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Wahiba HADJ-SAID Équipe S8, Transmission de l'information visuelle, pharmacotoxicité rétinienne et neuroprotection, Centre de Recherche INSTITUT DE LA VISION UMR S 968 Inserm UPMC / CHNO des Quinze-Vingts PRÉSENTATION Je suis une jeune femme âgée de 31 ans (Fig. 1). Je suis atteinte d'une surdité profonde et appareillée bilatéralement depuis l'âge de 9 mois (ma surdité fut dépistée précocement). Je suis chercheur contractuel à l'Institut de la Vision. Mon travail consiste à tester des molé- cules protectrices sur des modèles de dégé- nérescence rétinienne. J'aime mon travail qui est vraiment très passionnant. Je suis bilingue, je peux communiquer aussi bien en Français qu'en Langue Signes Fran- çaise LSF. Je lis sur les lèvres pour compren- dre ce que la personne me dit tout en utilisant mes appareils auditifs pour discriminer les sons. Par exemple, le fait d'articuler les lettres « m » et « p » dans un mot ou une phrase, fait que l'expression labiale est identique. Seule l'oreille fait la différence. Certes, je ne peux pas discriminer les mots sans lecture labiale. La suppléance mentale joue également un rôle important dans la compréhension d'autrui. En effet, lorsque je n'ai pas saisi plusieurs mots dans une phrase ou un paragraphe, je complète les blancs selon le contexte (ce qui peut parfois donner lieu à des malentendus). HISTOIRE DE VIE ET DIAGNOSTIC Étant régulièrement suivie, depuis 1993, à la Fondation Ophtalmologique Adolphe de Roth- schild pour mon bilan visuel, mon ophtalmo- logue a commencé à détecter, en 2000, des anomalies au fond de l'œil et a donc décidé de surveiller mon état visuel. Finalement, en 2002, elle m'a envoyée en consultation avec le Pr. Sahel. Je fus soumise à des examens ophtalmologiques plus poussés tels qu'un fond de l'œil, un ERG et l'évaluation du champ visuel. Ce n'est qu'après la consultation avec le Pr. Sahel qu'une maladie des yeux, de la rétine plus précisément, me fut diagnostiquée et que cette maladie était directement liée à ma surdité. Le verdict est ainsi tombé : un Syndrome d'Usher de type 2. Je me suis alors posée beaucoup de questions : Quel est ce nom ? Pourquoi ce syndrome correspond-il à une atteinte de plusieurs organes ? Pourquoi type 2 ? Quels sont les autres types de ce syndrome ? Sur le moment, je n'en ai pas saisi toute la portée, surtout que je ne ressentais pas encore les signes de cette atteinte. Pour me rassurer, mes parents ont tenté de minimiser l'impact et les spécialistes m'ont dit que le risque d'être aveugle était faible. J'ai donc fait mes propres recherches et me suis documentée. J'ai appris que la fameuse maladie des yeux était une rétinopathie pigmentaire, donc une dégénérescence rétinienne évolutive. Ceci m'a fait un choc. J'avais déjà compris que l'évolution de la maladie rimait avec une perte progressive de la vision, et pourrait donc réel- lement aboutir à la cécité. RFO 150 No. of Pages 8 Wahiba Hadj-Saïd (Chercheur, chargée de projet) Mots clés Syndrome d'Usher Rétinopathie pigmentaire Surdité Témoignage Vision Adaptation 17, rue Moreau - 75012 Paris, France. Adresse e-mail : [email protected] RÉSUMÉ Une jeune chercheuse atteinte d'un syndrome d'Usher témoigne sur son parcours, son diag- nostic et des stratégies acquises pour compenser l'atteinte visuelle conjuguée à l'atteinte auditive. Habituée aux difcultés de la vie quotidienne en raison de sa surdité, elle doit, de plus, faire face à l'atteinte visuelle progressive. Elle démontre que l'acceptation de soi et la connaissance de sa vision fonctionnelle ainsi que le développement des autres sens sont des critères importants dans le maintien de l'autonomie, ainsi que de la vie sociale et professionnelle, et de l'importance de la mise en place des stratégies de compensation même lorsque l'atteinte est bénigne, compte tenu du caractère évolutif de la maladie. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. Revue francophone d'orthoptie 2014;xx:18 Actualités / Témoignage Pour citer cet article : Hadj-Saïd W. Wahiba HADJ-SAID. Revue francophone d'orthoptie (2014), http://dx.doi.org/ 10.1016/j.rfo.2014.03.001 http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2014.03.001 © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. 1

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Revue francophone d'orthoptie 2014;xx:1–8 Actualités / Témoignage

Wahiba HADJ-SAID

Wahiba Hadj-Saïd(Chercheur, chargée deprojet)

Équipe S8, Transmission de l'information visuelle, pharmacotoxicité rétinienne etneuroprotection, Centre de Recherche INSTITUT DE LAVISION UMR S 968 InsermUPMC / CHNO des Quinze-Vingts

Mots clésSyndrome d'UsherRétinopathie pigmentaireSurditéTémoignageVisionAdaptation

