La maitrise de la marque dans les
relations contractuelles
Panorama des évolutions
jurisprudentielles récentes
Pierre MASSOT
29 mai 2015
Revenus issus de la concession de licence sous forme de droits
d’auteur et de marques : 10,8 milliards d’euros en 2013
Nombre de décisions rendues dans le cadre de litiges relatifs à des
contrats de licence de marque en 2013 :
Environ une trentaine de décisions sur un échantillon de 1168
décisions judiciaires françaises rendues en matière de marques en
2013
Etat des lieux
Exploitation de la valeur de la marque
Pour le titulaire
Pour le licencié
Préservation de l’image de marque
Risques de dilution, ternissement, etc.
Enjeux économiques
I. L’exploitation de la marque
II. La gestion des risques juridiques
III. Le contrôle du licencié
IV. Les contraintes du droit de la concurrence
PLAN
I. L’exploitation de la marque
1. L’exploitation de la valeur de la marque au-delà de la
spécialité
Principe
« en vertu du principe de la spécialité de la marque, la cour
d’appel a énoncé à bon droit que le titulaire de la marque
SILHOUETTE ne pouvait valablement « consentir un contrat
de licence » que pour des produits énumérés dans l’acte de
dépôt et non pour les produits similaires »
Cass., Com., 24 octobre 1984, n°83-13307
L’affaire « TOP 50 »
CA Paris, 30 juin 2004 : condamnation d’un éditeur pour utilisation
de l’expression « TOP 100 des cabinets d’avocats d’affaires » sur le
fondement de L713-5 CPI au motif que ladite expression porterait
atteinte à la renommée de la marque « TOP 50 »
2 décembre 2004 : protocole d’accord transactionnel accordant
une licence d’exploitation de la marque « TOP 100 » pour
l’édition d’une revue juridique
2012 : assignation pour paiement des redevances entraînant une
demande reconventionnelle en nullité de la licence
L’affaire « TOP 50 »
« le titulaire de la marque, c’est-à-dire le concédant, autorise
l’exploitation de la marque « TOP 100 » à la société X, licenciée, peu
important que la licence soit accordée pour un service distinct de celui
pour lequel la marque a été déposée, puisqu’en effet la société TOP 50
était en droit de revendiquer la protection de sa marque même au
regard de services non identiques ou similaires à ceux mentionnés au
dépôt en application de l’article L. 713-5 du code de la propriété
intellectuelle, eu égard au caractère renommé de la marque ».
TGI Paris, 4ème Ch., 2ème Sect., 6 mars 2014, LAGARDERE
2. Le licencié peut-il réduire le montant des redevances en
raison de l’évolution des circonstances économiques ?
« La cause de l’obligation constituant une condition de la
formation du contrat, la cour d’appel appréciant
souverainement la volonté des parties, a considéré que celle-
ci résidait dans la mise à disposition de la marque et non
dans la rentabilité du contrat ».
Cass., Com., 18 mars 2014, n°12-29453
1. Les risques liés à la nullité du titre
2. Les risques en cas de procédure collective
II. La gestion des risques juridiques
Principe
La décision d’annulation d’un enregistrement de
marque a un effet absolu et entraîne notamment la
nullité des licences accordées sur la marque dont
l’enregistrement est annulé.
Cass., Com, 1er juin 1999, n°97.12853
1. Les risques liés à la nullité du titre
« Attendu qu’en se fondant exclusivement sur la permanence du
contrat de licence, et non sur des faits personnels de M. X..., alors
que la décision d'annulation d'un enregistrement de marque a un
effet absolu, et notamment entraîne la nullité des licences
accordées sur la marque dont l'enregistrement est annulé, la cour
d'appel a violé le texte susvisé »
Cass., Com, 15 janvier 2008, n°06-15889
Comp. CA Douai, Ch.1, 2ème section, 24 septembre 2014, n°13/02177
Illustrations récentes
Sort des redevances en cas de nullité de la
marque et, en conséquence, du contrat de licence
La jurisprudence semble quasi-inexistante sur le sort des
redevances ayant été versées au titre d’une licence dont la
marque est annulée
Comp. CA Versailles, 12ème ch., 9 décembre 1987, n°6976/86
Analogie: le droit des brevets
La décision d’annulation d’un brevet a un effet absolu mais n’entraîne
pas nécessairement la restitution de l’intégralité des redevances
versées par le licencié au cours de l’exécution du contrat de licence :
« l'invalidité d'un contrat de licence résultant de la nullité du brevet sur
lequel il porte, n'a pas, quelque soit le fondement de cette nullité, pour
conséquence de priver rétroactivement de toute cause la rémunération
mise à la charge du licencié en contrepartie des prérogatives dont il a
effectivement joui »
Cass., Com., 28 janvier 2003, n°00-12149
Peut-on prévoir une clause autorisant le breveté à
conserver les redevances encaissées en dépit de
l’annulation du contrat de licence ?
