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bibliolycée

Candide ou l’Optimisme Édition 2016

Voltaire

L i v r e t p é d a g o g i q u e

correspondant au livre de l’élève n° 1

établi par Isabelle de LISLE,

agrégée de Lettres modernes, professeur en lycée, et

Sylvie BEAUTHIER, agrégée de Lettres classiques, professeur en lycée

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Sommaire – 2

S O M M A I R E

B I L A N D E L E C T U R E 3

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S 6  

Chapitre I (pp. 10 à 13) ............................................................................................................................................................................. 6  Chapitre VI (pp. 31-32) ............................................................................................................................................................................ 8  Chapitre XVIII (p. 74, l. 78, à p. 75, l. 111) .............................................................................................................................................. 10  

Chapitre XIX (p. 81, l. 20, à p. 82, l. 52) ................................................................................................................................................... 13  Chapitre XXX (p. 135, l. 116, à p. 136, l. 153) .......................................................................................................................................... 17  

S U J E T S D ’ É C R I T 2 1  

Sujet 1 (pp. 174 à 178) ........................................................................................................................................................................... 21  Sujet 2 (pp. 178 à 182) ........................................................................................................................................................................... 25  

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S 2 9  

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E 3 2  

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2016. 58, rue Jean Bleuzen, CS 70007, 92178 Vanves Cedex. www.biblio-hachette.com

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Candide ou l’Optimisme – 3

B I L A N D E L E C T U R E

1. Où et quand se déroule l’action du chapitre I ?

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2. Qui est Candide et quel événement bouleverse son destin ?

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3. Qui est Pangloss et quelle est sa philosophie ?

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4. Pourquoi Pangloss a-t-il quitté la baronnie ?

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5. Qui est Cunégonde ?

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6. Quels événements se produisent à Lisbonne ?

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7. Qui est la vieille ?

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8. Qui est Cacambo ?

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9. Quel personnage Candide retrouve-t-il chez les jésuites du Paraguai ?

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10. Où se situe l’Eldorado ?

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11. Pourquoi Candide quitte-t-il l’Eldorado ?

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Bilan de lecture – 4

12. Qu’advient-il des moutons de l’Eldorado ?

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13. Dans quelles circonstances entend-on parler du négociant Vanderdendur ?

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14. Quel personnage incarne une position philosophique contraire à celle de Pangloss ?

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15. Qui est frère Giroflée ?

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16. À quel moment le personnage de Paquette apparaît-il pour la première fois ?

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17. À quelles occasions Candide retrouve-t-il Pangloss ?

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18. À quelles occasions Candide retrouve-t-il Cunégonde ?

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19. Dans quelle région se situe le dénouement du conte ?

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20. Quels sont les personnages présents dans la métairie de Candide ?

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Candide ou l’Optimisme – 5

◆ Corrigé du questionnaire de lecture 1. L’action se déroule en Vestphalie, une province de l’Allemagne. L’action n’est pas datée (puisqu’il

s’agit d’un apologue), même si certains événements (les allusions à l’actualité de l’époque) permettraient de situer le contexte entre la fin du XVIIe siècle (l’allusion au chevalier Raleigh dans le chapitre XVIII) et la moitié du XVIIIe (le tremblement de terre de Lisbonne en 1755).

2. Candide, le héros principal, est un jeune garçon doux que l’on soupçonne d’être le fils (non reconnu) de la sœur du baron de Thunder-ten-tronckh et d’un gentilhomme du voisinage.

3. Pangloss est le précepteur des enfants du baron et de Candide. Il enseigne la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Sa philosophie « optimiste » est héritée de celle de Leibniz («il n’y a point d’effet sans cause »). Il considère que, « dans ce meilleur des mondes possibles, […] tout est nécessairement pour la meilleure fin ».

4. Au début du chapitre IV, Pangloss raconte que Paquette lui a donné la syphilis et que la baronnie a été détruite par les Abares.

5. Cunégonde, âgée de 17 ans, est la fille du baron et de la baronne. Haute en couleur, fraîche et appétissante, elle devient la « raison suffisante » du jeune Candide.

6. Un tremblement de terre secoue la ville de Lisbonne ; pour prévenir une ruine totale, les sages du pays font un autodafé qui coûte la vie à un Biscayen, à deux Portugais et – semble-t-il – à Pangloss.

7. La vieille est la fille d’un pape (Urbain X) qui a connu de nombreux malheurs.

8. Cacambo est un valet, un quart d’Espagnol né d’un métis dans le Tucuman. Il a effectué toutes sortes de métiers avant de devenir un laquais.

9. Candide retrouve le fils du baron (qui est aussi le frère de Cunégonde).

10. L’Eldorado se situe au cœur de l’Amérique du Sud.

11. Candide quitte l’Eldorado parce qu’il veut retrouver Cunégonde et profiter de la fortune qu’il peut emporter hors de l’Eldorado.

12. Certains moutons de l’Eldorado meurent en route ; les derniers sont noyés lors du naufrage du vaisseau du négociant Vanderdendur (chap. XX) ; Candide récupère un mouton à cette occasion.

13. Le négociant Vanderdendur apparaît au chapitre XIX, cité par le nègre de Surinam qui est son esclave ; c’est le même négociant qui va voler Candide à la fin du chapitre et qui fera naufrage dans le chapitre XX.

14. Le philosophe Martin, choisi par Candide comme compagnon de voyage (chap. XIX), s’oppose à Pangloss.

15. Frère Giroflée est devenu, contre son gré, moine théatin à l’âge de 15 ans ; on le rencontre avec Paquette à Venise.

16. Paquette apparaît dès le début du conte, mais elle n’est pas nommée. C’est la servante avec laquelle Pangloss se livre à une « leçon de physique expérimentale » dans le chapitre I.

17. Candide retrouve Pangloss après s’être sauvé de chez les Bulgares (chap. III) ; Pangloss est pendu à la fin du chapitre VI. Candide le croit mort ; il le retrouve, ainsi que le fils du baron, sur une galère dans le chapitre XXVII.

18. À la fin du chapitre VI, la vieille vient chercher Candide et le conduit chez elle où il retrouve Cunégonde (chap. VII). Il est obligé de fuir dans le chapitre XIII, et Cunégonde reste à Buenos Aires. Il la rejoint à nouveau dans le chapitre XXIX.

19. Le dénouement du conte se situe près de Constantinople (Istanbul).

20. La métairie rassemble, autour du personnage principal (Candide), Cunégonde, la vieille, Paquette, Pangloss, Martin et frère Giroflée.

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Réponses aux questions – 6

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

C h a p i t r e I ( p p . 1 0 à 1 3 )

IL ÉTAIT UNE FOIS UN CONTE… u L’action se déroule dans un lieu à la fois réaliste (dans la réalité, la Westphalie est une province allemande) et imaginaire (le nom même de la baronnie). Il en est de même pour le cadre temporel de l’histoire : le mode de vie évoqué ressemble fort à celui que connaissent les lecteurs du XVIIIe siècle, mais le démonstratif « icelui » (le titre) renvoie à une époque médiévale, celle, peut-être, des légendes. Le monde évoqué est clos et figé ; avant le « Un jour » qui marque une rupture, il fonctionne en autarcie en respectant les règles imposées et les modèles. Ainsi, à la première lecture, on voit que Candide est un élève idéal : « Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment ». On verra de même Cunégonde fascinée par Pangloss donnant une « leçon de physique expérimentale » et « toute remplie du désir d’être savante ». La baronnie est un monde heureux, le « meilleur des mondes possibles ». Les termes mélioratifs sont très nombreux tout au long de la première partie du conte : « douces », « bon et honnête », « admirablement », « extrêmement belle », « bonheur »… Autant de caractères qui peuvent justifier l’expression « paradis terrestre » employée en ouverture du chapitre II. Une autre ressemblance avec l’épisode biblique du paradis est l’issue du passage. En effet, comme Adam et Ève du jardin d’Éden, Candide est chassé de la baronnie. Au début du chapitre II, le groupe participial (l. 1 : « Candide, chassé du paradis terrestre ») résume en très peu de mots les deux étapes de l’incipit. La baronnie est bel et bien un paradis qui servira de repère à Candide au cours de son voyage initiatique. v Le nom du personnage : alors que le baron est nommé dès la première phrase, notre personnage principal n’a qu’un surnom, comme s’il ne faisait pas partie de la baronnie. Ce surnom indique son caractère : pureté et naïveté. Notre héros est blanc (du latin candidus) : pas d’identité, pas de caractère propre. Son regard naïf sera un instrument commode au service des dénonciations. La position de Candide dans la baronnie : Candide est défini comme « un jeune garçon », alors que Cunégonde et le fils du baron sont présentés par leur position dans la famille (l. 22 et 24). Pourtant, Candide fait partie de la famille puisqu’il serait le fils naturel de la sœur du baron. Ce double statut explique que Candide puisse appartenir au petit monde de la baronnie mais aussi qu’il puisse en être chassé. Le caractère de Candide : conformément au genre du conte, le caractère du héros se définit au superlatif (« les plus douces », « le plus simple ») et de façon harmonieuse (« Sa physionomie annonçait son âme »). w Voltaire présente successivement Candide, le baron, la baronne, Cunégonde, le fils du baron et Pangloss. Les passages consacrés à Candide et à Pangloss sont particulièrement développés. Pour certains personnages (Cunégonde, la baronne), le portrait se réduit à des caractéristiques physiques. Seul celui de Candide allie portrait physique et portrait moral. On peut remarquer que les deux personnages présentés au début et à la fin du chapitre occupent, de la même manière, une position extérieure dans la baronnie. En effet, le noyau central et moteur est constitué par la famille du baron, alors que Candide n’a pas d’identité familiale reconnue et que Pangloss est un précepteur. Le baron n’a pas de prénom ; il est réduit à son statut social, comme le suggère l’emploi du verbe être (« était un des plus puissants seigneurs »). Pour montrer l’importance de la lignée, de la transmission de la noblesse, son fils lui ressemble et, dans la suite du conte, il ne sera désigné que par l’expression « le fils du baron ». La baronne est aussi simplifiée : personnage féminin, elle se caractérise par son poids (un corps) et sa fonction de maîtresse de maison. À son image, dans une logique de simplification extrême propre au conte, Cunégonde est « grasse » et « appétissante » (également un corps, un objet de désir, voire de consommation). Ce dernier adjectif, en faisant d’elle un objet de désir, esquisse l’intrigue. Pangloss est défini par sa fonction (« précepteur », « oracle », « ses leçons », « enseignait ») et par la qualité supposée de son raisonnement (« prouvait admirablement »). La matière qu’il enseigne est ambitieuse (longueur et nature métaphysique du savoir mentionné), ce qui, à la première lecture, montre ses capacités.

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Candide ou l’Optimisme – 7

x La situation initiale, présentée jusqu’à la ligne 52, est close et figée. En effet, la baronnie, centrée sur le personnage du baron (« ils riaient quand il faisait des contes »), n’a pas de relation avec l’extérieur. Le paysage se définit entièrement par rapport au château : « le vicaire du village était son grand aumônier ». La géographie est, en somme, concentrique, et le centre définit les règles immuables concernant les relations des personnages entre eux : la sœur du baron ne pourra pas épouser le « bon et honnête gentilhomme du voisinage » et le jeune Candide doit écouter avec une confiance aveugle son précepteur. La première partie est statique et consiste en la présentation d’un monde figé ; le temps dominant est l’imparfait. L’indice temporel « Un jour » introduit une rupture dans le chapitre. Avec « Un jour », la temporalité fait son apparition ; une nouveauté – la découverte de la sensualité par Cunégonde puis par Candide – brise l’harmonie du petit « paradis terrestre » de la baronnie. Le désir est source d’action : c’est la fin de l’Éden. L’arrivée du passé simple marque l’introduction d’une chronologie dans le conte. Ainsi, la première partie du chapitre décrit un équilibre figé, apparemment présenté comme idéal, alors que la seconde partie, beaucoup plus brève, introduit un déséquilibre, une rupture qui va jeter le personnage hors du chapitre, hors de la baronnie, dans un monde à découvrir et à comprendre. y La tournure impersonnelle liminaire « Il y avait » rappelle le « Il était une fois » du conte traditionnel – ce qui pose le genre dès l’ouverture du récit. En outre, le cadre spatio-temporel défini dans la première phrase peut être celui d’un conte : le pays lointain, le château, le temps passé indéfini souligné par l’emploi de l’imparfait. Le superlatif relatif (« le meilleur », « le plus beau »…) est récurrent dans le chapitre. Cette construction appartient au langage des contes et souligne le caractère idéal du monde présenté. Mais l’accumulation relève de la parodie du genre et devient un instrument au service de la satire. Voltaire reprend les marques du conte traditionnel pour s’en moquer et les détourner afin de servir la critique de l’aristocratie et du dogmatisme.

