau qui s’efforce de dégager les
1 Depuis le début de ce travail (2009), l’évolution a d’ailleurs été perceptible. De plus en plus nombreux étant les
travaux de droit comparé, ouverts non seulement à l’étude des droits nationaux mais également des droits
internationaux et européens. 2 Voir, le travail précurseur de : M. Reimann, Beyond National Systems: a Comparative Law for the
International Age, Tulane Law Rev. 2001, p. 1103. Voir, plus récemment, J.-B. Auby, La globalisation, le droit
et l’État, LGDJ, 2ème
édition, 2010 ; M. Reimann et R. Zimmermann (dir.), Comparative Law, Oxford University
Press, 2006, spéc. H. Muir Watt « Globalization and Comparative Law », p. 579 ; E. Örücü et D. Nelken,
Comparative Law, Hart, 2007, spéc. W. Twining « Globalisation and Comparative Law », p. 69.
61
ressemblances et différences existant entre toutes les réglementations potentiellement
applicables. Doivent ainsi être comparés notamment : le Protocole de biosécurité de
Carthagène (ONU, 2000), la Directive 2001/18/CEE relative à la dissémination volontaire
d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement (modifiée à de multiples
reprises), la réglementation nationale française, notamment celle transposant le texte
européen (articles L 531-1 et suivants du Code de l’environnement), la délibération d’une
collectivité territoriale exprimant un vœu pour ou contre une telle dissémination sur son
territoire (Voir Conseil d’État, 30 déc. 2009, Req. n° 308514 : approuvant la validité de
délibérations de ce type prises par un Conseil général). Voir sur ces questions : Dictionnaire
Permanent Bioéthique et Biotechnologies, Verbo « Organismes génétiquement modifiés ».
Voir pour une étude comparée internationale et européenne : A. Touche « Le principe de
précaution entre unité et diversité : étude comparative des systèmes communautaire et
OMC », CDE 2008, 281. Pour une jurisprudence nationale tirant les conséquences d’une
jurisprudence européenne dans les célèbres affaires Monsanto, voir Conseil d’Etat, 28 nov.
2011, Req. n° 313546 (ea), visant expressément : CJUE, 8 sept. 2011, aff. jointes C-58/10 à
C-68/10.
L’exemple des principes en droit national, international et européen
Un travail collectif sur les « principes » en droit illustre bien la manière dont les juristes sont
de plus en plus souvent conduits aujourd’hui à comparer systématiquement les solutions
dans un triple environnement national, international et européen : S. Besson et P. Pichonnaz
(dir.), Les principes en droit européen - Principles in European Law, LGDJ - Schulthess,
2011. En dépit de son intitulé un peu réducteur, cette recherche couvre tout aussi bien le
droit européen, international et national, dans sa dimension de droit public comme de droit
privé. Ainsi, par exemple, les principes généraux du droit international et les principes
généraux du droit européen sont systématiquement confrontés et une place importante est
faite aux principes de droit public (identité nationale, par exemple) ou de droit privé
(principes contractuels, par exemple), définis pour l’essentiel dans un environnement
national et qui occupent une place grandissante dans le contexte européen et international.
54. Le second phénomène – régional – est celui de l’européanisation du droit. Le contexte
européen offre un cadre d’étude particulièrement propice à la comparaison multiniveau des
droits1. Nul besoin d’être un expert des questions européennes pour se rendre compte que la
1 De très nombreuses études ont été consacrées à la place du droit comparé en droit européen. Pour les plus
récentes, voir notamment : W. van Gerven, Comparative Law in a Regionally Integrated Europe, Comparative
Law in the 21st Century, 2002, p. 155 ; F. van der Mensbrugghe (dir.), L’utilisation de la méthode comparative
en droit européen ; Presses universitaires de Namur, 2003 ; K. Lenaerts, Interlocking Legal Order or the
European Union Variant of E Pluribus Unum, in Comparative Law before the Courts, G. Canivet, M. Andenas et
62
confrontation des méthodes et solutions définies dans le contexte de différents droits
nationaux implique, de plus en plus souvent, le contexte européen qui leur est commun. Il est,
par exemple, impossible aujourd’hui d’envisager une comparaison du droit des contrats en
Europe sans s’appuyer sur le droit de l’Union européenne ou le droit du Conseil de l’Europe.
La comparaison du droit de deux pays membres de ces organisations a une dimension
nécessairement européenne, dès lors que ces deux pays ont pour dénominateur commun,
différentes « Europe » juridiques, notamment l’Europe des libertés économiques, des droits de
l’homme, de l’espace de liberté sécurité justice, du rapprochement des droits nationaux qui,
directement ou indirectement, influencent ou modifient les traits caractéristiques de chaque
droit national. La comparaison horizontale de deux systèmes juridiques se métamorphose en
une comparaison triangulaire mettant en scène, d’un côté, les droits nationaux et, de l’autre, le
droit européen. La comparaison des droits devient inséparable du processus d’européanisation
du droit. On ne peut en faire durablement abstraction au motif que le droit comparé s’est
historiquement construit autour de la comparaison des seuls droits nationaux. Pour chaque
comparaison, l’analyse des ressemblances et dissemblances passe par un test
« d’européanité » du droit, c’est-à-dire par la recherche – en droit positif – d’éléments
communs aux systèmes juridiques en présence. Parfois c’est le droit européen qui forme
l’élément commun à deux droits nationaux. Parfois c’est le droit national qui forme l’élément
commun à deux droits européens.
Situation – La comparaison triangulaire (un droit commun et deux droits distincts)
L’exemple de la comparaison de deux droits nationaux transposant une directive
européenne (UE)
Le développement du droit européen dérivé (UE), notamment des directives, modifie
profondément la comparaison des droits en Europe. Chaque fois que sur une question
donnée, une directive est intervenue, la comparaison horizontale classique entre les droits de
deux États membres se mue en une comparaison triangulaire, mobilisant les deux
réglementations nationales de transposition et leur source commune : le texte européen. Par
D. Fairgrieve (dir.), The British Institute of International and Comparative Law, 2004 ; W. van Gerven, Bringing
(Private) Laws Closer to each Other at the European Level, in The Institutional Framework of European Private
Law, F. Cafaggi (ed.), Oxford, 2006, p. 37 ; Ph. Singer et J.-Ch. Engel « L’importance de la recherche
comparative pour la justice communautaire », JDI 2007, p. 497 ; H. Koziol, "Comparative Law – A Must in the
European Union: Demonstrated by Tort Law as an Example," Journal of Tort Law, 2007, vol. 1, n° 3, art. 5 ; B.
Fauvarque-Cosson, “The Rise of Comparative Law: a Challenge for Legal Education in Europe”, The seventh
van Gerven Lecture, Europa Law, 2007 ; S. Robin-Olivier et D. Fasquelle (dir.), Les échanges entre les droits,
l’expérience communautaire : une lecture des phénomènes de régionalisation et de mondialisation du droit, éd.
Bruylant, 2008. R. Titriga, La comparaison, technique essentielle du juge européen, L’harmattan, 2011.
63
exemple, la comparaison des droits français et allemand en matière de responsabilité du fait
des produits défectueux peut difficilement faire l’économie d’une prise en considération de
la Directive 85/374/CEE du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des
produits défectueux (plusieurs fois modifiées) qui leur sert de base commune (sur cet
exemple, Voir notamment : J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des produits : Etude
comparée, Ed. LGDJ, 2004). La comparaison devient alors triangulaire. Elle intègre dans un
même mouvement deux dimensions : l’une horizontale (droits nationaux) et l’autre verticale
(droits nationaux/droit européen). Voir également, à propos de la Directive 97/7/CE sur la
protection des consommateurs en matière de contrats à distance, E. Poillot, Le droit comparé
au service de la compréhension de l’acquis communautaire en droit privé, RIDC 2005, 1017.
L’exemple de la comparaison des droits nationaux devant la Cour européenne des droits
de l’homme (CEDH)
Il est très fréquent que la CEDH se livre à une analyse de droit comparé à l’occasion de
l’examen d’une législation nationale dont la teneur ou l’application sont dénoncées par le
requérant comme étant incompatibles avec les exigences de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Voir à titre d’illustration :
CEDH, 17 déc. 2009, Req. n° 19359/04, M. c. Allemagne, rendu à propos de la
réglementation sur l’internement de sûreté. Dans cette affaire, la CEDH compare, non
seulement les dispositifs nationaux en la matière, mais également la manière dont ils sont
reçus dans les systèmes juridiques nationaux. A ce titre, le juge de Strasbourg cite une
jurisprudence du Conseil constitutionnel français ayant invalidé l’application rétroactive de
la rétention de sûreté instituée par une loi de 2008 (§ 75 de l’arrêt). Sur cette décision, voir
X. Pin, « L’internement de sûreté en Allemagne : une mesure de défense sociale à la
dérive », Déviance et société, 2010, 527.
L’exemple de la comparaison de deux droits européens (UE - COE) appliqués dans un
contexte national
Soit un juriste travaillant dans un contexte national d’un Etat partie à la fois à l’Union
européenne et au Conseil de l’Europe (tous les Etats membres de l’UE sont membres du
COE). Ce juriste cherche à mettre en œuvre un raisonnement de type protection des droits
fondamentaux. Son travail d’analyse passe nécessairement par une approche comparée de
deux dispositifs européens : celui défini par la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDHLF) et celui posé, au sein de
l’Union européenne, par les principes généraux du droit européen et la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE). Cette comparaison doit notamment
conduire le juriste à vérifier les domaines d’application des droits en présence, leur contenu,
64
l’interprétation qui en a été donnée par les juridictions européennes (CEDH et CJUE), etc.
Une fois cette comparaison européenne menée, le juriste doit alors procéder à une deuxième
comparaison entre les dispositifs européens et le droit national normalement applicable ou
qui a été appliqué au cas donné dans le contexte national (il peut s’agir d’une loi étrangère
comme d’une loi nationale). Cette ultime comparaison permet au juriste de déterminer
notamment s’il est en présence d’une contradiction ou, éventuellement, d’une
complémentarité entre les différents droits européens et nationaux en présence.
Pour une analyse synthétique comparée de l’Europe de droits de l’homme, voir, avec les
nombreuses références citées, J.-S. Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen (Union
européenne - Conseil de l’Europe), PUF, 2me éd. 2011, n° 260 et s.
3/ La comparaison multiniveau : un autre principe de réalité
55. La comparaison des droits définis dans un contexte national, international et européen
n’est pas une facétie ou une mode que le juriste emprunt d’exotisme et de modernité se
plairait à pratiquer. Elle est devenue une nécessité chaque fois que la question de droit posée
appelle une pluralité de réponses selon le contexte national, international ou européen
considéré. Dans la mesure où, bien souvent, ces contextes coexistent, en ce sens qu’ils n’ont
pas vocation à se substituer dans leur application les uns aux autres, le juriste a le devoir de
dégager par la comparaison, les ressemblances et différences entre les méthodes et solutions
offertes. Il est rare, en effet, que le droit européen ou international ait vocation à faire
disparaître toute applicabilité du droit national. Il en va de même dans les rapports entre le
droit international et le droit européen, lesquels alimentent de nombreuses interactions.
Chaque fois que la situation en cause est susceptible d’être présentée dans ces différents
contextes, une comparaison multiniveau s’impose. Sauf instructions contraires, le juriste qui
ne considère la question qui lui est posée qu’au regard d’un seul contexte, engage
potentiellement sa responsabilité.
56. Cette nécessité abstraite et générale de procéder à une comparaison multiniveau ne
doit pas pour autant être exagérée. Elle doit, en effet, être considérée à l’aune d’une double
réalité. Il existe de nombreux domaines où l’essentiel des réponses juridiques dépend d’un
seul contexte juridique. Le juriste spécialisé dans un domaine de pur droit interne, européen
ou international sait qu’il sera conduit à sortir de son domaine de compétence pour explorer
les constructions juridiques élaborées à un autre étage du droit pour une part somme toute
limitée de son activité. Par ailleurs, la comparaison multiniveau demeure généralement un
exercice très ponctuel. Dans la pratique juridique, elle se limite bien souvent à la recherche
65
d’un résultat concret que commande l’application du droit national, international ou européen
à une situation bien précise.
Situation – Le juriste de droit interne et le réflexe européen
Deux exemples d’utilisation courante du droit européen par le juriste de droit interne
Le juriste de droit national qui n’a généralement à connaître que de situations purement
internes à son pays est conduit, malgré tout, à adopter un réflexe européen dans un certain
nombre de cas de figure. On en donnera deux exemples. Le premier porte sur l’hypothèse où
le juriste fait application d’un texte national qui est lui-même une transposition d’une
directive européenne. S’il veut appliquer son droit national en connaissance de cause, il lui
faut avoir le réflexe de s’alimenter à la source européenne du texte français pour en donner
une interprétation conforme, éclairée au besoin par des arrêts de la Cour de justice intervenus
depuis la transposition. Ce réflexe n’est pas conditionné. La lecture du Code de la
consommation ou du Code civil français par exemple ne fait pas apparaître bien souvent
l’origine européenne des textes qu’ils contiennent. C’est donc au juriste qu’il revient de
procéder à une recherche pour déterminer si la disposition qui l’intéresse est susceptible de
recevoir un éclairage de droit européen compte tenu, par exemple, de l’existence d’une
directive européenne. Des outils de plus en plus performants existent qui permettent de
retrouver en droit national, le texte de transposition du texte européen (voir, par exemple,
http://www.legifrance.gouv.fr/initRechExpTransposition.do)
Un deuxième cas de figure, bien connu des praticiens, concerne la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par exemple, un avocat
spécialisé en droit des affaires est amené à consulter le texte de la convention tel
qu’interprété par la CEDH sur des questions aussi variées que le droit d’accès à un tribunal,
le principe de légalité des infractions et peines en matière pénale, le droit au respect de la vie
privée ou du domicile, le droit à la liberté d’expression, le droit de propriété, etc. (voir, par
exemple, le développement à cet effet de guides pratiques : R. Dumas et E. Garaud, CEDH
et droit des affaires, éd. Francis Lefebvre, 2008).
Situation – Peut-on comparer le droit international et le droit européen ?
Présupposés théoriques et exemples pratiques
La question se pose de savoir si l’on doit comparer en tant que tel le droit international et le
droit européen. Cette perspective se heurte à une difficulté théorique que les
internationalistes ne sont pas toujours disposés à surmonter : admettre que le droit européen
existe de manière autonome et distincte par rapport aux constructions du droit international
(sur ce beau sujet, voir l’échange de vues proposés par deux auteurs publicistes : A. Pellet
66
(« Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », Collected Courses of
the Academy of European Law, 1997, Vol. V, Book 2, p. 193) et D. Simon (« Les
fondements de l’autonomie du droit communautaire », in Droit international et droit
communautaire : perspectives actuelles, Pedone, 2000, p. 207), le premier étant partisan
d’une banalisation du droit européen et le second défendant au contraire son autonomie ; sur
l’existence, en droit international privé, d’un troisième contexte européen s’ajoutant à la
distinction classique entre le national et l’étranger, voir également, pour un échange de vues :
E. Pataut et J.-S. Bergé, Approche critique du vocabulaire juridique européen - 4ème partie :
La distinction « national, étranger et européen », Chronique du CEJEC de droit européen &
comparé n° 20; LPA 2008, n° 221, p. 5).
Une fois cet obstacle théorique franchi, la comparaison entre le droit international et
européen ne connaît plus aucune limite. Toute question susceptible d’appeler des
développements dans les deux environnements juridiques peut servir de point de départ à la
comparaison. De nombreux exemples peuvent être donnés. A ce stade de l’analyse on en
retiendra trois.
Le premier exemple est tiré d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui,
pour faire entrer l’esclavage domestique dans le champ de l’art. 4 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et faire peser
sur les Etats une obligation positive, se livre à une interprétation de celle-ci à la lumière de
différentes conventions internationales : Convention sur le travail forcé, adopté par OIT en
1930 (n° 29), la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite
d’esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage de 1956, la Convention
relative aux droits de l’enfant de 1989 (CEDH, 26 juillet 2005 Siliadin c/ France, Req. n°
73316/01 ; voir le commentaire de cet arrêt proposé par C. Da Costa Dias sur le blog :
http://m2bde.u-paris10.fr/).
Le deuxième exemple intéresse une affaire impliquant l’application d’une réglementation
internationale et européenne en matière de responsabilité des transporteurs aériens résultant
de la perte de bagages, la Cour de justice de l’Union européenne a eu à définir la notion de
« préjudice » ; constatant que cette définition n’est pas donnée par les textes internationaux
et européens applicables (1ère
comparaison), la CJUE décide de se référer aux « règles
d’interprétation du droit international général » selon lesquelles « un traité doit être interprété
de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes (…) » ; faisant application de
ce principe, la Cour de justice estime « qu’il existe bien une notion de dommage, d’origine
non conventionnelle, commune à tous les sous-systèmes de droit international » (2ème
comparaison) en vertu de laquelle « le préjudice comprend tout dommage, tant matériel que
moral » (CJUE, 6 mai 2010, aff. C-63/09, Walz).
67
Le troisième exemple prend appui sur la jurisprudence relativement récente de la Cour
internationale de justice. La CIJ a fait référence en 2010, pour la première fois de son
histoire, au droit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (CIJ, 30 novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c.
République démocratique du Congo). Ce droit n’a pas été à proprement parler appliqué par
la CIJ. Il s’est agi pour la Cour de comparer les solutions en présence. Mais cet exercice de
pure comparaison du droit international et du droit régional a pris depuis de l’ampleur (voir,
plus récemment, CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne
c. Italie ; Grèce (intervenant) qui analyse la jurisprudence de la CEDH, au même titre que
des jurisprudences nationales, dans le but d’y déceler l’existence de règles coutumières
internationales relatives à l’étendue des immunités juridictionnelles dont bénéficient les
Etats ; voir depuis : CIJ, 19 juin 2012, qui a statué sur le volet indemnisation de l’affaire
Ahmadou Sadio Diallo, préc., en se référant abondamment aux pratiques d’indemnisation de
la CEDH et de la CIADH).
4/ Une distinction utile mais difficile entre les droits « sources » et les droits « objets »
57. La comparaison du droit national, international et européen, conçue comme le premier
stade d’un processus d’application du droit national, international et européen, permet
d’éclairer le juriste sur les ressemblances et, surtout, les différences qui existent entre les
différents contextes juridiques. Or l’exercice est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît au
premier abord.
Le juriste est habitué à penser le droit autour de grandes notions : les personnes, les biens, les
contrats, les responsabilités, etc. Le fait qu’il ait été formé pour l’essentiel à l’intérieur d’un
seul et même contexte, le conduit à considérer que ces notions existent de manière équivalente
à tous les niveaux du droit. Or ça n’est pas toujours le cas. Il arrive, en effet, qu’une
institution construite dans un contexte n’obéisse pas aux mêmes fondamentaux que ceux que
l’on peut observer dans un autre contexte du droit. En toutes matières, il faut donc pouvoir
déterminer si les notions en présence sont plutôt identiques ou si elles souffrent d’une altérité.
C’est un des objets de la comparaison multiniveau.
58. À cet égard, une distinction difficile mais utile entre les droits « sources » et les droits
« objets » peut aider le juriste à mener son travail de comparaison. L’expression « droits
sources » désigne l’hypothèse la plus communément admise selon laquelle les droits élaborés
dans différents contextes sont aptes à alimenter, telles des sources, une seule et même
institution juridique. Par exemple, on peut être amené à considérer qu’il existe un seul modèle
68
juridique de contrat, lequel est alimenté par des sources nationales, internationales et
européennes. Il existe autant d’illustrations de ce type qu’il y a d’institutions juridiques
alimentées par une pluralité de sources.
Situation – Plusieurs sources pour un même objet
L’exemple du droit des marques alimenté par les sources nationales, internationales et
européennes
Un exemple de « droits sources » peut être donné en droit des marques. La marque est un
signe distinctif protégé par un droit exclusif. Le droit des marques fait notamment l’objet de
trois niveaux de réglementation : nationale (par exemple, en France, le code de la propriété
intellectuelle), internationale (par exemple, la Convention d’Union de Paris de 1883 pour la
protection de la propriété industrielle) et européenne (par exemple, la Directive (CE) n°
89/104 du Conseil, 21 déc. 1988, dite "Première directive", rapprochant les législations des
États membres sur les marques, remplacée par la Directive 2008/95/CE). Ces différentes
sources alimentent un seul et même objet juridique : la marque conçue comme un titre
national de propriété industrielle. Il n’y a pas de différence de nature
L’exemple des sources nationales, internationales et européennes du droit de la
nationalité
Le droit de la nationalité est d’inspiration nationale. Chaque État est libre de définir comme
il l’entend les conditions d’attribution, d’acquisition ou de perte de sa nationalité aux
personnes physiques. Aucune autre source n’a vocation à définir l’existence d’un droit à la
nationalité dans tel ou tel Etat. Le droit national coexiste néanmoins avec des sources
internationales et européennes. L’obligation pour les États de respecter leurs engagements
internationaux et européens peut les contraindre parfois, dans des situations souvent très
précises (pluralité de nationalités ou risque d’apatridie par exemple) à respecter des principes
(par exemple : le principe d’effectivité formulé par la Cour internationale de justice dans son
célèbre arrêt Nottebohm : CIJ, 6 avril 1955) ou solutions définis en commun. Ces différentes
sources internationales et européennes coexistent ainsi avec le droit de la nationalité
réglementé par chaque État. Dans ce cas de figure, on peut dire qu’une même institution
d’origine nationale (la nationalité) s’alimente à d’autres niveaux du droit (international et
européen) sans pour autant changer de nature juridique. Sur les sources du droit de la
nationalité, voir P. Lagarde, La nationalité française, Dalloz, 4ème
éd., 2011 : Introduction,
p. 11 s. ; sur la question de leur articulation, voir F. Marchadier in Droit international et
nationalité, Pedone, 2012, p. 59 et s.).
Comparer, sur la question discutée de la nationalité des sociétés où la Cour internationale de
justice a considéré qu’il revient aux Etats de définir les critères permettant de désigner les
69
personnes morales susceptibles de bénéficier de leur protection diplomatique, CIJ, 5 fév.
1970, Barcelona Traction.
59. Dans une tout autre perspective, les institutions ou notions juridiques en présence ne
sont pas tenues pour strictement équivalentes. On considère qu’elles portent sur des « objets »
différents. Dès lors qu’elles obéissent à des fondamentaux propres, elles ne sont pas
concurrentes ou parfaitement substituables. Au contraire, elles sont amenées à coexister
durablement à l’image des différents contextes dans lesquels ils ont vu le jour. Les exemples
de ce type sont moins nombreux que les premiers. Le droit atteint ici un degré de construction
qui n’est pas toujours viable.
Situation – Autant d’objets que de sources
L’exemple de la distinction entre la marque nationale, communautaire (européenne) et,
éventuellement, internationale
Dans la perspective qui est la nôtre d’une comparaison multiniveau, la marque n’est pas
seulement un droit unique alimenté par plusieurs sources. C’est également un droit
« objets » : il y a potentiellement autant d’objets du droit qu’il y a de sources. Par exemple,
le droit de l’Union européenne a créé une marque communautaire (européenne), unique (un
seul titre) et unitaire (un seul régime juridique), protégée dans l’ensemble de l’Union
européenne (Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, 20 déc. 1993, sur la marque
communautaire, remplacé par le Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009
sur la marque communautaire). Ce droit de la marque communautaire ne fait pas disparaître
le droit national, international et européen des marques nationales. Il s’ajoute à lui. Les
acteurs économiques conservent le choix de recourir à l’un des instruments plutôt que l’autre
et la Cour de justice de l’Union européenne veille à la coexistence des deux objets de
propriété intellectuelle en interdisant, par exemple, l’enregistrement d’une marque de l’UE
quand elle aurait pour conséquence la disparition d’une marque nationale antérieure (CJUE,
24 mai 2012, Global Sports Media, aff. C-196/11, spéc. pts 44 et 45). Dans des domaines
étroits de l’activité humaine, on peut également considérer qu’il existe en germe des marques
de dimension véritablement internationale. Par exemple, la protection de l’emblème
olympique par le Traité de Nairobi de 1981, lequel fait interdiction aux États parties
d’accorder une marque nationale pour le signe olympique, accorde une forme de protection
internationale au signe en question.
70
L’exemple de la citoyenneté européenne saisie dans ses rapports à la nationalité définie
par les États membres de l’UE
Le Traité sur l’Union européenne a institué une citoyenneté européenne qui s’ajoute à la
nationalité des ressortissants des États membres et ne la remplace pas (article 9 TUE). Cette
citoyenneté comporte des droits de dimension spécifiquement européenne : droit de circuler
et de séjourner librement sur le territoire des États membres, droit de vote et d’éligibilité au
Parlement européen et aux élections municipales, droit d’adresser des pétitions au Parlement
européen, droit de recourir au médiateur européen, etc. (articles 20 et s. du TFUE). Même si
elle y puise sa source, elle forme un objet juridique distinct de la nationalité et a vocation à
interagir avec elle (pour une illustration remarquable de cette interaction, voir CJUE, 2 mars
2010, aff. C-135/08, Rottmann). Voir en ce sens, l’analyse de C. Schönberger, La
citoyenneté européenne en tant que citoyenneté fédérale – Quelques leçons sur la citoyenneté
à tirer du fédéralisme comparatif, Annuaire 2009 de l’Institut Michel Villey, éd. Dalloz
2010, p. 255.
D’autres illustrations de ce type existent, y compris dans des domaines que l’on croyait à
l’abri d’un pluralisme juridique mondial présent tant au niveau national, qu’international et
européen. Voir ainsi, pour l’exemple du développement d’un droit européen des migrations,
en sus des constructions nationales et internationales : J.-Y. Carlier et F. Crépeau, Le droit
européen des migrations : exemple d’un droit en mouvement ?, AFDI 2011, 641.
60. Encore faut-il que les juristes assument pleinement le contexte dans lequel ils se
trouvent quand ils s’efforcent de construire à leur niveau à nouvel objet juridique. Si tel est
souvent le cas, il n’en va pas toujours ainsi.
Situation – A chaque contexte juridique, son objet
L’exemple de l’articulation des sources étatiques et non étatiques : le cas des normes
sociales appréhendées dans un contexte national ou dans un contexte international et
européen
Les relations du travail sont propices aux analyses des phénomènes d’articulation des
sources étatiques et non étatiques du droit. Il serait néanmoins faux de croire que ces
analyses sont équivalentes dans tous les contextes. Les perspectives ne sont, en effet, pas les
mêmes selon que l’on se place dans un contexte international, européen ou national.
Voir pour une illustration particulièrement intéressante, les approches respectivement
proposées par M.-A. Moreau dans le contexte essentiellement international et européen
(Normes sociales, droit du travail et mondialisation - Confrontations et mutations, Dalloz,
2006) et par F. Laronze dans le contexte principalement national (Les conflits de normes
71
dans les relations du travail - Contribution à l’étude des organisations, Thèse Université de
Montpellier 1, 2010).
L’exemple d’une position mal assumée de la Commission de l’UE à propos d’un droit
commun européen de la vente
La Commission de l’UE a présenté en octobre 2011 une Proposition de règlement du
Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun européen de la vente
(Com(2011) 635 final). Cette proposition est l’une des voies retenues à l’heure actuelle par
les institutions européennes pour la construction d’un droit européen des contrats. D’autres
initiatives sont parallèlement développées, notamment en matière de rapprochement des
législations nationales relatives aux droits de consommateurs (voir en dernier lieu : Directive
2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des
consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du
Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la
directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil ; sur ces différentes initiatives, voir
l’analyse de C. Aubert de Vincelles, Chronique de droit européen des obligations, RTDE
2011, spéc. p . 621 et suivantes).
En tant que telle, la proposition ne s’inscrit pas dans une conception radicale des rapports
entre le droit national et le droit européen. En effet, le droit commun européen de la vente
n’a pas vocation à faire disparaître le droit national. Notre droit français de la vente, par
exemple, n’est pas affecté dans son énoncé par cette proposition d’instrument européen. Le
droit européen vient, au contraire, s’ajouter à lui, comme un régime optionnel que les parties
à un contrat transfrontière ont la possibilité, si elles le peuvent et le veulent, de choisir.
La Commission a pourtant fait le choix de présenter ce droit européen comme un droit de
nature « nationale ». C’est ainsi qu’on peut lire dans l’exposé des motifs qui précède la
proposition de règlement que « le droit commun de la vente sera un second régime de droit
contractuel au sein du droit national de chaque Etat membre. Lorsque les parties seront
convenues de faire usage du droit commun européen de la vente, ses dispositions seront les
seules règles nationales applicables pour les matières relevant de son champ d’application,
auquel cas, aucune autre règle nationale ne pourra s’appliquer » (p. 6 in fine et 7 in limine,
Com(2011) 635 final, préc.). Ces formules rappellent la théorie du « dédoublement
fonctionnel » telle qu’elle a été développée à propos du juge national chargé d’appliquer le
droit international (G. Scelle, Précis de droit des gens. Principes et systématique, Sirey (2 t.),
1932, spéc. vol. 2, p. 317 et s.) ou européen. Nous aurions ici affaire à un dédoublement
fonctionnel de la loi européenne, ayant vocation à emprunter la nature juridique de normes
nationales.
72
Même si la portée juridique de cette assertion est nulle (cet exposé des motifs n’a pas
vocation à figurer dans le texte du règlement), elle est intéressante dans la mesure où elle
donne une indication sur l’état d’esprit dans lequel les auteurs de ce projet ont entendu le
présenter. En affirmant par différents biais la nature « nationale » du droit commun européen
de la vente, la Commission emprunte une curieuse posture de droit national. Dire, en effet,
que le droit commun européen de la vente est un droit de nature nationale est tout
simplement faux. D’un point de vue formel, le règlement est un instrument de droit européen
dérivé ayant les traités de l’Union européenne comme base juridique. Sa validité et son
interprétation relèvent du contexte juridique européen. Au regard de son contenu, le droit
commun européen de la vente a également une dimension européenne. Il a vocation, en effet,
à s’appliquer à des contrats transfrontières européens (article 4 de la proposition : le contrat
doit présenter des points de localisation dans des Etats différents et une des parties au moins
doit être établie dans un Etat membre), chaque fois qu’il est choisi par les parties comme
droit applicable. Il ne saurait donc être analysé comme un droit national applicable, pour
l’essentiel, à des situations internes.
Cet exemple montre que la Commission confond ici deux étapes distinctes dans le
raisonnement juridique. En pensant le contenu du droit commun européen de la vente en
termes de « droit national », la Commission croit sans doute pouvoir garantir sa meilleure
application au niveau national. Or il s’agit là de deux questions différentes. Le contenu d’un
texte de droit européen ne peut être pensé autrement qu’au niveau européen. Il ne sert à rien
de travestir un règlement de l’Union européenne en lui faisant endosser les attributs d’un
droit national qu’il n’est pas. En revanche, il est très important de résoudre, le plus en amont
possible, les difficultés évidentes d’articulation que soulève l’application d’un texte européen
de ce type dans le contexte national (le code civil français, par exemple) ou même
international (notamment, la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de
marchandises). Plutôt que de chercher à minimiser ces questions d’articulation, la
proposition de règlement gagnerait grandement en qualité à les expliciter. Cette perspective
n’est évidemment envisageable que si l’on accepte de considérer que, dans le contexte
notamment européen, le droit se décline au pluriel (ici que le droit européen de la vente vient
s’ajouter et non se substituer à un droit national et international de la vente) et que son
application doit être considérée dans différents contextes (national, international et
européen). Voir, en prolongement sur ce thème, Le droit national des contrats, nouveau
complexe du droit européen des contrats ?, RDC, n° 2012/2, 569.
B - La spécialisation du juriste et le décloisonnement des spécialités
61. La spécialisation du juriste est généralement comprise comme un mal nécessaire. La
73
complexité du droit, plus ancienne qu’on ne veut bien l’admettre souvent1, conduit la plupart
des juristes à devoir délimiter leur périmètre de compétence. Il est rare qu’un universitaire ou
un praticien du droit puisse prétendre dominer plus de deux ou trois spécialités. Cette
spécialisation a une forte dimension de droit substantiel. En France, nous savons qu’elle
débute très tôt avec une véritable partition des esprits selon qu’ils s’orientent vers les matières
de droit privé ou de droit public. Elle s’est incontestablement aggravée avec l’éclatement des
grandes matières juridiques. Par le jeu d’une opposition entre les règles générales et les règles
spéciales, des pans entiers du droit se sont séparés du tronc commun que formaient le droit
constitutionnel, le droit civil, le droit administratif, le droit pénal et le droit international. Pour
chacune de ces grandes disciplines, des subdivisions se sont peu à peu imposées pour donner
naissance à des grandes matières spécialisées : les droits fondamentaux, le droit commercial,
le droit social, le droit des finances publiques, la criminologie, le droit international
économique, etc.
Ce mouvement de spécialisation a également une portée spatiale. Les juristes se distinguent
selon qu’ils évoluent dans le contexte du droit national, international ou européen. Pour
chacun de ces contextes, de nouvelles distinctions interviennent pour délimiter les espaces :
tel droit national plutôt que tel autre ; telle branche du droit international ou du droit européen
plutôt que telle autre.
62. La comparaison multiniveau ne remet pas en cause la nécessaire spécialisation des
juristes ni même l’éclatement des disciplines. Elle en tire, au contraire, toutes les
conséquences en livrant aux spécialistes un outil capable de faire dialoguer, par la
comparaison, sa matière avec les autres. C’est bien de comparaison qu’il s’agit. Le spécialiste
d’une question dans un contexte donné est conduit à rechercher les ressemblances et
différences qui existent avec les méthodes et solutions juridiques définies dans d’autres
contextes à d’autres niveaux. Le décloisonnement des spécialités est limité, dès lors que cette
recherche porte trait pour trait sur un même objet juridique. Par exemple, si le spécialiste
compare la protection des droits de l’homme en France et dans le système de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il n’a pas à
faire l’effort de s’extraire de son domaine habituel d’étude.
1 Pour une démonstration en ce sens à partir des travaux préparatoires du Code civil des Français : X. Lagarde,
Pourquoi le droit est-il complexe ?, Le Débat, 2003, no127, p. 146.
74
Très souvent, cependant, la comparaison de deux ou trois contextes différents ouvre des
perspectives plus vastes. Elle est l’occasion, en effet, de mettre en exergue une différence de
nature entre les constructions juridiques élaborées à chaque étage du droit.
Situation – Le décloisonnement du droit européen et du droit national
Un exemple de comparaison du droit européen de la concurrence avec une règle nationale
relative au contentieux contractuel
Une affaire « Courage » (CJCE 20 septembre 2001, aff. C-453 / 99) a été l’occasion de
mettre en comparaison le droit européen de la concurrence (droit des ententes) et une règle
nationale (anglaise) limitant la faculté pour une partie à un contrat illicite de dénoncer la
nullité du contrat (exception d’indignité). Au terme d’une analyse comparée des finalités
respectives du droit européen et du droit national, la Cour de justice a considéré que le droit
européen « ne s'oppose pas à une règle de droit national qui refuse à une partie à un contrat
susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de se fonder sur ses propres
actions illicites aux fins d'obtenir des dommages et intérêts, dès lors qu'il est établi que cette
partie a une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence » (pt. 36 de
l’arrêt). Cette comparaison entre les deux niveaux de droit n’avait rien d’évidente. Le droit
européen se contente de poser un interdit : la nullité des ententes contraires à la libre
concurrence. Le droit national pose quant à lui une règle de procédure qui limite les
possibilités d’agir en justice pour une partie à un contrat. En dépit de cette altérité, la Cour de
justice est parvenue à concilier les objectifs en présence (voir sur cette démarche
comparative du juge européen, notre analyse proposée in « Principe communautaire
d’autonomie procédurale et droit national des contrats », RDC 2003, 71).
Situation – Le décloisonnement du droit international et du droit européen
Comparer, par exemple, une règle de droit international privé et une règle européenne de
libre circulation
La jurisprudence rendue par la Cour de justice en matière de nom patronymique a été
l’occasion de confronter les solutions tirées du droit international privé et du droit européen
de la libre circulation. Alors que le droit international privé s’efforce de définir notamment
des règles de rattachement conduisant à l’application de tel droit national plutôt que tel autre,
la mise en œuvre du droit européen a amené la Cour de justice à énoncer des solutions
différentes, justifiées, selon elle, par un impératif de libre circulation (pour l’exemple le plus
connu : CJCE, 2 oct. 2003, Garcia Avello, aff. C-148/02). Dans un cas comme celui-ci, la
confrontation des droits peut déboucher sur une préférence délibérée donnée par la Cour de
justice au droit européen au détriment de solutions du droit international privé. Le citoyen
75
européen se voit ainsi reconnaître le droit de faire échec à l’application de la loi nationale
d’un Etat membre de manière à conserver la situation juridique acquise dans un autre Etat
membre au nom de son droit à la citoyenneté européenne. Les constructions du droit
international privé sont ainsi mises à mal. Pour comprendre cette perturbation, il est
impératif de comparer les finalités de cette discipline avec celles d’un droit européen qui
s’efforce manifestement de construire le statut du citoyen européen (voir sur ce thème :
E. Pataut, L’invention du citoyen européen, juin 2009, in http://www.laviedesidees.fr ; du
même auteur : « Citoyenneté communautaire et libre circulation des personnes – de la
construction d’un marché à l’élaboration d’un statut » in : S. Bollée, Y.-M. Laithier et C.
Pérès (dir.), L’efficacité économique en droit, Economica, 2010, p. 147).
§ 2 – Les préjugés culturels
63. La comparaison des droits dans le contexte national, international et européen peut se
heurter à des préjugés de nature culturelle, les deux principaux étant l’histoire (A) et la langue
(B).
A - L’histoire
64. La comparaison multiniveau se heurte à une donnée historique que l’on ne saurait
occulter : les trois grands contextes juridiques que nous avons identifiés ne partagent pas une
histoire véritablement commune. Le plus ancien des niveaux, le niveau national, s’est
construit en Europe à partir de la fin du Moyen âge. La figure contemporaine du droit
international, notamment l’organisation qu’elle propose d’une société internationale, remonte
au XIXe siècle. Enfin le niveau régional européen, c’est-à-dire la construction européenne
contemporaine, a pris corps au lendemain de la seconde guerre mondiale1.
Ce triple décalage entre le niveau national, international et européen peut être perçu comme
un obstacle à la comparaison. La préexistence du droit national sur le droit international et
européen, sa capacité à livrer des méthodes et solutions juridiques dans des domaines plus
étendus et plus variés que ceux, nécessairement spécialisés, du droit international et européen
seraient de nature à fausser la recherche des ressemblances et différences.
65. Ce préjugé « historique » dressé contre la comparaison multiniveau mérite d’être
combattu pour trois grandes raisons.
1 Pour une présentation macro-historique du développement des différents droits au titre de l’étude des
phénomènes de mondialisation du droit, voir J.-L. Halpérin, Profils des mondialisations du droit, Dalloz, coll.
Méthodes du droit, 2009.
76
Une première raison tient au fait que le contexte national, même s’il est plus ancien que les
contextes international et européen tel que nous les considérons ici, est lui-même le résultat
d’un processus de construction qui s’est largement appuyé sur une histoire antérieure à son
avènement1. Or cet héritage historique n’est pas devenu la propriété exclusive du contexte
national. Il irradie potentiellement tous les contextes, y compris les méthodes et solutions
élaborées en droit international et européen.
Une deuxième raison considère que l’argument utilisé pour affirmer une primauté historique
du droit national sur le droit international et européen est largement réversible. Il est loin le
temps où l’on pouvait considérer que seul le droit national était porteur d’une histoire devant
laquelle devaient nécessairement s’incliner les jeunes droits de source internationale et
européenne. Ces deux derniers contextes ont également leur histoire propre. Les méthodes et
solutions qui sont les leurs aujourd’hui sont rarement le fruit du hasard. Elles s’expliquent,
bien souvent, par des données anciennes qui ont une valeur historique comparable à celle qui
anime le droit national. Autrement dit, les différents contextes ont tous une histoire. La
comparaison peut donc parfaitement s’inscrire dans une perspective historique, d’autant plus
intéressante qu’elle permet parfois d’expliquer les ressemblances et différences observées à
différents âges de leur construction respective2.
La troisième raison est propre au travail d’application du droit national, international et
européen. La comparaison de ces différents contextes s’inscrit dans une démarche de
recherche immédiate de solutions, préfigurée par les deux autres étapes que sont la
combinaison et la hiérarchisation des droits en présence3. Elle n’entend pas révéler une vérité
historique difficilement conciliable avec des décalages dans le temps aussi importants. Peu
importe que les données historiques en présence ne correspondent pas aux mêmes périodes.
Seuls comptent les éléments de droit positif actuel appartenant à chaque contexte et qu’il
convient, le cas échéant, de comparer.
1 Pour différentes démonstrations en ce sens en droit privé, v. R. Zimmermann, Roman Law, Contemporary
Law, European Law : the Civilian Tradition Today, Oxford University Press, 2001 ; R.-M. Rampelberg, Repères
romains pour le droit européen des contrats, LGDJ, 2005. G. Hamza, Le développement du doit privé européen.
Le rôle de la tradition romaniste dans la formation du droit privé moderne, Bouchal – Budapest, 2005. 2 On saluera à ce titre, la publication d’une revue très riche consacrée à l’histoire de la construction européenne
contemporaine « Contemporary European History », Cambridge Journals, accessible en ligne :
http://journals.cambridge.org/action/displayJournal?jid=CEH . 3 Voir infra, Parties 2 et 3.
77
Situation – Comparer deux droits construits à des âges différents
L’exemple de l’interprétation du Code civil de 1804 à l’aune du droit de l’Union
européenne
Peut-on revisiter une disposition du Code civil français rédigé en 1804 à la lumière de la
construction du droit européen contemporain ? (voir, par exemple, se posant ouvertement la
question : Ph. Brun et Ch. Quézel-Ambrunaz, Vaccination contre l’hépathite B et sclérose en
plaques : ombres et lumières sur une jurisprudence instable, Revue Lamy Droit civil, 2008,
n° 52, 15). Si l’on accepte de mener une comparaison multiniveau, la réponse à cette
question doit pouvoir être positive. Prenons deux exemples. L’article 1107 du code civil fait
la distinction entre les contrats nommés et innommés en opposant les règles générales du
code civil aux règles spéciales contenues dans le code ou en matière commerciale. Si l’on se
pose, par exemple, la question de l’articulation du code civil et du droit européen régissant
un contrat spécial (par exemple, le contrat d’agence commerciale réglementé par la Directive
86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États
membres concernant les agents commerciaux indépendants), l’article 1107 du Code civil,
relu à la lumière de la construction européenne, offre un élément de réponse : les règles
générales du Code civil s’appliquent sous réserve du jeu de règles spéciales aménagées
notamment par la directive européenne et la loi nationale de transposition.
Un autre exemple peut être tiré de l’interprétation donnée par la Cour de cassation française
en matière d’indétermination du prix. La lecture proposée par une jurisprudence célèbre sur
l’indétermination du prix (Ass. plén. 1er déc. 1995 - 4 arrêts - pourvois n° 91-15.578, 91-
15.999, 91-19.653, 93-13.688) de l’article 1129 du Code civil s’accommode, en effet,
parfaitement du développement du droit européen de la concurrence. La solution française
prévoit qu’en principe une partie à un contrat peut fixer unilatéralement le prix sous réserve
qu’il n’y ait pas abus. Cette interprétation peut être rapprochée du développement du droit
européen des pratiques anticoncurrentielles qui interdit l’abus dans la fixation unilatérale du
prix par une entreprise en situation de position dominante sur son marché (art. 102 TFUE). Il
n’y a pas de difficulté ici à rapprocher deux dispositions, l’une écrite en 1804 (art. 1129
Cciv) et l’autre en 1957 (art. 86 du Traité CEE devenu art. 82 CE puis art. 102 TFUE).
B - La langue
66. Le comparatiste entendu au sens classique du terme, celui qui se livre à une
comparaison des droits nationaux, butte fréquemment sur la question du plurilinguisme.
Chaque fois qu’il manie des droits construits autour de langues différentes, il est confronté à
une multitude de difficultés. Il lui faut, pour commencer, accéder à une langue qui n’est pas la
sienne. Il doit ensuite trouver le moyen de passer d’une langue du droit à une autre, sans trop
78
de dommages, c’est-à-dire sans déformer ou travestir les notions qu’il emprunte à un système
et qu’il tente de transporter dans un autre système pétri dans une autre langue. Des réflexions
approfondies existent sur ce sujet difficile. On observe notamment que les juristes et
linguistes s’intéressent de plus en plus à la question des rapports entre la langue et le droit1.
Le thème philosophico-juridique de la traduction connaît, par ailleurs, un certain essor2. Mais
la langue étrangère n’en demeure pas moins une forme de préjugé hostile à la comparaison,
préjugé qu’il faut savoir vaincre pour ne pas commettre d’erreur d’analyse.
Les perspectives offertes par une comparaison multiniveau du droit national, international et
européen ne modifient pas fondamentalement cet état des choses. La langue étrangère soulève
des difficultés comparables qu’elle soit pratiquée dans un contexte national, international ou
européen. En effet, aucun de ces deux derniers contextes n’a fait disparaître le plurilinguisme.
On peut estimer, au contraire, qu’ils le cultivent d’une certaine manière. L’Union européenne
a fait le choix de préserver une diversité linguistique qu’elle a inscrite dans sa loi
fondamentale et qui implique des efforts considérables de traduction3. Au niveau international
où la présence de l’anglais domine les discussions et travaux, le multilinguisme n’a pas non
plus disparu. La plupart des grands textes internationaux sont rédigés en plusieurs langues
officielles. Par ailleurs, il n’est pas rare qu’un traité soit négocié dans une langue, rédigé dans
une autre et interprété dans une troisième4.
67. Dans la perspective qui est la nôtre d’une comparaison multiniveau, le multilinguisme
demeure et il peut être source de difficultés d’interprétation. Mais des solutions existent,
notamment dans l’hypothèse fréquente où un même texte juridique est rédigé en plusieurs
1 Voir notamment : D. Laméthie et O. Moréteau, L’interprétation des textes juridiques rédigés dans plus d’une
langue, RIDC 2006, 327 ; O. Moréteau, Les frontières de la langue et du droit : vers une méthodologie de la
traduction juridique, RIDC 2009/4, p. 695 ; M. Cornu et M. Moreau (dir.), La traduction du droit et le droit de la
traduction, Dalloz, 2011 ; S. Decaudin, Approche juridique de la traduction du droit, Cejec-wp 2010/1
(http://www.cejec.eu) ; R. Sacco (dir.), Les frontières avancées du savoir du juriste : l’anthropologie juridique et
la traductologie juridique / The Advanced Frontiers of Legal Science : Legal Anthropology and Translation
Studies in Law, Bruylant 2011. 2 F. Ost, Traduire – Défense et illustration du multilinguisme, éd. Fayard, 2009.
3 Article 55 du Traité sur l’UE. Voir sur ce thème : E. Grasso, La question de la terminologie dans l’Union
européenne : le multilinguisme entre le droit à la différence et l’uniformisation, direction A. Simoni et S. Robin-
Olivier, thèse de doctorat des Universités de Florence et de Paris Ouest – Nanterre La Défense (cotutelle), mars
2010. 4 Sur l’appréhension de la diversité linguistique en droit international, voir notamment : P. Kovacs, Les langues
et le droit international, in J.-M. Thouvenin et Ch. Tomuschat (dir.), Droit international et diversité des cultures
juridiques, éd. Pedone, 2008, spéc. p. 123.
79
langues. Dans cette circonstance, une idée de « neutralité linguistique »1 semble gouverner le
travail d’interprétation. La circulation, dans différentes langues, d’un même matériau
juridique - principe, règle ou décision – est, en principe, considérée comme équivalente. Il n’y
a pas de raison a priori de faire prévaloir une langue sur une autre et donc de préférer
délibérément telle version linguistique à telle autre. Cette approche prima facie cède le pas en
cas de réelle distorsion entre les différentes langues du texte à appliquer. Dans ce cas,
l’interprète n’a d’autre choix que de prendre une nécessaire distance avec les différentes
lettres du texte pour tenter de trouver dans son esprit, sa raison d’être et ses finalités, le
creuset d’une interprétation commune à toutes les versions linguistiques. Cette dernière est
grandement facilitée en présence d’un interprète unique capable de donner du texte une
lecture authentique.
Situation – La question du plurilinguisme devant les juges
Deux cas de multilinguisme devant la Cour de justice de l’Union européenne
Il est fréquent que la Cour de justice soit saisie de la question du multilinguisme. Elle peut
revêtir deux grands aspects. Le premier vise l’hypothèse rare d’une lacune, c’est-à-dire le cas
où un texte n’a pas été traduit dans l’une des langues officielles de l’Union européenne. La
solution retenue par la Cour de justice est radicale : le texte non publié au JO dans l’une des
langues de l’UE est inopposable aux particuliers du ou des États concerné(s) alors même
qu’il est établi que le texte pourrait être compris dans une autre langue de l’Union (CJCE, 11
déc. 2007, Skoma, aff. C-161/06). Le second, beaucoup plus fréquent, conduit la Cour de
justice à s’interroger sur la diversité des interprétations que laisse entrevoir un texte européen
(traité, règlement ou directive par exemple) rédigé en vingt-trois langues officielles
différentes. Selon une jurisprudence abondante et constante, « la formulation utilisée dans
une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base
unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par
rapport aux autres versions linguistiques. Une telle approche serait incompatible avec
l’exigence d’uniformité d’application du droit de l’Union. En cas de divergence entre les
versions linguistiques, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie
générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément » (CJUE,
1 Il ne semble pas que la « neutralité linguistique » ait été érigée à ce jour « en principe » par les auteurs qui se
sont intéressés à la question de la circulation d’un texte juridique rédigé en plusieurs langues. Mais c’est une idée
que l’on trouve souvent exprimée dans les travaux consacrés au sujet. Voir notamment sur ce thème : R. Sacco et
L. Castellani (dir.), Les multiples langues du droit européen uniforme, éd. L’Harmattan Italia, 1999 ; R. Sacco
(dir.), l’interprétation des textes juridiques rédigés dans plus d’une langue, éd. L’Harmattan Italia, 2002.
80
25 mars 2010, Helmut Müller, aff. C-451/08, point 38 ; comparer, pour le premier arrêt
rendu en ce sens, CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, aff. 29/69).
81
Section 3 – Les finalités
68. La comparaison du droit national, international et européen poursuit deux grandes
finalités : la connaissance des contextes juridiques pertinents (§ 1) et la définition d’une
stratégie juridique (§ 2).
§ 1 – La connaissance des contextes juridiques pertinents
69. Comparer, c’est connaître l’ensemble des contextes juridiques avec lesquels un cas est
susceptible d’entretenir des liens. Deux approches peuvent être successivement menées : une
recension des contextes juridiques pertinents (A) et leur comparaison (B).
A – La recension des contextes juridiques pertinents
70. La comparaison multiniveau a pour objectif la recension de l’ensemble des données
utiles à la résolution d’un cas, que ces données appartiennent au contexte national,
international ou européen. Il s’agit pour le juriste de repérer le ou les niveaux de droit
pertinents, c’est-à-dire ceux qui sont susceptibles de livrer les méthodes et solutions utiles à la
résolution du cas. Pour ce faire, il est nécessaire de procéder à une première approche
quantitative des droits potentiellement applicables. Combien de droits, présents dans
différents contextes, va-t-il falloir interroger pour déterminer s’ils ont effectivement vocation
à s’appliquer à la situation en cause ? Pour répondre à cette interrogation, une démarche en
deux temps peut se révéler utile.
Premier temps : il importe de déterminer le contexte avec lequel le cas présente des liens.
S’agit-il d’un cas purement interne à un Etat, relevant a priori du contexte national ? S’agit-il,
au contraire, d’un cas international, mobilisant les ressources du droit international privé ou
public ? S’agit-il, enfin, d’un cas de dimension régionale, soumis par exemple au droit
européen (Union européenne ou Conseil de l’Europe) ? Les réponses à ces questions livrent
une première indication sur ce que l’on pourrait appeler le contexte de référence, celui auquel
est principalement rattaché le cas en cause.
Situation – Identifier le contexte de référence
Un exemple de cas purement interne à un Etat
L’hypothèse la plus simple est celle d’une situation de fait purement interne à un Etat.
Imaginons un cas. Paul et Marie sont de nationalité française. Ils se sont mariés en France,
pays de leur résidence habituelle. Leurs trois enfants sont nés en France. Leur patrimoine
immobilier et mobilier est localisé sur le seul territoire français. Ils souhaitent divorcer,
82
liquider leur régime matrimonial, définir les modalités d’exercice de l’autorité parentale sur
leurs enfants et contester, le cas échéant, le lien de filiation établi par mariage pour le
troisième enfant. La situation est franco-française. A priori, elle relève principalement du
contexte national.
Un exemple de cas intra-européen
Parfois la situation de fait présente des éléments de localisation dans plusieurs États
européens, membres de l’Union européenne par exemple. Adaptons le cas précédent. Paul
est de nationalité allemande et Marie est de nationalité française. Ils se sont mariés en France
et ont leur résidence habituelle en Allemagne. Leur premier enfant est né en France et les
deux autres en Allemagne. Ils possèdent des comptes en banque dans les deux pays et ont
acheté une résidence de vacances en Espagne. Ils souhaitent divorcer, liquider leur régime
matrimonial, définir les modalités d’exercice de l’autorité parentale sur leurs enfants et
contester, le cas échéant, le lien de filiation établi par mariage pour le troisième enfant. La
situation est intra-européenne. A priori, elle relève principalement du contexte européen.
Un exemple de cas international
La situation de fait peut également présenter des éléments de localisation dans un pays tiers à
l’Union européenne. Si dans l’exemple précédent on substitue la Suisse à l’Allemagne, on
est en présence d’une situation internationale.
71. Second temps : il importe de s’interroger sur l’aptitude du cas en cause à être projeté
dans d’autres contextes que celui qui lui sert a priori de référence. Il se peut, en effet, qu’un
cas purement interne à un Etat soit malgré tout soumis au jeu de règles élaborées à un niveau
international ou européen. Dans un ordre d’idée comparable, on peut concevoir qu’un cas
proprement international ou européen mette en scène l’application d’un droit national. Enfin,
on peut imaginer qu’un cas localisé principalement au niveau international soit transportable
au niveau européen ou inversement. Certains liens entre les contextes peuvent être apparents.
D’autres, au contraire, sont plus difficiles à identifier. Pour pouvoir les déceler, il faut donc
avoir le réflexe de projeter le cas hors de son contexte de référence.
Situation – Projeter un cas hors de son contexte de référence
L’exemple d’un cas interne et le contexte international et européen
Dans l’exemple précédent du couple français qui entend divorcer en France, la projection du
cas hors du contexte national de référence conduit le juriste à s’interroger sur l’impact exercé
sur son cas par des instruments internationaux et européens potentiellement applicables, y
compris à des situations purement internes. On songe, par exemple, à la Convention
83
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (COE, 1950)
ou, encore, à la Convention de New York relative aux droits de l’enfant (ONU, 1989).
L’exemple d’un cas européen et le contexte interne et international
Dans l’hypothèse ci-dessus décrite du divorce d’un couple franco-allemand, le cas relève
notamment d’instruments de type européen (par exemple : Règlement (CE) n° 2201/2003 du
Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des
décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ; Règlement
(CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la
reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations
alimentaires ; Règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en
œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la
séparation de corps). Mais il est soumis également à des droits nationaux (règles de conflits
de lois de sources nationales applicables en matière de divorce en l’absence d’harmonisation
européenne et, naturellement, loi nationale applicable au divorce proprement dit) et
internationaux (application, le cas échéant, de la Convention de La Haye de 1980 sur les
aspects civils de l'enlèvement international d'enfants). Le contexte européen définit ainsi un
certain nombre de solutions juridiques qui est complété par le contexte national et
international.
L’exemple d’un cas international et le contexte interne et européen
Dans le cas de figure précédemment exposé du divorce d’un couple franco-suisse, la
situation relève potentiellement, au niveau international, de textes internationaux (par
exemple : Convention de La Haye de 1973 concernant la reconnaissance et l'exécution de
décisions relatives aux obligations alimentaires). Elle demeure soumise néanmoins dans
l’espace intra-européen (Union européenne) à des instruments applicables en ce domaine
(Règlement (CE) n° 2201/2003, Règlement (CE) n° 4/2009 et Règlement (UE)
n° 1259/2010, préc., applicables dans l’hypothèse où un juge français est saisi de la demande
en divorce ou d’un différend relatif à la définition d’une obligation alimentaire). Enfin,
comme dans le cas précédent, elle laisse une place à l’application du droit national.
B – La comparaison des contextes juridiques pertinents
72. Une fois repérés les contextes susceptibles de livrer des réponses au traitement d’un
cas donné, le juriste peut être conduit à les comparer.
Au premier degré, la comparaison consiste à mettre en relation des méthodes et solutions
empruntées aux différents contextes, dans une perspective totalement horizontale. L’ensemble
des données sont extraites de leur environnement d’origine pour être traitées en considération
84
du seul résultat qu’elles produisent. C’est une approche sans doute rudimentaire de la
comparaison. Elle peut être critiquée pour son manque de profondeur et, surtout, son caractère
instrumental1. Mais elle demeure utile au juriste car elle offre un premier enseignement sur les
ressemblances et différences entre les différentes méthodes et solutions applicables.
73. Cette comparaison au premier degré ne permet pas toujours d’obtenir une information
suffisante sur les potentialités offertes par les différents contextes. Il est alors nécessaire de la
compléter par une comparaison de second degré capable de prendre en compte
l’environnement juridique dans lequel s’intègrent les méthodes et solutions mises en
comparaison. Chaque donnée, qu’elle soit tirée du contexte national, international ou
européen, est susceptible d’appartenir à un ensemble juridique, un système juridique.
Comparer les méthodes et solutions juridiques en présence peut nécessiter parfois de
comparer les systèmes auxquels elles appartiennent. L’application du droit national,
international et européen ne répond pas aux mêmes logiques selon qu’elle est située dans un
ordre juridique étatique, dans l’ordre international ou au sein d’une organisation européenne
reposant sur un principe d’intégration juridique.
Situation – De la comparaison des méthodes et solutions à la comparaison des systèmes
juridiques en présence
L’exemple d’un cas national, international ou européen
Si l’on s’appuie sur les trois cas précédemment décrits du divorce d’un couple français,
franco-allemand ou franco-suisse (voir supra, xxx), l’approche qualitative de la comparaison
va permettre de mettre en évidence les points de ressemblance et de différence suivants :
- dans le cas du couple français : vont s’appliquer les règles du Code civil français applicable
en matière de divorce et d’obligations alimentaires et les droits fondamentaux de source
internationale ou européenne qui sont de nature à infléchir le cours de la procédure (par
exemple, sur la question de l’audition des enfants mineurs devant le juge français aux
affaires familiales) ou la solution (par exemple, sur le traitement égalitaire des époux dans
l’octroi du droit d’hébergement et de visite des enfants) ; ces règles sont essentiellement
mises en œuvre par le juge français ; mais la question peut se poser à un stade ultime de la
procédure nationale d’un recours devant la CEDH en cas de manquement à la CESDHLF ;
1 Sur cette critique, formulée essentiellement dans le contexte traditionnel de la comparaison des droits
nationaux, voir, en particulier, P. Legrand (dir.), Comparer les droits, résolument, éd. PUF, 2009. Voir
également, critiquant cette approche en termes de clivage entre les privatistes et les publicistes, M.-C.
Ponthoreau, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Ed. Economica, 2010, spéc. p. 43 et s.
85
dans cette hypothèse, deux systèmes juridictionnels seront successivement mobilisés :
interne puis européen, chacun ayant une architecture juridique propre ;
- dans le cas du couple franco-allemand : peuvent s’appliquer potentiellement plusieurs
droits nationaux (allemand, espagnol et français) ; différents juges étatiques sont
potentiellement compétents ; des règles européennes existent pour arbitrer les compétences
juridictionnelles et législatives concurrentes et permettre une circulation des décisions de
justice intervenues dans l’espace européen ; en cas de difficulté, le juge national peut poser
une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne ; la Cour de justice,
qu’elle soit interrogée sur l’interprétation d’un texte de droit dérivé ou sur sa validité, rendra
sa décision eu égard aux principes et règles de fonctionnement de l’ordre juridique de l’UE ;
dans sa décision, la Cour de justice peut être amenée également à faire une place à une
convention de La Haye ou des Nations Unies liant la France et l’Allemagne pour compléter
le dispositif européen ;
- dans le cas du couple franco-suisse : la situation internationale est à cheval sur trois
environnements : le contexte international représenté ici, notamment, par des instruments
juridiques définis par les États au sein de la conférence de La Haye sur le droit international
privé ou sein des Nations Unies ; le contexte de l’Union européenne et du Conseil de
l’Europe qui ont vocation à déployer pleinement leurs effets, dès lors, par exemple, que c’est
le juge d’un Etat partie qui est saisi de la demande en divorce ; le contexte national qu’il soit
français, espagnol ou suisse qui disposent de leur propre système juridictionnel ou hiérarchie
des normes ; tous ces contextes sont dotés de caractéristiques juridiques que le juriste peut
être amené à comparer à ce stade premier de l’application du droit national, international et
européen.
§ 2 – La définition d’une stratégie juridique
74. Le point ultime de la comparaison multiniveau doit permettre au juriste de définir une
stratégie juridique. Schématiquement, il lui faut déterminer si la résolution de son cas
nécessite l’ouverture d’un ou plusieurs fronts de discussion dans différents contextes
juridiques. Parfois, la question ne se pose pas en termes de choix. Le juriste, selon sa position
(juriste d’une entité privée ou publique, avocat, juge, etc.), peut être amené à subir le choix
imposé par un autre acteur ou une règle de droit. Mais quand ce choix est possible, le juriste
est alors invité à répondre à deux questions successives. La situation de fait est-elle
susceptible de relever d’un ou plusieurs contextes à la fois ? Quel est ou quels sont le ou les
contexte(s) qui doivent ou peuvent être retenus ?
86
Dans les affaires complexes où les enjeux politico-socio-économiques sont importants, il est
fréquent que plusieurs fronts soient ouverts en même temps dans différents contextes
juridiques. Chaque contexte présente bien souvent une particularité, de sorte que la
sollicitation de plusieurs contextes traduit une pluralité d’objectifs. Les moyens d’action
présents dans les différents contextes ne sont pas nécessairement les mêmes. Le temps pour
les mettre en œuvre ne s’égrène pas de la même manière. L’ouverture de plusieurs fronts peut
ainsi procéder d’une logique de mise en concurrence des contextes en présence dans l’espoir
qu’ils interagissent les uns sur les autres.
Situation – Les stratégies à fronts multiples
Un exemple en droit d’auteur national, international et européen
Supposons qu’un législateur national (le législateur Français, par exemple) projette
d’introduire dans sa réglementation sur le droit d’auteur une exception générale au droit
exclusif d’exploitation justifiée par un impératif pédagogique. Le projet de disposition
nationale est libellé de la manière suivante : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne
peut interdire les utilisations publiques de son œuvre intervenant à l’initiative des organismes
d’enseignement public ou privé ». Le juriste est saisi de la question de savoir s’il est possible
de remettre en cause cette solution qui, si elle est adoptée par le législateur national,
constitue une véritable menace pour les intérêts pécuniaires des auteurs et leurs ayants droit.
Trois fronts s’offrent au juriste :
- un front national où la question peut être posée devant les instances étatiques (Parlement,
puis, le cas échéant, Conseil constitutionnel, puis juge ordinaire de la compatibilité de la
disposition en cause avec les standards internationaux (Convention de Berne de 1886 pour la
protection des œuvres littéraires et artistiques - OMPI ; Traité de l'OMPI de 1996 sur le droit
d'auteur ; Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce de 1994 - OMC) et européens (Directive (CE) n° 2001/29 du Parlement européen
et du Conseil, 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des
droits voisins dans la société de l'information) applicables en ce domaine ;
- un front européen où la même question peut à terme être posée mais devant la Commission
(procédure en constatation de manquement) ou Cour de justice de l’Union européenne
(renvoi préjudiciel en interprétation de la directive européenne) ;
- un front international qui pourrait être mobilisé à l’initiative d’un autre Etat dans le cadre
du règlement des différends de l’OMC.
Rien n’interdit d’imaginer que ces trois fronts puissent être ouverts à un moment ou à un
autre, de manière parallèle et qu’ils soient de nature à interagir les uns sur les autres. Ainsi,
87
le front national peut être utilisé pour inviter les parlementaires français à renoncer à
l’adoption du projet en cause. Si la loi est votée, elle pourra être invalidée par le Conseil
constitutionnel, s’il est saisi, pour non-respect de la Directive (CE) n° 2001/29 (préc.) qui
enferme l’exception de pédagogie dans des conditions beaucoup plus strictes de mise en
œuvre. À défaut de contrôle a priori, c’est au juge ordinaire (judiciaire et/ou administratif)
qu’il reviendra d’apprécier la conformité de la loi nationale aux standards internationaux ou
européens existants, quitte à ce qu’il interroge le Conseil constitutionnel à un moment ou à
un autre de la procédure par le jeu de la question prioritaire de constitutionnalité. Le front
national peut interférer avec le front européen. Le juge ordinaire français peut être amené à
interroger la Cour de justice à titre préjudiciel pour obtenir une interprétation de la directive
européenne ou contester sa validité, de sorte que la réponse des juges de Luxembourg ait un
impact sur sa solution. Il peut en aller de même si un arrêt est rendu par la Cour de justice
dans le cadre d’une procédure en constatation de manquement. Le front européen peut
interférer à son tour avec le front international. La perspective d’une saisine de l’ORD de
l’OMC pour violation par l’accord ADPIC (préc.) est tout à fait envisageable. Elle peut être
l’occasion de sanctions économiques prises contre l’Etat qui ne respecte pas ses
engagements internationaux. Elle peut également servir d’impulsion à de nouvelles
négociations internationales.
Compte tenu de ces différentes possibilités, le juriste doit choisir d’ouvrir un seul ou
plusieurs fronts, sachant que même s’il n’ouvre qu’un seul front, l’existence des différents
contextes juridiques sera potentiellement présente dans l’esprit des acteurs s’ils décident de
les évoquer (sur l’hypothèse inverse, voir ci-après, le développement de stratégies à front
unique). Voir, à titre d’exemple : Conseil constitutionnel français : décision n° 2006-540 DC,
27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de
l'information ; CJCE, 16 juillet 2009, Infopaq, aff. C-8/08 ; ORD, Rapport du groupe spécial,
26 janv. 2009, Etats-Unis c. Chine, WT/DS362.
Pour une étude des stratégies juridiques à l’œuvre dans différentes branches de la propriété
intellectuelle, voir : M. E. Pinto Marinho, L’idée de « droit commun pluraliste » à l’épreuve
des processus d’internationalisation du droit des brevets », Thèse de l’Université de Paris I -
Panthéon Sorbonne, 2009 ; C. Le Goffic, La protection des indications géographiques –
France Union européenne Etats-Unis, Litec, 2010.
75. Les stratégies à fronts multiples ne sont pas toujours possibles ou souhaitables. Le
juriste peut être conduit à privilégier un contexte plutôt qu’un autre, soit une stratégie à front
unique.
88
Situation – Les stratégies à front unique
Un exemple (à nouveau) en droit d’auteur national, international et européen
L’hypothèse est connue : soit un litige présenté devant un juge national (français par
exemple) afférant à la protection d’un droit d’auteur. Supposons que le titulaire du droit,
demandeur à l’action, s’interroge sur le point de savoir s’il doit développer ou non une
argumentation de droit national, international ou européen. La décision de se placer sur un
terrain plutôt qu’un autre est loin d’être anodine. Par exemple, le demandeur peut décider de
s’appuyer sur les seules dispositions de droit national alors pourtant que ces dispositions
transposent une directive européenne ou traduisent dans l’ordre juridique français le respect
d’une stipulation conventionnelle internationale. Cette stratégie peut avoir pour objectif
d’éviter qu’un débat ne s’ouvre sur la conformité du droit français à des normes
internationales ou européennes, débat qui pourrait notamment inciter les parties ou le juge à
solliciter, par voie préjudicielle, une interprétation de la Cour de justice de l’Union
européenne. Cette perspective de renvoi préjudiciel peut, en effet, avoir des conséquences
que les acteurs du procès peuvent juger contraires à leurs intérêts. Par exemple, les parties et
parfois même le juge peuvent redouter les effets d’une suspension de procédure pendant
l’année et demie généralement nécessaire au traitement de la question préjudicielle. De
même, ils peuvent vouloir privilégier, consciemment ou inconsciemment, une discussion
juridique franco-française, sans risque de la voir influencée par des considérations de droit
international ou européen. Si l’on pousse un peu plus loin ces considérations stratégiques,
c’est la nature même de la question juridique en débat qui peut dépendre de la volonté des
acteurs de se placer ou non sur le seul terrain du droit national. On ne le fait sans doute pas
assez souvent remarquer : poser une question préjudicielle à la Cour de justice, ce n’est pas
pour le juge national poser la même question de droit à un autre acteur institutionnel, c’est
poser une autre question de droit. Le juge européen y répondra avec ses référents, ses outils,
son appareil jurisprudentiel qui ne sont pas strictement identiques à ceux que manipule le
juge national. Le juriste doit donc mesurer les enjeux qu’implique, dans un procès national,
l’évocation de questions de dimension européenne ou internationale. Voir à titre
d’illustration, en droit des marques : CJCE, 23 avril 2009, Dior II, aff. C-59/08 où la
question de l’incidence de l’inexécution d’une obligation contractuelle soulevée devant le
juge national a conduit à une réflexion, devant la Cour de justice, sur la raison d’être de la
protection de la propriété intellectuelle comprise comme une potentielle entrave à la libre
circulation (pour une explication du phénomène, voir notre commentaire : À propos du petit
droit européen des contrats : de quelques exemples récents en droit de la propriété
intellectuelle, RDC 2010, 725).
89
Ce type de visée stratégique a fait l’objet d’un échange public lors de la première séance des
« Rendez-vous de 5h » organisés en mai 2012 par l'association IP Assas (Master 2 de droit
de la propriété intellectuelle de l’Université de Panthéon-Assas, dirigé par P.-Y. Gautier) sur
le thème : « La CJUE est-elle en train de refondre la propriété intellectuelle et le commerce
électronique ? ».
90
CHAPITRE 2 – LA COMPARAISON PROPREMENT DITE
76. La comparaison des droits dans le triple contexte national, international et européen
porte potentiellement sur différents objets : le domaine d’application des droits en présence
(Section 1), les conditions dans lesquelles ils peuvent être invoqués (Section 2), les méthodes
et solutions qu’ils retiennent (Section 3).
91
Section 1 – La comparaison des domaines d’application
77. Les méthodes et solutions juridiques élaborées dans différents contextes – national,
international et européen – du droit, n’ont pas toutes nécessairement le même domaine
d’application. Il est donc important de comparer le domaine matériel (§ 1), spatial (§ 2) et
temporel (§ 3) des différents droits en présence.
§ 1 – Le domaine matériel
78. Le domaine matériel du droit national, international et européen potentiellement
applicable est défini à l’aide de qualifications juridiques (A) dont il est possible de dresser une
typologie (B).
A- Le recours à des qualifications juridiques
79. Pour déterminer les situations auxquelles s’applique une règle de droit, le juriste a
recours à des qualifications juridiques. Considérée de manière générale, l’opération de
qualification permet, en effet, de déterminer si un cas concret entre dans le domaine matériel
d’application de telle ou telle règle de droit. Ce domaine est défini à l’aide de notions et
catégories juridiques. Généralement, on distingue, deux étapes dans le processus, selon qu’il
s’agit nommer juridiquement une situation (un acte, un fait, un bien ou une personne) ou de
déterminer la place qu’il occupe au regard de plusieurs catégories juridiques exclusives l’une
de l’autre (acte ou fait juridique ; chose ou personne)1. Dans les deux cas, l’opération permet
de déterminer quel type de règle de droit est apte à appréhender une situation donnée.
80. Dans un contexte de pluralisme juridique mondial, la source et le contenu des notions
et qualifications juridiques peuvent varier selon qu’elles sont puisées au niveau national,
international ou européen. Il est donc utile de les comparer.
Situation – Les qualifications nationales, internationales ou européennes
Un exemple à propos des marchandises : le cas du médicament
Les médicaments sont soumis à un régime juridique particulier. Ils forment une catégorie
juridique à part entière. La qualification juridique de « médicament » peut être fonction du
droit qui lui sera appliqué à un niveau national, international ou européen. Par exemple, on
trouve une définition du médicament à l’article L 5111-1 du code français de la santé
publique. En droit de l’Union européenne, la Cour de justice a été amenée à livrer de très
1 Sur cette distinction, spécialement dans le contexte international, voir notamment, avec les références
proposées : B. Ancel, Repertoire de droit international, éd. Dalloz, V° Qualification.
92
nombreuses interprétations des textes de droit dérivé aujourd’hui codifiés par la Directive
2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code
communautaire relatif aux médicaments à usage humain (voir, par exemple, pour l’un des
premiers arrêts : CJCE, 30 novembre 1983, aff. 227/82, Van Bennekom). Même la Cour
européenne des droits de l'homme s’est prononcée sur le sujet dans le triple contexte du droit
français, du droit de l’Union européenne et du droit du Conseil de l’Europe (CEDH, 15 nov.
1996, Req. n° 17862/91, Cantoni c/ France). L’Organisation mondiale de la santé (OMS)
participe également à ce travail de définition en proposant une classification des différents
types de médicaments.
Pour une étude d’ensemble, voir Dictionnaire permanent Bioéthique et Biotechnologies, V°
Médicaments.
Un exemple à propos des actes juridiques : la distinction entre la vente et la prestation de
services
La distinction entre la vente et la prestation de services pose un problème connu de
qualification juridique. Le régime du contrat de vente et du contrat de louage d’ouvrage
n’obéissant pas nécessairement aux mêmes règles juridiques (par exemple, en matière de
détermination du prix ou du tribunal normalement compétent), il importe d’identifier pour
chaque situation, la figure contractuelle qui lui correspond. La clé de distinction entre les
deux contrats peut varier d’un contexte à l’autre selon la source juridique considérée. En
droit national français, par exemple, la distinction résulte de l’interprétation jurisprudentielle
donnée par la Cour de cassation des articles 1582 et 1792 du Code civil. En droit européen,
la distinction est utilisée dans des instruments de droit dérivé (par exemple, Règlement (CE)
n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, art. 5.1.b). En
droit international, un instrument spécifiquement dédié à la vente internationale de
marchandises s’efforce de faire la distinction entre la vente et les contrats complexes, mêlant
fourniture de biens et de services (par exemple : Convention de Vienne de 1980 sur la vente
internationale de marchandises – ONU - CNUDCI, art. 3).
Un exemple à propos des personnes : la définition de l’enfant
Différents instruments nationaux, internationaux et européens s’appliquent spécifiquement
aux enfants. Pour déterminer si une personne entre dans cette catégorie juridique, il faut
interroger les textes en présence pour savoir s’ils sont matériellement applicables. Parfois, ils
livrent des éléments de qualification. Ainsi, par exemple, la loi française crée une
responsabilité des parents du fait de leurs « enfants mineurs » (article 1384 alinéas 4 et 7 du
Code civil), ce qui exclut les enfants ayant atteint l’âge de la majorité de 18 ans et les
mineurs émancipés. Quant à la Convention de New York sur les droits de l’enfant (ONU -
93
1989), elle définit l’enfant comme « tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la
majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable » (art. 1er). Enfin,
la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre un article aux « Droits de
l’enfant », mais ne propose pas de définition de la notion (art. 24).
Un exemple à propos des situations juridiques : la distinction entre les situations internes
et les situations internationales ou européennes
Dans les différents contextes d’application du droit, une distinction importante est parfois
faite entre les situations internes et les situations internationales. Quand cette distinction est
mise en œuvre, elle commande potentiellement le jeu de règles juridiques spécifiques selon
que l’on est dans l’une ou l’autre catégorie. L’exemple le plus caractéristique est celui de
l’arbitrage en droit français qui distingue clairement entre les solutions juridiques applicables
à l’arbitrage en général (art. 1442 et s. CPC) et l’arbitrage international en particulier (art.
1492 et s. CPC). On la retrouve également dans des instruments internationaux destinés à
appréhender spécifiquement des situations internationales, comme en matière de transport
international (par exemple : Convention de Montréal de 1999 pour l’unification de certaines
règles relatives au transport aérien international) ou d’intermédiation ou représentation (par
exemple : Convention de La Haye de 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires
et à la représentation, Conférence de La Haye).
Elle est également présente dans des dispositions de droit de l’Union européenne qui visent à
appréhender spécifiquement les flux de circulation à l’intérieur de l’espace européen et qui
ne se veulent pas applicables à des situations purement internes à un Etat membre ou à des
situations impliquant des Etats tiers (par exemple : Directive 93/7/CEE du Conseil du 15
mars 1993 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un
État membre).
Mais ça n’est pas la règle générale. Il est fréquent, en effet, que le droit élaboré dans le
contexte national s’applique indifféremment à des situations internes à un Etat ou à des
situations internationales ou européennes (par exemple, un contrat de vente internationale de
marchandises soumis à la loi française choisie par les parties). Le même phénomène peut
être observé aux niveaux international ou européen (par exemple, un instrument européen ou
international portant droit uniforme qui s’applique indifféremment aux situations internes,
internationales et européennes ; autre exemple : une règle européenne relative à une liberté
de circulation appliquée à une situation purement interne à un Etat membre).
B- Les différents types de qualifications juridiques
81. La comparaison des différentes qualifications juridiques élaborées dans un contexte
national, international ou européen est source de plusieurs enseignements. Le juriste peut, tout
94
d’abord, se trouver en présence d’une qualification universellement admise à tous les niveaux
du droit ou, au contraire, de qualifications qui varient selon le contexte considéré.
Situation – Les qualifications universelles et les qualifications particularistes
Un exemple à propos des personnes : retour sur la définition de l’enfant
La définition de l’enfant présente un caractère universel. C’est ainsi qu’il faut lire, par
exemple, la Charte de l’Union européenne qui, bien que ne définissant pas le terme, renvoie
implicitement à la définition donnée par la Convention de New York (voir en ce sens, les
explications relatives à la Charte établies par le Praesidium de la Convention européenne,
JOUE C303 du 14 déc. 2007). Mais à y regarder de plus près, on observe que cette définition
souffre également de particularisme. La Convention de New York réserve, en effet,
l’hypothèse où la majorité est atteinte avant 18 ans en vertu de la législation qui lui est
applicable. Cette solution laisse place à deux variables. La première vise le cas où une
réglementation fixe le seuil d’une majorité civile, pénale ou sexuelle, par exemple, à un
niveau inférieur à l’âge de 18 ans. La seconde concerne les causes d’émancipation des
mineurs. Il en résulte une hétérogénéité des solutions qui n’est pas visible au premier abord.
82. Le juriste peut, par ailleurs, observer que la qualification qu’il utilise existe à son
niveau de manière autonome ou, à l’opposé, qu’elle est empruntée à un autre niveau que le
sien.
Situation – Les qualifications autonomes et les qualifications dépendantes
Un exemple à propos des actes : retour sur la distinction entre le contrat de vente et le
contrat de services
La distinction entre le contrat de vente et le contrat de services est un bon exemple de
qualification tantôt autonome, tantôt dépendante. Par qualification autonome, il faut
considérer l’hypothèse où le juriste travaillant dans un contexte (national, international ou
européen) est en mesure de trouver la qualification qu’il recherche à son niveau. Par
exemple, s’il s’agit d’appliquer les règles de droit interne pour déterminer si l’on est en
présence d’un contrat de vente ou d’un contrat de louage d’ouvrage, c’est très certainement
dans ce contexte interne - national ou étranger peu importe à ce stade de la comparaison -
que doit être recherchée la qualification en cause. De la même manière, s’il s’agit de
caractériser en droit de l’Union européenne, une activité de services suceptible de relever de
la libre prestation de services, le traité européen donne une définition autonome (article 57
TFUE).
Par qualification dépendante, il faut envisager le cas différent où le juriste est contraint de
rechercher la qualification en cause dans un autre contexte que celui dans lequel il travaille
95
habituellement. Par exemple, si le juriste de droit européen veut mettre en œuvre la
distinction entre le contrat de vente et de louage d’ouvrage utilisée par le Règlement (CE) n°
44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (préc.), il est
contraint, en l’état de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, d’avoir
recours à des qualifications nationales, dès lors que la distinction entre le contrat de vente et
le contrat de services n’a pas été à ce jour définie positivement au niveau européen dans le
contexte spécifique de cet instrument de droit international privé (voir, néanmoins, pour une
définition négative de ce qui n’est, ni un service ni une vente (à propos d’un contrat de
licence d’exploitation d’un objet de propriété intellectuelle) : CJCE, 23 avril 2009, Falco, aff.
C-533/07). Pour une réflexion approfondie sur le jeu des qualifications en ce domaine et la
proposition d’un modèle réaliste de qualification, voir J.-S. Quéguiner, Le juge du contrat
dans l’espace judiciaire européen - Qualification et détermination d’une compétence
spéciale, Thèse de l’Université Jean Moulin - Lyon 3, 2012.
Les solutions peuvent varier d’un domaine à l’autre du droit européen. Pour un effort de
qualification autonome en matière fiscale (TVA), voir CJUE, 10 mars 2011, aff. jtes Bog ea,
C-497/09, C-499/09, C-501/09, C-502/09 ; pour une mise en perspective de la question, voir
l’analyse proposée par A. Tenenbaum, Qualification de la prestation de services, RDC 2012,
179.
83. Le juriste peut, enfin, constater que certaines qualifications sont supplétives, en ce
sens que les sujets de droit peuvent, dans une certaine mesure, en disposer alors que d’autres
sont manifestement d’ordre public.
Situation – Les qualifications supplétives et les qualifications d’ordre public
Deux exemples à propos de l’arbitrage et du contrat de vente
Les qualifications retenues dans tel ou tel droit pour distinguer, par exemple, l’arbitrage
interne de l’arbitrage international ou le contrat de vente du contrat d’entreprise sont-elles
intangibles ou peuvent-elles être aménagées par une volonté contraire ? Autrement dit, peut-
on déroger à une règle qui prévoit de ne s’appliquer qu’à des situations données alors que les
parties se trouvent dans une autre situation ? La réponse à cette question varie selon la nature
de la règle qui définit le domaine matériel du droit en cause. Si l’on considère que la
qualification est impérative, il ne sera pas possible d’y déroger. Dans le cas contraire, si elle
est supplétive, on peut envisager que les destinataires de la règle en disposent autrement. Par
exemple, les règles de droit français sur l’arbitrage (préc.) sont d’ordre public en ce sens que
les parties à un arbitrage interne ne peuvent volontairement se soumettre aux dispositions
moins contraignantes relatives à l’arbitrage international. En revanche, il est admis, à
96
certaines conditions, que des parties à un contrat d’entreprise choisissent de se voir appliquer
la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises (préc.) alors
qu’elle exclut normalement ce type de contrat (sur le régime alors applicable, voir A. Malan,
L’extension du champ d’application d’une convention d’unification matérielle par la volonté
des parties, JDI 2004, 443, spéc. n° 28 et s.).
Selon le cas de figure, la question de l’application du droit national, international et européen
ne se présente donc pas sous le même jour. La confrontation des contextes, leur combinaison
et éventuelle hiérarchisation1 sont d’autant plus pertinentes que les qualifications juridiques
en présence diffèrent d’un espace à l’autre. Il est donc nécessaire de procéder, au premier
stade de l’analyse juridique, à leur comparaison.
§ 2 – Le domaine spatial
84. La définition du domaine d’application dans l’espace du droit national, international et
européen fait l’objet d’un questionnement particulier (A) qui met en scène une grande
diversité de solutions (B).
A – La question de l’applicabilité dans l’espace du droit national, international et européen
85. Les méthodes et solutions juridiques élaborées dans le contexte national, international
ou européen n’ont pas seulement un domaine matériel d’application. Elles disposent
également d’un domaine d’applicabilité dans l’espace. Ce domaine permet de localiser d’un
point de vue strictement géographique, les situations concrètes soumises aux droits
matériellement applicables. Il est utile de pouvoir s’y référer dans un contexte de pluralisme
juridique mondial où le juriste peut être quelque peu désorienté face à la profusion des droits
qui s’offrent à lui.
86. Ce domaine spatial est parfois défini explicitement à l’aide de critères de localisation.
Ces critères s’appliquent potentiellement à tous les éléments d’une situation donnée :
localisation des personnes, des biens, des actes et des faits juridiques.
Situation – La localisation des cas dans l’espace
Exemples de critères utilisés pour localiser un cas dans l’espace
Les critères de localisation susceptibles d’être utilisés pour déterminer le domaine
d’applicabilité spatiale des méthodes et solutions juridiques élaborées dans le contexte
national, international ou européen peuvent potentiellement porter sur : les personnes
1 Sur ces deux processus de combinaison et hiérarchisation, voir infra, Parties 2 et 3.
97
physiques : la nationalité, le domicile ou la résidence ; les personnes morales (de droit privé
ou de droit public) : le lieu d’établissement ou le droit en conformité duquel elles ont été
constituées ; les biens : le lieu de leur situation ou de leur éventuelle immatriculation ; les
actes : le lieu de leur adoption ou conclusion ou de leur exécution ; les faits : le lieu où ils se
sont originairement produits et/ou le lieu où ils produisent leurs effets, etc.
Selon la nature juridique de la situation en cause et le contexte d’application du droit
considéré, le juriste peut être invité à utiliser l’un ou l’autre de ces critères.
87. Ces critères de localisation sont généralement incorporés à des règles. Dans leur
acception la plus large, on les appelle des « règles d’applicabilité spatiale »1. Elles sont
potentiellement présentes à tous les niveaux du droit : national, international ou européen.
Situation – L’existence de règles d’applicabilité spatiale
De quelques exemples en droit national, international et européen
Les règles d’applicabilité spatiale peuvent concerner le droit national, international ou
européen. Voici quelques exemples :
- applicabilité du droit national : les dispositions du droit national qui définissent le champ
d’application dans l’espace de la loi nationale (par exemple, les articles 113-1 et s. du Code
pénal français qui distinguent les règles d’applicabilité de la loi pénale française selon
différents critères, notamment le lieu des infractions commises sur ou en dehors du territoire
national, la nationalité française ou étrangère de l’auteur de l’infraction et celle de sa
victime) ;
- applicabilité du droit international : les dispositions contenues dans un instrument de droit
international qui entendent localiser dans l’espace les situations auxquelles il s’applique (par
exemple, la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises
(préc.) qui prévoit de s’appliquer notamment aux contrats conclus entre des parties établies
dans des Etats signataires différents, art. 1.1.a) ;
- applicabilité du droit européen : les dispositions de droit primaire ou dérivé qui désignent
les situations dans l’espace que le droit européen entend régir (par exemple, art. 20 TFUE
qui réserve le bénéfice de la citoyenneté européenne et des droits y afférents aux personnes
ayant la nationalité au moins d’un Etat membre ; art. 2.1 du Règlement (CE) n° 44/2001 du
Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dont les règles de compétence
1 Voir l’étude majeure de M. Fallon, Les règles d’applicabilité en droit international privé, in Mélanges offerts à
Raymond Vander Elst, éd. Nemesis, Bruxelles 1986, p. 285.
98
directe ne s’appliquent, en principe (il y a de nombreuses exceptions), que si le défendeur est
domicilié dans un Etat membre).
B – La diversité des solutions
88. Une comparaison des critères et règles d’applicabilité spatiale définis dans le contexte
national, international ou européen peut révéler une grande diversité de solutions selon la
question de droit posée et le ou les contextes concernés. Pour tenter de s’y retrouver, le juriste
est amené à faire un effort de systématisation.
L’hypothèse que nous avons déjà rencontrée est celle où une règle de source nationale,
internationale ou européenne est assortie explicitement d’une règle d’applicabilité spatiale
(voir ci-dessus, au paragraphe précédent, les différents exemples proposés). Ces solutions
d’applicabilité peuvent concerner dans l’absolu des règles de droit public ou de droit privé,
des règles de fond ou des règles de procédure.
Pour certaines d’entre elles, leur analyse appelle un examen plus approfondi. Les règles
d’applicabilité spatiale n’ont pas toutes la même signification juridique ou ne produisent pas
toutes le même effet. Il faut pouvoir distinguer certaines singularités. Entre autres possibilités,
trois singularités sont ici évoquées.
89. Une première singularité concerne les règles à forte dimension institutionnelle. Le
domaine spatial des règles nationales, internationales ou européennes définies pour le
fonctionnement d’institutions administratives ou juridictionnelles est normalement fonction
du système juridique qui les porte. Une autorité nationale est naturellement soumise aux
règles de fonctionnement de l’Etat qui l’a instituée. Il en va de même pour les institutions
créées par un traité international ou européen. Leurs activités sont régies par les règles de
droit primaire et dérivé qui forment le système juridique qui les a fait naître. Dans ces
différentes hypothèses, c’est le droit du siège de l’institution qui s’applique sans qu’il soit
d’ailleurs nécessaire de le préciser toujours explicitement. Si ce fonctionnement interne venait
à être altéré par une source externe, nous serions alors en présence d’une hypothèse de
combinaison des droits1. Mais cette applicabilité de règles institutionnelles « étrangères » qui
appartiennent à un autre système juridique que celui auquel est rattachée l’institution
1 Voir infra, Partie 2.
99
concernée demeure une exception au principe d’applicabilité du droit du for de l’institution1.
Situation – Le domaine d’applicabilité des règles à caractère institutionnel
Exemples à propos des juridictions nationales, internationales ou européennes
La Cour de cassation, le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel français sont
naturellement régis dans leur mode de fonctionnement par le droit français (Constitution de
1958, lois organiques, etc.). Pour une juridiction internationale, telle que la Cour
internationale de justice ou la Cour pénale internationale par exemple, c’est le traité qui l’a
instituée qui définit les règles de fonctionnement applicable (Charte des Nations Unies
(1945) et Statut de Rome (1998). Pour une juridiction européenne, telle que la Cour de
justice de l’UE ou la Cour européenne des droits de l’homme, il faut également se référer
aux textes en vigueur dans le système juridique européen considéré : UE (ex. CEE de 1957,
devenue CE en 1992) ou CESDHLF (1950).
90. Une deuxième singularité distingue les règles d’applicabilité spatiale selon qu’elles
portent sur des règles matérielles, sur des règles de conflits de lois ou sur des règles de conflit
de juridictions. Les solutions juridiques qui permettent de définir le champ d’application dans
l’espace du droit national, international ou européen peuvent, en effet, porter soit sur des
règles matérielles qui ont vocation à livrer une solution à une question de fond donnée, soit
sur des règles de conflit de lois qui permettent de désigner le droit normalement applicable,
soit sur des règles de conflit de juridictions qui règlent les questions de compétence
internationale des juridictions nationales et les modalités de circulation des décisions de
justice. Cette distinction entre les trois familles de règles nous vient du droit international
privé. Mais elle est partiellement opérationnelle en droit public qui, s’il n’utilise pas à
proprement parler de règles de conflit de lois ou de juridictions, est fréquemment amené à
délimiter l’application dans l’espace de ses règles matérielles.
Situation – L’applicabilité dans l’espace des règles matérielles et des règles de conflit de
lois et de juridictions
Exemples de solutions en droit national, international et européen
La plupart des règles d’applicabilité porte sur des règles matérielles. En droit international
privé, on associe ainsi ces règles au jeu des « lois d’application immédiate » qui, comme leur
1 Précisons que cette exception est parfois de grande ampleur. C’est le cas du dédoublement fonctionnnel des
institutions nationales quand elles sont amenées à agir selon les principes et règles qui président aux ordres ou
systèmes juridiques de dimension internationale ou régionale. Pour une appréhension de ce phénomène, voir
infra, n° xxx.
100
nom l’indique, s’appliquent immédiatement selon leurs propres critères d’applicabilité, sans
qu’il soit nécessaire de recourir à un facteur de rattachement (par exemple, en droit français,
il est admis que l’art. 215 al. 3 Cciv. qui protège le logement familial, s’applique de manière
immédiate, quelle que soit la loi normalement applicable au régime matrimonial des époux,
dès lors que l’immeuble est situé en France (voir sur ce point, avec les différentes références
citées : M. Revillard, Les régimes matrimoniaux - Droit international privé, Juris-classeur
Droit international, fasc. 556, n° 129) ; comp., de manière plus explicite encore : l’art. 311-
15 Cciv. qui régit les effets de la possession d’état en matière de filiation quand l’enfant et
l’un au moins de ces deux parents résident en France, indépendamment de la loi qui leur est
normalement applicable). Ces lois d’application immédiate peuvent parfois être des « lois de
police », en ce sens qu’elles traduisent l’exercice d’une police administrative de l’Etat (pour
différents exemples tirés de la jurisprudence nationale récente, Voir M.-N. Jobard-Bachellier
et F.-X. Train, Juris-classeur Droit international, fasc. 534-1 : Ordre public international).
L’expression est parfois étendue au droit de l’Union européenne, sans que ce soit d’ailleurs
toujours justifié. En effet, on a montré que les règles d’applicabilité définies dans le contexte
de l’UE s’inscrivaient dans un mouvement plus ample de définition unilatérale du champ
d’application des règles matérielles européenne : voir, à propos du droit dérivé, S. Francq,
L’applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international
privé, Bruylant-LGDJ, 2005).
Parfois, c’est la règle de conflit de lois elle-même qui fait l’objet d’une règle d’applicabilité.
La règle qui permet de déterminer la loi applicable dans une hypothèse de conflit de lois est
ainsi soumise à une règle d’applicabilité dans l’espace. L’exemple le plus connu en droit
international est ancien : la Convention de La Haye de 1956 sur la loi applicable aux
obligations alimentaires dont l’article 6 limite la portée de la convention à la désignation de
la loi d’un Etat signataire. Ce type de clause n’a pas été retenu dans les instruments plus
récents élaborés sous l’égide de la Conférence de La Haye de droit international privé. En
droit de l’Union européenne, la règle d’applicabilité peut affecter des règles de conflit de lois
à forte coloration matérielle (voir, par exemple, à propos de la loi applicable aux contrats
d’assurance, l’article 7 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil
du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit « Rome I » qui
délimite le champ d’application spatiale de la règle de conflit par une localisation du risque
dans l’espace juridique européen ; comparer (entre autres exemples) : le champ d’application
spatiale de la Directive 96/71 du 16 décembre 1996 concernant le détachement de
travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ou du Règlement (CE) n°
2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société européenne (SE) qui
posent tous deux des règles de conflits de lois lato sensu).