Admission jusqu’à ce jour des clauses « aux risques et périls
du licencié »
CA Lyon, 1ère Chambre, 12 janvier 1989
Cour d’appel de Paris (Pôle 1 – Chambre 1) Genentech Inc. / Hoechst
Gmbh, Sanofi-Aventis Deutschand Gmbh – 23 septembre 2014 n°12/21810
Question préjudicielle (CJUE – Affaire C-567/14)
« Les dispositions de l’article 81 du Traité devenu l’article 101 du Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne doivent-elles être interprétées comme faisant
obstacle à ce qu’il soit donné effet, en cas d’annulation des brevets, à un contrat de
licence qui met à la charge du licencié des redevances pour la seule utilisation des
droits attachés aux brevets sous licence? »
L’affaire « SANOFI c/ GENENTECH »
2. Les risques en cas de procédure collective
Rappel: l’absence d’effet des clauses résolutoires
L.621-28 du Code de commerce: « Nonobstant toute
disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune
indivisibilité, résiliation ou résolution du contrat ne peut
résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de
redressement judiciaire »
La clause résolutoire, fondée sur l’intuitu personae, au
terme de laquelle le contrat sera résolu de plein droit en
cas de redressement judiciaire est privée de tout effet
CA Colmar, 1ère Ch., 13 juin 1990, SIREIX c/ PACK’IN
CA Paris, 4ème Ch., Sect. A, 24 mai 1994
CA Paris, 15ème Ch., Sect. B, 23 mars 2006
Sort du contrat de licence en cas de
redressement judiciaire
[…] La résiliation du contrat de concession de licence de
marques mettrait en péril la société X [Licencié] sur le plan
économique et social et préjudicierait aux intérêts de la
procédure collective.
C’est à juste titre que le Tribunal de Commerce a retenu l’existence
d’un péril imminent et a fait droit aux demandes de la société X
[Licencié] et des organes de la procédure collective [ie. La poursuite
de l’exécution du contrat de licence].
CA. Aix-en-Provence, Ch.2, FAUCHON SAS c/ Me EZAVIN,
17 octobre 2013, n°2013/350
Sort du contrat de licence en cas de
plan de cession
Le jugement qui arrête le plan de cession
peut imposer la cession à un tiers repreneur
en dépit du caractère intuitu personae du
contrat de licence
CA Colmar, 1ère Ch., 13 juin 1990, SIREIX c/ PACK’IN
CA Paris, 3ème Ch., 5 avril 2007, CARTIER c/ Me CHRIQUI
Sort du contrat de licence en cas de
plan de cession
« […] Ce contrat de franchise subordonne la cession du
contrat au seul agrément du franchiseur, l'accord du
franchisé n'étant pas exigé ; que dans ces conditions,
le [franchisé] ne peut s'opposer à la poursuite de la
relation contractuelle avec le repreneur, motif pris qu'[il]
n'a pas donné son agrément à la cession » […].
