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Facsimilé de l'édition originale de 1888
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Voyage à l'île d'Utopie /par Thomas Morus.
L'Arcadie / parBernardin de Saint-
Pierre
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Thomas More (saint ; 1478-1535). Voyage à l'île d'Utopie / par Thomas Morus. L'Arcadie / par Bernardin de Saint-Pierre. 1888.
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A- L'ILE D'UTOPIE
I,'ARCADIE
VOYAG.9
180CinS A%(OlCnU,Il mr~t~r~~m PB 'L.8.EFR4ICCn-DI-aOUBROVl
· Jnie~ DAlbOC1.,DIreete8r.
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Ve_Y~GÈ:SD;¡1t!S'T9V!<:tES~.(fJ-j]s'NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE HISTORIQUE ET ~LiT'TÉpA~iaT
~ubGéee~e l~i~ire~ionde1. logène ~iû~, cousec~xtear ~s BGbuotbèquedel'àrs~l.
VOYAGE
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THO~iAS AiORUS.<.i THO ~I A S ~IORUS
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A AI~~EPAR BERNARDIN DE S~1I1'T~PIERRE
LIBI~Â,t.IE. ~u~. 'EL~G~~VT0»
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3~ My
A L'ILE D'UTOPIE
VOYAGE
AVANT-PROPOS
-.¡.f
Utopie 1 entendôns~nÕus. dire communément
y des s~duisants mais irréalisables' pro ets de
reorganisation sociale dus à de philanthropi-
.,quesrêyëurs.ou:.à, d9hypocrites- ilùbitïeux
'pàrlaIlt-reçoivent la--=qûâli~catiQri~ d~utc~pistes:-
Utopie,~ ~topisfes; si. pl~éc¡_s' que "'soit..pou~
ôus le.s esprits le ~sens de ces loc!lti9Íls, ous
les esprits ont-ils la iloti()D bien egacté, bien
complète-- des raisons qùi en ont consacré-
rUSage1. Non, peut-être.
Ada vérité', c'est toute- une histoire. Co n
,tQns.la.
.v;ênJ lïf'fMt (Juq~lizième siècle c'est-à-dire.
,.de ti9li.l¡~ p~irm~~les élèves du ooIl~~
il'Oif~r(trit- en cêtait-q~ à peine sorti de'
.1'.dQ~~eSêé~ë~lte:: fa~&i~.déjà connattre-par une
\8ùi~Êrdè:pé~iÍèsco~po.iollsen vers angl&is9ù
2..k~i~~t~}~fattelt.iD!I~Mîêl'IUi':aù".t~i6~
,.¡..
':Jf~J,¡,J~f.-j'c-.
"étI.=:rE<'lIc;ë"'¿, .td'ki)": .ft"fê'- ~i-U.~~Ji:5:t:è~~r-t~~treSp'eo,: e~ -o~£
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JA.I _l' .q.L'J"U'"_u'
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1J:f} ~l~?~ ,·~ t~.W n r
·
lll.~ ~t ~it'
8 ~VÂN T-~ Pya P~O~$=
tout de vives épigrammes et certains poèmes
satiriques, dont la franche gaiété èt la mor-
dante ironie ne'froissaientjamài.s le.bongoût.
Dans un style toujours pur il rit sans offen.
ser, » disait un grave philologue allemand,
émerveillé par la précocité du jeune écolier, qui
dès lors prenait rang parmi les maîtres et se
liait d'affection 'avec maintes notabilités intel-
.lectuelles, nota~mentavec cet Érasme qui,
pendant près d'un demi-sièele, devait être
comme une sorte de roi de la gent philoso-
phique et littéraire..
Bientôt cependant l'on put croire que ce
charmant esprit allait. êtrep'erdu, pour. le
monde, qui avait salué sa brillante venue car,
pris au sortir des écoles d'un pieux accès de.
mélancolie il avait résolu de rev~tir i~~bu~e ~t`
de disparaitre dans l'ombre du cl'oitre.
.De fortes amitiés réussirent à le d6t,ourner
de cet abà.ndon de lui~même.. Ramené', à des
idées moins mystiques et s'ét-an--t promptéQiè.ot'.
familiarisé avec la connaissance des lois, il:' fUt>investi de fonctions publiques, qdil ne.-tardi
pas toutefois àdélaisser ,:poúl'dëmatiaè;
da,t plusieurs années une paisiblelëibôtiedee retraite à une m,a'json reÏigië~
j ~· tout en s'astreignant. a~ plusaUster~¡;f r.
AVANT-PROPOS 9
:pratiques de piété, il s'adonnait sans relâche à
l'étude approfondie des lettres antiques et rno-
dernes. S'il se donnait quelques loisirs, il les
consacrait àla musique, quidevaitêtre toujours
pour son âme tendre une source de pures joies.
Peu à peu cependant le monde le revoit, et
si bien même qu'un beau jour, toute idée de
claustration dévote abandonnée, le voilà qui
entre en ménage. Et comlnent? dans quelles
circonstances? Bien accueilli dans une fa-
mille,- où se trouvaient deux jeunes filles, il
a remarqué l'une d'elles, la cadette, plus gra-
cieuse, plus belle que son atnée il la désire
.pour épouse et déj à se dispose à faire la. de-
mande, qui lui semble devoir être aussi bien
reçue par le père que par celle qui en est
l'objet~; mais au moment décisif « Ne vais-je
pas se dit-il, en recherchant la plus jeunedes deux soeurs, infliger une sorte d'affront à
l'alnée, qui, si elle- est douée de moins d'at-
traits physiques, ne le cède en rien à sa ca-
dette pour les qualités du cœur et de l' espril?
Puis-je honnètement, dignement, agir ainsi ? »
Et,,8'81)¡I'plu8'délibérer, c'est la main de
q et qu'il obtient.
:A1Jtarlt d'actès, autant de traits mettant en
le caractère supéri ~ur de l'homme qui
in AVtfNT-PROP08
devait être ûne des plus .nobles, des plus' im-
posantes, en même temps qu'une des plussjrm-
pathiques physionomies de son époque.
Enjouement nat~rel, esprit» délicat, plume
brillante, piété profonde, passion de la sci~rice
et de l'art, droiture p~u8sée jusqu'à la can-
ilèur yoilà~ de. quoi était faite cette grande
individualité.
Thomas More, ou plutôt Morus (forme que
ses nombreux écrits ont. fait prévaloir dans
l'histoire), Thomas Morus marié devait songer
à se créer des reslourec!t Il entra au barreau,
où bierit'u%t sa lucide entente des affaires, son
'éloquence entralnante, persuasive, lui assur~-
rent le su~cès. ,En peu d"années il conquit,
autant par sa probité par son désintére~8e:.
ment; que .par ses talents, une' popularité qui
lui valut d'abord. d'être élu à une magistra-e 91
ture populaire puis. d'entrer au. Parlement,
où sa voix s'éleva puissante -contre l'abus quele roi Henri VII faisait de son autorité pour
multiplier les taxes et les impû~s..
~o~cé de quiitter l'Angléterrre pour échapperaux tracasseries royales, il n'y rentra que sous
le. règne d'un prince dont il avait célébré en
bealJ~ vers l'avèn~ment et qui} assistant un
jour. à l'une de ses plaidoiries, voulut le voirr
e-
AVANT-PROPOS Il
le connaît¡'e~ l'attacher à son service. «Esclave
de son vif amour de l'indépendance )), comme
il devait l'écrire plus tard, ce ne fut* pas sans
de' .grandes hésitations et sans une sincère
résistance aux obsessions du puissant ministre
chargé- de l'attirer à la cour que Io jeune avo-
cat consentit à pénétrer dans ces régions, pour
lesquelles il ne ge croyait pas né et qui lui
inspiraient une sorte de répu~sÍo~ in8linctive~ Il
céda cependa~~t,; et longtemps il put croire qu'il
n'aurait jamais sujet de regretter sa condes-
cendance, aux désirs du. souverain car non
se.ulement il reçut, tout d'abord le, meilleur ac-
cùeil du roi Henri VIII, mais plus les jours pas-
aaient et plus s'affermissait et grandissait. son
crédit auprès '.du ,.prince qui a. laissé dans l'his-
toi.ré de si bizarres et si terribles souvenirs.
< CeBarbe-Bleue britannique, qui 8e piquait
de grandeur d'~me et de profondeur politique,
de haut savoir et de bel esprit, dé magnificence
a et de familière jovialité, semblait se complaÏ!'e
C particùlière'ment aux solides entretiens, aux
Q,pinioDs droites et àl'inaltérable bonne humeur
~4eTlïomafi-Morus, dont il fit d'abord un simple-
inaitte des requêtes, puis un conseiller intime,
~puis1Înambassadeur, puis u trésoriér de la
;"coufouDe ~et un ohanceliers~-<
12 tfANT-P'ROP08
C'était le temps où les attaques de Luther
contre la chaire romaine causaient une im-
mense perturbation dans le monde chrét~i*en.
Morus, qui avait gardé la vive piété de 8a Jeu--
nesse et qui considérait comme funeste tout
dissentiment pouvant porter atteinte à l'uJilité
de croyance religieuse, Morus lança perso'Q-
nellement contre le moine allemand un violent
réquisitoire, et, antant qu'on croit le savoir,
tint la plume pour le souverainquandcel-uii..ei,
publia en 'faveur du saint-siè:ge un manifeste
qui lui valut, pour lui et ses descendants, le
titre de Dé fensezcr de la ` foz.
Cette coml1)unauté d'idées devait mettre le
comble aux sentiments favorables du roi, -fPÚ"
éleva enfin Morus aux fonctions de grs~t~=~
chancelier du royaume.
Morus toutefois n'accepta qu'avec de t1'i«t_~j
pressentiments cette.hau~e iDve8titure.("~j
mesure qu'il s'élevait dans les honneurs, ~~`'de ses biographes, son humilit.é
aug~ent r~fde jour eri jour La prospérité lui avait ton~3`fait peur, les faveurs l'avaient 'toujours~p- '0-rQ
vanté, comme autant de tefltatir0Il'$,e;t)~O! 1("r'~
et il n'engageait dans les a~a~e~- s ~~e se~~c
lents, réservant 8aooItÍC;ie,u~elL lDiiéB.D_.
maison la religion se mêï"it l&u~cnl'8~lle8travr c'
AVA--4-N",T p Ft,-O~pel~ 13
tous les plaisirs. Après le souper, penda.
-lequel on avait lu q1J~Iqu:e livre édifiant, et
Í¡¥aat .qu ':OD fit de :la,lftusi¡q111ie,cequietait.amuse',ment ordlllaire de J'a.ve:Í:llee, il par-1-aitaux siens des choses de lapié:té et leur recom-
m:andait le soin de leur A-me. Jamais on ne
jouait, contre la coutume de l'époque. » (D. N--i-
sar-d, LEtudes szir la Renaissance.)Or, s'il était effrayé à,}a pensée d'occuper les
-piles haut-es fonctions durefaume c'est
'lqij~.lorsMo!rusa\'aiteu le loisir d"6-tudier,de
fl'èsleC'&l!actèreet les visées dqu ~at~,e et si
ses appréhensions, il ne is"6,~tait pas dé-
1'0b~ à l'honneur en quelque sorte 8uprêmequi
;v~e~naitle trouver, c'est que sa vaiUanle cons-
cience se f6t reproché d'avoir fui l'occasion de
,4I~im~lRerbai1lteBleBt fidèle aux principes de,
toutes&we.
,\CC La co~r 1 réussit si bien que j'en ai
;t- -.6 J-. A. d, ~aart son a~iP: peur 1, ~w*p» im"va-it .a,g;tTe partaoB ami
-Ërtloi~ae, qu'i 0 teutd~ois~ne croyait pas Jans
,do;utefonadJeraiosi un'funeste pronostic.
En l'éll1itéle beau zèle orth~do~e professé
.ai~~ ~wcl~~a~i~t 11\11~,u9~,q,u,e 1191'118
~~ie~~t̀ f~~ô~~fë~t à~~ o~~r~~s ='~ d~1 j¡(-ea-
MJ"iIh$aw..
.êltJÎ~ merl Cathen.,e, d'h8l0D,r
.14 AvA~T-P~as~
voulait obtenir du pontife romain loi rilpture, do
cette union, ppur épQuse"r une des filles d'hon-
neur de la reine Anire de Boleyn dont il
était -violemment épris; et, afin d'atténuer la
résistance du.saint-père la consécration de ce
~candale.. il s'était prôclamé l'ardent champion,
de la" foi -prétendue conviction dont.il ren-
dait en outre uu. actif t~moignage, en décrétant
et en faisant exercer les plus cruelles. rigueurs
contre les moindres velléités de .dissidence.
Et c~mxrie le pape se refusait à faire selo~. ses'
désirs" il avait semblé au prince q~'une plus
grande foroe serait danD;ée à sa reqùête ,si elle%-
avait l'adhésion, l'appui de l'homme qui s'était
'acquis une-réputation ~niv~rselle_. de' beau:~t
talents, de vaste savoir et de hautes vertus.
Mais -aux« premières ouvertures l'attitude. de
~Morus fut telle, que le roi"tint .:p,our inutile
toute insistance ce- sujet. D issimul ant sm
dépit. il déclara nu grand chancelier qu'il..
r-Ospectait.-son' o pin~on; et pendant un certain
-temps le mini~tre.~ntègre,stant étranger ~,r
la. question qui, pour le pr~llce, 'dom~nait toûtes
les-- autres, put,consacrer son..activi~1Ï~f;
lance sa probité au~dewairs 'sa:~b_je." ,e~
Màis., qu soi.n 'Y«l prî-t d'~fi"1~
Ÿportance durôle'qu'il-r,emplis,saj.taroo t~~ _dr`~.>1
faAVANT-PROP~08
profit pour l'État'-et pour les particuliers, le
moment vint où cette situation-devait prendre
fin. Morus le comprit et résigna de lui:"m'ême
.ses Con"ctions aux mains .du roi, q~i, °sans op-
poser toutefois le moindre refus à cette déter-
mination, parut en -manifester les plus vifs
regrets, et ne se sépara de son servitéur qu'cil
le comblant de'louanges"pour la noble façon
dont il avait' compris et accompli les devoirs
.de son titre. Ayant occupé les charges lés plus
lucratives sans savoir ou plutôt sans vouloir
s'en assurer les magnifiques bénéfices, Morus
~ntra pauvre dans}a retraite, en s'efforçant de
faire venirsur lui l'ombre et l'oubli-.
Mais, outre que Henri VIn n'oubliait pas, le
nombre était grand des créalures royales poù~
.qui les rigides pri~cipes du grand chancelier
avaient été Une gène détestée. Les rancunes
étaient nombrtuses.
A plusieurs reprises, sans y réussir,' malgré
s~ttJùte-pùi8sa~e~ et malgré lé zèle servile
--des ennemis de' Morus,. le roi tenta de le faire
Comp~endre dans certaines accusations.
-Mais enfin ~1'oçcasion s~ofi'rit plus. directe,
'uBi,franèhe.
~.L'La.s- d,es/é8istances de 1,&"cout romaine,
Henri-YIn", -brayant tou~,c~ les c~Dsurè8; ~sc
te AVANT-PROP09
mettant au-dessus de toutes les lois, fit casser
par son clergé son mariage avec Catherine
d'Aragon, épousa Anne de Boleyn, obtint de
son Parlement le vole d'un acte par lequel
l'Angleterre s'affranchissait du pouvoir et dela juridiction du pape, et enfin se déclara chef
d'une doctrine religieuse nationale, dont il
régla de lui-même les dogmes, les rites et la
hiérarchie cléricale.
Alors Morus fut mis en demeure de prêterle serment dit d'allégeance (soumission et fidé-
lité) à la postérité de la nouvelle reine et de re-connaitre le roi comme chef
spirituel de l'État.Morus répondit sans la moindre hésitation
qu'autant vaudrait à ses yeux renier Dieu-
sacrilège qu'il étaitincapable de commettre..
De ce fait il fut condamné à la prison etuelle et enfermé à la Tour de
Londres;'il~ ycomposa un opuscule intitulé ~uoif pro ~demors na~a sit f~ug~endu (Qu'on ne doit pas re-
-douter la mort pour affirmer 8afoi).
P
Comme au bout d'un an ni ses amis ni. se8'
proches n'avaient pu obtenir de lui qu'il té~tractât rien de la courageuse réponse qui,-selon'lui, n'était rien de plus que la
CODs.,fP-tonte naturelle de ses intimes co!nvieti¡éft8, P-
roi, dont trop de gens étaient pÑt8 à' ,~e~r~ F:p
~LJfq~· =.·~t~ 3-=:-[1(1 I
le Lîmentp le lit Poursuivre pour orime
d.eh.'utetrahison.
o~4~e
Moruscomparut no se
défendit qu'eo'ffuant le&8CruplIIes. de sa conscience, et enfinentendit porter contrè lùi ce terrible verdict:
le Thomas Iforua, ancien chancelier d'An--d An.gleterre, y vaincu de haute félonie, pour
bidmè de l'union légitime de gon roi, pour refusde reconnaissance de la suprématie spirituelle-de celui-ci et
pourçonlplicité..dan.le crin» de""QI-, :4vêquede .Rôchestor, réçeDllD~Dt mismeut ~a
à "~tPOIJI': tentati.e de perturhafion de l'Étatd'une bulle pontificale; sera tralïné surlx cléio à travers"* la.cité- de
Loodres', j~'à'T.y-burn, Pour y être pendu; la corde ser acoup4e.avant qu®.la mort 81lrV1~Dne; en cet état, il seradéchiré. vif, son ventre ou-vert,. ses e- ntradleses et hr6tiies;
Les.quartiers de sonGe"" seront exposés sur. les quatre portés
dé.1 ci et sa tét~ -d~ le pont de Londres.'»l
f-
commua cette pei n een-
'0,48 1. & 9e dée4pitab"on, Q and on vint,,1:app1!8ndte à Hems': « Dieu,. dit-il; préservé'
,n~s~e ~a ~~p~~o~~c~Fu roi~ :et -y,diu ror~ et tbut
;c"6 se$- plwdblae .l
't~i,tIit,~e"j8.a- nû'ê8~
le'~D_i"¡.lIse82#
o.
1. ~1III!8t
11- 1 1
~:1. 1 T-,
~8
de ses juges, et comme il devait sourire jus-qu'à son dernier moment..
C'est qu'une fois sa résolution bien prise de
rester inébranlable devant les menaces les
plusterribles comme sous l'effort des plus
affectueuses obsessions, l'héroïque vieillard
s'était impassiblement réfugié dans la fran-
~he bonne humeur qui avait toujours été une
nuance charmante de son noble caractère. De-
même qu'aux jours paisibles de sa prime jeu..
nesse il avait révélé lës grâces de son esprit,
par de malicieuses bout~des, de même, chargé-
d'ans et sous le tranchant du glaive, il traduit
la stoïque sérénité de son âme par-de plaisantes-
remarques, par de fines reparties.
L'homme grave, n'ayant plus qu'à attendre..
une mort tragique due à son o~iriiAt:re .~vi~était devenu une sorte d'enfant, ,qui badinai~~comme pour.dissiper l'ennui de l'attente.
Jusqu'au dernier moment, le roi, qui lui..
eût certainement fait grâce si' Morus; seld~>1
déshonoré à ses yeux par une rétractation-~r
tenait auprès de lui des affidés qui insisf:aien~
qui argumentaient. Un jour, ..di~t.on- .p ~0,
pper sans doute. -aux fa~lg~~te>s~b~
tions d',tin, de. ceux.là-: «Soit
~e~ti~ent, fit lé conda~né, cÓ~Ù1p iÛ"!Q-~1n'g~
-i 1- _zl 1,am
xv~r~T-P~aPVS <;9:Il~
d'une profonde méditation. Aussitôt 'avi-8.
donné au ~naltre; qui ordonne d'allèr recevoir
cette rétractation, et'quand on se présente,
« J'al en effet changé -de sentiment, dit tran-
quillement Morus et voici en quoi. J'ai y
comme vous voyez, la barbe assez longue. J'ai.
longtemps réfléchi sur ce que j'en ferais. La
garder?rIl ne serait vraiment guère honnête
de paraitre devant le peuple un jour de céré-
monie avec un menton aussi tcuÍJJu. D'ùn
autre côté, me 'faire' raser, il Y aurait de l'af-
fectation et d'ailleurs ce serait là rajeunir"
pour mourir donc la question mrembarras.-
sait. A la fin le respect pour l'assemblée
nombreuse qui doit assister à mon mariage
et à mes noces'avec la Mort l'a emporté
j avais résolu de passer, pour la demiére fois,
par les mains du barbier.- Depuis je me suis
dit Pourquoi ma barbe n'aurâit-elle point
de part à la fête 1ne me touche-t-elle donc pas
d'assez près?' Et si 1e periionnage que je suis
sur. le point dé faire est un peu désagréable"
n'est-il pa8j~ste qûe ma barbe partage ma
;Y;:hj~tQ~y:êl".a,>"dcl1l1~¡Df'?Jesûi8donc 'd;lè
t~I.ij1a~4e:e'l,ps$er là le rasoir; 'et.c' e.q.~i~i' °
S
'Y'i~d~tll.t'~êntimeBt »
F ;Q_l['il'fU.teOa4uil au- supplie. (7' :.Uin:_r.
1 1- y1 1j -¡..
20 AVAl'~ = P~R0-P 0 S
au moment de gravir les marches de
l'échafaud ~«Cet escalier 'est mal assujetti,dit-
il à l'officier de j ustice qui présidait au funèbre
sp~çtacle, on -devrait pouvoir mon1er ièi, en
toute s~reté il se-rait vraiment désagréable
de s'y romp~e le cou. »
-Arriv é sur la plate-forme « Bourreau, mon
ami, reprit-il, n'ayez point' de peur;' faites
bravement votre devoir. Remarq~ez,je vous.
prie, que j'ai le col très court. » Puis, relevant-
sa barbe avant de poser sa tête sur le billot
«.ette barbe est.l'i~nocence même épargoez-I
la, mon ami, elle n'a jamais' commis aucune
trahison, allé! »
Sans aucun doute la légende, qui forc~~ënt
s'attacheaux. tragiques histoires, a- dû. ampli.
fier les., derniers incidents de celle-ci;
qu'~mpQrte; si la légende, consacrée et !que.
Partant -chacün doit connattre n'a rien aff
qui ne soit. conciliable. aVec.lécaractere~ 'dJ,l:
héros, pour qui la postérité ne 'profe88e-.qu'ad~,
mlratIoQ et ~~sp~ct ? i ~>
Fortbien ,rnais ~l' Utopie?
Nous ne 0, lonl'p~)lnt8'~ =~Ÿ~`a'B-0
comme, nous .1'àvoDs vu, ,Morosa,~lt.~
prm cipe attiré l'attenrQnr sur, ,ui.p8r':d.eé~tJ~
qui t¡moipaierit d'ijné'graDd.~y
.À"Ál'fT,~ P~R'OP 0 $ ~21-AlAI4~T~ P~~t~OP d~S' 21
d'esprit et des plus solides qualités- ~litt~raire~
'Arrivé aux affaires; les obligations des-charges
'qu'il avait acceptées; et dont il n'était pas
homme à~faire des sirieures, l'enlevaient aux
lettres, dont il avait,cependant conservé la pas-
sioo. De-ci de-là partaiel1t encore de char-
mantes épttres ou naissaient quelques. vers
qù'on se montrait, -qu'on redisait; mais c'était
tout, -et ce -n'était assez ni poür le monde, qui
avait espéré de sa verve autre '.chose que des
page$~fugitives, ni'pour lui, qui se reprocbait
cette involontaire stérilité.
1LIn'jour enfin, comptait alors q~elque
~ente-cinq o~i trente-six ans, il avait déjà;beau-
eoup' vu, beaucoup observé, be~ucoup médités
taÍlt..u contact d.Q.peuple; 4u milieu duquel il
avait exercé ses premières magistratures,
qu7à la cour et pendant ses missions 4i-Èlo'm'«a-
tiques.-1t. l'étranger; déjà sa droite nature
s'était fréquemment heurtée -au bruta1:ai'hi~~
traire d'èn haut et Iton Ame,tenare s'était émue'-
au' affreuses misères d'en bas déjà sa vigo~-
reüse.aversiQp. du mal et sa prôfond; C'JDip~s~
ek ité lui avaÎent'i,ftspiréde~#r&.
,hr~Ü8eâ:c~;ri_~bJn8 sur ~le manque ~d'.qup"r~-0" -1\-eO.ci8l:(~êt,:iO'titj¡att1renemèlit Sou81~erÎi~
r .et~~i~ ~-la é:f~ië ~~a~q~ee-t ~i~c;~
,22 AVAN ~-PR0 PC18 1
,il avait formulé en lui la vive satire de tant
d'exemples affligeants et caressé le beau rêve
de ,l'État où la perfection morale, selon lui
toute simple, toute facile engendrerait la
félicité universelle un jour cette satire ce
rêve, qui depuis longtemps sans doute bantiit
son. esprit, prit corps sous sa plume 'nerveuse
et brillante.- Et ainsi se trouva narré avec
tous les charmes d'une diction aussi délicate
que pittoresque, ce Voyage à l'ile d'Utopie (ou
de la Meilletcne des Répaibliques), qui fut un
des grands événements littéraires et p6tiloso-
phiques du temps tableau à la fois très can-
dide et très audacieux, où, sous'les fo~es du
plus fantaisiste idéal, BQ trouvent abordés,
avec une étonnante placidité, les plus ardents
problèmes sociaux qui depuis ont éaau .ju~
,qu'aux 'bases. maintes institutions modei.e.
mais qui alors ne pouvaient encore passionner
que de rares personnalités.
Les contemporains virent surtout d81;ls 'OOU",
.oeuvre, écrite en un latin aussi concis. qu'élé-
gant, un très ingénieux badinage, une-, très
plaisante fiction, dans les ca.l"i.¡!Q;:
laquelle l'esprit p.ouvaitŒublierl,t.$t:
les calamités d'uneépoquè detè~lé~Ídp'~çh¡~;
~e,ments 'civils el internatlonaú.'e(, ~i~,û_"j:~ 't.-
AVANT-PROPOS' i3
ce: travail à une analyse précise, a dit M. A.
Franck dans son Dictionnaire des sciences
~hilosophiqzces, serait peine perdue. Comment
démêler enelret dans des productious de ce
genre ce qui est l'expression exacte des con.
victions de l'auteur et ce qui doit être mis au
compte de l'imagination? On ne discute point
des rêves. Ajoutons seulement que ce sont là
les douces et aimables chimères du philan-
thrope et du sage qu'un agréable parfum de
la science antique et de la charité ch:rét-iennese
mêle dans ce livre à la généreuse censure d'une
foule d'abus, que la barbarie du moyen âge
avait introduits dans les tribunaux, dans les
codes, dans les mœurs et les coutumes de l'Eu-
rope au seizième siècle. Ajoutons enfin que,
dans' cet âge d'intolérance théologique et de
fureur religieuse, l'Utopie fit entendre plus hau-
temeot que nulle autre critique sociale le lan-
gage de la tolérance, de la justice, de la ft$.
ternité humaine. Par ce trait surtout, l'ouYrage
de Morus se distingue honorablement de 'bien
d'autr~s é,crits éclo à diverses époques, sous la
mê.eiB~pi!rationet d'8.RSles mêmes desset~s..
y «L"1Jtopie,quid'aUleurs n'est eUe-même
:q:u'u:B:e"fiUeassez directe de la Répu~~dzg~x~ d$
'P~Atèn, a servi de sourced'in8pilraticln'
u xvA~tx,-P~opo~v
nombrèuse cla~sed'éèritB, tels que, la Cité- dù-'
~Soleil, de Campanella; l'Océana, de Harring-
ton la Salente, de Fénelon, etc.».
Quoi qu'il en soit, le livre de Morus,. resté très
célèbre par8 son titre et par 'son caractère gé-
néral, bien que souvent traduit dans les divers
idiomes eiiropéens n"a pas été rdimprimé de.
puis longtemps et -n'a plus .aujourd?)~ui que
fort peu de lecteurs. En réalité cha-cùn -en
parle, c~he;cun y fait allusion ~aj8 combien_
en connaissent positivement..le côntenu 2
PO,urlant 41'œuvre, remarquable par"sa cO.n-o:=
ception première autant que par-=ses~~étails,:
intéressante, .curieuse; 'élIe 'r~ète, en-*t' "t,4~
souvent très pÓétiq~es, très touch.ants,hQU~
~,ma d'un ~gr~nd homme .(Ie -bien.- C'est"p:Q!f~:
quoi nous. avons cru 'qu'il serait. boi1'de'~ la
remettre -en lumière.
EUG., MULLE.Jt~
1. Publiée en i3i6, l'U~ople lut, asse~ fidèle!Dent tmduite.. Une-
première fois en -français- par- Simuel 80l'bière e~ 15t3; eD,1.~6,
Guendeville, littérateur très fécond, mais écri'a~très' mé«Q~,· es lit une ieconde. traduçtionfort Inexacte, ottu ,8UhiUtoa a,
ses propres ,Idé~s 1& celles de l'auteur; toutefois ion.~tt,.t:
encore recberc'\Jepour lei jolies gravures que 1"èait~-tuce'volû~e. En i?89 parut.une nouvelle et très. fidèle ~e~Íp-
T. Rousg*eau;» c'e81~elle-que nu-us reproduisons"fu'le lexte original. ~i~à(fy,)
.·y~l;c
VOYAGE
:A. L'II~E~ D'UTOPIE
INTRODUCTIGN
auviaAGE de Thomas Mofus est di~isé en deux
g .'liVres.' Dans le prèmier; 'l'àuteur explique
comment il fut »M'stMit de' choses concernant
.1.~ll~,'d'Utopie. Dans le se~ond, il fait rappo~ter.ces
choses p,l1r un personnage de convention.
Envoyé comme ministre plénipotentiaire à Bruges par"@
le roi Henri VIII, qui avait alors, dit-il, quelques dém~ ·
lédàv le~prin~ChJi'rles de Castille pui mp- oréur
Gharrês~Dint)~ et les ~po~irparlers engagés ayant- subi
une:terrllption, Morus s'en alla passer qoelq-nes jours4,-Au-v' ers. Dalls-cette ville il fut mis en ragport, pafinn-
de aes'.bon.. amis '(Pierre 'Gille; à qui le livre est cI'ail-
lèurs; déd~ié); ..avec- un homule revena~t d'eŒeetue,r .de- t
'~o.i~ta~ns"vÓIa8es.' EQ.le lui" présentant: Cet homme,
iui--dit..piem,(ijlle¡ n'â p~s simplement voyagé conitae
~.i'fliJtt~ .-du,.v:ait'Seàu~ -née ~an~ilepoëm'è:de'"
comnir .UÍl~Uttœi:Wtlssë'ôuéômXÎîèJQn
Fly~~o~~ ~~t~s~ai_r~_ le~ .dês~ ""iqb~il<¡~,)4'.cquêri~
;8!'$~eI"!Fl~~scJœ
1 t- 1- 1 1 a-}r~[k. -.t.1!f:
26 VOYAGE A L'IL£ D'U~pP~~
1 Ce Rapbaêl Hythlodée (mot composé grec, qui si-
gnifie faiseur de contes) entend passablement le latin
et possède parfaitement le grec. Son amour invincible
de la philosophie lui a fait préférer l'étude de cette der-'
nière langue à la première. Enlralné par son godl do-
minant, il fit don à ses frères de la part qui.lui revenait
dans le bien pa.ternel, quitta le Portugal, sa patrie,et, pressé du besoin de s'instruire, accompagna Améric
Vespticë au Nouveau Monde. Il ne revint cependant pasavec lui en Europe. Ce fameux voyageur, cédant aux
instances d'Hytblodée, consentit à ce qu'il f8t un des
vingt-quatre compagnons qu'il laissait dans la Nou-
,velle-Castille, pour pousser plus loin les découvertes
qu'il venait' de faire, de ces vastes contrées. Raphaëlresta donc en Amérique, préféranl, au cas échéant,
périr sur une terre étrangère'ou être enseveli sous les
flots, pourvu ,qu'il satisfit sa passion, que de végéter,de mourir dans son pays et d'y obtenir les honneun,
d'un superbe mausolée.
«Dès~ c~uè Vespuce fut parti, Hvthlodée, parcourut
avec cinq Castillans, ses compagnons-, quantité de paysj usqu'alors inconnus. Enfin, après bien des fatigues -ilaborda, par un heureux coup du sort, à l"aprobane
(aujourd'hui Ceylan), d'où il passa à Calicut (Calcutta);Là, ayant trouvé plusieurs bâ.timents porlugais prêts-"faire voile pour sa patrie, il y revint, contre toute es-
pérance de ,jamais la revoir. »
Morus accueillectrès civilement-le voyageur. Les ttai~ r~amis -entrent dans un jardin,
s'asseyel1t.sltr-u'n:~eD'c.le:\1I'gazon, et Raphaël commence le réci~t rdy ses ave~~u~e-a~,
Il raconte. » d'abord cO.Dune qu Je" ~89u~érain' d~'UQe~=
contrée. dont il a oublié le nom, atfÍÍique celui .1..
<n
C. 1 1 ii~,
W4'YA°~~~1~T~~g~r~J'1'
prince, fu~t pour lui et ses c~~np~gn4~s d'une bienveil-
lance sans égale. « Prenant j'Btérêtà tout cé ~ui nousconcernai,te il
Dousprodjguaitles,préseBts, ]es4t.:e~
t,ions; sa 1,,Uralité active et prévoyante ne nous laissait
pas le temps de former des sou1haits.- Lorsqu'il 8utqoenous avions l'intention de visiter les États voisins, il
nous donna un guide sllr et expérimenté, qui avait
ordre de nous conduire partout où il nous semblerait
bon d'aller. Il nous fournit, en outre, toutes les provi-sions nécessaires. Nous ftmes ces voyages tao,tôt par
terre, sur des chariots, tantôt sur mer, ,montés sur leu
meilleu:rs vaisseaux du' pays.
« Après quelques jours de route, nous découvrlmes
'des villes bien peuplées, des nations- puissantes, des
.républiques dont la législation était marquée au coi,n
de la sagesse et indiquait un profond amour de l'ordre.
-Sous l'équateur, entre les deux tropiques, on ne trouve
que des régions incultes, sans cesse exposées aux feux
dévorants de la canicule ces déserts effrayants servent
derepaj,fB aux reptiles les plus venimeux, aux animaux
les plus voraces. Si l'on y rencontre quelques hommes,
ils sont d'un naturel aussi féroce que celui des bêtes
a~milieu desquelles ils vivent 1. Mais à mesure que vous
avancez vers la zone tempérée, la nature se développe
par degrés sous une forme plus douce et plus riante,
la terre se couvre d'une verdure émaill4e de fleurs,
l'air est plus pur, les animaux de ces régions sont bien
_~oi'Âssau'vage8, et les peu, P « lespol~i*c4s.qui lés ti'îiL¡Jt~Rt
.'fo.A~fpaÍ. 'terre- et par mer un commerce très étendu,
j
,.t. Av~ns-n~ne 6e~oin de faire remarquer qU'.I'époque. où lIo.s
éCrI..t,OD .'avait encore que ~les âolione fort imp~ifuitei ~nr lei con.
..fléeequcBJ'Ih1odee eatceué-ayoir parcouru" 7
VOYAGE- A t'ILE D!UTOPIE28'
non seulement entre eux, mais aussi avec des nations
fort éloignées. »
({ Raphaël, dit Morus, nous raconta tout ce qu'il avait
vu d'extraordinaire dans ce nouveau monde. Il prenait
notamment plaisir à s'étendre sur les institutions sages,
sur les établissements utiles qu'il avait remarqués chez
ces différents peuples. Je- trouverai peut-être plus tard
le loisir de communiquer au public tout ce qu'il m'a
-appris d'instructif en ce--sens, mais j e -veux me borner
au récit qu'il nous fit des DIŒurs, des usages, du gou-
vernèment de l'île d'Utopie 1; mais avant d'enLrer en
matière je pense qu'il ne sera pas hors de propos de
rapporter l'entretien qui conduisit insensiblement Hy-
à nous parler de cette île. »
Et alors Morus consacre de très nombreuses pages
à 1"exposé, -à la critique des institutions réelles des di-
vers pays, et notamment- du royaume'anglais lbngue
dissertation. dialoguée, à l:~quelle le lecteur d'atijour--
d'huj ne trouver'ait qu'un intérêt par trop rétrospectif,
et que nous croyons devoir supprimer:
Lorsque les. interlocuteurs ont sinon épuisé, du moins
très sérieusement traité ces matières « Ah!, s'écrie
Hy~hlodée, que n'avez-vous été avec- moi en rile
d'Utopie! que n'avez-vous, par vous-mênle, connu
les institutions de cet heureux pays Je regarde comme
t. Il En créant' ce niot d'Utopie (fait de us, négation, et topos, lieu),DIorus a fait lui-méme, dit M. A. Franck,-la critique la plus flne des
vues et ~des tableaux qu'il développe, car ce mot veut dire un lieu
'qui n'a point place sur notre globe, qui ne se trouve que'dans les eS:-
paces imaginaires, dans ce monde de la rêverie et de l'impossible, em-
pjre- de la fable et non de.l'histoire. n.
n va de soi que ce n'est pas ~ans intenti~n que l'auteur fait une ilede cette Utopie dont il doit se servir pour critiquer les-institutions del'ile où il écrit, et pour présenter le tableau d'unû république parfaite.aux insulaires ses compatriotes.
VOYAGE A L' J LED' UT 0 PIE, 29
un bonheur d'y avoir pénétré c'est le plus excellent
fruit de mes voyages; c'est la plus heureuse dééouverle
que je pouvais faire. J'ai "habité plus de cinq ans c'ettp
ne fortunée, et je n'en serais jamais sorti si, préfél1anl
l'utilité pLibliqué à n1a propre satisfaction, je n'avais
cru rendre un grand service à mes- compatriotes en
leur faisant part de ma découverte et en publiant les
merveilles de ce nouveau monde. Oui, mon cher Morus,
-ss vous aviez étudié les Ulopiens en témoin oculaire,
vous tomberiez d'accord que jamais il n'y eul que là ce
qui s'appelle une république bien constituée.'1
Je vous assure, dit alors Pierre Gille à Raphaël,
que vous auriez bien de la peine à me persuader là-
dessus. Je ne saurais m'imaginer que dans votre nou-
veau monde il 'se puisse rencontrer une nation mieux
réglée, -mieux ordonnée qu'aucune qu'il y ait .dans le
monde qui nous est connu. Est-ce que chez nous les
esprits sont moins trempés que là-bas? est-ce que chez
nous nous ne voyons pas d'anciennes monarc~ies et
républiques où le long usage des arts libéraux et mé-
canidues a fait découvrir tant de mÕyens surprenants,
pour toutes les commodités, -tous les agréménts de
l'existence, et les a fait enfin porter au plus haut point
de perfecti~nnement ?
Quant à l'ancienneté des États, réplique Rapbaël,
vous en -parleriez en d'autres termes si vous aviez lu les.
histoires de .ce monde-là. En les supposant fidèles, o~
y voit qu'il existait chez eux des villes aussi peuplées
que florissantes bien avant qù'il y eût des hommes
sur notre hémisphère. On apprend par leur~s annales
qu'avant ,notre .rrivée dans leur pays, ils n'avaient
nulle connaissance des affaires des Ultra~qttinoaciaux
30 VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE
-w~
(c'est le nom qu'ils nous donnent). En des temps recu-
lés toutefois, il peut y avoir douze ou quinze cents ans,
un vaisseau que montaient des Romains et des Égyp-
tiens, emporté par la tempête, fit naufrage devant l'ile
d'Utopie. Ceux des passagers qui purent atteindre le
rivage, trouvant fort à leur gré le pays, y achevèrent
paisiblenient leurs jours.« Jugez d'ailleurs du génie actif et laborieux de ce
peuple par l'habileté avec laquelle il profita de cet
événement. Le hasard ayant fait que parmi les nau-
fragés il s'en trouva plusieurs qui étaient à même
d'initier les habitants du pays aux arts, aux industries
de notre monde, aucun de ces enseignements ne fut
perdu. A force d'application, les Utopiens surent péné-trer et s'approprier tous les secrets des travaux dont
ces étrangers leur avaient donné les notions.
(c Mais si les Utopiens ont acquis une connaissance
si parfaite de nos arts, de nos métiers, s'ils ont habile-
ment profité de nos découvertes utiles, comhicn s'écou-
lera-t-il de temps avant que de Jlotre côté nous nous
appropriions leurs sages coutumes, leurs institutions si
supérieures aux nôtres? Quoique nous ayons incontes-
tablement autant d'esprit qu'eux; quoique nous possé-dions autant de richesses que ce peuple, tant que nos
gouvernements ne se modèleront pas s~:r le sien, nous
ne devrons jamais nous promettre de jouir de la pros-
périté qui sera tou jours son partage.
Cela étant, s'écrie Morus, de. grâce, mon cher Ra-
phaël, faites-nous au plus tôt la description, tracez-nous
le plan de cette heureuse république. Plus votre narra-
tion sera détaillée, moins vous devez craindre de nous
ennuyer. Donnez-nous une idée exacte du pays, de ses
'VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE 31
campagnes, de ses villes, de son agriculture, de ses
lois, de ses coutumes; entrez dans les minuties de toutcela; tout nous intércssera, puisque nous ignorons tout
de ce pays et de ce peuple.Volontiers, rf~pliql1e Raphaël. »
Et il commence un récit, qui, formant le second Ji\'I'C,
constitue à proprement parler pour nous la partie 'Tai..
ment curieuse et intéressante de "œuvre de Morus.
`
I
DESCRIPTION DR L'ILE D'UTOPIE, IDÉE DE
SON GOUVERNEMENT
'1LE d'Utopie a cinq cent mille pas de circuit
vers le milieu, qui est sa, plus grande largeur,
&«MWWelle a deux cent- mine pas de diamètre elle
conserve cette étendue dans un assez long espace de
terrain ensuite sa -largeur diminue insensiblement, et
les extrémités de l'ile se terminent en pointes, de sorte
qu'à son entrée elle présente la formià d'un croissant
régulier.
La distance d'un cap à l'autre est d'environ onze
milles; la mer s'étend dans ce golfe, que la terre abrite
presq~e en tout sens, aussi n'est-il sujet à aucune de
ces violelites tempêtes qui se font sentir hors du détroit.
Ce bras de mer, toujours paisible, ressenible à un
grand lac ou à un étang. On peut regarder ce. bassin
comme un havre sûr, que la nature a creusé de sa
propre main pour la facilité du commerce de ce peuple~
A droite, l'embouchure du détroit est garnie de bancs
d~ sable à gauche elle est hériasée d'écueils vers le
milieu s'élève un rocher très commode, sur.lequel on a
construit un fort pour défendre le passage. Tous les
autres rochers sont à fleur .d'eau; Il est impossible de
ne pas se perdre; si on ne suit point, en entrant dans
ce port, la route et tous les détours que les seuls habi-
tants connaissent. C'est ce qui fait qu'un navire. étranger
VOYAGE A L'ILE D`UTOP1Ë 3a
3
ne peut nlohiller dans cette -rade que sous la conduite
d'un pilote côtier. Il est même nécessaire que de la
côte on lui trace, par des signaux, le chemin qu'il doit
tenir pour se garantir du naufrage. Le seul change-
ment de'place de ces signaux suffirait pour faire périr
enlièrenlellt une floUe ennemie, quelque nombreuse
qu'elle fût. De l'autre côté de l'ile on trouve plusieurs
ports fort bien abrités, et dans tous"les endroits où l'on
pourrait tenter une descente, la nature et l'a ri se sont
si bien accordés pour fortifier la côte qu'une poignée
de monde serait en étal de repousser ]'a~taque d'une
armée formidable.
Au reste, suivant l'Uistoire 'des Utopiens, et même A
en juger par la situation du pays, on apprend qu'au-
trefois il ne formait point une lie. Utope, qui en fit la
conquêtej au lieu du num d'Abraxas 1qu'Iiiportait, lui
donna le sien. Cet Utope passe pour le fondateur de
la république.
Ce fut lui qui Je' premier civilisa ses habila~lts et
leur donna cette forme de gouvernement si supé~ieur
à "tous ceux qui nous sont connus. Ce conquérant Jégis..
lateur, s'étant rendu m~tre presque sans coup férir de
la contrée, fit aussitôt couper une langue de terre de
quinze mille pas qui joignait le pays à la terre fermes
Pour ne pas donner aux habitants lieu de croire qu'it
voulait les humilier par ces travaux serviles, il y em-i
plo3~â, conjointement avec eux, ses propres soldats.
1. Ahra~~c ou Abra~aa, vieux mot cebulisliquo, nom du Dieu bupr~wa
selon 1ds Basilidiene, "érétiquel du o o .iècle. Ce mot ~enferm~it,
diiail-on" de gl~nnde myetaree et .,ait autant de ~crtue qu'il lr a de joursdans l'année, parce que les sept lettres qui le composent forment en
grec le nombre da 365. On ddnnait ce nom à des cep~ce~ de talieman~
ën pierres taUiéci o~1 ctiargées de ca~act~tea hiërogh~p6iquee.
3~ VOYAGË A L'Î~.E n;UTOPIE
L'entreprise fut poussée avec autant de vigueur que
de célérité, si bien que les peuples voisins, qui la trai-
taient d'abord d'extr~,vagante, furent frappés d'admira-
tion el même de terreur lorsqu'ils la virent terminée
en si peu de temps.
On compte dans toute l'étendue de l'ile cinquante-
quatre villes, qui ont, aulant que le site du terrain sur
lequel elles sont bâties a pu le permetLre, la même
exposition et la même forme. Elles se servent toutes
du même idiome, des mêmes coutumes, et sont gou-
vernées par les mêmes lois.
Les plus proches de ces ciLés sont à vingt.qualrc
milles de distance, les plus éloignées les unes des autres
ne le sont que d'une journée de chemin à pied. De cha-
cune de ces villes trois citoyens, également respecla-
bles par leur âge et leur longue .expérience, se rendent
tous les ans à Amaurote 1, pour y traiter des affaires
qui concernent rUe en général. Amaurote est la capi-
tale du pays, parce que, se trouvant placée au centre,
les députés des autres villes peuvent s'y rendre avec
une égale commodité. Le partage des terres labourables
a été fait avec une proportion si exacte que le terri-
toire de chaque ville est au moins de vingt mille pas
de circonférence.
Quelques villes en ont cependant davantage. Ce sont
celles qui sont plus éloignécs les unes des autres.
Quoi qu'il en soit, chaque cité, satisfaite de lac portion
de terrain qui lui a été assignée, ne cherche point à
en étendre les bornes. Cette heureuse Inodération vient
de ce que les habitants des campagnes s)~n regardent"
1. Du grec ancaura~, obscur 1 lit ~ille ~ane renommée,
VOYAGE A VILE D'UTOPIE 35
moins comme les maltres et les propriétaires quecomme les simples tenanciers. Chaque champ a sa
métairie agréablement disposée et pourvue de tous les
instruments nécessaires aux travaux agricoles.
Ces maisons rustiques sont habitées par des citoyens
qui vont y résider chacun à leur tour.
Une famille qui a son domicile à la campagne doit
être composée d'au moins quarante personnes, tant
hommes que femmes, et deux esclaves. Un vieillard
et une matrone (mère de famille) sont à la têle de la
maison et la gouvernent.
Il y a, pour trois cents de ces maisons, un inspecteur
général qui est chargé de leur direction. Des quarantepersonnes qui composent chaque groupe familial, vingt
retournent tous les ans à la ville, après avoir fini leur
apprentissage d'agriculture, qui est de deux ans la
ville en renvoie un pareil nombre à leur place.
Ces nouveaux venus sont instruits par ceux qui, ayant
(léjà l'expérience d'une année, sont en état de former
des élèves; l'année suivante ces derniers enseignent
l'agriculture aux novices qui leur arrivent. On prend
ces sages précautions pour prévenir la cherté des
grains, que ne manquerait pas d'occasionner l'impéritie
des laboureurs, s'ils arrivaient tous aux champs sans
avoir la connaissance du mode de culture. Le lé'gisla-
tour n'établit cette émigration annuelle des habitants
de la ville à la campagne et de la campagne à la ville
que pour prévenir les dégo6ts et J'ennui qu'éprouve-
raient à la fin des citoyens obligés de se livrer toute leur
vie à des travaux fatigants, pour lesquels ils pourraient
avoir d'ailleurs une répugnance naturelle. Nombre de
ces colons. qui font leurs délices de l'agriculture et qui se
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE36
trouvent bien à la campagne, obtiennent facilement d'y
rester tout le temps qu'il leur pIait. Leur emploi jour-nalier est de mettre 'la ter¡'e en valeur, de pourvoir
également à la multiplication et à la conservation du
gros et menu bélai) de faire des coupes de bois récriées
et d'en approvisionner les- villes en le charriant ou le
voiturant à leur plus grande commodité, soit par mer,
soit par terre. Ce que j'ai le plus admiré chez eux, c'est
l'art surprenant qu'ils ont pour faire éclore'une pro-
digieuse quantité de poulets. Comme leurs poules ne
couvent point, ils disposent uh grand nombre d'oeufs èn
certain lieu, où ils entretiennent une chaleur douce et
égale. Dès que ces poussins sortent de leur coque, -des
valets de ferme, uniquement destinés à cet office, en
prennent tous les soins nécessaires et les éfèvcnt. Ils
sont tcllement habitués à ce mëtïer qu'ils distinguent
parfaitement entre eux tous ces petits animaux. Les
Utopiens nourrissent très peu de chevaux; ceux qu'ils
ont sont des plus fougueux,' ils'ne les conservent que
pour exercer leur jeunesse et lui apprendre à les'
dompter. 0~ ne se sert que de bœufs, -tant pour lé'
labour que pour les charrois. Ils conviennent que cet
animal, par sa lenteur, est bien in,,férieur au cheval,
toujours vif,' .toujours impatient de .marcher; mais ils
trouve'nt au bœuf plus de docilité; il a aussi plus de
force et de nerfs, il suppcrte plus longtemps la fatigue,
et.la principale raison qui les détermine à n'employ er
que lui; c est qu'il n'est sujet à aucune de ces 1t!11ladies
qui mettent si souvent les chevaux hors d'état de rendre
des. services.