101
Enfin, s’agissant des règles de conflit de juridictions, il faut faire plusieurs distinctions. Les
règles de source nationale ont, en principe, une assise strictement nationale. La compétence
internationale des juridictions françaises ou l’exequatur des décisions étrangères sur le sol
national sont naturellement soumis aux règles nationales de procédure. Si la solution au
conflit de juridictions trouve sa source dans une disposition de droit international ou
européen, il faut alors distinguer selon qu’elles portent sur la compétence directe des
juridictions ou sur l’exequatur des décisions. Sur le premier point, toutes les solutions sont
envisageables : certains instruments s’appliquent aux juridictions des Etats parties, sans autre
critère d’applicabilité (par exemple, Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du
27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en
matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale) ; d’autres au contraire
ajoutent des critères supplémentaires prenant en compte par exemple le domicile du
défendeur (par exemple, Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en
matière civile et commerciale). Sur le second point, il va de soi que les règles internationales
ou européennes en matière d’efficacité des décisions étrangères s’appliquent aux seules
décisions rendues par les juridictions des Etats signataires (voir, en droit européen, les deux
exemples ci-dessus).
91. Une troisième singularité porte sur le vocabulaire qui peut être utilisé pour graduer
l’applicabilité spatiale du droit national, international ou européen. Une distinction peut être
faite entre les droits qui sont aptes à s’appliquer sans limitation spatiale et ceux dont
l’applicabilité est géographiquement limitée. Parfois on désigne les premières par l’expression
« applicabilité universelle », alors que les secondes présentent un caractère « d’applicabilité
autolimitée ». Ces deux expressions sont néanmoins trompeuses. Il est rare, en effet, qu’une
règle soit véritablement d’applicabilité universelle et il existe des procédés indirects de
définition du champ d’applicabilité dans l’espace qui ne procèdent pas par autolimitation de la
règle.
Situation – A propos de l’applicabilité dite universelle et autolimitée
Exemples de solutions en droit national, international et européen
Les hypothèses d’applicabilité dite « universelle » du droit, c’est-à-dire sans limitation a
priori de la portée géographique des règles en présence, existent dans tous les contextes du
droit. En droit national, le terme est souvent utilisé en matière pénale, chaque fois que le juge
détient une compétence pour appréhender des comportements criminels qui ne présentent pas
un lien étroit avec le territoire national. Ceci dit, il faut distinguer deux hypothèses. Les
102
hypothèses où la compétence universelle est absolue comme cela a été ou est le cas dans
certains pays (par exemple, hier en Belgique et aujourd’hui en Espagne) et les hypothèses où
elle est plus raisonnée comme c’est le cas en France (articles 689-1 s. du CPP). Dans le
premier cas, le juge national peut avoir à connaître de crimes qui ne présentent aucun
rattachement avec le territoire national. Dans le second cas, la présence sur le sol français de
la personne suspectée du crime à l’étranger peut être l’une des conditions minimales
d’applicabilité du texte. Ces compétences dites « universelles » en matière pénale sont
également consacrées dans leur version non absolue par de nombreux instruments
internationaux spécifiques (par exemple, la Convention de New York de 1984 contre la
torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants - ONU).
La question de l’applicabilité universelle se pose également fréquemment à propos des droits
de l’homme (voir en particulier sur ce thème : D. Lochak, Le droit et les paradoxes de
l’universalité, PUF, 2010). Le développement de ces droits, notamment dans le contexte
régional du Conseil de l’Europe, avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales (1950), soulève de vifs débats sur le caractère
réellement universel des valeurs occidentales portées par cet instrument. Le débat n’est pas
seulement de nature philosophique ou sociologique. Il a également une dimension juridique
sur la portée géographique de l’instrument. La question se pose notamment de savoir s’il faut
appliquer la CESDHLF à des situations localisées dans des pays étrangers au Conseil de
l’Europe aux seuls motifs qu’elles ont été présentées à un juge d’un Etat membre et que ce
dernier a rendu une décision susceptible d’être critiquée par la Cour européenne des droits de
l’homme (pour une discussion sur ce thème, voir, avec les nombreuses références citées, L.
Gannagé, L’ordre public international à l’épreuve du relativisme des valeurs, Travaux du
CFDIP, année 2006-2008, Pedone 2009, 205).
A l’opposé de ces questionnements, le point relativement technique se pose de savoir s’il
existe un ou plusieurs procédés juridiques pour limiter la portée géographique d’une règle.
La réponse a été donnée par un auteur qui a proposé de systématiser les règles d’applicabilité
(M. Fallon, Les règles d’applicabilité en droit international privé, in Mélanges offerts à
Raymond Vander Elst, éd. Némésis, Bruxelles 1986, p. 285). C’est ainsi qu’il distingue les
règles directes d’applicabilité des règles indirectes. Les premières sont des dispositions
d’autolimitation du type de celles que nous avons présentées précédemment (voir supra, n°
xxx). Les secondes sont des règles de conflit de lois bilatérales ou unilatérales qui permettent
de désigner la loi normalement applicable dans l’espace pour régir un rapport de droit (loi de
la résidence d’une personne, de situation d’un bien, du lieu de réalisation d’un fait ou de
conclusion d’un acte, etc.). Ces dernières existent à tous les niveaux, national (par exemple,
l’article 310 du Code civil qui pose une règle de conflit de lois unilatérale en matière de
103
divorce), international (par exemple, les nombreuses conventions de La Haye qui
uniformisent les conflits de lois : http://www.hcch.net) ou européen (par exemple, les
Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la
loi applicable aux obligations non contractuelles dit « Rome II », Règlement (CE)
n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles dit « Rome I » ; Règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du
20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi
applicable au divorce et à la séparation de corps, dit « Rome III »). Voir du même auteur :
Les frontières spatiales du droit privé européen selon le droit de l’Union européenne, in E.
Poillot et I. Rueda (dir.), Les frontières du droit privé européen / The Boundaries of
European Private Law, Bruylant 2012, p. 65)
92. Enfin une quatrième et dernière singularité vise l’hypothèse où l’applicabilité
géographique est tributaire d’un choix de la part de ceux qui entendent se soumettre
volontairement à la règle. Le cas de figure est ici semblable à celui rencontré à propos des
règles d’applicabilité matérielle1. En effet, ce choix est parfois possible alors que dans
d’autres cas, l’applicabilité spatiale est imposée de manière impérative.
Situation – L’applicabilité choisie ou l’applicabilité imposée
Exemples de solutions en matière contractuelle
En matière contractuelle, les parties disposent d’une certaine autonomie de la volonté qui
peut les conduire à choisir comme droit applicable un droit national, international ou
européen qui, en l’absence de choix, ne serait pas normalement applicable. Le choix des
parties peut ainsi avoir pour effet d’étendre ou de réduire le domaine d’applicabilité spatial
du droit national, international ou européen en cause. Par exemple, les parties à un contrat
purement interne, conclu et exécuté dans un pays, décident de se soumettre à la loi d’un autre
pays (par exemple, le choix de la loi japonaise pour un contrat localisé en France) ou à une
convention internationale portant loi uniforme pour les contrats internationaux (par exemple,
la Convention « CMR » de Genève de 1956 sur le transport par route qui s’applique
normalement aux seuls transports internationaux) ou même à des principes européens qui
n’ont pas de valeur juridique contraignante (par exemple, les principes européens des
contrats de la Commission Lando). Ces choix sont-ils valables ? La réponse générale, qui
varie potentiellement d’un système juridique à l’autre, tient dans le contexte de notre droit
français en deux grandes propositions. Le choix ne peut avoir pour effet d’affranchir les
parties du respect de tout droit (c’est l’hypothèse condamnée du contrat sans loi, voir
1 Voir supra, n° xxx.
104
toujours cité : Cour de cassation, Civ., 21 juin 1950, Messageries maritimes, B. Ancel et Y.
Lequette, Grands arrêts de la jurisprudence de droit international privé, 5ème
éd. Dalloz, 2006,
n° 22). Ce choix est contraint par les dispositions impératives normalement applicables au
contrat en l’absence de choix (voir, par exemple, à propos de la Convention CMR, préc. :
Cour de cassation, Com., 1er juillet 1997, pourvoi n° 95-12221). Sous ces deux réserves et
sauf règles particulières à tel ou tel domaine, les parties au contrat ont une certaine prise sur
le domaine d’applicabilité spatiale des règles contractuelles. Dans certaines matières
particulières (en l’occurrence en matière de transport), cette pratique est désignée par
l’expression « clause paramount », chaque fois que les parties au contrat décident de se
soumettre au jeu d’une convention internationale alors que cette dernière n’est pas
normalement applicable, compte tenu de son domaine d’applicabilité dans l’espace. Pour une
analyse de la question dans le contexte du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement
européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit
« Rome I », spéc. son article 3, voir notamment les commentaires de : P. Deumier et J.-B.
Racine, Règlement Rome I : le mariage entre la logique communautaire et la logique
conflictuelle, RDC 2008, 1309 , P. Lagarde et A. Tenenbaum, De la convention de Rome au
règlement Rome I, RCDIP 2008, 727 ; S. Francq, Le règlement « Rome I » sur la loi
applicable aux obligations contractuelles. De quelques changements…, JDI 2009, 41.
§ 3 – Le domaine temporel
93. La question des effets du droit dans le temps se pose dans le triple environnement
national, international et européen. Tous les systèmes juridiques présents à ces différents
niveaux définissent des solutions en la matière. Ces dernières peuvent porter sur l’affirmation
d’un principe général relatif à la question importante de la rétroactivité des textes juridiques.
Situation – La question de la non-rétroactivité des lois
Exemples de solutions en droit national, international et européen
L’affirmation d’un principe général de non-rétroactivité de la loi nouvelle ou d’un traité ou
texte dérivé nouveau est présente potentiellement à tous les niveaux du droit. On la trouve
formulée de manière générale en droit français (art. 2 Cciv.) ou dans la Convention de
Vienne sur le droit des traités (art. 28) par exemple. Elle est également inscrite, s’agissant de
la loi pénale plus stricte, dans les textes nationaux (en France : art. 8 DDHC), internationaux
(art. 15 PIDCP) et européens (art. 7 CESDHLF et art. 49 de la CDFUE). La valeur juridique
du principe est précisée par chaque système juridique. En droit français, le principe de non-
rétroactivité n’est pas considéré d’ordre public en ce sens qu’une autre loi peut y déroger, à
condition toutefois de respecter différentes règles ou principes. Il en va de même pour le
105
droit international général qui autorise les Etats à aménager des solutions rétroactives pour ce
qui les concerne. En revanche, s’agissant des dispositions spécifiques à l’application de la loi
pénale en vigueur au jour de l’infraction, une valeur intangible leur est reconnue tant par des
textes internes à valeur constitutionnelle que par les textes internationaux et européens
(préc.). Certains systèmes vont plus loin en préconisant l’application rétroactive de la loi
pénale plus douce. L’Union européenne, par exemple, a ainsi considéré par la voix de la
Cour de justice que « le principe de l’application rétroactive de la peine la plus légère fait
partie des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres » (CJCE, 3 mai 2005,
Berlusconi, aff. C-387/02 ; comp. CEDH, 17 sept. 2009, Scoppolla c. Italie (N° 2), Req. n°
10249/03).
94. Les règles d’application dans le temps peuvent également intéresser la date d’entrée en
vigueur d’un nouveau texte et l’aménagement de dispositions de droit transitoire.
Situation – L’application dans le temps des textes nationaux, internationaux et européens
Exemples de dispositions sur l’entrée en vigueur et le droit transitoire
A chaque fois qu’il est fait référence à un texte de droit interne, international ou européen, il
est nécessaire de prendre connaissance des règles générales d’entrée en vigueur aménagées
par chaque système juridique et de vérifier que le texte en cause n’y déroge pas, par le jeu de
solutions spécifiques de droit transitoire. Au titre des premières, on trouve en droit interne
(par exemple, en France, l’Ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004), en droit
international (Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 24) et en droit européen
(s’agissant du droit UE dérivé : art. 297 § 1 al. 3 TFUE) une réglementation à caractère
général sur les modalités d’entrée en vigueur des textes nouvellement adoptés. Au titre des
secondes, il faut procéder au cas par cas et vérifier pour chaque texte, s’il précise la date et,
éventuellement, les modalités de son application dans le temps. Cette pratique est
particulièrement fréquente en droit de l’Union européenne. Qu’il s’agisse des traités, des
règlements ou des directives notamment, très fréquentes sont les règles de droit transitoire
qui s’étalent parfois sur des périodes très longues (par ex. la construction du marché commun
a obéi à un calendrier étalé sur une quinzaine d’années ; plus récemment, l’adhésion de
nouveaux Etats de l’Europe centrale et orientale ou le développement de nouvelles politiques
européennes ont fait l’objet de règles transitoires destinées à retarder sensiblement les effets
des nouveaux instruments en vigueur).
95. Elles sont susceptibles, enfin, d’appréhender la question épineuse de la limitation dans
le temps des effets des revirements de justice.
106
Situation – L’effet dans le temps des revirements de jurisprudence nationale, internationale
ou européenne
Un exemple d’analyse comparée en droit national et européen
Un rapport a été publié en France sur la question des effets dans le temps des revirements de
jurisprudence (N. Molfessis (dir.), Les revirements de jurisprudence – Rapport remis à
Monsieur le Premier Président G. Canivet, éd. Litec, 2005). Les données du problème sont
connues. Un changement opéré par la jurisprudence dans l’interprétation d’un texte produit
un effet rétroactif. On considère, en effet, que l’interprétation nouvelle du texte fait corps
avec le texte interprété, de sorte qu’elle est censée avoir toujours existé. Sous réserve des
décisions de justice définitives qui ne sauraient être remises en cause, elle s’applique à toutes
les situations, qu’elles soient antérieures ou postérieures à la décision rendue. Pour éviter que
cette application rétroactive du revirement de jurisprudence ne remette brutalement en cause
un nombre parfois très important de situations existantes, la question se pose de savoir si le
juge peut limiter les effets dans le temps de sa propre jurisprudence. A l’initiative d’un haut
magistrat français, un groupe de travail composé d’universitaires, de magistrats et d’avocats
a livré un travail de recherche. Sur un sujet aussi délicat que celui de l’effet dans le temps
des décisions de justice, il est apparu nécessaire d’en appeler, non seulement, aux
expériences des juridictions nationales françaises et étrangères, mais également, d’accorder
une place de choix à la jurisprudence européenne. Les juridictions européennes ont, en effet,
eu recours très tôt (voir, la première décision rendue en ce sens : CJCE, 8 avril 1976,
Defrenne, aff. 43/75) à la limitation des effets dans le temps de leur décision, hors contexte
des revirements de jurisprudence au demeurant (contrôle de la légalité des actes de l’UE ou
interprétation préjudicielle du droit de l’UE). Cette pratique européenne ne pouvait être
passée sous silence dans le contexte d’une étude à l’objet plus précis.
107
Section 2 – La comparaison des conditions d’invocabilité
96. L’aptitude pour un sujet à invoquer le droit national, international et européen est
fréquemment discutée dans un contexte de pluralisme juridique mondial. Différents cas de
figure peuvent être envisagés (§1) qui n’ont pas tous la même signification juridique (§2).
§ 1 – Les cas d’invocabilité dans le triple contexte national, international ou européen
97. Pour les besoins de l’analyse, trois hypothèses peuvent être distinguées selon que
l’invocabilité est appréhendée dans une situation mettant en scène une relation « droit
international - droit national » (A), « droit européen - droit national » (B) et « droit
international - droit européen » (C).
A – L’invocabilité et la relation droit international - droit national
98. Si l’on considère, pour commencer, la relation entre le contexte international et
national, on observe que la question de l’invocabilité a été pour l’essentiel appréhendée sous
l’angle de la réception en droit interne des instruments du droit international, en particulier
des traités internationaux. Le cas de figure le plus fréquemment envisagé est celui de
l’invocabilité d’une convention internationale par un sujet de droit privé devant une autorité
administrative ou judiciaire nationale. Le requérant excipe du bénéfice du texte international
pour tenter d’infléchir un processus de décision habituellement gouverné par les données du
droit interne applicable. De nombreux exemples existent, le plus étudié dans le contexte
français étant probablement celui tiré de l’invocabilité de la Convention de New York relative
aux droits de l’enfant (ONU, 1989).
Situation – L’invocabilité du droit international devant une instance nationale
L’exemple de l’invocabilité en France de la Convention de New York relative aux droits de
l’enfant
La possibilité pour un justiciable d’invoquer à son profit le bénéfice de la Convention de
New York relative aux droits de l’enfant (préc.) a fait l’objet en France d’une jurisprudence
abondante de la part, notamment, des deux juridictions supérieures de l’ordre administratif et
judiciaire. Si la position actuellement retenue par le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat 10 mars
1995, Req. n° 141083) puis la Cour de cassation (Civ. 1re, 14 juin 2005, pourvoi n° 04-
16942) convergent dans le sens d’une applicabilité directe de certaines dispositions de
l’instrument, il n’en a pas toujours été ainsi. Des hésitations subsistent, au demeurant, pour
certains articles. Pour chaque disposition de la Convention, la part doit être faite entre les
formulations purement proclamatoires qui ne permettent pas d’atteindre un résultat précis et
108
celles qui au contraire peuvent être mises en œuvre dans un contexte national. Par exemple,
l’article 3-1 de la Convention (« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants,
qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des
tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de
l’enfant doit être une considération primordiale ») a été reconnu d’effet direct à la différence
de l’article 14.1 (« Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur
état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent
de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services »). Voir
notamment sur la question avec les nombreuses notes de jurisprudence citées : D. Alland,
l’applicabilité directe du droit international considérée du point de vue de l’office du juge,
RGDIP 1998, pp. 203 ; P. Courbe, L’application directe de la Convention des Nations unies
sur les droits de l’enfant, D. 2006, 1487 ; B. Bonnet, Le Conseil d’Etat et la Convention
internationale des droits de l’enfant à l’heure du bilan, D. 2010, 1031.
99. Cette première hypothèse d’invocabilité du droit international devant une instance
nationale peut-elle être inversée ? Le droit national peut-il être invoqué devant une instance
internationale ? Bien que plus rarement considérée, la question appelle une réponse
affirmative. La prise en compte, par une instance internationale, de l’existence de mesures
nationales d’exécution d’une obligation internationale en offre l’illustration. Le cas le plus
courant est celui de l’Etat qui invoque des dispositions de son droit national pour démontrer
qu’il satisfait à ses engagements internationaux. Un autre cas, très particulier, existe quand le
droit national est invoqué devant une juridiction internationale pour caractériser l’existence
d’une règle coutumière internationale.
Situation – L’invocabilité du droit national devant une instance internationale
L’exemple du droit national considéré comme une mesure d’exécution d’une obligation
internationale
En droit international, il est admis qu’un Etat engage sa responsabilité s’il n’adopte pas dans
son droit national les mesures d’exécution qui s’imposent pour respecter et mettre en œuvre
ses engagements internationaux (CPIJ, avis du 21 fév. 1925 sur l’Echange des populations
turques et grecques, série B, n° 10, p. 20). Pour échapper à cette responsabilité
internationale, l’Etat mis en cause peut être conduit à invoquer à son profit des dispositions
de son droit national de nature à conforter la thèse que lesdits engagements sont bien
respectés. Cette invocabilité du droit national dans un cercle international peut faire l’objet
de discussions juridiques sur l’aptitude du droit national à satisfaire les exigences
internationales.
109
La teneur de ces discussions peut fortement varier au sein d’une même instance
internationale. C’est le cas, en particulier, de l’appréciation de la conformité du droit national
au droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) mené devant les groupes spéciaux
et l’organe d’appel qui préparent les décisions prises par l’Organe de règlement des
différends (ORD). Selon la nature des affaires, les instances de l’OMC mènent, tantôt, un
contrôle général et abstrait de la réglementation nationale, se contentant de vérifier son
existence, tantôt, un contrôle des effets concrets produits par l’application de la
réglementation nationale. Voir, notamment, sur ce thème, les explications et illustrations
proposées par : Y. Nouvel, Aspects généraux de la conformité du droit interne au droit de
l’OMC, AFDI 2002, 657, spéc., 670.
L’exemple du droit national invoqué devant une juridiction internationale pour
caractériser l’existence d’une règle coutumière internationale
Dans l’analyse de l’existence de règles coutumières internationales, le juriste de droit
international scrute la pratique de l’ensemble des acteurs, y compris des Etats quand ils
définissent des solutions à leur niveau, dès lors qu’elles sont susceptibles d’avoir un impact
sur les situations internationales. Cette méthode d’analyse a été maintes fois énoncée par la
Cour internationale de justice (voir fréquemment cité : «[i]l est bien évident que la substance
du droit international coutumier doit être recherchée en premier lieu dans la pratique
effective et l’opinio juris des Etats, même si les conventions multilatérales peuvent avoir un
rôle important à jouer en enregistrant et définissant les règles dérivées de la coutume ou
même en les développant » (CIJ, 3 juin 1985, Plateau continental (Jamahiriya arabe
libyenne/Malte), § 27).
Un arrêt récent illustre cette pratique (CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles
de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)). S’agissant du point de savoir si les
Etats bénéficient, en vertu d’une règle coutumière internationale, d’une immunité de
juridiction et d’exécution pour les actions en réparation intentées contre eux à la suite de
dommages causés en temps de guerre par leurs forces armées hors du territoire national, y
compris en cas d’atteintes graves (massacres de population), la CIJ s’est livrée à une analyse
de droit comparé. Diverses solutions législatives et jurisprudentielles nationales ont été ainsi
passées en revue, la juridiction internationale concluant son examen comparé en considérant,
notamment, « que le droit international coutumier impose toujours de reconnaître l’immunité
à l’Etat dont les forces armées ou d’autres organes sont accusés d’avoir commis sur le
territoire d’un autre Etat des actes dommageables au cours d’un conflit armé » (§. 78) et que
« en l’état actuel du droit international coutumier, un Etat n’est pas privé de l’immunité pour
la seule raison qu’il est accusé de violations graves du droit international des droits de
l’homme ou du droit international des conflits armés. En formulant cette conclusion, la Cour
110
tient à souligner qu’elle ne se prononce que sur l’immunité de juridiction de l’Etat lui-même
devant les tribunaux d’un autre Etat ; la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle
mesure l’immunité peut s’appliquer dans le cadre de procédures pénales engagées contre un
représentant de l’Etat n’est pas posée en l’espèce » (§. 91).
B – L’invocabilité et la relation droit européen - droit national
100. La question de l’invocabilité des droits peut également se poser dans les rapports entre
le droit européen et le droit national. Le cas le plus fréquemment étudié est celui de
l’invocabilité des différentes sources du droit européen devant les instances nationales. Qu’il
s’agisse des traités européens (par exemple, les TUE et TFUE ou encore la CESDHLF) ou du
droit dérivé (notamment les règlements et directives de l’UE), une attention très grande est
portée à l’aptitude des sujets de droit interne à invoquer à leur profit des dispositions du droit
européen dans les litiges qui les opposent, par exemple, à leurs autorités nationales ou,
également, dans des différends entre particuliers. L’hypothèse la plus emblématique de cette
invocabilité est celle des directives non ou mal transposées.
Situation – L’invocabilité du droit européen devant les instances nationales
L’exemple des directives UE non ou mal transposées invoquées devant un juge national
Les directives occupent une place singulière dans l’ordonnancement juridique de l’Union
européenne. Normes européennes à part entière, elles produisent un effet obligatoire. Les
États destinataires ont l’obligation de les transposer dans leur droit interne et bon nombre de
leurs dispositions formulent des règles juridiques claires, précises et inconditionnelles.
Cependant, à la différence des règlements, des décisions et des Traités, les directives n’ont
jamais un effet immédiat. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne l’exprime
très clairement : « La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre,
tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens »
(art. 288 TFUE). Quand la directive a été correctement insérée dans le droit national, ce
dernier est amené à être seul invoqué, sous la double réserve 1° que la directive n’a pas été
entre temps modifiée et 2° que l’interprétation qui en a été éventuellement donnée par le
Cour de justice depuis le moment de sa transposition en droit national, n’est pas de nature à
influer sur l’interprétation (conforme) du droit national (sur ce mécanisme d’interprétation
conforme, voir ci-après). En cas de transposition défaillante, la conciliation d’une directive et
d’un droit national incompatible (lacunaire ou contraire) soulève une question d’invocabilité
du droit européen dans le contexte national. Le caractère contraignant des directives veut
qu’une certaine efficacité leur soit reconnue. Cependant, l’absence d’effet immédiat milite en
faveur d’une certaine limitation de cette efficacité, spécialement dans l’hypothèse d’un
111
conflit avec le droit national. La jurisprudence s’est attachée, dans le respect scrupuleux de la
lettre et l’esprit du traité, à rendre compte de cette singularité des directives, en particulier
par rapport aux règlements. Contrairement à ces derniers, elles n’ont pas, par principe, un
effet direct. Elles ne sont susceptibles d’être directement invoquées que si elles satisfont trois
conditions : être claires et précises et non conditionnelles (V. notamment, toujours cité,
CJCE, 4 déc. 1974, Van Duyn, aff. 41/74). En outre, leur effet direct a été, jusqu’ici, contenu
dans des limites importantes qui traduisent la distinction voulue par les traités entre les
règlements et les directives. Tout individu peut invoquer la directive qui satisfait les
conditions de l’applicabilité directe dans ses rapports avec l’État (ou une entité démembrée),
soit pour écarter une solution nationale contraire, soit, le cas échéant, pour s’y substituer. En
revanche, la directive ne saurait, dans des litiges entre de simples particuliers, recevoir une
application pleine et entière en lieu et place du droit national incompatible (voir pour une
réaffirmation particulièrement explicite de cette solution : CJCE, 14 juill. 1994, Faccini Dori,
aff. C-91/92). Cela ne veut pas dire que les directives ne sont pas susceptibles d’être
invoquées dans les litiges entre personnes privées. L’obligation, pour le juge national,
d’appliquer le droit national « à la lumière » (principe d’interprétation conforme) du droit de
l’Union permet de faire produire d’importants effets aux dispositions des directives dans le
cadre du contentieux privé (voir par exemple, CJCE, 13 nov. 1990, Marleasing, aff. C-
331/98). De même, il n’est pas rare que la directive soit sous-tendue par un principe général
du droit européen (V. en particulier, à propos du principe de non-discrimination : CJCE,
22 nov. 2005, Mangold, aff. C-144/04 ; comp. CJUE, 19 janv. 2010, Kücükdeveci, aff. C-
555/07).
101. Le schéma inverse d’une invocabilité du droit national devant une instance européenne
existe également. Outre l’hypothèse voisine de celle envisagée précédemment à propos des
rapports entre le droit international et le droit national, qui vise le cas où le droit national est
invoqué par un Etat soucieux de démontrer qu’il respecte ses engagements européens, on peut
imaginer la figure moins courante où le droit national est invoqué car il occupe une place à
part entière dans un raisonnement de droit européen.
Situation – L’invocabilité du droit national devant une instance européenne
L’exemple des traditions juridiques nationales invoquées devant la CJUE et la CEDH
Le droit issu des traditions juridiques nationales occupe une place importante en droit
européen. Devant la Cour de justice de l’Union européenne ou devant la Cour européenne
des droits de l’homme, il est fréquent que les solutions de droit national soient invoquées
pour influencer les constructions du droit européen. L’exemple le plus significatif en droit de
l’Union européenne porte sur la définition des principes généraux du droit européen. La
112
Cour de justice est amenée, bien souvent, à confronter les traditions juridiques des différents
États membres pour construire ses propres principes généraux du droit (pour une première
application : CJCE, 12 juill. 1957, Algera, aff. jtes 7/56, 3/57 à 7/57). Ainsi, par exemple, la
«confiance légitime », la «sécurité juridique », la «proportionnalité », le «principe du respect
des droits acquis », les «principes généraux de la procédure », le «principe d’égalité », le
«principe de bonne administration », ont tous une origine étatique. Le droit européen s’est
incontestablement construit grâce à l’aptitude des plaideurs et des juges à se référer à
l’application de principes généraux de source nationale. V. notamment sur ce thème :
J. Molinier (dir.), Les principes fondateurs de l’Union européenne, PUF, 2005.
Devant la Cour européenne des droits de l’homme, c’est la même démarche qui anime la
comparaison des droits nationaux quand elle se mue en un véritable principe d’interprétation
« consensuelle », destiné à confirmer ou infirmer l’existence d’un consensus en Europe sur
telle ou telle question juridique (par ex., le statut des enfants adultérins, l’euthanasie, la
réglementation applicable aux couples homosexuels, l’accouchement « sous X », etc.). Ici
encore, on observe que le droit national comparé est invoqué au soutien de la construction
d’une solution de droit européen, même si l’exercice n’est pas toujours bien maîtrisé par les
juges (pour une analyse critique de la manière dont la Cour européenne des droits de
l’homme manie l’argument de la comparaison, F. Sudre, À propos du dynamisme
interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme, JCP G, 2001, I, 335).
C – L’invocabilité et la relation droit international - droit européen
102. Une troisième forme d’invocabilité est celle qui met en relation le droit international et
le droit européen. Le droit international est fréquemment invoqué dans le contexte du droit
européen. Cette invocabilité est potentiellement le fait de tous les acteurs : sujets de droit
interne, sujets de droit international ou sujets de droit européen. Elle concerne potentiellement
toutes les sources du droit international : droit coutumier, traités, droit dérivé. Elle est
fréquente dans le domaine des droits fondamentaux où les instruments internationaux de
protection des droits de l’homme sont invoqués régulièrement au soutien de l’élaboration des
solutions de droit européen (Union européenne ou Conseil de l’Europe) : Déclaration
universelle des droits de l’homme des Nations Unies de 1948, Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels et Pacte international des droits civils et politiques
adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1966, etc. Mais cette invocabilité est
parfois plus problématique. C’est le cas emblématique de l’invocabilité devant les autorités de
l’Union européenne des accords ou décisions intervenus dans le cadre de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) et de l’organe de règlement des différends (ORD). Mais
113
d’autres situations peuvent se présenter, notamment dans le domaine du droit des transports et
du droit de l’environnement.
Situation – L’invocabilité du droit international devant une instance européenne
L’exemple de l’invocabilité des accords OMC et des décisions de l’ORD devant les
instances de l’UE
Les règles en matière d’invocabilité des conventions internationales au sein du système
juridique de l’Union européenne ont été pour l’essentiel dégagées par la jurisprudence de la
Cour de justice. Voir, toujours cité : CJCE, 12 déc. 1972, International Fruit Company,
aff. 21 à 24/72. Voir également, recourant à un principe d’interprétation conforme chaque
fois que l’instrument international n’est pas d’effet direct : CJCE, 16 juin 2003, Cipra, aff. C-
439/01. La Cour de justice refuse parfois de reconnaître un effet direct à des conventions ou
décisions internationales liant l’Union européenne. L’exemple le plus connu est celui des
accords conclus dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des
décisions de l’Organe de règlement des différends (ORD). La Cour de justice ne souhaite pas
que les règles du commerce mondial interfèrent sur la légalité des textes de droit européen
dérivé ou interviennent au soutien d’actions en responsabilité engagées contre l’Union
européenne (Voir notamment : CJCE, 10 déc. 2002, BAT ea, aff. C-491/01 ; à propos du
célèbre contentieux de la banane : CJCE, 1er mars 2005, Van Parys, aff. C-377/02 ; CJCE, 9
sept. 2008, FIAMM, C-120 et 121/06). Cette attitude peut se comprendre et elle est, à vrai
dire, de bonne guerre, dans la mesure où elle est pratiquée par de nombreux partenaires
commerciaux de l’Europe. Le traitement différencié de la norme internationale n’en est pas
moins patent : l’Union européenne entend favoriser la résolution des litiges avec les États
tiers par l’organe de règlement des différends de l’OMC mais elle protège son système
juridique interne de l’influence que pourraient exercer les règles du commerce mondial en
restreignant considérablement la possibilité de les invoquer devant les instances
européennes. Voir en particulier sur ces questions, F. Schmied, Les effets des accords de
l’OMC dans l’ordre juridique de l’Union européenne et ses Etats membres, Fondation
Varenne, 2012.
L’exemple de l’invocabilité de la coutume internationale et des accords internationaux en
matière de transport aérien et de protection de l’environnement devant la CJUE
Un arrêt spectaculaire a été rendu par la Cour de justice qui touche à la matière du droit
international général et du droit international des transports et de l’environnement : CJUE,
21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10. Cet arrêt met en scène un renvoi préjudiciel en validité
auquel a procédé la High Court of Justice (England & Wales) dans un différend opposant Air
Transport Association of America, American Airlines Inc., Continental Airlines Inc. et
114
United Airlines Inc. (ci-après, ensemble, «ATA e.a. ») au Secretary of State for Energy and
Climate Change, au sujet de la validité des mesures de mise en œuvre d’une directive
européenne adoptées par le Royaume-Uni. Le thème des interactions entre le droit
international et le droit européen (en l’occurrence, le droit de l’Union européenne) est central
dans cette affaire. Il s’est agi pour la Cour de justice d’identifier, avec une grande précision,
« parmi les principes et les dispositions du droit mentionnés par la juridiction de renvoi »
(…) ceux, qui « peuvent être invoqués, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au
principal et aux fins de l’appréciation de la validité » d’une directive européenne (Directive
2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant la
directive 2003/87/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire
d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, arrêt, point 45). Répondant à
l’interrogation, la Cour de justice a estimé que seuls pouvaient être appliqués, au titre de
différents contrôles (contrôle restreint pour les principes de droit coutumier et contrôle plein
pour les obligations conventionnelles) : « le principe selon lequel chaque État dispose d’une
souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien ; le principe selon lequel
aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à
sa souveraineté, et le principe qui garantit la liberté de survol de la haute mer » ainsi que les
articles 7 et 11, paragraphes 1 et 2, sous c), de l’accord «ciel ouvert » (…) conclu entre la
Communauté européenne et les Etats-Unis (2007, modifié en 2010) et l’article 15,
paragraphe 3, dudit accord, lu en combinaison avec les articles 2 et 3, paragraphe 4, de celui-
ci » (arrêt, point 111). N’ont, en revanche, pas été retenu dans ce cadre juridique de
référence, la Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale (1944), le
Protocole de Kyoto (1997) à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques et l’existence d’un principe du droit international coutumier selon lequel un
navire qui se trouve en haute mer est en principe soumis exclusivement à la loi de son
pavillon s’appliquerait par analogie aux aéronefs survolant la haute mer.
La question de l’invocabilité a ainsi été notamment discutée dans cette affaire à propos de
l’accord « ciel ouvert » (préc.). La Cour de justice procède classiquement en deux étapes.
Elle jauge, dans un premier temps, l’économie générale de l’instrument international : « Dès
lors que l’accord «ciel ouvert » met en place certaines règles destinées à s’appliquer
directement et immédiatement aux transporteurs aériens et à leur conférer ainsi des droits ou
des libertés, susceptibles d’être invoqués à l’encontre des parties à cet accord, et que la
nature et l’économie de cet accord ne s’y opposent pas, il peut en être conclu que la Cour
peut apprécier la validité d’un acte du droit de l’Union, tel que la directive 2008/101, au
regard des dispositions d’un tel accord » (arrêt, motif 84). Elle s’attache, dans un second
temps, à « examiner si les dispositions de cet accord mentionnées par la juridiction de renvoi
115
apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises,
afin de permettre à la Cour de procéder à un examen de la validité de la directive 2008/101
au regard de ces dispositions spécifiques » (arrêt, motif 85). Cet examen la conduit,
notamment, à considérer que « l’article 11, paragraphes 1 et 2, sous c), de l’accord «ciel
ouvert », en ce qui concerne l’obligation d’exonération de droits, de taxes et de redevances, à
l’exception des redevances calculées en fonction des prestations fournies, pour le carburant
embarqué des aéronefs assurant des services aériens internationaux entre l’Union et les
États-Unis, peut être invoqué dans le cadre du présent renvoi préjudiciel aux fins de
l’appréciation de la validité de la directive 2008/101 au regard de cette disposition » (arrêt,
motif, 94).
103. Le cas opposé où le droit européen est invoqué dans un contexte de droit international
est envisageable. Certes, le droit européen n’a qu’une dimension régionale. Il ne saurait faire
jeu égal avec le droit international général, notamment devant les juridictions internationales
telles que la Cour internationale de justice. Mais son invocabilité sur la scène internationale
n’est pas une hypothèse d’école. Elle peut être constatée de manière parfaitement banale
chaque fois que le droit européen est confronté aux exigences du droit international. C’est le
cas, par exemple, d’une confrontation de la réglementation européenne avec les exigences
mondiales du libre-échange devant une instance de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC). On trouve également des exemples dans la jurisprudence récente de la Cour
internationale de justice.
Situation – L’invocabilité du droit européen devant une instance internationale
L’exemple de l’invocabilité du droit européen devant une instance de l’OMC
Dans le fameux contentieux dit du « bœuf aux hormones » (préc., voir supra, n° xxx), la
réglementation européenne a été plusieurs fois invoquée devant les instances de l’Organe de
règlement des différends. On sait notamment que l’Union européenne a adopté une Directive
2003/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 modifiant la
directive 96/22/CE du Conseil concernant l'interdiction d'utilisation de certaines substances à
effet hormonal ou thyréostatique et des substances β-agonistes dans les spéculations
animales, de manière à se conformer à des recommandations et décisions de l’ORD
intervenues dans le litige qui l’oppose aux Etats-Unis et au Canada. L’invocabilité du droit
européen permet ici à l’ORD de vérifier que la mesure européenne de droit dérivé est
conforme aux exigences de l’OMC et donc de nature à mettre un terme aux contre-mesures
mises en œuvre par les opposants à l’Union européenne. Ce dernier vient d’ailleurs
récemment de rappeler que, s’agissant des dernières mesures européennes intervenues, une
procédure spécifique de vérification devait être mise en œuvre devant elle par les parties au
116
conflit (procédure dite de l’article 21.5 du Mémorandum d’accord sur les règles et
procédures régissant le règlement des différends figurant en annexe 2 de l’accord OMC).
Voir sur ce sujet et dans cette affaire, les explications de H. Ruiz Fabri et P. Monnier,
Chronique de règlement des différends, JDI 2009, spéc., 924 et s.
L’exemple du droit européen invoqué devant la Cour internationale de justice
Nous avons déjà eu l’occasion de signaler (voir supra, n° xxx) une jurisprudence récente de
la CIJ, accueillant favorablement une argumentation fondée sur des solutions de droit
régional, notamment européen : CIJ, 30 novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo -
Guinée c. République démocratique du Congo ; CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités
juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant) ; CIJ, 19 juin 2012, qui
a statué sur le volet indemnisation de l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, préc.
§ 2 – Les différentes significations de l’invocabilité dans le triple contexte national,
international ou européen
104. Dans tout système juridique, l’aptitude à invoquer l’application de méthodes ou
solutions juridiques est susceptible de varier fortement selon l’auteur (A) et l’objet (B) de la
demande.
A – La variable « sujet » : qui invoque ?
105. Les différents cas d’invocabilité envisagés dans le triple contexte national,
international et européen laissent à penser que le terme est susceptible de désigner des réalités
extrêmement disparates selon la qualité du ou des sujets en présence.
On peut distinguer, en effet, différentes catégories de sujets juridiques : les sujets de droit
public et les sujets de droit privé ; les sujets de droit interne et les sujets de droit international
et, le cas échéant, de droit européen. Ces deux ensembles sont susceptibles de se confondre.
Les sujets de droit interne peuvent être de droit public (un Etat ou un établissement public) ou
de droit privé (une personne physique ou une personne morale de droit privé). Pour les sujets
de droit international et, éventuellement, de droit européen, longtemps on a considéré qu’ils
ne pouvaient être que de droit public (Etat, organisation internationale ou européenne ou
établissement public international ou européen, détenteur d’une personnalité juridique) mais
une place leur est de plus en plus souvent reconnue aux acteurs de droit privé (organisation
non gouvernementale, société privée internationale ou européenne et personne physique).
106. La qualité du sujet permet de distinguer deux grands types d’invocabilité :
l’invocabilité verticale (entre une personne publique et une personne privée) et l’invocabilité
117
horizontale (entre personnes privées). Cette distinction n’est pas propre au thème du
pluralisme juridique mondial1. Mais elle présente des particularités dans le triple contexte
national, international et européen.
Voyons, pour commencer, les questions relatives à l’invocabilité verticale.
Situation – L’invocabilité verticale
L’exemple de l’institution publique nationale confrontée aux exigences du droit
international ou européen
Le terme « vertical » est couramment utilisé en matière d’invocabilité pour désigner la
relation entre une institution publique nationale et un ou plusieurs sujets de droit privé. Cette
relation intéresse le thème du pluralisme juridique mondial et de l’invocabilité, dès lors que
le sujet entend tirer profit du développement du droit international ou européen pour tenter
d’influencer et parfois d’infléchir sur un terrain juridique la position de l’institution publique.
La question de l’aptitude du droit allégué à être invoqué devant elle peut se révéler cruciale.
Elle fait partie des outils stratégiques que peuvent utiliser les différents acteurs en présence
pour contrer ou, au contraire, maintenir une action publique. En effet, si une règle de droit,
dont l’existence n’est pas contestée, ne peut être invoquée par un justiciable à l’encontre
d’un Etat ou d’un établissement public, elle est inapte à produire l’effet juridique escompté.
Les exemples sont légion. On en signalera deux, tirés de l’invocabilité du droit international
et européen devant le juge administratif français. Le premier a trait à la question déjà
évoquée (voir supra, n° xxx) de l’invocabilité de la Convention de New York relative aux
droits de l’enfant. Le deuxième est relatif à l’aptitude des directives de l’Union européenne à
se substituer à des règles de droit interne quand un acte administratif individuel est contesté
(voir, la fameuse jurisprudence « Cohn-Bendit » (Conseil d’Etat Ass., 22 déc. 1978, Rec.
Lebon, 524) hostile à cette invocabilité qui a été abandonnée après plus de 30 ans de
résistance du juge administratif français (Conseil d’Etat Ass., 30 oct. 2009, Perreux, Req.n°
298348).
107. Il faut également envisager les situations d’invocabilité horizontale.
1 En droit français, on songe, par exemple, pour les rapports verticaux, à la question débattue de l’invocabilité de
la Charte de l’environnement adoptée en 2004 et adossée à la Constitution (voir notamment sur le sujet : CE,
ass., 3 oct. 2008, n° 297931, Cne Annecy ; Cons. const., 19 juin 2008, déc. n° 2008-564 DC ; B. Mathieu, «
Incertitudes quant à la portée de certains principes inscrits dans la Charte constitutionnelle de l'environnement »,
La Semaine Juridique éd. G 2009, II 10028). Pour les rapports horizontaux, la question est régulièrement posée
devant la Cour de cassation de la validité des contrats de droit privé conclus en violation des règles relatives à
l’exercice d’activités réglementées (banque, bourse, assurance, par exemple ; voir notamment : Cour de
cassation, Ass. Plén. 4 mars 2005, D. 2005, pp. 785 et 836 avec les analyses respectives de B. Sousi-Roubi et X.
Delpech).
118
Situation – L’invocabilité horizontale
L’exemple de l’horizontalité des droits de l’homme et des libertés économiques de
circulation
Dans le contexte international et européen, le terme « horizontal » désigne l’applicabilité du
droit international ou européen à une relation entre deux sujets de droit privé. Par exemple, la
question peut être posée de savoir si un instrument de droit international ou européen est apte
à s’appliquer à un couple marié qui souhaite divorcer, aux parties à un contrat commercial
qui en contestent la validité ou, plus généralement, à un différend de droit privé. Cette
applicabilité est notamment fonction de l’aptitude reconnue aux personnes privées à
invoquer dans le contexte de leur relation respective, une méthode ou solution du droit
international ou européen.
La question soulève relativement peu de difficultés quand le droit international ou européen
en question s’est donné pour ambition de régir directement des rapports de droit privé (par
exemple, un règlement européen ou une convention internationale réglant les questions de loi
applicable aux divorces internationaux ou régissant un type particulier de contrat).
Les choses sont, en revanche, plus complexes quand on est présence d’une réglementation de
droit international ou européen invoqué qui porte sur autre chose que le traitement d’une
relation horizontale de droit privé. Deux illustrations peuvent être données. La première
porte sur ce que l’on appelle généralement « l’horizontalité des droits de l’homme ». Cette
expression désigne une aptitude de ces droits à être invoqués et, au besoin, sanctionnés dans
le contexte de rapports de droit privé. Un juge national peut être ainsi amené à considérer
que des droits fondamentaux de source internationale ou européenne sont violés du fait
d’agissements de personnes privées et qu’à ce titre, ils doivent être sanctionnés au niveau
national, sans quoi il pourrait donner lieu à une condamnation à un autre niveau, notamment
européen, devant la CEDH (pour différents exemples connus à propos d’une disposition
testamentaire : CEDH, 13 juillet 2004, Pla et Puncernau c/ Andorre, Req. no 69498/01, d’un
contrat de bail : CEDH, 19 juin 2006, Hutten-Crapska c/ Pologne, Req. no 35014/97 ou d’un
contrat de travail :CEDH, 29 février 2000, Fuentes Bobo c/ Espagne, Req. no 39293/98). Les
juges nationaux contribuent significativement à l’interprétation des droits fondamentaux
reconnus au plan européen et cette interprétation est parfois créative et extensive (voir,
souvent cités en droit privé : Cour de cassation, Soc., 12 janvier 1999, Spileers, pourvoi
no 96-40.755 : sur le droit au respect du domicile ; Cour de cassation, civ. 3e, 6 mars 1996,
Office public d’habitations de la Ville de Paris c/ Mme Mel Yedei, pourvoi no 93-11113 :
sur le droit au respect de la vie familiale). Sur l’impact de ces jurisprudences en droit privé,
voir le travail précurseur de J.-P. Marguénaud (dir.), CEDH et droit privé, La documentation
Française, 2001.
119
Une seconde illustration porte sur l’invocabilité des libertés économiques de circulation
définies par l’UE dans les rapports entre personnes privées. Cette intrusion des libertés
économiques dans les relations horizontales est incontestablement le fait d’une jurisprudence
extensive de la Cour de justice qui est amenée régulièrement à se prononcer sur l’impact
exercé par le droit européen dans des litiges horizontaux portés devant les juridictions
nationales (pour quelques exemples restés célèbres : CJCE, 12 déc. 1974, Walrave,
aff. 36/74 en matière de discrimination ; CJCE, 22 janv. 1981, Dansk Supermarked,
aff. 58/80 en matière de propriété intellectuelle ; CJCE 15 déc. 1995, Bosman, aff. C-415/93
en matière d’activité sportive ; CJCE, 6 juin 2000, Angonese, aff. C-281/98 à propos d’un
concours privé de recrutement de salariés ; CJCE, 11 déc. 2007, Viking, aff. C-438/05 et
18 déc. 2007, Laval, aff. C-341/05 en droit social). Dans toutes ces hypothèses, il est revenu
au juge interne de s’interroger sur le point de savoir si le droit européen de la libre
circulation pouvait être invoqué devant eux pour infléchir le cours d’un différend entre
personnes privées. Au cœur de la discussion, on retrouve le thème de l’invocabilité du droit
de l’Union européenne dans les rapports privés. Pour une analyse de cette jurisprudence et
ses implications d’ordre théorique, voir L. Azoulai, Sur un sens de la distinction public/privé
dans le droit de l’Union européenne, RTDE 2010, 823. Voir de manière plus générale sur
l’impact exercé par le droit européen sur les situations de droit privé : A. Hartkamp,
European Law and National Private Law, Kluwer, 2012.
108. Ces deux types d’invocabilité ne rendent pas compte néanmoins de l’ensemble des cas
présentés précédemment (voir supra, cette section, § 1). L’invocabilité verticale n’envisage
pas l’hypothèse où le droit national est invoqué dans le contexte international ou européen.
Quant à l’invocabilité horizontale, elle exclut généralement les rapports entre acteurs publics.
Pour tenter de prendre en compte ces phénomènes, il importe de dépasser cette
systématisation fondée sur le « sujet » de l’invocabilité et de se tourner vers son objet.
B – La variable « objet » : qu’est-ce qui est invoqué ?
109. L’invocabilité recouvre des significations multiples qui varient en fonction de ce qui
est invoqué, c’est-à-dire du résultat escompté par le sujet de droit. Cette variabilité n’est pas
propre aux relations entre le droit national, international et européen. Dans tout système
juridique, la question se pose de la gradation des effets potentiellement produits par une règle
de droit. Le pluralisme juridique mondial éclaire néanmoins la question d’un jour qui lui est
propre. Dans le triple contexte national, international ou européen, l’objet de l’invocabilité
est, en effet, soumis à deux grandes variables.
120
La première intéresse le choix du vocabulaire pour aborder les questions d’invocabilité du
droit international ou européen dans le contexte national notamment. Les expressions « effet
direct », « self-executing » ou « immédiateté » sont couramment employées pour décrire
l’aptitude du droit international ou européen à investir les individus de droits et obligations.
Les sources supranationales sont d’effet direct, self-executing ou d’effet immédiat, dès lors
qu’elles ne s’imposent pas seulement aux Etats qui les ont élaborées mais également à leurs
sujets qui peuvent les invoquer. Si l’effet direct, le caractère self-executing ou l’immédiateté
demeurent des notions utiles, ne serait-ce qu’en raison de leurs soubassements théoriques
(quel est le destinataire de la règle de droit ?), on observe qu’ils sont concurrencés par le
terme « invocabilité » qui, décliné de différentes manières, permet de rendre compte de
l’hétérogénéité des solutions.
Situation – L’effet direct, le caractère self-executing ou l’immédiateté et les différentes
formes d’invocabilité
Exemples tirés de l’invocabilité du droit international ou européen
L’effet direct ou le caractère self-executing ou l’effet l’immédiat ont été envisagés dès 1928
par la Cour permanente internationale de justice (CPJI, 3 mars 1928, Compétence des
tribunaux de Dantzig, série B, n° 15). Ils ont été proclamés très tôt comme l’une des qualités
cardinales du droit européen, inscrite comme telle dans les traités (par exemple, art. 1er de la
CESDHLF et art. 288 TFUE) ou affirmée par la jurisprudence (CJCE, 5 févr. 1963, Van
Gend & Loos, aff. 26/62).
L’intensité de l’effet direct varie néanmoins fortement d’un système juridique à l’autre et,
parfois même, à l’intérieur de chaque système, d’une norme juridique à l’autre. En droit
international, on considère que c’est l’intention des parties au traité international qui compte.
Un instrument international est potentiellement d’effet direct si les Etats ont souhaité adopter
des dispositions claires et précises, inconditionnelles et créatrices de droits et obligations
pour les individus. Les Etats conservent le plus souvent la maîtrise de la définition de cet
effet direct. C’est aux juges nationaux qu’il revient, en effet, le plus souvent d’apprécier la
situation au cas par cas (voir, à titre d’exemple, l’interprétation jurisprudentielle donnée en
France de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant, supra, n° xxx ;
comparer s’agissant des conventions de l’OIT : Conseil d’Etat, ass., 11 avr. 2012, Req.
n° 322326, GISTI).
En droit de l’Union européenne et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, les solutions sont mieux encadrées. La présence des
deux juridictions européennes (CEDH et CJUE) et le niveau d’intégration atteint par l’UE et
121
la CESDHLF l’expliquent aisément. Une jurisprudence abondante a été rendue sur la
question et elle est relayée par les juridictions nationales (pour une approche synthétique de
l’effet direct au sein de l’UE et du COE, voir J.-S Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen
(Union européenne – Conseil de l’Europe), PUF, 2ème éd. 2011, n° 432 et 462 et s.). Mais
les solutions ne sont pas toujours uniformes. Des divergences d’interprétation subsistent
entre le contexte européen et le contexte national (pour une illustration célèbre en droit
français, voir supra, n° xxx).
A supposer que ces divergences puissent être surmontées, les termes « effet direct », « self-
executing » ou « immédiateté » présentent un autre inconvénient. Ils n’ont pas toujours de
contenu précis. Très souvent, le juriste qui les utilise est obligé de préciser s’il vise un effet
vertical ou horizontal (sur cette distinction, voir supra, n° xxx) ou un effet partiel ou total.
Pour y remédier, la doctrine de droit européen s’est appuyée sur la jurisprudence de la Cour
de justice pour graduer l’effet direct en distinguant différentes formes d’invocabilité (voir en
particulier le travail de D. Simon, Le système juridique communautaire, PUF, 3e éd., 2001,
spéc. n° 342 et s.). Sont ainsi distinguées : 1° l’invocabilité d’exclusion qui permet d’écarter,
de laisser inappliquée, la norme nationale qui serait contraire à une norme européenne, quelle
qu’elle soit : droit primaire / droit dérivé, norme d’effet direct ou non (pour l’un des premiers
arrêts : CJCE, 13 juillet 1972, Commission c/ Italie, aff. 48/71) ; 2° l’invocabilité de
réparation qui lui permet d’engager la responsabilité de l’État pour manquement à une
quelconque de ses obligations européennes (CJCE, 19 novembre 1991, Francovich, aff. C-
6/90 et C-9/90 ; CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame III, aff. C-46/93
et C-48/93) ; 3° l’invocabilité de substitution qui conduit une application directe de norme
européenne par substitution pure et simple de la norme nationale contraire (pour la décision
de référence : CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77) ; 4° l’invocabilité
d’interprétation conforme qui commande, dans toute la mesure du possible, une
interprétation de la norme non européenne (nationale ou internationale) dans un sens qui soit
aussi conforme que possible au droit européen (voir en particulier : CJCE, 13 nov. 1990,
Marleasing, aff. C-106/89 ; CJCE, 16 juin 2003, Cipra, aff. C-439/01). Toutes ces
distinctions tirées du droit européen peuvent être projetées sans inconvénient sur le droit
international quand il est à même d’offrir un niveau équivalent d’uniformité des solutions.
Mais bien souvent, ce sont les particularismes nationaux qui l’emportent.
110. La seconde variable porte sur la nature de l’effet recherché par l’invocabilité. En
schématisant les choses, on peut considérer que dans une approche multiniveau du droit, le
fait d’invoquer une méthode ou solution juridique élaborée dans un autre contexte (national,
international ou européen) peut s’inscrire dans trois démarches différentes.
122
L’invocabilité peut, tout d’abord, procéder d’une attitude purement facultative en ce sens
qu’aucun acteur juridique n’est obligé d’en tenir compte. Le droit invoqué produit, au plus
fort de ses conséquences, un simple « effet de fait ». A l’opposé, le droit peut être invoqué
parce qu’il présente dans la situation en cause, un caractère véritablement obligatoire. Enfin,
troisième hypothèse, plus proche de la deuxième que de la première, le droit peut être invoqué
parce qu’il modifie la situation juridique de celui à qui on l’oppose qui, sans en être le
destinataire immédiat, va devoir en tenir compte. On peut alors parler d’un effet
d’opposabilité.
Situation – L’effet de fait, l’effet obligatoire et l’effet d’opposabilité
Exemples autour de « l’effet de fait » en droit national, international et européen
L’invocation d’une méthode ou solution juridique dans un autre contexte que celui où il a été
élaboré est susceptible de produire un « effet de fait » chaque fois qu’elle ne résulte pas
d’une contrainte juridique. On peut envisager trois exemples, très différents les uns des
autres.
Le fait d’invoquer devant une juridiction étrangère à l’Europe ? une jurisprudence de la
CEDH, de manière à influencer le cours de la décision nationale est de nature à produire, le
cas échéant, un effet de fait. La jurisprudence européenne ne s’impose pas juridiquement au
for étranger. Mais ce dernier peut être amené à en tenir compte, tel un fait juridique (voir
pour une illustration remarquée, la décision de la Cour suprême des États-Unis rendue dans
l’affaire Lawrence c/ Texas (02-102) 539 US 558 (2003) relative à la répression pénale de
certaines pratiques sexuelles ; pour une analyse du contexte et des controverses suscitées par
cet emprunt de la cour suprême américaine au droit européen : G. Canivet, Les influences
croisées entre juridictions nationales et internationales – Eloge de la « bénévolance » des
juges, RSCDP 2005, 799 ; voir également l’étude approfondie de R. Bismuth, L’utilisation
de sources de droit étrangères dans la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis,
RIDC 2010, 105).
La deuxième illustration porte sur l’invocabilité en droit national d’un droit international
dépourvu d’effet direct. Dans cette circonstance, le droit international ne peut être invoqué
par un particulier pour produire un effet contraignant. Mais il peut, malgré tout, être invoqué
pour produire un effet de fait (pour une illustration remarquée en jurisprudence française à
propos d’une résolution des Nations Unies : Cour de cassation, Civ. 1ère
, 25 avril 2006,
pourvoi n° 02-17344 : « Attendu que si les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations
Unies s'imposent aux Etats membres, elles n'ont, en France, pas d'effet direct tant que les
prescriptions qu'elles édictent n'ont pas, en droit interne, été rendues obligatoires ou
123
transposées ; qu'à défaut, elles peuvent être prises en considération par le juge en tant que
fait juridique »).
Une dernière série d’illustrations vise la circonstance que nous avons déjà envisagée (voir
supra, n° xxx) où un droit national est invoqué dans une enceinte internationale ou
européenne dans le cadre d’une discussion sur la compatibilité des droits en présence. Bien
souvent, le droit national ne produit pas en tant que tel un effet contraignant, ni même un
effet d’opposabilité. Mais il existe tel un fait dont on doit tenir compte, au stade de
l’application du droit international et européen, pour en tirer des conséquences juridiques
(pour une analyse du phénomène dans le contexte de l’OMC, S. Bhuiyan, National Law in
WTO Law - Effectiveness and Good Governance in the World Trading System, Cambridge
University Press, 2007, spéc. p. 41).
Sur la question voisine de la « prise en compte » du droit étranger de source étatique, voir le
travail de E. Fohrer-Dedeurwaerder, La prise en considération des normes étrangères, LGDJ,
2008. Sur la notion « d’effet de fait » appliquée aux jugements étrangers, voir G. Cuniberti,
C. Normand et F. Cornette, Droit international de l’exécution, éd. LGDJ 2011, spéc. p. 36.
Exemples autour de la distinction « effet obligatoire » et « effet d’opposabilité » en droit
international et européen
La distinction entre l’effet obligatoire et l’effet d’opposabilité est bien connue en droit des
contrats. Elle traduit le principe de l’effet relatif du contrat. Le contrat est obligatoire pour
les parties et il peut, à certaines conditions, être opposé aux tiers ou par ces derniers. Elle est
d’usage courant en droit des traités internationaux ou européens où l’on distingue les effets
des conventions internationales pour les parties qui les ont adoptées et les effets pour les
tiers, qu’il s’agisse d’Etats, d’organisations internationales ou européennes ou même de
personnes privées. Dans un contexte de fort pluralisme juridique mondial, elle présente un
grand intérêt. Il est fréquent, en effet, qu’un instrument de droit international ou européen
soit invoqué par des personnes qui ne sont pas directement liées. C’est le cas, chaque fois
que l’instrument est invoqué par un particulier (voir ci-dessus, les développements relatifs à
l’effet direct, n° xxx). Mais cette situation d’opposabilité peut également concerner des Etats
ou organisations internationales tierces. Le droit de l’Union européenne est propice au
développement de ce type de situations.
On peut en donner un exemple avec une affaire Bogiatzi (CJCE, 22 oct. 2009, aff. C-301/08)
où la Cour de justice a été saisie de questions préjudicielles soulevées à propos d’un
différend national relatif à une action en responsabilité civile dirigée par un passager contre
un transporteur aérien luxembourgeois en raison d'un accident survenu à l'embarquement
d'un vol intra-européen. Deux de ces questions portaient sur le point de savoir,
premièrement, si la Convention de Varsovie de 1929 (version modifiée à La Haye en 1955)
124
fait partie des normes de l'ordre juridique de l'Union européenne que la Cour de justice est
amenée à interpréter et, deuxièmement, si, en tout état de cause, cet instrument international
a vocation à s'appliquer pour compléter le régime de responsabilité aménagé par un
règlement européen (Règlement (CE) n° 2027/97/CE, dans sa version applicable aux faits de
l'espèce). À la première question, la Cour de justice a répondu par la négative, en considérant
que la Communauté européenne n'avait pas succédé aux États membres, signataires de cet
instrument. À propos de la seconde question, elle a estimé qu'un délai pour agir de deux ans,
posé par la Convention de Varsovie, avait vocation à être invoqué pour compléter le régime
de responsabilité défini par le texte de droit dérivé européen, resté silencieux sur ce point.
Ces deux réponses sont intéressantes. La première est l'illustration d'une jurisprudence
connue sur l’effet obligatoire des conventions internationales conclues par les Etats membres
dans le système juridique européen (CJCE, 12 déc. 1972, aff. 21/72 à 24/72, International
Fruit Company). La seconde réponse s'inscrit dans une tendance forte du droit européen à
interagir avec les sources de droit international qui l'environnent par le truchement de
l’opposabilité. La convention internationale est opposable à l’ordre juridique européen dès
que ce dernier a fait le choix d’inscrire ses solutions juridiques propres dans la continuité de
l’instrument international : « (...) il ressort (...) du règlement (CE) n° 2027/97/CE (...) que,
lorsque ledit règlement n'écarte pas l'application de la Convention de Varsovie dans le but
d'augmenter le niveau de protection des passagers, cette protection implique la
complémentarité et l'équivalence dudit règlement avec le système conventionnel ». (arrêt, pt
43, non souligné dans le texte). Pour une analyse approfondie de ce phénomène dans le
domaine de la propriété industrielle, V. K. Ben Dahmen, Interactions du droit international et
du droit de l’Union européenne : expression d’un pluralisme juridique rénové en matière de
protection de la propriété industrielle, Ed. L’Harmattan, 2012.
125
Section 3 – La comparaison des méthodes et solutions
111. Phase ultime de la comparaison, le juriste doit s’efforcer de comprendre les
ressemblances et dissemblances entre les méthodes et solutions juridiques retenues dans les
différents contextes national, international et européen d’application du droit. Deux
questionnements récurrents sont susceptibles de se présenter à lui. Le premier porte sur le
thème essentiel de l’interprétation : pour comparer des droits, il faut tenir compte de
l’interprétation dont ils peuvent être l’objet dans les différents contextes (§ 1). Le second
intéresse la contextualisation : à un stade ou un autre du raisonnement, la comparaison
requiert une prise en compte du contexte national, international ou européen dans lequel
baignent les méthodes et solutions juridiques comparées (§ 2).
§ 1 – De l’interprétation
112. La comparaison des méthodes et solutions juridiques élaborées en droit national,
international ou européen bute nécessairement sur la question cruciale de l’interprétation1. Un
acte juridique, un principe juridique ou même une jurisprudence peut faire l’objet
d’interprétations divergentes selon les niveaux et les systèmes juridiques qui les composent,
sans que ces divergences soient d’ailleurs toujours considérées comme une anomalie (pour
quelques illustrations, voir supra, n° xxx).
Pour appréhender cette question de l’interprétation dans le triple contexte national,
international ou européen, le juriste peut prendre appui sur les principes d’interprétation
définis dans le contexte national, international et européen.
113. Ces principes peuvent être recueillis dans des textes.
Situation – Principes de base régissant l’interprétation dans les textes
Exemple de l’interprétation des contrats en droit français, international et européen
Le droit français, international et européen ont élaboré chacun, dans leur domaine propre,
des principes de base régissant l’interprétation des contrats.
Le Code civil français propose un véritable petit « guide-âne » de l’interprétation des
contrats (art. 1156 à 1164 C. civ.) :
1 Voir, entre autres travaux sur ce thème abondamment étudié, les analyses comparées proposées in P. Amselek
(dir.), Interprétation et droit, Bruylant, PUAM, 1995. Pour une analyse comparée du processus juridictionnel de
décision à l’œuvre aux Etats-Unis (Cour suprême), dans l’Union européenne (Cour de justice) et en France (Cour
de cassation), M. de S.-O.-L’E. Lasser, Judicial Deliberations: A Comparative Analysis of Transparency and
Legitimacy, Oxford University Press, 2004.
126
Article 1156 : On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des
parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.
Article 1157 : Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans
celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait
produire aucun.
Article 1158 : Les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui
convient le plus à la matière du contrat.
Article 1159 : Ce qui est ambigu s'interprète par ce qui est d'usage dans le pays où le contrat
est passé.
Article 1160 : On doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d'usage, quoiqu'elles n'y
soient pas exprimées.
Article 1161 : Toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en
donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier.
Article 1162 : Dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur
de celui qui a contracté l'obligation.
Article 1163 Quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est
conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont
proposé de contracter.
Article 1164 : Lorsque dans un contrat on a exprimé un cas pour l'explication de l'obligation,
on n'est pas censé avoir voulu par là restreindre l'étendue que l'engagement reçoit de droit
aux cas non exprimés.
Ces dispositions, dont l’application n’est pas contrôlée par la Cour de cassation française,
sauf cas de dénaturation, expriment tout à la fois des règles de bon sens (par exemple, art.
1158 Cciv.) et de véritables choix de politique juridique (par exemple, art. 1162 Cciv.).
En droit international, on peut citer l’exemple des Principes d’UNIDROIT relatifs aux
contrats du commerce international (version 2010) :
Article 4.1 (Intention des parties)
1) Le contrat s’interprète selon la commune intention des parties.
2) Faute de pouvoir déceler la commune intention des parties, le contrat s’inter- prète selon
le sens que lui donnerait une personne raisonnable de même qualité placée dans la même
situation.
Article 4.2 (Interprétation des déclarations et des comportements)
127
1) Les déclarations et le comportement d’une partie s’interprètent selon l’intention de leur
auteur lorsque l’autre partie connaissait ou ne pouvait ignorer cette intention.
2) A défaut d’application du paragraphe précédent, ils s’interprètent selon le sens que lui
donnerait une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation.
Article 4.3 (Circonstances pertinentes)
Pour l’application des articles 4.1 et 4.2, on prend en considération toutes les
circonstances, notamment:
a) les négociations préliminaires entre les parties;
b) les pratiques établies entre les parties;
c) le comportement des parties postérieur à la conclusion du contrat;
d) la nature et le but du contrat;
e) le sens généralement attribué aux clauses et aux expressions dans la branche
commerciale concernée;
f) les usages.
Article 4.4 (Cohérence du contrat)
Les clauses et les expressions s’interprètent en fonction de l’ensemble du contrat ou de la
déclaration où elles figurent.
Article 4.5 (Interprétation utile)
Les clauses d’un contrat s’interprètent dans le sens avec lequel elles peuvent toutes avoir
quelque effet, plutôt que dans le sens avec lequel certaines n’en auraient aucun.
Article 4.6 (Règle contra proferentem)
En cas d’ambiguïté, les clauses d’un contrat s’interprètent de préférence contre celui qui
les a proposées.
Article 4.7 (Divergences linguistiques)
En cas de divergence entre deux ou plusieurs versions linguistiques faisant également foi,
préférence est accordée à l’interprétation fondée sur une version d’origine.
Article 4.8 (Omissions)
1) A défaut d’accord entre les parties quant à une clause qui est importante pour la
détermination de leurs droits et obligations, on y supplée par une clause appropriée.
2) Pour déterminer ce qui constitue une clause appropriée, on prend en
considération, notamment:
a) l’intention des parties;
128
b) la nature et le but du contrat;
c) la bonne foi;
d) ce qui est raisonnable.
En droit européen, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif
à un droit commun européen de la vente (Com (2011) 635 final) a été l’occasion, pour
l’Union européenne, de proposer son propre guide d’interprétation pour ce type de contrat :
Chapitre 6 Interprétation
Article 58 Règles générales d'interprétation des contrats
1. Le contrat s'interprète selon la commune intention des parties, même si cette interprétation
s'écarte du sens normal des expressions qui y sont employées.
2. Lorsqu'une partie a entendu conférer un sens particulier à une expression employée dans
le contrat et que, lors de la conclusion de ce dernier, l'autre partie connaissait ou était censée
connaître cette intention, l'expression doit être interprétée dans le sens voulu par la première
partie.
3. Sauf mention contraire des paragraphes 1 et 2, le contrat s'interprète conformément au
sens qu'une personne raisonnable lui donnerait.
Article 59 Éléments pertinents
Dans l'interprétation d'un contrat, il est tenu compte en particulier:
a) des circonstances de sa conclusion, y compris les négociations préliminaires;
b) du comportement des parties, même postérieur à la conclusion du contrat;
c) de l'interprétation que les parties ont déjà donnée à des expressions identiques ou
semblables à celles utilisées dans le contrat;
d) des usages que des parties placées dans la même situation considéreraient comme
généralement applicables.
e) des pratiques que les parties ont établies entre elles;
f) du sens qui est communément attribué à des expressions dans le secteur d'activité
concerné;
g) de la nature et de l'objet du contrat; et
h) du principe de bonne foi et de loyauté.
Des dispositions de ce type existent également dans des codifications doctrinales, du type,
par exemple, des Principes de droit européen des contrats (PDEC) :
Article 5:101: Règles générales d'interprétation
129
(1) Le contrat s'interprète selon la commune intention des parties , même si cette
interprétation s'écarte de sa lettre
(2) S'il est prouvé qu'une partie entendait le contrat en un sens particulier et que lors de la
conclusion du contrat l'autre ne pouvait ignorer son intention, on doit interpréter le contrat tel
que la première l'entendait.
(3) Faute de pouvoir déceler l'intention conformément aux alinéas (1) et (2), on donne au
contrat le sens que des personnes raisonnables de même qualité que les parties lui
donneraient dans les mêmes circonstances.
Article 5:102: Circonstances pertinentes
Pour interpréter le contrat on a égard en particulier
(a) aux circonstances de sa conclusion, y compris les négociations préliminaires,
(b) au comportement des parties, même postérieur à la conclusion du contrat,
(c) à la nature et au but du contrat,
(d) à l'interprétation que les parties ont déjà donnée à des clauses semblables et aux pratiques
qu'elles ont établies entre elles,
(e) au sens qui est communément attribué aux termes et expressions dans le secteur d'activité
concerné et à l'interprétation que des clauses semblables peuvent avoir déjà reçue,
(f) aux usages
(g) et aux exigences de la bonne foi.
Article 5:103: Règle contra proferentem
Dans le doute, les clauses du contrat qui n'ont pas été l'objet d'une négociation individuelle
s'interprètent de préférence contre celui qui les a proposées.
Article 5:104: Préférence aux clauses négociées
Les clauses qui ont été l'objet d'une négociation individuelle sont préférées à celles qui ne
l'ont pas été.
Art. 5.105: Référence au contrat dans son entier
Les clauses du contrat s'interprètent en donnant à chacune le sens qui résulte du contrat
entier.
Art. 5.106: Interprétation utile
On doit préférer l'interprétation qui rendrait les clauses du contrat licites et de quelque effet,
plutôt que celle qui les rendrait illicites ou de nul effet.
Art. 5.107: Divergences linguistiques
130
En cas de divergences entre les différentes versions linguistiques d'un contrat dont aucune
n'est déclarée faire foi, préférence est donnée à l'interprétation fondée sur la version qui a été
rédigée en premier.
Exemple de l’interprétation des traités en droit international
Des principes d’interprétation des conventions internationales ont été codifiés dans
Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) qui consacre une section entière à la
question. On peut y lire notamment :
Art. 31 Règle générale d’interprétation
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes
du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et
annexes inclus :
a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion
de la conclusion du traité;
b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et
accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou
de l’application de ses dispositions;
b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi
l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité;
c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les
parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des
parties.
Art. 32 Moyens complémentaires d’interprétation
Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux
travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit
de confirmer le sens résultant de l’application de l’art. 31, soit de déterminer le sens lorsque
l’interprétation donnée conformément à l’art. 31 :
a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou
b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.
131
Ces dispositions sont assez souvent utilisées par les juges qui n’hésitent à utiliser plusieurs
principes d’interprétation en s’efforçant de les concilier les uns les autres (pour une
présentation synthétique et illustrée, voir O. Corten, Méthodologie du droit international
public, Editions de l’Université de Bruxelles, 2009, spéc. p. 210 et s.
114. Les juges oeuvrent très largement à l’élaboration des méthodes d’interprétation. C’est
ainsi, par exemple, que les juridictions européennes ont cherché très tôt à promouvoir leurs
propres principes d’interprétation.
Situation – Principes d’interprétation dégagés par la jurisprudence
Exemple de la théorie de « l’effet utile » en droit européen
La théorie dite de « l’effet utile » est un principe d’interprétation qui s’appuie sur l’idée
qu’un acte juridique est nécessairement le fruit de la volonté de son auteur, de sorte qu’il n’a
pas vocation à demeurer inutile ou sans effet. On lui prête une origine romaine (Ulpien) et
elle figure en toutes lettres dans certaines législations nationales (v. par ex., l’art. 1157 du
C. civ. Français, signalé ci-dessus). Elle n’est donc pas l’apanage du seul droit européen,
d’autant qu’elle occupe une place importante dans la doctrine de droit international
(Rousseau). Elle a cependant joué un rôle qui lui est propre dans la construction européenne.
La Cour de justice de l’Union européenne en a fait une véritable doctrine juridique sur
laquelle elle s’est systématiquement appuyée pour formuler un certain nombre de solutions
de nature à concrétiser la construction juridique européenne. Ainsi, par exemple, l’aptitude
du droit européen à se substituer à une norme nationale a été justifiée par la théorie de l’effet
utile (CJCE, 8 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77). Il en va de même, par exemple, pour la
définition large et autonome donnée par la Cour de justice à la notion de « travailleur »
bénéficiant de la liberté de circulation (CJCE, 23 mars 1982, Levin, aff. 53/81). Le juge a eu
également recours à la théorie de l’effet utile pour reconnaître, au nom de la citoyenneté
européenne (art. 20 TFUE), le droit au parent ressortissant d’un État tiers de séjourner dans
l’Union européenne aux côtés de son enfant mineur, citoyen européen (CJCE, 19 oct. 2004,
Kunqian Catherine Zhu, aff. C-200/02).
La Cour européenne des droits de l’homme a également manifesté dès ses premières
décisions une volonté forte de donner une effectivité à la protection des droits fondamentaux,
ce qui n’est pas sans rappeler la « théorie de l’effet utile ». La démarche est donc
délibérément finaliste ou téléologique (voir, notamment, souvent cité, s’appuyant notamment
sur les articles 31 à 33 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités :
CEDH (Plén.), 21 févr. 1975, Golder c/ RU, Req. no 4451/70) même si cette recherche est
contrebalancée par ce que l’on a appelé des « concepts modérateurs » (voir J.-P.
132
Marguénaud, La Cour européenne des droits de l’homme, Dalloz, 4ème éd., 2008, spéc. p.
38).
Pour une approche d’ensemble du travail d’interprétation mené dans le contexte du droit
européen, voir : S. Besson, N. Levrat, E. Clerc (dir), Interprétation en droit européen -
Interpretation in European Law, Bruylant - LGDJ - Schulthess, 2011.
115. L’existence de principes ou de règles d’interprétation ne permet pas néanmoins de
préjuger de l’interprétation qui peut être donnée par tel ou tel acteur juridique, situé à tel ou
tel niveau du droit. La comparaison des méthodes et solutions juridiques retenues en droit
national, international et européen requiert une recherche minutieuse et souvent délicate de
décryptage de l’ensemble des lectures du droit proposées à ces différents niveaux par les
acteurs compétents.
Pour éviter que le juriste ne se perde dans ce dédale d’interprétations, il lui faut distinguer
celles qui sont susceptibles d’avoir un rayonnement particulier. Des outils existent pour ce
faire, tels que les instruments à valeur interprétative et la présence d’interprètes privilégiés.
Ces outils existent à différents niveaux d’application du droit. Mais leur importance
respective et les réalités qu’ils recouvrent peuvent varier fortement d’un niveau à l’autre. Il est
donc intéressant de les comparer.
Qu’en est-t-il des instruments à valeur interprétative ?
Situation – Instruments à valeur interprétative
Exemples en droit national, international et européen
A tous les niveaux du droit, la possibilité est offerte aux acteurs juridiques d’adopter des
instruments à valeur interprétative. En droit national, on connaît, la pratique des lois
interprétatives qui demeure cependant exceptionnelle (par exemple, Loi n°47-898 du 23 mai
1947 interprétant l’article 16 de la loi du 16 avril 1946 portant amnistie) et strictement
encadrée (interdiction des lois de validation ayant pour effet de contrer pour les situations en
cours une interprétation de la loi donnée par les tribunaux sans motif impérieux d’intérêt
général : par exemple, Cour de cassation, Ass. plén., 23 janv. 2004, pourvoi n° 03-13.617)).
En droit international, cette pratique est plus répandue. Les parties à un traité international
peuvent adopter un acte à valeur interprétative du traité qu’elles ont conclu. Il peut s’agir
d’un acte collectif (par exemple, Protocole interprétatif, en date du 30 juillet 1936, de
l’article 10 de la Convention de La Haye du 20 janvier 1930 relatifs aux immunités de la
Banque des Règlements Internationaux) ou, plus fréquemment, d’un acte unilatéral (par
exemple, déclaration unilatérale d’un Etat qui, au moment de la signature de traité, entend
133
signifier aux autres parties en présence la manière dont il entend l’interpréter). En droit
européen, notamment en droit de l’Union européenne, le phénomène a pris une ampleur
jusqu’alors inégalée avec l’adoption des derniers traités constitutifs (par exemple, le Traité
de Lisbonne (2009) compte pas moins de 37 protocoles et 65 déclarations dont certains ont
clairement une valeur interprétative). Elle est également présente en droit dérivé de l’UE (par
exemple, les nombreuses lignes directrices adoptées par la Commission en droit de la
concurrence).
116. La question de l’interprétation est également fortement marquée par la présence
d’interprètes privilégiés.
Situation – Présence d’interprètes privilégiés
Exemples en droit national, international et européen
A tous les niveaux, des acteurs ont une position d’interprète privilégié. En droit international,
plus précisément en droit des traités, les Etats conservent une position « d’interprètes
authentiques » en ce sens que c’est à eux seuls que revient le pouvoir d’éclairer le sens de
leur volonté exprimée par le traité. Mais rien ne les empêche de déléguer ce pouvoir, de
manière ponctuelle ou permanente, à un tiers, notamment à un juge (par exemple, la Cour
internationale de justice, l’Organe de règlement des différends statuant au sein de l’OMC, le
Tribunal international de la mer, la Cour pénale internationale, etc.). Pour une analyse
approfondie du travail d’interprétation livré par les juridictions internationales et
européennes, voir V. Boré Eveno, L’interprétation des traités par les juridictions
internationales – Etude comparative, Thèse Paris I (Panthéon-Sorbonne), nov. 2004, 636 p.).
En droit européen et national, ce sont manifestement les juges qui occupent cette position
d’interprète privilégié. Mais des distinctions s’imposent. Dans le contexte européen, la
faveur est incontestablement donnée aux deux grandes juridictions européennes : la CJUE
pour l’interprétation du droit de l’Union européenne et la CEDH pour l’interprétation de la
CESDHLF. Des ouvrages sont entièrement dédiés à l’étude de leur jurisprudence (voir
notamment : F. Sudre, J.-P. Marguénaud, J. Andriantsimbazovina, A. Gouttenoire, M.
Levinet, G. Gonzales, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, PUF,
6e éd., 2011 ; M. Karpenschif et C. Nourissat (dir.) ; Les grands arrêts de la jurisprudence de
l’Union européenne, PUF, 2010). Dans le contexte national, par exemple français, le primat
est reconnu à trois institutions : le Conseil constitutionnel dont l’importance ne cesse croître
avec l’exercice de la fonction préjudicielle qui lui est reconnue depuis 2009 (art. 61-1 de la
Constitution relatif à la question prioritaire de constitutionnalité) et les deux juridictions
supérieures de l’ordre administratif et judiciaire : le Conseil d’Etat et la Cour de cassation
(dans la tradition universitaire française de commentaire des « grands arrêts », on trouvera
134
notamment : H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile,
2 t., 12ème éd. Dalloz, 2006 et 2008 ; L. Favoreu, L. Philip (dir.), Les grandes décisions du
Conseil constitutionnel, 15ème éd. Dalloz, 2009 ; M. Long, P. Weil, G. Braibant, P.
Delvolvé et B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 17ème éd.
Dalloz, 2009).
Les questionnements soulevés, en France, par le pluralisme juridique mondial mettent
durement à l’épreuve le rapport des forces en présence. On peut ainsi donner l’exemple de la
polémique suscitée par la position de la Cour de cassation qui, en présence d’une potentielle
incompatibilité entre, d’une part, la loi pénale française, et, d’autre part, la Constitution
française et le droit de l’Union européenne, a cherché à répondre à la question qui lui était
posée, après renvoi préjudiciel devant la Cour de justice (CJUE, 22 juin 2010, Aziz Melki et
Sélim Abdeli, aff. C-188/10 et C-189/10), sans interroger le Conseil constitutionnel sur la
constitutionnalité de la loi nationale (notamment : Cour de cassation, QPC, 16 avr. 2010 et
ass. plén., 29 juin 2010, pourvoi n° 10-40002). Le Conseil constitutionnel (Cons. const., 12
mai 2010, n° 2010-605 DC, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du
secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne) et le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 14 mai
2010, Req. n° 312305) ont clairement désapprouvé cette attitude de défiance de la Cour de
cassation, préférant appliquer à la lettre la loi française qui a entendu, à tort ou à raison,
donner un caractère prioritaire à la question préjudicielle de constitutionnalité (voir
également sur cette affaire, nos développements en Partie 3, n° xxx).
§ 2 – De la contextualisation
117. Selon le contexte, un droit ne se construit pas ou n’est pas nécessairement appliqué de
la même manière. Au stade de la comparaison multiniveau, il faut donc essayer de déterminer
l’influence qu’exerce l’environnement juridique national, international ou européen sur les
méthodes ou solutions en présence. Cette recherche peut déboucher sur tout type
d’enseignements : mise en évidence de différences fortes ou, à l’opposé, présence de grandes
similitudes, sachant que parfois les situations sont évolutives.
Pour illustrer le propos, il peut être intéressant de s’interroger sur la signification d’un mot
dans le triple contexte national, international ou européen. Il peut arriver, en effet, qu’une
expression d’usage parfaitement banalisé à un niveau d’application du droit n’ait pas
nécessairement la même signification à un autre niveau.
135
Situation – Utilisation d’un même terme juridique dans le contexte national, international
et européen
L’exemple du terme « constitution »
Utilisé en droit interne pour désigner la loi fondamentale, celle qui fonde l’autorité de l’Etat
(par exemple, la Constitution Française du 4 octobre 1958 fondatrice de la Vème
République), le terme « constitution » et ses dérivés a peu à peu gagné les terres du droit
international et européen au nom d’un « pluralisme constitutionnel » (sur les origines de
cette doctrine et les réflexions qu’elle inspire en droit contemporain, voir M. Avbelj, J.
Komárek (ed.), Constitutional Pluralism in the European Union and Beyond, Hart, 2012).
L’emprunt opéré par ces deux niveaux d’un vocabulaire spécifique au contexte national ne se
fait néanmoins pas sans heurt. En droit international comme en droit européen, il soulève
deux grands types de discussion sur l’aptitude de l’expression à transiter d’un niveau à
l’autre et sur les transformations qu’induisent pareil mouvement sur le sens premier de la
notion. En droit international, voir pour une approche historique et critique du phénomène,
H. Ruiz-Fabri, Les « contaminations » disciplinaires, in J. Bois de Gaudusson et F. Ferrand,
La concurrence des systèmes juridiques, PUAM 2008, p. 123 ; voir également les différentes
analyses approfondies proposées in L. Klabbers, A. Peters, G. Ulfstein, The
Constitutionalization of International Law, Oxford University Press, 2009 ; H. Ruiz Fabri et
M. Rosenfeld (dir.), Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la
privatisation, Ed. Société de Législation Comparée, Paris, 2011 ; S. Hennette-Vauchez et J.-
M. Sorel (dir.), Les droits de l’homme ont-ils constitutionnalisé le monde ?, éd. Bruylant,
2011. En droit européen, voir en jurisprudence, toujours cité : CJCE, 14 déc. 1991, Avis
1/91 : « Le Traité CEE, bien que conclu sous la forme d’un accord international, n’en
constitue pas moins la charte constitutionnelle d’une communauté de droit ». Comp. CJCE, 3
sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05 : « il y a lieu de rappeler que
la Communauté est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses
institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte
constitutionnelle de base qu’est le traité CE » (pt. 280). Pour une approche critique du
phénomène de constitutionnalisation du droit européen, spécialement à propos du Traité de
Rome (2004) établissant une Constitution pour l’Europe (non entré en vigueur), voir
notamment, O. Beaud, A. Lechevalier, I. Pernice et S. Trudel (dir.), L’Europe en voie de
constitution. Pour un bilan critique des travaux de la Convention, Bruylant, 2004 ; Institution
de l’Europe ?, Droits (revue), PUF, 2007.
L’exemple du terme « codification »
Un autre terme juridique se prête également assez bien à la comparaison multiniveau :
l’expression « codification » et ses dérivés. Forgée dans le contexte d’unification du droit
136
national, notamment en matière civile et pénale, l’idée de codification s’est propagée à
l’échelon international ou européen (on parle, par exemple, de codification internationale ou
européenne du droit international privé ou du droit des contrats). Ce passage d’un niveau à
l’autre modifie potentiellement le sens du terme utilisé (voir, entre autres réflexions
abondantes sur le sujet, voir B. Beignier (dir.), La codification, Dalloz, 1996 avec
notamment les contributions de D. Bureau et S. Poillot Peruzzetto en droit international et
européen ; voir plus récemment : P. Lagarde, M. Fallon et S. Poillot Peruzzetto (dir.), Quelle
architecture pour un code européen de droit international privé ?, éd. Peter Lang, 2012).
Parfois les discussions sont vives, spécialement quand un terme de pur droit interne est
utilisé sans précaution au niveau européen. Voir en particulier, en France, à propos de
l’élaboration d’un « Code civil européen » ou, plus largement entendu, d’une codification
européenne du droit privé, les positions respectivement exprimées par Y. Lequette, Vers un
code civil européen ?, in Le Code civil, Pouvoirs n° 107, 2003, p. 97 et B. Fauvarque-
Cosson, Codification et droit privé européen, in Mélanges B. Oppetit, Litec 2009, p. 179.
118. Cette migration parfois difficile du vocabulaire et des notions juridiques entre les
niveaux différents montre qu’il faut toujours être très prudent dans l’opération qui consiste à
appliquer une méthode ou une solution juridique hors du contexte dans lequel elles ont été
définies. Un droit construit dans un contexte national, international ou européen peut, dans
une perspective d’application dans un autre contexte, se trouver, en effet, confronté à un
environnement juridique différent. Cette différence de contextes doit être prise en compte dès
le stade de la comparaison1. Appliquer un droit à un autre niveau, c’est s’obliger à comparer
des contextes potentiellement différents.
Le droit européen est particulièrement propice à ce type d’analyse. On peut ainsi envisager
deux cas qui mettent en scène une approche du droit européen hors de son contexte.
Situation – Le droit européen hors de son contexte
L’exemple du droit européen de l’alimentation projeté sur les constructions du droit privé
national
Un programme de recherches « ERC », dirigé par F. Collart-Dutilleul (http://www.droit-
aliments-terre.eu/), a été l’occasion d’un séminaire de travail en janvier 2009 sur la manière
dont une réglementation européenne (Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen
et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant notamment les principes généraux et les
1 Nous la retrouverons également dans les étapes ultérieures de combinaison et hiérarchisation. Voir infra,
Parties 2 et 3.
137
prescriptions générales de la législation alimentaire) peut être projetée sur les constructions
du droit privé de source essentiellement nationale (« Le droit spécial de l’alimentation à
l’épreuve du droit privé », Nantes – 29 janv. 2009). Ce séminaire a permis, entre autres
réflexions, de mettre en relief la nécessité de maîtriser le contexte juridique du texte
européen avant toute extrapolation à un autre niveau, en l’occurrence le droit privé interne.
En effet, tout texte de droit dérivé européen doit être conforme aux Traités (TUE et TFUE)
qui constituent leur base juridique. S’il porte atteinte, par exemple, à la libre circulation des
marchandises à l’intérieur de l’espace européen, il doit être justifié par la poursuite d’un
objectif d’intérêt général admis par le traité (par ex. art. 36 TFUE) tel qu’interprété par la
jurisprudence de la Cour de justice (par ex. CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral, aff.
120/78). Le règlement n’échappe pas à la règle et c’est pourquoi il doit d’abord être
appréhendé comme ayant pour objet, la conciliation d’un principe de libre circulation et d’un
impératif de protection, notamment de la santé publique. Situer le texte dans son contexte du
marché intérieur européen permet également de comprendre la raison pour laquelle le
consommateur y est considéré dans un processus de régulation d’un marché. Si le règlement
ne distingue pas, par exemple, entre le consommateur contractant et le consommateur non
contractant, s’il semble dire qu’une fois informé, le consommateur devient responsable, c’est
que le droit européen s’efforce de définir un statut du consommateur européen appréhendé
comme un agent économique à part entière, au même titre qu’un opérateur professionnel.
Mais il faut aller plus loin dans l’analyse. Deux observations importantes méritent à ce titre
d’être faites. En premier lieu, le champ d’application matériel et spatial du texte est
extrêmement vaste. Le règlement apparaît comme un texte-cadre, il définit des principes
généraux et se présente comme un « texte de base » sur lequel s’appuient des constructions
plus abouties. Par ailleurs, s’il n’est pas d’application proprement universelle, on observe
qu’il ne se concentre pas sur le seul marché intérieur et qu’il libère ses effets à la fois à
l’intérieur et à l’extérieur de l’Union. Or l’étendue de son domaine d’application n’est pas
sans incidence sur son intensité normative. On observe généralement que plus le domaine
d’un texte est vaste, moins le texte est contraignant et, inversement, plus il est contraignant,
plus son domaine d’application est susceptible d’être circonscrit (voir pour un exemple
souvent mal compris : CJCE, 4 juin 2009, Leroy Somer, aff. C-285/08). En second lieu, il
semble clair que le règlement n’a pas vocation à construire en tant que tel un droit privé de
l’alimentation. Il est trop général pour cela. Il ne faut donc pas commettre l’erreur de prendre
le droit européen pour ce qu’il n’est pas et de l’appliquer, dans les ordres juridiques
nationaux, comme s’il portait sur le même objet que les institutions juridiques nationales.
Comme droit d’un marché européen, le règlement est différent du droit national. Il coexiste
avec lui. Sa relation aux droits privés des États membres se mesure moins en termes
138
d’influence du droit européen sur le droit national qu’en termes d’articulation du droit
européen et du droit national. Ce n’est pas la même chose.
L’exemple du droit européen du marché intérieur comparé aux règles internationales sur
le libre-échange
Le droit régional de l’Union européenne s’est en parti construit sur le modèle de règles
internationales préexistantes. Par exemple, il est fréquent que des textes européens de droit
primaire ou dérivé s’inspirent de textes antérieurs de droit international, ne serait-ce que pour
prévenir tout risque d’incompatibilité. Le cas le plus remarquable, sans doute, porte sur les
dispositions du Traité CEE de 1957 relatives aux libertés de circulation, comparées à celles,
parfois très proches, énoncées par l’accord du GATT de 1947 en matière de libre-échange
mondial (voir, en particulier, l’actuel article 36 TFUE et l’article XX du GATT qui, par une
formulation voisine, définissent tous deux des justifications aux entraves). Ces similitudes
textuelles ne doivent pas néanmoins gommer les spécificités de chacun des systèmes
juridiques en présence. Par exemple, il existe incontestablement une différence de nature
juridique entre la jurisprudence de la CJUE faisant application de l’article 36 TFUE et les
décisions de l’ORD faisant application de l’article XX du GATT. La première s’inscrit dans
un processus d’intégration juridique destinée à créer une communauté de droit. Elle a donc
une forte valeur normative (pour une présentation synthétique du processus d’intégration à
l’œuvre dans l’UE sur le fondement des libertés de circulation, voir J.-S Bergé et S. Robin-
Olivier, Droit européen (Union européenne – Conseil de l’Europe), PUF, 2ème
éd. 2011, n°
129 et s.). La seconde s’attache plus modestement à régler des différends commerciaux.
L’objectif n’est pas tant de rapprocher le droit des Etats membres que de favoriser le cours
des échanges entre les Etats parties (pour une comparaison systématique, voir L. Bartels et F.
Ortino (dir.), Regional Trade Agreements and the WTO Legal System, Oxford University
Press, 2006).
119. Mais le droit national n’est pas en reste qui peut recevoir une acception différente
quand il est mis en œuvre dans un autre contexte.
Situation – Le droit national hors de son contexte
L’exemple de l’interprétation du droit national dans le contexte de la protection
européenne des droits fondamentaux
Le droit civil fait l’objet d’une réglementation à différents niveaux : national, international et
européen notamment. Pour l’essentiel, il demeure, aujourd’hui encore, d’inspiration
nationale. Son interprétation peut être néanmoins tributaire d’autres contextes. Un auteur en
a donné une illustration à travers l’étude d’un arrêt de la Cour européenne des droits de
l’homme (J.-P. Marguénaud : « La stigmatisation européenne de l'application mécanique des
139
principes d'interprétation d'un Code civil » (à propos de CEDH, 1er déc. 2009, Velcea et
Mazare, Req. no 64301/01), RDC 2010, 981). Selon la lecture proposée de cet arrêt, « En
commandant d'éviter les applications mécaniques des principes d'interprétation d'un Code
civil, la CEDH ouvre la chasse non seulement aux interprétations qui ne seraient pas
conformes au but de la disposition légale appliquée à un contrat mais également à celles qui
ne tiendraient pas compte des bouleversements économiques et sociaux. Le refus de la
théorie de l'imprévision semble directement menacé par cette nouvelle audace interprétative
européenne ». Le droit européen livre ainsi une technique d’interprétation que le juriste de
droit interne peut être amené à connaître pour appliquer son propre droit national de manière
à lui donner une lecture conforme aux exigences du droit européen des droits de l’homme. Il
s’agit donc pour le juriste de droit interne de prendre en compte le contexte européen dans
lequel baigne son droit national.
120. Il en va de même pour le droit international.
Situation – Le droit international hors de son contexte
L’exemple de l’ordre public international
Les internationalistes manient avec une grande dextérité la distinction entre l’ordre public
interne et l’ordre public international. Même si l’on observe un développement de l’ordre
public de source réellement internationale ou régionale (sur le phénomène, voir, avec les
références citées, M. Forteau, L’ordre public « transnational » ou « réellement
international », JDI 2011,3), celui-ci est souvent l’émanation de celui-là : une règle d’ordre
public interne (par exemple, en droit français, le principe de nullité des conventions portant
procréation ou gestation pour le compte d’autrui : art. 16-7 du Code civil) est, en raison de
son caractère essentiel, appliquée à des situations internationales et se transforme ainsi en
règle de droit international. Cet ordre public international peut être mis en œuvre dans un
contexte national donné (par exemple, à des situations étrangères de gestation pour autrui
présentées au juge français : Cour de cassation, 1ère ch. civile, 6 avril 2011, 09-66.486 « 'est
justifié le refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision
étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de cette décision,
lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit
français ; qu'en l'état du droit positif, il est contraire au principe de l'indisponibilité de l'état
des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la
filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-elle licite
à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code
civil ») ou européen (par exemple, la même règle d’ordre public international français peut
tenir en échec un mécanisme européen de reconnaissance et d’exécution d’une décision de
140
justice rendue par un autre Etat membre de l’UE). Cette double projection nationale ou
européenne d’une règle internationale met en perspective une pluralité de contextes
d’application qui rejaillit sur la définition même de l’ordre public. Ce dernier peut, en effet,
se décliner différemment selon qu’il est envisagé dans un cadre national, international ou
européen. Ainsi, la référence au jeu d’une règle d’ordre public du for (ce que les
internationalistes privatistes appellent une « exception d’ordre public ») peut, selon le
contexte d’application du droit envisagé, impliquer une référence à une règle définie par la
loi du juge national saisi (lex fori), par une règle européenne ou par une règle de dimension
réellement internationale.