UN CONTE PHILOSOPHIQUE : UNE CRITIQUE DE L’ARISTOCRATIE ET DU DOGMATISME U On peut relever : « monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh », « monsieur le baron », « un des plus puissants seigneurs de Vestphalie », « Monseigneur », « monseigneur le baron ». Au XVIIIe siècle, le titre de baron est dévalorisé ; les appellations ci-dessus en paraissent alors ridicules car décalées. Dans la bouche des habitants du village, le titre de « Monseigneur » s’apparente à de la flatterie, comme le suggère la proposition coordonnée « et ils riaient quand il faisait des contes » ; sous la plume de Voltaire, ces désignations font penser tout d’abord à un style indirect libre (la baronnie est vue par les yeux du jeune Candide). Mais l’accumulation des titres dans le chapitre a aussi une efficacité critique. Voltaire se moque des prétentions de la noblesse, d’autant plus qu’elles ne correspondent à aucune puissance réelle. Le baron est, en effet, sans fortune (on mange du porc toute l’année) ; cependant, les traditions garantissent son pouvoir : les villageois et le précepteur le flattent. V Dans le premier paragraphe, avec l’épisode des « soixante et onze quartiers » de noblesse, Voltaire critique les règles strictes et vides de l’aristocratie. En effet, la rigidité du système porte atteinte au mérite puisque la jeune fille ne pourra pas, finalement, épouser le « bon et honnête gentilhomme du voisinage ». Voltaire dénonce l’absurdité d’un code qui ne peut pas s’adapter aux situations particulières (un arbre généalogique « perdu par l’injure du temps ») et affirme ses prérogatives sans se soucier des personnes. On pourra aussi se pencher sur le démonstratif « icelui » figurant dans le titre. Voltaire applique au monde aristocratique un terme démodé pour montrer combien il est dépassé. La puissance nobiliaire appartient à la société médiévale dans laquelle elle trouve ses justifications (le seigneur possède l’épée et le château qui protègent). Au XVIIIe siècle, selon Voltaire, cette puissance a perdu son fondement ; les privilèges sont anachroniques, et la puissance de la noblesse illusoire. W La puissance du baron repose paradoxalement sur des éléments très ordinaires : « une porte et des fenêtres », « une tapisserie », des « basses-cours », des « palefreniers », « le vicaire du village ». Après avoir posé la puissance du personnage au début du paragraphe, Voltaire relève des éléments des plus communs. La puissance du baron ne s’appuie que sur la tradition suggérée par le titre de noblesse : « Ils l’appelaient tous Monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes. » Dans cette phrase qui achève le paragraphe, le « et » prend une valeur logique forte, de sorte que le lecteur comprend bien que l’admiration dont le baron est l’objet ne repose que sur un titre et non sur des qualités réelles. On retrouve le même procédé avec la baronne dans le troisième paragraphe : « Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande considération. »

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Réponses aux questions – 8

X On retrouve, dans le discours de Pangloss, les marques du raisonnement philosophique : les connecteurs logiques (« tout étant […] tout est nécessairement », « et », « aussi », « Par conséquent »), le vocabulaire de la démonstration (« prouvait », « Il est démontré », « ceux qui ont avancé que »), le vocabulaire philosophique (« effet », « cause », « fin »). La progression du discours relève aussi de la démonstration : idée, exemples et, en guise de conclusion, reprise de l’idée démontrée. at Pangloss est ridiculisé dans sa présentation par la matière enseignée (l’effet de chute du dernier terme qui rappelle les nigauds) et les hyperboles (« oracle », « admirablement », « meilleur des mondes possibles », « le plus beau des châteaux », « la meilleure des baronnes possibles »). On retrouve, tout au long du chapitre, l’emploi d’un vocabulaire philosophique souvent déplacé : « Il concluait », « le second degré », « une leçon de physique expérimentale »… Le ridicule de son discours tient au fait que l’absurdité d’un raisonnement pris à l’envers (« les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi avons-nous des lunettes ») permet de transformer un malheur (la mauvaise vision) en avantage (les lunettes). À la fin du paragraphe, la conjonction de coordination « et », souvent employée avec une forte valeur logique dans le discours, permet un rapprochement comique qu’une assonance vient renforcer : « le plus grand baron […] et les cochons […] ». La construction de la dernière phrase, dont la première partie véhicule la pensée critique de Voltaire (« ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise »), joue sur un effet de surprise qui contribue à rendre ridicule le discours philosophique. Dans ce discours rapporté, Voltaire s’en prend également à une philosophie opportuniste qui met ses compétences au service de qui veut bien la financer. C’est ainsi que l’on peut comprendre la démonstration de Pangloss : « le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux, et madame la meilleure des baronnes possibles ». ak Voltaire dénonce l’optimisme de Leibniz en faisant de Pangloss son défenseur. Les hyperboles, la « nigologie » enseignée, les propos destinés à flatter plus qu’à raisonner discréditent cette vision du monde. En outre, en voulant montrer que tout est pour le mieux, Pangloss est amené à exposer les insuffisances de l’homme, sa vue basse, la nécessité de se vêtir… À la fin du chapitre, le héros est injustement chassé – ce qui constitue le premier d’une série de malheurs contredisant la conception optimiste. Voltaire s’en prend également au dogmatisme en faisant de Pangloss (dont le nom signifie « toutes les langues ») un personnage qui ne prend pas en compte la réalité mais n’hésite pas à la plier aux dimensions de sa théorie : « les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi avons-nous des lunettes ».

C h a p i t r e V I ( p p . 3 1 - 3 2 )

UNE TERRIBLE CÉRÉMONIE u On peut relever : « orna », « en procession », « sermon très pathétique », « belle musique en faux-bourdon », « en cadence, pendant qu’on chantait ». Le vocabulaire est nettement mélioratif, mais on comprend vite que Voltaire veut, au contraire, nous faire partager son indignation face à ce genre de pratique. v D’abord, la cérémonie est désacralisée : Voltaire, en effet, ne présente que les détails matériels (procession, musique, costumes). La dimension artificielle est renforcée par les indications concernant les tenues des personnages : « mitres de papier », « peints de flammes ». Le sens de la cérémonie n’est pas donné, et les acteurs s’effacent derrière un « on » collectif et de nombreuses tournures passives sans complément d’agent. On a l’impression que seuls subsistent, sous la plume de Voltaire, des gestes, des mouvements, des sons et des images dépourvus de signification. En outre, l’horreur est présentée de manière légère. Le vocabulaire employé est mélioratif (« belle musique », « chantait », « cadence »…) et ne se rapporte pas au champ lexical de la torture ou de l’exécution capitale. Ainsi le bûcher est-il évoqué avec des termes de cuisine : « brûlées à petit feu ».

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Candide ou l’Optimisme – 9

Pour éviter de désigner crûment la réalité de l’emprisonnement, Voltaire a recours à la périphrase « des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil ». Cette périphrase est également un euphémisme. Bien que le sermon soit présenté comme « très pathétique », on ne peut que remarquer l’absence de tout appel à l’émotion et de tout jugement de valeur explicite dans le texte. Cette neutralité, en décalage avec la dimension tragique de l’événement, relève aussi de l’humour et contribue à susciter l’indignation du lecteur. w Le principal procédé qui relève de l’ironie est l’antiphrase. Ainsi, le « bel auto-da-fé » est à prendre à l’envers, tout comme les « sages du pays ». L’ironie est accentuée par le rapprochement de termes contradictoires : « ruine totale » / « bel auto-da-fé » ; « petit feu » / « grande cérémonie » ; « un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler » / « Le même jour, la terre trembla de nouveau dans un fracas épouvantable ». Les procédés de décalage (absurde) ou d’atténuation (humour) qui concourent à renverser l’éloge de l’autodafé en jouant sur l’implicite relèvent également de l’écriture ironique au sens large.

LES CIBLES DE LA PLUME VOLTAIRIENNE x Le chapitre est centré sur l’épisode de l’autodafé qui, en lui-même, est déjà une sérieuse atteinte à la théorie de l’optimisme, car les victimes innocentes y sont nombreuses. En effet, Voltaire ne se contente pas de Candide et de Pangloss, mais présente trois autres condamnés : le Biscayen et les deux Portugais. À ces quatre morts (si l’on considère que Pangloss a trépassé) s’ajoutent les victimes des deux tremblements de terre. Le début du chapitre nous rappelle ce qui s’est passé dans le chapitre V, et la cérémonie est suivie d’une nouvelle secousse « épouvantable ». À la fin du passage, le discours intérieur de Candide rappelle au lecteur d’autres morts tout aussi abominables : la noyade de Jacques et le décès supposé de Cunégonde. Le lecteur est d’autant plus choqué que ces deux personnages sont présentés au superlatif : « le meilleur des hommes », « la perle des filles ». Par le biais du retour en arrière et du discours récapitulatif, Voltaire multiplie le nombre de malheurs et rejette, de cette manière, la théorie de l’optimisme. y Les personnages collectifs : « les sages du pays » et « l’université de Coïmbre » rassemblent des personnages indifférenciés, anonymes. Face aux cinq condamnés, Voltaire oppose une foule sans visage, qu’il s’agisse des autorités religieuses et intellectuelles ou des acteurs de la cérémonie. Le pronom personnel « on » à valeur indéfinie est souvent employé pour représenter ce collectif volontairement estompé : « On avait […] saisi », « on vint lier », « on orna », « on chantait ». Les personnages individualisés : Candide et Pangloss (le personnage éponyme et son précepteur), tous deux présents dans le chapitre I, se détachent nettement. Ils sont désignés par leur nom spécifique, alors que les trois autres condamnés sont davantage présentés comme les représentants d’une communauté : un Biscayen et deux Portugais. Ces trois personnages sont cependant individualisés (« un », « deux » ; différence de crime et de châtiment). On note que les personnages collectifs et anonymes sont les responsables et les acteurs de la cérémonie. Les victimes, elles, sont individualisées. C’est justement parce qu’elles sont singulières et différentes (religion, origine) qu’elles sont les victimes désignées, comme le montre René Girard dans La Violence et le Sacré (voir aussi le corpus, p. 177). La justice est présentée comme une démonstration de force et de cohésion sociale. U Les constructions passives sont nombreuses dans le récit des châtiments : « tous deux furent menés », « la mitre et le san-benito de Candide étaient peints », « Candide fut fessé », « le Biscayen et les deux hommes […] furent brûlés, et Pangloss fut pendu ». Ces constructions sont dépourvues de complément d’agent – ce qui permet d’effacer le visage des bourreaux, mais aussi de partager la responsabilité des actes. Ces tournures passives rejoignent l’emploi du « on » : cette cérémonie rappelle les sacrifices primitifs (René Girard). Voltaire accuse les pratiques religieuses de n’être que des actes primitifs, dont la responsabilité est diluée (absence de complément d’agent ou présence d’un « on »), masquée et innocentée par la voix d’une institution à laquelle tous adhèrent. V Les troisième et quatrième paragraphes s’ouvrent tous les deux sur une phrase déroulant une longue énumération d’adjectifs se rapportant à Candide. L’accumulation a une valeur d’hyperbole. Dans le premier cas, l’énumération accentue la détresse de Candide en additionnant des adjectifs exprimant ce désarroi. L’allitération en t et p, ainsi que la répétition de « tout » et de la voyelle nasalisée

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Réponses aux questions – 10

an viennent renforcer l’hyperbole et inscrire le passage dans le genre de la parodie du roman d’aventures. Il s’agit aussi de porter atteinte à l’optimisme et aux pratiques religieuses en soulignant les souffrances du personnage. La seconde énumération fonctionne de la même manière et relève également de la parodie du romanesque. On y lit aussi une critique de la religion, puisque le participe « fessé » est mis sur le même plan que les trois autres participes qui appartiennent, eux, au langage de la religion. Cette association étonnante discrédite le pardon (« absous », « béni ») en lui associant le châtiment (de surcroît, un châtiment pour enfant ou pervers). La religion catholique s’en trouve privée de toute dimension spirituelle. W Dans le premier paragraphe, Voltaire désigne clairement les autorités intellectuelles et religieuses : « les sages du pays », « l’université de Coïmbre ». Ces autorités sont incapables de donner une réponse à la question du Mal ; aussi n’ont-elles « pas trouvé un moyen plus efficace » que ce « spectacle » de l’autodafé qui rappelle les jeux du cirque (munus dare populo). Incompétentes, elles sont prisonnières de leurs rites (les diables, les flammes, les griffes, la cadence…), à la manière des païens. Voltaire s’en prend à l’obscurantisme des docteurs du catholicisme et des institutions judiciaires. Voltaire vise précisément ici l’Inquisition, mais sans doute plus généralement toutes les autorités religieuses et intellectuelles (la confusion de l’intellectuel et du religieux caractérise Coïmbre et inquiète sans doute Voltaire), qui, ne pouvant résoudre les questions philosophiques d’importance comme celle de l’existence du Mal, se réfugient dans des dogmes stériles. Le pouvoir abusif des institutions religieuses est également dénoncé, puisqu’il aboutit ici à des châtiments aussi injustes qu’inefficaces. X La description détaillée de la cérémonie insiste sur le règne des apparences. Voltaire décrit les costumes des personnages sans en donner la signification. Les flammes sont droites ou renversées, les diables portent ou non des griffes. On ne sait pas ce que cela signifie ; on devine simplement que le costume de Candide signale que son crime est moins grave que celui de Pangloss. Les rites religieux sont réduits à des signes vides ; la religion est à l’image des « mitres de papier » : une institution dénuée de signification, de dimension spirituelle. Voltaire a la prudence de s’en prendre à une institution qui a sévi par le passé mais qui ne se manifeste plus guère dans la France du XVIIIe siècle. Le lecteur comprend que ce sont toutes les cérémonies religieuses qui sont visées ici implicitement.

L’INJUSTICE DU SORT at et ak La photographie renvoie au début du chapitre V, plus précisément à l’épisode de la noyade du « bon Jacques », victime de la tempête. C’est donc une illustration du mal métaphysique que Voltaire dénonçait déjà dans son Poème sur le désastre de Lisbonne (1756). Alors qu’il courait au secours de son agresseur, l’anabaptiste est bien mal récompensé et précipité dans la mer « à la vue du matelot, qui le laissa périr sans daigner le regarder ». La méchanceté du marin illustre également le mal moral dont l’homme est responsable. L’injustice du sort (Jacques se noie et le marin est sauvé) est surtout un démenti à la Providence. Pour Voltaire, croire que Dieu veille sur le destin des hommes n’aboutit qu’à d’amères désillusions. La mise en scène insiste précisément sur les jeux de regards, sur les gestes qui révèlent la cruelle trahison de l’homme de bien, mais elle dédramatise aussi le passage en ajoutant une dimension burlesque inspirée de la comédie italienne.

C h a p i t r e X V I I I ( p . 7 4 , l . 7 8 , à p . 7 5 , l . 1 1 1 )

UN MONDE IDÉAL ? u L’arrivée de Candide et de son valet Cacambo à la Cour est grandiose. On relève une gradation dans l’accueil qui leur est réservé, soulignée par le rythme alerte du récit au passé simple. À leur descente du carrosse, ils sont, en effet, reçus par « la garde », escortés par des « officiers » et des « officières » ; puis une haie d’honneur de « musiciens » leur permet de rencontrer le roi dans « la salle du trône ». Au fur et à mesure qu’ils approchent du monarque, l’ampleur de l’escorte s’accroît.