Une autre considération, app"uyée sur lèurs pirindipes
-ée & 5, c'est que le bœuC.co6te beaucoup moins
VOYAGE A L'iLE D''UTO1~~E :3i1
à nourrir que le cheval, et que. lorsqu'il cesse d'être.
propre au travail il n'en est pas moins utile à l'homme,
puisqu'il devient alors un de ses premiers aliments. Ils
ne sèment guère d'al,1lre grain que du blé; leur boisson
est composée de vin, de cidre, de poiré et d'une
liqueur faite avec du inièl et de la rég1isse" qui abon-
'deni dans le pays; souvent ils ne boivent 'que de fenu
pure. Quoiqu'ils sachent précisément, car ils excellent
dans èe genre de supputa.tion, la quantité de toutes les
denrées qui se consomment annuellement dans la ville
et aux 'champs, ils ne laissent pas.de semer au delà de
ce qu'exigent leurs propres besoins et dé nourrir plus
de hélail qu'il ne leur en faut pour leur usag.e; ils font
part du superflu à leurs voisins. Ils tirent de la:ville tout
ce qu'on ne trouve pas à la campagne et ne sont pas
obligés de payer ou de rien donner en échange pour
l'avoic. Le magistrat auquel ils s'adressent se fait un
plaisir de leur donner gratis tout ce dont ils ont besoin.
LA plupart des cultivateurs se rendent à 1a ville tous
les mois pour y célébrer un certain jour de fête.
Au temps de .la moisson, les inspecteurs généraux
du labourage font savoir aux magistrats de la ville le
nombre d'ouvriers qu'il est à propos de leur envoyer, 1
et ils l'obtiennent sur-le-champ..
Dès qu'ils sont arrivés on commence.la récolte, qui
peut se faire en un seul jour:. si le temps est
favorable..
il
DESCRIPTION DES VILLES D 9UTOPIR9 ET PRINCIPA-
LEMENT DR CELLE D9AMAUROTE9 SA CAPITALE
VI a vu l'une de ces villes, peut dire en quel-
que façon qu'il les connaU toutes, car elles
n'ont d'autre différence enlre elles que celle
qui provient du sol méme qui leur sert d'emplacement.
Je ne vous ferai donc la description que d'une seule
quoiqu'il importe fort peu de laquelle, je choisirai ce-
pendant Amaurote, comme étant la capitale toutes les
autres lui cèdent le pas, parce que le sénat y tient ses
3eances.
De quelle autre d'ailleurs pourrais-je vous parler
plus pertinemn1ent que de celle où j'ai demeuré pen-
dant cinq années de suite? Cette ville, qui a la forme
d'un amphithéâtre carré, est agréablement située à mi-
côte. Sa largeur, qui commence au-dessous du sommet
de la colline, s'étend 1t environ deux mille pas jusqu'aufleuve d'AnJdre 3, qui baigne ses murs dans presque
toute leur étendue.
1.'AnJ~dre prend sa source à quatre-vingts milles au-
dessus d'Amaurote, d'une petite fontaiue dont le cou-
rant se grossit de plusieurs rivières qui s'y mélent, et
parmi lesquelles il s'en trouve deux asse~ considéra-
1. Ou ~ilrcJe~clre, nom formé de ar: privatif et ~cclor, CRU. Le nom eigni~edonc le ~lcuve 8ana eau.
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE 39
bles. Devant la ville, le lit du fleuve est de cinq cents
'pas de large ses eaux, après s'être fort accrues encore
dans leur cours, von enfin se perdre dans l'Océan, à
soixante milles au-dessous de la capitale. Le flux et le
reflux s'y font sentir à des heures très régulières, dans
l'espace de trente milles au-dessus de son embouchure
lors du reflux, ses eaux, repoussées par celles de la
mer qui occupent son lit, contractent une certaine
âcreté qui est sensible à quelques milles enc ore au delà;
mais elles s'adoucissent peu à peu, de sorte que celles
qui coulent sous les murs de la ville n'ont. que leur
~o~t naturel, qu'elles conscl'ent jusqu'à lenr source. Il
règne un fort beau quai tout le long de la rivière, et
pour traverser à l'autre bord, qui est aussi garni de
maisons, on a construit un pont tout en pierres de
taille dans l'endroit oli la ville se trouve à une plus
grande distance de la nIC}". Ainsi, les vaisseaux parcou-
rant le canal en toute liberté, on n'est point obligé
d'abaUre leur mâture pour passer sous les arches. Il
sort du sein de la montagne sur laquelle la ville est
bâtie une autre rivière; quoiqu'elle soit moins consi-
dérable que l'Anydre, dans le(IUel elle sc jette après
avoir traversé Amaurote, elle ne laisse pas d'avoir ses
agrénlents et ses commodités.
,Par plusieurs lignes de circonvallation' qu'ils ont
tracées, les Amaurotes ont enfernlé sa source dans
l'enceinte même de leur ville.
Leur but, en prenant cette sage précaution, a été, au
cas qu'ils eussent un siège à soutenir, d'empécher l'en-
nemi de coupér ses eaux ou de les empoisonner. Ils
ont pratiqué sous terre des aqueducs biltis en briques,
qui fournissent de l'eau à la basse ville, et dans les
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE40
quartiers où ils n'ont pu en procurer par cette voie
les habUants ont. des cilernes l'eau du ciel qui leS.l'enl-
plit sert également à leurs différenls usages. Trois
côtés de la ville sont entourés d'une muraille aussi
haute qu'épaisse et fortifiée d'un grand noiubre de
tours, de bastions et tle parapets. Au pied de la.mu-
raille est un fossé large et profond, sans 'eau, à la vérité,
mais tout hf~rissé, tout couvert, de broussailles et de
haies vives, qui en ucndént -le passage impraticable.
L'Anydre sert de fortification au quat.rième côté, situé
sur sa rive. Les -rues sont percées commodénient pOUI'
le charroi et pour garantir les hahitants des vents qui
règnent en ces clin1ats; elles onl vingt pieds de la.ge.
Les maisons, donl l'extérieur e~t de la plus ~rande sim-
plicité, mais propre; sont, toutes billies les 1J~leS auprès
des autres, sur les mêmes alignenlents et .lans la
n1lonltJ forme. Cette symétrie singulière dans tous les
bâtimenls offre un coup d'œil très agréable. Chaque
maison a son jqrdin attenant. Tous ces jardins réunis
..paraissent n'en former qu'un seul, qui s'étend le long
de chaque rue et qui se trouve borné par le derrière
de la rue parallèle. Toutes les maisons ont deux portes,
rune desquelles donne sur le jardin, l'autre sur,la rue.
Il suffit de pousser ces portes à deux battants pour
les ouvl'ir; elles se .-abattent d'elles-mêmes. Ainsi cha-
cun a la libetlé d'entl'er quand il lui plait et comme
ceux qui liabitentces maisons n'~nt rien qui leur
appartienne en propre, ils n'ont besoin ni de verrous ni
de serrures pour se mettre à l'abri des voleurs. Tous
les dix ans il se fai L 1111déménagement général. Cha--
'que famille cède la maison qu'elle occupe pour pren=
dre celle que Je sort lui d~nt1e.. Leurs jardins sont les
.VOYAGE..A. L'ILE 1)'UTOPIE 41
seuls ebjets auxque)5I les Utopiens sont parHcuUère-ment attachés et dont ils prennent les plus grandssoins..
Ils y cultivent avec un égal succès les plantes, les
arbustes, les fleurs, les fruits et la vigne. Je n'ai vu
nulle part des jardins plus fertiles et plus riants. Le
plaisir d'on avoir un superbe pour sa propre satisfac-
tiôn n'est pas le seul motif qui détermine chaquebourgeois à prendre soin de celui qui lui est échu. C'est,
une énudalion aussi douce" qu'utile entre tous les
cilo3~ens, qui les porte à redoubler d"efforts pour sc
sur'passer les uns les autres dans la culture el dans
1-"etiti,etieii de ces vergers délicieux..
On prétend que le fondateur de la république a prislui-méme toutes les mesures qu'il a jugées les plus
efilcaces_pour conserver cet esprit d'émulation, d~nt il
résulte un profil si clair pour tous et pour chacun en
particulier. Il est bon de vous dire que le plal~ .actuel
d'Amaurote est le même qu'Utepe a tracé. Mais comme
aucunétablissement humain ne peut être parfait au
môment de sa fiaissance, les descendants des premiers
républicains ont .considérablement augmenté, par suc-
cession de temps, et les agréments et les commodités
de leurs maisons. Suivant les annales de ce peuple,
recueillies avec. autant d'exactitude que de vérité, et.
qui comprennent l'histoire de près de dix-buit siècles,
on voit qu"à l'époque de la fondation de la capitale
les maisons n'étaient d'abord que des huttes, des
cabanes éparses çà et là et toutes construites en bois
sans aucun apprêt; leurs couvertures, qui se tern~i-
naient en pyramides, n'étaient que de chaume. La
bâtisseen est bien diQërel1te aujourd'hui. Tontes les
VOYAGE A L'lLE D'UTOPIE42
maisons, élevées de trois étages, ont une façade en
pierres de taille et en briques, l'intérieur est de moel-
lons, les toits sont plats et enduits d'un certain 'plâtre
ou ciment qui ne coûte presque rien. Ce ciment est à
l'épreuve du feu et résiste aux inj ures de l'air tout
autant que le plomb.
Comme l'usage du v erre est fort commun en ce
pays, les habitants s'en servent pour les châssis de
leurs fenêtres, et par ce moyen se ~arantissent du vent.
D'autres emploient des châssis de toile fine et imbibés
d'une huile transparente ou d'aiubre fondu, ce quiproduit deux bous efféls: le jour que l'on reçoit à
travers ces carreaux est plus clair, et l'abri qu'ils four-
nissent contre le vent ou le serein est plus solide.
III
DE L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE ET DRS
MAGISTRATS
LA tête de chaque trentaine de familles est un
magistrat, qu'elles choisissent tous les ans. Il
se nomme, suivant le vieux langage du pays,
le syphogrante, et suivant le langage moderne, le phy-
.]arque'. Un directeur, jadis appelé tranibore, aujour-
d'hui protophylarque 2, commande à dix syphotrantes
et aux trois cents familles de leurs distric~ts. Enfin les1
syphograntes, qui forment en tout un corps de deux
cents magistrats, ont un président.
Ce sont eux-mêmes qui font son glection, et voici de
quelle manière ils y procèdent. La ville étant distri-
buée en quatre quartiers, les habitants réunis de chaque
quartier jettent leur vue sur un citoyen, qu'ils adop-
lent et qu'ils présentent au sénat. De ces quatre per-
sonnes ainsi désignées, les syphograntes en élisent un
pour président. Cette élection se fait par la voie du
scrutin, après qiie ceux qui y prennent part se sont en-
gagés par serment à choisir celui qu'ils jugeront le plus
capable de bien mériter de la patrie. Quoique la place
de prince ou de président soit à vie, on le destitue cepen-
dant pour peu qu'on soupçonne qu'il vise au despo-
t, Ancienne désignation grecque qui signifie chef d'urte iribte.
21 Premier phylarque.
YOYAI~E A L'ILE D'UTOPIE-u
tisme. La cbarge des tranibores est annuelle; on les
continue néanmoins dans leurs fonctions quand ils
la remplissent à la satisfaction du peuple. Tous les
autres offices publics ne sont conférés que pour un an.
Tous les trois -jours, les tranibores tiennent conseil
avec le prince, et plus souvent encore si le cas le
r'equiert. On délibère dans ce conseil sur les affaires de
l'État; on y examine aussi celles des particuliers. Ces
dernières, qui soyt toujours en très petit nombre, se
jugent avec la plus grande diligence.
Tour à tour deux s3-plio«7rantes ont dl'oit de séance
au conseil, où rien ne se décide concernant les affaires
de larépublique sans que la motion en ait été dis-
cûlée et admise en plein sénat trois jours a~uparavanl.
Hors de cette auguste assemblée ou de celle des états
généraux, c'est un crinle capital que de prononcer sur
les queslions relatives à 1"admiiiistratioii.
On a voulu par cette loi prévenir les ligues que le
président et les traiiibores pourraient ,faire entre eux,
pour opprimer le peuple et changer la fornle du
gouvernement. C~est par cette même raison' que l'on
renvoie les matières les plus importantes à l'examen
des phylarques, qui en confèrent avec les familles de
leur dépendance. Après une mûre délibération ils font
leur rapport au sénat. Dans certains cas, on assemble
les états généraux pour décider des affaires majeeres.Une coutûme strictement observée par le sénat, c'est
de ne jamais statuer sur une question le jour qu'elleest proposée; il en rernet toujours la décision à la
séance prochaine.
Ici l'intention du législateur,Cut d'empécher les juge-.ments précipités. Il savait que tout homme qui parle
~5VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE
au hasard aime mieux soutenir opiniûtrément une
idée fausse qui lui est échappée que de risc~ucr sa
réputation en se rétractant. Il connaissait encore cette
mauvaise honte qui nous ôte la ,liberté de revenir SUI'
nos pas lorsque nous nous sommes imnruaemment
avancés. Il voulut en conséquence ~iônner aux magis-
trats le temps de l'examen et de la réflexion, préfé-ra)~les cent fois à celle présence d'esprit, à cette promp-
litude de discourir et de prononcer sur tout, qualités
fuucstes dont nos jeunes étourdis se piquent fort mal
à propos.
1 V
DES ARTS ET DES ARTISANS
[lIIAQUF.personne excrce en Utopie une profes-
sion coi-nniune aux deux sexes, et dans la-
quelle tous sont également versés': l'agricul-
ture, qu'ils apprennent dès leur plus bas âge, soit par
théorie dans les écoles publiques, soit par pratique
dans les campagnes voisines. -Les jeunes gens vont voi."
travailler les anciens labourcurs, eux-mêmes mettent
la main ;-Lla cba.,lue, ce qui n'est pas moins un amu-
sement pour eux qu'un exercice qui contribue sin~u-
licremenl à leur former une constitution robuste, à
leur dunner de la vitreieur, de la souplesse et de l'agilité.
Outre-eet art, que tous pratiquent, comme je viens
de le dire, chaque habitant apprend un métier qui lui
esl propre. Les uns sont ouvriers dans les manufac-
tures d'ouvrages en laine, les autres se font tisserands,
ceux-ci maçons, ceux-là serruriers ou charpentiers.
Les autres arts mécaniques occupent si peu de per-
sonnes qu'il est presclue inutile d'en faire mention. La
mode des habits est uniforme dans toute l'11e et ne
change jamais. La seule différence du'on y remarque
est celle qui distingue les deux sexes et les personnes
mariées d'avec celles qui sont veuves ou célibataires.
Au surplus, cette forme d'habit, que chaque parti-
V0~GIr A L'ILE D'UTOPIE 47
culier se fait pour lui-mém~, est très agréable; elle ne
gêne aucun des mouvcn1cnts du corps et est également
propre à le garantir de la rigueur du froid et de l'ex-
cessive elialeui-. Les femmes, ainsi que les hommes, ap-
prennent un métier; comme elles ont moins de force
que nous uutres elles ne s'occupent qu'à tricoter, à
coudre et à Iller. Les ouvrages les plus rudes sont réser-
vés aux hommes. Chaque enfant suit ordinairement la
profession de son père, qui lui est familière 4"!tcomme
naturelle. Si cependant un enfant annonce du goüt et
une vocation Inarquée pour un aulre état, on le met en
apprentissage dans une maison où l'on exerce le
métier qui lui convient. Dans ce cas, ses parents et
les magistrats ont le plus grand soin que le jeune
apprenti devienne le OIs adoplif d.un père de famille
généralement estimé pour ses bonnes mœurs et sa ca-
pacité. Chaque citoyen e la liberté d'apprendre plusieurs
.métiers et de faire celui qui lui plait davantage, à
moins que'le nombre suflisanl d'ouvriers dans un art
nécessaire ne vienne à manquer; alors !e magistrat
oblige celui (lui le professe de s'y adonner de préfé-
rence à ious les autres.
L'emploi le plus important, je dirais presque l'unique
fonction des syphograntes, est d'avoir l'œil à ce que
chacun fasse le meilleur emploi possible de son. temps
et de voilier surtout à ce que personne ne se livre à la
paresse. Les Utopiens ne sont cependant pas attachés
~uu travail ainsi que les chevaux qui tournent la meule
ans relâche et d'autres bêtes de somme qui n'ont
amais de repos. Cette contention continuelle est un
sclavage dur, plus fait pour un galérien que pour un
omme libre. Cette vie malheureuse et accablante, qui
VOYAGE A L'I~ D'UTOPI~'8
dans les autres pays est celle de tous les artisans, n'est
point cônnue en Utopie.
Ainsi que chez nous, on divise le jour en vingt-quatre
heures on n'en consacre jamais que six au travail,
dont trois avant midi, qui est l'hêure dù dlner. Après ce
repas on a deux heures de récréation. Les trois autres
heures de travail se terminent par le souper. On se
couche sur les huit heures, on-en dort à peu près autant,
c'est-à-dire qu'on se lève sur les quatre heures du matin.
11~est permis à tout artisan d'employer comme bon
lui semble tout le temps qui. se trouve entre son
sommeil, son travail et ses repas. Loin de le saisi..
avec avidité pour s'abandonner à un lâche repos, pour
se plonger dans la débauche et l'ivrognerie, ils J'em-
ploient tous. à des jeux aussi innocents qu'instructifs
quantité d'ouvriers en profitent pour étudier les belles-
lettres. Il n'est enjoint qu'aux personnes seules choi-
sies par le gouvernement pour apprendre les sciences
relevées d'assister aux leçons publiques, qui se don-
nent tous les jours avant le lever du soleil cependantles collèges sont remplis d'une foule d'auditeurs em-
press~s des deux sexes, qui y accourent pour entendre
traiter les objets qui flattent le plus leur goût-dominant.
Ceux qui, pendant les heures de loisir, préfèrent au'x
études abstraites, qui ne sont pas de la compétence de
tout le monde, l'exercice de leur métier, sont fort
libres à cet égard. On leur sait bon gré d'employer ce
_temps à multipliet les ouvrages d'un art utile à la
société. Après souper; la récréation est d'une heure. En
été on s;amusê dans lés jardins; én hiver c'est dans
les grandes salles Ii.maiiger, qui sont communes à toute
une famille. Dân~ des réfectoires, les citoyens forment-'
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE 49
entre 'eux d'agréables concerts ou bien ils s'entre.
tiennent et dissertent paisiblement sur plusieurs ma..
tières instructives. Loin d'eux ces jeux insensés du ha-
sard, que ravarice inventa de concert avec la friponne-
rie ils ne les connaissent pas même de nom. Ils en ont
deux qui ont quelque rapport avec celui des échecs
r..n consiste en une espèce de. guerre algébrique, dans
laquelle les nombres se livrent bataille et cherchent à
se faire prisonniers l'autre est un combat entre les
vices et les vertus figurés. On y voit tous les- el Torts,
tous les grands mouvements de ces ennemis naturels
et irréconciliables fort ingénieusement représentés.
On y aperçoit le choc et le désordre des vices, qui
s'entre-détruisent, et leur ligue puissante contre les
vertus. On distingue dans les premiers les plus ter-
ribles antagonistes de telle ou telle de ces dernières et
les moyens d'attaque qu'ils emploient contre elles. Ici
on voit qu'ils déploient toutes leurs forces, là qu'ils se
replient sur eux-mêmes et qu'ils se bornent à la
guerre de ruse. La belle et vigoureuse défense des vertus
est également bien développée on voit les moyens.
qu'elles emploient pour combaUre les vices avec succès
et les avantages signalés qu'elles remportent sur eux
en un mot ce jeu offre un plan régulier de bataille, qui
retrace aux yeux tous les campements, toutes les
marches et contremarches que font deux armées en-
nemies pour s'arracher mutuellement la victoire et la
fixer en leur faveur. Mais je crois nécessaire, pour ne
pas vous exposer à tomber dans quelque erreur, d'en-
trer ici dans un détail plus circonstancié au sujet de
l'emploi du temps des Utopiens.
Je vous ai dit qu'ils ne travaillaient que six heures; i
.1.
_VOYAGE A L'ILE- D'UTOPIE50
peut-être ne. concevez-vous pas qu'un travail si court
puisse suffire pour leur fournir tout-ce qui est de né-
cessité première ou d'agrément utile dans la vie.
Cependant; loin de manquer de rien,- ils sont pourvus
de tout, même au delà de leurs besoins. Pour vous
convaincre de la possibilité-de ce que j'avance, faites
attention, je vous prie, à la grande partie du peuple
qui reste oisive chez les autres nations.
Premièrement, les fr~1 ~nescomposent une moiUé du
monde mais dans 1,-B pays où elles travaillent, les
hommes, nés lâches et paresseux, passent toute le_ui~
vie dans une honteuse léthargie..
Supputez encore le nombre des ecclésiasti{Jues et
des moines :.que de gem oisifs 1 Ajoul.ez à ceux-ci
les riches, les propriétaires de fonds, les gentilshommes
et les seigneurs n'oubliez pas surtout leur nombreuse
valetaille, c'es régiments de mauvais sujets, de vaga-
bonds, de libertins qui sans cesse les entourent et se
pressent sur leurs pas calculez enfin ces légions for-
midables de mendiants, de gens qui, pour vivre sans
iravailler, se disent malades, contrefont les impotents
ét les infirmes, quoiqu'ils soientsilos et gras et tout
atissi bien portants que vous- et moi. Tout compte fait
at débaUul vous verrez qu'il s'en faut bien -que, dans
nos pays, la quantité des artisans et des ouvriers soit
aussi considérable que vous vous l'étiez d'abord imaginé.
Autre observation. Combien, parmi ces ouvriers et
ces artisans ne s'en trouve-t-il pas. qui exercent des
métiers très peu nécessaires à la société. Mais il est
moralement impossible que ces arts profanes, ces arts
corrupteurs et pestilentiels n'abondent pu dan~ Út1
État od l'on soudoie l'induit rie, où l'on force)e 8éni~
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE" siw
à se vendre à prix d'argent. Si, de nos jours, les arti-
sans ne s 'adonnaient qu'aux séuls métiers dont on ne
peut absolument se Rasser, l'abondance des choses
Essentielles serait si gi'aode qu'elle n'aurait plus de
valeur, et ta. Dlain-d'œuvre du fabricaiit ne lui rappor-
terait bientüt plus de quoi vivre. Si donc tous les indi.
vidus qui s'occupent d'arts inutiles; si tous les fai-
néants, dont un seul consomme le travail de deux
ouvriers si tous les gens de luxe et £le bonne chè.;c
s'appliquaient à l'exercice des seules professions indis-
pensables, vous conceve~ sans peine le peu de lenlps
qu'il leur faudrait.pour nous fournir tout ce que les-
besoins, les commodités et même les plaisirs naturels
et honnêtes peuvent exiger.'
C'est ce que l'expérience prouve clairement en Ulopie.
A peine compte-t-on dans la capitale et ses environs
cinq cents personnes des deux sex~s, ayant l'âge et les
forces requises pour le travail, qui en soient e,xemples.
Les lois en dispensent les syphoôranies mais eux-'
mêmes, jaloux de donner le bon exemple, ne s'en dis-
pensent pas. Les autres qui jouissent encore du privilège
d'exemption sont ceux que leur propre vocation et le
vaeu du peuple, sur l'avis des prêtres et du consente-
ment des magistrats, appellent à la connaissance des
scien~es métaphysiques..
Si parmi ces sujets il s'en rencontre un dont le génie
et la cJl.pacité ne répondent pas à l'espérance qu'on en
avait dabord conçue, de l'académie on le fait aussitôt
descendre à la boutique~ Si au contraire un artisan pro-'
flte avec ardeur du temps de ses récréations pour s'ins-
truire et faire de rapides progrès dans ~8 belles-lettres,
du rang do simple ouvrier on l'élève à celui des mayants.
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE52
C'est dans ce dernier ordre, plus éclairé que tous les
aulres, que l'on choisit les députés aux assemblées,
les prêtres, les tranibores et Ii1ên1C le président du
sénat, ou, si vous voulez, le prince, chef de la républi-
que. Autrefois on le nommait barzane, aujourd'hui on
l'appelle l'adèn1e 1. A la réserve des lettrés, tous les
autres particuliers d'une ville étant astreints à embras-
ser une profession mécanique utile à la société, il est
aisé de concevoir qu'on vient à bout de pourvoir à
tout et en fort peu de temps.
A tout ce due je viens de vous dire j'ajouterai, pour
dernière observation, qu'en raison du bon ordre que
les Utopiens mettent dans leurs affaires, ils s'épar-
gnènt les embarras et les difficultés sans nombre que
chez les autres peuples les ouvriers ont#. quelquefois
toutes les peines du monde à surnlonter.
Vous conviendrez, par exemple, que chez nous les
soins et les frais extraordinaires que codtent la bâtisse
entière ou les répai-al ions viennent de ce que les enfants
dissipés laissent tomber en ruine, par leur coupable né-
gligence, des maisons que leurs pères attentifs avaient
toujours entretenues en très bon état. N'arrive-t-iJ pas
j ournellement que, faute de quelques menues répara-
tions, la reconstruction urgente d'une partie essentielle
d'un bàtiolent nous jette dans des dépenses énormes?
N'est-il pas encore ordinaire de voir un héritier vain et
orgueilleux regarder" d'un oeil de dédain la maison
qui vient de lui échoir, la traiter de bicoque, la laisser
i. ~Adcme, formé de a privatif et dëmoa, peuple, c'e8t~¡l~dire qui nia
pas de peuple. Il est ia remarquer que la plupart dea noms lorgé. la
l'aide du grec par l'auteur sont des borte~ d'antlphral88 la capitale est1(( ville aar~a rtr~omrnre, le fleuve qui la baigne s'appelle aa~ eau, ete,
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE] &3
dépérir et, cot\te que co6le, élever uu hôtel spacieux et
magnifique sur un terrain qu'il achète au poids de l'or`f
Aucun ces abus n'a lieu en Utopie. Dès que le gouver-
neluent a assigné les emplacements propres à bâtir, il
ne permet presque jamais d'en changer. Les habitan1s
font toujours les réparations nécessaires à temps, et, Je
plus souvent, ils les pl'éviennent; aussi leurs D1aisons
durent-elles des siècles; les ouvriers seraient même
exposés il se ta'ouver sans ouvrage, si d'ailleurs ils
n'étaient continuellement occupés à transporter des
matériaux, il les aillasse)', il les metti-e en état d'élrc
employés dès qm4: If:!besoin le requiert.
C'est cc qui fail qu'on voit le lendemain s'élevei- à
son conlhle la maison que l'on a vu la veille sorlir
de ses fondeitieiits. Quanl aux tailleurs, jamais la be-
sogne ne les pt'esse tous les artisans ne portent dans
leurs bouliques ou leurs atelicrs qu'un habit de peau,
qui leur dure supl aus. Si leurs affaires les appellent
en ville, ils passent par-dessus leurs babils de travitil I
un ample pourpoint, dont ils s'enveloppent. Ce dernier
ve4teiiieiit, qui est commun aux citoyens de toutes les
classes, a la couletii- naturelle de la laine avec la~Iuelle
le drap est fabriqué: ils en usenL beaucoup moins que
pal'tout ailleurs. La finesse du di-tip n'est d'aucun prix
leurs 3-eux; ils ne recherchent (lue son extrènle pro-
Inrelé, et sui-tout ils s'éptu'gnenttoutes ces façons qui
sont si dispendieuses pour nous. II en est de même du
linge, dont ils font le plus grand usage.
La seule qualité qu'ils cslitucnt dans la toile, c'est la
blancheur; ils en sont tous fort nunagers; tandis que
chez nous un particulier <lui n'a dans sa garde-robe
que cinq ou six habits de drap ct autaJlt d'étoffe de
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE51
soie, et même dix ou douze, lie peut pas dire qu'elle
soit bien Dl0ntée, 11n Utopi"en ti~ouve dans ses principes
d'écol!Onlie les moyens d'étré toujours à la mode de
sôn siècle., de pouvoir se présenter partout et de n'avoir
cependant besoin que d'un seul habit en deux ans. On
se Dloquerait avec raison d'un particulier qui affecte-
rait d'en avoi;' davantage, car il n'en serait ni mieux.
paré ni nlieux préservé contre l'intempérie des saisons.
C'est par une suite de cette.sage économie-qu'avec
peu de mél.iers et beaucoup d'artisans tout abonde à
un tel point dans .Je pays que, faute d'occupations plus
pressantes, on voit souvent les bourgeois sortir de la
..ville par bandes et courir, de gaieté de coeur., raCC0111-
-mode'r' un grand chemin, réparer une chaussée, ren-
forcer une digue ou en~plo3rer leur temps à plusieurs
autres travaux publics de ce genre. Je YOUS le répète,
to *u(cela se fait de bonne volonté. En l)areil cas, la règle
des nlagis11'a.ts est de ne contraindre personne. Quand
la ville est bien. pourvue et que tout se trouve en bon
état, alors on abrège le IclNps-du travail.
L'intention du gouvernement n'est point de faire
perdre 'ce temps dans des ouvrages absolument super-
flus il veut, au contraire, que chaque cito3~en, après
avoir ~empli la tâche qu'on i-t droit d'exiger raisonna-
hleaneni de lui, ait, de son côté, le droit de.jouir pai-
siblenlent et en pleine liberté du reste de ses journées.En diminuant, aulant que cela ne nuit point ù l'in.térêt
publie, les heures du travail manuel, son but est d'en
laisser davantage pour l'étude, pour la eulture de
l'esprit et la perfection du coeur, avantages inestimables,
dans. lesquels les citoyens font consister leur .souve.
raine félicité,
v
DU COMMERCE ET DES RELATIONS
DES UTOPIENS
8Ecrois devoir vous parler maintenant du com-
8.111
merce des'Utopiens et vous faire ctlnnaltre la
manière dont Ils échangent entre eux les' di-
verses choses' nécessaires à la vie. La ville est peuplée.de plusieurs familles, qui sont .com~osées de tous lf,~
.parents de diverses branches. Dès qu'une fille se marie,elle passe dans la famille de son époux; pour les en-
fants'mâles et les neveux, ils restent dans leur pr-0p:~efamille et doivent une entière obéissance au chef; à
moins que son grand-âge ne l'ait privé du jugement;en ce cas, c'est le plus proche et le plus ancien des pa-rents que l'on met à la tété de la maison. Chaque ville
contient six mille famillf;'s,. sans co~pter celles des
magistrats. Pour que la population se soutienne., tou.
jours-au même degré, on a fait le règlement suivant
chaque famille ne doit avoir ni moins de dix ni plus de
seize personnes adultes. Comme il- serait difficile de
fixer le nombre des individus au-dessoûs de l'ge de pu-
berté, le législateur n'en a point parlé. Le règlement sur-
la quantité des adultes s'observe àvec tant de rigueur
qu'on réunit aux familles qui n'ont pas le nombre pres-
crit les surnuméraires qui se trouvent dans les autres.,
Quand toutes les'familles'd'une ville sont complètes,
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE56
on fait passer l'excédent des jeunes gens dans les villes
qui éprouvent quelque perte du côté de la population.
S'il arrive que la république ait plus d'habitants que
son sol n'en peut nourrir, alors on tire de chaque ville
un certain nombre de citoyens, qu'on transporte sur le
continent voisin, dont les habitants ont beaucoup plus de
terres labourables qu'ils ii'en peuvent mettre en valeur.
Ces nouveaux colons continuent à suivre les coutumes
d'Utopie, à se gouverner selon ses lois ils conservent
surtout pour la mère patrie un attachement inviolable.
Ils offrent d'abord leur alliance aux naturels de la co-
lonie; si ceux-ci l'acceptent, il en résulte un avantage
réciproque car les Utopiens, ~aforce de travaux et par
leur industrie, parviennent à dompter la nature ingrate
de ces clinlats, et le sol, qui avant leur arrivée ne pou-
vait suffire aux besoins d'une peuplade,offre bientôt
l'abondance à deux grands peuples.
Si les anciens habitants refusent de faire société avec
eux et de vivre suivant leurs lois, ils lèvent aussitôt la
hache, leur déclarent la guerre, les combattent et les
chassent du pays, dont ils se rendent maitres absolus.
Vous remarquerez à ce sujet que,;les Utopiens esti-
ment que la guerre la plus j uste est celle qu'on entre-
prend pour conquérir une contrée que ses habitants,
également avares, jaloux et paresseux, ne veulent ni
cultiver ni laisser cultiver.par ceux qui sont délei-nii-
nés à ne point épargner leurs bras pour répondre au
voeu de la nature.
« Ne sait-on pas, disent-ils, que cette mère com-
mune de tous les hommes a abandonné la terre à ses
enfants pour la faire valoir, pour tirer de son sein leur
subsistance ?- » Si quelque calamité extraordinaire,
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE si
comme la peste, dont ils ont deux fois éprouvé les rat-
vages depuis leur fondation, diminue à tel point la po-
pulation d'une .ville qu'on ne puisse la réparer sans
porter un préjudice notable à celle des autres villes,
alors, plutôt que d'enfreindre les règlements faits à ce
sujet, ils rappellent chez eux leurs colons, car ils
aiment mieux dépeupler une colonie que de souffl'ir
la moindre diniinution dans aucune des villes de la
république.
Je reviens à radnlinisLration domestique de chaque
famille. Le plus ancien en est, comme je vous rai déjit
dit, le supérieur. Les femmes servent leurs maris, les
enfants leurs pères, et, les jeunes gens sont soumis aux
vieillards. Chaque ville est divisée en quatre quartiers
égaux. Au centre de chaque quartier se trouvent des
marchés publics, qui sont abondamment pourvus de
.toutes les denrées nécessaires au peuple. Une admirable
propreté règne dans les magasins qui entoUl'ent la
place c'est dans ces magasins que tous les artisans
.portent le produit de leur travail et de leur industrie.
Les chefs de famille vont denlanllcr dans ces dépôts
publics tout ce dont ils ont besoin pour eux et pour les
personnes de leur dépendance; ils l'obtiennent sans
bourse délier et sans donner de gages. On est d'autant
plus empressé à leur donner tout ce qu'Hleul' faut que
l'abondance de toule chose est réellement extraordi-
naire. On est d'ailleurs bien persuadé qu'aucun r~ i~ti-
culier n'exigera rien au delà de ses besoins. Quel motif
plausible déterminerait un citoyen à fâire des amas
superflus, quand il est assuré qu'à sa première de-
mande on lui fournira toujours un ample nécessaire?
La crainte dé n'en avoir jamais assez produit celte
VOYAGE A L'ILE D'~T4PI~58
rapacité vorace que l'on remarque dans tous lès ani-
maux. L'honlDle, le moins raisonnable de tous, est tra-
vaillé d'une lual1ie bien plus étrange il aspire sans
cèsse, dans son fol orgueil, à dominer.ses semblables;
'il veut les éblouir par le fastueux appareil de sa puis-`
sance et de sa grandeur. Rempli d'une sotte vanité,-il
se fait gloire de posséder plus à lui seul .que cent au-
tres ensemble prétentions absurdes, avarice infâme,
détestable gloriole, vous ne files jamais le tourment
de nos sages insulaires. L'unique satisfaction de leurs
besoins est le terme de tous leurs désirs.
Attenant aux magasins dont je viens de vous parler,
sont les halles, où l'on porte certains comestibles,
comme le pain, les herbages, les fruits et les légunle.s.
Les boucheries, les marchés aux poissons et. aux vo,-
lailles, sont hors de la ville, sur les bords de la rivière.
On a choisi le voisinage de l'eau pour procurer à ces
endroils la propreté qui leur est si essentielle et sans
laquelle ils ne seraient Ql1C des cloaques infecls.
Les esclaves seuls exercent la profession de bouchers.
On a craint, non sans râison, que les citoyens, en se
familiarisant avec l'art d'égorger les animaux ou de les
assommer, ne perdissent peu à peu cette heureuse sen-
sibilité, cette douceur naturelle, qualités si chères et si
précieuses à tous les coeurs bien nés. Quant à l'emplace-ment des tueries, on a encore eu en vue, en les transpor-tant hors de l'enceinte des villes, de prévenir les mala-
dies épidémiques que les exhalaisons qui corrompentl'air à la longue ne manquent point d'occasionner. Il y a
pans chaque rue plusieurs grands hôtels" qui tous ont
.un nom pal"lÎcuJier et sont bâtis à. égale distance l'un
de l'atitre. C'est dans ces lieux choisis que les sypho-
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE 69
grantes font leur domicile.. A chaque côté lal~ral de
leur demeure sont situés, nioitié par nl0itié, les mai-
sons des trenle fanÜlles qu'ils ont sous leur dil'cclion.
Aux lie"ures des repas,- ces familles se rendent dàns le
vaste réfecloi m de l'hôtel du s~1>hogrante pour y man-
ger en commun. Les pourvoyeurs de ces différents
11litels vont, à une heure fixe, aux marchés el à la halle,
et ~'après la liste des personnes. qu'ils ont à servir on
leur distribue- toules les provisions de bouche qui leur
sont nécessaires. Le soin des malades fait l'objet d'une
préoccupation particulitre de la part des Inagisl1'ats;les malades SOllt tl-ailés. dans les hôpilaux pu blics, qui
sonl au-nombre de quatre, situés près des p~rles de la
ville ces édifices sont si vastes qu'on les Prendrait
volontiers pour autant de gros bourgs. Quelle que soit
la quantité des malades, les m veulent qu'ils'
-soient à leur aise ils veillent surtout -Z-1.ce qu'on ne
pet'lneUe aucune cohabitation entre ceux qui n'ont que
des maladies purelnenl accidentelles et ceux qui sont
atlaqués de maladi~s contagieuses; la pharmacie de
chaque hôpital e~t, des plus complètes, les gardes-
malades sont des plus aUentifs, et les médecins des
plus habiles..
Je vous assure, en un. mot, que tout ce (lui peut con-
tribuer au prompt rélablissenumt des souffraiits s'y
trouve réuni. On ne contraint personne d'aller se faire
traiter dans les hôpitaux; niais il n'esl aucun Utopien
qui, se voyant attaql1~ .une maladie sérieuse, ne s'y
rende de son plein gré; il est persuadé qu'il y sera soi-
gné avec '-l,lus de- zèle et d'ernpressement encore quedans sa maison. Quand le~ Pourvoyeur des malades a
fait le choix des viandes ordonnées par les médecins,
VOYAGE A VILE D'UTOPIE60
ce qui reste de meilleur dans les boucheries est di-
v isé par portions égales pour l'approvisionnement de
chaque réfectoire. On ne man(lue pas de servir d'abord
le prince, les pontifes, les tI'ani!bores, les députés et les
étrangers.
Ces derniers sont toujours en petit nombre. Durant
leur séjour dans l'ile, ils sont défrayés de tout par le
gouvernement. Aux heures des repas, un héraut sonne
de la trompette, toutes les familles d'une syphograntie,
à l'exception des malades, se rendent aussitôt au ré-
fectoire. Après que les salles sont fournies, le particu-
lier a la liberté d'emporter les viandes chez lui pour y
manger, si bon lui semble; dans ce cas on présume
qu'il a de bonnes raisons pour en agir ainsi. Il n'est
donc pas défendu de diner ou de souper chez soi, mais
fort peu de gens prennent cette habitude. En premier
lieu c'est qu'elle blesserait les usages de la civilité, fort
estimée chez les Utopiens. En second lieu c'est qu'il
serait peu raisoiiuable d'apprêter un mince dlner au
logis, tandis qu'on en a un tout préparé et beaucoup
meilleur à sa portée.
Les esclaves seuls sont c~a.rgés des travaux les plus
rudes et des offices les plus bas, soit au réfectoire, soit
à la cuisine. Le soin d'apprêter les mets, de mettre
le couvert, ne regarde que les femmes; tour à tour
celles de chaque famille sont chargées de ce détail. On
dresse toujours (rois tables, et plus s'il est nécessaire.Les homme9 sont assis du côté du mur, les fem,m,es
se placent vis-à-vis, ann que s'il leur prend quelque
faiblesse elles puissent se lever et sortir du réfectoi-re
sans déranger personne. En cas d'incommodité elles
vont dans la chambre des nourrices, qui n'est séparée
v u.y A_G"EA <fll-LE D'UTOPIE fi
de la salle à manger que par un mur mitoyen. Là, celles
qui nourrissent trouvent toujours du feu, de l'eau propre
et des langes tout prêts pour leurs enfanta, qu'elles
peu-vent à- leur aise et tantqu'U .Ieur J)lattégafer par
leur. tendres c8I'esses.Cbaq,ue mère allaite ses en-
fants, à moins que les maladies ou la disposition de
son tempérament ne le lui permettent pas.
Dans ces deux cas, les épouses des syphog,rantes
cherchent promptement une nourrice à l'enfant; elles
n'ont aucune peine lit la trouver. Toutes celles qui sont
en état de nourrir s'offrent de bon caeur pour remplir
ce m'Ín'¡stère sacré, (lui est l'objet de la plus grande
vénération des femmes d'Utopie. Le nou~rrisson de-
vient alors le fils adoptif de celle qui lui a donné son
lait; toute sa vie il conserve pour elle les sentiments
qwun bon fils doit avoir pour sa propre mère.
Les enfants au-dessous de cinq ans restent à la
chambre des nourrices. Ceux qui ont dépassé cet âge,
tant filles (lue garçons, servent au loéfectoire, ou, s'ils
ne sont pas assez -foi-ts pour servir, ils se tiennent de-
bout dans un silence respectueux derrière ceux qui
sont à table. Leurs parents et leurs amis leur présen-
tent par intervalles quelques morceaux de pain et des
viandes découpées; qu'i'is mangent à la hâte, car ils
n'ont pas d'autre temps pour prendre leurs repas.
La première table de toutes est celle qui occupe le
fond de la salle. La place du milieu est la plus hono-
rable et la plus éle¥ée; elle domine sur toutes c'est
celledtl sy'pke'g¡r4~R:te; son épouse est à sa droite, et les
deux Yiei°hl~ârd9les plus anciens sont à sa gauche.
Il est bon de vous dire que la distribution des con-
vives est de quatre par quatre. Si le temple se trouve
-1 1 ï 1 ~z1
VOYA~GE A L'l~:g p'LITO=~dr62
dans cette s~phog~rantie, le ministre et SOft 6peuse"
prennent place auprès du Dlagistrat, comme devant
naturellement présider à, l'assemblée; on mêle ensuite
les jeunes gens avec les personnes ,d'un A'g~ mur., Ces
dernières ont l'inspection s'ur eux; et comme on ne
peut-rien dire ni rien faire daos-cesréfectoires qui ne
soit vu ou entendu, le respect qu'imprime le grand âgeretient les étourdis. Si par hasard il leur échappe,quelque parole trop libre ou quelque. geste déplacé,
les anciens qui sont auprès d'eux les reprennent sur-le-
champ et leur imposent silence. On ne sert- point -touteune file de suite, m:tis on présente, les mets les plussucculents d'abôrd aux personnes les plus âgées, dontles placès sont distinguées; ensuite on dlstribue dans
façon à la jeunesse ce qui reste sur 'les plats. Les viej:J..lards partagent, si bon leur semble, avec leu"rs voi5ins,ce qu'ils ont de plus appétissant. La quanti_té de metsdélicats n'est pas assez-abondante pour les prodiguerindistinctement à tous les convives. Quoique, par égardpour l'âge, on destine les meilleurs. morceaua ~urchefs de famille, cela n'empêche pas les autres convivesd'être bien nourris et même de faire bonne chère.
Au commencement du diner et du souper on lit
quelque traité de morale. Cette l'ecture est fort courte,parce qu'on craint qu'elle ne devienne plus fastidieuse
qu.wstructive. Dès qu'elle cesse, les pères entament la
conversation, qui roule ordinairement sur des süjetsagréubles etdivertis5'BDts,;ills'
nesepel'met.teBltc~pe!dant jamais leréc,iot d'aucu~pe
scandaleuse ouaucune saillie indécente. Ne vous i.ma fgiaez pas q.u'Hsvous t!~oÜrdi.88Dt par leur b~bi~ tout 181eRl ~~u repaa;-non, ils laissent tr8~ volo4tier~ ~é ohatp~ libre aux.
=v~~x~ ~;tr~ ï~ 83
jèu¡ftes genop auxquels mêmé ils font beau jeu. C'estdans ces moments o4 la liberté de la table leur permetde,
~d~p~oyer ieu~r- espri~t q~u'on est. plus à portée de le
connsi.tre et d'en jug~r.'-connaitreel-d:enJuger.
Le dlnerll~est pas,A beaucoup près, aussi long. quele souper. Us pensent qu:en' su-rcbargeant à midi son
estomac de nourriture, le corps, affaissé par les fo~c-lions laborieuses de la digestion, perd les forces né-
cessaires pour le travail le soir on peut, sans incon-
vénient, contenter son appétit, parc.e que l'inaction du
cc-CQJ1.R~c,-I)f~Q:d.D'l~- -n~ui~t=etle sommeil, sont deux e~ccel-:
.1,e.tli:gesf.i¡rs~@Î1,'exémjteitoUjOQrs,.d:tma'llt ;Iesou:p~r,
d;j;fré'féDteS"sym:PhOJÛes,et1E~s'desser~sysont~xq:uis:Le8cassolettes sont a~1,1~uméés et répandent les odeurs les
.pl~us suaves dans l'intériéur de la salle; ;,enfi.n 40~n'ou-blie rien de ce qui --peut flatter les sens des convives;car nos
Utopiens adoptent pour maxime que toute vo-
lupté dont la suite n'est point dangereuse est légitime'et pecmis~. Tel est le genre de vie que l'on mène
la celui de. Jacam'pagoeestpeu dHrérent.Comme
les habitants y sontpluséloigoés les uns des autres,
éh4qùe colon' mange en son particulier. Au 8u'rplt..'en faut bien qu'on manque de vivres aux cha~mps,puisque c'est leur territoire même qui fournit les pro.visions de la ville.
VI
DES VOYAGES DES L'TOPIBNS
oANn il prend fantaisie à un Utopien de Yo3ra.ger, soit pour aller voir ses amis qui habitentdans une autre ville, soit pour connaltre le
pays il en obtient sans difficulté la perm,issiOD des
syphograntes et des tranibores, à moins que sa pré-sence et son assiduité au travail ne soient d'une abso-lue nécessité pour ses concitoyens. D'ordinaire les
voyageurs marchent par caravanes ils sont munisd'un passeport du prince qui jour pour jour fixe ladurée de leur voyage. On leur donne un chariot, avecun esclave public pour le conduire, et avoir soin desbœufs qui y sont attelés. S'il ne se trouve point defemmes dans la caravane, les hommes aiment mieuxaller à pied et laissent là le char, qui retarderait leurcourse. Ils n'emportent rien dans leur tournée, ils sonttraités gratis tous le long de la route. On leur fournittout ce dont ils ont besoin. Chez les différents parti-culier-à où ils logent, l'hospitalité s'exerce avec tantde courtoisie et de bonne grâce que les vOJ1ag~urs ne
s'aperçoivent jamais qu'ils sont hors de chez eux.Celui qui passe plus d'un jour dans un endroit y tra-vaille de son métier, et les artisans ses confrères ontpour lui toutes les déférences imaginables. Si quel-
V'8VAGI AL'ILE-D'U'tOrlEo s~
8
qu un s'avise 0 quittersesroyerss311cS Perm- lission et dése meUre en 'voJage sans un passeport du prince, 011 leramène comme un fuya~1 dès qu'on peut l'attraper, etil est sév.èrenlent repris ¡s'i.Jt(unbe daus la il
perd sa liberté. Un Ul-opieu ne 'peut faire le tour de laville et parcourir les champs voisins sans
l'agrément deson père et de sa lemme. Comme Unè t..ouve'ni à boireni à manger, il est obligé de revenir aux
beuresprécisesdu travail s'il veut diner ou 'souper. A.cette con~ition on
lui permet de sé promener pendant la recréation horsdes murs de la ville, qui n'en. soulfl'e aucun préjudice,ptJiÍsq:u'Uesl contraiyt d'y nteni~rer aUID;omen,toùil.dev.ieat utile. Vousconce,"ez, d'après ce que je viens d'evous 'I,re, qu'on a mis ,ou en aeuvre -pour forcer 1"oisli-
veté jusq~ue dans ses derniers retranchen~en~ts.
On ne rencontre dans toute' l'étendue de l'ile aucun~
cabaret, point de ces académies de jeu où souvent; an
péril de leur vie, les dupes font le profit des escrocs etdes fripons. L9oeil vigilant du ministère embrasse tel-
Jen)i6nt.toutesJes-parlies de la police qu'Uraut., bon
gré mal gré, faire un sage emploi de son temps, soit-en travaiUant, soit'en rie prenant aux heures dé loi-sir que des délassements honnêtes. L'abondance est
l'heureuse" suite de ces 'sages inesures'; et comme la
répartition des biens est égale et commune entre tousles
citoyens,. on ne connalt en Utopie ni pauvres ni
mendiants.
Dans rassemblée des états généraux, qui se tient tous.
les -ans- à .Ámau'rote et où assistent trois -députés de
chaque-ville, on présente un étatdétaiil:le detou,tes les
productions de chacune de- ces vill~s et de leur terri-:toire. Après 1 examen.qui en est fait, on établit une
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE66
balance exacte de rapport et de consommation entre
toutes on donne ensuite à celles qui se ressentent de
la disette le superflu de celles qui ont tout à foison.
Ce don est gratuit et sans espoir de retour. Si l'année
suivante la ville qui a donné vient eUe-même à man-
quer, elle ne va point demander ce qu'il lui faut à celle
qui a reçu son supertlu, mais elleaccepte
ce qui lui
manque de la première ville qui s'o1l'l'e à le lui fournir.
Tous ces prêts et ces échanges se font sans aucune
vue d'intérêt; on i~s regarde comme autant de devoirs
naturels, dont on ne saurait se dispenser sans inhuma-
nité. De pareils traits vous prouvent assez sans doute
que toute la république ne compose qu'une seule et
même fami:lle. Comme on ignore si l'année qui suit la
dernière récoUe sera bonne ou mauvaise, on a grand
soin de toujours approvisionner le pays pour deux ans
on permet ensuite l'importation chez l'étranger de
l'excédent des denrées en tout genre.