Pour une analyse approfondie et illustrée du phénomène de dé-triplement de l’ordre public
de source nationale, internationale et européenne, voir, avec les références citées : M.-N.
Jobard-Bachellier et F.-X. Train, Juris-classeur Droit international, fasc. 534-1 et 534-2).
Pour un examen des possibilités offertes ou non au juriste de choisir tel contexte
d’application du droit plutôt que tel autre, voir ci-après, nos développements en parties 2 et
3. S’agissant, spécifiquement des questions d’ordre public international, voir infra, n° xxx et
xxx.
141
DEUXIEME PARTIE - LA COMBINAISON DU DROIT NATIONAL,
INTERNATIONAL ET EUROPEEN
121. L’étape première de comparaison a permis de recenser les principaux outils
méthodologiques utiles à l’analyse des ressemblances et différences entre les méthodes et
solutions offertes dans différents contextes – national, international ou européen –
d’application du droit. L’une des étapes suivantes1 peut être celle de la combinaison par
laquelle le juriste s’efforce d’assembler ces méthodes et solutions en vue de construire son
raisonnement juridique.
La combinaison du droit national, international et européen peut être sérieusement envisagée
dans deux grandes hypothèses de travail : celle où les droits en présence sont
complémentaires et celle où un phénomène de circulation des situations est à l’œuvre.
Chapitre 1 – La complémentarité des droits
Chapitre 2 – La circulation des situations
1 L’autre étape envisagée dans ce travail est celle de la hiérarchisation, voir infra, Partie 3.
142
CHAPITRE 1 – LA COMPLEMENTARITE DES DROITS
122. La combinaison n’a de sens que si les droits sont complémentaires, c’est-à-dire si les
méthodes et solutions définies par un droit sont susceptibles d’être agrégées à celles d’un
autre droit en vue de produire un effet juridique propre. Cette complémentarité n’existe pas
toujours. Mais elle demeure relativement fréquente, dès lors qu’au stade de l’application du
droit, les systèmes juridiques nationaux, internationaux et européens ont rarement vocation à
appréhender seuls les situations.
Cette complémentarité peut être institutionnelle ou matérielle (Section 1). On peut essayer de
l’expliquer par l’existence de rapports de mise en œuvre (Section 2). Elle est fréquemment
guidée par la recherche d’un effet (Section 3).
143
Section 1 –Les complémentarités institutionnelles et matérielles
123. Il est fréquent que la solution juridique retenue par le juriste résulte d’une combinaison
de droits définis dans différents contextes : national, international ou européen. Ces
combinaisons peuvent faire intervenir des institutions (§1) ou des droits matériels (§2) issus
de contextes différents.
§ 1 – Les complémentarités institutionnelles
124. Il est fréquent (et somme toute banal) qu’un droit élaboré dans un contexte soit
appliqué devant une institution appartenant à un autre niveau. Le phénomène peut être
observé pour les institutions nationales, internationales ou européennes à propos de
l’application d’un droit élaboré dans un autre contexte que le leur.
Situation – L’application devant les institutions nationales, internationales ou européennes
d’un droit élaboré dans un autre contexte
L’exemple de l’application du droit international et/ou européen devant les institutions
nationales
L’ensemble des institutions nationales sont potentiellement concernées par l’application du
droit international ou européen.
Il peut s’agir du législateur (en France, le Parlement) ou de l’exécutif (en France, le Président
de la République et le gouvernement) chargé d’autoriser la conclusion d’un accord
international ou européen (par exemple, loi de ratification, décret d’approbation) ou de
prendre des mesures de transposition d’un texte international ou européen dérivé (par
exemple, loi d’adaptation du droit national à un traité international ou texte national législatif
ou réglementaire de transposition d’une directive européenne).
Les administrations nationales (en France, les services placés sous la responsabilité du
premier ministre (SGAE : secrétariat général des affaires européennes), des ministères
(notamment le ministère des affaires étrangères et le ministère de la justice) et les autorités
administratives indépendantes) et territoriales (en France, les régions, les départements ou les
communes) contribuent également à cette application sur le sol français du droit international
et européen (pour une présentation détaillée du rôle des administrations nationales et
territoriales dans le contexte européen, voir J.-L. Sauron, V. Lanceron, L’administration
nationale et l’Europe, La Documentation Française, 2008 ; P.-Y. Monjal, Droit européen des
collectivités locales, LGDJ, 2010).
Par ailleurs, les institutions juridictionnelles nationales, publiques (juge étatique) ou privées
(arbitre), sont amenées à mettre en œuvre également les méthodes et solutions du droit
144
international et européen. En France, qu’il s’agisse du juge constitutionnel, du juge ordinaire
ou du tribunal des conflits, des juridictions de l’ordre administratif ou des juridictions de
l’ordre judiciaire, des juridictions supérieures ou des juridictions du fond, des formations
collégiales ou des juridictions à juge unique, du juge étatique ou du juge arbitral soumis aux
règles françaises de l’arbitrage, tous sont amenés à faire application du droit international et
européen (pour une analyse annuelle de la jurisprudence étatique française rendue en droit
international et européen, voir la publication régulière de l’Annuaire français de droit
international (éd. CNRS) et de l’Annuaire de droit européen (éd. Bruylant) ; pour un
exemple d’analyse de la pratique des juridictions nationales appliquant les instruments
internationaux, voir C. Laurent-Boutot, La Cour de cassation face aux traités internationaux
protecteurs des droits de l’homme, Thèse Limoges, 2006).
Pour un cas de mise en œuvre d’une convention internationale liant l’UE par une directive
européenne et des dispositions nationales d’exécution auxquelles elle renvoie : voir, CJUE,
8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie VLK, aff. C-240/09 (Convention d’Aarhus sur
l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la
justice en matière d’environnement - 1998) qui considère que « lorsqu’est en cause une
espèce protégée par le droit de l’Union, et notamment par la directive «habitats », il
appartient au juge national, afin d’assurer une protection juridictionnelle effective dans les
domaines couverts par le droit de l’Union de l’environnement, de donner de son droit
national une interprétation qui, dans toute la mesure du possible, soit conforme aux objectifs
fixés à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus » (pt. 50).
L’exemple de l’application du droit national devant une institution internationale ou
européenne
Les hypothèses d’application du droit national devant une institution internationale ou
européenne sont moins fréquentes que les précédentes. Mais des cas existent malgré tout où
le droit national est mis en œuvre devant une instance internationale ou européenne chargée
d’examiner les modalités de son application.
Trois séries de cas peuvent être envisagées. La première vise la circonstance où le caractère
compatible de l’application d’un droit national est apprécié devant une instance
internationale (Cour internationale de justice, Organe de règlement des différends de l’OMC)
ou européenne (Cour de justice de l’Union européenne ou Cour européenne des droits de
l’homme). Cette compatibilité est parfois appréciée de manière concrète. Ce qui est alors en
cause, c’est la mise en œuvre d’un droit national eu égard aux exigences du droit
international et européen (réglementation nationale produisant un effet contraire aux
exigences du droit international ou européen). Dans cette hypothèse, l’application du droit
national est discutée devant une institution internationale ou européenne. Pour une
145
illustration devant la CIJ à propos de la légalité d’une mesure nationale d’expulsion : CIJ, 30
novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du
Congo. Pour une illustration en droit de l’OMC à propos d’un cas de discrimination, voir,
ORD, Organe d’appel, 13 déc. 1999, Chili – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS87 et
DS110/AB/R. Pour une illustration devant la CJUE et la CEDH, à propos de la compatibilité
des effets de la réglementation française avec les exigences du droit européen, voir sur la
question prioritaire de constitutionnalité : CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. Jtes C-
188/10 et C-189/10 et sur le fonctionnement du ministère public français : CEDH, 23 nov.
2010, Req. no 37104/06, Moulin c. France.
La deuxième série de cas a en commun de concerner des instances publiques ou privées qui
agissent dans un cadre arbitral ou qui s’apparentent à ce dernier. Deux hypothèses peuvent
être signalées : 1° celle de la CJUE chargée d’appliquer un droit national déclaré applicable à
un contrat conclu par l’Union européenne (voir à propos de l’application jurisprudentielle de
cette possibilité offerte par l’article 272 TFUE ; l’analyse proposée in La Cour de justice,
juge du contrat soumis à la loi étatique choisie par les parties, RDC 2005, p. 463) ; 2° celle
de l’arbitre CIRDI, amené à faire application d’un droit national à un contrat conclu par un
Etat avec un investisseur étranger (voir sur ce phénomène, l’analyse de M. Forteau, Le juge
CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou l’un et
l’autre à la fois ?, Mélanges J.-P. Cot, Bruylant 2009, p. 95).
La troisième série de cas concerne l’hypothèse particulière où une instance internationale
consent à apprécier la validité de la conclusion d’un traité eu égard au respect, par l’Etat
signataire, de ses dispositions constitutionnelles nationales (pour l’énoncé de cette règle, voir
l’article 46 de la Convention de Vienne sur le droit des traités – 1969 ; pour un examen de la
pratique des instances internationale à l’occasion de l’adoption de la Résolution 1757 (2007)
par Conseil de sécurité des Nations Unies créant le Tribunal spécial pour le Liban, voir M.
Ghantous, La valeur internationale de la constitution, JDI 2010, 35).
L’exemple de l’application du droit international devant une institution européenne
Le droit international occupe une place grandissante dans le droit de l’Union européenne. En
se limitant aux seuls accords internationaux liant l’UE, les données statistiques révèlent que :
si de 1950 à 1974, 18 accords seulement ont été conclus, 450 ont été adoptés entre 1975
et 1999 et plus de 700 ont trouvé une place dans l’ordre juridique européen entre 2000
et 2010 (source : http://europa.eu.int ; rubrique « Relations extérieures »). On assiste à une
véritable explosion du nombre des instruments internationaux liant l’UE ce qui conduit à une
application de plus en plus fréquente de ces instruments par les différentes institutions
européennes (notamment : commission, conseil des ministres, conseil européen, parlement
européen et cour de justice), chacune selon leurs attributions respectives. Voir à titre
146
d’illustration, la référence faite par la Cour de justice aux règles du droit international
général en matière de nationalité : CJUE, 2 mars 2010, aff. C-135/08, Rottmann. Ce
phénomène n’est d’ailleurs pas sans conséquences sur l’évolution du droit international dans
le contexte européen. La question est, en effet, de plus en plus souvent posée de l’existence
d’une approche européenne du droit international. Voir notamment sur ce thème : L. Gautron
et L. Grard (dir.), Droit international et droit communautaire : perspectives actuelles :
Pedone, 2000 ; J. Wouters, A. Nollkaemper, E. de Wet (ed.), The Europeanisation of
International Law, TMC Asser Press, 2008 ; J.-M. Thouvenin et Ch. Tomuschat (dir.), Droit
international et diversité des cultures juridiques, éd. Pedone, 2008 (spéc. la Partie 3) ; - M.
Delmas-Marty et S. Breyer (dir.), Regards croisés sur l’internationalisation du droit : France
– Etats-Unis, SLC 2009 (qui contient de nombreuses analyses intéressant le droit européen) ;
E. Dubout et S. Touzé S. (dir.), Les droits fondamentaux : charnières entre ordres et
systèmes juridiques, Pedone 2010 ; La fragmentation du droit applicable aux relations
internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes (dir.
scientifique M. Forteau ; coord. J.-S. Bergé, M. Forteau, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin),
Ed. Pedone, 2011. – L. Burgorgue-Larsen, E. Dubout, A. Maitrot de la Motte et S. Touzé
(dir.), Les interactions normatives : droit de l’UE et droit international, éd. Pedone, 2012 ; M.
Benlolo-Carabot, E. Cujo et U. Candas (dir.), Union européenne et droit international, éd.
Pedone, 2012). V. également, la chronique annuelle publiée au JDI sur les interactions du
droit international et européen (depuis 2009).
Le Conseil de l’Europe participe à ce phénomène de manière plus modeste (sur l’implication
du Conseil de l’Europe dans le développement du droit international, voir E. Decaux et M.
Eudes, Juris-Classeur Europe – Traité, fasc. n° 6110, janv. 2010, n° 8 et s.). Dans le domaine
des droits fondamentaux où l’organisation peut se targuer de l’existence d’une juridiction
européenne – la Cour européenne des droits de l’homme – il est arrivé que des traités
internationaux soient appliqués par la CEDH. Voir pour une illustration : CEDH, Grande
Chambre, 12 nov. 2008, Demir & Baykara c./ Turquie, Req. n° 34503/97 (à propos de
conventions de l’OIT sur la liberté syndicale et le droit de grève). Sur le phénomène dans
une perspective propre aux droits fondamentaux : E. Dubout et S. Touzé (dir.), Les droits
fondamentaux : charnières entre ordres et systèmes juridiques, éd. Pedone 2010.
L’exemple de l’application du droit européen devant une institution internationale
Les cas d’application du droit européen devant une institution internationale demeurent
exceptionnels. Il y a deux grandes raisons à cela. La première tient au caractère régional du
droit européen qui est souvent jugé incompatible avec la conduite d’une justice de droit
international. La seconde est liée à la manière dont la Cour de justice de l’Union européenne
interprète de manière absolue le caractère exclusif de sa compétence s’agissant, notamment,
147
de régler des différends entre Etats membres, refusant ainsi de reconnaître toute compétence
concurrente à une autre juridiction internationale (voir, l’exemple particulièrement
remarquable de l’affaire « Mox » : CJCE, 30 mai 2006, Commission c/ Irlande, aff. C-
459/03, à propos de la saisine du Tribunal international du droit de la mer et de différentes
instances arbitrales internationales ; voir plus récemment, dans une configuration différente,
CJUE, 8 mars 2011, avis 1/09, à propos de la création d’un système unifié de règlement des
litiges en matière de brevets européens et de l’UE ; comparer, également, les modalités du
désistement allégué par la Belgique dans le conflit l’opposant à la Suisse à propos de la
Convention de Lugano sur la compétence et l’exécution des décisions en matière civile et
commerciale, désistement intervenu « en concertation avec la Commission de l’Union
européenne » (CIJ, 5 avril 2011, ordonnance, p. 2).
Mais les choses sont amenées à évoluer. La Cour internationale de justice a récemment
accepté de faire référence pour la première fois au droit de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CIJ, 30 novembre 2010,
Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo). Ce droit n’a
pas été à proprement parler « appliqué » par la CIJ. Il y a simplement été fait référence. Mais
c’est un début intéressant qui explique, sans doute, qu’un autre arrêt rendu, plus récemment,
par la juridiction internationale ait conforté la place du droit régional devant la juridiction
internationale (CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c.
Italie ; Grèce (intervenant)). En effet, la CIJ s’emploie, dans cette affaire, à analyser la
jurisprudence de la CEDH, au même titre que des jurisprudences nationales, dans le but d’y
déceler l’existence de règles coutumières internationales relatives à l’étendue des immunités
juridictionnelles dont bénéficient les Etats Cette pratique de comparaison, développée par la
haute juridiction internationale à l’endroit du droit régional, a pris un peu plus d’ampleur
avec un autre arrêt (CIJ, 19 juin 2012, qui statue sur le volet indemnisation de l’affaire
Ahmadou Sadio Diallo, préc.) qui se réfère abondamment aux pratiques d’indemnisation de
la CEDH (et, au demeurant, de la CIADH).
Par ailleurs, il arrive que l’application du droit de l’Union européenne soit discutée devant
des juridictions internationales dans le cadre d’arbitrages mettant en scène un ou plusieurs
Etats. On songe à une affaire opposant la Belgique aux Pays-Bas, où la Cour permanente
d’arbitrage s’est interrogée sur l’applicabilité du droit de l’Union européenne pour décider de
sa propre compétence (CPA, 24 mai 2005, affaire de la « Ligne du Rhin de fer »). On pense
également à un arbitrage CIRDI où les juges ont fait application d’une directive de l’UE
(CIRDI, Giovanna a Beccara and others c. Argentine, ARB/07/5, 27 janvier 2010). Sur
l’étude de ces deux derniers exemples, voir M. Forteau, « L’influence du choix de la
juridiction sur le droit applicable aux relations internationales », in La fragmentation du droit
148
applicable aux relations internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et
publicistes, Ed. Pedone, préc., p. 143.
125. Ce type de complémentarité institutionnelle est parfois érigé en « principe ». C’est le
cas pour la question difficile et sensible des rapports entre la Cour pénale internationale et les
justices des Etats parties.
Situation – La complémentarité institutionnelle érigée en principe
L’exemple des rapports entre la Cour pénale internationale et les justices des Etats
membres
Le statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale (1998) définit des cas
d’irrecevabilité d’une affaire lorsque : a) L'affaire fait l'objet d'une enquête ou de poursuites
de la part d'un État ayant compétence en l'espèce, à moins que cet État n'ait pas la volonté ou
soit dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites ; b) L'affaire
a fait l'objet d'une enquête de la part d'un État ayant compétence en l'espèce et que cet État a
décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l'effet
du manque de volonté ou de l'incapacité de l'État de mener véritablement à bien des
poursuites ; c) La personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet
de la plainte, et qu'elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l'article 20, paragraphe 3 ;
d) L'affaire n'est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite (article 17§1).
Cette disposition est analysée par les spécialistes de la matière comme l’expression d’un
« principe de complémentarité » qui permet ici à l’ordre juridique international d’interagir
avec les ordres publics internes. Cette interaction entend satisfaire un objectif de continuité
des poursuites de manière à éviter le risque d’impunité. Pour une analyse approfondie et
critique de l’utilisation faite de ce mécanisme, voir V. Chetail, Tous les chemins ne mènent
pas à Rome (la concurrence de procédures dans le contentieux international pénal à l’épreuve
du principe de complémentarité), in Y. Kerbrat (dir.), Forum Shopping et concurrence des
procédures contentieuses internationales, Bruylant, 2011, p. 126.
126. Cette complémentarité institutionnelle fait également l’objet de véritables règles de
coordination, comme c’est le cas en matière d’arbitrage international où des dispositions sont
prévues en droit national pour aménager les rapports entre la justice arbitrale internationale et
la justice étatique.
149
Situation – La complémentarité institutionnelle aménagée par des règles de coordination
L’exemple des rapports entre la justice arbitrale internationale et la justice étatique
Les spécialistes de droit international notamment ont développé une réflexion importante sur
la question des rapports entre la justice arbitrale et la justice étatique (voir, par exemple, avec
les références citées : Ph. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage
commercial international, Litec, 1996 , spéc. les parties IV et VI). Des équilibres sont
recherchés pour permettre aux deux justices de travailler de manière harmonieuse et
complémentaire même si l’on ne peut exclure des situations de mise en concurrence (voir,
sur les interactions entre l’arbitrage et le contentieux privé international : H. Muir Watt,
Economie de la justice et arbitrage international (réflexions sur la gouvernance privée dans la
globalisation), RA 2008, 389 ; pour une illustration particulièrement remarquable du
phénomène dans les situations où un Etat est partie prenante, voir, par exemple, B. Remy, La
concurrence des procédures Etats-investisseurs, in Kerbrat (dir.), Forum Shopping et
concurrence des procédures contentieuses internationales : Bruylant, 2011, p. 15). Cette
réflexion s’est notamment concrétisée, en France, par l’adoption de règles de procédure
civile destinées à coordonner l’action du juge étatique avec celle de l’arbitre. S’agissant
spécifiquement de l’arbitrage international et de ses rapports avec le juge français, les
articles 1505 et suivants du CPC (et les dispositions auxquelles ils renvoient) encadrent le
rôle d’appui du juge national chargé d’intervenir au soutien d’une procédure arbitrale (par
exemple, s’agissant de trancher une difficulté de constitution du tribunal arbitral) et
définissent les conditions dans lesquelles une sentence arbitrale peut être reconnue et
exécutée sur le sol français (procédure d’exequatur). Pour une analyse en droit positif
français : voir notamment, Th. Clay : « Liberté, Égalité, Efficacité » : La devise du nouveau
droit français de l'arbitrage - Commentaire article par article, JDI 2012, 443.
§ 2 – Les complémentarités matérielles
127. L’approche institutionnelle des complémentarités entre les droits issus de contextes
différents peut être complétée par une approche matérielle. Le juriste s’efforce ici de tirer
profit des ressemblances et dissemblances qui existent entre les méthodes et solutions du droit
matériel national, international ou européen pour constituer des assemblages destinés à
produire un effet de droit particulier. Les complémentarités de ce type sont d’autant plus
intéressantes qu’elles permettent d’atteindre un résultat différent de celui qui serait obtenu
séparément par chacun des droits en présence.
128. Ce type de complémentarité existe de manière sans doute exceptionnelle dans les
rapports entre les droits nationaux, généralement conçus en termes de substitution plus que de
150
combinaison.
Situation – L’hypothèse rare de combinaison de droits nationaux
Un exemple en jurisprudence française
L’application de droits nationaux à une situation de fait donnée est rarement pensée en
termes de combinaison. Sauf cas particuliers, comme, par exemple, la théorie du dépeçage
(qui permet notamment à des parties à un contrat de choisir plusieurs lois applicables en
distinguant les questions respectivement soumises aux lois ainsi désignées ou objectivement
applicables ; sur cette possibilité, voir art. 3 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement
européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
« Rome I » et l’analyse proposée par C. Nourissat, Le dépeçage, in S. Corneloup et N.
Joubert, Le règlement communautaire « Rome I » et le choix de la loi dans les contrats
internationaux, Litec, 2011, 205) ou l’éviction « partielle » (et somme toute accidentelle)
d’un droit normalement applicable par le jeu d’une exception d’ordre public ou,
éventuellement, d’une loi de police (par exemple : art. 9 et 21 du Règlement (CE) n°
593/2008, préc.), le droit international privé s’efforce de désigner un seul droit national
applicable par catégorie de rattachement (c’est-à-dire par grande question de droit : la
capacité, le mariage, le divorce, etc.).
Un auteur (L. d’Avout, commentaire de : Cour de cassation (Ch. soc). - 24 février 2004,
République fédérative du Brésil c. Mme L. de Azevedo Werneck, pourvoi: 01-47113,
RCDIP 2005, 62) a néanmoins mis en évidence un cas dans lequel la solution au litige a
résulté de la combinaison de deux droits nationaux (prise en considération de l’un et
application de l’autre) : « Dès lors que l'État étranger [Brésil] admet que sa législation
prévoit l'application aux auxiliaires locaux de ses services consulaires de la législation de la
sécurité sociale en vigueur dans le pays d'emploi et qu'en vertu des circulaires n° 285 SS du
31 décembre 1946 et n° 101 SS du 16 août 1956, il avait la possibilité d'affilier sa salariée au
régime français de sécurité sociale, est légalement justifiée la décision qui le déclare
responsable du préjudice subi par celle-ci par suite de sa non-affiliation et le condamne au
paiement de dommages-intérêts ».
129. Les cas de complémentarité sont beaucoup plus fréquents dans les relations entre les
droits conçus dans des contextes différents. L’explication en est simple : les droits
international et européen sont soumis à un principe de spécialité de sorte qu’ils présentent par
nature un caractère incomplet (voir sur ce thème, nos développements supra, n° xxx). Il est
donc fréquent que des combinaisons associant le contenu matériel des droits en présence se
produisent. Nous approfondirons deux exemples : le premier historique, le second plus
contemporain.
151
Situation – Les cas plus fréquents de combinaison du droit national et international
L’exemple historique de la jurisprudence « Boll » de la Cour internationale de justice
La Cour de justice internationale a eu à se prononcer en 1958 sur la bonne application d’une
convention internationale de droit international privé (Convention de 1902 pour régler la
tutelle des mineurs) dans un différend l’opposant les Pays-Bas à la Suède (CIJ, 28 nov. 1958,
Rec. 1958, 66). La question se posait principalement de savoir si un Etat (la Suède) pouvait
prendre une mesure éducative destinée à protéger un mineur dont le statut relevait, en vertu
de la Convention précitée, de la loi d’un autre Etat (les Pays-Bas). Pour considérer que la
Suède n’avait pas violé ses obligations internationales, la Cour internationale de justice a
estimé que « malgré leurs points de contact et malgré les empiétements que la pratique
révèle, la Convention de 1902 sur la tutelle des mineurs laisse en dehors de son cadre la
matière de la protection de l’enfance et de la jeunesse telle que l’entend la loi suédoise du 6
juin 1924. La Convention de 1902 n’a donc pu créer des obligations à la charge des Etats
signataires dans un domaine qui est resté en dehors de ses préoccupations et, dès lors, la
Cour ne relève pas, en l’espèce, de manquement à cette Convention à la charge de la
Suède ». La solution retenue par la juridiction internationale s’appuie sur une combinaison
des deux droits, le droit national sur les mesures de protection des mineurs étant considérées
comme complémentaires des règles de droit international privé qui permettent de désigner la
loi applicable à la tutelle.
130. Cet exemple historique de complémentarité entre les dispositions d’un instrument
international et d’un droit national peut être utilement complété par d’autres exemples, plus
contemporains, que livrent notamment la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union
européenne ou les textes européens.
Situation – Autres cas de combinaison du droit national, international et européen
Un exemple de combinaison du droit national, international et européen en droit des
transports
La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne offre de nombreux exemples
de combinaison matérielle du droit national, international et européen. L'arrêt Bogiatzi
(CJCE, 22 oct. 2009, aff. C-301/08) que nous avons déjà eu l’occasion de présenter et sur
lequel nous reviendrons est de ceux-là. Rappelons que la Cour de justice a été saisie dans
cette affaire de questions préjudicielles soulevées par une juridiction nationale ayant eu à
connaître d'une action en responsabilité civile dirigée contre un transporteur aérien en raison
d'un accident survenu à l'embarquement d'un vol intra-européen. Ces questions mettaient en
scène trois droits potentiellement applicables : 1° la Convention de Varsovie pour
l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (version modifiée à
152
La Haye en 1955), 2° le Règlement (CE) nº 2027/97 du Conseil du 9 octobre 1997 relatif à la
responsabilité des transporteurs aériens en cas d'accident (dans sa version applicable aux
faits de l'espèce) et 3° les règles de procédure interne permettant à la victime d’introduire
une action en justice devant un juge national. L’application du droit national et du droit
européen n’était pas discutée devant le Cour de justice. Elle était néanmoins patente. C’est le
droit national et lui seul qui a permis à la victime de saisir une juridiction étatique et
d’introduire différentes voies de recours, en appel puis en cassation. C’est le droit de l’UE et
lui seul qui sous-tendait juridiquement l’action en responsabilité civile dirigée notamment
contre le transporteur aérien. En revanche, cette application était discutée pour la Convention
de Varsovie qui pose un délai préfix de 2 ans, l’action ayant été introduite 5 ans après
l’accident. En décidant que cette convention était « opposable » dans le contexte de cette
affaire (sur cette notion, voir supra, n° xxx), la Cour de justice a admis que l’issue du
différend résulte devant le juge national de l’application combinée de trois droits : le droit
national (qui permet de saisir un juge), le droit européen (qui donne à l’action son fondement
juridique) et le droit international (qui pose un délai préfix). Le résultat juridique ainsi
obtenu est la conséquence d’une application cumulative de trois droits, résultat qu’aucun des
droits en présence n’aurait permis d’atteindre seul. En ce sens, il est permis de parler de
complémentarité matérielle.
Un exemple de combinaison du droit national, international et européen dans le domaine
de la protection des biens culturels
La protection des biens culturels, c’est-à-dire la lutte contre les exportations illicites de biens
qui appauvrissent le patrimoine culturel d’un Etat, fait l’objet d’un dispositif important dans
le triple contexte national, international et européen. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut
signaler, notamment, l’existence, au niveau international, de la Convention d’Unidroit sur les
biens culturels volés ou illicitement exportés (Rome, 1995), au niveau européen, de la
Directive 93/7/CEE du Conseil du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels
ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre et, au niveau national, de règles
spécifiques, administratives et pénales sur la protection des trésors nationaux et de règles
générales du droit civil des biens relatives aux actions en revendication intentés par le
propriétaire victime d’un vol. Cette stratification à trois niveaux des réglementations
applicables est propice aux combinaisons matérielles. On observe, en effet, que la
Convention d’Unidroit organise une procédure de restitution des biens culturels volés à son
propriétaire qui est à la fois dépendante des règles civiles définies par la législation nationale
et absente de la directive européenne. En revanche, s’agissant de la procédure de retour des
biens culturels illicitement exportés vers leur pays d’origine, la Convention d’Unidroit n’a,
en principe, pas vocation à s’appliquer aux rapports internes à l’Union européenne, la
153
directive étant amenée à prendre seul le relais. La juxtaposition de ces deux règles montre
que dans les rapports internes à l’Europe, la lutte contre le trafic illicite des biens culturels
est gouvernée à la fois par une convention internationale, une directive européenne et des
dispositions du droit national. Pour une analyse des interactions entre ces trois niveaux
normatifs, voir J.-S. Bergé, La Convention d'Unidroit sur les biens culturels : remarques sur
la dynamique des sources en droit international, JDI 2000, p. 215.
Un exemple de combinaison du droit national, international et européen dans le domaine
de la protection des droits fondamentaux
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne contient un article 53 selon
lequel : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant
ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur
champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les
conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, ou tous les Etats membres, et
notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, ainsi que par les constitutions des Etats membres ». Comprise de manière
générale comme une clause de non-régression (le texte de l’UE ne saurait être utilisé comme
un instrument de régression de la protection des droits fondamentaux), cette disposition peut
être lue comme l’affirmation du caractère complémentaire des différents instruments
nationaux, internationaux et européens de protection des droits fondamentaux. Comme le
précise le texte, cette complémentarité s’opère par juxtaposition des instruments dans leurs
domaines respectifs d’application. Mais l’on ne saurait exclure des phénomènes de
combinaison où le juriste cherche à appliquer de manière cumulative les textes en présence,
de manière à leur faire produire un effet particulier (sur les différents effets envisageables,
voir, dans ce chapitre, section 3).
154
Section 2 – L’existence de rapports de mise œuvre
131. L’expression « rapports de mise en œuvre » désigne un processus de combinaison
particulier. Chaque fois que des institutions ou des droits issus de systèmes juridiques
distincts présentent des différences qui rendent nécessaires leur mise en œuvre conjointe,
aucune des institutions ou aucun des droits en présence n’a vocation à s’effacer ou à
supplanter les méthodes et solutions de l’autre. Les institutions (§1) et les droits (§2)
cohabitent de manière durable dans un rapport de mise en œuvre.
§ 1 – Les rapports de mise en œuvre institutionnels
132. Les complémentarités institutionnelles s’inscrivent parfois dans une logique
d’exécution. Dans cette perspective, une institution placée dans un contexte juridique donné
reçoit la charge de définir les modalités de mise en œuvre d’un droit issu d’un autre contexte
juridique.
Le phénomène est particulièrement fréquent pour les institutions nationales qui s’efforcent
d’aménager des règles de nature à permettre l’application du droit international et européen.
La complémentarité entre les droits est ici patente. C’est le droit national qui permet aux
instances nationales de mettre à exécution les droits et obligations définis par les sources
internationales et européennes du droit.
Situation – L’exécution du droit international ou européen par les institutions nationales
L’exécution du droit international : l’exemple de l’insertion des traités internationaux
dans l’ordre juridique français
Une manière relativement évidente de décrire un processus national d’exécution du droit
international consiste à présenter la façon dont une source de droit international est insérée
dans un système juridique national. Cette insertion obéit parfois à un processus formalisé.
C’est le cas en France pour les traités et accords internationaux qui sont soumis à une
procédure de ratification ou approbation aménagée par les articles 52 et 53 de la Constitution
de 1958. Ces dispositions opèrent une double distinction : 1° une première distinction entre
les « traités » et les « accords », les premiers supposant une ratification du président de la
République et les seconds étant soumis à une simple approbation de l'autorité qui a mené les
négociations ; 2° une seconde distinction, qui ne se chevauche pas avec la première, entre les
engagements soumis à une loi d'autorisation, votée par le parlement ou approuvée par
référendum (art. 11 de la Constitution de 1958) et ceux qui ne le sont pas. Le respect de ces
règles de procédure est pendant longtemps resté hors champ du contrôle du juge. Mais les
155
choses ont évolué. Le Conseil d'État a été amené à examiner la conformité à la constitution
de la procédure d'insertion suivie (voir par exemple : Conseil d’Etat, ass. 18 déc. 1998, Req.
n° 181249, aff. Parc d'activité de Blotzheim, Conseil d’Etat, 23 fév. 2000, Req. n° 157922,
aff. Bamba Dieng). La Cour de cassation lui a emboîté le pas (Civ. 1re, 29 mai 2001, pourvoi
n° 99-16673, aff. ASECNA). Voir, pour une illustration plus récente, Conseil d’Etat 9 juill.
2010, Fédération nationale de la libre-pensée et autres, Req. n° 327663 : « (…) Considérant
qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les traités ou accords relevant de
l'article 53 de la Constitution et dont la ratification ou l'approbation est intervenue sans avoir
été autorisée par la loi ne peuvent être regardés comme régulièrement ratifiés ou approuvés
au sens de l'article 55 précité ; qu'il appartient au Conseil d'Etat, statuant au contentieux, en
cas de recours pour excès de pouvoir contre un décret publiant un traité ou un accord, de
connaître de moyens tirés, d'une part, de vices propres à ce décret, d'autre part, de ce qu'en
vertu de l'article 53 de la Constitution, la ratification ou l'approbation de l'engagement
international en cause aurait dû être autorisée par la loi ; que constitue, au sens de cet article,
un traité ou un accord modifiant des dispositions de nature législative un engagement
international dont les stipulations touchent à des matières réservées à la loi par la
Constitution ou énoncent des règles qui diffèrent de celles posées par des dispositions de
forme législative (…) »
A ces modes d’insertion formelle s’ajoutent des modes d’insertion matérielle qui peuvent
aller jusqu’à l’adoption de véritables mesures internes d’exécution. Ces mesures sont
l’expression de l’obligation que fait peser le droit international sur les Etats de devoir
exécuter leurs engagements (CPIJ, avis du 21 fév. 1925 sur l’Echange des populations
turques et grecques, série B, n° 10, p. 20 : il va de soi, qu’un Etat « qui a valablement
contracté des obligations internationales est tenu d’apporter à sa législation les modifications
nécessaires pour assurer l’exécution des engagements pris »). Elles peuvent prendre de
multiples formes. Le cas le plus fréquent est celui où la législation nationale est adaptée pour
permettre une application pleine et entière d’un instrument international conclu par la France
(voir par exemple : Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à
l'institution de la Cour pénale internationale).
L’exécution du droit européen : les exemples de l’autonomie institutionnelle ou
procédurale reconnue aux Etats membres de l’UE et de la transposition des directives
Le droit européen livre un ensemble de règles qui nécessitent le plus souvent le recours à une
procédure nationale. Dans cette hypothèse, le droit national intervient aux côtés du droit
européen. Il joue un rôle absolument nécessaire de mise en œuvre : sans les droits nationaux,
leur organisation juridictionnelle et l’ensemble des règles de procédure, le droit européen
serait un droit figé, incapable de se mettre en mouvement en dehors des procédures
156
proprement européennes. Ce rôle essentiel joué par le droit national porte, en droit de
l’Union européenne, le nom de « principe d’autonomie institutionnelle (ou procédurale) ». Il
a fait l’objet, depuis plus de trente ans, d’un encadrement par la Cour de justice (voir
notamment pour les premiers arrêts rendus en matière de répétition des charges et taxes
illégitimement perçues par les États membres : CJCE, 16 déc. 1976, Rewe, aff. 33/76 ;
CJCE, 16 déc. 1976, Cornet, aff. 45/76 ; voir plus récemment, s’appuyant sur le principe
d’une protection juridictionnelle effective découlant des traditions constitutionnelles
communes aux États membres : CJCE, 13 mars 2007, Unibet, aff. C-432/05). Le
raisonnement qui sous-tend ce principe tient en deux mouvements : 1° en l’absence de
réglementation européenne, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre
de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales permettant
d’assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit
européen ; 2° pour autant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles
appliquées aux recours similaires de nature interne (principe de l’équivalence) et, surtout,
elles ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des
droits conférés par l’ordre juridique européen (principe d’effectivité). En d’autres termes,
quand le droit européen ne livre pas tous les moyens de sa mise en œuvre, il s’en remet aux
différents droits nationaux. Il ne s’efface pas totalement. Au contraire, il continue de veiller
au respect de ses règles au nom d’un double impératif d’effectivité juridique et d’application
uniforme.
La transposition des directives constitue une deuxième illustration du rôle d’exécution joué
par le droit national en droit européen. Instrument caractéristique de la construction du droit
de l’UE dominé par les interactions entre le niveau européen et le niveau national, la
directive « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux
instances nationales la compétence quant au choix de la forme et des moyens » (art. 288
TFUE). Le droit national doit mettre en œuvre la directive. Cette mise en œuvre est une
condition nécessaire du déploiement de tous les effets du texte européen.
133. Cette logique d’exécution peut également être envisagée pour les institutions
européennes quand elles ont la charge de définir les modalités de mise en œuvre du droit
international.
Situation – L’exécution du droit international par les institutions européennes
L’exécution du droit international : l’exemple de la mise en œuvre du droit international
par les institutions de l’UE
La mise en œuvre du droit international par les institutions de l’UE suppose parfois qu’un
acte formel de réception de la norme internationale soit adopté. Le Traité sur le
157
fonctionnement de l’Union européenne aménage à ce titre des règles précises sur les
modalités de conclusion des accords avec des pays tiers et des organisations internationales
(voir notamment, article 216 et s. TFUE).
En dehors de ce premier cas de figure, il est assez fréquent qu’un texte de droit dérivé
(règlement, directive par ex.) intervienne pour faciliter la mise en œuvre d’un accord
international dans l’UE. Par exemple, un règlement européen définit les règles de procédure
interne qui permettent aux institutions de l’UE d’agir devant une instance internationale en
cas de différends entre États (Organe de règlement des différends de l’OMC, par exemple :
Règlement CE no 3286/94 (modifié) arrêtant des procédures communautaires en matière de
politique commerciale commune en vue d’assurer l’exercice par la Communauté des droits
qui lui sont conférés par les règles du commerce international). De manière comparable, une
directive européenne est adoptée en vue d’harmoniser les positions des États membres de
manière à ce qu’ils respectent les normes internationales (par exemple :
Directive 2004/36/CE (modifiée) du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004
concernant la sécurité des aéronefs des pays tiers empruntant les aéroports communautaires
s’appuyant sur les normes de sécurité internationales contenues dans une convention relative
à l’aviation civile internationale).
134. Mais des scénarios plus complexes peuvent intervenir quand l’exécution du droit
international relève à la fois du niveau européen et national. On assiste ainsi parfois à une
véritable organisation des rapports entre les trois contextes d’application du droit.
Situation – L’exécution du droit international par les institutions européennes et nationales
L’exécution du droit international : l’exemple de l’organisation des rapports entre les
institutions nationales et européennes en cas d’accord mixte
Il arrive qu’un texte de droit international envisage l’hypothèse où son exécution requiert une
organisation du rôle respectif dévolu au contexte européen et au contexte national. C’est le
cas de la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus
décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement (dite Convention d’Aarhus,
1998). Ce texte pose le principe d’un droit de recours pour toute personne qui estime ne pas
avoir obtenu satisfaction dans sa demande d’information auprès d’une autorité publique. Ce
droit de recours n’est effectif que si des mesures d’exécution sont adoptées par les
signataires de l’instrument international. Or une disposition de la Convention envisage
l’hypothèse où cette dernière serait approuvée à la fois par une organisation d’intégration
régionale et ses membres (on parle alors « d’accord mixte »). Dans cette circonstance, en
effet, la Convention précise que les signataires doivent organiser leurs rapports de manière à
garantir une bonne exécution de droit de recours. L’UE et ses Etats membres ayant adhéré à
158
la Convention d’Aarhus, la question s’est posée de la manière dont les rôles ont été répartis
par les différents actes de droit dérivé européen intervenus en ce domaine. La Cour de justice
y a répondu par un important arrêt préjudiciel (CJUE, 8 mars 2011, Zoskupenie, aff. C-
240/09) au terme duquel elle a estimé que si le droit dérivé européen n’avait pas directement
réglementé la question, il appartient aux juridictions nationales « d’interpréter, dans toute la
mesure du possible, le droit procédural relatif aux conditions devant être réunies pour
exercer un recours administratif ou juridictionnel conformément tant aux objectifs de
l’article 9, paragraphe 3, de cette convention qu’à celui de protection juridictionnelle
effective des droits conférés par le droit de l’Union, afin de permettre à une organisation de
défense de l’environnement (…) de contester devant une juridiction une décision prise à
l’issue d’une procédure administrative susceptible d’être contraire au droit de l’Union de
l’environnement ». L’exécution de la norme internationale résulte ainsi de la combinaison du
droit national (« le droit procédural ») et du droit européen (« la protection juridictionnelle
effective des droits conférés par le droit de l’Union »). Ce cas est un des nombreux exemples
de difficultés, parfois redoutables, soulevées sur le plan instutionnel et/ou matériel par les
accords mixtes. Pour de plus amples développements sur le sujet, voir notamment : E.
Neframi, Les accords mixtes de la Communauté européenne : aspects communautaires et
internationaux, éd. Bruylant, 2007.
135. Une troisième logique, la plus poussée incontestablement, peut être de nature à
expliquer les complémentarités institutionnelles. Elle vise la circonstance où des institutions
appartenant à des contextes juridiques différents coopèrent entre elles au terme d’un processus
plus ou moins délibéré. Les illustrations sont innombrables. On en retiendra deux : le premier
en droit des marques, le second en matière de lutte contre le terrorisme.
Situation – La coopération entre institutions nationales, internationales et européennes
Un exemple de coopération entre institutions nationales, internationales et européennes
dans le domaine du droit des marques
En matière de marque, l’Arrangement de Madrid de 1891 (plusieurs fois modifié) concernant
l'enregistrement international des marques organise une coopération étroite entre les
administrations nationales chargées d’enregistrer et de délivrer les marques et une
administration internationale située à Genève : le Bureau international de la propriété
intellectuelle hébergé par l’OMPI. Cette coopération s’opère à double sens. Les
administrations nationales transmettent au bureau international les demandes internationales
de protection visant un ou plusieurs pays étrangers. Après leur enregistrement, les demandes
considérées comme recevables sont transmises par le bureau international aux
administrations nationales du ou des pays visés. C’est aux administrations nationales qu’il
159
revient de définir les conditions de protection nationale de la marque. Cette coopération entre
les deux niveaux d’administration donne lieu à diverses transmissions ou notifications
(transmission des demandes initiales et modificatives, notification des refus de protection
nationale, etc.).
Parallèlement, l’UE a créé la marque communautaire (Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil,
20 déc. 1993, sur la marque communautaire, remplacé par le Règlement (CE) n° 207/2009
du Conseil du 26 février 2009, préc.) qui constitue un titre unique et unitaire de protection
pour l’ensemble de l’Union européenne (voir supra, n° xxx). Cette marque est administrée
par l’Office d’harmonisation du marché intérieur situé à Alicante (OHMI) qui travaille en
collaboration avec les administrations nationales chaque fois notamment qu’une demande de
protection nationale est transformée en demande de protection européenne et inversement.
Cette coopération institutionnelle entre le contexte européen et le contexte national prend
également une forme juridictionnelle. En effet, chaque Etat membre de l’UE désigne les
juridictions nationales chargées d’appliquer la réglementation sur la marque communautaire.
On les appelle les tribunaux de la marque communautaire (en France, il s’agit du Tribunal de
grande instance de Paris). Or ces tribunaux nationaux jouent un rôle extrêmement important.
Ils ont notamment le pouvoir d’annuler une marque communautaire jugée non valide, leur
décision produisant un effet pour l’ensemble de l’UE.
Le système d’enregistrement international des marques mis en place par l’Arrangement de
Madrid de 1891 (préc.) a été modifié par l’adoption d’un protocole en 1989. Ce dernier a eu
notamment pour objet de rendre interopérable ce système avec celui de la marque
communautaire. Depuis l’adhésion de l’UE au protocole (2004), une demande
d’enregistrement international peut être transmise par ou être transmise à l’OHMI (préc.).
En matière de marque, les coopérations institutionnelles peuvent ainsi concerner les relations
entre tous les contextes d’application du droit : national, international et européen.
Un exemple de coopération entre institutions nationales, internationales et européennes
en matière de lutte contre le terrorisme
A la suite des attentats de New York du 11 septembre 2001, le Conseil de sécurité des
Nations Unies a développé un système de « sanctions ciblées » destiné à lutter contre le
terrorisme. La mise en œuvre de ces sanctions est susceptible de faire notamment intervenir
trois contextes institutionnels distincts : international (Onusien), européen (UE) et national
(Etats membres). La multiplication des contextes d’intervention est justifiée par un souci
d’efficacité. Les sanctions décidées au niveau international ne sont pas d’effet direct. Elles
nécessitent donc le relais de mesures régionales et nationales d’exécution (voir en particulier,
article 48 de la Charte des Nations Unies – 1945). Quand ces mesures passent par une action
décidée au niveau européen, les institutions de l’UE s’attachent à rendre effective la mise en
160
œuvre desdites sanctions, en ajoutant parfois aux sanctions prévues par l’ONU, des sanctions
propres. Ce double rôle joué par les institutions européennes se répercute alors sur celui des
institutions nationales des Etats membres, tenues de mettre en œuvre à leur tour les
prescriptions du droit européen. Il en résulte une multitude d’interactions entre les niveaux
institutionnels en présence. Pour une étude approfondie du phénomène, voir U. Candaş et A.
Miron, Assonances et dissonances dans la mise en œuvre des sanctions ciblées onusiennes
par l’Union européenne et les ordres juridiques nationaux, Chronique sur les interactions du
droit international et européen, JDI 2011, 769.
§ 2 – Les rapports de mise en œuvre matériels
136. L’approche des rapports entre les droits en termes de mise en œuvre est fréquemment
occultée. Elle est pourtant très utile. Ce rapport de mise en œuvre permet, en effet, de
comprendre que les droits construits dans des systèmes différents, qui sont amenés à coexister
et à être appliqués les uns avec les autres, n’ont pas vocation à disparaître. Quoi qu’il
advienne de ces applications conjointes, les droits en présence continuent d’avoir une
existence propre dans leur contexte d’origine. Il est donc nécessaire d’inscrire leur application
dans un phénomène durable de coexistence des droits si l’on veut pouvoir maîtriser
l’ensemble des effets potentiellement produits par une démarche de type combinatoire. Ces
effets ne s’épuisent pas au terme d’une application d’un droit avec un autre. Ils s’inscrivent
dans la durée. C’est pourquoi il est nécessaire d’appréhender ces échanges dans un rapport
durable de mise en œuvre.
137. De nombreuses illustrations de ce type de rapport de mise en œuvre existent. Nous
développerons deux ensembles d’exemples. Les premiers ont trait à la coopération judiciaire
internationale en matière civile et pénale.
Situation – La coopération judiciaire internationale en matière civile et pénale
Exemple tiré de la mise en œuvre du droit européen au procès équitable dans le contexte
du droit de l’UE de la coopération judiciaire civile
Le droit à un procès équitable vise, dans une acception large (procès équitable, droit de
recours, principe de légalité des délits et des peines, ne bis in idem), des droits et garanties
définis aux articles 6, 7, 13 et 4 du protocole 7 de la CEDH. Les articles 47 à 50 leur sont
consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE. La matière se compose, on le
sait, de garanties institutionnelles et procédurales (notamment le droit au juge et à
l’exécution qui nous intéressent particulièrement ici). Il a également une dimension
substantielle. Dans l’Union européenne, le droit de la coopération judiciaire en matière civile
161
forme avec la coopération judiciaire en matière pénale, la politique d’immigration et la
coopération en matière policière, l’espace de liberté sécurité justice (ELSJ, articles 81 et
suivants du TFUE) qui constitue l’un des grands objectifs de l’UE (article 3.2 TUE). Quels
types de rapport le droit à un procès équitable et le droit de la coopération judiciaire en
matière civile sont-ils susceptibles d’entretenir dans l’espace européen ? Les deux droits ont-
ils vocation à coexister durablement comme deux constructions juridiques distinctes ou doit-
on, au contraire, estimer qu’ils sont amenés à être absorbés l’un par l’autre (le droit à un
procès équitable façonnant le droit de la coopération judiciaire en matière civile ou,
inversement, le droit de la coopération judiciaire en matière civile soumettant à ses propres
constructions le droit à un procès équitable) ? La question n’a pas simplement une visée
académique et son lot de discussions sans doute assez vaines sur le périmètre des spécialités
des uns et des autres. Elle a également une valeur scientifique. Le droit à un procès équitable
et le droit de la coopération judiciaire en matière civile ont chacun une rationalité propre. Ils
font appel à deux «cœurs de métiers » différents. Il n’est donc pas inintéressant de
s’interroger sur la pertinence des raisonnements qui proposent, plus ou moins consciemment,
une absorption de l’un par l’autre. Inscrivant notre analyse en faux de cette démarche
intellectuelle, qui procède exclusivement par hiérarchisation des droits (sur cette
hiérarchisation, voir infra, Partie 3), l’hypothèse que nous voudrions éprouver ici est celle
d’un « rapport de mise en œuvre » entre les deux grandes matières juridiques, c’est-à-dire
d’une coexistence durable et nécessaire entre ces deux droits aux sources, ressorts
institutionnels, méthodes de raisonnement et solutions distincts. Il y aurait quelque chose
d’irréductible entre ces deux matières et l’erreur à ne pas commettre serait de vouloir les
fusionner. Pour vérifier cette hypothèse, on retiendra un exemple en matière de coopération
civile (voir en prolongement sur ce thème, notre étude in Le droit à un procès équitable au
sens de la coopération judiciaire en matière civile et pénale : l’hypothèse d’un rapport de
mise en œuvre, in C. Picheral (dir.), Le droit a un procès équitable au sens du droit de
l’union européenne, éd. Anthémis-Némésis (collection Droit et Justice), 2012, p. 249).
L’exemple porte sur le jeu de ce que l’on appelle la réserve d’ordre public procédural dans le
cadre notamment de la convention et du règlement (CE) n° 44/2001 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et
commerciale (dit de « Bruxelles 1 »). Ces textes ont, en effet, soulevé une difficulté
d’interprétation (articles 27§1 de la convention et 34§2 du règlement). La question a été, en
substance, de savoir si la violation des droits de la défense pouvait être invoquée comme un
motif de non-reconnaissance ou de non-exécution d’une décision étrangère hors le cas du
défendeur défaillant, seul visé par les textes ? (pour une présentation synthétique de ces
discussions, voir avec les références bibliographiques citées, H. Gaudemet-Tallon,
Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, 4ème éd., 2010, § 402 et s.). La
162
Cour de justice a répondu par l’affirmative (CJCE, 28 mars 2000, aff. C7/98, Krombach ;
comparer en jurisprudence française, rendu antérieurement : Cour de cassation, Civ. 1ère, 16
mars 1999, Pordéa, pourvoi n° 97-17598. Voir également depuis, la confirmation de cette
solution apportée par l’arrêt Gambazzi (CJCE, 2 avril 2009, aff. C-394/07). Cette solution
retenue de la Cour de justice montre que la mise en œuvre d’un instrument phare de la
coopération judiciaire en matière civile est inséparable de l’application de la CEDH : le
premier n’a pas vocation à épuiser l’application du second. Les deux textes doivent être mis
en œuvre conjointement dès lors qu’ils se complètent utilement (Pour une confirmation plus
récente de cette approche : CJCE, 14 déc. 2006, aff. C-283/05, ASML. Voir en comparaison,
à propos du Règlement (CE) n° 2201/2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale,
la récente jurisprudence Zarraga (CJUE, 22 déc. 2010, aff. C-491/10).
Différents arguments sont susceptibles de militer en faveur de cette lecture du droit au procès
international et du droit à un procès équitable en termes de rapports de mise en œuvre. Le
premier argument qui vient à l’esprit est tiré de la nature procédurale du droit à un procès
équitable. Dès lors que ce dernier sert à la mise en œuvre des droits subjectifs, il est normal
de considérer de la sorte ses rapports au droit de la coopération judiciaire. L’argument n’est
cependant pas totalement convaincant pour deux raisons. Le droit à un procès équitable a une
dimension substantielle qu’il est difficile d’occulter. On ne peut donc le réduire à une seule
fonction procédurale. Par ailleurs, le droit de la coopération judiciaire a une imprégnation
procédurale qui, dans la plupart des hypothèses, se suffit à elle-même, en ce sens qu’elle
n’exige aucune sollicitation du droit à un procès équitable.
Le deuxième argument est plus intéressant même s’il est en voie d’être quelque peu dépassé.
Le droit à un procès équitable est inséparable de l’œuvre de la Cour européenne des droits de
l’homme. Or cette dernière à un mode opératoire qui lui est propre : elle mène un contrôle a
posteriori de l’application concrète de la CEDH. Pour cette raison d’ordre institutionnel, qui
tient au mode de saisine et d’intervention de la Cour de Strasbourg, il est tentant de présenter
le droit à un procès équitable comme un droit capable d’évaluer la mise en œuvre du droit de
la coopération judiciaire. L’argument risque cependant de mal vieillir. Avec l’application
systématique et contraignante de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et la perspective
de l’adhésion de l’UE à la CEDH, la validité et l’interprétation des instruments du droit de
l’UE peuvent, en effet, être appréciées en amont d’une éventuelle intervention de la Cour de
Strasbourg. Le contrôle du respect des exigences du droit à un procès équitable est donc
susceptible d’emprunter des voies institutionnelles autres que celles que nous leur
connaissions jusqu’alors au niveau européen. Il peut en tout cas intervenir en amont d’un
éventuel recours a posteriori devant la Cour de Strasbourg.
163
Le troisième argument a notre préférence. Si les deux droits – droit de la coopération
judiciaire et droit à un procès équitable – entretiennent un fort rapport de mise en œuvre,
c’est tout simplement parce qu’ils ne portent pas l’un et l’autre sur le même objet. Il y a une
altérité forte entre les droits en présence et donc une potentielle complémentarité, de sorte
qu’aucun de ces deux droits n’a vocation à se substituer à l’autre. Dans le procès
international, le droit de la coopération judiciaire a besoin du droit à un procès équitable et
vice versa.
Exemple tiré de la mise en œuvre du droit européen au procès équitable dans le contexte
du droit de l’UE de la coopération judiciaire pénale
Dans le prolongement de l’exemple précédent, pris en matière de coopération judiciaire
civile, il peut être intéressant de confronter le droit de la coopération judiciaire pénale défini
dans l’UE par l’espace de liberté sécurité justice (ELSJ) et le droit à un procès équitable tiré
notamment de la CESDHLF et les règles spéciales, notamment de droit dérivé de l’UE,
destinées à favoriser une coopération judiciaire en matière pénale dans l’espace européen. Le
droit de l’UE met en œuvre, en effet, des mécanismes de reconnaissance mutuelle des actes
et faits juridiques amenés à circuler d’un Etat membre à l’autre. Cette reconnaissance
mutuelle a un fondement : la confiance mutuelle. La question qui est ici la nôtre est de savoir
quel droit à un procès équitable est de nature à fonder cette confiance mutuelle ?
Un élément de réponse possible porte sur la propension du droit à un procès équitable à
guider les conditions de mise en œuvre des instruments de droit dérivé de l’UE qui animent
le processus de reconnaissance mutuelle qui est à l’œuvre en matière de coopération
judiciaire pénale. Le principe de reconnaissance mutuelle occupe une place importante dans
le droit de l’ELSJ. Il figure en bonne place dans les nouveaux traités en vigueur (voir en
particulier les articles 67, 81 et 82 TFUE) et fait l’objet de nombreuses mesures
d’accompagnement en droit dérivé. En matière pénale, l’instrument phare de la
reconnaissance mutuelle n’est autre que la fameuse décision-cadre n° 2002/584/JAI relative
au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres.
Pour l’application des instruments de droit dérivé, la question se pose de savoir si le droit à
un procès équitable est de nature à interférer avec le droit UE de la coopération judiciaire en
matière pénale. Sont en cause ici, le caractère automatique de la reconnaissance et
l’exécution ainsi que la concentration de l’exercice de voies de recours devant le seul juge du
pays d’origine de l’acte judiciaire ou extrajudiciaire amené à circuler d’un Etat membre à
l’autre. Ces facilités de circulation accroissent les possibilités d’exécution (absence de
formalités, raccourcissement des délais, coopération entre les Etats). Elles renforcent donc le
droit à l’exécution. Mais dans un même temps, elles constituent une menace potentielle pour
le droit au juge et les droits de la défense. Comment faut-il alors envisager la combinaison de
164
ces instruments de droit dérivé avec les solutions dégagées au nom du droit à un procès
équitable ?
Pour répondre à cette interrogation, deux approches différentes peuvent être développées :
une approche de type « rapport de systèmes » et une autre de type « rapport de mise en
œuvre ». On les examinera tour à tour en marquant notre préférence pour la seconde.
Les constructions de type « rapports de systèmes » visent à appréhender les relations entre le
droit à un procès équitable et le droit de la coopération judiciaire en matière pénale en termes
de relations institutionnelles. Les réponses apportées aux difficultés nées de la confrontation
de ces deux droits sont ici recherchées dans les outils ou ressorts offerts par l’architecture
institutionnelle de l’UE et/ou de la CEDH. Deux pistes s’inscrivent notamment dans cette
perspective. La première consiste à s’appuyer sur la présomption simple de conformité du
droit de l’Union européenne aux exigences de la CEDH qui a été dessinée par la célèbre
jurisprudence « Bosphorus » (CEDH, 30 juin 2005, Req. 45036/98). Il s’agirait de présumer
que l’UE respecte de manière générale les standards du droit à un procès équitable de sorte
que si l’application de l’une ou l’autre des réglementations européennes de droit dérivé
venait à être contestée devant la Cour européenne des droits de l’homme, c’est au requérant
de faire la preuve de cette violation. La seconde piste s’appuie sur un scénario à ce jour
inédit d’application de la clause de suspension des droits d’un Etat membre pour violation
grave et persistante des droits de l’homme (article 7§2, lu avec les articles 2 et 6 TUE). Un
instrument de droit dérivé en matière de coopération judiciaire pénale y fait expressément
référence (voir, Décision-cadre n° 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen (préc.),
motif n° 10).
Ces différentes approches de type de « rapport de systèmes », qui s’inscrivent volontiers
dans une approche exclusive de hiérarchisation des droits (voir infra, Partie 3), conduisent à
un certain cloisonnement des mécanismes juridiques susceptibles de sanctionner une atteinte
au droit à un procès équitable dans le contexte de la politique de l’UE de coopération
judiciaire en matière pénale. Elles traduisent une sorte de réflexe qui consiste à aller chercher
systématiquement dans les constructions institutionnelles, un outil capable d’apporter une
réponse à un cas de violation de ce droit.
Une autre démarche intellectuelle est possible qui s’inscrit dans ce que nous avons appelé un
« rapport de mise en œuvre ». Une seconde série de réponses s’attache, en effet, à considérer
que les instruments de droit dérivé en matière de coopération judiciaire pénale sont
inséparables, dans leur mise en œuvre, de l’application systématique et concrète du droit à un
procès équitable tel qu’il s’est forgé historiquement par une interprétation de la CESDHLF et
que l’on retrouve aujourd’hui formulé notamment dans la charte des droits fondamentaux de
l’UE. D’après cette thèse, chaque fois que le droit dérivé ne permet pas en tant que tel de
165
satisfaire concrètement aux exigences du droit à un procès équitable, il doit être possible
d’invoquer les différentes sources européennes (CESDHLF et charte des droits
fondamentaux de l’UE) de ce droit, que le texte de droit dérivé de l’UE y fasse ou non
expressément référence.
Cette proposition a été discutée dans le domaine de la coopération judiciaire pénale
s’agissant de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen (préc.). La question est, en
effet, discutée de la possibilité de ne pas exécuter le mandat d’arrêt européen au nom de la
violation du droit à un procès équitable.
Les termes du débat sont connus (voir notamment sur ce thème : M. Lugato, Mandat d’arrêt
européen, extradition et droit à un procès équitable, RGDIP 2008, 601 ; D. Flore, Droit pénal
européen – Les enjeux d’une justice pénale européenne, préc., spéc. p. 436 et s. ; V. Malabat,
Confiance mutuelle et mise en œuvre du mandat d’arrêt européen, in Mélanges en l’honneur
de Serge Guinchard, Dalloz 2010, 975) : la violation du droit à un procès équitable ne fait
pas partie des motifs exprès de refus prévus par la décision-cadre (articles 3 et 4 de la
Décision-cadre 2002/584/JAI, préc.), alors même, d’une part, que le respect des droits
fondamentaux figure en bonne place dans l’exposé des motifs (voir, notamment, les § 10 et
11) et, d’autre part, que la mise en œuvre des textes de transposition par les juridictions
nationales soulève de nombreuses difficultés au regard notamment de la question de la
protection des droits fondamentaux. A ce jour, la Cour de justice ne s’est pas directement
prononcée sur cette difficulté même si elle a eu notamment à statuer sur la mise en œuvre du
principe ne bis in idem (CJCE, 3 mai 2007, aff. C-303/05, Wereld ; CJUE, 16 nov. 2010, aff.
C-261/09, Mantello) et que la question subsidiaire (à laquelle elle n’a pas eu besoin
répondre) lui a été posée de savoir si « les articles 3 et 4 de la (…) décision-cadre doivent
(…) être interprétés comme s’opposant à ce que les autorités judiciaires d’un État membre
refusent l’exécution d’un mandat d’arrêt européen s’il y a des raisons sérieuses de croire que
son exécution aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne
concernée?» (CJUE, 21 oct. 2010, aff. C-306/09, I.B., pt. 41). Pour nous la réponse ne
devrait pas faire de doute. De la même manière que pour la convention et le règlement de
« Bruxelles 1 » (préc., voir exemple précédent), la décision-cadre sur le mandat d’arrêt
européen ne saurait constituer, en soi, un obstacle à l’invocabilité du droit à un procès
équitable.
Les deux types d’analyses proposés ci-dessus en termes de « rapport de systèmes » et de
« rapports de mise en œuvre », doivent pouvoir coexister. Le premier ne fait en tout cas pas
disparaître le second. Le temps et la distance qui séparent le juriste des solutions obtenues en
termes de rapports de système nous invitent, en effet, à penser qu’il faut savoir raisonner de
manière plurielle. Sans remettre en cause les constructions de type « système », le juriste doit
166
enrichir la palette de ses outils en appréhendant les exigences d’un droit à un procès
équitable au stade premier de la mise en œuvre du droit de la coopération judiciaire en
matière pénale.
138. Un autre cas de rapport de mise en œuvre matériel peut être illustré dans le domaine
des libertés écononiques de circulation définies au niveau européen.
Situation – Les libertés européennes de circulation
Exemple tiré de la mise en œuvre du droit national par le droit UE des libertés de
circulation
La figure d’un rapport de mise en œuvre permet de rendre compte de la nature profonde du
processus d’intégration négative qui a caractérisé, et caractérise encore dans les domaines où
les mesures d’accompagnement ne sont pas intervenues en droit dérivé, le jeu des libertés de
circulation définies par le droit de l’Union européenne (articles 26 et suivants du TFUE)
dans leur rapport au droit national des Etats membres. Ces libertés, loin de se suffire à elles-
mêmes, s’inscrivent dans une dialectique de rapport continu au droit national. Les libertés de
circulation des personnes, marchandises, services ou capitaux agissent sur les modalités
d’application des droits subjectifs de source nationale, sans pouvoir, ni même chercher, à
définir des droits subjectifs européens de substitution. Elles se veulent respectueuses d’un
pluralisme juridique : le droit européen ne s’auto-suffit pas à lui-même, il s’appuie sur les
droits nationaux et s’articule avec eux.
Cette intervention du droit européen se fait par un jeu, bien connu, d’encadrement du droit
national (pour une présentation détaillée du processus d’intégration négative, voir avec les
références citées : J.-S. Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen (Union européenne et
Conseil de l’Europe), 2ème éd. PUF, 2011, spéc. n° 129 et s). Mais cet encadrement porte
sur un objet précis. Il s’agit pour le droit européen d’encadrer la mise en œuvre du droit
national, d’où l’intérêt de recourir à cette expression de « rapport de mise en œuvre ». Ce
rapport de mise en œuvre est d’un genre un peu particulier. Fréquemment, c’est le droit
national qui est présenté comme étant de nature à permettre la mise en œuvre du droit
européen par ses outils institutionnels et procéduraux. Le droit européen étant par nature
incomplet, c’est au droit national (ses institutions, ses procédures) qu’il revient
d’accompagner sa mise en œuvre (sur ce point, voir les illustrations supra). Sans chercher à
définir des figures par trop symétriques, on peut dire ici que ce rapport est inversé. C’est le
droit européen qui permet, en effet, de mettre œuvre le droit national dans un contexte
européen. Ainsi, par exemple, dans les premiers arrêts rendus en matière de propriété
intellectuelle (CJCE, 29 févr. 1968, aff. 24/67, Parke Davis ; CJCE, 18 févr. 1971, aff. 40/70,
Sirena ; CJCE, 8 juin 1971, aff. 78/70, Deutsche Grammophon ; CJCE, 22 janv. 1981, aff.
167
58/80, Dansk Supermarked), jamais les libertés de circulation n’ont permis d’abroger des
prérogatives exclusives définies au niveau national. Elles se sont contentées d’aménager les
modalités d’exercice de ces droits définis au niveau national en distinguant les situations où
les titulaires de droits de propriété intellectuelle pouvaient exciper du bénéfice de leur droit
et celles au contraire où leur exercice était condamné par les principes de liberté de
circulation.
La question se pose néanmoins aujourd’hui de l’utilité de recourir à la notion de « rapport de
mise en œuvre », alors que la législation européenne dérivée n’a cessé de croître, de sorte
qu’elle est de plus en plus à même de concrétiser l’exercice de droits subjectifs de niveau
européen, sans recourir aux instruments du droit national. Contrairement à ce que l’on
pourrait croire, ce type de rapport est amené à perdurer dans ce droit européen de deuxième
et troisième générations. Même quand le droit dérivé est intervenu, il fait vivre une relation
entre l’esprit des libertés de circulation, porté par les traités européens et la concrétisation
des droits subjectifs, opéré par le droit dérivé. On en donnera une illustration.
Cette illustration est tirée d’une affaire Dior (CJCE, 23 avril 2009, aff. C-59/08) relative à
une question d’interprétation de l’ancienne directive 89/104/CEE rapprochant les législations
des États membres sur les marques (ce texte a fait l’objet d’une consolidation intégrant les
modifications apportées au texte initial : Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du
Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques).
Ce texte définit, de manière classique, les conditions d’octroi du titre de propriété industrielle
sur les signes distinctifs, les droits exclusifs d’exploitation et les limitations ou exceptions au
droit. Il n’a pas pour objet de réglementer de manière générale les contrats en la matière. Il se
contente de consacrer un article (art. 8) à la licence de marque en prévoyant notamment que
le concédant peut agir en violation de ses droits (contrefaçon) contre le licencié qui ne
respecterait pas ses engagements contractuels dans un certain nombre cas énumérés de
manière exhaustive par la directive. C’est cette disposition qui a notamment fait l’objet d’un
renvoi préjudiciel devant la Cour de justice dans le contexte d’une affaire opposant,
notamment, la Société Dior à l’un de ses licenciés ayant pratiqué une revente hors réseau en
contravention du système de distribution sélective mis en place par le fabricant. La question
était en substance la suivante : la violation d’une interdiction contractuelle de revente hors
réseau constitue-t-elle une violation des droits sur la marque de sorte que son titulaire peut
s’opposer à la circulation hors réseau des marchandises ? La réponse apportée à cette
question par la Cour de justice traduit cette capacité du droit européen des libertés de
circulation à encadrer les modalités de mise en œuvre du droit subjectif à la marque, alors
que ce droit est défini, non plus au niveau national, mais au niveau européen. En effet, pour
parvenir à la conclusion selon laquelle « le titulaire de la marque peut invoquer les droits
168
conférés par cette dernière à l’encontre d’un licencié qui enfreint une clause du contrat de
licence interdisant, pour des raisons de prestige de la marque, la vente à des soldeurs de
produits tels que ceux en cause au principal, pour autant qu’il soit établi que cette violation,
en raison des circonstances propres à l’affaire au principal, porte atteinte à l’allure et à
l’image de prestige qui confèrent auxdits produits une sensation de luxe » (pt. 37), la Cour de
justice confronte, la lettre de la directive, spécialement son article 8 § 2, à la raison d’être de
la protection des marques en droit européen du marché intérieur, ce que les spécialistes de la
matière appellent la « fonction essentielle de la marque ». Le raisonnement est le suivant :
dans l’espace européen, la marque a notamment pour fonction de garantir la qualité d’origine
du produit marqué ; cette qualité peut être tributaire de l’image de prestige ou de luxe du
produit ; en conséquence la violation d’une interdiction contractuelle de revente hors réseau
est une atteinte à la marque, dès lors que les modalités de distribution du produit hors réseau
portent atteinte à cette image de luxe ou de prestige ; dans cette circonstance, le titulaire du
droit peut agir en contrefaçon contre son licencié (voir pour le détail de la motivation, les pts
15 à 36 de la décision). La qualification « manquement au contrat de licence », au sens de la
directive « marque » est ainsi déduite des justifications données par le droit européen du
marché intérieur à la protection de droits exclusifs de propriété intellectuelle. Deux droits
cohabitent - le droit dérivé et le droit primaire qui lui survit - et ces deux droits entretiennent
« un rapport de mise en œuvre ». Voir en prolongement sur ce thème, J.-S. Bergé, Existence
et exercice des droits subjectifs et libertés de circulation : l’hypothèse (à nouveau) d’un
rapport de mise en œuvre, in E. Dubout et A. Maitrot de la Motte (dir.), L'unité des libertés
de circulation - In varietas concordia, éd. Bruylant-Larcier, à paraître.
Section 3 – La recherche d’un effet
139. La combinaison du droit national, international et européen s’inscrit, fréquemment,
dans une démarche finaliste où le juriste cherche à tirer profit du pluralisme juridique mondial
ou à s’en prémunir selon la stratégie qu’il poursuit. Elle a donc un caractère fonctionnel (la
recherche d’un résultat) et dynamique (l’interaction entre les différents résultats possibles).
Les effets peuvent être multiples : effet tantôt équivalent, effet tantôt différent (§1) et effet
tantôt global, effet tantôt contenu (§2).
§ 1 - La recherche d’un effet tantôt équivalent tantôt différent
140. La démarche qui consiste pour le juriste à rechercher un effet équivalent ou, à
l’opposé, un effet différent se rapproche de celles proposées par les doctrines modernes du
droit naturel, lesquelles n’excluent pas que la recherche de solutions universelles puisse être
169
teintée de particularismes dans le contexte d’un droit confronté à la mondialisation1.
Un cas de figure peut ainsi être envisagé qui désigne l’hypothèse fréquente où le juriste placé
dans un contexte d’application du droit recherche dans les autres contextes le moyen de
conforter son analyse juridique. Une application illustre particulièrement bien cette
démarche : l’énoncé de règles coutumières ou de principes à caractère général.
Situation – Recherche d’un effet équivalent
L’exemple de l’identification d’une coutume internationale eu égard aux solutions
appliquées au niveau national et européen
Nous avons déjà eu l’occasion d’observer la manière dont la Cour internationale de justice
s’efforçait d’identifier l’existence de règles coutumières internationales dans la pratique
législative et jurisprudentielle des Etats dans des situations intéressant l’ordre international
(voir supra, n° xxx). Dans ces hypothèses, le juge international recherche l’existence d’un
effet équivalent produit par la pratique des Etats. Cette recherche a gagné en amplitude avec
l’arrêt CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ;
Grèce (intervenant). Dans cette affaire, en effet, la Cour internationale de justice a élargi sa
recherche à la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Si le but
demeure inchangé (confirmer ou infirmer la thèse de l’existence d’une pratique juridique
équivalente de nature à révéler l’existence d’une règle coutumière internationale), la
méthode utilisée se veut de plus en plus globale. Elle intègre les différents niveaux
(nationaux, internationaux et régionaux) d’application du droit (voir, en prolongement, nos
développements infra, n° xxx, sur la recherche d’un effet global).
L’exemple de l’énoncé de principes généraux du droit européen à partir des traditions
juridiques nationales et des principes de droit international
Les principes généraux du droit existent à tous les niveaux d’application du droit : national,
international, européen. Leur énoncé, d’ordre essentiellement jurisprudentiel, s’élabore
fréquemment combinaison de différents droits dans lesquels le juriste puise une source
d’inspiration. Le phénomène est notamment observable en droit de l’Union européenne.
Il est fréquent, en effet, que la Cour de justice ait recours à une confrontation des traditions
juridiques des différents États membres pour construire ses propres principes généraux du
droit (pour une première application : CJCE, 12 juill. 1957, Algera, aff. jtes 7/56, 3/57
à 7/57). Il a ainsi été, par exemple, décidé que « « Le principe de l’application rétroactive de
1 Pour une analyse du phénomène, voir D. Lochak, Le droit et les paradoxes de l’universalité, PUF, 2010, spéc.
p. 45 et s.
170
la peine plus légère fait partie des traditions constitutionnelles communes aux États
membres » de sorte qu’il « doit être considéré comme faisant partie des principes généraux
du droit communautaire que le juge national doit respecter lorsqu’il applique le droit national
adopté pour mettre en œuvre le droit communautaire » (CJCE, 3 mai 2005, Berlusconi,
aff. C-387/02).
La proximité du droit international et du droit européen est telle, au sein de l’Union
européenne, que l’on assiste également parfois à des combinaisons entre les deux matières.
Très tôt, la Cour de justice s’est appuyée sur les principes du droit international (pour le
premier arrêt rendu par référence à un principe général du droit international : CJCE,
27 févr. 1962, Commission c/ Italie, aff. 10/61 ; voir, pour une illustration récente : CJUE,
25 février 2010, Brita, aff. C-386/08). Cette référence au droit international lui a notamment
permis d’énoncer ses propres principes généraux du droit. Un arrêt particulièrement
remarqué en rend compte : « (…) le principe de bonne foi est une règle du droit international
coutumier dont l'existence a été reconnue par la Cour internationale de justice (…). Ce
principe a été codifié par l'article 18 de la convention de Vienne (…). Le principe de bonne
foi est le corollaire, dans le droit international public, du principe de protection de la
confiance légitime qui, selon la jurisprudence, fait partie de l'ordre juridique communautaire
(…) » (TPI, 27 janv. 1997, Opel Austria, aff. T-115/94). Comp. CJCE, 16 juin 1998, Racke,
aff. C-162/96 et l’analyse proposée par A. Berramdane, « L’application de la coutume
internationale dans l’ordre juridique communautaire », CDE 2000, 253.
L’exemple de l’interprétation équivalente de la CESDHLF et de la CDFUE
La recherche d’un effet équivalent entre des droits définis dans des contextes différents est
parfois érigée en principe d’interprétation. C’est ainsi que l’on peut lire à l’article 52 de la
Charte des droits fondamentaux de l’UE que « Dans la mesure où la présente Charte contient
des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes
que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le
droit de l'Union accorde une protection plus étendue ». La justification de cette disposition
tient à la volonté exprimée par les Etats membres de l’UE de ne pas créer un dispositif de
protection des droits fondamentaux concurrent de celui préexistant au sein du Conseil de
l’Europe. Sauf particularité du système de l’UE, l’effet produit par les instruments en
présence doit être équivalent, dès lors que les mêmes droits y sont consacrés, ce qui est
largement le cas (si la Charte des droits fondamentaux de l’UE innove sur certains aspects,
elle a repris à son compte l’essentiel des droits consacrés par la CESDHLF). Voir pour une
illustration récente, CJUE, 15 nov. 2011, Dereci, aff. C-256/11 : « À titre liminaire, il
convient de rappeler que l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union
171
européenne (…), relative au droit au respect de la vie privée et familiale, contient des droits
correspondant à ceux garantis par l'article 8, paragraphe 1, de la CEDH et qu'il convient donc
de donner à l'article 7 de la charte le même sens et la même portée que ceux conférés à
l'article 8, paragraphe 1, de la CEDH, tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme (arrêt du 5 octobre 2010, McB., C-400/10 PPU, non
encore publié au Recueil, point 53) ».
141. Mais la démarche utilisée est parfois trompeuse. Sous couvert de la recherche de
solutions communes ou voisines dans divers contextes d’application du droit, c’est un effet
différent qui est parfois recherché par le juriste. Il faut donc se montrer vigilant sur la
signification de ces emprunts. Le phénomène a ainsi été observé à propos des principes
généraux du droit.
Situation – Recherche d’un effet différent
L’exemple (à nouveau) de l’énoncé de principes généraux du droit
L’existence d’une coopération entre les juges nationaux et la juridiction européenne et même
d’un dialogue constructif ne saurait masquer, néanmoins, la complexité des rapports qui
s’organisent entre les différents niveaux. Les rapports entre les juges nationaux et la Cour de
justice sont de nature subtile, faits de jeux d’allégeance, parfois, de résistance ou de
méconnaissance, délibérées ou non, à d’autres occasions. Les cas de ce type sont légion. En
fait de dialogue entre les juges, on assiste souvent à de véritables luttes, le juge national
cherchant, par exemple, à demeurer maître des notions qu’il utilise dans un contexte voisin
de celui du droit européen.
On a ainsi montré qu’en adoptant un concept de sécurité juridique plus extensif que celui de
la Cour de justice, le Conseil d’État s’est doté d’un concept autonome et se donne les
moyens de ne plus faire application d’un principe de confiance légitime, principe dont il
pourra toujours dire à l’avenir qu’il demeure applicable uniquement dans le champ du droit
européen (voir, à propos de Conseil d’Etat, Ass., 24 mars 2006, KPMG ea, Req. n° 288460,
P. Brunet et O. Dubos, Approche critique du vocabulaire juridique européen : la pratique des
juges, Chronique du CEJEC, LPA, 2008, n° 164-165, 7 ; voir également de manière plus
générale sur ce phénomène d’appropriation nationale : J. Sirinelli, Les transformations du
droit administratif par le droit de l’Union européenne - Une contribution à l’étude du droit
administratif européen, éd. LGDJ, 2011).
De manière comparable, le Tribunal de l’Union européenne a été tenté de donner des
principes généraux du droit international une interprétation européenne autonome (TPI,
172
27 janv. 1997, Opel Austria, aff. T-115/94, préc.), cette attitude ayant été fermement
combattue par la Cour de justice (CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-162/96).
§ 2 - La recherche d’un effet tantôt global tantôt contenu
142. L’espace-temps qui sépare l’énoncé d’une question juridique de sa solution dans un
contexte d’application du droit à plusieurs niveaux – national, international ou européen – est
une invitation pour le juriste à anticiper par une approche globale les effets produits par son
intervention sur tous les autres contextes d’application du droit. Ces situations sont
particulièrement visibles dans les enceintes internationales ou européennes qui forment autant
de lieux délocalisés de traitement d’une question juridique qui trouve sa source dans un autre
contexte. Dans ces configurations, le juriste anticipe les effets produits par son intervention
juridique, en intégrant à son cadre de référence, non seulement le droit applicable à son
niveau, mais également le droit applicable à un autre niveau.
Ces pratiques concernent, notamment, le droit national quand il est invoqué devant une
enceinte internationale ou européenne.
Situation – Recherche d’un effet global
Exemples de prise en compte dans le contexte international ou européen de l’application
du droit interne
Le statut du droit national devant les juridictions internationales et européennes rend compte
de cette recherche d’un effet global. En acceptant de considérer le droit national, son
application et parfois même son interprétation, l’institution internationale ou européenne a le
souci d’anticiper la réception de sa décision dans le contexte national en cause.
C’est ainsi que l’on peut expliquer, la jurisprudence de la Cour internationale de justice qui
rappelle volontiers que si elle n’est pas maîtresse de l’application du droit national, elle peut
être amenée 1° à dénoncer des erreurs manifestes d’interprétation et 2° à considérer
l’application du droit interne chaque fois qu’elle interfère avec les constructions du droit
international. C’est ainsi, par exemple, que dans l’affaire Diallo (CIJ, 30 novembre 2010,
Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo, préc.) elle a
considéré notamment que : « même s’il serait théoriquement possible de discuter [son] bien-
fondé (…), il n’appartient certainement pas à la Cour d’adopter, pour les besoins du
jugement de la présente affaire, une interprétation différente du droit interne congolais. On
ne saurait donc conclure que le décret d’expulsion de M. Diallo n’a pas été pris
«conformément à la loi » pour la raison qu’il a été signé par le premier ministre. En
revanche, la Cour est d’avis que ce décret n’a pas respecté les prescriptions de la législation
173
congolaise pour deux autres raisons. (…). La Cour conclut donc que sur deux points
importants, relatifs à des garanties procédurales conférées aux étrangers par le droit
congolais, et qui visent à protéger les personnes concernées contre le risque d’arbitraire,
l’expulsion de M. Diallo n’a pas été prononcée «conformément à la loi ». En conséquence,
indépendamment de la question de savoir si cette expulsion était justifiée sur le fond,
question sur laquelle la Cour reviendra dans la suite du présent arrêt, la mesure litigieuse a
violé l’article 13 du Pacte et l’article 12, paragraphe 4, de la Charte africaine ».
Une attitude similaire peut être constatée dans le contexte européen. Chaque fois que la Cour
de justice de l’Union européenne ou la Cour européenne des droits de l’homme doit
apprécier la conformité de l’application d’un droit national au regard des prescriptions du
droit européen, les discussions auxquelles peut éventuellement donner lieu le droit national
entrent incidemment dans le jeu de son analyse juridique même si les juridictions
européennes rappellent volontiers qu’elle n’a pas à intervenir directement dans le débat ou la
discussion juridique de droit interne. A titre d’exemple, on peut citer le cas de l’appréciation
par la Cour de justice de la compatibilité du mécanisme français de question prioritaire de
constitutionnalité avec les exigences du droit de l’UE (CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli,
aff. Jtes C-188/10 et C-189/10). Le droit français y est littéralement discuté devant la Cour
de justice, laquelle raisonne en termes d’impact de l’application de la réglementation interne
sur le droit de l’UE. De la même manière, quand la Cour européenne des droits de l’homme
se prononce sur la compatibilité du statut du parquet Français au regard des exigences du
droit des personnes détenues à être présentées devant un juge, c’est tous les effets produits
par l’organisation juridictionnelle française qui sont passés au crible des exigences de la
CESDHLF (voir, notamment, CEDH, 23 nov. 2010, Req. no 37104/06, Moulin c. France).
143. Elles visent, également, le droit international quand il est invoqué devant une enceinte
européenne et réciproquement.
Exemples de prise en compte dans le contexte européen du droit international
Les différents exemples retenus pour présenter des cas d’invocabilité d’un droit international
non applicable dans le système juridique de l’Union européenne illustrent parfaitement cette
recherche d’un effet global (sur ces exemples, voir, infra, n° xxx, nos développements à
propos de la jurisprudence historique de la Cour de justice relative à la CESDHLF – que l’on
ne pouvait classer à l’époque dans le droit européen – et des affaires Bogiatzi (CJCE, 22 oct.
2009, aff. C-301/08), Gottardo (CJCE, 15 janv. 2002, aff. C-55/00) et SCF (CJUE, 15 mars
2012, aff. C-135/10).
Dans ces quatre hypothèses, la Cour de justice interprète le droit européen dans la
perspective de son application à des situations relevant de juridictions nationales. Or ces
174
situations nationales ont une dimension internationale dans la mesure où des normes de droit
international, qui ne lient pas l’Union européenne ou avant elle, les Communautés
européennes, y sont applicables. La prise en compte par la Cour de justice de ce droit
international applicable dans le contexte national traduit la recherche d’un effet global. La
Cour de justice anticipe l’applicabilité du droit international de manière à mieux en maîtriser
les effets. Cela permet à la Cour de justice de s’assurer de la compatibilité entre son droit et
le droit potentiellement applicable dans les différents Etats membres. La question était
cruciale s’agissant de la protection des droits fondamentaux. La Cour de justice se devait de
montrer qu’elle était en mesure en prendre en compte les exigences de la CESDHLF
applicable dans différents Etats membres, sauf à ces derniers à remettre en cause la valeur
juridique de ses décisions. Elle est également importante dans les autres domaines étudiés
(transport, protection sociale et propriété intellectuelle). Le droit européen ne serait pas
grand-chose s’il était incapable d’interagir avec son environnement juridique, national et
international.
Exemples de prise en compte dans le contexte international du droit européen
C’est un phénomène récent que le fait pour une instance telle que la Cour internationale de
justice que de prendre en compte le droit régional européen dans ses décisions. En
témoignent les affaires Ahmadou Sadio Diallo (CIJ, 30 novembre 2010 , Guinée c.
République démocratique du Congo, préc.) et Immunités juridictionnelles de l’Etat (CIJ, 3
fév. 2012,- Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant), préc.) à l’occasion desquelles la
juridiction internationale a, pour la première fois de son histoire, fait référence à la
jurisprudence de la CEDH de manière à inscrire ses décisions dans une perspective globale.
Le phénomène est particulièrement remarquable dans l’arrêt « Immunités juridictionnelles de
l’Etat » où il s’est agi pour la CIJ de caractériser l’existence d’une règle de droit coutumier
international en prenant appui, non seulement sur la pratique des Etats, mais également sur la
jurisprudence de la CEDH.
144. Elles n’épargnent pas, non plus, les institutions nationales quand elles s’efforcent
d’élargir le plus possible leur cadre juridique de référence.
Exemples de prise en compte dans le contexte national du droit international et européen
Une affaire, qui a eu un assez grand retentissement en France sur la question des immunités
de juridiction, illustre bien la capacité du juge national à prendre en compte, très largement,
l’ensemble de ressources offertes par le droit international et européen pour trancher d’un
différend. Dans une affaire « Banque Africaine de Développement » (Cour de cassation, ch.
soc., 25 janv 2005, pourvoi n° 04-41012), la question était posée d’une contradiction entre le
traité international instituant cette organisation internationale (« accord de siège ») et de la
175
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(CESDHLF). En vertu de ce premier texte, l’organisation internationale bénéficiait d’une
totale immunité de juridiction, y compris dans le cadre ordinaire des conflits du travail
l’opposant à ses fonctionnaires internationaux. En vertu de la CESDHLF, un droit au juge a
été institué au nom du droit à un procès équitable, droit qui permet notamment, selon
l’interprétation de la CEDH, d’écarter une immunité de juridiction quand elle expose le
demandeur à une situation de total déni de justice (notamment : CEDH, 18 fév. 1999, Req.
n° 28934/95, Beer et Regan : « Pour déterminer si l’immunité de [l’organisation
internationale] devant les juridictions [nationales] est admissible au regard de la Convention,
il importe, selon la Cour, d’examiner si les requérants disposaient d’autres voies raisonnables
pour protéger efficacement leurs droits garantis par la Convention », § 58). Le moyen du
pourvoi défendait la thèse selon laquelle la CESDHLF ne trouvait pas à s’appliquer en
l’espèce à une organisation internationale non liée par l’instrument, de sorte que le droit au
juge ne pouvait être invoqué pour faire échec à l’immunité prévue par le traité international.
La Cour de cassation contourne la difficulté en intégrant à l’ordre public international
français, une solution potentiellement dictée par application de la CESDHLF : « Mais
attendu que la Banque africaine de développement ne peut se prévaloir de l'immunité de
juridiction dans le litige l'opposant au salarié qu'elle a licencié dès lors qu'à l'époque des faits
elle n'avait pas institué en son sein un tribunal ayant compétence pour statuer sur des litiges
de cette nature, l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de se prononcer sur
sa prétention et d'exercer un droit qui relève de l'ordre public international constituant un
déni de justice fondant la compétence de la juridiction française lorsqu'il existe un
rattachement avec la France ». On assiste ici à un cas d’appropriation de la solution de droit
européen par un juge national qui entend faire produire à cette solution un effet global. Pour
une analyse de cette solution en termes de circulation des situations, voir nos
développements infra, n° xxx.
Voir également, infra, n° xxx, les analyses proposées de : Conseil d'État, 11 mars 2011, Req.
324071, qui vise successivement la convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif
à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles, la
convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier
1990 et différents textes de droit français. Comparer (notamment), Cour de cassation, ch.
soc., 16 février 2011, pourvois n° 10-60.189 et 10-60.191 qui débute par le visa suivant :
« Vu les articles 3 et 8 de la convention n° 87 de l'Organisation internationale du travail
(OIT), 4 de la convention n° 98 de l'OIT, 5 de la convention n° 135 de l'OIT, 11 et 14 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 6
176
de la Charte sociale européenne, 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne et L. 2122-1, L. 2122-2 et L. 2143-3 du code du travail ».
145. Cette approche globale du droit applicable n’est pas toujours de mise. Elle est
contrebalancée par des approches plus contenues. Dans les enceintes internationales ou
européennes, il peut arriver, en effet, qu’un système juridique décide de s’autolimiter (« self-
restraint »), c’est-à-dire de réduire autant que possible la portée de ses solutions à un cadre
restreint de référence. Les motivations peuvent être multiples. Elles ont souvent une
dimension politique. Les juges cherchent à contenir leur pouvoir. Faute de bénéficier d’une
légitimité démocratique, ils s’exercent à la prudence de manière à ne pas rompre le pacte
social qui les lie à une société1.
146. C’est ainsi que l’on peut lire, par exemple, le principe ou, plus modestement, l’idée de
subsidiarité quand ils sont mis en œuvre par les deux grandes juridictions européennes.
Situation – Recherche d’un effet contenu
Exemples de subsidiarité judiciaire à propos notamment du principe de proportionnalité
dans la jurisprudence européenne
Une véritable doctrine a été forgée dans le but de cantonner la CESDHLF dans certaines
limites. Contrairement à une idée reçue, la protection européenne des droits de l’homme ne
se veut pas, par essence, absolument uniforme. Des particularismes nationaux (V. par ex.,
s’agissant de la réglementation de la publicité par les avocats, CEDH, 24 févr. 1994, Req.
no 15450/89, Casado c/ Espagne) ou locaux (V. par ex., s’agissant de la définition d’un corps
électoral restreint au nom d’un processus d’autodétermination d’un pays d’outre-mer, la
Nouvelle-Calédonie en l’occurrence, CEDH, 11 janv. 2005, Req. no 66289/01, Py c/ France)
sont admis de sorte que les États peuvent construire, à partir d’un modèle européen commun,
leur propre système de protection : « Ainsi que l’a noté l’arrêt du 9 février 1967 en l’affaire
“linguistique belge”, la Convention a pour but essentiel “de fixer certaines normes
internationales à respecter par les États contractants dans leurs rapports avec les personnes
placées sous leur juridiction” (...). Cela ne veut pas dire qu’une uniformité absolue
s’impose ; comme les États contractants demeurent libres de choisir les mesures qui leur
paraissent appropriées, la Cour ne peut négliger les caractéristiques de fond et de procédure
1 Voir, notamment sur ce thème : S. Brondel, N. Foulquier, L. Heuschling (dir.), Gouvernement des juges et
démocratie, Publication de la Sorbonne, 2001, spéc. : L. Pech, Le remède au gouvernement des juges : le judicial
self-restraint, p. 63 ; voir également p. 304, l’explication apportée par l’ancien juge à la Cour de justice J.-P.
Puissochet, à propos de la célèbre jurisprudence « Grant » rendue sur la question des droits reconnus aux couples
homosexuels (CJCE, 17 février 1998, aff C-249/96). Voir également, A. Torres Pérez, Conflicts of Rights in the
European Union - A theory of Supranational Adjudication, Oxford University Press, 2009, spéc. p. 168 et s.
177
de leurs droits internes respectifs (cf. mutatis mutandis, l’arrêt du 23 juillet 1968 en l’affaire
“linguistique belge”). » (CEDH (Plén.), 26 avr. 1979, Req. no 6538/74, Sunday Times
c/ Royaume-Uni). Une telle marge de manœuvre n’est pas laissée à la totale discrétion des
États. Elle peut varier considérablement d’un droit fondamental à l’autre : certains droits font
peser de véritables obligations de résultat sur les États, alors que d’autres, au contraire,
offrent plus de plasticité. L’exercice de cette marge de manœuvre, de même que le recours
aux possibilités de dérogations offertes par la convention (par ex. au nom de l’ordre public)
font l’objet d’un contrôle judiciaire. Différents tests sont mis en œuvre par le juge (tests de
nécessité et surtout de proportionnalité) qui permettent d’éviter les excès. Voir en
prolongement sur ce sujet, B. Delzangles, Activisme et autolimitation de la Cour européenne
des droits de l’homme, Fondation Varenne, LGDJ, 2009 ; A. Legg, The Margin of
Appreciation in International Human Rights Law, Oxford university press, 2012. Pour une
approche critique (de la proportionnalité vue comme un instrument de résolution des conflits
de normes), voir E. Georgitsi, La proportionnalité comme instrument de « conciliation » des
normes antagonistes, RIDC 2011, 559.
En droit de l’Union européenne, la mise en œuvre des libertés de circulation ne donne lieu à
aucune directive générale de répartition des rôles entre la Cour de Justice et les juges
nationaux. Parfois, le contrôle de proportionnalité conduit la Cour à une analyse détaillée du
bien fondé de la législation au terme duquel elle conclut au caractère proportionné ou non de
la mesure (Cf. par exemple, CJCE, 16 mai 1989, Buet, aff. 382/87, sur la proportionnalité de
l’interdiction du démarchage pour la vente de matériel pédagogique à l’objectif de protection
des consommateurs invoqué par le gouvernement français ; CJCE, 24 novembre 2005,
Schwarz, aff. C-366/04, sur l’interdiction de la vente de confiseries non emballées dans des
distributeurs automatiques). Cependant, le contrôle exercé par la Cour de Justice n'est pas
toujours aussi approfondi. La Cour se limite parfois à indiquer aux juridictions nationales les
éléments à prendre en compte pour apprécier le respect du principe de proportionnalité. En
ce qui concerne, par exemple, les restrictions relatives à l'utilisation d'additifs alimentaires, la
Cour a précisé que ces restrictions devaient se limiter à ce qui est effectivement nécessaire à
la protection de la santé publique, l'appréciation devant s'effectuer au regard des résultats de
la recherche scientifique internationale et des habitudes alimentaires dans l'État membre
d'importation (CJCE , 14 juill. 1983, Sandoz, aff. 174/82). De la même manière, pour établir
la proportionnalité d'une interdiction de vente de journaux contenant des jeux dotés de
primes à l'objectif de maintien du pluralisme de la presse, la Cour indique au juge national
qu'il convient de procéder à un examen du marché national de la presse, par lequel la
juridiction nationale doit délimiter le marché du produit en cause, prendre en considération
les parts de marché détenues par chaque éditeur et leur évolution, mesurer le degré de
178
substitution possible aux yeux du consommateur du produit concerné aux journaux qui
n'offrent pas la possibilité de gagner un prix (CJCE, 26 juin 1997, Familiapress, aff. C-
368/95). Il arrive aussi que la Cour de Justice ne donne aucune indication aux juges
nationaux et se contente de leur confier le contrôle de proportionnalité (Cf. par exemple,
CJCE, 24 mars 1994, Schindler, aff. C-275/92 sur la proportionnalité de l’interdiction des
loteries à l’objectif de protection de l’ordre social). La Cour de Justice est ainsi fréquemment
conduite à confier aux juges nationaux un contrôle de proportionnalité qui suppose une
parfaite connaissance du contexte national dans lequel s’intègre la mesure d’intérêt général
entravant les échanges (pour une illustration particulièrement éclatante, à propos de la
législation italienne définissant des seuils planchers en matière de rémunération des avocats :
CJCE, 5 déc. 2006, Cipolla, aff. C-94/04 et C-202/04). La Cour de Justice, qui n’a pas
toujours une connaissance aussi complète que le juge national du contexte matériel et
juridique de l’affaire, ne dispose pas de tous les moyens qui sont à la disposition du
législateur pour apprécier l’opportunité du choix opéré. En outre, et cela constitue une
objection plus sérieuse, la légitimité du contrôle de proportionnalité, qui autorise le juge
européen à défaire l'œuvre du législateur national, est contestée. Dans ces conditions, la
subsidiarité judiciaire permet au juge européen de contenir l’exercice de son pouvoir
d’interprétation. Au lieu de centraliser le contrôle de proportionnalité, la Cour de Justice
concède au juge national le soin de porter une appréciation propre sur la compatibilité de
l’entrave avec les exigences des traités européens.