RÉSUMÉUne jeune chercheuse atteinte d'un syndrome d'Usher témoigne sur son parcours, son diag-nostic et des stratégies acquises pour compenser l'atteinte visuelle conjuguée à l'atteinteauditive. Habituée aux difficultés de la vie quotidienne en raison de sa surdité, elle doit, deplus, faire face à l'atteinte visuelle progressive. Elle démontre que l'acceptation de soi et laconnaissance de sa vision fonctionnelle ainsi que le développement des autres sens sont descritères importants dans le maintien de l'autonomie, ainsi que de la vie sociale et professionnelle,et de l'importance de la mise en place des stratégies de compensation même lorsque l'atteinteest bénigne, compte tenu du caractère évolutif de la maladie.© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

PRÉSENTATIONanomalies au fond de l'œil et a donc décidé de

17, rue Moreau - 75012 Paris,France.Adresse e-mail :[email protected]

Je suis une jeune femme âgée de 31 ans(Fig. 1). Je suis atteinte d'une surdité profondeet appareillée bilatéralement depuis l'âge de9 mois (ma surdité fut dépistée précocement).Je suis chercheur contractuel à l'Institut de laVision. Mon travail consiste à tester des molé-cules protectrices sur des modèles de dégé-nérescence rétinienne. J'aime mon travail quiest vraiment très passionnant.Je suis bilingue, je peux communiquer aussibien en Français qu'en Langue Signes Fran-çaise LSF. Je lis sur les lèvres pour compren-dre ce que la personne me dit tout en utilisantmes appareils auditifs pour discriminer lessons. Par exemple, le fait d'articuler les lettres« m » et « p » dans un mot ou une phrase, faitque l'expression labiale est identique. Seulel'oreille fait la différence. Certes, je ne peuxpas discriminer les mots sans lecture labiale.La suppléance mentale joue également unrôle important dans la compréhension d'autrui.En effet, lorsque je n'ai pas saisi plusieursmots dans une phrase ou un paragraphe, jecomplète les blancs selon le contexte (ce quipeut parfois donner lieu à des malentendus).

HISTOIRE DE VIE ET DIAGNOSTIC

Étant régulièrement suivie, depuis 1993, à laFondation Ophtalmologique Adolphe de Roth-schild pour mon bilan visuel, mon ophtalmo-logue a commencé à détecter, en 2000, des

Pour citer cet article : Hadj-SaïdW.Wahiba10.1016/j.rfo.2014.03.001

http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2014.03.001© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

surveiller mon état visuel. Finalement, en2002, elle m'a envoyée en consultation avecle Pr. Sahel. Je fus soumise à des examensophtalmologiques plus poussés tels qu'unfond de l'œil, un ERG et l'évaluation du champvisuel. Ce n'est qu'après la consultation avecle Pr. Sahel qu'une maladie des yeux, de larétine plus précisément, me fut diagnostiquéeet que cette maladie était directement liéeà ma surdité. Le verdict est ainsi tombé : unSyndrome d'Usher de type 2.Je me suis alors posée beaucoup dequestions :� Quel est ce nom ?� Pourquoi ce syndrome correspond-il à uneatteinte de plusieurs organes ?

� Pourquoi type 2 ?� Quels sont les autres types de cesyndrome ?

Sur le moment, je n'en ai pas saisi toute laportée, surtout que je ne ressentais pasencore les signes de cette atteinte.Pour me rassurer, mes parents ont tenté deminimiser l'impact et les spécialistes m'ont ditque le risque d'être aveugle était faible. J'aidonc fait mes propres recherches et me suisdocumentée.J'ai appris que la fameuse maladie des yeuxétait une rétinopathie pigmentaire, donc unedégénérescence rétinienne évolutive. Cecim'a fait un choc. J'avais déjà compris quel'évolution de la maladie rimait avec une perteprogressive de la vision, et pourrait donc réel-lement aboutir à la cécité.

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Figure 1. Portrait.

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J'ai également appris que pour le type 1, il y avait en prime unproblème d'équilibre et que la dégénérescence commençaitplus tôt, tandis que pour le type 2, elle commençait seulementlors de l'adolescence, selon les profils. Le premier symptômede la dégénérescence rétinienne est l'héméralopie, une mau-vaise vision nocturne qui conduit, progressivement, à l'incapa-cité de voir correctement lorsqu'il fait nuit.Mes études en Sciences de la Vie à l'Université furent un atoutpour mes recherches sur la maladie. Dans le cadre de monmaster 1 de « Biologie Dirigée vers la pharmacologie et toxi-cologie », en 2006, j'ai choisi de faire un stage au Centred'Études et de Recherche Thérapeutique en Ophtalmologie(CERTO), une première approche concrète avec la Recherchesur les maladies rétiniennes. Le directeur du CERTO, le Dr.Abitbol m'a rassuré quant à mes études universitaires et monchoix professionnel dans la Recherche, vis-à-vis de mamaladie.Le fait d'être « sourd profond » dans la vie en général fait qu'ondoit constamment se battre pour comprendre les informationsqui sont, pour la majorité, orales. Pour mes études, j'étaisobligée de compter sur une personne qui prenait des notespour moi et de faire un gros travail personnel pour compléterles notes. Suivre des cours magistraux en amphithéâtre aumilieu des étudiants, impossible ! Essayer de comprendrel'orateur en ayant les yeux rivés sur ses lèvres pendant lecours est très fatigant comme exercice, donc on finit par perdrele fil de l'exposé et ne plus savoir ce que le professeur veutdire.En résumé, ma surdité a fait que ma vie quotidienne à l'Uni-versité était remplie d'obstacles : ne pas pouvoir téléphoner,devoir constamment travailler pour éviter que mon retard surles étudiants ne s'accumule, impossible de suivre correcte-ment les réunions. J'ai renoncé plus d'une fois à aller auxséminaires intéressants à cause du manque d'accessibilité.Bref, toutes ces difficultés m'ont forgé le caractère et je suis