Les productions nationales consistent en blé, miel,
laine, lin, chanvre, bois, peaux, coquillages, cire, suif,
cuir, et même en quantité de gros et, menu bétail. Ils
donnent un septième de leurs marchandises aux pau-
vres du pays où ils vont commercer et vendenl le res-
tant à un prix très borné. Ils rapportent de ces traites
non seulement le fer, qui est presque la seule chose
qui leur manque, mais encore des sommes considéra-
bles en or et en argent. On ne saurait s'imaginer com-
bien les Utopiens se sont enrichis depuis le long espacede lemps qu'ils font si heureusement ce com"me'rce: ·.
aussi leur est-il absolument égal aujourd'hui de vendre
à crédit ou au comptant. La plus grande partie de
leurs affaires se fait en papier. Pour en assurer la soli-
il~-OYA~~E A, ~'IL~ .!J) 'iUT'(J)P~"£
di~të, ills ne se contentent pas de la ga~ra`r~~tieet de lasolvabjU!té du tireur et de
J'eiu),osseul'; Us ont soin seconformant aux usages des lieux,, 41.en -fa~ire dresserdes
actesau:tbenti'(fues par des ofgciers pub~iics. 1"~is
cha:rgeut ensuhte les corps municipaux des vj:)iJes decommerce du recouvrement de ces dettes.
Ceux-ci font payer avec d'autant plus d'exactitudeles débiteurs ù l'échéance de leurs obligations queleurs villes perçoivent les intérêts des créances rem- 1boursées et déposées en masse au trésor public, jus-qu'au jour où les Utopiens font la demande de l~eurs
capjta'ux. Us n'en reprennent souvent que la .p~lfusfaml'epaJ~Heet abandonnent le reste à leurs débiteuirs;parce qu'ils esti:meD,t que c'est blesser la justice qued'enlever aux autres ce qui leur sert el ce dont on nefait soi-même aucun usage. Mais s'ils veulent obligerun peuple voisin menacé d'une invasion ou s'ils setrouvent sur le point d'avoir la guerre, alors ils re.-Ie'-mandent la totalité de leurs créances. Tous les trésors
qu'ils a-massent dans leur propre pays sont destines àécarter
loind'eux les cala.mités publiques, à leur ac-
quérir des secours dans les dangers pressants et im-
prévus.
En temps de guerre ils donnent une forte paye aux
soldats étrangers, qu'ils soudoient et qu'ils exposent
plus voJ6ntiers que les leurs, car ils sont très avares
du sang de leurs compatriotes. Ils sèment d'ailleurs si
la.rlement l"0:f et l'argeiRt chez les emne:m~i`s qu'ils o~;ca-siOBDent la désertion .de leurs t'r9u:pes, Iqulip'Rsse/Dt de
leur c8të 011 Use.Jlitlajm.meoltà tel point Jacu'lid:ilté des
généraux c¡ueceux-ci tournent leurs armes contre eux-
mêmes et s'enlre-dél.rutisent. Vonà les ra,jsoDI qui les
8g ~V4YAGE L'ILE"D'UTOP1E:
déterminent à conserver toujours au hésoin un tré,or
considérable. Mais vous dhaaï-Je le.cas qu'ils font de l'or
en "général ? peut-être.ne voudrez.vous pas me croire :mir
enfin, si quelqu'un vènait me raconter tORt ce dont j'aiété témoin à ce sujet, je vous avoue. que je ne pour-
rais guère m'empêcher de mettre en doute la véracité
de son -récit. Des h~mmes sensés cependant, des hom-
mes qui réfléchiront sur les usages, sur les lois de ces
républicains, si dJ¡Iférentes des"nôtres, s'étonneront
moins de ce que je vais vous raconter et se le .persua-
deront plus facilement. Il ne ~'agit point ici d'avoir
égard à l'emploi «que nous faisons de l'or et de l'argent
il faut uniquement consulter là façon de penser et de
ju-ger des Utopiens sur ce premier objet de notre culte.
Comme ils n'ont. aucun besoin" d'e~pèces, "cJont le
cours est inconnu chez eux, ainsi que je l'ai remarqué
plus haut, ils se bornent à garder leur or et leur ar-
gent pour s'en sérvir à propos dans les conjonctures
difficiles et fâcheuses..« Il est possible, disent-ils, que
ces moments de crise ne se prèsentent pas dans la
série des événelnents que le Ciel nous prépare; il est
prudent toutefois de chercher à nous précautionner
contre un avenir incertain. »
L'usage qu'ils fant, en attenciant, de l'or et de l'argent
est bien propre à fixer le jugement que tout lemonde. »
devrait raisonnablement porter sur ces métaux. Cet
usage n'est autre que la mesure du mépris qu'ils doi-
vent inspirer. Qu;i pourra disconveuir que le fer, .dont
on ne petit pas plus se passer que du feu et dé .1'.eau, ne
soit bien plus nécessaire et plus préèieux que l'or et
que l'argent? L9homme néanmoi<Ds,touj-ours irréfléchi,
toujours inconséquent dans ses procédés, assigne une
'~4Y~AGE.~ L~IL~ 1~'UyO~i~- 6~
valeur aux- métaux sans faire la, ~noi~ndre att~n~tio~
aux divers degrés de mérite qu'ils neuvent avoir par
.rapport '%a»'son utilité persÓnn~llê. Il avilit, il méprise,
malgréleursfJualitésusdéliI:ès, ceuxq.Hsontlesplns
communs et met unprlXfldlculeauxaù'lres,eI,t ra~soù
de leur extrême rareté, quoique d'aiUeurs ils ne puis-
sent être d'aucun usage propremént dit utile et Iléces-
saire. blais la nature, cette tendre mère, dont la sagessese manifesté dans. toutes ses vues, raisonne d'une ma-
nière bien ditFérente dé celle de ses enfants elle place
sous nos yeux et ,sous notre main tout ce qu'elle .lugeessentiel au soutien de notre existence elleafl'ermi,t
la terre sous nos pieds balance et faftèircUiler 'autour
de Daus l'air, qui est notre élément; elle nous indiquela 'source et le cours des rivières,- rien ne lui échappe
'de ce qui peut nous rendre la vie douce et a,gréâble;-
r~iâis elle eufouit dans des-gouffres profonds, qü'elle;.
même a creusés au centre de la terre, tout ce qui ne
peut nous être d'une utilité réelle. Le gouvernement
d'Utopie ne fait point enfermer dans des-tours foret
1'argen~t, = atin de prévenir les jugements'du vulgaire,
soltemelltingénieux, dans tous les mondes possibles, à
se forger des idées bizarres.
Il pourrait croire ici que le prince et le sénat abu-
sent de sa- bonne foi, qu'ils ourdissent ensemble .quel-
que trame avantageuse pour- eux et nuisible à ses
intérêts. On n'emploie pas non plus de ces métaux à
fabriquer de lavaisse~le et d'auh:es ouvrages travail-,lés- par -les plus grands arti~tes.-euand'ilfaÚmait
fondre les matières et en"faire dé la monnaie pour
payer les troupes, ce serait wn embarras et. un sujet
de chag- rin car dès'qu"une fois on s'est laissé séduire
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE70
par le luxe, dès qu'on est attaché à ses inventions, ce
n'est qu'avec beaucoup de peine qu'on y renonce.
Pour prévenir ces inconvénients, ils ont sur cet
objet une politique marquée au coin de la singularité
qui frappe d'abord dans toutes leurs institutions. Cette
coutume est si contraire à nos idées, si opposée au
profond respect, à la passion que nous avons pour l'or
et pour l'argent; qu'il faut, je le répète, avoir vu les
choses pour les croire. Toute la vaisselle des Utopiensest de terre cuite ou de verre, d'une forme, il est vrai,aussi propre qu'agréable; mais la matière n'est rien
moins que l'are et coûteuse. Quant à nos métaux les
plus précieux, ils les emploient à la fabrique de leurs
vases nocturnes el des ustensiles les plus vils du mé-
nage. On en voit quantité tant dans les édifices pu-blics que chez les particuliers. Ils en font aussi les
fortes chaines qu'ils attachent aux pieds et aux mains d-3
leurs esclaves. On condamne encore tous ceux qui sont
notés d'infamie à porter des pendanls d'oreille d'or,une quantité prodigieuse d'anneaux aux doigts, des
colliers et une large plaque sur le front, le tout du
méme métal.
Vous voyez par là que nos républicains ont cherché
tous les mo3Teus d'ôter à l'or et à l'argent tout leur
crédit, de les avilir .et de les mettre au niveau de la
fange, qn'on méprise et qu'on rejette avec horreur.
Ainsi la possession de ces mines si riches, que tant
d'autres peuples chérissent comme leurs propres en-
trailles et de la perte desquelles ils seraient inconsola.
bles, n'est d'aucun prix aux yeux de nos insulaires;et on
leur. enlèverait d'un seul coup toutes les riches-
ses pécuniaires cfu'ils.ne s'en croiraient pas plus pau-
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE il
vres d'une obole. Ils ramassent des perles sur leurs
rivages, ils trouvent des diamants et des pierres fines
dans le creux des rochers, mais ils ne se donnent pasla peine de les chercher. Ils se contentent de faire
usage de ceux qui tombent par hasard sous leurs
mains. Ils les taillent, les polissent et en font des
ornements et des joyaux à leurs petits enfants.. Dès
que ceux-ci grandissent et qu'ils sont susceptibles de
raison, ils se défont de leur propre mouvement de ces
babioles, comme nos jeunes gens quittent les mar-
ques extérieures de l'enfance et les jeux innocents
qui, au sortir du berceau amusaient leurs facultés
naissantes.
Ces usages, dianlétralenlent apposés à ceux des au-
tres nations, donnent quelquefois lieu à d'étranges
méprises et de la part des Utopiens et de la part des
étrangers qui abordent chez eux.
Je n'ai jamais été plus à portée de voir ces erreurs
réciproques qu'à l'arrivée des ambassadeurs d'Ané-
moliel, qui firent leur entrée à Amaurote durant mon
séjour. Comme ils venaient pour traiter d'affaires de la
plus haute importance, trois députés de chaque ville
et les ministres étrangers qui se trouvaient alors dans
l'ile vinrent se rendre auprès d'eux au milieu de la
capitale. Ces derniers, qui séjournaient depuis quelque
temps en Utopie, n'ignoraient pas les coutumes des
habitants et le profond mépris qu'ils avaient pour le
faste et pour tout ce qui s'appelle pompe extérieure.
Ils se présentèrent en conséquence fort simplement
vêtus j mais les Anémoliens, qui, par rapport à leur
f. A~~émolip, en grec 81posé au vent, par estensioD léger, frivole.
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE72
él~ignement et au peu de commerce qu'ils faisaient
avec nos insulaires, n'avaient aucune connaissance de
leurs maeurs et de leurs usages, C0l11Dlirentà leur é~rd
une bév"ue fort grossière. Les premiers Utopiens qui
s'ofirent à leur vue sous le costume nalionalleur font
juger aussilôt, que ce peuple est pauvre et misérable.
Plus orgueilleux que sages, ils s'avisent de vouloir lui
en imposer par leur richesse et leur magroficence. Nos
trois ambassadeurs, dni élaient des personnages de
premier rang dans leur pays, s'habillent aussi superbe-
meut que des acteurs qui doivent monler sur la scène
poûr y représenter des héros et des dieux. Les voilà
qui se rrYeltent en marche, accompagnés d'une suite
de centpersonne,
au moins toutes couvertes d'habits
de soie brodés de diverses couleurs. Ceux de Leurs
Exc.eUences étaient de drap d'or enriclli de pierreries;
ils portaient en outre des bagues, des bracelets, des
col liers et des pendants d'orei lles de perles ét de dia-
mants. Leurs chapeaux élaient garnis d'une large bro-
derie en or et d'agrafes d'un Il'avait aussi précieux que
le métal.-
Parés de tous ces riches ornements, qui citez les
Utopiens sont les marq!tes distinctives de l'esclavage,
de l'infamie ou de l'enfance, ils s'imaginaient ébloui..
tous les yeux et se donner le spectacle de ces coups
de surprise qui flattent si agréabiement rOl'gueil et la
vanité de'ceux qui, les font nait.'e. Tous trois portaient
fièreRu~nlla tête au vent, en faisant tomber par-ci par-
14 quelques regards de pitié sul~ le peuple~ qui accou-
rait en foule pour les voir passer. Mais le plaisant de
l'aventure c'est que, malgré leur air d'importance et
la bonne opinion qu'ils avaient d'eux-Inê.ues, nos trois
VOYAGE A ~r_r~ n.UTOPII li
Excellences furenl panfaitem-ent moduées et bernées
tout le long de la uepréseutati~n.
Je vous ai dit qu'on général bien peu ~1'Ulo~iens
voyagent, très peu par conséquent sont instruits des
nlŒurs et des usages des âutres peuples. Il ne faut
donc pas s'étonner si nos bons bourgeois d'Amaurote,
qui s~in1aginaicnt que tout se passait ailleurs comme
chez eux, prenaient ici les ni 'alti-es pour les valets et
les ambassadeurs pour les esclaves de leur suite. Ils
saluaient respectueusement ce~~a qui portaient les ha-
bits les plus simples, parce (,u'ils ei-oi7aie«iit voir. en
eux les nouveaux ministres plénipotentiaires. Des en-
fants de sept à huit ans, qui avaient renoncé à tous
ces joyaux de l'enfance dont ils v0yaipn~t les ambassa-
deurs sUrrc~argés, criaiént de bonne foi à leur mère
( Regardez donc ces grands nigauds qui pOl'te!lt des
bijoux et des babiolcs comme s'ils n'étaient encore
qu'au maillot. Taisez-vous, ~épondaienl sérieuse-
ment les mères, ce sont à coup sùi,- les bouffons de Leurs
Excellences. »
D'antres, portant la vile sui- leuos cbaînes d'or,
disaient tout haut, en se moquant « De quelle utilité
peuvent être ces chaînes? EJlcs sont si minces que ces
esclaves peuvent aisément les briser, et si peu serrées
qu'il leur est plus facile encore de les ôter et de prendre
la fuite. »
Après avoir séjourné quelques jours dans la capitale,
,les plus i:ns.truitsdes usages du lieu, recou-
nurent leur prévention. Ils s'aperçurent bien que l'or
ne ulanquall pas en Utopie, puisqu'un seul esclave en
portait plus dans les chalnes dont il était garrotté qu'ils
n'en- avaient à eux trois dans leurs riches habits, mais
7'
que ce métal était aussi vil, aussi abhorré chez les Uto-
piens qu'il était chéri et révéré dans leur pays.
Honteux et confus de leur méprise, ils s'empressèrent
de retrancher tout leult train et déposèrent humble-
ment leur fierté et leur arrogance. Ils se l,rouvèreiit en-
core bien plus éloignés du but qu'ils s'étaienl proposé
lorsque différents entretiens avec les habitants les
eurent mis à même de connailre il fond la manière
de penser du peuple avec lequel ils venaient traiter.
J'avoue que ses opinions sur ce point durent leur
paraUre bien étranges. cc Est-il possible, disent les
Utopiens, qu'un homme qui est tous les jours en état
de contempler les astres et la beauté du soleil puisse
avec quelque plaisir repaïtrc ses yeux de la lueur fugi-
tive de ces petits morceaux de cristal ou de roche
qu'il nomme pierres précieuses? Se peut-il qu'il se
rencontre des êtres assez dépourvus de sens et de rai-
son pour se croire plus nobles, plus excellents que
leurs semblables parce qu'ils sont couverts d'un drap
plus lin et plus rare? Mais la laine dont ce drap est
fabriqué ne provenait-elle pas également de la toison
d'une brebis, et, au bout du compte, toute belle qu'était
cette toison, la brebis qui la portait n'était..elle pas une
bêle comme une autre? Vous adorez l'or (prenez que
c'est un Utopien qui parle) mais ce métal, par la na-
ture de sa trempe, ne peut vous être d'aucune utilité;
s'il a quelque prix, c'est vous qui le lui avez indiscrè-
tement donné. Ce prix est idéal et fictif, ce n'est
qu'une valeur conventionnelle et relative à vos be-
soins. » Cependant cette matière est aujourd'hui en si
haute vénéraûon chez tous les peuples de la terre
qu'on ne rougit point de la préférer à l'homme même.
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE
y.p ~LA E L'IL£ .D'UT0'!P'lE 15
En voulez-vous la preuve ? La voici. Regardez ce maltTe
8Gt,enseveUdauS& crasse ignorance; ne vous semble-
t-il pas voir uloemisérablesoucbequi cônserve à peine
quelquerestedevé,gétati0R'lCe lèche individu n'est
d'ai~l`leu~rs qu'un fou décidé, un juré rri'pon.'Cependant
une cOl1fnombreuse s'empresse de lui olrirses hom-
mages; il tient sous sa dépendance et à ses gages des
hom,mes sensés et vertueux, des sages et des gens à
talents. A quel Hlre leur commande-t-il '1 Sur quoi
fonde-t-il ses droits? Sur quoi? sur son coffre-fort. Le
malheureux est riche, et sa richesse est tout à la fois la
base de-sonstu!pide orgueil et de son injuste domina-
tion. Mais si l'avare chicane, qui met tout son plaisir
à dévorer les t: 'sors des hommes el à réduire les plus
opulents aùx dernières extrémités de l'indigence; si la
fortune encore, par un caprice bien digne d'elle, vient
à précipiter du haut de sa roue ce mortel bours9u8é
de sotlise et d'ennui naguère si fier de ses richesses;
si elle les fait passer dans les mains du plus indigne
pendard de tous ses valets, alors quelle sera la res-
source du millionnaire ruiné? Vous le verrez bientôt
ramper à son tour dans la poussière, trainer sa hon-
teuse existence dans l'obscurité et finir par mendier
un refuge chez son propre laquais, qui ne regardera
son service auprès de lui que comme une dépendance
nécessaire de la totalité de ses biens, dont le sort l'a
mis en possession.
Ce qui m'irrite, ce qui me révolte surtout, est de
voir les respects,1es honneurs presquedivins que vous
rendez à un homme qui ne vous est de rien et auquel
vous ne devez rien. Je vous sU:rprends~éanmoinsflé-:
chissant le genou devant lui, vous l'encensez; et pour-
-1 ..r
~O~AG~' A L~E ~'U~T4-Fh~16
quoi ces adoratiotis parcé qu'~1 a de l'or et del'argeBlt.
Mais vous savez que c'est un ladre, un usurier, et que
dé son vivant vous n'aurez pas un sou de toitte sa for-
tune. Que. vos grimaces sont méprisables, e~travagan-
tes et absurdes 1
Telle- est sur les richesses- la façon de penser des
Utopiens. L'éducation publique qu'ils reçoivent dès leur
plus bas âge, et l'é~ude. des belles-lettres, dorit ils
s'occupent très sérieusement eux-mêmes! contribuent
pareillement à la leur inspirer et à la perfectionner.
Quoiqu'ils ne destinênt particulièremefit, à la con-
naissance intime des hautes sciences que ceux qui an-
noncent dès leur 'enfance un esprit Judicieux, un génie'r
élevé, ungodt invincible pour la phiIQso.phie et la mé-
taphysique, on donne' néanmoins "à tous les enfants
une teinture 4~' ces sciences, ainsi que des arls libé-
raux..
-D'ai.1leursje vous ai dit que les hommes et les femmes
se font un plaisir de consacrer à leur étude les heures
que-leur laisse- l'interruption du travail. Les Utopiens
ne connaissent que -leur langue maternelle c'est "la
seule qu'on emploie dans tous les collèges, dans toutes
les écoles et les académies.Uet idio-e est riche, et la
prononcialio~ en est fort douce. Aucun autre ne sau-
rait"leur prêter des. expressions plus propres h. rendre-
leurs pensées avec autant de précision et de clarté que
dé j ustesse et d'énergie. Cette langûè est d'ailleurs
presque universelle dans leur 'monde; elle a différents
dialectes. Ils. n'avaient point entendu parler, avant
notre arrivée, de tous les philosophes si célèbres'parmi
nous.- Mais .en..musique, -en logique, dans l'aritbméti-
que et la. géométriç, leurs découvertes D'êtaieJ;it"DuUè:i:
il.j. 1. :¡r,
ô A.0 'lu To
-men~~ ilJférl~Î1~s ootles ~aB~t~
Si toutefois ils peuvent aller de: pair ave13 les ancien~
dans" les inventions vraiment utiles, il s'en faut bien
qf~'i€)~ é~ga~en~t nos dialecticienis et nos' sQphistes ~a~-
dernes. Ils n'ont trouvé aucune règle de restric'tions,
d'a~pli11eations de -.suppositions, ni aucune de ces
subtilités de logique. que nos. grimauds 'decollége.
savent sur -le bout ,du doigt. Us sont peu propres Il la«
recherche des idées fécondes; ils n'ont jamais pensé:
à l'homme dans l'universalité, comme s'explique- le
jargon scientifique de nos écoles 1.. Malgré la grandeur.
démes~Ef(lê'~ecol()sseau.desS'usde toutes:lesstatures
gigantesq!1Íes; inâlgré toutes lesdêQioDslra~iol:1sq:ue
nous employâmes pour. le leur rend~re palpable, ils -né
purent jamais l'apercevoir.. Mais s`i-ls n'ont- pas fait un
-pas dans ce fatras 'd'absl~actiQns méta'physiquès,on
peut assurer qu'ils ont, en revanche, poussé fort loin
leurs connaissances dans l'astronomie.' Ils ont fabriqué
divers instruments, de mathématiques" comme des
télescopes, dés quarts de cercle, et plusieurs, autres à
l'aide desquels iIsmes~ent.. exa,ciem.êntlahauteur du
soleil ils- ~xent~ même la durée de son' cours, ses
'_déclinaisons, ainsi,que les phases déia lune, lesinou-~
-vements ordinaires ou rétrograde~ des astres et des
planètes qui brillent sur leur horizon. Quant. à l'astrolo-
gie jt~diciaire, et à tOQS ces contes bleus de la magieblaD~
che, leur ignorance sur'ce point est des plus par-faites.
Mais ils pronostiquent les pluies, :les vents,.le-froidet i
lé chaud. sur certains "8Ígne-s apparents et d'après.iUle
t: Un grand etluèide eapritcomme Morus -ne pouv -m't 4iM-oe ëchap-
per l"occasion de frupperwsur les .ridicules formules de l'a .ièm~I~1Ï1~
tique, qui" obstruaientencoro tout.cs les@voies de 17èààeignemeàt,.
78 VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE
foule d'observations confirmées par une Jongueexpé-
rience, qui rarement nous induit en erreur. Au surplus,
relativement à ces objets, ainsi qu'au flux et reflux de
la mer, à sa salaison, à l'origine du monde tel qu'ils le
conçoivent, à la nature des divers corps célestes, ils
ont des opinions qui diffèrent entre elles, cnmrne en
ont eu nos anciens philosophes. Quelquefois ils quit-
tent les vieilles pour s'attacher aux nouvelles, lorsqu'ils
les croient plus solides; et ils finissent, ainsi que nous,
par ne pas tout à fait s'accorder sur ces points de
croyance arbitraire.
Ils agitent en philosophie morale les mêmes ques-
lions que nous. Ils se demandent en conséquence si le
nom de bien peut convenir également aux qualités de
l'âme, à celles du corps et de la fortune, ou s'il n'ap-
partient qu'aux premières. Leurs dissertations sur la
vertu et sur ce qu'on appelle plaisir ou volupté sont
très étendues.
L'objet le plus noble et le plus intéressant de toutes
leurs questions et de toutes leurs recherches, est de
savoir enquoi consiste le vrai bonheûr de l'homme, si
c'est dans une seule ou plusieurs choses réunies. La
plupart des Utopiens embrassent sur cet article le
système d'Épicure ils sont persuadés que si la volupté
n'est pas entièrement dispensatrice du bonheur, elle
seule du moins contribue le plus à nous le procurer. Ce
qui va vous étonner sans doute, c'est qu'ils fondent sur
la religion même, toute triste et toute sévère qu'elle
est, une morale très facile et très douce. Jamais ils ne
dissertent sur le souverain bien de l'hornme qu'ils
-n'invoquent le secours de leur religion ils déduisent
leurs conséquences de ses principes mêmes, ils mêlent
191VOYAGE -à VILE D'UTOPIE
ses maximes aux raisonnements de la philosophie, et
pensent que sans le concours de leurs lumières récipro-
ques ils feraient pendant toute leur vie des recherches
infructueuses pour trouver la félicité.
Voici leurs dogmes principaux: l'âme est immortelle; 5
Dieu, dans les décrets éternels de sa bonté, l'a créée
capable de bonheur il est une vie future, dans laquelle
le vice sera puni et la vertu récompensée. Quoique la
religion seule établisse et enseigne ces articles de foi,
les Utopiens prétendent que la vertu doit suffire pour
nous déterminer à les adopter et à y croire. Si ces
points fondamentaux n'étaient point autant de vérités
incontestables; si la mort, en nous retranchant du
nombre des vivants, anéantissait tout notre être, il
n'est pas d'homme, si borné qu'on le suppose, qui
n'eitt encore assez d'esprit pour sentir qu'il est de son
intérêt de se faire même des crimes les plus atroces
autant de degrés pour atteindre au bonheur de la vie
présente. On le verrait donc sans cesse tourmenté de
la soif des plaisirs il les saisirait tous avec une égale
avidité, en s'arrêtant néanmoins avec complaisance au
choix des plus raffinés, des plus exquis, et de ceux dont
la douleur n'accompagne ou ne suit pas la jouissance.
Qui pourrait le blâmer de suivre un pareil système?
Quel excès de folie de renoncer de soi-même aux agré-
ments de la vie, de pratiquer les vertus les plus difQ-
cileset, Plus austères, de s'exposer volontairement
aux tr'ibulati-ons, de supporter avec patience les dis-
grâces et lesmallxles plus cuisants, si notre espoir ne
,9'étend pas au delà du tombeau, si notre âme et la
félicité dont elle est susceptible se perdent et s'ablment
avec le corps dans une nuit éternelle 1
VOYAGE A ~D~U~C1P1-,E80
Quant à la volupté dont ils font dépendre le bonheur
de cette vie, ce n'est point cette volupté sensuelle qui
n'a pour but que la satisfaction des appétHs désor-
donnés; c'est cette volupté douce et honnête, fondée
principalement sur l'amour et la pratique de la vertu,
sans laquelle ils ne lui trouveraient aucun pris. Or la
vertu, selon eux, n'est autre chose que l'observation
rigide de la loi naturelle, seule loi universelle, inva-
riable et permanente, que Dieu a profondément gravée
dans nos coourspour nous servir de règle en ce monde.
Vivre selon la loi naturelle, ç'cst, disent ]esUtoipiens,
ne consulter que la raison, pour savoir d'elle ce que
nous devons ou ne devons pas faire, ce qui. doit .être
l'objet de.nos désirs ou de notre.aversiÓn. Le prenilieret le plus important de tous les devoirs que nous-im-
pose la raison, c'est de révérer, de bénir r~tre supréme,
seul auteur de notre existence et du bonheur auquel
nous aspirons. Cette raison' nous eJ1gase ensuite à
mener une vie douce et paisible, à resserrer et à ci-
menler lés liens de la sociélé, en partageant avec tous
nos semblables, qùi sont nos frères, les aisances, les
.agréments et les biens que nous parvenons a nous
procurer. Car enfin le partisan le plus zélé de lu vortu,
l'ennemi le plus irréconciliable du plaisir, en vous fui-
sant un devoir de supporter courageusement vos pei-
nes, d'être durenvers vous-méme, ne vous ordonne-t-il
pas en même temps d'aimer votre prochain., de ]'aider
dans son infortune, de le copsoler dans ses affl;ictio~ris 2
Quelque austère qu'on suppose unho\mme, il n'en est
point qui ne fasse l'éloge de la charité comme de la
vertu la plus excellente et la plus essentielle. Il n'en
est point qui'ne s'attendrisse, qui ne laisse échapper
'Va~AG~ A L'~1°L~~` D'v~"4=~1~~ si
G
des m4l'ques Précieuses de sensl). l1J:teen vous disantt( Oui, les seuls plaisirs purs et dét:icieul, les seuls plai-sier-.squi ra~pprochen7t un ~f~~i~bjlem¡0Ptèt de la "dii"i'Rité,
sont ceux q,u".i.1 80l1te lorsq~u'i~l trouve et saisit J'occa-sion d'essuyer les larme.s desOP'sen1'bla'ble, de le sou-
lager du poids de la douleur qui l'accahie, de le rappe-ler des portes d u trépas, et de le rendre aux charmesd'une vie si tranquille, qui seule renferme la vraie
volupté. »
Que chacun de nous (lescende dans son cœur, qu'il
l'intcl!roIJc,illui.'épolul¡ra 'q:ucc'estlà ~le vœulep111s
~ltdent,quela na~ture c 'est-.l1-dil!cle désir de sa pro-pue conservation, de son propre bonheur ne cessede lui faiu·e former pour lui-même. 'Posons d'abord pourprincipe qf1.~ la vie passée dans les délices, qui n'estautre que la vie voluptueuse, est bonne ou mauvaise.Si elle est réellement mauvaise, loin d'en procurer la
jouissance à volrc proehain, vous devez la lui ôtercomme une chose conlraim il sonbieu-être; sieU:eest
bonne, s.j(estpcrmis, je dis plus, si nous sommes
obligés de lui offrir les moyens d'en jouir, pour -quoine com!mencel'ions-nous pas par nous?
Il est une ,'é."ilé universellement reconnue c'elt
qu'on n'est inléressé ù faire du bien à personne aumonde plus qu'à soi-méme. Tandis que la nature dis-
pose nos cceurs à l'amour du prochain, tandis qu'ellenous fait un devoir de cel amour~ poulTait-cUc nous
ord'on:ner de hait' notre propre indilV;Î'4u et delé,vircontre nOlJ,s-mêæ'es? Non-P safis--d~u~f~e; le but de :tousnos soins et de t-oultes nos 1'Ccberc'hcs doit donc ê:lirede mener la vie 14 plus agréable possible, c'est=ù--dired'embellir le cercle étroi.t de nos jours de toutes le8
82. VOYAGE A L'i IL E D UT~0-,P-lE
~délices~, de toutes les jouissances que la nature nous
indique, car la -seule et vraie vertu de l'homme est de
vivre selon ses lois.
Attentive à nous procurer tout celqui peut nous être
d'un bien réel, elle se sert de la voie <1u plaisir pourappeler au bonheur ses enfants, qu"elle voit tous du
même- œil et qu'elle chérit "avec une égale tendresse.
En les pressant de s'aider mutuellement, de partager à
l'amiable entre eux ses faveurs et ses trésors, elle ne
cesse de leur rél}éter de fuir ces déli~es perfides, ces
voluptés insidieuses, que souvent quelques ingrats n'ont
pas honte d'acheter aux dépens du hien-être de tous
ceux qui les entourent.
C'est par une suite de ces principes que les Utopiens
soutiennent qu'on doit scrupuleusement observer les
conventions rédigées entre particuliers et les lois pro..
niulf-ruées par un.prince bon et juste ou par un peuple
libre ét bien intentionné..
« Cette inviolable observation, ajoutent-ils, doit avoir
lic~u surtout à 1"égard de nos lois qui, revêtues de
la sanclion publique,- élablissent le partage égal, la
commuoaulé de ces biens et de ces avantages de la vie
dans lesquels nous faisons consister la souveraine vo-
lupté. Respecter les lois dans les moyens que l'on prend
pour se procurer le bonheur, c'est prudence; se propo-
ser le bien général pour but de toutes ses démarchès;
c'est liumanité chsrclier son bien aux dépens de celui
d'autrui, c'est une injustice crian,te.Le comble de la
d d'à t ..J '"l' t. d sacri-grandeur d'à,me et ue.;d~f0¡IS'me clvl'qlue ces' de sacr-l*m
Uer son intérè-L pers(JHtne'l à celui de sôn. concitoyen;
c'est de ne plaindre ni S0:j'DS, ni peines, ni argent, lors;
qu"il est clüeslion de l'obliger; c'est en un mot de pré=
'VÕYAa'lAL1ILBD~4't1T0~PIE/:83
férer son bien-ètre au nôtre propre. Loin-de nous
nuire, cette générosité officieuse de-vient pour nous -la,
source d'une i'10nité d'avantages,Outreq.u'"uab\enfaU-
porte toujours avec lu=i sa-récompense, la- cbalne..iovi-
sirble qui nous lie les uns aux autres DoÚsfait une
nécessité d"e nous rendre des services? réciproque~ et
d'user entre nous de justes représailles. Mais sans par-
ler ici de ce retour que nous avons le droit d'attendre,
les impressions vives et délicieuses que nous-éprouvons
au fond du coeur, lorsque nous avons fait ùnc action
bonne et louable, n'en sont-elles- pas le plus doux prix ?
Et ce prix si flatteur -nenou~dédo;mmage..t.ilpa$ an
centuple de la privation qué nous avons eu le courage
de nous faire 2 A ces considérations purement hu-
maines, qui -résullent d'un acte d'humanité, il faut
joindre un motif plus consolant encore c'est la certi-
tude intime qu'a tout homme pénétré de sa religion,
qu'il est un Dieu tout-p_uissant, dont la justice souvo-
raine récompense les oeuvres de bienfaisance et de cua..
rlté par des biens éteriWls et inépuisables. »
C'est d'aprés ces prinèipesq'u'ils se persuadent que
les plaisirs, dont la c~ntinuité forme le ,bonheur, sont
l'unique fin à laquelle ddivent tendre toutes les ad-z
-tions et même toutes les vertus de l'honime. Ils dén-
nissenl"14 volupté « cet état .de l'âme et du corps que
l'instinct naturel nous fait préférer à tout autre, parce
qu'il nous affecte d'ude manière plus douce et plus
agréable n..
Ileniarquez, je vous prie, ~esmols l'inslinci ncilurei.
Ce n'est pas sans de très fo~tes raisons qu'ils les .em-
ploient.dans cette définition, « Les seuls plaisirs avoués
par la nalure sont, disent-ils,. ceux quine causent de
«VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE8.\
préjudice à personne, qui ne nous font point sacrifier
un plus grand avantage à un moindre, qui n'engen-
drent ni la douleur ni le remords, qui ne portent enfin
aucune atteinte soit à nos facultés physiques soit à nos
qualités intellectuelles. Les plaisirs que la nature con-
damne et rejette sont ceux que se forgent cette mul-
titude d'hon1mes aveugles qui se repaissent d'illusions,
qui donnent aux choses le degré de bonté, de valeur
et d'excellence qui leur plaît, corame s'il dépendait
d'en changer aussi facilement l'essence qu'ils en chan-
gent la dénomination. Tous ces désirs déréglés, tous
ces appétits fougueux, toutes ces convulsions de l'àme
et ces épuisemenLs des sens ne sont point la vraie féli-
cité; loin de nous rapprocher d'elle, ils ne font que
l'éloigner de nous, ils la détruisent même entièrement.
Dès qu'une fois l'homnie prend plaisir à savourer de
pareilles jouissances, dès qu'il est tourmenté de sembla-
bles vertiges, plus de repos, plus de douceurs à espérer
poar lui !-son cœur, dupe de son imagination exal~ée,
s'échauffe, et s'enflamn1e pour des objets fantastiques,
dont la recherche lui cause autant de peines et de soins
que la possession lui cause de douleur et de repentir.
Regardez ce malheureux aveugle il s'élance, il court,
il vole dans une route qu'il prend pour celle du bon-
heur; dans le délire dela !)Rssion, il croit y parvenir,
il double la vitesse de sa marche, il touche au bout de
sa carrière qu'y trouve-t-il ? Le précipice affreux dans
lequel il se précipite. »
Les Utopiens mettent au rang de ces plaisirs, de ces
voluptés chimériques, la folie de ces ..hpmmes":dontjevous ai parlé plus haut, quj,.mesurantleurmérit~à.leurs
bahits, s'estiment sottement au-dessus des autres, en
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE 8;*j
proportion du faste et de la magnificence qu"ils dé-
ploient dans leur extérieur. « Cette façon de penser et
de s'apprécier, -disent nos sages, renferme deux erreurs
bien gros.3tères. Priser son habit plus que sa personne,
première sottise. Dans le fait, à ne considérer l'habit,ainsi qu'on doit le faire, que relativement à son usage,
quelle simplicilé de mettre une dip'Prencr entre les
draps et de préférer le plus fin Quelle foule d'inconsé-
quences absurdes cette première n'entraine-t-elle pasLes partisans du luxe, persuadés, à la vue de leur pom-
peux étalage, qu!Hs ne s'a,busent point et qu~ils sont.
i-éellemeiit au-dessus du comnnuu des hommes, ~xigent
nos hommages comme un tribut qui leur est dû, et
qu'on ne peut se dispenser de leur payer sans s'e~po-ser à leur ressentiment. Ils nous forcent à des égardsà des respects auxquels ils n'auraient jamais osé pré-
tendre, sous l'extérieur simple et uni de la bourgeoisie.« Autre sottise. Quel profit, quel bien réel retirent-ils
de ces vains honneurs, de ces déférences suspectes,dont ils sont si fiers et si jaloux ? De quelle sensation
agréable vous affecte un courtisan qui vient humble-
ment embrasser vos genoux et vous prodiguer son
encens? La forte odeur de sa fumée apaise-t-eHe les
douleurs de votre sciatique ou guérit-elle votre cerveau
perclus? » Les Utopiens classent dans la même catégo-rie de fous ces nobles à seize quartiers qui, déplo~-antà tout propos leur généalogie, vous montrent avec un
orgueil i=ns~ulitan~t la longue suite de leurs ancêtres,
vous font l'énumération de tous lés fiefs qu'ils-ont.pos-
sédés (car,diselftt-i:Is,poilijtde noblesse sans seigneurie;
et qui ne s'en croient pas moins nobles d'un cheveu,
quoique les terres et les cbâteauxde leurs pères ne
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE86
soient pas parvenus jusqu'à eux, ou quoiqu'ils les aient
vendus et qu'ils en aient sottement dissipé les fonds.
Auprès de ces fous fieffés, nos insulaires placent les
amateurs de bijoux, ces curieux qui s'extasienlà la vue
d'une perle ou cl'une pierre quelconque, et flui s'ima-
ginent jouir d'un bonheur vrainlent divin, lorsdu'ils
en trouvent une qui est de mode et de grande valeur
aux yeux des connaisseurs car il est bon de remarquer
que les joailleries et les bijoux ont leur vogue el
leur discrédit, comme toutes les autres modes du
tSiècle.
Sitôt donc que nos amateurs feIiponlrent une de
ces' pierres, ils l'achètent sans monture, après avoir
préalablement pris le sernlellt de garantie du vendeur
qu'elle est fine car ces messieuns sont défiants ét
croient touj~urs qu'on veut les tromper. liais puis-
qu'ils ne savent pas disLing~er un dial)Jant fin d'avec
un faux, quel plaisir trouvent-ils à faire l'acquisition
de l'un plutôt que de l'autre? Ne vous -sémble-t-il pas
voir un avèu~le-né qui s'avisé de choisir les cou-
leurs?
Aux an tiquaires et aux cU"fieu~ ils joignent ces avares
intraitables qui, toujours affamés d'argent,.«n'en ont
jamais assez, quoiqu'ils en regorgent. Que veulent- ils
faire de tous ces trésors qu'ils entassent? Ils ne peu-
vent se »rassasier de leur vue; tant que' dure le jour,il -les conLemplent; "la nuit ils se relèvent pour les
regarder encore, les caresser, les baiser,-y toucher du
bout des doigts-: frénésie insensée, délire cruel, non;
non, tu n'es point le bonheur.r
A la suite de ces derniers je vois ces malheureux
avares qui, to'tijours. travaillant, toujours suant, portent
81.VOYAGE. A L'IL'E' D'U T 0-111 E
des regards avides sur la Inoindre parcelle d'or qui
s'ûffre à leurs .y-eu~r, se dérobent jusqu'au nécessaire.
pour ne point cot¿tnler le"ur trésor, ou pour l'enfler de
quelques grains; après lui a<<oir prodiyté œiUc.témoit
gnages extravagants de teurpassion, ils 1'enfouissen-
secrètement dans la terre, de sorte qu'ils le perdent
par la crainte' seule de le perdre. En effet, n'est-ce pas
le perdre réellement que de se p)8iver soi-méme, quede priver les autres de son usage et de l'enterrer au
fond de la cave ou dans son"jardin? « Mon cher, mon
pauvre argel1t,te voilà donc en sùreté, » se dit tout bas
notre avare, qui. trépigne de joie en regardant la place
où il l'a mis. Mais supposons qu'on l'enlève dix ans
avant la mort"du propriétaire et à -son insu, la po.sses-
sion idéale équivaud~ra à la possession réelle ét fera
de même son bonheur. Pourvu qu'il n'ait point con-
naissance du vol, il lui est fort indifférent, puisqu'il ne
s'en sert pàs, que son or reste ou ne reste pas dans l'en-
droit où il l'a déposé!. Mais, à' après ces raisonnements
si simples, n'est-il pas clair que tout avare est un im-
hécile décidé et la plus sotte des dupes? Quoique les
Utopiens ne connaissent aucun jeu de hasard, ils sàvent
très' bien cependant qu'il en existe; mais ils traitent et.
les joueurs de profession et les- chasseurs déterminés
avec le même mépris que les avares et les autres fous
que je viens 'de ,vous citer.
t. La Fontaine, imitant la, fable'de Phèdre, que Morus .paraphrasé.évidemment ici, fait dire il l'~caa~ie qui a perdu Son
t~~éso~w:« De gr'dce,
Pourquoi llonevous~8tÓ.iger tant,
Puisqllevousnetollcbez jamais à eet argentMettez une pierre ida place,EJ~evous \ud. tOI~tl1ulant~ »
w
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIES8
« Quel misérable passe-temps, vous disent"ils, que de
s'assembler autour d'un tapis vert, pour. ressasser et
jeter des dés, dont la chance incertaine vous met dans
des transes continuelles et reuouvel~le à chaq~ue instant
vos angoisses » Je vous accorde que le jeu est unplai-
sir; devotre côté, que ce plaisir 'doit" à la fin
devenir fastidieux et insipide à force de se répéter.
Dites-moi encore de'quelle titillation voluptueuse v o-
tre oreille est affectée en entendant les jappements, les
aboiements des chiens qui se disputent l'honneur de
coiffer les premiers le cerf ou le sanglier que vous
relancez. Pouvez-vous prendre pl-us de plaisir à voir
courir un chien après un lièvre qu'un basset après un
autre chien! Si vous ne voulez vous procurer que le
divertissement de la course, faites courir vos chiens
les uns après les autres; ils égalent les lièvres en
vitesse. Mais si c'est l'espérance de voir étrangler,
déchirer sous vos yeux l'animal épuisé, qui doit néces-
sairement succomber, convenez que ce barbare specta-
cIe. devrait bien plutôt émouvoir votre pitié, s'il vous
en restait encore. Est-il possible que vous puissiez voir
de sang-froid un limier irrité se jeter sur un lièvre et le
déchirer à belles dents? Vous ne sentez donc pas toute
l'injustice d'un combat aussi inégal et aussi révoltant?
Faites attention que l'animal de la mort duquel vous
aimez à vous repaître, est faible, timide, innocent, au
lieu que celui qui le terrasse et le dévore est vigoureux,irascible et sanguinaire.
CesspectaclesdégoCttaIlts inspirent une telle horreur
auxUtopiens qu'ils ont- abandonné la-- chasse --à leurs
bouchers, qui sont, comme je -vous l'ai dit, tous escla.=ves, Nos insulaires la
rega- rde'nt commela partie 1 a ~Plils
~ipy~ L~I~~ ~OPr~ 89
vile 'et'la plus abjecte de, l'art de.tuer Jesanimauxet
d'apprêter leur chair. Ils 'pen'sentque les autres partiesde 'cet.art.sont.'plu s honnêtes, parce qu9elles sont plus
ritiles:J!)~,Ós n egorgéun '~Qut9n,C~e$!:PQu'r8 en nourrir ci est donc une nécessiléquede le --tuer.
Mais 'Iecbâsseur," 'en faisant déchir~r par sés c¡bie'as la
proie qu'~lprend, n e cherclie qu'ün divertissernent-con-
forme à.son goft! parti~ulicr; et ce gotlt est toujours la
preuve d'une âme dure et d'un caractère féroce. Si, par
hasard, un cliasseur 'conserve encore quelque sensibi-
lité, l'habitúde de voir le sang ne peut manquer de la
lü~i fai~re ~përdsTe~t8t~-ou tard et de -Iü.i faire contracter
des 'serit1I1lentscruels,etbarJjares.,
3,Utopiens- prétendent donc que tous les genres de
bonheur dont- je viens de vous faire 1'énu~mération, et
beaucoup d'autres encore,' auxquels les hommes se
livrent avec fureur, sont totalement opposés au vrai
bonheur, loin d'avoir aucune ressemblance, aucun rap-
port avec lui:
Comme les plaisirs factices n'ont, de leur nature,
aucune qualité douce et agréable; comme l'imagination
abusée leur prête celles qu'on leur trouve, il faut en
conclure qu'ils prennent pour l'ouvrage du plaisir même
les diverses sensations voluptueuses dont ils s'affectent,
tandis qu'elies ne sont en effet que la suite de leurs
préjugés et"de leur'prévention. Cependant, comme la
vue d'une personne attaquée de'la jaunisse np. change
pQii:R-t.le[,'f~'Dd.des.eo:~de;~fS:q;U6iq1l:e.t0:us'les"ob~;ets,quli'
S'0ir~Q~.a'~IJS~~S:,)ieIl,ntIiDe ~~in~jl(~ttjé~!le
~,ê-,el~f.a\u$.s~i~$~i~~ft:"l~Jft~"e~X'(I.lf~nt~é$éi1I~¡ts
par .de.'vahlspresd:gesn;esaur&leat.dhan.ger là nal,~tU"
et l'essence de cette volupté qui (âitlevraibonbéur.
9~ VOYA(iE:'A:~i:'iL:B'Dju1-¿-I-'E=~
Les Utopiens distinguent deux sortes de plaisirs, sans
le concours desquels le bonheur ne ..peut.. subsister."
Ceux du premier ordre sont- les plaisirs de: Tâ:1De-,ceux
du second sootles jouissances du corps. :Dans la classe
des" plaisirs de 1"àme ils font entrer lès impression~
touchantes qu'occasionnent en nous .la 'découverte ou
la conna~ssance de la _.vé~ité, l'espoir d'une vie future,dans laquelle nous jouirons éternellè:Qlent des -biens
sans aucun mélange et sans altération. Les jouissancesdes sens se subdivisent en deux autres classes. On
comprend dans la pr.emièreless.ensat.iol1sd()uces et
voluptueuses :qve' nous -procure la sati~sfâc~ioa. dè tous
les besoins corporels. Outre ces plaisir s,il en- est d'au-tres qui ont sur l'individu une influence moins immé-
diate; biais quoique leur action ne soit pas aussi vivé-,et que nous- puissions- démontrer clairement. de quelle
manière elle a lieu, elle n'en est pas moins très a'gréa-ble. Ainsi l'exécution d'une bonne musique charme'
notre. oreille, nous ravit, -nous transporte.
Les plaisirs dû corps de -la seçonde, classe` consistent
dans la- benne disp~~ilion des sens et de-leurs organes,'d,ans ce j~ste équililK-e des humeurs, qui -sont. les.
preuves manifestes- d'une parfaite santé. On ne saurait
disconvènir que la santé ne soit elle-même un. très grandbien. Qlloiqúe.1' âme, ne soit pas doucement agitée pardes impressions extérieutes,. elle n'en jouit pas moins
..d'un calmedélicieux. lorsque tous DQS'.tI!ml~t~:s:o,~t,
sains, et biendispos._ Il.est vrai ~te ce plaïai~ ~st~rnkoins.
,vif,mo!ns app:egtqu.e celu~q~l'r.é,s'~ltli\I.tisi~'
."faêJion"d~:cp~s¥l1é~.ins'1..Q~P~Q~~J1t'es.J~9~Î!s.t~
piëns.le ~r-eÉ4irdent- coiùtne-. l:a, base sûr )àquéÍl~P9rtêtoute
la- -fél~, 1-C itë umaine, 'c' >
"V.O~A.'tÙ~{'i"fiï~;t'E">:n'i;ô'o'pi~Ê~ "Ql'10"r::
Ce systèm- é est fort de .mon'so1\Bete~ éffet f. ~el~l~e
douceur peu-t-on esperer dans la vie sauslasànfé ?"La'
]cftn,gueu'r"l'épan:d"goutte,'à'gou,tte, le ,p0.i'spl)'e~1'a~èr~
tumeSufltoutes n os jo~uiss~nces: L'é siquè.d'un
liomme qui- sans souffrir- des dou€l~tiirs ,a'igUêS, Tv'a~
q'U'unesanté'faibleetcbancelanh~, un cor.ps.cacocliylne,
est, aeloJlnosinsulaires~ .moin~UD état flatteur etdési-
rable q1}.'une.'nbstruction totale, qu'un engourdisse..ment funeste de toutes ses facultés.
« La santé est-elle un bien rée),- et sa possession doit-
,elle,êtl'Jf?e~aJJ'raqg-~e~-v~Qlq:p;tés';»Cet:t«Fqi.1estion.a
jadis:ex~,itéde'graqd:sdéb~,ts,pâr-nli,les.tJlto:pielÍs.PI11-"
sieurs -tenaient.pour JaÍlégati¥eetd~nDa.i~bf.poùr
raison que- le mot-*volupté., signifiant 'une" Impression
actuelle faite sur les senspap un o~jetex~él'ieur, n-e"
pouvaitexi~t~r sans cette'action; un plus grand nombre
-souten et prétendaient- que, la santé
était lâ première de toutes les voluptés; leur sentiment
,eslauj(}Ql'd'huic le plus" général; celui 'tles prer~iérs
estt.o~~êdan~:uh,9isèrédi"tpl:esqueabsolq.