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Candide ou l’Optimisme – 11

Le temps principal du récit est le passé simple ; exprimant une action limitée dans le temps, il permet de traduire un enchaînement dynamique d’actions. La progression chronologique, avec ses marqueurs temporels (« après quoi », « quand »), se double ici d’une progression spatiale, tandis qu’interviennent d’autres sources d’évolution dynamique : le récit, imitant la souplesse du réel, est, en effet, enrichi de discours indirect (« Cacambo demanda […] comment ») puis direct (« L’usage, dit le grand officier »). v Les images du luxe concernent : – les matériaux exceptionnels, supérieurs à l’« or » et aux « pierreries » utilisés pour la construction du portail ; – le raffinement des costumes (comme dans les contes, le raffinement des costumes dont les hôtes sont revêtus est remarquable : « robes d’un tissu de duvet de colibri ») ; – la richesse des éléments urbains (au sortir du palais, « on leur fit voir la ville » : les deux voyageurs ébahis découvrent la richesse des éléments urbains). La description de la ville en focalisation interne nous permet de suivre leur regard admiratif devant les « marchés ornés de mille colonnes », les luxueuses « fontaines », les « grandes places » pavées de « pierreries ». Tout se passe comme si un paradis terrestre s’offrait à leurs yeux émerveillés. w La ville est décrite comme un lieu d’abondance connoté par le pluriel, les nombreuses fontaines dispensatrices de douceur. Cette impression d’abondance miraculeuse est confirmée par l’étude de la structure phrastique des lignes 99 à 105, avec son jeu de relances et d’expansions, l’anaphore du mot « fontaines » et la succession des relatives. La symbolique de l’« eau pure » fait aussi allusion à la pureté du paradis. Quant aux sonorités, elles traduisent cet infini jaillissement : les allitérations en gutturales et en dentales évoquent le murmure continuel des fontaines. Un effet de synesthésie (mélange harmonieux des sens) est enfin rendu dans la mesure où, en Eldorado, tous les sens sont comblés : les sens auditif (« qui coulaient »), olfactif (« une odeur »), visuel (« pierreries ») et gustatif (« liqueurs de canne à sucre »). Le climat d’abondance permet une plénitude sensorielle. x L’utopie est un mirage qui échappe à la réalité. Les chapitres XVII et XVIII constituent, au centre du conte, une parenthèse coupée du Mal déployé dans le reste du récit. Petit monde clos et inaccessible, si l’on considère les embûches exposées au début du chapitre XVII, l’Eldorado est clairement présenté comme « le pays où tout va bien », par opposition au monde où tout va mal. La veine réaliste et cruelle s’interrompt pour céder la place à la fiction et au merveilleux, dans la pure tradition du conte. Après un difficile périple qui ressemble à un rite initiatique permettant de passer d’un lieu profane à un lieu sacré, Candide et son valet pénètrent, au chapitre XVII, dans un pays d’apparence merveilleuse : l’Eldorado (un pays fabuleux imaginé au XVIe siècle par les conquistadores, habité par les Incas et situé entre l’Amazone et l’Orénoque). Un vieillard leur a expliqué le déisme et leur a apprêté un carrosse à six moutons pour les conduire à la cour du roi. Suivant la mode des utopies, Voltaire reprend les caractéristiques du genre : le pays de rêve est coupé du reste du monde et tout s’y présente sur le mode du mélioratif et de l’hyperbole. La présentation esthétique de la ville la transforme en un jardin paradisiaque où les arbres sont des colonnes et où sont réintroduites toutes les senteurs naturelles. La perfection des relations humaines vient couronner cet idéal. Le rituel de l’hospitalité antique se retrouve dans la générosité de l’accueil des deux étrangers. La beauté des habitants correspond à la bonté des gouvernants. L’entente entre les citoyens et l’absence de mal renvoient à une société de perfection. Il y a donc beaucoup à admirer dans l’Eldorado, trop sans doute pour le prendre pour le meilleur des mondes possibles. L’utopie a ses limites et devient parodie sous la plume de Voltaire.

UNE PARODIE DU MERVEILLEUX y Il convient de déceler les dissonances, les intrusions ironiques qui font de cette évocation idéale une parodie. On repère des excès du merveilleux, une forme de surenchère de détails féeriques qui, à elle seule, a un fort pouvoir d’alerte. La parodie se manifeste par : – des invraisemblances : l’attelage avec les « six moutons » volants en guise de fiers destriers, le tissu de duvet de colibri, les fontaines parfumées et les pierres odoriférantes (c’en est trop !) ; – le gigantisme : les indications chiffrées surabondent – et quels chiffres ! Nos voyageurs admirent un portail « de deux cent vingt pieds de haut et de cent de large », « deux files chacune de deux mille

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Réponses aux questions – 12

musiciens », des « marchés ornés de mille colonnes », « une galerie de deux mille pas ». Les hyperboles s’accumulent : « supériorité prodigieuse », « grands officiers » et « grandes officières », « jusqu’aux nues ». Voltaire, en exagérant les traits, se moque des utopies à la mode et des récits de voyages dans lesquels fleurit le mythe du bon sauvage. Au XVIIIe siècle, l’Encyclopédie refuse de considérer l’existence de ce pays qui appartient plutôt au domaine des mythes. U Le narrateur se détache de ses personnages ou plutôt utilise leur regard naïf : est soulignée l’absence d’esprit critique de Candide qui ne s’étonne guère devant les séductions de l’Eldorado. Les paroles de Cacambo sont, quant à elles, tournées en dérision. On pourra étudier le discours indirect très encombré du personnage avec ses subordonnées en cascade, avec son rythme ternaire (« si on se jetait », « si on mettait », si on léchait ») compliqué d’un rythme binaire (« à genoux ou ventre à terre », « sur la tête ou sur le derrière »). Le vocabulaire familier assorti d’homéotéleutes, les références à un formalisme absurde font sourire. Le comique de gestes n’est pas absent de la scène, puisque « Candide et Cacambo sautèrent au cou de sa majesté ». V Le narrateur invite le lecteur à regarder l’Eldorado avec plus de discernement. Sa présence confirme l’intention parodique et se remarque : – implicitement, par l’effet d’insistance ironique « selon l’usage ordinaire », les redondances plaisantes et le néologisme « les grands officiers et les grandes officières » ; – explicitement, avec, au début de notre passage, l’aveu d’une inadéquation de la parole et de la raison avec les merveilles rencontrées (« il est impossible d’exprimer »). La connivence avec le lecteur est marquée par l’intrusion du présent d’énonciation dans le récit au passé simple et par le pronom « on » (« on voit assez ») relayé par le pronom « nous » (« nous nommons ») associant auteur et lecteur, à la différence du premier « on » qui désigne les voyageurs dans le cadre du récit (« on arriva »).

UNE IMAGE INVERSÉE DE LA RÉALITÉ W Si l’utopie est un mirage, elle a, bien sûr, une fonction critique. En matière politique, on repère sans doute, dans l’Eldorado, une structure pyramidale avec, au sommet, le roi (« Sa Majesté »), mais il s’agit d’une monarchie libérale, avec un monarque tolérant qui accepte à sa table, sans discrimination sociale, le maître et son valet (« les pria poliment à dîner »). L’adverbe en dit long sur l’absence de préjugés et la simplicité de ce roi proche de ses sujets. Son palais est d’ailleurs situé « à un bout de la capitale » et non, comme pour Louis XIV, dans le lointain Versailles. Avec l’usage « d’embrasser le roi et de le baiser des deux côtés » est plaisamment dénoncée l’étiquette absolutiste en vigueur à la Cour. Le souverain, ici, réclame des marques d’affection, non d’inféodation ou de soumission humiliante, comme les révérences ridiculisées par le discours de Cacambo. Ce monarque sensible et paternel tient du despote éclairé, cher aux philosophes des Lumières. X En matière sociale, l’Eldorado est un lieu de paix et d’urbanité. Les références au système judiciaire (« cour de justice », « plaidait », « prison ») servent à démontrer leur inutilité lorsque règne un climat de paix sociale. Le tour négatif catégorique « on ne plaidait jamais » souligne cette inutilité. L’absence de « Parlement » renvoie, en creux, aux privilèges de l’Ancien Régime absents de l’Eldorado. L’analyse est simple. S’il n’y a ni Cour ni prison, c’est qu’il n’y a ni délinquant ni criminel. Les besoins des habitants étant comblés, l’envie ne saurait exister, ni ses corollaires que sont le vol et le crime. Voltaire prend ici le contre-pied de la maxime latine (qu’on trouve notamment chez Plaute) reprise par Hobbes, « L’homme est un loup pour l’homme », et affirme le rôle salvateur du bien-être matériel. L’Eldorado est un lieu d’urbanité. En latin, l’urbanitas désigne les qualités acquises en société, et notamment la politesse, les égards réciproques. Le roi respecte les étrangers et avec affabilité les reçoit à sa table. Les habitants eux-mêmes sont extrêmement courtois et ouverts aux autres. Tout naturellement, « on leur [fait] voir la ville ». Au sein de la société d’Eldorado règnent, de surcroît, la tolérance et l’égalité des conditions et des sexes. On reçoit avec les mêmes égards le maître et son valet. « Les grandes officières » côtoient « les grands officiers ». La musique, à l’honneur en Eldorado, confirme d’ailleurs l’impression d’harmonie que dégage cet idéal d’urbanité en tous points opposé aux tensions sociales du siècle de Voltaire. at Une utopie urbaine nous est présentée dans cet extrait, en contraste avec l’épisode précédent chez les Oreillons, qui parodiait l’état de nature.

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L’urbanisme de l’Eldorado procède d’une volonté politique délibérée. Candide et Cacambo découvrent, en premier lieu, « les édifices publics », sans doute parce que l’intérêt public l’emporte dans cette société sur les particularismes individuels. Outre les critères esthétiques, « marchés » et « fontaines » obéissent à des critères d’utilité assurant les besoins vitaux de la population. On retrouve ici le pragmatisme d’un État-Providence qui pourvoit aux besoins de chacun. Si la ville reflète le luxe et le raffinement, ces derniers s’associent à l’ingéniosité technique. Car le luxe n’est pas une fin en soi : il stimule l’inventivité, l’industrie et l’économie. (C’est ainsi que Voltaire a créé, à Ferney, une fabrique de bas de soie.) Avec cette présentation esthétique de la capitale, nous sommes loin des descriptions réalistes du Paris contemporain. La beauté et le raffinement de la ville fictive soulignent l’inconfort des grandes villes dans la réalité. Au XVIIIe siècle, l’augmentation de la population urbaine est considérable. Paris inquiète, Paris effraie. La capitale est comparée à un ventre qui rejette ses ordures. Les rues y sont sombres, étroites, malsaines, et les constructions anarchiques. Rousseau, découvrant Paris, évoque dans ses Confessions, un « secret dégoût ». Par le biais de l’utopie, Voltaire propose un projet de société où s’expriment, d’une manière non systématique, quelques-uns de ses idéaux. Il serait intéressant d’esquisser une comparaison avec l’utopie des Gangarides dans La Princesse de Babylone. La valeur chère aux Lumières illustrée par la ville est celle du progrès. La ville associe, en effet, les arts et la technique aux sciences pures ou expérimentales. « Le palais des sciences », avec les « instruments de mathématique et de physique », apparaît comme un nouveau temple dédié à la raison, qui enchante Candide, comme le soulignent les relatives cumulées « ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir ». On remarque aussi la mise en valeur par le présentatif « ce fut » de ce sanctuaire de la connaissance qui constitue l’apogée de la visite. L’étonnement de Candide et la présentation hyperbolique suggèrent que le progrès n’est pas le fait des gouvernements du temps de Voltaire. ak Le tableau raconte une scène biblique tout en évoquant le monde que connaît le peintre : chantier de construction, port, ville, costumes des personnages au premier plan, notamment le commanditaire. On pourrait se croire dans une ville européenne à la Renaissance. Le mythe est un prétexte pour représenter une époque, voire une situation politique (qui est le commanditaire ?). De la même manière, Voltaire a recours au mythe (l’Eldorado reprend une utopie déjà présente chez Platon, dans Utopia de Thomas More et dans l’abbaye de Thélème de François Rabelais) pour donner une image de son temps : le chapitre XVIII met en scène les valeurs des Lumières. al Dans la toile de Brueghel, plus que les artisans simplement engagés, c’est le commanditaire qui fait preuve d’une soif de pouvoir déraisonnable. S’agirait-il ici d’un avertissement adressé à l’Espagne qui souhaite dominer l’Europe à cette époque-là ? ou, plus généralement, aux personnages politiques qui rivalisent d’ambitions ? Dans le récit de Voltaire, ce sont Candide et Cacambo qui, ne pouvant se contenter raisonnablement du bonheur tranquille que leur offre l’Eldorado, vont souhaiter le quitter pour être plus riches que tous les rois réunis. L’amour de Cunégonde mais aussi la soif de pouvoir et de richesses sont à l’origine du départ de nos deux personnages et des aventures qu’ils vont connaître par la suite. Les deux artistes semblent se rejoindre pour dénoncer les ambitions déraisonnables et l’orgueil des hommes.

C h a p i t r e X I X ( p . 8 1 , l . 2 0 , à p . 8 2 , l . 5 2 )

L’ART DE LA MISE EN SCÈNE u Ce passage constitue une sorte de parenthèse car, tout d’abord, il marque un arrêt dans la progression de Candide. En effet, ayant quitté l’Eldorado et en route pour le Surinam (la Guyane hollandaise), il s’arrête en chemin (« en approchant de la ville »), pour cette rencontre qui n’est qu’une halte dans son itinéraire. Le personnage du nègre, au centre du passage, n’apparaît d’ailleurs qu’à ce moment du récit ; il n’en sera plus question ensuite. Et la dernière phrase de l’épisode ferme la parenthèse en reprenant le trajet de Candide là où il s’était interrompu : « il entra dans Surinam ».