147. On rencontre également des hypothèses d’autolimitation dans la jurisprudence
internationale à propos du principe de spécialité, autolimitation qui peut avoir ambition de
nourrir une approche globale du système de droit international.
Exemples tirés de la lecture du principe de spécialité par la Cour internationale de justice
Des auteurs (P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8e éd. LGDJ 2009,
n° 389, p. 668) ont proposé une comparaison tout à fait intéressante de deux demandes
d’avis présentées à la Cour internationale de justice par l’Assemblée générale des Nations
Unies (ONU) et par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La première demande a été jugée recevable aux motifs que « La question posée à la Cour est
pertinente au regard de maints aspects des activités et préoccupations de l'Assemblée
générale, notamment en ce qui concerne la menace ou l'emploi de la force dans les relations
internationales, le processus de désarmement et le développement progressif du droit
international. L'Assemblée générale porte de longue date un intérêt à ces matières et à leur
relation avec les armes nucléaires. Cet intérêt a trouvé son expression dans les débats annuels
de la Première Commission et les résolutions de l'Assemblée générale sur les armes
nucléaires; dans la tenue par l'Assemblée générale de trois sessions extraordinaires sur le
179
désarmement (1978, 1982 et 1988) et, depuis 1978, de réunions annuelles de la commission
du désarmement; ainsi que dans la commande d'études sur les effets de l'emploi d'armes
nucléaires. Dans ce contexte, il importe peu que des activités importantes relatives au
désarmement nucléaire, récentes ou en cours, aient été ou soient menées dans d'autres
enceintes » (CIJ, 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226, spéc. § 12).
Dans le second avis, rendu le même jour, la Cour internationale de justice a estimé que
« (…) reconnaître à l'OMS la compétence de traiter de la licéité de l'utilisation des armes
nucléaires - même compte tenu de l'effet de ces armes sur la santé et l'environnement -
équivaudrait à ignorer le principe de spécialité; (…). L'OMS est au surplus une organisation
internationale d'une nature particulière. Ainsi que l'annonce le préambule et que le confirme
l'article 69 de sa Constitution, l'«Organisation est rattachée aux Nations Unies comme une
des institutions spécialisées prévues à l'article 57 de la Charte des Nations Unies ». (…). Il
résulte de l'ensemble des textes susmentionnés que la Constitution de l'OMS ne peut être
interprétée, en ce qui concerne les compétences attribuées à cette organisation, qu'en tenant
dûment compte, non seulement du principe général de spécialité, mais encore de la logique
du système global envisagé par la Charte. Si, conformément aux règles qui sous-tendent ce
système, l'OMS est pourvue, en vertu de l'article 57 de la Charte, «d'attributions
internationales étendues », celles-ci sont nécessairement limitées au domaine « de la santé
publique » et ne sauraient empiéter sur celles d'autres composantes du système des Nations
Unies. Or il ne fait pas de doute que les questions touchant au recours à la force, à la
réglementation des armements et au désarmement sont du ressort de l'Organisation des
Nations Unies et échappent à la compétence des institutions spécialisées. (…). Pour
l'ensemble de ces motifs, la Cour estime que la question sur laquelle porte la demande d'avis
consultatif que l'OMS lui a soumise ne se pose pas « dans le cadre de [l']activité » de cette
organisation telle que défini par sa Constitution » (CIJ, 8 juillet 1996, Licéité de l'utilisation
des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultatif, C.I. J. Recueil 1996,
p. 66, spéc. § 25 et 26). L’effet contenu dévolu selon la CIJ aux compétences de l’OMS est
expressément justifié par la « logique du système global », laquelle milite en faveur de la
reconnaissance de compétences étendues aux Nations Unies.
Sur le principe de spécialité, considéré de manière plus générale à propos des relations entre
les différentes juridictions internationales et régionales, voir M. Forteau, Forum shopping et
fragmentation du droit applicable aux relations internationales - Le regard de
l’internationaliste publiciste, in M. Forteau, J.-S. Bergé, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin
(dir.), La fragmentation du droit applicable aux relations internationales – Regards croisés
des internationalistes privatistes et publicistes, éd. Pedone, 2011, p. 143. Voir également sur
180
ce thème : Y. Kerbrat (dir.), Forum Shopping et concurrence des procédures contentieuses
internationales, Bruylant, 2011. Voir également infra, n° xxx, nos développements sur le
forum shopping mondial.
148. Ces cas d’autolimitation peuvent être également constatés dans le contexte national.
Exemples tirés de la jurisprudence nationale intervenant dans un contexte fortement
internationalisé
En droit international de l’environnement par exemple, un auteur a étudié les pratiques
jurisprudentielles nationales (essentiellement américaines) faisant écho à la doctrine du
forum non conveniens qui permet à une juridiction de se déclarer incompétente quand elle
estime de manière discrétionnaire qu’il est dans l’intérêt des parties et d’une bonne justice
que le différend ne soit pas appréhendé par elle (O. Perez, Ecological Sensitivity and Global
Legal Pluralism, Hart, 2004, spéc. p. 194 et s.). Cette doctrine est notamment utilisée pour
lutter contre les pratiques de forum shopping qui guident parfois le choix des plaideurs vers
des juridictions qu’ils estiment (à tort ou à raison) être plus à même de leur donner raison. La
démonstration y est notamment apportée par cet auteur du caractère inadapté de cette
doctrine quand elle est déployée dans un domaine d’activité internationale gouverné par un
principe de libre-échange. Les acteurs économiques se voient, en effet, interdire l’accès de
certaines juridictions étatiques alors que sur le terrain des investissements l’accès au
territoire est totalement libre et que les atteintes à l’environnement peuvent avoir une
dimension transfrontière.
Ces stratégies contentieuses qui consistent à refréner une compétence d’une instance
judiciaire nationale en considération, notamment, de la compétence exercée dans un autre
Etat sont de plus en plus étudiées par les spécialistes de droit judiciaire privé international et
gagnent le monde de l’arbitrage international où il est de plus en plus fréquent que des
procédures à fronts multiples soient ouvertes par les parties à un différend (pour présentation
d’ensemble du phénomène en jurisprudence étatique et arbitrale, voir, notamment, avec les
références citées : F.-X. Train, Forum shopping et fragmentation du droit applicable aux
relations internationales - Le regard de l’internationaliste privatiste, in M. Forteau, J.-S.
Bergé, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin (dir.), La fragmentation du droit applicable aux
relations internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes, éd.
Pedone, 2011, p. 131). Ces pratiques se situent le plus souvent à un seul niveau (devant des
juges nationaux ou dans le cadre de l’arbitrage rendu en matière de commerce international).
Mais des interférences peuvent survenir entre le niveau national et international comme c’est
le cas, de manière fréquente, en matière d’arbitrage international où les juridictions étatiques
sont amenées à jouer un rôle d’appui (voir, par exemple, en droit français de l’arbitrage
international, les articles 1505 et suivants du CPC qui font mention du rôle du juge d’appui).
182
CHAPITRE 2 – LA CIRCULATION DES SITUATIONS
149. La combinaison du droit national, international ou européen ne s’explique pas
seulement par des complémentarités institutionnelles et matérielles et des rapports de mise en
œuvre. Elle est également tributaire d’un phénomène de « circulation » (section 1) que nous
tenterons d’expliciter en termes de « contraintes » (section 2).
183
Section 1 – Le phénomène de circulation
150. Le phénomène de circulation est assez largement ignoré par les juristes. Il requiert un
premier travail de définition (§1) et une distinction entre la circulation à l’intérieur d’un même
contexte d’application du droit (§2) ou dans des contextes différents (§3).
§ 1 – Premiers éléments de définition
151. Le terme « circulation » n’est pas d’un usage courant chez les juristes. Il ne figure pas
nécessairement dans les dictionnaires spécialisés1. Il reçoit ici un sens relativement précis. La
circulation désigne, en effet, l’ensemble des phénomènes qui permettent au juriste
d’appréhender une situation dans un espace juridique autre que celui où elle a pris naissance.
L’effet produit par ces mouvements d’un espace normatif à un autre peut être parfaitement
identique, la circulation propageant trait pour trait un effet juridique - entendu au sens le plus
large : effet obligatoire, effet d’opposabilité ou même effet de fait - donné dans deux
environnements distincts. Mais cet effet comporte souvent des différences, la circulation étant
alors partielle, portant sur tel ou tel aspect de la situation amenée à circuler. Le phénomène
intéresse la circulation chaque fois qu’un effet de la situation née dans un environnement
juridique donné se manifeste à nouveau dans un autre environnement juridique en raison de
son origine. Si les effets produits sont totalement étrangers l’un à l’autre ou sont purement
fortuits2, il n’est plus utile de parler de circulation.
Situation – Premières approches de la circulation des situations
Exemples de circulation de situations juridiques
Le phénomène de circulation ne répond généralement pas à un processus organisé. Il a une
dimension éminemment factuelle où une personne, un objet, un acte ou un fait circule d’un
espace normatif à un autre et où la question se pose de savoir si l’appréhension de la
situation dans l’espace d’accueil est tributaire de solutions juridiques appliquées dans un
1 L’expression est, par exemple, absente du Dictionnaire de la globalisation (dir. A.-J. Arnaud, éd. LGDJ, 2010)
et si le verbo « circulation » figure dans le Vocabulaire juridique (G. Cornu (dir.), PUF, 8ème éd. 2007), les
définitions proposées ne recoupent pas celle que nous envisageons ici. On lui préfère le terme « d’échanges »,
« d’influences croisées » ou de « cross-fertilization » (voir sur ce thème, S. Robin-Olivier et D. Fasquelle (dir.),
Les échanges entre les droits, l’expérience communautaire : une lecture des phénomènes de régionalisation et de
mondialisation du droit, éd. Bruylant, 2008). 2 Pour une stigmatisation du caractère fortuit du phénomène d’imbrication des ordres juridiques dans certaines
situations : P. Brunet, « L’articulation des normes – Analyse critique du pluralisme ordonné », in J.-B. Auby,
L’influence du droit européen sur les catégories du droit public, Dalloz 2010, 195, spéc. p. 200 et s. On prendra
soin de distinguer, dans cet ouvrage, les hypothèses de circulation des situations que nous envisageons dans ce
chapitre au titre de la combinaison des droits, des hypothèses plus générales de circulation des méthodes et
solutions juridiques qui participent à un processus de comparaison des droits (sur lequel, voir supra, Partie 1).
184
autre espace normatif, notamment dans l’espace d’origine. Par exemple, un navire – bien
public ou privé – portant pavillon d’un pays donné et emportant à son bord un équipage et
des biens navigue de ports en ports, dans des eaux territoriales, dans des zones sous
compétence des Etats côtiers (zones économiques exclusives, zones de pêche et,
éventuellement, plateau continental) et en haute mer. Cette situation concrète de circulation
intéresse le droit à deux titres. Le statut juridique du navire, celui de l’équipage et des biens
qu’ils transportent circule-t-il d’un espace à l’autre, ou varie-t-il totalement au gré des
environnements juridiques successivement traversés ? Dans le premier cas, il peut être utile
de parler de circulation pour montrer que la situation conserve les mêmes effets juridiques,
pas dans le second, où la situation change au gré des passages d’un espace à l’autre. Les
deux solutions coexistent. Tout dépend de la nature de la question posée. Par exemple, le
navire devrait pouvoir conserver son pavillon et les règles qui lui sont attachées où qu’il se
trouve. En revanche, la marchandise qu’il transporte peut changer dans son traitement
juridique (licite ici et illicite là) selon l’espace considéré.
Parfois, la circulation est organisée ou encouragée par la règle de droit. Il se peut ainsi, par
exemple, que des règles internationales ou régionales (européennes notamment) se donnent
pour ambition d’organiser cette circulation proprement dite en définissant, par exemple, un
droit à la libre circulation (ou un droit à la mobilité). Par exemple, une règle peut prescrire
qu’une marchandise d’un pays A puisse circuler en pays B dès lors qu’elle est licite dans son
pays d’origine ou qu’une décision de justice rendue dans un pays A produit, sans qu’il soit
utile de recourir à une procédure préalable, à un effet juridique dans un B. Dans une tout
autre perspective, la circulation des situations est, par ailleurs, inscrite dans le processus
même d’accès aux juridictions internationales, lequel est dominé par le principe de l’exercice
préalable ou l’épuisement des voies de recours internes (la règle est néanmoins de plus en
plus souvent écartée : CJUE, « juridictions » arbitrales…). On verra ainsi qu’une même
situation peut être tour à tour appréhendée par des juges situés dans des contextes différents.
§ 2 – La circulation au sein d’un même niveau
152. Le phénomène de circulation peut d’abord être observé à l’intérieur de chaque
contexte d’application du droit : national, international ou européen. Il revêt un caractère
essentiellement concret (pour une approche plus abstraite de la circulation dans le contexte
d’application du droit à différents niveaux, voir infra, n° xxx). Au sein de chaque contexte
juridique national, international ou européen, des situations peuvent être amenées à circuler
d’un espace normatif à un autre de sorte que des phénomènes de combinaison peuvent être
observés.
153. Sous un vocabulaire spécifique, le phénomène de circulation est étudié pour décrire la
185
mobilité des situations (personnes, biens, actes ou faits juridiques) entre les systèmes
juridiques nationaux. Qu’il s’agisse du « conflit mobile », des questions relatives à
« l’efficacité internationale des actes judiciaires ou extrajudiciaires » rendus au niveau
national par une instance publique ou parapublique ou, surtout, de la question, très discutée à
l’heure actuelle, de « la reconnaissance des situations », la doctrine du droit international
privé a été et demeure fortement mobilisée sur tous ces sujets.
Situation – La circulation entre espaces nationaux
L’hypothèse du conflit mobile
L’expression « conflit mobile », dont la paternité est prêtée par les spécialistes de droit
international privé à Etienne Bartin, vise l’hypothèse où le juriste s’interroge sur
l’opportunité de prendre en compte le changement d’un élément de rattachement intervenu à
la suite d’un déplacement ou d’une modification affectant une personne, un bien ou,
éventuellement, un acte. La question se pose ainsi de savoir si un droit réel mobilier doit être
régi selon la loi de situation antérieure du bien ou selon la loi de sa situation actuelle ou si le
statut d’une personne relève de la loi d’un domicile antérieur déterminé à un instant donné
(au moment de la naissance ou d’un mariage par exemple) ou de la loi de son domicile actuel
(au moment du décès, par exemple). Les réponses à ces questions varient selon le but
recherché et la méthode de raisonnement utilisé. Parfois le juriste est guidé par la volonté de
préserver des droits acquis et donc de ne pas tenir compte du changement de situation.
Parfois, il raisonne par analogie avec les principes d’application de la loi dans le temps, qui
commandent, en principe, la mise en œuvre immédiate de la loi nouvelle (pour une analyse
approfondie de l’institution, voir avec les nombreuses références citées : M. Souleau-
Bertrand, Le conflit mobile, éd. Dalloz, 2005). Dans ces différentes hypothèses, il peut être
utile de se représenter la situation en termes de circulation, surtout quand on sait que des
instruments juridiques sont intervenus pour favoriser le déplacement des personnes et des
biens (pour une comparaison des approches du droit international privé et du droit de
l’Union européenne, voir supra, n° xxx).
L’exemple de la reconnaissance d’un acte public judiciaire ou extrajudiciaire étranger
La circulation des décisions de justice étrangères et, dans une moindre mesure, des actes
publics ou parapublics étrangers (par exemple, les actes d’Etat civil ou les actes
authentiques) est une figure parfaitement identifiée de circulation juridique en droit
international privé. Que cette circulation requiert ou non une procédure préalable
d’exequatur ou de reconnaissance, elle tend, dans tous les cas, à permettre à un acte d’une
autorité publique judiciaire ou extrajudiciaire d’un Etat A de produire un effet juridique dans
un Etat B. La circulation juridique des jugements s’est considérablement accrue dans le
186
contexte européen. Des instruments du droit de l’UE sont notamment intervenus en matière
civile pour faciliter cette circulation en encadrant strictement les hypothèses dans lesquelles
la reconnaissance des décisions étrangères peut être refusée par l’Etat requis (Règlement
(CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; Règlement
(CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de
responsabilité parentale). Elle a également cours dans le contexte international et tend
progressivement à gagner les actes extrajudiciaires (voir notamment : Répertoire de Droit
international – Dalloz, V° Acte public étranger par Ch. Pamboukis, 2009).
L’exemple de la reconnaissance d’une situation de fait constituée à l’étranger
Une autre hypothèse de circulation est envisagée dans le contexte des relations privées
internationales : celle de la reconnaissance d’une situation de fait constituée à l’étranger.
Quand cette situation n’a donné lieu à aucun acte public étranger judiciaire ou
extrajudiciaire, quand elle procède d’un acte essentiellement privé (par exemple, la création
d’une personne morale par un acte de droit privé ou la conclusion d’un acte privé affectant le
statut personnel d’une personne physique), la question, très discutée par les spécialistes de
droit international privé, est de savoir sous quelles conditions il est possible de lui faire
produire un effet juridique dans un autre Etat. Des auteurs se sont montrés, en effet,
favorables à une extension de la méthode de la reconnaissance qui fait abstraction du
contrôle et donc de la recherche de la loi nationale qui a présidé à la création de la situation
constituée à l’étranger (sur cette proposition, voir en particulier : P. Lagarde, « La
reconnaissance, mode d’emploi », in Mélanges en l’honneur de H. Gaudemet-Tallon, « Vers
de nouveaux équilibres entre ordres juridiques », Dalloz 2008, p. 481 ; également E. Pataut,
« Le renouveau de la théorie des droits acquis », TCFDIP 2006-2008, Pedone 2009, 71 ; sur
les principaux éléments de discussion, voir notamment ou également : P. Lagarde,
Développements futurs du droit international privé dans une Europe en voie d'unification :
quelques conjectures, RabelsZ 2004, 225 ; P. Mayer, La méthode de la reconnaissance en
droit international privé, Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005, 547 ; C.
Pamboukis, La reconnaissance-métamorphose de la méthode de reconnaissance, RCDIP
2008, 513 ; D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, Tome I, Partie Générale ;
2ème éd. 2010, n°575 s. ; M.L. Niboyet et G. de Geouffre de La Pradelle, Droit international
privé, Manuel 3ème
éd. LGDJ 2011, n° 273 et s. ; M.-N. Jobard-Bachellier, L’européanisation
du droit international privé des conflits de lois, in M. Benlolo-Carabot, E. Cujo et U. Candas
(dir.), Union européenne et droit international, éd. Pedone, coll. CEDIN, 2012). Pareille
187
extension de la technique de la reconnaissance ouvre des perspectives nouvelles à la
circulation de situations d’un Etat à un autre.
154. La circulation existe également au niveau international même si elle correspond à des
réalités différentes que celles que nous venons d’observer dans le contexte national. Le niveau
international se caractérise, sauf matières particulières (droit de la mer, droit de
l’environnement, par exemple) par une certaine unité du droit applicable : le droit
international. Si fragmentation il y a, elle résulte le plus souvent de la multiplication des
acteurs, notamment des institutions internationales, chargées dans tel ou tel domaine
particulier d’appliquer le droit international. Le phénomène de circulation s’observe alors ici à
travers les échanges entre ces institutions internationales.
Situation – La circulation dans le contexte international
Un exemple de circulation entre institutions internationales : les rapports entre les
Nations Unies et la Cour pénale internationale
Comme l’a fait observé un auteur, la fragmentation du droit international public est un
phénomène différent de celui qui peut être observé au niveau national, notamment par les
internationalistes privatistes (M. Forteau, L’influence du choix de la juridiction sur le droit
applicable aux relations internationales, in La fragmentation du droit applicable aux relations
internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes (dir.
scientifique M. Forteau ; coord. J.-S. Bergé, M. Forteau, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin),
Ed. Pedone, 2011, p. 143). Elle résulte pour l’essentiel de la multiplication des institutions,
lesquelles coopèrent entre elles et permettent à des actes ou faits juridiques de circuler au
niveau international.
Ainsi par exemple, dans le contexte de la guerre interne à Libye, on sait que le Conseil de
sécurité des Nations Unies a, en février 2011, déféré au Procureur de la Cour pénale
internationale une situation laissant à penser que des crimes contre l’humanité étaient en
train d’y être commis. Dans une résolution adoptée à l'unanimité, les membres du Conseil de
sécurité ont décidé de saisir le Procureur de la Cour pénale internationale de la situation dont
la Jamahiriya arabe libyenne est le théâtre depuis le 15 février 2011 (Résolution 1970 (2011)
du 26 fév. 2011 concernant la Libye). Un acte juridique – ici une résolution du Conseil de
sécurité des NU – vaut saisine d’une autorité pénale internationale – le Procureur de la Cour
pénale internationale que ne reconnaît pas au demeurant l’Etat concerné. En ce sens, on peut
parler de circulation entre les deux institutions internationales.
155. Le contexte européen présente également ses singularités en termes de circulation. La
fragmentation institutionnelle y est particulièrement marquée compte tenu de la présence de
188
deux grandes organisations (Conseil de l’Europe et Union européenne) et de deux juridictions
européennes (Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits
de l’homme (CEDH)). Entre ces deux organisations, nombreuses sont les formes de
circulation . Les actes adoptés de part et d’autre circulent d’une organisation à l’autre. Une
coopération très étroite est à l’œuvre, y compris sur un mode informel comme c’est le cas
encore aujourd’hui pour les juridictions européennes qui peuvent être amenées à connaître de
situations comparables qui circulent ainsi d’un espace normatif à un autre.
Situation – La circulation dans le contexte européen
Exemples de circulation entre les institutions du Conseil de l’Europe et de l’Union
européenne
Le Conseil de l’Europe entretient des liens particulièrement étroits avec l’Union
européenne (UE). Ces liens sont, pour partie, de nature institutionnelle : la coopération entre
les deux plus grandes organisations européennes a été formalisée par des échanges de lettres
(1987 et 1996), des clauses dites « européennes » ont été insérées dans les conventions du
Conseil de l’Europe de façon à permettre à l’Union européenne d’y adhérer, la Commission
de Bruxelles assiste aux travaux du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, des
réunions sont régulièrement organisées entre les directions des principales institutions des
deux organisations et un système permanent d’échange d’informations a été mis sur pied.
Ces échanges ont également une dimension juridictionnelle. Il est arrivé, en effet, que la
Cour européenne des droits de l’homme soit saisie d’affaires mettant en scène une norme de
l’Union européenne ou une mesure nationale prise (on non) pour son application (voir, par
exemple, CEDH, 18 fév. 1999, Matthews, Req. n° 24833/94 , CEDH, 16 avr. 2002,
Dangeville, Req. no 36677/97 ; comparer à propos de la mise en œuvre par les Etats
membres du Règlement « Dublin II » (Règlement (CE) no343/2003 du Conseil du
18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre
responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par
un ressortissant d’un pays tiers) : CEDH, 21 janv. 2011, M.S.S., Req. n° 30696/09 qui a
directement influencé la jurisprudence la Cour de justice : CJUE, 21 déc. 2011, NS, aff. jtes
C-411/10 et C-493/10), même si, jusqu’à présent, elle s’est refusé à apprécier l’existence
d’une violation de l’Union européenne elle-même ou de la CESDHLF par l’ensemble de ses
États membres, pris collectivement.
Comparer, dans une affaire dans laquelle la CEDH et la CJUE ont eu successivement à
connaître de la compatibilité d’une même situation nationale (en Italie) sous l’angle de la
CESDHLF puis du droit de l’UE, où le service de presse de la Cour de justice, pour
expliquer l’absence de réponse donnée par la CJUE à l’une des questions qui lui était posée,
189
précise dans un communiqué que « La Cour européenne des droits de l'homme ayant
répondu entre-temps à cette question (arrêt du 7 juin 2011, Agrati e.a. c. Italie), la Cour juge
que, eu égard aux réponses données aux autres questions préjudicielles, il n'est plus besoin
d'examiner l'affaire sous l'angle des principes généraux » (Communiqué n°80/11 à propos de
CJUE, 6 sept. 2011, Ivana Scattolon, aff. C-108/10). Même si ce communiqué n’a pas de
valeur juridique, il est intéressant de remarquer que la solution est ici présentée de manière
globale comme ayant fait l’objet de deux analyses successives de la CEDH et de la CJUE,
alors pourtant que l’arrêt de Cour de justice ne s’exprime pas de manière explicite sur ce
point dans son arrêt. La circulation de la situation en cause d’une institution à l’autre est
constatée comme un phénomène de nature à expliquer la posture du juge de Luxembourg,
compte tenu de celle antérieure du juge de Strasbourg. Cela montre, à tout le moins, que les
institutions européennes ont conscience du fait qu’elles peuvent être amenées à traiter de
situations identiques ou proches et que leurs analyses juridiques peuvent, le cas échéant, se
compléter.
Cette forme de circulation de situations d’un espace normatif à un autre devrait connaître de
nouveaux développements avec la perspective de l’adhésion de l’UE à la CESDHLF (art. 6.2
TUE). Pour une analyse systématique et détaillée du phénomène de circulation entre les deux
grandes juridictions européennes dans le contexte précis des crises institutionnelles, voir L.
Sheeck, The Diplomacy of European Judicial Networks in Times of Constitutional Crisis, in
F. Snyder et I. Maher (dir.), The Evolution of the European Courts : Institutional Change and
Continuity – L’évolution des juridictions européennes : changements et continuité, éd.
Bruylant, 2009, p. 17 ; voir également la chronique annuelle de « Jurisprudence européenne
comparée » rédigée depuis 2004 par L. Burgorgue-Larsen à la RDP.
§ 3 – La circulation interniveau des situations
156. La circulation des situations entre les différents contextes d’application du droit
recouvre des scénarios extrêmement hétérogènes. Deux types d’approche peuvent utilement
se compléter : l’intervention de juridictions à différents niveaux (A) ou l’application du droit à
plusieurs niveaux (B).
A- Intervention de juridictions à différents niveaux
157. Considérée au titre d’une application du droit dans différents contextes (national,
international et européen), la circulation des situations a pour premier et principal vecteur le
mode d’intervention des juridictions internationales et régionales qui coexistent avec les
juridictions nationales. La circulation des situations est inscrite, en effet, dans le processus
même d’accès à la plupart des juridictions supranationales, lequel est dominé par le principe
190
de l’exercice préalable ou de l’épuisement des voies de recours internes. Ainsi que l’a fait
observer un auteur, dans certaines hypothèses « le juge interne et le juge international sont
réputés connaître de la même réclamation »1. La situation juridique est soumise
successivement à l’analyse de juridictions placées à des niveaux différents. Ce phénomène de
circulation peut également être observé au niveau européen. La procédure préjudicielle devant
la Cour de justice de l’Union européenne et la requête portée devant la Cour européenne des
droits de l’homme permettent, selon des modalités certes très différentes, de déplacer une
situation juridique d’un juge à un autre. En revanche, le phénomène est beaucoup plus
exceptionnel entre le niveau international et le niveau européen. La Cour de justice de l’Union
européenne défend jalousement le principe de sa compétence exclusive2, de sorte qu’un Etat
membre ne peut, quand l’application du droit de l’Union européenne est en cause, saisir, par
exemple, alternativement la Cour internationale de justice ou la Cour de justice de l’UE. Mais
des cas peuvent exceptionnellement se présenter où une situation est évoquée successivement
devant un juge national, puis à la Cour européenne des droits de l’homme et, enfin, à la Cour
internationale de justice.
Situation – La circulation des situations entre les juges internes et les juges internationaux
et européens
Exemple de circulation entre le juge national et la Cour internationale de justice
Pour illustrer le phénomène de circulation entre le juge national et la Cour internationale de
justice, on peut envisager le cas, par exemple, d’un Etat qui entend exercer la protection
diplomatique sur l’un de ses ressortissants après épuisement des voies de recours internes.
Cette protection diplomatique permet d’ériger la situation interne (par exemple, le recours du
ressortissant devant les autorités de l’Etat étranger qui a pris une mesure à son encontre) en
situation véritablement internationale (par exemple, différend interétatique porté devant la
Cour internationale de justice). Dans une hypothèse de ce type, il est utile de parler de
circulation, dès lors que la légalité de la situation est susceptible d’être discutée, notamment
par référence au droit national, successivement devant une juridiction nationale et une
juridiction internationale. Pour une illustration devant la Cour internationale de justice à
1 M. Forteau, Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou l’un et
l’autre à la fois ?, préc., spéc. p. 101. 2 Entre autres illustrations, voir CJCE, 30 mai 2006, Commission c/ Irlande ( « MOX » ), aff. C-459/03. Voir
dernièrement : CJUE, 8 mars 2011, Projet d’accord sur la juridiction du brevet européen et du brevet
communautaire, avis 1/2009.
191
propos de la légalité d’une mesure nationale d’expulsion et de spoliation : CIJ, 30 novembre
2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo.
Exemple de circulation entre le juge national et la Cour de justice de l’Union européenne
ou la Cour européenne des droits de l’homme
Ce type de circulation des situations est parfaitement banal dans le contexte européen où il
est fréquent qu’une situation de droit interne soit appréciée successivement par le juge
national puis le juge européen (Pour une présentation générale, voir notamment notre
ouvrage, coécrit avec S. Robin-Olivier, Droit européen (Union européenne - Conseil de
l’Europe), PUF, 2me édition 2011, spéc. les titres sur « le juge » et « le droit national »). Il
en va ainsi pour la grande majorité des situations portées devant la Cour européenne des
droits de l’homme après épuisement des voies de recours internes. Il en va également de
même, chaque fois qu’un juge national pose une question préjudicielle à la Cour de justice
de l’Union européenne. Dans ces différentes hypothèses, l’application du droit est
successivement considérée par la juridiction interne puis la juridiction européenne, parfois
avec un retour devant la juridiction nationale, en cas de saisine de la juridiction européenne à
titre préjudiciel ou en cas de réexamen de la situation devant le juge interne quand une
procédure est exceptionnellement aménagée au niveau national (voir, en matière pénale :
art. 626-1 et s. du Code de proc. pén. relatifs au « réexamen d'une décision pénale consécutif
au prononcé d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme »). La figure de la
circulation permet ainsi de comprendre que les situations peuvent être présentées
successivement à des juges différents, de rang national et européen.
Cette possibilité de circulation est de nature à influencer fortement le travail des juges
nationaux, désireux d’anticiper, au stade qui est le leur, une saisine potentielle du juge
européen. C’est ainsi que l’on peut essayer de lire l’arrêt « Banque Africaine de
Développement » (Cour de cassation, ch. soc., 25 janv 2005, pourvoi n° 04-41012) que nous
avons déjà présenté (voir supra, n° xxx). Dans cette affaire où l’immunité de juridiction
d’une organisation internationale était remise en cause, on se souvient que le juge français a
rejeté l’immunité en intégrant à son ordre public international un droit d’accès au juge
potentiellement consacré par une CESDHLF qui n’était pourtant pas opposable à
l’organisation internationale. Cette solution est critiquable au regard des constructions de
droit international public, notamment du règlement des conflits de conventions (voir en
particulier, l’analyse de M. Forteau, L’ordre public « transnational » ou « réellement
international », JDI 2011, spéc. p. 17, note 57 ; sur cette critique voir nos développements
infra, n° xxx). Mais elle trouve potentiellement son explication dans la figure de la
circulation des situations. Si la Cour de cassation a intégré à son ordre public international
une solution de la CESDHLF, c’est peut-être qu’elle a voulu anticiper une requête présentée
192
contre la France pour non-respect, dans cette affaire, du droit au juge, tel que consacré
notamment par la CESDHLF. Autrement dit, si, formellement, l’application du traité
instituant l’organisation internationale ne pouvait être exclue du fait de l’application de la
convention européenne, nos juges nationaux ont fait en sorte que leur décision soit, à tout le
moins, conforme aux prescriptions de la convention européenne afin d’anticiper un éventuel
grief de violation de la CESDHLF devant la Cour de Strasbourg. Cette analyse, dont on
ignore si elle reflète précisément l’état d’esprit du juge de cassation dans cette affaire,
s’appuie sur le constat que la situation présentée au juge français pouvait être amenée à
circuler devant le juge européen. Quand cette circulation n’est pas de nature à remettre en
cause sa solution, le juge national peut être indifférent au phénomène de circulation. C’est
sans doute ce qui a animé la Cour de cassation dans une affaire concernant une autre
organisation internationale, où elle a estimé que le droit d’accès au juge n’était pas remis en
cause par le traité de siège de l’organisation (i.e. qui l’institue et la régit), de sorte qu’il
n’était pas nécessaire de soulever une contrariété à l’ordre public international, le juge
français allant jusqu’à préciser que l’organisation n’avait pas adhéré à la CESDHLF (Cour
de cassation, soc. 11 fév. 2009, pourvoi n° 07-44240, UNESCO).
Exemple de circulation du niveau national vers le niveau européen : une décision
nationale annulant un titre européen de propriété intellectuelle
L’UE a créé la marque communautaire (Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, 20 déc. 1993,
sur la marque communautaire, remplacé par le Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du
26 février 2009, préc.) qui constitue un titre unique et unitaire de protection pour l’ensemble
de l’Union européenne (voir supra, n° xxx). Cette marque est délivrée par une administration
européenne : l’Office d’harmonisation du marché intérieur situé à Alicante (OHMI). Un
tribunal national a notamment le pouvoir d’annuler une marque communautaire jugée non
valide (articles 95 et suivants du Règlement (CE) n° 207/2009, préc.). La décision nationale
d’annulation produit un effet pour l’ensemble de l’UE. Elle fait d’ailleurs l’objet d’une
publicité au niveau européen. Une circulation juridique européenne de la décision nationale
est organisée par le texte de manière à éviter que des décisions nationales contradictoires
soient rendues sur la validité du titre européen de propriété intellectuelle. Voir sur ce thème :
A. Heymann, Le juge de la marque communautaire, Thèse de l’Université de Paris X -
Nanterre et de l’Université de Genève, décembre 2004.
Exemple de circulation entre le juge national, européen et international
Une décision récente de la Cour internationale de justice offre l’occasion d’illustrer
l’hypothèse où une situation a été successivement évoquée devant une justice nationale puis,
sur requête, devant la Cour européenne des droits de l’homme et, enfin, devant la CIJ, dans
le cadre d’un conflit interétatique. Dans une affaire relative à l’immunité de juridiction et
193
d’exécution dont bénéficierait l’Allemagne, s’agissant d’actions en réparation et en
recouvrement intentées par les ayants droit de victimes de massacres perpétués par l’armée
allemande en territoires étrangers durant la seconde guerre mondiale, différentes procédures
ont été introduites au niveau national (actions des ayants droit devant des juridictions
italiennes, grecques et allemandes), européen (requête présentée devant la CEDH par des
ayants droit s’étant vu opposer une immunité de l’Etat allemand par les juridictions grecques
et allemandes, requête jugée irrecevable : CEDH, 12 décembre 2002, Req. n° 59021/00,
Kalogeropoulou et autres c. Grèce et Allemagne) et international (conflit entre l’Italie,
requérante et l’Allemande en défense, la Grèce agissant comme partie intervenante : CIJ, 3
fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce
(intervenant). Même si la situation présentée successivement devant ces trois juges (en
l’espèce, le massacre ayant eu lieu le 10 juin 1944 dans le village de Distomo en Grèce, voir
l’arrêt § 30 à 36) est un élément parmi de nombreux autres du contentieux exposé dans le
cadre de l’affaire présentée devant la CIJ et même si, l’ensemble des procédures n’ont pas
fait l’objet d’un traitement aux trois niveaux national, international et européen, le fait
qu’elle illustre bien un phénomène de circulation entre les différents niveaux d’application
du droit et que les acteurs en présence, notamment les juges, en ont de plus en plus
conscience. C’est pourquoi la Cour internationale de justice dans cette affaire, décide pour la
deuxième fois de son histoire de faire référence à la jurisprudence de la CEDH (pour la
première affaire en ce sens : CIJ, 30 novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo -
Guinée c. République démocratique du Congo, préc.).
158. Doit être considérée à part, l’hypothèse d’une circulation entre un mode alternatif de
règlement des différends et un mode étatique. L’exemple le plus remarquable est celui des
rapports entre l’arbitrage international et la justice d’Etat(s).
Situation – La circulation des situations entre l’arbitrage international et la justice étatique
L’exemple de l’arbitrage commercial international
Dans le contexte commercial international, l’arbitrage est une justice privée qui a ses
particularités. Il a même été proposé de considérer qu’il constituait son propre monde
juridique (un « ordre juridique arbitral » pour reprendre l’expression d’un auteur : E. Gaillard
in (notamment) : Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, Académie de
droit international de La Haye, 2008, p. 60 et s.). Que l’on adhère ou non à cette thèse, le fait
est que l’arbitrage international fonctionne largement en dehors de tout ressort étatique (pour
une thèse récemment soutenue en ce sens : F. Grisel, L’arbitrage international ou le droit
contre l’ordre juridique, Fondation Varenne, coll. des thèses, 2011). Cette spécificité est
généralement justifiée par les besoins du droit du commerce international ou du droit
194
international des investissements qui requièrent que les Etats desserrent, dans ce contexte,
l’étau qu’ils peuvent être amenés à exercer traditionnellement sur les activités économiques
dans l’environnement national, que les Etats sont ou non directement parties aux opérations.
Cette justice privée internationale est régulièrement confrontée à la justice étatique. La
rencontre des deux justices est d’ailleurs aménagée par des règles définies notamment au
niveau national. Dans le contexte français, le Code de procédure civile consacre tout à un
titre à la question (Livre IV - Titre II : Chapitre Ier : La convention d'arbitrage international
(Articles 1507 à 1508) - Chapitre II : L'instance et la sentence arbitrales (Articles 1509 à
1513) - Chapitre III : La reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales rendues à
l'étranger ou en matière d'arbitrage international (Articles 1514 à 1517) - Chapitre IV : Les
voies de recours - Section 1 : Sentences rendues en France (Articles 1518 à 1524) - Section
2 : Sentences rendues à l'étranger (Article 1525) - Section 3 : Dispositions communes aux
sentences rendues en France et à l'étranger (Articles 1526 à 1527). La réception des
sentences arbitrales internationales dans l’ordre juridique français y est très précisément
encadrée. Cette réception s’opère par voie de circulation : la sentence arbitrale, extérieure à
l’ordre juridique français, y pénètre par une voie notamment institutionnelle et la question se
pose potentiellement de sa reconnaissance par un juge relevant de cet ordre juridique
national.
B – Application du droit à plusieurs niveaux
159. Le mode juridictionnel et donc institutionnalisé de circulation des situations entre les
contextes national, international et européen d’application du droit n’est pas le seul qu’il faille
envisager. D’autres modes, plus diffus, sont susceptibles d’exister. Ces modes ont une
dimension très abstraite. Ils désignent la représentation mentale que le juriste peut se faire de
la possibilité de déplacer l’examen d’un cas d’un niveau national, international ou européen à
un autre, sans qu’il existe nécessairement, comme dans les hypothèses précédentes, un
vecteur institutionnel qui permette le passage d’un niveau à l’autre.
Ce déplacement intellectuel du juriste s’opère, le plus souvent, par la question de savoir
comment une méthode ou une solution juridique conçue dans un contexte peut être appliquée
à un autre niveau. La circulation est ici synonyme d’application. Elle désigne la situation où
un droit défini dans un contexte est mis en œuvre à un autre niveau. Cette situation présente
une différence de nature avec les phénomènes d’application des droits à l’intérieur de chaque
niveau. Pour décrire l’application de la loi étrangère, les rapports d’application entre les
normes de droit international ou de droit européen, le juriste n’a pas besoin de recourir à
l’image de la circulation, sauf hypothèses concrètes de circulation que nous avons
195
précédemment identifiées (voir supra, n° xxx). Dans la mesure où il demeure enfermé dans un
seul et même niveau d’application du droit, nous avons vu, en effet, qu’il ne changeait pas
d’environnement juridique. Il s’agit toujours pour lui d’appliquer un droit défini à un seul et
même niveau : national, international ou européen. Il en va différemment dans les hypothèses
qui nous intéressent ici d’application interniveau où le juriste est conduit à passer d’un
environnement juridique à un autre, à circuler d’un environnement à l’autre.
160. Pour les besoins de la présentation, on peut distinguer deux grandes séries
d’hypothèses. Une première hypothèse recouvre la question de l’application du droit
international ou européen dans le contexte national et, inversement, la question de
l’application du droit national dans le contexte international ou européen.
Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau national et
international ou européen
L’exemple des discussions théoriques sur la réception du droit international et européen
dans les ordres juridiques nationaux (monisme, dualisme, pluralisme) et la question de
l’existence d’une circulation
La question de la réception du droit international et européen dans les ordres juridiques
nationaux est parfaitement connue et identifiée. Elle a fait l’objet d’une opposition entre
deux grandes thèses, la thèse moniste qui milite en faveur d’une réception immédiate du
droit international et européen en droit interne et la thèse dualiste qui requiert qu’un acte
formel de réception soit adopté au niveau national pour autoriser l’application du droit
international et européen. Les deux thèses coexistent dans le monde, y compris au sein de
pays parties à un même espace juridique régional du type de ceux que nous connaissons en
Europe (Union européenne ou, plus modestement, Conseil de l’Europe). L’opposition entre
ces deux approches mérite néanmoins d’être fortement relativisée (M. Virally, "Sur un pont
aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes", Mélanges Rolin, Pedone
1964, 488 ; voir plus récemment, militant en faveur une lecture irréductiblement dualiste du
système juridique français présenté généralement comme moniste : A. Pellet, Vous avez dit
« monisme » ? Quelques banalités de bon sens sur l’impossibilité du prétendu monisme
constitutionnel à la française, publié in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de
Michel Troper, Economica, 2006, 827 ; M. Troper, Le pouvoir constituant et le droit
international, Recueil des cours de l’Académie de droit constitutionnel, 2007, vol. XVI, 357)
d’autant qu’il a été montré que ni l’une ni l’autre n’étaient à même d’expliciter l’ensemble
des rapports entre les systèmes juridiques (D. Boden, Le pluralisme juridique en droit
international privé, Arch. de Philo du droit 2006, t. 49, Le pluralisme, 275).
196
Ces discussions ne sont pas inintéressantes au regard du thème de la circulation. Quel que
soit le mode de raisonnement qu’il adopte, plutôt moniste ou plutôt dualiste (avec leurs
nombreuses variantes), le juriste ne peut faire totalement abstraction du dédoublement des
systèmes juridiques en présence : l’un au niveau international ou européen, l’autre au niveau
national. Pour rendre compte de ce dédoublement, la figure intellectuelle de la circulation est
parfois utile. Le droit international et le droit européen ont vocation à être appliqués par le
système juridique dont ils sont issus. Ils demeurent des droits « étrangers » dans le contexte
national. L’hypothèse d’une circulation soulève la question de savoir si l’application du droit
international et européen dans le contexte national est ou non tributaire de l’application qui
en est faite dans le système international ou européen. Dans l’affirmative, la figure de la
circulation est utile. Dans la négative, elle ne sert à rien (pour de plus amples
développements sur ce thème, voir infra, n° xxx, Partie 3).
Exemples de circulation du niveau national vers le niveau international : l’application
d’un droit national évaluée dans un contexte de droit international ou européen
La circulation ne s’opère pas à sens unique. Même si elle est encore assez peu présentée sous
cet angle, elle peut être observée du niveau national vers le niveau international ou européen.
Ce phénomène est particulièrement marqué dans les domaines où une juridiction
internationale ou européenne est amenée à se prononcer sur la compatibilité de l’application
d’un droit interne avec les solutions du droit international et européen. Dans cette hypothèse,
est en cause la mise en œuvre d’un droit national dans un contexte de droit international ou
européen. Le juge est parfois conduit alors à examiner la manière dont le droit national
perturbe dans l’ordre international ou européen les solutions établies.
Le domaine où cette circulation est sans doute le plus visible concerne le droit des libertés
économiques. L’ordre international a créé un vaste espace de libre-échange doté de règles et
institutions propres (les accords OMC et l’organe de règlement des différends). Il en va a
fortiori de même pour l’ordre juridique de l’Union européenne et ses institutions (notamment
la Commission et la Cour de justice) qui, depuis plus de soixante ans, ont poussé la logique
d’intégration jusqu’à la construction d’un marché intérieur européen. Ces deux espaces
juridiques fonctionnent chacun à leur niveau. Il est possible de les considérer en tant que tels,
c’est-à-dire abstraction faite de la question précédemment évoquée de leur réception dans les
ordres juridiques nationaux. Cela ne veut pas dire que le droit national n’occupe aucune une
place en leur sein. Chaque fois, en effet, qu’un droit national définit des solutions juridiques
potentiellement incompatibles avec le niveau international ou européen, une institution
internationale ou européenne peut être conduite à s’interroger sur l’impact exercé à son
niveau par l’application d’un droit « étranger », en l’occurrence du droit national d’un Etat
membre. Pour décrire le processus ici à l’œuvre, la figure de la circulation juridique est
197
parfois utile. L’application du droit national est examinée à l’aune des constructions du droit
international et européen de manière à déterminer si ces derniers la tolèrent ou, au contraire,
la juge incompatible. La question peut ainsi se poser de savoir si l’application du droit
national est une entrave aux échanges mondiaux ou régionaux, incompatibles avec les règles
du commerce mondial ou du marché intérieur européen. De multiples exemples existent.
Voir pour une étude approfondie, centrée sur cette question de l’application du droit national
dans le contexte international ou européen : S. Bhuiyan, National Law in WTO Law -
Effectiveness and Good Governance in the World Trading System, Cambridge University
Press, 2007 ; L. Azoulai (dir.), L’entrave dans le droit du marché intérieur, éd. Bruylant,
2011.
Un autre exemple : la circulation mondiale de modèles contractuels inspirés par la
pratique des juristes internationaux et leur application dans des contextes nationaux
différents
Un programme de recherche international, dirigé par le Professeur G. Cordero-Moss de
l’Université d’Oslo, s’est donné pour ambition d’analyser la circulation mondiale de clauses-
types tirées de la pratique des juristes internationaux. Les processus utilisés et, surtout, les
effets produits par la circulation de ces modèles, notamment quand ils sont confrontés au
regard du juge européen ou des juges nationaux, ont ainsi été passés en revue. Ils révèlent
une grande diversité de solutions, fragilisant ainsi le mythe qu’un modèle contractuel, fût-il
dominant dans la vie des affaires internationales, puisse déployer ses effets de manière
strictement égale dans des environnements juridiques différents (systèmes de Common Law
et systèmes romano-germaniques notamment). Pour le résultat publié de cette recherche : G.
Cordero-Moss (ed), Boilerplate Clauses, International Commercial Contracts and the
Applicable Law : Common Law Contract Models and Commercial Transactions Subject to
Civilian Governing Laws, , Cambridge University Press, 2011, 403 p.
161. La seconde hypothèse est celle, plus récemment travaillée par les juristes, d’une
circulation entre le niveau international et européen. Nous l’avons déjà relevé à différentes
reprises, les méthodes et solutions du droit international pénètrent le niveau européen
d’application du droit de manière croissante. La réciproque est plus rare.
Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau international
et européen
Exemples de circulation juridique du niveau international vers le niveau européen : les
phénomènes d’imbrication et de mimétisme
Deux grands phénomènes, déjà évoqués et sur lesquels nous reviendrons, caractérisent cette
propension des méthodes et solutions du droit international à circuler dans le contexte
198
européen (Union européenne et Conseil de l’Europe). Le premier est un phénomène
d’imbrication entre les différentes sources. Le second porte sur des cas de mimétisme des
méthodes et solutions en présence.
Ces deux phénomènes nous intéressent dans la mesure où ils illustrent bien la figure de la
circulation juridique. L’imbrication suppose, nous l’avons vu (voir supra, n° xxx), qu’un
droit construit à un niveau soit associé dans sa mise en œuvre à un droit construit à un autre
niveau pour produire un effet potentiellement différent de celui préexistant à chacun des
niveaux. Quant aux mimétismes, ils révèlent une porosité très forte entre les différents droits
et, en particulier, une aptitude du droit européen à être appliqué par référence aux outils et
interprétations du droit international dont il s’inspire largement. La relation entre les deux
droits est souvent complexe, le droit européen marquant volontiers son autonomie par
rapport au droit international (sur cette autonomisation du droit européen comprise comme
une forme de hiérarchisation, voir infra, Partie 3). Mais l’influence exercée par le droit
international sur le droit européen n’en est pas moins réelle, illustrant ainsi une forme de
circulation juridique entre les espaces normatifs.
L'activité jurisprudentielle des deux grandes cours européennes regorge d'exemples. À s'en
tenir à la seule jurisprudence rendue entre 2007 et 2009 par les deux grandes juridictions
européennes (CJUE et CEDH), on observe que les cas de circulation juridique du droit
international dans le contexte du droit européen prolifèrent (liste extraite de la Chronique sur
les interactions du droit international et européen, JDI 2009, 903). Voir, par exemple, pour le
droit de l'ONU (CEDH, 31 mai 2007, n° 71412/01, Behrami et Behrami c/ France et n°
78166/01, Saramati c/ France, Allemagne et Norvège. - CJCE, 3 sept. 2008, aff. C-402/05 et
C-415/05, Kadi et Al Barakaat), le droit de l'OMC (CEDH, 2 août 2006, n° 8112/02, de Luca
c/ France. - CJCE, 9 sept. 2008, aff. C-120/06 P et C-121/06 P, FIAMM), le droit de
l’UNESCO (CEDH, 13 nov. 2007, n° 57325/00, D. H. e. a c/ République thèque. - CJCE, 5
mars 2009, aff. C-222/07, UTECA), le droit de l’OIT (CJCE, 11 déc. 2007, aff. C-438/05,
Viking et 18 déc. 2007, aff. C-341/05, Laval. - CEDH, 12 nov. 2008, n° 34503/97, Demir et
Baykara c/ Turquie, préc.) ou le droit de l’OMPI (CEDH, 11 janv. 2007, n° 73049/01,
Anheuser-Busch c/ Portugal. - CJCE, 17 avr. 2008, aff. C-456/06, Peek & Cloppenburg).
Pour une approche d’ensemble du phénomène, voir notamment : L. Burgorgue-Larsen, E.
Dubout, A. Maitrot de la Motte et S. Touzé (dir.), Les interactions normatives : droit de l’UE
et droit international, éd. Pedone, 2012 ; M. Benlolo-Carabot, E. Cujo et U. Candas (dir.),
Union européenne et droit international, éd. Pedone, coll. CEDIN, 2012 ; M. Delmas-Marty,
Les forces imaginantes du droit, T2. Le pluralisme ordonné (traduit en anglais par N.
Norberg : Ordering Pluralism : A Conceptual Framework for Understanding the
Transnational Legal World, Hart, 2009), L. Gautron et L. Grard (dir.), Droit international et
199
droit communautaire : perspectives actuelles : Pedone, 2000 ; J. Wouters, A. Nollkaemper,
E. de Wet (ed.), The Europeanisation of International Law, TMC Asser Press, 2008
162. Le cas opposé d’une application du droit européen dans le contexte international
demeure exceptionnel. Le droit international rechigne à accueillir dans l’espace général et
global qui est le sien, les applications du droit européen dont le particularisme est doublement
marqué par sa dimension régionale et occidentale. Mais le cas se présente parfois. Nous
donnerons un exemple.
Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau international
et européen
Exemple de circulation juridique du niveau européen vers le niveau international : la
participation de l’Union européenne aux travaux de l’Organisation des Nations Unies
L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 10 mai 2011 une résolution 65/276 sur
la « Participation de l’Union européenne aux travaux de l’Organisation des Nations Unies.
Ce texte prend acte des modifications apportées par le traité de Lisbonne du 13 décembre
2007 aux traités européens en vigueur quant à, notamment, la représentation extérieure de
l’Union européenne (art. 21 et suivants du Traité sur l’Union européenne). Sans que l’on
puisse parler ici de « transposition internationale d’une disposition européenne », l’idée qui a
animé l’Assemblée générale des Nations Unies a bien été de permettre une mise en œuvre
des modifications institutionnelles apportées au niveau européen dans le cadre international
des Nations Unies. La figure de la circulation peut être à nouveau mobilisée pour expliquer
ce type de démarche intellectuelle. Le droit européen est étranger au droit des Nations Unies
mais cela n’interdit pas à ce dernier de considérer la présence institutionnelle d’une Union
européenne amenée à se présenter - c’est-à-dire à circuler - dans son espace international.
200
Section 2 – L’existence d’une contrainte de circulation
163. La circulation s’inscrit dans une démarche générale consistant pour le juriste à
rechercher l’ensemble des ressources juridiques pertinentes en définissant ce que l’on peut
appeler un « cadre juridique de référence » (§1). Cette recherche traduit potentiellement
l’existence d’une contrainte de circulation, spécialement dans l’hypothèse où un droit est
invocable alors qu’il n’est pas applicable (§2).
§ 1 - La définition d’un cadre juridique de référence
164. L’expression « cadre juridique de référence » et ses dérivés (« cadre de référence » ou,
plus modestement, « cadre juridique ») sont assez fréquemment utilisés en droit européen. La
Cour de justice de l’Union européenne et, dans une moindre mesure, la Cour européenne des
droits de l’homme, l’emploient pour désigner le contexte juridique – européen mais aussi
national ou international – dans lequel s’insère la question de droit qui leur est posée.
Situation – La définition par les juges d’un cadre juridique de référence
Exemples en jurisprudence européenne
La Cour de justice de l’Union européenne se réfère de manière quasi-systématique au
« cadre juridique » et, plus exceptionnellement, « cadre de référence » (pour un exemple :
CJUE, 8 déc. 2011, Ziebell, aff. C-371/08, spéc. § 78) qui forme une sorte de préalable à son
analyse juridique. La pratique est courante dans les arrêts rendus à titre préjudiciel. Sont
ainsi signalés en tête de décision, les droits potentiellement applicables, qu’ils soient de
source nationale, internationale ou européenne. Voir, à titre d’exemple, CJCE, 9 septembre
2009, Budĕjovický Budvar, národní podnik, aff. C-478/07, qui vise, au titre du droit
international, l’arrangement de Lisbonne du 31 octobre 1958, concernant la protection des
appellations d’origine et leur enregistrement international, au titre du droit communautaire
au Règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des
indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées
alimentaires et au titre du « droit national » (sic), une convention bilatérale conclue le 11 juin
1976 entre la République d’Autriche et la République socialiste tchécoslovaque relatif à la
protection des indications de provenance, des appellations d’origine et des autres
appellations indiquant la provenance de produits agricoles et industriels.
La Cour européenne des droits de l’homme adopte une pratique similaire, ne serait-ce que
pour préciser le contexte réglementaire national, international et européen dans lequel
s’insère la violation alléguée à la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales. L’expression « cadre de référence » a d’ailleurs été
201
employée dans un arrêt remarqué (CEDH, Grande Chambre, 12 nov. 2008, Demir &
Baykara c./ Turquie, Req. n° 34503/97 : « la Cour n'a jamais considéré les dispositions de la
CEDH comme l'unique cadre de référence dans l'interprétation des droits et libertés qu'elle
contient. Au contraire, elle doit également prendre en considération toute règle et tout
principe de droit international applicables aux relations entre les Parties contractantes (voir
les arrêts Saadi, précité, § 62 ; Al-Adsani, précité, § 55 ; Bosphorus Hava Yolları Turizm ve
Ticaret Anonim Şirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande, no 45036/98, § 150, CEDH 2005-
VI ; voir également l'article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne) ».
165. Cette pratique des deux grandes juridictions européennes trouve un certain écho dans
le contexte international et national. On sait que la Convention de Vienne de 1969 sur le droit
des traités a inscrit, au titre des directives d’interprétation, un principe « d’interprétation
systémique » selon lequel il doit être tenu compte du contexte des traités, et en particulier de
« toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties »
(article 31 § 3 c. de la Convention1 ; comparer article 293 de la Convention des Nations unies
sur le droit de la mer de 1982). Quant au droit national, il peut, par différents moyens, inviter
le juriste à mobiliser l’ensemble des fondements juridiques susceptibles d’alimenter son
raisonnement. Par exemple, une règle nationale peut faire peser sur un avocat l’obligation
professionnelle de procéder à une telle recherche ou sur un juge de relever d’office l’ensemble
des règles juridiques applicables à un différend.
Situation – La définition par les juges d’un cadre juridique de référence (suite)
Exemples en jurisprudence internationale et nationale
Les juridictions internationales n’utilisent pas, à notre connaissance, l’expression « cadre
juridique de référence » ou ses dérivés. Mais la recherche du droit applicable y est une
préoccupation naturelle, recherche qui peut conduire l’institution internationale à se référer,
outre au droit international applicable, à un droit régional, voire à un droit national. On en
veut, pour exemple, un arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ, 30 novembre 2010,
Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo) qui, après
avoir appliqué le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre
1966, a fait référence la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin
1981 et aux dispositions constitutionnelles nationales (voir également, depuis : CIJ, 3 fév.
1 Pour une analyse approfondie et renouvelée de cette disposition, voir J. Cazala, Le rôle de l’interprétation des
traités à la lumière de toute autre « règle pertinente de droit international applicable entre les parties » en tant que
« passerelle » jetée entre systèmes juridiques différents, in H. Ruiz Fabri et L. Gradoni (dir.), La circulation des
concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation, éd. Sté de
législation comparée, 2009, p. 95.
202
2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce,
intervenant ; CIJ, 19 juin 2012, qui a statué sur le volet indemnisation de l’affaire Ahmadou
Sadio Diallo, préc..
Ces pratiques des juridictions européennes et, dans une moindre mesure, internationales ont
manifestement inspiré nos juges nationaux, notamment nos cours supérieures. En dépit du
format laconique de leur décision, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation n’hésitent pas à
multiplier les visas aux sources nationales, internationales et européennes. Voir, à titre
d’exemple, Conseil d'État, 11 mars 2011, Req. 324071, qui vise successivement la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour
des ressortissants algériens et de leurs familles, la convention internationale relative aux
droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 et différents textes de droit français.
La référence aux deux conventions multilatérales est intéressante dans cette affaire : la
Convention de New York permet au Conseil d’Etat d’exercer sa censure au nom de l’intérêt
de l’enfant ; la CESDHLF est l’occasion pour lui de rappeler que les atteintes à la vie privée
et familiale doivent satisfaire à une exigence de proportionnalité. Comparer, Cour de
cassation, ch. soc., 16 février 2011, pourvoi n° 10-60.189 10-60.191 qui débute par le visa
suivant : « Vu les articles 3 et 8 de la convention n° 87 de l'Organisation internationale du
travail (OIT), 4 de la convention n° 98 de l'OIT, 5 de la convention n° 135 de l'OIT, 11 et 14
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, 6 de la Charte sociale européenne, 11 de la Charte des droits fondamentaux
de l'Union européenne et L. 2122-1, L. 2122-2 et L. 2143-3 du code du travail ». Dans cette
affaire, la décision d’un tribunal d’instance est censurée pour avoir vu, pêle-mêle, dans
l’ensemble de ces textes internationaux et européens, une cause de non-application de la loi
nouvelle française soumettant à une condition de représentativité, les syndicats susceptibles
de participer à des élections de représentants des salariés. Il ressort, en effet, de l’arrêt et du
moyen annexé que l’un de ces instruments n’était pas applicable à cette situation et que les
autres n’étaient pas contredits par le dispositif législatif français. En visant tous ces textes, la
Cour de cassation assume pleinement son contrôle de l’absence de violation de la loi, toutes
lois nationales internationales ou européennes confondues. Pour une analyse critique de la
pratique judiciaire (en matière sociale) consistant à se référer tous azimuts aux sources
internationales et européennes, voir S. Robin-Olivier, European Legal Method from a French
Perspective. The Magic of Combination : Uses and Abuses of the Globalisation of Sources
by European Courts, in U. Neergaard, R. Nielsen and L. Roseberry (eds), European Legal
Method - Paradoxes and Revitalisation, Djøf, Conpenhagen 2011, spéc. p. 307 ; voir
203
également, B. Teyssié (dir.), L’articulation des normes en droit du travail, Ed. Economica,
2011, spéc. p. 223 et s.
§ 2 - La contrainte d’un droit invocable bien que non applicable
166. Cette recherche de l’ensemble des ressources juridiques pertinentes s’inscrit rarement
dans une démarche purement volontaire, juridiquement non contraignante1. Le juriste, qu’il
soit juge ou avocat, par exemple, n’est pas totalement libre de faire son marché comme il
l’entend dans un droit mondialisé. Il subit, en effet, de multiples contraintes2. Or, parmi ces
contraintes, il en est une qui lui impose de procéder à une recherche délibérément ouverte du
« cadre juridique de référence » : c’est la circulation des situations juridiques. Chaque fois que
le juriste placé dans un contexte d’application du droit sait que la situation qu’il doit
appréhender est susceptible d’être déplacée dans un autre contexte (soit qu’elle provienne
d’un autre contexte, soit qu’elle migre vers un autre contexte), il est amené à prendre en
compte le droit applicable dans ces différents environnements. C’est dans cette perspective
que s’inscrit, notamment, la définition d’un cadre juridique de référence.
167. Pour mettre en exergue cette relation de contrainte entre la définition du cadre
juridique de référence et la circulation des situations juridiques, il faut appréhender des
situations sans aucun doute exceptionnelles où un droit issu d’un système juridique peut être
invoqué dans un autre système juridique alors qu’il n’y est pas a priori applicable. Cette
distorsion entre l’applicabilité de la norme et son invocabilité3 montre que la circulation
juridique d’une situation d’un système à un autre peut être vécue par le juriste comme une
contrainte forte qui l’oblige à prendre en compte les effets produits par un droit national,
international ou européen étranger qui n’a pourtant pas de titre à s’appliquer dans le système
juridique d’accueil.
168. Cette forme tout à fait singulière de circulation juridique existe au niveau national.
C’est ainsi que l’on peut lire, par exemple, le mécanisme juridique de la reconnaissance ou
encore la question des effets produits par les lois de police étrangères.
1 Pour une analyse critique de ce type de démarche, voir P. Brunet, L’articulation des normes – Analyse critique
du pluralisme ordonné, in J.-B. Auby, L’influence du droit européen sur les catégories du droit public, Dalloz
2010, 194. 2 M. Troper, V. Champeil-Desplats, Ch. Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, Bruylant –
LGDJ, 2005. 3 Sur ces deux notions prises séparément, voir supra, n° xxx, les éléments de définition et d’illustration exposés
en Partie 1.
204
Situation – Circulation juridique au niveau national et distorsion entre le droit applicable
et le droit invocable
L’exemple (à nouveau) de la reconnaissance
Le mécanisme de la reconnaissance des actes judiciaires ou extrajudiciaires publics
étrangers, dont l’extension aux situations juridiques constituées à l’étranger est parfois
préconisée (voir notamment, supra, n° xxx les références notamment aux différents travaux
de P. Lagarde), procède d’une certaine manière d’une dissociation entre le droit applicable et
le droit invocable. Si l’on admet son existence, la reconnaissance permet, en effet,
d’invoquer dans un Etat B, les effets juridiques d’un acte ou d’une situation, quel que soit le
droit qui lui a été appliqué dans l’Etat A. Or il se peut que les règles appliquées dans l’Etat A
ne soient pas celles qui auraient été appliquées pour les actes ou les situations du même type
dans l’Etat B. Par exemple, un Etat B accepte de faire produire un effet juridique à une
décision de divorce prononcée dans l’Etat A selon la loi d’un pays qui n’aurait pas été
appliquée dans l’Etat B. Autre exemple, un Etat B accepte de faire produire un effet
juridique à l’acte de création du personne morale enregistré dans un Etat A, alors que les
règles de l’Etat B ne permettent pas la création d’une personne morale de ce type. C’est
l’intérêt du mécanisme de la reconnaissance que de permettre l’invocabilité dans un Etat B,
des effets produits par l’application d’un droit dans un Etat A, alors que ce droit n’est pas
applicable dans cet Etat B. Cette invocabilité n’est pas le fruit d’une démarche purement
volontaire ou fantaisiste. Elle est rendue possible et obligatoire parce que le droit pose une
règle selon laquelle une circulation juridique de certains actes et de certaines situations doit
s’opérer entre l’Etat A et l’Etat B. Cette règle de circulation, qui, elle, s’applique
incontestablement dans l’Etat B, prend ici la forme d’une règle de reconnaissance et permet
d’y invoquer le bénéfice d’un droit sans que soit vérifiée sa propension à s’appliquer dans cet
Etat B.
L’exemple de l’effet produit par les lois de police étrangères
Un arrêt remarqué de la Cour de cassation française a été l’occasion d’alimenter la
discussion doctrinale sur la possibilité d’appliquer et d’invoquer devant un juge national une
loi de police étrangère (Com., 16 mars 2010, pourvoi n° 08-21511 ; sur l’arrêt rendu après
renvoi, voir Ph. Delebecque, RTDCom 2012, 217). Dans cette affaire, la question s’est posée
de savoir si le juge français devait tenir compte d’un embargo décrété par le Ghana sur la
viande bovine d'origine française pour se prononcer sur la validité d’un contrat de transport
afférant à des marchandises de ce type. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui a
décidé « que l'embargo décrété unilatéralement par l'Etat du Ghana sur la viande bovine
d'origine française n'a pas de force obligatoire (…), qu'au regard de la loi applicable la cause
des contrats de transport ne remplit aucune des conditions énoncées par l'article 1133 du
205
code civil français et qu'en conséquence c'est à tort que le transporteur maritime soutient
qu'en raison de l'embargo, la cause de ces contrats n'est pas licite » aux motifs qu’il
appartenait à la Cour de l’appel « de déterminer (…) l'effet pouvant être donné à la loi
ghanéenne invoquée devant elle ».
Cette motivation est intéressante, dès lors qu’elle laisse ouverte la discussion sur la manière
de « donner effet » à la loi de police étrangère. Ainsi que l’a notamment rappelé un auteur
(voir, avec les nombreuses références citées, les explications de P. Deumier, La loi de police
étrangère : une possibilité que le juge a l’obligation d’envisager, RDC 2010, 1385), cette
expression vise potentiellement deux possibilités : celle de « l’application » pure et simple de
la loi de police étrangère et celle de la « prise en considération » de cette loi de police lors de
l’application de la loi française régissant le contrat de transport. Cette prise en considération
de la loi de police étrangère illustre le cas d’une norme qui peut être invoquée dans une
relation contractuelle sans pour autant avoir vocation à s’appliquer à cette relation. Cette
invocabilité sans applicabilité est notamment discutée à l’occasion de la mise en œuvre des
règles européennes de droit international privé (art. 7§1 de la Convention n° 80/934/CEE de
Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles du 19 juin 1980 et, dans une
formule plus restrictive, art. 9§3 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et
du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles « Rome I » ;
comparer art. 17 du Règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du
11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles « Rome II » ; art. 10
Règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une
coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de
corps « Rome III »).
169. Mais cette hypothèse nous intéresse surtout dans le contexte européen et international.
Une situation peut utiliser différents vecteurs pour circuler d’un système international ou
européen à l’autre. L’invocabilité fait partie de ces vecteurs qui permettent de tenir compte
d’un droit qui n’est pourtant pas applicable.
Considérons, pour commencer, le niveau européen, où le phénomène est le plus développé.
Situation – Circulation juridique au niveau européen et distorsion entre le droit applicable
et le droit invocable
Un exemple historique : l’invocabilité de la CESDHLF devant la Cour de justice des
Communautés européennes
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, qui occupe une place de choix dans l’actuel Traité sur l’Union européenne
206
(article 6 TUE), a pendant longtemps été totalement absente des dispositions des traités
relatifs aux différentes Communautés européennes (avant l’Acte unique européen de 1986
(préambule) et surtout, avant le Traité de Maastricht de 1992 (art. 6 TUE)). Cela n’a pas
empêché les plaideurs de l’invoquer très tôt devant la Cour de justice, laquelle a considéré,
dès 1974, « que les instruments internationaux concernant la protection des droits de
l'homme auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré peuvent (…) fournir des
indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire » (CJCE,
14 mai 1974, Nold, aff. 4/73). Cette « prise en compte » de la CESDHLF alors qu’elle ne
liait en aucune manière les Communautés européennes s’est progressivement renforcée à
partir du moment où tous les États membres ont été liés par cette Convention (CJCE, 18 juin
1991, ERT, aff. C-260/89). La Convention s’est imposée, au fil des affaires soumises à la
Cour, comme une référence essentielle pour le droit des droits de l’homme de l’Union
européenne (par exemple, CJCE, 5 oct. 1994, TV10, aff. C-23/93).
Cette jurisprudence illustre une invocabilité croissante de la CESDHLF alors pourtant que
cette convention ne deviendra objectivement applicable au sein de l’Union européenne que
le jour où cette dernière aura effectivement adhéré à la Convention (cette adhésion a été
programmée par le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er déc. 2009, elle fait
actuellement l’objet d’une négociation). L’invocabilité a été utilisée comme un outil
permettant de faire circuler une situation interne à l’ordre juridique communautaire dans des
espaces normatifs nationaux (ceux des Etats membres) soumis à la convention européenne
qui demeure, pour quelque temps encore, formellement étrangère au système de l’Union
européenne. Cette circulation est très utile. Elle anticipe, on le verra, un autre processus de
circulation : l’impact exercé par les décisions de la Cour de justice sur les ordres juridiques
nationaux désireux de soumettre la construction européenne à un impératif de protection des
droits fondamentaux.
Des exemples plus récents : l’invocabilité devant les juridictions européennes
d’instruments internationaux multilatéraux ou bilatéraux étrangers aux systèmes
juridiques européens
La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne offre des illustrations plus
récentes où des instruments internationaux multilatéraux ou bilatéraux sont invoqués devant
elle alors qu’ils ne lient pas, formellement ou matériellement, l’Union européenne ou, avant
elle, les Communautés européennes. Différents exemples existent.
Un premier exemple, signalé à deux reprises dans cet ouvrage, concerne le droit des
transports. L'arrêt Bogiatzi (CJCE, 22 oct. 2009, aff. C-301/08) illustre, en effet, le cas où la
Cour de justice considère qu’un règlement communautaire doit être appliqué en tenant
compte des prescriptions d’une convention internationale qui ne fait pourtant pas partie de
207
l’ordre juridique de l’Union européenne (sur cet arrêt, voir nos développements supra, n°
xxx et n° xxx). Elle a donc accepté que la convention internationale soit invoquée devant elle
en vue de produire des conséquences juridiques alors même que ce texte n’est pas
objectivement applicable. Cette distorsion entre la non-applicabilité de la Convention et son
invocabilité témoigne de l’existence d’une contrainte que le juge a dû prendre en compte.
Cette contrainte peut-être libellée dans ce cas de la manière suivante : la convention
internationale fait partie du cadre juridique de référence du contrat de transport en cause dans
cette affaire, la réglementation européenne ayant pris appui sur ce cadre juridique pour
construire ses solutions propres, elle doit être appliquée en tenant compte de la convention
internationale.
Un deuxième exemple concerne le droit de la protection sociale. Dans un important arrêt
Gottardo (CJCE, 15 janv. 2002, aff. C-55/00), la Cour de justice a eu à connaître de la
question de savoir si le droit européen, notamment le principe d’égalité (actuel article 18
TFUE), autorisait une ressortissante française à invoquer le bénéfice d’une convention
bilatérale conclue entre la Suisse et l’Italie, permettant aux ressortissants de ces deux pays de
cumuler les cotisations versées sur ces deux territoires pour faire valoir leur droit à la
retraite. En répondant que « les autorités de sécurité sociale compétentes d'un premier État
membre [Italie] sont tenues, conformément aux obligations communautaires leur incombant
(…) de prendre en compte, aux fins de l'acquisition du droit à prestations de vieillesse, les
périodes d'assurance accomplies dans un pays tiers [Suisse] par un ressortissant d'un second
État membre [France] lorsque, en présence des mêmes conditions de cotisation, lesdites
autorités compétentes reconnaissent, à la suite d'une convention internationale bilatérale
conclue entre le premier État membre et le pays tiers, la prise en compte de telles périodes
accomplies par leurs propres ressortissants », la Cour de justice permet que soit invoquée
devant elle une convention bilatérale entre un Etat membre et un pays tiers, alors qu’il ne fait
aucun doute que cette convention n’est pas applicable dans le système juridique de l’Union
européenne. Ce tandem non-applicabilité/invocabilité permet de rendre compte ici encore du
cadre juridique de référence national et international dans lequel s’insère la question
préjudicielle posée à la Cour de justice, peu important que ce cadre déborde les frontières du
seul droit européen.
Une troisième série d’exemples vise le droit de la propriété intellectuelle qui fait l’objet d’un
nombre important de conventions internationales, nombreuses étant ces conventions qui ne
lient pas l’Union européenne, soit qu’elle ne les ait pas approuvées, soit que l’Union
européenne ne soit pas considérée comme ayant succédé à ses Etats membres dans
l’hypothèse où ces derniers auraient tous adhéré aux instruments en cause. Nombreux sont
les arrêts de la Cour de justice qui illustrent cette aptitude du droit européen à prendre en
208
compte des instruments internationaux qui font partie du cadre juridique de référence de la
matière. Pour une démonstration en ce sens en droit de la propriété industrielle, voir . V. K.
Ben Dahmen, Interactions du droit international et du droit de l’Union européenne :
expression d’un pluralisme juridique rénové en matière de protection de la propriété
industrielle, Ed. L’Harmattan, 1062 p., 2012). Pour une illustration récente dans le domaine
des droits voisins du droit d’auteur : voir CJUE, 15 mars 2012, SCF, aff. C-135/10, où une
juridiction italienne a interrogé, en effet, la Cour de justice sur des difficultés d’interprétation
soulevées à l’occasion d’une affaire opposant une société de perception des droits de
producteurs de phonogrammes et un praticien dentiste ayant refusé de s’acquitter de
redevances relatives à la diffusion d’une musique d’ambiance dans son cabinet médical. Le
différend, qui soulevait une question de principe quant à l’identification du débiteur de ces
droits voisins du droit auteur et donc quant à la nature de l’acte susceptible de déclencher
l’exigibilité du droit, mettait en scène l’application de différents textes. Comme dans les
précédents cas, il s’est agi pour la Cour de justice de fixer le « cadre juridique » de référence
au titre duquel, figurait, outre le droit européen pertinent (essentiellement : Directive
2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit
de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la
propriété intellectuelle, qui a codifié et abrogé la directive 92/100 et, plus accessoirement,
Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur
l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de
l'information) et le droit national applicable à la situation en cause, différents textes
internationaux relatifs à la protection de certains droits de propriété intellectuelle. Sur ce
dernier aspect, qui seul nous intéresse ici dans les jeux d’interaction qu’il nourrit avec le
droit européen, différentes questions ont été posées par la juridiction nationale, notamment :
« 1) La convention de Rome sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des
producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion (1961), l’accord sur les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), qui
constitue l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC -
1994) et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes
(WPPT - 1996) sont-ils d’applicabilité immédiate dans l’ordre juridique communautaire?
2) Ces instruments de droit international sont-ils également immédiatement obligatoires dans
les rapports entre particuliers? 3) Les notions de ‘communication au public’ contenues
respectivement dans les instruments précités de droit international conventionnel coïncident-
elles avec celles contenues dans les directives [92/100] et [2001/29] et, en cas de réponse
négative à cette question, quel texte doit prévaloir? » (arrêt, point, 35). Répondant à cette
série d’interrogations, la Cour de justice décide que « les dispositions de l’accord ADPIC et
du WPPT sont applicables dans l’ordre juridique de l’Union », que « la convention de Rome
209
ne faisant pas partie de l’ordre juridique de l’Union elle n’est pas applicable dans celle-ci,
mais, toutefois, elle y produit des effets indirects; les particuliers ne peuvent se prévaloir
directement ni de ladite convention ni de l’accord ADPIC non plus que du WPPT » et que
« la notion de «communication au public » doit être interprétée à la lumière des notions
équivalentes contenues dans la convention de Rome, l’accord ADPIC ainsi que le WPPT et
de telle manière qu’elle demeure compatible avec lesdites conventions, en tenant compte
également du contexte dans lequel de telles notions s’inscrivent et de la finalité poursuivie
par les dispositions conventionnelles pertinentes en matière de propriété intellectuelle »
(arrêt, point 56). Pour comprendre cette motivation et le recours à la notion « d’effet
indirect », il faut se représenter le contexte réglementaire international dans lequel baigne le
droit européen dérivé en cette matière. L’Union européenne et, avant elle, les Communautés
européennes, n’ont pas adhéré à l’ensemble des instruments internationaux en matière de
propriété intellectuelle, notamment ici la Convention de Rome. Les pays membres de
l’Union européenne n’ont pas tous adhéré auxdits instruments de sorte que la théorie de la
succession des Etats, appliquée à propos du GATT de 1947 par la célèbre jurisprudence
International Fruit Company (CJCE, 12 déc. 1972, aff. 21 à 24/72), n’est pas opérationnelle
ici. Il en résulte que certains instruments internationaux de propriété intellectuelle n’ont pas
d’effet contraignant dans le système juridique de l’Union européenne. N’étant pas
applicables, ils ne devraient pas, en bonne logique, pouvoir être invoquées. Or la Cour de
justice vient ici dire qu’ils produisent malgré tout un « effet indirect ». Pour fonder la nature
de cet effet, on peut raisonner, comme on l’a proposé récemment, en termes d’opposabilité
(K. Ben Dahmen, Interactions du droit international et du droit de l’Union européenne :
expression d’un pluralisme juridique rénové en matière de protection de la propriété
industrielle, préc.). Le traité international ne liant pas formellement l’Union européenne fait
partie d’un ensemble réglementaire auquel se réfère volontiers le droit européen dérivé, de
sorte qu’il produit un effet d’opposabilité au sein de l’Union européenne, notamment quand
il s’agit d’interpréter le droit dérivé européen à la lumière des traités internationaux existants.
Mais on peut également proposer de penser la question en termes de dissociation de
l’applicabilité et de l’invocabilité. Cette dissociation se justifie par le fait que les situations
présentées à titre préjudiciel baignent dans un contexte réglementaire national qui est
potentiellement différent de celui qui existe au niveau européen. Dès lors que les deux
contextes sont compatibles l’un avec l’autre, ce qui est le cas en l’espèce, puisque le droit
européen n’a jamais entendu écarter la convention de Rome, mais au contraire, n’a eu de
cesse de s’appuyer sur elle, la Cour de justice développe cette intelligence de rendre une
interprétation du droit européen qui tienne complètement compte du contexte réglementaire
dans lequel elle sera mise en œuvre par le juge national.
210
170. Mais un phénomène voisin peut être dorénavant observé au niveau international.
Situation – Circulation juridique au niveau international et distorsion entre le droit
applicable et le droit invocable
Un exemple récent : l’invocabilité devant les juridictions internationales d’instruments à
caractère régional
Nous avons déjà eu l’occasion de signaler l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice
dans l’affaire « Diallo » (CIJ, 30 novembre 2010 : comparer également CIJ, 19 juin 2012,
qui statue sur le volet indemnisation de l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, préc). On sait que,
dans cette affaire, la CIJ s’est référée à un droit régional : la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples de 1981 et, dans une moindre mesure, la Convention européenne de
sauvegardes des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 et la Convention
américaine relative aux droits de l’homme de 1969.
L’invocabilité de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981
s’explique sans grande difficulté par le fait qu’elle est applicable dans les deux pays parties à
la procédure (en l’occurrence, la Guinée et la République Démocratique du Congo). Plus
surprenante, en revanche, est la référence faite immédiatement après à la CESDHLF et à la
Convention américaine et à la jurisprudence des deux cours régionales : « La Cour note en
outre que l’interprétation, par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour
interaméricaine des droits de l’homme, de l’article premier du protocole no 7 et de l’article
22, paragraphe 6, respectivement, à la convention (européenne) de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales et de la convention américaine relative aux droits de
l’homme ⎯ dont les dispositions sont proches, en substance, de celles du Pacte et de la Charte
africaine que la Cour applique en la présente espèce ⎯ est en cohérence avec ce qui a été dit,
au paragraphe 65 ci-dessus, à propos de ces dernières dispositions. » (§ 68 du 1er arrêt).
Cette double référence s’analyse d’abord comme une opération de comparaison (sur ce
thème de la comparaison, voir supra, Partie 1). Mais on peut néanmoins se demander, si
derrière cette comparaison, la Cour internationale de justice ne souhaite pas encourager
l’invocabilité de normes régionales dans les différends de cette nature, dès lors qu’une forte
circulation existe entre les jurisprudences des cours régionales statuant dans le domaine des
droits de l’homme et que la CIJ ne souhaite sans doute pas laisser lui échapper totalement le
phénomène. Si tel est son souhait, on observe alors que la circulation s’opère une fois de plus
dans ces cas limites par une dissociation entre l’applicabilité et l’invocabilité.
211
TROISIEME PARTIE – LA HIERARCHISATION DU DROIT NATIONAL,
INTERNATIONAL ET EUROPEEN
171. Les deux étapes de comparaison1 et de combinaison
2 offrent une large palette d’outils
permettant de faire application du droit national, international et européen dans un contexte de
pluralisme juridique mondial.
L’étape de hiérarchisation des droits permet au juriste d’identifier les règles qui occupent une
place dans un système juridique donné. Ce processus peut être considéré de manière
cloisonnée, système par système, dans un contexte national, international et européen. Mais il
a également une dimension dynamique où l’application des constructions hiérarchiques à
différents niveaux conduit à des phénomènes d’interaction.
Chapitre 1 – La hiérarchisation des droits dans les différents contextes
Chapitre 2 – La hiérarchisation des droits et l’application du droit à différents niveaux
1 Voir supra, Partie 1.
2 Voir supra, Partie 2.
212
CHAPITRE 1 – LA HIERARCHISATION DES DROITS DANS LES
DIFFERENTS CONTEXTES
172. Selon le contexte - national, international ou européen - auquel ils appartiennent, les
systèmes juridiques ne présentent pas une égale propension à hiérarchiser les droits en
présence. Les systèmes étatiques offrent les figures hiérarchiques les plus apparentes et les
plus développées, même si elles sont loin d’être parfaites, ainsi que le montre l’exemple du
droit français (Section 1). Le phénomène de hiérarchisation est plus difficile à identifier dans
le contexte international où des éléments de réponse peuvent être recherchés dans le droit
international (Section 2). Le système juridique de l’Union européenne offre un profil
intermédiaire, entre le niveau national et le niveau international (Section 3).
213
Section 1 – La hiérarchisation des droits dans le contexte national : l’exemple du droit
français
173. La hiérarchisation du droit national, international et européen dans le contexte français
est liée au développement de constructions de type « hiérarchie des normes ». Même si ces
dernières, qui ont connu un véritable essor dans la seconde moitié du XXe siècle1, ne
permettent pas de rendre compte de l’ensemble des rapports entre les normes dans le contexte
français2, le fait est qu’elles livrent une large partie des solutions aujourd’hui énoncées à
propos des relations hiérarchiques entre la norme française et le droit international et
européen. Nous les envisagerons en distinguant les hypothèses (§1), les acteurs (§2), les mots
et le moment (§3) de la hiérarchisation.
§ 1 - Les hypothèses de hiérarchisation
174. Les hypothèses de hiérarchisation des droits étudiées dans cette section portent sur les
différentes situations où des droits construits aux niveaux international et européen font
l’objet d’un processus de hiérarchisation au stade de leur mise en œuvre dans le contexte
national. Ces hypothèses ne se présentent pas nécessairement sous le même jour selon
qu’elles intéressent les rapports entre le droit national et le droit international (A) ou entre le
droit national et le droit européen (B).
A - Les rapports entre le droit national et le droit international
175. Comme beaucoup d’autres Etats dans le monde, la France s’efforce de définir dans son
ordre juridique interne les modalités d’application du droit international. Quel que soit le nom
qu’on leur donne (monisme, dualisme et leurs différentes variantes3), ces modalités
s’inscrivent dans un processus de hiérarchisation, chaque fois qu’une place hiérarchique est
1 Voir en ce sens, Ph. Jestaz, Rapport introductif - Survol historique, in G. Teboul et L. Soubelet (dir.), La
hiérarchie des normes, L’Harmattan - collection des travaux de l’association des lauréats de la Chancellerie des
Universités de Paris (ALCUP), à paraître. 2 Pour une approche critique de la conception de la hiérarchie des normes, vue comme l’expression d’un simple
empilement de normes les unes sur les autres à l’intérieur d’un système donné, voir avec les différents travaux
cités, l’analyse synthétique de O. Pfersmann, V° « Hiérarchie des normes », in Dictionnaire de la culture
juridique (dir. D. Alland et S. Rials), éd. PUF 2003, p. 779. Pour une approche en termes de principe
hiérarchique conçu comme un simple mode de résolution des conflits de normes, P. Puig, Hiérarchie des
normes : du système au principe, RTDCiv. 2001, 749. 3 Sur la relativité et parfois la réversibilité des discussions théoriques sur les approches monistes et dualistes que
suscite notamment le développement dans l’ordre interne de dispositifs régissant de manière plus ou moins
ample, plus ou moins précise les conditions d’application du droit international, voir notamment parmi les études
de références : M. Virally, Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes,
Mélanges offerts à H. Rolin, Pedone, 1964, 488 ; D. Alland, De l’ordre juridique international, Droits 2002, 79.
214
assignée par le droit national au droit international.
En France, cette définition est présente dans la Constitution qui n’envisage cependant qu’une
partie des hypothèses.
1/ Les hypothèses envisagées par la Constitution
176. La Constitution de la Vème République (1958, révisée à de nombreuses reprises)
actuellement en vigueur consacre diverses dispositions aux normes internationales :
Préambule de la Constitution de 1946 (al. 14 et 15 auxquels renvoie la Constitution de 1958)
et Constitution proprement dite (art. 5 al. 2, 11, 16, 52, 53, 53-2, 54, 55).
177. L’une de ces dispositions s'attache à proclamer de manière générale le respect du droit
public international. Il s'agit de la première phrase du 14e alinéa du Préambule de la
Constitution de 1946 selon laquelle : « La République française, fidèle à ses traditions, se
conforme aux règles du droit public international ». En tant que sujet de ce droit, l'État
français traduit ainsi dans l'ordre interne une volonté de se soumettre à l'ordre juridique
international, c'est-à-dire à la force contraignante des règles de droit public international :
respect est dû par la France à ses engagements internationaux et aux règles coutumières
internationales.
178. Cette disposition a une portée essentiellement proclamatrice. C'est pourquoi la
pratique se tourne volontiers vers deux autres dispositions pour mettre en œuvre un
raisonnement de type « hiérarchisation » du droit national et international.
179. La première disposition porte sur la procédure de révision constitutionnelle en cas de
conclusion d’un accord international incompatible avec celle-ci.
Situation – Le processus de révision de la Constitution, préalable à l’entrée en vigueur d’un
traité international incompatible
Exemple de mise en œuvre de l’article 54 de la Constitution (1958)
Selon l’article 54 de la Constitution, « Si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de
la République, par le Premier Ministre, par le Président de l'une ou l'autre assemblée ou par
soixante députés ou soixante sénateurs , a déclaré qu'un engagement international comporte
une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement
international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution ».
Cet article définit une procédure destinée à prévenir l’hypothèse d’un conflit entre la norme
constitutionnelle et la norme nationale. Il ne pose pas, à proprement parler, une règle
hiérarchique, puisqu’il ne dit pas quoi, du traité ou de la loi fondamentale nationale, doit
215
l’emporter. En revanche, il hiérarchise bien deux processus - la révision de la constitution et
l’approbation ou ratification du traité - en plaçant le premier avant le second.
Notre constituant (le parlement réuni en congrès ou le peuple invité à se prononcer par voie
référendaire) peut ainsi être amené à modifier la loi fondamentale de manière à permettre
l’application d’une disposition de droit international qui lui serait contraire. On trouve une
illustration dans la Loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999 insérant, au titre VI de la
Constitution, un article 53-2 et relative à la Cour pénale internationale (CPI), permettant
ainsi la ratification du traité. Le Conseil constitutionnel avait notamment considéré que les
dispositions du traité de Rome sur la CPI qui permettent au procureur de procéder à certains
actes d'enquête, notamment de recueillir les dépositions de témoins et d'inspecter un site
public, hors la présence des autorités judiciaires françaises compétentes et sans qu'aucune
circonstance particulière ne soit exigée, étaient de nature à porter atteinte aux conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Le choix a donc été fait d’insérer dans la
Constitution une formule générale (une autre solution aurait consisté à modifier
substantiellement le contenu des dispositions existantes de la Constitution), permettant la
ratification dudit traité, et de modifier ensuite des textes internes de manière à permettre la
mise en œuvre de ce traité (voir notamment : Loi n° 2002-268 du 26 février 2002 relative à
la coopération avec la Cour pénale internationale ; Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant
adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, déclarée conforme à
la Constitution par la Conseil constitutionel, Décision 2010-612 DC, 5 août 2010). Sur le
choix de cette option, voir les explications proposées dans le Rapport de M. Alain Vidalies,
au nom de la Commission des lois, n° 1501, Assemblée Nationale, 2 avril 1999.
180. La seconde disposition constitutionnelle française est relative aux rapports entre les
traités internationaux et les lois nationales.
Situation – L’affirmation d’une supériorité des traités internationaux sur les lois nationales
Exemple de mise en œuvre de l’article 55 de la Constitution (1958)
L’article 55 de la Constitution de 1958 énonce que : « Les traités ou accords régulièrement
ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous
réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».
Cette disposition est tout à la fois riche et pauvre de sens. Riche, dès lors qu’elle prévoit
l'insertion matérielle automatique de la norme internationale dans l'ordre juridique français
alors que, dans le système antérieur à la Constitution de la Vème République, un acte de
promulgation du traité, véritable ordre d'exécution émanant du Président de la République
par voie de décret, était nécessaire (sur les modalités d’insertion formelle des traités et
accords internationaux subsistant malgré tout en droit français, voir supra les explications, n°
216
xxx). Mais surtout elle pose une règle hiérarchique entre ces traités et accords internationaux
et la loi (« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle des lois ») sous réserve de réciprocité (« sous
réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie »).
Cette règle hiérarchique a alimenté une jurisprudence nationale restée célèbre sur le rapport
de supériorité que les traités internationaux entretiennent sur les lois. S’il n’a jamais été
sérieusement contesté que les traités ont une valeur supérieure aux lois nationales qui leur
sont antérieures, la question s’est posée du jeu de la théorie de la « loi-écran », selon laquelle
une loi postérieure à un traité international pourrait avoir pour effet de le contredire (faisant
en quelque sorte « écran » entre le traité antérieur et la Constitution). Après avoir été
ménagée (Cour de cassation, Civ. 4 fév. 1936, S. 1936 1.257, note Raynaud - cet arrêt étant
connu sous le nom du conseiller Matter - minimisant autant que possible le conflit loi / traité
en donnant de la loi une interprétation qui soit la plus conforme au traité), cette thèse a été
progressivement mais formellement contredite par les juridictions judiciaires puis
administratives françaises.
L’apport des jurisprudences françaises « Jacques Vabre » et « Nicolo »
C’est le juge, judiciaire (Cour de cassation, Ch. mixte, 24 mai 1975, aff. Cafés Jacques
Vabre, pourvoi n° 73-13556), puis administratif (Conseil d’Etat, Ass. 20 oct. 1989, aff.
Nicolo, Req. n° 108243) qui, par leur interprétation de l’article 55 de la Constitution, ont
donné au principe de supériorité du traité international sur la loi nationale, fût-elle
postérieure, l’importance qu’on lui connaît en droit positif actuel.
Livrons de larges extraits de ces deux décisions.
Dans l’arrêt Jaques Vabre, la Cour de cassation a décidé notamment que : « (…) sur le
deuxième moyen : attendu qu'il est de plus fait grief a l'arrêt d'avoir déclare illégale la taxe
intérieure de consommation prévue par l'article 265 du code des douanes par suite de son
incompatibilité avec les dispositions de l'article 95 du traité du 24 mars 1957, au motif que
celui-ci, en vertu de l'article 55 de la constitution, a une autorité supérieure à celle de la loi
interne, même postérieure, alors, selon le pourvoi, que s'il appartient au juge fiscal
d'apprécier la légalité des textes réglementaires instituant un impôt litigieux, il ne saurait
cependant, sans excéder ses pouvoirs, écarter l'application d'une loi interne sous prétexte
qu'elle revêtirait un caractère inconstitutionnel ; que l'ensemble des dispositions de l'article
265 du code des douanes a été édicté par la loi du 14 décembre 1966 qui leur a conféré
l'autorité absolue qui s'attache aux dispositions législatives et qui s'impose à toute juridiction
française ; mais attendu que le Traité du 25 mars 1957, qui, en vertu de l’article susvisé de la
constitution, a une autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique propre
intégré à celui des Etats membres : qu’en raison de cette spécificité, l’ordre juridique qu’il
217
crée est directement applicable aux ressortissants de ces Etats et s’impose à leurs
juridictions ; que, dès lors, c'est à bon droit, et sans excéder ses pouvoirs, que la cour d'appel
a décidé que l'article 95 du traité devait être appliqué en l'espèce, a l'exclusion de l'article 265
du code des douanes, bien que ce dernier texte fût postérieur ; d’où il suit que le moyen est
mal fondé ; (…) ».
Dans l’arrêt Nicolo (préc.), le Conseil d’Etat a estimé notamment que : « (…) Vu la
Constitution, notamment son article 55 ; Vu le Traité en date du 25 mars 1957, instituant la
communauté économique européenne ; Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 ; (…) Sur les
conclusions de la requête de M. Z... : Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi n° 77-
729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants à l'Assemblée des communautés
européennes "le territoire de la République forme une circonscription unique" pour l'élection
des représentants français au Parlement européen ; qu'en vertu de cette disposition
législative, combinée avec celles des articles 2 et 72 de la Constitution du 4 octobre 1958,
desquelles il résulte que les départements et territoires d'outre-mer font partie intégrante de la
République française, lesdits départements et territoires sont nécessairement inclus dans la
circonscription unique à l'intérieur de laquelle il est procédé à l'élection des représentants au
Parlement européen ; Considérant qu'aux termes de l'article 227-1 du traité en date du 25
mars 1957 instituant la Communauté Economique Européenne : "Le présent traité s'applique
... à la République française" ; que les règles ci-dessus rappelées, définies par la loi du 7
juillet 1977, ne sont pas incompatibles avec les stipulations claires de l'article 227-1 précité
du traité de Rome (…) ».