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maintenant habituée à affronter les obstacles et à relever lesdéfis. Récemment, j'ai pourtant réussi mon Doctorat en Phy-siologie et Physiopathologie et, ce, en dépit de toutes lesdifficultés évoquées. Ainsi, cette force de caractère, la per-sévérance et l'adaptabilité sont devenues des atouts pour mavie quotidienne, mais aussi pour lutter contre cette atteintevisuelle, qui entrainera un handicap visuel grandissant.

MANIFESTATION DU SYNDROME D'USHER DANSMA VIE

Avant le diagnostic, je ne ressentais aucune gêne visuelle.C'est lors d'un voyage avec ma famille à Marrakech, en avril2003, que les premiers signes se sont fait ressentir. On estarrivé très tard cette nuit-là. Et contrairement à ce dont j'avaisl'habitude, ce n'était pas un hôtel en un bloc. Il fallait en effetentrer dans un vaste parc, plongé dans le noir en raison del'heure très tardive pour se diriger vers un complexe hôteliercomprenant plusieurs bâtiments éparpillés dans le parc. Ilfallait suivre les employés qui nous indiquaient le chemin dansce parc. Je ne voyais pas le chemin au sol, et pourtant les gensétaient à l'aise. Il a fallu que mes parents me trainent pouravancer (sans voir, je n'avais confiance en personne pour mediriger). J'en fus bouleversée. Mais les soirs suivants, ayantpris tout mon temps pour observer l'environnement, j'ai pudistinguer la démarcation entre la pelouse et les cheminsmenant aux petits bâtiments et j'ai pu cheminer dans ce parcà la nuit tombée. Après coup, j'ai remarqué que ma « céciténocturne » était plus marquante quand je quittai immédiate-ment un endroit éclairé vers un endroit non éclairé, ou trèsfaiblement éclairé.Un autre fait marquant, après le voyage à Marrakech, fut leweek-end à la campagne passé chez des amis de mesparents. Il y avait un grand domaine autour d'une grandemaison. Nous étions sortis dans ce domaine et, là encore,j'étais incapable de retrouver le chemin de retour, d'autant plusque mon chemin était semé d'embuches que je connaissais(ruisseaux, etc. . .). En effet, à peine quelques années plus tôt,j'étais tout à fait capable de me mouvoir de nuit au sein de cemême domaine. Ce fut d'autant plus difficile pour moi, car jevenais juste de quitter un environnement éclairé et que la nuitétait sans lune. Ce fut comme si tout ce que je voyais appa-raissait d'un coup plus sombre, et ma confiance en moi futalors très altérée.Moi, ma vie, l'interaction avec autrui, tout se fait à travers mesyeux. J'ai dit au Pr. Sahel, lors de la consultation, que j'entendsavec mes yeux et cela est vrai. Ce qui me terrifiait alors etencore aujourd'hui, c'était de devoir vivre un jour dans unmonde ténébreux et silencieux, incapable d'être autonome,de devoir dépendre d'autrui pour tout, y compris pour commu-niquer. La communication, l'interaction avec autrui, c'est vital.J'ai trouvé cela injuste et j'en ai voulu au monde, à mesparents. J'ai fortement ressenti le besoin de voir des person-nes plus âgées pour connaître leur état et, ça, dans le butd'anticiper, de planifier ma vie en fonction de mon futur incer-tain. C'était une obsession avant que je rencontre de formida-bles personnes plus âgées qui se débrouillaient fort bien avecleur vue réduite (pas aveugle) pour lire et communiquer. C'esttout ce qui importe le plus à mes yeux : c'est pouvoir lire,communiquer et vivre de manière autonome.Le fait de voir moins bien qu'autrui ne m'empêche pas de medéplacer de nuit (par exemple en hiver la nuit tombe vite)

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surtout que j'habite en agglomération éclairée, ni même d'allerau cinéma, au cours de danse orientale ou de me promeneravec mes proches (illuminations de Noël par exemple).

PARLER DE LA FAÇON DONT JE VOIS,COMMENT ? À QUI ?

Après mon diagnostic officiel, il n'était pas question pour moique les gens sachent que j'avais une maladie visuelle, pointfinal. En effet, pourquoi le révéler dans la mesure où je ne mesentais pas handicapée par ma vue ? J'avais également peurd'être discriminée, juste par l'ignorance des autres. Seules, lespersonnes très proches furent mises au courant. J'ai égale-ment vite mis au courant mon petit ami, devenu depuis monfiancé, que j'avais rencontré en 2004.Durant mes études, seuls, mon maître de stage et le directeurdu CERTO étaient au courant. Même mes collègues, durantmon doctorat n'étaient pas au courant. Je dois préciser quetravailler en pièce sombre pour faire des manipulations ne mepose aucun problème (révélation des protéines sur membranespar Western Blot ou des acquisitions de photos des coupes surlames), ce qui faisait passer inaperçu mon trouble visuel. Maisj'ai informé ensuite, petit à petit le cercle plus étendu de monentourage. Et cela a coïncidé avec la pratique de mon sportdevenu favori, débutée en 2009 : la course à pied (Fig. 2). Cesport, que je pratique en club, a grandement contribué

Figure 2. Wahiba, lors d'un trail nocturne de 21, Carrières By Night(Mondeville, 91), en novembre 2012.