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Réponses aux questions – 14

Si le passage fonctionne comme une parenthèse, il n’est cependant pas totalement coupé du reste du conte. La présence de Candide joue, comme dans d’autres chapitres, son rôle fédérateur, et le personnage de Cacambo assure la cohésion des chapitres XIV à XIX. L’allusion finale à Pangloss est un élément récurrent du conte. Elle assure l’unité de l’œuvre malgré la dispersion des personnages chassés du paradis terrestre de la baronnie (chap. I). Le détour de l’apologue permet de persuader et de convaincre. Il s’agit, en effet, de mettre en relief une étape essentielle dans l’initiation du héros. À la manière d’un apologue, le récit nous dépayse, avec la mention de Surinam, colonie hollandaise située en Amérique du Sud et connue pour ses plantations de canne à sucre (« sucreries »), et l’allusion à « la côte de Guinée », pays d’Afrique dont l’esclave est originaire. Le choc brutal de la rencontre entre le nègre humilié, mutilé, à terre et Candide qui l’interroge peut figurer la rencontre allégorique de la souffrance et de l’ignorance, le porte-parole lucide des opprimés affrontant le naïf représentant des Européens. La visée démonstrative de la scène est, enfin, la dénonciation du scandale de l’esclavage qui aboutit à la remise en cause de l’optimisme de Pangloss. v Le discours de l’esclave reprend la tonalité neutre du récit initial, alors que Candide vient de manifester son émotion (« mon Dieu ! », « état horrible », « mon ami »). Le ton est celui de la résignation : le nègre a accepté son sort, et son discours a le ton d’un texte informatif à visée objective. Tout d’abord, la proposition minimale « c’est l’usage » exprime cette passivité du personnage. Ensuite, on relève peu de marques d’émotion ou de sentiment dans le discours ; bien au contraire, la froide raison préside à la progression du discours. Ainsi, un raisonnement logique répond à la question indignée de Candide (« traité ainsi ») : l’esclave présente une situation générale (pronoms personnels « nous » et « on ») et l’applique ensuite à son cas particulier (« je me suis trouvé dans les deux cas »). À la fin du discours, l’objectivité est également exprimée par un raisonnement balisé par les connecteurs logiques « mais » et « or ». L’esclave crée, de cette manière, une distance ; il n’exprime pas ce qu’il ressent mais raisonne et situe son propre cas dans un contexte économique qui le dépasse. En effet, tous les aspects du commerce triangulaire sont présentés froidement, sans que le nègre s’apitoie sur l’injustice de son sort.

UN PLAIDOYER EFFICACE w Les protagonistes évoluent au cours du passage. La courtoisie, le naturel, la qualité de leur échange favorisent l’adhésion du lecteur aux points de vue exprimés. Au début du passage, Candide, avec l’interjection « Eh ! mon Dieu » et l’apostrophe « mon ami », fait preuve d’une sollicitude émue. L’expression traduit la compassion et affirme l’égalité naturelle entre les hommes. Par ces mots, Candide restaure la dignité bafouée de l’esclave. À la fin du passage, plus de question, mais une affirmation violente au futur de détermination : celle du renoncement à l’optimisme de Pangloss. Le nègre devient « son nègre », l’adjectif possessif témoignant d’une sympathie accrue et d’une nouvelle proximité, et non d’une quelconque idée de possession négrière. Le nègre évolue aussi, passant de la résignation passive (« c’est l’usage », « j’attends mon maitre ») à une approche plus critique de sa situation. S’il s’élève au-dessus de son cas particulier en se faisant le porte-parole de tous les esclaves (« nous »), s’il manie le paradoxe et l’ironie, quelques soupirs aussi lui échappent : une discrète interjection (« hélas »), un adjectif hyperbolique (« horrible ») qui lui permet d’ailleurs de rejoindre le mot par lequel Candide avait d’emblée caractérisé son état. Cette double évolution rend la scène plus authentique et facilite une éventuelle identification du lecteur aux personnages. x Au-delà de l’apparente neutralité, la force démonstrative du récit repose sur l’efficacité de la présentation. Pour persuader le lecteur, l’auteur construit habilement le passage et joue sur les effets de symétrie : – symétrie dans l’énonciation : deux récits encadrent le discours avec un chiasme temporel (passé simple/imparfait, imparfait/passé simple). Le discours du nègre est encadré par des passages dialogués qui le mettent en valeur. Un écho entre le début et la fin permet de créer un intervalle spatio-temporel et d’isoler la rencontre ; – symétrie dans le début de la réponse de l’esclave : on note la reprise systématique des trois points du récit qui avaient éveillé la pitié de Candide (« le caleçon », « la jambe gauche », « la main droite »). Mais l’ordre de la découverte est réorganisé dans un crescendo qui permet de conclure que le pire est la mutilation de la jambe qui, suite à une tentative de fugue, prive l’esclave de toute liberté.

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Candide ou l’Optimisme – 15

La parole domine le passage et s’insère dans le récit, lui donnant vie et vérité. Au dialogue de Candide et du nègre succède le discours de l’esclave lui-même interrompu par les propos jadis tenus par la mère, avec un effet d’emboîtement des discours. La mère se fait l’écho d’un terrible passé qui pèse sur la situation actuelle. Et cette voix ajoutée, créant une temporalité élargie, est un gage supplémentaire de persuasion. y L’humour est aussi un instrument de persuasion. On peut relever : – la création du nom-portrait « Vanderdendur » avec ses allitérations en dentales et l’antiphrase « fameux » qui renvoie à une réputation fondée sur la cruauté ; – un jeu de mots sur la polysémie du mot « fortune », à la fois matérielle et morale, qui reflète toute l’ambiguïté du discours de la mère ; – le mot « fétiches », qui désigne les objets du culte ou les prêtres ; on peut déceler ici une intention malicieuse de Voltaire qui assimile la religion à la superstition. Le sourire n’est donc pas absent du passage. Mais l’ironie, dans un processus de dénonciation, est une arme plus efficace que l’humour. L’ironie ne repose pas toujours sur l’antiphrase mais sur un effet de décalage, ici entre la neutralité du discours du nègre et l’horreur de son état : – l. 8 à 13 : son explication d’allure objective est au présent de vérité générale ; la phrase, avec une allure mécanique (noter l’anaphore de « quand », le balancement des pronoms « nous »/« on »), juxtapose les informations. C’est une manière implicite de reproduire l’enchaînement aveugle des châtiments corporels. Cette banalisation crée, chez le lecteur, un surcroît d’émotion, d’autant que le constat débouche sur une conclusion scandaleuse et un nouveau décalage : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. » La gourmandise du lecteur occidental se paie d’une jambe et d’une main ; – l. 20 et sq. : le nègre prend au pied de la lettre le discours chrétien et fait éclater la contradiction entre la théorie générale et les pratiques scandaleuses. L’esclavage contredit la notion chrétienne de « fraternité ».

LES CIBLES DE LA CRITIQUE U La description de l’esclave est, à elle seule, une dénonciation. Le passage s’ouvre sur une vision d’ensemble et s’attache à la position du personnage : « étendu par terre ». Ensuite, le portrait se précise : éléments physiques (« la jambe gauche et la main droite »), détails quant à la nature, la matière et la couleur de son vêtement (« caleçon », « toile bleue »), quantité (« la moitié ») ; la locution « c’est-à-dire » exprime cette volonté d’approfondir la description. Voltaire souligne la cohérence du portrait en insistant sur les parallélismes : « n’ayant plus que » / « il manquait » ; « la moitié de son habit » / « la jambe gauche et la main droite ». Le nègre a perdu son intégrité. La description précise et cohérente donne une impression d’objectivité, la froide minutie étant perçue comme un souci de vérité. Cette neutralité est en décalage avec l’« état horrible » de l’esclave et a pour fonction de faire réagir le lecteur. Le traitement infligé à l’esclave est dégradant et vise à nier la personne dans sa dignité. Tout est présenté sur le mode de l’amputation. À travers ce cas particulier, les esclaves apparaissent victimes de mutilations : – une mutilation physique qui correspond à la cruelle amputation du nègre (« la jambe gauche et la main droite ») : on doit voir là une application du Code noir (1685) édicté par Colbert. Ce code protégeait les esclaves en tant que « biens meubles » qu’il ne fallait pas détériorer, mais l’esclave fugitif avait « le jarret coupé », et, en cas d’accident, pour éviter la gangrène, le maître pouvait faire le choix de couper la main de l’esclave ; – une mutilation sociale : le nègre est tout entier défini comme la propriété de son maître. Il n’a pas de nom propre, ni même de langue, puisque Candide s’adresse à lui en hollandais. On repère une double privation d’identité pour ces hommes assimilés à des « chiens », des « singes » et des « perroquets ». Les esclaves sont devenus des caricatures d’humanité, assimilés aux animaux domestiqués. On retrouve en eux la fidélité servile du chien et le mimétisme gestuel et verbal des autres espèces ; – une mutilation spirituelle : « converti » par les pasteurs hollandais, le nègre est aussi dépossédé de ses racines religieuses. V Au cours du XVIIIe siècle, plus de 7 millions d’Africains auraient traversé de force l’Atlantique. Le discours de l’esclave évoque le commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe.

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Réponses aux questions – 16

Dans son article intitulé « Traite des nègres », publié dans l’Encyclopédie, le médecin et philosophe Louis de Jaucourt explique que le commerce d’Afrique consiste en « l’achat des nègres que font les Européens sur les côtes d’Afrique, pour employer ces malheureux dans leurs colonies en qualité d’esclaves. Cet achat de nègres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine. » Acheté en Guinée, le nègre de Surinam a été vendu en Amérique du Sud comme esclave à un exploitant de canne à sucre, et il précise ironiquement : « c’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. » Avec l’argent de la vente des esclaves, les Européens se fournissent, en effet, en produits exotiques (café, sucre). Voltaire crée ici un contraste saisissant entre le traitement des esclaves et la finalité de l’esclavage. Montesquieu, dans « De l’esclavage des nègres » (De l’esprit des lois, XV, 5), maniant la seule ironie et ne prenant pas le détour de la fiction, rappelle les mêmes faits : « Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres. » Et il ajoute, sur le même registre : « Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par les esclaves. » L’Europe est bien présentée, là encore, comme l’univers de la consommation et du profit. W Les registres pathétique et ironique s’allient en raison du décalage entre l’optimisme de la mère, exprimé par un vocabulaire mélioratif, et la réalité horrible de l’esclavage. Le discours de la mère renverse les valeurs : être esclave devient un honneur, alors que c’est un déshonneur. Les liens les plus sacrés sont dénaturés par l’argent, comme le prouve l’attitude de la mère, et le lecteur ressent un malaise devant la perversité de ce système qui exploite la fragilité et la naïveté humaines. Sont dénoncés les marchands qui trompent les familles noires par leurs mensonges (« Tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère ») et leurs promesses fallacieuses (« Ils te feront vivre heureux »). La mère de l’esclave s’est faite le relais de l’oppression des colons, moins sans doute pour le maigre profit qu’elle en tire (« 10 écus patagons ») que par crédulité. On a, ici, un exemple de corruption naturelle avec cette mère endoctrinée par le trafiquant d’esclaves. Et le discours direct met en relief la trahison contre nature. X Le fondement de l’esclavage est économique, mais Voltaire dénonce aussi la bonne conscience de la société européenne qui envoie des missionnaires pour évangéliser les esclaves. À travers le discours de l’esclave, Voltaire s’en prend à la religion qui cautionne et conforte l’esclavage. L’emploi de la périphrase « les fétiches hollandais qui m’ont converti » pour désigner les prêtres dévalorise l’institution religieuse, d’autant que le terme « fétiches » a déjà été utilisé en rapport avec la religion primitive de l’esclave. À la fin du discours du nègre, un syllogisme (raisonnement logique à deux propositions – prémisses – conduisant à une conclusion) met en avant l’hypocrisie de la religion : « nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs », donc « nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière moins horrible ». Par ce raisonnement paradoxal, il montre que ce que l’Église prêche est en désaccord avec la réalité. Il s’agit d’une illusion consolatrice qui détourne les esclaves de la révolte. La critique de la religion est récurrente dans Candide : elle était une des finalités du passage consacré à l’autodafé (chap. VI) ; plus tard, le fils du baron étant devenu jésuite, les critiques sociale et religieuse vont se renforcer l’une l’autre, tandis que le lecteur se souviendra d’avoir rencontré, dans le pays de l’Eldorado, une société déiste qu’aucune institution religieuse et qu’aucun dogmatisme ne venait réglementer. at Candide déduit de « cette abomination » que le monde n’est pas aussi beau que l’affirme Pangloss. Cacambo vient renforcer la critique finale de l’optimisme en demandant à Candide ce qu’est l’optimisme et en obtenant de sa part une définition dans laquelle l’opposition entre « tout est bien » et « on est mal » rend la notion absurde. Pour la première fois dans le conte, Candide rejette les enseignements de son maître Pangloss et fait preuve de pessimisme. Le verdict des faits, le scandale du mal moral, a eu raison de la métaphysique leibnizienne caricaturée par Pangloss.

RAPPEL • 1642 Louis XIII autorise la traite et l’esclavage dans les colonies françaises. • 1794 La Convention abolit l’esclavage dans les colonies françaises. • 1802 Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage. • 1815 Napoléon Bonaparte (devenu Napoléon Ier) décrète l’abolition de la traite.

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Candide ou l’Optimisme – 17

• 1833 La Grande-Bretagne abolit l’esclavage, et, en France, les mutilations et les marques infligées aux esclaves rebelles sont supprimées.

• 1848 Le 27 avril, sous l’impulsion de Victor Schœlcher, un décret du gouvernement provisoire de la IIe République abolit l’esclavage dans toutes les colonies.

• 1863 L’esclavage est aboli dans les colonies hollandaises de Surinam et Curaçao. • 1865 L’esclavage est aboli aux États-Unis. • 2001 Le gouvernement français, par la loi mémorielle du 21 mai, reconnaît la traite et l’esclavage en

tant que crime contre l’humanité.