Voici comment raisonnent les. ,partisa'risdel'amrm~
tive La douleur est la compagne inséparable de la
maladie or, si la douleur est l'ennemie -mortelle" de la
santé et du plaisi-r,'Iep14!sir:ou la volupté doit étcre,
par une conséquence assez naturelle, las.uite de-la
bonne santé: Il importe' fort peu que la maladie soit'.
1 d' uJ' m e 0 'Il" soit.,q, e, 1.,o-P.ur.cm,me.u.Qg."q,J.J,e.e.,p.eD SQl..q,t1e,D.~Q.!U~
éç '}2;lacba!le:Q'rt'JJ:s-'s'~e~¡tr'
f PP t'.
,ljili!!II~a'J~~l!!l!I"i'~~ïr~;i~i,é dôiveyt ég:â'lemënt jouiv d~ ce ~ien :~réel ;ne
'û~â:pp'~l~n~f-VQiû';fi\é~d~ati'H~u;rS'jôu'te:ât'l¡lJr~pv.
VOYAGE Al.'ILED'UTOPlE92
ses repas n'est-ce pas repousser la faim? repousser la
faim n'est-c«e pas rétablir les force$ épuisées, c'est=$-
dire corroborer sa santé, qui commençait à éprouver
quelque altération, et le plaisir desalisfai;resonap:pétitn'est;.il pas un des plaisirs les plus sensibles? Or, si l'on
trouve du plaisir à contenter son -ap~pétit, ne doit-on
pas en éprouver un plus grand encore lorsque, la faim
entièrement apaisée, l'estomac fait une paisible et
facile digestion? Peut-on alors tomber dans une léthar-
gie assez profonde pour ne pas sentir la disposition
barmonique de loutes les parties des corps, et si on
la sent, comme 01). n'en saurait douter, cetie sensalion,dont il nou s est si aisé de nous rendre compte~'n'est-elle pas encore une jouissance vraiment voluptueuse?C'est donc se tromper que de dire que la sanlé n'est
point un bien réel, parce qu'elle n'a pas sur nos sens
d'action extérieure ou qu'elle manque d'un sentiment
qui lui soit propre; car quel homme bien éveillé ne
s'aperçoit pas: que son corps est dans un état tranquilleet qu'il fait fort bien toutes ses fonctions `1 Quel homme
n'est point agréàblement ail'ccté de cet état et ne de-
mande pas à le conserver? Tous ces raisonnements si
clairs, si démonstratifs, prouvent donc que la santé ades effets très sensibles et qu'on doit par conséquentla regarder comme un bien réel et la mère de toutesles autres voluptés; mais il est temps de me résu-mer. »
Les Utopiens donnent aux plaisirs de l'âme la, préfé-,~rence-qui leur- est due, tant à cause de leu~r nob:lesse
que de leursolidité,Le témoignage d'une bonne cons~cience et d'une
viesansrèproçheest,. selon eux, le
premier de;tousces`plaisirs; uoboo. tempérament, une
vOŸAGE A L'IL~ ~1~P1~ 93
santé à l'épreuve, sont les premiers biens réels du
corps.
« On ne doit, disent-ils, prendre de nourriture que
pour vivre, c'est-à-dire pour soutenir sa santé. I..eboire et le mangern'onl pa"reux-mêmesaucunes bonnes
qualités; celles que nous leur trouvons ne sont que
relatives à nos besoins. Il ne faut voir dans les aliments
que des moyens propres à réparer les forces que nous
perdons continuellement, à entretenir la vigueur du
corps et à repousser la mort, qui s'avance à pas lents
et qui nous retranche à chaque minute une partie de
nous-mèmes. Ainsi, -comme.le sage ara'ISOU- aImer
unieux écauter de lui les rnal~ad~ies pl.uft~5t :qfue d'appeler
la médecine à son secours; comme il a raison encore
de préférer les renlèdes qui guérissent radicalement à
ceux qui ne font que pallier le mal 1
Ceux qui font leur souverain bien de la gourmandise
doivent donc se persuader qu'ils auraient atteint au
plus haut degré de bonheur s'ils avaient trois ventres,
une faim que rien ne pût apaiser, une soif toujours
dévorante et une démangeaison continuélle au palais.
Mais qui ne conçoit pas qu'un individu qui passerait
toute sa vie à table sans pouvoir jamais se rassasier,
serait le plus étrange et le plus à plaindre de tous
les aninlaux? Les plaisirs de la bonne chère sont sans
contredit les moins nobles de tous les plaisirs des sens.
Cette sorte de volupté a d'ailleurs ses douleurs ins'é-
parables qui l'empoisonnent. Le plaisir de manger
nalt de la faim, mais la partie n'est pas égale entre
eux. Le malaise que la faim nousfaitépro~yerest de
beau.coup plus long que le plaisir que nous éprouvons
à satisfaire notre appétit. La faim nait avant le-plaisir
e ~4 VOYAGE A ;l/I'J¡.!ED;tc(J T:(~lPll
et le plaisir cesse avec elle. Les tJt0picns $0~u~tie-iitient
donc qu'on ne doit faire cas des plai,s'Ï:rs de la table
qu autan qu'ils noussont 11,8 -useti,~t -avec,
sobriété, avec une J'cconnaissauce¥l'Bihne:rlt'fUriale, de
tous les dons que la mai~n Ubérale de la nature letrr
présente. Us sont pénétrés surtaurde ce ((ue cette
bonne mère a attaché des sensations a-gigéables, do"t
lc~ charme secret nous attiue et nous fait h'ouveJ' uue
volupté réelle, à satisfaire des besoins qui so~~t autant
de tyrans impérieua qu'il faut contenter par nécessité.Que notre vie set:ait
lvisteetdé¡p.lc¡u'abJes'ilcuouscfldl:urt
chasser pa-r des drogues eides ~potïons a»i~~es les
incommodités journalières de la soit et lie la f«,bu,comulc nous chassons les aulres. maladies, qui sontbien moins fréquenles..
Les Utopiens regardent la beauté, la. force, la sOJa-
plesse, l'aitilité., comme autaut de qualités eslimalrles;ils ne négligent donc rien de ce qui petit les ulisnacnlcret leur eh faire retenir les plus grands avantages. Ussont fort sensibles aux plaisirs des )'eux, de 1'()tlle et
de l'odorat. Les jouissances attachées à ces trois senssont pârticu1i.èl'es à l'homme. Aucun autre animal lie
peu~ s'amuser à contempler l'ordret la structure, l'ad-mi rable chef-d'œuvre de l'univers. Toutes les bl'ulcsn'ont qu'un flair plus ou nioins borné qui leul' sert
uniquement à distinguer leur pâtuÍ'e; aucune d'ellesn'esl agreable.ment. affectée par là l'esph~a.bI0f;} desodeurs suaves, aucune n'est
moneu~.enta~g,itée P~r i;e,gsons loucbanls' de Ja mélodie et l'l~auma~~n~ie d~ç la
musiq~e. Mais quel .que soit le goût de nos'sages
POUI' les plaisirs des trois sens dont je vous paile, ils
preuliciit toujours garde; avant de s'J" liYrer, que la
--1 Iv~, = --à- 1-- filS
posMssl9:R<ct~u'B,m()i:fl(1~~ nenwte..i.. la J01Ù'J5a~ncedt,ut'
~1~~ ~.ra=nd, on que la peslCssion de ceux qu'j!ls se
'FurJ)C~eBt ,118,loit. ,sJ.Ú\i.ede.dQu:letu~s.. et de ,J\t{lfSts:
~Q8 `~~ `~'4 r~€11~J~~l~l`a :p~~S d'1~8~T:~ .YE~ ~1~·1~ ~31
ces,lo.,isiJ!su'c,poI1enlpai:n:l.. un c4-raetère
nêleh1. »
151s pensent q'ue le oomble de la folie est du m~~yri~c,·,
les gràces, laheauté et Jesfol'CCS du corps; ils regai--
del1tm~me comme coupables d'un lent suicide ceux
(lui pratiquent les j#~ünes, les abstinenees et les uutrus
.11!I~étaliol1l-de--c.t'-gepl'e,q.u i..épgj~cu t., Dos.seus, Jj1iucu!
,ipell'ltipe-U:èt J;¡:nj.sscn'tp.ar,dôtru~i~l!e1i()tale~nmU'tlu
sOfIÎ'lé.
les ~ual;üv exl4nieur~~ dans le J,ul de
p~ocu~r~er uin :bie~~ qu4;~coucl~uc soil. au fnoclul'in soit il
ia patrie, et dans une ferme conf1al1l1c (lue Dieu, qui¥oit'lout, nou8dédom'mt18e,'a amplenlcnl de cet ouhli
volontaire d~, nos propres intél.ts, c.est un saci-ilice
noble el ge:llé.'cui donllcs UloJ.iclls font le plus gl'und
cas.Mai~qu'ul1holluuc,séduit lUlrun vaiu fmrt~me
de c v(mLu,ou par l'idée de sc faire uue habitude du
malaise, poui- lequeliln 'csllJCut -l~tI'e(Jas' né, SfiiOl:pOSC
derudesmortiRoat.iol1s,des pènileiices' IIlculilr.iél!eS,lesque~les sont en pure perle pour lui et pou.' ses
semblables, c'est un exci~3 de dénwllce, c'csl uue
cruauté envers lui-mème, une iuëratitudc crimi~i~ll~
envers la nature, dont il ne 5'en~Prease de re,jetcr les plus
dr0IÓ\t'ileJ11'(I¡ilbs;t;fue poulr nCl}ue:I'j¡rpJustôt ic.h~o¡¡t(le la
tl}eC9IR'~I8!1'tt~.t.
t On Voit que,tôut"fer\'outobscrvr,teur tln'il ~t..dt deSI)raU(1180¡; dé-
~Ót(!S,MOt'U8 Ia.,aitrdlicr ASéI :Ieriis~e~ urD!'nnecs ~llft\Uonn('~ ~~n fond
d'âccommÓdRnte 'p'hiIÓsophic.ipictlricnnc.
96 ~UIrA(~~ L'lLf} Ji)fU'O'I"E
Telle est l'opinion de ce peaple~ou()h:a'Rit IAs vertus
et les plaisirs. Il croit que le seu;1 seCOllirs de la raison
est suffisanl pour procurcr à cette féliciaté si
,1ol1ce et si solide à la~~nel~le il doit tendre, et qu'il
o'appartient qu'v une reli~gi:on érna;née du Ciel1 me-,m,e
de lui inspirer des idées plus purcs encore et plussuhlimes. Ce système de morale est.j) bon, est-il mau-
vais? Cette question pourrait fail'e la matière d'une
longue dissert3;t.ion, dans laquelle mon temps ne me
permet pas d'entrer. Je la crois d'ailleurs trop étran-
Hère à mon sujel. Je iiie suis engagé a vous faire le
récit de iiioit vo3~age, il vous ~l~o~a-r~:erune jdée som-
maire des luœurs, des cou-twoes, de la politique et du
gouvernement des Utopiens; mais je n'ai point en-
tendu me rendre le garant et devenir le censeur ou
le panéS)1'iste de leur morale et de lears dogmes. Quelle
que soit votre opinion sur cer articles, n'en tenez
pas moins pour certain qu'il est ¡nI possible de ,'oir
une république plus éclairée, plus florissante et plusheureuse.
Les Ulopiens sont de- mo3-ennc taille et ont plus de
force qu'elle n'en promet. Leur climat n'est point dés
plus fertiles l'air, en général, y est assez malsain.
Grâce à leur industrie, il ne résulte aucun danger pour
eux de ces inconvénients. Ils viennent à bout, par leurs
travaux continuels, de changer la nature de leur sol et
de le fertiliser par leur sobriété, leur tempérance et
surtout leur grande propreté ils se garantissent de
toutes les influences du mauvaisair,uAussi ne-trouve-
t-on nulle part une plus grande abond'aBce_d'~nç'çe-s-'
saire et des êtres mieux constitués, plus robustes,
dont la santé soit moins. exposée aux maladies et dont@
~` 'V OYAG- Ar L' I: L-~ ` t ~T ~P-Ï~- 97
le co~u, -m de 1 a vie soit plus éte~idu: ~tre ~les t~~vau$
ord'yasires nos labouVi~eu~rs, iFl~s e~i font de bien plus
&,p,4.pogr,surmo~ter, les, 0,-bgt-açleset çr-.e-17in-
~g,lit'Uclè:ùsel.'q,u~i¡l~cÜ!l!ttyept.cSo1iven;t,po\U'e~se.
~éncer ui~ ter~~tiFr~ Cfui.leuir paral€t ~pro~re au 'la~bour,
ils dérac~~nent u.ne for~t en~tière, cuupent les arbres et
en plantent une dans un autre endroit. Le bësoin- d'e~se
préparer d'abondantes récoltes a moins de part encore
à ces travaux prodigieux que 13 précaution d'entourer
les villes de bois, pour s'épargner dans le transport les
e.p'b,Il~,ra,s,t_I~J~t;'6J,u~s'ccd,Jl~TJQQgtle-rpgte.II!Jc"pl~J1.t~nt,to~j.o!-1rs" "Jeü¡r3,Qis'II:près.é,la)ner~et,e!ll'hQ~dent:I,es,
'ri¥iè~es,pour lac4¡)Dul;)oditêd:uccba:rrol¡ i~ls ~peo5eat
que: celui des _autres denrées ~se fait pl~us 'aisémeutpar
terre, quelque éloigné que soitlelieu-d'où on les tire.
Ce peuple est. d'un commerce facile et, agréable; il a
le caractère doux, l'bumeur"enjouée, l'esprit subtil, et
surtout le jugement fort sain. En général les Utopiens
alnientle repos; mais dès que l'utilité publique' parle,
ils volent -partout où elle les aiyel~le et .dars ce ~cas
~UCUI1-travail ne les ,étonne, aucune fatigue ne les re-
bute. Leurs -désirs', qui santen tout fort, modérés, sem-
blent n'avoir point de bornes lorsqu'il s;agi,t d'appren-~
dre. de 'connailre et de- s'instruire, de sorte que l'élude
est presque leur unique passion. Nous ne j ugeâmes pas
~à propos de leur donner. d'abord connaissance des
auteurs latins nous avions bi_~l1prévu 'que j)ar~ces
lS~ts..le!l'p~èt:Í1!1.!tles1Ji~~r1êRs~¡~1'$iî~I!l
<1t,lbir~leui89it.; m~fs'~sit:êl,u'é-bQUsleur'ei1D)"es'~parJ:ê
-d~ë~f4fhees.t'8S' })1fi~eS'i1l~Q~rfÏ:Jnel~«"'q'ur~~se;{tceu~
Peuple, e p 9 ré -dé fal1¡fiquiiêt i:1:"IÎ~est.
'¡ioÏ:nt de prières el d'eeel-1q U-
n,enous-Ossent,~y~ i
-_c' .l 1.
.L.}"il;XS~~L.}-~
VOYAGE L'-I'LE 'p',(rT;M~E-P-
pour nous déterminer à leur en donner des trad~sc=
tions.
Nous cédâmes à leurs pressanles sollicitations, plutôt
par politesse que dans l'espérance de IeuryoircreeueH;
lir quelque profit de nos veilles mais nous eu.mesla;
satisfaction de nous apercevoir, dès nos premières
leçons, que, grace à leur avidité pour les sciences et à
leur infatigable application, nous ne perdrions point le
fruit de notre travail. Dès qu'ils eurent quelque tein-
ture de la langue grecque, ils formèrent des carac-
tères avec tant d'aisance, la prononcèrent si nettement
et apprirenl par coeur avec tan t de facilité, qu'ils nousétonnèrent au dernier point. J'aurais regardé la rapi-dité de leurs progrès comme un miracle si, d'ailleurs,les écoliers dont le sénat nous avait spécialement
chargés n'eussent été les plus intelligents de leurs
collèges ei n'eussent joint aux merveilleuses disposi-tions d'un âge mûr le désir le plus ardent de s'avancer.
Au bout de trois ans, ils possédaient parfaitenlentle nouvel idiome et expliquaient couramment les meil-
leurs auteurs, à moins que les fautes d'impression quise rencontraient dans les exemplaires ne leur fissent
faire quelque contresens. Je ne sais au juste ce qu'ilen est mais je crois devoir attribuer leur progrès dansce vieil idiome à l'affinité qui se trouve entre cette
langue et la leur. Je conjecture à ce sujet que les Lto-
piens tirent leur origine des Grecs. Qucique l'idiomedes premiers soit presque tout à fait persan, on retrouve
néanmoins des vestiges de la langue grecque dans la
dérivaison des noms des villes et des magistrats, Lo~s
t. Façon ingénieuse d'egpliquér la formation des noms que l'nl\-teur compose des mots grecs.
:'rf'W'~t(~;f~2li.ki~~i~~t"` :99
derr~a q-uatrième na'V¡'ga:tiDIJ, au e
r~e char E.r
,.d'un .-ba~1l~,ot de --M- arehaâdises, commeles- autres ..pussa-livres j'e.f9,polèlai
.tt¥~ÇJ,lJoi;'lwa~s~9r4'1!jie;"9~jtt~deIivl"es.ca.r~mon'" ,iÜlenl1Qfléta~t bie,n plulût-`~d~è p~,sser
rnes jours ~ch~e~celbeu!reux:peuple'quedehàter mon
retour dans un monde aussi pervers que. le nôtre. Jene sais quelle fatalité m'a entrainé malgré _moi et m'a-fait renoncer à un si louable dessein. A mon départ jefisprésenl à nos insulaires de ma petite bibliothèqueelle était coniposée des oeuvres de Platon, d"une partiede
celles d'A~ristote, du traiié de ~éo:p,lu~a~:te~sur1e8
p)antes..Hs,"foÍ1itJe_plusgtandcasdesmétânges de
Plutarqueets'arnusentdes pfia3islni~eries d~e Lvcie-i~.
Parmiil es 'poètes, il~s ont
Aristopbane, Flomère,Euri-pide et uu
peHtSophocle de la jolie impressiond'AJde i.Entre autres historiens, je leur ai donné Thucydide,Hérodote et Hérôdien ils ont en outre plusieurs livresde
médecine, car moncompagnon de voyage, Tricius
Apinatus, avaitapporté avec lui quelques traités dhip-
pocrate et -le petit manuel de Galien, pour lequel ilsont une estime singulière..
Quoique je ne connaisse point de pays où la méde-cine soit moins
essentielle, il n'enest cependant pas
où cette science soit plus honorée et plus respectée.l.es
Ulopiens)a placent au rang desconnaissancesles plus utiles et les plus importantes de la
philosophie.PAmièrement ils jouissent
d'qnplaisirjnexprima.ble
eRvoyant.qÙ.'illeurestpelrmisdes0iU~ever,à la lu'e,Qlrduflambeaüde cet -art
sublime, un coin du ri'deau
f. Alde blanuce, célèbre imprimeur vénitien, dont 1ea magni8 ueséditions princeps des auteurs grecs et latins sont très ree6erchi. Il vade soi que hiorùs «\lait 1.1 passion des benu: livres,
100 VOY AGEA L~'ILE ~'U'~tQ9~I~~ cq-
{lui cache les secretsmfe.'vci¡l¡le'Q,xtle"Jan'ature;
en second lieu, ils pensent que 19é~t-e~,r--nelCréate;uir de
toutes choses leur sait-bon gré clea ~ei~r~es 'U'HiS se
donnent po~ur c()flnaUre,'détaiUer,.e'I'llRi\p-ejr,8;plpr~fondir tous les ressortscfu plus beau cber..d!<éuvre quisoit sorti de sa main. Us sont pe'fsq'ad'és que 9ieu,qu:i
@est le "ren1ier de'tous les artistes, .n'est pas moins
jaloux que les autres de voir admirer ses ~tIvrugesen conséquence ils croient que cet tt.'e supréaie n'a
crcé rh6~f)1me seul à.son image, ne l'a doué de la raison,
qui e~l une émanation de sa divine essence, que POt.livi-ei- à ses regards et l1 sesl'tttle.i,ons le 8,ectaGiemiracuarux de 1'*u-iiivei,s, et recevoir ensuite de la bou-
che de sa créature le tribut de lou8in-geset de reconnais*
sance quie mériteul ses œuvres~ dans;JesqueUes on voit
éclatcl"out il fois sa bonté, sa sagesse et sa toute-
rmiasnnce.
Aussi discal-ils que Dieu comble de ses S.'àccs les
plus p,trticulièi-es les lroromes qui, animés d'une sainte
curiosité, sc plaisent iL contemple.' ses ouvrages, il.
s'élaiteer, du cercle étroit où ils sont placés, dans-la-
pr~ofond~ur de ses secrets; taudis (1--u'il tl'aite à l'cyrides brutes les êtres stupides dont l'œil morne, sans
,Cesse attaché à la terre, les rend semblables aux vils
animaux qui chm~bcnt leur luUurc; ces êtres pares-seux, qui n'aut jamais osé briser par la pensée lesliens qui les retieniietit et s'élever jus(lu"à la voâ~lw;~Itjiléc ysi les osivironsiei pau~cl'~xurn~r~er., enparcoul'h'toutes les beautés, 0et ensui'te fermer des *ac-ties dfaelo.ration et. de reoonnaiss,ance envers leur aU1,culr. liais
je r£utl'C dans mon sujet.Je vous dirai .donc que le gé.lc des Utopiens, exercé
V~0~¥¡t~;i ~i JE"~f:c.tJ"fei'1te toi
d¡èsuleutrbaSâ;gle par des s 0- desbeUes.1-a sa.-gaci,l!é
ciences et des slertres, a to:u:~c la sRgacHé n,essai~tv tant ponr J'in..
veqlÎqn,uep,O:tlf 1~ p~ro~f~ssi~n de Ges: a,,t~t,-sqtHfo'Rt
féëo->n'den~t et I;es a. -9 de la\'¡e.E,tr.t:reces ar~tsUeues:f
deux 'rêsi:n1jpo'l'tanls dont
ils noussont redevables le
prem,ieresll'hnpriolcl'ip, Josecond est la fabrique du papier. 1~1est vrai qu'ilsn.ont pas peu contribué ~r en faire par eux-mêmes ladécouverte. Nous n'ellmcs besoin que de JCUI' Dlontrerles livres d'Alde imprimés, de leur indi(luer les niaté-riuux -q~i'entreQtdaQslau conlJ}asit-i,on; d\1;Iet deleu~f8Ji:re. è6nuaiÍt1~e 'la faci~l~ü:~etlap.'o,.u,pHtude avec
laq;uelf~ on- imprime. Comme aucun de nous n'en sa..vait davantage, il nous fut i,R1,possihle de leur don-8101'de plus amples lumières. n ne leur
fallut i-ien deplus, puisqu'ils parvinrent, sur notre simple exposé,à. pénétrer le secret'de ces deux arts. Au lieu defeuilles d'arlyustes et d'écor't~e de roseaux, dont ilss'csaienl se"isjusqu'~lors, ils cssll)"èl'cnt de fabrique."du papier et de Cond:l'C des caractères. Faute de quel..que8 procédés, ils manquèrent leurs opérations dans
les premiers essais; mais, loin de se rehuter, ils les
recommencèrent dê lant de laçons différentes qu'à laon ils réussirent et perfeclionnèi~ent même leurs décou'"vertes. S'ils avaient entre les mains- une plus grandequantité d'auteurs grecs, les exemplaires ne leur en
.nanqueraient pas, car ils ont déjà fait plusieurs édi.
~ïa~s d~e ce.u~ qu~je 1" lfa~fssé~:liens. de ceu--i que je e'urt\¡1 fatssée.
~ls aécureiU:eu:t av.ec)6n1té tous ceu.xquli. voyagentchez eux. au ne pourraii:tJeur appe~tér «J"liedu fer,.del'or etde l'argent; mais les né89ci~nts eR gèn, éml pré-fèrent l'importntiôn d6 ces deux dernicrsmétaux à
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE102
leur exportation. Quant aux marchandises et aux den-
rées d'Utopie, les h~bitants aiment lllieux les trans-
porter eux-mêmes que de laisser aux habitants des
autres pays la liberté de venir les chercher. Une bonne
raison les a déteri-ninés à prendre ce parti. Ils ont
voulu se ménager par là des occasions favorables de
voyager chez leurs voisins et de se perfectionner dans
l'art de la navigation, qu'ils sont extrêmement désireux
de bien connaHre.
malheureux à la condition de leurs pères. Ils ne veu-
lent même pas employer les esclaves des peuples voi-
sins. « Sur qui donc, medemanderez-vous, tombe le
poids et l'infamie de la servitude'?» Sur le crime seul
et sur la scélératesse. Ils achètent des autres nations
tous ceux qui, par leurs forfaits, ont mérité la mort à
laquelle ils sont condamnés. Voilà ceux qui composenten grande partie leurs esclaves. Leur île n'en fournit
qu'un très petit nombre. Ils ont ces misérables à fort
bon compte et souvent pour rien. Toujours chargés de
chaînes, ils sont dans cet état condamnés aux travaux
publics. Il est à propos de vous faire obser,'er qu'ilstraitent les esclaves compatriotes avec plus de rigueur
que les étrangers, parce qu'ilsjug~ntql1e, leur bassesse
est moins digne de pitié, puisque la bonne éducation
qu'ils ont reçue, les exemples de vertu qu'ils ont eus
sans cesse sous les yeux, n'ont pu corriger leur naturel
vicieux et leur inspirer l'horreur du crime.
Outre ces esclaves ils -en ont d'une autre sorte. Ce
sont les gens qui, forcés de gagner leur pain à la sueur
ES ULopions ne se servent pour esclaves quedes prisonniers de guerre qu'ils ont faits eux-
mêmes et neréduisen~t poi~nt les enfants de ces
DES ESCLAVES
VII
t64 yOYAGE- AL']LE'_D~UÿOPl~
de leur front, viennent en Utopie parce qu'ils.save~t
que ses habitants, justes ap p réeia t e urs de. 14peine etdu temps d'autrui, llccordentunhonnête sal~aire aug
pauvres journaliers qu'ilsemplôient..0iluseâe.lac.plus
grande douceur envers ces derniers; on double leur
tàche, il est vrai parce du'ils sont par nature et par
éta"t;- endurcis au travail; it. cela près, ils jouissent du
droit de .bourgeoisie et de tous -les privilèges des au--
Ires citoyens. Lorsqu'ils veulent retourner dans leur
pays, ce qui arrive assez rarement' oil ne les retient
point encore ~noins les laisse-t-on partir les mainsvides.
Les ULopiens, comme je l'ai dit plus hau t, out pourles malades mille soins, miUè attentions e"t des- com~.
plaisances -sans bornes. Ils ont.recours à tous les mOJe~s
qui peuvent contribuer à leur rendre la santé. TOI11 lés-
secours que fournit la médecine leur sont prodiguéson leur -lait surtout observer le régime le plus propre àles rétablir. C'est principalement aux inlortunés affli-
gés de maux incurables qu'ils destinent les remèdes-~les
plus efficaces; c'est pour eux qu'ils réservent ces con-
solations douces et insinuantes qui, sans rien cl1angerala nature du mal, semblent le diminuer de.-moitié.Maissi une maladie résiste à tous les efforts de l'art et fait
éprouver à celui qui en es~ attaqué des douleurs tropaiguës, des -souffrances côntilluelles, alors les prêtres-et les magistrat~ sont les premiers. à prier. le malade
d'abréger sa vie et sonborrribletourment.
Mon cher frère, 1-u-i d-iiseiit-ils, quel fardeau plus'"ùÍ1portun, plus odieux pourV1)US que l'existence ?'Avous parler franchement, il. ne v~us res~e aucun espoir
de fJuérison; vous n'êtes plus pr.opre ù rien.; vous éte 9
-rt..z
:?i:é~Y;~4~T¡Ê-rt;Í~¡kX-Di,Û{~~jïi;Í'¡' "G~;r~'J,},i-}'n~)'L"
n`
à'cblt¿r,geà.v~us"1~ê;JI.n~eit~'ill$uPipÕrtaJjleaul-au,tre8:
.PQQ:rqrJ.tai.iiepas bâterl'iIDShll~t~de'votredéliv,rQ.née?
--4M l~ 'ne <'Y£),i,lf:pj¡Q.iw~rez'pB",S'ii1.l1011IrN;r
's~nf;.cè$sa\d~.$;vg~s~¡~;te'g~u~i'4êlà'D10'1'"
donltjes.angpisst}s-èi.les"hQp.re.:se ren ouvel -le n t -pour
vous à. '(}ha.quelDsf:a.gf~û.Jour.Plûsque]aviel.1'~st.plu$
.Pour vous qu'une gêne,'afFreuse', uÓ'supplÍce "ewtayant,
rendez, rendez de'.ploin gré~à la terre votre dépouille;n'attendez pas. que la mort qui se platt à fondre sur
ceux qui j ouissent à leûr aise des délices de la vie et
à=la~sser lanbuir çe.u~ q=ui~sout-nâ,~s~de-~es arnert~u9mes;-it.-ll!j.s.s~l\lal!!gp~l\ce.uJ~.iJuipsont~QaYris"de'se,s2aæ.eM'U!D1CS'.iê~e"Íit'e~~ot~ea¡4f.6oijrez"¥e1ez~U':de¥&1t
d'èlle,yhr~wez=la;:ar"lll. J e.z:os~main. s'sauslrem. bler. 'Crap.0
.J'pez;"edel;ll.i~r jour -de vos<s~uff.r$nces' sera le p~èmierde votre bônheur. Ayez confiance., mon cher frère, et
soyez; persuadé qu'en quiUantcette vie et en descen-
dant chez les-morts, vous ne ferez~ que sortir d'uohor:
rible.cachot poûr entrer et faire jamais votre demeure
dans le séJourdesvolu~ptés éternelles.; Si vous-êtes.
asseiralb1epou~vousaprêtera:ucrldelan,attlre-e,fl'l'ayée,.
si l'idée de votre destrlJ(~tion vousépo~vanteau pointde faire
tomberle:Cerdevoiremain,tournez les yeux'vers le l!leilleùr de vos arnis, implorez sa -pitié, con-
j urez-le àe vous rendre ce.bon office; présentez.bardi-
Dlènt la tète au coup Inoi'telqu'iI va vous porter, et quevotre dernier soupir soit un acte de reconnaissance
pour lui. V9ysge~lriQJ~lCQp lui e4'témoign»er,, -'I!'uis~
~,t;il¡L'à¡i~~è.Ç~t,<ni.Y~.$~Q,tlle~etv(l)s: '\e,u!rJÛe'~I~I.
Noqs' vous -1=e r~pétons;: 'V9Ui$>~e S4¡I!P¡¡e,z'moatœr.tropde-PrIl~iénce- et die 'rtis'¡'éQa:tiéli. là ,,]~E,tœ'u..
prérne, don-t ~nous-so~rn.iri~s ~les i~l~erpTètés~et les oracles,
4tlf%nelu~iva--nt'-sa~ns-tà~rd:er, ,le..bôn cOB8e¡tque'~ous v(aus
!06 VOYAGE A L'ILE D~'UTOP1j-E n
donnons detrancher vous-ménne l~, tram,e de vo3 j~o~urs;
ou de souffrir qu 'une.main amicale vous rende ce der.
nier service. »
Les malades qui cèdent à la forceudecetteexborta-
tion se laissent volontiers mourir d'inanitio:n,ou, au
moyen de quelques breuvages préparés qu'ils avalent,tombent doucement et sans s'en apercevoir dans ,les
bras du sommeil éternel. Au reste, quel que soit l'état
désespéré de ces malades, on ne les force point au sui-
cide on n'en fait périr aucun s'il n'y consent au ton-
traire on les soigne, on les assiste jusqu'au dernier
moinent; en un mot, on ne néglige rien pour allégerleurs douleurs' aulant qu'il est possible.
Les Utopiens pensent que ces infortunes, en suc-
combant sous la violence de leurs maux, meurent
honorablement. Si un homme égaré par le désespoir,ou par décroùt pour la vie, ou par quelque autre rai-
son, qui n'est approuvée ni par les prêtres ni par les
magistrats, attente à ses jours et meurt du coup dontil se frappe, on le regarde comme indigne de la terreet du feu, et son cadavre, privé des honneurs de la
sépulture, est jeté à la voirie pour y servir de pâtureaux corbeaux.
Chez les Utopiens il n'est point permis d'entrer dansles liens du mariage avant dix-huit ans pour les fiUes et
vingt-deux pour les garçons. D'ordinaireles'mariages,
qui du reste ont été faits après examen de toutes les con-
venan,ces, sont heureuxét tranqtili;I¡les; m~aji~s,en 1`Ito~~i~econime ailleurs, il peut arriver qu'il y ai.t inco~n:patib~i~lïvéd'humeur" entre les époux. En .ce cas-là, ils se séparentd'un consentement mutuel et peuvent convoler à desecondes noces. N'allez pourlant pas vous ima~iner que
'i~r~j~iÎi~i'loi
..cem.isefg)'le~$~D'~f~0,ri.te'"a'$'a~$t'r~t.u~e.Les,;éoaiÍeoTs
s '¡'D'f0rUiJeJ1tn'e~a~t_é.m.êQÍt'd¡gfa.iit'ns' ena°ploie~~tn1~ ~ë
àl~e~~Ne.re~c~II!S connaisseuses
'.en.jfta~tÎ~t~j'~l4'i¡e;P~S'A~V~t~rÍ~,p-{çlttil1e~Œa~.nt
qu~AAij'B'fJ"ê~CQmpl"¡;gna't'8,"est'U'I1-~ e -n~fe -,q-U'6 le
rna~riage ne -'peuit"pa:s-¿rais'ôI1Q'llbleJ.iteil,t". ';stlbsi8~r,)e
sénat-prononce la>sen;tèl1ceiÉrdivorce Ce n,est- pour-tant qu'à :rextf:~m'¡!téqltl'on en vi,ent là. Nos insu-
laires, nationfort,penétrante, n'igBoreD,t,pas que c'est
un mauvais moyen pour .faire, régner la. paix dans le
mariage que de-raire espérer qu'on peut se démarier.
lJifn~1¡;ti~:h~è0'è~4F~tl~Ienauç~Jle peine,
nt ie etd:escri;ID'~s'-Le
législ!lteur a,)laissé;entière,meij,tàlaprud,enceet au
discerDcement~hisé'R.atleso¡ud'en" prononcer dans
tous lescas,suiv&nt.leardegré de' mniice ou d'atrocité.
Les maris ont sur leurs femmes le méme pouvoir queles pères ont sur leurs en.fants; ,les uns et les autres
peuvent leur infliger des corrections domestiques, à
m'oinsque de ,tfe'1J~.cPiill1'ene -force la justiced'enprend're coonaissanceetd'apP,elerà son secours
lavindicte.publique~Eogé~êra¡l la servitude,est --la puni=`~
tion la plus en usage chez-lés Utopiens, même contre
les forfaits lesplus8rave~. Ils :pensent, avec assez de
raison, que cette peine n'en est pas moins rigoureuse
pour les scélérats que la mort même et qu'elle est
plus utile à la république.
En -effet, u~n~~h~o:m:m~e:éq~u~e°l:'on .~forceà re~m=̀1!iorla U\che\la p¡litls, futieest' u:nê.p,~do.ll¡to~tireduser"ièe; il
est.~d()nc plusnépes:sll.~i!reà la _s~oiété.un cadavre
d'adleurs ces malibeureuxesclaves, ex,osés tous les
jours à la vue' des passants, sont une leçon vivante i
1_°,0,8
VQY-A~ la~IF4,~"A'
V-'Il-~LP-~u, t~ii -Tl,, (,; P-1. 1-j;-
q:u'¡Produit tous lesh~DI'el.ebq¡u't"f'e,ateD,:af:téafl'e.EUe lœppime da,ni l'ânle une cra_i~n~te'sa~uitaii~e"u¡¡
8e 'renouvelle..Bans cesse; elleinspil'8,en. un rna. u~nè
.versmort enlève duœUieu de'nous
,leeêl~i!m¡inels,~t'fJ;uequelque laps de temps efface jius-qu,~à ~1- eur s9u¥8nÏil'.Si ces forçats ne
m,u.tinentetse "ré,olten,t,s'Ugreluscntde travailler, alors 011 les dgGrg8. sans pitié, comme desbêtes féroces que l'on ne pèut dompter, malgré la pe.santeur de leurs chaines et l'horreur de leur cachot.Ceus, au contraire, qui s'arment d'une conOlll1ce cou-
rageuse pour suE~pôrt~~ leu~r sort, ontJ'es:polr:ft:«itte:u;rde le
voit" changer".
-po.-Ilr eU~r
Lorsque ces malheureux, p~tsà succomber sousle poids des travaux' dont ils
sontchaU'8és,têmolgncntle plus vif repentir de leurs égarements passés etqu'ils paruissent plus touchés de la bonté qui suit 10.crime que de son. supplice, qu'elquerois le prince, pourleur donner une preuve de sa bonté, quelquefois la,.oi'x du peuple adoucit leurserv'iltud;e, ou même leurfait recouvrer leur liberté. En généra.1 la volontéd\1-terminée de cooimeu1'e~n crime ,quelconq,ue et les
.moyens employés. pour y parvenir sont i-éputée chezeux pour le fait. Ils estiment à cet é~ard qu'il seraitinjuste~ de faire grâce il un scélérat d'un forfait quele défaut seul d'occasion favorable l'aurŒ empêcbé' déconsommer.
Ce peuple a Din goèltsiftlUHer po:ttr "les18lrces ~t ou~rles beu:flbos; c .est s,'eIp0ser à des r~piych~es -ce~t~iaimset même à
desrép.maodessé,è:Ns,qae de JesJD,suf;~er,tant Us se pe~~au~ade~,t ,ù'eD nesau:ra,i>t -prendre d.e
p~sse-ter~~p9 plus 69~r~éable'què de 's'amuser des}o'Hes
~`" x ï~ y~~`
..x L= :` 2
-ue -s~ ~le~ ~ou~ or~q~u~nu~~ ;~n~i~s ~a~~cn~t
~~u~-uuf ~e ~~o~ua~~jl~~Fu~ ~'° 1~uF ~m~t ~s~
ne paé rn~`~e accuvi~i~l~i~ d'n l~e~r ~p`~'Jih~è~~
;Û'4l):Ü'I-ir&;IQ~1;jjll~JtJJjR'\ae')~j'fltJIe
CO.)¡Q;èi,8a.'il'a'~al'o,i,tJe .n'e",diÂ~LJle'et!ij8'a'
p~tediolt"'¡I¡l'e~âtSfte~\quee~sêtlis~~84.elêha-
8ri;tlstlo:nïtle'fJieRlt~neledê.i'de'jl'a1s,ne;tJ!aftentmal un" i~nd~i-~ridyqu~ .parétatou'~pal"natu"e, n'ad'autre tuteur etd~autrell1él'ite que celui d'égayer lesautres. Nos sages pensent qu'il ~st ma~lbo4~u$té et
IIl~êeeI1L_~«:ai!le!~?-~J?t!I'l!e:S~"SliJ~id~jtJts"r
-tQ:tÍil.utJè~I'ti~ie:(i~,q~~1~q~c,e ;~(:lit.iJr¡&j,a~_JWt\~r
"à..Cês".br6ê'ira$j,'its\Q¡~p~laieo;t'" 'Le,tJj\tlgr$a;e$.tlUiu~ifI}¡8,)âi-sa,nts. ~~Un9,,àlant>h~o, ~m.,nfene
,d:aitJa.Aisse'lIÎog;ueriiestravers d-e la 'nalure;i:l ;aeilL cplaintl¡rê ceux 4olet~le a
dlssraciés"p:u'isqiu'U,riedéipend :pas ,d'eui d'être e,-xemip~t-9de ees
defau'(stropvisi:btesetsouventfetL .incom¡modes&Si d'un -ç3té les Utopiens blàmeni et accusent d'une
iiisouciaiice répréhaosible les personues qui négligent1C11rbea.u¡té ,de l'au~isre lis 're gaordent comme lofâmes
tout-es celles qui emP~lOign~t les valus secoursd',ùdel(ji-
lctle rea6et~cvée P~ `d.u fard, pour se donner ~desatt.ai¡t8
,que la na~ture leur a re'f~'sés ou que le temps leur a
fa,it pérdre.
Ce peuple philc~sophe sait par elpériel1ce q,ue)afragile beauté d'une -épouse est d'un claarme moins
p~lissant pour attirer et retenir un époux q.ue la d'du.
êeut,d¡ïi.ètlmêtère, a- se- de l'a,cfJa":Uiite",et 'sur;t~ut~u~e.c':tnJ,tæis:a'Rce's'Q.¡Ds'.b9~Q'esef uR,:pespect ]f1vi'Õb¡îble
so~n -8.'pOiO\rson
.Lege~u,,ve.-r-n,~emen,it-d9Utopiecroirai'ln'a~teiÍr re,m,Uquela moiitilé- de l'ad:m¡in-istration. publique se conten-
!!0 ~GYAG~ A L'ILE °~1l~~f~PF~~
tait de faire trembler et de punir les mechants. C'est
peu d'effrayer le crime: il tent encourager l~~vertu. En
conséquence les magistrats, pour en faire naltre l'amour
dans le caaur des citoyens, décernent aux plus ver.
tueux des récompenses aussi flatteuses qu'honorables.
liemhlis d'un zèle patriotique, ils font éJever dans la
grande place de chaque ville des statues II ceux qui se
sont illustrés soit par leul's qualités Iséi-oiques, soit
par les sm,icc~ inlpol'lunls qu'ils ont rendus ù leur
hays. Ces ntOl1unlcnls glorieux, destinés il pcrp~tuar le,
souvenir' des belles actions .'1 Ù consacrer la Inémoh'e
dcs Iorcs, deviennent pour les enrants un puissant ai-
guillan, (lui les excite à marcher sur leurs traces leurs
Íinles 1'lères et sublimes s'élech'iscntla la vue de ces et-
fiéies que seluhlc animer encore l'amour du bien public.C'est ainsi que cette nation éclairée, en honorant la
"cl"lu, a trouvé le moyen d'assurer chaque jour I~ ,In
patr'ie une foule de nouveaux héliOS. Un hamme con-
v.-tineu d'avoir lu'igué une place dans la niagistraturteest destitué de I~r.rtes ses fonctions il ne peut plus
cspérc~' de janl11is rentrer dans les charges et d'uvoi.'
place au ministère.
~<~> F'Y'x -1-
-·-
~ii'¡~¡XJJ¡~el¡ÎJ"B'01tii~ 'tt.
te ,pince ne Po-t-tu ni diad6:Ute iu COUToooe il f1" en
înipose ,oio'l ~~r la I)ompe de soit cllÓI'Îeu;f et ~l~ son
cOljlègc. Vêtu eomn1C un shnple particulier, on ne Je
dis;Lulguc de lu foulediosci;Lorcns ~lua ruc .serbede blé que Sa.ajusté liont Olrd:inah'en1enll1la main#
Il en est de rn~nn~ du souverain ~c~rr~~i~fc;au uelc
reconnalt qu'cuI ciei-ge allumé qu'aif ~~r~rtrx Iaujau~
(levant lui.
te code des lois ost fort pou volunlincux; ma:,8, Ilarla 110LUI'Cde -soit institution et de son gouvenitiiient,
cette n!publique en u tout auto nt (IU'iI lui Cil faut Ce
que ses lf~uuvo:f~t-~Irâ 1..lusétnmgc "liez -les
antres peuples, ce sont ces énormes volunle. rlc laï~ c~t
da gloses qui, loin d'ollcrmir leur et d'ns-
oui-er leurs fortunes, lie font que porter Je-trouble dua.
les familles el jeter do 1"incertitude sur lelpropril'lé~.
"CI citoyens, loin de 1r'auver (laits ccr lois 1"apliiii qu'il.ifmociueat en faveur de leurs possessions, n'y trouvcnt
que des. moyens _tan de ~'y l'uillf~I' pronll)lcnlCllt el
d'absorber tout Icur 4ivuii-.
«N'est-ce pas une i11~1131Îr'G cl'¡ante, qjoutmat les
Utopiens, que do p,'on10nOI" et d'égarer les Ifarufrfes
dans ce lub,~rintlfc,d4~ lois, qui sont trop IIOIObl'cuttCI
liour qu'une étude de toute la vie puisse suPnrw.· ILles
bien connattre, et toujours trop abseuros poui- qu'uncommentateur, quelque habile (IU"iI soit, 1)ttiisté au
premier coup d'oeil en déwrmincr le v6rilllbic j;tlois ? Ils
écartent loin du 1Il1uclunirt: de la Justice cisi ~~rocu~ur~
a'f1¡TeS el in8athtbJel, qui tlévOI'OUl ot onaloultÎslcn,! les
biens de leurs clic-itti US CI1 osclucnllLttlli ces dange-
reux avocats, qui se cliargent ~aia~ic~ de5¡dul mau-
vaises causes, qui ont rarl de 101 colorer dit plus beau
L~,l: :r, ~>.
k
1
~0'ŸAGË ~A~yL' D'~JT,Uv~~ .bVOYAG£A:-LtlLE
D"Ùl~0,P-'IV4'i12
verJÚs,' et qui, à.,1afaveur de leurs commentaires insi-
dieux-, parviennent à faire absoudre. le coupable et
condamner l'innacent. Tous les autres. supp~ts Su-
balternes de la chizane qui nous pillent at qui nous
rongent, y sont inconnus. Ils ont tellement en hoirretir
cette vermine. du barreau qu'elle n'ose s'y produire.
Toujours. prévoyants, toujours judicieux,. ils :pensent
qu'il est plus naturel de laisser les parties juges de
leurs .affaires. C'est "le plus court eKpé~ieIit pour cou-
per court à. ces longueurs mortelles, à ces subtilités si
nuisibles aux intérêts des clients c'est aussi le meilleur
moyeu de pa l'venir à la connaissance" de leur bon droit.
Tout homme qu'uri rusé pralicïen n'a pas endoctriné
n'est nullement versé dans l'art de surprendre notre
religion par des discours apprétés et dé -nous éblouir
par de grands mots. Il se contente d'articuler les.faits.-
Son juges attentif et pénétrant, le suit pas à pas; il voit
t~utf il-examine tout. La vérité luminéuse qui- sort de
la bouche de cet homme simple le frappe elle l ui
aurait complètement échappé- sous les nuages impéné..
trables dont n'aurait pas manqué de l'enveloppcr un
pilier du barxeau.
Les juges qont privés de ces grands avantages dans
ces' pays où, ch~,que particulierj en ressassant ce fatras
de lois amoncelées ët toujou~~ contradictoires, peuttrouver quelque~ passage .louche du texte, pour- étayerde raus~es. prétentions et-- favoriser sa cupidité. De là
ces jugements monstrueux qui sont' tôt ou tard la
honte de ceux qui. les rendent et. qui- eau sent là perte,le déshonneur. m- èm'e'de ceuxqoi le meritent le moins.
Au. reste, il n'est point -d'Utopieri quin'att une bonne
teintuce de la juri~sprudence. Outre -que leur codé est
VOYAGE! LILE D'UT!OPlE It3
fort peu étend-u, le t~xte en est très clair et très précis:
on y distingue à chaque pas la prudence consommée
et le désintéressement des sages qui l'ont dicté. La fin
que doltse-proposer un législateur est de mettre tous
les citoyens à portée deconnaltre les obvl~gations qui
les lient les uns aux autres et les devoirs communs et
respectifs qu'ils ont à remplir. Or à quoi bon multiplier
les lois et les charger de gloses 2 Ces commentaires si
subtils, si raffinés ne sont entendus que par un petit
nombre qui ont assez de sagacité pour en pénétrer leur
sens. Il ne peut donc y avoir que ce peUt nombre de
particuliers qu~i soient instruits desobligatiansque les
lois leur imposent. Mais une loi dont l'esprit n'est pas
moins clair que le texte en est simple, est une loi qui
devient intelligible pour tous les citoyens de tous les
états.
Dans tous les gouvernements n'est-ce pas le vulgaire
qui compose la multitude des particuliers 2 Or qu'im-
porte à ce vulgaire peu éclairé, et qui a le plus be-
soin de règlements, que vous en prescriviez ou que
vous n'en prescriviez l,as,si ceux que vous faites sont
si obscurs, si entortillés qu'il ne puisse les comprendre,
si vous le forcez à avoir recours à des commentateurs
plus embrouiués encore, qui achèvent de l'égarer et
de le plonger dans cette incertitude d'idées, dans cette
confusion, dans cette ignorance absolue dont vous vou-
liez le tirer? Prétendrez-vous que ce vulgaire, d'habi-
tude uniqueœent occupé de ses besoins physiques et
du besoin de gagner sa vie, ait un génie perçant, un
tact 811r, undisce'rnementfln, une judiciaire, en un mot,
qui le mette à l'abri des erreurs et des surprises?
Certes c'est demander l'impossible d'exiger que chaque
VOYAGE L'ILE D''tJ'Icp"tE
artisan pris sépafément soit un juriscor~sul~t~e profond
et t'aigle du barreau,
Nos républicains procurent "de ~ra~nds 8\'anlages aux
nations voisines qui veulcR,t les prendiJ'epourmod'èles.
Plusieurs leur doivent la liberté dont eH es jouissent;
ce sont 'eux qui les ont affrav cuiAS du joug tyrannique
sous lequel elles gémiss'ai~nt.lah)U8eS de faire leur bon-
heur il rexemple des Utopiens, elles viennent ch,ez eux
se choisir des magistrats. Les unes les renouvellent tous
les ans, les autres les continuent peo(lant cinq uns.
Quand leur temps est épuisé, on les conduit comme-en
triomphe dans leur patrie, en les co'mbl.t-d~tous. les
éloges et des bénédictions quemêri'ten1il.esma8istrats
intègres, et on en reprend de nouveaux.