Bien que rendus à propos de l’application des traités de droit européen (sur ce point, voir les
analyses infra, n° xxx), ces deux arrêts ont été largement reçus par les juristes comme deux
revirements de jurisprudence. Avant ces décisions, le juge ordinaire français se refusait à
apprécier la conformité de la loi à un traité international quand cette loi était postérieure au
traité international. L’une des justifications de cette analyse était la suivante : c’est la loi
(lato sensu) française qui permet l’introduction d’un traité international dans le système
juridique français ; ce que la loi fait, une autre loi peut le défaire ; si une loi postérieure au
traité le contredit, elle s’applique seule. Dorénavant, avec les jurisprudences « Jacques
Vabre » et « Nicolo », le raisonnement s’affirme en termes de supériorité du traité
international sur la loi. Ce dernier prend clairement appui sur une règle hiérarchique que l’on
pourrait formuler ainsi : le traité international est, en vertu de l’article 55 de la Constitution
française, supérieur à la loi ; toute loi contraire à un traité international, qu’elle lui soit
antérieure ou postérieure, doit donc être écartée par le juge ordinaire.
181. Les applications de l’article 55 de la Constitution française n’ont pas soulevé de
grandes difficultés s’agissant des rapports de hiérarchie entre la norme internationale et les
218
actes de l'exécutif.
Situation – L’affirmation d’une supériorité des traités internationaux sur les actes
réglementaires
Un exemple en jurisprudence française
La supériorité des traités internationaux sur les actes réglementaires français est appréhendée
comme un cas de supériorité de la loi sur ces mêmes actes réglementaires, même si le traité
et la loi n’ont pas la même valeur juridique. Un texte réglementaire est donc susceptible
d’être annulé ou écarté chaque fois qu’il est contraire à un traité international invocable par
le requérant. Pour une illustration remarquée, à propos du droit au logement opposable, voir,
Conseil d’Etat, Ass., 11 avril 2012, aff. GISTI, Req. n° 322326 : « Considérant que les
stipulations d'un traité ou d'un accord régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne
conformément à l'article 55 de la Constitution peuvent utilement être invoquées à l'appui
d'une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l'application
d'une loi ou d'un acte administratif incompatibles avec la norme juridique qu'elles
contiennent, dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent directement se
prévaloir ; (…) ; Considérant que l'article 6-1. de la convention internationale du travail n°
97 du 1er juillet 1949 concernant les travailleurs migrants, régulièrement ratifiée, et publiée
par le décret du 4 août 1954, publié au Journal officiel de la République française du 7 août
1954 , stipule que : " Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur
s'engage à appliquer, sans discrimination de nationalité, de race, de religion ni de sexe, aux
immigrants qui se trouvent légalement dans les limites de son territoire, un traitement qui ne
soit pas moins favorable que celui qu'il applique à ses propres ressortissants en ce qui
concerne les matières suivantes : / a) dans la mesure où ces questions sont réglementées par
la législation ou dépendent des autorités administratives : (...) / iii) le logement (...) / d) les
actions en justice concernant les questions mentionnées dans la convention ; " que l'article 11
de la convention définit le travailleur migrant comme la personne qui émigre d'un pays vers
un autre en vue d'occuper un emploi autrement que pour son propre compte ; que
l'engagement d'appliquer aux travailleurs migrants un traitement qui ne soit pas moins
favorable que celui appliqué aux ressortissants nationaux en matière de droit au logement et
d'accès aux procédures juridictionnelles permettant de faire valoir ce droit ne saurait être
interprété comme se bornant à régir les relations entre Etats et, ne requérant l'intervention
d'aucun acte complémentaire pour produire des effets, se suffit à lui-même ; que, par suite,
les stipulations précitées peuvent utilement être invoquées à l'encontre du décret attaqué ;
que celui-ci n'est pas compatible avec ces stipulations en tant, d'une part, qu'il subordonne le
droit au logement opposable de certains travailleurs migrants au sens de cette convention à
219
une condition de résidence préalable de deux ans sur le territoire national qui ne s'applique
pas aux ressortissants nationaux, d'autre part, qu'il exclut de son champ d'application des
titres de séjour susceptibles d'être attribués à des personnes pouvant avoir la qualité de
travailleur migrant au sens de cette convention, tels que les travailleurs temporaires ou les
salariés en mission (…) ».
2/ Les hypothèses non explicitement prévues par la Constitution
182. La Constitution n’envisage qu’une partie des hypothèses susceptibles de nourrir une
approche des rapports entre le droit national et le droit international en termes de hiérarchie.
Des hypothèses de conflits, réels ou supposés, ont fait naître des cas que les autorités et juges
français ont dû appréhender par un travail d’interprétation.
Ces cas ont concerné, tout d’abord, l’hypothèse spectaculaire d’un conflit entre le droit
international et la norme constitutionnelle française.
Situation – La supériorité conférée aux engagements internationaux et la suprématie des
dispositions de nature constitutionnelle
Les jurisprudences françaises « Sarran », « Levacher » et « Fraisse »
L’incompatibilité entre la Constitution française et un traité international régulièrement entré
en vigueur en France n’a jamais été constatée à ce jour par une juridiction ordinaire française
(sur le traitement de cette incompatibilité par le Conseil constitutionnel à un stade antérieur à
la ratification ou approbation du traité international, voir supra, n° xxx). C’est peu dire
qu’elle fait couler beaucoup d’encre, les juristes se passionnant volontiers pour cette figure
particulièrement remarquable du conflit de normes. Les juges français ne sont pas restés
sourds à ces développements doctrinaux (qu’ils alimentent d’ailleurs largement). Par des
arrêts remarqués, les plus hautes juridictions de l’ordre administratif et judiciaire ont tenu à
affirmer la suprématie de la Constitution nationale sur les normes de droit international.
S’agissant du Conseil d’Etat, cet énoncé résulte des jurisprudences Sarran et Levacher
(Conseil d’État, Ass., 30 oct. 1998, Req. nos
200286 et 200287) : « (…) Considérant que
l'article 76 de la Constitution ayant entendu déroger aux autres normes de valeur
constitutionnelle relatives au droit de suffrage, le moyen tiré de ce que les dispositions
contestées du décret attaqué seraient contraires aux articles 1er et 6 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen, à laquelle renvoie le préambule de la Constitution ou à
l'article 3 de la Constitution ne peut qu'être écarté ; Considérant que si l'article 55 de la
Constitution dispose que "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès
leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou
220
traité, de son application par l'autre partie", la suprématie ainsi conférée aux engagements
internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature
constitutionnelle ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en ce qu'il
méconnaîtrait les stipulations d'engagements internationaux régulièrement introduits dans
l'ordre interne, serait par là même contraire à l'article 55 de la Constitution, ne peut lui aussi
qu'être écarté ; Considérant que si les requérants invitent le Conseil d'Etat à faire prévaloir
les stipulations des articles 2, 25 et 26 du pacte des Nations unies sur les droits civils et
politiques, de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales et de l'article 3 du protocole additionnel n° 1 à cette
convention, sur les dispositions de l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988, un tel moyen ne
peut qu'être écarté dès lors que par l'effet du renvoi opéré par l'article 76 de la Constitution
aux dispositions dudit article 2, ces dernières ont elles-mêmes valeur constitutionnelle ;
Considérant enfin que, dans la mesure où les articles 3 et 8 du décret attaqué ont fait une
exacte application des dispositions constitutionnelles qu'il incombait à l'auteur de ce décret
de mettre en oeuvre, ne sauraient être utilement invoquées à leur encontre ni une
méconnaissance des dispositions du code civil relatives aux effets de l'acquisition de la
nationalité française et de la majorité civile ni une violation des dispositions du code
électoral relatives aux conditions d'inscription d'un électeur sur une liste électorale dans une
commune déterminée ».
S’agissant de la Cour de cassation, la solution a été libellée dans le fameux arrêt Fraisse
(Cour de Cour de cassation, Ass. plén., 2 juin 2000, pourvoi nos
99-60274) : « (…) Attendu,
ensuite, que l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 a valeur constitutionnelle en ce
que, déterminant les conditions de participation à l'élection du congrès et des assemblées de
province de la Nouvelle-Calédonie et prévoyant la nécessité de justifier d'un domicile dans
ce territoire depuis dix ans à la date du scrutin, il reprend les termes du paragraphe 2.2.1 des
orientations de l'accord de Nouméa, qui a lui-même valeur constitutionnelle en vertu de
l'article 77 de la Constitution ; que la suprématie conférée aux engagements internationaux
ne s'appliquant pas dans l'ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle, le moyen
tiré de ce que les dispositions de l'article 188 de la loi organique seraient contraires au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté (…) ».
Que faut-il penser de ces formules choisies par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation dans
le contexte, particulier, de la constitution du corps électoral sur un territoire (Nouvelle-
Calédonie), bénéficiant d’une large autonomie de gouvernement, d’un pouvoir législatif
partielle propre et dont le devenir obéit à un processus - en cours - d’autodétermination ?
Dans les trois affaires, les actes réglementaires ou législatifs contestés étaient supportés par
221
une disposition constitutionnelle spéciale, dérogatoire des règles ordinaires (art. 76 de la
Constitution). Ils avaient donc une base constitutionnelle spécifique que le juge ordinaire
s’est refusé à remettre en cause, au motif, non examiné en l’espèce, d’une violation d’un
engagement international. Les juges français ont estimé, en effet, que la présence d’une
disposition constitutionnelle spéciale se suffisait à elle-même en quelque sorte, sans qu’il soit
besoin d’examiner si les textes internes - réglementaires ou législatifs - pris pour son
application sont ou non conformes à un engagement international. La présence d’une
disposition constitutionnelle spécifique fait purement et simplement obstacle au contrôle de
conventionnalité. Ce raisonnement ne doit pas surprendre. On peut le représenter sous la
forme d’une allégorie : nos juges rendent la justice dans des maisons (les « palais de
justice ») ; ils tirent l’existence et la légitimité de leur pouvoir de la Constitution qui vient
comme coiffer d’un toit la maison qui les abrite ; les juges ordinaires - qui ne peuvent
redéfinir les contours la toiture, contrairement à au juge constitutionnel - ont donc pour
réflexe naturel de préserver le toit qui les protège, sauf à vouloir s’aventurer hors du cadre
institutionnel dans lequel ils ont été placés, ce qui est parfois juridiquement possible, nous le
verrons : voir infra, n° xxx, l’hypothèse où le juge ordinaire a préféré saisir la Cour de
justice de l’UE d’une question préjudicielle que de transmettre une QPC au Conseil
constitutionnel). En l’occurrence, les juges se sont contentés d’appliquer une règle
constitutionnelle spéciale (article 76 de la Constitution), en écartant la mise en œuvre d’une
règle constitutionnelle générale (article 55 de la Constitution) au nom d’une « suprématie »
de la Constitution dans l’ordre interne.
183. Des cas, présentés devant nos juges français ont également porté sur la place
respective du droit national et du droit coutumier international.
Situation – La question des rapports de hiérarchie entre le droit national et le droit
coutumier international
De quelques exemples en jurisprudence française
La Constitution française se contente d’une référence générale aux règles de droit public
international (14éme alinéa du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie la
Constitution de 1958), sans distinction entre elles. Son article 55 (préc.) ne dit rien des
rapports entre le droit coutumier et le droit interne français. Dans le silence des textes, c’est à
la jurisprudence qu’il est revenu de faire une application de la coutume et de poser, parfois,
les jalons d’une approche hiérarchique quand les circonstances des espèces le permettaient.
Le Conseil constitutionnel n’a guère eu véritablement l’occasion de se prononcer sur ce
point, dès lors qu’il s’interdit d’examiner la conformité de la loi au droit international (sur
222
l’articulation des rôles entre les différents juges de l’ordre juridique français, voir infra, n°
xxx).
Le Conseil d’Etat manifeste une volonté claire de ne pas étendre à la coutume internationale,
la règle de supériorité des traités sur la loi énoncée dans la Constitution : « (…) qu'aux
termes de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 : "Les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle
des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie" ;
que ni cet article ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni
n'implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas
de conflit entre ces deux normes ; qu'ainsi, en écartant comme inopérant le moyen tiré par M.
X... de la contrariété entre la loi fiscale française et de telles règles coutumières, la cour
administrative d'appel, qui a également relevé que la coutume invoquée n'existait pas, n'a pas
commis d'erreur de droit (…) » (Conseil d’Etat, Ass. 6 juin 1997, Aquarone, Req. n°
148683 ; comparer : Conseil d'Etat, 28 juillet 2000, Req. n° 178834, évoquant également les
« principes généraux du droit international »). Cela ne veut pas dire que le juge administratif
ne fait aucune application de la coutume internationale (voir, notamment, pour des
applications récentes : Conseil d’Etat, Ass., 9 juill. 2010, Req. n° 317747, Mme Souad
Chériet-Benseghir ; Conseil d'État, 14 octobre 2011, Mme Om Hashem Saleh et autres, Req.
n° 329788 ea) mais seulement qu’il se refuse à raisonner par analogie avec les traités sur la
question particulière des rapports de hiérarchie entre la loi interne et la coutume
internationale.
Quant à la Cour de cassation, elle n’a jamais eu, à notre connaissance, à trancher d’un conflit
direct entre la loi interne et la coutume internationale, au sens du droit international public.
Si elle s’est référée, dans plusieurs décisions (souvent de manière maladroite), aux principes
généraux du droit international, c’est pour en faire une application ordinaire, aux côtés de la
loi (voir, par exemple, Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 6 octobre 1983, pourvoi
n° 83-93.194, aff. Barbie), sans jamais considérer que cette application pouvait être
concurrente ou, à tout le moins, équivalente (voir, par exemple, en matière pénale, refusant
de considérer que la coutume internationale peut servir de fondement à une poursuite en
l’absence de texte interne : Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 17 juin 2003, pourvoi
n° 02-80.719, aff. Aussaresses). En droit privé, la question a été également discutée à propos
de l’aptitude du droit coutumier transnational (de type lex mercatoria, sur laquelle, voir
supra n° xxx) à régir seul les contrats du commerce international par substitution d’un droit
étatique ou interétatique. Même si une valeur juridique a été reconnue à ce droit
transnational, spécialement dans le contexte de l’arbitrage international qui s’y réfère
volontiers, notre droit positif applicable en France demeure attaché à la soumission du
223
contrat à un droit de source étatique, interétatique ou européenne, soit à titre principal,
comme droit régissant normalement le contrat (Cour de cassation, ch. civ., 21 juin 1950, aff.
Messageries maritimes, RCDIP 1950, 609 note H. Batiffol ; Règlement (CE) n 593/2008 du
Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations
contractuelles (Rome I), motifs 13 à 15 et art. 3), soit comme correctif, au nom de la
conception française de l’ordre public international (voir, sur l’action en annulation intentée
devant le juge français à l’encontre d’une sentence arbitrale, art. 1520 du CPC). Il n’est donc
par permis de voir dans ce droit transnational - fût-il de nature coutumière (ce qui reste
discuté) - un droit supérieur au droit de source interne français.
184. Des solutions ont également été dégagées s’agissant des rapports entre le droit national
et le droit dérivé international.
Situation – La question des rapports de hiérarchie entre le droit national et le droit dérivé
international
De quelques exemples en jurisprudence française
L’expression « droit dérivé international » désigne le droit produit par les organisations
internationales. La valeur juridique accordée à ce droit est fonction des traités internationaux
qui régissent ces organisations. Dès lors que ces traités lient la France, les dispositions
relatives au droit dérivé international s’appliquent en France dans les mêmes conditions que
les traités eux-mêmes. Il n’y a donc pas de raison de faire de différence entre le sort du traité
aménagé par l’article 55 de notre Constitution et le sort du droit dérivé international : celui-ci
a, comme celui-là, une valeur supérieure aux lois nationales.
Aussi simple qu’elle puisse paraître dans son principe, l’analogie traité-droit dérivé soulève
incontestablement des difficultés d’application devant nos juges. Le cas du droit dérivé de
l’Union européenne mis à part (voir infra, n° xxx), il n’est pas rare, en effet, de voir nos
juridictions se montrer hésitantes ou peu rigoureuses sur les conditions dans lesquelles les
textes de droit dérivé international peuvent être appliqués et invoqués devant elles (sur le
maniement des critères d’applicabilité et d’invocabilité, voir supra, n° xxx). Une chose est,
en effet, d’appliquer une règle constitutionnelle française, posant de manière générale et
abstraite un rapport de hiérarchie entre des textes internationaux et le droit national, une
autre est d’entrer dans le dédale de chaque organisation internationale pour déterminer la
valeur donnée à son droit dérivé et, dans le silence (fréquent) des textes internationaux, de le
pallier par un travail d’interprétation. Plusieurs exemples existent, notamment à propos des
décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui montrent combien il est difficile pour
nos juges nationaux de manier ces instruments de droit dérivé international relevant d’un
système juridique totalement étranger au leur (voir, par exemple, à propos du conflit entre
224
l’Etat Irakien et la Société Dumez : Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 15 juillet 1999,
pourvoir n° 97-19.742, et, en sens contraire, Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 25
avril 2006, pourvoir n° 02-17.344). Pour une analyse de ce type de situation et l’explication
que l’on peut en donner en termes d’application du droit à différents niveaux, voir infra,
cette Partie, Chapitre 2.
B - Les rapports entre le droit national et le droit européen
185. Dans le contexte national, la question se pose de l’existence d’un traitement
différencié du droit européen, spécialement du droit de l’Union européenne, comparé au droit
international dans l’appréhension des rapports hiérarchiques qu’ils entretiennent avec le droit
interne. Sur cette question, les choses ont évolué dans l’environnement juridique français. Si,
pendant longtemps, les acteurs institutionnels ont plutôt joué la carte d’un alignement des
solutions appliquées au droit européen et au droit international, une différenciation s’opère
progressivement dans les textes et la jurisprudence.
1/ Alignement des solutions définies pour le droit international et le droit européen (UE)
186. Même si les grandes solutions dégagées par la jurisprudence française dans la seconde
moitié du XXe siècle sont reçues par la plupart des juristes comme s’appliquant
indistinctement au droit international et européen, il n’est pas inintéressant d’observer qu’elles
ont été échafaudées à partir de situations mettant en scène une confrontation du droit national
et du droit européen (droit des Communautés européennes à l’époque).
Situation – La place du droit européen dans la jurisprudence française
Retour sur les jurisprudences « Jacques Vabre », « Nicolo », « Sarran et Levacher » et
« Fraisse »
Les deux grands arrêts qui ont marqué les principales étapes de processus de hiérarchisation
du droit national et du droit international dans le contexte français ont ceci en commun
d’avoir été rendus à propos de l’application du droit communautaire de l’époque (devenu
droit de l’Union européenne aujourd’hui) : l'arrêt Jacques Vabre (préc.) et l'arrêt Nicolo
(préc.) ont été rendus à propos du Traité de Rome instituant la Communauté économie
européenne (CEE).
Nos juges français ont, semble-t-il, perçu distinctement cette occurrence. Le juge judiciaire
s’est attaché à marquer une spécificité du droit européen par rapport au droit international (il
faut relire en entier l'arrêt Jacques Vabre : « (…) mais attendu que le Traité du 25 mars 1957,
qui, en vertu de l’article susvisé de la constitution, a une autorité supérieure à celle des lois,
institue un ordre juridique propre intégré à celui des Etats membres : qu’en raison de cette
225
spécificité, l’ordre juridique qu’il crée est directement applicable aux ressortissants de ces
Etats et s’impose à leurs juridictions ; que, dès lors, c'est à bon droit, et sans excéder ses
pouvoirs, que la cour d'appel a décidé que (…) ») au point de préciser, dans son arrêt
« Fraisse » (préc.), que dans le différend en cause « (…) le droit de Mlle X... à être inscrite
sur les listes électorales pour les élections en cause n'entre pas dans le champ d'application
du droit communautaire (…) ».
Le juge administratif, quant à lui, n’a pas cherché à singulariser ou, plus modestement, à
distinguer le droit européen du droit international dans sa jurisprudence Nicolo (préc.) et
Sarran et Levacher (préc.). Mais il n’a pas joué non plus franchement, la carte de la
banalisation.
187. Les ouvrages généralistes sur le droit (introduction générale en particulier1) ne
cherchent généralement pas à exploiter ces jurisprudences en termes de singularité du droit
européen par rapport au droit international dans les rapports qu’ils entretiennent avec le droit
interne. Il en résulte une forme de banalisation de la matière qui révèle sans doute un état
d’esprit assez général comme en témoigne la rédaction de certains textes récents.
Situation – La banalisation du droit européen dans les textes
L’exemple de la Constitution de 1958 (avant ses modifications intervenues depuis 1992) et
de la loi organique de 2009 relative à la question prioritaire de constitutionnalité
La Constitution de 1958 n’a intégré des développements propres au droit européen qu’à
partir de 1992 (Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un
titre : "Des Communautés européennes et de l'Union européenne"). Avant cette date, il
n’était question que de droit international ou des traités internationaux.
Cette banalisation du droit international et du droit européen pendant plus de trente ans a
incontestablement imprégné les esprits. En témoigne, la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009, modifiant l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi
organique sur le Conseil constitutionnel. On peut y lire, en effet, dans ses articles 23-2 et 23-
5 que « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la
conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la
Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par
priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour
de cassation » et que « En tout état de cause, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation doit,
lorsqu'il est saisi de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part,
1 Voir, pour deux exemples récents d’ouvrages de référence : F. Terré, Introduction générale au droit, Daloz,
2012, 9ème éd., n° 269 et s. ; P. Deumier, Introduction générale au droit, éd. LGDJ, 2011, n° 327 et s.
226
aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements
internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de
constitutionnalité au Conseil constitutionnel ». Ces textes, qui régissent la procédure de la
question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ne font aucune espèce de distinction selon
que les engagements internationaux de la France relève du droit international ou du droit
européen, alors pourtant, nous le verrons (voir infra, n° xxx) que les contextes sont fort
différents.
188. Ces pratiques peuvent également révéler la volonté d’un certain nombre d’acteurs,
notamment institutionnels, de ne pas s’embarrasser d’un clivage droit international/droit
européen, lequel supposerait que deux corps distincts de solutions soient dégagés en termes de
hiérarchie avec le droit national. En soi, ce choix n’est pas critiquable. Distinguer, sur tous les
sujets, le droit international et le droit européen pour proposer des solutions propres à l’un et à
l’autre, c’est ajouter de la complexité à un sujet déjà difficile. Pour autant, la distinction ne
saurait être totalement refoulée. Elle est, au demeurant, de plus en plus souvent utilisée.
2/ Différenciation des solutions définies pour le droit européen (UE) et pour le droit
international
189. Différents indices montrent qu’une différenciation est de plus en plus souvent opérée
entre le droit international et le droit européen, notamment sur la question des rapports
hiérarchiques qu’ils entretiennent avec le droit interne dans le contexte français. Ces indices
sont aussi bien d’ordre doctrinal, textuel que jurisprudentiel.
Sur un terrain doctrinal, un tournant a été pris relativement récemment.
Situation – L’usage doctrinal de la distinction « droit international - droit européen »
Un tournant en France : « Droit international et droit communautaire : perspectives
actuelle » (1999)
Les travaux de la doctrine mettant en scène, de manière systématique et récurrente, la
distinction « droit international - droit européen », remonte probablement, en France, à la fin
du XXème siècle. Le colloque organisé en 1999 à Bordeaux par la Société française pour le
droit international sur le thème « Droit international et droit communautaire : perspectives
actuelle » (J.-L. Gautron et L. Grard (dir.), éd. Pedone, 2000) l’illustre bien. Depuis, de
nombreuses monographies ont été publiées sur ce thème (outre les études spécialisées dans
tel ou tel domaine, voir notamment les publications transversales suivantes : J. Wouters, A.
Nollkaemper, E. de Wet (ed.), The Europeanisation of International Law, TMC Asser Press,
2008 ; L. Burgorgue-Larsen, E. Dubout, A. Maitrot de la Motte et S. Touzé (dir.), Les
227
interactions normatives : droit de l’UE et droit international, éd. Pedone, 2012 ; M. Benlolo-
Carabot, E. Cujo et U. Candas (dir.), Union européenne et droit international, éd. Pedone,
coll. CEDIN, 2012). Des chroniques généralistes ou spécialisées ont également vu le jour
(par ex., Les interactions du droit international et européen, chronique annuelle, JDI n° 3 de
chaque année, depuis 2009).
190. Cette évolution doctrinale reflète probablement une autre évolution que l’on peut
observer dans les textes.
Situation – La différenciation du droit européen dans les textes
L’exemple du Titre XV et de l’article 53-1 de la Constitution française (1958, telle que
notamment modifiée en 1992, 1993 et 2008)
L'évolution du droit constitutionnel français a été marquée par l’introduction, en 1992, d'un
nouveau titre dans la Constitution de 1958, spécifique au droit européen.
Dans ce titre (modifié à nouveau en 2008), il est énoncé, en effet :
Titre XV - De l'Union européenne
Article 88-1
La République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement
d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union
européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du
traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.
Article 88-2
La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les
institutions de l'Union européenne.
Article 88-3
Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union
européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales
peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent
exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs
sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par
les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article.
Article 88-4
Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au
Conseil de l'Union européenne, les projets d'actes législatifs européens et les autres projets
ou propositions d'actes de l'Union européenne.
228
Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions
européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou
propositions mentionnés au premier alinéa, ainsi que sur tout document émanant d'une
institution de l'Union européenne.
Au sein de chaque assemblée parlementaire est instituée une commission chargée des
affaires européennes.
Article 88-5
Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union
européenne est soumis au référendum par le Président de la République.
Toutefois, par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la
majorité des trois cinquièmes, le Parlement peut autoriser l'adoption du projet de loi selon la
procédure prévue au troisième alinéa de l'article 89.
Article 88-6
L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un
projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. L'avis est adressé par le président
de l'assemblée concernée aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la
Commission européenne. Le Gouvernement en est informé.
Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne
contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est
transmis à la Cour de justice de l'Union européenne par le Gouvernement.
À cette fin, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions,
selon des modalités d'initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée.
À la demande de soixante députés ou de soixante sénateurs, le recours est de droit.
Article 88-7
Par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat,
le Parlement peut s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union
européenne dans les cas prévus, au titre de la révision simplifiée des traités ou de la
coopération judiciaire civile, par le traité sur l'Union européenne et le traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13
décembre 2007.
On trouve également une autre modification apportée en 1993 à la Constitution, spécifique à
la politique européenne d’asile :
Article 53-1
229
La République peut conclure avec les Etats européens qui sont liés par des engagements
identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés
fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des
demandes d'asile qui leur sont présentées.
Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les
autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en
raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un
autre motif.
Ces dispositions introduisent des processus dans la Constitution qui, pour certains d’entre
eux, sont dérogatoires de ceux normalement prévus. Leur mise en œuvre appelle donc de la
part des juristes des développements propres. Par exemple, la participation du Parlement
français au processus législatif européen n’a pas son équivalent dans la Constitution pour
l’adoption des actes de droit dérivé international. De même, notre loi fondamentale fait
clairement le partage entre une politique européenne d’asile, décidée à l’échelon commun de
l’Union européenne, et une politique internationale d’asile menée par la France.
191. Cette modification textuelle n’est pas étrangère à d’importantes évolutions
jurisprudentielles, spécialement sur le terrain de la hiérarchie des normes, même si pour
certaines d’entre elles, elles sont antérieures à la modification des textes français.
Situation – La différenciation du droit européen en jurisprudence
L’exemple du contrôle des actes législatifs ou réglementaires à la lumière du droit dérivé
européen
Le traitement différencié du droit européen et du droit international s’est opéré de manière
presque naturelle s’agissant du droit dérivé. L’importance considérable prise par les
règlements, directives et décisions de l’Union européenne (et avant elle des Communautés
européennes) a conduit le juge français à devoir, très tôt et de manière nécessairement
spécifique (rappelons que la portée du droit dérivé en droit national est fonction du droit
primaire, ici des traités institutifs des Communautés européennes puis de l’Union
européenne), appréhender la question de leurs rapports hiérarchiques avec le droit national.
Le juge administratif a été en première ligne, s’agissant spécialement de contrôler la légalité
des actes réglementaires au regard du droit dérivé européen. On songe, notamment, aux
jurisprudences « Boisdet » (Conseil d’Etat, 24 sept. 1990, Req. n° 58657), « Philip Morris »
et « Rothmans » (Conseil d’Etat Ass. 28 février 1992, Req. n°87753 et n° 56776 - 56777) ou
même « Perreux » (Conseil d’Etat Ass., 30 oct. 2009, Req. n° 298348), ce dernier portant
revirement complet d’une jurisprudence qui a longtemps marqué une résistance du juge
230
administratif à faire produire un plein effet aux directives européennes en présence de
mesures administratives individuelles contraires (Conseil d’Etat, Ass., 22 déc. 1978, Cohn-
Bendit, Req. n° 11604)
Le juge pénal français s’est également fortement mobilisé dans la situation de textes
réglementaires ou législatifs contraires aux exigences du droit dérivé de l’UE (voir, par
exemple, l’analyse panoramique proposée par B. Thellier de Poncheville in Chronique de
jurisprudence judiciaire française intéressant le droit de l’Union européenne (coord. EDIEC),
RTDE 2012, 519, qui a identifié, sur l’année 2011, de nombreuses décisions de la Cour de
cassation refusant d’appliquer une incrimination pénale car contraire au droit européen
dérivé notamment : Cour de cassation, crim, 22 février 2011, n°10-81.359, Publié au bulletin
et n°10-83.767, Inédit ; 20 septembre 2011, n°10-83.649 ; 22 mars 2011, n°10-81.329,
Inédit ; 6 septembre 2011, n°11-81.284, Inédit ; 15 juin 2011, n°10-87.268, Inédit ; 9 février
2011, n°09-88.125, Inédit ; 22 février 2011, n°10-80.721 et n°10-80.723, Inédits ; 7 juin
2011, n°10-84.283, Inédit ; 15 mars 2011, n°10-81.510, Inédit ; 20 juillet 2011, n°10-85.572,
Inédit ; 18 mai 2011, n°10-87.542 ; 9 mars 2011, n°10-80.853, Inédit ; 12 janvier 2011,
n°09-88.580, Inédit ; 21 septembre 2011, n°09-86.657, Inédit ; 5 avril 2011, n° 09-85.470,
Publié au bulletin ; 3 mai 2011, n°10-81.529, Inédit).
Dans une proportion différente, le juge civil français s’est lui aussi attaché à contribuer à
consolider l’édifice en admettant récemment la possibilité pour l’Etat français de voir sa
responsabilité engagée pour le maintien d’une jurisprudence nationale contraire au droit
européen, notamment dérivé (Cour cassation, 1ère
Chambre civile, 26 octobre 2011, 11 arrêts,
pourvois n° 10-24250 à 10-24261).
Ces pratiques nationales encouragent le développement de recherches sur les processus
nationaux de réception du droit européen (J.-S. Bergé et M.-L. Niboyet (dir.), La réception
du droit communautaire en droit privé des États membres, Bruylant, 2003) ou à
« l’émergence d’un droit français de l’intégration européenne » (E. Dubout et B. Nabli,
RFDA 2010, 1021).
L’exemple des principes généraux du droit européen
Un autre point de clivage entre le droit international et le droit européen peut être observé à
propos des principes généraux du droit. S’agissant du droit international coutumier et donc,
notamment, des principes généraux du droit international, nous avons observé que le juge
français était peu enclin à leur faire une place équivalente à celle reconnue par la
Constitution aux traités internationaux dans leurs rapports à la loi (voir supra, nos
explications n° xxx). Une jurisprudence administrative remarquée témoigne du phénomène
inverse à propos des principes généraux du droit européen. Dans sa décision « Syndicat
national de l’industrie pharmaceutique (Conseil d’Etat, 3 déc. 2001, Req. n° 226514), la
231
haute juridiction administrative française a considéré au détour d’un motif que « (…)
qu'ainsi, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir d'une incompatibilité de la loi
servant de support au décret attaqué, d'une part, avec les stipulations des engagements
internationaux qu'ils invoquent, qu'il s'agisse de l'article 10 du traité instituant la
Communauté européenne qui fait obligation aux Etats membres d'assurer l'exécution des
obligations découlant du traité, de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit à un procès équitable, de
l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention relatif au droit de propriété
et, d'autre part, avec des principes généraux de l'ordre juridique communautaire déduits du
traité instituant la Communauté européenne et ayant la même valeur juridique que ce dernier,
qu'il s'agisse du principe de la confiance légitime et du principe de la sécurité juridique
applicables aux situations régies par le droit communautaire, du principe de loyauté qui se
confond d'ailleurs avec le respect de l'article 10 du traité CE ou encore du principe de
primauté, lequel au demeurant ne saurait conduire, dans l'ordre interne, à remettre en cause la
suprématie de la Constitution (…) ». Les principes généraux du droit européen se voient
ainsi reconnaître la même valeur que le traité européen, c’est-à-dire une supériorité sur la loi
interne. Jamais décision équivalente n’a été rendue à notre connaissance s’agissant des
principes généraux du droit international.
L’exemple des avis donnés par le Conseil constitutionnel préalablement à la procédure de
ratification des derniers traités européens (UE)
Si le Conseil constitutionnel français s’était déjà prononcé sur la constitutionnalité de la loi
autorisant la ratification d’un traité européen (Décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992,
à propos de la constitutionnalité de la loi autorisant la ratification du traité de Maastricht sur
l'Union européenne), il a fallu attendre 2004 pour qu’il soit directement saisi d’une demande
d’avis sur la compatibilité de notre loi fondamentale avec un traité européen (Décision
no 2004-505 DC, 19 nov. 2004 : le Traité de Rome (2004) établissant une Constitution pour
l’Europe, non entré en vigueur). Le Conseil constitutionnel a également été saisi, par la suite,
d’une demande similaire pour le Traité de Lisbonne (Décision n° 2007-560 DC du 20
décembre 2007 : Traité de Lisbonne (2007) modifiant le traité sur l'Union européenne et le
traité instituant la Communauté européenne).
La première de ces décisions a été l’occasion pour le Conseil constitutionnel de considérer
que le traité de 2004 « ne modifie ni la nature de l’Union européenne, ni la portée du
principe de primauté du droit de l’Union telle qu’elle résulte (...) de l’article 88-1 de la
Constitution ». Sous ces allures banales, cette formule est riche de deux enseignements :
l’existence d’un principe « hiérarchique » de primauté du droit européen est formulée de
manière réitérée par le Conseil constitutionnel (le nouveau traité européen ne « modifie [pas]
232
la portée du principe de primauté ») ; ce principe est directement rattaché au libellé de
l’article 88-1 de la Constitution française (préc.) qui n’en fait pourtant pas explicitement
mention.
La seconde décision est également intéressante. Le juge constitutionnel français précise, en
effet, le sens et la portée de cet article 88-1 de notre constitution : « 7. Considérant que les
conditions dans lesquelles la République française participe aux Communautés européennes
et à l'Union européenne sont fixées par les dispositions en vigueur du titre XV de la
Constitution, hormis celles du second alinéa de l'article 88-1 qui est relatif au traité
établissant une Constitution pour l'Europe, lequel n'a pas été ratifié ; qu'aux termes du
premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux
Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi
librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs
compétences » ; que le constituant a ainsi consacré l'existence d'un ordre juridique
communautaire intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique
international ; 8. Considérant que, tout en confirmant la place de la Constitution au sommet
de l'ordre juridique interne, ces dispositions constitutionnelles permettent à la France de
participer à la création et au développement d'une organisation européenne permanente,
dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts
de compétences consentis par les États membres ; 9. Considérant, toutefois, que, lorsque des
engagements souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution,
remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier
appelle une révision constitutionnelle ; 10. Considérant que c'est au regard de ces principes
qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen du traité de Lisbonne, ainsi
que de ses protocoles et de son annexe ; que sont toutefois soustraites au contrôle de
conformité à la Constitution celles des stipulations du traité qui reprennent des engagements
antérieurement souscrits par la France (…) ». Deux points méritent d’être relevés dans la
décision : l’affirmation que le constituant a consacré l'existence d'un ordre juridique distinct
de l'ordre juridique international ; celle selon laquelle, ces mêmes dispositions confirment la
place de la Constitution au sommet de l’ordre juridique interne. Les deux propositions ne
sont pas inconciliables. Le Conseil constitutionnel en rappelle le mode d’emploi : si des
dispositions de la Constitution se révèlent contraires ou insuffisantes pour accueillir le
nouveau traité, il faut modifier la Constitution (ce qui sera fait, en l’occurrence). Dans le cas
contraire, il faut renoncer à approuver le nouveau traité.
233
L’exemple du contrôle par le Conseil constitutionnel français des lois de transposition des
directives
Le Conseil constitutionnel français se refuse, on y reviendra (voir infra, n° xxx), à contrôler
la conformité de la loi au droit international (Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 - Loi
relative à l'interruption volontaire de la grossesse (IVG) : « une loi contraire à un traité ne
serait pas pour autant contraire à la Constitution »).
Sans être remise en cause, cette absence de contrôle de la conventionnalité des lois a fait
l’objet d’une adaptation dans un contexte particulier : celui du contrôle de constitutionnalité
des lois françaises portant transposition des directives de l’Union européenne. En effet, le
Conseil constitutionnel a décidé en 2006 (notamment, Décision n° 27 juillet 2006 - Décision
n° 2006-540 DC - Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de
l'information), à la suite d’une série de décisions rendues en 2004 (notamment, Décision n°
2004-496 DC du 10 juin 2004 - Loi pour la confiance dans l'économie numérique) que :
« (…) 17. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : "
La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées
d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en
commun certaines de leurs compétences " ; qu'ainsi, la transposition en droit interne d'une
directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle ; 18. Considérant qu'il
appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article
61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive
communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu'il
exerce à cet effet est soumis à une double limite ; 19. Considérant, en premier lieu, que la
transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent
à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ; 20.
Considérant, en second lieu, que, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai
prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de
justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l'article 234 du
traité instituant la Communauté européenne ; qu'il ne saurait en conséquence déclarer non
conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement
incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer ; qu'en tout état de cause, il
revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice
des Communautés européennes à titre préjudiciel (…) ». Cette motivation marque ainsi la
volonté du juge constitutionnel français de rendre compte de la spécificité des obligations
constitutionnelles pesant sur le législateur national en matière de transposition d’un
instrument particulier du droit de l’Union européenne : la directive. Cette spécificité se
traduit par l’établissement d’un rapport hiérarchique entre la loi nationale de transposition et
234
la directive qui lui sert de référence dans la double limite, néanmoins, du respect de certaines
exigences constitutionnelles et de la présence d’un interprète authentique du droit européen,
la Cour de justice de l’Union européenne (sur cet aspect de l’articulation entre les deux
ordres, voir nos développements infra, n° xxx).
L’exemple de la prise en compte par le tribunal des conflits du cas particulier du droit
européen
Le tribunal des conflits s’attache, en France, à régler les conflits de compétence entre les
deux ordres de juridiction administratif et judiciaire (conflits positifs ou négatifs selon que
les deux ordres se disputent ou non la compétence). Dans une décision remarquée (Tribunal
des Conflits, 17 oct. 2011, aff. C3828), le tribunal a fait le choix de souligner la nécessité de
prendre en compte la particularité du droit de l’UE dans la mise en œuvre des règles qui
gouvernent ordinairement les rapports, notamment de saisine préjudicielle, entre les deux
ordres de juridiction. On peut y lire, en effet : « (…) Considérant qu'en vertu du principe de
séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24
août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, sous réserve des matières réservées par
nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n'appartient qu'à la
juridiction administrative de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation
des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance
publique ; que de même, le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer, le
cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles
décisions, soulevée à l'occasion d'un litige relevant à titre principal de l'autorité judiciaire ;
Considérant que, pour retenir néanmoins sa compétence et rejeter les déclinatoires, le
tribunal de grande instance de Rennes s'est fondé sur les dispositions de l'article 55 de la
Constitution et sur le principe de la primauté du droit communautaire ; Considérant que les
dispositions de l'article 55 de la Constitution conférant aux traités, dans les conditions
qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois ne prescrivent ni n'impliquent
aucune dérogation aux principes, rappelés ci-dessus, régissant la répartition des compétences
entre ces juridictions, lorsque est en cause la légalité d'une disposition réglementaire, alors
même que la contestation porterait sur la compatibilité d'une telle disposition avec les
engagements internationaux ; Considérant toutefois, d'une part, que ces principes doivent
être conciliés tant avec l'exigence de bonne administration de la justice qu'avec les principes
généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions, en vertu desquels tout
justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable ; qu'il suit de là
que si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les
tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce
que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction
235
administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence
établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; Considérant,
d'autre part, que, s'agissant du cas particulier du droit de l'Union européenne, dont le respect
constitue une obligation, tant en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne qu'en application de l'article 88-1 de la Constitution,
il résulte du principe d'effectivité issu des dispositions de ces traités, telles qu'elles ont été
interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le juge national chargé
d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en
laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu'à cet
effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d'interprétation de ces normes, en saisir lui-même la
Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu'il s'estime en état de le faire, appliquer le droit de
l'Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d'une question
préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte
administratif au droit de l'Union européenne (…) ».
Ce dernier motif est particulièrement éclairant : l’effectivité du droit européen,
l’encadrement de l’office du juge national qu’elle induit et la nécessité d’articuler une
technique de renvoi préjudiciel interne aux juridictions françaises et un renvoi préjudiciel
porté devant la Cour de justice commandent une mise en œuvre particulière des règles qui
régissent les rapports entre les deux ordres de juridiction.
§ 2 - Les acteurs de la hiérarchisation
192. Deux tendances fortes se manifestent sur le rôle des acteurs de la hiérarchisation : on
observe un certain effacement du pouvoir exécutif et, dans une moindre mesure, du pouvoir
législatif (A) et un renforcement important du pouvoir des juges (B).
A - L’effacement du pouvoir législatif et exécutif
193. Parmi les juristes travaillant dans un contexte de droit interne, il y a ceux qui
participent de manière permanente (agents) ou occasionnelle (conseils) à l’exercice du pouvoir
législatif et exécutif. Comparés à celui des juges (voir, paragraphe suivant), ces deux pouvoirs
jouent un rôle relativement effacé dans le processus de hiérarchisation du droit de source
nationale, internationale ou européenne. Les causes de cet effacement sont au nombre de
deux.
Les pouvoirs législatifs et exécutifs jouent un rôle relativement passif dans la procédure
d’approbation des normes internationales et européennes. Cette passivité réduit
considérablement leur marge de manœuvre en termes de hiérarchisation des droits.
236
Situation – Le rôle relativement passif des pouvoirs législatifs et exécutifs
L’exemple de la procédure d’adoption des traités et accords internationaux ou européens
au regard du processus de hiérarchisation des droits
Si l’on met de côté l’hypothèse, particulière, de la transposition des directives européennes
en droit interne ou d’adaptation de la réglementation nationale consécutive à l’adoption d’un
traité ou d’un accord international, qui correspond plus à un schéma de combinaison des
droits que de hiérarchisation (voir supra, Partie 2), le législateur ou l’exécutif national
dispose d’une marge d’action limitée en termes de hiérarchisation des droits quand ils sont
saisis à l’occasion d’une procédure d’adoption (ratification pour le législateur, approbation
pour l’exécutif ; pour une présentation sommaire de ces deux procédures, voir supra, n° xxx)
d’un engagement international. En effet, le Parlement ou le Gouvernement Français se
trouvent dans la situation de devoir soit accepter soit refuser cet engagement. Ils ne peuvent,
par exemple, discuter les termes mêmes de l’instrument international ou européen pour en
réécrire le contenu. Tout au plus, peuvent-ils, si la possibilité leur en est offerte par l’accord
international, manifester des réserves ou faire, plus modestement, des déclarations. Ce
système du tout-ou-rien conduit le législateur ou l’exécutif à mener un travail relativement
sommaire de vérification des incompatibilités qui pourraient exister entre l’instrument
international ou européen et le droit interne. La hiérarchisation se limite à un choix simple :
privilégier l’instrument international ou européen, en reléguant à plus tard, le traitement des
incompatibilités entre la norme internationale ou européenne et la norme de droit interne ;
privilégier le droit interne et écarter purement et simplement l’instrument international ou
européen.
194. Cet effacement touche, plus singulièrement encore, le pouvoir exécutif. Pendant
longtemps, l’exécutif a joué un rôle important dans l’application des conventions
internationales. Puis les choses ont évolué au fur et à mesure que s’est accru le pouvoir des
juges, sous l’influence des standards européens notamment1.
B - Le renforcement du pouvoir des juges étatiques
195. Ce que le pouvoir exécutif a progressivement perdu en marge de manœuvre dans
l’application des conventions internationales, le pouvoir judiciaire l’a gagné. Cette évolution
n’est pas propre au système juridique français. Elle est globale, ainsi qu’on l’observera dans le
contexte international et européen (voir infra, n° xxx). Mais elle se manifeste différemment
1 Voir notamment dans le contexte français : CEDH, 24 nov. 1994, Req. n°15287/89, Beaumartin c. France ;
CEDH,13 février 2003, Req. n° 49636/99, Chevrol c. France, rendus au nom du droit à un procès équitable (art.
6§1 de la CESDHLF).
237
selon les contextes. Il importe donc de les étudier séparément.
Commençons par le contexte français.
Situation – Le rôle accru du juge dans l’application des conventions internationales
L’exemple de l’interprétation des traités internationaux
Le pouvoir de juges français en matière d’interprétation des traités internationaux s’est
progressivement détaché du pouvoir exécutif. Il fut un temps où les juges considéraient qu’il
leur fallait éviter de s’immiscer dans les relations diplomatiques entre Etats, notamment sur
la question de l’interprétation que les gouvernements entendaient donner des accords
internationaux auxquels ils étaient parties. C’est aujourd’hui chose révolue. Entre autres
jurisprudences, abondantes sur le sujet, on signalera notamment : la jurisprudence « Koné »
du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, Ass. 3 juillet 1996, Req. n° 169219 ; voir également
antérieurement, marquant un changement de politique jurisprudentielle de la juridiction
administrative : Conseil d’Etat, Ass., 29 juin 1990, GISTI, Req. n° 78519) par laquelle la
juridiction administrative s’est arrogé le pouvoir d’interpréter seule un accord franco-malien
à la lumière d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République : « (…)
Considérant qu'aux termes de l'article 44 de l'accord de coopération franco-malien susvisé :
"L'extradition ne sera pas exécutée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est
considérée par la partie requise comme une infraction politique ou comme une infraction
connexe à une telle infraction" ; que ces stipulations doivent être interprétées conformément
au principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l'Etat doit refuser
l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique ; qu'elles ne
sauraient dès lors limiter le pouvoir de l'Etat français de refuser l'extradition au seul cas des
infractions de nature politique et des infractions qui leur sont connexes ; que, par suite, M.
Y... est, contrairement à ce que soutient le Garde des Sceaux, fondé à se prévaloir de ce
principe ; qu'il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que l'extradition du requérant ait
été demandée dans un but politique (…) » ; une jurisprudence « Banque Africaine de
Développement » (Cour de cassation, 1ère ch. civ., 10 déc. 1995, pourvoi n° 93-20424) où la
juridiction judiciaire a déclaré : « (…) Attendu que la BAD reproche à l'arrêt confirmatif
attaqué (Paris, 13 janvier 1993) d'avoir rejeté sa demande de renvoi à l'interprétation
gouvernementale des textes invoqués, alors, selon le moyen, d'une part, que la discordance
entre le sens littéral et la conception restrictive donnée de ces textes par la cour d'appel
implique la nécessité d'une interprétation qui, s'agissant d'une question touchant l'ordre
public international, relève du Gouvernement ; alors, d'autre part, que touche par nature à
l'ordre public international le litige opposant une banque privée et une organisation
internationale dont la mission est de service public international et qui se prévaut de
238
l'interprétation du traité définissant sa mission et ses moyens ; Mais attendu qu'il est de
l'office du juge d'interpréter les traités internationaux invoqués dans la cause soumise à son
examen, sans qu'il soit nécessaire de solliciter l'avis d'une autorité non juridictionnelle ; que
la cour d'appel n'a donc fait qu'user de ses pouvoirs en interprétant elle-même les
dispositions invoquées de l'Accord de 1963 ; qu'ainsi, le moyen est dépourvu de fondement
(…) ».
Cette appropriation par les juges du pouvoir d’interpréter les conventions internationales
n’est évidemment pas indifférente au processus de hiérarchisation des droits mené dans le
contexte national. Selon l’interprétation retenue, le juge caractérisera ou, au contraire,
infirmera l’hypothèse d’un conflit entre la norme internationale et la norme interne. Selon
l’interprétation retenue, il choisira d’adopter ou non un raisonnement de type « hiérarchie
des normes ».
L’exemple de la condition de réciprocité
L’article 55 de Constitution française soumet la supériorité des traités internationaux à la loi
à une condition de réciprocité « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés
ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque
accord ou traité, de son application par l'autre partie ». La question s’est posée de la mise en
œuvre de cette condition par les juges, concurremment au pouvoir exécutif qui,
originairement, s’était octroyé le pouvoir le décider seul de son application au nom de
l’exercice du pouvoir diplomatique.
Le Conseil constitutionnel a précisé la portée de cette disposition en estimant que « (…) la
règle de réciprocité énoncée à cet article [55] n'a d'autre portée que de constituer une réserve
mise à l'application du principe selon lequel les traités ou accords régulièrement ratifiés ou
approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ; (…) elle affecte
la supériorité des traités ou accords sur les lois (…) » (Décision 80-126 DC - 30 décembre
1980 - Loi de finances pour 1981).
Quant à eux, le Conseil d'État (ass. 29 mai 1981, Req. n° 15092, aff. Rekhou et ass. 18 déc.
1998, SARL du parc d'activités de Blotzheim et SCI Haselaecker, Req. n° 181249) et la Cour
de cassation (Cour de cassation, 1ère ch. civ., 6 mars 1984, Kryla, pourvoi n° 82-14008 ; v.
également, dans le même sens, Civ. 1ère, 16 fév. 1994, Ordre des avocats à la cour de Paris
et autres, pourvois n° 92-10397, 92-10398, 92-10403, 92-10404, 92-11638) ont, pendant
longtemps, considéré que l'appréciation d'une application réciproque du traité relevait du seul
pouvoir exécutif (Ministère des affaires étrangères), même si, pour la première chambre
civile de la Cour de cassation « en l’absence d’initiative prise par le gouvernement pour
dénoncer une convention ou suspendre son application, il n’appartient pas aux juges
239
d’apprécier le respect de la condition de réciprocité prévue dans les rapports entre États par
l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 » (arrêt Kryla, préc.).
Puis la jurisprudence du Conseil d’Etat a fortement évolué. La haute juridiction
administrative a décidé, en effet, « (…) qu'il appartient au juge administratif, lorsqu'est
soulevé devant lui un moyen tiré de ce qu'une décision administrative a à tort, sur le
fondement de la réserve énoncée à l'article 55, soit écarté l'application de stipulations d'un
traité international, soit fait application de ces stipulations, de vérifier si la condition de
réciprocité est ou non remplie ; qu'à cette fin, il lui revient, dans l'exercice des pouvoirs
d'instruction qui sont les siens, après avoir recueilli les observations du ministre des affaires
étrangères et, le cas échéant, celles de l'Etat en cause, de soumettre ces observations au débat
contradictoire, afin d'apprécier si des éléments de droit et de fait suffisamment probants au
vu de l'ensemble des résultats de l'instruction sont de nature à établir que la condition tenant
à l'application du traité par l'autre partie est, ou non, remplie (…) » (Conseil d’Etat, 9 juill.
2010, Mme
Cheriet-Benseghir, Req. n° 317747). Dorénavant, le juge administratif français
considère qu’il ne saurait ainsi être lié dans son appréciation par l’administration, même si
l’avis de cette dernière peut faire partie des éléments utiles au débat entre les parties au
différend porté devant lui.
Sur le rôle accru du juge national en matière de vérification formelle des procédures de
conclusion, ratification ou approbation des traités internationaux, voir supra, n° xxx.
§ 3 - Les mots et le moment de la hiérarchisation
196. Dans le système juridique français, on peut dire que le processus de hiérarchisation du
droit national, international et européen est dominé par deux variables : les mots de cette
hiérarchisation et le moment où elle intervient. En croisant ces deux variables, on obtient les
combinaisons suivantes : contrôle de constitutionnalité en amont et contrôle de
conventionnalité en aval (A), contrôle prioritaire de constitutionnalité et contrôle secondaire
de conventionnalité (B).
A - Contrôle de constitutionnalité en amont et contrôle de conventionnalité en aval
197. Le processus de hiérarchisation des droits est largement tributaire de la place occupée
par les différents acteurs présents dans l’ordre juridique interne français. S’agissant du plus
important d’entre eux - le juge - on observe qu’une certaine répartition des rôles s’est opérée
autour des trois principales institutions juridictionnelles : le juge constitutionnel, le juge
240
administratif et le juge judiciaire1. Cette répartition est d’abord et avant tout le fait du Conseil
constitutionnel qui, en prenant acte ou en décidant de l’étendue de ses propres pouvoirs par
une interprétation plus ou moins libre de la Constitution, a dessiné, en contre-point, les
contours des prérogatives qu’il entendait laisser aux juridictions ordinaires de l’ordre
administratif et judiciaire2.
Situation - Les contrôles hiérarchiques opérés en amont par le Conseil constitutionnel
L’exemple de la constitutionnalité des conventions internationales
L’appréciation de la constitutionnalité des conventions internationales est organisée au terme
d’une procédure par l’article 54 de la Constitution : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par
le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre
assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement
international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou
d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de la
Constitution ». Elle peut également être menée à travers l’examen de la constitutionnalité
d’une loi portant ratification d’un engagement international (article 61 alinéa 2 de la
Constitution). Dans les deux cas, la saisine du Conseil constitutionnel est préalable à l’entrée
en vigueur du texte international et elle n’a aucun caractère systématique. Il se peut donc
qu’un traité soit approuvé par la France alors qu’il est contraire à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a exercé à plusieurs reprises ce contrôle, contrôle qui le conduit à
faire œuvre d’interprétation de la Constitution, comme en matière d’appréciation de la
constitutionnalité des lois. Ainsi, par exemple, le Conseil constitutionnel a estimé que la
condition de réciprocité prévue à l’article 55 de la Constitution n'avait pas à s'appliquer dans
certaines hypothèses, notamment pour les conventions à but humanitaire (Décision 98-408
DC - 22 janvier 1999 - Traité portant statut de la Cour pénale internationale). Voir,
également, déjà mentionnée, la décision « Traité de Maastricht » (voir supra, n° xxx).
En dehors des hypothèses de contrôle a priori prévues par la Constitution, on ne peut
totalement exclure la possibilité que la question soit incidemment posée au Conseil
constitutionnel de la conformité d’un accord liant la France avec la Constitution à l’occasion,
par exemple, de l’examen de constitutionnalité d’une loi postérieure qui y ferait référence.
Le juge constitutionnel français s’efforce de veiller en ce cas à ce que la question incidente
de constitutionnalité de l’instrument international n’interfère pas directement avec son
1 Sur le rôle joué également par le tribunal des conflits, voir infra n° xxx.
2 Pour une analyse statistique et critique de la distinction entre les deux types de contrôle, voir O. Dutheillet de
Lamotte, Contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité, Mélanges Daniel Labetoulle, Dalloz
2007, 315.
241
contrôle de constitutionnalité de la loi. Mais les questions sont souvent très imbriquées. On
peut citer, à titre d’exemple, la Décision 93-325 DC (13 août 1993 - Loi relative à la maîtrise
de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France) où
le Conseil a eu à apprécier la constitutionnalité d’une loi nouvelle, faisant référence à un
traité européen antérieurement conclu par la France lequel avait déjà fait l’objet d’un examen
par le Conseil (Décision 91-294 DC - 25 juillet 1991 - Loi autorisant l'approbation de la
convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985). Cette imbrication entre la
source internationale, la loi nationale et les interprétations données de la Constitution par le
juge français peut conduire à des formulations complexes. En témoigne, dans la Décision 93-
325 DC (préc.), le motif suivant « (…) 86. Considérant en deuxième lieu que l'article 31 bis
de l'ordonnance précitée énumère quatre cas dans lesquels l'admission au séjour d'un
demandeur d'asile peut être refusée ; que le premier cas, visé au 1° de cet article, concerne
l'examen d'une demande d'asile qui "relève de la compétence d'un autre Etat, en application
des stipulations de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de
l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée auprès d'un Etat membre des
Communautés européennes, ou du chapitre VII du titre II de la convention signée à
Schengen le 19 juin 1990, ou d'engagements identiques à ceux prévus par la Convention de
Dublin souscrits avec d'autres Etats conformément à la déclaration annexée au procès-verbal
de la conférence de signature de la convention du 15 juin 1990, à compter de leur entrée en
vigueur" ; que cet article dispose par ailleurs que lorsque l'admission au séjour a été refusée
dans ce cas, le demandeur d'asile ne peut saisir l'office français de protection des réfugiés et
apatrides d'une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié ; qu'en privant ainsi les
étrangers concernés de faire valoir leur droit, le législateur a méconnu les principes de valeur
constitutionnelle ci-dessus rappelés ; qu'ainsi, dès lors qu'ils comportent cette restriction, les
mots "pour l'un des motifs visés aux 2° à 4° du présent article" qui figurent au dernier alinéa
de l'article 31 bis de l'ordonnance sont contraires à la Constitution (…) ». Une disposition de
la loi nouvelle française est ainsi déclarée non conforme à la Constitution alors qu’elle avait
pour objet de s’articuler avec un dispositif conventionnel existant, lequel avait déjà fait
l’objet d’un examen de conformité par le Conseil constitutionnel. Ce cas est la démonstration
que la question de la constitutionnalité des conventions peut incidemment rejaillir à
l’occasion de l’examen ultérieur de textes législatifs internes, même si le Conseil
constitutionnel veille manifestement à inscrire son analyse dans le cadre du seul contrôle de
constitutionnalité de la loi qui lui est demandé.
Le contre-exemple de la conventionnalité des lois
Au titre de sa saisine pour contrôle de la constitutionnalité des lois (art. 61 de la
Constitution), le Conseil constitutionnel s'est refusé à examiner la conventionnalité des lois,
242
c’est-à-dire la conformité des lois aux conventions internationales (alors qu’il consent à
opérer un tel contrôle quand il agit, comme juge ordinaire, en matière de contentieux
électoral) : « (…) une loi contraire à un traité ne serait pas pour autant contraire à la
Constitution (…) » (Décision 74-54 DC - 15 janvier 1975 - Loi relative à l'interruption
volontaire de la grossesse). Ce refus a été justifié par le « caractère à la fois relatif et
contingent » des traités : en principe, ces derniers ne s’appliquent qu’entre parties liées et
non de manière générale et ils demeurent suspendus au respect d’une condition de
réciprocité.
Cette absence de contrôle a été logiquement étendue à la condition de réciprocité elle-
même : « (…) que la règle de réciprocité posée à l'article 55 de la Constitution, si elle affecte
la supériorité des traités ou accords sur les lois, n'est pas une condition de la conformité des
lois à la Constitution ; que, dès lors, et quels qu'aient été les motifs qui ont guidé le
législateur, les auteurs de la saisine ne sauraient utilement invoquer l'article 55 pour contester
la conformité à la Constitution de (…) la loi (…) » (Décision 80-126 DC - 30 décembre 1980
- Loi de finances pour 1981).
L’exemple de l’européanité des lois de transposition des directives
On rappellera que sans être remise en cause, cette absence de contrôle de la conventionnalité
des lois a fait l’objet d’une adaptation dans un contexte particulier : celui du contrôle de
constitutionnalité des lois françaises portant transposition des directives de l’Union
européenne. Voir supra, n° xxx.
198. Les contrôles hiérarchiques que le Conseil constitutionnel n’exerce pas en amont,
c’est-à-dire avant l’adoption d’instruments internationaux ou, éventuellement, nationaux, sont
exercés en aval par le juge ordinaire, au stade de l’application du droit de source nationale
internationale et européenne dans le contexte national.
Situation - Les contrôles hiérarchiques opérés en aval par le juge ordinaire
L’exemple de la conventionnalité des textes législatifs et réglementaires
Les juges français de l’ordre judiciaire et administratif contrôlent de manière ordinaire la
conformité des lois et des textes réglementaires aux conventions internationales. C’est entre
leurs mains que repose ce contrôle a posteriori de conventionnalité que les juges partagent
avec les autres pouvoirs législatifs et exécutifs qui l’exercent, en amont, mais de manière non
exclusive, au moment de la délibération des textes de droit interne.
Ce contrôle de conventionnalité se déploie totalement (voir supra, n° xxx) dans la limite du
contrôle de constitutionnalité des conventions et des lois exercé par le Conseil
constitutionnel (voir paragraphe suivant, n° xxx) et sous la réserve que le juge ordinaire ne se
243
trouve pas contraint d’appliquer une convention internationale contraire à la Constitution
(voir supra, n° xxx).
Le contre-exemple de la constitutionnalité des conventions internationales et des lois
L’emprise exercée par le Conseil constitutionnel en matière de contrôle de la
constitutionnalité des conventions internationales et des lois rejaillit sur l’étendue des
pouvoirs du juge ordinaire quand il exerce un contrôle de conventionnalité des lois ou de
constitutionnalité des textes réglementaires.
C’est ainsi, par exemple, que si le juge administratif contrôle le respect des procédures
réglementaires d’introduction des traités en droit interne, il se refuse à contrôler la
constitutionnalité desdits traités. Une affaire récente a été l’occasion pour le Conseil d’Etat
de le rappeler : « Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les
traités ou accords relevant de l'article 53 de la Constitution et dont la ratification ou
l'approbation est intervenue sans avoir été autorisée par la loi ne peuvent être regardés
comme régulièrement ratifiés ou approuvés au sens de l'article 55 précité ; qu'il appartient au
Conseil d'Etat, statuant au contentieux, en cas de recours pour excès de pouvoir contre un
décret publiant un traité ou un accord, de connaître de moyens tirés, d'une part, de vices
propres à ce décret, d'autre part, de ce qu'en vertu de l'article 53 de la Constitution, la
ratification ou l'approbation de l'engagement international en cause aurait dû être autorisée
par la loi ; que constitue, au sens de cet article, un traité ou un accord modifiant des
dispositions de nature législative un engagement international dont les stipulations touchent à
des matières réservées à la loi par la Constitution ou énoncent des règles qui diffèrent de
celles posées par des dispositions de forme législative ; qu'en revanche, il n'appartient pas au
Conseil d'Etat, statuant au contentieux de se prononcer sur la conformité du traité ou de
l'accord à la Constitution ; qu'il ne lui appartient pas davantage de se prononcer sur la
conformité d'un traité ou d'un accord à d'autres engagements internationaux » (Conseil
d’Etat, 9 juill. 2010, Fédération nationale de la libre pensée et autres, Req. n° 327663).
Cette position de retrait peut placer la juridiction ordinaire dans une situation délicate quand
le différend à trancher se double d’un potentiel conflit de conventions internationales. C’est
ce qu’illustre un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Paris que la Haute
juridiction administrative (Conseil d'État, Ass., 23 déc. 2011, Req. n° 303678, Eduardo José
Kandyrine de Brito Paiva) a décidé de censurer selon les motifs suivants : « Considérant que,
lorsque le juge administratif est saisi d'un recours dirigé contre un acte portant publication
d'un traité ou d'un accord international, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la validité
de ce traité ou de cet accord au regard d'autres engagements internationaux souscrits par la
France ; qu'en revanche, sous réserve des cas où serait en cause l'ordre juridique intégré que
constitue l'Union européenne, peut être utilement invoqué, à l'appui de conclusions dirigées
244
contre une décision administrative qui fait application des stipulations inconditionnelles d'un
traité ou d'un accord international, un moyen tiré de l'incompatibilité des stipulations, dont il
a été fait application par la décision en cause, avec celles d'un autre traité ou accord
international ; qu'il incombe dans ce cas au juge administratif, après avoir vérifié que les
stipulations de cet autre traité ou accord sont entrées en vigueur dans l'ordre juridique interne
et sont invocables devant lui, de définir, conformément aux principes du droit coutumier
relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales, les modalités
d'application respectives des normes internationales en débat conformément à leurs
stipulations, de manière à assurer leur conciliation, en les interprétant, le cas échéant, au
regard des règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d'ordre public ; que
dans l'hypothèse où, au terme de cet examen, il n'apparaît possible ni d'assurer la conciliation
de ces stipulations entre elles, ni de déterminer lesquelles doivent dans le cas d'espèce être
écartées, il appartient au juge administratif de faire application de la norme internationale
dans le champ de laquelle la décision administrative contestée a entendu se placer et pour
l'application de laquelle cette décision a été prise et d'écarter, en conséquence, le moyen tiré
de son incompatibilité avec l'autre norme internationale invoquée, sans préjudice des
conséquences qui pourraient en être tirées en matière d'engagement de la responsabilité de
l'Etat tant dans l'ordre international que dans l'ordre interne ; Considérant qu'il résulte de ce
qui précède qu'en écartant le moyen tiré de la contrariété avec la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de la condition de nationalité
prévue par le décret du 3 juillet 1998 en application de l'accord du 27 mai 1997 présenté
devant elle par M. A, au seul motif qu'il n'appartient pas au juge administratif de se
prononcer sur la validité des stipulations d'un engagement international au regard d'autres
engagements internationaux souscrits par la France, sans rechercher, après s'être assuré que
cette convention était entrée en vigueur dans l'ordre juridique interne et était invocable
devant lui, s'il était possible de regarder comme conciliables les stipulations de cette
convention et celles de l'accord susmentionné du 27 mai 1997, la cour administrative d'appel
de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt du 18 octobre 2006 doit être
annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi (…) » (pour une
analyse de cette décision, voir D. Alland, RFDA 2012, 26).
L’exemple particulier où le contrôle de constitutionnalité d’un texte réglementaire jouxte
la conformité d’une directive à un principe européen : le cas Arcelor
La décision du Conseil constitutionnel (notamment, Décision n° 27 juillet 2006 - Décision n°
2006-540 DC - Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de
l'information), rendue à la suite d’une série de décisions rendues en 2004 (notamment,
Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 - Loi pour la confiance dans l'économie
245
numérique) de contrôler, au nom de la Constitution, la conformité aux directives de l’UE des
lois de transposition, a eu impact sur la jurisprudence des juges ordinaires français,
spécialement du juge administratif, ainsi qu’en témoigne la célèbre affaire « Arcelor »
relative la compatibilité d’un texte réglementaire français transposant une directive avec le
principe d’égalité, consacré notamment par la Constitution française et le droit de l’Union
européenne (Conseil d’Etat, Ass. 8 févr. 2007, Req. no 287110 et Conseil d’Etat, 3 juin 2009,
Req. no 287110, rendu après une décision de la Cour de justice statuant à titre préjudiciel
(CJCE, 16 déc. 2008, aff. C-127/07, Arcelor).
Dans son arrêt de 2007, le Conseil d’Etat a considéré que « (…) si, aux termes de l'article 55
de la Constitution, les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou
traité, de son application par l'autre partie , la suprématie ainsi conférée aux engagements
internationaux ne saurait s'imposer, dans l'ordre interne, aux principes et dispositions à
valeur constitutionnelle ; qu'eu égard aux dispositions de l'article 88-1 de la Constitution,
selon lesquelles la République participe aux Communautés européennes et à l'Union
européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont
instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences , dont découle une obligation
constitutionnelle de transposition des directives, le contrôle de constitutionnalité des actes
réglementaires assurant directement cette transposition est appelé à s'exercer selon des
modalités particulières dans le cas où sont transposées des dispositions précises et
inconditionnelles ; qu'alors, si le contrôle des règles de compétence et de procédure ne se
trouve pas affecté, il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la
méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de valeur constitutionnelle, de rechercher
s'il existe une règle ou un principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature
et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge
communautaire, garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du
principe constitutionnel invoqué ; que, dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge
administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité du décret, de rechercher si la directive
que ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit
communautaire ; qu'il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen
invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes
d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 234 du Traité instituant
la Communauté européenne ; qu'en revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général
du droit communautaire garantissant l'effectivité du respect de la disposition ou du principe
constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d'examiner directement la
constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées (…) ».
246
Le Conseil d’Etat a décidé, en l’espèce, que le principe constitutionnel d’égalité trouvait un
équivalent en droit de l’Union européenne. Il a saisi la Cour de justice de l’UE d’un renvoi
préjudiciel, laquelle a estimé que la validité de la directive n’était pas contestable au regard
dudit principe européen d’égalité (CJCE, 16 déc. 2008, aff. C-127/07, préc.). Tirant les
conséquences de cette analyse, le Conseil d’Etat a considéré, en reprise d’instance, en 2009
« (…) qu'il résulte de l'arrêt cité ci-dessus de la Cour de justice des Communautés
européennes que la directive, dont le décret attaqué assure la transposition, ne méconnaît pas
le principe communautaire d'égalité ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance
par ce décret du principe constitutionnel d'égalité ne saurait qu'être écarté (…) » (préc.).
Cette décision marque une volonté du juge interne d’aligner un raisonnement de type
« constitutionnalité d’un texte réglementaire » sur un raisonnement de type « conformité
d’une directive européenne avec le droit de l’UE ». Cette volonté ne traduit pas seulement
une inter-relation entre les textes européens et les textes nationaux de transposition. Elle rend
compte de l’état d’imbrication dans lequel des contrôles de constitutionnalité et de
conventionnalité se trouvent aujourd’hui placés. Pour éviter un risque ouvert de
contradiction, le juge ordinaire est invité, quand il le peut, à faire correspondre une analyse
en termes d’européanité de la directive et une analyse en termes de constitutionnalité du
texte interne. Cette attitude conciliatrice n’exclut pas que la connexité des deux procédures
donne lieu à des jeux de rivalité, notamment entre juridictions nationales. Pour une
illustration de ce phénomène, voir infra, n° xxx, l’étude de la célèbre affaire « Melki ».
B - Le contrôle prioritaire de constitutionnalité et le contrôle secondaire de
conventionnalité
199. Le vocabulaire juridique français s’est enrichi d’une nouvelle expression avec
l’instauration en 2008 d’une procédure de consultation du Conseil constitutionnel par le juge
ordinaire : la fameuse « question prioritaire de constitutionnalité (QPC) » (art. 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est
soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution
garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil
d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé »). Aménagée par
une loi organique, cette procédure a fait naître une nouvelle forme de hiérarchisation dans le
temps, des contrôles constitutionnalité et de conventionnalité.
247
Situation - La hiérarchisation dans le temps des contrôles constitutionnalité et de
conventionnalité
L’exemple de la loi organique française et les interrogations qu’elle suscite sur la pratique
des juges
La QPC n’intéresse a priori pas directement le thème général de l’application du droit
national, international et européen, fût-ce dans le contexte français. Elle porte, en effet, sur la
seule question de la conformité de la loi française à la Constitution, examinée, non pas
préalablement à l’adoption de loi, comme cela est prévu à l’article 61 alinéa 2 de la
Constitution, mais postérieurement à cette adoption, à l’occasion d’un différend présenté
devant le juge ordinaire de l’ordre administratif ou judiciaire.
La loi organique française (Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à
l'application de l'article 61-1 de la Constitution), qui a défini les modalités procédurales de la
QPC, a cependant introduit une double référence « aux engagements internationaux » de la
France. On peut ainsi lire dans les articles 23-2 (applicables aux juridictions du fond) et 23-5
(applicable aux deux juridictions supérieures) de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre
1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, telle que modifiée par la loi
organique de 2009 (préc.) : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de
moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et
libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la
France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au
Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation » (art. 23-2) ; : « En tout état de cause, le Conseil
d'Etat ou la Cour de cassation doit, lorsqu'il est saisi de moyens contestant la conformité
d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et,
d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le
renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel » (art. 23-5).
Cette double disposition entend traduire le caractère prioritaire du contrôle de
constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité. Qu’il s’agisse d’examiner la
conformité de la loi française en vigueur au droit international ou au droit européen, le juge
ordinaire doit « en tout état de cause (…) se prononcer par priorité sur (…) » la transmission
ou le renvoi de la question. Il résulte de cette règle procédurale interne française que le
contrôle de conventionnalité des lois a un caractère secondaire par rapport au contrôle de
constitutionnalité de la loi qui se veut prioritaire.
Cette hiérarchisation procédurale a nécessairement un impact sur l’agencement des deux
contrôles. Son but est éminemment stratégique : permettre au Conseil constitutionnel de se
prononcer, le premier, sur la constitutionnalité de la loi, avant que le juge ordinaire ne traite,
le cas échéant, la question secondaire de la conventionnalité de la loi. La priorité ainsi
248
donnée à la question de constitutionnalité est de nature à exercer une influence forte sur la
question de la conventionnalité. Dans l’hypothèse, fréquente, où un énoncé est formulé de
manière voisine, si ce n’est identique, par notre loi fondamentale française et par le droit
international ou européen liant la France, la faveur donnée dans le temps à l’interprétation
par le Conseil constitutionnel de la Constitution est de nature à influencer le travail
interprétatif du juge ordinaire à propos du droit international et européen. La raison en est
simple : il est souvent préférable pour un juge d’énoncer des solutions convergentes que de
poser les termes d’un conflit entre solutions divergentes, conflit qu’il lui faut alors résoudre.
C’est pourquoi le juge utilise fréquemment la marge d’interprétation qui est la sienne pour
faire converger les solutions en présence, plutôt que d’exacerber les conflits.
Aussi compréhensible soit-elle, cette hiérarchisation des procédures traduit une volonté
claire de hiérarchiser le travail des juges et, à travers lui, de hiérarchiser les contrôles de
constitutionnalité et de conventionnalité. La loi organique française traduit ainsi, sur le
terrain de la procédure, la suprématie conférée dans l’ordre interne à la Constitution.
Il n’est pas certain que cette forme de soumission de la justice ordinaire à la justice
constitutionnelle emporte la pleine adhésion de tous les acteurs institutionnels. En témoigne,
la polémique suscitée par la position de la Cour de cassation qui, en présence d’une
potentielle incompatibilité entre, d’une part, la loi pénale française, et, d’autre part, la
Constitution française et le droit de l’Union européenne, a cherché à répondre à la question
qui lui était posée, après renvoi préjudiciel devant la Cour de justice (CJUE, 22 juin 2010,
Aziz Melki et Sélim Abdeli, aff. C-188/10 et C-189/10), sans interroger le Conseil
constitutionnel sur la constitutionnalité de la loi nationale (notamment : Cour de cassation,
QPC, 16 avr. 2010 et ass. plén., 29 juin 2010, pourvoi n° 10-40002). Le Conseil
constitutionnel (Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, Loi relative à l'ouverture à la
concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne) et le Conseil
d’Etat (Conseil d’Etat, 14 mai 2010, Req. n° 312305) ont clairement désapprouvé cette
attitude de défiance de la Cour de cassation, préférant appliquer à la lettre la loi française qui
entend donner un caractère prioritaire à la question préjudicielle de constitutionnalité.
Il n’est pas certain, non plus, que ce type de règle procédurale interne résiste aux
potentialités offertes par le pluralisme juridique mondial en termes de recherche de la
« meilleure » hiérarchie des normes (voir, nos développements infra, n° xxx).
249
Section 2 – La hiérarchisation des droits dans le contexte international : les réponses du
droit international
200. Dans le contexte international, l’identification des procédés de hiérarchisation des
droits ne mobilise pas de la même manière les constructions du droit international privé et les
constructions de droit international public.
En dépit des tensions fortes auxquelles il est exposé en droit international et européen, le droit
international privé demeure un droit de coordination des systèmes juridiques nationaux1 qui
s’est construit historiquement à un niveau essentiellement national. Son ambition n’a jamais
été de hiérarchiser des droits dans le contexte international. Si des constructions hiérarchiques
sont susceptibles de s’immiscer dans ses méthodes de raisonnement, au risque parfois de les
malmener2, la réponse du droit international privé n’est pas de produire une échelle
hiérarchique concurrente, qui lui serait propre.
C’est donc du point de vue du droit international public que la question de la hiérarchisation
des droits dans le contexte international doit être considérée. Si le droit international, entendu
comme le droit international public, n’est pas un droit globalement hiérarchisé (droit
égalitaire, plutôt volontariste, fortement décentralisé), des manifestations d’une
hiérarchisation peuvent néanmoins y être recherchées. De manière très générale, on peut dire
que trois tendances fortes se dégagent : un refoulement du droit national et, dans une moindre
mesure, du droit européen (§1), une atrophie des procédés de hiérarchisation formelle (§2) et
un développement des procédés de hiérarchisation matérielle (§3).
§ 1 - Le refoulement du droit national et européen
201. Ce n’est pas une question facile que de déterminer la place qu’occupent le droit
national et le droit européen dans le contexte international. Là où en droit français (voir supra,
Section 1) et en droit européen (voir infra, Section 3), le droit international existe et occupe
notamment une place dans le processus de hiérarchisation des droits, la réciproque n’est pas
vraie. Dans le contexte international, spécialement celui qui est dominé par le droit produit
par les Etats, les juristes ont été tentés de refouler hors des frontières de leur discipline, le
1 P. Mayer, Le phénomène de coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé, RCADI 2007, t. 327.
2 Voir en ce sens, la démonstration de L. Gannagé dans sa thèse : La hiérarchie des normes et les méthodes du
droit international privé – Etude de droit international privé de la famille, LGDJ 2001 ; comp. du même auteur :
L’ordre public international à l’épreuve du réalisme des valeurs, Travaux de CFDIP 2006-2008, Pedone 2009, p.
205.
250
droit national et, dans une certaine mesure, le droit européen.
202. Le procédé du refoulement est invariablement le même. Dans l’ordre international, le
droit national, tout comme le droit européen, est un simple fait. Ils ne sont donc pas
juridiquement opposables aux acteurs de la société internationale.
Historiquement, l’affirmation a concerné le droit national.
Situation - Le refoulement du droit national
Un exemple historique : l’avis consultatif de la CPJI dans l’affaire « Intérêts allemands
en haute Silésie polonaise
Dans l’ordre international, l’affirmation de la primauté du droit international dans ses
rapports au droit national s’est manifestée en terme « d’inopposabilité » : un Etat ne saurait
infléchir les solutions du droit international (par exemple, les obligations que l’Etat a
contractées au terme d’un accord international avec un autre Etat ou le respect dû à une règle
coutumière internationale) en opposant son droit interne. Cette inopposabilité frappe aussi
bien une constitution ( « (…) un État ne saurait invoquer vis-à-vis d'un autre État sa propre
Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les
traités en vigueur » : CPJI, 3 mars 1928, Traitement des tribunaux nationaux polonais de
Dantzig, série A/B, n° 44), qu’une loi et un texte réglementaire (CPJI, 17 août 1923, série A,
n° 01, « Vapeur Wimbledon ») ou une jurisprudence (CPJI, 26 juillet 1929, série A, n° 09,
« Usine de Chorzow »).
Ce défaut d’opposabilité « juridique » est fréquemment ramassé dans une formule quelque
peu raccourcie, selon laquelle le droit national ne serait dans l’ordre international « qu’un
simple fait » (voir notamment, toujours cité, l’avis consultatif de la CPJI dans l’affaire
« Intérêts allemands en haute Silésie polonaise, Allemagne c. Pologne, 25 mai 1926, Série A
n° 7 : « On pourrait se demander si une difficulté ne surgit pas du fait que la Cour
devrait s'occuper de la loi polonaise du 14 juillet 1920. Tel ne semble cependant pas être
le cas. Au regard du droit international et de la Cour qui en est l'organe, les lois
nationales sont de simples faits, manifestations de la volonté et de l'activité des États, au
même titre que les décisions judiciaires ou les mesures administratives. La Cour n'est
certainement pas appelée à interpréter la loi polonaise comme telle; mais rien ne
s'oppose à ce qu'elle se prononce sur la question de savoir si, en appliquant ladite loi, la
Pologne agit ou non en conformité avec les obligations que la Convention de Genève lui
impose envers l'Allemagne », arrêt, p. 32). La formule peut surprendre. Elle semble
négliger totalement l’importance que joue le droit national dans la mise en œuvre du droit
international (sur cette combinaison du droit international et du droit national, voir supra,
251
Partie 2). En réalité, sa portée doit être contenue aux lectures hiérarchiques des rapports entre
les deux droits.
203. Même si les solutions sont souvent implicites, cette attitude de refoulement touche
également le droit européen (UE ou CEDH).
Situation - Le refoulement du droit européen
Une illustration patente : quand une sentence CIRDI assimile le droit de l’UE à un simple
fait
Dans une affaire AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie (ARB/07/22, sentence du 23 sept.
2010), un tribunal arbitral CIRDI a eu à se prononcer sur l’applicabilité au différend de
règles impératives de l’Union européenne (contrôle des aides d’Etat). Pour justifier leur non-
application, les arbitres indiquent : “Regarding the Community competition law regime, it
has a dual nature : on the one hand, it is an international law regime, on the other hand, once
introduced in the national legal orders, it is part of these legal orders. It is common ground
that in an international arbitration, national laws are to be considered as facts. Both parties
having pleading that the Community competition law regime should be considered as a fact,
it will be considered by this Tribunal as a fact, always taking into account that a state may
not invoke its domestic law as an excuse for alleged breaches of its international obligations”
(§ 7.6.6). C’est moins la solution que la motivation qui est remarquable. Qu’un tribunal
CIRDI ne se considère pas compétent pour juger du comportement d’un Etat membre de
l’UE au regard des obligations notamment procédurales qui pèsent sur lui vis-à-vis des
institutions européennes et des autres Etats membres en vertu de dispositions d’un traité
européen est une chose. Une autre est d’en inférer que le droit européen est un « fait » pour
l’arbitre international. Sur cette motivation, voir l’analyse critique de S. Manciaux,
chronique CIRDI, JDI 2011, spéc., 587. Voir également l’étude plus générale de M. Forteau,
Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou
l’un et l’autre à la fois ?, Mélanges J.-P. Cot, Bruylant 2009, p. 95. Sur la confrontation du
droit européen et du droit international en ce domaine très sensible de l’arbitrage
d’investissement, voir C. Kessedjian (dir.), Le droit européen et l’arbitrage d’investissement
– European Law and Investment Arbitration, éd. Panthéon-Assas, 2011.
Une illustration subtile : quand la CIJ se réfère à la jurisprudence de la CEDH tout en la
hiérarchisant avec d’autres pratiques décisionnaires internationales et régionales
Le premier arrêt rendu par la Cour internationale de justice dans l’affaire Diallo (CIJ, 30
novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du
Congo) est un cas remarquable. Nous avons eu l’occasion de l’observer à différentes reprises
(voir supra, n° xxx), c’est la première fois, en effet, que la juridiction internationale se réfère
252
à une jurisprudence régionale. Mais que l’on ne s’y trompe pas. Un spécialiste de droit
international public nous a fait observer que la CIJ, dans cette affaire, prend un soin
particulier à, si ce n’est hiérarchiser, ordonner ses références. C’est ainsi qu’elle entend
marquer la préséance due à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme institué par le
Pacte des Nations Unies, tout en précisant malgré tout qu’elle n’est aucunement tenue par
elle, puis suit l’interprétation d’instruments régionaux directement applicables à la situation
en cause, suit enfin, seulement, la référence à d’autres juridictions régionales (CEDH et
CIDH) : « Bien que la Cour ne soit aucunement tenue, dans l’exercice de ses fonctions
judiciaires, de conformer sa propre interprétation du Pacte à celle du Comité, elle estime
devoir accorder une grande considération à l’interprétation adoptée par cet organe
indépendant, spécialement établi en vue de superviser l’application de ce traité. Il en va de
la nécessaire clarté et de l’indispensable cohérence du droit international ; il en va aussi de
la sécurité juridique, qui est un droit pour les personnes privées bénéficiaires des droits
garantis comme pour les Etats tenus au respect des obligations conventionnelles. De même,
lorsque la Cour est appelée, comme en l’espèce, à faire application d’un instrument régional
de protection des droits de l’homme, elle doit tenir dûment compte de l’interprétation dudit
instrument adopté par les organes indépendants qui ont été spécialement créés, si tel a
été le cas, en vue de contrôler la bonne application du traité en cause. (…). La Cour note en
outre que l’interprétation, par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour
interaméricaine des droits de l’homme, de l’article premier du protocole no
7 et de l’article 22,
paragraphe 6, respectivement, à la convention (européenne) de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales et de la convention américaine relative aux droits de
l’homme ⎯ dont les dispositions sont proches, en substance, de celles du Pacte et de la
Charte africaine que la Cour applique en la présente espèce ⎯ est en cohérence avec ce qui a
été dit, au paragraphe 65 ci-dessus, à propos de ces dernières dispositions » (§ 66 à 68).
Si la CIJ n’éprouve pas le besoin ici de dire que ces jurisprudences sont pour elles de
« simples faits » - pour la bonne et simple raison que personne n’a prétendu pouvoir les
opposer juridiquement à la Cour -, la réalité est qu’elle ne leur donne pas une valeur égale.
La jurisprudence internationale est préférée à la jurisprudence régionale et, au sein de cette
dernière, la jurisprudence régionale applicable à la situation en cause (africaine) est préférée
à celle qui ne l’est pas (jurisprudence européenne et américaine). Même s’il est difficile dans
ce cas de parler de hiérarchisation, au sens formel ou même matériel du terme, l’ordre de
présentation a son importance. Il permet à la juridiction internationale d’agencer, dans un
certain ordre, les constructions de niveau international et régional.
204. Il est intéressant d’observer que ces solutions peuvent prendre appui, tout aussi bien,
sur une lecture moniste ou dualiste de la primauté du droit international. Dans une approche
253
moniste, le défaut d’opposabilité du droit national et européen, est la conséquence d’une
supériorité accordée au droit international. Dans une approche dualiste, le recours à une
hiérarchie des normes permet d’écarter tout ce qui est étranger à l’ordre juridique
international. Le droit national et, dans une certaine mesure, le droit européen n’étant pas du
droit international, il est normal qu’ils soient exclus de la hiérarchie qui structure le système
juridique international.
§ 2 - L’atrophie des procédés de hiérarchisation formelle
205. Dans une approche formelle, la hiérarchisation des droits permet d’établir un rapport
de validité entre des normes formellement différentes mais composant un même système
juridique. La question se pose donc de l’existence, dans le contexte international, d’une
hiérarchie formelle des normes.
206. A cette interrogation, les spécialistes de droit international public donnent une réponse
globalement négative1. Le droit international ne s’est jamais donné pour ambition de
hiérarchiser l’ensemble des normes qu’il produit en raison de leur habillage formel. Construit
sur un modèle fortement décentralisé où le contentieux se nourrit principalement d’actions en
responsabilité (et non de recours en annulation), le droit international n’a a priori que faire
d’une hiérarchie formelle des normes.
Cette réponse d’ensemble est susceptible de recevoir des explications plus précises selon les
hypothèses envisagées. On en donnera ici trois illustrations principales où la question d’une
hiérarchisation formelle des sources du droit international est malgré tout discutée.
207. La première illustration porte sur la question des rapports entre la coutume
internationale et les accords ou traités internationaux.
Situation - La difficile hiérarchisation formelle des sources du droit international
L’exemple des rapports entre la coutume internationale et le droit interétatique
La question des rapports de hiérarchie entre la coutume internationale et le droit interétatique
ne peut être envisagée autrement que de manière nuancée et complexe. On peut illustrer le
propos à travers une étude publiée en 2010 (G. Teboul, Remarques sur le rang hiérarchique
des conventions inter-étatiques et du droit international coutumier dans l’ordre juridique
international », JDI 2010, 705). Dans la présentation de ce travail, l’auteur indique, en effet,
1 Pour une explication synthétique d’ensemble, voir, avec les nombreuses références citées, P. Daillier, M.
Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8e éd. LGDJ 2009, n° 60.
254
que « Plus que la norme Pacta sunt servanda – coutume se bornant à imposer aux États de
respecter les conventions par lesquelles ils se lient et de les exécuter de bonne foi – c'est la
règle coutumière habilitant les États à conclure des traités qui constitue le fondement de la
validité des accords interétatiques. En conséquence, il est possible de considérer que, dans
l'ordre juridique international, la norme de droit coutumier – se situant, sur le plan
hiérarchique, au-dessus du droit conventionnel produit par les États – n'est pas la règle Pacta
sunt servanda. De manière paradoxale, cette supériorité hiérarchique est compatible avec
l'égalité de principe qui caractérise la relation existant entre traités et coutumes : au regard de
la logique juridique, la notion d'autolimitation permet de donner une explication à ce qui,
prima facie, se présente sous le jour d'une impossibilité logique. Une analyse, fondée sur le
droit international positif, conduit à montrer que, dans certains cas, les traités conclus entre
États sont hiérarchiquement subordonnés à la coutume tant sur le plan formel que sur le plan
matériel. À cet égard, il convient de percevoir, sous un jour nuancé et, en conséquence,
nouveau, la relation hiérarchique existant entre coutumes et traités ».
Si donc, comme le soutient cet auteur, hiérarchisation il y a entre le droit coutumier et les
traités ou accords internationaux, elle n’intervient que « dans certains cas ». Elle n’a pas de
valeur générale absolue en raison, notamment, d’une hiérarchisation possible des règles
coutumières entre elles et de la porosité très grande entre la coutume et le droit interétatique.
208. La deuxième illustration a trait à l’énoncé, dans la Charte des Nations Unies, d’une
règle hiérarchique formelle, qui semble unique en son genre.
Situation - La portée incertaine de la primauté affichée par une norme internationale sur
les autres
L’exemple de l’article 103 de la Charte des Nations Unies (1945)
La Charte des Nations Unies (1945) contient un célèbre article 103 au terme duquel : « En
cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente
Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières
prévaudront ». Les spécialistes de droit international public soulignent le caractère
remarquable de cette disposition qui semble prescrire une supériorité formelle de la Charte
sur tout autre accord international, indépendamment de son contenu, qu’il ait été conclu
avant ou après la Charte, entre les parties à la Charte ou avec des Etats tiers (pour un
commentaire de cet article, voir, avec les nombreuses références citées, J.-M. Thouvenin, in
J.-P. Cot, A. Pellet et M. Forteau (dir.), La Charte des Nations Unies, Economica, 3me éd.
2005, T. II, p. 2133).
Cet énoncé ne permet cependant pas d’offrir une lecture globalement structurée de l’ordre
international. Aucune référence n’y est faite à la coutume. Aucune précision n’est apportée
255
sur les rapports entre la Charte elle-même et les actes qui en sont dérivés (spécialement, pour
les plus importants d’entre eux, les résolutions du Conseil de sécurité qui s’y réfèrent de plus
en plus fréquemment). Nombreuses sont donc les incertitudes qui entourent la signification
et la portée d’une disposition incontestablement originale en droit international.
209. La troisième et dernière illustration intéresse les rapports entre le droit primaire et le
droit dérivé des organisations internationales.
Situation - Les hiérarchies internes aux organisations internationales
L’exemple du contrôle de légalité interne
Toute organisation internationale digne de ce nom forme un système capable de structurer
les rapports entre, notamment, les actes institutifs de l’organisation (un traité fondateur, un
accord de siège, un statut international) et les actes dérivés, c’est-à-dire les actes produits par
l’organisation. Cette structuration doit normalement permettre l’énoncé d’une hiérarchie
interne à l’organisation selon laquelle les actes dérivés doivent se conformer aux règles
procédurales et de fond propres à l’organisation. L’énoncé d’une telle hiérarchie des normes
se heurte néanmoins à une difficulté sérieuse : la mise en œuvre d’un contrôle de légalité
interne. Si l’on excepte le cas particulier du droit européen (voir infra, Section 3), un tel
contrôle n’existe quasiment pas dans la pratique du droit international. Sauf cas particuliers
(notamment s’agissant des règles de droit dérivé définies au sein des organisations
internationales à propos de la fonction publique internationale), le contentieux de
l’annulation est généralement inexistant et si une autorité juridictionnelle, telle que la Cour
internationale de justice, peut parfois être saisie pour avis, sa maigre pratique décisionnelle
en ce domaine montre qu’elle rechigne à remettre en cause directement la validité des actes
dérivés d’une organisation internationale (pour une analyse de ces questions, voir avec les
références citées, P.-M. Dupuy et Y. Kerbrat, Droit international public, Dalloz, 11ème éd.,
2012, spéc. n° 148 et s.). Cette absence de contrôle a un effet très important. Des
contestations sont portées à d’autres niveaux, devant la CJUE, la CEDH et des juridictions
étatiques, relatives à la conformité de mesures européennes ou nationales d’exécution de ces
actes dérivés internationaux au regard notamment de standards internationaux, européens et
nationaux de protection de droits fondamentaux (sur cette dynamique, voir infra, n° xxx nos
développements).
§ 3 - Le développement des procédés de hiérarchisation matérielle
210. Dans une approche matérielle, les procédés de hiérarchisation reposent sur l’existence
de normes impératives. Le juriste s’intéresse alors au contenu, à la substance des normes en
présence pour savoir si elles sont ou non compatibles les unes avec les autres. Qu’en est-il
256
dans le contexte international ? La situation a progressivement évolué sur ce terrain. Si le
droit international public demeure attaché à un principe d’équivalence normative, traduisant
ainsi des rapports entre Etats fondés sur des souverainetés équivalentes, le droit international
positif consacre une place à la primauté de normes impératives (jus cogens).
211. L’un des points de départ de cette évolution remonte à l’adoption de la Convention de
Vienne de 1969 sur le droit des traités.
Situation - L’affirmation de la primauté des normes impératives
L’exemple de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)
La Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) consacre trois dispositions aux
normes impératives de droit international : selon son article 53, intitulé Traités en conflit
avec une norme impérative de droit international (jus cogens), « Est nul tout traité qui, au
moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international
général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international
général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans
son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut
être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même
caractère » ; en vertu de l’article 64 relatif à La survenance d’une nouvelle norme impérative
du droit international général (jus cogens), « Si une nouvelle norme impérative du droit
international général sur- vient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient
nul et prend fin » ; aux termes de l’article 71 ayant trait aux Conséquences de la nullité d’un
traité en conflit avec une norme impérative du droit international général, il est précisé : « 1.