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à développer l'adaptation optimale de ma vision fonctionnelle.Nos entraînements étaient, et se déroulent encore, à heuresfixes, le soir lorsqu'il fait nuit en hiver. Il a fallu m'adapter enpermanence, exacerber ma vigilance, mon tonus musculaire etanticiper de façon continue (faire attention à tout, de balayer desyeux, d'être sur ses gardes, être prêt à freiner brutalement, brefavoir debons réflexes.).C'est d'ailleursen remarquant, de façonconsciente, que j'avais des trous dans mon champ visuel, quej'ai décidé d'arrêter la conduite automobile, peu de temps aprèsavoir obtenu le permis de conduire.En 2012, la participation à un trail nocturne de 70 kms, laSaintéLyon a été l'évènement déclencheur, d'autant plusque j'ai choisi cet évènement pour lever des fonds en faveurde la Recherche sur les rétinopathies. J'ai également mis enavant ma maladie afin de faire connaître la Fondation Voir etEntendre (http://www.fondave.org/). Plus le nombre de per-sonnes sensibilisées augmente, mieux c'est.Quand j'explique mon fonctionnement visuel aux personnes,j'accompagne mes mots avec des gestes pour montrercomment je vois. Je donne des exemples concrets.Pour l'instant, c'est surtout lié à ma surdité lorsque je demandeaux gens de faire attention :� de bien articuler en parlant ;� de bien se positionner en face de moi ;� d'éviter les lieux très bruyants tels que la cantine ;� de faire attention d'être à contre-jour car sinon je ne lis pasbien sur les lèvres.

Je rappelle que la rétinopathie pigmentaire dans le cas dusyndrome d'Usher est généralement à évolution lente. Ce quifait que les adaptations se font dans le temps. La personnen'aura pas conscience de s'adapter au cas par cas, au fur età mesure que les scotomes s'élargissent.

MON CHAMP VISUEL ACTUEL ET MON ACUITÉVISUELLE

Mon champ visuel binoculaire possède un scotome annulaireen moyenne périphérie. La zone « aveugle » (pas pour moncerveau qui croit voir une image) se décrit comme suit (Fig. 3) :� en horizontale : environ 408 au centre, puis un vide entre 208et 608 environ et finalement de 608 à 90 environ.

� en vertical : environ 408 au centre puis un vide entre 208 et408 environ et finalement de 408 à 608 environ.

Je peux vérifier le scotome moi-même avec mes mains. Pourcela, je fixe un point précis devant moi et je fais défiler lente-ment mes mains tout en bougeant mes doigts de la périphérievers le centre. Pourquoi bouger les doigts ? Parce que, en tantque logiciel de retouche d'image très sophistiqué, mon cer-veau croit voir les mains au niveau du scotome. L'illusion estvite perçue en bougeant les doigts. Là, le cerveau est inca-pable de percevoir ces mouvements dans le scotome et lacomplétion de l'image est donc impossible.Cependant, j'ai une très bonne acuité visuelle (9/10 à chaqueœil) qui me permet d'effectuer des tâches de précision comme,par exemple, lire ou, dans le cadre de mon travail, faire desdissections via microscope ou encore faire des sutures.

MES ÉQUIPEMENTS

J'ai sur moi une minuscule lampe torche solaire avec un petitfaisceau lumineux qui me suffit amplement pour distinguer les

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Figure 3. Champs visuels. a. : Champ visuel d'un adulte à vision normale ; tracé rouge : vision de jour (sensible à toute intensité delumière), tracé orange : vision nocturne (sensible aux intensités faibles de lumière). b : Champ visuel de Wahiba HADJ-SAÏD ; la zonesensible aux fortes intensités lumineuse ne sert presque à rien de nuit sauf à détecter les zones fortement éclairées et les objets perçusdans ces zones, le champ visuel de nuit se limite presque exclusivement à la zone centrale non atteinte par la dégénérescence, d'où un

balayage visuel plus grand et plus rapide.

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contremarches des escaliers en descente dans les lieux som-bres (groupe d'appartements. . .).Je possède plusieurs paires de lunettes solaires avec desfiltres RT (teinte brun rouge) (Fig. 4) :� Une paire de lunettes de catégorie RT4, avec des verresd'un brun-rouge très foncé� Utilisée uniquement par forte luminosité en montagne enhiver (Sur la neige, la réverbération de la lumière peutatteindre 85 %).

� Une paire de lunettes de catégorie RT3, d'un brun som-bre (plus clair que la paire de lunette de catégorie RT4)� Utilisée pour toutes les activités en plein air, en casd'ensoleillement (mer, etc. . .)