Ces nations étrangères prouvent, en agissant ainsi,
qu'elles sont très éclairées sur leurs vrais intérêts. La
perte ou le salut d'un peuple dépend absolument .des
maeûrs de ceux qui sont à la tête de l'administra-tion. D'après ce principe incontestable, convenez qu'onne saurait trop vanter la prudence de ces nations voi-
aines d'Ut&-f)ie~ En prenant pour magistrats des hommesqui n'ont qu'une charge passagère et doivent prochai-nement, quitter le pays pour retourner dans le leur,elles ont présumé avec raison que ces hommes au-
'raient de trop puissants motifs d'honneur et de gloirepour. se jamais laisser corrompre, et pour vendre la
justice. Elles ont encore pensé que ces magistrats, étant
étrangers et inconnus ,à leurs compatriotes, seraient
toujours imparUa,ul, toujo~urs i'B.tè&rèst et que jamaisla'haine ou la vengeance ne, m'cterailt lèursarrêts ;qu'e,fermes comme des chênes, ils marcheraient sans bron-cher. dans les voies de la justice et de. la vérité, et
VOYAGE A ~LF: I~'IJ~Cl:ylr.. lUi
pèsera,ient les droits avecl'exactitude. la, ptuss~rupu-
louse. On ne pouvait sans doute raisonner plus sagement. La considération des personnes et l'intérêt sont
les'deuxageuts qui ¡égarent ],e plus de j,uses et q'ui'Jeurfont perdre entiés~em~ent, de vue cette sn~prérne équité
qui est le lien le plus sacré d'es sôci~élis l~umaines et
la .seule sauvegarde de tous les elupires.Les Utopiens donnent le nom d'alliés ittix peuples
qui sont gouvernés par des magistrats 6 et lenom d'amis à ceux auxquels ils fournissent différents.
secours, suivant les circonstances. Ils ne font aucun de
ces pà.ctes,. de ces tI'aités' d'alliance q.ue les. autres
peuples changent, ronlpent, -et renouvellent si 'souvent
entre eux.
«(A quoi servent ces traités? vous disent-ils. La na-
ture, notre mère commune, n'a-t-elle pas créé tous les
individus pou r s'enti-'aimer? N'a-t-elle pas assez forte-ment gravé cet amour. au fond de nos cceurs 2 L'êtne
assez barbare pour en étottffer- la voix et résister à ses
douces impressions sera-t-il assez délicat pour se faire
un scrupule d'ènfreindre les clauses d'un- traité? »
Nos insulaires sont d'autaut plus attachés à~ces prin-
cipes que la plupart des souverains de leur bémisplière-ne sont rien moins que iligides obse,rvateurs de leurs
conventions respectives. Ces infractions sont fort rares
en Europe.. surtout parmi les princes qui ont. le bon-m-
heur de vivre sous l'empire de la foi chrétienne.
La de Jésus-Obiris'(, cette rcli'8¡ic)'flSai¡Il,te e¡t-
auhli'IDe,a sur- eux un ascendant su2pér'te lüi-r enco~~ à leur
puissance. Dans cette partie de notre' monde, la m,a-
".j,es,tédes traités est considérée comme sacrée et if:lvio-
lable. La bonté paternelle et'la droHu,re -de nos ino~rar-
VOYAGE A L'ILE D'I1TOPIE116
ques d'une part, de l'autre le respect qu'ils portent
au saint-sièget et la crainte qu'ils ont de déplaire au
souverain pontife les rendent tous religieux observa-
teurs des pactes qu'ils font entre eux. Comme ce vi-
caire du chef invisible de l'Église ne promet jamais rien,
ne contracte aucun engagement sans le tenir à la ri-
gueur, il fait, de la part de Dieu ,même, un devoir il
tous les rois de remplir scrupuleusement leur parole
et d'accomplir à la lettre leurs conventions réciproques.
S'ils osent y manquer, les censures ecclésiastiques les
rappellent à leur devoir; s'ils n'y rentrent pas, le saint-
père tonne, les foudres de l'excommunication échap..
pent aussitôt de sa main, tombent et frappent les poten-
tats orgueilleux qui refusent de se soumettre. Les papes
n'ont sans doute pas tort de penser qu'il est indigne à
des princes jaloux du nom de chrétien de manquer
de bonne foi dans l'observation de leurs conventions.
Mais dans le monde où se trouve placée l'Utopie,
monde encore moins éloigné du nôtre par l'équateur,
au delà duquel il est situé, que par la différcnce de ses
mœurs et de. ses usages, on ne doit nullement se repo-
ser sur la foi des traités politiques. Les abus à cet
égard sont si excessifs et si fréquents qu'on pourrait
presque avancer que plus on emploie de cérémonies
1. Remarquons que cela fut écrit avant la perturbation jetée dans lemonde religieux par les écrits de Luther. En ce temps-là Henri viii,modèle assez douteux d'ailleurs « de droiture et dc bonté paternelle JI
(ce qui pourrait faire supposer ici une intention d'ironie). affectait pourles intérêts de la religion et pour la suprématie du saint-siège le zèle ex-trême qui devait lui mériter le tit.e de Défenseur de la foi, titre dontses sumesseurs sur le trône britannique se parent encore, malgré la eé-paration de l'Eglise anglicane, comme on peut le voir par les deux let-tres F. D. (Fidei Defenaor) qui sont placées à la suite de leur nom sur lesmonnates anglaises.
VOYAGE A L'1Lv D'UTOPIE ~l47
solennelles pour leur donner ulle solide sanction, plus
ils sont fragiles, plus leur durée èst' momentanée. La
raison de ces ruptures multipliées est fort simple. Les
traités de paix, d'alliance, de confédération se font en
des termes si ambigus que les parties contractantes
ne sont jamais tellement liées qu'elles ne trouvent
toujours des moyens plausibles,. au moins en uppa-
rence, d'éluder leurs engagements et de se dégager de
leurs serments. Cependant si les plénipotentiaires trou-
vaient une pareille duplicité, disons mieux, une pa-
reille fraude dans les contrats particuliers, irrités de
cette ,insigne mauvaise foi, ils la taxeraient ha~u~ternent
de fraude, de piège, de scélératesse, et s'écrieraient
qu'elle mérite le dernier supplice; mais eux, mais ces
fiers représentants des maîtres de la terre, croient leur
avoir rendu un service au-dessus de toute récompense
lorsqu'ils ont surpris la bonne foi d'un négociateur,
lorsqu'ils l'ont trompé et lui ont fait signer un traité
qu'ils peuvent interpréter à leur avantage ou faire
rompre à leur fantaisie. Que conclure de la mauvaise
foi des maUres de cet autre monde et de leurs minis-
tres., sinon que la probité est une qualité obscure, qui
ne convient qu'au petit 'peuple, qu'elle est d'une condi-
tion trop basse pour sortir des cercles bourgeois et
figurer à la cour; ou bien encore qu'il est deux sortes
de probité: l'une vile et abjecte; qui sied à la roture
et qui ne doit jamais franchir les bornes étroites dans
lesquelles el,le est restreiri-te, et l'autre plus noble, plus
1. Par_le Contrt~ste' malicieusement établi entre la prétendue bonne 1:oi
parfaite des diplomates européens etz-la duplicité des souveraine et mi-
nistres. dOl1"o}8WDe1 voisine i!'Vtopie.oa .oit.uqu~Ue nature étaient
les ~p~sionr q~e i"~e~e~e ~ueli~~e àu roi d'A~ngletérte avait rap-
.portées des ~ieeione diplotBatiquet qu'il -venaitde remplir.
i~8 ~YO.YAGE A L'vi~~ D.'UTOPIE
élevée, plus libre que celle du' vulgaire; que cette der-.
nière a le droit de 'tout faire, parce qu'elle peut impù«.
nément. tout oser, et que cette probité fière et impé-
rieuse, est apparemm.ent la ver.t~r favorile d~es rois 1
Comme je viens de vous le dire, la duplicité des mo-
narques du monde dans lequell'Utc)pie est située est la
principale. cause qui détermine .nos républicains. à ne
faire aucun. [rail~ avec les puissances de ces contrées. Je
me persuade qu'ils changeraient de résolution s'ils Yi--
vaient au milie.u de l'Europe. Cepéndant, quelque bonne
foi, quelque exactitude que l'on "apporte dans l'observa-
.tiondeslraités., la coutume d'en faire ne parai~t pasan~oi~ns
étrange et moins déplacée. « Caren:fin, v«:!usdem8.ndent-
ils, que produit cette malbeureuse.coutume'lDeux peu--
ples sont séparés l'un de l'autre soit par un petit bras de
rivière, soit par un monticule; ét comme si la nature
n'ava1t pas établi assez de rapports entre les être~
comme si elle n'avait pas tissu de ses propres mains
les naeuds si doux. qui les iient. nécessairement les uns
aux autres, ces individus, inquiets et jaloux, s'observent,
se regardent d'un œil sombre; ils s'eni~ntdu poisonde la défiance et se persuadent qu'ils sont nés comme
des bêtes féroces, pour s'attaquer, se mordre, se dé-
chirer et se dévorer, iL moins qu'un traité bien d~ressé,.
bien cimenté, leur prouve le contraire et n'enchalne
leur férocité. Mais le voilà conclu, ce traité;le voilà
ratifié de part et d'autre; ne. vous imaginez pas que'la paix èt 1"amitié fraternelle en soient plus
..parmi eux. Nob, des deux c6tés.jes bos:tili¡tës,lesuJeu'r-
Nous "oyons ici que ceriai.De ~laéo.io dite des deux mOMlt"qai,àrait beaucoup parler .teDe 6. une .aine époque conlomporeino, ô'ee![~e d'une invention toute t~conlo.
V(}Y.AG'~<4~.tJ"Lt p~ 1ft:
fre8,lesdévasta:t~oDs,recommeDcei1tdeplpsbéUe'aprêlla sign'1.tu~re ;8tupouritlloi?C'es'tqu",arlau,ted'atten-tion de la part dés D~~ci\1tell~ 1~.9,t. r;dis~l~s ar~
,tic1~8itO.$..i.êqlu'iv,él!ij.$,nsje8'rermeDt,ilel o
tiens sipalpa'bles que les deuxpe~'ple8p.e8airdën¡t le
tc~ité comm~nu~l et non avenu,-et ~~oien~t eri cons~-
que4ce devoir Proilter dela liberth qu'il leu'r rend pourse massacrer de nouveau et se détrui~re. Nous âutré~,
au contraire (ce sont toujours les Utopiens qui par
lent), nous. n'appelons ennemis et. nous ne traitonscomme tels que ceux qui nous Cont tort et insulte; au-
t~i'è.no,ij!f-"p:eP-"9.SCqilec~t lamÓ.rdel~.I,Pêce, ce
le"ti:Jb;èD,tq~(1i-DOUS:e'sf,si'natUrPe'l,droit "if sur nos
cœ~de~ ..lroits.p1Iu'ssaiDts,plU'sj,a}~Ghllbles,ue-les
c'la~s~â d'y~n contrat; en un mot nous voulons que les
honn6tes-gens de tou.teslesnationscoDDuesDe forment
qu'un seul peuple de,Crères, et qu'ils soient ~hus forte--
ment attachés les uns aux autre.. par leurs besoins
réciproques et les secours mutuels qu'ils se doivent
qu,'par.d.e .v.inescodv'!olteDs,aus'si peu .respectab1el-
que les. passions qui' Ieî dictent et qui s'en. font un
jeu » »
'i: Cette ",igoureulodétr.ure de l'alnn~dil~ de certains anla~oolr·me. ~n~eroaliooou: et 'COIdOuC81.~plration. de. p.llunIYerl8l1~, .'01"
pllqueatd'autantraieui ici que Mo.1' den~ un ~emp~ ou lu
oa~elciou~ ambition.' de 'q.nelqve~;prlnce~ cnuec~.ic~n! ane" rorto do COJl-
fugratlon ~énérah, qui cou~ral! l'~r~fdsn~t de rUlU~j et. de ~latloa.
VIII
DR L'ART IIILITAIRF. EN UTOPIE
1 $ peuple déteste la guerre. Il voit avec horreur
que l'bomme, qui de tous les animaux seH. glorifie d'a\'oir seul la raison
eopa,t.age",esti cependant le plus déchatné, le plus furieux contré son
espèce, et qu'il fail sa passion dominante d'un art quisemblerait devoir n'être exercé que par les ours, les
tigres et les panthères..
Celte gloire si funeste, cette gloire que l'on n'ac-quiert que par le fer et par le feu cette gloire qui estl'idole de presque toules les nations leur parait bienplutôt une frénésie brutale, une férocité abom,inable,qu'une passion noble et sublime, digne des élogesfameux qu'on lui prodigue. Malgré l'aversion d~cidéequ'ils ont pour les armes, les Utopielis ne laissent pascependant de s'y exercer. A certains jours on donne.dos leçons publiques de tactique, auzquellel non seule-ment tous les hommes, mais aussi les lemmes sont
obligées d'assister, adn que dans un cas pressant ellespuissent avec adresse prêter un coup de -main poursauver leur
pay9: Quoiq~ue ce pe,uptecftre.c,he:toul.lesmoyens de s'a~$werxiar, il ne n-d les a~r~iâ°es.'u' à la dernière exiré aoih peur se gaTa`n~ilc d~t.p:e,invasion ou défend~te sea fron~tières, go~i~t pou~r-repo~ser
V0'YAG-BAL';liL! ~,lU'I'();Pl;1 f2l
les en~ne.fis d~ ~es henset fidèles aIUlés,soiteo¡Unpou¡rdélivrer du joug d'un tyran les voisins qui implorentson secours.
Dans ce ,dern'ie.r cas combattent pa-r :puregépéro-sité et ne reti'l'enlleu'fl8 l,poupes que quand -la nation
oppri-mEe a bris '6 Jesters qui la retiennent dans l'es-
clavage. Nos répuibHcai;nsprêtentg,ratulilement à tousles peuples l'assistance q:u'euz-in~mes leur demande-raient s'ils étaient dans le cas d'en avoir besoin. Cen'est pas seulement pOlir se défèndre contre d'injustesagresseurs qu'ils leur donnent des_secours, ils leur en
fé,UI~JSeBt e>aco~e ~pou~2les rao~t-tae en ~lat d'o°b~t:er~~ïr
satisfact=ion des :110s'ViUtes commencées et- d'user de
j:u slesreprésai'l:le,s.
Je dois vo~sfa¡ire observer que les Utopiens ne pré-'tent aucune assi;~ia~nce~ si on ne les consulte pas avantla déclsral~io~n de guerre. IIs veulent se convaincre pareux-mêmes que le peuple qui réclame leur appui ne
peut se dispenserd'opposer la force à la force. Dès qu'ilsen sont persu'adés,itsf:ui'fourll,issent. sans d'é'lai les
troupes q,u'ü le~r demande: Les nations op.primeeset
pi~liées par leurs voisins n"ont p~s de plus SOirs ven-
8eursquenosinsulaires. Leur ressentifment éclate sur-
tout lorsqu'un peuple se ~forge des lois iniques, se
joue des plus saintes, et parlesinterprétatioDs' insi-
dieules qu'il en donne parvient à tromper la crédule
honnêtelé des commerça-nts..
Tel fat 1'un~q~~e -m~.t~~Fde ta :lu:re.tJu'i!lsAreoit, i;l
y .e'R"viNRU" .sièele"pG!btr les ~N~pbé`1~4g~tes con~~re
les..A1I:aQpaU:test.. Us pr,em.¡iers -sou~~te-nl-aien-1que leurs
i. N~,pJGélopètea; de »~pl~l~, nuée, et ~a~rt,je conduis, form~tion ana-lo,ueil'épit.b6te de m~ag~~e, que'lei poètet dobuieat Apo~lôn con-
w o£-là vQ~ -à ~~· D'UT()P~II'
négociants 'avaiellt épmuvé, de la part des cleràiers"une lésion révoltante,. quoique revêtue de toutes les
formet de la justice. Que ~ette plainte ft\.t bien (U1Q1a)
r.,ndée, c'est ce qu'il ne m'est paspossi;ble de déçi'der.
Quoi qu'il en -soit, elle fut le :sujetf:l'une guerre
sanglante et ruineuse. E~ etfel, 0 sur ce différend les
deu~ nations arment avec la plus grande activ"ïté; leurs
préparalirs sont.effrayants. La discorde et la haine so'uf-
tlènt sur:elles; clles~onl à l'instant saisies, transportées
de.fùreur; chacune d'elles brdle de signaler sa. ven-
geance, la soif du sang les dévore; les peuples voisins
prennent parti pour'ou -contre en un clïn ~d'®il: l'em-
o brasement devient général les armées s'avancent, eUes..
se choquent le combat .s'échaaffe des flots de sa!ag
ruissellent, les campagnes sont jonchées de niorts, et
les villes n'offrent bientôt plus que de vastes cimetièrès.
Ces deux ~tats naguère florissants reçoivent tour à
tour des' secousses qui les font pencher vers leur.ruine.,
Enfio,après un épuisement total les. Alaopolites suc-
combeot et sont~ contraints de recevoir la loi du plusfort, qui les réduit à la servitude.«
Les~ Utopiens, qui ne faisaiènt la guerre que po~rleurs alliés, rurentles premiers à forcer les vaincus dévivre sous l~entiêre. dépendance des vainqueurs, et
cependânt les Alaopolites, dans les beaux jours de leur
prospérité, formaieat une. nation riche et puissante,
peu faite pour entrer encomparaison avec la peuplade
inconnue. des Néphél()~gèles.Telte.est 1,&cb~aieu~r; tel estle ~le que' mettent les Utepi:ensdans la .dêleD~'de.
.intérêts~oliti,u'es et pécuniaires de leurs a s'en
dU,lIant ou présidant le chaeur .Jea Muses. .~tao~whtea, dit a~laoa,.,eu.le, et p~'ia, ville ville des nvénglee.
1 -l'II. 6
-Y~ A~-L'~`~~ D'üT~ »
faut bien soient aussi ardents ~Q~~i~ hur ~r~pre
compte. Si on les trompe, si on lëur enlève leusrs t~~sors,
ils ne po~ussentp()iutleJJr ressentiment, jusqu'à la rup-
tit~e, et pou'l'vu-q<g!ennecommencé,aucuiJJ:actE!8h:osti-.
lité, ils. se contentent de ne plusco'lD,mercer'avee les,
peuples qui leur font .haoflUer.ou1e. Ce t;l'est pas qu'ils
tiennent moins.à coeur les intérêls de leurs compa-
triotes que ceux de leurs amis mais ils pardonnent
moins volontiers le tort qu'on fait à "leurs alliés que
celui qu'on leur fait à eux-mêmes,
Ainsi"gu_e tous les' autres ce procédé a ses raisons;
les-voici Chez nos a~lliés., d. ".1 ) h. a=p,pnr·
tenant en propre à. chaque particulier, les' négociants
ne sauraient éprouver aucune perte sans su'pporler' un
échec considérable-, puisque souvent il entraine leur
ruine; au lieu que chez nous, les biens se trouvant en
commun, toutes les pertes le sont aussi, dé sorte
qu'une banquerouté faite à nos commerçanls ne frappe
point directement sur un seul ou sur quelques parti-
culiers: D'ai:l~leu~rs on ne peut jamais nous enlever que
notre superflu puisque nous avons grand soin de ne01
gen transporter chez l'étranger qu'au préalable notre
pays ne soit abondamment., pourvu de tons les objets
d'exportation. Nous pensons. en conséquence qu'il
serait absurde et cruel de sacrifier des milliers de
citoyens pour nous venger d'un'.dommage qui n'est
sensible pour aucun -de nous. ».
Si quelque U-te i voyageatilt cliez un peuple voisin,
se -troave,atta~4ué dans sa personne et. reçoi~ullebles..
.silre. dont-les suti~tés al~t~revt la santé ou le cond=uisè~t
au tombeau, soit que cet attentat ait été, commlispe-r
trahison ou' en vertu d'un"' ordrE! de gouvernement,
VOYAGE A l~' I GE ~1' ~~(~t24
aussitôt que nos républicains en Mot it~t~u~~t~, ¡ill en
demandent hautement satisfaction i11s exigent ,u'onleur livre les coupables, quels qu'ils 8oient;el:po.~r
peu qu'on balance, ilsdéellll'entsu,te..chalJ1fp]'alUe,re
au peuple fauteur du nleurtre. Sii on lrur remet l08
auleurs de J'assassinat, suivant son atroci,té, ils les
condamncnt il n~arl ou les loéduisenl à .'esclavage.D'ailleurs ils rougis~sent en quelque façon et aont
plongés dans le plus grand deuil lorsqu'ils remportentune victoirc signalée. ( C'est, vous disent-ils, une i~m-
périlic, tisseabsurdit4é i-évoltaiite que .d=a.c1Jewl'4cd,esl
hauts prix deslual'CbaufJ:ises,quelquepreoieusestu!oft
les suppose et qu'elleq soient eneB'et. » Le plu~s ~ot~~umoment de leur ~I~ire est celui où leur Séuic,féconden ruses de guerre, rend inutiles toutes les 'enta:'¡,¥esde leurs eiiiieiiiis et les leur fait vaincre par adresse.On décerne à ceux qui ont remporté un tel avantageles honneurs du triomphe public et, par les trophéesqu'on leur érige, on immortalise la mémoire de pa-reils exploits. Ces exploits sont les seuls qu'ils admi-rent et qu'ils soutiennent être v-rai¡ment dignes de
l'homme, qui doit l'emporter autant sur tous les ~tni-maux par les ressources du génie que la plupartd.enlre eux l'emporlent sur lui par les forces du corps,tc De fail, disent-ils, les. lions, les ours, les tigres, les
loups, les sangliers, les chiens et les autres espècesd'animau qui se combattent, ont sans contredit bien
plus de force etdetêroG-i¡toé,u~ B~)'>us;mltis q¡u"liSD'0'UI
sont inférieu4rs d,,u ckî du r4~i»nnemen, it et .d'e ri,m¡all.nation 1 Q.u~el homme ose m-1"t le
~q~uer a~vec
avantage les hé.tes fauves ,'il hui fa~ia=i~ dC8m.are
corps à corps avec el-les. Ce n'esÍt que par adllesse q~u~ial
= z-
.8~"A.L..V1~
doU"eh.H1terà~le8aomp:tor et â1uwûaoNic..ainti
quelel'¡'omm81 devraient se bo.nerâ.taiN la,uupe
'enue'e»&,n
~h~i~ n~ ~a d`~u~nt ~i~ ~~# r~~ ~s
cttt'eo(!'a1l'tel"'ur "un4t1nl"po.i,'if4e .judioecqu',oA,Jeurfai:t.1I8nesom,enun -mot, agresseurs que quand Us
nepel1Yentabsolllment le c~i~p~nsur dis 1~~1~~e rnn.is
dès qu'il. ont une roiltirf!I'épâe hors du fourreau, ils
no la remettent qu'après .'t\lre assuré une ~ren~eancv~
éclatante des insultes et des lorts qu'on 'IcI'" a faits.
"LelU'~Q.tT:al'N~yor~Je' -na".1I1 ~¡ftju'.ee -,par- 14.
terveur4e teurs:_Qlèsota'el1fn.if~e4e._m,lél
sitmppaats,q'1I'Uspuissont à l'urenir l~uo 'sctwÍr de
frein.
~1 pet, su~r cet ll1'tic1e,lep1an deC9ndiJ,i'tede nos
in~uhair~e~, toujuurs prudent, toujours modéré dans
son exécution. Us cberchentmoins à8'acq,uêrir de la
gloire et des éloges qu'Il se mettre à l'abri dcsplus
grands dangers, etolèmc ücn,préservcr lc.s4utJ'Cs.
Sitôt que -la guerre cSldéclaTée, ils 10 ut au même
instant amcber avec le:plu8grnnd s8cPP'quft¡ptitede
placards munii.4 du sceau de la répulii-sque dans les lieul
les plus fréquentés dupa)'s ennemii. Par ces placards
ils mettent ltprixlattUo du prince leur Oidver88.ire,
ainsi que celle de plusieurs autres personnes ample-
ment désignécs dans ces écrits clu-ndestins. Le~ récom-
penses très considérables petir ((ILiconquc tuera ces
d-em.-lières .-80,rït "c~pen.uB1t ¡D1toinili!e"s>4tteceilies ,tILt'ile
pre,~pose-a-t-~pou~,rïcdlïu'!i ~qiu-.4'es .d'~fcr~ ~d~c~ ,Ces,e.
lOQues sont :G;Ñin.¡r,emreni les .iini.iVe' ;e\t ¡:es fa'V.r~.
du prince. LONqu'ense.aj8ii¡t ¡.J,ul1pNscr.itet '"qU~9R
le re~~et yj.yanteoit1'eleaN ma-li'ne, ~i~lsdonnent l.e
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIEt26
double de la récompense affichée. Ils offrent Blême
des 'récompenses "à' ces proscrits et leur grâce, bien
entendu, 's'ils vautént. se détacher du parti ennemi et
suivre le 'leur. -Ces expédients politiques jettent ces
"nlalheureux favoris dans -une'horrible défiance les uns
contre les autres; 'sans cesse ils se croient environnés
de trattres, ils n'envisagent bientôt plus dans leurs"
proches que des ennemis, des espions et des'bourreaux.
Et ea éffet il arrive-ttiujQurs que ces proscrits, et prin-'
cipalement le prince, sont égorgés ou livrés par ceux
mêmes qu'ils honoraient dé' to1J.te leur confiance, tant
.la soif de l'or est une puissante amorce pour le cri-me.
Les Utopien~~ convaincus de cette lriste vérité, rp man-
quent jamais d'en tirer le 'parti'le plus avantageux, et
pour rassurer d'autant mieux les mercenaires qu'ils,veulent corrômpre, ils leur' promettent des récom-
penses si fortes que la cupidité leur fait entièrement
fermer 'tes yeux sur tous les dangers auxquels ils
s'"exposent 'pour les obtenir.
Dans ces circonstances, dont l'histoire" d'Utopie offre
plus d'un exemple, ils promettent non seulement, des
sommes immenses, mais en,core la propriété de terres
-d'un très grand" revenu, si.tu.6e«s dans le pays de leurs
plus fidèles' alliés. C'est là que ces traitres et ces assas-
'sins peuvent se retirer pour y passer tranquillement et
en toute stirété I~. reste de leurs jours au sein de l'opu-lence. Jamais on n'eut sur cet article ni sur aucun
autre à se. plaindre du manque de parole des Ut-0-
pions@
Lespeuples regardent comme indigne- et'bar-
bure, comme une :lé,cheté abominable,. cét. usage de
faire un trafic. du sang de ses ennemis,. de mettre leur
VO_YA GE A.L'ILBD"UT.D¥1! 1627
vleà'l'enchère, tra. nebons le mott de lés -faire-as,
Quant auxU.topiens, ils s'en font un'point d'honneur;
et vôicicomme ils justifient sur cepointlas8:gesseet,
la justice"de leurs procédés « Par ce -moyen, disent-ils,nous terminO~1s souvent la guerre saDS 'livr~raucun
combat; nous prouvons donc notre ,amour ~ur.I'h\1-
DlanUé,puisque, aux dépens d'un petit nombre de cou-'
,p8:bles que noua faisons péric, nous sauvons un peuple
d'innocents, 'qUl d8:Ds une action seraient restés sur la
place. 'Ce n'est pas la conservation seule de nos. com-
'Pl.i.tri9te!l.'ql1i nous iô, téresse nous ne sommes pas
,moi~ns,j*aloux,47é- pargner le sang de no~ennemis. Nous,
n'ignorons pâ. que ces soldats qui portent les armes
contre nos trÓupes n'agissent point -de -leur propre
mouvement, 'qu'ils ont souven'~hofreùr d'un métier
qu'i~ls exercent par force, 'et qu'ils ne sont sous la main
du .prince. qui les commande que les instruments de
son aveugle fureur et de sa vengeance. »
Si l'expédient ci-dessus ne léur réussit point, ils
~ntentunealltr: voie. Ils sèment, le trouble et la divi-
.Sion daus la famille rnyal~; en faisant esperer la cou.-
roiiné à un frère du roi, s'il en a, ou, à son défaut#à quelque grand du rÓyaume.
,Si 'l'effet de ces factions etdes révoltes qui s'en-
suivent ne répond pas à leur attente,. ils font alors. agirles nations voisines'de'la puissance avec "laquelle'ilssont en guerre.. A l'aide de'quelques vieux titres,
qu'ils prod9uisent ~à point_ nommé (et les pr-inces,on le sait très bien, ne manquent jamais de
ces-sortes :detitresf, ils les' rereent- en: .quelq,ùe,taçon de'
prendre les "armes contre les ennemis dè leur tI~ ,et
font'une ligue offensive et défensive avec elles. Suivant
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIEt28
les clauses de cette confédération, ils fournissent tout
l'argent qu'exige le service d'union (le plusieurs carn-
pagnes, mais ils ne donnent presque point d'hommes.
Leur amour pour leurs compatriotes est poussé à tel
point, ils font si grand cas de leur vie, qu'ils se résou-
draient, je crois, avec bien de la peine à échanger un
des leurs contre le roi ennemi.
Pour l'or et pour l'argent, comme ils ne tiennent en
aucune manièt-e à ces métaux, ils donnent sans balancer
tout ce qu'on leur demande, et on "leur demanderait
tout ce qu'ils possèdent qu'ils le donneraient volon-
tiers, puisqu'ils n'en vivraient ni moins à leur aise ni
moins heureux. Outre les richesses prodigieuses qu'ils
renferment chez eux, ils ont encore des sommes consi-
dérables placées chez l'étranger. Je vous ai dit ci-dessus
que plusieurs peuples qui commercent avec nos insu-
laires avaient de l'argent à eux appartenant. Dans les
temps de nécessité ils reprenncnt ces sommes, qui
leur servent «-tlever des soldats de tous les côtés, et
surtout à eii soudoyer chez les Zapolètes 1.
Ce peuple, situé au levant, est éloigné d'environ cinq
cent milles d'Utopie. Il est dur, agreste et sauvage. Il
préfère aux lieux où la nature plus riante se pare de
tous ses charmes les forêts ténébreuses qu'il habite et
les montagnes incultes sur lesquelles il a été nourri.
Ces hommes sont d'un tempérament de fer, endurcis
t. Zapolètes, nom évidemment rorméde :,a, particule augmentative, et
polètèa, vendeur littéralement t~~ès vendet~rs: il faut sa"os doute entendre
très diaposés à se nendi~e car Morus fait clairement allusion ici aux
troupe. mercenaires 8UÏ9M!I: qui alors étaient la disposition de tous les
princes on état de les bien payer. et que, par conséquent, l'on voyait tou-
jours prêtes la soutenir la cause de ceux qui leur offraient le plus grols.~tlaire.
VOYAGE. A LtILS.D'UtOPIB 129
9
au froid et au chaud, ainsiqu'au. travail le plus opi-
Dliâtre; rien ne les rebute.L'agriculture, les m.odes
dans les habits, l'élégance dans lesbâtiments en un
mot tous ces arts (lui l'épandent tant de douceurs etd'aorémenls sur la vie, n'out aucun prix pour eux; ilsles méprisent et ne les cultivent point. Leur
occupa-tion journalière consiste à soigner les
bestiaux ils nevivent que du produit de la chasse et de la rapine. Lanature les forma tout exprès pour. la
guerre leuréducation est toute relative à ce métier; ils cherchentet saisissent avec empressement toutes les occasionsde s'y livrer. Dès qu'i=l s'en présente une, on les voitsortir par bandes de leurs affreux repaires, descendrede leurs mornes inaccessibles, inouder les
ca'mipa'sneset s engager presque pour rien à ceux qui viennentdans leur pays pour enrôler. Ils n'ont d'autre lalentque celui de se battre, et c'est toujours à outrance.Dès qu'une fois ils se sont mis à la solde d'une puis..sance, ils combattent pour elle avec une bravoure donton n'a pas d'idée, et leur fidélité d'aihleurs est à touteépreuve. Mais ils ne s'engagent jamais que pour untemps lixe et limité. La première condition qu'ils fontquand ils s'enrôlent au service d'un souverain c'estque si le lendemain le prince son ennemi leur prompose une plus forte solde, ils seront libres de passer deson cOté, et que si le surlendemain le peuple qui les a
soudoyés en premier lieu porte plus haut la paye du
soldat, il leur sera é8a,leJIB[eift~tpermlj<s de revenir se
ra'D'ger sous ses éte~nd~a~rd~s.1°Ise fa~i~t fort peudesuerresdans lesquelles les Zapolètes n~e co~posent la plusgrande partie des troupes de l'une ou de
l'aultrepuis-sance belligérante.
t30 VOY A GE'.A il tÈ .D.' VTa PIEi30 VOYAGEwA L'I~ -D'~1TO~IE~.
il advient de là tous les jours que de proches pa-
rents, qui naguère vivaient dans la plus parfai~~e uniôn
et dont l'amitié redoublait en raison du plaisir -qu'ils
avaient à se voir réunis sous les ~nuraes.enseignes, sé-
duils peu de jours après par l'appât du gain le pluschétif, se .séparent et se jettent dans les deux partis
opposés. En vient-on aux mains, tous les naeuds du'
-sang et de I'amitié se brisent. tout à coup, la haine la
plus invétérée succède à leur tendresse du plus loin
qu'ils s'aperçoivent ils s'élancent comme des taureaux
furieux les uns conlre les autres ils se mesurent, ils
se terrassent, s'égorgent, se" massacrent sans aucune..
pitié 1. Mais que ce vil i~térêt qui leur ~~itsacrjfier ~u
parti à un autre,. que cette basse avarice leur est peu
profitable Ils absorbent en un clin d'œil dans un-luire
grossier, dans un libertinage crapuleux, le salaire
qu'ils retirent. de leur art 'meurtrier, et mènent toti-
jours une vie obscu~c' et inisérable.
Tels'et plus brutaux.sont encore ces hvmmes que les
Utopiens soudoieul pour combattre leurs ennémis.
Comme ces rnontagnards ne sauraient trouve.. ailleurs
une plus forte paye, ils accourent en foule se vendre il.
la 1'~pu~li(JlIe. Nos sages, qui sont si délicats sur le
choix des peuples qu ils adoptent pour alliés, né tra~.
lent :wec cette nation barbare que pour s'en débarras-
ser par les voies les plus courtes et les plus expéditives.En temps de guerre on leur fait occuper les postes-les
plus périlleux; la plupart tombent sous le fer des en-
nemlis'o}l est par conséquena d,i,spenséd'e tenir les
pro.metPqll'onléur a tailes po.ur les attirer; quant à
1. L`hietoi~ n o~`orrt, en c:f1'ct, plus ~1'un etemple de r~ncorltrès gom:blnbll!l.
.F. cJ.¡;I' ,;J.W'¡"a.r.Y~m. 'Î 1y~OYAÛ"m A Ilt b "U-IT-0~p-i-2 ~t:3t
ceux qu.i en réchappent, ,OD~mpUt ~~act4;"BeD& à leur
égard la parole qu'on leur a donnée. On veut, en se
cond:WtaRlla'¡in:si, 9'ell f~a=i~~~n.n~t a'or p9urr_'avenir.Ils s.outsi flattés
deces.ava:ntag~8,que'd'a\QsJe-s autresoccasions qui se pr~ésen=len~tpar là suite lis volent cleleur plein gré braver les dangers auxquels on les
expose. Les Utopiens," loin de les ménager, font litièrede ces mercenaires, et pensent qu e le genre humainleur saurait gré d'cn "avoir exterminé la race.
Outre les troupes zapolitaines, les Utopiens emè.
ploientee'I¡l:esque.. leu~c prét-éni, les peupl;esau'I',I.e:lsUsoritdon'ned,t1.SecouPs" d;a.nsl"oooas'ioD;ÏilsontencÕreles. auxiliaires que. leursaU'¡és :le~ur e'tOieDt;en:R~ ils
joionent à ces forces celles de leur-nat~ion. lis,nommer-9RénéraUssime de toutes' ces troupesré.unies. un des
leurs, non moins ieeconima,.nd4b]e par son expérience
que par sa valeur.' Ce chef, dont 19 autorité est absolue,a sous ses ordres deux autres co~pa~triotes, qui luÍ 5er~vent cle~ieu!teDa.n~ts g,é. néra~ Tant que le'comlDan~dant en ch-ef. resph'e,les li.eutenltntssont SB'nS exercice
et n.onf aucun pouvoir sur lîtrmée mais s'il a~rrive
que le_général soit tué ou failt prisonnier,'alors'le pre-m,ier des deux lieutenants- prend le commandement etlui succède par droit d'héritage: Au -besoin le second
remplacera le 'premier. 'Comme les. Utopie"s n'igno-rent pas que l'ieu n'est plus capricieux que le sort des
al"mes.iJ,sOlt,tpris .ce"eIB'18cpDéealutÏ'CJgpo.urja¡rGfttir
leQ¡Pltroupe~sdJudéIGmteet 'dèl'co'nlter~tiOl.1dani.Jesq¡ûelsJamerto:tI olfa p~ise de son générat dGitné~es..
sŒÎ,re,Dtè,ntjeter ~ou:tê une armée,
Chaque ville fait des levées; on ne lu.end que les
hommets qui viennent de bonne volonté. Il ne se fait ici
132 VOYAGE A L'ILS b'-U~'f~~eP~l~
aucun enrôlement forcé, parce qu'on pense avec rai-
son que tout poltron, loin de rendre service dans un
moment décisif, ne sert qu'à inspirer la frayeur et le
découragement à ses camarades. Si cependant le
foyer de la guerre se concentre dans leur propre pays,
les poltrons, pourvu qu'ils soient bien constiLués et
bien portants, sont contraints de prendre les armes
comme les autres. On les embarque sur des vaisseaux
avec des troupes aguerr ies el intrépides on les place
d'espace en espace sur les murailles, entre de braves
soldats, de sorte qu'oll leur 8l~ tout moyen et lout es-
poir de prendre laluile. Alors la honte de par--al-tre
sans cœur, la nécessité de repousser les cou.psdÍe l'en-
Jiemi et l'impossibilité de se cacher ou de tourner le
dos changent souvent tout à coup leur poltronnerie en
valeur héroïque.
Quant aux guerres dont le thétilre est dans le pays
étranger, si d'un côté on ne force personne d'y aller,
de l'autre on permet aux femmes d'y accompagner leurs
maris on les y exhorte même, en comblanld'élogescelles qui prennent ce parti. Dans une action l'épousecombat auprès de son mari les enfants, les neveux,les alliés, les entourent, si bien que chaque famille
forme autant de petites légions particulières qui se
réunissent pour combattre avec chaleur, et se prêtermutuellement les secours que la nature et l'amitié
réclament en ces instants de crise où ils courent lous
un même danger,
Le l4a'ri qui revient sans sa femme et le sans son
père sont également déshono~~éa: CettepoU\'iquep,e-duit les plus grands effets. Dès qu'on Bonne la chargeet que l'on combat, pour peu que l'ennemi off-re de
VOlAGBA'L~ILI_D'iU'r'9'18 tas
résistance, on s'ée~au¡ffe,Gn8'enlamime, on se bat en
détermiioé.CkaqueUtoplen, ,d;is~utant pied à pied le
tea~â~ ~~it .d~s .p:ro~~F~ès .e ~a3~~u~~et v~ndc~hvren~en~t
sav.ie8'ilne".peu~ la sauver,
Dienne CQ,ft'te à ces l'êpl1;bUcains lorsqu'il s'agltd'écarter d'eux le terrible ~a~au de la guerre ou pour
n'y employer que des troupes étrangères mais dès
qulls se trouvent réduits à la fâcheuse nécessité de
combattre en personne, ils partent, ils volent où le
devoir les appelle; le courage les transporte, et ce que'toiQ:ti llrpr.o¡i~liêè.,n'puT(à¡iirr6"èteuif~bt'a.¡Y0;úlre 1'e~éc~uee:
Nécl'ayez:pasfJue -leur vatctU~ ne sClif'qd'un premier
f~u q~ui sé ~alen~tit et ~'étei~n~t auss'ib)i';iD6D, leu-r ~in~tré-
s~accroit en raison de la durée du combat. Ce
sont autant de héros, don,tles rangs sont inébranlables.
La mort, qui ne respecte pas plus lés braves que les
poltrons, les frappe et les moissonne; mais sa vue ne
les fait jamais reculer. Cette valeur surnaturelle est
uneo8uitedeta ,col1lanceqiJ)'aprèseux rien ne man-
quera à. leur famille.
« Son,sort, son bien-être est assuré, s'écrient-ils dans
ces instants nous pouvons mourir en repos. » Oui,cette douce confiance est le premier aliment de leur
bravoure. Ils se battent avec la ferme résolution de
vaincre, et la mort leur parait plus supportable cent
fois que la défaite.
,N:oa'"SOmîJB'eS;pJil';és de oeiL a"8ID;tas~, Deu,s aut"
8êpu'ÎI,lè'.eflat JlUSlQ~Q:8én'é,1,c'bacun'Hestoccu:péde "JliDrlpœ. ¡1I~é"t,deue~1IBt.e ses.e;nfa'Rts. Ce
crüeql~l°eincertitude" f~roleillsse-1,e "'cœu;rdles-piI1l:sdêtè~kîis.,
entre lacralnte de laisseraprés eux des x~~fortu~~éa et
celilè de l'être eux-mêmes. Or, l'aspect e8'~a~!an~t dre la
-If
VOYAGE·A~ ~I.'1I~~ D'UT(~~1~a
t3i
misère est presqqe- toujours, comme on le sait, l'écueil
du' plus fier courage..
Ájoutezà cette connuce d!es"Utopi'~ns leu~hwbileté,
dans t'art militaire, la parfaite connaissance qu'ils ont
de leur tactique, et'vous sentirez aisément qu'ils doivent
être tous valeureux et invincibles. Eniln cette vérité
vous deviendra, pour ainsi dire, palpable si vous
faites attention que les principes dans lesquels on les
élève depuis leur berceau contribuent à leur donner
et à nourrir en eux cet héroïsme patriotique. t, La vie,
leur répète-t;"oD sans ces-se est- u€a d~pat `q~ue le Ci~e~l
,vous a coiiilé. Vous n'avezauc1lDdroi:tdesSU8~ il'appa-r-
tiebt tout entier à. la patrie jou~issez des .ava-D,tage~
sans nombre que 50°- usufruU vous procure; que le fonds
vous soit assez cher pour le ménager comme votre bien
propre il n'y a qu'un. fôu qui s'avise de le dissiper et
de l'aliéner., Si la patrie vous le redemande, rendez-le-
lui.sans balancer: il n'y a qu'un lèche, un homme vil
et méprisable qui puisse lenÎerou .'obstiner à vou~loir
le retenir. »)
Dans la mêlée une foule de jeunes sens d'élite se
ra1lient. ,combinent leurs forces, fondent avec l'impé-
t uolité des aigles sur le général, ennemi tantOt ils
¡'atti~nL dans-quelque piège, tantôt. ils le combattent
corps à côrps. Ici ils font pleuvoir de loin' sur lui une
grèle de traits là, tous s'opiniâtrent .& lui porter le
C8_op~ortel;. à, moins qu7il. ne-p. r.-en-u~ea~uasi~lût1°a fu~ite,
il est bien -rare qEu'il ne soit tué 01J,filU'il ne t
vivant, entre les mains du vaÎlfuluenr.. Dès que lesÙ:1e.
.piens ont obtenuia viet-9"~l~r.e.i ne pensez qu'il 8 se
-f4-ssent un jeu'barbare de massacrer. les vaincu. ',T,u:te
leur ven~geaDGe se bprae à 'aire des prisonniers ;j'am.àis
135
1 I.-
Y A -A.L.1"Lï -°' U~N~I~ w-=-1"T Li,
ils ne le IivreD'l i;~eo:n'8¡lé"men~tà la poursuite des
.1118 conservent- leu-r QÈd~re de hataiUe le
.combât',oar-êfre:t,j¡Q,u;rS de te'1!éÎ.(',P~rIl' on les yfo'rce; .i~19.a~i~m;~n~
'm'ieusliâjsse~,êcbap,pe,r.i-ous
les ~~htcusque derom:pre.l,q. 'ra-n~s p10celes pour.suivre.
Ils se- souviennent de ce qui leur est arrivé en. plusd'uneooo&sioo.Les ennemis, après' avoir mis en dé.route le corps de leur armée, se croyaient déjà si sin
de Ja victoire qu'ils se dispersaiçnt et couraient çà et.
~t~=lâ su~~ri~és fuy_~dl~yo~û~~lés :~go~g~r: 'Les ~Il~iro~pien~s,̀q~~i:
ont't.Q,Uj'ours'.ÚD0'COtp,swa;ë';Ñ$8l¥,e" e n -9 ta-t 'lié n' poulr
88PVQf .tGus,Jes'Q1QjI~e.uê.tt"Qs.eDRemjt:, 'l~êtan"tQper-~
'ç~8dele¡~dêso"'jte'lIt'aye~çer ,oo.co.qtUi ,n'avait
pas encore' donné; il eh-trgea à ltim, ~,p7 toyist'ë
qui, ne pouvaatp.'1;1s' seraUier, fut taillé eo.pièces.et
perdit ainsi le btiit de sa victoire, qui tôurna au proOtdes vaincus.
Jene8au~aisvo:lIs:dme,tUÍ U8m!portecbeza08in~p- 'e;laires ou d-è leurbabilleté 1-à- tendre des pièges, 004e
celle qu'jJson:&b,'lescJécolI,;ri,rct à lesév¡ter Ôn
croirait quelquefois, à 'voir leurs -lDanœuvrel, q-uils
mtSditeotÛJ.18'pr,ompte l'tt'aite point -du ton~; ont.U.
formé ce projet, .U.1:.8zécutent U8C tant,de préciaion
..et de secret-qu'ili -sont déjà tort 'éloigoés aV8:lftqu8l'on ne. e'ea--doute. Dès qu'ils ont reconnu. les forces
'eQD.oU~'le'Je.p' ',lqJ~.lQ,ité"'UI'e.. oit, q
"'8Ip.e:Îç~i\'ellt:dV:«é~¡ial..ÎfeléUJ'p1J.tiDD~ _itÍ'4.~i
cami,egtœe:,RII~d..lê,pttt'ij}D,roJJ.tl8il"~j 10]1
u$en~t; `:de ~e`lq~u~eaku~e-st~i~g~à~ii~. `I:e ~ûr ~rie
ohservent un si ¡~e~'Gr'ped¡IB',l..tlr'Nf¡pûtê, ci..p.
sontén, t unetéJ!l8c(»QiteQa'Il08,c¡u'rHne ISQi'ail,pat:$oi!n,
VOYAGE A L'IL£ D'UTOPIE136
dangereux de les attaquer dans leur marche que dans
le camp le mieux fortifié. Les retranchements de leur
camp consistent ordinairement en un fossé a~ussi large
que profond, La terre qu'ils retirent du fossé qui entoure
.le camp leur sert à former de leur c6téune espèce de
mur ou de parapet, qu'il faut franchir avant de pouvoir
les attaquer. Ce ne sont pas les sapeurs seuls et les
.pionniers qui travaillent à ces fortifications tous les
soldats y sont employés, excepté cependant les senti-
nelles et les vedettes.
A l'aide de ce grand nombre d'ouvriers, ils achèvent
en fort peu de temps tous les owTages extérieurs qu'ils
estiment nécessaires à la s6~eté deleurca.m.p.
Leurs armes n'ont pas moins de solidité que de lé-
gèreté. Elles résistent aux coups les mieua assénés et
on portent presque toujours do mortels. Elles ne gênent
le soldat dans aucun mouvement de son corps elles
l~;i laissent la liberté de tous ses gestes il peut même
nager commodément en portant ses armes. Je dois
vous dire à ce sujet que l'art de nager tout armé est un
des ~Iéments du métier de la guerre chez leslJtopiens.
L'infanterie et la cavalerie se servent de Bècbes pourarmes offensives; leurs soldats les lancent avec une
adresse égale à la vigueur de leurs bras; et leur coupd'œil est si s6r qu'ils manquent rarement leur coup.
Faut-il combattre corps à corps, au lieu d'épées ils ont
des haches tranchantes, dont le fil et la pesanteur les
-rendent égaleDlealt pMipres àlrappere,tcl'estoc et de
tai~lle:1°Is onft l'ilmatinatiGD très .te;r.i¡le.pour m¥enterdes
machines de -guerre; dès qu'elles sont fabriquées, ils
Jes cachent soigneusement, de peur qu'en les laissant
~araltre avant le moment #'avor~ble les e'Q'Dends ~e~
r
VOYAGE A ~IL~ D'U~4P~1~ ~~i
s en fassent un obJet de dérision, aprés avoir trouvé les
moyens de -rendre leur effet inutile. Les premières qua-
litésq,tl'ils,e,x¡~entde,to.t1tesces 7 machines c'est qu'~elles
puissent se .dé'lDon¡ler,se tra,nsporter et se remonter
avecautan:t d'aisance que de célérité: Sitdt q~u'iils ont
fait une trêve ils l'observent si religieusement qu'ils
n'usent même pas sur-le-champ de représailles envers
les infracteurs.
Jamais, dans les transports insensés d'une fureur
brutale, on ne les vit piller, saccager, détruire, incen-
dier les,récoltes-.etdévaslel' les campagnes. Ils respec-
tent en tou'teocca$ion les biens de la terre., qui sont,
disent-ils, le patrimoine le plus sacré de l'homme. Leur
scrupule sur ce point est poussé si loin qu'ils pren-
nent les plus grandes précautions pour que les troupes,
dans leur passage, ne causent quelque dégât, et que les
chevaux ne foulent à leurs pieds les moissons. Ils n'at-
taquent aucun homme désarmé, à moins qu'il ne soit
connu pour un espion. Ils deviennent le protecteur des
,vil-les qui se rendent, et jamais ne livrent au pillage
celles qui sont prises d'assaut mais ils font mourir
ceux quioot empêché que la place ne capitulât, et ils
font esclaves les soldats et lés offlciers de la garnison.
L'ige, en pareille circonstance, est toujours l'objet
de leur respect aussi prennent-ils sous leur protec-
.tion les vieillards, les enfants, et surtout ce sexe faible
et timide qui n'a d'autres armes que ses pleurs et ses
Saft~l¡é!tS. ~"i)ts:soDltm!f0rmésqBe:peqdanttesîêlJe içl
»9eSit préseartétpêlt¡ueci,toyen judicieux ethienj,01.en.
i~ion~néqu Fi a couse,àïl~'1-6,1,ared4~i¡ti:oRdebl.vii~le,i:ls'lulieô
saven.t hOlt8'l"é et lui témoignent leur saUs.faction par
des. récompenses proportionnées auservice.