Dans le cas d’un traité qui est nul en vertu de l’article 53, les parties sont tenues : a)
D’éliminer, dans la mesure du possible, les conséquences de tout acte accompli sur la base
d’une disposition qui est en conflit avec la norme impérative du droit international général; et
b) De rendre leurs relations mutuelles conformes à la norme impérative du droit
international général. 2. Dans le cas d’un traité qui devient nul et prend fin en vertu de
l’article 64, la fin du traité : a) Libère les parties de l’obligation de continuer d’exécuter le
traité; b) Ne porte atteinte à aucun droit, aucune obligation, ni aucune situation juridique
des parties, créés par l’exécution du traité avant qu’il ait pris fin; toutefois, ces droits,
obligations ou situations ne peuvent être maintenus par la suite que dans la mesure où leur
maintien n’est pas en soi en conflit avec la nouvelle norme impérative du droit international
général ».
Ces dispositions ont un caractère innovant en droit international public dans la mesure où
une sanction est dorénavant attachée au non-respect des normes impératives de droit
international : la nullité des traités contraires (voir notamment, les explications proposées par
257
P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8e éd. LGDJ 2009, n° 125 et s.).
Même si l’identification de ces normes impératives (leur forme, leur contenu) est
controversée, l’énoncé nouveau proposé par la Convention de Vienne stimule la discussion
sur le terrain de la hiérarchisation du droit international.
Exemples de règles impératives dégagées par les juridictions internationales
L’évocation de règles impératives de droit international devant les juridictions
internationales n’est pas un phénomène rare. La jurisprudence offre ainsi des exemples où
elle retient cette qualification. Voir pour deux arrêts particulièrement remarqués : TPIY, 10
déc. 1998, Furundzija, § 153 : « Alors que la nature erga omnes dont il vient d’être question
ressortit au domaine de la coercition internationale (au sens large), l’autre trait majeur du
principe interdisant la torture touche à la hiérarchie des règles dans l’ordre normatif
international. En raison de l’importance des valeurs qu’il protège, ce principe est devenu une
norme impérative ou jus cogens, c’est-à-dire une norme qui se situe dans la hiérarchie
internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit
coutumier “ordinaire”. La conséquence la plus manifeste en est que les Etats ne peuvent
déroger à ce principe par le biais de traités internationaux, de coutumes locales ou spéciales
ou même de règles coutumières générales qui n’ont pas la même valeur normative » ; voir
également, CIJ, 3 fév. 2006, Activités armés sur le territoire du Congo, de manière incidente
mais expresse, ce qui est une première pour cette juridiction : § 64 « La Cour commencera
par réaffirmer que « les principes qui sont à la base de la convention [sur le génocide]
sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même
en dehors de tout lien conventionnel » et que la conception ainsi retenue a pour
conséquence « le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de la
coopération nécessaire « pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux » (préambule
de la convention) » (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23). Il en résulte que « les droits
et obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes »
(Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1996 (II), p. 616, par. 31). La Cour observe toutefois qu’elle a déjà eu l’occasion de
souligner que « l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la
juridiction sont deux choses différentes » (Timor oriental (Portugal c. Aus- tralie),
C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29), et que le seul fait que des droits et obligations erga
omnes seraient en cause dans un différend ne saurait donner compétence à la Cour pour
connaître de ce différend. Il en va de même quant aux rapports entre les normes
impératives du droit international général (jus cogens) et l’établissement de la
258
compétence de la Cour : le fait qu’un différend porte sur le respect d’une norme
possédant un tel caractère, ce qui est assurément le cas de l’interdiction du génocide,
ne saurait en lui-même fonder la compétence de la Cour pour en connaître. En vertu du
Statut de la Cour, cette compétence est toujours fondée sur le consentement des
parties ».
Ces deux exemples, choisis parmi d’autres, ne doivent pas faire illusion. En particulier, la
Cour internationale de justice demeure extrêmement prudente dans ses références au jus
cogens. Une étude spécialisée (A. Biad, La Cour internationale de justice et le droit
international humanitaire - Une lex specialis revisitée par le juge, Bruylant, 2011) nous
permet d’en prendre la mesure. Ce travail a recensé, dans l’ensemble des affaires
contentieuses et consultatives traitées par la Cour internationale de justice, douze cas
susceptibles d’alimenter une réflexion en droit international humanitaire. L’étude s’interroge
notamment sur « le caractère de jus cogens des principes fondamentaux du jus in bello » (pp.
50 à 59 de l’ouvrage). Elle montre ainsi que la CIJ ne retient pas cette qualification et se
contente d’affirmer l’existence de « principes intransgressibles » ou « d’obligations erga
omnes ». Même si ces qualificatifs ont une incidence en termes de hiérarchisation des
normes de droit international, ils n’ouvrent pas au grand jour - et c’est sans doute à dessein -
la discussion difficile de la suprématie de certaines règles internationales sur les autres.
212. Ces quelques références textuelles et jurisprudentielles au jus cogens ne sont que la
partie visible de l’iceberg. Un processus majeur de hiérarchisation matérielle est à l’œuvre
dans le domaine des droits fondamentaux. L’ordre international, pas plus que les ordres
internes et les ordres européens, n’échappe au phénomène. Mais il a sa spécificité. La
hiérarchisation matérielle s’est d’abord considérablement développée en raison de la
multiplication des instances internationales et régionales susceptibles de traiter directement ou
indirectement de la protection des droits de l’homme1. Cette évolution a ouvert une réflexion
doctrinale mondiale sur la constitutionnalisation du droit international.
Situation - La constitutionnalisation du droit international en débat
Exemples de travaux sur le sujet
Sans prétendre à l’exhaustivité, on signalera quatre ouvrages publiés relativement récemment
et traitant, notamment, du thème de la constitutionnalisation du droit international : L.
Klabbers, A. Peters, G. Ulfstein, The Constitutionalization of International Law, Oxford
1 Sur le phénomène de hiérarchisation des droits de l’homme, voir, avec les nombreuses références citées,
l’analyse proposée par P.-M. Dupuy et Y. Kerbrat, Droit international public, Dalloz, 11ème éd., 2012, spéc. n°
227.
259
University Press, 2009 ; H. Ruiz Fabri Et M. Rosenfeld (dir.), Repenser le
constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation, Ed. Société de
Législation Comparée, 2011 ; S. Hennette-Vauchez, J.-M. Sorel (dir.), Les droits de
l’homme ont-ils constitutionnalisé le monde ?, Bruylant, 2011 ; E. de Wet, J. Vidmar (ed.),
Hierarchy in International Law - The place of Human Rights, Oxford University Press, 2012.
Ces recherches ne concernent pas toutes immédiatement la question qui nous intéresse ici
d’une hiérarchisation du droit international. Mais il n’est pas inintéressant d’en rendre
compte, même brièvement, pour mesurer les différents aspects de ce sujet difficile et débattu.
Paradoxalement, le premier ouvrage (The Constitutionalization of International Law, préc.)
est celui qui accorde le moins d’importance au processus de hiérarchisation. Il appréhende la
question sous l’angle du pluralisme constitutionnel en éprouvant le système international
dans son aptitude à épouser les formes reconnues du constitutionnalisme (Institutions et
compétences, processus normatif, l’existence d’un pouvoir judiciaire, des membres d’une
communauté soumise à une constitution globale, d’une démocratie qui aurait ici un caractère
dual).
Le deuxième travail (Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la
privatisation, préc.) est divisé en deux parties. La première partie rassemble les contributions
ayant trait à la confrontation de deux phénomènes désignés par les expressions
« constitutionnalisme » et « pluralisme juridique ». La seconde partie explore les
mouvements de « globalisation » et de « privatisation » du droit sur le terrain des droits
fondamentaux (notamment : droit des minorités, religion et droits économiques et sociaux).
Une étude est dédiée au thème qui nous intéresse (J.-M. Sorel, La constitutionnalisation du
droit international : conflits et concurrence des sources du droit ? Fausse querelle et vraies
questions, p. 23) où l’auteur explique, notamment, que si un accord se dessine pour que le
constitutionnalisme soit entendu de manière substantielle et non institutionnelle dans le
contexte international, ce constitutionnalisme n’est pas un outil immédiatement opérationnel
mais plutôt un discours sur le droit (p. 44).
Le troisième travail porte publication des actes d’un important colloque (Les droits de
l’homme ont-ils constitutionnalisé le monde ?, préc.). Il fait une large place au contexte
européen. Mais il contient deux contributions en droit international. Outre l’analyse d’un
auteur proche de celle présentée ci-dessus (J.-M. Sorel, préc.), on trouve une étude sur le
paradigme de la constitutionnalisation vu du droit international (O. de Frouville, p. 193) où
l’auteur fonde l’existence d’une constitution en droit international sur l’existence d’un droit
et où il défend une vision résolument moniste du droit international (avec prédominance de
ce dernier).
260
Le dernier ouvrage fait une large place aux droits de l’homme, comme outil de
hiérarchisation d’une multitude de branches spécialisées du droit international (Hierarchy in
International Law - The place of Human Rights, préc.). Une étude néanmoins est consacrée
au thème général du conflit de normes et de la hiérarchie en droit international (J. Vidmar, p.
13). L’auteur y propose une photographie classique mais très complète des différentes
questions de hiérarchisation que se présentent dans l’ordre international et qui mettent en
scène la protection de droits fondamentaux.
Tous ces travaux mobilisent des discussions importantes, notamment en théorie du droit.
L’évocation essentiellement matérielle d’une constitutionnalisation du droit international (et
au demeurant du droit en général) par le canal des droits fondamentaux est l’occasion de
réactiver le débat sur les fondements du droit, c’est-à-dire ni plus ni moins sur sa définition.
Pour une approche compréhensive du phénomène, voir M. Delmas-Marty, Les forces
imaginantes du droit, T4. Vers une communauté de valeurs ? : Seuil 2011. Pour un examen
critique, voir, par exemple, P. Brunet, La constitutionnalisation des valeurs par le droit, in S.
Hennette-Vauchez, J.-M. Sorel (dir.), Les droits de l’homme ont-ils constitutionnalisé le
monde ?, préc., p. 257.
261
Section 3 – La hiérarchisation des droits dans le contexte européen : le cas de l’Union
européenne
213. Dans le contexte européen, l’Union européenne dispose d’une structure juridique
qu’aucun autre système juridique international, régional ou national au monde ne connaît.
Cette structure, dans son état actuel de concrétisation, est un entre-deux, à mi-chemin d’une
organisation internationale et d’un Etat fédéral.
Cette position intermédiaire a nécessairement une répercussion importante sur le processus de
hiérarchisation des droits. Ce dernier emprunte, en effet, deux canaux : celui d’une intégration
hiérarchique §1) et celui d’une hiérarchie interne (§2).
§ 1 - Une intégration hiérarchique
214. L’amorce puis le développement du processus européen d’intégration juridique se sont
faits par l’affirmation d’une primauté protéiforme du droit de l’Union européenne sur le droit
national des Etats membres (A). Même si elle ne s’exerce pas directement sur le droit
international, cette primauté du droit européen sur le droit national n’est pas sans influence
sur les rapports entre le droit européen et le droit international (B).
A- La primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national des Etats membres
1/ la primauté par la supériorité
215. La primauté renvoie traditionnellement à une idée de supériorité. Dans son rapport à
l’ordre interne, elle est synonyme de supranationalité. La norme supranationale prime parce
que dans l’hypothèse d’une incompatibilité avec une norme interne, elle a vocation à
l’emporter.
Cette supranationalité prend une tournure assez particulière dans le contexte du droit de
l’Union européenne. La primauté du droit européen ne se résume pas à un simple alignement
vertical où la norme européenne serait placée au-dessus de la norme nationale. Elle a une
signification plus complexe. Dès le début de la construction européenne, la primauté a
impliqué une imbricaton hiérarchique entre l’ordre juridique européen et les ordres juridiques
nationaux. Or, cette forme de hiérarchie entre ordres juridiques n’est concevable, au premier
degré, que si l’ordre européen existe en tant que tel, aux côtés des ordres nationaux. C’est
donc dans l’affirmation d’un ordre juridique nouveau, intégré aux ordres juridiques nationaux,
immédiat et effectif, que le principe de primauté a pris corps.
262
Situation - L’affirmation d’un ordre juridique nouveau intégré
Les célèbres jurisprudences Van Gend & Loos et Costa c. Enel de la CJCE
L’expression « ordre juridique nouveau intégré » présente un caractère insécable dans le
vocabulaire juridique européen. Elle forme un tout indissociable où la nouveauté de l’ordre
juridique est inséparable de son caractère intégré. Cette formule, nous la devons à l’audace
d’un juge. C’est ainsi que l’on peut lire dans les premiers grands arrêts de la Cour de justice
des Communautés européennes : « Que la Communauté constitue un nouvel ordre juridique
de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines
restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres
mais également leurs ressortissants. » (CJCE, 5 févr. 1963, Van Gend & Loos, aff. 26/62) ; «
Qu’à la différence des Traités internationaux ordinaires, le Traité de la CEE a institué un
ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l’entrée en
vigueur du Traité et qui s’impose à leurs juridictions. » (CJCE, 15 juill. 1964, Costa c/ Enel,
aff. 6/64).
Les termes choisis sont extraordinairement forts. Le droit de la Communauté économique
européenne de l’époque est, selon la juridiction européenne, le résultat d’une « limitation »
des souverainetés nationales, et non la simple expression de ces souverainetés. Il a pour
« sujets non seulement les États membres mais également leurs ressortissants ». Les États se
trouvent ainsi placés « au même niveau » que les peuples alors qu’en droit international, ils
sont généralement considérés comme les seuls sujets juridiques véritables. Il s’agit bien ici
« d’un ordre juridique propre (ou nouveau), intégré », c’est-à-dire qui « s’impose aux
juridictions nationales » sans qu’une intervention étatique soit a priori nécessaire.
La place du principe de primauté dans les textes en vigueur
Le principe de primauté figurait en bonne place dans le Traité de Rome établissant une
Constitution pour l’Europe (art. I-6 Const. europ. « La Constitution et le droit adopté par les
institutions de l’Union, dans l’exercice des compétences qui lui sont attribuées ont la
primauté sur le droit des États membres », non entré en vigueur). Les négociateurs du Traité
de Lisbonne (2009) ont manifestement préféré opter pour une solution de compromis. On
peut lire dans la déclaration no 17 : « La Conférence rappelle que, selon une jurisprudence
constante de la Cour de justice de l'Union européenne, les traités et le droit adopté par
l'Union sur la base des traités priment le droit des États membres, dans les conditions
définies par ladite jurisprudence. En outre, la Conférence a décidé d'annexer un avis du
Service juridique du Conseil du 22 juin 2007 (11197/07, JUR 260) où il est précisé : « Il
découle de la jurisprudence de la Cour de justice que la primauté du droit communautaire est
un principe fondamental dudit droit. Selon la Cour, ce principe est inhérent à la nature
particulière de la Communauté européenne. À l'époque du premier arrêt de cette
263
jurisprudence constante (arrêt du 15 juillet 1964 rendu dans l'affaire 6/64, Costa contre
ENEL), la primauté n'était pas mentionnée dans le traité. Tel est toujours le cas actuellement.
Le fait que le principe de primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne modifiera en rien
l'existence de ce principe ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice ».
216. Pour traduire cette double exigence de nouveauté et d’intégration, il a fallu faire en
sorte qu’un rapport d’application immédiate s’instaure entre la règle européenne et ses
destinataires potentiels (institutions européennes et nationales, citoyens européens
notamment).
Situation - Un ordre juridique immédiat
Le non moins important arrêt Simmenthal de la CJCE
L’ordre européen a vocation à s’imposer de lui-même, de manière permanente, sans faire
nécessairement intervenir les ordres juridiques nationaux : « En vertu du principe de la
primauté du droit communautaire, les dispositions du Traité et les actes des institutions
directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États
membres, non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en
vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante, mais encore – en tant
que ces dispositions et actes font partie intégrante, avec rang de priorité, de l’ordre juridique
applicable sur le territoire de chacun des États membres – d’empêcher la formation valable
de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des
normes communautaires. » (CJCE,, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77).
L’application immédiate traduit ainsi la volonté des États européens d’appliquer de manière
uniforme des règles définies en commun, au sein d’institutions européennes propres, règles
dont la finalité est d’atteindre, au-delà des États, les peuples qui les composent. Cependant,
l’immédiateté est plus facile à poser qu’à obtenir effectivement. L’affirmation d’un ordre
juridique nouveau intégré ne peut se satisfaire de simples formules.
217. Pour donner vie au principe de primauté, le droit européen a multiplié les instruments
juridiques. Certes, avec le temps, ces instruments se sont banalisés, de sorte que, pris
isolément, ils ne sont pas toujours révélateurs d’une spécificité européenne. Une chose
subsiste tout de même : leur nombre et leur diversité.
Mais la force du droit européen tient surtout à sa capacité à définir les modalités précises par
lesquelles les institutions (européennes et nationales) et les requérants (privilégiés, comme les
Etats ou les institutions européennes, ou ordinaires, comme un simple particulier) peuvent
264
faire respecter un principe de primauté. Ces solutions peuvent être regroupées sous une
double appellation : l’invocabilité et la justiciabilité du droit européen.
Situation - Retour sur l’invocabilité et la justiciabilité du droit européen
L’exemple remarquable d’une concrétisation européenne du principe de primauté
Le thème de l’invocabilité du droit européen s’inscrit dans le prolongement de la question de
« l’effet direct » et renvoie aux différentes manières dont le droit européen peut être invoqué.
Sans qu’il soit ici utile d’y revenir (sur différentes formes d’invocabilité, voir supra nos
développements, n° xxx), il est intéressant d’observer que le droit européen n’a pas laissé la
question de l’invocabilité de ces normes à la libre appréciation des acteurs nationaux. Il s’est
efforcé au contraire de poser des principes de solutions qui s’imposent à eux.
Le thème de la justiciabilité du droit européen – qui est étroitement lié à celui de
l’invocabilité – contribue également à cette recherche d’effectivité. S’ils veulent invoquer
utilement le droit européen, les justiciables doivent pouvoir s’adresser à un juge. Le droit
européen a donc développé un véritable droit d’accès au juge. Ce droit d’accès a des
implications contraignantes pour le juge national. Ce dernier reçoit le titre de « juge
européen de droit commun » (cette expression, fréquemment utilisée par les spécialistes, a
été employée à deux reprises par la juridiction européenne, à notre connaissance : TPI,
10 juill. 1990, Tetra Pak, aff. T-51/89 ; TPI, 22 déc. 1995, Danielsson, aff. T-219/95(R)) ce
qui implique une application effective et non-moins favorable du droit européen. Par ailleurs,
la résistance opposée par un juge national à l’application effective du droit européen peut
être sanctionnée, soit par un recours devant la juridiction supérieure, soit par un autre juge,
dans une autre affaire ou dans une action visant à mettre en cause la responsabilité de l’État
(CJCE, 30 sept. 2003, Köbler, aff. C-224/01).
Cette primauté de l’ordre juridique européen n’a pas, pour autant, vocation à faire disparaître
les ordres juridiques nationaux. Au contraire, les deux types d’ordre juridique subsistent et
avec eux une forme irréductible de dualisme.
218. L’affirmation de la primauté du droit européen n’a pas eu pour effet de faire
disparaître totalement la dualité entre l’ordre juridique européen et les ordres juridiques
internes des différents États membres. En tant qu’ordre juridique intégré, le droit européen
aspire à se fondre dans les ordres juridiques nationaux de manière à ce que ses règles y soient
appliquées exactement de la même manière que les règles nationales.
Mais cette aspiration à l’intégration rencontre parfois des obstacles. Il peut s’agir de simples
difficultés de mise en œuvre tenant à la pratique de telle ou telle juridiction nationale ou
265
concernant un type précis de contentieux. Il peut également s’agir de véritables questions de
principe. C’est le cas quand un conflit survient entre une norme européenne et une norme
constitutionnelle nationale. Nous avons déjà rencontré cette hypothèse dans le contexte
national (français en l’occurrence). Qu’en est-il dans le contexte européen ?
Situation - L’hypothèse du conflit entre une norme européenne et une norme
constitutionnelle nationale
Les célèbres arrêts « International Handelsgesellschaft » et « Commission c/ Grand-
Duché » de la CJCE
L’hypothèse d’un conflit entre une norme européenne et une norme constitutionnelle
nationale se présente rarement. Il existe une grande convergence entre les traditions
constitutionnelles nationales et la définition des principes généraux du droit européen (sur ce
phénomène de convergence, v. supra, n° xxx). On peut donc estimer que, le plus souvent, les
textes européens (règlements ou directives par ex.) sont conformes aux règles fondamentales
européennes et notamment aux principes généraux du droit européen, de sorte qu’ils sont
également respectueux des constitutions nationales des États membres. De même, il est assez
difficile d’imaginer le cas où une constitution nationale d’un État membre viendrait
délibérément heurter un principe ou une règle européenne. Très souvent, le contraire se
produit : un État membre modifie sa constitution nationale de manière à la rendre compatible
avec les normes européennes (sur ce scénario en droit français, v. supra, n° xxx). Toutefois,
des cas d’incompatibilité ne sont pas à exclure totalement et l’hypothèse s’est présentée
plusieurs fois.
Face à cette situation, la Cour de justice a eu l’occasion de préciser assez tôt que «
L’invocation d’atteintes à des normes constitutionnelles [nationales] ne saurait affecter la
validité d’un acte de la Communauté ou ses effets sur le territoire de l’État en cause. »
(CJCE, 17 déc. 1970, International Handelsgesellschaft, aff. 11/70). De manière plus
générale encore, elle a considéré que « Le recours à des dispositions d’ordre juridique interne
afin de limiter la portée des dispositions communautaires... ne saurait être admis. » (CJCE,
5 mars 1996, Commission c/ Grand-Duché, aff. C-473/93).
Dans ce rapport vertical de supériorité de l’ordre juridique européen sur l’ordre juridique
national, la Cour de justice considère que la norme nationale constitutionnelle ne doit pas
être traitée différemment des autres normes nationales. Le droit national – fût-il de source
constitutionnelle – est soumis au principe de primauté du droit européen.
Cette pratique décisionnelle de la juridiction européenne doit-elle être rapprochée de celles
que nous avons déjà analysées dans le contexte national (suprématie de la constitution
française sur les traités internationaux, voir supra, n° xxx) et international (refoulement du
266
droit national et éventuellement, européen, voir supra, n° xxx) ? Deux raisons permettent
d’en douter. D’une part, contrairement au contexte national, l’affirmation de la primauté du
droit européen vise ici l’ensemble des normes européennes et non pas seulement celles qui
bénéficieraient d’une suprématie dans l’ordre juridique européen en raison de leur caractère
fondamental. D’autre part, à la différence ce qui peut être observé dans le contexte
international, la Cour de justice n’éprouve pas le besoin de reléguer le droit national à l’état
de « simple fait » : elle ne saurait d’ailleurs s’engager dans cette voie, tant sont nombreuses
les situations où le droit européen confère un véritable rôle juridique au droit national des
Etats membres (sur des exemples de complémentarité organisée entre les deux, voir supra n°
xxx les exemples en matière de transposition des directives et d’encadrement de l’autonomie
procédurale reconnue aux Etats).
2/ La primauté par l’autonomie
219. L’ordre juridique européen se présentant comme un ordre juridique nouveau, distinct
des ordres existants, il a eu besoin de se doter d’une certaine autonomie pour affirmer son
existence propre. Cette recherche d’autonomie est cruciale dans la construction européenne et
participe de l’essence même de la primauté. Pris dans son sens étymologique le plus courant
(du grec, auto nomos, qui se régit par ses propres lois), le terme « autonomie », implique, en
effet, une capacité de l’ordre juridique européen à se doter d’outils propres, nécessaires à sa
réalisation. Ces outils peuvent être institutionnels.
Situation - La primauté synonyme d’autonomie institutionnelle
Le cas de l’Union européenne
L’autonomie institutionnelle de l’Union européenne repose sur la création d’un certain
nombre d’institutions, distinctes de celles existant dans les différents États membres. Il est
certain que le droit européen ne serait pas ce qu’il est devenu sans la Cour de justice, le
Conseil, le Parlement, la Commission, la Banque centrale européenne (etc.). Mais au-delà de
la création d’institutions nouvelles, c’est leur mode de fonctionnement qui importe. Ces
institutions fonctionnent selon des règles prédéfinies, auxquelles les États se soumettent par
anticipation. Dans le cadre de ce fonctionnement institutionnel, l’intervention étatique
demeure exceptionnelle.
La situation varie fortement d’une institution ou d’une procédure à l’autre. Entre le Conseil,
où les États sont tous représentés, et la Cour de justice ou le Parlement, où ils n’apparaissent
pas en tant que tels, la distance est grande. Entre une procédure à l’unanimité et une
procédure à la majorité qualifiée, il existe un écart important, en termes de pouvoir respectif
de chacun des États.
267
Malgré cette hétérogénéité très forte, le fait est que l’Union européenne ne ressemble à
aucune autre organisation internationale. Même s’il est loin d’avoir totalement disparu, le
mode intergouvernemental qui domine dans la plupart des organisations internationales,
occupe une place accessoire dans l’Union européenne. Dans les rapports internes à l’Europe,
les institutions de l’Union disposent d’une capacité à dire et à appliquer le droit avec une
certaine autonomie. Sur la scène internationale, elles sont devenues de véritables acteurs
juridiques, souvent indépendamment des États membres.
220. Les outils d’une autonomisation du droit européen peuvent également être de droit
matériel.
Situation - La primauté synonyme d’autonomie de droit matériel
Le cas de l’Union européenne
L’autonomie du droit européen a également une dimension matérielle. Dans son contenu, sa
substance même, le droit européen cherche à acquérir une certaine autonomie par rapport
aux droits nationaux des différents États membres. Ainsi, par exemple, toutes les grandes
notions juridiques utilisées dans le domaine des libertés économiques (marchandises,
services, travailleurs, capitaux, entreprises) ont été définies de manière autonome par les
textes et la jurisprudence européenne (pour des illustrations de définition autonome, voir
supra, n° xxx).
Cette autonomie – grandement facilitée par le travail d’interprétation de la Cour de justice –
est un gage d’uniformité du droit européen. Or cette uniformité est essentielle au droit
européen. Si, dans son domaine d’application, le droit européen veut pouvoir primer sur les
droits nationaux des États membres, il n’a d’autre possibilité que d’exister par lui-même,
avec un certain degré d’uniformité.
L’autonomie suppose également une définition européenne des effets produits par la norme
européenne. Nous retrouvons ici la fameuse question de « l’invocabilité du droit européen »
que nous avons déjà envisagée (v. supra, n° xxx). La maîtrise par le droit européen de la
définition des effets produits par ses règles est une donnée essentielle de son autonomie et
donc de sa primauté. Une disposition du Traité, d’une source externe, d’un règlement, d’une
directive, d’une décision doit être dotée de la même force juridique dans tous les États
membres. Le droit européen s’affranchit de la sorte des particularismes nationaux. Son
efficacité matérielle n’en est que plus grande.
3/ La primauté par la loyauté
221. La primauté du droit européen sur le droit national s’exerce également au travers d’un
principe de loyauté. Dénommé de différentes manières (fidélité, solidarité, coopération
268
loyale), ce principe constitue un élément central de la construction européenne. Dans une
conception « commune » du droit européen, il livre une véritable philosophie des rapports
entre l’Union européenne et les États membres.
Parfois obérée sur le terrain politique, la loyauté n’a cessé de se développer sur le plan
juridique et de gagner ainsi en positivité.
Situation - La loyauté est synonyme de primauté
Evolution de la jurisprudence et des textes
Longtemps, la loyauté a été perçue comme l’expression aussi générale que floue de
l’obligation pour les États membres de prendre toutes les mesures nécessaires, utiles à
l’efficacité du droit européen et de s’abstenir de toute action de nature à mettre en péril les
objectifs communs. La disposition du Traité (ancien art. 10 CE) qui visait le principe de la
manière la plus directe n’était d’ailleurs jamais appliquée seule, le juge préférant la combiner
avec d’autres textes, plus précis et plus opérationnels.
Les choses ont progressivement évolué. La Cour de justice a commencé par déduire de cette
disposition un certain nombre d’obligations pour les États membres. La loyauté a acquis une
force propre, assimilable à celle d’un principe général. Cette évolution, très importante, a
permis à la Cour de justice de considérer, par exemple, que : «Lorsqu’une réglementation
communautaire ne comporte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction en cas de
violation ou renvoie sur ce point aux dispositions législatives, réglementaires et
administratives nationales, l’article 5 [devenu art. 10] du Traité impose aux États membres
de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit
communautaire » (CJCE, 21 sept. 1989, Commission c/ Grèce, aff. 68/88). Sa portée s’est
également accrue. Cantonnée à l’origine à une dimension exclusivement verticale et
unilatérale, elle était exclusivement invoquée pour contraindre les États à respecter l’action
des institutions européennes. Elle s’est bilatéralisée, imposant à l’Union européenne d’être
loyale envers les États membres : « (...) la Commission, qui, en vertu de son devoir de
coopération loyale avec les autorités judiciaires des États membres chargées de veiller à
l’application et au respect du droit communautaire dans l’ordre juridique national, leur
communiquera les données économiques et juridiques qui leur sont nécessaires pour trancher
le litige dont elles sont saisies et qu’elle est en mesure de leur fournir » (CJCE,
28 févr. 1991, Delimitis, aff. C-234/89).
Cette double ampleur donnée par la jurisprudence au principe de loyauté a inspiré les
rédacteurs du Traité de Lisbonne (2009). Le principe de « coopération loyale » y est
269
expressément désigné, il implique une assistance mutuelle des Etats et de l’Union et il est
doublé d’une obligation pour l’Union de respecter l’égalité des Etats membres (art. 4 TUE).
B - La primauté du droit de l’Union européenne et le droit international
222. Compris comme un outil d’intégration juridique, le principe de primauté du droit de
l’Union européenne n’a jamais été conçu pour définir, de manière générale, un rapport de
hiérarchie entre le droit international et le droit européen. Personne ne songe à dire, par
exemple, que le droit européen est, en vertu du principe de primauté, supérieur au droit
international. On peut même affirmer sans hésiter que les textes et la jurisprudence s’efforcent
de rappeler le respect dû au droit international.
Situation - L’affirmation du respect dû au droit international
Exemples dans les traités européens
Le TUE et TFUE multiplient les références au droit international. Sans prétendre à
l’exhaustivité, voici quelques-unes des formules que l’on peut lire dans les traités : « Dans
ses relations avec le reste du monde, l'Union (…) contribue (…) au strict respect et au
développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des
Nations unies » (art. 3.5 TUE) ; « L'action de l'Union sur la scène internationale repose
sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son
élargissement et qu'elle vise à promouvoir dans le reste du monde : (…) le respect des
principes de la charte des Nations unies et du droit international » (art. 21 §1 TUE) ; « Le
présent article n'affecte pas la compétence des États membres concernant la délimitation
géographique de leurs frontières, conformément au droit international » (77 §4 TFUE).
Exemples dans la jurisprudence de la CJCE et CJUE
La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes puis de l’Union
européenne offre des marques d’inclinaison du juge européen à l’égard du droit international.
Ainsi par exemple, la formule « respect du droit international » est régulièrement utilisée par
la Cour de justice depuis 1992 (CJCE, 24 nov. 1992, Poulsen et Diva Navigation, aff. C-
286/90). Voici quelques morceaux choisis : « les compétences de la Communauté doivent
être exercées dans le respect du droit international » (CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-
162/96 ; même formule in CJCE, 3 juin 2008, Intertanko, aff. C-308/06 ; « La réserve selon
laquelle il y a lieu de respecter le droit de l’Union ne porte pas atteinte au principe de droit
international (…) selon lequel les États membres sont compétents pour définir les conditions
d’acquisition et de perte de la nationalité » (CJUE, 2 mars 2010, Rottmann, aff. C-135/08).
223. Si le principe de primauté du droit de l’Union européenne sur le droit des Etats
270
membres n’intéresse donc pas directement les rapports entre le droit européen et le droit
international, cela ne veut pas dire qu’il n’a pas eu de répercussion sur eux. C’est même sans
doute le contraire qui peut être observé.
D’un point de vue historique, le principe de primauté a permis, ni plus ni moins, au droit
européen d’exister en propre, de manière autonome par rapport aux ordres juridiques
nationaux qui ont présidé à sa création. L’affirmation de l’existence d’un système juridique
supérieur et autonome s’est traduite dans l’ordre international par l’émergence d’un nouvel
acteur. L’Union européenne existe sur la scène internationale au terme du processus
d’intégration hiérarchique qui l’a vu naître.
224. De manière plus actuelle, le principe de primauté exerce une double influence sur le
droit international. Dans les relations internes à l’Union européenne, le principe de primauté a
justifié un traitement différencié de la norme internationale. Dans les relations externes à
l’Union européenne, les rapports de hiérarchie entre l’Union européenne et ses Etats membres
sont parfaitement perceptibles sur la scène internationale. Ils offrent même une grille de
lecture particulièrement instructive sur l’état, à géométrie variable, du processus d’intégration
hiérarchique. Cette double influence ne peut être véritablement appréhendée qu’au terme
d’une approche dynamique de la hiérarchisation. Nous la retrouverons donc un peu plus tard1.
§ 2 - Une hiérarchie interne
225. En droit de l’Union européenne, la hiérarchisation des droits ne se limite pas à
l’énoncé d’un principe de primauté. L’Union européenne s’est attachée, en effet, à poser les
éléments d’une hiérarchie d’ensemble (A) qui contribue, quoiqu’imparfaitement, à
l’affirmation du système juridique européen (B).
A - Les éléments d’une hiérarchie d’ensemble
1/ La hiérarchie entre le droit primaire et le droit dérivé
226. Le droit primaire est formé des différents Traités (ainsi que les protocoles et
déclarations annexes) qui ont donné naissance aux Communautés européennes (1951 et 1957
puis à l’Union européenne (1992), de ceux qui ont modifié les textes fondateurs (en dernier
lieu : Traité de Lisbonne de 2009) et de ceux, enfin, qui sont relatifs à l’adhésion de nouveaux
États membres. Le droit dérivé (appelé aussi « droit secondaire ») regroupe, dans une
1 Voir infra, Chapitre 2
271
définition étroite, la plus communément admise, les différents actes unilatéraux adoptés par
les institutions européennes sur la base des Traités (par ex., selon l’art. 288 TFUE, les
règlements, directives et décisions).
Les rapports entre les sources de droit primaire et de droit dérivé sont soumis au principe de
hiérarchie suivant : le Traité sur l’Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (dans la
limite du domaine d’application du droit de l’UE) priment de manière générale sur les
règlements, directives et décisions, etc. Deux raisons fondent cette hiérarchie. La première
raison est tirée du droit international. Un Traité en vigueur ne peut être révisé que par un
nouveau Traité liant l’ensemble des États parties. Dans le contexte du droit de l’Union
européenne, cette règle exclut la possibilité de faire intervenir une révision du droit primaire
par la voie d’un règlement ou d’une directive. La seconde raison est spécifique à l’architecture
institutionnelle européenne. En créant les Communautés puis l’Union, en les dotant d’organes
agissant selon des règles de compétence et une nomenclature prédéfinie, les États ont conféré
au droit primaire une « dimension-cadre ». Cette aptitude du droit primaire à encadrer l’action
européenne se traduit, concrètement, par la nécessité, pour le droit dérivé, de respecter les
Traités et de ne pas les contredire.
Situation - La soumission du droit dérivé au droit primaire
Exemples jurisprudentiels tirés du contentieux sur la base juridique
La soumission du droit dérivé au droit primaire implique que le droit dérivé trouve sa base
juridique dans le droit primaire. Différentes procédures (art. 263, 265 et 266 TFUE) sont
aménagées pour permettre un contrôle par la Cour de justice de l’Union européenne.
Le contentieux sur la base juridique est régulièrement alimenté. Rares sont néanmoins les
hypothèses où la juridiction de l’Union européenne reconnaît un défaut de base juridique.
Voir, à titre d’illustration, sur l’appréciation de la validité d’une directive « tabac » : CJCE,
10 déc. 2002, BAT, aff. C-491/01 ; comparer pour une directive « temps de travail » : CJCE,
9 sept. 2004, Espagne et Finlande c/ Parlement et Conseil, aff. jtes C-184/02 et C-223/02 ;
voir, également, pour un règlement intervenu en matière de téléphonie mobile : CJUE, 8 juin
2010, Voldafone, aff. C-58/08.
Un principe d’interprétation conforme du droit dérivé à la lumière du droit primaire
La soumission du droit dérivé au droit primaire a amené la Cour de justice à développer ce
que l’on pourrait appeler un principe d’interprétation conforme du droit dérivé à la lumière
du droit primaire. On peut en donner une illustration dans une affaire préjudicielle posant
272
une question d’interprétation d’une norme de droit dérivé (directive) intervenue pour
accompagner la réalisation du marché intérieur (CJCE, 4 oct. 2007, Schutzverband der
Spirituosen-Industrie, aff. C-457/05) où il est dit que « selon une jurisprudence constante, un
texte du droit communautaire dérivé doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le
sens de sa conformité avec les dispositions du traité CE et les principes généraux du droit
communautaire (arrêts du 13 décembre 1983, Commission/Conseil, 218/82, Rec. p. 4063,
point 15; du 25 novembre 1986, Klensch e.a., 201/85 et 202/85, Rec. p. 3477, point 21; du
21 mars 1991, Rauh, C-314/89, Rec. p. I-1647, point 17; du 27 janvier 1994, Herbrink,
C-98/91, Rec. p. I-223, point 9, et Borgmann, précité, point 30) ». Cette recherche de
conciliation n’est pas absolue. Elle doit être menée « dans la mesure du possible » de sorte
que, si contradiction il y a entre le texte de droit primaire et le droit dérivé, ce dernier doit
être écarté. Quand elle possible, cette interprétation conforme est la traduction d’une
soumission du droit dérivé au droit primaire.
2/ La hiérarchie entre les différentes normes de droit dérivé
227. Le principal élément de hiérarchie entre les différentes normes de droit dérivé s’appuie
sur une distinction entre les règles de base, dites de premier niveau, et les règles d’exécution,
dites de second niveau. Cette distinction classique joue un rôle important dans la production
normative de l’Union européenne. Elle permet, en effet, de faire le partage entre le droit
dérivé élaboré selon les procédures, souvent lourdes, définies par les Traités, et le droit dérivé
conçu en application de procédures arrêtées par d’autres dispositions de droit dérivé, plus
légères en règle générale. Deux droits dérivés coexistent : l’un, général, directement basé sur
le droit primaire et l’autre, plus spécialisé, fondé sur d’autres dispositions de droit dérivé.
Ce double niveau de droit dérivé – général et d’exécution – que s’efforce d’expliciter le traité
en vigueur (art. 289 à 291 TFUE), conduit à une hiérarchisation. Les dispositions d’exécution
doivent être conformes aux dispositions générales qui leur servent de fondement, faute de
quoi leur validité peut être contestée. Mais la hiérarchisation est essentiellement matérielle,
les tentatives de hiérarchisation formelle ayant globalement échoué.
Situation - Comment hiérarchiser le droit dérivé européen ?
Exemples de hiérarchisation matérielle
Le droit dérivé n’est pas globalement agencé selon une structuration formelle où les textes de
bases seraient réservés à telle forme d’actes et les textes d’exécution à une autre. Il est
parfaitement possible en droit de l’Union européenne qu’un règlement porte application d’un
autre règlement ou même qu’un règlement porte application d’une directive (V. par ex. en
273
droit de la concurrence : le Règlement (CE) no 773/2004 de la Commission du 7 avril 2004
relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82
du Traité CE (nouvels art. 101 et 102 TFUE), pris en application du Règlement (CE)
no 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité (idem) ; voir également pour un exemple
de règlement portant application d’une directive : Règlement (CE) no 2273/2003 de la
Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d’application de la
Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les dérogations
prévues pour les programmes de rachat et la stabilisation d’instruments financiers). La
hiérarchisation n’est pas formelle (CJCE, 17 déc. 1970, Köster, aff. 25/70). Elle est fonction
du contenu, de la substance de la norme, non de son enveloppe. C’est donc par ce biais
matériel qu’est contrôlée la légalité des textes d’exécution par rapport aux textes de base
(voir, par exemple, CJCE, 10 mars 1971, Deutsche Tradax, aff. 38/70 ; voir également, entre
autres exemples, utilisant l’expression « hiérarchie des normes » : CJUE, 26 juin 2012,
Pologne c. Commission, aff. C-335/09 P).
Une tentative avortée de hiérarchisation formelle
Le Traité de Rome établissant une Constitution pour l’Europe (2004, non entré en vigueur)
s’était efforcé d’établir une distinction entre la « loi », acte législatif, et le « règlement » acte
non législatif. Ces appellations ne sont pas absolument nouvelles dans le contexte européen.
La Cour de justice a eu l’occasion par le passé de les emprunter (voir, en particulier : CJCE,
17 déc. 1970, Köster, aff. 25/70 ; CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77). Néanmoins,
il n’est pas sûr que leur emploi soit juridiquement pertinent, dès lors que ledit Traité, tout
comme les précédents, ne pose pas de véritable séparation organique des pouvoirs législatifs
et réglementaires.
Le Traité de Lisbonne (2009) n’a pas retenu cette distinction formelle entre la « loi » et le
« règlement ». Il conforte cependant une opposition entre les procédures et les actes dits
« législatifs » et ceux « non législatifs ». Il n’est pas certain néanmoins que ce découpage
soit de nature à imposer une hiérarchisation formelle des normes de droit dérivé.
3/ La place des sources internationales dans le système juridique de l’Union européenne
228. Pour définir la place des sources internationales au sein de l’ordre juridique européen,
la doctrine, les traités ou la jurisprudence distinguent de manière assez classique la coutume
internationale, les actes des organisations internationales, et les accords internationaux (y
compris, dans ce dernier cas, les conventions européennes du Conseil de l’Europe). Pour les
accords internationaux, la distinction est encore faite entre les accords internes à l’Union
européenne et les accords externes. Enfin, pour les accords internationaux externes, la
274
distinction est opérée entre les accords externes conclus avant l’entrée en vigueur des traités
européens (ou avant l’adhésion d’un nouveau membre) et les accords externes conclus
postérieurement. Toutes ces distinctions sont importantes. Les règles et mécanismes d’accueil
des sources externes ne sont bien souvent pas les mêmes selon la source internationale
considérée.
Si l’on reste sur un terrain strictement hiérarchique, on peut dire que deux solutions
relativement claires se dégagent en droit positif.
229. Une première solution commande la soumission des traités internationaux liant l’UE
aux traités institutifs européens.
Situation - Soumission des traités internationaux liant l’UE aux traités institutifs
européens
Exemples dans le contentieux européen
La soumission des traités liant l’UE aux traités institutifs européens se manifeste dans le
contentieux (lato sensu) européen par deux voies principales.
La légalité de l’acte européen (défaut de base juridique, par exemple) par lequel la norme
internationale a été conclue par l’Union européenne (règlement ou décision) peut être
contestée au terme d’un recours en annulation porté devant la Cour de justice (voir pour la
première décision rendue en ce sens : CJCE, 9 août 1994, France c/ Commission,
aff. 327/91 ; comp., CJCE, 11 sept. 2003, Commission c/ Conseil, aff. C-211/01).
Mais une voie existe, préventive celle-là. Pour éviter ce type de conflits, une procédure de
saisine pour avis est organisée, en effet, par le traité (art. 218 § 11 TFUE). La plupart des
avis rendus par la Cour de justice sont importants. La soumission des traités internationaux
au droit primaire joue, en effet, un rôle essentiel dans le discours de la Cour de justice sur la
construction européenne, puisqu’elle révèle la dimension fondamentale des Traités
européens. Ces derniers ont, dans l’ordre juridique européen, une valeur suprême qu’aucun
Traité international ne peut - en principe - remettre directement en cause. Par distinction – la
norme internationale est clairement distinguée de la norme européenne – et hiérarchisation –
la norme européenne primaire est placée au-dessus de la norme internationale – les sources
internationales ont incontestablement permis aux traités fondateurs d’acquérir une portée
comparable à celle que l’on reconnaît aux constitutions nationales. C’est ainsi, par exemple,
que la CJCE n’a pas craint d’affirmer dans un avis remarqué que : « Le Traité CEE, bien que
conclu sous la forme d’un accord international, n’en constitue pas moins la charte
constitutionnelle d’une communauté de droit. » (CJCE, 14 déc. 1991, Avis 1/91, à propos de
l’accord sur l’Espace économique européen).
275
230. Selon une seconde règle hiérarchique, la validité du droit dérivé européen peut être
contestée (dans une certaine mesure) à la lumière des traités liant l’UE et des règles
coutumières internationales.
Situation - Soumission du droit dérivé européen aux traités liant l’UE et à la coutume
internationale
Un exemple jurisprudentiel remarqué : l’arrêt « ATAA ea » de la CJUE
Un arrêt relativement récent de la Cour de justice de l’Union européenne illustre
magistralement l’hypothèse d’une soumission du droit dérivé européen à des traités liant
l’UE et au droit coutumier international (CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10). Cette
décision, de Grande chambre, met en scène, chose rare, un renvoi préjudiciel en validité,
auquel a procédé la High Court of Justice (England & Wales), dans un différend opposant
Air Transport Association of America, American Airlines Inc., Continental Airlines Inc. et
United Airlines Inc. (ci-après, ensemble, «ATAA e.a. ») au Secretary of State for Energy and
Climate Change, au sujet de la validité des mesures de mise en œuvre d’une directive
européenne adoptées par le Royaume-Uni. Le thème de la soumission du droit dérivé
européen aux traités liant l’UE y est notamment traité. Il s’est agi, en effet, pour la Cour de
justice d’identifier, avec une très grande précision, « parmi les principes et les dispositions
du droit mentionnés par la juridiction de renvoi » (…) ceux, qui « peuvent être invoqués,
dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal et aux fins de l’appréciation
de la validité » d’une directive européenne (Directive 2008/101/CE du Parlement européen
et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant la directive 2003/87/CE afin d’intégrer les
activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à
effet de serre, arrêt, point 45). Répondant à l’interrogation, la Cour de justice a estimé que
seuls pouvaient être appliqués, au titre de différents contrôles (contrôle restreint pour les
principes de droit coutumier et contrôle plein pour les obligations conventionnelles) : « le
principe selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son
propre espace aérien ; le principe selon lequel aucun État ne peut légitimement prétendre
soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté, et le principe qui garantit
la liberté de survol de la haute mer » ainsi que les articles 7 et 11, paragraphes 1 et 2, sous c),
de l’accord «ciel ouvert » (…) conclu entre la Communauté européenne et les Etats-Unis
(2007, modifier 2010) et l’article 15, paragraphe 3, dudit accord, lu en combinaison avec les
articles 2 et 3, paragraphe 4, de celui-ci » (arrêt, point 111). N’ont, en revanche, pas été
retenu dans ce cadre juridique de référence, la Convention de Chicago relative à l’aviation
civile internationale (1944), le Protocole de Kyoto (1997) à la convention-cadre des Nations
Unies sur les changements climatiques et l’existence d’un principe du droit international
276
coutumier selon lequel un navire qui se trouve en haute mer est en principe soumis
exclusivement à la loi de son pavillon s’appliquerait par analogie aux aéronefs survolant la
haute mer. Une fois, ce cadre défini, la Cour de justice conclut que « l’examen de la directive
2008/101 n’a pas révélé d’éléments de nature à affecter sa validité » (arrêt, point 157)
En dehors de ces deux solutions précises, les choses sont plus incertaines.
B - Les apports et les limites d’une approche hiérarchique en droit de l’Union européenne
231. Le droit de l’Union européenne ne peut aspirer à constituer un système juridique que
s’il est à même d’établir sa propre hiérarchie des normes.
Deux considérations, l’une générale et l’autre plus spécifique aux organisations
internationales, permettent de s’en convaincre. La première tient au principe de légalité,
entendu au sens le plus large (le terme « loi » étant compris dans son acception générique). Il
est difficile d’imaginer qu’un ordre complexe, composé de plusieurs types de normes, puisse
exister sans que soit rendu effectif le contrôle de la légalité des actes qu’il produit. Or, ce
respect passe nécessairement par une construction hiérarchique qui permet d’étalonner la
validité formelle et matérielle des normes les unes par rapport aux autres. C’est dans cette
perspective qu’une supériorité hiérarchique a été reconnue au droit primaire dans ses rapports
au droit dérivé et aux sources externes.
La seconde considération est propre aux organisations internationales. Elle tient au fait que
l’Union européenne ne dispose que d’une compétence d’attribution. À la grande différence
des États, dont la compétence est, par principe, générale, les organisations européennes ne
peuvent adopter des normes que dans la limite des compétences qui leur ont été reconnues. La
hiérarchie des normes permet de contrôler cette limitation de compétence. Les Traités
définissent des règles de compétences dont la violation est une cause d’invalidation des actes
qui sont placés sous leur autorité.
232. Pour importante qu’elle soit, l’approche hiérarchique des normes européennes connaît
cependant deux grandes limites, spécifiques à l’espace européen.
La première concerne le droit dérivé, pour lequel il n’existe pas, à proprement parler, de
hiérarchisation formelle. Aucun ordre n’est établi, nous l’avons vu1, entre les règlements et les
directives ou entre les décisions du Conseil et celles de la Commission. De même, il est
1 Voir supra, n° xxx.
277
impossible d’affirmer que, par définition, les décisions sont toujours soumises à l’autorité des
directives ou des règlements. Parce que l’Union européenne ou, avant elle, les différentes
Communautés se distinguent du modèle étatique, il est difficile de dissocier les pouvoirs
exercés au sein des nombreux organes institutionnels européens en distinguant, par exemple,
le pouvoir législatif du pouvoir réglementaire. Il en résulte une impossibilité de hiérarchiser
formellement les différentes normes de droit dérivé.
La seconde limite concerne les sources externes. L’affirmation selon laquelle les Traités
européens ont une valeur supérieure aux instruments internationaux qui lient l’Union
européenne résiste difficilement à l’analyse. Les Traités européens ne sauraient, en toutes
circonstances, être placés au-dessus des normes internationales. Certains accords
internationaux ont préexisté à la signature des Traités européens, de sorte qu’ils ne peuvent
être purement et simplement ignorés1. Des normes fondamentales, communément admises par
la société internationale, ont une valeur supérieure que la construction européenne peut
difficilement ignorer ou malmener2. Enfin, le principe de hiérarchie des normes ne peut
déployer ses effets de manière égale selon que la situation en cause intéresse des rapports
strictement internes à l’espace européen ou des rapports externes. Dans les rapports externes,
la hiérarchie des normes européennes a une signification et une portée différentes que dans les
rapports internes. C’est ce phénomène qu’il nous faut observer à présent par une approche
dynamique de la hiérarchisation des droits.
1 V. par ex., art. 351 TFUE.
2 Voir, à titre d’illustrations, les « corrections » apportées par la Cour de justice au Tribunal de l’UE , s’agissant
du maniement de la coutume internationale (TPI, 27 janv. 1997, Opel Austria, aff. T-115/94, fermement
condamné par : CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-162/96.) et du jus cogens (voir TPI, 21 sept. 2005, Yusuf,
aff. T-306/01, censuré par : CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05). Pour une
analyse de ces deux séquences jurisprudentielles, voir infra, n° xxx.
278
CHAPITRE 2 – LA HIERARCHISATION DES DROITS ET L’APPLICATION
DU DROIT A DIFFERENTS NIVEAUX
233. Le processus de hiérarchisation des droits ne peut être seulement considéré de manière
cloisonnée dans un contexte national, international ou européen. Il a également une dimension
plus vaste où l’application des méthodes et solutions dégagées en droit national, international
ou européen conduit à des phénomènes d’interaction.
A ce titre, deux scénarios doivent alors être soigneusement distingués. Le premier où le juriste
en appelle à une application du droit à un niveau, ce qui revient, dans un processus de
hiérarchisation, à faire potentiellement jouer « une hiérarchie des normes » (Section 1). Le
second où le juriste aspire à l’application du droit à un autre niveau où « un droit hiérarchisé »
est appliqué (Section 2).
279
Section 1 - La hiérarchisation par application du droit à un niveau : l’appel à la
hiérarchie des normes
234. Pour résoudre un cas, le juriste est souvent amené à se placer, ne serait-ce que pour
amorcer son raisonnement, à un niveau d’application du droit plutôt qu’un autre : niveau
national (par exemple, l’application du droit dans le contexte français), international (par
exemple, l’application du droit dans le contexte de l’Organisation mondiale du commerce ou
d’un arbitrage commercial international traditionnel), ou européen (par exemple, l’application
du droit dans le contexte de l’Union européenne). Ce positionnement du juriste requiert
parfois une hiérarchisation des droits, laquelle reçoit une signification propre dans un contexte
de pluralisme juridique mondial (§ 1). Il soulève, par ailleurs, la question de la liberté du
juriste dans le choix d’un niveau d’application du droit plutôt que d’un autre (§ 2).
§ 1 - La signification propre de la hiérarchisation des droits dans un contexte de pluralisme
juridique mondial
235. Dans un contexte de pluralisme juridique mondial où plusieurs droits sont susceptibles
de s’appliquer à une situation donnée, le recours, par le juriste, à un raisonnement de type
« hiérarchisation des droits » passe par la référence, parfois explicite, parfois implicite, à une
hiérarchie des normes. Cette dernière peut être analysée comme un outil de repli d’un système
juridique sur lui-même (A) même si ce repli peut emprunter également d’autres voies (B).
A - La hiérarchie des normes comme outil de repli d’un système juridique sur lui-même
236. Comment déterminer, de manière précise, le biais par lequel se manifeste la mise en
œuvre d’une « hiérarchie des normes » dans un contexte de pluralisme juridique mondial ? La
réponse à cette question demeure sensiblement toujours la même, quel que soit le cas de
figure envisagé.
Dans un contexte de pluralisme juridique mondial, l’appel à une « hiérarchie de normes »
permet, en effet, à chaque système juridique un tant soit peu structuré autour d’une hiérarchie,
de se replier sur lui-même. Que le système juridique en cause appartienne au niveau national,
international ou européen, la réponse est invariablement la même. La hiérarchie des normes
est perçue comme un instrument de préservation des systèmes juridiques, chaque fois qu’ils
sont menacés ou, plus modestement, perturbés par la présence d’autres systèmes interférant à
d’autres niveaux que le leur.
237. L’illustration la plus connue de ce phénomène est puisée dans les ordres juridiques
280
nationaux, toutes les fois qu’ils font prévaloir une norme constitutionnelle interne sur toute
autre règle juridique élaborée au niveau international ou européen1.
Situation - Retour sur la suprématie des dispositions nationales de nature constitutionnelle
L’exemple (à nouveau) du droit français : les jurisprudences « Sarran et Levacher »,
« Fraisse », « loi DADVSI »
En France, par exemple, nous avons observé que le juge ordinaire et le juge constitutionnel
se sont prononcés sur le rapport de hiérarchie existant entre la norme constitutionnelle
française et le droit international et européen (voir supra, n° xxx). Usant de formules
identiques, le Conseil d’État (Cons. d’État, ass., 30 oct. 1998, Sarran et Levacher, Req.
nos
200286 et 200287) et la Cour de cassation (Cour de Cour de cassation, Ass. plén., 2 juin
2000, Fraisse, pourvoi nos
99-60274) ont décidé que « la suprématie conférée aux
engagements internationaux par la Constitution (art. 55) ne s’applique pas, dans l’ordre
interne, aux dispositions de valeur constitutionnelle ». Quant au Conseil constitutionnel, il a
notamment décidé, en 2006 (V. notamment, Décision no 2006-540 DC, 27 juillet 2006, Loi
relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information), à la suite
d’une série de décisions rendues en 2004 (V. notamment, Décision no 2004-496 DC, 10 juin
2004) que « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une
exigence constitutionnelle. Il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les
conditions prévues par l’article 61 de la Constitution d’une loi ayant pour objet de transposer
en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence.
Toutefois, le contrôle qu’il exerce à cet effet est soumis à une (…) limite (…). La
transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe
inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait
consenti ».
La suprématie reconnue à la Constitution nationale ou, plus étroitement définie, à l’identité
constitutionnelle nationale, peut donc conduire, en France, à un refus d’application du droit
international ou européen incompatible. Cette inapplicabilité est plus théorique que pratique.
Des procédures ou des techniques juridiques permettent, en effet, de prévenir (réforme de la
Constitution antérieure à la ratification d’un engagement international ou européen) ou
réduire (travail d’interprétation convergente des juges) l’hypothèse d’un conflit. L’outil
« hiérarchie des normes » n’en est pas moins une possibilité. Il fonde un repliement du
système juridique français sur sa norme fondamentale - ici la norme de dimension
1 Pour une approche fonctionnelle du processus de hiérarchisation des droits dans le contexte interne, voir D.
Burchardt, La hiérarchisation des normes nationales et internationales par les ordres juridiques internes - Une
question fonctionnelle, Les Annales de Droit, PURH, n° 6, 2012, 9.
281
constitutionnelle - chaque fois qu’elle est susceptible d’être menacée par un droit défini à un
autre niveau, international ou européen.
238. Mais des situations comparables peuvent être observées dans un environnement
international ou européen. La démarche y est généralement la suivante. Pour écarter la
possibilité pour un droit de source nationale de remettre en cause les constructions établies
dans l’ordre international ou européen, le droit national est déclaré juridiquement
inopposable. Cette inopposabilité caractérise un repli des systèmes de droit international et de
droit européen sur eux-mêmes. Or ce repli n’est possible que si un outil permet d’identifier ce
qui appartient ou ce qui est étranger aux systèmes de droit international ou de droit européen.
Dans la perspective qui est ici la nôtre de hiérarchisation des droits, cet outil n’est autre
qu’une hiérarchie des normes.
239. Une analyse de ce type peut être conduite dans le contexte international à propos de
l’inopposabilité du droit national dans l’ordre international.
Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit national dans l’ordre international
L’exemple (à nouveau) de la jurisprudence « Traitement des tribunaux nationaux
polonais de Dantzig »
Par une décision remarquée (voir supra, n° xxx), la Cour permanente de justice
internationale (CPJI) a déclaré que « (…) un État ne saurait invoquer vis-à-vis d'un autre État
sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit
international ou les traités en vigueur » (CPJI, 3 mars 1928, Traitement des tribunaux
nationaux polonais de Dantzig, série A/B, n° 44).
Cette solution, régulièrement réaffirmée en droit international public, marque une capacité
du droit international à se replier sur ses propres constructions, en refoulant hors de son
système de solution tout ce qui n’aurait pas reçu une traduction juridique en droit
international (traité ou coutume internationale pour dire les choses simplement). Pour
marquer la frontière entre ce qui relève du système de droit international et ce qui lui est
étranger, la figure de la hiérarchie des normes est utile. La force obligatoire reconnue, dans
l’ordre international, « au droit international et aux traités en vigueur » (pour reprendre la
formule de la Cour) ne peut être contrariée par un droit de source interne - fût-il de nature
constitutionnelle - car ce dernier est, sauf cas très particulier (c’est l’hypothèse où une
pratique unilatérale d’un Etat qui s’inscrit en réalité dans le jeu d’une règle coutumière
internationale), étranger au système de droit international et, donc, à son éventuelle structure
hiérarchique.
240. Elle est également pertinente dans le contexte européen, même si les rapports entre le
282
droit européen et le droit national sont nettement plus construits.
Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit national dans le contexte européen (UE)
L’exemple (à nouveau) des jurisprudences « International Handelsgesellschaft » et
« Commission c/ Grand-Duché »
De la même manière, nous avons observé (voir supra, n° xxx) que la Cour de justice des
Communautés européennes avait considéré que « l’invocation d’atteintes à des normes
constitutionnelles [nationales] ne saurait affecter la validité d’un acte de la Communauté ou
ses effets sur le territoire de l’État en cause » (CJCE, 17 déc. 1970, International
Handelsgesellschaft, aff. 11/70) ou, de manière plus générale, que « le recours à des
dispositions d’ordre juridique interne afin de limiter la portée des dispositions
communautaires... ne saurait être admis » (CJCE, 5 mars 1996, Commission c/ Grand-
Duché, aff. C-473/93). La même solution a été également retenue par la Cour européenne
des droits de l’homme (voir, par exemple, CEDH (Plén.), 29 oct. 1992, Open Door e.a.
c/ Irlande, Req. nos
14234/88, 14235/88).
Cette mise à l’écart du droit national se justifie, aisément, dès lors qu’est en cause la validité
d’une norme de l’Union européenne. Le droit national étant étranger à la hiérarchie des
normes européennes, il ne saurait être une cause directe et immédiate d’invalidation du droit
européen dérivé, lequel est soumis aux exigences des seules normes européennes,
spécialement des traités institutifs et des principes généraux du droit européen.
Mais elle a des implications plus fortes encore. De manière générale, la portée du droit
européen, c’est-à-dire son efficacité et, dans une vision hiérarchique, sa supériorité, ne peut
être menacée par le droit national. L’assertion mérite d’être nuancée. L’Union européenne
confère un véritable rôle au droit national, lequel exerce parfois, malgré tout, une contrainte
sur le droit européen (par exemple, chaque fois qu’une marge d’appréciation ou de
manœuvre est reconnue en droit national). Mais en dehors de ces hypothèses, le système
juridique européen est capable d’affirmer son autorité hiérarchique en se repliant sur lui-
même, c’est-à-dire en écartant purement et simplement le droit national, au motif qu’il est
fondamentalement étranger à sa hiérarchie des normes.
241. Dans une moindre mesure1, ce phénomène de repli peut également être observé en
droit international dans ses rapports avec le droit européen.
1 Sur le caractère faiblement hiérarchisé du droit international, voir supra, n° xxx.
283
Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit européen dans le contexte international
L’exemple (à nouveau) de la sentence CIRDI AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie
Dans cette affaire, nous avons pu observer qu’un tribunal arbitral avait écarté l’application
du droit européen au motif qu’il s’agissait d’un « simple fait », insusceptible comme tel de
justifier le manquement par un Etat à ses obligations internationales (voir supra, n° xxx,
CIRDI, sentence du 23 sept. 2010, AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie, ARB/07/22).
Même si la juridiction arbitrale n’y fait pas référence, ce type de considération peut trouver
une justification dans les constructions de type « hiérarchie des normes ». Le raisonnement
pourrait être le suivant : la sanction du non-respect d’une règle européenne (UE) de
concurrence n’existe pas en droit international pour la bonne et simple raison que ladite règle
européenne est étrangère au système juridique de droit international ; en conséquence, le
tribunal arbitral international n’a pas à faire prévaloir le respect des règles européennes sur le
respect de règles internationales, aucune « hiérarchie des normes » ne l’y obligeant.
Une telle démarche intellectuelle n’est pas de nature à convaincre tous ceux qui considèrent
que le droit européen est par nature du droit international. Mais le droit européen n’a eu de
cesse d’affirmer sa singularité (voir sur ce thème et les effets contre-productifs qu’il induit :
M. Forteau, La contribution de l’Union européenne au développement du droit international
général - Les limites du particularisme ?, in Chronique sur les interactions du droit
international et européen, JDI 2010, 888). Cette démarche explique sans doute qu’en
réaction, des acteurs de droit international distinguent les règles potentiellement applicables,
selon qu’elles font ou non partie de l’ordonnancement juridique international. Le droit
européen est ainsi écarté, au motif qu’il est étranger au système de droit international.
242. Cette pratique peut également être observée dans des situations complexes où la
question est discutée de la légalité du droit européen de source internationale en droit de
l’Union européenne.
Situation - La légalité du droit européen de source internationale en droit de l’Union
européenne
L’exemple de la célèbre affaire « Kadi »
L’affaire « Kadi » (TPI, 21 sept. 2005, Yusuf, aff. T-306/01, censuré par : CJCE, 3 sept.
2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05 ; voir également en prolongement,
l’affaire Kadi II (annulant un nouveau règlement européen, intervenu depuis), TPI, 30
septembre 2010, aff. T-85/09) que nous avons signalé à diverses reprises a eu un grand
retentissement en droit international et européen. Elle porte sur la validité de dispositions de
droit européen dérivé mettant en œuvre des résolutions des Nations Unies prononçant des
284
sanctions individuelles en matière de lutte contre le terrorisme. Elle occupe une place de
premier ordre dans le processus dynamique de hiérarchisation des droits étudié dans ce
chapitre. Qu’en est-il, sur le terrain de la hiérarchie des normes, comprise comme un outil de
repli du système juridique (ici de l’Union européenne) sur lui-même ?
Pour appréhender la question générale de la validité d’un texte de droit européen dérivé qui
lui était soumise, la Cour de justice (aff. jtes C-402/05 et C-415/05, préc.) a entendu hisser le
débat technique au niveau le plus général et théorique. Pour la Cour de justice, en effet, la
question était de savoir : « si les principes régissant l'articulation des rapports entre l'ordre
juridique international issu des Nations unies et l'ordre juridique communautaire impliquent
qu'un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits
fondamentaux est en principe exclu, nonobstant le fait que (...) un tel contrôle constitue une
garantie constitutionnelle relevant des fondements mêmes de la Communauté » (pt 290). Au
terme d'une motivation particulièrement ciselée, la Cour considère que : « (...) les
juridictions communautaires doivent, conformément aux compétences dont elles sont
investies en vertu du traité CE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de
l'ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux faisant partie
intégrante des principes généraux du droit communautaire, y compris sur les actes
communautaires qui, tel le règlement litigieux, visent à mettre en œuvre des résolutions
adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations Unies »
(pt 326). Elle annule, en conséquence, les décisions attaquées du Tribunal de première
instance au motif que : « le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, (...), qu'il
découle des principes régissant l'articulation des rapports entre l'ordre juridique international
issu des Nations unies et l'ordre juridique communautaire que le règlement litigieux, dès lors
qu'il vise à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité au titre du
chapitre VII de la charte des Nations unies ne laissant aucune marge à cet effet, doit
bénéficier d'une immunité juridictionnelle quant à sa légalité interne sauf pour ce qui
concerne sa compatibilité avec les normes relevant du jus cogens » (pt 327).
Cette analyse procède d'une réaffirmation de la hiérarchie des normes interne à l’Union
européenne. Quand l'hypothèse du conflit entre l'ordre international et l'ordre européen se
fait jour, la juridiction européenne s'emploie à dresser une cloison étanche entre les
systèmes. Elle considère, en dernière analyse, que la structure fondamentale interne de
l'espace juridique européen ne saurait dépendre d'un autre système juridique, fût-il
international. Par préférence, elle hiérarchise le droit européen dans les rapports internes à
l'espace européen en réaffirmant ici la supériorité des principes généraux du droit européen
sur les textes de droit dérivé européen. Elle tient ainsi à l’écart toutes considérations tirées du
respect du droit international, tout en précisant que dans sa dimension externe, l'Europe peut
285
avoir à rendre compte, le cas échéant, du non-respect de ses obligations internationales
(arrêt, pt 288). La hiérarchie européenne des normes sert ici à évacuer le droit international et
avec lui tout risque d’interférence.
243. Dans tous ces cas de figure, la hiérarchie des normes permet à un système de droit
national, international ou européen de se replier sur lui-même, au motif qu’il faut distinguer,
entre toutes les règles potentiellement applicables, celles qui « fondent » le système, de celles
qui lui sont « fondamentalement » étrangères. Dans une perspective d’application du droit à
différents niveaux, la hiérarchie des normes est maniée comme un outil, tantôt explicite, tantôt
implicite, de stigmatisation du caractère « étranger » des droits élaborés à un autre niveau1.
Mais le phénomène de repli n’est pas seulement marqué par la lecture de quelques affaires
restées célèbres dans les annales de la jurisprudence nationale, internationale ou européenne.
Il est, en réalité, relativement fréquent et emprunte d’autres voies que la hiérarchie formelle
des normes. Les illustrations les plus remarquables peuvent être observées dans les systèmes
juridiques fortement structurés et centralisés (notamment français et européen).
B - Les autres voies de repli des systèmes juridiques sur eux-mêmes
1/ La mesure du phénomène : différenciation, autonomisation, appropriation,
dédoublement, etc.
244. Chaque fois qu’un acteur d’un système juridique, notamment un acteur institutionnel
(juge, gouvernant et, éventuellement, législateur)2, éprouve une réticence à appliquer une
méthode ou une solution juridique venue d’ailleurs au motif, plus ou moins déclaré, qu’elle ne
trouve pas sa place dans les constructions du système auquel cet acteur appartient, il procède,
ni plus ni moins, à un repli de son système sur lui-même. Les techniques utilisées sont
multiples. On peut en identifier quatre principales (qui souvent se chevauchent) : le traitement
différencié du droit étranger au système, l’autonomisation d’un système par rapport aux
1 Un parallèle tout à fait intéressant peut être mené avec le questionnement formulé par J. Ghestin à propos de la
participation du contrat à l’élaboration de normes juridiques supérieures extérieures à l’Etat français (J. Ghestin,
La hiérarchie des normes et le contrat, in G. Teboul et L. Soubelet (dir.), La hiérarchie des normes, L’Harmattan
- collection des travaux de l’association des lauréats de la Chancellerie des Universités de Paris (ALCUP), à
paraître) et celui qui est ici le nôtre. Dans les deux cas, il s’agit de s’interroger sur le sens, la valeur ou la portée
d’un acte juridique (contrat, convention internationale, loi, etc.) quand il est considéré en dehors du système qui
lui a donné naissance. Cette interrogation intéresse la hiérarchie des normes chaque fois que l’acte juridique en
cause est confronté à une norme saisie dans sa dimension supérieure ou fondamentale. 2 Cette figure intellectuelle est souvent influencée par les travaux de la doctrine. Sur l’allégorie du droit « venu
d’ailleurs », voir en particulier J. Carbonnier (Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion,
1996, spéc. p. 44 et s.) qui a exercé une grande influence sur la pensée juridique de la seconde moitié du XXème
siècle.
286
influences qu’il pourrait subir du fait de l’existence d’autres droits, l’appropriation par un
système juridique de méthodes et solutions venues d’ailleurs et l’organisation d’un
dédoublement selon qu’il s’agit pour un système juridique de traiter une situation interne ou
une situation externe.
245. Les résultats pratiques auxquels conduit cette forme de repli sont contestables chaque
fois qu’elle traduit une sorte de réflexe, consistant à exclure, a priori, sans nécessité aucune,
l’application de méthodes ou solutions juridiques étrangères au système. Ce type de
comportements est probablement la conséquence d’une analyse des rapports de systèmes
obnubilée par des lectures dualistes et monistes fortement fragilisées aujourd’hui1. Dans les
théories dualistes, le phénomène de repli du système sur lui-même est patent, puisqu’il s’agit
toujours pour le juriste d’utiliser les ressources présentes dans son système pour recevoir
(théorie de la réception) le droit venu d’ailleurs. Le monisme, qui prétend fondre tous les
systèmes en un seul, doit également faire un choix entre une primauté conférée au droit
interne ou une primauté conférée au droit international. Le système, fût-il unique, se replie sur
ses fondamentaux, sur sa norme fondamentale. C’est donc le même phénomène de
hiérarchisation qui est à l’œuvre2.
246. Mais ces techniques juridiques qui facilitent un repli du système juridique sur lui-
même sont également très utiles. Elles font partie de la panoplie des outils qui permettent aux
juristes de faire un travail de hiérarchisation (lato sensu), chaque fois que le besoin se fait
sentir de protéger un système juridique des perturbations qu’il pourrait subir du fait de la
coexistence d’autres systèmes juridiques placés à d’autres niveaux que le sien. Tous les
systèmes n’offrent pas ces possibilités de manière égale néanmoins. Seuls les systèmes
véritablement organisés et centralisés le permettent en effet. C’est le cas, notamment, du
système juridique français et du système juridique de l’Union européenne qui livrent de
multiples illustrations du phénomène de repli.
2/ Illustrations dans le système juridique français
247. Le système juridique français s’est progressivement ouvert à l’application du droit
1 Voir sur ce point, nos remarques en Introduction avec les différentes références citées, n° xxx.
2 Même s'il faut reconnaître que dans la figure du monisme avec primauté du droit international, la figure du
repli ne convient plus tout à fait, puisque le droit international est censé alors englober l'ensemble des droits
nationaux. Encore faut-il, en ce cas, que le droit international se définisse comme un système intégré, capable de
conférer un véritable statut au droit national. L’analyse du droit positif montre que, sauf ilot très particulier du
droit international (par exemple, le système juridictionnel mis en place pour la Cour pénale internationale), cette
évolution n’est ni amorcée ni même souhaitée.
287
international et européen. Le verrou que constituait la « loi écran », permettant de faire
prévaloir une loi française postérieure sur un texte de droit international et européen contraire,
a définitivement sauté avec les jurisprudences célèbres « Jacques Vabre » et « Nicolo » (voir
supra, n° xxx). Cela ne veut pas dire que le phénomène de repli du système juridique français
sur lui-même a totalement disparu et, avec lui, les techniques juridiques permettant ce repli.
Sans prétendre à l’exhaustivité, on en donnera quatre grandes illustrations.
248. La première porte sur le travail d’interprétation mené par les juges nationaux des
conventions internationales liant la France.
Situation - L’interprétation française des conventions internationales auxquelles la France
est partie
Exemples jurisprudentiels multiples
Le rôle du juge ordinaire français s’est, nous l’avons observé (voir supra, n° xxx),
considérablement accru dans le domaine de l’interprétation des traités internationaux. Son
pouvoir d’interprétation n’est, bien souvent, contrebalancé par aucun autre pouvoir : le
pouvoir exécutif français a perdu le rôle qui était naguère le sien en ce domaine
(jurisprudences « Koné » et « BAD », précitées, n° xxx) et les interprétations authentiques
émanant d’instance internationale (comme par exemple, la Cour internationale de justice)
demeurent rares.
Cette position d’interprète privilégié place les juridictions administratives et judiciaires
françaises en position d’imposer leurs interprétations des conventions internationales
auxquelles la France est partie. Ces interprétations sont potentiellement imprégnées par la
culture juridique des juges nationaux de sorte que l’on peut affirmer, sans grand risque de
surprendre ou de choquer, qu’il existe potentiellement une doctrine jurisprudentielle
française administrative et/ou judiciaire de l’interprétation de tel instrument ou de tel autre.
Des travaux précurseurs ont été menés sur ce sujet. Voir par exemple, D. Simon,
L'interprétation judiciaire des traités d'organisations internationales: Morphologie des
conventions et fonction juridictionnelle, Pedone, 1981.
Des ouvrages ou chroniques spécialisés sur tel ou tel instrument sont régulièrement publiés.
On donnera, ainsi, l’exemple d’un travail de doctorat (K. Parrot, L’interprétation des
conventions de droit international privé, Dalloz 2006). L’auteur y développe, jurisprudence à
l’appui, une vision particulariste du travail d’interprétation de ces conventions par les juges
nationaux, remettant ainsi clairement en cause le mythe d’une interprétation uniforme. Même
si l’on ne partage pas nécessairement cette vision pessimiste du développement d’un droit
uniforme international (vision qui l’on pourrait d’ailleurs étendre sans grande difficulté à
288
tous les mythes d’interprétation uniforme, y compris à un niveau strictement national ou
même local), ni les enseignements que l’auteur en tire en termes d’approche résolument
dualiste des rapports entre systèmes juridiques, le fait est qu’on peut difficilement nier
l’existence d’interprétations divergentes dans les différents Etats parties à un même
instrument de droit uniforme. Ces interprétations sont un outil de repli des systèmes
juridiques nationaux sur eux-mêmes. Ce repli peut être conscient (la volonté de développer
un particularisme national). Mais le plus souvent il est inconscient (le juriste continuant
d’appliquer, sans se poser la question, les solutions qu’il connaît dans le contexte national).
De nombreux autres travaux existent sur ce thème, à propos de telle ou telle convention
particulière. Voir, par exemple, le panorama de jurisprudence annuellement établie par Cl.
Witz sur le droit uniforme de la vente internationale de marchandises (Recueil Dalloz) qui
signale en note de pas de page, les dispositifs existants de collecte de décisions : « CISG-
online (Université de Bâle), http://www.cisg-online.ch ; Banque de données de la Pace
University (Etat de New York), http://www.cisg.law.pace.edu ; Banque de données Unilex
(Rome), http://www.unilex.info. Ces trois banques rassemblent l'ensemble des décisions
quelle que soit leur origine. La jurisprudence française est rassemblée dans la banque de
données CISG-France (Université de la Sarre), http://Witz.jura.uni-sb.de/CISG/ ;V. comme
autres banques nationales de données : CISG-Belgium, http://www.law.kuleuven.ac.be/ et
CISG-Spain, http://www.uc3m.es/cisg/ ; V. la liste complète par pays sous
http://Witz.jura.uni-sb.de/CISG/cisglinks.htm ; un recueil de références jurisprudentielles
guidera utilement le lecteur : Twenty Years of International Sales Law Under the CISG,
International Bibliography and Case Law Digest (1980-2000), par M. R. Will, Kluwer Law
International, 2000 », D. 2012, 1114. Voir également, les travaux, déjà signalés, relatifs à
l’interprétation par les juridictions françaises de la Convention de New York sur les droits de
l’enfant (1990, voir supra, n° xxx). Etc.
249. La deuxième illustration porte sur la réception en France du droit européen.
Situation - La réception française du droit européen (UE ou CESDHLF)
Quelques exemples jurisprudentiels
Le droit européen, qu’il s’agisse du droit de l’Union européenne ou de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est marqué
par la présence de deux juridictions - Cour de justice de l’Union européenne et Cour
européenne des droits de l’homme - qui assument pleinement leur rôle d’interprètes
authentiques. Le travail que fournissent les deux cours européennes en termes
d’interprétation uniforme est considérable. Il n’a pas d’équivalent en droit international. En
dépit de cette architecture institutionnelle imposante, on ne peut exclure que la réception
289
nationale du droit européen soit l’occasion d’un repli du système juridique français sur lui-
même.
On songe, tout d’abord, aux hypothèses où le droit européen et les juridictions européennes
accordent une marge d’appréciation aux Etats membres, hypothèses bien plus fréquentes
qu’on ne le croit souvent (absence de définition uniforme ou autonome de la part du juge
européen, appréciation nationale des conditions de mise en œuvre d’une règle européenne au
titre d’une subsidiarité judiciaire, etc.). Dans ces situations, le juriste expert doit bien souvent
déployer un trésor d’intelligence pour mesurer la place respective occupée par l’ordre
européen et l’ordre interne. Or la définition du périmètre des uns et des autres ne saurait se
faire autrement qu’au terme de tâtonnements, questionnements et, parfois, de provocations.
Un rapport de force peut naître de cette liberté préservée au niveau national et impliquer des
tentatives plus ou moins importantes de repli du système juridique français sur lui-même,
chaque fois qu’il cherche à imposer une méthode ou solution juridique qui lui est propre
(pour une présentation dynamique du phénomène, à propos de la réception en France de la
jurisprudence de la CEDH, voir M. Guyomar, Le dialogue des jurisprudences entre le
Conseil d’Etat et la Cour de Strasbourg : appropriation, anticipation, émancipation in
Mélanges J.-P. Costa, Dalloz, 2011, 311).
Mais il y a surtout des hypothèses où la réception du droit européen en droit national donne
lieu à des manifestations explicites de rejet. Dans cette perspective, le repli du système
juridique français est patent. Il s’inscrit dans une logique de rupture, dans un rapport de force
autrement plus violent que celui que l’on peut observer dans les cas précédents. Prenons une
situation restée célèbre dans les annales de la jurisprudence française : le refus du Conseil
d’Etat de faire produire aux directives européennes un effet de substitution en présence d’un
acte administratif individuel (jurisprudence « Cohn-Bendit » - Conseil d’Etat Ass.,
22 déc. 1978, Rec. Lebon, 524 - à laquelle il a été mis progressivement fin par la
jurisprudence « Perreux » - Conseil d’Etat Ass., 30 oct. 2009, Req. n° 298348). Cette
position de la juridiction administrative française était contraire à l’interprétation de la Cour
de justice (pour une présentation d’ensemble, voir R. Kovar, Le Conseil d'État et l'effet
direct des directives : la fin d'une longue marche, Europe janv. 2010, Etude n° 1). Certains de
ses effets ont perduré 31 ans, pendant lesquels, en France, une solution de droit français a été
préférée à une solution de droit européen par refus d’application de ce dernier. Même si cette
situation peut être considérée comme anormale du point de vue du droit européen, elle
traduit incontestablement une volonté de repli du système juridique français sur lui-même
que le juriste ne saurait ignorer dans sa pratique.
250. La troisième illustration vise l’appropriation par le droit interne de notions de droit
international ou européen
290
Situation - L’appropriation en droit interne de notions de droit international et européen
L’exemple de l’ordre public : retour sur la jurisprudence « Banque Africaine de
Développement »
Nous avons évoqué à deux reprises un arrêt « Banque Africaine de Développement » (Cour
de cassation, ch. soc., 25 janv 2005, pourvoi n° 04-41012, voir supra, n° xxx). Dans cette
affaire où l’immunité de juridiction d’une organisation internationale était remise en cause,
on se souvient que le juge français a rejeté l’immunité en intégrant à son ordre public
international un droit d’accès au juge potentiellement consacré par une CESDHLF qui n’était
pourtant pas opposable à l’organisation internationale. Cette solution a été critiquée par un
spécialiste de droit international et européen (M. Forteau, L’ordre public « transnational » ou
« réellement international », JDI 2011, spéc. p. 17, note 57 : « Dans l'affaire de la Banque
africaine de développement, les juridictions françaises ont été confrontées par exemple à
l'application de deux conventions contradictoires (la CEDH et l'accord de siège de la
Banque) qu'il était impossible d'articuler à l'aide des principes classiques de conflits de
normes (lex specialis, lex posterior) car chacune liait des parties distinctes et était donc res
inter alios acta à l'égard de l'autre. En intégrant directement le droit à un juge dans l'ordre
public international français au lieu d'invoquer l'article 6 de la CEDH qui ne pouvait
prévaloir, formellement, sur l'immunité prévue par l'accord de siège, la Cour de cassation a
adroitement contourné la difficulté (…). La solution n'est, juridiquement, guère convaincante
car une norme interne (l'ordre public international) ne peut écarter une norme
conventionnelle (l'immunité). Par ailleurs, l'immunité se distingue de la compétence.
L'astuce en l'occurrence a consisté à déplacer le débat du plan du droit international public
(conflit insoluble de conventions) au plan du droit international privé (raisonnement en
termes d'ordre public international) pour mieux esquiver (mais alors en le travestissant) le
problème »). Cette critique est intéressante. Elle dénonce, ni plus ni moins, une appropriation
au niveau français d’un ordre public de droit international ou européen. Mais elle ne propose
pas d’outil pour enrayer le phénomène. Autrement dit, si l’on peut regretter l’appropriation
par un juge national d’une solution de droit international inapplicable, on ne peut pas
empêcher cette pratique.
L’exemple des principes généraux du droit : retour sur la jurisprudence « KPMG »
Nous avons déjà eu l’occasion de relever (voir supra, n° xxx) que des auteurs avaient
justement fait observer que le Conseil d’Etat français, statuant dans la célèbre affaire KPMG
(Conseil d’Etat, Ass., 24 mars 2006, n° 288460), avait adopté un concept de sécurité
juridique plus extensif que celui de la Cour de justice (P. Brunet et O. Dubos, Approche
critique du vocabulaire juridique européen : la pratique des juges, Chronique du CEJEC,
LPA, 2008, n° 164-165, 7 ; voir également de manière plus générale sur ce phénomène
291
d’appropriation nationale : J. Sirinelli, Les transformations du droit administratif par le droit
de l’Union européenne - Une contribution à l’étude du droit administratif européen, éd.
LGDJ, 2011). En procédant de la sorte, la juridiction administrative s’est dotée d’un concept
autonome, affranchi du principe européen de confiance légitime, principe dont il pourra
toujours dire à l’avenir qu’il demeure applicable uniquement dans le champ du droit
européen.
251. La quatrième illustration met en scène un repli du système juridique français sur lui-
même par des voies procédurales.
Situation - Les voies procédurales du repli du système juridique français sur lui-même
L’exemple à nouveau du caractère « prioritaire » de la question de constitutionnalité
Rappelons que la loi organique française (Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009
relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution), qui a défini les modalités
procédurales de la question prioritaire de constitutionnalité, a introduit une double référence
« aux engagements internationaux » de la France (sur ce dispositif, voir supra, n° xxx). On
peut ainsi lire dans les articles 23-2 (applicables aux juridictions du fond) et 23-5 (applicable
aux deux juridictions supérieures) de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel, telle que modifiée par la loi organique de 2009
(préc.) : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant
la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la
Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par
priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour
de cassation » (art. 23-2) ; : « En tout état de cause, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation
doit, lorsqu'il est saisi de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une
part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements
internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de
constitutionnalité au Conseil constitutionnel » (art. 23-5).
Cette double disposition entend traduire le caractère prioritaire du contrôle de
constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité. Qu’il s’agisse d’examiner la
conformité de la loi française en vigueur au droit international ou au droit européen, le juge
ordinaire doit « en tout état de cause (…) se prononcer par priorité sur (…) » la transmission
ou le renvoi de la question. Il résulte de cette règle procédurale interne française que le
contrôle de conventionnalité des lois a un caractère secondaire par rapport au contrôle de
constitutionnalité de la loi qui se veut prioritaire.
Cette hiérarchisation procédurale traduit clairement une volonté de privilégier une question
préjudicielle interne, portant sur le droit national (la Constitution), sur tout questionnement
292
de droit international ou européen impliquant potentiellement, pour ce dernier, un renvoi
préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne (sur l’articulation malgré tout
des deux procédures, voir nos développements infra, n° xxx). C’est une forme de repli
temporaire du système juridique français sur lui-même.
L’exemple de l’absence de question préjudicielle
Une autre illustration du repli se manifeste chaque fois qu’une juridiction nationale s’abstient
de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne alors qu’une
difficulté d’interprétation du droit européen se présente à lui. Même si ce refus peut avoir des
conséquences lourdes en termes de responsabilité de l’Etat (sur ces conséquences, voir nos
développements infra, n° xxx), le fait est qu’il existe une multitude de situations où
l’opportunité d’une question préjudicielle est discutée devant le juge national et se solde par
une absence de question. Ces situations peuvent être motivées par des considérations
contingentes où le juge national et/ou les parties rechignent à voir la procédure suspendue (3
mois pour une question préjudicielle traitée en urgence et de l’ordre de 20 mois pour une
question préjudicielle classique). Mais elles ont parfois une signification plus profonde.
Poser une question préjudicielle à la Cour de justice, c’est prendre le risque de perdre la
maîtrise d’une interprétation qui était jusqu’alors du ressort des acteurs nationaux,
spécialement des juges. Dans cette circonstance, le refus de poser une question préjudicielle
s’analyse clairement comme un outil procédural de repli du système juridique français sur
lui-même. Pour des exemples de situations où l’opportunité, pour les juridictions françaises,
de poser une question préjudicielle peut faire l’objet d’une discussion, voir EDIEC (coord.),
Jurisprudence judiciaire française intéressant le droit de l’Union européenne - Chronique
annuelle, RTDE 2012, 499-503. Pour l’illustration d’un cas où la Cour de cassation
emprunte une notion autonome européenne hors de son contexte, sans soulever de question
préjudicielle : http://www.gdr-elsj.eu/2012/08/15/cooperation-judiciaire-civile/vers-une-
specialisation-de-la-notion-de-residence-habituelle-les-precisions-du-nouveau-reglement-
successions/ par M. Da Lozzo.
3/ Illustrations dans le système juridique de l’Union européenne
252. Pour illustrer le repli du système juridique de l’Union européenne sur lui-même,
l’étude des rapports entre le droit européen et le droit international est la plus intéressante.
L’Union européenne accorde, en effet, une place très importante aux sources du droit
international. C’est pourquoi elle a cherché très tôt à se protéger de cette influence
« extérieure ». Les manifestations de ce repli sont multiples. Pour la plupart, nous les avons
déjà rencontrées. On reprendra ici quatre grandes illustrations.
253. La première porte sur le phénomène d’autonomisation du droit européen, y compris
293
dans l’hypothèse où sa formulation est identique ou proche de celle retenue par le droit
international.
Situation - Autonomisation d’un droit européen qui s’inspire du droit international
Exemples des débuts de la construction européenne à nos jours
Le phénomène d’autonomisation du droit européen par rapport au droit interantional a une
dimension historique (CJCE, 5 févr. 1963, Van Gend & Loos, aff. 26/62, voir supra n° xxx).
Il connaît de multiples illustrations, notamment dans la jurisprudence de la Cour de justice.
Ainsi, par exemple, l’énoncé, par la juridiction européenne, de principes européens à l’aide
notamment des règles coutumières internationales, lui a parfois permis de s’affranchir des
définitions existantes (TPI, 27 janv. 1997, Opel Austria, aff. T-115/94 ; voir néanmoins, en
sens contraire, condamnant fermement cette position : CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-
162/96). Cette attitude peut aussi prévaloir pour les sources écrites du droit international.
L’affirmation selon laquelle la norme européenne, dont la formulation est identique à une
source internationale, peut recevoir une interprétation autonome, potentiellement différente
de celle reçue dans l’ordre international, est un autre exemple d’autonomisation-
appropriation (voir, par exemple, le cas d’accords d’association UE/État tiers dont le contenu
est sur tel ou tel point exactement identique au TFUE et qui font l’objet cependant d’une
interprétation différente, compte tenu des objectifs propres de l’ordre juridique de l’UE :
CJCE, 9 févr. 1982, Polydor, aff. 270/80 ; des contre-exemples existent néanmoins : voir
notamment CJCE, 8 mai 2003, Deutscher Handballbund, aff. C-438/00). Le phénomène est
d’autant plus développé que les institutions européennes s’efforcent, chaque fois qu’elles y
ont intérêt, de doubler la norme internationale d’une source de droit dérivé dont
l’interprétation pourra être plus facilement maîtrisée (les exemples sont notamment très
nombreux en droit des transports ou en droit de l’environnement).
254. La deuxième illustration porte sur une pratique des institutions européennes consistant
à « préempter » le droit international par « préemption » de la compétence des Etats membres.
Situation - Préemption du droit international par le droit européen
L’exemple du protocole de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires
(2007)
Le règlement (CE) n° 4/2009/CE du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la
loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière
d'obligations alimentaires a prévu notamment que « La loi applicable en matière
d'obligations alimentaires est déterminée conformément au protocole de La Haye du 23
novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires pour les États membres liés
294
par cet instrument » (art. 15). Pour définir l'ensemble des solutions au conflit de lois, le texte
de droit européen dérivé s'en remet ainsi à l'application d'un instrument international liant, le
cas échéant, les États membres, là où il définit des règles propres en matière de conflit de
juridictions lato sensu (compétence des tribunaux, reconnaissance et exécution des
décisions). Cette combinaison conditionnelle du texte européen et du protocole international
a radicalement changé de nature avec l'adoption de la décision 2009/941/CE du Conseil du
30 novembre 2009 relative à la conclusion, par la Communauté européenne, du protocole de
La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Le Conseil
a estimé, en effet, que la Communauté européenne « dispose d'une compétence exclusive
pour toutes les questions régies par le protocole », de sorte qu'elle peut y adhérer, ce qu'elle a
fait. Exceptés les États non liés par le règlement (CE) n° 4/2009/CE (il ne reste plus que le
Danemark à ce jour, la Commission européenne ayant pris acte de la volonté du Royaume-
Uni d'opter pour le règlement : décision 2009/451/CE de la Commission du 8 juin 2009),
l'application combinée du règlement européen et du protocole de La Haye devrait être
effectivement contraignante au jour de l'entrée en vigueur de ce dernier. Tel est en tout cas le
vœu exprimé par le Conseil de l'Union européenne dans la décision commentée. Le
changement est important et pour tout dire spectaculaire. Alors que le règlement du Conseil
semblait soumettre l'applicabilité du protocole de La Haye à la volonté des États membres,
une lecture littérale de la décision du Conseil implique que lesdits États sont dorénavant liés
par l'instrument de La Haye sans même avoir à le ratifier (ce qu'aucun d'entre eux n'a fait à
ce jour). L’Union européenne a purement et simplement préemptée la compétence des Etats
membres dans la faculté qui leur était offerte d’adhérer ou de ne pas adhérer à l’instrument.
Cette démarche s’inscrit clairement dans une perspective de hiérarchisation. En considérant
que la Communauté européenne (devenue Union européenne) avait une compétence
exclusive pour adopter le protocole de La Haye de 2007 sur la loi applicable aux obligations
alimentaires, le Conseil de l'Union européenne a clairement manifesté le souhait d'intégrer le
texte international au droit européen. Avec cette décision, la Convention internationale
devient une source européenne du droit à part entière. Le système juridique européen se
replie ainsi sur lui-même et intègre à ses propres constructions hiérarchiques un texte venu
d'ailleurs.
255. La troisième illustration est tirée de la manière dont la Cour de justice a refusé parfois
de reconnaître un certain type d’effet direct à des conventions internationales liant l’Union
européenne, pour éviter que cette immédiateté ne nourrisse un contentieux européen sur la
légalité des textes de droit dérivé ou sur la responsabilité extracontractuelle de l’Union
européenne.
295
Situation - Absence d’effet direct reconnu à des normes de droit international susceptibles
d’interférer avec le droit de l’Union européenne
Exemples des accords OMC, du protocole de Kyoto et de la Convention de Montego Bay
L’exemple des accords conclus dans le cadre de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC - 1994) est célèbre. Nous l’avons déjà présenté (voir supra, n° xxx). La
Cour de justice ne souhaite pas, manifestement, que les règles du commerce mondial
interfèrent de manière systématique sur la légalité des textes de droit européen dérivé ou
n’alimente le contentieux de la responsabilité extracontractuelle (voir par ex., refusant
ouvertement d’apprécier la légalité d’une directive au regard d’un accord conclu dans le
cadre de l’Organisation mondiale du commerce, CJCE, 10 déc. 2002, BAT ea, aff. C-
491/01 ; plus récemment, dans le célèbre contentieux de la banane : CJCE, 1er mars 2005,
Van Parys, aff. C-377/02 ; comparer dans le cadre d’une action en responsabilité extra-
contractuelle engagée contre l’UE : CJCE, 9 sept. 2008, FIAMM, aff. Jtes C-120 et 121/06).
Des discussions similaires ont porté sur l’absence d’invocabilité directe du Protocole de
Kyoto (1997) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(1995). Voir, pour une illustration déjà signalée (voir supra, n° xxx), au titre du contentieux
sur la légalité des textes de droit européen dérivé, CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-
366/10.
Comparer, s’agissant de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego
Bay - 1982), CJCE, 3 juin 1988, Intertanko, aff. C-308-06.
256. Un dernier exemple vise la manière dont l’Union européenne milite en faveur de
l’insertion de clauses de déconnexion dans des conventions internationales à l’élaboration
desquelles elle a pourtant participé.
Situation - Dédoublement du droit international et européen
Exemple des clauses de déconnexion
On appelle « clauses de déconnexion », ces clauses insérées dans des conventions
internationales négociées par l’Union européenne et qui prévoit que tout ou partie de la
convention internationale n’est pas applicable dans les rapports internes à l’Union
européenne chaque fois qu’il existe – ou qu’il est susceptible d’exister – une réglementation
européenne spécifique, potentiellement dérogatoire, en ce domaine. Des exemples sont
connus en matière de radiodiffusion (Convention du Conseil de l’Europe sur la télévision
transfrontière de 1989), de faillite internationale (Convention du Conseil de l’Europe sur
certains aspects internationaux de la faillite de 1990) et de protection des biens culturels
(Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés de 1995).