C h a p i t r e X X X ( p . 1 3 5 , l . 1 1 6 , à p . 1 3 6 , l . 1 5 3 )

LA CONCLUSION DU RÉCIT u La conclusion est composée de deux étapes, correspondant aux deux derniers paragraphes construits de la même manière. En effet, dans les deux cas, on peut relever d’abord les marques du récit, puis celles du dialogue (guillemets et tirets, propositions incises, marques de l’énonciation). • Première partie du diptyque (l. 116 à 137) : 1. Récit du retour à la métairie présenté comme une conséquence de la rencontre du « bon vieillard » (l. 116 à 119). 2. Long discours de Pangloss constitué principalement d’une énumération (l. 120 à 131). 3. Interruption de Candide (réplique brève) qui demande de cultiver le jardin (l. 131-132). • Seconde partie du diptyque (l. 138 à 153) : 1. Récit des activités des personnages présentées comme une conséquence de la réflexion de Candide (l. 138 à 144). 2. Long discours de Pangloss constitué principalement d’une énumération (l. 144 à 152). 3. Interruption de Candide (même réplique brève) qui demande de cultiver le jardin (l. 152-153). Le second paragraphe reprend la construction du premier en introduisant quelques variations significatives qui indiquent la progression du dénouement : le temps se dissout, le personnage principal a le dernier mot. • Première partie du diptyque : – Les actions évoquées au passé simple suivent (« en retournant dans sa métairie ») la rencontre du « bon vieillard ». Les propos de Candide et le discours de Pangloss sont situés dans le temps. – Seuls sont mentionnés Candide, Pangloss et Martin. – Candide raisonne encore, puisque c’est lui qui lance le discours de Pangloss (l. 116 à 119 : « ce bon vieillard me paraît […] souper »). – L’interruption de Candide est suivie d’une réponse de Pangloss (l. 132 : « Vous avez raison ») et d’un commentaire de Martin. • Seconde partie du diptyque : – Le récit n’est pas délimité dans le temps. Certes, Voltaire emploie des passés simples qui expriment des actions définies, mais, ici, seul le début des actions est précisé (« entra dans ce louable dessein », « se mit », « devint [Cunégonde et frère Giroflée] ») ; il s’agit plus de présenter un nouvel ordre des choses que de raconter véritablement. D’ailleurs, les passés simples n’expriment pas des actions qui se suivent, comme au début du premier paragraphe, mais plutôt des situations concomitantes et itératives. – Tous les personnages de « la petite société » sont évoqués : Candide et Pangloss, Cunégonde, Paquette, la vieille et frère Giroflée. – De même, le discours de Pangloss n’est pas situé précisément dans le temps ; il se répète (l. 144 : « Pangloss disait quelquefois à Candide »). – Candide ne raisonne plus. – L’interruption de Candide n’est suivie d’aucun commentaire. C’est le personnage éponyme qui a le mot de la fin. v On peut relever, au début de chacun des deux derniers paragraphes (toujours ce parallélisme de la construction qui marque le rythme de la conclusion), des expressions qui ferment et réduisent l’espace.

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Réponses aux questions – 18

Le préfixe du verbe retourner (l. 116 : « en retournant ») dessine une boucle, et l’adjectif qualificatif « petite », répété dans la seconde partie, insiste sur la réduction de l’univers du conte. On peut citer également les termes « métairie » et « jardin ». D’ailleurs, au début du chapitre, la métairie est présentée comme un monde arrêté et clos par rapport à l’espace ouvert du voyage : « on voyait souvent passer sous les fenêtres de la métairie des bateaux ». Les vaisseaux, qui rappellent l’errance des personnages, passent, alors que ces derniers restent. Cette image annonce le dénouement d’un récit de voyage. w Voltaire, en écrivant son « petit roman » sans prétention, demeure homme de théâtre : – la longue énumération des malheurs dressée par Pangloss dans son dernier discours n’est pas sans évoquer la catastrophe des tragédies ; – le dénouement des comédies est heureux et l’on peut relever, ici, les marques de la prospérité de la métairie ; – dans la comédie, les jeunes gens finissent par se marier en venant à bout (d’une manière ou d’une autre) de l’opposition parentale : ici, le fils du baron, s’obstinant à interdire le mariage de Cunégonde et Candide, est chassé de la métairie ; Candide épouse bien Cunégonde ; – les dernières scènes des comédies rassemblent l’ensemble des personnages de la pièce : dans Candide, les habitants de la baronnie et les compagnons du héros éponyme se trouvent réunis dans « la petite société » ; – le conte s’achève sur un dialogue : le mot de la fin n’est pas sans rappeler la dernière réplique des Fourberies de Scapin (réplique brève) ou de Dom Juan (longue réplique récapitulative). x La dernière réplique de Pangloss se présente comme un résumé du voyage de Candide. Chaque terme de l’énumération renvoie précisément à une péripétie du conte. Ce récapitulatif annonce la fin car il rassemble tout ce qui a été développé avant d’apporter une conclusion. y Le chapitre XXX conclut bien un récit d’apprentissage car Candide a évolué. Tout d’abord, Candide est capable d’agir et de faire fonctionner la métairie : « Toute la petite société entra dans ce louable dessein » (l. 132). Le déterminant démonstratif « ce » assure la liaison entre la formule de Candide et le fonctionnement de la communauté. Notre héros est bien l’instigateur du mode de vie qui permet à tous de trouver un équilibre. En outre, notre héros a acquis une autonomie de pensée ; il n’est plus le disciple de Pangloss et se montre capable de faire taire le philosophe. Lorsque Pangloss dit : « Vous avez raison » (l. 132), on se demande même si les rôles (maître/élève) ne sont pas inversés ou plutôt renversés car Candide ne prétend pas donner de leçon, bien qu’il ait acquis un savoir : le « Je sais » qui interrompt le « Vous savez » (l. 131) rhétorique de Pangloss doit prendre toute sa signification. En effet, à la parole vide de sens se substitue une réelle connaissance, un savoir qui fait taire tout prétendu savoir. Après avoir consulté le derviche et le « bon vieillard » au cours du chapitre, Candide n’a plus besoin de l’avis des autres. C’est lui, enfin, qui donne la morale du récit d’apprentissage et prononce les derniers mots. U Le début du chapitre XXX met l’accent sur la dégradation des personnages. Bien qu’ils se soient miraculeusement (comme dans un conte ou un récit picaresque) retrouvés, on ne peut pas parler de « fin heureuse » ; bien loin de mener « la vie du monde la plus agréable » (l. 20), ils sont tous malheureux.

• Les personnages qui ont évolué

Au début du dernier paragraphe, Voltaire présente les différents membres de « la petite société ». Cette évocation est un écho de l’ouverture du chapitre XXX ; à la fin de leur voyage, les personnages sont peints de manière négative, malgré l’attente du lecteur (l. 16 : « Il était tout naturel d’imaginer ») : « acariâtre », « insupportable », « infirme », « mauvaise humeur »… Cacambo, présenté comme un homme à tout faire très attaché à son maître au début du chapitre XIV, est « excédé de travail » et il « maud[it] sa destinée ». Un peu plus loin, on apprend que Paquette et frère Giroflée arrivent dans un état d’« extrême misère ». La jeune et « fraîche » Cunégonde de la baronnie est « laide » et « acariâtre ». De même, la « mauvaise humeur » de la vieille évoquée au début du chapitre XXX est une dégradation par rapport à l’énergie positive qui a caractérisé son personnage tout au long du récit. Le dernier paragraphe du chapitre marque un ultime basculement, et la présentation négative des premières pages devient méliorative : Cunégonde est une « excellente pâtissière », Paquette « brod[e] », la vieille a « soin du linge », frère Giroflée « [rend] service ». L’emploi répété du verbe devenir exprime cette évolution. On rejoint alors la tonalité finale des contes et des récits d’aventures : il s’agit de parodier les fins heureuses mais aussi d’illustrer l’expression « exercer ses talents » qui éclaire la leçon philosophique.

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Candide ou l’Optimisme – 19

• Les personnages qui n’ont pas évolué Les deux philosophes qui ont accompagné Candide au cours de son voyage, Pangloss et Martin, n’ont pas évolué, à la différence des autres personnages. C’est ce que l’on constate à la fin du premier paragraphe pour Martin et dans les deux étapes de l’extrait pour Pangloss. En effet, Martin continue de voir dans la réalité l’illustration de sa théorie pessimiste et ramène tout à sa philosophie : « c’est le seul moyen de rendre la vie supportable ». En laissant Martin conclure l’avant-dernier paragraphe, Voltaire montre que sa vision du monde n’est pas très éloignée de celle de son personnage, même s’il lui reproche son dogmatisme. Quant à Pangloss, il continue de raisonner comme dans le premier chapitre et de penser vivre dans « le meilleur des mondes possibles » ; c’est ce qui ressort de son allusion au jardin d’Éden. • Des parodies de raisonnement Les deux discours de Pangloss sont, comme dans l’incipit, deux parodies de raisonnement que l’on pourra étudier : • Les marques du discours philosophique : – les articles définis pluriels permettant la généralisation (« les grandeurs », « les événements »…) ; – le présent de vérité générale ; – les connecteurs logiques (« car », « si »…) ; – la place des exemples. • Les marques de la parodie : – la longueur des énumérations : la liste des rois fonctionne comme une mécanique emballée ; – le décalage entre les souffrances des personnages (cinq longues subordonnées hypothétiques) et « les cédrats confits » (une principale brève) dans le second discours. V On retrouve bien les caractéristiques des contes et des récits d’aventures : le mariage du héros et de la femme qu’il a recherchée tout au long du récit, la place dominante du personnage éponyme (la métairie lui appartient), le vocabulaire mélioratif relatif aux protagonistes (« louable », « excellente », « honnête »). Cependant, ces traits positifs sont détournés. En effet, Candide n’épouse Cunégonde que pour contrarier le fils du baron. Certes, il domine mais il ne s’agit que d’une métairie. Quant au vocabulaire mélioratif, il ne nous fait pas oublier l’état déplorable des différents personnages ; Voltaire ne manque pas d’ailleurs de nous rappeler que Cunégonde est « à la vérité bien laide ».

LA CONCLUSION D’UN CONTE PHILOSOPHIQUE W Le chapitre XXX se lit en partie à la lumière du premier chapitre. • La métairie ressemble à la baronnie : on y retrouve les mêmes personnages et le monde est clos ; c’est un univers heureux, si l’on pense que « la petite terre rapport[e] beaucoup » et que chacun est capable d’y « exercer ses talents » ; c’est aussi un univers sans désir, occupé seulement de se maintenir en l’état – ce qui était également le cas dans le chapitre I avant que Pangloss ne donne sa « leçon de physique expérimentale ». On retrouve cette absence de désir, source de stabilité, dans l’Eldorado. • La métairie s’oppose à la baronnie : Candide, chassé du paradis du chapitre I, chasse à son tour le fils du baron ; le début du chapitre XXX est un écho de la fin du chapitre I (construction en chiasme) ; si la baronnie s’organisait autour du baron, la métairie, elle, fonctionne grâce à Candide ; enfin, la baronnie était un monde de privilèges, d’illusions et de prétentions, alors que la métairie repose sur le travail et le talent de chacun, sans aucune considération pour les codes sociaux. Le sens du conte est à lire dans ce rapprochement. En effet, la solution de Candide, dans le chapitre XXX, permet de retrouver l’équilibre initial mais en le fondant, cette fois-ci, sur la réalité et sur la vérité. Ce n’est pas en se leurrant mais en dépassant les difficultés du réel que l’on peut espérer être heureux. Sans doute peut-on lire dans cette perspective l’expression « à la vérité bien laide », qui introduit les nouvelles qualités de Cunégonde. X Les deux paragraphes de conclusion sont précédés de deux rencontres déterminantes : celle du derviche et celle du « bon vieillard ». Les choix de Candide, à la toute fin du conte, montrent qu’il a tiré leçon de ces deux rencontres. • La rencontre avec le derviche : le religieux, expliquant que nous n’avons pas accès aux projets de Dieu (la métaphore du bateau de Sa Seigneurie), refuse de débattre de métaphysique. La solution est de se taire, et il claque sa porte à Pangloss qui n’a pas compris. Candide, lorsqu’il coupe la parole à Pangloss, applique la leçon du derviche. Martin va dans le même sens : « Travaillons sans raisonner. »

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Réponses aux questions – 20

• La rencontre avec le « bon vieillard » : après avoir approché le religieux peu amène, nos philosophes font la connaissance d’un vieillard qui vit heureux de son travail et qui profite de son jardin sans se préoccuper de ce qui se passe à l’extérieur. On retrouve, dans la conclusion, le travail, le jardin, le bonheur et même le « cédrat confit ». at Candide prononce cette phrase en réponse à Pangloss et, avant tout, pour le faire taire. Le derviche a expliqué que les hommes ne peuvent comprendre les projets de Dieu et qu’il est donc inutile d’en débattre. Il l’a souligné en claquant sa porte. Candide, en imposant le silence à son ancien précepteur, agit de même. Ici, Voltaire oppose l’action suggérée par le verbe cultiver au verbiage creux et stérile du philosophe. L’action primant sur la réflexion, le conte cesse puisqu’il est, à sa manière, une forme de réflexion. Le titre du chapitre était trompeur, parodique sans doute. Voltaire rejette toute forme de « conclusion », de leçon définitive. Si Pangloss continue de parler (« disait quelquefois »), Candide, lui, décide de se taire ; Voltaire aussi : le conte s’achève ici. ak C’est pour appliquer le « louable dessein » tracé par la maxime de Candide que les différents personnages se mettent à « exercer leur talent ». Chacun d’eux travaille selon ses aptitudes et ses qualités. Dans le contexte du XVIIIe siècle, la répartition des travaux selon les sexes ne nous surprend pas. Cunégonde est exemplaire : elle qui était, dans le chapitre I, « appétissante » devient une « excellente pâtissière ». Le clin d’œil est amusant ; il est aussi significatif. Alors que les personnages étaient de mauvaise humeur au début du chapitre, ils parviennent à vivre dans une harmonie que suggère l’expression « petite société ». On remarque alors que la place de chacun dans cette société est liée non pas à un rang dû à la naissance, mais à un talent exercé au service de la communauté. al La maxime de conclusion invite à différentes lectures qui ne s’excluent nullement : – Rappelons les physiocrates et l’implication de Voltaire dans l’aménagement de Ferney. On peut alors prendre le terme cultiver dans son sens premier et y voir une allusion à la place de l’agriculture. En s’appliquant, en travaillant de manière rationnelle (le rôle de chacun étant bien défini), la métairie prospère. La mise en valeur raisonnée des terres est dans l’air du temps en 1757. Voltaire suit le mouvement ; mais peut-être s’en moque-t-il également ? – Le jardin évoque un monde clos, réduit, dont on tire parti du mieux possible. La morale de Candide se fait l’écho du mode de vie du bon vieillard. Le jardin diffère de la nature ; il est une nature dominée, civilisée. Voltaire n’emprunte pas le chemin de Rousseau. – On pensera aussi au jardin d’Éden, fermé sur lui-même à condition de ne pas goûter au fruit de l’arbre de la connaissance, mais aussi au jardin d’Épicure et à l’ataraxie. – Le déterminant possessif « notre » suppose un partage des tâches, un bonheur trouvé dans un équilibre tel celui atteint par les habitants de la petite métairie. Mais cette solution collective ne tient que parce qu’elle repose sur des choix individuels. Candide et Martin travaillent la terre mais Cunégonde cuisine, tandis que la vieille prend soin du linge. On retrouve ici la parabole des talents. – Selon le bon vieillard, le bonheur s’obtient en travaillant ; le verbe cultiver – et ses déclinaisons comme broder ou prendre soin du linge – va dans ce sens. Il s’agit aussi de vivre dans la réalité (« Cunégonde était à la vérité bien laide ») et de la dépasser par le travail. – N’oublions pas, en dernier lieu, que, dans les deux paragraphes, la maxime est destinée à faire taire Pangloss : le travail en société pour l’amélioration du bien commun prime sur les vaines spéculations.