� Très pratique, en fin de journée ensoleillée, les rayons dusoleil étant bas ils peuvent éblouir

� Rarement utilisée en ville (à cause du paysage urbain quifait que la sécurité de locomotion prime sur la protectionvisuelle)

� Rarement utilisée en randonnée (dangereux, je ne peuxpas bien apprécier les contrastes des pentes descendan-tes accidentées avec ces lunettes)

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� Rarement utilisée en course à pied (je ne peux pas utiliserma vision totale avec ces lunettes, je suis constammentobligée de bouger la tête pour analyser continuellement lasituation).

� Une paire de lunettes avec des verres solaires à teintedégradée (teinte foncée dans la partie supérieure duverre et qui s'éclaircit vers le bas)� La plus utilisée, partout� Parfaite pour l'utilisation en agglomération.

� Une paire de lunettes sportives avec des verres courbesà teinte dégradée que j'ai acquise récemment, suiteà mes demandes incessantes pour les obtenir :� En effet, seul ce genre de lunettes me permet d'avoir unchamp visuel presque intact. Mes restes périphériques nesont pas bouchés par les branches. C'est magique, j'aienfin obtenu la paire de lunettes idéale !

� Pouvoir être protégée tout en utilisant de façon optimalema vision fonctionnelle. En effet, je ne suis plus obligée detourner la tête pour voir sur les côtés, contrairement auxtrois dernières paires de lunettes qui sont toutes àmontureépaisse avec de grosses branches

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Figure 4. Filtres RT pour les lunettes de protection solaire. La teinte RT est une coloration qui propose une coupure UV plus importante afinde produire une meilleure protection pour les personnes atteintes de rétinite pigmentaire.

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� Idéale pour la pratique sportive, d'autant plus que lesverres sont courbes, ce qui fait que mon champ visueln'est pas bloqué par les branches des lunettes.

Pour toutes les situations, je jongle entre deux paires delunettes : celle de catégorie RT3 et celle avec des verresà teinte dégradée.En 2013, j'ai suivi des cours de locomotion dans une associa-tion d'aide aux malvoyants et aveugles, l'AVH (associationValentin Haüy, www.avh.asso.fr/), car je veux anticiper lebesoin de son utilisation et surtout en acquérir la technique.Avoir une bonne vue n'empêche pas l'apprentissage. Il suffitde prêter une attention moindre à l'environnement et de seconcentrer sur les sens tactiles, podotactiles et auditifs. J'aiappris toutes les techniques d'utilisation de la canne : tech-nique de balayage en deux temps et en glissé, technique demontée et de descente des escaliers. Ce dernier point est trèsimportant, surtout qu'on n'est jamais à l'abri d'une panne d'élec-tricité. Les cours de locomotionpermettent également d'appren-dre à se déplacer en environnement urbain en toute sécurité,avec ou sans canne. J'ai eu de nombreux échanges enrichis-sants avec mon instructrice en locomotion (AVH de Paris) à cesujet. J'ai posé de nombreuses questions en relation avec lalocomotion, en cas de malvoyance ou de cécité. Je possèdedésormais une canne jaune. Pourquoi jaune ? Je revendiquecette couleur comme symbole d'une atteinte visuelle et quipermet aux gens de comprendre que la personne possèdequand même une vision utile (par exemple, une personne quia besoin de la cannepour se déplacer,mais qui s'assoit dans untrain pour lire, risquede choquer si elle a une canne blanche). Jesuis dans une démarche d'anticipation. Je veux me tenir prêteau cas oùmon champ visuel périphérique soit fortement touchépar la dégénérescence rétinienne.Dans quel cas, en quoi ma canne pourrait-elle m'être utileactuellement ? Dans les situations, où il y a des mouvements

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de foule, de nuit, la canne m'est fort utile pour me frayer unpassage vu qu'il y a trop de monde, trop de trajectoires prisespar les gens, pour que je puisse anticiper et agir en temps et ensécurité, mais ces situations restent bien-sûr rares.

FONCTIONNEMENT PERSONNEL

Vision de nuit

Tout le monde me demande comment je vois la nuit car ilsremarquent que je les vois. On ne peut pas dire que je ne voisrien dans la nuit, mais je vois moins bien qu'un individu normal.Le contraste en niveau de gris-noir est moins bien perçucomparé à un individu normal. Les mouvements sont moinsbien perçus. La vision périphérique ne sert presque à rien danscette situation, si ce n'est pour détecter des lumières immo-biles ou en mouvements (phares des voitures), ou de détecterdes formes ou des objets bien éclairés.Pour que vous compreniez, voici quelques exemplesconcrets :Je suis allée à un spa avec ma mère. À l'entrée tout est plussombre. Ma mère me met en garde devant une marche au sol.Tout est sombre, les pièces sont seulement éclairées par desbougies placées ici et là. À unmoment donné, j'observais avecune attention particulièremon environnement. J'ai distingué unévier sur une table et en dessous de cette table, impossible dedistinguer quoi que ce soit. Au bout d'unmoment, j'ai pumalgrétout différencier les pieds en fer forgé de la table par rapport aufond et j'ai pu suivre les prolongements des pieds vers la table.J'ai ensuite aperçu une poubelle noire de forme cylindriqueavec un couvercle et la pédale de la poubelle. J'ai pu ensuitevoir la fameuse marche que je n'ai pas vue en entrant. Mamère en a été surprise :