296
D’autres illustrations plus anciennes existent mais qui ne portent pas le nom de cette clause.
On songe, notamment, aux possibilités offertes par l’accord du GATT (1947, repris en 1994)
de créer des intégrations régionales, potentiellement dérogatoires des règles qui gouvernent
le commerce mondial.
Ces dispositifs conventionnels donnent naissance à deux régimes juridiques distincts. Un
régime interne à l’espace européen de source européenne et un régime international
s’appliquant à des relations externes de l’UE avec des Etats tiers ou des organisations
internationales tierces. Selon qu’il s’agira d’un rapport interne ou externe, le contenu du droit
applicable au sein du système juridique de l’UE ne sera pas le même : priorité est donnée à la
norme européenne dans les rapports internes ; priorité est donnée à la norme internationale
dans les rapports externes.
Tous ces exemples montrent que le droit de l’Union européenne a développé un nombre assez
varié d’outils lui permettant de se prémunir contre les effets pertubateurs d’un droit
international qu’il s’efforce d’intégrer à ses constructions. La situation n’est pas
fondamentalement différente de celle que l’on connaît en droit français, dans ses rapports au
droit international et, dans une moindre mesure, au droit européen.
§ 2- Le choix d’un niveau d’application du droit plutôt que d’un autre
257. Le fait pour le juriste de se placer à un niveau national, international ou européen
d’application du droit plutôt que d’un autre pour traiter d’un cas particulier, soulève la
question de sa liberté de choix. Dans un contexte fortement internationalisé et régionalisé,
cette liberté est parfois présentée sous la forme un peu effrayante d’un forum shopping
mondial (A). La réalité est plus complexe et nuancée, nombreuses étant les limites à la liberté
de choix du juriste (B).
A - Le spectre d’un forum shopping mondial
258. L’expression « forum shopping » désigne la situation où un plaideur fait usage de sa
liberté de saisir tel juge plutôt que tel autre, dans l’espoir que ce choix exerce une influence
sur l’issue du litige. Son usage est bien connu des internationalistes privatistes : en choisissant
le juge de l’Etat A, le plaideur espère que le droit que ce juge appliquera lui sera plus
favorable que celui qui aurait été appliqué par le juge de l’Etat B. Pris sous cette forme un peu
simplifiée et caricaturale, le forum shopping se meut en law shopping. En cherchant à
atteindre tel juge plutôt que tel autre, le plaideur entend se placer sous l’application d’un droit,
plutôt qu’un autre.
297
Rapportée à l’hypothèse ici étudiée où un juriste manifeste une volonté de se placer à un
niveau national, international ou européen d’application du droit plutôt qu’un autre, la figure
du forum shopping est-elle apte à décrire une pratique de dimension mondiale ?
259. Si l’on essaye, pour commencer, de répondre affirmativement à cette interrogation, on
peut dire que le thème du forum shopping occupe une place de plus en plus visible dans
l’appréhension du contentieux international et régional. On peut en donner quelques
illustrations significatives.
260. Les pratiques de forum shopping sont connues dans le domaine de la protection
internationale et régionale des droits de l’homme.
Situation - Contentieux international et régional des droits de l’homme et choix du forum
L’exemple de l’affaire « Géorgie c. Russie »
Rosalyne Higgins, alors présidente de la Cour internationale de justice, a présenté en 2009
un discours devant la Cour européenne des droits de l’homme. Elle y évoque une affaire
Géorgie contre Russie qui était pendante, à l’époque (la CIJ s’est déclarée incompétente
depuis dans un arrêt du 1er avril 2011), devant la juridiction internationale. Les termes
retenus par la Présidente méritent d’être rapportés car ils décrivent bien la manière dont un
juge international peut ressentir le phénomène de forum shopping. Les voici : « L’affaire
Géorgie c. Russie est importante à un autre titre : elle illustre le phénomène actuel
consistant à soulever des questions juridiques identiques ou similaires devant différentes
instances. Il s’agit d’une conséquence du fait que l’interprétation du droit international –
notamment en matière de droits de l’homme – est une tâche désormais dispersée entre
différents organes judiciaires et quasi judiciaires. A la Cour internationale de justice et aux
trois systèmes régionaux principaux de protection des droits de l’homme en Europe, en
Amérique et en Afrique viennent s’ajouter les organes mis en place par certains traités
internationaux en matière de droits de l’homme afin de contrôler l’application de leurs
dispositions. Ces traités sont les deux pactes internationaux ainsi que la Convention sur
l’élimination de la discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes, la Convention contre la torture, la Convention des
droits de l’enfant et la Convention sur les droits de tous les travailleurs migrants. En outre,
au cours des quinze dernières années, à la suite des atrocités à grande échelle commises en
ex-Yougoslavie et au Rwanda, nous avons pu observer la création de tribunaux
internationaux ad hoc chargés de juger les personnes présumées responsables de ces crimes
ainsi que la mise en place d’une Cour pénale internationale permanente. La Cour
internationale a été saisie du différend opposant la Géorgie à la Russie sur les événements
d’août 2008 dans le cadre d’une procédure contentieuse ayant pour objet l’application de la
298
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Dans
l’ordonnance qu’elle a rendue, elle a relevé que la question aurait tout aussi bien pu être
portée à l’attention du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Presque
au même moment, la Géorgie a introduit une requête interétatique devant la Cour
européenne, alléguant la violation des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction des
traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne et de l’article 1 du
Protocole no
1 (protection de la propriété) à la Convention. La Cour européenne a ordonné
des mesures provisoires appelant l’une et l’autre des parties à respecter leurs obligations
découlant de la Convention, notamment de ses articles 2 et 3. En outre, elle a été saisie
depuis lors de milliers de requêtes dirigées contre la Géorgie ayant pour objet les hostilités
qui avaient éclaté en Ossétie du Sud au mois d’août 2008. Parallèlement, le procureur de
la Cour pénale internationale a déclaré que son Bureau était en train d’examiner la situation
en Géorgie. Nous avions constaté le même phénomène de reformulation de demandes ayant
essentiellement le même objet à l’occasion des attaques aériennes conduites en 1999 par
l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie. Là encore, la Cour internationale et
la Cour européenne avaient été l’une et l’autre saisies. La pléthore d’organes judiciaires et
quasi judiciaires dans le domaine des droits de l’homme entraîne bel et bien un risque de
divergences de jurisprudence » (CEDH, Rapport annuel 2009, Conseil de l’Europe 2010, p.
45).
Pour une étude systématique du traitement des procédures parallèles en ce domaine, voir J.-
F. Flauss et S. Touzé (dir.), Contentieux international des droits de l’homme et choix d’un
forum : les instances internationales de contrôle face au forum shopping, Bruylant - Némésis,
2012. Pour une lecture du phénomène en termes de stratégie juridique : B. Frydman et L.
Hennebel, Le contentieux transnational des droits de l’homme : une analyse stratégique,
RTDH 2009, 73.
261. Le forum shopping est également travaillé en matière pénale.
Situation - Plusieurs juges nationaux et internationaux en matière pénale
Répartition judiciaire du champ répressif et choix du juge
Les pénalistes réfléchissent depuis longtemps sur les situations où une concurrence se fait
jour entre des juges nationaux et internationaux (voir, précurseurs en ce domaine, les travaux
de M. Delmas-Marty, pénaliste de formation, sur le pluralisme juridique mondial, cités en
bibliographie générale à la fin de cet ouvrage).
Entre autres travaux récents sur le sujet, on peut signaler une étude (A. Gogorza, CPI, TPI,
tribunaux internationalisés, juridictions nationales : quel juge pour quelle infraction
internationale ? in V. Malabat (dir.), Juge national, européen et international et droit pénal,
299
Cujas, 2012, 61) où l’auteur s’efforce de dessiner une « répartition judiciaire du champ
répressif ». Pour ce faire, différents critères (critères fondés sur la nature de l’infraction et
critères fondés sur l’auteur de l’infraction) sont étudiés qui contribuent à une répartition des
compétences entre les différentes juridictions pénales internationales et nationales. L’objectif
est d’éviter clairement une concurrence des juridictions internationales, régionales et
nationales œuvrant pour une justice pénale mondialisée. Cet objectif n’est pas toujours
atteint. L’utilisation de ces critères n’est pas homogène selon le contexte juridique en cause
de sorte que le recours à des grands principes (principe de spécialité des juridictions
internationales, principe de complémentarité (sur lequel, voir supra, n° xxx) inhérent à la
justice pénale internationale , etc.) fait que le « choix du juge pénal » demeure une réalité
dans un contexte de plus en plus internationalisé.
262. Des scénarios de forum shopping mondial existent dans d’autres domaines. Nous
avons ainsi eu l’occasion d’imaginer un cas de stratégie à fronts multiples en matière de droit
de la propriété intellectuelle1. Mais cela vaut pour toutes les matières de droit économique,
spécialement quand les enjeux justifient une telle débauche de moyens.
Situation - Le développement de procédures parallèles en droit économique
Retour sur les stratégies à fronts multiples
En droit économique, le développement d’actions parallèles devant des instances aussi bien
nationales, qu’internationales et européennes n’a rien d’exceptionnel. A chaque fois, par
exemple, qu’un Etat ou une collectivité territoriale réglemente une activité économique
(octroi d’un droit exclusif à un opérateur économique, définition de tarifs imposés,
changement des conditions d’accès ou d’exercice à une activité réglementée, interdiction de
commercialisation d’un produit, etc.) et que les enjeux économiques sont importants, il
s’expose à ce qu’une discussion soit ouverte sur plusieurs fronts à la fois : national (respect
de principes généraux), européen (droit de concurrence) ou international (jeu des règles sur
le libre échange). Des juristes hautement spécialisés ont ainsi développé une capacité à
maîtriser les enjeux de ces stratégies à fronts multiples qui sont d’autant plus nécessaires
qu’elles mettent en scène un conflit entre une autorité publique (un Etat par exemple) et un
opérateur privé, le second cherchant à faire évoluer les positions du premier au terme d’un
rapport de force qui peut s’exercer sur des années. Sur le maniement de ces stratégies à
fronts multiples, voir, par exemple, Ch. Jamin (prés.), « Table-ronde sur les cabinets
d’avocats à vocation mondiale : quelles stratégies pour demain ? », CDEnt. 2011, n° 5, p. 9.
263. Des analyses ont été proposées également au départ d’un certain nombre de cas
1 Voir supra, n° xxx.
300
célèbres mettant en scène une concurrence entre juridictions internationales ou régionales et
des conflits de procédures.
Situation - Concurrence entre juridictions internationales ou régionales et conflits de
procédures
Retour sur les affaires « Usine Mox », « Ligne du Rhin de fer » et « Bosphorus »
Deux études ont été publiées relativement récemment qui s’attachent à examiner le
phénomène de concurrence des juridictions internationales ou régionales et des conflits de
procédures : N. Lavranos, Jurisdictional Competition - Selected Cases in International and
European Law: Europa Law, 2009 ; Y. Kerbrat (dir.), Forum Shopping et concurrence des
procédures contentieuses internationales : Bruylant, 2011. La première se présente comme
une étude de cas, précédée d’une introduction et suivie de différentes propositions de
résolution des conflits. La seconde envisage de manière systématique, la concurrence de
procédures dans les grandes branches du droit international (droit des investissements,
commerce mondial, droits de l’homme, droit pénal et droit de l’environnement).
Parmi les différents cas présentés, on trouve, notamment, les affaires « Usine Mox » (CJCE,
30 mai 2006, Commission c/ Irlande, aff. C-459/03), « Ligne du Rhin de fer » (CPA, 24 mai
2005) et « Bosphorus » (CEDH, 30 juin 2005, Req. 45036/98) que nous avons déjà croisées
à un moment où un autre de ce travail (voir infra, n° xxx, la table de jurisprudence). Le point
commun à toutes ces affaires est de mettre en scène une pluralité de juridictions
internationales ou européennes, ayant eu à connaître ou, plus modestement, étant
susceptibles de connaître d’une situation identique ou similaire. Ainsi, dans l’affaire
« Mox », deux juridictions arbitrales, le tribunal international du droit de la mer et de la Cour
de justice des Communautés européennes ont été saisies de tout ou partie du dossier, la
CJCE décidant de réaffirmer de manière brutale sa compétence exclusive pour trancher du
différend entre le Royaume-Uni et l’Irlande. Dans l’affaire « Ligne du Rhin de fer », la Cour
permanente d’arbitrage prend un soin particulier à vérifier que son travail d’application du
droit de l’Union européenne ne chevauche pas le travail d’interprétation préjudicielle
dévolue à la CJUE en vertu du TFUE. Dans l’affaire « Bosphorus », la CEDH délivre une
présomption simple de conformité du droit de l’UE à la CESDHLF, présomption qui trouve
en partie sa justification dans la présence au sein de l’UE d’un juge (la CJUE) à même de
garantir la protection des droits fondamentaux et un contrôle de la légalité des actes de droit
européen dérivé.
Ces exemples, sans doute un peu exceptionnels, montrent que dans des contextes différents
les uns des autres, les juges internationaux et européens ont de plus en plus conscience de
leur coexistence/concurrence. Cet état se traduit dans les décisions soit par des
301
manifestations de rejet (comme dans le cas de l’affaire « Usine Mox ») ou d’empathie
(comme dans le cas des affaires « Chemin de fer du Rhin de fer » et « Bosphorus »). Cette
situation est de nature à éveiller chez le juriste le sentiment que plusieurs juridictions
s’offrent potentiellement à lui dans le contexte international et européen et qu’il lui faut sans
doute procéder à un choix qui sera guidé notamment par une analyse comparée de la pratique
décisionnaire des différents acteurs en présence (sur la comparaison multiniveau, voir supra,
nos développements en Partie 1, n° xxx).
Même s’il peut être observé, le phénomène de forum shopping n’en présente pas moins des
spécificités importantes dans un contexte mondial, spécificités qui tiennent à la présence de
limites importantes à la liberté de choix.
B - Les limites à la liberté de choix
1/ La présence de juridictions diversement spécialisées aux différents niveaux
264. Comme nous l’avons relevé au début de ce paragraphe, l’expression forum shopping
s’est développée à l’origine dans le contexte d’une justice étatique, les juges des différents
pays du monde s’offrant potentiellement à la stratégie des plaideurs. Son emprunt dans un
contexte plus vaste, incluant des juridictions internationales et européennes, ne se fait pas sans
quelques adaptations. Comme souvent, une notion développée à un niveau, ici national, n’a
pas nécessairement la même signification et la même portée à un autre niveau, en l’occurrence
international et européen, et a fortiori, dans les relations entre ces différents niveaux1.
Dans le cas présent, on peut dire que le forum shopping est souvent entravé par une trop
grande altérité entre les justices pouvant être rendues au niveau national, international et
européen. Si le plaideur sait que le résultat qu’il recherche ne peut être atteint qu’à un seul
niveau, faute pour les justices exercées à un autre niveau de présenter des traits comparables,
il ne peut entrer dans des considérations de choix. La situation est donc quelque peu
paradoxale : si l’espoir de solutions différentes alimente le forum shopping, encore faut-il que
ces différences ne soient pas trop grandes, sans quoi elles annihilent toute possibilité de choix.
Pour illustrer ce propos, on distinguera deux types de situations.
265. Les premières situations reposent sur des considérations de procédure.
1 Pour une démonstration en ce sens, à propos d’autres expressions, voir supra, n° xxx.
302
Situation - Altérité des règles de procédures gouvernant les différentes juridictions aux
différents niveaux
Exemples de règles procédurales limitant la liberté de choisir son juge
Les hypothèses sont légion où un plaideur, qui aimerait pouvoir choisir son juge national,
international ou européen, se trouve confronté à une impossibilité de choix, compte tenu de
règles procédurales. Prenons quelques exemples : l’absence de recours direct ou leur
caractère très limité pour les requérants ordinaires devant une juridiction internationale ou
européenne (la CIJ ou l’ORD et, pour bon nombre de recours, la CJUE par exemple) ; le
caractère subsidiaire d’une justice internationale ou européenne qui requiert un épuisement
des voies de recours interne (devant la CEDH, par exemple) ; le caractère purement
volontaire de la soumission d’un plaideur à certaines formes de justice internationale
(arbitrage ou justice de droit international), etc.
Ces considérations générales doivent parfois être nuancées dans certains contextes. Par
exemple, le contentieux international et européen des droits de l’homme, le contentieux
pénal international ou encore le contentieux relatif aux investissements internationaux offre
des profils de justice nationale, internationale ou européenne qui tendent à se rapprocher les
uns des autres. Ce n’est pas un hasard si les pratiques de forum shopping sont le plus
perceptibles dans ces matières. Voir, déjà cité, N. Lavranos, Jurisdictional Competition -
Selected Cases in International and European Law: Europa Law, 2009 ; Y. Kerbrat (dir.),
Forum Shopping et concurrence des procédures contentieuses internationales : Bruylant,
2011.
Un cas en particulier : le contentieux de l’annulation
Le contentieux de l’annulation est un bon exemple d’accès contraint à un juge. Prenons
comme hypothèse de travail la situation d’un plaideur qui souhaite voir déclarer une norme
juridique nulle en raison de sa non-conformité à une norme qui lui est supérieure. Selon que
cette norme est produite dans un système juridique de droit national, international ou
européen, le plaideur devra se diriger vers tel juge plutôt que tel autre. En principe, seul un
juge international peut annuler une norme internationale, seul un juge européen peut annuler
une norme européenne et seul un juge national peut annuler une norme nationale. Le
contentieux de l’annulation - comme beaucoup d’autres contentieux - change donc
littéralement d’objet selon qu’il est considéré à un niveau d’application du droit plutôt qu’un
autre. Le plaideur peut - dans l’absolu choisir - de demander l’annulation d’une norme
nationale plutôt qu’européenne ou internationale. Mais pour chacune de ces normes, il
n’aura, en principe, aucune liberté de choisir son juge, sauf cas tout à fait particulier (pour
l’hypothèse de l’annulation d’un titre européen de propriété intellectuelle par un juge
303
national et/ou par un juge européen, voir, à propos de la marque communautaire, supra, n°
xxx).
266. Les autres situations d’altérité portent sur des considérations de droit matériel
applicable devant les différentes juridictions aux différents niveaux.
Situation - Altérité du droit matériel applicable devant les différentes juridictions aux
différents niveaux
Exemples pratiques de différences de droit matériel applicable limitant la liberté de choisir
son juge
Une considération simple consiste à observer que les juges présents aux différents niveaux -
national, international ou européen - n’appliquent pas nécessairement les mêmes droits pour
la bonne et simple raison que leur culture juridique n’est pas la même. Une entrave à une
liberté économique, par exemple, n’est pas appréhendée de la même manière, selon les
mêmes raisonnements et les mêmes justifications, par un juge national défenseur des libertés
individuelles, une instance internationale en charge de différends commerciaux entre Etats et
un juge européen qui statue dans le contexte d’une intégration régionale. Si une entreprise
estime que sa liberté économique est entravée par une autorité publique, elle n’est pas
confrontée à un choix entre trois juges différents à même de traiter la même question. Elle
est en présence de trois questions juridiques profondément différentes, chacune pouvant être
réglée à sa manière par un juge différent. Le juge national pourra annuler ou déclarer
inopposable la réglementation nationale en cause en raison son caractère anticonstitutionnel.
Le juge international constatera une violation d’un accord de libre-échange et invitera les
parties à négocier une issue au conflit sous peine d’autoriser des contre-mesures de rétorsion.
Un juge européen n’aura d’yeux que pour un principe de libre circulation au terme duquel il
cherchera à identifier une entrave et ses éventuelles justifications.
Ce cas, un peu exceptionnel, montre que les différences de droit matériel applicable ont
souvent une portée bien plus grande qu’on ne le croit. Le juriste est trop souvent tenté de
considérer que, parce que le problème est au départ objectivement le même (dans notre
exemple : une autorité publique nationale qui restreint une liberté économique), son
traitement au niveau national, international et européen est ou devrait nécessairement être le
même. Cette vision est le plus souvent contredite par la réalité. Les juges présentent un degré
de spécialisation qui fait qu’ils n’appliquent pas le même droit à des situations qui ont une
origine commune. Les différences de solutions qui en résultent sont moins l’expression
d’une incohérence ou même d’une simple contradiction que la traduction d’un pluralisme
juridique mondial que le juriste doit apprendre à maîtriser. La comparaison du droit national,
international et européen permet de mettre en évidence certaines de ces différences (voir
304
supra, Partie 1, les nombreuses illustrations proposées). Le juriste doit les garder présentes à
l’esprit quand la question se pose à lui du choix d’un juge national, international ou européen
plutôt que d’un autre et se méfier des raccourcis, causalités incertaines et autres
extrapolations (sur lequelles, voir supra, n° xxx). Selon l’objectif qu’il souhaite atteindre, il
se peut qu’il n’ait tout simplement pas le choix, un juge à un niveau donné (national,
international ou européen) étant seul qualifié pour cela.
Approche théorique : comparaison des méthodes de droit international public et de droit
international privé dans la désignation du droit applicable
Les considérations pratiques qui précèdent n’interdisent pas une approche plus théorique où
la question est posée de savoir si l’on n’assiste pas, sur le terrain de la désignation du droit
applicable, à certains rapprochements entre les méthodes de droit international public et les
méthodes de droit international privé. La question se pose globalement en ces termes.
Pendant longtemps, on a considéré que sur le terrain (tout à fait particulier) de la recherche
du droit applicable, le point de clivage entre un juge international et un juge national, tous
deux saisis d’une situation internationale, résidait dans le fait que le premier ne pouvait faire
application que de son propre droit (le droit international) alors que le second était apte à
appliquer un droit étranger (désigné par une règle de conflit de lois). La dissociation juge
compétent / droit applicable était inconcevable en droit international public, là où elle
apparaissait comme possible, sinon nécessaire, en droit international privé.
Ce clivage entre les deux disciplines est de plus en plus souvent remis en cause (voir en
particulier sur ce thème, l’analyse proposée par M. Forteau, Forum shopping et
fragmentation du droit applicable aux relations internationales - le regard de
l'internationaliste publiciste , in La fragmentation du droit applicable aux relations
internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes (dir.
scientifique M. Forteau ; coord. J.-S. Bergé, M. Forteau, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin),
Editions Pedone, 2011, 143). Il est, de plus en plus fréquent, qu’une juridiction internationale
fasse application d’un droit national ou même régional. La pratique arbitrale est souvent
donnée en exemples : la Convention de Washington de 1965 instituant le CIRDI prévoit
cette possibilité (art. 42.1. : « Le Tribunal statue sur le différend conformément aux règles de
droit adoptées par les parties. Faute d’accord entre les parties, le Tribunal applique le droit de
l’Etat contractant partie au différend y compris les règles relatives aux conflits de lois ainsi
que les principes de droit international en la matière ») ; des sentences arbitrales se sont
distinguées par leur capacité à appliquer de front plusieurs droits, élaborés à différents
niveaux (CPA, sentence partielle du 30 janvier 2007 dans l'affaire Eurotunnel c. France et
Royaume-Uni, articulant différents droits nationaux, internationaux et européens autour de la
question du régime juridique applicable aux relations entre les parties au contrat de
305
concession). Quant à la juridiction de l’Union européenne, les exemples sont connus où elle
peut appliquer alternativement, outre le droit européen, du droit national et du droit
international (l’exemple le plus significatif est celui du contentieux de la responsabilité,
alimenté par le droit national en matière contractuelle et par le droit international en matière
extracontractuelle).
Cette convergence, si ce n’est des méthodes de désignation du droit applicable mais du droit
potentiellement appliqué par les juges (sur l’importance de cette référence au droit appliqué,
voir nos développements infra, n° xxx) réduit incontestablement l’altérité qui peut être
constatée entre les différentes justices nationales, internationales et européennes. Elle
favorise, nous l’avons vu, une circulation des méthodes et solutions juridiques (voir supra,
Partie 2, n° xxx). Mais le juriste doit rester vigilant. L’analyse, au cas par cas, du droit
effectivement appliqué par les différents juges montre que d’importantes différences
subsistent. Pour une démonstration en ce sens, dans le domaine sensible de l’arbitrage
d’investissement où les pratiques de forum shopping se développent, voir F.-X. Train, Forum
shopping et fragmentation du droit applicable aux relations internationales - le regard de
l'internationaliste privatiste, in n La fragmentation du droit applicable aux relations
internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes, préc., p. 138
et s.
2/ L’existence de systèmes intégrés
267. La liberté du plaideur dans le choix du juge national, international ou européen qui
aura à connaître de sa situation est également limitée par la présence de systèmes juridiques
intégrés. Pour un juriste français, il est clair que le rôle du juge national ne peut être envisagé
en indifférence totale du système juridique de l’Union européenne et, notamment, de la place
qu’un autre juge - la Cour de justice de l’Union européenne - y occupe.
Situation - De lege lata : la CJUE et les juridictions des Etats membres
L’exemple des contraintes pesant respectivement sur la juridiction européenne et les
juridictions nationales
Le choix d’un plaideur d’utiliser la saisine d’un juge national ou d’un juge européen comme
outil de repli du système juridique national ou européen sur lui-même (voir supra, n° xxx,
les exemples proposés) est fortement contraint dans une intégration juridique. Dans un
système intégré, tel qu’il existe au sein de l’Union européenne, les outils juridiques sont
nombreux qui sont susceptibles d’empêcher les tentatives de repli d’un système sur lui-
même.
306
Du côté des systèmes juridiques nationaux, nous savons, par exemple, que si un juge refuse
de poser une question préjudicielle à la CJUE pour privilégier une interprétation nationale
sur une interprétation autonome de la norme européenne, il existe de trois façons de
contourner cet obstacle : le plaideur, si son affaire n’est pas définitivement jugée, pourra
essayer de convaincre un juge supérieur de la nécessité de poser une question préjudicielle ;
s’il n’y parvient pas, il pourra, à certaines conditions, intenter une action en responsabilité
contre son Etat en raison de la faute commise par le service public de la justice (CJCE, 30
septembre 2003, Köbler, aff. C-224/01 ; la Cour de cassation française a reconnu cette
possibilité dans onze arrêts rendus le même jour : 1ère civ., 26 octobre 2011, 10-24250-10-
24261) ; il pourra également inviter la Commission de l’UE à ouvrir une procédure en
constatation de manquement contre l’Etat en cause (articles 258 et s. TFUE) ; enfin si la
situation du plaideur est amenée à se répéter, ce qui est le cas des contentieux récurrents, il
sera toujours temps pour lui de convaincre à nouveaux d’autres juges nationaux, dans
d’autres procédures, qui accepteront peut-être enfin de poser une question préjudicielle, fût-
ce contre la position de leur juridiction supérieure (c’est l’hypothèse de la jurisprudence
« Cofidis » (CJCE, 21 nov. 2002, aff. C-473/00) où un tribunal d’instance français (Vienne)
a eu l’audace de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, là où la Cour de
cassation s’y était jusqu’alors refusée ; c’est, de manière plus manifeste encore, le cas de
l’affaire Köbler (CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-224/01) où une juridiction locale a posé à
la juridiction européenne la question de la responsabilité de l’Etat autrichien pour refus de la
juridiction supérieure de poser une question préjudicielle à la même Cour de justice).
Du côté du système juridique européen, des garde-fous existent également. Les Etats
membres occupent une place dans une construction européenne intégrée que ne saurait
ignorer une Cour de justice, gardienne des Traités européens. La jurisprudence « Solange »
en est l’illustration la plus éclatante (sur cette jurisprudence, voir infra, n° xxx). De manière
plus générale, la place reconnue aux traditions juridiques nationales (voir supra, n° xxx), la
marge de manœuvre laissée aux Etats et aux juges nationaux (voir supra, n° xxx), le rôle
direct joué par les Etats dans l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité
(Protocole 2 annexé aux TUE et TFUE ; le dispositif dit du « carton jaune » a été actionné
pour la première fois en mai 2012 par douze parlements nationaux à propos d’une
proposition de règlement du Conseil relatif à l’exercice du droit de mener des actions
collectives dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services,
COM(2012)130 final) sont autant d’outils au service d’une intégration juridique dont on
oublie trop souvent de rappeler qu’elle joue à double sens.
268. Dans un avenir proche, une autre forme d’intégration devra être prise en compte, une
fois que l’Union européenne aura effectivement adhéré à la Convention européenne de
307
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ce sont, en effet, les rapports
entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme
qui s’en trouveront profondément modifiés.
Situation - De lege feranda : la CJUE et la CEDH
L’évolution des rapports entre la CEDH et la CJUE
Le traité d’adhésion de l’Union européenne à la CESDHLF est en cours de négociation. Les
points à régler sont nombreux, ce qui explique que les discussions soient toujours en cours
alors que le Traité de Lisbonne, qui marque l’engagement de l’UE à adhérer à la CESDHLF,
est entré en vigueur en décembre 2009. Sont en cause, en effet, les modalités d’intégration
du système juridique de l’Union européenne dans le système de la CESDHLF. Au titre de
ces modalités figure la question sensible des rapports entre les deux juridictions européennes.
Ces derniers vont nécessairement évoluer vers plus intégration. Il n’est pas certain, par
exemple, que la CEDH maintienne sa jurisprudence Bosphorus (CEDH, 30 juin 2005, Req.
45036/98, préc.). Il est à peu près évident que la CJUE ne disposera plus de la marge de
manœuvre qui était la sienne par rapport au travail d’interprétation de la CEDH. La tentation
du repli du système juridique de l’UE sur lui-même n’en sera que plus refrénée. Sur le terrain
de la stratégie des plaideurs, il sera sans doute de plus en plus difficile de jouer la carte d’un
juge contre un autre, chose qui n’était déjà pas aisée (en dépit du discours pronostiquant
« une guerre des juges européens » ; pour un exemple parmi d’autres, G. Lebreton, Critique
de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, D. 2003, 2319).
308
Section 2 - La hiérarchisation par application du droit à un autre niveau : l’appel à un
droit hiérarchisé
269. Pour résoudre son cas à l’aide d’une hiérarchie des normes, le juriste a fait le choix,
plus ou moins libre, de se placer à un niveau d’application du droit plutôt qu’un autre. Ce
positionnement est confronté à la réalité d’un pluralisme juridique mondial qui commande
que d’autres méthodes et solutions soient à l’œuvre à d’autres niveaux. Or ces autres
méthodes et solutions participent elles aussi potentiellement à un processus de hiérarchisation
des droits. Le juriste doit alors maîtriser les voies de passage d’une hiérarchie définie à un
niveau à une hiérarchie définie à un autre niveau (§ 1), lesquelles commandent parfois la
référence nécessaire à « un droit hiérarchisé », c’est-à-dire une hiérarchie des normes
appliquée (§ 2).
§ 1 - Les voies de passage d’une hiérarchie définie à un niveau à une hiérarchie définie à
un autre niveau
270. L’identification des voies de passage d’une hiérarchie définie à un niveau à une
hiérarchie définie à un autre niveau emprunte au thème de la circulation des situations qui a
été abordé au titre de la phase de combinaison des droits (voir supra, Partie 2, Chapitre 2, n°
xxx). Dans la configuration qui nous intéresse principalement dans cet ouvrage d’une
circulation des situations entre le niveau national, international ou européen, trois scénarios
peuvent être envisagés : les voies de passage entre le niveau national et international (A),
entre le niveau national et européen (B) et entre le niveau international et européen (C).
A - Les voies de passage entre le niveau national et international
271. Le passage d’un niveau national à international et inversement peut emprunter
différentes voies.
Situation - Le passage d’une institution nationale à une institution internationale et vice
versa
L’exemple du conflit entre un Etat et un ressortissant étranger, élevé au rang de conflit
interétatique : retour sur l’affaire « Diallo »
Pour illustrer le phénomène de circulation entre le juge national et la Cour internationale de
justice, nous avons pris l’exemple de l’affaire « Diallo » (CIJ, 30 novembre 2010, Ahmadou
Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo ; sur cette affaire, voir nos
développements supra, n° xxx). Cet arrêt illustre le cas où un Etat exerce la protection
diplomatique sur l’un de ses ressortissants, après épuisement des voies de recours internes.
309
Rappelons que cette protection diplomatique permet d’élever la situation nationale (ici le
recours du ressortissant devant les autorités de l’Etat étranger qui a pris une mesure de
spoliation et d’expulsion à son encontre) au niveau international (un différend interétatique
porté devant la Cour internationale de justice).
Dans une hypothèse de ce type, les constructions hiérarchiques de droit national qui
permettent d’apprécier, dans le contexte national, la légalité de la mesure d’expulsion et de
spoliation, déterminent, dans l’ordre international, si un Etat a enfreint une obligation du
droit international en adoptant la mesure d’expulsion et de spoliation en cause. Les
constructions hiérarchiques définies au niveau national trouvent donc un certain écho au
niveau international.
L’exemple du différend arbitral international réceptionné par un ordre juridique
étatique : l’hypothèse d’une sentence confrontée à une règle d’ordre public international
français
Soit un arbitrage international ayant donné lieu à une sentence. La question peut se poser de
la réception de cette sentence dans un ordre juridique étatique (reconnaissance, exécution ou
recours en annulation), par exemple français. Au titre de cette réception, un contrôle peut
être exercé par le juge étatique de l’absence de « contrariété manifeste à l’ordre public
international » (sur le fondement, par exemple, de l’art. 1514, 1520 ou 1525 du CPC). Cet
ordre public international est un ordre public international français (pour une illustration,
pour un cas de non-respect par l’arbitre international du principe de suspension des
poursuites individuelles en matière de faillite défini notamment au niveau français, Cour de
cassation, 1ère civ., 8 mars 1988, pourvoi n° 86-12015 ; voir, en comparaison, refusant de
considérer qu’une règle française relative à l’interruption de la prescription était d’ordre
public international, Cour de cassation, 1ère civ., 30 juin 1998, pourvoi n° 96-13469). Même
si cet ordre public se veut spécifique aux relations internationales, il procède d’une
hiérarchisation propre au système juridique français, au moins potentiellement. Cette
hiérarchisation peut ne pas être la même que celle que l’arbitre a éventuellement considérée
dans l’ordre international (« ordre public réellement international »). Il se peut donc que
deux hiérarchies coexistent et interagissent, le cas échéant, l’une sur l’autre.
272. Mais ce type de passage institutionnel n’est pas toujours possible ou encore réalisé.
Dans ces hypothèses, c’est l’application du droit dans le contexte national à une application
du droit dans le contexte international et vice versa qui permet d’appréhender le passage
d’une hiérarchie définie à un niveau à une hiérarchie définie à un autre niveau.
310
Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte national à une
application du droit dans le contexte international et vice versa
L’exemple d’une solution de droit national évaluée dans un contexte international : retour
sur l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD
L’appréhension des violations des règles du commerce mondial de l’OMC par la législation
des Etats parties à l’organisation illustre, nous l’avons vu, un cas de circulation (voir supra,
n° xxx). Un droit élaboré dans un contexte national est apprécié, par le dépôt d’une plainte,
dans un contexte international. Cette confrontation prend une tournure généralement
abstraite. Les instances de l’ORD se livrent à une confrontation du texte de la réglementation
nationale et s’attachent à confirmer ou infirmer une contradiction avec les termes de l’un
quelconque des accords OMC (voir en ce sens, S. Bhuiyan, National Law in WTO Law -
Effectiveness and Good Governance in the World Trading System: Cambridge University
Press, 2007, spéc. p. 37 ; pour une illustration en matière de propriété intellectuelle : affaire
Chine - Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle,
ORD, Rapport du groupe spécial, 26 janv. 2009, Etats-Unis c. Chine, WT/DS362). Cette
approche abstraite cède parfois le pas à une analyse plus concrète. C’est le cas, par exemple,
de la situation où c’est l’absence de mise en œuvre effective du droit national qui constitue
un manquement aux obligations internationales (pour un exemple, dans un conflit opposant
l’Argentine aux Communautés européennes, ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006,
Argentine c. CE, WT/DS293, voir les explications ci-après, n° xxx). Dans les deux cas, on
ne peut exclure, par exemple, une discussion sur le point de savoir quel type de
dysfonctionnement interne révèle le non-respect des engagements internationaux par l’Etat
défendeur. Au titre des dysfonctionnements possibles, il peut être observé, par exemple, une
non-application de la hiérarchie interne des normes : une pratique administrative nationale
contraire aux prescriptions législatives nationales, contrariété qui constitue un fait considéré
comme un cas de violation de l’accord international de libre-échange.
B - Les voies de passage entre le niveau national et européen
273. Les voies institutionnelles qui permettent de passer du niveau national au niveau
européen et inversement sont connues. Elles illustrent le passage potentiel d’une hiérarchie
définie à un niveau à une hiérarchie définie à un autre niveau.
311
Situation - Le passage d’une institution nationale à une institution européenne et vice versa
L’exemple de la question préjudicielle posée à la CJUE puis réceptionnée par une
juridiction nationale : le cas de la célèbre affaire « Melki »
Les jeux d’aller et retour auxquelles donnent lieu les procédures de renvoi préjudiciel entre
les juridictions nationales et la juridiction européenne contribuent le plus souvent à une
convergence des solutions nationales et européennes (pour une illustration remarquée, voir
supra, n° xxx, l’étude de la jurisprudence « Arcelor »). Mais parfois, ils sont utilisés dans un
tout autre but, notamment quand il s’agit d’opposer des constructions hiérarchiques de droit
interne et des constructions hiérarchiques de droit européen. L’affaire « Melki » en est une
illustration remarquable.
Dans une procédure interne, une juridiction du fond française a soulevé devant la Cour de
cassation une question prioritaire de constitutionnalité en vue de son éventuelle transmission
au Conseil constitutionnel, compétent au titre du nouvel article 61-1 de la Constitution
française. La question formulée par le juge mettait en cause la compatibilité d'une disposition
de la loi française (CPP, art. 78-2, al. 4) avec « les droits et libertés garantis par la
Constitution de la République française ». Refusant de s'en tenir au strict énoncé de la
question posée par le juge de renvoi, la Cour de cassation a pris appui sur les écritures du
demandeur pour déplacer la discussion du terrain de la constitutionnalité de la loi française
vers celui de sa conformité à des dispositions de droit européen (Cour de cassation., QPC, 16
avr. 2010, n° 10-40002). Pour ce faire, la haute juridiction judiciaire a procédé à deux sauts
successifs dans son raisonnement. Elle s'est d'abord interrogée sur la compatibilité de la règle
de procédure pénale avec un article du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
relatif à la libre circulation des personnes dans l'espace de liberté, sécurité et justice (TFUE,
art. 67). Puis remontant d'un cran dans la généralité, elle s'est posé la question sensible de la
compatibilité de certaines règles de procédure relatives à la question prioritaire de
constitutionnalité (Ord. 7 nov. 1958, art. 23-2 et 23-5, telle que modifiée par la loi organique
du 10 décembre 2009) avec les dispositions du traité européen sur le renvoi préjudiciel
(TFUE, art. 267).
Le raisonnement suivi par la Cour de cassation s'inscrit, sans hésitation possible, dans une
perspective de hiérarchisation. La Cour de cassation en appelle à la primauté du droit
européen pour déterminer si des règles de la loi organique française qui gouvernent les
rapports entre le contrôle de la constitutionnalité de la loi et celui de conventionnalité sont
compatibles avec le droit de l'Union européenne. Cette démarche retenue par le juge français
mérite d’être explicitée. On peut, en effet, s'interroger sur le point de savoir pourquoi la Cour
de cassation a fait le choix délibéré d'appréhender les rapports entre la loi française et le droit
européen sous le prisme du conflit de normes ? Le juge judiciaire français aurait pu de lui-
312
même trouver les voies d'une conciliation entre les règles françaises et les règles
européennes, en considérant que la règle de procédure nationale de QPC n'interdit pas
l’examen, dans un second temps, de la conventionnalité de la loi française, fût-ce au terme
d’une question préjudicielle (pour une analyse en ce sens, voir Conseil constitutionnel, 12
mai 2010, n° 2010-605 DC, notamment pt 15, qui a entendu formuler sa propre analyse de la
question préjudicielle posée par la Cour de cassation à la Cour de justice). Au lieu de cela, la
Cour de cassation refuse de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au
Conseil constitutionnel et s’estime tenue de procéder à un renvoi préjudiciel devant la Cour
de justice.
L'explication de cette attitude doit, nous semble-t-il, être recherchée dans la loi française.
Quelle que soit l'interprétation que l'on entend donner des articles 23-2 et 23-5 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 précitée, telle que modifiée par la loi organique du 10
décembre 2009, il semble difficile de ne pas y voir une volonté de hiérarchiser l'ordre des
contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité quand ils sont sollicités devant le juge
judiciaire ou administratif français (sur ce point, voir nos développements supra, n° xxx).
Cet ordre n’est que de nature procédurale. Elle marque néanmoins une préférence pour la
formulation dans le temps de solutions de droit interne (contrôle de constitutionnalité) sur
des solutions de droit international ou européen (contrôle de conventionnalité).
Cette chronologie qu’a voulu imposer le législateur français ne règle rien dans un contexte
de pluralisme juridique mondial où une hiérarchie définie à un niveau (ici national) peut être
malmenée à un autre niveau par une autre construction hiérarchique. C’est ce qu’a voulu
rappeler la Cour de cassation française en allant chercher, par application des dispositions du
TFUE qui lui en offrait la possibilité, l’interprétation de la Cour de justice.
La Cour de justice a rendu sa décision en s’efforçant de dégager les voies de conciliation
entre la procédure de constitutionnalité interne et les exigences du droit européen encadrant
l'autonomie institutionnelle et procédurale des États membres (CJUE, 22 juin 2010, aff. C-
188/10 et C-189/10, Aziz Melki et Sélim Abdeli : « l’article 267 TFUE s’oppose à une
législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de
constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère prioritaire de cette
procédure a pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de
constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité
des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur ladite question, toutes
les autres juridictions nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation de
saisir la Cour de questions préjudicielles. En revanche, l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à
une telle législation nationale, pour autant que les autres juridictions nationales restent libres:
de saisir, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la
313
procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de toute question préjudicielle
qu’elles jugent nécessaire, d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection
juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et de laisser
inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en
cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union. Il appartient à la juridiction de renvoi de
vérifier si la législation nationale en cause au principal peut être interprétée conformément à
ces exigences du droit de l’Union » (pt. 57).
L’instance a repris son cours devant la Cour de cassation, laquelle persiste et signe :
« Attendu que le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les
dispositions du droit de l'Union, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en
laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la
législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination
préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ; Attendu
que, dans l'hypothèse particulière où le juge est saisi d'une question portant à la fois sur la
constitutionnalité et la conventionnalité d'une disposition législative, il lui appartient de
mettre en œuvre, le cas échéant, les mesures provisoires ou conservatoires propres à assurer
la protection juridictionnelle des droits conférés par l'ordre juridique européen ; qu'en cas
d'impossibilité de satisfaire à cette exigence, comme c'est le cas de la Cour de cassation,
devant laquelle la procédure ne permet pas de recourir à de telles mesures, le juge doit se
prononcer sur la conformité de la disposition critiquée au regard du droit de l'Union en
laissant alors inappliquées les dispositions de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée
prévoyant une priorité d'examen de la question de constitutionnalité » (Cour de cassation.,
QPC, 29 juin 2010, n° 10-40002).
Le choix délibéré de la Cour de cassation de ne pas transmettre la question prioritaire de
constitutionnalité au Conseil constitutionnel illustre assez remarquablement la manière dont
le juriste, ici un juge, peut manipuler plusieurs systèmes juridiques et leurs procédés de
hiérarchisation respectifs. Dans le contexte de cette affaire, deux hiérarchies formelles
étaient à l’œuvre. Une hiérarchie posée par la loi française qui ordonne que priorité soit
donnée dans le traitement procédural du contrôle de constitutionnalité sur le contrôle de
conventionnalité (articles 23-2 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 telle que
modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009, précitée). Une hiérarchie posée par le
Traité sur l’Union européenne qui fait obligation aux juridictions supérieures nationales de
surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, en cas de
difficulté d’interprétation du droit européen (article 267 TFUE). Pour échapper aux
contraintes inhérentes à la première règle hiérarchique, le juge français se place délibérément
sous la coupe de la seconde règle hiérarchique. La situation juridique soumise à la Cour de
314
cassation dans cette affaire est littéralement délocalisée. Du niveau national, elle passe au
niveau européen.
Pour critiquable qu’elle puisse paraître (voir, entre autres analyses, avec les nombreuses
références citées : D. Simon, « Les juges et la priorité de la question prioritaire de
constitutionnalité : discordance provisoire ou cacophonie durable ? », RCDIP 2011, 1 ; voir
en contrepoint, l’approche proposée par P. Puig (à propos notamment de la loi organique),
« La question de constitutionnalité : prioritaire mais pas première… », RTDCiv. 2010, 66),
cette attitude tire les conséquences logiques de l’existence d’une pluralité de systèmes
juridiques. Un acteur institutionnel majeur fait ici la démonstration de sa capacité à utiliser
l’ensemble des outils mis à sa disposition par les différents systèmes pour choisir de se
placer, à un moment ou à autre, sous telle hiérarchie plutôt que sous telle autre. Mais ce
choix n’a été véritablement possible que parce que le juge interne français disposait d’un
outil procédural lui permettant de solliciter, en cours de procédure, une interprétation
authentique du droit européen. Or tel n’est pas toujours le cas, loin s’en faut.
L’exemple de la requête présentée devant la CEDH après épuisement des voies de recours
internes : le cas d’un contrôle de conventionnalité postérieur à une question prioritaire de
constitutionnalité
La situation précédemment décrite d’un juge ordinaire français qui refuse de poser une
question prioritaire de constitutionnalité et préfère que soit examinée, préalablement, une
question d’interprétation du droit européen est sans doute exceptionnelle. Beaucoup plus
fréquente, en revanche, est la stratégie du plaideur qui, n’ayant obtenu (totalement) gain de
cause au terme d’une question prioritaire de constitutionnalité (soit que la question n’ait pas
été transmise au Conseil constitutionnel, soit que la réponse du Conseil constitutionnel ne
satisfasse pas pleinement le plaideur) décide, dans la même affaire ou dans une affaire
similaire, de porter la question devant la Cour européenne de droits de l’homme après
épuisement des voies de recours internes. Dans des situations comme celles-ci, deux
procédés de hiérarchisation sont successivement mis à l’épreuve : la constitutionnalité de la
loi française et sa conventionnalité au regard des exigences de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette dualité de contrôle
rend inévitable les exercices de comparaison (voir, à titre d’illustration, J.-P. Marguénaud,
La consolidation européenne de l’autonomie de l’action du ministre visant à obtenir
l’annulation des clauses et contrats restreignant la concurrence, RDC 2012, 963) qui ne
manquent pas d’informer les plaideurs sur la bonne stratégie à suivre entre les deux procédés
de hiérarchisation. Se dessinent ainsi clairement les voies de passage d’une hiérarchie à un
autre.
274. Avant même d’envisager de poser une question préjudicielle à la CJUE ou d’introduire
315
une requête devant la CEDH, le juriste peut anticiper le passage d’une hiérarchie définie à un
niveau à une hiérarchie définie à un autre niveau en comparant l’application du droit dans le
contexte national et le contexte européen.
Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte national à une
application du droit dans le contexte européen et vice versa
L’exemple d’une solution de droit national évaluée dans un contexte européen :
l’interprétation d’une décision du Conseil constitutionnel conforme à une jurisprudence
de la CEDH
L’hypothèse de travail est la suivante. Au terme d’une question prioritaire de
constitutionnalité, le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité d’une loi à la
Constitution. Le juge ordinaire français est amené à tirer les conséquences de cette décision
du Conseil constitutionnel. Se pose à lui une question d’interprétation de la portée exacte de
la décision du Conseil constitutionnel. Plutôt que d’envisager de poser une deuxième
question prioritaire de constitutionnalité, le juge ordinaire peut être tenté de lire la décision
française en s’inspirant implicitement ou explicitement d’une jurisprudence de la CEDH. Ce
travail du juge ordinaire conduit à faire coexister, pour une même situation, deux processus
de hiérarchisation : le premier qui s’inscrit au titre d’un contrôle de constitutionnalité de la
loi française et le second qui met en œuvre un contrôle de conventionnalité par référence à
un travail menée au niveau européen par une juridiction européenne. Pour une illustration de
cette hypothèse, dans un cas de référence simplement implicite à la jurisprudence de la
CEDH, voir l’analyse proposée par N. Maziau, Constitutionnalité et conventionnalité au
regard des motifs de la décision n° 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel (à propos d’un
arrêt rendu par la Cour de cassation, 1re ch. civ, le 15 décembre 2011 sur dispositif
transitoire de la législation « anti-Perruche »), D. 2012, 297.
L’exemple d’une solution de droit européen évaluée dans un contexte national : l’exemple
d’une affaire « Conseil national des barreaux »
Un arrêt du Conseil d’Etat rendu dans une affaire « Conseil national des barreaux » (CNB)
illustre la manière dont le juge interne agence, dans son raisonnement, les passages possibles
d’une hiérarchisation des droits au niveau national et une hiérarchisation des droits au niveau
européen avec ou sans nécessité de recourir à un moyen institutionnel de type question
préjudicielle (Conseil d’Etat, 10 avril 2008, Req. n° 296845) : « Considérant que les
requérants soutiennent que la directive du 4 décembre 2001 et la loi du 11 février 2004 prise
pour sa transposition méconnaîtraient les articles 6 et 8 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des principes
généraux du droit communautaire ; Considérant, en premier lieu, qu'il résulte tant de l'article
316
6 § 2 du Traité sur l'Union européenne [actuel article 6.§ 3 TUE] que de la jurisprudence de
la Cour de justice des Communautés européennes, notamment de son arrêt du 15 octobre
2002, que, dans l'ordre juridique communautaire, les droits fondamentaux garantis par la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
sont protégés en tant que principes généraux du droit communautaire ; qu'il appartient en
conséquence au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance par une
directive des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales, de rechercher si la directive est compatible avec les droits
fondamentaux garantis par ces stipulations ; qu'il lui revient, en l'absence de difficulté
sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des
Communautés européennes d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par
l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne [actuel article 267 TFUE];
Considérant, en second lieu, que lorsqu’est invoqué devant le juge administratif un moyen
tiré de ce qu'une loi transposant une directive serait elle-même incompatible avec un droit
fondamental garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales et protégé en tant que principe général du droit communautaire, il
appartient au juge administratif de s'assurer d'abord que la loi procède à une exacte
transposition des dispositions de la directive ; que si tel est le cas, le moyen tiré de la
méconnaissance de ce droit fondamental par la loi de transposition ne peut être apprécié que
selon la procédure de contrôle de la directive elle-même décrite ci-dessus ».
Pour expliquer la différence entre l’hypothèse où un recours préjudiciel devant la CJUE est
requis et celle où il ne l’est pas, le juge français fait la part entre les questions qui relèvent de
procédés internes de hiérarchisation (pas de question préjudicielle) et celle qui relèvent de
procédés européens (question préjudicielle obligatoire).
C - Les voies de passage entre le niveau international et européen
275. Les hypothèses de circulation entre le niveau international et européen et leur
traduction en termes de hiérarchisation des droits sont sans doute plus difficiles à identifier. Il
y a deux grandes raisons à cela. D’une part, le droit international est, nous l’avons vu, un droit
faiblement hiérarchisé, de sorte que la figure du passage d’une hiérarchie de droit européen à
une éventuelle hiérarchie de droit international apparaît comme un cas d’école. D’autre part,
les hypothèses de conflit entre le droit international et européen ne sont pas légion de sorte
que le recours à une hiérarchie, conçue comme une clé de résolution des conflits est rarement
utile.
Il existe néanmoins quelques cas.
317
Situation - Le passage d’une institution internationale à une institution européenne et vice
versa
L’exemple d’une situation successivement soumise à une institution internationale et
européenne et vice versa : retour sur l’affaire « Kadi »
L’affaire « Kadi » (TPI, 21 sept. 2005, Yusuf, aff. T-306/01, censuré par : CJCE, 3 sept.
2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05 ; voir également en prolongement,
l’affaire Kadi II (annulant un nouveau règlement européen, intervenu depuis), TPI, 30
septembre 2010, aff. T-85/09) illustre, au premier degré, l’examen de la légalité d’un texte
européen de droit dérivé qui trouve sa source dans une résolution des Nations Unies
prononçant des sanctions individuelles (gel d’avoirs notamment) contre des individus
suspectés d’intelligence avec des mouvements terroristes (voir supra, n° xxx). Mais si l’on
considère la situation dans sa globalité, on observe qu’elle est amenée à circuler par
différents biais décisionnaires (« législateur », « exécutif » et « judiciaire » entendus au sens
large) du niveau international au niveau européen. Ce passage institutionnel d’un niveau à un
autre est susceptible de mettre en scène différents processus de hiérarchisation des droits : un
processus international, au sein duquel une place serait, par exemple, occupée par le jus
cogens, et un processus européen, lequel repose notamment sur l’affirmation d’une
communauté de droit et la protection de droits fondamentaux. Dans l’affaire Kadi, le TPI a
été tenté, nous l’avons signalé, de se référer à un processus de hiérarchisation du droit
international présenté comme concurrent du processus européen (TPI, 21 sept. 2005, Yusuf,
aff. T-306/01 : pts. 334 et s.). La Cour de justice l’a fermement refréné dans cette voie
(CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05 : pts 290 et 327
not.). Le TPI ne l’a manifestement pas entendu (complètement) de cette oreille (TPI, 30
septembre 2010, aff. T-85/09 : « les institutions et les gouvernements intervenants ont réitéré
avec force, dans le cadre de la présente instance, les préoccupations déjà exprimées par eux,
dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kadi de la Cour, quant au risque de
bouleversement du régime de sanctions mis en place par les Nations unies, dans le cadre de
la lutte contre le terrorisme international, qui résulterait de l’instauration à un niveau national
ou régional d’un contrôle juridictionnel du type de celui préconisé par le requérant à la
lumière de l’arrêt Kadi de la Cour. Il est vrai que, dès lors qu’est admise la compétence de
principe du Conseil de sécurité pour adopter des sanctions visant des particuliers, plutôt que
des États ou leur régime (smart sanctions), un tel contrôle juridictionnel est susceptible
d’interférer avec les prérogatives du Conseil de sécurité, notamment pour ce qui est de la
définition de ce qui constitue une menace à la paix ou à la sécurité internationales, de la
constatation de l’existence d’une telle menace et de la détermination des moyens d’y mettre
fin. Plus fondamentalement, certains doutes ont pu être exprimés, dans les milieux
318
juridiques, quant à la pleine conformité de l’arrêt Kadi de la Cour, d’une part, avec le droit
international, et plus particulièrement avec les articles 25 et 103 de la charte des Nations
unies, et, d’autre part, avec les traités CE et UE, et plus particulièrement avec l’article 177,
paragraphe 3, CE, les articles 297 CE et 307 CE, l’article 11, paragraphe 1, UE et l’article
19, paragraphe 2, UE (voir, également, l’article 3, paragraphe 5, TUE et l’article 21,
paragraphes 1 et 2, TUE, ainsi que la déclaration n° 13 de la conférence des gouvernements
des États membres sur la politique étrangère et de sécurité commune, annexée au traité de
Lisbonne, qui souligne que « l’UE et ses États membres demeureront liés par la charte des
Nations unies et, en particulier, par la responsabilité principale incombant au Conseil de
sécurité et à ses États membres du maintien de la paix et de la sécurité internationales. À cet
égard, il a notamment été soutenu que, bien que la Cour ait affirmé, au point 287 de son arrêt
Kadi, qu’il n’incombait pas au juge communautaire, dans le cadre de la compétence
exclusive que prévoit l’article 220 CE, de contrôler la légalité d’une résolution du Conseil de
sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, il n’en demeure pas
moins que contrôler la légalité d’un acte communautaire qui se borne à mettre en œuvre, au
niveau de la Communauté, une telle résolution ne laissant aucune marge à cet effet revient
nécessairement à contrôler, au regard des normes et des principes de l’ordre juridique
communautaire, la légalité de la résolution ainsi mise en œuvre. » etc., pts 113 et s.).
Cette motivation, particulièrement alambiquée, du Tribunal de l’Union européenne révèle les
difficultés pour le juge à agencer un processus de hiérarchisation des droits qui s’opère
parallèlement à deux niveaux différents - international et européen ici -, même si au final,
c’est la hiérarchisation européenne des droits qui est ici préférée par le juge européen. Les
voies de passage d’une hiérarchie à une autre n’ont pas été ici maîtrisées. Nous verrons
comment il est possible de remédier à ce type de difficulté (voir infra, n° xxx).
276. Il est également possible d’envisager un autre cas.
Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte international à une
application du droit dans le contexte européen et vice versa
L’exemple du différend arbitral international confronté à un ordre juridique européen :
l’exemple des jurisprudences « Eco Swiss » et « Poupardine »
Le droit de l’arbitrage international n’a pu rester indifférent à l’émergence d’un droit
européen, spécialement dans sa dimension d’ordre public. C’est ainsi notamment que dans
une affaire restée célèbre (CJCE, 1er juin 1999, Eco Swiss, aff. C-126/97), la Cour de justice
a déclaré : « Une juridiction nationale saisie d'une demande en annulation d'une sentence
arbitrale doit faire droit à une telle demande lorsqu'elle estime que cette sentence est
effectivement contraire à l'article 85 du traité CE [devenu article 101 TFUE], dès lors qu'elle
319
doit, selon ses règles de procédure internes, faire droit à une demande en annulation fondée
sur la méconnaissance de règles nationales d'ordre public » (pt. 41 ). Eu égard aux
conséquences attachées au non-respect d’une loi de police européenne, l’arbitre
international, s’il ne veut pas que sa sentence soit annulée par un juge national membre de
l’Union européenne, est invité à intégrer à son raisonnement des constructions hiérarchiques
de droit européen. La question difficile se pose alors des modalités de cette intégration.
C’est cette difficulté qu’illustre un récent arrêt « Poupardine » (Cour de cassation, 1ère ch.
civ., 29 juin 2011, pourvoi n° 10-16680 ; pour une compréhension de l’arrêt (que la seule
lecture ne permet pas), voir notamment la note de P. Mayer, RA 2012, 76). Dans cette
affaire, la Cour de cassation, par un motif peu explicite (« Mais attendu, d'une part, qu'ayant
relevé que le litige soumis aux arbitres avait pour objet l'appréciation du bien-fondé de la
rupture unilatérale du contrat par la société Poupardine, la cour d'appel, juge de l'annulation,
qui n'avait pas le pouvoir de réviser la décision au fond, a pu en déduire que les arbitres, en
se déclarant, fût-ce à tort, incompétents pour statuer tant sur la conformité au droit
communautaire de la décision de refus d'agrément de la société Smeg, prise par l'ONIC en
application de la réglementation nationale alors en vigueur que sur la légalité de l'article L.
211- 16 du code rural au regard des règles communautaires, et en déclarant la résiliation
fondée, s'étaient conformés à leur mission »), dénonce, sans la sanctionner, la raison
« d’incompétence » avancée par les arbitres pour ne pas examiner la conformité d’une
décision prise par un organisme public français au regard du droit de l’Union européenne.
Autrement dit, la Cour de cassation rappelle que les arbitres ont bien compétence pour
appliquer le droit européen, en l’occurrence d’ordre public, même si autre chose était de
savoir si, en l’espèce, la violation de la règle européenne était de nature à modifier la
résolution du différend.
L’exemple d’une solution de droit européen (UE) évaluée dans un contexte international :
retour sur l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD
L’UE étant partie, avec ses Etats membres, à l’OMC, la réglementation européenne peut être
évaluée au regard des exigences des règles sur le commerce mondial devant l’ORD. Le
phénomène est d’ailleurs fréquent. L’UE a ainsi participé, comme défendeur, à plus de 70
procédures. Ce qui a été dit précédemment pour le droit national (voir supra, n° xxx) vaut
potentiellement pour le droit européen. Pour une illustration, à propos d’une pratique de
moratoire, consistant, de l’aveu même de l’administration européenne à refuser, pendant plus
de cinq ans, d’approuver de nouveaux produits biotechnologiques « sans justification
scientifique ou juridique » (sic), voir ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006,
Argentine c. CE, WT/DS293.
320
§ 2 - La référence à un droit hiérarchisé
277. Une chose est de procéder à une hiérarchisation des droits à un niveau, une autre est de
considérer la place qu’occupe ce droit hiérarchisé à un autre niveau. Deux questions se posent
à ce propos : dans quelles hypothèses cette référence à un droit hiérarchisé est-elle utile voire,
nécessaire (A) et comment déterminer le contenu et, sans doute, la nature de ce droit
hiérarchisé (B) ?
A - Les hypothèses où la référence à un droit hiérarchisé est utile et nécessaire
278. C’est probablement un truisme mais il mérite d’être explicité : pour que le juriste se
donne la peine de considérer un droit hiérarchisé à un autre niveau que celui où son cas est
appréhendé, il faut que cette considération soit utile à son raisonnement juridique.
Indépendamment des questions que nous évoquerons plus loin (voir infra, § B), cette utilité
juridique tient à une réalité simple mais qui est rarement considéré en tant que telle : le droit
hiérarchisé est utile parce qu’il a été, qu’il est ou qu’il sera appliqué au cas en question.
Situation - Droit hiérarchisé et droit appliqué
Exemples où le droit hiérarchisé a été, est ou sera appliqué au cas
Quel que soit le temps passé, présent ou futur auquel l’application du droit hiérarchisé est
considérée (le juriste pouvant se placer à un moment ou un autre de l’analyse, selon qu’il
traite une situation passée, présente ou à venir), le fait est qu’elle n’intéresse le juriste que si
elle est susceptible d’atteindre le cas à traiter.
Eu égard aux différents scénarios envisagés précédemment (voir supra, § 1), on peut dire
que cette application d’un droit hiérarchisé est envisagée par le juriste chaque fois que la
mise en œuvre du droit dans un contexte est évaluée, en termes de compatibilité, dans un
autre contexte.
Ainsi, la compatibilité du droit appliqué dans un contexte national, selon des constructions
hiérarchiques définies au niveau national, peut être mesurée dans un contexte international
(dans le cadre d’une procédure devant la CIJ ou l’ORD, par exemple) et dans un contexte
européen (UE et CEDH). De manière plus exceptionnelle, on peut envisager le cas inverse
où la compatibilité d’un droit appliqué dans un contexte international (par exemple, arbitrage
international) ou européen (UE ou CEDH) est évaluée dans un contexte national (par
exemple, à l’occasion de l’adoption d’une règle ou décision nationale d’exécution). Dans
certaines hypothèses particulières, la compatibilité du droit appliqué dans un contexte
européen peut être évaluée dans un contexte international (procédure devant l’ORD contre
l’UE) ou dans un autre contexte européen (UE - CEDH). De manière très exceptionnelle
321
enfin, la compatibilité du droit appliqué dans un contexte international (par exemple, ONU,
arbitrage international) peut être jaugée, au moins indirectement, dans un contexte européen
(UE ou CEDH).
279. Eu égard aux différentes situations mises en évidence par les voies de passage d’une
hiérarchie à une autre, certaines sont manifestement plus importantes que d’autres dans la
place qu’elles concèdent à un droit hiérarchisé.
Les situations où la référence à un droit hiérarchisé peut être vécue par le juriste comme une
nécessité recoupent celles où une contrainte de circulation existe. Cette contrainte de
circulation, que nous avons déjà envisagée dans une perspective de combinaison des droits
(voir supra, Partie 2, n° xxx), intervient parfois dans un processus de hiérarchisation des
droits. Quand cette contrainte existe, le juriste est amené, plus que dans toutes autres
situations, à se référer à un droit hiérarchisé.
Situation - Droit hiérarchisé et contrainte de circulation
Exemples où un droit hiérarchisé est soumis à une contrainte de circulation
Parmi les différentes situations envisagées au titre du passage d’une hiérarchie à une autre
(voir supra, § 1), certaines traduisent une contrainte de circulation. Trois cas de figure
peuvent être distingués.
Le premier vise la situation où l’examen des modalités d’application du droit est une
condition d’appréciation d’un cas de responsabilité internationale. C’est l’exemple,
notamment, du conflit étatique élevé au rang de conflit interétatique devant la CIJ ou, plus
exceptionnellement, de l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD contre un Etat
ou l’UE.
Un deuxième cas de figure vise toutes les hypothèses où un procédé institutionnel permet à
une relation de fait d’être successivement examinée à un niveau national puis à un niveau
européen et vice versa. C’est l’exemple de la question préjudicielle portée devant la Cour de
justice de l’Union européenne ou de la requête présentée devant la Cour européenne des
droits de l’homme après épuisement des voies de recours internes et des effets qu’elles
peuvent produire à rebours dans les ordres juridiques nationaux. A terme, quand l’Union
européenne aura adhéré à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales, il faudra ajouter l’hypothèse du passage d’un niveau européen
(UE) à un autre (CEDH).
Un troisième cas de figure concerne les hypothèses où une règle ou décision de droit
international est confrontée à un ordre juridique étatique ou européen au stade de sa
322
reconnaissance ou de son exécution. C’est le cas d’une sentence arbitrale internationale
confrontée à ordre juridique étatique (la France, par exemple) ou un ordre juridique intégré
(UE ou CEDH). C’est le cas également d’une décision du Conseil de sécurité des Nations
Unies exécutée au sein de l’Union européenne.
En dehors de ces hypothèses, le phénomène de circulation que nous avons pu observer dans
la partie précédente (voir supra, n° xxx) ne traduit pas un état de contrainte suffisant pour
justifier une référence à un droit hiérarchisé. Ainsi, l’application du droit à différents niveaux
sans recours à un vecteur institutionnel ou la propension d’un système juridique à se replier
sur ses propres constructions hiérarchiques, sans référence aucune aux constructions d’un
autre ordre juridique, n’ont pas à être envisagées dans les développements menés plus avant.
B - La détermination du contenu et de la nature du droit hiérarchisé
280. La question du contenu et de la nature ce que nous appelons ici « le droit hiérarchisé »
est envisagée essentiellement par la doctrine de droit international privé dans des situations
assez particulières. Ces situations ont en commun de mettre en scène un juge (étatique ou
arbitral) chargé d’appliquer une loi étatique étrangère normalement applicable. Dans des
hypothèses précises, la question se pose de savoir si la référence à une hiérarchie des normes
appliquée dans le système juridique étranger est possible et quels en sont les termes. Ces
hypothèses sont au nombre de trois.
281. Selon une première hypothèse, la question peut se poser devant le juge étatique saisi
de l’inconstitutionnalité de loi étrangère normalement applicable.
Situation - L’inconstitutionnalité de la loi étrangère normalement applicable
Réponse de principe et difficultés théoriques et pratiques
L’hypothèse d’une lex causae étrangère frappée d’inconstitutionnalité dans l’Etat dont elle
émane appelle une réponse de principe, largement tempérée par des considérations pratiques.
Quand un juge français, par exemple, applique une loi étrangère, la réponse de principe veut
qu’il n’applique pas seulement la loi, entendue dans un sens étroit, impliquant la seule
référence à un énoncé textuel (par exemple, un article d’un code civil étranger), mais le droit
d’un système juridique étranger, c’est-à-dire l’ensemble des sources textuelles et
jurisprudentielles, internes, internationales ou européennes, appliquées dans le pays étranger
(sur une distinction entre ordre juridique et système juridique, voir. D. Sindres, La distinction
des ordres et des systèmes juridiques dans les conflits de lois, LGDJ, 2008). Si un conflit
survient entre ces sources, le juge doit normalement appliquer les solutions au conflit
dégagées dans le pays étranger. Si ces dernières empruntent à des constructions de type
« hiérarchie des normes », c’est la hiérarchie des normes étrangère qui sert de référence, en
323
aucun cas la hiérarchie des normes française. Dans notre hypothèse de travail, si la loi
étrangère est arguée d’inconstitutionnalité, c’est évidemment par référence au droit
constitutionnel étranger que la question doit être considérée. Personne ne songerait, en
pareille circonstance, à prétendre que la loi étrangère n’est pas valable car contraire à la
Constitution française. Cette analyse ne fait que traduire la relativité de toute construction de
type hiérarchie des normes, qui n’autorise, au mieux, qu’un contrôle de validité des normes
ayant une place dans le système juridique considéré, en l’occurrence dans le système
étranger (voir sur ce thème, la présentation proposée par D. Bureau et H. Muir Watt, Droit
international privé, T. I (partie générale), PUF, 2me éd., n° 455, avec les différentes
références citées ; comp. à propos de la réglementation administrative étrangère, l’analyse
prospective proposée par O. Dubos, Le territoire, in J.-B. Auby (dir.), L’influence du droit
européen sur les catégories de droit public, Dalloz 2010, spéc. p. 367 et s.
Cette réponse de principe se heurte néanmoins à des difficultés théoriques et pratiques. D’un
point de vue théorique, c’est la nature juridique du droit étranger et donc, indirectement, la
nature juridique de la hiérarchie des normes qu’il renferme, qui est discutée. Longtemps
assimilée à un simple fait, une loi étrangère ne saurait avoir la même force qu’une loi
française. Aussi la considération selon laquelle la loi étrangère est frappée
d’inconstitutionnalité dans son pays d’origine, n’aurait pas plus de poids que n’importe quel
fait de nature à influer sur la décision du juge. Cet obstacle théorique a vieilli. Il ne rend pas
compte des efforts déployés par les juristes, notamment en France (mais pas seulement),
pour donner au droit étranger applicable un véritable statut juridique, si ce n’est égal à celui
de la lex fori, du moins qui s’en rapprocherait (la Commission européenne travaille d’ailleurs
actuellement à une proposition en ce sens dans les domaines couverts les différents textes
européens uniformisant le droit des conflits de lois).
Ce sont, en réalité, les considérations d’ordre pratique qui rendent difficile, aujourd’hui
encore, l’examen par le juge saisi d’une question d’inconstitutionnalité de la loi étrangère
applicable. L’office du juge français, quand il applique la loi étrangère, ne saurait être
exactement équivalent à l’office du juge étranger quand il applique sa propre loi. La position
« extérieure » du juge français quand il applique la loi étrangère fait qu’il n’est pas en
mesure de mettre en œuvre l’ensemble des outils juridiques d’application existant dans le
système juridique étranger. Les obstacles que le juge français peut rencontrer sont de deux
ordres : un obstacle de légitimité, quelle que soit l’importance des moyens notamment
d’information mis à sa disposition par l’institution ou les parties au litige, le juge français est
toujours moins légitime que le juge étranger à appliquer le droit étranger, de sorte que son
rôle ne peut être que plus effacé ; un obstacle procédural, chaque fois que le juge français n’a
pas accès à une procédure étrangère spécifique qui permet une application pleine et entière
324
du droit étranger. C’est le cas dans l’hypothèse d’un contrôle de constitutionnalité de la loi
étrangère. Si une procédure de type renvoi préjudiciel devant juge constitutionnel est
aménagée à l’étranger, le juge français en sera exclu, sauf disposition contraire du droit
étranger. Aini, par exemple, les juges étrangers, pas plus que les arbitres d’ailleurs, n’ont
accès à la procédure française de QPC (préc.).
Aussi fragile soit-elle, cette situation où la loi étrangère est arguée d’inconstitutionnalité
permet de jeter les bases de la distinction qui nous intéresse ici entre l’application d’une
hiérarchie des normes et la référence à un droit hiérarchisé. Face aux difficultés que le juge
français peut rencontrer dans la mise en œuvre d’une hiérarchie des normes étrangère, son
rôle peut se cantonner à l’application d’un droit hiérarchisé étranger. Faute, pour lui, de
pouvoir mobiliser l’ensemble des ressources, notamment procédurales, du système juridique
étranger, le juge français va rechercher les manifestations, dans le système juridique
étranger, d’un droit hiérarchisé, c’est-à-dire d’un droit appliqué par les acteurs, notamment
institutionnels, étrangers. Ainsi, par exemple, le juge français peut avoir à connaître d’une
décision d’un juge constitutionnel étranger, invalidant la loi étrangère normalement
applicable. Cette décision est une manifestation de ce que nous appelons ici un « droit
hiérarchisé ». Le juge français ne met pas directement en œuvre une hiérarchie des normes
étrangère. Il se réfère à un droit hiérarchisé, tel qu’il a été appliqué dans le système juridique
étranger et par un acteur habilité.
282. Selon une deuxième hypothèse, la loi étrangère peut être arguée d’inconventionnalité
devant le juge étatique français.
Situation - La loi étrangère arguée d’inconventionnalité devant un juge étatique
Réponse de principe et difficultés théoriques et pratiques
La réponse de principe développée pour l’inconstitutionnalité de la loi vaut pour celle de
l’inconventionnalité. Par exemple, un juge français appliquant la loi de l’Etat de New York
doit faire application du traité conclu entre les Etats-Unis et la Suisse, dès lors que la
situation en cause entre dans son domaine d’applicabilité (sur cet exemple où le juge du fond
français a considéré néanmoins que le traité en question ne concernait que les rapports entre
« citoyens suisses et citoyens des Etats-Unis d’Amérique » et non les ressortissants français :
Cour de cassation, 1ère ch. civ., 1er février 1972, Rougeron, pourvoi n° 70-11911). Cette
référence au traité international « étranger » (dans cet arrêt, la Cour de cassation indique,
sans détour, que le « traité, doit être considéré comme une loi étrangère ») implique que,
dans l’hypothèse d’un conflit avec la loi étrangère applicable, ce soit le système étranger qui
livre les clés de résolution du conflit. La Constitution et/ou jurisprudence étrangères de dire,
325
par exemple, si le traité international est supérieur à la loi interne, fût-elle postérieure
(hypothèse bien connue en France, des arrêts « Jacques Vabre » et « Nicolo », préc.).
Cette réponse se heurte aux mêmes difficultés pratiques que celles évoquées à propos de
l’inconstitutionnalité de la loi étrangère. Le juge français appliquant un traité international
dans un contexte de droit étranger n’est pas dans la même position que s’il devait appliquer
un traité international liant la France dans le contexte français. Comme pour l’application de
la loi étrangère, son office est différent et le contrôle exercé par la Cour de cassation, par
exemple, ne saurait être exactement équivalent à celui qui préside à l’application des textes
français ou des textes internationaux liant la France.
Cette réponse un peu générale peut se heurter néanmoins à des difficultés supplémentaires. Il
peut arriver, en effet, que la convention internationale ou européenne applicable en pays
étranger soit également applicable en France. C’est même devenu une hypothèse tout à fait
fréquente avec le développement du droit européen, chaque fois que la loi d’un autre Etat
membre (UE - COE) est déclarée applicable. Dans cette situation, que doit faire le juge
français si, par extraordinaire, le texte conventionnel international ou européen n’est pas mis
œuvre selon les mêmes modalités hiérarchiques à l’étranger et en France ?
Trois solutions radicalement différentes peuvent être envisagées. La première consiste à
imposer au juge, la figure du dédoublement fonctionnel développée par Georges Scelle pour
décrire les rapports entre l’ordre international et le juge national (Précis de droit des gens.
Principes et systématique, Sirey (2 t.), 1932, spéc. vol. 2, p. 317 et s) en la projetant sur
l’hypothèse du rapport entre deux ordres juridiques nationaux : le juge français qui applique
le texte international ou européen dans un contexte étranger tient compte des seules règles
d’application hiérarchique prévues par la pays étranger. Cette solution s’inscrit dans la lignée
de la jurisprudence « Hocke » que nous avons déjà rencontrée (voir supra, n° xxx) : le conflit
d’interprétations d’une convention internationale portant loi uniforme est ici traité comme un
conflit de lois ordinaire. Une deuxième solution est de faire prévaloir les constructions
françaises sur les constructions hiérarchiques étrangères. Cela revient à évincer, au moins
partiellement (pour la part de la solution juridique qui dépend du texte international ou
européen), la loi étrangère au profit de la loi française, pour un motif à déterminer (on songe,
par exemple, à une exception d’ordre public française qui intégrerait un impératif d’ordre
public de source conventionnelle, par exemple européenne (UE ou CEDH) ; sur le
phénomène d’européanisation de l’ordre public au sens du droit international privé, voir M.-
N. Jobard-Bachellier et F.-X. Train, Juris-classeur de droit international, Ordre public
international, Fasc. 534-1, n° 16 et s. ; Fasc. 534-2, spéc. n° 64 et s.). Une troisième et
dernière solution est de recourir, quand cela est possible, à une technique d’interprétation
uniforme, soit que l’interprétation ait déjà été livrée par un interprète authentique, soit
326
qu’elle puisse être sollicitée. On songe, dans le contexte européen, au renvoi à une
jurisprudence de la CEDH (déjà rendue) ou de la CJUE (déjà rendue ou à rendre au terme
d’une question préjudicielle).
Dans la première solution, le juge français qui doit trancher une question
d’inconventionnalité de loi étrangère applicable ne met pas en œuvre une hiérarchie des
normes étrangère. Il se réfère à un droit hiérarchisé étranger, c’est-à-dire à la manière dont
cette hiérarchie des normes étrangère a été mise en œuvre à l’étranger par des acteurs,
notamment institutionnels, plus habilités que lui à le faire. Cette recherche devient inutile
chaque fois que le juge décide de privilégier une référence à ses propres constructions
(exception d’ordre public) ou renvoie à une interprétation authentique, d’une juridiction
internationale ou européenne.
283. Une troisième hypothèse vise la position de l’arbitre international chargé d’appliquer
un droit national et qui s’interroge sur l’impact exercé par la hiérarchie de normes telle
qu’appliquée dans le contexte national en question.
Situation - L’arbitre international chargé d’appliquer un droit national et la hiérarchie des
normes
Une distinction proposée entre les contrariétés de normes supérieures et inférieures
constatées, constatables ou à constater
Un auteur (P. Mayer, L’arbitrage international et la hiérarchie des normes, RA 2011, 361) a
montré que l’arbitre international, quand il est conduit à appliquer un droit national, ne peut
mobiliser de lui-même la hiérarchie des normes inscrite dans le système juridique national
dont la loi est appliquée. Il doit s’appuyer sur l’application qui peut en être faite dans le
système considéré. L’analyse est résumée en ces termes : « la mission de l’arbitre n’est pas
de faire respecter la hiérarchie des normes en vigueur dans le pays dont la loi est applicable.
Cette hiérarchie n’est pertinente pour lui que dans la mesure où elle influe sur le contenu des
règles effectivement en vigueur » (p. 15, § 22 in fine).
Même si l’auteur justifie cette situation par des considérations propres à l’arbitrage
international et une préférence marquée, dans ce contexte, pour des conceptions réalistes du
conflit hiérarchique de normes sur des conceptions normativistes qui avaient été choisies
comme point de départ à l’analyse (P. Mayer répondant, sur ce point, au travail de J.
Paulsson, Unlawful Laws and the Autority of International Tribunals », ICSID Review
Foreign Investment Law Journal, Vol. 23, n° 2, 2008, 215 ; on peut se demander s’il n’eut
pas été plus simple de renoncer d’entrée de jeu à une approche formelle pour privilégier une
approche matérielle), il nous semble particulièrement intéressant d’inscrire son analyse dans
la démarche qui est la nôtre d’une application d’un droit hiérarchisé à différents niveaux.
327
Aussi retiendrons-nous volontiers les trois séries d’hypothèses dégagées dans cette étude
(préc., p. 16 à 23) : 1° les « situations dans lesquelles la contrariété de la norme inférieure à
la norme supérieure n’est pas de nature à entraîner l’inapplicabilité de la norme inférieure »
(hypothèse où la conformité de la norme inférieure à la norme supérieure ne donne pas lieu,
dans le pays concerné, à un contrôle a posteriori ; cela a été le cas longtemps en France en
matière de contrôle de constitutionalité de la loi avant que la procédure de question
prioritaire de constitutionnalité ne soit introduite en 2009) ; 2° les « situations dans lesquelles
la contrariété de la norme inférieure à la norme supérieure conduit normalement les juges du
pays en cause à déclarer inapplicable la norme inférieure » (triple hypothèse où la contrariété
de la norme inférieure à la norme supérieure a déjà été constatée par une autorité, ne l’a pas
encore été mais est patente, ne l’a pas été et n’est pas patente ; dans ces différentes situations
une grande attention est portée par l’auteur aux solutions d’ores et déjà constatées soit dans
le système juridique national, soit dans le système qui l’intègre (UE ou CEDH)) ; 3° enfin,
les « situations dans lesquelles la contrariété de la norme inférieure à la norme supérieure ne
peut être constatée que par une autorité spéciale du pays en cause, qui ne s’est pas encore
prononcée » (deux hypothèses selon que l’arbitre peut ou ne peut pas saisir par voie
préjudicielle une autorité constitutionnelle seule habilitée à se prononcer). Et l’auteur de
conclure que, selon les situations, selon les hypothèses, l’arbitre est plus ou moins enclin à se
référer à un droit appliqué selon des modalités hiérarchiques définies dans un contexte
national de la loi qu’il est chargé d’appliquer (voir en particulier, la systématisation proposée
en conclusion).
La position de l’arbitre n’est pas totalement différente de celle d’un juge étatique extérieur
au système juridique dont il doit appliquer les solutions. Sans doute que l’arbitre n’est pas
soumis à un ordre hiérarchisé qui lui serait propre et que sa liberté d’agir n’en est que plus
grande (P. Mayer, article préc., § 7). Il n’est pas certain néanmoins que l’état de contrainte
qui pèse sur l’arbitre qui aspire à mettre en œuvre un droit réellement appliqué dans un
système juridique qui lui est étranger (ici le système national dont loi est applicable), ne
serait que pour éviter que la sentence arbitrale ne soit invalidée par le juge étatique, soit
radicalement différent de celui qui peut être observé dans d’autres contextes. Les scénarios
envisagés dans le cadre de l’arbitrage international faisant application d’un droit étatique
peuvent utilement alimenter, nous semble-t-il, une réflexion plus générale englobant les
juridictions nationales, internationales et européennes chargées d’appliquer un droit défini à
un autre niveau que le leur.
284. Bien que ces trois situations ne la désignent pas comme telle, c’est bien l’existence
d’un « droit hiérarchisé » qui est ici discutée. Le juriste, agissant au titre d’une justice étatique
ou arbitrale internationale, se pose la question, au stade de la mise en œuvre du droit national
328
déclaré applicable, de la référence possible, utile et, éventuellement nécessaire à un droit
hiérarchisé, c’est-à-dire un droit appliqué au sens où nous avons commencé à l’entendre.
Il faut donc élargir la perspective et la considérer dans son ensemble quand une contrainte de
circulation existe et qu’un juge international ou européen peut avoir à connaître d’un droit
hiérarchisé. Cette perspective recouvre trois situations.
285. La première situation est celle où la compatibilité d’un droit national est appréciée par
un juge international ou européen.
Situation : Le droit national hiérarchisé devant un juge international ou européen
L’Etat plaideur du contenu de son droit national hiérarchisé
Qu’il s’agisse du conflit étatique élevé en conflit interétatique devant la CIJ (hypothèse de
l’affaire « Diallo », préc.), d’une plainte déposée contre un Etat devant l’ORD (hypothèse de
l’affaire Etats-Unis c. Chine, préc.), d’une requête devant la CEDH (de nombreux exemples
on été donnés), d’une saisine de la CJUE (idem), dans toutes ces situations l’Etat partie à la
procédure peut être amené à devoir faire la preuve du contenu de son droit national. Dès lors
que la question se pose, peu ou prou, en termes de compatibilité du droit national avec un
droit international et européen applicable, le débat est souvent l’occasion d’une discussion
sur la substance du droit national et, éventuellement (mais de plus en plus souvent), de la
manière dont il a été, est ou sera appliqué.
Cette référence potentielle à un droit appliqué peut intégrer des considérations tirées de la
manière dont la hiérarchie des normes a été, est ou sera mise en œuvre au niveau national. Le
contenu de ce droit hiérarchisé appliqué est tributaire du droit positif national. Une
discussion peut s’ouvrir sur leur signification et leur portée. Mais ce qui importe le plus,
c’est la valeur qui va être donnée à ce droit national hiérarchisé à un niveau international ou
européen.
Pour répondre à cette question, la tentation est forte de reléguer le droit national à l’état de
fait (sur cette pratique de refoulement, voir les développements supra, n° xxx). Sans être
fausse, l’assertion est un peu courte, pour ne pas dire fruste. Elle ne rend pas compte du
processus de concrétisation de ce fait. Or, si dans le contexte national, ce processus met en
œuvre une construction de type « hiérarchie des normes », le juriste placé à un autre niveau,
international ou européen, doit être capable de la considérer comme telle, c’est-à-dire de
s’ouvrir à une discussion, un débat sur la manière dont le droit national est juridiquement
fabriqué, structuré et appliqué.
329
Le résultat de cette investigation peut avoir des conséquences à un autre niveau. On prendra
trois exemples où la référence à un droit national hiérarchisé a une portée au niveau
international ou européen.
Le premier exemple est tiré de l’affaire Diallo (préc.). Le non-respect par l’Etat défendeur de
ses procédures internes de décision, notamment la violation de la loi ou de la Constitution
par le pouvoir exécutif, caractérise l’existence dans l’ordre international, d’un fait illicite de
nature à engager la responsabilité extracontractuelle de l’Etat.
Le deuxième exemple concerne les procédures devant l’ORD. Dans un cas comme celui-ci,
il y a potentiellement deux grandes manières de prendre le problème. Une première manière
consiste à vérifier que le contenu de la loi nationale est conforme aux accords internationaux
ratifiés par l’Etat en question (c’est le choix fait par les Etats-Unis dans l’affaire Chine -
Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, ORD,
Rapport du groupe spécial, 26 janv. 2009, Etats-Unis c. Chine, WT/DS362, préc.). Mais un
débat peut également porter sur la manière dont le droit de l’entité défenderesse a été (mal)
mis en œuvre (c’est l’hypothèse de l’affaire ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006,
Argentine c. CE, WT/DS293, voir ci-après). Cette seconde orientation du débat est
importante. Elle permet d’identifier très précisément, la nature du dysfonctionnement à
l’origine de la violation des engagements internationaux et, par voie de conséquence, la
nature des mesures susceptibles d’être prises par le défendeur pour remédier. Or ce
dysfonctionnement peut résulter, au niveau national, du non-respect d’une hiérarchie interne
des normes (non-respect par la loi d’un traité international ou non-respect par une
administration d’une loi faisant application d’un traité international).
Un troisième exemple concerne les échanges entre les juridictions nationales et européennes
(CJUE - CEDH). Un cas historique peut être donné en exemple avec la célèbre affaire
« Solange » où la Cour constitutionnelle allemande a, dans les années 1970, fait évoluer la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes sur le terrain de la
protection des droits fondamentaux. Refusant, dans un premier temps, de donner plein effet
au droit européen au motif que les droits fondamentaux n’y étaient pas suffisamment garantis
(Décision connue sous le nom de « Solange I », rendue par la Cour constitutionnelle
allemande, 29 mars 1974, BVerfGE 37, 271) ; pour une traduction en français, voir RTDE
1975, 316), la Cour constitutionnelle allemande a suscité, par réaction, une jurisprudence
abondante de la juridiction européenne, s’attachant à montrer la capacité du système
juridique européen à intégrer les droits fondamentaux au plus haut niveau de ses
constructions hiérarchiques. Cette séquence jurisprudentielle illustre un cas de prise en
compte des constructions hiérarchiques appliquées au niveau national dans un contexte
européen. Un auteur a d’ailleurs proposé que ce cas célèbre serve de méthode générale de
330
résolution des conflits de procédures portées devant des juges appartenant à des niveaux
différents (N. Lavranos, Jurisdictional Competition - Selected Cases in International and
European Law: Europa Law, 2009, spéc. p. 72 et s.).
286. La deuxième situation est celle où la compatibilité d’un droit européen est examinée
par un juge international.
Situation : Le droit européen hiérarchisé devant un juge national, international ou (par
extension) devant un autre juge européen
L’Union européenne garante du contenu du droit européen hiérarchisé
Prenons trois exemples pour illustrer la manière dont le droit de l’UE peut se présenter
comme un droit hiérarchisé devant un juge national, international ou même, par extension,
devant un autre juge européen.
Devant le juge national, la question peut être, par exemple, posée de la validité d’un texte
européen de droit dérivé par rapport aux traités institutifs européens, à la Charte des droits
fondamentaux de l’UE, des principes généraux du droit européen ou encore des règles de
droit international applicables au sein de l’Union européenne. Dans cette situation, le juge
national n’est pas habilité à mobiliser de lui-même la hiérarchie des normes propre au
système juridique européen. Il va donc s’efforcer de rechercher l’existence d’un droit
hiérarchisé européen, c’est-à-dire l’existence, au sein de l’Union européenne, d’actes ou de
décisions de nature à le renseigner sur la manière dont la hiérarchie des normes y est
appliquée. Il peut s’agir d’un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européen
considérant que l’acte de droit dérivé est ou n’est pas valable. On peut envisager également
le cas d’un acte de droit dérivé tirant les conséquences d’une incompatibilité entre deux
normes européennes (disposition d’abrogation). Si ce droit hiérarchisé ne s’est pas
concrétisé, le juge national (à la différence de l’arbitre, d’une autorité administrative
n’assumant pas fonction juridictionnelle ou d’un juge étatique étranger à l’UE) peut saisir,
par voie préjudicielle, la CJUE d’une question relative à la validité du texte de droit dérivé
(art. 267 TFUE). C’est un scénario que nous avons déjà rencontré. Voir à titre d’illustration,
CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10, supra, xxx. Voir, également, sur l’articulation de
cette procédure avec un contrôle de conventionnalité mené par le juge ordinaire français :
Conseil d’Etat, 10 avril 2008, CNB, Req. n° 296845, supra, xxx). Dans un ordre d’idée
comparable, on peut considérer que dans l’affaire « Solange » que nous avons précédemment
évoquée (voir supra, n° xxx), l’attitude de la juridiction constitutionnelle dans sa deuxième
décision du 22 octobre 1986 (« Solange II », BVerfGE 73, 339), par laquelle elle a estimé,
qu’elle n’avait pas à exercer un contrôle préalable à l’application du droit européen dérivé
sur son territoire, aussi longtemps que l’Union européenne (les Communautés européennes, à
331
l’époque) garantirait une protection efficace des droits fondamentaux, traduit une capacité du
juge national à prendre en compte, pour ses propres solutions, l’application effective d’une
construction hiérarchique de rang européen (ici la prévalence reconnue à la protection des
droits fondmamentaux sur le développement du droit dérivé).
Devant l’ORD, la position en défense de l’UE n’est pas différente de celle d’un Etat (voir
nos explications supra, n° xxx). Par exemple, dans l’affaire « Communautés européennes —
Mesures affectant l’approbation et la commercialisation des produits biotechnologiques »
(ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006, Argentine c. CE, WT/DS293, préc.), les
institutions communautaires de l’époque ont reconnu qu’un moratoire « de fait » avait été
appliqué dans l’espace européen, en contradiction des règles européennes. Ce moratoire
traduit une violation d’une hiérarchie de normes interne à l’espace européen. Au niveau
international, devant l’ORD, cette violation constitue la cause juridique de la violation d’un
engagement international (Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires
(SPS), notamment). Or le caractère illicite de cette cause dans le contexte européen peut être
utilement discuté dans l’enceinte internationale, ne serait-ce que pour, d’une part,
caractériser « le fait » illicite international et, d’autre part, identifier les modes adaptés de
cessation dudit fait.
Par extension, la situation de l’UE ne sera pas différente à l’avenir devant la CEDH (une fois
l’adhésion de l’UE à la CESDHLF approuvée). Qu’elle soit ou non maintenue (voir sur ce
point, notre analyse, supra, n° xxx), la jurisprudence « Bosphorus » (CEDH, 30 juin 2005,
Req. 45036/98, préc.) met d’ores et déjà en scène une Union européenne qui s’emploie faire
la preuve, devant la CEDH, de ce qu’il existe un droit UE hiérarchisé qui offre des garanties
suffisantes en termes de respect des droits fondamentaux.
Dans tous ces cas de figure, le droit de l’Union européenne se présente dans un autre
contexte que le sien, sous le visage d’un droit potentiellement hiérarchisé, c’est-à-dire qui est
capable de tirer toutes les conséquences d’une mise en œuvre de sa propre hiérarchie des
normes. L’utilisation qui peut être faite de ce droit européen hiérarchisé peut varier
fortement d’un contexte à l’autre. Mais dans tous les cas, c’est bien d’un droit européen
appliqué qu’il est question, droit dont les acteurs à un autre niveau, tirent des conséquences
juridiques en s’appuyant sur leur propre système de solutions.
287. Enfin, la toute dernière situation est celle où la compatibilité d’un droit international
est appréciée par un juge national ou européen.
332
Situation : Le droit international éventuellement hiérarchisé devant un juge national et
européen
Le respect de l’ordre public réellement international ou du jus cogens devant une
juridiction nationale ou européenne
Le droit international est, nous l’avons vu, un droit faiblement hiérarchisé. Il peut arriver
néanmoins que des éléments de hiérarchisation du droit international soient parfois discutés à
un autre niveau, national ou européen.
Pour le niveau national, l’hypothèse est celle où une sentence arbitrale internationale fait
application d’un principe d’ordre public transnational ou réellement international et que cette
application est reçue dans un ordre juridique étatique au stade de la reconnaissance (lato
sensu) de la sentence dans l’ordre interne. On a ainsi proposé l’exemple de plusieurs affaires
célèbres mettant en scène une réception, dans l’ordre interne, d’un ordre public
véritablement international (M. Forteau, L’ordre public transnational ou réellement
international, JDI 2011, 3, spéc. n° 65 qui cite notamment : « (…) la Cour d'appel de Paris
dans l'affaire European Gas Turbine SA en 1993 (CA Paris, 30 sept. 1993, Sté European Gas
Turbines SA : RA 1994, 359) ; la Cour d'appel de Paris en 1990 dans l'affaire SA Fougerolle
c/ SA Procofrance (CA Paris, 25 mai 1990, n° 88-15683, n° 88-15687 et n° 8815678 ; RA
1990, 892, qui vise l'ordre public international, « fût-il d'essence véritablement international
et d'application universelle ») ; la Cour de cassation française dans l'affaire État d'Israël c/
NIOC (Cour de cassation, 1re civ., 1er févr. 2005 pourvois n° 01-13742 02-15237, qui vise
le droit à un juge en tant que norme relevant « de l'ordre public international consacré par les
principes de l'arbitrage international et l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH »). Cette
opération peut être lue comme traduisant l’existence d’un ordre public réellement
international de droit international public commun à tous les acteurs de la société
internationale (c’est le sens de la démonstration proposée par M. Forteau). Mais on peut
aussi l’analyser comme la réception, au niveau interne, d’une construction hiérarchique de
droit international, construction qui est de nature à influer sur l’examen de la compatibilité
de la sentence arbitrale au regard de l’ordre public international du juge saisi. Ce dernier, par
mimétisme, aligne son ordre public international sur celui qui a été ou aurait dû être appliqué
par l’arbitre au niveau international.