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S U J E T S D ’ É C R I T

S u j e t 1 ( p p . 1 7 4 à 1 7 8 )

◆ Question préliminaire Pistes de réflexion : • Le corpus : Les auteurs des trois premiers textes du corpus racontent un sacrifice ; le dernier propose une analyse de cette pratique : – Voltaire et Michel Tournier nous montrent un sacrifice ritualisé, inscrit dans une pratique sociale où les victimes ne sont pas consentantes. Chez Malraux, au contraire, il s’agit d’une démarche personnelle et volontaire. – René Girard explique le mécanisme victimaire (texte D) tel que nous le voyons mis en scène dans les récits de Voltaire et de Michel Tournier. • Démarche : On pourra partir du texte D pour comprendre les sacrifices ritualisés et distinguer le sacrifice volontaire (christique) de Katow (texte B).

Le sacrifice ritualisé – « Un état de désordre extrême » (texte D) : il s’agit du tremblement de terre dans Candide et d’une épidémie ou de la sècheresse chez Michel Tournier. – « La violence unanime se déclenche » : on pourra étudier le champ lexical de la violence et celui de la mort dans les textes A et C. Cette violence est collective : la tribu est réunie sur l’île de Robinson (texte C) ; les bourreaux sont anonymes et solidaires chez Voltaire, comme le suggèrent les tournures passives sans complément d’agent et l’emploi récurrent du pronom personnel indéfini « on ». La violence a une vertu « réconciliatrice » selon René Girard. • On remarquera que, dans les deux textes narratifs, rien n’indique que les victimes aient commis un délit. Il s’agit juste de trouver un coupable susceptible de fédérer une société en « crise ».

Le sacrifice volontaire Chez Malraux, le sacrifice de Katow est un acte volontaire qui permet d’opposer la liberté et la dignité humaine à la cruauté inhumaine de la situation. Les révolutionnaires sont condamnés à mourir de façon barbare, et le sacrifice du cyanure donne le dernier mot aux valeurs humanistes. Dans son livre Je vois Satan tomber comme l’éclair, René Girard montre que le christianisme (le Christ est une victime volontaire) interrompt la logique des rites sacrificiels. On retrouve cette rupture dans le texte de Malraux : le don de la mort, dépassant celui de la vie, se charge d’une force christique qui dénonce la violence inhérente à la société.

◆ Commentaire

Introduction Dans La Condition humaine, qui a été couronné du Prix Goncourt en 1933, Malraux met en scène l’insurrection de Shanghai de mars à avril 1927. Malgré les premiers succès, le soulèvement populaire est anéanti par les troupes de Tchang Kaï-Chek, impitoyable envers ses anciens alliés. L’extrait de la sixième partie constitue la fin tragique du roman. Dans un préau d’école, 200 communistes blessés attendent une mort horrible : ils seront brûlés vifs dans la chaudière d’une locomotive. Après la mort de Kyo, le chef de l’insurrection qui a absorbé son cyanure, son camarade Katow se retrouve seul. Comment se détache, dans ce passage, la grandeur du personnage ? À la faveur d’un tableau pathétique d’une grande intensité dramatique, nous étudierons la transfiguration de Katow.

1. Un tableau pathétique La scène nous offre tout d’abord un tableau pathétique. Dans un décor sinistre sont, en effet, évoquées la déchéance humaine et la solitude.

A. Un décor sinistre • En admirateur de Rembrandt, Malraux peint une scène nocturne. Le lexique de l’obscurité est très présent (« la nuit », « impossible de voir qui que ce fût », « sans rien voir », « l’obscurité »). Cependant,

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Sujets d’écrit – 22

dans cette obscurité, se produit un jeu de lumière angoissant autour du fanal éclairant les gardes : « Les gardes masquaient la lumière qui les entourait d’une auréole trouble. » • Le fond sonore ajoute au malaise. Le silence est, en effet, troublé par le « sifflet perdu dans la nuit », « ce sifflet atroce » comme la nuit. Les allitérations en sifflantes ajoutent à la terreur et font de ce sifflet un signe prémonitoire, voire une métonymie de la mort.

B. Une évocation de la déchéance • L’évocation de la déchéance vient renforcer le pathétique. Les condamnés sont réduits à leurs corps. La récurrence du terme est frappante (l. 2, 16, 17, 26 et 31). • Nous voyons des corps anonymes et anéantis. Indéfinis et chiffrés, ils sont réduits à des synecdoques : « deux voix », « deux corps », deux mains. Ils sont fragmentés dans un tragique processus de régression qui dérive même jusqu’à l’abstraction avec l’évocation de « cette pauvre fraternité sans visage, presque sans vraie voix ». On remarque qu’à la perte de la vision correspond une présence accrue de l’ouïe et du toucher, avec la voix, avec la main surtout qui tente d’établir un contact entre ces hommes, au-delà du discours. • Les hommes du préau, ces corps fragmentés, sont condamnés à une déchéance solitaire.

C. Une évocation de la solitude • La solitude de Katow reflète celle de chacun de ces hommes. Il est seul car Kyo, « son ami », est mort et les deux autres sont « épouvantés ». Il n’y a pas d’échappatoire. L’anadiplose de l’adjectif « seul » et même sa triple récurrence sont des procédés d’insistance pathétique. • Toutefois, on n’en reste pas à cette évocation d’un désespoir passif aux résonances pascaliennes avec ces hommes jetés dans la nuit d’un cachot, le dos au mur, attendant la mort.

2. Une grande intensité dramatique Cette scène est aussi intensément dramatique grâce à divers procédés.

A. Le jeu des points de vue • Le point de vue de Katow est déterminant. En focalisation interne, Katow nous livre ses impressions que nous partageons : « N’allaient-ils pas bouger ? » ; « avoir donné cela pour que cet idiot le perdît ». Le déictique souligné par l’italique nous renvoie à la perception de Katow et accentue son indignation. Nous partageons ici les tourments de Katow par le biais du style indirect libre. • Ailleurs, par la médiation du narrateur extérieur, nous pénétrons l’état d’esprit du personnage, sa conscience torturée : « La peur luttait en lui », « Il avait renoncé à tout », « Une colère sans limites montait en lui ». • Le lecteur assiste enfin à une focalisation hybride avec de fréquentes interventions du narrateur omniscient qui transforme l’épisode en apologue. On note la parenthèse au présent de vérité générale qui traduit l’intrusion du narrateur : « tous les chuchotements se ressemblent ». Mais, surtout, il nous livre la portée de la scène, sa vision du héros : « Mais un homme pouvait être plus fort que cette solitude. » Autant de manières de solliciter le lecteur.

B. La sobriété de l’écriture • La sobriété de l’écriture est aussi un facteur de dramatisation. Pour dire l’indicible horreur, on remarque le refus du pathos. De nombreux verbes d’action au passé simple jalonnent le récit et en soulignent les « moments forts » : « il ouvrit à son tour la boucle de sa ceinture », « il brisa le cyanure en deux », « il attendit », « il entendit » (avec un effet de paronomase). On perçoit des échos lancinants : « sans doute cherchaient-ils entre eux », « ils cherchèrent », « il cherchait lui aussi »… Les phrases sont courtes, simples, voire minimales (« voix à peine altérées »). • Interrompant le récit, les phrases de discours nous retiennent. Un dialogue sobre et efficace est mis en place. La tension affleure, avec une prise de parole réduite à l’essentiel : « C’est perdu, tombé ». Se confondent alors le tour posé et maîtrisé de Katow usant d’impératifs (« pose », « prends ») et le tour inquiet du langage parlé des jeunes Chinois (« pas pu tenir »).

C. La construction même de l’épisode La construction ternaire de l’épisode contribue enfin à sa force dramatique. On repère trois phases qui renvoient à une tragédie : – L’exposition nous livre le combat intérieur de Katow, le dilemme auquel il est confronté : le sens du sacrifice l’emportera-t-il sur la peur du supplice ? Pas plus que Kyo, Katow n’est un surhomme, mais il passe outre. Sa solitude est transcendée : « je vais vous donner mon cyanure ».

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Candide ou l’Optimisme – 23

– Le coup de théâtre correspond à la perte capitale de la capsule, une catastrophe qui rend vain le sacrifice. – Le nœud de l’action consiste en la reconquête de la fraternité. – Le dénouement est marqué par la capsule retrouvée (« voilà ») et par l’accession au salut (« Ô résurrection »). Cette scène dramatique – on le voit – met en relief l’héroïsme du protagoniste.

3. L’apothéose de Katow La grandeur de Katow repose sur son geste héroïque et fraternel.

A. Un geste héroïque Ce geste du don témoigne d’une victoire sur soi. Le don du cyanure est évoqué par une périphrase emphatique au superlatif. Katow a lutté « contre la plus terrible tentation de sa vie ». Il a finalement cédé à l’appel de la charité. Katow va au-devant de la torture sciemment ; il fait « ce don de plus que sa vie » en offrant aux deux Chinois la délivrance de la douleur.

B. Un geste christique ? • Ce geste héroïque n’est-il pas un geste christique ? Le lexique religieux est présent dans le texte (« don », « résurrection »), tout comme les références au Nouveau Testament. On pourrait aisément reconnaître, dans ce partage de la pastille, l’image du Christ rompant le pain lors de la Cène où il institue l’Eucharistie. Mais surtout Katow entreprend ici de souffrir à la place des deux jeunes gens et renouvelle, à sa manière, le sacrifice du Christ. À sa manière, car le mythe chrétien est inversé : le cyanure permet la mort, l’hostie est source de vie. • Notons toutefois qu’à l’heure du sacrifice, Katow reste un homme. Il n’est pas un saint car il désire que son sacrifice soit reconnu par Souen – ce qui contraste avec le caractère sublime de son geste et ajoute une touche d’humanité au passage.

C. Un geste de fraternité Ainsi, le don de Katow nous apparaît moins comme un geste sauveur que comme un geste d’humaine fraternité. « À la limite des larmes », Katow est « pris par cette pauvre fraternité sans visage ». Notons l’expression paradoxale « Résurrection » puisqu’il s’agit de mort, mais résurrection parce que cette mort est moins atroce et surtout fraternelle, et signifie l’espoir en la fraternité humaine et la dignité retrouvée. Pour symboliser ce salut par la fraternité qui donne un sens à la vie s’il ne fait pas échapper à la mort, Malraux choisit la main, la main qu’on donne, cherche, serre, les mains unies, crispées, non seulement synecdoques des prisonniers mais gages de fraternité et véritables acteurs du passage.

Conclusion Le texte nous offre un nouveau regard sur l’histoire. Au-delà de l’issue tragique de la révolte, nous découvrons l’histoire des consciences et le parcours d’un héros. Katow, avatar laïque du Christ, a réussi à dépasser la fatalité avec « ce don de plus que la vie ». Par son sacrifice, niant l’absurdité de la condition humaine, il a fondé une nouvelle valeur libératrice, la fraternité, et restauré l’Homme dans sa dignité. Ajoutons que la mort de Kyo et celle de Katow constituent un diptyque qui permet à Malraux d’évoquer les formes les plus nobles des deux civilisations pour nier le tragique de la mort. Kyo, l’Eurasien, meurt en guerrier, en samouraï. Katow, le Russe occidental, meurt en martyr qui fait don à son prochain de sa douleur.

◆ Dissertation La question appelle un plan dialectique.

1. Les œuvres d’art contribuent à dénoncer la violence

A. L’existence même de la censure dans les régimes autoritaires montre bien que les œuvres d’art sont considérées comme subversives • Voltaire dénonçant les lettres de cachet : publications anonymes. • Les poèmes de la Résistance qui incitent à combattre le régime nazi et circulent sous le manteau ; la déportation du poète Robert Desnos.

B. La littérature invite à prendre de la hauteur, de la distance, pour mieux réfléchir • La transposition dans le monde des animaux : « Les Animaux malades de la peste » et le sacrifice de l’Âne innocent. • Le registre ironique des chapitres III et VI de Candide.

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C. L’œuvre d’art nous touche • Le registre pathétique en littérature : la violence morale exercée contre Claude Gueux (Victor Hugo), les évocations de la Première Guerre mondiale (Cris de Laurent Gaudé), le récit autobiographique de Primo Levi. • Le réalisme bouleversant : Tres de Mayo de Goya. • Le jeu des couleurs : La Guerre de Chagall. • La dislocation en peinture : Guernica de Picasso.

2. L’efficacité des œuvres d’art est limitée

A. La fiction risque de nous écarter de la réalité • Pris par l’histoire fictive, nous oublions que le message de l’auteur concerne la réalité. La leçon est diluée dans la narration. • Que retient-on de Candide ? des Fables de La Fontaine ? • Le spectateur de Rhinocéros d’Eugène Ionesco comprend-il que la pièce dénonce un régime qui broie les libertés individuelles et impose à tous le même barrissement ? • La Liste de Schindler : ne risque-t-on pas d’oublier le contexte pour s’attacher à des destins particuliers et à leur grandeur ?

B. L’émotion esthétique risque de nous faire oublier la finalité de l’œuvre • La portée d’une œuvre d’art dépasse les circonstances de sa composition, et l’on est plus touché par les qualités esthétiques que par le contexte évoqué : que retient-on, au fond, de films tels que L’Adieu aux armes ou Autant en emporte le vent ? pense-t-on à la guerre d’Espagne en regardant Guernica ? • La Pietà de Michel-Ange exprime et dénonce la violence infligée au Christ : on la contemple en oubliant l’enjeu de la sculpture ; la violence représentée est, en un sens, une violence acceptée.