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� « Mais tu vois ! »� « Oui mais. . . ». . .Il est parfois difficile d'expliquer sa vision nocturne aux gens.Dans ce contexte, avec l'adaptation à l'obscurité on peut voirde nombreux détails, seuls les mouvements sont moins per-çus surtout que les individus ou objets en mouvement sontsombres (vêtements sombres, etc. . .).Dans tous les cas, j'ai besoin que le visage de mon interlo-cuteur soit éclairé, même faiblement pour pouvoir comprendreses propos et les appareils auditifs constituent un plus.Je peux suivre un chemin en rase campagne lorsque la luneest pleine. Je peux admirer les étoiles et même la voie lactée.Lors d'un rassemblement pour l'observation des étoiles, jepouvais voir les formes des gens, des objets mais je nediscernais pas les détails (bouche). L'orateur s'est mis à parleren montrant le ciel. J'ai pu suivre, grâce à mon fiancé qui meparlait en articulant (sa voix est grave), tout en me signant enLSF que je percevais de façon tactile. Bon, je ne suis pasencore douée mais ça m'a permis de suivre grâce à mesinformations auditives et tactiles. Quand il me montrait laconstellation en question, je pouvais la voir (la grandeourse. . .). Et le retour à la voiture, à la fin du rassemblement,s'est fait en mode guidage (http://www.youtube.com/watch?v=O8QiCMa0lgM) que nous avons appris. La personne bienvoyante guide la personne malvoyante en lui fournissantdes informations via son comportement qui renseigne sur l'étatdu parcours et des trajectoires (marche, trou, plot à éviter). Jeme suis amusée à me laisser guider les yeux fermés et j'aiadapté ma foulée au terrain, c'est-à-dire que je faisais desgrands pas et je levais haut mes jambes (pas une fouléerasante).J'ai appris à utiliser le moindre éclairage, même faible, pourcapter le maximum d'informations. Par exemple, lorsquej'entre dans une cage d'escalier d'immeuble, il fait noir, jen'allume pas la lumière. J'attends un peu, et je discerne lescontremarches des escaliers, la rambarde des escaliers à lasimple lueur des éclairages de secours.

Connaissance du paysage urbain et ducomportement, mémorisation spatiale

En agglomération éclairée, nous pouvons nous en sortir enutilisant l'éclairage urbain et en ayant de solides connaissan-ces en environnement urbain.Voici des exemples :Cas 1 : Rues commerçantes : beaucoup de monde, diffé-rentes trajectoires utilisées par les piétons (ils peuvent arriverde partout), comportement des piétons (ceux qui marchent, lesyeux rivés sur leur smartphone), entrées et sorties des maga-sins / parkings.Dans ce cas, je suis en mode « concentration périphérique »,mes restes périphériques m'avertissent du moindre mouve-ment latéral. Mon balayage se fait dans un champ restreintmais extrêmement rapide. En effet, si vous regardez à droitepour évaluer la situation et qu'ensuite vous décalez lentementvotre regard vers la gauche, l'évènement que vous avez vuà droite est susceptible de changer rapidement. Ce qui peutgénérer des bousculades et de l'incompréhension. Ici, lesappareils auditifs jouent un rôle important. Localiser les sonset déterminer si les sons sont éloignés ou proches. Par exem-ple, j'entends quelqu'un qui marche sur ma droite. Le sons'amplifie, j'en déduis que la personne se dirige dans madirection et je tourne la tête pour compléter mon information

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Pour citer cet article : Hadj-SaïdW.Wahiba HADJ-SAID.10.1016/j.rfo.2014.03.001

et, en fonction de ce que je vois, j'adapte mes mouvements(évitement, etc. . .).Cas 2 : Rues peu fréquentées et sombresUn coup d'œil au sol sur 50 mètres (vous savez la distanceentre un panneau STOP et la ligne stop) en balayant du regardla largeur du trottoir à proximité d'un lampadaire suffit à mefaire une idée des différents obstacles au sol (poubelles, petitsplots), des sorties de garage.Un coup d'œil vers la droite vers 308 puis vers la gauche mesuffit pour me faire une idée des trajectoires prises par lespiétons. Et l'ouïe aux aguets bien que je sois limitée par masurdité.Pour tout déplacement, j'accorde une vigilance particulière auxcyclistes. Ils ont un comportement très contestable, surtoutà Paris :� non-respect des feux et, par conséquent, ils gênent la tra-versée des piétons ;

� circulation en sens inverse de la circulation, dans les sensuniques où il n'y a pas de panneau ou de marquage au sol,les autorisant à remonter en sens inverse ;

� non-respect des piétons, y compris des personnes utilisantleur canne :� expérience personnelle : un soir, j'ai évité la chute d'uncycliste. En décembre dernier, j'ai aperçu un mouvementvenant vers moi sur ma droite et mon réflexe instantané aété de rabattre la canne (1m20 de longueur) vers moi, etle cycliste est passé devant moi à moins de 20 cm). C'estle monde à l'envers ! Ce n'est pas à la personne avec unedéficience visuelle de faire attention aux gens, mais auxautres de faire attention à elle ! C'est l'un des rôles de lacanne. Les autres piétons nous ayant vu ont trouvé monattitude bizarre. Et cela, de nuit sur le parvis du CentreGeorges Pompidou (pour ceux qui connaissent, l'éclai-rage est médiocre).