On lui fait
i38 V0 YA.(ii ? A L'ILl ü'UTOPiE
assez souvent présent d'une partie des biens cOfillfls-
ques..
Le surplus est distribué par égale portion aux h~ou-
pes auxiliaires. Quant aux tJtopiens,saUsfàHs rlu sort
dont ils jouissent chez eux, j:amais~ on ne les voit pren-dre part au butin et profiter des dépouiJilest:1e l'eanem¡.
Quand la paix est faite, ils n'exigent point des aDiés'
pour lesquels ils ont pris les armes le rernbnurse-ment des frais extraordinaires de la- guerre ils met-tent tout sur le compte des -vaincus et leur font payer
les dépenses de deux manières i 0 en leur imposantun fort tribut annuel,. dont le produit, mis en .séquestre,sert à subvenir aux frais d'une. autre guerre; 2~ en les
forçant de leur céder. des terres considérables, et du
plus grand rapport. Cette sage politique a triplé les
revenus de nos républicains, qui, par la suite des telJlPs,sont devenus propriétaires, chez divers peuples, de
biens immenses, dont le produit au total monte, autant
que je puis. m'en souvenir, à sept cent mille ducats
par an. Ils envoient dans lesditréren-ts pays où. sontces domaines des citoyens ayant qualité de trésoriers.
Ceux-ci mènent chez ces dilférents peuples un traindes plus magnifiques et ont surtout une table splen-dide. Mais, quelques dépenses qu'ils fassent, ils versent
encore tous les ans des sommes prodigieuses dans letrésor publie,"
Nos insulaires I!rêtent cet argent au peuple ~ur.Ie
territoire duquel sont assis ces 8,randSJlèfs.]¡l:s lu~i en
abandonnent les intérêts, jusqu'à ce qu'ils redeman-dent leur capital, ce qui arrive raremen,t,. coin~m~ejevous l'ai dit, pour.la totalité. Quant au surplus'desterres conquises, ils les distribuent entre tous ceux qui,
r
lieV{lYAGEcAJ.lLEDttJ DPIF
C
voy-,A,Gz -À DTUT,
à leu~r seliciltratieft, ont fait cause commuine avec eux
elo,ntp8il'taigêie'uirsda;R:ger.s.
S'il arrive '° un souvèraiii, poul'lawe ulne descente
~u$ _1~ ~1~, ~i~~e ~~i~e ~e, J 11¡.e. ta.:r4eol,a'1:à.eft
être prèvenius ~par 1'l~8am¡'QuceReitG,~nl.i¡II'GPt
de toutes parts, ce:l ils font S,"118~,e.ine av.ort~rre~;fs~e~·
prige. Leur ~pre~n~ier pr~i~nci;peest de ne .f.tlre la
guerre sur leur propre terrain; le second est deo'ad-
mettre aucune troupe étrangère dans leur lle, quelque
9 rand que soit le péri'1" qui les menace.
IX
DRS DIFFÉRENTES RELIGIONS D'VTOPIE
N compte non seulement diverses religions dans
vml'ile, mais chaque ville a aussi les siennes parti-
rculières. Les uns offrent leurs vœux au soleil,
les autres a la lune, ceux-ci adorent une planète,
ceux-là certains astres qu'ils ont choisis. Plusieurs re-
connaissent pour leur dieu quelque homme extraordi-
naire qui, dans les siècles les plus reculés, a fait, par
ses egploits glorieux ou par ses vertus éclatantes, l'ad-
miration de son pays.
Mais la plus grande et la plus saine partie de la
nation laisse là cette foule'de dieux vulgaires, enfants
d'une imagination déréglée; elle n'admet qu'une seule
divinité éternelle, immens-e, incompréhensible, dont les
attributs ne sont pas moins infinis que la puissance et
(la gloire. Sa nature n'a aucun rapport av'éc tout ce qui
tombe. sous les sens elle est répandue dans tout l'uni-
vers par sa vertu plutôt que par son essence. Ce sou-
verain être, disent ceux qui l'adorent, est le seul auteùr
de toutes choses. « C'est lui, s'écrient-ils, dans les actes
de reconnaissance qu'ils forment du fond de leurcœ'ur,
c'est lui qui créa le monde, qui établit cette harmonie
merveilleuse qui règne dans toutes ses parties c'est
lui qui règle le cours des astres, qui a posé la ,barrière
insurmontable qui sépare les éléments, qui a fixé les
VOYAGE A ~,·tL~ ~·u~o~r~ t't
bornes des deux mers c'est lui qui prépare ces événe-
ments inattendus qui nous jettent dans la dernière
surprise et amènent cres révolutions que toute la pru-dence lium, aine ne saurait prévoir. La nature ne nous
offre qu'un cercle de vicissitudes continuelles; les siècles
s'écoulent, les âges se pressent et se confondent, la
mort dévore tous les êtres; tout ce qui respire, :com..
mence, croit, décline et finit. Dieu seul, toujours en-
vironné de sa gloire, n'est sujet à aucun changement. »
Les Utopiens, divisés entre eux sur divers points de
leurs croyances, se réunissent tous pour confesser l'exis-
tence de cet£tre suprême, qu'ils appellent M~tl~cc s.
t( Quelle que soit, disent-ils, l'idée que l'on s'en forme,
toujours est-il certain que chez tous les peuples et
t. l~ytlera oti 3fytleras. Ce nom, que le savant 1\loru9 ne prend certai-
nement pas au hasard, était celui d'une divinité appartenant il la théo-
gonic des anciens Perses, fondée, dit-on, par Zoroastre. Ces dogmes ad-mettaient la lutte éternelle entre Oremud, génie du bi~n, et Ariman, géniedu mal. Entre les deux était Mythra, la la fois dieu et déesse, et dont le
nom signide médiateur, qui avait pour mission de ramener les bmes
Dieu. en ouvrant la carrière du soleil. Il avait son siège de prédilectionaux équinoles, c'est-à-dire vers le point qui fait la transition des ténè-
bres à la lumière et de la croissance il la diminution des jours. llfutbeaucoup question, dans les premiers temps du christianisme, de cette
divinité médiatnce, dont le culte s'était acquis dans tout l'empire ro-
main de nombreul. sectateurs. cc Les Pères de l'Eglise, dit Creuzer,
voyaient dans Mythrns un emprunt au christianisme. De nos jours, au
contraire, on a prétendu que le christianisme' n'était lui-même qu'unebranche de la religion de Mytbras, qui en Perle remontait la plus de qua-rante siècles. A Rome, le !5déc.'embre, les nombreut: adorateurs dé My-thras célébraient une fête dite de la naissanco d~c Soleil intri~ecible (na-talis Solis invicti) qui était devenue en quelque sorte générale dans tout
l'Occident. De là vient qu'au commencement du' quatrième siècle, les
chefs de l'Eglise chrétienne d. toccident fixèrent au môme jour la célé-
bration de la nnissancedu Christ, dont l'époque éta~it jusque-là demeu-rée incertaine ou inconnue. Le Christ était pour oui dans un sens spiri-tuel le Soleil nouveau (Sol novas), dont les paiens célébraient la
renaissance physique au jour où le soleil remonte dans les cieu:. Et
ce ne fut pas la seule circonstanceoü lelcbefsde la nouvelle roligionBurent absorber par assimilation quelque pratique des anciens cultes..
142 ~O1~AGE A L'ITE D'IJ~~pPI~!M
daim tous les siècles, on a reconnu l'existence de ce Dieu
1 qlùn'a point d'égal en puissance et en perfections. »
Au reste, cette diversité de systèmes religieux et -ce
nombre de sectes diminue de jour en Jour, et,cl1ac'un,
profitant des études qu'il fait, parvient, à la lueur du
flambeau de III vérité, à connaUre la religion la plus
raisonnable, et l'embrasse dès qu'il est persuadé qu'il
l'a trouvée. Je ne doute même pas que cechaos d'opi-
nions incohérentes sur la religion ne fùt totalement
dissipé depuis longtemps si la superstition n'aveuglait
pas presque tous ceux qui la suivent. Qu'il survienne
un un revers à un Utopien sur le point d'ab-
jurer, la terreur s'empare à l'instant.de ses esprits; au
lieu d'attribuer ses malheurs au concours des'circom·
tances, à l'enchaînement des choses,~l se persuade quele Ciel, irrité de son apostasie, veut le punir et s'en
venger. Nous nous limes. un devoir de leur parler de
notre sainte religion. Dès qu'ils "furent instruits de .la
sublime morale de.1.tÉv~ngile, des préceptes de notre
divin.Sauveur, de sa mission et de ses miràcles, de. la
con~tance avec laquelle" tant dé glorieux. martyrs ont
confessé, au milieu des plus horribles tortures eri
présence des tyrans et desbo-urreaux, le nom de Jésus-.
Christ quand.ils surent que leur sang répandu pour la
foi avait enfanté une foule de héros au christianisme,
que ces nouveaux fidèles, à l'exemple des premiers,
couraient mériter la'palme du'martyre,. affrontaient les
croix et les bl1chers, chantaient au milieu des fi-amfnes
les louanges de leur divin mldtre, expiraient en priant
pour leuts plus cruels ennemis, soit que la gràce opé-
r~t" sur leur cœur, soit qu'ils crussent apercevoir .~t"
qu'il y etlt en effet afHnité particulière entre leur pro-
-4e~éo~.'CU~¡' ,><ç-.=--
,'&¡I;HI~ A 'lJt~ -1'U"fDJP.I:I i~ià
fess'¡oodefoi ".8 plus' ac~rédJi!tée et le-deg,,Me de l".an..
~i=1~,~~lsse sein¡ta,i:eD,ten,tra~;Rés par un ~encwaa~~t ¡Irrésis-tible à
er~ .fai~re l'é~oge et il 19 aimer,
Le.p:l'rta'8,sésalou 'lhdê.tla.cem1Bunau'té de biens,si fQrle~~nt r~èomm~~n~d~e par leSau:veu;rdiumonde,
s'i8énéreu~einent observée par les fidèles dansles pre-m;iers mo'ments de
IIÉ_g~li.5ona'iâga-n'te, est, je crois, le
..principal motif du zèle et de l'amou;r que .ces répu-
blica-ins témoignèrent pour notre religion. Mais sanschercher à approfondir les raisons qui les d~terminè-
rent, il mesuffil. de vous dire,qu"un nombre prodigieux
se -fll. ba:pliser: Co~n3~iried~esiixco;m,pa,grieJlis-.que nous
étions,~eux. étaient morts, que des q~~a~tre vivants
aucun n'était revêtu- du sacerdoCe, fious ne pè.mesleur conférer les sacrements, que chez nous les prêtres-seuls ont le droit d'administrer; mais tous savent par-faitement bien en quoi ils consistent et brident d,u désird'être admis à leur participatioti. Je les ai même en..teiidu"s agiter la question suivante Savoir si un'de
leurs concitoyens, qu'ils élèveraient à l'ordre deila'pr~-1
trise, aurait le caractère sacerdotal, quoiqu'il ne Cl1t
pas approuvé par le pape. Quantité d'Utopiens soute·
naient ~l'aflirmâtive au temps de mon départ ils
n'avaient point encore procédé à celte ordination. Leur
premier principe, en fait de religion, est la lolërapceaussi ceux qui ne croient pas a notre révélation ne
persécutent-ils point ceux qui.y croient leur ~mit¡é
po.u~r é.ux n'e~n estn~i rnoin~s .vir e ini :oi~ns 80 è cepour eux nen est lU moins vive UIRJ:Ot'RS SUte lie; ce
s3rstè~me de tolérance leur tient si fort à cœur, qu'ils
puniss~nt no'n' .seulement le" fanatisme- mais même le.
zéle indiscret. Un de nos nouvéaux prosélytes en fit la
triste -expérience. Il sortait, pour ainsi. dire, des fonis
14' VOY AGI A ~$ D'1J~(1I~~Ir
bapt,ismaux; dans ces premiers mo m,ents de ferveur, il
crut qU.jJ était de son devoir de faire retentir jusquesur les toits les paroles de l'Évangile. En vain lui
représentions-nous les risques qu'il co~ruit que le
Ciel, ne lui ayant donné aucune misson, n'exi~eaitrien de lui il se laissa entrainer par sa fougue impru-
dente il éleva la voix, il précha sans nul ménagement;il se plut à heurter de front loules les bienséances, il
s'emporta jusqu'à soutenir que sa r eligion est la seule
émanée d'en haut, la seule véritable, que toutes les
autres ne sont qu'un lissu d'erreurs et d'impostures,
qu'enfin hors de l'Église il n'est point de sa--lut. Nos
Ulopiens, lassés d'entendre les déclamaHoDsoutrées
de cet apôtre sans caractère, se saisirent de lui et le
traduisirent en justice. On le condamna au bannisse-
ment, non comme contempteur des autres religions,mais comme perturbateur du repos public. Ce n'est
pas sans des raisons très plausibles qu'ils prêchent le to-
léranlisme. Lorsque Utope aborda cette lie, il appritaussitôt que les disputes de religion divisaient les
esprits, les sentiments, les Camilles, et que cette désu-
nion portait atteinte aux forces de la nation vérité dont
lui-même fit l'épreuve, puisqu'il ne vint à bout de conga
quérir le pays qu'en détruisant, les unes par les autres,toutes ces sectes qui combattaient séparément, quoi-
que pour la même cause. Dès qu'il se fut rendu maUre
de I"lIe, il se hâta de promulguer un édit portant le libre
exercice de tou~tes les re¡l~ifPG&s. 14perlDj¡t.a~u~ di¡fJèreRlls
sectaires de raiire des prosélytes, non pas en décriant
les autres dogmes, non pas en prononçant anatitéumecontre ceux qui les professaient et en les condaml1,ant
comme des impies et des blasphémateurs, mais en
Ccoc.o
·_ o;
'{.C\?}S'J'T"°
¥j6;TA~IJ"A~itt'LI ~T~ :.U
té
el.Jiquanta..oo boplao'.ietCtaD.la 8Puptîc,it~de leureoeur les motifs détepmiiDIQ'Lsde leur.prop1'ecl'oyance,
eteu.prouYànt,sonspassiQnl~exi38Ueac-e et -la dela rcU;8¡ÔD.,U':ils\touil'aienL,'rai'e~embpa'8er. TGut~faoati.
que conv4~i,,ncù d'uvQirt o~loyy l'~4iyce; Jafopco et:laviolence est cond'BID:oéà 1'0111 ou à la 8ervi~ude eui-
vantlagrav1tedu délit. :Par ces règlements sijudicieul,le l~g~i~luteur voulut non seulement assurer Jatranqu.il-lilé publ.ique, toujours exposée à de violents orages,16.rsque le fanatisme sanguinaire et bas-bare, qui ne~connut,~amais de bOflJes" -arme du couteau sacré les
pa~t¡.a'DI:'(4e"diléJ!e"~e.)refi@ÏG.Qs;ilvo.ut!utencoNfa're
eRteôd1'ei&'soupeuple';qu~ilQ.~8iitalus8i eu en vue --les inté-
rL~ls m~mode la4i¥ini,té. ccQueUetéméri-té, d¡isai,t-il, à
unfaiblemorte'l d'oser prononcer en dernier ressort
sur un objet aussi important que celui de la religion'Est-il de sa compétence Et qui sait si ce Dieu de mi-
séricorde, ce Dieu si jaloux de nos hommages, ne se
plait pas à cette variété des cu~tes qu'on lui rend, si 1' ni-même ne les inspire point, s'il ne pa~r4, e pas sarévé-
lation » Utope eut sans doute raison de penser q,uel'absurdité 1$ plus révol~l-anl,e était de vouloir régir et
maUriser les consciences, -de vouloir, à main armée,
conlraindJ'e un homme à 'quitter la religion de ses
pères; dans laquelle il a. été élevé, pour lui en faire
embrasser une qu'il ne connut jamais; et de fait, si
.dans cette foule de religions qui circulent et qui se
p agent outr la s~umfaced~u globe i~ln 'en eti'8te,dlle8eulledescendued;u ciel et marquée d~u scéa~u ae lâ
ailté, ceux qui en SORt les, d',p'esit8ii;resn'ool.bes6in,
pour-y faire croire que d'employer les voies de la do'u--
èeur, de la patience et:~e la persuasion. La vériitéper..
VOY'AG;IAL!tii9rJftii,i--FI
146
cem à la fin et dissipera ~QU~a~les DUIses8oalle.qu',).
l'intérêt el les autres passions humaines chercheront
à la faire disparallre,
Quel déluge de mauzn'entralne pas à sa suite l'in-
tolérance 1 Si vous entreprenez la conversion des
hommes le poignard à 'la main, considérez que les
méchants, c'esi-dire ces gens dont l'opj.niAtret6
égale raveuglement, se trouvent en bien plus grand
nombre ils accableront les fidèles, et la vraie reli-
gion, que ceux -ci professent, sera étouffée par les
ridicules superstitions de ceuzelà cO,mmeD9us¥o)"ons
journeUementdans nos clia~rnps que lac bonne semence
est étouffée par l'ivraie',
Le législateur d'Utopie, en laissant à chacun la
liberté de conscience, a cependant renfermé cette
liberté dans de justes bornes. Pour prévenir l'établisse.
1. Étant donnée l'intolérance normale du temps où vivait Morne, quidevait d'agleun, animé d'une foi vive, en êtN.le mutp, a lui fallut cer-taisement autant de eopuge que de'haQtemtOD'fi,a¡. ,pou.r:dQlreaum ouvertement la Penn' 0 sur le,.p.inclpe de 4 llbér~ dé con~teQCe:Lu ennemis de Morus ont plus tard voulu prétendre que pend~o~ eonpassage &14 pouvoir, alors que le roi.1'ai8aIt eDoorepro"on de.tJ6Utë
aaR1nt-llêp, le grand ebueelier avait elercéde i~4g~Qle. per"-tlon.' contre les dissident@. Dans une remarquable étude sur ce sujet,M. D. Nltucla au complètement démontrer le mal fondé de ces noeuta-lionr. 8°"'1, dit-il, représente dans la vie et_nl"lIortle calholi.
que Immuable, restant debout au milieu de la chute del'Ê,I"'u.i,e..relle, comme Caton sur tu ruieu de la yleille république romaine.Malt, outre .'riéû?eatboUqu8, une autre chose distingue Môme et rendaimable raUltère polémilte de l'Bgliee de Rome: c'e~! ..bonté aussi
co"e, loi,e~ qui, devail, e~pbc6er ,t~i"d.ou.4ereQIr" cr.~telle,ana boD&ê:eÍl~~ us de ré8e:~on~ ~que` d~sbad-aon~ -û_relt ~nev;e
d'éqQit~ bi'en~~eil4ate aRpüqüée ~v tonte~ ,~é~~ ctiosëe dé li~ r.ie: vDïnrl~iltolrede'
.ohl',lecathÕB",elëft.tt~I~6olll.e~ÎiaJdll.même pu :J'II.1D~el'
,polI.teIqM.1ë¡~.JlitUque'e.ketCtI~1~~pour ~er, cexni~li1 cI8t chutes Il des ,iii Ii. "B..alilQt, 'II.&1àJoard'iul prouvé quel'aute. ete l'll'plI.dlve~utoù~pa..t, ri-ou,.lïlia point les ea. prlï par lui d'eiào! l'hu_ulté en éc'i~aa!
ebapltre der Diÿ/'N~tes Re~lig~io~ d'Ulopie.
~fÎ~ .Í(~I"I"iÎÍœi't'l.
@Umm
ment des, s,stêmesodieulque ~ré.p$nden~t de ~~t~ndus
ph,i,l,oîp,p,,he-8 q.,ui se pl~a~i~sen,,tà ravaler l'e~cel~le~c,d et la
dlilsP~.é;']Je".nQ're.)tt.@" '1..ê¥i~l)t'iête.R(b.tj:u~e
Qpin,iQft;,üid~fJênére .e,~¡purmatéFi.!);j'me,()u, ce qui
est.pl'J1s4I'é,lerableenfJere, en véritable aithéisme. Les
Utopiens sont,donCp,eNu'ad'és de la réalité d'une vie
future, dans laquelle les bOIs et les méchants seront
traités selon leursœuvrel. Ils méprisent et détestent
tous ceux qui nient cette vérité. Loin de les admeUre
au rang de citoyens, ils cessent de les compter parmi
'les-c'bEtJD'lQ:e$.lIis,i;Js"C8,e;'Ta:ba¡'ssent "e~ux~tnê:fÍlès.àltL
cÓ.di~i.è.èa¡jècl~;4è8,'lusvj:Js-"a'h'iD1'aux.cc'Quel cas
peu, ,d:~un,êtpesa¡n.spri'Qci;pe et sans
foi, que la crainte seule duchâtiJilent retient dans le
devoir, et qui, sans:cette appréhension, violerait toutes
les lois, foulerait à ses pieds ces règlements si sages
qui consolident le bonheur des sociétés? »
Quelle confiance avoir dans un individu purement
chQmel, qui, vivant sans mœu~s ainsi que sans espoir,ne voit que lui dans 1'univers, borne sa félicité au
m~oment présent, fait sond,ieudesopcorps,s8règle de
ses plaisirs, et qui, pour les satisfaire, est tou joursprêt à tout entreprendre, à se porter même aux der-
nières extrémités du crime, po'urvu qu'il puisse trouver
les moyens d'éoh~pper à 1"oeil vigilant de la justice et
d'être scélérat avec impunité ?
C~s.8eDs"re.sa,~d~s comme infâmes, sont exclus de
.'to,U,~te-8 les ch~aïr.$es ,ft1ll1iJijdip8!les, de la ~agliSt:ra¡tuM
et 4~ese-miploi-5 oulblh«ci;. Ce sont. de pu'rsa'ultOl'l1âtes,
,011 laisse er~ec &ult'J.aN.'êit v~Béterc8ur la ';terre'
Â;usurplus, on ne les touraaente point, on ne les con-
damne point au su:ppli~e, parce qu'an. est intimè ment
1
lis YO~A~T~ 1~: ~'l~~ ~t~-'c
persuadé qu'il n'est pas au pouvoir de -l'~ha~ap~e de
changer. à son gré les idées des autres et de dG1Rin-er
sur les façons de voir, de sentir et de penser. On ne
-force pas même les i mpies à. déguiser leurs senliE~u~ents
et à se couvrir du IDQ.n~eaude la religion la ~lu~s si~i·
vie. En Utopie toute dissim'url:a,Uon' est un m~~e~son~e,tout mensonge est une fra~ude ma~ifes~le, e~t la 'l'aude,
de quelque' genre qu'elle soit, est. 'en'horreur. chez ce
peuple. La défense de d~ogmatiser publiquement et de
répa' .re leurs principes est la seule gêne que l'on
ir~apc~~ aux gens dont je parle on leur permet cepen-dant la controverse avec les prêtres el les pmon es
foncièrement instru.i1es, tant on. est persuadé q~ue.. lèslumières de ceux-ci illumineront leurs âmes, dessilile-
ront leurs yeux et feront éntiérement_ cesser leur fu-
neste aveuglement.
Il règne dans ,l'lie une opinion bien opposée à celle
des matérialistes et des athées. Le nombre de ses p~r-tisans est considérable. On tolère ce système, qui ne
manque, pas de preuves .et de .l'admission duquel il
ne peut d'ailleurs résu~ter aucun mal. Ces noebréux.sectaires soutiennent que les bêtes' ont une ~me s, ~uecette àmè, quoique très inférieure ii la nôtre et inca-
pable de jouir du même bonheur, est cependant sus-
ceptible d'un certain degré de félicité..
La ferme persuasion. où so~t les Utopiens que Dieu
nous réserve après, cette vie un bonheur sans bornes,fait `qu'i,ls ~erépanden,tj8B¡ais'delarmes,ue'duiraot le-
'f. Cette questiop, lortconti'ow,danl.Jeedi, ~coleapl~ilQ~uphi-~quer, a donné lieu 'de"'D~ee,di"'NafiOD' ~1.l'.de"D..eDe.8Itteèa originelemeot tnilée dena le~ ;$l~ts .ey $,npire d~i SoleUde'G".rano de Bergemc, où.e qui i'ait panie de la
ciJlIectloqde,VG,CI,darrs toua les tnonctè~.
vlé,_Y-A -,A,- L'itlfb 1 t-mm-- "T ~~·e~~
ceù;rs.e. lay$~adi~ d' :e~yn~ ~e~ ~e;.
leurclrapio: e.8t:tG.t.à'at¡tj~e6, àmœDJqU"t.neaient
vue mouri~-r a-,Y-ec7,regèet -ou ter-re~ur, ce qu'~e
r~ ~c~e ~i~~n`~ ~i~ a~ ,p~
senl~ q=~~=~~~y~u~nt:a.i`t .aR~c~`n~ ~es~~ii~ ~d~~n~
rn;i~ica~~e l'F~ ev-=quti~ .ct~ga~~t s~n~ Fdou~te
de recevoir lecb'A~.iiGl'D&dit1 .q!uehfueéDDI'~e ;'0,'a:¡'L-dont il se
sent-.¡:tcQuJ,.able.,)tspen8en'tencoFe
que Dieu ne geu~ ac~u~il~l~i`r..favor,~blernent éel~ui q~u~ique Dieu n,peutaccueUJ¡j,r.. ravor,n;bl~menL celuiqu,i,loin de voler dansaesbras JOl'sq.g'ill'a'ppeUe, pleure,
crie, se d~sole; voud,-m'it fuir à jamais le moment qui
'djiif '1~:Iê~jÎi'I;c,ftii-tèiBji;lès'.res.' en en
,lIè.êU' la. ;1II~rtdet:Qut:fafJmme'qui 'Q-ulitte :la vie en
d'êse~,pt\Pê.
Desq,g'¡,lafepmél'œit".e'S'1'9Cbesei .~esamis,.sàisis
d'e8Folet.coDltel1tês, sepl'Ol'lepnentcontre .,tel1'e,in.o..
quent le Dieu de toute bonté, -en poussant de profonds.
soupirs; Us leP.tuppliéntdé ne pas entrer' en jugementavec Ion serviteur, de lui pardonnér les péchés, et
suetout Sftde,mi~re,rai¡b1es!le; ,ensui¡teUspo,.telÎtle
corps, en terre et l'inb.ument" en observant.iI,nmoral
silence.
liais lorsqu'un brav~ci¡to)"eD'meu'r( 8ai!,men~, pleinde bonnel œu¥reI8't4'espéra¡nC6, ne croyez pas qu'il,
se lamentent à ses fu~néreril:l~s. Non, non. Au milli4en
des ch~nts d'aUégr8sle, ¡ils recommandent go~ r~mé 11
Dieu, ils le supplient de.la recevoir dans son sein. Les
corps sent
re~lli~§i`e~use;q~ue~=~~u~g=.u~b~es.y r; :lè~e ~l~ace(du-Æbt~l1ê,r
u~_n~u.oet'ItDe;SI9,~I*,Uêtte on '8t!a'e..ileJ¡~Ît~e8 "dtl~a~41I1t.
De" retour à lamu,¡.s'bn" .sêspal!8p,tsét les,mùpMn..
nent plaisir à Eaires90é;logettluèbre, enre.paaaaul(
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIEt50
toute sa conduite pufbli~que et p1'ivêe, sesmmurs, ses
actions, et surtout en exaltant sa mort, cornu~:e le der-
nier et le plus bel acte de sa vie. « Les louanges pro-
diguées à la mémoire des morts sont, disent les ilto-
piens, une sorte d'eneou,ragem'ent pour les personnes
de leur famille qui leur su~rvivent. De plus, pour n'é~l-re
pas visiblement l)résents parmi nous, les défunts ne
sont pas moins sensibles à ce tribut ilutleur. )b
Il est bon de vous faire remarquer que nos insu-
laires croient que leurs parents et amis décédés se
plaisent à se trouver au milieu d'ouI; qu'ils prennent
réellement 1)lace il. leur côté; qu.'ils les écoutent., quoiqueles sens trop bornés des vivants et ;,rincipa;leuaen¡t la
faiblesse de leur vue ne leur permettent pas de les
apercevoir. lis fondent cet article de foi sur des raison-nements simples et judicieux. « Serait. il juste, vous
disent-ils, que les bienheureul fussent privés d'aller
et de venir où bon leur semble et s'ils ont cette
liberté comme nous n'en saurions douter, pouvons-nous penser, sans les taxer d'ing.ratitu~e, q~u'i1s refusent
d'en faire usage en faveur de leurs parents et deleurs
amis vivants? N'est-il pas plus naturel de cl'oil'e' qu'ilso'oat point rompu tout commerce avec eux, que le
trépas qui les a frappés n'a pu porter aucune aUeintc il
leurs sentiments, et que la béatitude dont ils jouissentn'a da au contraire que les augmenter? ))
C'est d'après ces principes que les Utopiens sont per-suadés que les morts sont témoins dele..s dfi~o,utrs
el de leurs actions. lis les révèrent CG!mme &l1ltQ.'Dltde
génies tutélaires, et, assu'h4 de leur 9-eco~ur-o9 ils
marchent avec plus de congance et de fermeté dans
le chemin de la vertu. L'idée d'aillel1rs que leurs pères
VOYAGE A DUT-OP-1-E tl~1
f
sQnv~ouj~o~u~rs préS'DiU i"afD1¡i eUS8'umltp9u~les dé..
tourner de toute démarche qui pourrait exciter leur
colère en biessantJeurdêl:ieatesse.
Q-u4n, -t aux .,au,,frutes et aux.- autres pva~,tiques supen'ti-t'ie,uses :t{Q;Îont
J;ieucCt'ez;les,~tft'é~!Jitspe'QJ,le8dele,tlr
\'oishI4:ge, ilis 8 'eu maquenl. ;Poorlesnliirac1esetces
t!Y~Ilen'l~pjS s~U~l"na~~U~I~E'1~S qui arrivent sans le secours descauses secondes) lis les respectent comme autant de
preuves de l'existence d'un Dieu qui est présent partoutet qui gouverl1etoul. Us vous soutiennent ,même que-dans les conjonctures difficiles et dans les cala'mités
¡puhliq,Q;8J,.it .-lel!Ce,.J;eipp¡éltes:et de j¡eéiftcs, jils obtien-
nen:t8e~u\"e!ltt"d~ces,;nt¡racles,uljsaRt':a~ut1lJRt demar-
ques de la 'favelu.pal"t1cuUèredoltt Dje,tl,les honore.
Us ne son~t ,pus tous d'accord sur le culte,qu'on doit
rend~re à Dieu. LesuDs:prét:endentque la contemplationde ses ouvrages t!tles actes de reconnaissance 'quidoivent être la suite nécessaire de cette sainte occupa-
lion, est le triLut qui lui est le plus agréable.
U'au:tres,enfe'l't:gt'and nombre, poussés par un
cxcès de dévotion -d -un genre bien différent, méprisentles sciences spéculE~~iwes; ils renoncent, non pour se
livrer à u-nobonteute paresse, mais à J'.esercicecont,i-
nuel des œuvres de charité, pour prix desquels ilsatten.
dent après leur mort le bonheur des juslp.s.Les une
gardent et soignent les malades, les autres réparent les
chemin~ nettoient les fossés, raccommodent les ponts;
ceu~~cir~oy~d°eu~t~lre ".eu,é.mend:en&"1rt" ,a~1tNI,C}har.
ri~ea~t l~e sa~ble 1es gl;e;rres; cesu~1~~ ;p~~n~e~~it ~e~ ~oi~
déoha,pe,nteet les viVes avec. les
autres maté"iift!UC et avec lesprov'¡¡8i'0RSdomes'ttq,ues;
en un mot tous sont également dévoués au se~r~ricecl~u
v-Qx-~ ~·y~ t ~°~15!
public et Ii celui des partieubers, de s ,tes
'pren*a.U volontiers pour "des8easCJ1lÎ~s.Dtàd leu~s
gages, ou phutat pou:r de véri,ta'lesesGla"es.
On les voit con~tinu~l:l:ement se csh~rger ~a~eu~t ~~s
travaux lesplusruJfesel~'espJq8:jectJ,'4é.titut.,ee8
objets de détail qui inspire.nt au.a.g_teIJ~1ij'g80a
dégoûte ou dont les d~j.t:ftcultésJes 6,pou*àMëM; r-iënne
choque, rien n'hu.milie ces pieux zél.teurs.dubieA gé-néral. lii`algré leur exactitude à pratiquer des ouvms
si méritoires, ils ne blâment point le ge.~re de vie
opposé au leur., dont ils ne seOglorifient en aucune
manière.
Mais plus il~s'a'balsse!nt,1.48.'esi~él~i~pI"1eul'modestie se cache et se dérobe7 aux-
plus ce même public, pénétré ."une v~ve ~ec~ai9~a~ce,se fait un devoir de JeshQuorer.Ces d:êvets ~erson-
nages sont divisés en deux seetes. ta première gardeun célibat pel'pétuel, ses parl;isan9~ s'abstiennent de
manger de la viande; les rigoristes vont .Jusqu'à nevoqloir toucher la chair d' ~uçun *mal; .tGU5PeB8D-
cent aux va.nités. du siècle, au plaisifl¡4au'geœúxCle ce
monde, poùr ne s'occuper .quede.lrettrsatut,et' mépiter,
par la ferveur de leurs pri-6r~es et de leurs
pén,¡ten~I,1a gloire é.ternele après laquelle 'ils necessent de soupirer. Ceux qui suivent la seconde secte
One sont pas moins jaloux de 'se rendre utiles par leurs-
veilles et leurs travaux; mais, pQur renoncer aux vains
,amusements me i*ls -nedevoir~s ,d.lux de jlg:iappl1IP&enir,euc:GIe,'ar'.fes'¡lien.du mariage.. L'h~JDm~ dlise.IÎl&,B.est.,pas aé:péurvivre seuEl; on trouve
.dtegteucles" o,es8oun.es:,4epuil-sa`a`tes cGn,olatioifts da,ns 1'i~nstériëu~rd~e~so~n.êhtBe, et
~nC.p ad N ~s
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le~ a~~ab~ -p~~cé ~i~ :cr~i~ ~e~e~ e~
Hlom_euS,i~pa"D1lnoùs :«Laê1Îa¡:r'nèÛ¡~ttle.iêlfa-it'.»
-Les -'U't'OJpi'8ns,.f;outenhelÎorenfcette'séoonae's8cte,ont un respect,tus.g.mnd.enco.e. pour 'la,re~¡iêre~ On
nomme ces dé¥olsctUibata,j,res ~buthresgues; nom qui
d Y J non, v~; œ ri kt. :d
~ou~;r~e =r~`~~e~n~. ~t~,er ;s~ ~é~y sa~e~y ~e~c,i~a~â~~r~e. or~ ~~s~ ~~a~~e~
villeri~en:'èQ_i;'à",JJJ,q~e-;de_têi~p1.ês, _,gi~è:QJ~}().v-
~noin~~~e ~a~eize; ~n ~~em~sd~ .g~uér~, ôr~~eu çl~~lsi~tP~sep~
des.t-reiz:epour'Jervil'.4"aulllôn;iersdans 1':à'lPêe.'¡Gnles
remplice,p8l1' sept autres qu'on ordonne ',u.l"ba,mp.Ces derniers n'exercent les fo"cl:últ~ du sai~t~ m~ini9-
tèJe41Uec;;M$4!f.t'.¡a.flW'"des¡,remiers, a.1IS1l:JJ~1'1Is~1s~pt
ohli.i;sf1e.M4jfecleut,1t1ce; pourelu.~{¡.sreDir.ent
dFa~3 te1l,r,pl'éQ(i,er :em,ptoio.Qse1'em -9:~u~: :les ~eu=~c
ou so~us ~les orc~es ,~ancï ~r-~tr~ ~(ca~ ~i!Is en ont u~n),
jusq:u.à. ce c~.u'i~l9ë trouve un. béné0ce vacant.
I..es rri~i~~i9t~ésde l'au.tel sont -élul,coQ1¡me',les autres t
magistrals,p. le peuple, et à voix 'P.; pourév-Î,ter'
to ute partialité.
I~is ~sô~ =o~¢p~aé~pa~c lé~s ~çc~~si~a~s~i~~ues~~de ~~éu~~
col~eges.~~Le~s~pr~é'~s_ao~~t=~es:~seu~~en~~ç~s~~es~ar©~~dte~~en=
tkrêl'i~lfa1Jê"'He$.S~II.~s.lt;t;ien a~~re~cenae~~d~é~i~eur~p~ï~ltqués~et~âr~i~cul~i~ré~.i
si~ienql1'oD"eCGRt1'.ttpa8de,tu! ~aTld;.dê8hGn¡h:ëUr
VOYAGE A I:L~ U 01~_I~t51
en Utopie que celui d'être cité devant leur tribunal,, c'est
la preuve d'une vie criminelle etd,issoloe. l.ap1ds~'ance
spirituelle se borne aux simples correcti,ons verbales,
aux avis charitables; lapuniti0ndes scêlefa(<sest.en-
lièrement du ressort de la pulss~nce tempo:rehe: M:ai9
si les prêtres n'ont pas le. droit du glai ve, ils ont,
comme les nôtres, le pouvoir de lancer les foudres de
l'excommunication, armli terrible et qui inspire aux
Utopiens la plus grande frayeur. Elle couvre d'opprobre
tous ceux qu'elle frappe, elle les expose à de cruelles
agitations, à des remords affreux, s'ils ne téf!1()~J~_ll~~t
au prêtre un vif et prompt repentir. Le de
leurs personnes el les traite comme desim¡pi-es, COHl,me
des inrâmes blasphémateurs. L'éducatiom derla jeunesse
esi confiée aux prêtres; ils sont moins empressés d'en-
richir son esprit des plus vastes connaissances que de
former ses mœurs à la vertu. Leur premier soin est de
verser dans son cœur, susceptible de toutes les impres-
sions qu'on veut lui donner, des idées extrêmement
saines et toujours utiles à la république.
Ces idées, qui se développent et se fortifient avec
l'âge, portent avec elles un caractère ineffaçable; elles
sont la base la plus solide sur laquelle reposent le salut
et la prospérité de l'État. Et, en effet, quelle autre cause
assigner à ces révolutions qui changent les corps poli,
tiques que les vices qui circulent parmi tous leurs
membres? Et ces vices, d'où proviennent-ils, si ce n'est
des fausses idées qu'on iRcu.!lf1u!eauxeu![aolts d = 4 s leu:r
plus bas âge?
Le seae n'est point exclu de la prêtri'se;Cepefld8:llt
on l'élève rarement aux ordres. Il faut que les person-
nes soient veuves et âgées pour y entrer. Les épouses
vv
des,rê',bre8sont_les-{emmecslesp\v.sacc~\ÎIt,tiesdeta
nati0'Q.J;ISQft"lef)roi,tde les ch,oisil',ettoutpère
del.fille"se tientfort.hoRoré c~'u~ne ~a~e~lo alliance.
~cs-tr~.s ~~sont .~les ~tgl~r~~s 4du p~s. ~~4~~~esq~~ls
on .le:p.lus n
piensa.1euregardesL ~tel qr'~u~n pr~tre .co~u~pa~ble de
quelque forfait quece soit n'est point justiciable du
bras séculier. On remet à Dieu seul lapuni:tlon de
son- crime. Ils pensent qu'il n'est pas permis à l'homme
de porter la main sur un de ses semblables qui a été
consacré à Dieu d'une manière si particulière.
,p~i~i(è~~c'cll~~tt'~t~F ..atrcU1I4rlTus'd/iuger,ellx.
D7a,botd"~lès.z..prê,ty.es -sont'en tlrop :peHt'uoimbre:;oRilesch8i~itavec tant decircousipection,etil5 ont si peu
d!¡'Dlluence dans les affaires du gouvernement, que
qualld bien même ils tomberaient, tout à coup de la
haute vertu dans la bassesse et dans le crime, ce qui
n'est pas impossible vu la fragilité de la nature bu-
maine, leur corruption n'aurait aucune suite funeste
paur.la.re:publlqua.
C'est pour conserver. au clergé la diguitéde son
ordre.qu'ils.se sont fait une loi de ne point le multi-
plier,l'avilissementétantuResuite ordlnai're -de la con-
fusion que le trop grand nombre de sujets, parmi les-
quels il s'en glisse beaucoup de mauvais a introduite
dans un corps quelconque. D'ailleurs on exigetnnt de
vertus éminentes de ceux qu'on destine au sacerdoce
q~u'elèsa,s,rAB,t$. -n;esQnt.iP'asfért.c01fil.~RS.cons dé-
Les-p~bl'es.1.tt6Ipie!RS J:0uissent.dê'1:amt'lDeco~s,ilde-.
rat¡~In:ètélû.ê.eeridJiltcb~lz.ltesI1WlfiQ' iétmflgêr.es
qu,edans la leur. Je crois en avoir trouvé ~a rai~$on·
Pendant les combats ils se tiennent à l'écart et, revé.
VOYAGE A ~'Ih~. D'~TOPI~tS6
tus do leurs habits sacerd.~tauJ:, le genQuenterre, les
mains tendues vers le ciel, ils lui adressent de ferven-
tes prières pour la prospérité des armes utopiennes, en
le conjurant toutefois d'épargner le sa'ftgl1¡u1Rlaln. La
victoire s'est-elle déclarée pour leur parti, ils volent
au milieu du champ de bataille, ils parlent au DOnt
d'un Dieu de paix; le carnage cesse aussitôt, et les
vaincus ne trouvent 'plus que des amis dans les vain-
queurs.
Il suffit, pour mettre sa vie et ses biens à couvert
de la fureur brutale et de la rapacité du soldat, de
crier au prêtre: quarüer de toucher lesfral1gesde leurs ornements et de baiser leur robe. Ce ca-
ractère auguste de douceur et de bienfaisance im-
prime sur leur front celui de la majesté suprême; il
leur communique tant de pouvoir sur tous les peuplesde cet univers qu'ils ne sauvent pas moins de com-
patriotes que d'ennemis et d'ennemis que de compa-triotes-.
On a vu plus d'une fois, dans ces circonstances dé-
-espérées où les troupes utopiennes, accablées par le
nombre, prenaient la fuite et se trouvaient exposées à
la merci de leurs ennemis qui les poursuivaient pourles massacrer, les aumôniers de l'armée pa~aftre toutà coup au milieu des fuyards et des vainqueurs, dissi-
per la frayeur dés uns, ranimer le courage des autres,les rallier sous leurs drapeaux respectifs, et alors, oble-
nant la suspensio'lildu co¡m:bat faidre so}e¡IUi)eJ~enle'Dt-
jurer une paixqDi faisait de part et d'autre" le bonheur
d'une IOBgDe suite de 8énéra~ti0IDS.
Une remarque que je ne dois pas oublier de faire,c'est que le corps des prêtres d'Utopie a toujours élê
_c:;?~):?~{~' ~>,~?'f
y Y s `~ y-.€~ r' -st kr-
~2~
-4.a~i!"D "A:~n~¡I'¡I:i1;7G,cCA\t'I"i" )~il- 1 ;I\:~Y,W-A~P_ 7-1
commere~ai'4é,cBmœ -i~'la~b1e-et--s~eN'Dr.lel_eg!p1e. -le8
pbJ:ssatl'vO;gesetlf3s.plustial'bar~s-dêceSc0Bt.es.
Les p~.e ~miers et lesdern~em j~u~c~ d~e cb~q=ue mois
et de cllaqu~.af1:née sont les seules r~t.es.des,VtOtljens,
Le la-lt1tQec..èg,l(ii~s'n)'Qiisfta-r,évo..
In -du so\lell-llxecelliede-l'-année.<Us:appe:llent en
leur langue cynelwibneç les tètes célébrées les pre-
miers:jours, et tra~e9nexne$ celles des -derB~er.s jours,
mots ,qui dans notre languesÎgniOeraient première et
dernière fête. On trouve en Utopie des temples aussi
remarquables par la beauté mdle de leur architecture
.que--p,ar-leul's~ecencelut'JDail~Hs-9nt;cp,.u--nom-
hÍ'eul,etJI.5.s'ézo;bs~u:rs~~e.êfà'ut.ae-'Ch~t¡~'qj~Óo,o;o:r-
rait attribuer à -rig,oora:'oeedes'alrch!Íeç1ïe5, -uevlent
point dèlellt' part, l1Ja:¡sc'estpa'rleceDse:i¡l'd'es~l'êtres,
qui peu~sent, que dans une église trop ,éêla:Î,ree on -est
sujet à m'¡,Uedi.stractions; au lieu que dans un temple
sombre l'âme est naturellement recueillie et s'élève-
comme d'elle-méme vers Dieu, qui est la source de
toute lumière.
Une chose assez difficile à croire, qui"ce,pendant est
très vraie, c'estquelesd¡i;ffér.en:lspaTtisaDsde toutes.
les reti,gi~nsdupayss'assem;btentpêle-mêle dans les
mêmes églises, comme se pro~posaEn~le .mêmebu,t,ql:li
ect, d'adoreretd'invoquell r£tre su,prême. A cet effet, il
Du se trouve rien, on ne pratique aucune cérémonie
dans les églises qui ne convienne également à toutes
les sectes; qÍQ:Q;Il¡tau;e¡tlll\t<e1p\t'~i-e.u!lier!.e\cdI8lqg\u'rC'.Q,C.e,
c:)¡aeuIB-.ataI1h'e~t'é.de'tepr.a\UÍ'Brer~4ü.ftSiSâ-'mlJiHD~
sei°.n d:e sa~fa~n~É~e. Ler~ure~~ des cér-6 eue
est si saie,m:ènte,rdiénnê qjU"il'8'~ecê.Nleentou:tp'Gift.t
à teutestes cé~rémo~ties propres à chaque culte.
!â8 VOYAGE ,~1 ~'1L~ D'UTOPIE
On ne voit dans les temples aucuné i~yage de l~a d;j.vi..
nité, afin que tous ceux qui s'y rassemblent puissents'en former l'idée que leur religion leur en d~on~ne, lls
n'invoquent point l'Éternel sous différents -ne, :tou~s
l'appellent Mythra, et sous ce Dam;, uoi-"ersellemeo!t
reçu, ils comprennent l'auteur et le maUre absolu de
l'univers.
Les formules de prières publiques sont dressées de
manière que les différents sectaires peuvent les réciter
sans contredire aucun article de la profession de foi
qui leur est parLiculière. Le dernier jour du mois ou
de l'année, les Utopiens se rassem'bh~~nt à l'ég1:ise vers
le soir, tous à jeun, pour y o1frir à Dieu de solennelles
actions de grâces.
Le lendemain, dès le grand matin, ils y accourent
encore, pour supplier la divine majesté de leur accorder
un bon mois ou une heureuse année, qu'ils commen-
cent par cet acte d'adoration. Le jour des dernières
fêtes, avant que de se présenter au temple, les femmes
se jeUenl aux pieds de leurs maris, les enfants aux
pieds de leurs pères; dans cette humble posture, ils
leur font une confession générale de leurs fautes etleur en témoignent un vrai repentir et leur en deman-
dent pardon. Par ces actes de soumission, ils dissipentles nuages légers qui s'élèvent tous les jours dans les
ménages les mieux réglés, et ramènent cette douce
sérénité qui fait le bonheur des familles.
Ils n'assis,tent jamais à la célébration des saints
sacrifices qu'avec une âme pure; ils n'appréhendentrien tant que d'entrer dans le sanctuaire le cmur en-core tout souillé des taches du péché.
Un de leurs premiers soins encore est de se récon-
.VÓ'Y'AGcE..A.L'l1L8'.D'1!J1;0'~11 tUB
c,iUe,r avec tous ceux C6fttre- lesq\ue:lsits pourraient
avoir d-es 9 i,ets de colère etd'anlmosi:téjUs craindrai ent
que la justice divine ne les poursuivit au sortir de
l'é.glise.,s'ilsavaient 1'4,ud~ace d'y ,entrera¥ec uneœu'r
ne r~pi.ra~rst q€u~~1W~i=ne et que v~ngea~nce: ~Dans l~es
te'l11:p108,-la place des ham'mes est à -d,coi~te, et cel'Ie des
feQlDleS est à gr~che. Les garçons se mettent devant
les pères, les filles sont toutes rangées sous les yeux de
leurs mères, qui ferment le rang de chaque farnille
réunie. Ainsi les parents sont à portée de voir tout ce
qui se passe; et ils conservent à l'église la même au-
to,.ité,le;œêlneud1!():i\t-de d!isei,ltneqQ'Us o'Ditàllamai..
soo.OD'ocplace point tous leseafants à côté les uns
des autres, mais un mêle les ,lus je.Desavee de plus
âgés, afin qu'ils ne's7amusent point à babiller au lieu
de prier, de se recueillir et de se tenir à l'églile dans
cette crainte salutaire qui est le principe de toute
vertu.
Leurs sacrifices ne sont pas sangla,nts, parce qu'ils
pensent que Dieu ne se plal:Lpas à voi~r couler le sang
des d,if1'érentsanimaux, qu'il n'a créés que pour peuplerla terre et Yivre l'espace de temps qu'ill leur a Olé. Ils se
contentent de brèler de l'encens, des parfums et surtout
quantité de cierges. Ce n'est pas qu'ils s'imaginent que
cet appareil peut ajouter quelque chose à la majesté
divine; ils savent parfaitement bien que les vœux des
hommes ne peuvent même augmenter sa puissance et
sa glo1lre; mais ils tvo.ûFwen~td~4n~scecQ'lrteUsi¡mipleet pur
une vertu secrète qui les attae:bee't,olid'ifspose leur
A.lDeà s'éle¥er vers 1,,eC'ré8Iteur et ~~ileu~r fournit
ainsi un double moti~f de zèle et 4' ét(!iftcation.
A réslise tout le peuple esl vêtu de blanc; les robes
"L,.:<
~1~:"I"I><3.t.l~<
f-5;
Vf) Y'A'~I~Ai.~t1;}'~W"'ttt-
des prêtres sont DQlDœeS. clea¡'It",dJéür8,_etFa~
vail en est précieuz~ quelque la lILatière en 0 it r t
.commune. On n'y voit Dl' roaerles ao're d'argent
ni pierres fines'; elles sont USines .i¡m,pleQ1ent de
plumes d'oiseaux, maisavle 1.0\t -d~t et, e,
qu'on ne saurait ~~briquer 'd'ét01l'e .d'un --p4-"à', -Pr-lx.Ces plumes et leur arraRlemenL sont 8yraOOUq'ues.