3. L’œuvre d’art : une leçon d’humanisme

A. L’œuvre d’art se présente comme une rédemption • Si le message critique à l’égard de la violence exercée ne passe pas toujours, c’est que l’œuvre d’art transcende cette violence : elle installe un ordre esthétique là où régnait le chaos. Pour cette raison, on a pu douter de sa capacité à dénoncer la violence. • Mais, en installant ce nouvel ordre, elle montre la supériorité absolue de l’humain et de sa force créatrice sur la violence destructrice.

B. L’œuvre d’art, quelle qu’elle soit, développe notre sensibilité et notre humanité • En apprenant à être sensible à un récit ou à un tableau, on apprend à être sensible à notre environnement et à rejeter ce qu’il a d’inhumain. • C’est justement parce qu’elle nous invite à dépasser les circonstances de sa création que l’œuvre d’art peut contribuer à lutter contre la violence du réel. • Les Misérables : nous resterons sensibles à la violence exercée à l’encontre des plus faibles (Fantine, Cosette) et serons prêts à embrasser certaines causes autour de nous. • Lire L’Assommoir, regarder La Buveuse de Toulouse-Lautrec ou La Buveuse d’absinthe de Picasso nous amènent à considérer avec humanité le destin des femmes quelles qu’elles soient.

◆ Sujet d’invention Le discours devra utiliser les procédés rhétoriques du plaidoyer tout en présentant, de manière organisée et approfondie, une argumentation. Quelques suggestions : – Candide explique que l’accusation est mensongère : la justice ne s’est pas donné les moyens pour mener une réelle enquête. On ne peut condamner sans preuve. – On ne peut condamner pour un délit d’opinion. La liberté d’opinion est nécessaire à un fonctionnement équitable de la société. – La religion ne peut se mêler de science. Le principe du bouc émissaire est archaïque et ne résoudra en rien la question des tremblements de terre comme celle de la peste. – La société ne détient pas le droit de vie et de mort.

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Candide ou l’Optimisme – 25

S u j e t 2 ( p p . 1 7 8 à 1 8 2 )

◆ Question préliminaire Quelques pistes de réflexion : – La Fontaine et Madame du Châtelet repoussent les moralistes qui censurent de façon inconsidérée les sentiments en pratiquant un « universel abattis ». – Rousseau et Madame du Châtelet mettent en avant l’importance des sensations et des sentiments. – Voltaire adopte la position de La Fontaine quand il est question du sage qui est « semblable au vieillard de Virgile » (le « bon vieillard » qui cultive son jardin dans le chapitre XXX ?), retranche l’inutile et profite ainsi des « beautés d’un jardin ». – Madame du Châtelet avance que le malheur est sans doute une des conditions nécessaires au bonheur ; il faut accepter l’idée que les passions puissent faire souffrir pour connaître le bonheur qu’elles peuvent procurer ; en cela, elle s’oppose à La Fontaine et à Voltaire qui privilégient un bonheur raisonné.

◆ Commentaire

Plan semi-rédigé.

Introduction Le thème du bonheur est au centre des Fables de La Fontaine. Au fil de l’œuvre, se développe, en effet, une réflexion sur la place de l’Homme dans l’univers, sur les moyens qu’il utilise pour vivre au mieux sa vie. Le douzième et dernier livre des Fables paraît en 1693. Le volume est dédié au duc de Bourgogne, fils du dauphin. Au-delà d’une dimension pédagogique, les dernières fables, teintées de scepticisme, marquent une manière de repli et affirment la recherche d’une philosophie personnelle. « Le Philosophe scythe » confronte deux personnages en tous points différents, incarnant deux conceptions de la vie et du bonheur. Quel est le message de l’apologue ? C’est par l’intermédiaire d’un récit allégorique que La Fontaine nous transmet ce qui est, pour lui, la voie de la sagesse.

1. L’art du récit L’art du récit est manifeste dans la présentation des personnages, l’efficacité du schéma narratif et la variété des systèmes d’énonciation. Autant de moyens de s’attacher l’intérêt du lecteur.

A. Des personnages en situation • Nous découvrons deux personnages : le premier, signalé dans le premier vers qui renvoie au titre, est défini par une périphrase lui donnant une profession, une caractéristique et une origine géographique. Il est ensuite désigné par sa nationalité : « Le Scythe » (v. 8, 13 et 21) ou « Ce Scythe » (v. 29). C’est enfin le pronom « il » récurrent qui renvoie à celui qui domine l’espace de la fable de ses paroles et de ses actions. Le deuxième personnage apparaît aux vers 4 et 5, à travers une longue périphrase puis en action aux vers 9 à 12. • Leur rencontre, avec un effet de contraste plaisant, constitue l’étape décisive du récit qui obéit à un schéma narratif traditionnel.

B. Un schéma narratif classique La vivacité est le propre de la fable, tout particulièrement chez La Fontaine qui privilégie le récit court et dynamique. Ainsi le schéma narratif est-il efficacement rendu. On distingue la situation initiale qui correspond à la vie rude du Philosophe scythe (v. 1). Puis intervient l’élément déclencheur : la quête d’« une plus douce vie » qui motive le voyage initiatique. Les péripéties se déroulent de la rencontre du Sage à la décision de tailler « à toute heure » (v. 3 à 24). Au vers 25 (« Il ôte de chez lui les branches les pus belles ») apparaît l’élément de résolution : la catastrophe est en marche. La situation finale (v. 29) fait écho à la situation initiale. On peut donc déceler une circularité du récit autour de l’échec.

C. La variété des systèmes d’énonciation • La variété des systèmes d’énonciation est un facteur de séduction. • Les temps du récit sont répartis entre les deux personnages : l’imparfait correspond à la modération, à la pondération du Sage ; le passé simple ponctuel et le présent de narration qui marque l’accélération et rend bien l’affolement (v. 21 à 28) correspondent au Scythe.

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• L’alternance du récit et du discours est encore un gage de vitalité. Le Scythe s’exprime au discours direct ou indirect libre (v. 14) avec force injonctions et ponctuation affective. Son discours enflammé contraste avec le discours posé du Sage, telle sa brève réponse dont les rimes plates et les rimes intérieures en voyelles nasalisées [an] traduisent la sérénité (v. 19-20). • Les deux personnages mis en scène s’opposent donc sur de nombreux points. Rapidement campés, ils vont au-delà d’eux-mêmes et contribuent à la forme allégorique de la fable.

2. Un récit allégorique L’allégorie est un procédé qui consiste à désigner un thème abstrait par des réalités concrètes. Si l’on considère les personnages et leur cadre de vie, la fable est assurément un récit allégorique.

A. Des personnages allégoriques • La présentation vague et symbolique des personnages tend à l’universel. La Grèce, lieu de culture et de civilisation, s’oppose à la Scythie, symbole de vie sauvage et de barbarie. • Aucun des deux n’est nommé. Le Scythe est « austère » et sa demeure, en vertu d’un hypallage, est « triste » (v. 21). Le Philosophe, comme l’indique la majuscule du titre, est un terme générique. Il parle par maximes et métaphores (v. 17 : « Laissez agir la faux du temps ») à la manière des stoïciens qui s’en remettent au destin dès lors que « nascendo morimur » (« en naissant, nous mourons »). L’ordre naturel, selon le Scythe, est immuable. • Le Sage est valorisé par la comparaison virgilienne avec le vieillard de Tarente au bonheur pastoral (Géorgiques, IV) et surtout par la gradation au vers 5 entre les deux hémistiches soulignée par l’anaphore « Homme ». Par sa sérénité, il rejoint la sphère divine ; par la plénitude et la tranquillité de son âme, il connaît l’ataraxie épicurienne.

B. Le décor • Le décor lui-même relève de l’allégorie. On repère une analogie entre le jardin et l’âme. Le jardin du Sage, différent du « verger » du Scythe, renvoie à un certain esthétisme mais surtout à Épicure, le philosophe du Jardin. Le champ lexical de la nature est ainsi très important dans la fable (v. 9, 11 et 25). • Les arbres sont d’ailleurs personnifiés par le Philosophe qui refuse de « mutiler ces pauvres habitants ». En coupant les branches, au contraire, le Sage épicurien sélectionne les désirs et les plaisirs naturels et nécessaires. • Le récit allégorique vise à plaire et à instruire.

3. Un apologue L’intervention du fabuliste délivre un double message. A. Intervention dans la moralité • Selon La Fontaine, « le corps est la fable, l’âme la moralité ». • Au vers 34, la position du fabuliste est clairement affirmée, soulignée par le présent d’énonciation (« je réclame ») et la mise en valeur du pronom. Au vers 30, il condamne le manque de discernement du « stoïcien », mettant en relief sa critique par l’enjambement, la diérèse et la vigueur même de l’octosyllabe. Ce dernier applique sans réfléchir et avec excès des préceptes mal compris. Le rejet du fabuliste est aussi traduit par des termes péjoratifs : « ce Scythe » (l’adjectif latin iste) ou « de telles gens ». Il proteste au nom de la raison mais aussi de la vie : « le principal ressort » (v. 35) désigne l’amour de la vie, et il est intéressant de confronter les rimes plates finales (« ressort/« mort »), de même que l’antithèse entre « vivre » en fin d’hémistiche et « mort » à la rime (v. 36).

B. Intervention dans le cours de la fable • De nombreux indices de la présence de La Fontaine apparaissent encore dans le cours de la fable, par le biais de la métaphore filée du jardin. • Des vers 8 à 12, l’action du sage vieillard est opposée à celle du Scythe. Le rythme équilibré de l’alexandrin (v. 10) traduit sa pratique sereine. Proche de la nature, il en limite la prolifération au nom de l’harmonie : c’est ce que traduit la régularité du tétramètre au vers 7. La nature apparaît donc canalisée par l’homme. En se fondant sur la polysémie du terme nature, on peut retrouver dans l’art du Sage la maxime grecque « rien de trop ». Si la nature renvoie aussi à la nature humaine, il s’agit, pour l’homme, de corriger ses défauts pour permettre aux qualités de s’épanouir. • L’action du stoïcien, au contraire effrénée et irréfléchie, est traduite par un rythme saccadé à partir du vers 21 où il devient ennemi de la nature. On note le champ lexical de la ruine (v. 22). Le terme « abattis », au vers 24, renvoyant au carnage, est mis en valeur par l’enjambement et l’octosyllabe. Le zèle aveugle du

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Scythe le conduit à conseiller une destruction universelle : « Tout languit et tout meurt. » Au vers 27, les négations sont récurrentes (« sans ») et signifient qu’il ne tient aucun compte des rythmes de la nature. Lui, dont la philosophie se conforme à l’ordre du monde (« vivere secundum naturam »), vit hors du temps et de la raison. On remarque d’ailleurs un écho entre le récit et la moralité (v. 25 et 35 : même verbe, même tournure superlative). Le stoïcisme est présenté comme un attentat à la vie, une mort prématurée de l’esprit avec les verbes ôter, cesser.

C. Un double message • Le message de La Fontaine est double. On distingue : – une prise de position épicurienne discrète, à décrypter ; – mais aussi une allusion à l’honnête homme du XVIIe siècle qui est le contraire de notre Philosophe incarnant la démesure quand le classicisme est mesure et équilibre. Le Philosophe scythe est-il d’ailleurs un philosophe ? On pencherait presque pour un oxymore. • Est-il même un stoïcien ? (v. 26) • La vision du stoïcisme est ici traditionnelle (v. 14-18) : austérité, courage, refus des plaisirs de la vie et des passions, apathie. Ne peut-on voir en ce personnage excessif et intransigeant, plutôt qu’un vrai stoïcien, un dévot, un janséniste ?

Conclusion Le détour de l’apologue a permis de convaincre et de persuader (« placere et docere »). C’est ce que nous rappelle la fable programmatique « Le Pouvoir des fables » (VIII, 4). Si La Fontaine, par l’aspect satirique de bien des fables (« Les Obsèques de la Lionne », « La Cour du Lion »), annonce l’esprit des Lumières, il reste aussi un honnête homme du XVIIe siècle prônant un art de vivre classique et modéré conduisant au bonheur. L’image du jardin a été utilisée à plusieurs reprises dans les Fables : « L’Ours et l’Amateur des jardins » (VIII, 10), « L’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin » (XI, 4). Une image qui se trouve liée à celle de l’eau, de l’« onde pure » qui permet de voir clair en soi. « Le Philosophe scythe » nous présente un microcosme à mesure humaine qui réclame des soins constants visant à suivre la nature, non à la brimer. Enfin, le jardin offre une image d’ordre esthétique : il s’agit de renaître pour embellir, de neutraliser pour harmoniser. Ce pourrait être l’emblème des Fables.

◆ Dissertation

Plan.

1. L’œuvre littéraire nous donne une leçon

A. La fonction didactique et argumentative des œuvres • Sur le mode explicite : la morale de la fable ; la mise en scène du défaut. • Sur le mode implicite : le récit dans la fable ; le registre ironique.

B. La littérature peut se mettre au service de la leçon • Le rôle de la fiction et l’identification à un personnage. • Le rôle des registres. • Les procédés de style destinés à toucher le lecteur quel que soit le registre.

2. L’œuvre littéraire est plutôt destinée à nous faire plaisir

A. Des mondes de rêve • Tout est possible. • Tout se finit bien. • Les utopies.

B. Une vie intense • Les personnages ont des destins extraordinaires (la tragédie, l’épopée). • Le roman d’aventures présente des vies bien remplies.

C. L’œuvre littéraire nous séduit et nous soustrait à la réalité • La fonction du comique : nous faire rire de ce qui pourrait être dramatique (un père fou s’oppose au mariage de ses enfants, comme dans Le Malade imaginaire de Molière). • Nous nous identifions aux personnages et nous avons l’impression de vivre une autre vie.

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3. L’œuvre littéraire nous transmet, plus qu’une leçon, une vision du monde

A. L’évasion nous aide à prendre nos distances par rapport au réel • L’œuvre littéraire, en nous soustrayant à la réalité (le temps de la lecture ou d’une représentation), nous permet de prendre du recul et nous aide à mieux comprendre le réel. • Nous regardons le réel à travers le prisme des modèles littéraires et nous mesurons ainsi la différence (les utopies, par exemple).