� circulation sur les trottoirs, alors qu'il y a une bande cyclableproche ;

� absence de signalement (lampe, gilet fluo), vu qu'ils sontsilencieux ;

� enfin, ils sont dans leur bulle (téléphone à la main ou écou-teurs sur les oreilles).

Cas 3 : Course de type Marathon de Paris, donc affluence.Là c'est facile, tout le monde va dans la même direction. Parexemple, je veux doubler un coureur par la droite, je décalemon regard vers la droite de seulement 308, ce qui m'informe sije peux le faire sans gêner un coureur qui serait surma droite eten retrait, ou pour évaluer si j'ai le temps de doubler.

Relation vision/mouvement et vision/posture

� Ajustements proactifsBalayage visuel : Je ne fixe pas un point mais je déplacesans cesse mon regard, plus ou moins rapide, selon lasituation. Ce qui est masqué un instant par la tache aveugledevient visible l'instant d'après, ce qui peut donner desinformations afin de permettre d'anticiper l'action à entre-prendre.Lorsque, par mégarde, je fais tomber un petit objet, j'évite laconcentration fine car, comment chercher un petit objetà terre si on ne fait que fixer un point précis en modebalayage ? C'est une perte de temps et source de stresspour rien. Il ne faut pas hésiter à s'éloigner de la zone, voire

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se mettre à quatre pattes et à voir sur le côté pour trouverl'objet en question.

� Ajustements rétroactifsCes ajustements sont développés grâce à la pratique de larandonnée enmontagne et à la course à pied. Je développe,petit à petit, un sens podotactile et un tonus musculaire quicontribuent à la proprioception.Tous mes sens m'indiquent ce qu'il faut faire et m'alertentd'un danger immédiat ! Plus d'une fois, je me suis arrêtéebrutalement devant un plot au sol sans le percuter, oudevant une personne qui surgit brutalement !En effet, la proprioceptivité est la sensibilité qui permet deprendre conscience de la position de tous les segments deson corps et l'appréciation de leur déplacement dansl'espace. Les récepteurs de la sensibilité proprioceptivese trouvent essentiellement au niveau des muscles etdes tendons. Ils renseignent sur l'état d'étirement du tendonou de contraction du muscle.Lors du trail nocturne de décembre 2012, effectué dans lecadre de la campagne de levée de fonds pour la FondationVoir et Entendre, j'ai dû faire face à des conditions environ-nementales plutôt dantesques (neige de 30 cm, verglas,terrain accidenté, boueux). Ma très bonne lampe frontalenem'a pas vraiment servi dans l'anticipation demes actions,dans la mesure où il y avait de nombreux participants et parconséquent toujours quelqu'un devant moi. Impossibled'anticiper visuellement par rapport au terrain ! Jeme basaisdonc sur mon tonus musculaire, mon sens podotactile et maproprioception, mon ouïe. Je ne suis jamais tombée sur lesfesses ! Cette course a été extraordinaire. Tout au long duparcours, je n'étais pas fatiguée ni physiquement et ni mêmevisuellement. Mes yeux étaient tous grands ouverts en12h30 de course !

Concentration périphérique

Je ne sais pas comment décrire un autre état que j'utiliseénormément. J'appelle ceci la concentration périphérique.C'est un état où je suis attentive à tout ce qui se passe dansmon champ visuel. Dans cet état-là, si vous me mettezdevant les yeux une feuille à lire, je ne peux pas la lirecar je suis concentrée sur l'environnement. Cette attentionest très utile lors des déplacements dans n'importe quellesituation.J'intègre et j'analyse les informations monoculaires et binocu-laires pour agir. Mais cela se fait d'une façon plutôt instinctive.

Adaptation et Anticipation à long terme

� Entraînement individuelJe teste et j'optimise mes capacités visuelles en recourantà quelques exercices. Je fais varier mon attention (concen-tration fine/ attention périphérique) afin d'analyser mes per-ceptions.Par exemple, à un carrefour routier, lorsque j'attends montour pour traverser, le regard fixé sur le trottoir d'en face,j'observe le mouvement des voitures. C'est fascinant, pres-que irréel d'essayer de voir comment l'image est reconsti-tuée, l'espace d'un millième de seconde, dans monscotome annuaire, de jour comme de nuit. Dans une ruepiétonne ou une allée centrale, lorsqu'il y a foule, j'observeles mouvements des gens et j'essaie de prédire leur

Pour citer cet article : Hadj-SaïdW.Wahiba HADJ-SAID.10.1016/j.rfo.2014.03.001

trajectoire à partir de mes informations visuelles, auditives(j'entends les pas, le volume) et kinesthésiques (les dépla-cements d'air générés par les mouvements des piétons etcyclistes).Je procède également à un entraînement particulier. Jesuis devant mon ordinateur en train de lire sur l'écran etj'essaie, dans le même temps, de voir les mouvements surles côtés.