Pour le niveau européen, il faut considérer à nouveau la première affaire « Kadi » dans la
manière dont elle a été appréhendée par le Tribunal de l’Union européenne (TPI,
21 sept. 2005, Yusuf, aff. T-306/01 ; rappelons que cet arrêt a été censuré par la Cour de
justice, voir supra, n° xxx). Dans cette affaire, le Tribunal a cru pouvoir considérer
notamment que « Force est (…) de considérer que les résolutions en cause du Conseil de
sécurité échappent en principe au contrôle juridictionnel du Tribunal et que celui-ci n’est pas
333
autorisé à remettre en cause, fût-ce de manière incidente, leur légalité au regard du droit
communautaire. Au contraire, le Tribunal est tenu, dans toute la mesure du possible,
d’interpréter et d’appliquer ce droit d’une manière qui soit compatible avec les obligations
des États membres au titre de la charte des Nations unies. Le Tribunal est néanmoins habilité
à contrôler, de manière incidente, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité
au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les
sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de
déroger » (arrêt, pts 276 et 277). Cette analyse a été censurée par la Cour de justice selon des
motifs que nous avons déjà rapportés (CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-
402/05 et C-415/05, voir supra, n° xxx). Pour justifier cette censure, on peut livrer un
élément d’explication en termes de droit hiérarchisé. Si le Tribunal se contredit quand il
affirme que les résolutions de Nations Unies ne peuvent être invalidées par lui mais que,
dans un même temps, il se doit de vérifier « incidemment » que ces résolutions sont
conformes à la norme la plus élevée dans l’ordre international (jus cogens), c’est qu’il
confond deux raisonnements très différents. La première partie de la phrase fait référence à
une hiérarchie formelle des normes qui commande qu’un juge européen ne peut invalider un
texte de droit international (tout comme un juge européen ne peut invalider une norme de
droit interne). La seconde partie de la phrase évoque l’existence d’un droit hiérarchisé qui,
au moment où la décision était rendue, n’était tout simplement pas respecté. En effet, à
l’époque de la première affaire « Kadi » nous savons qu’il n’existait, au sein des Nations
Unies, aucun dispositif permettant concrètement aux personnes suspectées d’intelligence
avec des mouvements terroristes de se défendre et, notamment, d’être entendue avant le
prononcé d’une éventuelle sanction à leur encontre par le Conseil de sécurité. En censurant
l’arrêt du Tribunal, la Cour de justice a sanctionné une absence d’application effective d’un
droit hiérarchisé auquel la juridiction de premier degré avait cru pouvoir - à tort - se référer.
Cette affaire montre que la référence au niveau européen à une hiérarchie des normes de rang
international n’est pertinente que si cette hiérarchie est effectivement mise en œuvre. Par où
le droit hiérarchisé est synonyme de droit appliqué.
334
CONCLUSION
288. Le juriste ne fait pas ce qu’il veut, comme il le veut, dans un contexte de pluralisme
juridique mondial. Mais il peut - souvent il doit quand sa responsabilité est en jeu - apprendre
à explorer les arcanes de l’application d’un droit qui se décline au pluriel : plusieurs droits
nationaux, internationaux et européens applicables à une même situation, plusieurs contextes
nationaux, internationaux et européens dans lesquels ces droits peuvent être mis en œuvre.
Pour tenter de présenter et d’illustrer ces modalités plurielles de mise en œuvre du droit, il
faut déplacer les perspectives. Plutôt que de considérer en amont de cette mise en œuvre, la
construction de méthodes et solutions à même d’appréhender le pluralisme juridique mondial,
il faut s’atteler, en aval de ces méthodes et solutions, à la résolution des nombreuses
difficultés auxquelles le juriste est confronté quand il lui revient d’en faire application. Cela a
été dit en introduction, c’est moins la définition du droit qui est placée au cœur de cet ouvrage
que l’explicitation du travail du juriste dans un contexte de pluralisme juridique mondial.
289. Ce changement de perspectives a des implications fortes. Pour comparer et, le cas
échéant, combiner et hiérarchiser les droits en présence et les contextes dans lesquels ils sont
mis en œuvre, il est nécessaire de sortir des cadres existants. Les méthodes et solutions de
droit national, de droit international et de droit européen (lesquels peuvent être déclinées
autour, notamment, de la distinction public/privé et des nombreuses spécialités juridiques) ne
sont plus appréhendées de manière cloisonnée. Elles sont envisagées ensemble, à plat, eu
égard aux effets qu’elles sont susceptibles de produire quand leur coexistence peut être
observée à l’occasion du traitement d’une situation.
Mais l’objectif n’est pas de les malmener. Le droit national (français), le droit international
(transnational, public et privé) et le droit européen (UE et CEDH), notamment, ressortent
grandis de cette opération, dès lors qu’ils occupent tous potentiellement une place dans le
processus d’application du droit dans le contexte national, international et européen.
290. Ce processus ouvert de traitement des cas et situations juridiques, dont le juriste doit
s’imprégner, en passant d’un contexte - national, international ou européen - à l’autre, exerce
malgré tout une influence sur les utilisations du droit et, parfois, son contenu.
335
Cinq grandes opérations ont ainsi été successivement conduites dans ce travail qui trouvent
leur point ultime de construction dans l’affirmation d’un droit appliqué et hiérarchisé1 : 1° une
comparaison multiniveau où la recherche des méthodes et solutions juridiques appliquées est
déclinée aussi bien dans un contexte national, international et européen, 2° la définition d’un
cadre juridique de référence permettant d’identifier, pour un cas donné, l’ensemble des
méthodes et solutions juridiques appliquées aux différents niveaux, 3° la recherche de
rapports de complémentarité, spécialement de mise en œuvre, pouvant caractériser la relation
entre ces méthodes et solutions, 4° l’identification de contraintes de circulation qui
commandent qu’une situation passe d’un niveau à l’autre et, enfin, 5° la concrétisation d’un
droit appliqué à un autre niveau, c’est-à-dire, dans sa forme la plus achevée, l'affirmation d’un
droit hiérarchisé.
Considérées dans leur ensemble, ces opérations ont vocation à aider le juriste à donner un
sens à son travail, chaque fois que la situation qu’il doit résoudre relève potentiellement de
plusieurs droits appliqués dans le contexte national, international et européen. Elles lui
permettent, en effet, d’investir par des constructions juridiques, le temps et la distance qui
séparent l’énoncé d’un cas de son traitement dans un contexte de pluralisme juridique
mondial.
1 Pour une définition de ces cinq opérations avec un renvoi aux développements qui leur sont consacrés dans
l’ouvrage, voir supra, Glossaire p. xxx.
336
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
Liste non exhaustive des ouvrages ou numéros spéciaux de revues ayant trait à
l’appréhension du droit dans le contexte national et international, national et européen ou
international et européen.
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1989
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J.-B. Auby, La globalisation, le droit et l’État : Montchrestien, 2me éd., 2010
J. Basedow et T. Kono (ed.), Legal aspects of Glogalization : Kluwer Law International, 2000
M. Benlolo-Carabot, E. Cujo et U. Candas (dir.), Union européenne et droit international :
Pedone, s. CEDIN, 2012
J.-L Bergel (dir.), Le plurijuridisme. Actes du 8ème congrès de l’Association internationale de
méthodologie juridique : PUAM, 2005.
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normatives : droit de l’UE et droit international : Pedone, 2012
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Transnational Private Law : Hart, 2012
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Dalloz, t. 47, 2003
M. Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial : Seuil, 1998
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pluralisme ordonné (traduit en anglais par N. Norberg : Ordering Pluralism : A Conceptual
Framework for Understanding the Transnational Legal World, Hart, 2009), T3. La
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juridiques : Pedone, 2010
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applicable aux relations internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et
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internationales : Bruylant, 2011
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droit : Bruxelles, 2002
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communautaire : une lecture des phénomènes de régionalisation et de mondialisation du
droit : Bruylant, 2008
S. Romano, L’ordre juridique, trad. P. Gothot et L. François : Sirey 1975, rééd. Dalloz, 2002
H. Ruiz Fabri (dir.), Procès équitable et enchevêtrement des espaces normatifs : SLC, 2003
H. Ruiz Fabri et L. Gradoni (dir.), La circulation des concepts juridiques : le droit
international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation : SLC, 2009
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mondialisation et de la privatisation : SLC, Paris, 2011
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Law, in Law and Anthropology: A Reader, S. F. Moore (ed.): Blackwell, 2004
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juridiques : Pedone, 2008
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Asser Press, 2008
M. Young (ed.), Regime Interaction in International Law - Facing Fragmentation: Cambridge
University Press, 2012
339
TABLE DES ABREVIATIONS
ADE : Annuaire de droit européen
ADPIC : Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce
AFDI : Annuaire français de droit international
Aff. : Affaire ou affaires (selon le contexte)
Art. : article ou articles (selon le contexte)
Arch. de Philo du droit : Archives de philosophie du droit, Ed. Sirey puis Dalloz
BIICL : British Institute of International & Comparative Law
CADH : Cour africaine des droits de l’homme
CCI : Chambre du commerce international
Cciv. : Code civil
CDE : Cahiers de droit européen
CDEnt. : Cahiers de droit de l’entreprise
CDFUE : Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
CE : Communauté européenne ou Communautés européennes (selon le contexte)
CEE : Communauté économique européenne
CEDH : Cour européenne des droits de l’homme
CESDHLF : Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales
CCI : Chambre du commerce international
CDEnt. : Cahiers de droit de l’entreprise
CEJEC : Centre d’études juridiques européennes et comparées (Université Paris Ouest -
Nanterre - La Défense)
CIADH : Cour interaméricaine des droits de l’homme
CIJ : Cour internationale de justice
CIRDI : Centre international de règlement des différends liés à l'investissement
CJCE / CJUE : Cour de justice des Communautés européennes devenue Cour de justice de
l’Union européenne depuis le 1er déc. 2009
CNUDCI : Commission des Nations Unies sur le droit du commerce international
COE : Conseil de l’Europe
Conseil constitutionnel : Conseil constitutionnel français
Conseil d’Etat : Conseil d’Etat français
340
Cour de cassation : Cour de cassation française
CPA : Cour permanente d’arbitrage
CPC : Code de procédure civile
CPI : Cour pénale internationale
CPJI : Cour permanente de justice internationale
CPP : Code de procédure pénale
D. : Recueil Dalloz
DDHC : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
Dir. : Sous la direction de
ea : et autres
Ed. : Editions ou Editor (selon le contexte)
EDIEC : Equipe de droit international, européen et comparé (Université Jean Moulin -
Lyon 3)
ERC: European Research Council
Eur. Law Rev. : European Law Review
GATT : General Agreement on Tariffs and Trade (Accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce)
HRW : Human Rights Watch
JCP : Semaine juridique
JDI : Journal du droit international (Clunet)
LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence
OGM : Organismes génétiquement modifiés
OHMI : Office d’harmonisation du marché intérieur
OIT : Organisation internationale du travail
OMC : Organisation mondiale du commerce
OMPI : Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
ORD : Organe de règlement des différends (OMC)
PIDCP : Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Préc. : Précité
PRUH : Presses des universités de Rouen et du Havre
PUAM : Presses universitaires d’Aix-Marseille
QPC : Question prioritaire de constitutionnalité
341
RA : Revue de l’arbitrage
RCADI : Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
RCDIP : Revue critique de droit international privé
RDC : Revue des contrats
RDP : Revue de droit public
Rec. : Recueil
Req. : Requête
Rev. : Revue ou Review (selon le contexte)
RFDA : Revue française de droit administratif
RGDIP : Revue générale de droit international public
RHDFE : Revue historique de droit français et étranger
RIDC : Revue internationale de droit comparé
RIDE : Revue internationale de droit économique
RMCUE : Revue du marché commun et de l’Union européenne
RSCDP : Revue de sciences criminelles et de droit comparé
RTDCiv. : Revue trimestrielle de droit civil
RTDCom. : Revue trimestrielle de droit commercial
RTDE : Revue trimestrielle de droit européen
S. : Sirey
s. : suivants ou suivantes (selon le contexte)
SLC : Société de législation comparée
South. Calif. Law Rev: Southern California Law Review
TCFDIP : Travaux du comité français de droit international privé
TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
TPI : Tribunal de première instance des Communautés européennes devenu Tribunal de
l’Union européenne depuis le 1er déc. 2009
TPIY : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
Trad. : Traduction
TUE : Traité sur l’Union européenne
UE : Union européenne
UNESCO : Organisation des nations unies pour l'éducation, la science et la culture
UNIDROIT : Institut international pour l'unification du droit privé
V° : Verbo
342
TABLE DES TEXTES ET DES JURISPRUDENCES CITES
Liste chronologique des textes et jurisprudences cités. Les numéros renvoient aux
paragraphes.
Les dates ci-dessous correspondent aux dates d’adoption des actes ou décisions (et non de
leur (éventuelle) entrée en vigueur ou modification). Sauf indication contraire, ces documents
sont accessibles en ligne sur les différents sites des institutions désignées ou concernées.
I./ Textes
A - Textes nationaux*
Bill of Rights (Angleterre -1689)
Charte de l’environnement (2004)
Code civil français
Code français de la consommation
Code français de l’environnement
Code français de la santé publique
Code français de procédure civile
Code français de procédure pénale
Code français du travail
Code pénal français
Constitution française de la IVème République (1946)
Constitution française de la Vème République (1958)
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (France -1789)
Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un titre : "Des
Communautés européennes et de l'Union européenne"
Loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999 insérant, au titre VI de la Constitution, un
article 53-2 et relative à la Cour pénale internationale
Loi n° 2002-268 du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale
internationale
* Textes de droit français, sauf précisions contraires.
343
Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour
pénale internationale
Loi n°47-898 du 23 mai 1947 interprétant l’article 16 de la loi du 16 avril 1946 portant
amnistie
Loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009, modifiant l’ordonnance n° 58-1067 du 7
novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel
Ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication
des lois et de certains actes administratifs
Virginia Declaration of Rights (1776)
B - Textes internationaux
Accord «ciel ouvert » conclu entre la Communauté européenne et les Etats-Unis (2007)
Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes (ONU - 1979)
Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
(ADPIC - 1994)
Arrangement de Madrid concernant l'enregistrement international des marques (1891)
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981)
Charte de Nations Unies (1945)
Charte du football - FIFA
Convention « CMR » de Genève sur le transport par route (1956)
Convention américaine relative aux droits de l’homme (1969)
Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus
décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (1998)
Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (1995)
Convention d’Union de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (1886)
Convention d’Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle (1883)
Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale (1944)
Convention de Genève relative à la lettre de change (1930)
Convention de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires (1956)
Convention de La Haye concernant la reconnaissance et l'exécution de décisions relatives aux
obligations alimentaires (1973)
Convention de La Haye sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la
représentation (1978)
344
Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (1980)
Convention de Montréal pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien
international (1999)
Convention de New York relative aux droits de l’enfant (1989)
Convention de Varsovie pour l'unification de certaines règles relatives au Transport aérien
international (1929 - 1955)
Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (1980)
Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)
Convention de Washington instituant le CIRDI (1965)
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego Bay - 1982)
Convention européenne sur certains aspects internationaux de la faillite (1990)
Convention européenne sur la télévision transfrontière (1989)
Convention OIT n° 29 sur le travail forcé (1930)
Convention OIT - n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (1948)
Convention OIT - n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective (1949)
Convention OIT - n° 135 concernant les représentants des travailleurs (1971)
Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite d’esclaves et des
institutions et pratiques analogues à l’esclavage (1956)
Convention sur la tutelle des mineurs (1902)
Déclaration universelle des droits de l’homme (1948)
GATT (1947 - 1994)
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ONU - 1966)
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ONU - 1966)
Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international (2010)
Protocole de Carthagène sur la biosécurité (2000)
Protocole de Kyoto (1997) à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques (1995)
Protocole interprétatif de l’article 10 de la Convention de La Haye du 20 janvier 1930 relatifs
aux immunités de la Banque des Règlements Internationaux (1936)
Résolution 1757 (2007) du Conseil de sécurité des Nations Unies créant le Tribunal spécial
pour le Liban
345
Résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité des Nations Unies du 26 fév. 2011 concernant
la Libye
Résolution 65/276 (2011) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 10 mai 2011 sur la
Participation de l’Union européenne aux travaux de l’Organisation des Nations Unies
Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (1998)
Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT - 1996)
Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur (WCT - 1996)
Traité de Nairobi la protection de l’emblème olympique (1981)
C - Textes européens
Avis du Service juridique du Conseil de l’Union européenne, 22 juin 2007 (11197/07, JUR
260)
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000)
Charte sociale européenne (1961)
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(1950)
Convention européenne relative à l’information sur les droits étrangers (1968)
Décision-cadre n° 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de
remise entre Etats membres
Directive 1985/374/CEE du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des
produits défectueux
Directive 1985/577/CEE concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats
négociés en dehors des établissements commerciaux
Directive 1986/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits
des États membres concernant les agents commerciaux indépendants
Directive 1989/104/CEE du Conseil, 21 déc. 1988, dite "Première directive", rapprochant les
législations des États membres sur les marques, remplacée par la Directive 2008/95/CE
Directive 1993/7/CE du Conseil du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels
ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre
Directive1996/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué
dans le cadre d’une prestation de services
Directive 1997/7/CE sur la protection des consommateurs en matière de contrats à distance
Directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement
modifiés dans l'environnement
346
Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur
l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de
l'information
Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un
code communautaire relatif aux médicaments à usage humain
Directive 2003/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 modifiant
la Directive 96/22/CE du Conseil concernant l'interdiction d'utilisation de certaines substances
à effet hormonal ou thyréostatique et des substances β-agonistes dans les spéculations
animales
Directive 2004/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant la
sécurité des aéronefs des pays tiers empruntant les aéroports communautaires s’appuyant sur
les normes de sécurité internationales contenues dans une convention relative à l’aviation
civile internationale
Directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative
au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de
la propriété intellectuelle
Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant
les législations des États membres sur les marques
Directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant
la Directive 2003/87/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire
d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre
Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux
droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la Directive
1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du
Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil
Principes de droit européen des contrats (PDEC - Commission Lando)
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun
européen de la vente, COM(2011) 635 final
Proposition de règlement du Conseil relatif à l’exercice du droit de mener des actions
collectives dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services,
COM(2012)130 final
Règlement 2081/92/CE du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications
géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires
Règlement 40/94/CE du Conseil, 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, remplacé
par le Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque
communautaire
Règlement 3286/94/CE du Conseil, du 22 décembre 1994 arrêtant des procédures
communautaires en matière de politique commerciale commune en vue d’assurer l’exercice
par la Communauté des droits qui lui sont conférés par les règles du commerce international
347
Règlement 2027/97/CE du Conseil du 9 octobre 1997 relatif à la responsabilité des
transporteurs aériens en cas d'accident
Règlement 44/2001/CE du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire,
la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale
Règlement 2157/2001/CE du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société
européenne (SE)
Règlement 343/2003/CE du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes
de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée
dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers
Règlement 2201/2003/CE du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de
responsabilité parentale
Règlement 2273/2003/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités
d’application de la Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui
concerne les dérogations prévues pour les programmes de rachat et la stabilisation
d’instruments financiers
Règlement 773/2004/CE de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en
œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du Traité CE, pris en application
du Règlement no 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles
de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité
Règlement 864/2007/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi
applicable aux obligations non contractuelles dit « Rome II »
Règlement 593/2008/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles dit « Rome I »
Règlement 4/2009/CE du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi
applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière
d’obligations alimentaires
Règlement 1259/2010/UE du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération
renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, dit
« Rome III »
Traité instituant la Communauté économique européenne (1957)
Traité sur l’Union européenne (2007)
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (2007)
II./ Jurisprudences
A - Jurisprudences nationales*
* Jurisprudences françaises, sauf précisions contraires.
348
Cour d’appel de Paris, 25 mai 1990, SA Fougerolle c/ SA Procofrance, n° 88-15683, n° 88-
15687 et n° 8815678 ; RA 1990, 892
Cour d’appel de Paris, 30 sept. 1993, Sté European Gas Turbines SA : RA 1994, 359) ; la
Cour d'appel de Paris en 1990 dans l'affaire (
Conseil constitutionnel, décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 - Loi relative à
l'interruption volontaire de la grossesse (IVG)
Conseil constitutionnel, décision 80-126 DC - 30 décembre 1980 - Loi de finances pour 1981
Conseil constitutionnel, décision 91-294 DC - 25 juillet 1991 - Loi autorisant l'approbation de
la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985
Conseil constitutionnel, décision 92-313 DC du 23 septembre 1992, à propos de la
constitutionnalité de la loi autorisant la ratification du traité de Maastricht sur l'Union
européenne
Conseil constitutionnel, décision 93-325 DC (13 août 1993 - Loi relative à la maîtrise de
l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France
Conseil constitutionnel, décision 98-408 DC - 22 janvier 1999 - Traité portant statut de la
Cour pénale internationale
Conseil constitutionnel, décision 2004-496 DC du 10 juin 2004 - Loi pour la confiance dans
l'économie numérique
Conseil constitutionnel, décision 2004-505 DC, 19 nov. 2004 : le Traité de Rome (2004)
établissant une Constitution pour l’Europe
Conseil constitutionnel, décision 2006-540 DC, 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur
et aux droits voisins dans la société de l'information
Conseil constitutionnel, décision 2007-560 DC du 20 décembre 2007 : Traité de Lisbonne
(2007) modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté
européenne
Conseil constitutionnel, décision 2010-605 DC, 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la
concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne
Conseil constitutionnel, décision n° 2010-612 DC, 5 août 2010, Loi n° 2010-930 du 9 août
2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Conseil d’Etat, Ass., 22 déc. 1978, Cohn-Bendit, Req. n° 11604
Conseil d’Etat, Ass., 29 mai 1981,Rekhou, Req. n° 15092
Conseil d’Etat, Ass. 20 oct. 1989, aff. Nicolo, Req. n° 108243
Conseil d’Etat, Ass., 29 juin 1990, GISTI, Req. n° 78519
Conseil d’Etat, 24 sept. 1990, Boisdet, Req. n° 58657
Conseil d’Etat, Ass. 28 février 1992, Philip Morris et Rothmans, Req. n°87753 et n° 56776 -
56777
349
Conseil d’Etat, 10 mars 1995, Req. n° 141083 (à propos de la convention de NY relative aux
droits de l’enfant)
Conseil d’Etat, Ass. 3 juillet 1996, Koné Req. n° 169219
Conseil d’Etat, Ass. 6 juin 1997, Aquarone, Req. n° 148683
Conseil d’État, Ass., 30 oct. 1998, Sarran et Levacher, Req. nos
200286 et 200287
Conseil d’Etat, ass. 18 déc. 1998, aff. Parc d'activité de Blotzheim, Req. n° 181249
Conseil d’Etat, 23 fév. 2000, aff. Bamba Dieng, Req. n° 157922
Conseil d'Etat, 28 juillet 2000, Req. n° 178834
Conseil d’Etat, 3 déc. 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, Req. n° 226514
Conseil d’Etat, Ass., 24 mars 2006, KPMG ea, Req. n° 288460
Conseil d’Etat, Ass. 8 févr. 2007,Arcelor, Req. no 287110
Conseil d’Etat, 10 avril 2008,CNB, Req. n° 296845
Conseil d’Etat, 3 juin 2009, Arcelor, Req. no 287110
Conseil d’Etat, Ass., 30 oct. 2009, Perreux, Req. n° 298348
Conseil d’État, 30 déc. 2009, OGM, Req. n° 308514
Conseil d’Etat, 14 mai 2010, Req. n° 312305
Conseil d’Etat, 9 juill. 2010, Fédération nationale de la libre-pensée et autres, Req. n° 327663
Conseil d’Etat, 9 juill. 2010, Mme
Cheriet-Benseghir, Req. n° 317747
Conseil d'État, 11 mars 2011, Req. 324071
Conseil d'État, 14 octobre 2011, Mme Om Hashem Saleh et autres, Req. n° 329788 ea
Conseil d’Etat, 28 nov. 2011, Monsanto, Req. n° 313546 ea
Conseil d'État, Ass., 23 déc. 2011, Eduardo José Kandyrine de Brito Paiva, Req. n° 303678
Conseil d’Etat, Ass., 11 avril 2012, GISTI, Req. n° 322326
Cour constitutionnelle allemande, 29 mars 1974, « Solange I », BVerfGE 37, 271
Cour constitutionnelle allemande, 22 octobre 1986 « Solange II », BVerfGE 73, 339
Cour de cassation, civ. 4 fév. 1936, S. 1936 1.257 (jurisprudence « Matter »)
Cour de cassation, civ., 21 juin 1950, aff. Messageries maritimes, RCDIP 1950, 609
Cour de cassation, com., 4 mars 1963, arrêt Hocke
Cour de cassation, 1ère civ., 1er février 1972, Rougeron, pourvoi n° 70-11911
Cour de cassation, ch. mixte, 24 mai 1975, aff. Cafés Jacques Vabre, pourvoi n° 73-13556
350
Cour de cassation, 1ère civ., 6 mars 1984, Kryla, pourvoi n° 82-14008
Cour de cassation, 1ère civ., 8 mars 1988, pourvoi n° 86-12015
Cour de cassation, 1ère civ., 16 fév. 1994, Ordre des avocats à la cour de Paris et autres,
pourvois n° 92-10397, 92-10398, 92-10403, 92-10404, 92-11638
Cour de cassation, Ass. plén., 1er déc. 1995, pourvois n° 91-15.578, 91-15.999, 91-19.653,
93-13.688
Cour de cassation, 1ère civ., 10 déc. 1995, Banque Africaine de Développement, pourvoi n°
93-20424
Cour de cassation, 3me civ., 6 mars 1996, Office public d’habitations de la Ville de Paris
c/ Mme Mel Yedei, pourvoi no 93-11113
Cour de cassation, com., 1er
juillet 1997, pourvoi n° 95-12221 (à propos de la convention
CMR)
Cour de cassation, 1ère civ., 30 juin 1998, pourvoi n° 96-13469
Cour de cassation, soc., 12 janvier 1999, Spileers, pourvoi no 96-40.755
Cour de cassation, 1ère civ., 16 mars 1999, Pordéa, pourvoi n° 97-17598
Cour de Cassation, 1ère civ., du 15 juillet 1999, Dumez, pourvoir n° 97-19.742
Cour de cassation, Ass. plén., 2 juin 2000, Fraisse, pourvoi nos
99-60274
Cour de cassation, 1ère civ., 29 mai 2001, aff. ASECNA, pourvoi n° 99-16673
Cour de Cassation, crim., 17 juin 2003, Aussaresses, pourvoi n° 02-80.719
Cour de cassation, Ass. plén., 23 janv. 2004, pourvoi n° 03-13.617
Cour de cassation, soc., 24 février 2004, République fédérative du Brésil c. Mme L. de
Azevedo Werneck, pourvoi: 01-47113
Cour de cassation, soc., 25 janv 2005, Banque Africaine de Développement pourvoi n° 04-
41012
Cour de cassation, 1ère civ., 1er févr. 2005, État d'Israël c/ NIOC, pourvois n° 01-13742 02-
15237
Cour de cassation, 1ère civ., 14 juin 2005, pourvoi n° 04-16942 (à propos de la convention de
NY relative aux droits de l’enfant)
Cour de cassation, 1ère civ., 25 avril 2006, pourvoi n° 02-17344 (à propos d’une résolution
des NU)
Cour de cassation, soc. 11 fév. 2009, UNESCO, pourvoi n° 07-44240
Cour de cassation, com., 16 mars 2010, pourvoi n° 08-21511
Cour de cassation, QPC, 16 avr. 2010 et Ass. plén., 29 juin 2010, pourvoi n° 10-40002
Cour de cassation, soc., 16 février 2011, pourvois n° 10-60.189 et 10-60.191
351
Cour de cassation, 1ère civ., 6 avril 2011, 09-66.486
Cour de cassation, 1ère civ., 29 juin 2011, Poupardine, pourvoi n° 10-16680
Cour de cassation, 1ère civ., 26 octobre 2011, 11 arrêts, pourvois n° 10-24250 à 10-24261
Cour suprême des Etats-Unis, Lawrence v. Texas (539 U.S. 558 (2003))
Tribunal des Conflits, 17 oct. 2011, aff. C3828
B - Jurisprudences internationales
CIJ, 6 avril 1955, Nottebohm
CIJ, 28 nov. 1958, Boll
CIJ, 5 fév. 1970, Barcelona Traction
CIJ, 8 juillet 1996, Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit
armé, avis consultatif
CIJ, 3 fév. 2006, Activités armés sur le territoire du Congo
CIRDI, 27 janvier 2010, Giovanna a Beccara and others c. Argentine, ARB/07/5
CIRDI, 23 sept. 2010, AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie, ARB/07/22
CIJ, 30 novembre 2010, Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du
Congo
CIJ, 5 avril 2011, Suisse c/ Belgique, ordonnance (à propos de la Convention de Lugano sur
la compétence et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale)
CIJ, 3 fév. 2012, Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce
(intervenant)
CIJ, 19 juin 2012, indemnisation de l’affaire Ahmadou Sadio Diallo
CPA, 24 mai 2005, affaire du « Ligne du Rhin de fer »
CPA, sentence partielle du 30 janvier 2007 dans l'affaire Eurotunnel c. France et Royaume-
Uni
CPJI, 17 août 1923, Vapeur Wimbledon
CPIJ, avis du 21 fév. 1925 sur l’Echange des populations turques et grecques
CPJI 25 mai 1926, Intérêts allemands en haute Silésie polonaise
CPJI, 3 mars 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig
CPJI, 26 juillet 1929, Usine de Chorzow
ORD, Organe d’appel, 13 déc. 1999, Chili – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS87 et
DS110/AB/R
ORD, Rapport du groupe spécial, 26 janv. 2009, Etats-Unis c. Chine, WT/DS362
352
ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006, Argentine c. CE, WT/DS293
TPIY, 10 déc. 1998, Furundzija
C - Jurisprudences européennes
CEDH, 21 févr. 1975, Golder c/ ru, Req. no 4451/70
CEDH, 26 avr. 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni, Req. no 6538/74
CEDH, 24 févr. 1994, Casado c/ Espagne, Req. no 15450/89
CEDH, 15 nov. 1996, Cantoni c/ France, Req. n° 17862/91
CEDH, 18 fév. 1999, Beer et Regan, Req. n° 28934/95
CEDH, 18 fév. 1999, Matthews, Req. n° 24833/94
CEDH, 29 février 2000, Fuentes Bobo c/ Espagne, Req. no 39293/98
CEDH, 16 avr. 2002, Dangeville, Req. no 36677/97
CEDH, 12 décembre 2002, Kalogeropoulou et autres c. Grèce et Allemagne Req. n° 59021/00
CEDH, 13 juillet 2004, Pla et Puncernau c/ Andorre, Req. no 69498/01
CEDH, 11 janv. 2005, Py c/ France, Req. no 66289/01
CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus, Req. 45036/98
CEDH, 26 juillet 2005 Siliadin c/ France, Req. n° 73316/01
CEDH, 19 juin 2006, Hutten-Crapska c/ Pologne, Req. no 35014/97
CEDH, 2 août 2006, de Luca c/ France, Req. n° 8112/02
CEDH, 11 janv. 2007, Anheuser-Busch c/ Portugal, Req. n° 73049/01
CEDH, 31 mai 2007, Saramati c/. France, Allemagne et Norvège, Req. 78166/01
CEDH, 13 nov. 2007, D. H. e. a c/ République thèque, n° 57325/00
CEDH, 12 nov. 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, Req. n° 34503/97
CEDH, 17 sept. 2009, Scoppolla c. Italie (N° 2), Req. n° 10249/03
CEDH, 1er
déc. 2009, Velcea et Mazare, Req. no 64301/01
CEDH, 17 déc. 2009, M. c. Allemagne, Req. n° 19359/04
CEDH, 23 nov. 2010, Moulin c. France, Req. n° 37104/06
CEDH, 21 janv. 2011, M.S.S., Req. n° 30696/09
CEDH 7 juillet 2011, Al-Jedda c. R.-U., Req. 27021/08
CEDH, 12 sept. 2012, Nada c/. Suisse, Req. 10593/08
353
CJCE, 12 juill. 1957, Algera, aff. jtes 7/56, 3/57 à 7/57
CJCE, 27 févr. 1962, Commission c/ Italie, aff. 10/61
CJCE, 5 févr. 1963, Van Gend & Loos, aff. 26/62
CJCE, 15 juill. 1964, Costa c/ Enel, aff. 6/64
CJCE, 29 févr. 1968, Parke Davis, aff. 24/67
CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, aff. 29/69
CJCE, 17 déc. 1970, Köster, aff. 25/70
CJCE, 10 mars 1971, Deutsche Tradax, aff. 38/70
CJCE, 13 juillet 1972, Commission c/ Italie, aff. 48/71
CJCE, 12 déc. 1972, International Fruit Company, aff. 21 à 24/72
CJCE, 4 déc. 1974, Van Duyn, aff. 41/74
CJCE, 12 déc. 1974, Walrave, aff. 36/74
CJCE, 16 déc. 1976, Cornet, aff. 45/76
CJCE, 16 déc. 1976, Rewe, aff. 33/76
CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77
CJCE,, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77
CJCE, 22 janv. 1981, Dansk Supermarked, aff. 58/80
CJCE, 23 mars 1982, Levin, aff. 53/81
CJCE , 14 juill. 1983, Sandoz, aff. 174/82
CJCE, 30 novembre 1983, Van Bennekom, aff. 227/82
CJCE, 21 sept. 1989, Commission c/ Grèce, aff. 68/88
CJCE, 5 oct. 1994, TV10, aff. C-23/93
CJCE, 9 août 1994, France c/ Commission, aff. 327/91
CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame III, aff. C-46/93 et C-48/93
CJCE, 5 mars 1996, Commission c/ Grand-Duché, aff. C-473/93
CJCE, 14 juill. 1994, Faccini Dori, aff. C-91/92
CJCE, 17 déc. 1970, International Handelsgesellschaft, aff. 11/70
CJCE, 18 févr. 1971, Sirena, aff. 40/70
CJCE, 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, aff. 78/70
354
CJCE, 12 déc. 1972, International Fruit Company, aff. 21/72 à 24/72
CJCE, 14 mai 1974, Nold, aff. 4/73
CJCE, 16 janv. 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, aff. 166/73
CJCE, 8 avril 1976, Defrenne, aff. 43/75
CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral, aff. 120/78
CJCE, 22 janv. 1981,Dansk Supermarked, aff. 58/80
CJCE, 9 févr. 1982, Polydor, aff. 270/80
CJCE, 16 mai 1989, Buet, aff. 382/87
CJCE, 13 nov. 1990, Marleasing, aff. C-331/98
CJCE, 28 févr. 1991, Delimitis, aff. C-234/89
CJCE, 18 juin 1991, ERT, aff. C-260/89
CJCE, 19 novembre 1991, Francovich, aff. C-6/90 et C-9/90
CJCE, 14 déc. 1991, Avis 1/91, à propos de l’accord sur l’Espace économique européen
CJCE, 24 nov. 1992, Poulsen et Diva Navigation, aff. C-286/90
CJCE, 24 mars 1994, Schindler, aff. C-275/92
CJCE 15 déc. 1995, Bosman, aff. C-415/93
CJCE, 26 juin 1997, Familiapress, aff. C-368/95
CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-162/96
CJCE 9 mars 1999, Centros, aff. C-212/97
CJCE, 1er
juin 1999, Eco Swiss, aff. C-126/97
CJCE, 28 mars 2000, aff. C7/98, Krombach
CJCE, 6 juin 2000, Angonese, aff. C-281/98
CJCE, 20 septembre 2001, Courage, aff. C-453 / 99
CJCE, 25 juill. 2002, UPA c/ Conseil, aff. C-50/00
CJCE, 15 janv. 2002, Gottardo, aff. C-55/00
CJCE, 21 nov. 2002, Cofidis, aff. C-473/00
CJCE, 10 déc. 2002, BAT, aff. C-491/01
CJCE, 8 mai 2003, Deutscher Handballbund, aff. C-438/00
CJCE, 16 juin 2003, Cipra, aff. C-439/01
355
CJCE, 11 sept. 2003, Commission c/ Conseil, aff. C-211/01
CJCE, 30 sept. 2003, Köbler, aff. C-224/01
CJCE, 2 oct. 2003, Garcia Avello, aff. C-148/02
CJCE, 9 sept. 2004, Espagne et Finlande c/ Parlement et Conseil, aff. jtes C-184/02 et C-
223/02
CJCE, 19 oct. 2004, Kunqian Catherine Zhu, aff. C-200/02
CJCE, 1er
mars 2005, Van Parys, aff. C-377/02
CJCE, 3 mai 2005, Berlusconi, aff. C-387/02
CJCE, 22 nov. 2005, Mangold, aff. C-144/04
CJCE, 24 nov. 2005, Schwarz, aff. C-366/04
CJCE, 30 mai 2006, Commission c/ Irlande (« Mox »), aff. C-459/03
CJCE, 5 déc. 2006, Cipolla, aff. C-94/04 et C-202/04
CJCE, 14 déc. 2006, ASML, aff. C-283/05
CJCE, 3 mai 2007, Wereld, aff. C-303/05
CJCE, 13 mars 2007, Unibet, aff. C-432/05
CJCE, 4 oct. 2007, Schutzverband der Spirituosen-Industrie, aff. C-457/05
CJCE, 11 déc. 2007, Skoma, aff. C-161/06
CJCE, 11 déc. 2007, Viking, aff. C-438/05
CJCE, 18 déc. 2007, Laval, aff. C-341/05
CJCE, 17 avr. 2008, Peek & Cloppenburg, aff. C-456/06
CJCE, 3 juin 2008, Intertanko, aff. C-308/06
CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05
CJCE, 9 sept. 2008, FIAMM, aff. C-120/06 P et C-121/06 P
CJCE, 16 déc. 2008, aff. C-127/07, Arcelor
CJCE, 16 déc. 2008, Cartesio, aff. C-210/06
CJCE, 5 mars 2009, UTECA, aff. C-222/07
CJCE, 2 avril 2009, Gambazzi, aff. C-394/07
CJCE, 23 avril 2009, Falco, aff. C-533/07
CJCE, 23 avril 2009, Dior II, aff. C-59/08
CJCE, 4 juin 2009, Leroy Somer, aff. C-285/08
356
CJCE, 16 juillet 2009, Infopaq, aff. C-8/08
CJCE, 9 sept. 2009, Budĕjovický Budvar, národní podnik, aff. C-478/07
CJCE, 22 oct. 2009, Bogiatzi, aff. C-301/08
CJUE, 17 déc. 2009, Eva Martin, aff. C-227/08
CJUE, 19 janv. 2010, Kücükdeveci, aff. C-555/07
CJUE, 25 février 2010, Brita, aff. C-386/08
CJUE, 2 mars 2010, Rottmann, aff. C-135/08
CJUE, 25 mars 2010, Helmut Müller, aff. C-451/08
CJUE, 6 mai 2010, Walz, aff. C-63/09
CJUE, 8 juin 2010, Voldafone, aff. C-58/08
CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. Jtes C-188/10 et C-189/10
CJUE, 5 octobre 2010, McB., aff. C-400/10 PPU
CJUE, 21 oct. 2010, I.B., aff. C-306/09
CJUE, 16 nov. 2010, Mantello, aff. C-261/09
CJUE, 22 déc. 2010, Zarraga, aff. C-491/10
CJUE, 8 mars 2011, avis 1/09, à propos de la création d’un système unifié de règlement des
litiges en matière de brevets européens et de l’UE
CJUE, 8 mars 2011, Lesoochranárske Zoskupenie VLK, aff. C-240/09
CJUE, 10 mars 2011, aff. jtes Bog ea, C-497/09, C-499/09, C-501/09, C-502/09
CJUE, 6 sept. 2011, Ivana Scattolon, aff. C-108/10
CJUE, 8 sept. 2011, Monsanto, aff. jointes C-58/10 à C-68/10
CJUE, 15 nov. 2011, Dereci, aff. C-256/11
CJUE, 21 déc. 2011, NS, aff. jtes C-411/10 et C-493/10
CJUE, 8 déc. 2011, Ziebell, aff. C-371/08
CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10
CJUE, 15 mars 2012, SCF, aff. C-135/10
CJUE, 24 mai 2012, Global Sports Media, aff. C-196/11
CJUE, 26 juin 2012, Pologne c. Commission, aff. C-335/09 P
TPI, 10 juill. 1990, Tetra Pak, aff. T-51/89
TPI, 22 déc. 1995, Danielsson, aff. T-219/95(R)
358
INDEX GENERAL
Les numéros renvoient aux paragraphes.
Accord international, voir Convention internationale
Accord mixte (UE)
Acte juridique
Acte public judiciaire ou extrajudiciaire étranger
Administration européenne
Administration internationale
Administration nationale
Adoption (des traités)
ADPIC
Aéronefs
Altérité (des droits)
Apatride
Appellation d’origine
Applicabilité
Applicabilité autolimitée
Applicabilité choisie
Applicabilité imposée
Applicabilité matérielle
Applicabilité spatiale
Applicabilité temporelle
Applicabilité universelle
Appropriation (d’un droit autre)
Arbitrage
Arbitrage religieux
359
Arbitre européen
Arbitre international
Arbitre interne
Arme,
Asile
Autonomie (des ordres juridiques)
Autonomie (institutionnelle ou procédurale)
Autonomie (qualification autonome)
Autonomisation
Autorité parentale
Avocat
Base juridique
Biens culturels
Bloc de constitutionnalité (France)
CADH
Cadre juridique (de référence)
Cas
Catégories juridiques
CCI
CDFUE
CE, voir UE
CEDH
CEE, voir UE
Certificat de coutume
CESDHLF
Charte
Charte constitutionnelle
Choix de droit applicable
CIADH
360
CIJ
Circulation des situations
CIRDI
Citoyenneté européenne
CJCE, voir CJUE
CJUE
Clause de déconnexion
Clause Paramount
Climat
CNUDCI
Code civil
Codification
COE
Combinaison (des droits)
Communauté de droit
Communauté de lois
Comparaison (des droits)
Comparaison multiniveau
Comparaison triangulaire
Compétence
Complémentarité institutionnelle
Concrétisation du droit
Concurrence entre juridictions
Concurrence normative (Regulatory competition)
Conflit de Droits
Conflit de lois
Conflit de normes (typologie)
Conflit de procédures
Conflit inter-étatique
361
Conflit mobile
Conseil constitutionnel (français)
Conseil d’Etat (français)
Conseil de sécurité (ONU)
Conseil juridique
Consommateurs (protection des -)
Constitution
Constitutionnalisation
Constitutionnalité
Contentieux contractuel
Contexte d’application du droit
Contexte de référence
Contextualisation
Convention internationale
Conventionnalité
Coopération entre institutions nationales, internationales et européennes
Coopération judiciaire internationale en matière civile
Coopération judiciaire internationale en matière pénale
Cour de cassation (française)
Coutume internationale
CPA
CPI
CPJI
Crime de guerre
DDHC
Décontextualisation
Dédoublement
Dédoublement fonctionnel
Dépeçage
362
Dialogue des juges
Directive européenne (UE)
Distorsion entre le droit applicable et le droit invocable
Droit a-étatique
Droit africain,
Droit allemand
Droit américain
Droit anglais
Droit appliqué
Droit au procès équitable
Droit civil
Droit commun
Droit confessionnel
Droit de grève
Droit de l’alimentation
Droit de l’environnement
Droit de la concurrence
Droit de la famille
Droit de la libre circulation
Droit de la nationalité
Droit de la propriété littéraire et artistique
Droit de manifester
Droit délibéré
Droit dérivé européen
Droit dérivé international
Droit des contrats
Droit des investissements internationaux
Droit des traités
Droit des transports
363
Droit du commerce international
Droit du marché intérieur
Droit du sport
Droit du travail
Droit économique
Droit étranger
Droit français
Droit global
Droit hiérarchisé
Droit international économique
Droit international privé
Droit international public
Droit international uniforme
Droit italien
Droit national, international et européen (distinction)
Droit naturel
Droit pénal
Droit pénal européen
Droit pénal international
Droit processuel
Droit public/droit privé (distinction)
Droit révélé
Droit spontané
Droit supra-étatique
Droit transitoire
Droit transnational
Droit-objet
Droits de l’enfant
Droits de l’homme
364
Droits distincts
Droits en réseaux
Droits fondamentaux
Droit-source
Ecole de Bruxelles
Effet (recherche d’un -)
Effet contenu
Effet d’opposabilité
Effet de fait
Effet différent
Effet direct
Effet équivalent
Effet global
Effet obligatoire
Effet utile (théorie de -)
Egalité
Election
Embargo
Energie
Enfant
Entrée en vigueur
Entreprise
Epuisement des voies de recours internes
Erga omnes
Espace de liberté, sécurité, justice
Etat de droit
Etat défendeur
Etat plaideur
Etranger
365
Européanisation
Européanité des lois de transposition des directives
Exécution
Expropriation
Expulsion
Extrapolation juridique
Fait illicite
Fait juridique
Fédéral
Fédéré
Filiation
Finance
Fonctionnalisme
Forum shopping
Fragmentation
Gel des avoirs
Génocide
Gouvernance globale
Harmonisation minimale
Harmonisation totale
Hiérarchie des normes
Hiérarchisation (des droits)
Hiérarchisation formelle
Hiérarchisation matérielle
Histoire
Horizontalité des droits de l’homme et d
Horizontalité des libertés économiques de circulation
HRW
Humanité
366
Identité constitutionnelle nationale (France)
Identité nationale
Imbrication
Immédiateté
Immigration, voir migration
Immunité de juridiction ou d’exécution
Incomplétude
Inopposabilité (d'un droit autre)
Insertion des traités dans l'ordre juridique national
Instruments à valeur interprétative
Interactions normatives
Internationalisation
Internet
Inter-planétaire
Interprétation
Interprétation conforme
Interprétation des conventions
Interprétation nationale
Interprètes privilégiés
Inter-régional
Invocabilité
Invocabilité d’exclusion
Invocabilité d’interprétation conforme
Invocabilité de réparation
Invocabilité horizontale
Invocabilité verticale
Invocabiltié de substitution
Jouet
Juge d’appui
367
Juge étatique
Juge européen
Juge international
Juge national
Juge privé
Jugement étranger
Juriste
Juriste européen
Juriste international
Juriste national
Jus cogens
Jus commune
Justice
Justiciabilité
Law Shopping
Légalité
Légalité externe
Légalité interne
Lex mercatoria
Lex posterior
Lex specialis
Liberté fondamentale
Liberté syndicale
Libertés européennes de circulation
Libre-échange
Local
Localisation (critères de -)
Localisation dans l’espace
Logement familial
368
Loi d’application immédiate
Loi de police
Loi de police étrangère
Loi de transposition
Loi de validation
Loi étrangère
Loi organique française
Lune
Lutte contre le terrorisme
Mandat d’arrêt européen
Marchandise
Marché intérieur (UE)
Marge d’appréciation nationale
Marque
Massification
Médicament
Mer
Mesure individuelle
Méthode ouverte de coordination (MOC)
Méthodes et solutions juridiques
Migration
Mimétisme
Modèle contractuel
Modèle législatif
Monisme, dualisme, pluralisme
Multiniveau
Nationalisation
Nationalité
Niveau d’application du droit
369
Non-rétroactivité des lois
Normes sociales
Notaire
Nouvelle-Calédonie
Obligations alimentaires
OGM
OHMI
OIT
OMC
OMPI
OMS
ONG
ONU
ORD
Ordre juridique (définition)
Ordre juridique immédiat
Ordre juridique nouveau intégré
Ordre public
Ordre public européen
Ordre public international français
Ordre public réellement international
Pacta sunt servanda
Pêche
Personne
Personne morale
Personne physique
PIDCP
Pluralisme juridique
Pluralisme juridique mondial
370
Pluralisme juridique mondial appliqué
Pluralisme ordonné
Plurilinguisme
Positivisme (normativiste)
Possession d’état
Pouvoir exécutif
Pouvoir judiciaire
Pouvoir législatif
Pragmatisme
Praticien du droit
Pratique des juges
Pratique des juristes internationaux
Pratique sexuelle
Préemption (des compétences)
Préemption (du droit international par le droit européen)
Prescription (délai préfix)
Presse
Prestation de services
Preuve
Primauté des normes impératives
Primauté du droit européen
Primauté du droit international
Principe d’égalité
Principe de bonne foi
Principe de confiance légitime
Principe de Loyauté
Principe de non-discrimination
Principe de primauté
Principe de proportionnalité
371
Principe de sécurité juridique
Principe de spécialité
Principe de subsidiarité
Principes généraux du droit européen
Principes généraux du droit européen
Principes généraux du droit national
Principes juridiques
Prise en compte (ou en considération)
Procédures parallèles
Propriété intellectuelle
Protection de l’environnement
Protection de l'enfance
Protection sociale
Protection sociale
Pyramide des normes
QPC
Qualification autonome
Qualification d’ordre public
Qualification dépendante
Qualification nationale, internationale ou européenne
Qualification particulariste
Qualification supplétive
Qualification universelle
Question préjudicielle (UE)
Rapport de mise en œuvre
Réception française du droit européen (UE ou CESDHLF)
Réciprocité (condition de -)
Reconnaissance
Recours direct
372
Recours en annulation
Réfugié
Régime matrimonial
Régional
Règle à caractère institutionnel
Règle à caractère matériel (ou substantiel)
Règle de conflit de juridictions
Règle de conflit de lois
Religion
Repli d'un système juridique sur lui-même
Requérant ordinaire
Requérant privilégié
Res inter alios pacta
Réseau judiciaire européen
Responsabilité civile
Responsabilité de l’Etat (extra-contractuelle et contractuelle)
Responsabilité pénale
Rétention
Revirements de jurisprudence
Révision de la Constitution
Sanctions ciblées (ou collectives)
Self-executing
Sentence arbitrale
Situation internationale
Situation de fait constituée à l’étranger
Situation extra-européenne
Situation interne, internationale ou européenne, voir Cas
Situation intra-européenne
Situation juridique, voir Cas
373
Situation purement interne (à un Etat)
Société européenne
Souveraineté
Standardisation
Stratégie à front unique
Stratégie à fronts multiples
Subsidiarité judiciaire
Succession
Supériorité, voir Primauté
Suprématie de la constitution
Sûreté
Systèmes juridiques (interactions)
Tabac
Terrorisme
Théorie de droit
Théorie de l’efficacité maximale
Théorie du jeu
Titre européen de propriété intellectuelle
Torture
TPIY,
Traditions juridiques nationales
Traité international, voir Convention internationale
Transport aérien
Transposition des directives
Tribunal des conflits (français)
Tutelle des mineurs
UE
UNESCO
UNIDROIT
375
TABLE ANALYTIQUE (MATIERES, SITUATIONS ET EXEMPLES)
Présentation analytique des matières, situations et exemples traités dans l’ouvrage. Les
numéros renvoient aux pages.
Première partie - La comparaison du droit national, international et européen ________ 38
Chapitre 1 – La démarche comparative _____________________________________________ 39
Section 1 – Les présupposés _____________________________________________________________ 40
§ 1 – Le présupposé de l’incomplétude _______________________________________________ 40
Situation – L’incomplétude des systèmes juridiques dans leur aptitude à régir l’ensemble des
cas juridiques _______________________________________________________________ 42
L’exemple du droit de la propriété littéraire et artistique __________________________ 42
L’exemple du droit de la famille ______________________________________________ 43
L’exemple du droit pénal ___________________________________________________ 43
L’exemple des droits de l’homme _____________________________________________ 44
L’exemple du droit du sport _________________________________________________ 45
§ 2 – Le présupposé de la localisation _________________________________________________ 45
A - Les différents lieux d’application du droit ___________________________________________ 45
Situation – L’application du droit étranger en droit national __________________________ 46
L’exemple de l’application de la loi étrangère par le juge national ___________________ 46
Situation – L’application du droit international uniforme dans deux États différents ______ 46
L’exemple des interprétations nationales divergentes d’une loi internationale uniforme : le
cas célèbre de la jurisprudence « Hocke » ______________________________________ 46
Situation – La mise en œuvre du droit européen dans les différents États membres ______ 47
L’exemple de la marge d’appréciation nationale dans la transposition des directives
d’harmonisation minimale __________________________________________________ 47
Situation – La mise œuvre du droit des Nations Unies par l’Union européenne et un Etat
partie à la CESDHLF __________________________________________________________ 48
L’exemple des mesures de lutte contre le terrorisme prises par le Conseil de sécurité des
Nations Unies devant la CJUE et la CEDH _______________________________________ 48
Situation – Une liberté fondamentale de source nationale, internationale ou européenne
devant les juges européens ____________________________________________________ 49
L’exemple de la liberté syndicale invoquée devant la CJUE et la CEDH _______________ 49
376
Situation – La protection des droits de l’homme par les deux organisations européennes et les
Etats membres ______________________________________________________________ 49
Le cas du « triangle » Conseil de l’Europe - Union européenne - Etats membres _______ 49
B - Les différents acteurs de l’application du droit _______________________________________ 50
Situation – Le juge étatique, international ou européen _____________________________ 50
La comparaison des justices nationales, internationales et européennes : l’exemple du
recours direct intenté par un requérant ordinaire ________________________________ 50
Situation – L’arbitre interne, international et européen _____________________________ 51
La comparaison des justices arbitrales nationales, internationales et européennes :
exemples de règles définies dans différents contextes ____________________________ 51
Situation – Le juriste de droit interne, international et européen ______________________ 52
Trois juristes pour une même question : l’exemple d’une mesure nationale d’interdiction
de commercialisation d’un produit en raison d’un impératif de santé publique ________ 52
Section 2 – Les préjugés ________________________________________________________________ 54
§ 1 – Les préjugés intellectuels ______________________________________________________ 54
A – Les limites de la comparaison ____________________________________________________ 54
1/ À propos de deux métaphores (« qui embrasse trop mal étreint » et « le mariage de la carpe
et du lapin ») __________________________________________________________________ 54
Situation - La comparaison tous azimuts : quand le juge fait son marché ________________ 55
Des exemples américains et européens ________________________________________ 55
L’allégorie du « dialogue des juges » __________________________________________ 56
Situation – Comparaison n’est pas raison : quand le juriste extrapole des méthodes et
solutions juridiques (sans même s’en rendre compte parfois) ________________________ 57
L’exemple du droit européen lu au travers des catégories du droit national ou du droit
international _____________________________________________________________ 57
2/ Les verrous à faire sauter ______________________________________________________ 58
Situation – La comparaison du droit national, international et européen ________________ 60
L’exemple de la réglementation des OGM dans le contexte mondial, européen, national et
local ____________________________________________________________________ 60
L’exemple des principes en droit national, international et européen ________________ 61
Situation – La comparaison triangulaire (un droit commun et deux droits distincts) _______ 62
L’exemple de la comparaison de deux droits nationaux transposant une directive
européenne (UE) __________________________________________________________ 62
L’exemple de la comparaison des droits nationaux devant la Cour européenne des droits
de l’homme (CEDH) ________________________________________________________ 63
L’exemple de la comparaison de deux droits européens (UE - COE) appliqués dans un
contexte national __________________________________________________________ 63
3/ La comparaison multiniveau : un autre principe de réalité ___________________________ 64
377
Situation – Le juriste de droit interne et le réflexe européen _________________________ 65
Deux exemples d’utilisation courante du droit européen par le juriste de droit interne __ 65
Situation – Peut-on comparer le droit international et le droit européen ? ______________ 65
Présupposés théoriques et exemples pratiques _________________________________ 65
4/ Une distinction utile mais difficile entre les droits « sources » et les droits « objets » ______ 67
Situation – Plusieurs sources pour un même objet _________________________________ 68
L’exemple du droit des marques alimenté par les sources nationales, internationales et
européennes _____________________________________________________________ 68
L’exemple des sources nationales, internationales et européennes du droit de la
nationalité _______________________________________________________________ 68
Situation – Autant d’objets que de sources _______________________________________ 69
L’exemple de la distinction entre la marque nationale, communautaire (européenne) et,
éventuellement, internationale ______________________________________________ 69
L’exemple de la citoyenneté européenne saisie dans ses rapports à la nationalité définie
par les États membres de l’UE _______________________________________________ 70
Situation – A chaque contexte juridique, son objet _________________________________ 70
L’exemple de l’articulation des sources étatiques et non étatiques : le cas des normes
sociales appréhendées dans un contexte national ou dans un contexte international et
européen ________________________________________________________________ 70
L’exemple d’une position mal assumée de la Commission de l’UE à propos d’un droit
commun européen de la vente _______________________________________________ 71
B - La spécialisation du juriste et le décloisonnement des spécialités ________________________ 72
Situation – Le décloisonnement du droit européen et du droit national ________________ 74
Un exemple de comparaison du droit européen de la concurrence avec une règle nationale
relative au contentieux contractuel ___________________________________________ 74
Situation – Le décloisonnement du droit international et du droit européen _____________ 74
Comparer, par exemple, une règle de droit international privé et une règle européenne de
libre circulation ___________________________________________________________ 74
§ 2 – Les préjugés culturels _________________________________________________________ 75
A - L’histoire _____________________________________________________________________ 75
Situation – Comparer deux droits construits à des âges différents _____________________ 77
L’exemple de l’interprétation du Code civil de 1804 à l’aune du droit de l’Union
européenne ______________________________________________________________ 77
B - La langue _____________________________________________________________________ 77
Situation – La question du plurilinguisme devant les juges ___________________________ 79
Deux cas de multilinguisme devant la Cour de justice de l’Union européenne _________ 79
Section 3 – Les finalités _________________________________________________________________ 81
§ 1 – La connaissance des contextes juridiques pertinents ________________________________ 81
378
A – La recension des contextes juridiques pertinents ____________________________________ 81
Situation – Identifier le contexte de référence _____________________________________ 81
Un exemple de cas purement interne à un Etat__________________________________ 81
Un exemple de cas intra-européen ___________________________________________ 82
Un exemple de cas international _____________________________________________ 82
Situation – Projeter un cas hors de son contexte de référence ________________________ 82
L’exemple d’un cas interne et le contexte international et européen ________________ 82
L’exemple d’un cas européen et le contexte interne et international ________________ 83
L’exemple d’un cas international et le contexte interne et européen ________________ 83
B – La comparaison des contextes juridiques pertinents __________________________________ 83
Situation – De la comparaison des méthodes et solutions à la comparaison des systèmes
juridiques en présence ________________________________________________________ 84
L’exemple d’un cas national, international ou européen __________________________ 84
§ 2 – La définition d’une stratégie juridique ____________________________________________ 85
Situation – Les stratégies à fronts multiples _______________________________________ 86
Un exemple en droit d’auteur national, international et européen __________________ 86
Situation – Les stratégies à front unique __________________________________________ 88
Un exemple (à nouveau) en droit d’auteur national, international et européen ________ 88
Chapitre 2 – La comparaison proprement dite _______________________________________ 90
Section 1 – La comparaison des domaines d’application _______________________________________ 91
§ 1 – Le domaine matériel __________________________________________________________ 91
A- Le recours à des qualifications juridiques ____________________________________________ 91
Situation – Les qualifications nationales, internationales ou européennes ______________ 91
Un exemple à propos des marchandises : le cas du médicament ____________________ 91
Un exemple à propos des actes juridiques : la distinction entre la vente et la prestation de
services _________________________________________________________________ 92
Un exemple à propos des personnes : la définition de l’enfant _____________________ 92
Un exemple à propos des situations juridiques : la distinction entre les situations internes
et les situations internationales ou européennes ________________________________ 93
B- Les différents types de qualifications juridiques ______________________________________ 93
Situation – Les qualifications universelles et les qualifications particularistes ____________ 94
Un exemple à propos des personnes : retour sur la définition de l’enfant _____________ 94
Situation – Les qualifications autonomes et les qualifications dépendantes _____________ 94
Un exemple à propos des actes : retour sur la distinction entre le contrat de vente et le
contrat de services ________________________________________________________ 94
Situation – Les qualifications supplétives et les qualifications d’ordre public _____________ 95
Deux exemples à propos de l’arbitrage et du contrat de vente _____________________ 95
§ 2 – Le domaine spatial ___________________________________________________________ 96
379
A – La question de l’applicabilité dans l’espace du droit national, international et européen _____ 96
Situation – La localisation des cas dans l’espace ____________________________________ 96
Exemples de critères utilisés pour localiser un cas dans l’espace ____________________ 96
Situation – L’existence de règles d’applicabilité spatiale _____________________________ 97
De quelques exemples en droit national, international et européen _________________ 97
B – La diversité des solutions ________________________________________________________ 98
Situation – Le domaine d’applicabilité des règles à caractère institutionnel______________ 99
Exemples à propos des juridictions nationales, internationales ou européennes _______ 99
Situation – L’applicabilité dans l’espace des règles matérielles et des règles de conflit de lois
et de juridictions _____________________________________________________________ 99
Exemples de solutions en droit national, international et européen _________________ 99
Situation – A propos de l’applicabilité dite universelle et autolimitée _________________ 101
Exemples de solutions en droit national, international et européen ________________ 101
Situation – L’applicabilité choisie ou l’applicabilité imposée _________________________ 103
Exemples de solutions en matière contractuelle ________________________________ 103
§ 3 – Le domaine temporel ________________________________________________________ 104
Situation – La question de la non-rétroactivité des lois _____________________________ 104
Exemples de solutions en droit national, international et européen ________________ 104
Situation – L’application dans le temps des textes nationaux, internationaux et européens 105
Exemples de dispositions sur l’entrée en vigueur et le droit transitoire ______________ 105
Situation – L’effet dans le temps des revirements de jurisprudence nationale, internationale
ou européenne _____________________________________________________________ 106
Un exemple d’analyse comparée en droit national et européen ___________________ 106
Section 2 – La comparaison des conditions d’invocabilité _____________________________________ 107
§ 1 – Les cas d’invocabilité dans le triple contexte national, international ou européen ________ 107
A – L’invocabilité et la relation droit international - droit national _________________________ 107
Situation – L’invocabilité du droit international devant une instance nationale __________ 107
L’exemple de l’invocabilité en France de la Convention de New York relative aux droits de
l’enfant _________________________________________________________________ 107
Situation – L’invocabilité du droit national devant une instance internationale __________ 108
L’exemple du droit national considéré comme une mesure d’exécution d’une obligation
internationale ___________________________________________________________ 108
L’exemple du droit national invoqué devant une juridiction internationale pour
caractériser l’existence d’une règle coutumière internationale ____________________ 109
B – L’invocabilité et la relation droit européen - droit national ____________________________ 110
Situation – L’invocabilité du droit européen devant les instances nationales ____________ 110
L’exemple des directives UE non ou mal transposées invoquées devant un juge national
_______________________________________________________________________ 110
380
Situation – L’invocabilité du droit national devant une instance européenne ___________ 111
L’exemple des traditions juridiques nationales invoquées devant la CJUE et la CEDH___ 111
C – L’invocabilité et la relation droit international - droit européen ________________________ 112
Situation – L’invocabilité du droit international devant une instance européenne _______ 113
L’exemple de l’invocabilité des accords OMC et des décisions de l’ORD devant les instances
de l’UE _________________________________________________________________ 113
L’exemple de l’invocabilité de la coutume internationale et des accords internationaux en
matière de transport aérien et de protection de l’environnement devant la CJUE _____ 113
Situation – L’invocabilité du droit européen devant une instance internationale ________ 115
L’exemple de l’invocabilité du droit européen devant une instance de l’OMC ________ 115
L’exemple du droit européen invoqué devant la Cour internationale de justice _______ 116
§ 2 – Les différentes significations de l’invocabilité dans le triple contexte national, international ou
européen ______________________________________________________________________ 116
A – La variable « sujet » : qui invoque ? ______________________________________________ 116
Situation – L’invocabilité verticale ______________________________________________ 117
L’exemple de l’institution publique nationale confrontée aux exigences du droit
international ou européen _________________________________________________ 117
Situation – L’invocabilité horizontale ___________________________________________ 118
L’exemple de l’horizontalité des droits de l’homme et des libertés économiques de
circulation ______________________________________________________________ 118
B – La variable « objet » : qu’est-ce qui est invoqué ? ___________________________________ 119
Situation – L’effet direct, le caractère self-executing ou l’immédiateté et les différentes
formes d’invocabilité ________________________________________________________ 120
Exemples tirés de l’invocabilité du droit international ou européen ________________ 120
Situation – L’effet de fait, l’effet obligatoire et l’effet d’opposabilité __________________ 122
Exemples autour de « l’effet de fait » en droit national, international et européen ____ 122
Exemples autour de la distinction « effet obligatoire » et « effet d’opposabilité » en droit
international et européen __________________________________________________ 123
Section 3 – La comparaison des méthodes et solutions _______________________________________ 125
§ 1 – De l’interprétation ___________________________________________________________ 125
Situation – Principes de base régissant l’interprétation dans les textes ________________ 125
Exemple de l’interprétation des contrats en droit français, international et européen _ 125
Exemple de l’interprétation des traités en droit international _____________________ 130
Situation – Principes d’interprétation dégagés par la jurisprudence ___________________ 131
Exemple de la théorie de « l’effet utile » en droit européen_______________________ 131
Situation – Instruments à valeur interprétative ___________________________________ 132
Exemples en droit national, international et européen ___________________________ 132
Situation – Présence d’interprètes privilégiés _____________________________________ 133
381
Exemples en droit national, international et européen ___________________________ 133
§ 2 – De la contextualisation _______________________________________________________ 134
Situation – Utilisation d’un même terme juridique dans le contexte national, international et
européen _________________________________________________________________ 135
L’exemple du terme « constitution » _________________________________________ 135
L’exemple du terme « codification » _________________________________________ 135
Situation – Le droit européen hors de son contexte ________________________________ 136
L’exemple du droit européen de l’alimentation projeté sur les constructions du droit privé
national ________________________________________________________________ 136
L’exemple du droit européen du marché intérieur comparé aux règles internationales sur
le libre-échange __________________________________________________________ 138
Situation – Le droit national hors de son contexte _________________________________ 138
L’exemple de l’interprétation du droit national dans le contexte de la protection
européenne des droits fondamentaux ________________________________________ 138
Situation – Le droit international hors de son contexte _____________________________ 139
L’exemple de l’ordre public international _____________________________________ 139
Deuxième partie - La combinaison du droit national, international et européen _______ 141
Chapitre 1 – La complémentarité des droits ________________________________________ 142
Section 1 –Les complémentarités institutionnelles et matérielles ______________________________ 143
§ 1 – Les complémentarités institutionnelles __________________________________________ 143
Situation – L’application devant les institutions nationales, internationales ou européennes
d’un droit élaboré dans un autre contexte _______________________________________ 143
L’exemple de l’application du droit international et/ou européen devant les institutions
nationales ______________________________________________________________ 143
L’exemple de l’application du droit national devant une institution internationale ou
européenne _____________________________________________________________ 144
L’exemple de l’application du droit international devant une institution européenne __ 145
L’exemple de l’application du droit européen devant une institution internationale ___ 146
Situation – La complémentarité institutionnelle érigée en principe ___________________ 148
L’exemple des rapports entre la Cour pénale internationale et les justices des Etats
membres _______________________________________________________________ 148
Situation – La complémentarité institutionnelle aménagée par des règles de coordination 149
L’exemple des rapports entre la justice arbitrale internationale et la justice étatique __ 149
§ 2 – Les complémentarités matérielles ______________________________________________ 149
Situation – L’hypothèse rare de combinaison de droits nationaux ____________________ 150
Un exemple en jurisprudence française _______________________________________ 150
Situation – Les cas plus fréquents de combinaison du droit national et international _____ 151
382
L’exemple historique de la jurisprudence « Boll » de la Cour internationale de justice__ 151
Situation – Autres cas de combinaison du droit national, international et européen _____ 151
Un exemple de combinaison du droit national, international et européen en droit des
transports ______________________________________________________________ 151
Un exemple de combinaison du droit national, international et européen dans le domaine
de la protection des biens culturels __________________________________________ 152
Un exemple de combinaison du droit national, international et européen dans le domaine
de la protection des droits fondamentaux _____________________________________ 153
Section 2 – L’existence de rapports de mise œuvre __________________________________________ 154
§ 1 – Les rapports de mise en œuvre institutionnels ____________________________________ 154
Situation – L’exécution du droit international ou européen par les institutions nationales _ 154
L’exécution du droit international : l’exemple de l’insertion des traités internationaux dans
l’ordre juridique français ___________________________________________________ 154
L’exécution du droit européen : les exemples de l’autonomie institutionnelle ou
procédurale reconnue aux Etats membres de l’UE et de la transposition des directives 155
Situation – L’exécution du droit international par les institutions européennes _________ 156
L’exécution du droit international : l’exemple de la mise en œuvre du droit international
par les institutions de l’UE__________________________________________________ 156
Situation – L’exécution du droit international par les institutions européennes et nationales
_________________________________________________________________________ 157
L’exécution du droit international : l’exemple de l’organisation des rapports entre les
institutions nationales et européennes en cas d’accord mixte _____________________ 157
Situation – La coopération entre institutions nationales, internationales et européennes _ 158
Un exemple de coopération entre institutions nationales, internationales et européennes
dans le domaine du droit des marques _______________________________________ 158
Un exemple de coopération entre institutions nationales, internationales et européennes
en matière de lutte contre le terrorisme ______________________________________ 159
§ 2 – Les rapports de mise en œuvre matériels ________________________________________ 160
Situation – La coopération judiciaire internationale en matière civile et pénale _________ 160
Exemple tiré de la mise en œuvre du droit européen au procès équitable dans le contexte
du droit de l’UE de la coopération judiciaire civile _______________________________ 160
Exemple tiré de la mise en œuvre du droit européen au procès équitable dans le contexte
du droit de l’UE de la coopération judiciaire pénale _____________________________ 163
Situation – Les libertés européennes de circulation ________________________________ 166
Exemple tiré de la mise en œuvre du droit national par le droit UE des libertés de
circulation ______________________________________________________________ 166
Section 3 – La recherche d’un effet _______________________________________________________ 168
§ 1 - La recherche d’un effet tantôt équivalent tantôt différent ___________________________ 168
383
Situation – Recherche d’un effet équivalent ______________________________________ 169
L’exemple de l’identification d’une coutume internationale eu égard aux solutions
appliquées au niveau national et européen ____________________________________ 169
L’exemple de l’énoncé de principes généraux du droit européen à partir des traditions
juridiques nationales et des principes de droit international ______________________ 169
L’exemple de l’interprétation équivalente de la CESDHLF et de la CDFUE ____________ 170
Situation – Recherche d’un effet différent _______________________________________ 171
L’exemple (à nouveau) de l’énoncé de principes généraux du droit _________________ 171
§ 2 - La recherche d’un effet tantôt global tantôt contenu _______________________________ 172
Situation – Recherche d’un effet global _________________________________________ 172
Exemples de prise en compte dans le contexte international ou européen de l’application
du droit interne __________________________________________________________ 172
Exemples de prise en compte dans le contexte européen du droit international ______ 173
Exemples de prise en compte dans le contexte international du droit européen ______ 174
Exemples de prise en compte dans le contexte national du droit international et européen
_______________________________________________________________________ 174
Situation – Recherche d’un effet contenu ________________________________________ 176
Exemples de subsidiarité judiciaire à propos notamment du principe de proportionnalité
dans la jurisprudence européenne ___________________________________________ 176
Exemples tirés de la lecture du principe de spécialité par la Cour internationale de justice
_______________________________________________________________________ 178
Exemples tirés de la jurisprudence nationale intervenant dans un contexte fortement
internationalisé __________________________________________________________ 180
Chapitre 2 – La circulation des situations __________________________________________ 182
Section 1 – Le phénomène de circulation __________________________________________________ 183
§ 1 – Premiers éléments de définition _______________________________________________ 183
Situation – Premières approches de la circulation des situations _____________________ 183
Exemples de circulation de situations juridiques ________________________________ 183
§ 2 – La circulation au sein d’un même niveau _________________________________________ 184
Situation – La circulation entre espaces nationaux_________________________________ 185
L’hypothèse du conflit mobile_______________________________________________ 185
L’exemple de la reconnaissance d’un acte public judiciaire ou extrajudiciaire étranger _ 185
L’exemple de la reconnaissance d’une situation de fait constituée à l’étranger _______ 186
Situation – La circulation dans le contexte international ____________________________ 187
Un exemple de circulation entre institutions internationales : les rapports entre les Nations
Unies et la Cour pénale internationale ________________________________________ 187
Situation – La circulation dans le contexte européen _______________________________ 188
384
Exemples de circulation entre les institutions du Conseil de l’Europe et de l’Union
européenne _____________________________________________________________ 188
§ 3 – La circulation interniveau des situations _________________________________________ 189
A- Intervention de juridictions à différents niveaux _____________________________________ 189
Situation – La circulation des situations entre les juges internes et les juges internationaux et
européens _________________________________________________________________ 190
Exemple de circulation entre le juge national et la Cour internationale de justice _____ 190
Exemple de circulation entre le juge national et la Cour de justice de l’Union européenne
ou la Cour européenne des droits de l’homme _________________________________ 191
Exemple de circulation du niveau national vers le niveau européen : une décision nationale
annulant un titre européen de propriété intellectuelle ___________________________ 192
Exemple de circulation entre le juge national, européen et international ____________ 192
Situation – La circulation des situations entre l’arbitrage international et la justice étatique
_________________________________________________________________________ 193
L’exemple de l’arbitrage commercial international ______________________________ 193
B – Application du droit à plusieurs niveaux ___________________________________________ 194
Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau national et
international ou européen ____________________________________________________ 195
L’exemple des discussions théoriques sur la réception du droit international et européen
dans les ordres juridiques nationaux (monisme, dualisme, pluralisme) et la question de
l’existence d’une circulation ________________________________________________ 195
Exemples de circulation du niveau national vers le niveau international : l’application d’un
droit national évaluée dans un contexte de droit international ou européen _________ 196
Un autre exemple : la circulation mondiale de modèles contractuels inspirés par la
pratique des juristes internationaux et leur application dans des contextes nationaux
différents _______________________________________________________________ 197
Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau international et
européen _________________________________________________________________ 197
Exemples de circulation juridique du niveau international vers le niveau européen : les
phénomènes d’imbrication et de mimétisme __________________________________ 197
Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau international et
européen _________________________________________________________________ 199
Exemple de circulation juridique du niveau européen vers le niveau international : la
participation de l’Union européenne aux travaux de l’Organisation des Nations Unies _ 199
Section 2 – L’existence d’une contrainte de circulation _______________________________________ 200
§ 1 - La définition d’un cadre juridique de référence ____________________________________ 200
Situation – La définition par les juges d’un cadre juridique de référence _______________ 200
Exemples en jurisprudence européenne ______________________________________ 200
385
Situation – La définition par les juges d’un cadre juridique de référence (suite) _________ 201
Exemples en jurisprudence internationale et nationale __________________________ 201
§ 2 - La contrainte d’un droit invocable bien que non applicable __________________________ 203
Situation – Circulation juridique au niveau national et distorsion entre le droit applicable et le
droit invocable _____________________________________________________________ 204
L’exemple (à nouveau) de la reconnaissance ___________________________________ 204
L’exemple de l’effet produit par les lois de police étrangères ______________________ 204
Situation – Circulation juridique au niveau européen et distorsion entre le droit applicable et
le droit invocable ___________________________________________________________ 205
Un exemple historique : l’invocabilité de la CESDHLF devant la Cour de justice des
Communautés européennes ________________________________________________ 205
Des exemples plus récents : l’invocabilité devant les juridictions européennes
d’instruments internationaux multilatéraux ou bilatéraux étrangers aux systèmes
juridiques européens ______________________________________________________ 206
Situation – Circulation juridique au niveau international et distorsion entre le droit applicable
et le droit invocable _________________________________________________________ 210
Un exemple récent : l’invocabilité devant les juridictions internationales d’instruments à
caractère régional ________________________________________________________ 210
Troisième Partie – La hiérarchisation du droit national, international et européen _____ 211
Chapitre 1 – La hiérarchisation des droits dans les différents contextes __________________ 212
Section 1 – La hiérarchisation des droits dans le contexte national : l’exemple du droit français ______ 213
§ 1 - Les hypothèses de hiérarchisation ______________________________________________ 213
A - Les rapports entre le droit national et le droit international ___________________________ 213
1/ Les hypothèses envisagées par la Constitution ____________________________________ 214
Situation – Le processus de révision de la Constitution, préalable à l’entrée en vigueur d’un
traité international incompatible_______________________________________________ 214
Exemple de mise en œuvre de l’article 54 de la Constitution (1958) ________________ 214
Situation – L’affirmation d’une supériorité des traités internationaux sur les lois nationales
_________________________________________________________________________ 215
Exemple de mise en œuvre de l’article 55 de la Constitution (1958) ________________ 215
L’apport des jurisprudences françaises « Jacques Vabre » et « Nicolo » _____________ 216
Situation – L’affirmation d’une supériorité des traités internationaux sur les actes
réglementaires _____________________________________________________________ 218
Un exemple en jurisprudence française _______________________________________ 218
2/ Les hypothèses non explicitement prévues par la Constitution _______________________ 219
Situation – La supériorité conférée aux engagements internationaux et la suprématie des
dispositions de nature constitutionnelle _________________________________________ 219
386
Les jurisprudences françaises « Sarran », « Levacher » et « Fraisse »________________ 219
Situation – La question des rapports de hiérarchie entre le droit national et le droit coutumier
international _______________________________________________________________ 221
De quelques exemples en jurisprudence française ______________________________ 221
Situation – La question des rapports de hiérarchie entre le droit national et le droit dérivé
international _______________________________________________________________ 223
De quelques exemples en jurisprudence française ______________________________ 223
B - Les rapports entre le droit national et le droit européen ______________________________ 224
1/ Alignement des solutions définies pour le droit international et le droit européen (UE) ___ 224
Situation – La place du droit européen dans la jurisprudence française ________________ 224
Retour sur les jurisprudences « Jacques Vabre », « Nicolo », « Sarran et Levacher » et
« Fraisse » ______________________________________________________________ 224
Situation – La banalisation du droit européen dans les textes ________________________ 225
L’exemple de la Constitution de 1958 (avant ses modifications intervenues depuis 1992) et
de la loi organique de 2009 relative à la question prioritaire de constitutionnalité ____ 225
2/ Différenciation des solutions définies pour le droit européen (UE) et pour le droit
international _________________________________________________________________ 226
Situation – L’usage doctrinal de la distinction « droit international - droit européen » ____ 226
Un tournant en France : « Droit international et droit communautaire : perspectives
actuelle » (1999) _________________________________________________________ 226
Situation – La différenciation du droit européen dans les textes ______________________ 227
L’exemple du Titre XV et de l’article 53-1 de la Constitution française (1958, telle que
notamment modifiée en 1992, 1993 et 2008) __________________________________ 227
Situation – La différenciation du droit européen en jurisprudence ____________________ 229
L’exemple du contrôle des actes législatifs ou réglementaires à la lumière du droit dérivé
européen _______________________________________________________________ 229
L’exemple des principes généraux du droit européen ____________________________ 230
L’exemple des avis donnés par le Conseil constitutionnel préalablement à la procédure de
ratification des derniers traités européens (UE) ________________________________ 231
L’exemple du contrôle par le Conseil constitutionnel français des lois de transposition des
directives _______________________________________________________________ 233
L’exemple de la prise en compte par le tribunal des conflits du cas particulier du droit
européen _______________________________________________________________ 234
§ 2 - Les acteurs de la hiérarchisation ________________________________________________ 235
A - L’effacement du pouvoir législatif et exécutif _______________________________________ 235
Situation – Le rôle relativement passif des pouvoirs législatifs et exécutifs _____________ 236
L’exemple de la procédure d’adoption des traités et accords internationaux ou européens
au regard du processus de hiérarchisation des droits ____________________________ 236
387
B - Le renforcement du pouvoir des juges étatiques ____________________________________ 236
Situation – Le rôle accru du juge dans l’application des conventions internationales _____ 237
L’exemple de l’interprétation des traités internationaux _________________________ 237
L’exemple de la condition de réciprocité ______________________________________ 238
§ 3 - Les mots et le moment de la hiérarchisation ______________________________________ 239
A - Contrôle de constitutionnalité en amont et contrôle de conventionnalité en aval __________ 239
Situation - Les contrôles hiérarchiques opérés en amont par le Conseil constitutionnel ___ 240
L’exemple de la constitutionnalité des conventions internationales ________________ 240
Le contre-exemple de la conventionnalité des lois ______________________________ 241
L’exemple de l’européanité des lois de transposition des directives ________________ 242
Situation - Les contrôles hiérarchiques opérés en aval par le juge ordinaire ____________ 242
L’exemple de la conventionnalité des textes législatifs et réglementaires ____________ 242
Le contre-exemple de la constitutionnalité des conventions internationales et des lois 243
L’exemple particulier où le contrôle de constitutionnalité d’un texte réglementaire jouxte
la conformité d’une directive à un principe européen : le cas Arcelor _______________ 244
B - Le contrôle prioritaire de constitutionnalité et le contrôle secondaire de conventionnalité __ 246
Situation - La hiérarchisation dans le temps des contrôles constitutionnalité et de
conventionnalité____________________________________________________________ 247
L’exemple de la loi organique française et les interrogations qu’elle suscite sur la pratique
des juges _______________________________________________________________ 247
Section 2 – La hiérarchisation des droits dans le contexte international : les réponses du droit
international_________________________________________________________________________ 249
§ 1 - Le refoulement du droit national et européen _____________________________________ 249
Situation - Le refoulement du droit national ______________________________________ 250
Un exemple historique : l’avis consultatif de la CPJI dans l’affaire « Intérêts allemands en
haute Silésie polonaise ____________________________________________________ 250
Situation - Le refoulement du droit européen ____________________________________ 251
Une illustration patente : quand une sentence CIRDI assimile le droit de l’UE à un simple
fait ____________________________________________________________________ 251
Une illustration subtile : quand la CIJ se réfère à la jurisprudence de la CEDH tout en la
hiérarchisant avec d’autres pratiques décisionnaires internationales et régionales ____ 251
§ 2 - L’atrophie des procédés de hiérarchisation formelle ________________________________ 253
Situation - La difficile hiérarchisation formelle des sources du droit international ________ 253
L’exemple des rapports entre la coutume internationale et le droit interétatique _____ 253
Situation - La portée incertaine de la primauté affichée par une norme internationale sur les
autres ____________________________________________________________________ 254
L’exemple de l’article 103 de la Charte des Nations Unies (1945) __________________ 254
Situation - Les hiérarchies internes aux organisations internationales _________________ 255
388
L’exemple du contrôle de légalité interne _____________________________________ 255
§ 3 - Le développement des procédés de hiérarchisation matérielle _______________________ 255
Situation - L’affirmation de la primauté des normes impératives _____________________ 256
L’exemple de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) _______________ 256
Exemples de règles impératives dégagées par les juridictions internationales ________ 257
Situation - La constitutionnalisation du droit international en débat __________________ 258
Exemples de travaux sur le sujet_____________________________________________ 258
Section 3 – La hiérarchisation des droits dans le contexte européen : le cas de l’Union européenne __ 261
§ 1 - Une intégration hiérarchique __________________________________________________ 261
A- La primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national des Etats membres _______ 261
1/ la primauté par la supériorité__________________________________________________ 261
Situation - L’affirmation d’un ordre juridique nouveau intégré _______________________ 262
Les célèbres jurisprudences Van Gend & Loos et Costa c. Enel de la CJCE ____________ 262
La place du principe de primauté dans les textes en vigueur ______________________ 262
Situation - Un ordre juridique immédiat _________________________________________ 263
Le non moins important arrêt Simmenthal de la CJCE ____________________________ 263
Situation - Retour sur l’invocabilité et la justiciabilité du droit européen _______________ 264
L’exemple remarquable d’une concrétisation européenne du principe de primauté ___ 264
Situation - L’hypothèse du conflit entre une norme européenne et une norme
constitutionnelle nationale ___________________________________________________ 265
Les célèbres arrêts « International Handelsgesellschaft » et « Commission c/ Grand-
Duché » de la CJCE ________________________________________________________ 265
2/ La primauté par l’autonomie __________________________________________________ 266
Situation - La primauté synonyme d’autonomie institutionnelle ______________________ 266
Le cas de l’Union européenne _______________________________________________ 266
Situation - La primauté synonyme d’autonomie de droit matériel ____________________ 267
Le cas de l’Union européenne _______________________________________________ 267
3/ La primauté par la loyauté ____________________________________________________ 267
Situation - La loyauté est synonyme de primauté __________________________________ 268
Evolution de la jurisprudence et des textes ____________________________________ 268
B - La primauté du droit de l’Union européenne et le droit international ____________________ 269
Situation - L’affirmation du respect dû au droit international ________________________ 269
Exemples dans les traités européens _________________________________________ 269
Exemples dans la jurisprudence de la CJCE et CJUE ______________________________ 269
§ 2 - Une hiérarchie interne ________________________________________________________ 270
A - Les éléments d’une hiérarchie d’ensemble _________________________________________ 270
1/ La hiérarchie entre le droit primaire et le droit dérivé ______________________________ 270
Situation - La soumission du droit dérivé au droit primaire __________________________ 271
389
Exemples jurisprudentiels tirés du contentieux sur la base juridique ________________ 271
Un principe d’interprétation conforme du droit dérivé à la lumière du droit primaire __ 271
2/ La hiérarchie entre les différentes normes de droit dérivé __________________________ 272
Situation - Comment hiérarchiser le droit dérivé européen ? ________________________ 272
Exemples de hiérarchisation matérielle _______________________________________ 272
Une tentative avortée de hiérarchisation formelle ______________________________ 273
3/ La place des sources internationales dans le système juridique de l’Union européenne ___ 273
Situation - Soumission des traités internationaux liant l’UE aux traités institutifs européens
_________________________________________________________________________ 274
Exemples dans le contentieux européen ______________________________________ 274
Situation - Soumission du droit dérivé européen aux traités liant l’UE et à la coutume
internationale ______________________________________________________________ 275
Un exemple jurisprudentiel remarqué : l’arrêt « ATAA ea » de la CJUE ______________ 275
B - Les apports et les limites d’une approche hiérarchique en droit de l’Union européenne ____ 276
Chapitre 2 – La hiérarchisation des droits et l’application du droit à différents niveaux _____ 278
Section 1 - La hiérarchisation par application du droit à un niveau : l’appel à la hiérarchie des normes 279
§ 1 - La signification propre de la hiérarchisation des droits dans un contexte de pluralisme
juridique mondial ________________________________________________________________ 279
A - La hiérarchie des normes comme outil de repli d’un système juridique sur lui-même _______ 279
Situation - Retour sur la suprématie des dispositions nationales de nature constitutionnelle
_________________________________________________________________________ 280
L’exemple (à nouveau) du droit français : les jurisprudences « Sarran et Levacher »,
« Fraisse », « loi DADVSI » __________________________________________________ 280
Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit national dans l’ordre international _______ 281
L’exemple (à nouveau) de la jurisprudence « Traitement des tribunaux nationaux polonais
de Dantzig » _____________________________________________________________ 281
Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit national dans le contexte européen (UE) __ 282
L’exemple (à nouveau) des jurisprudences « International Handelsgesellschaft » et
« Commission c/ Grand-Duché » ____________________________________________ 282
Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit européen dans le contexte international __ 283
L’exemple (à nouveau) de la sentence CIRDI AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie _ 283
Situation - La légalité du droit européen de source internationale en droit de l’Union
européenne _______________________________________________________________ 283
L’exemple de la célèbre affaire « Kadi » _______________________________________ 283
B - Les autres voies de repli des systèmes juridiques sur eux-mêmes _______________________ 285
1/ La mesure du phénomène : différenciation, autonomisation, appropriation, dédoublement,
etc. _________________________________________________________________________ 285
2/ Illustrations dans le système juridique français ___________________________________ 286
390
Situation - L’interprétation française des conventions internationales auxquelles la France est
partie _____________________________________________________________________ 287
Exemples jurisprudentiels multiples __________________________________________ 287
Situation - La réception française du droit européen (UE ou CESDHLF) ________________ 288
Quelques exemples jurisprudentiels _________________________________________ 288
Situation - L’appropriation en droit interne de notions de droit international et européen 290
L’exemple de l’ordre public : retour sur la jurisprudence « Banque Africaine de
Développement » ________________________________________________________ 290
L’exemple des principes généraux du droit : retour sur la jurisprudence « KPMG » ____ 290
Situation - Les voies procédurales du repli du système juridique français sur lui-même ___ 291
L’exemple à nouveau du caractère « prioritaire » de la question de constitutionnalité _ 291
L’exemple de l’absence de question préjudicielle _______________________________ 292
3/ Illustrations dans le système juridique de l’Union européenne _______________________ 292
Situation - Autonomisation d’un droit européen qui s’inspire du droit international______ 293
Exemples des débuts de la construction européenne à nos jours __________________ 293
Situation - Préemption du droit international par le droit européen __________________ 293
L’exemple du protocole de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires (2007)
_______________________________________________________________________ 293
Situation - Absence d’effet direct reconnu à des normes de droit international susceptibles
d’interférer avec le droit de l’Union européenne __________________________________ 295
Exemples des accords OMC, du protocole de Kyoto et de la Convention de Montego Bay
_______________________________________________________________________ 295
Situation - Dédoublement du droit international et européen _______________________ 295
Exemple des clauses de déconnexion _________________________________________ 295
§ 2- Le choix d’un niveau d’application du droit plutôt que d’un autre ______________________ 296
A - Le spectre d’un forum shopping mondial __________________________________________ 296
Situation - Contentieux international et régional des droits de l’homme et choix du forum 297
L’exemple de l’affaire « Géorgie c. Russie » ___________________________________ 297
Situation - Plusieurs juges nationaux et internationaux en matière pénale _____________ 298
Répartition judiciaire du champ répressif et choix du juge ________________________ 298
Situation - Le développement de procédures parallèles en droit économique ___________ 299
Retour sur les stratégies à fronts multiples ____________________________________ 299
Situation - Concurrence entre juridictions internationales ou régionales et conflits de
procédures ________________________________________________________________ 300
Retour sur les affaires « Usine Mox », « Ligne du Rhin de fer » et « Bosphorus » ______ 300
B - Les limites à la liberté de choix___________________________________________________ 301
1/ La présence de juridictions diversement spécialisées aux différents niveaux ____________ 301
391
Situation - Altérité des règles de procédures gouvernant les différentes juridictions aux
différents niveaux ___________________________________________________________ 302
Exemples de règles procédurales limitant la liberté de choisir son juge _____________ 302
Un cas en particulier : le contentieux de l’annulation ____________________________ 302
Situation - Altérité du droit matériel applicable devant les différentes juridictions aux
différents niveaux ___________________________________________________________ 303
Exemples pratiques de différences de droit matériel applicable limitant la liberté de choisir
son juge ________________________________________________________________ 303
Approche théorique : comparaison des méthodes de droit international public et de droit
international privé dans la désignation du droit applicable _______________________ 304
2/ L’existence de systèmes intégrés _______________________________________________ 305
Situation - De lege lata : la CJUE et les juridictions des Etats membres _________________ 305
L’exemple des contraintes pesant respectivement sur la juridiction européenne et les
juridictions nationales _____________________________________________________ 305
Situation - De lege feranda : la CJUE et la CEDH ___________________________________ 307
L’évolution des rapports entre la CEDH et la CJUE _______________________________ 307
Section 2 - La hiérarchisation par application du droit à un autre niveau : l’appel à un droit hiérarchisé 308
§ 1 - Les voies de passage d’une hiérarchie définie à un niveau à une hiérarchie définie à un autre
niveau _________________________________________________________________________ 308
A - Les voies de passage entre le niveau national et international _________________________ 308
Situation - Le passage d’une institution nationale à une institution internationale et vice versa
_________________________________________________________________________ 308
L’exemple du conflit entre un Etat et un ressortissant étranger, élevé au rang de conflit
interétatique : retour sur l’affaire « Diallo » ___________________________________ 308
L’exemple du différend arbitral international réceptionné par un ordre juridique étatique :
l’hypothèse d’une sentence confrontée à une règle d’ordre public international français
_______________________________________________________________________ 309
Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte national à une application
du droit dans le contexte international et vice versa _______________________________ 310
L’exemple d’une solution de droit national évaluée dans un contexte international : retour
sur l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD ________________________ 310
B - Les voies de passage entre le niveau national et européen ____________________________ 310
Situation - Le passage d’une institution nationale à une institution européenne et vice versa
_________________________________________________________________________ 311
L’exemple de la question préjudicielle posée à la CJUE puis réceptionnée par une
juridiction nationale : le cas de la célèbre affaire « Melki » _______________________ 311
392
L’exemple de la requête présentée devant la CEDH après épuisement des voies de recours
internes : le cas d’un contrôle de conventionnalité postérieur à une question prioritaire de
constitutionnalité ________________________________________________________ 314
Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte national à une application
du droit dans le contexte européen et vice versa __________________________________ 315
L’exemple d’une solution de droit national évaluée dans un contexte européen :
l’interprétation d’une décision du Conseil constitutionnel conforme à une jurisprudence de
la CEDH _________________________________________________________________ 315
L’exemple d’une solution de droit européen évaluée dans un contexte national : l’exemple
d’une affaire « Conseil national des barreaux » _________________________________ 315
C - Les voies de passage entre le niveau international et européen ________________________ 316
Situation - Le passage d’une institution internationale à une institution européenne et vice
versa _____________________________________________________________________ 317
L’exemple d’une situation successivement soumise à une institution internationale et
européenne et vice versa : retour sur l’affaire « Kadi » ___________________________ 317
Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte international à une
application du droit dans le contexte européen et vice versa ________________________ 318
L’exemple du différend arbitral international confronté à un ordre juridique européen :
l’exemple des jurisprudences « Eco Swiss » et « Poupardine » _____________________ 318
L’exemple d’une solution de droit européen (UE) évaluée dans un contexte international :
retour sur l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD __________________ 319
§ 2 - La référence à un droit hiérarchisé ______________________________________________ 320
A - Les hypothèses où la référence à un droit hiérarchisé est utile et nécessaire ______________ 320
Situation - Droit hiérarchisé et droit appliqué ____________________________________ 320
Exemples où le droit hiérarchisé a été, est ou sera appliqué au cas _________________ 320
Situation - Droit hiérarchisé et contrainte de circulation ____________________________ 321
Exemples où un droit hiérarchisé est soumis à une contrainte de circulation _________ 321
B - La détermination du contenu et de la nature du droit hiérarchisé ______________________ 322
Situation - L’inconstitutionnalité de la loi étrangère normalement applicable ___________ 322
Réponse de principe et difficultés théoriques et pratiques ________________________ 322
Situation - La loi étrangère arguée d’inconventionnalité devant un juge étatique ________ 324
Réponse de principe et difficultés théoriques et pratiques ________________________ 324
Situation - L’arbitre international chargé d’appliquer un droit national et la hiérarchie des
normes ___________________________________________________________________ 326
Une distinction proposée entre les contrariétés de normes supérieures et inférieures
constatées, constatables ou à constater ______________________________________ 326
Situation : Le droit national hiérarchisé devant un juge international ou européen ______ 328
L’Etat plaideur du contenu de son droit national hiérarchisé ______________________ 328
393
Situation : Le droit européen hiérarchisé devant un juge national, international ou (par
extension) devant un autre juge européen _______________________________________ 330
L’Union européenne garante du contenu du droit européen hiérarchisé ____________ 330
Situation : Le droit international éventuellement hiérarchisé devant un juge national et
européen _________________________________________________________________ 332
Le respect de l’ordre public réellement international ou du jus cogens devant une
juridiction nationale ou européenne _________________________________________ 332
FIN DU COMPRUSCRIT