CA Lyon.,9 décembre 2014, n°13/09690
1. L’aménagement contractuel du contrôle du
licencié
2. Les moyens d’action
III. Le contrôle du licencié
1. L’aménagement contractuel du contrôle du
licencié
Clauses de contrôle de la personne du
licencié: la clause d’intuitus personae
« Mais attendu qu'ayant justement énoncé qu'en raison du principe
d'autonomie de la personne morale cette dernière reste inchangée
en cas de cession de la totalité des parts ou actions d'une société
ou de changement de ses dirigeants et relevé l'absence de
stipulation contractuelle autorisant la rupture avant échéance dans
de telles hypothèses, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir qu'il
n'était pas établi que la convention de distribution exclusive ait été
conclue en considération de la personne du dirigeant, en a déduit
à bon droit, sans écarter le caractère intuitu personae du contrat,
qu'en l'absence d'une stipulation particulière, la convention était
maintenue en dépit des changements survenus »
Cass., Com., 29 janvier 2013, pourvoi n°11-23676
Clause de contrôle des conditions d’exploitation
« Or, les obligations de présentation d’échantillons et de
description des réseaux de distribution et de communication
revêtaient pour la société AZZARO une importance fondamentale
lui permettant de contrôler l’image de ses marques, cette
nécessité étant accru par le caractère gratuit et illimité de la
licence concédée dans une intention libérale ce qui justifiait du fait
de l’inexécution des obligations contractuelles de la société LORIS
pendant plus de cinq ans une résiliation immédiate et sans préavis
de ce contrat à durée indéterminée »
TGI Paris, 3ème Ch., 3ème Sect. 26 avril 2013, AZZARO c/ NATURE UP
2. Les moyens d’action
« En vertu de l’article 3 du contrat de licence de marques, la société
KTK s'engageait à produire à Monsieur BERBERIAN un relevé de
ventes et tous documents nécessaires à la justification du montant du
chiffre d'affaires réalisé, ce dont elle s'est abstenue. II convient dans
ces conditions de faire droit à la demande de production des comptes
d'exploitation, en l’absence de publication de ces éléments, ceux-ci
étant nécessaires afin que Monsieur BERBERIAN puisse calculer le
montant des redevances qui lui sont dues au titre de l'exploitation des
marques »
TGI Paris, ord. réf.,12 décembre 2013
L’obtention judiciaire des comptes d’exploitation
Article 8.2 Directive 2008/95/CE du 22/10/2008
Le titulaire de la marque peut invoquer les droits conférés par cette
marque à l’encontre d’un licencié qui enfreint l’une des clauses du
contrat de licence en ce qui concerne:
a) sa durée;
b) la forme couverte par l’enregistrement sous laquelle la marque
peut être utilisée;
c) la nature des produits ou des services pour lesquels la licence est
octroyée;
d) le territoire sur lequel la marque peut être apposée; ou
e) la qualité des produits fabriqués ou des services fournis par le
licencié.
Article L.714-1, alinéa 3, CPI
L’action en contrefaçon
Affaire « Christian Dior Couture / Copad »
Seule la violation de la part du licencié de l’une des clauses visées
à l’article 8.2 fait obstacle à l’épuisement du droit conféré par la
marque à son titulaire, au sens de l’article 7,§1, de la Directive
La vente à des soldeurs de produits de prestige de lingerie peut
porter « atteinte à l’allure et à l’image de prestige qui confèrent
auxdits produits une sensation de luxe » et constituer ainsi une
violation des clauses visées à l’article 8.2 de la Directive
CJUE, Christian Dior Couture c/ Copad, Aff. C-59/08, 23/04/2009
Affaire « Cerruti »
CA Paris, 24 novembre 2010 : condamnation d’un licencié pour
contrefaçon de marque en raison de la vente de produits « Cerruti » à prix
réduits à des revendeurs spécialisés.
L’arrêt est cassé au motif que :
« en se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi la mise dans le
commerce de produits revêtus de la marque par le licencié, en
méconnaissance d’une telle clause, avait pour effet, dans les
circonstances de l’espèce, de porter atteinte à l’allure et à l’image de
prestige qui conféraient aux produits une sensation de luxe, affectant
ainsi leur qualité, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale »
Cass. Com., 9 octobre 2012, n°11/11094, 11/16137, 976
Affaire « Thierry Mugler »
« Mais considérant que si le contrat précise que la cession des
droits intervient simultanément à l'approbation par le propriétaire
des marques des modèles et de la collection, et que les produits
fabriqués devront être rigoureusement conformes aux prototypes
approuvés, le formalisme instauré par l'article précité apparaît
n'avoir été respecté par aucune des parties […]
Considérant qu'il ressort de ces éléments que la pratique
contractuelle qui s'était instaurée entre les parties ne relevait pas
d'approbations formalisées […] »
Rejet de la qualification de contrefaçon
CA Paris, Pole 5 Chambre 1, 30 septembre 2014, RG n°12/23804,
THIERRY MUGLER c/ M DIFFUSION
Affaire « Michel DERVYN »
« La poursuite de l’usage, par la société X [Franchisé], au-delà du
terme du contrat de franchise, de l’ensemble des produits susvisés
porteurs de la marque Shampoo et/ou 'Shampoo by Michel
DERVYN‘ pour l’exploitation de son salon de coiffure […] constitue
un acte de contrefaçon de marque répréhensible en ce qu’il était
de nature à entretenir un risque de confusion chez la clientèle, peu
important que dans le cadre du contrat de franchise la société x
[Franchisé] ait payé les produits cités »
CA. Douai, ch.1, section 2, 24 septembre 2014
IV. Les contraintes du droit de la concurrence
Clause emportant une restriction de la liberté de vendre
sur certains territoires
TPICE, 3 avril 2003, aff. T-119/02
Clauses emportant une restriction de la liberté de vente
du licencié
Cass. Com., 9 octobre 2012, n°11/11094, 11/16137, 976
Illustrations
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