Les prêtres ont soin de développer au peuple le sens
moral caché sous ces divers ena~bl°èrnes:
Tantôt les différentes nuances de ces plumes préseo-
tent aux fidèles une haute idée des bienfaits que Dieu
verse sur la ~.publique et sur leutSc.Pf.9p~~p.ers8IU1e8)tanlat ils reconnaissent en cUes.t'i(lI1a~ê-'dela:pi~lé
qu'ils doivent avoir; ici cevêtemeut 'sert- eùeore â ies
ave~li~ de leû~rs devoi~rs réciproques, des secours m:u:-
tuels qu'ils sont obligés de se porter; e'nfi, n il n'est pasane seule plume, dans ce saint vètement, qui ne les
rappelle au souvenir 'de quelque vertu qu'elle désigoe
particulièrement,
Dès que le prêtre, rpy-ét-u de ses bahi~peDti80"'J:,sort de la sacristie et s'avance venu l'aotel,to.ut le
peuple se prosterne la face côntce terre; le profond'
silence qui reine alors inspire une sainte terreur. Il
semble que Dieu remplisse tout à .coup le temple parsa présence et qù'aucun de ces p~eul mortels ne puisu
lout.eD¡r l'éclat majestueux de son front. A certain
signal que fait le prêtre, tout le monde se relève, et fonehaDteaa son udesi'D'm;e.~u. J:es'I"u8llJPs~dll.ten~i~:La plupart de ces ÎQtlQ!lteati~'éll,t'dltêNllltI8;'i~'S'n6Lres. ceux qui eDnap,,$CheetJe"pIIU8soat:sup1.u,1'I'dfuwc8té de l'harmonie et ._to,uttle.latlo:uicev¡.Let
autres ne .a:auaient 1Ouft'rit _UCUBe CGlllpuaÎllô alvloc-
a· r~
r m1~-f
'·
~CÂ~ F ~~l~r a__r
ceux aèQS-.l1(lU.SèrVCiDS~'Au"S~rp,I;SflaiDQjjq~e'
cles{1¡te,pieDS, soit pour l:~ partie du cha'nt, soit pour
1 -a sym-pb-om*e,l'ennporte de beaucoup sur la nôtre; il
.'D~é"t"$~,e'Î'bl~"a'èDltr~nÍrer~gne:q.u¡ "penfe,l'ut.ê une
.ex;pre~s~iQu.-pr~.u~ na~u~ne~l~lede~ a=~ectio~~de ~l~~ae ~,t~de
l1os,pass.iops. Pe~int!"eUeleshulÍ1tilesc's0npirsd 'unedru.e
qui sâbaisse devant son Dieu, eUe fait couler vos
larmes; peint-elle la gaieté elle vousravit; la tristesse,
elle perce le cœur; la colère, elle vous transporte et
vous fait frémir; en. un mot, celle musique..pénêtre,
échauffe, embra,se partout on .tingue les accents du
.~s~p~¡'~e~;t~fJúr~ltQ.éÍpJ'itl1~p.lWtQÛ'~ol)yrecoRnat,f le
JaJJJl~e'lIÎê'D1edès'iursSions..
A'prèsle.cbal1tJJe:,ast~urettout;lepeup1eréci,tent. des
p~iècës solennelles', cojhposëes de manière que chaque
fÎd4le' ri en pourrait dire d'aulTcs,en SOli particulier. En
voici le cdntenu: C( Died iÓnn~ ,éternel et tout.pui8~ant,
Créateur-de l'univers, ~uteurde tous biens, daigne re.
cevoir lestrès«liumbles ariioiis dè.gr~ces que nous.
fofrr.ons,pou'r toùs les bienfai~;s que tu ne cessesde-ré.
pandre sur nous..C'esltoi seul, 8. mouDi~u qui nous
afaU, n~ltre.danslap'ltls 'sllgeet'la..plusl1elu'euse des
républiques et.d~nsu'Qo. religion que tout nous engage¡, croire la seule v~i~üab-le. Si cependant nous sommes
dans rérreùr sur, ce dernier article; si quelque autre
-culte t'est. plus agré'able que'le 'nôtre, ah Seigneur,
d.~i¥Jl~~()!l~ faire connaitre. l.tJ'~I1Ç dislip"f les té-
11~J)"stJû. it .:e~em,iiR
f¡1J:e'nQUSare¥on,'PJ!ebln" }t,r(J~~8~~lmes~pl'êtsà.te8Ùtwe
J».fécU,taù.tll V01ntFa8Ro" ;~erv,irlà8it¡ide.~ai'i
JilJ)ussof:llmesdaD~l~beDcbemiiiRJ s'ii'est vrai que'netrt1'
.go.U\e.rnement soit le plus. parfait. et notre re)ligfon la
VOYAGEA L'IL ED"'U'TOPIEt82
plus sainte, donne-nous la conlance nécessaire pour
vivre et pour mourir dans l'un et dans .utre d'a.jgne
aussi, 0 mon Dieu r inspirer à tous les hl,&1.~I'lesl'a1ftiU¡lg,r
de nos lois, de nos usages et de nos coutujmes; daigne
les amener à notre foi, à moins que, par uaesu,itede
tes vœux impénétrables, tu ne te plal$esàce'Ue variété
de cultes par lesquels on l'honore. Sois seul l'arbi=tre
et le maUre absolu de notre. vie fais..nous la grâce de
la passer saintement à tes yeu~; et quand il plaira à ta
divine majesté de nous appeler vers elle daigne nous
accorder la mort des justes et nous r'3cevoir dans ton
sein. Mais, Seigneur, nousosons te le dire avec confiance,
la mort la pl us douloureu$e nou9 paraivt pré~ra~~e
cent fois à la vie la plus sensuelle, si cette mort nous
met à même de jouir au plus tôt de ta présence seul
objet de nos vœux et de nos soupirs. J)
Cette prière achevée, ils se prosternent de nouveau
après quelques minutes de recueillement, ils se relè-
vent et s'en 1~'ollt faire leur repas en commun. Ils con-
sacrent le reste de la journée aux amusements de la
socié~é et aux différents exercices des armes.
Je viens de vous faire, messieurs, le tableau le plusexact qu'il m'a été possible du gouvernement d~Utopie.Cet État est si bien réglé, si heureux, que lui seul me
parait mériter le titre de république par excellence.
Dans les autres États le bien public est l'objet de toutes
les dissertations de nos grands politiques mais l'in-
térêt particulier est le mobile de toutes leurs actions
et l'unique but de toutes leurs démarches. En Utopie,au contraire comme ôn n'y connalit point les propriy-tés personnelles, chaque individu est obJ.i,gé de con-
courir nécessairement par son travail à l'inlérêt com-
'I ~i 1 ~t~'iotr~i_tf'~I.ul",I1't'Q:t- las
mQD.COB¥eneD8,uecde,a.t'etd~aut"eR..tfol"
prudem¡ment"QUlj,néta:j¡t,en'Clret, que dan .9 tOUt 8i1(iN
étl1;t,q:uef~~tl6Piss""t.jt~~lÎlt,si.Qfl. 'a'JtsJap~tio~n d~e 9~an~ser ut~ ~â8~y~·
U~Ul.cIi.e";a.j'~er.U¡Jllitl'Q.ltŒf"urJJ~Rih~oft.(18!U"&de rir ~~ev~'a~~~?
fauit 9,M ~in,41gré, su.i,v'reb. Jari'8ueuI'ce principe :c'ba'ri¡téJ;jjen or-donnée
commence par,soi-mtme. l~l f4ut,s'occuper deson propre intérêt
avant de songer à celui du prochain·
mais ici, où tout est en com~nn~u~n, Il 'est..onpas bien
r
fondé de croire que personne ne manquera jamais derien, pourvu que l'on ait-soin -de -remplir -Jes{4feaic.s
et d'~p~ro~o~~er~ ~~s ~a~s~p~ice ~rn ~n~~ ~cô~rn:~i~t
Po la~t .191NU-st,,e 'rép~tilt¡'0Rdesbions .;08 'D'y voit nipauvre nilllendiao,t, etlQU'S sontélfl!le,ment richessans rien
possé4erenpro;pre. A -ier sensément,qui peut à meilleur dl'oi,t .~e flatter d' ét'r~ opulent, sinoncelui qui, toujours pourvu d'un ample nécessaire, voittranquiUelnent s'écouler les jours sans craindre que lesdures eat~·émités du besoin viennent jamais altérer lapa-ix dont il jouit au sein de ses -.foyers ?
Qui peut se fl~at~ter d~P mene~· une vie plus douceque celui qui la passesaos redouter le-3 plaintes dou-loureuses d'un JUs
qU.iJftiRgUÏ(, les rep,roches amersd'une femme qui sent les approches de la misère, lescris d'une fnle qui voudrait' se marier et qui n'a pasde dot? En un mot, quel homme ici-bas jouit d'un plusgrand bo~eurq~~eJe,cito~èD,qui¥0¡"ts0n hÏ'e¡I'I-'ê,t',e,.ce;lu-i dEr'sa
f~~ïElEl~ et de ses el1¡faulls ass:tIlre Jusqu'à la
d=e~n~ièFegénérat~i`on
Btquel gou'veroemeat. encore plus dign, e de nos élo-6ges et de nos hommages que celui
q~u~i pou~rvoï~t éga~e-ment à. la subsistance et de ceux qui travaillent, parce
nVOYAGI A L'lL8 D'UTOM
f
qu'ils en ont lé pouvoi.r, et de, ceux qui, aprèS avoir
employé leur temps penda!ot ~umbre d'années, ne sont
plus en état de Outon ose co~an~a~re~rune
4q..itê si pa.rtaiteà celle de tous ~e~ aut~re~ ~rne-~
ments. Quant b. moi, j!evcuIIOQuri'f ,ije'l'ou" ¡.t'euirs
qu'en Utorie la moi'nd:l'e ap:parence de justice. Et, sans
M94p.pesantir sur ces-tains détails, je vous demanderai
ici pourquoi .un gentilhom.me, un artisan, du luxe et
une quantité d'individus qui passent leur vie dans une
honteuse oisiveté oô qui n'exercent qu'une pro,ression
absolument inutile il l'Étal, je vous demanderai, dis-je,
pourquoi ces gens na8èutda'Qsles.~Ucese"raben-
dance, s'ensraissor~t, au sein de la nobl`esse~el ïl€e l`a ~o-
lupté, des fruits de leur coupa,bteparessQ,tandisElu'u-n
valet, un laboureur, un pau-fre jourri~1ier,' supporlent à
eux seuls le poids de ces pénibles lravaux sans lesquels
un État .ne saurait subsister une année,
Mais ce qui me révolte, c'est qu'en. stépuisant de
toutes manières à porter celotir0~ fardeau, ils trouvent
à peioeà gagner leur pain .¡c'est qu 'j¡lstrotftep-l. une
vie si misérable. que le sort des chevaux, des bêtel de'
somme, me semble préférable ~\1 leur car enüv ces
4mmaux essuien1 moins de fatigues, et prerinèni plus
de 801\1 11leur fourrage que nos mal'heu,roul n'en pren-
neut h leurs mets ordinaires. Ajoutez à cola que les
bèles de somme vivent sans souci, sans inquiétude, et
sont. exemptes surtout de cette crainte si redoutable
de l'aveDtir.. D'a"rès' ges eDl1sidêp.lie1ls"ouNie~.veu~
ne pas conyeniir ql1'ilvaudraiitlBieu~ .Rat'Fe chëva-1 que
naltre isn~forlu~n~C0'lDme ceux dont je voûs pà~te'l
Tout les dÓso1le, tout les accable. Que de<pel'p"~3dtés 1
que d'angoisses 1 Ils succontbenl sous la nécessité
z
;tY~~¡.¡.
~~i
_k_ r
~n~ ~e~ v~ yu~
~`' Yg;~ w 1~=! ~~u~~~en~ Ca,.ieill.
pau¥Net:iQ1fUme"Jle. m.»qu:eab'.otud:e, teut,le)1D_¡.i.el .1'¡:lisJI!!lQelJt..IUli!ttlins6,_les' Jamisèra,Ces
idéel, iflH!i'se:'N"o.eD1IJaal~e'8eôateU' ~elprit, -3
lywt ~e ~ao~~ ~e 1~_u~~i~a~ ~q~ui lèu~r ~Ant so~a~r -e
mortssanales.'oéantü.
peutx~t~ ;peQsez~'o:u.,qu'au,mUieu de tant d'assauts,
1'e$pé~ance les console et adoucit leurs maux ? Non,
te maiÇueur op-inilifte a detruiitcbez eux J.sq1u':au -germede l'espoir. Leun gains modiques pendant leur jeune18e
lurQIe.o1-4:~peJllO~à~lU'JSt4IJçe.,CQ¡Q~p&
1'.,n,ien',\t.1.!I'R. ¡"JIIIA. .e.H_< :ag.''e. :ê~tr,un ..¡DI.'A! ,A.01:
-retraite ttd'es 'N~e.t..it
.paS:hOD'èqè:pG'11r.'D8.Q.eme!meDt"Q'.est~OD pas en
(ll'Oi:ld'e -repwber,sa abi-r-,e ïn' '0, ratïitude te"oR 10
voit répandre a,ecp"'l1tionS88 grAc8.llIr.Leu81es
ar,Usa'nlde8 ,pla,siNe,tdelamoUesle, .taDdi.'qu',jll terme
ses mains ~Yare8 pour tous les malheureux, et sur-
tout Pour 4e :lacamp.8.8ae"dootJe ~la~.e:ur eo~~i~.
et accabjant o!'ssuœ.sé"l ;J~ ~PN8pêri'ê'& l'Etat'.
C'est -donc :1=h,au .eilnc1~URe .i'8.a"e,at~ie",ue -des
,milüeN.t4f- -.$'Oj'.a8..yoat. conumer leur
je.uaesS8, le.roœese& :leurIUlW.
de forçat, et qu'ils verront, sur :18UI'. vieux Jom, la
paLpieouhlier leu-ro servides et leur refuïer la eubsiom
tance qu'U.auront. acquise à la sueur de leur front
~I~sA'~v~e=n'ua~~p~s l~eA~Qre ~~e~o~~e~ -d~ 41i"
z~e _~le ~l~ r~a~~i~të ~~e ~c.es :~e~ë # f~
cha..e..i:our'1pDlteDt :une'tlD8ÎD.¡,.a.urt'I:
..p,bblit., ,rÓu1e.tcejpad\_peqp'par~4es"ek.Jio.
t1corl,ières, ou par l'abus qu':Îllfon\c1ele,u'f'auen;téi
t66 VOYAGE A ~· D'UTOPIB
pour envahir son patrimoine' Que daire de ces gens de
fortune qui osent ériger en vertu l'ingratitud.eenvers
Je malheureuJ:, et l'impitoyable dureté avec laquelle
ils le traitent, vertu atroce sans doute, et qui, dans un
État bien policé, n'échapperaia point au ch~tini~ent
qu'elle mérite ?
En vérité, quand je considère la plupart des corps
politiqUt;; de notre monde, je n'y vois qu'une conspira-
tion perpétuelle des hommes puissants, qui, réunis
sous le nom de république, ne songent qu'à tout dis-
poser pour leurs propres intérêts. Tantôt ils ne s'occu-
pent qu'à iiiveiiter nlille artifices, pour se conserver la
propriété de ce qu"ils ont acquIs. par des voies illicites;
tantôt ils ne cherchent que les moyens de profiter des
misérables dépouilles de ceux qu"ils réduisent à la
mendicité. Ces conclusions révoltantes, qu'on a l'art de
faire autoriser par le peuple, c'est-à-dire par les pau-
vres eux-mêmes, qui forment la majeure partie, ont
partout force de loi.
Mais enfin ces l~ommes avides et insatiables ont beau
entasser, ils ont beau dévorer entre eux la subsistance
de leurs concitoyens, jamais, non, jamais leur gouver-
nement ne jouira de ce bonheur si pur et si doux qui
semble destiné à la seule république d'Utopie. Le désir
de thésauriser n'y est point connu, parce que l'usage
de l'or y est absolument proscrit. Éteignez cette mal-
heureuse soif de l'or, vous verrez .bientôt disparaitre
.le déluge de maux qui inonde n.o.t.reglobe.
Qui peut ignorer, en effet,, que po.Q¡rtariif lia source
des ,oerel11es, des trahisons, des fraudes, des rapi~nes,
des ravages, des em,elsoDRem'e,R,ts,d,es assassil In ats et
de tous les ferta,i:Ls qu'on pu,nU, mais qu'on ne peut
v~~A~i~ A ~l~:L.~n~~v~v
arrêter.pardessu'p,plic_es,il,nefaud,rai:t>qu'ôteraus
ho'm~JDes la propriété et -l'usage de l'or, et même
anéanUrce funestemélal. je d.,is-pi~u'9-:faites dispo.il)8ittre
1'~Qrd~~rufi~3ie.u=deuQUS,, vou9 fer~z -en ~y~~oter~àp's
parQltrecette.'ou~ede 'so:upçoRs,.de'so1lcis,de'trav:aux,
de..craintes.eL. d"a~larD1es.qul'.tro,tlblent 8.i..tréqllem~mentla sérénité de nos plus beaux jours.
La misère elle-rnéme, qui seule paraUavoir besoin
du secours de l'or, la misère diminuera peu à peuet cessera bientôt de nous faire éprouver ses tristes
effets. Pour vous convaincre de ces vérités, examinez ce
q~ui se-_pasrse d~3ns ~uae=d~eces an=néés de ~9isèt ~te o~tt g~
sieu'rsœÏilliersid'~¡'n)foritunes meurent de. Je 1parie
que si on visitait, au bout de cette année, certains
g-renierset magasins, on y trouveraitllu blé en assez
grande quantité pour remplacer, 9"il ed~tété à propos
distribué, ce que le Ciel avait manqué de verser sur la
terre. C'est ainsi que l'or, employé d'abord pour nous
aider dans nos besoins et nous faciliter l'acquisition
des. choses 'DéeessaÎr.esà la vie, est devenu, par 1'i-
di té de quelques-uns, la cause des malheurs communs
et de la perte publique,
Nos financiers ne peuvent aller iL l'encontre de ce
que je dis ici. Us n"ignorent pas qu'il vaudrait beau-
coup mieux ne point manquer du nécessaire que
d'abonder dans le superflu, ét.re affranchi de tant de
maux que d'être environné de tant de richesses. Je ne
do;u4e p=Qi1f1ltqtleq!l1la~d'hieR 'Blême r,i'o¡tér.êî._éà'ê¡rat
n'auraitpasé;té U'DMO:tiIC..a,ssezpü¡iss'an¡rpouraéter,mi.
ner 1=es au~~res nâiti~o~s à prendre le système du gouver-
nement tÎ'top:ien, l'autorité seule de Dieu,qli,4ansJes
décrets éternels de sa providence et de sa bQiité, veut
168 VOYAGE A .i.'li~~ ~U~~Q1~I~L~l
toujours le mieux possible,~ùt suffi pour l'établir chez
tous les peuples, si l'ambition, cette ennemie Jurée du
bonheur des hommes, ne" s'y fdt constamment opposée.
d'est elle qui a toujours ~attaqué, combattu, détruit
ce bonheur, toutes' les fois qu'eUe nous a vus J>rêts "h le
saisir. Cette orgueilleuse souveraine porte la tyrannie
au point qu'elle ne D:1esure pas la satisfaction persori-
nelle sur ses avantages, mais sur les désastres et les
calamités d'autrui si bien qu'elle renoncerait des' ce
jour au titre de déesse, s'il fallait pour l'obtenir qu'elle
consentit à ne voir dans l'univers aucun infortuné au
malheur duquel elle pAl" insulter.
Remarquez que l'ambition, toujours fière et cruelle,
ne se réjouit jamais tant que quand elle peut humilier.
le pauvre e't l'accabler sous le poids de son insolente
prospérité. Ce monstre, que l'enfer a vomi dans sa rage,
a de tout temps inspiré aux hommes des idées si con-
traires à leurs véritables intérêts; il, a 'tellement fasciné
leurs yeux que ces indolents, effrayés de la-longueur.
du chemin qu'ils ont fait dans la route qu'il leur a
tracée, ne veulent plus revenir sur leurs pas, malgré les
dangers inévitables dont ils shve-nt très bien qu'elle est
remplie. Aussi leur souhaiterais je; plus volontiers. que
je n'ose -l'espérer pour eux, la formé du gouvernement
des Utopiens.
Quoi qu'il en soit, je me réjouis de l'avoir vue ét,ablie.
chez .eux; c'est sur.ce .fondement in -ébranlable q u 'est
appuyée, suivant toute apparenoe;leUl~éternene félicité.
Après les soins qu'ils" ont pris ponr ~touffer cette :am-~
bition, ,mère de toutes les fa~cti~ons qui minent les c¡orps'
politiques, on ne doit pas ~ppréhender.qùe l'~to~e se
trouve jamais- exposce a ces fureurs de~8:rI1S, -ces
vaYA'GE;À 1 i~ 16fV (~3~A A ~'`~l D' üÇT~D I~`1-
guerres intestines, source unique de la décadence!des
.empires jadis les plus'florissants..
Tant que cette république consèrvera la' forlne de
son gotivernem, ent, sesm~urs, ses Coutumes ;et mes
usages', j'ose prédire que le bonheur dont elle jouit
n'éprouvera aucune altération, que ses ennemis, ne
retireron~t de toutes leurs entreprises contre elle que
la honte d'y échouer; c'est alors .que, supérieure aux.
efforts j~loux des princes .ses voisins, elle sera dans
tous les. sièeles le rnodèle des plus heureuses et des-
plus parfaites républiques.
Ici Raphaël floU son técit. Je ne jugeai pas à propos
d"entrer en discussion avec lui, .malg.ré les a:bsurdHés
sans nombre que j'avais remarquées~ dans les coutumes
et les Io-is de son Utopie, et principalement dans sa
manière de faire la guerre 'et dans' ses différents sys-
tèmes da religion. Ce qui me choquait le plus était
.cette communauté de biens, ce 'discrédit absolu des
matières premières, sans la circulation' desquelles il
n'y aurait pïus de no~lèsse,. d'éclat, de. magnificence,
de splendeur et de majesté, avantages précieux qui
a'nnoncent, 'selon le jugement le .plus général, la gloire
et la prospérité, dei grands empires.
Voyant que notre homme était fatigué, ignorant
d'ailleurs si'mes objections lui feraient plaisir, je gar.
dai le silence. Ce qui m)r détermina,encore plus, c'es~
que je me ~ppelaila censure q,u'il ava'Îlt rai~e, .dans le
cours de son récit, ,de ces êtres qui, pour .se donner un
aird'imporlance, ne laissent jamais, passer les Jeléès
d9 autrui sans les..contrl1ri~ et les combattre. Je -me
bornai donc, en le, eonduisant à la salle à inanger
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE110
pour y souper, de faire un éloge succinct de la répu-blique; je lui témoignai en outre le désir que j'avaisde converser plus au long avec lui dans un autre mo,
nient et de lui proposer mes réflexions s-ur ,tout ce
qu'il venait de nous raconter. Voici la dernière, quej'ajoute ici «( Jo ne puis appl-ouver dans son entier le
plan que nous a tracé cet homme, aussi judicieux queversé dans les affaires politiques, du meilleur gouver-nement possible; j'avoue néanmoins qu'il renferme unefoule de vues très utiles et nombre d'institutions très
sages. Le conlhlo du bonheur pour nous serait saliS
doute de les adapler; m'ai:s, je le répète, j;J; l1eJ1lIQUsreste
malheureusement que des vaeux impuissants à former
pour leur établissement. »
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
PAR
A VANT-I)ROPO<S
Autres temps, mêmes rêves: car' elle est de
t()1ite'$~~lre~c'é'(j)"l:es~lae~.m~i~érat'¡o)ft,;que des
rêveUrs8'éRé~Fe'uK é,roll'¥en~taBspectacle des
saulraiBces .hiùÍmai1~es..
IIson'te:ncux l'instinct de 1a co:ncorde, de
l'harmoB;ie de l~a conf~ate~r. nelle solidarité; une
vision se présente, ôù~ leur semblént d'i8pa~~t..
tre sans difficiles eBorts les dissidences 9 les
c~nftit8t les tris-tes inégalités. Ils'la tra4uisent
--Que les 'belles ,i~stitutioDS" qui s'édifienit en
,leur' imagination leur paraissent réalisablee,
non, p~ut-être; mais ils n'ont pu résister-au
désir, au plaisir de -reproduire'le- songe en-
chanteur qui est venu les h~,nter et qui pourraf
sel()R eux, _fé,pandr~n dans- d'autres âme-s,par
.le èhaTm,e. de.r.ïd-éal, un~ peu .d'oubli des ~rop
cruelleSféalités.
L9 auteur des,. ~tz(~tes c~e la' Natuoe, cette
grande, œ.uvre harolonique;. de l'ozct et J"¡'I~
AVANT-PROPOS114
girtie,, cet épisode à la fois si iagénu et
si profondément douloureux, Bernardin de
Saint-Pierre, va nous apprendre lui-mème
dans quelles circonstances, daosquelledlspo-sition d'esprit il fut amené à concevoir le
plan de cette A~·cc~die, dont il n'écrivit que le
premier livre en entier et quelques fragmentsdu second et du troisième livre.
Avant lui plusieurs poètes, notamment, au
seizième siècle, Sannazar en Italie et Sidney en
Angleterre, avaient chanté les délices d'une
Arcadie imaginaire, dont ils devaient l'idée
première à l'antique tradition qui considérait
cette région comme un séjour de parfaitefélicité.
Parmi les anciens, qui s'accordaient sur
cette idée, nul mieux que Virgile n'avait
célébré, consacré la poétique légende arca-M
dienne aussi est-ce à Virgile quo Beri~ardin de
Saint-Pierre demande surtout des inspirations;d'où la grâc~© antique du style, la fralchéurdes images, qui donnent aux fragments decette fiction un caractère tout particulier decharmante grandeur et une véritable valeurlittéraire et morale.
Malheureusement ce ne son t là q ue deslambeaux d'une grande composition philoso-
.'8
1
-A '1--?
pl.ictoe.,cQ¡Rç.e,:a1'tJ;l14eDOS'jI6s8y;mpafhi~
q~e~ penFseura, 9~ ~~t enm:ême temps un
deaospluscharmanls écrivains. Le premier
licv;reoaus"of're 'ufte'tr~spi,ttè.es:q111ei'mage
d'eno'8origines na,lio!Bales, el,quelq.ues gra-
cieuses légendoa, b~ien dignes d'êtr~ con-
servées. Comme en maints passages les idées
du rêveur français correspondent à celles du
grave fantaisiste anglais, il nous a semblé que
l'ébauche de l'un avait sa place marquée à
cOté de 1"oeuvre de l'autre et nous les ,avons
rapprochées.
E. M Li
FRAGMENT SERVANT DE PRÉAMBULE
A
L'ARCADIE
ingratitude 6 des hommes dont j'avais le m,ieux
mérité, des chagrins de famille imprévus, l'épuisementtotal de mon faible patrimoine, dispersé dans des voya-
gesentrepris pour le service de ma patrie, les dettes
dont j'étais resté grevé à cette occasion, mes espérancesde fortune évanouies tous ces maux combinés ébran-
lèrent à la fois ma santé et ma raison. Je fus frappéd'un mal étrange des feux semblables à ceux des
éclairs sillonnaient ma vue. Tous les objets se présen~-taient à moi doubles et mouvants comme OEdipe, jevoyais deux soleils. Mon cœur n'était pas moins trou-
blé que ma tête. Dans le plus beau jour d'été, je ne pou-
vais traverser la Seine en bateau sans éprouver des
anxiétés intolérables, moi qui avais conservé le calme de
1D.0D.Ame dans une tempête du cap de Donne-Esperance,
sur un vaisseà.u-'r~ppé'd,eJa.foud.re. Si j~e ,passais seu~
lement dans un jard.i:npublÍc,prêsd'uR bassin plein
d'eau, j'éprouvais des mouvements de spasme et d'hor-
.reur. Il y avait des moments où je croyais avoir.été
i2
t18 PRE-AP&BU-LE D~E ~lo*A 11~Z
mordu, sans le savoir, par q~u, e.1que chien en!ragé. U
m'était arrivé bien pis: je l'avais étépa\r~1:acalomDte..
Ce qu'il y a de certain, c'est quemol1malne me
prenait que dans.la société des hommes. I61na'a~i~t int-
possible de reste'r dans un appa,r'e:mento'ùi1y avait
monde, surtout si les P9rteseneUaieo'tferméel. Je
ne pouvais même traverser uReaHée de jardin public
où se trouvaient plusieurs personnes rnsse'milées.Dès
qu'elles jetaient les yeux sur moi, je les croyais oc-
cupées à en médire. Elles avaient beau m'ètreincon-
nues je me rappelais que j'avais été calomnié par mes
propres amis et pour les actions les plus ~onnêtes de
ma vie. Lorsque j'étais seulv, mon, nlalsciissi!pait; il
se, calm~air~ encore dans les lieux où je' rte vQyuis due
des enfants. J'allais,. pour cet effet, m'asseoir assez sou-
vent sur les buis' du fer à cheval aux Tuileries, pour
voir des enfants se jouer sur les gazons du parterre,
avec de jeunes chiens qui couraient après eux~ C'étaient
là mes spectacles et mes tournois. Leur innocence me
réconciliait avec l'espèce humaine, bien mieux que
tout l'esprit de nos drames et que les sentences de nos
philosopbes. Mais. à la vue de quelque promeneur dans
mon voisinage, je me sentais tout agité et je m'éloi-
gnais. Je n'ai cherché qu'à bien mériter des hommes;
pourquoi est-ce que je me trouble à leur vue? En
vain j'appelais la raison à mon secours: nia raison ne
pouvait rien contre un mal qui lui ôtait«ses propres
ro~es.. Les efforts nlêmes qu'elle faisait pour le sur-
monter, l'a, encore, papce qu'elle les
employait contre cl~e=r~n~~vne.l~I ne l~ui-aFlâlai~t pas de
comhats, mais du repos.
A la vérité la médecine ra'o~ril des secouÓrs. ~lle
.Ii.8t'~I..jL'A.e.lJœ "41
:m!a,pJ!it!quele~lt,m.J1'~m. ,é1lit.tlaUllesnePt..
~le ~e~n~~i~i~~n ~eua=~ie ~v~°t ~m~ ~e-i~
80iisqVandje:o'8.W'aispas.é:té,tflQP pau~pe:.re.éou.t~~ se 9 o~r'eNJmJ11'~es,-j'étais tf~e~p,úbJ.~Dt~tlO,ur f
cfoire.$roisChe¡JQIQ1esù"ma,oOnJJ,lti:SSABGe"it.e.:UNJtenté.
~zw. m~:=~e~m~a~ ~r~i~r~en~~=-e~ :g~u de te~ Wpi~~e~
mè4'estlilléreD\ts,et:soj~ilant yp~~i:~q5u~~~o~u~ ~g:ué-l'isoQ,d'un mai de n~prs.'LeppemierpIWJe!;ba'¡n5 et
les sai8inées; le -second par l'usage de l'Gpj~'m, et le
troisième par celui de J'êtber.Cesdeux derniers ~taier~t
deux fameux médecins de la lacu.l;té de Paris, tous deux
~°enu~~és-a~~r, .r~ ~~u~ l~a :~u:e~~e -:et ~~u~e~u-
liè~e~ae~a~t ~9 u~r~ ..gen~e ~ne~v~u~c.
l'ipJ!otl~de nouveau,, -raais 'ce:tte ~is :pur l'expé-
rien~ed:aQtI'Dl,c6R1hien je ~~l;l:usion en
a'"endant,desbÉuD'm~sJas;uél'iséD de mes maux-; com-
bien vaines étaient leurs opinions et leurs doctrines,,
et. combien j'avai, étéiosensé, dans t<!usles temps de
ma vie, de me rendre misérable en cherchant à les
randre helH!eJlsétde me détordre moi-m~~e pourred1'8sser les a- utrege
Cejpend'an:tJe~tiFO!i de la.m:ultdt'udd de mes infortunes
un 8,randmoUfde.l'ési:pation.ElIcompaTaDtlesbienset les maux dont nos jOUttS ~i rapides étaient mélangés,
j'entrevis. une grande vérité bien peu connue c 'ost
qu'il n'y a rien de huissuble da-os la nature, et que, son
Auteur nous ayant mis dans ulle carrièrc où nous de-
vQn~ -n~ee~ai~eri!n`, i~~ ~o~ $ ~utaftt
de1'IÚQÃ4f'œim:erlti:DuJ~tu,qe.4~limerla VII-166
'edites.lesbf,acbes ,dr6:Doitre. vie'ensen1t 810.1.1
comme Je "veRC. Nosfo:ftufle8, nos ré,u:taiionl,nOI
am.i:tiés, D08a'mG~:r8, tous de nu~ affection.
PRÉAMBULE DE _L,C-~ll~E180
.les plus chères, périssent plus d'un.e Eoisav.a.ult ua,Q:s;
et si les destinées les plus beu-Ileuses se ntanifes~taien;t
avec tous les malbeurs qui les ont accem, paftnées, elles
nous paraltraient comme ces chênes qui e,mbelUssent
la terre de leurs vastes rameaux, mais "Qle,Ré~èven:t
le ciel encore de plus grands, que la foudre a
frappés. 9
Pour moi, faible arbrisseau brisé par -tant d'orages,
il ne me restait plus rien à perd'fA. Voyant, de plus,
que désarmais je n'avais rien à espérer ni des autres
ni de moi-même, je m'abandonnai la. Dieu seul, et jelui promis de ne jamais rien attendre d'essentiel à mon
bonheur d'aucun homme en parUcu;lier,la.qaeilq1leex.
trémité que je me trouvasse réduit, et dans quelque
genre que ce ptlt être.
Mu confiance fut agréable à Celui que jamais on
n'implore en vain. Le premier fruit de ma rési'gnatioD
fut le soulagement cle mes maux. Ides anxiétés se cal-
nIèrent dès que je n'y résistai plus. Bientôt, sans la
moindce sollicilution, par le crédit d'une personne queje ne- connaissais pas, il n~e vint quelques modestes
ressources. Après avoir bien réfléchi à ma situation,
je trouvai que la Providence me traitait précisé~me~nt
comme le genre humain, auquel eUe ne donne, deputis
l'origine du monde, dans la récolte des moissons,
qu'une subsistance annuelle, incertaine, portée par des
herbes sans cesse battues des vents et exposées a~~s dé-
prédations des oiseaux et des insectes. Mais elle me
d'istinguait bien a~a~nEtag~se~~en~t de la 'fJ!'U!lllWtdes
hommes, en ce que ma récolte ne me co~~taï~tni sueurs
ni travaux et qu'elle me laissait l'exercice pl:eilD de
ma liberté.
w!l~ny!l~if~
Le..pre.ierusDiseque.j' e'R'fls"u,t de des
h~o~ni~es tr ;peu~rs, q:u:e je rr'vais`pl~us besQ~ cl~-so~hmes oimpeurs,qu-ej,er.,i'à spl-us--besol~nde-s6,1-liciter. Dès que je ne les vis plus, mon âme se calma.
La solitude- est une .ra,~de mQ~ta.g~~ d'-o~1 j,lspa,'l~a,is~'
sent bien petits, La soli~t~~de nn'é.ta~i4t cepen_dfan~t c4~
traire, en ce qu'elle porte trop à laméd,i\tation .Ce
ful àJ.-J. Rousseau que je dus le retour de ma santé.
J'avais lu dans ses immortels écrits, entre autres véri-
tés naturelles, que l'homine est fait pour travailler et
non pour méditer. Jusqu'alors j'avais exercé mon
âme et reposé mon corps; je changeai de régime
0, 01 ~ofips _et=je -reposai 1' -Je ren~onçaài- à-la
plupa-I't.aesllivn~s.Je jetai lesyeuxsurlesouvirages
de ta n, ature, qui parlait à tous mes sens un langafre
que ni le temps ni les nations ne peuvent altérer. Mon
histoire et mes journaux étaient les herbes des
champs et des prairies. Ce n'étaient pas mes pensées
qui allaient péniblement à. 'elles, comme dans les sy's-tèmes des hommes, mais leurs pensées qui venaient
paisiblement à moi sous m~ille formles ag,ré'aldes.J'yétudiais sans effort les lois de cette sagesse universelle
quim'envj'fonnai;t dès le berceau et à laquelle jen'avais Jamais donné qu'une attention. frivole. J'en
suivais les traces dans toutes les parties du monde,
par la lecture des livres de voyages. Ce furent les seuls
des livres modernes pour lesquels je conservai du
801\t, parce qu'ils me tran~portaient dans d'autres
seci'é:lésqil'l;eceUe o~ùj' ét-ai;s.Qi~h:eu¡re'Ux, et sut'tau t
p'a¡rceq~u"U'sme parlaient des divers ouvrages de la
na;tuI'e.
Je connus, par leur moyen, qu'il y avait dans
chnque partie de la terre une porlion de bonheur pour
t82 'pn~iM'BULÊDE ~'A.RC~:D."I~
tous les hommes, dont presquepartoutjlsétaient pri-
vés i et qu'en état de guerre dans nôtre
que, qui-les divise, ils étaient en état de paix dans
l'ordre de.la nature, qui -les invite à~ se rapprocher..
Ces consolantes méditations'me'l'am.enèl'eftti'Ilèsènsiblê-
ment à mes anciens projets, de fé~icitépu-bHq.ue~ .non
pas pour .les ,exécufermoi.-même cOl1im~ a;ûtrefois,
niais au moins 'pour en faire un tableau intéressant.
La~sin~ple spécL.Ilation d'un bonheur général suffisait
maintenant à môn bonheur. particulier. Je'pensais
_au~si que mes plans imaginaires pourraient.un jour se.
réaliser par des hommes plu's heureux. Ce désir redou-
blait en mo; à la vue des malbeureuxdont,nôs sociétés
sont composées. Jesentai,s~ surtout par mes propres
privations', la nécessité d'un- ordre politique conformeà l'ordre naturel. Enfin j'en composai un d'après l'ins-
tinct et les besoins ,de mon pr~p¡'ecœur.
A portëe, par mes voyagés, et plus encore par la
lecture de ceux d'autrui; de choisir à la- *surface
du globe-- un site propre à tracer le plan d'urie su-
-ciété heurèns'e! je le plaçai au sein. de rAmérique
méridionale, sur les rivages riches et déserts de
l'Amazone.
Je m'étendis en imagination au 'sein de ses vastes
forêts. J'y bâtis des' forts" j'y défrichai des terres, jeles couvri~ d'abondantes moissons .et de, vergers char-
gés de toutes sortes de fruits étrangers à l'Europ.e. J'yoffris des asiles aux hommes. de to.utes les: natiO:ns
don~ j'avais connu des, indivi(J;tlSIIlalhetJ.reux~ 11yavait" des Hollandais et des Suisses sans terrltoiÎ'e~'dans
leur patrie, et des Russes 's~nsÍnoyens 'P'Ol1l's;étàbUr~dans lel\rs vastès solit~des, des Anglais las des ,conyul-_
""i~i'Ê~Âè~t~~Û:L'Ec"D¡E.~L~.Ã'Í{:CA.of8"-
sio-ns de leurl-iiberte 'PQ.pl1btire,etd~~J1taU'ens (J,e-Ia
létbargie delellrsg()ÚverlÎementsafis,tocfatiques;de~
prussiens, de.- leur despo-f,,1' et des Polo»
~ï~de;l~tJr; .ru~~ç~i~r~JJ~~ç;;l:io~i.d!e.,s..Espa.'SÎl~
dél'j.[lt:01~r~nce>de-e;Q's-opi'Qionsf-.e.t.'dêsF)ra:nçais,.de.1 inconstance des'lêursjdescbev.aUers de ~~lte ,et des
Algériens; despaysans.bohemiens, polonais russes~
franc-comtois, bas-bretons, échappés «ILla tyrannie'dé leurs- propres compatriotes; des esclaves n.ègl~s,
fugitifs de nos colonies barbares; des protecteurs etdes protéfrés de toutes les nations; des gens de cour,
de."J!(}:be, de- -Iettre~ -de guerre, de- -cam-merte. de'
finance -to~s 'in'7fort,unés téulrm ent-és ~des,~màl-adiesdes
~piuions.~u:rGP.~eRlte,s, africaines et 'asiatiques, tous
pour laplupartcherc~ant à. s'opprimer -mutuellement.
etréagis~aIi,tJes uns sur les autres Par 1a violence ou
la ruse, l'impiété ou la superstition. Il s abj uraient.les
.préjugés nationaux qui les avaient rendus; dès la nais-
sance, les ennemis- des autres hommes; et surtout
celui qui est- la source detoutes les haines du. genre
hÚ~lain. et quel'Ebropeinspire. dès la mamelle %a-
chacun de ses enfants, le désir d'êtré le premier. Ils
adoptaient, sous la prot"ecti-on lmméd:iate" de l'Auteur
de la nature, des p"rincipes de tolérance universelle; et,
par cet acte de justice générale, ils rentraient sans
obstacles dans "1' cxercië~ libre- deleur caractère para
ticulier. Lé Hollandais y portait TagricuJture et le com-
~m~I:c~ r S J~s~¡Jl'a~sonî.e.t.-4[èls~r()Je:l¡1~rs', è~t l~e ~R~usse,hvab~i~Teàv. ar~er ~:a
'~a~h~jij:q;if~"II..c~tÍç,t des :é:p;a¡h;es-t0~-è1ts;l'Ar~~l:ai~ > s.yUv..aitJLlaIla~lgaijl)n'e.t ,ltU:J' arts u,
,qui font la -force. des so~iété9.; a-ux arts 1-i-,bé-
~'R~A11~BULE DE L' ARCADIE184
raux qui les font fleurir; le Prussien, aux exercices
militaires; le Polonais, à ceux de l'équÏ:Lation; l'Espa-
gnol solitaire, aux talents qui demandent de la cons-
tance le Français, à ceux qui rendent la vie agréable
et à l'instinct sociable qui le rend'propre à être le liefi
de toutes les nations. Tous ces hommes d'opinions si
différentes se communiquaient par la tolérance ce que
leur caractère a de meilleur, et tempéraient les défauts
des uns par les excès des autres. Il en résultait pour
l'éducation les lois et les habitudes un ensemble
d'arts, de talents, de vertus et de principes religieux
qui n'en formait qu'un seul peuple, propre à exisler
au dedans dans une harmonie parfaite, à résister au
dehors aux conquérants et à s'amalgamer avec tout
le reste du genre humain.
Je jetai donc sur le papier toutes les études que
j'avais faites à ce sujet; mais lorsque je voulus les
rassembler, pour me donner à moi-même et aux
autres' une idée d'une république dirigée suivant
les lois de la nature, je vis qu'avec tout mon tra-
vail je ne ferais jamais illusion à aucun esprit rai-
sonnable.
A la vérité, Platon dans son Atlccntide, Xénophon
dans sa Cyrop~die, Fénelon dans son Télémaquc, ont
peint le bonheur de plusieurs sociétés politiques qui
n'ont peut-être jamais existé mais en liant leurs fic-
tions à des traditions historiques et les reléguant
dans des siècles reculés, ils leur ont donné assez de
vraisemblance pour qu'un lecteur iadulgent croie vé-
ritables des récits qu'il n'est plus à portée de vérifier.
Il n'en était pas de même de mon ouvrage. J'y sup-
posais, de nos jours et dans une partie du monde
1~ ~A~I-~ ~~J r~ 1~ ~E`~' ~;D 1183
qqemmum.~
connu, l'el,¡'S1teRced.'ufl peuple- co~ns~i~~é~raebl~ ~or-r~~
presque enen.:tier des- débris malheureux dès- nations
eUfo'péeR:fteS, parvenu tout à cou p au plus haut degré
de fél~çit~; et .c.e.rare phénomène, .sLdis,p.e .au,æoins
de la de l'Eu'fope,cessaUdefaire' 1'Uu's¡'Ón
d.°1' éla,it certain qu'i-1 ,t Et. D' 01.1. 1d~ès qu,'iil ..laltcer aln qu'il nex'ls al pas. D',ai>1,1.etirs,le
peu de théorie que je m'étais procuré sur un pays si
différent du nôtre, et si superficiellkement décrit parnos voyageurs, n'aurait fourni à mes lableaux qu'uncoloris faux et des traits indécis.
J'abandonnai donc mon vaisseau politique, quoique
j'y e:usse travaillé 1 avec cons~ance.
Selu\ldahleau.can.Ó:[ de Robinson, je le:làissai dans la
forêt où je l'avais d~éôrossi, faute depouvoi"rle remuer
et le faire voguer sur la mer des opinions humaines.
En vain mon imagination fit le tour du globe. Au
milieu de tant de sites offerts au bonheur des hommes
par la nature, je n'y trouvai pas seulement de quoi
asseoir l'illusion d'un peuple heureux suivant ses lois;
car ni la république de Saint-Paul près du Brésil, for-
mée de brigands qui faisaient la guerre à tout le
monde, ni l'évangélique société de Guillaume.Penn,
dans l'Amérique septentrionale, qui ne se défend seu-
lement pas contre ses ennemis, ni les conventuelles
rédemptions des jésuites dans le Paraguay, ni les
voluptueux insulaires de la mer du Sud, qui au mi
lieu de leurs plaisirs sacrifient des hommes, .ne me
parai:s'sa.ienl propres à représenter un peuPl~e u3ant,
dans l'état de nature, de toutes ses facullés physiques
et m-orales.
D'ailleurs, quoique ces peupÏades m'offrissent -des
images de république, laprem.ièren 'était qu'une
~~1$6 PR~A11ï13UG~ --D~, ~,A~C~R.~L~
anarchie; la secônde une simple société protégée par
]"État où elle était renfermée, et les deux autres ne
formaient que des aristocraties héréditaires où une
classe particulière de citoyens, s'étant réservé jusqu'aupouvoir de disposer de"la subsistance nationaley tenait
le peuple dans un état constant de tutelle, sans qu'il
pût-jamais sortir de la classe des néophytes ou des
toutous 1.
Mon âme, mécontente des siècles présents,- prit son
vol vers les siècles anciens et se reposa d'abord sur
les peuples de l'Arcadie.
Cette portion heureuse de la Grèce'm'offrit des cli-
mats et des sites, semblables â ceux qui" sont éparsdans le reste de l'Europe. J'en pouvais faire_ au moins
des ~b)eaux variés et vraisemblàbles. Elle était rem-
plie de montarrnes fort élevées, dont quelques-unes,comme celle de Phoé, couvertes'de néiges toute l'an-
née, la rendaient semblable iL la Suisse; d'un autre
cOté,. ses marais, tels que celui de Stymphale, la fai-
saient ressembler, dans cette partie de son territoire,à la Hollande. Ses végétanx et ses animaux étaient les
~~mes que ceux 'qui sont. répandus .sur' lè sol -de
l'Italie, de la France et-du' nord de l'Europe, ll y avait
des oliviers, des vignes, des pommiers, des'blés, des
pâturages, des forêts de chénes, de pins et de sapins,des bœufs,. des chevr~ux.; des"moutons, des chèvres, des
loups. Les occu~)ations des Arcadiens 'étaient les.
nièrnes que celles de nos paysans. lIy avait par- mi. eux-
t-. Nom des hommes du peuple clc l'ile d~ Tuït1 et. dans 1eà iles de cetnrchipel."11 ne.leurest. 'pas permisdemaqgerde c6a~ir de ~orc;-qcyyest excellente, quoique cet àni~nal y soit fôrt commun. Elle est réservéepour les E~A)'rés, qui sont les chefs. "Les, teutous élèvent les.porcs, etles E-Arrés les mangenf. (V ôycz les ~ôyages.du capit~tine.Cook.)
~T'ffjt'~M';9;U'L;Ê'"f):È',t{.:ti~.t_J~, 'toi
des Jaboure-qrs, des .bergers, des ,!i:~Rer6n:s,des .ch.as.
se-U~8.c-ce qui ne -resse!Dblepasaux,n.êtres,ils
étaient fort belliqueux au dehors et fort pa.isibl,es' au
dedans. Dès que leur État était menacé d-elaguerre,
ils. sep,rés~Rtàiént~i'é~u¥im.êÎl1espour'le,déren(b~é;
chacun à ses dépens. 11."y atvai.t un '~r~nd l1c¡unbre.
d'Arcadiensparmi les dii .mi1le Grecs qui' firent, sous
Xénophon, cette retraite farneuse de la Perse. lis
étaient fort religieux,. car la-pl~u'Dar.t des dieug dela
Grèce étaient nés dans le ur pays Mercure au mont
Cyllène, Jupiter au mont Lycée, Pàn au mont
Ménale, ou, selon d'autres, dans lés forêts du mont
L3%cée,, Q~i~ était pa.~t~icu~liW e~ne~n=t: hono~ré. C'éta~davs
l'Arcadie q~u'~ercu:le avait exercé ses plus grands
travaux.
Les poètes anc.iens et modernes ont représenté les
Arcadiens comme un peuple" de bérgers amoureux qui
excellaient dans la poésie et la musique lesqu elles
sont par tout'pays les principaux langages-de l'amour.
Virgile surtout parle fréquemment de leurs t.alënts
et de leur félicité. Dans sa dixième églogue, qui res-
pire la plus douce mélancolie; il introduit -ainsi Gallus,
fils de Pollion, qui invite les.peuplèsd'Arca~ie à dé-
plorer avec lui la perte de sacbère Lycoris.'
Gallus, fils d'un consul romain dans le siècle d'Au-
guste, trouve le sort des peuples de l'Arcadie-4si doux
qu'il n'ose désirer d'être parmi eux un berger mà1tre
a'un. troupeau ou un habit~Qt~r,.9iP~.jéta..i~e,d!,une~:vilJ1e.
lJ)'ais.setÍ~e~QleQ!tu_ ~n sim3ple grardtïé_ n de tTOn~péâu~ cus~
~ôs gregis;- ou un de ~es'J¡~)ÎQ"è's.u'O:I\I(J~'e'Pll~s~tJ\t
p.our fouler la grappe lGrs~qu'e:l:te est.e; maïturae
v~ütor uv~e. v
188 P~ÉAMBULÉ DE ~ARC~1~IE
Virgil~ est plein de ces nuances délicates de senti-
ment qui disparaissent dans les traductions, et surtout
dans les miennes.