B. Quel que soit le projet de l’écrivain, son œuvre transmet sa vision du monde • Les œuvres imaginaires : Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, 1Q84 de Haruki Murakami. • Les romans réalistes ou naturalistes.

C. L’intérêt de l’œuvre aujourd’hui n’est pas nécessairement ce qui a motivé son écriture • Certaines œuvres n’étaient pas destinées à une large diffusion : le journal intime d’Hélène Berr. • Certains textes sont écrits dans des circonstances particulières : Les Provinciales de Pascal, les textes et poèmes de la Résistance. • Ce qui nous intéresse, c’est la vision de l’homme par-delà les circonstances : la liberté dans les poèmes de la Résistance.

◆ Sujet d’invention On attend un strict respect de la consigne quant à la forme : – le dialogue sera inséré dans un récit et non présenté de manière théâtrale ; – le dialogue primera sur le récit ; – l’introduction narrative sera brève. Bien entendu, on valorisera les copies qui auront su tirer parti de la forme narrative et fictive : un cadre spatio-temporel intéressant, des personnages représentatifs, une habile utilisation du rapport entre récit et dialogue (pauses narratives aux endroits charnières du dialogue, par exemple). On attend une argumentation développée et construite.

PERSONNAGE A : Le bonheur résulte de la satisfaction de ses plaisirs ;

il faut profiter de la vie.

PERSONNAGE B : Le bonheur est plus ambitieux ; on doit pouvoir être fier de soi.

1. La vie est belle ; elle vaut la peine d’être pleinement vécue. 1. La vie n’est pas si belle ; des enfants souffrent et meurent ; on ne peut être heureux qu’en changeant le monde.

2. On ne peut pas changer le monde ; le temps passe vite ; il faut profiter du temps présent.

2. C’est une définition du plaisir et non du bonheur ; certes, on ne peut pas changer le monde mais on peut essayer d’être heureux (et ainsi participer à son amélioration) en appliquant ses principes moraux et ses exigences.

3. Je refuse une conception trop élitiste du bonheur ; tout le monde ne peut pas se dévouer comme Mère Teresa. Ma conception du bonheur est plus modeste.

3. Il ne s’agit pas nécessairement de partir comme Mère Teresa ; il faut simplement être tourné vers les autres et non vers soi-même.

4. Il faut commencer par être heureux soi-même pour donner du bonheur aux autres.

4. D’une certaine manière, les deux conceptions peuvent se rejoindre.

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C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

◆ Antoine Watteau, Pèlerinage à l’île de Cythère

Questionnaire 1. En quoi cette scène évoque-t-elle une fête galante ? 2. Quelle est l’ambiguïté du tableau de Watteau ? 3. Dans quelle mesure peut-on établir un lien entre l’atmosphère du tableau et le chapitre I de Candide ?

Corrigé du questionnaire 1. En 1717, Antoine Watteau a été élu membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture comme « peintre de fêtes galantes ». Le Pèlerinage à l’île de Cythère est le « morceau de réception ». À ce titre donné par Watteau, l’Académie préféra celui de Feste galante, sans doute pour éviter que la mention mythologique de Cythère ne fasse entrer le postulant dans la catégorie hautement prisée des peintres d’histoire. À la fin du XVIIIe siècle, le tableau fut débaptisé et garda, jusqu’en 1960, le titre Embarquement pour Cythère. Depuis, il a repris son titre d’origine. D’après le dictionnaire de Furetière en 1690, la fête galante est « une réjouissance d’honnêtes gens ». Watteau, quant à lui, choisit de représenter dans ses toiles des couples dans les jardins ou dans les parcs de leurs « folies » (maisons installées près de Paris), occupés aux conversations galantes, se promenant, dansant, jouant de la musique. Si le genre inauguré par Watteau reflète l’esprit Régence (1715-1723), il traverse le XVIIIe siècle jusqu’à Fragonard (La Fête à Saint-Cloud) et Lancret (Danse dans le parc). Le Pèlerinage à l’île de Cythère, associant nature et raffinement amoureux, est bien une scène galante. La statue d’Aphrodite parée de roses symbolise d’ailleurs cette harmonieuse union. La nature est présente dans le tableau avec les magnifiques arbres, fleurs, plan d’eau, montagne lointaine. L’élégance des toilettes contribue à idéaliser la scène. On note un reflet de lumière sur les étoffes. Pour certains, la galanterie de la scène renvoyait à la Carte de Tendre revisitée par la Régence. L’Amour est présenté comme un chemin à emprunter pour rejoindre les « terres interdites ». Les codes de l’amour précieux ne sont pas oubliés avec la cour des hommes et la retenue des femmes. Le premier homme est agenouillé, comme soumis à sa dame ; le deuxième l’aide à se relever ; le troisième la guide galamment par la taille, tandis qu’elle regarde en arrière, réticente peut-être à embarquer pour Cythère. Néanmoins, la barque en forme de lit à baldaquin sur laquelle veille un Amour assouplit les codes galants et dédramatise l’accès aux jouissances. Le thème du pèlerinage religieux est aussi reconverti en pèlerinage amoureux avec un Éros s’accrochant au bâton du pèlerin. La toile renvoie bien à une douceur de vivre caractéristique de l’époque.

2. L’ambiguïté du tableau porte essentiellement sur l’intrigue : s’agit-il d’un départ vers l’île de Cythère ou d’un départ de cette même île ? d’un départ enjoué ou d’un retour mélancolique ? L’interprétation de Rodin allait dans le sens du départ. Le titre donné jusqu’en 1960, Embarquement pour Cythère, confirmait cette interprétation. Les personnages sont sur le continent et se dirigent vers la barque qui les conduira à l’île de tous les plaisirs. Si les historiens de l’art ont choisi de revenir au titre donné par Watteau Pèlerinage à l’île de Cythère, c’est que l’ambiguïté demeure. Selon l’historien d’art anglais Michael Levey, les personnages s’apprêteraient à quitter Cythère. La statue d’Aphrodite, la présence de Cupidon retenant la robe de la jeune femme (au lieu de l’inciter à partir), le regard en arrière de la jeune femme comblée confirmeraient cette interprétation. En fait de pudeur, il s’agirait de mélancolie. Le paradis amoureux est difficile à quitter… On peut aussi s’interroger sur la réalité de la scène : rêve ou fiction théâtrale ? Le tableau, véritable chorégraphie, avec la farandole sinueuse de personnages amoureux, les costumes brillants, le décor vaporeux, relèverait du théâtre ou de l’opéra, thèmes chers à Watteau. La composition pourrait même évoquer une scène de théâtre vue depuis une loge de théâtre à l’italienne. Il s’agirait moins d’inviter au voyage que de montrer combien les apparences peuvent être séduisantes.

3. Le chapitre I du conte nous présente un paradis illusoire. Tout y est faux et factice : l’univers aristocratique, le château, la philosophie de Pangloss et les jeux de séduction. La « leçon de physique expérimentale » à laquelle assiste Cunégonde relève de la grivoiserie, et la rencontre amoureuse entre Candide et l’« appétissante » Cunégonde tient de la parodie.

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Compléments aux lectures d’images – 30

Certes, les jeunes femmes courtisées dans la toile sont, elles aussi, rougissantes et les jeunes gens de plus en plus entreprenants et robustes, au point que le naturel émerge du culturel. On retrouve, dans cette scène, l’émergence du désir et de la sensualité. De surcroît, l’île consacrée à Vénus semble aussi irréelle qu’un décor de théâtre. Pourtant, dans la toile, il ne saurait être question de parodie, mais tout au plus d’une discrète invitation à réfléchir, par le biais de l’allégorie, à la fragilité des sentiments amoureux. La fugacité de l’amour, le danger des apparences s’inscriraient plutôt dans une méditation épicurienne sur le carpe diem. C’est donc surtout l’esprit du XVIIIe siècle que ce tableau reflète.

◆ Emmanuel de Witte, Intérieur avec une femme jouant du virginal

© AKG-Images

Le peintre Emmanuel de Witte est un peintre hollandais né à Alkmaar en 1617 et mort à Amsterdam en 1692. Il est principalement connu pour ses représentations d’intérieurs d’églises.

Le tableau Le tableau, de taille moyenne, a été peint à l’huile au XVIIe siècle. À cette époque, les scènes d’intérieur, la représentation de la vie quotidienne avaient souvent une fonction moralisatrice. Ce type de toile, appelé « scène de genre », évoque un univers familier sans représenter nécessairement un lieu et des personnages précis.

Le thème La toile nous montre un intérieur hollandais du XVIIe siècle, la vie d’une famille bourgeoise ou noble. Deux personnages féminins, éloignés dans l’espace du tableau comme dans la hiérarchie sociale, sont mis en scène : l’une joue de la musique, tandis que l’autre entretient la maison.

La composition Le tableau se lit de la même manière que Candide : des scènes successives que l’œil du spectateur est amené à découvrir à mesure qu’il se dirige vers le point de fuite.

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Candide ou l’Optimisme – 31

La première pièce, au premier plan, est une chambre à coucher. Une femme, de dos, est assise face à un virginal (une sorte de piano), et l’on devine qu’elle en joue. Son visage se reflète dans le miroir au-dessus d’elle mais n’est pas tourné vers le spectateur. À gauche, des vêtements d’homme (cape, épée…) sont négligemment posés sur un fauteuil, et l’on devine le visage d’un personnage couché. La deuxième pièce est vraisemblablement l’entrée de la maison. On le devine à la rampe et à la marche d’escalier, visibles à gauche de la porte. Dans la troisième pièce, une servante est en train de passer le balai. Une fenêtre ouverte, au bout de la perspective, permet à l’œil du spectateur de sortir de la maison après avoir, un moment, partagé l’intimité des personnages.

Lumière et couleurs La perspective avec un point de fuite central aboutissant à une fenêtre ouverte est renforcée par le clair-obscur. Les taches claires formées sur le sol par le soleil tracent un chemin que le spectateur-visiteur doit suivre. Les couleurs claires du mur de l’entrée l’incitent à continuer sa visite après avoir traversé la chambre marquée par des couleurs chaudes (rouge du lit, du tapis et des rideaux ; or du miroir…) renforcées par les tons sombres des boiseries.

Le cheminement du spectateur Tout est fait pour que le spectateur ait l’impression de traverser l’intérieur de la maison représentée. Il voit les différentes scènes mais ne s’y arrête pas. La servante à l’arrière-plan, rappelant qu’il s’agit d’une scène de la vie quotidienne, invite le spectateur à poursuivre son chemin jusqu’à la fenêtre sans déranger l’atmosphère paisible (la musique) de l’ensemble. Le couloir central et le chemin lumineux tracent un parcours, tandis que chaque pièce suggère une scène distincte. Cette organisation narrative est fréquente dans les récits à épisodes ; on la retrouve, par exemple, dans les contes voltairiens. Ainsi, dans Candide, le voyage du personnage principal et la dénonciation de l’optimisme constituent-ils un couloir central sur lequel viennent se greffer, comme dans le tableau, des scènes indépendantes.

L’implicite et la fonction didactique L’épée, le costume masculin et la tête que l’on entrevoit dans l’ombre du lit suggèrent un amant à qui la femme pourrait jouer de la musique en l’absence de son mari. La sagesse de la femme devant son virginal ainsi que le sérieux de la servante ne seraient alors que la façade d’une vie hypocrite. Cette finalité moralisatrice n’est pas étonnante dans une scène de genre et chez un peintre habitué à représenter des églises. Comme dans les récits didactiques (Candide, par exemple), la narration exprime une leçon. Le mystère qui plane dans ce tableau a inspiré un roman : la jeune femme au virginal acquiert une identité et devient Magdalena dans Les Heures silencieuses (2011) de Gaëlle Josse.

Questionnaire 1. En quoi le tableau est-il narratif ? 2. Quel est le milieu social représenté ? Justifiez votre réponse. 3. Dans quelle mesure la composition du tableau et celle de Candide sont-elles similaires ?

Corrigé du questionnaire 1. La ligne du couloir balisée par les taches de lumière oriente le regard comme s’il s’agissait de lire le tableau. Chaque pièce est un épisode que le spectateur décode et interprète. Les scènes éclairées (la femme jouant de la musique et la servante au travail) appartiennent à la vie quotidienne, tandis que le lit à gauche, dans l’ombre, dévoile une tout autre histoire.

2. Le tableau représente un milieu social aisé, celui de la haute bourgeoisie (les marchands des Pays-Bas) ou de la noblesse. La taille de la maison, la tenue de la femme et la présence de la servante vont clairement dans ce sens.

3. Candide se déroule au rythme du voyage du personnage éponyme. Ce déplacement est la colonne vertébrale du récit, tout comme le couloir éclairé dans le tableau hollandais. Le voyage est prétexte à de nombreuses péripéties qui semblent autant d’épisodes indépendants. Dans le tableau, chaque pièce présente une histoire qui lui est propre mais qui doit être lue avec l’éclairage de l’ensemble. C’est aussi le cas dans Candide : les péripéties sont autonomes mais doivent se comprendre dans la perspective du voyage et de la critique de l’optimisme.

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Bibliographie complémentaire – 32

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

◆ Sur l’auteur et sur Candide – Roland Barthes, « Le dernier des écrivains heureux », in Essais critiques, Seuil, 1964.

– Jean Goldzink, Voltaire de A à V, Hachette Livre, 1994.

– J.-M. Goulemot, A. Magnan et D. Masseau, Dictionnaire Voltaire, Gallimard, 1995.

– André Magnan, Voltaire, Candide ou l’Optimisme, PUF, 1987.

– Pierre Milza, Voltaire, Perrin, 2007.

– René Pomeau, Voltaire en son temps, Oxford, 1985-1994 (5 vol.).

– Jean Sareil, Essai sur Candide, Droz, 1967.

– Jean Starobinski, « Sur le style philosophique de Candide », in Le Remède dans le mal : critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Gallimard, 1989.

– Jacques Van Den Heuvel, Voltaire, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1983.

◆ Sur l’utopie – Collectif, Utopie, la quête de la société idéale, Fayard, 1999.