� Sensibilisation de l'entourageJ'informe mon entourage de mon fonctionnement. Parexemple, une personne qui me parle et qui se metà contre-jour, je lui explique gentiment que je ne peuxpas lire sur ses lèvres car tout son visage est d'un coupplus sombre. Autre exemple, une personne me parle tout enme montrant quelque chose avec ses mains, je lui expliqueque je ne peux pas me concentrer, en même temps, à la foissur ses lèvres et sur ses mains !

� Vie quotidienneJ'adapte ma communication avec autrui en fonction del'heure et de l'éclairage ambiant. Je passe facilement del'oralisation à la LSF. Les deux modes de communicationsont importants et se complètent. Surtout qu'on peut per-cevoir la LSF de façon tactile. S'il fait trop sombre, pour queje puisse comprendre en lisant sur les lèvres, il me suffiraitde passer en mode LSF avec la personne qui doit, bien sûr,maitriser cette langue.J'ai un ami formidable, également atteint du syndromed'Usher et quasi-aveugle. Je communique facilement enLSF avec lui. Je signe, ses mains posées sur les miennes.Il « écoute » tactilement et me répond en LSF. Il a unevolonté et une joie de vivre extraordinaire. Il a un métieret sa passion est également la course à pied (il est inscrit enclub d'athlétisme et a un guide pour ses entraînements). Unexemple à suivre !Je maîtrise la LSF, mais il me reste encore beaucoup detravail pour la comprendre tactilement.Il est très important d'avoir une vie personnelle et socialeactive ! Se faire des petits plaisirs. Cela permet de garder lemoral au top, même si nous avons tous des moments defaiblesse et de découragement.L'entourage a un rôle important. En effet, le bien-être de lapersonne dépend de l'attitude de son entourage (par exem-ple, une personne qui a honte du handicap de son conjoint etqui lui demande de ne pas sortir sa canne en sa présence,ou encore qui lui fait des remarques acerbes sur soncomportement).Il faut se fixer des objectifs dans le temps. C'est justementavec ce genre d'action que l'on s'entretient physiquement etmoralement, que l'on essaie de garder au maximum sonautonomie et de faire tous les efforts pour cela (aides tech-niques, visuelles, entraînements. . .).Moi, mon objectif à long terme est, pour mes 50 ans, derecourir le Marathon de Paris, soit en l'an 2033 exactement,avec mon fiancé pour guide. Peu importe si j'ai un champvisuel de 108 ou même de 28, rien que le fait de penser à cetévènement j'en ai un frisson d'exaltation. Profiter au maxi-mum des petits plaisirs de la vie est très important. Monautre passion est la danse orientale, une très belle dansesensuelle que je pratique depuis maintenant de nombreu-ses années. La maîtrise de son corps, de soi, est un atout.Je suis d'un naturel souriant et positif. Le secret est de sefixer des objectifs et d'oser se lancer (Il n'y a que le premierpas qui coûte !).

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W. Hadj-SaïdActualités / Témoignage

Désormais, je dois être la seule à me réjouir lors du passageà l'heure d'hiver et à faire grise mine lors du passageà l'heure d'été. En effet, le travail visuel est au maximumà la tombée de la nuit et le fait de le faire régulièrementmaintient un travail correct et limite la fatigue visuelle. Enété, il m'arrive d'attendre 22 h pour aller courir dehors, neserait-ce que pour retrouver mes instincts nocturnes déve-loppés lors de la période hivernale.On me pose de nombreuses questions quant à mon travail.J'ai choisi un domaine qui, selon les gens, pourrait êtredélicat pour moi, surtout que mon travail me renvoieà mon état. En fait, je ne fais pas le lien entre mon travailet moi-même. Au contraire, j'arrive à séparer l'aspect travailet l'aspect personnel. Certes, cela m'a amenée à une meil-leure connaissance de soi-même, le fait de savoir commentfonctionnent l'œil et la rétine elle-même. Et surtout, j'aimeme dire que j'apporte ma modeste pierre à l'édifice de cegrand défi : me battre pour que d'autres n'aient plus à subirles effets de cette maladie. De plus, je suis membre actif del'association syndrome d'Usher, fondée par Mme Lunion,mère d'un enfant atteint du syndrome d'Usher de type 1(http://www.asusher.fr/).

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Pour citer cet article : Hadj-SaïdW.Wahiba HADJ-SAID.10.1016/j.rfo.2014.03.001

CONCLUSION

De manière générale, s'accepter tel que l'on est ne veut pasforcément dire accepter la maladie (ce qui est mon cas).L'acceptation de soi et la connaissance parfaite de sa visionfonctionnelle, le développement des autres sens, ainsi quedes sorties régulières sont des critères importants dans lemaintien de l'autonomie, ainsi que de la vie sociale et pro-fessionnelle. De plus, il est important, compte-tenu du carac-tère évolutif de la maladie, de recourir régulièrement à desséances d'orthoptie, de locomotion afin d'optimiser sa visionfonctionnelle du moment. De plus, il est très important demettre en place un suivi de la personne concernée dès lediagnostic, y compris dans les pathologies débutantes. Il nefaut pas attendre que ses vies personnelle, sociale et profes-sionnelle soient affectées par l'évolution de la maladie pourmettre en place des stratégies de compensation.

Déclaration d'intérêtsL'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cetarticle.

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