Quoique les Arcadiens passassent une booneplI.rtiede leur vie à chanter et à aimer, Virgile ne ies repré-sente pas comme des hommes efféminés. Au contraire,il leur assigne des mœurs simples et un caractère par-ticulier de force, de piété et de vert.u confirmé partous les historiens qui ont parlé d'eux. Il leur fait
Inême jouer un rôle fort important dans l'origine de
l'empire romain car lorsque Énée remonta le Tibre
pour chercherdes: alliés parmi les peuples. qui-
bitaient les rivages de ce fleuve, il trouva,à l'endroit-où il débarqua, une petite ville appelée Pallantée,du nom de Pallas, fils d'Évandre, roi des Arcadiens,
qui l'avait bâtie. Cette ville fut depuis renfermée dans
l'enceinte de la ville de Rome, à laquelle eUe.ser-
vit de première forteresse. C'est pourquoi Virgile
appelle le roi Évandre fondateur de la forteresse ro-
maine 1.
D'après Virgile, qui à maintes reprises s'occupéd'eux, de leurs lois, de leurs moeurs, les Arcadiens ont
influé de toute manière sur les monuments histori-
ques, les traditions religieuses, lespremlères guerreset l'origine de l'empire romain.
On voit que le siècle où je parle des Arcadiens n'est
point un siècle fabuleux. Je recueillis donc sur eux et
leur pays les douces images que nous en o,t\(t'lai'5séés"les poètes, avec les tradItions lesplu.s,aû:t.}¡Teh,fiqiJ1es,'des historiens, que j.etro:1iJ.¥ai en boln- n~ombréwd~à€as. lë
t. Voyez, dans la. même collection que le présent volume,Gra,1JÙyor~agea de décounerte8 dea ancietl8"l'anal)'se dé lÉ"
~L~ M ~`~ ~â ~E$~
:Vollage.de~â,Grêcede'-Pa1!i:a:I,les:.(]Euvre$..d.eèPJiutar;.
que ey_ l,a yetraite dcs d.i~ mille ile ~é~ophon; en sorte
quejerass'eiftù~la:isur,r.ATc'adie tout ce que la nature a
de :~l'u~~ ai~a~ dP~q~~n~~cl~:yaat~, e~t v'toi~r~ ~~e,~l:u-s
v:r~i$~~1J1iJ:~îl:ci:à'nS'l'Ii'Hft.Í¡!,tê~
PeRda:Jl'tq:ue;j'e'1Ji"ÓCê~pQ¡isde.' -ces agréables recher-
:ches, je me:trQuvai li~é per~o~~nellern~ent avec J.-J: ~Rous-
seau. Nous allions assez souvent nous promener, pen-dant l'été, aux environs de Paris. Sa société me plaisait
beaucoup. Il n'avait point la vanité de la plupart des
gens de lettres, qui veulent toujours occuper les autres
gens
~.m:Ónde"qlli:.c~0i~~t~u~,1in.;J1rGm'i1te'.d~lêttres, est: -fai~t
pOUfles.ti~.erd.e.leur .èrinuipar:sonbali![.J1;-pal'lageai-t
.1eshéoéticeset les.chârges~ de la conversation, parlant
et laissant parlercbacunàsontour. Il laissait même
aux autres le choix de l'entretien se réglant à leur
mesure avec si peu de prétention que, parmi ceux qui
ne le connaissaient pas, les gens simples le prenaient
pauru¡f1"llo~,ineord:¡;Qaire,e't gens du bon ton le
regardaient comme -bien .inférieur à eux car avec
-ce1ux-ci il parlait peu, ou de peu .dc:ch.ose. Il a été
quelquefois accusé- d'orgueil à cette occasion par lès
@gens. du monde, qui taxent -de leurs propres vices les
hommes libres et sans fortune qui refusent udecour-
.ber la tête sous leur Joug. Mais, entre plusieurs traits
_que je pourrais citer à. l'appui de ce que j'ai dit précé-
d q ~~?,~ 1? .n n~ :p Ir n
~E!!¡fi~1[~¡¡!1~:=t~~rt~e~~
~te~ü~~dé sa ~ri©d~é'g~iFeL:ha~b~i~tû~el~lfe:
..Lê j'QUrtlt~.e q~U;èfiQ'Ü'SÍ4'Ô1èS'~$Jtercbtfzl~ermiÍ'té!l,
~lÍ~0n.t..Valé'rienJ~'lÍsLq;ue je i-ai rapporté une.
190 PREAIMBULE DE1 1-
note du tome' "cinquième deIr1es~~(utles:, eDreyenan;t
l'après-midi à Paris, nousfitmes sùrprls dé la plt1iè
près du b1>is de Boulogne, vis-à-vis la porte Maillot.
Nous y entrâmes pour nous mettre à- l'abri 's~:uJs:4es
marronniers qui comID.ençai~nt"à avoi'rd~sf.e:iltes;
car c'était dans les fêtes de" P4quesII Nous t-rouvàmes
sous ces arbres beaucoup de monde qui; comme nous,
y cherchait du couvertï Un des garçons du suisse ayant
aperçu Jean-Jacques, s'en vint à- lui plein de joie et lui
dit :'« Hé bien 1 -bonhomme, d'o~ venez-vous donc ? n
y a un temps infini que nous ne vous avons vu »
Rousseau lui répondit tranquillement «~=C'est~ que~ ~a
femme a été longtemps malade et moi.4raëmë -~i9ai él'të.
incommodé. Oh 1 mon pauvre bonhomme, reprit ce
garçon, vous n'êtes pas bien ici -venez, venez; je va'
vous trouver une place dans la maison. »
En effet, il s'empressa de 'rious mener dans une
chambre haute, où, malgré la foule, il nous procurades chÂises, urie table, du pain et du vin. PeJid~nt qu'il
n.ous y conduisait, je dis"à Jean-Iahques:( « Ce garçon
me parait bien familier avec vous;Hne~ousc~nnaU
aonc point2 Oh si, me répondit-il, nous nous- con-
naissons depuis plusieurs années.' Nous venions' de
temps en t~mps ici, dans la be~lesaisoo, ma femmev et
moi, manger là soir une côtelette. »)
Ce mot de bonhomme, dit de si bonne foi par ce gar-
çon d'auberge, qui sans doute prenait depuis long-.
'tetDPS Jean~iacqi;1e's' ,(:Htr.. un.ho.Q'le~è.' q,ij~è'.ê'~at
mécanique, sa joie- en le ~èt:~1a~t'et~on êmpr~ment'à le servir, fir
biime auteur "~d'Emzle~ mettait en effet de omie
jusque. dans ses moindres actions.
a
-?~:~f~f:S:¿;~2~.rC;tj><$'-=;- :>-<> -j~/~<" ~<tr, r~:<p;¡I1I~i~J~II£}B'rf.4!'A:W(frA.iD:f'1 vT J9t:ï:"Y*
hôin'cb~rck'e~:àbrlÎ'èr:'a:JJ,y~uxde~uiquté.ce
El1~,il. _cof1veD'O:J.tcl\ti..m:ê,ale,:av~cun:seJdiment ~1'i-l'té'h' rare et 1. nioi .t '1." "élité bien rarè e.se..o:{I.J?lOlUJen i~nj~u~~te,q;_u,tïE1~n'é,tai~t
as. pr{)I~rf;t.;t\Tgra.sç,()n.v,et~lMjJ~[l~«{:tl.-f)e" ,f4~ut~
rne d~sait~~l u.n ~o~ur, ~q~ue1~ p' `p,i~ ~er~at ~o~:r~.
m,r~ft,verse'riJ;e"n.aiun- o 9- .4eü -r-,e après
les autres- Je saisce ~u'i`1 'f~t:rénoad:rè prééisément
quand il n'en est pl. us, temps. »
Cette lentPUr de réflexion ne venait pas cc d'une pe-vsanteUT maxillaire », comme le dit, dans 'le prospec-tus d'une édition nouvelle des'oeuvres de Jean-Jacque- s,
.~J..nn.éçrix~jn "d.~AiUeurs~~,t ;è ebt,-e4~ !de- son
.é~I1~Í~¡»r~j'¡'f:~t~itP~~e'PI'&~QJl-cer sur ie na.oi-ndré vsu jët sa;~s l'avoir e~ami~né de stin?er.fJul'l~.o'¡na;rè"sQJêt'a.~J).s,l'av()'¡'r.e~am:i:f.ié. de soit
génie,qiJl~e"coÎ1side,rai:ts.urtoutesses ¡aées pour le
connattre.àfond',et~nl1D.desa: 'm:o(l'estie, qui lui in-
terdîsai,t le,ton théâtral et les sentences d'oracles de
nos conversations.- U était au.milieu de nos beaux es-
prits avec sa simplicité, çcmme une jeune fille avec ses
",couleurs natllreUes".parrni,des-feIR'mes_~e,ttaRt du
,~bla'Qc-etd1i'rou'ge.EncQre moins -a~urait-il cherché à
se_ donner en spectael~~ chez les -grands "mais dans, lé
."tête-iL-tête, dans la, liberté de' .rintimit~. et sur .Ies
objets- qui lui é~aie~~rll:tBilier~, ~urtÓut ceux qui inté-
-ressaient le bonheur- des hommes, son âme prenait
'l'essor, ses sentiments devenaient touchants, ses idées
'proro~des, ses'images',sublimes; et ses discours aussi
:,v~>s:'4ItI~7'es,ée:ri!hs.'4"--ce q. J, t~ouvaas cï~ .hmr~ supérieu~r à;~so~r~r~:gé=
~;It~t~ê~i~~t~;l~=:¡~
;Jmijs:~ delèt,tr~s .ep'rèu¥es"rJ?bliro:r.tü~B,e;:a.~ql1els':ol)
~P~:Œt.9Õ.ns risque communiquier ses pensées. ,les plus
pat4.u, atllat9! PRÈ"'lt6t1J'U.Lla.
r c, i
intimes. On n'avait ri.,n,c",iadfe4t~'él.I~1
les trouvait ma1Jvaises., D,ide son iugd4bl-die
semblaient bon~nes:
Une aprés.mid,¡ donc que nous étions à, n, eu;s reposer
au bois de Boulo,8ne,j',a.ert.il.:eeJlY"j"'tIB
su jet qui me tienait allcœ'l'thpuÎl,J~.t\t8"4)
de ma raison. Nous ~o~~ ~ey ,ne~
zllu~r~es de Plutarque, de la tTa4uctiencJt_,et,ou-
vrage dont il faisait Un cas io8ni,et où en,lui avait ap-
pris à lire dans l'enfance, et qui, à mon avili, a été le.
Rerme de son éloquence et de ses vertus antiques tant
la première éducation a d'influence sur le reste de la
vie Je lui dis donc
cc J'aurais bien voulu vo'¡¡rutJeh,istèire'd:evo1reravoa'.
J'ai eu bien envie, me l'ê,pon'i,t.if, .d'ècpiTeeel'e
de Côme de Médicis. C'éta,tt un 9,hgple,,pa~rticul~ter, qui
est devenu le souverain de ses concitoyens en les ren-
dant plus heureui. Il ne s'est él~vé et maintenu que
par des bienfaits. J'avais fait quelques brouillons à ce
sujet-là; j'y ai renoncé je n'avais pas de talent pour
écrire l'histoire,
Pourquoi vous-méme, avec tant d'amour pour le
bonheur des hommes, n'avez-vou s pas tenté de former
une république heureuse' J'ai connu bien des hommes
de tous pays et de toutes conditions qui vous auraient
suivi.
Oh! j'ai trop connu les hommes! l» Puis, me re-
gardant, après un moment de silence, il ajouta d'un
tondemi..lâcbé:«JevErus ai prié ptuIsie,urs.'([Ji:sdeo'c
-me jamais parler de cela.
Maispe:urquoin'âu:l'lez,véiÜ!S pas 'fi:ilt,à.ee quë-l-ià
ques Européens saa.patrie et sans fortuBe,-danSCfQèl..
.e_. c- ~r_4u'_2,1IIJniII
;ae~i_c.
::¡¡'B:¡.T~..¡,lI"ÍÎi'I. :l. «
eou~é~~`~e,j~:~=~~~=-ptelll1tüDtipelllDai. pour rien je
~oul~u y n~oi~r ~ci,u~l~e en~~u y~in~e ~a ~e ~u
chu~ ~e ~uiv r~undf~ ~~u~~i~e~y y a longtemps; J'étais
iacapyl~ ~d~~ g1~ -~ti~ emF~loi.
~~u~ ~~a~~ -z- ~c ~.r -i
r~ea~ ~o~
-.hl;.8~vj"8:e"JÎe¡,1I8.èd~"tItIe"e.
,me8uitâ..i.e,d"t\ J'oire"Jf8DflJes
d'A"rc4d¡Íe. Ce nesèntpasc1eshe.g8I'8oia¡fs ~o~n~ne
ceu~ du n
,l~i eum,i;t $ou~irr4 A propos des;bersors,d!ut-Îguon.
me dit-il, j'ai fait une fois le voyo'se du FOI'ez, tout
exprès pour voir le~4eCidadI)R. "A.we" ,dQgt4~tt'JirêllQUla(ajit>:ae caj,mumau1to'lô1eaus.. 'u~fteu~e
betgen ~~mou~re~u;a~jE~ene ¥is, ie. Auqued:es;lIt.êelu¡ux, cdes :1.188'°08 et :d;e,.taiU.die.'t.
Cummentl.d:a1l1 un pays si 48Ce n'est qu'un pa", .de forges. Ce fut ce voyage
Ln Lignon, f~rlilN tivivre ~lu t~'or~t, rur Inn ~iw~e 410!luqu~ll~ ~1't'r1'nruit hfnci~ Ix sWne de eon ~~lilbw~ romnn pn~ton~1 l'A~tr~ J.-J. Jfour·~ea,u, danr ree_C~r~raior~r~r.~p~~or s~s~ .FA~. ~1
~ii.x Imu~~ d~e rnv~ ~I,~ 'Ia~nQ~, ~h~i~' ~~· ~u~ dPtu~i~l~ ~il~t~~ a~l~J~`i~s~
~`~B ~# L,~ 1~' ~çR~,l~;
du Forez quim'6tamoR Uilusion. '¡Qltut:àee's.:lla
it ne se passait -point d' annéeq:uej:e.e H}Œslet'Âft1'dc
d'un bout 11 l'autre; j'étais f~n~ieari<~é avec tous ses
personnages.Ainsi 1..1, -nos ~plaiM7,rs.'personn~ages. ,i~si caStUCnCe,RQ\I:S cute"aes'~JM~"
~11~1 mes Arcad~ien.ne ,.etSemtlle,n't,.mlt,à>V6S
forgerons ni aux bero'ers 1-maïg-inai~r-,es ~d'-e :tI'U,fé, "Qi
passent les jours et les n'ul,ts~mq;uement oc~a;~és de
leur tendresse, exposés au dedaosù toutes les de
l'oisiveté,et ltu dehors aux ill~asionsdes peui~ples voisins.
Les miens exercent tous les arts de la vie c~ai~p~tr~e.
Il y a par lui eux des bergers, des laboureurs, des pê-
cheurs, ttes vignerons. ü~i~ o~~t-i~~ p~ti ~e tt~lfe~i~s
de leur pays, diversifié de m&ft.~es,>.e;p1ai1Íes,de
lacs et. de rochers. "LeUrt1mfBUll'sseptpabj'arcaJes.,
comme aux premiers temps du monde~. 1¡1;y --a dans
leur république ni prêtres, ni soldats, ni esclaves: car
Ils sont si religieux que chaque père dE!faæ'¡¡leene$t
le pontife; si belliqueux que 'cbaquebahitant est tou-
jours prêt il défendre sa patrie sans, en tirer de solde
et si égaux qu"il n'y a pas sel1le~entp'al'mi.'elRde
domestiques. Les enfants y sent élevés à servir leurs
parents. On se garde bien de leurinspi¡rer,S9usle
nom d'émulation, le poison de l'am:bitlonetde leur
apprendre à se surpasser les uns Its autres; mais,
au contraire, on les 'exerce à se prévenir par toutes
sortes de bons offices, à' obéir à leurs parents, à
préférer son père, sa mère, son ami, à soi-même, et
la patrie à-teut.Lli., i~l n~'y a ,è¡iIR\t die '1Íel'e!li~e.e"(fe
les jeunes ge'D's, si cen'-est .que;l4fules. idtê'b:â~ts,e0'.iQle
ceux d~u ~in d~u ni~l~l°nye`~;t~a~i5s ~i vert~u y a;P~e'l~l`è s~oü~
t. ^I C Dn.uin dit i·illttrpt; o~pi~ ra5to~al dont ~1: ROtl9SeaU avait fait le
p{}l'mC et I:l itititiqtte ~t (lui obtint un succès retentiss~r~:
_a~.¿- c~~ -~=- .°'+-
.i~jéJl,8(_slû 4_wltt~~S"4B.d`~ .1~~ ~eu~c~e~Ee ~â~'1 ~~t ~t'~le déie
bien pub e de 5 Toi x
~s ~â 1~ ~f~es :l~s `e ç~c~ `
,8Q~evlte-~t.4e~'I'velil¡Qa~U~s~l1Jt'e-"j'¡IFilft4"~QFDê
de leu,r 'Unie-8 -qwi"ls '{jJ:gtt'(llJjiQ~~Sre,ss¡~lIt~s'les
pa-issa~nces7 fluiQnt entl'èpm,ssur leur liberté..
lç( Onne Y-oit d 4iis leur pays aucun monument inuti1e,
fastueux, dé'g(j):6ta,ntou épouv.a'ntâble; point de- colon-
nades' d'arcs d~e triomphe, d'hôpitaux -ni de prisons i
~~t.a r~s ~~u~~e ~co~l~~i~=es;, ~à, ~t~ée ¡,;Jc~j~?'¡"9v.¿/tfJ'1 w"c"('n!"I~ç,e~s~e.'Jeiil!s""
Su
~a~ p~eu~ ~e p~u,7i~ae 'ar~~d~e~ u~ ~oca-g~~ad'a~~res~:f~û~i~
tie:œsUlrQ!D~l.OQffa:g.{le i~4culf`t~e~ au;to~r 4~jaJ1Îp;e!tit
't~II1,\le d'G:nl.lepêr.isty!lesert'd"8i»ria~'x'~oyageQJ's,an..
noncent, dans. les lieux les plus déserts; l'h~ufn~a~~itédes
bu!bilauts.Des inscriptions simples sur l'écorce d'un
hètre ou sur un rocher brut cons,erveul à la postériié
la.êlll:0i're;fj~s.<g~AnJbrcjtDYèJt'S -et le '$i91ü~eij'if:(]iC$
bOf.l,nesaeUo'Ós. A.u y.l~~ieu d~e ,ceSlIlœurs 'bienfaisantes,
Ja :r.etigion,paI'J~àtD.us les,cœu'rs un J:âogage ,i~n~té-
Il n'y a pas une moot-agne ni. u'D'f1eu¥equ.j ne
..soit~oDsacrê iLà uii di qui n'enpoJ'te le -pas,=-soit e eu et qu-i n'en port~e le nom;
.une fontaine qui n'ait. sa naïade; pas une flotir ni un
oiseau qui ne soit le-résultat » de quelque ancienne et
touchante métamorphose. Toute la physique y est en
s~ei~~ifm;enEts~re:l~n~"e`ü~xÉ~eta. u~tfé.lta-~TejEno~e~n.$ R
.2¡;¡Rt¡lf~ldJl1:
tèjn~(!1lUx1J¡es.lI!lj.eét¡P~oDt.I!1Î .mwé~dré$:~fs:1te
myrtes, de cypl'~sel'd~'5'a'pins.Leurs ,~escclll(lfi'llt5,~
196 P1~~A-BUL1: I~~ I,'A~GA'1~ -l,-
dont ils se sont fait chérirpendant leur vie, viennent,
dans leurs plaisirs ou leurs peines, les décorer de
fleurs et invoquer leurs mânes, persuadés qu'ils pré-sident tou j ours à leurs destins. Le passé le présent,
l'avenir, lient tous les membres de cette société des
chaînons de la loi naturelle, en sorte qu'il est égale..ment doux d'y vivre et d'y mourir. »
Telle fut l'idée vague que je donnai du dessein de
mon ouvrage à Jean-Jacques. Il en fut enchanté. Nous
en Ornes plus d'une fois, dans "nos promenades, le sujetde nos plus douces conversations. Il imaginait quel-
quefois des incidents d'une simplicité -piquante, dont
je tirais parti. Un jour même, ilm~engageaàenchan-
ger tout le plan. « Il faut, me dit-il, supposer une ac-tion principale dans votre histoire, telle que celle d'unhomme qui voyage pour connaltre les hommes. Il ennattra.des événements variés et agréables. De plus, ilfaut opposer à l'état de nature des
peuples d'Arcadiel'état de corruption d'un autre peuple, afin de fairesortir vos tableaux: par des contrastes. »
Ce conseil fut pour moi un rayon de)umièrequi en
produisit unautre;
ce fut, avant tout, d'opposer à cesdeux tableaux celui de barbarie d"tin troisième peuple,afin de représenter les trois étals successifs par où pas.sent la plupart des nations celui de barbarie, de natureet de corruption. J'eus ainsi une harmonie
complètedes trois périodes ordinaires aux sociétés humaines.
r=
Pour représenter un état de'barbarie je choisis laGaule, cûmméun pàys dontlescom'mencern~enls entout
genre'devaient le plus nousintéresser, parce que
le premier état d'un peuple influe sur toutes les pë.riodes de sa durée et se fait sentir jusque dans sa
,I1t~jfl~;r~;J)~f'4'('
,deeadence,comlue 1'éducati~o~n que reço-ilunhommedès
1 a m a- -mel le i usqiue dans sadécrépitude. Il
senlble..mê,meflu' à .cette dernière époque les habitudes
d~e l'-er~~fance ~,reparaisser~t ;a;vec -plus=~ie -1'o~ce <lue.'cefJesdu restecde la vie
ainsi- que j7e ']y ai observé dan-s les
études;p¡>écéclentes.Lesprem'ièresiQ1IpFessionsefla-
cent les d~ern:ières. Le caractère des nations se for~nedès le berceau, ainsi que celui de l'ho.mome. Rome,dans sa décadence, conserva' l'esprit de donuinationuniverselle qu'elle avait eu dès son origine.
Je trouvai lesprincipaux caractères des mœurs et de
la..reltg'¡Qlll:les-:Ga~:1¡0is;tèi.t.lracês d les C%om~nie?s-
taires de César, daris'PJ¡u.tavq:~ue, daois les lf~~aeurs ~eshe~~mains de-Tacite, et dans
di,verslra.itesnu:ulernes de
Jamy.UloJogie des peuples du Nord.Je reculai plusieurs siècles avant Jules César l'état
des Gaules, afin d'avoir il peindre un caractère plusmarqué de barbarie et approchant de celui que nousavons trouvé aux peuples sauvages de
l'Amérique sep-tent~rionavle: Je ~f Ya~ lë COM-mencenient de la civilisa.tion de nos ancêtres à la destruction de Troie, qui futaussi 1"époque et sans dou~te la cause de plusieursgrandes révolu tions par toute la terre. Les nations quicomposent le genre humain, quelque div isées qu'ellesparaissent en langages, religions, coutumes et climats,sont en équilibre entre elles, comme les différentesmers qui composent l'Océan sous diverses latitudes. Il
ne pev=t aprrriwer q4u~e=lq~a~e;fluil!tlm'(;)ill\VeJme.¡t da"io-s unede ces m:ers qu'il ne
sece:IQRl¡tI'Ji);Jrqu:ep:llu:s eu D)iC):j:nSà
chac~uned'eSal1\tres; eflJrésténf)refillt to'uilies à se m,ettre deniveau. Une nation est encore, par rapport au genrehumain, ce qu'un ho,mme' est par ra~po~L à sa na,tion.
PR,ÉA~t8UL'E'D~E 4198
Si cet'homme Yll1eu-rt, un autre y re-n, d,,an. -8- .lem,4-nle
temps. De inêule, si' UnÉtat sevÉlru,ut s~ur -1a terré, unautre s'y reforme à la nlênle époque. C.'es~t ce que nous
avons vu de nos jours, c~ua~nd, la partie -de,,la république de Pologne aya:Hlélé déœèm¡»réetlansle nord de l'Europe, pour ~tve confand~ue~d~a~n~sles t~rois
États voisins, la Russie, la Prusse et 1'£"èu,triche, peu de
temps après la plus ~grande' partie des colonies~ an-
glaises du nord de l'Amérique s'est détachée des troisEtats d'Angleterre, d'Irlande et d'Écosse, pour former
une ltépublique j et comme il y a eu en Europe une por-tion de la Pologne (lui n'ap~été ~lér~é~nl~r~e; il y aou de même en Alnérique une,portion ~des7 co- l~'onies an-
glaises qui ne s'est pas séparée de 1"Angleterre.On trotlve les Rlêmes réactions politiques"dans tous
les pays et dans tous les siècles. Lorsque 1"enipis-e des."Grecs fut renversé sur les bords dit Porit-Euxin, en
1'-53, celui"des Turcs le remplaca aussitôt; et lorsque.celui de Troie fut d.;8rlait en -Asie, sous Priam, celui,de Rome prit naioance en ltalie, lous8née..
liais il s.ensuivit de cette ruine totale de Troie
beaucoup de petites révolutions dans le reste du genrehumain, et surtout en Europe-.
£Opposai 'l1 l'état de barbarie des .:iaule. celui de
corruption de l'~ypte, qui était alors à son plus baut
degré de civilisation. C'est 11l'époque du' siège de Troie
que plusieurs savants assignent le règne brillant do
56_tri.. O.'aiUeurs ceUoo,ilieD .aclepWopar .608-Ion dans son Tc~e~e; 4-bût une aU!Let'ttéÍ'u:m'sante
pour mon oŒvrage.Je choi."s &u'llimoa.o'~8eur en
~ypte, par le conseil de J~an-J~u~s, d'auta,n,t que,dans t'antiquité, beaucoup d'ét4bUsscrnent5 politiques
u
~i~
et =rel`~~g~eu~r~o~~re~a~u.~~~e l~Y~te c~~a,f~s,_la G~r~ce,.d'a:n,s
~1°'I~amhie.,e~t ~~i~ cli~i~ect'e~en~tâ~~nFsle~ ~au.les, a,~ï`ns~i q uer'h¡'st9il'ee{tl¡)~usieursdeDe:s a,ei~ens: .u;sagesen tontfoi.
~e~~t ~nco~e~u~~e~~uai~te :de~~ r~,°~nt<i:~ ~po~i ~es. Lor~
'q\U~"Q~festà '.s.oR~'dè.ni~g;né,ti'éf'é¥:at1QR, U est 4
80Qi',reim;ierd:es!ré~dettéea¡deRce, p~3rce=q~e 1es choseshum'aines commencent à,
dée;boirdrêsqd'e,I!les on t ut-teint le tal,te dé leur grandeur. C'est alors que les 8.ts,les scieBCes, les
RlœU'fS, lesla:ng.ues, commencent à re-fluer desttats civilisés' dans les Ëtatsbarbares, ainsi quele démontrent les
siècles d"Alexandre chez les Grecs,
par
.t11is'iJ~eij~sd~s'ÓJPosit'ilon' de Càtaetèrese¡ut;re les
~a~uloi9`, lesA1"éadtenSellès.;Égyp-tÎens~ M.a.,is 1"Arca-me seule Dl"offrU' ungrand'oo;mhre de con~ra~stes avecle reste de la Grèce encore à' demi ba,pbare; entre les
maeürs paisibles de ses cultivateurs et les caractères
discordante desbéros de Pylos, de Mycènes et d'Ar-
gos; .entre les douces aventures de ses bergères simpleset n,4~ly-es'et les
épou.van~1esca;tastTO,ph6S d'~phig~-nie, d'ÈlectTeet de Clyteronestre.
Jerenfel'mailesmatenausdem9R ouvrage en douze
livres et j'en ils une espèce de poème épique, non sui.vant.les lois d'Aristote et celil'es de nos modernes, quiprétendent, d'après lui ,qu'un,poème épiq.uene doit
co.ntenir.qu'une action principale de la vie d'un hérosinais suivant les lois de 1_4 n ~,4_1 _a manièr- >e des
.¡.. !IW.)' a h
~s; c~ q~, m~n g~, ~ti.9~ai~t ~d~a~~a~ge. D~'a'~ ëu~sJ,eras;
ce 1-t ~mo -n ain ursp
t'gala, pals,'ollti(~~I"4ePel"'1e;d~Bom'êrecar .¡je ~curtài d: p18~ de son l~ûs~, je ~ne- rufl~Pro-ch4i,de celui de son Odps~sc~e,
PREAMBULE-OE-L'A_RCAUiE.=~oo
Mais pendant que je m'occupais du bonheur du genre
humain, le mien fut troublé par de nouvelles i-nfor..
tunes.
Ma santé et mon expérience ne nie-permettaie-nt plus
de solliciter dans ma patrie les faibles ressources que
j'étais au monlent d'y perdre, ni d'en aller chercher au
dehors. D'ailleurs le genre de mes travaux ne pouvait
intéresser en ma faveur aucun ministre. Je songeai à
en mettre au jour de plus propres à me mériter les
bienfaits du gouvernement. Je publiai mes ~ludes de
la Nutzcre. J'ose croire y avoir détruit de dangereuses
erreurs et démontré d "importantes vérités. Leur suc-
cès m'a valu, sans sollicitations, beaucoup decompli-
ments du public, et quelques grâces annuelles de la
cour, mais si peu solides qu'une simple révolution
dans un ministère me les a enlevées la plupart, et avec
elles, ce qu'il y a de plus fâcheux, d'autres plus con-
sidérables dont je jouissais depuis quatorze ans. La
faveur a fait semblant de me faire du bien. La bienveil-
lance publique a accueilli mon ouvrage avec plus de
constance. Je lui dois un peu de calme et de repos.
C'est sous son ombre que je fais paraitre ce premier
livre, intitulé les Gaules, qui devait servir d'lntroduclion
à l'Arcadie. Je n'ai pas eu la satisfaction d'en parler
à Jean-Jacques. Ce sujet était trop rude pour nos en-
tretiens. Mais tout âpre et tout sauvage qu'il est, c'est
une gorge de rochers d'où l'on entrevoit le vallon où
il s'est quelquefois reposé. Lorsqu'il partit même, sans
me dire adieu, pour Ermenonville, où il a fini ses jours,
je cherchai à me rappeler à lui par l'image de l'Arca-
die~ et le souvenir de nos anciennes conversations.
LIVRE PREMIER
LES GAULES
-Un peu avant l'équinoxe d'automne, Tirtée,berger
d'Arcadie, faisait paître son troupeau sur une croupe
du mont Lycée, qui s'avance le long du golfe de Mes-
sénie. Il était assis sous des pins, au'pied d'une roche,
d'où il considérait au loin la mer agitée par les vents
du midi. Ses flots, couleur d'olive, étaient blanchis
d"émlmequij aHUssaiten gerbes sur toutes ses grèves.
Des bateaux de pêcheurs, paraissant et disparaissant
tour à tour entre leslaules, hasardaient, en s'échouant
sur le rivage, d'y chercher leur salut, tandis que de
gros vaisseaux ,à la voile, tout penchés par la violence
du vent, s'en éloignaient dans la crainle du naufrage.
Au fond du golfe, des troupes de femmes et d.enCants
levaient les mains au ciel et jetaient de grands cris à
la vue d,ud:an,gerqtte CQUjfaÎ,el1;teesp'A:ti,V1'eS mariniers,
et des longues vagues qui venaient du large se briser
en mugissant sti-r lesrochersdeS't~R,iclarÓs.s'échos
du mont Lycée répétaient de toutes -parts leurs bruits
rauques et. conCus, avec tant de vérité que Tirtée par-
202~h'A~=~C~CD~r -"C-
fois tournait la tête, Croyant qlie la tempête était der-rière lui et que la mer'brisp.itaubaut
de 14-montagne.Mais .les cris, dosfou19ues.etdes m~ouettes ui venvi.enten battant des ailes,
s'yréru.gler,~tles'éçlair,s.q'\1i'.sj;lonnaient l'horizon, lui faisaient bien voir que la tour-mente était encore plus grande au" loin qu'elle ne pa-raissait à sa vue. Tirtée plaignait le sort des matèlotset bénissait celui des bergers, semblable en quelquesorte à celui des di~ux, puisqú'il mettait le calmedans son coeur et -la tempête sous ses pieds" Pendant
qu'il se livrait à sa reconnaissance envers le Ciel, deuxhommes
d'u~ne;belle-~fig:ure paru~rent sur`lé ~i'and chve=min qui passait au-dessous de l11i, vers le bais de la'
montagne. L'uJ) était dans la force de ~l'âge, et. l'autreencore dans sa ft'eúr. Ils marchaient la hâte, commedes voyageurs' qui sepressenrt dàrriver. Dès qu'ils fu-
rent.à.la portée de la voix, le plus âgé demanda à Tir-tée s'ils n'étaient pas sur là
route'Argos. Mais lé bruitdu vent dans l.es pins l'empêchant de se faire entendre,le plus jeune monta vers ce berger et lui cria « Mon-père, né sommés-nous pas. sur
laroute.d'~gos'lMon fils, lui. répond,it Tirtée, je ne sais point où
est 'Argos. r Vousêtes en Arcadie, sur le chemin de Té-gée et ces tours que vous.voyez là-bas sont celles deBellémine. » Pendant qu'ils pal'Iaiént.~ un barbet jeuneet folâtre, qui acc~~pagnait cet étranger, ayant aperçudans le troupeau une chèvre toute blanche, s'en appro-cha
ponr jC¡):Ilera¥ecel~lè; m,a~islaêtièvre, effrayée à lavue de cet .anlmaloontles ye~étaien:ttoutco'uvertsde poils; s'enfuit vers le ha;u-t de 'là mOR-ta8Be, où lebarbet la poursuivit. Ce jeune hominé rappéla sonchien, qui revint aussitôt à ses pieds, baissant. la têt~ et'
y
ili~~fi!'1!f
Y':ifj
t-
-a-
'u' rem\lu~fttla.(iueue; il'J;utf'ÕJssa;.ùne laisseau,teuriu
cou, et,- -priant berger dê.rnrrêter, il courut lui-
même aprèsllichèvre1l1i. s'el1ftly~itto,ujQUJ'S;It1B~S,
-son c~i~e~n, ~le v~o~yauaparti€r, ~~onrl~ u~n~-si _r.ü~dE~ecou~se
4 -1 Tilitëe lui éc~b' lalp-P a avec '1~àl~~is~e .et'semltlL
courirsivitesurlesp~desOÎl IQ.(U~requ~ bientôt,onne vit plus ni la chèvre, ni le voyageur, ni son chien.
L"étranger resté sur le grand ché~i~n se disposait àaller vers son compagnon, lorsque le berger lui dit
Sei,7neur, le temps est rude, la nuit s'approche, la
forèt_e_t.Ja.D1~I!g!1~~S9Jl~~pJeh)~.sde fOQd.ri~res où-vot~s-
po.rriêj.vo'1J'sêgar~r.¥èÎl~z';pre;ndlre'Un'petJ.de..pepos.
dansmacabanè,q:ûi n'e~tnpasloind'ici.le suis bien°
~sdr que -ma ~ëltèvre, qui eS.tfortnrivéë,. y reviendra
d'eUe-l1l~me et y ramènera votre ami, s'j:tne la perd
point de vue. )).En.mêmetem,ps il jona de son chalu-
~rieau, et le trQupeau se mit à défiler, par un sentier,vers .Je. haut de la montagne. Un grand bélier marchait
à la tête de ce troupeau; il- était sùivi de six chèvres
dont les mamelles peDdaientJusqu~aterre; douze bre-
bis.. accompagnées de leurs agneaux déjà grands, ve-
naient après; uneAnesseaveo son ânon fermaient la
marche.
L'étranger suivit Tirtée sa~ns rien dire. Ils mentè-
rent environ six cents pas, par une pelouse découverte,
parsemée çà et là de genéts et de romarins; et comme
Usen.tœient.da~~s la ferê,tdeehADes@licouv,re le
:.haIUJtd'um0DltLy~ée ,ilsue'Rtt.a41irettlles aboieine-nits
d~uJÎebiel1: hienb)tâprèsilswFenltveD¡j,ra11:.devant.
d'eux le .h~rbet,s\t,ivi. de son mat,trequ:ï portait, lachêne blanche sur ses "epaules.Tirtée dit à ce jeunehomme Mon fils, quoique cette chèvre soit la plus
20~ L'ARCA"DTÈ
chér ie de mon troupeau,j.hner-aisUlie.t!~l'aV:0:i:r~pèr-
duè que de vous avoirdonnélafatigue deJa.r~prendre
à la course; mais vous vous reposerez, s'il vous 'lait
cette nuit, chez moi; et demain, si vous voulez vous
mettre en route, je vous montreratle chemin 4ê T.egée,
d'où on vous enseignera celui d'Argos. Cependant,. sei-
gneurs, si vous m'en croyez l'un et l'autre, vous ne
partirez point demain d'ici. C'est demain la fête de Ju-
piter, au mont Lycée. On s'y rassemble de toute l'Ar-
cadie et d'une grande partie de la Grèce. Si vous y ve-
nez avec moi, vous me rendrez plus agréable à Jupiter
quand je ~me présentel"ai à son autél, pour l'adorer,
avec des; hôtes.. ) »
Le jeune étranger répondit
« 0 bon berger 1 nous acceptons volontiers votre
hospitalité pour cette nuit; mais demain, dès l'aurore,
nous continuerons notre route pour Argos. Depuis
longtemps nous luttons contre la mer pour arriver à
cette ville fameuse dans toute la terre par ses tem-
ples par ses palais et par la demeure du grand
Agamemnon. »`
Après avoir ainsi parlé, ils traversèrent une partie
de la forêt du mont Lycée vers l'orient et ils descen-
dirent dans un petit vallon abrité des vents. Une herbe
molle et fralche couvrait les flancs de ses collines. Au
fond coulait un ruisseau appelé Achéloüs, qui allait se
jeter dans le fleuve~Alphée, dont on apercevait au loin,
dans les plaines, les Ues couvertes d'aunes et de til-
leuls. Le tronc d'un vieux sau1e renversé par le tempsservait de pont à l'Acbéloüs, et ce pont n'avait pour
garde-fous que de grands roseaux qui s'élevaient à
sa droite et à sa gauche mais le ruisseau, dont le lit
~olis«oul~ ~~1-~E
éta'ÎtselUé. de .r(;)chers,-étldts,i~raciie à~assee à g;t~
on raisaitsipett d'usage de son pont, que des convoI.vulusle couvraient- presque en entier de leurs festons
die -ar -et~ de, fi. e itr~s. en,, 's ~b~la.,
Aq:ueblwe distaricedece;p,(!)nl était l'abi=tat~ion deTirtée. :C'était une
Pe~tite ~nai~so~n couverte d~e cba~u~ine,bâtie au milieu d'une pe~Touse~ Deux peupliers l'onu-
brageaient du côté du couchant. Du côté dum,idi, une
vigne en entourait la porte et lesCenêtres de ses
grappes pourprées et de ses pampres déjà colorés defeu. Un .vieux~l~er~e.lata})i~sf1itau nord et couvrait de
s'ol1.le.D¡,n~ge.'>~oJHjl6,:u.r9.vert~I;Re_par.ti.e' .d'e.l~,escalier.qui
conduisalt"par:d~'It'arsà..l'é:ta8esu,êFieur.Dès que le troupeau s'approcha de la maison, il se
mit à bêler, suivant sa- coutume. Aussitô,t on vit des-cendre par. l'escalier une jeune fille, qui portait sousson bras un vase à traire le lait. Sa robe était de laine
blanche, ses cheveux châtains étaient retroussés sousun chapeau d'écorce de tilleul; elle avait les bras etles pieds nus, et pour chaussure, des soques, suivant
l'usage des filles d'Arcadie. A sa taille, on l'e6,tprisepour une nymphe de Diane; à son vase, pour la naladedu ruisseau; mais à sa timidité on voyait bien quec'était une bergère. Dès qu'elle aperçut des étrangers,elle baissa les yeux et se mit à rougir.
Tirtée lui dit « Cyanée, ma fille, hâtez-vous detraire vos chèvres et de nous préparer à manger, tan..
dis que je ferai chatiger de l'eau :paulr l'averJespiedisde ces voyageurs que lupiter nous envoie. »
En 'attendant, il pria ~s étra~n=~e~rs die'se ereposer au
pied de la vigne, sur un banc de gazon. Cyanée, s'étantmise it genoux sur la pelouse, tirait le lait des chèvres,
g~ Lt~kG~1,~1
_-r
qui s'étaier~~t1'/J;&Sdlt!tÜQul'd'le;I~
eutflni,elle co~d~uisi~t l~~ ~rou~pea,=u-d~a~n~:Ia)œùa~,ie,qui était à un bout dé la mraiso,o.éependaRit'irtéefltchauffer de l'eau" 4»1t-la-.Yer les. pieds -4,e;~ses.zhôt-eof'0 il les invita .d"
Il faisait déjàn'u.j¡t mais une' lampe SQsp,endueauplancher et la
ftam,medufeyer,plac.é, s ides Grecs, au milieu de l'habUatioR,enéclairaien:tsur.llsarnment l'intérieur. On y voyait accrochées aux mu.rsdes fltltes, des panetières, des houlettes, des formes àfaire des fromages, et sur des plancbes attachées aux
solives~des'eoFhenl.esde'frllits.etdes'tePPÏil1êj:,1e¡~~sde lait. Au-dessus
deJa>pÓrtedi'entreeeta~it'ù;ne',etiiestatue de terre
de la bonne Cérès, etsurêe,)rJe de la
'bergerie' la figure du dieu Pan, laitp. d'une racine d' oI'Í-vier..
Dès que les 'voyageurs furent introduits, Cyunée mitla table et servit des choul verts des pains de fro-
ment, un pot rempli de vin, un fromage à la crème,-des' ,œu'Cs frais et des secoRdesO'8ues de l'année,blanches et violettes. Elle approc.ha de la .table quatresièges de bois de chêne. Elle couvrit celui de son pèred'une peau de loup, qu'il avait tué lul-m.\me à ]ifchasse. Ensuite, étant ~ontée à l'étase supéri~ur, elleen descendit avec deu: toisons de brebis mais peii-dant qu'elle lés étendait sur les sièges des voyageurs,elle se mit à pleurer..
Son p~rel~uk~d5i~t ((8acllrè,reO¡i~e,sercz~vo\ü~ste:uiIGu,Ps
iucoÎlsola~le.delaperte devot-re mère? et ne pourrëz.vous jamais rien toucher de tout ce qui a été à sonusage sans verser des lirmes ? » C)'anée ne répondœ.t.rien; mais se tournant vers la n~u¡'nine, elle ~'t1SSu1U
?_
y.
--t;B~~r,yi.
t-
~= a. _a.
3' ~l~a ~I;I~ ~1~`~ u°Il_ =~ I~ ~e u~e ~i~t~ ç
ch}¡l~pii~jt(ej!e,fT;i~f.iÎ1iIf~e,«!fir,ses"Wtès" ,ill.'se.mi,ellit
tou~s ~~a~su.ig~ ~er~- ~ga~c~~m~tu~ ~~ro fQ:yd~~i~en~ce.
~~ut~~ << =l~e~ ~e~e~ ~1~`~~s, -si xQus °fu.~s~~ëz ves~nd~s
G~ ~.q~ue~~£~te~~u~ l~a~iï~r~t c~~eZ'A~rcadfié ~ouu si VÔI1S
,lu:ss,iez'passé.s.ie-i-'Î1):ya.qQê1q:ues. an'nées, ,V.8U'S:eussiez
été.beauc0:UJp.mi(~usréçu$~lfa'¡slam'ai-n de.Jüpi~t~r m'a
fra,~p.pé. J7~ai~e~u,su -r~ le cote_au voisin, un jardin qui me
fournissait, dans toutes les saisons des légumes ét
d'exceUentsfruUs Uest mai-n,tenant confondu dans la
f~o~`t. ~e Ya~o~so~l~~eu~~e ~e~én~issa~i~ ~d~~ :~n~g~en!tdé.ê~i..t~fi~Sîez..e''¡~1mil\l'dU-1P~t¡ftail
s'oi¡r.d'aR'$;DlIaIQOji'sC}n,'Q~ ~d:es~haJil;ts.'d~i.é8I'esseet
des ccia 'de joie. 1'la~i,vu~ a~u~t,, our de cette table "troisgarçons et 'qbq¡~Fe-.ntle8.Lel~lul jeun de 'me8fiilsét~iten éta~ de conduire un troupeau de b'l:ebis. Ma flUe
Cyanée ses petite~ sœurs et leur tenait déjàlieu de mère. Ma fem~me, laborieuse et encore jeune,enll'ei:enai¡t,teuter8inQeeauteu,r de moi la- gaieté, la
paix etl' abond(8)nCe~uMais la perte de mon nl~a,IDé a
entra,lnéceUede'!J!esqueto.~te ma fami~lle. 1,1 .-aimait'comlme un jeune homme, à faire-preuve de sa légèretéen môntant au
hau,tdespl:us8ra'n~8 arbres. Sa.mèrefà qui de pareils exercices causaient une frayeur ex-
trt-me, 1"avait-prié pl~usieuus fois de s'en abstenir.'lelui
avais préd~t qu'il lui en arriverait quelque mal-
'h:e'UI'lasl.~és..d¡i~u«J.I1"$IJt\t, .fJûllti de mes .pPé:dfi~4ii0ftsen
'.lesnccQ81,f¡'ssa:n¡t.-lJnJo'llr;è~êque
lR@ri"Il¡lsê,taiÍt'cl'ltn~llàlé'r4tàg8il'der lestfou.peaUxavec ses frères, ,leplusJe-u~e d'en.tre êuxeut enyi~e de
manger des fruits d" unnierisier 9- sauieage. A' u, ssit 4t
208 L'ARCAlllI-E'
l'alnémontadans l'arbre pour encu~ei~l~hiror;etqjllaflr~;jt
fut au sommet, qui é~tait très élevé, il a~perçu3t ga ~aère
aux environs, qui, le voyant à sontou:r,jle.ta un cri
d'effroi et se trouva mal. A cettevue,la:p,eu;f.fllU¡:e,re-
pentir saisit JBonmalkeureuxfils;i;¡t0:Rl¡boa~Sa1Ué'l'e,
revenue à elle aux cris de ses enfan:ts,aCCOUlftit vers
lui; en vain elle essaya de le ranimer dans ses bras
l'infortuné tourna les yeux vers elle, prononça son nom
et le mien et expira. La douleur dont mon épouse fut
saisie la mena en peu de jours au tombeau. La plus
tendre union régnait entre mes enfants et égalait leur
affection pour leur mère. lls,mou,~rur-en.~t7te.~n-s-. dia-:regret
de sa perte et de celle les uns des au4treR. A~ecco~
bien de peine n'ai-je pas conservé ceUe-ci! » Ai1-n'si-
parla Tirtée, et, malgré ses efforts, des pleurs i-no~ndè-
rent ses yeux. Cyanée se jeta au cou de Son père, et,
mèlant ses larmes aux siennes, elle le pressait dans
ses bras sans pouvoir parler. Tirtée lui dit: « Cyanée,
ma chère fille, mon unique consolation, cesse de t'af-
fliger. Nous les reverrons un jour sont avec les
dieux. » Et la sérénité reparut. sur son \;isage et sur
celui de sa fille. Elle versa, d'un air tranqu,ille, du ViA
dans toutes les coupes puis, prenant un fuseau avec
une quenouille chargée de laine, elle vint s'asseoir au-
près de son père et se mit à filer en le regardant et
en s'appuyant sur ses genou:.
Cependant les deux voyageurs fondaient en larmes.
Enfin, le pl!us j'euiRe ,re!D'8:nt la parole dit à Ti:rtée
« Quand nous aurions été reçus dans le p¡¡lais et à la
ta'bled' Âgaœe'moon, au momen=t où, cE)uvertdè gloire,
ilreverra SI1thle Iphigénie et son épouse 'Clytem,nestre,qui soupirent depuis si longtemps après son retour,
â
L
--4~:1i~=li~I~ ` ~li 'J~iSJi'`1'k i s
to~u~~ ~8 = aq~ûfe ,e~' ~es ~dfFp~~t a~us sa:s>8,ee1taf:êB~~
:Oh0J1:ifiJ1serlftfaut l'-a,v:0ureF vous avez ~ép~ou~,6d~,e
~~a' ~°_r ~~ris ~p~~s~ v:e ~~o~~e~~ ,~a `-;v~a~
~w~ Yo~u~l_ Y~~u~s'.e.te~Fi r e~q~u~
.âCç"rê~t"l~s'¡I¡t:l~s.paT. ~~Gute"1J3téll're,ia:u~,asse~¡êzla'Dlu,¡¡t.Q.l'e,ntend:re.età.'béni¡r
vo~r-eso~rt.3~ui~e~P d~q~tudes vou-ssentincOR¡DUeS aa~ mU;ieu d;e ces~e,tl'ai:tespa.isU)lesl Vonsy vivez ~l~i`bre; la nature fournit à tousvos besoins; '17a-MOuf paternel vous rend heureux, etune religion do~ucE~vous console de toutes vos peines. »
Cé,pba~"nB~~R~;t-c<l.pap6,1¡e.,¡d,jt~àc.s'onj,el!lnea~¡,(joinlllls" ;raCQ,nitez"n:ous
vos;p!'opres'.atlt:e;.s;
T,,irtée vo,u 3 écoutera avec pr Qpres ~q~u'i;l ,nem'rcoumterai~t ê 'Dans l, '.111 la vertu estmecoOi..e.ral'Dl()I~'m m,e.ù8:ns m YH~a1".Iaver ues,tsouvent lie frui~t de la raison; m'ais dans la jeunesseelle est toUj:O-oFS celui du senHnlenl. »
Tir tée, s'adressant an jeune étranger, lui dit a Amon âge on dort peu. Si vous n'êtes pas trop pressé du
sORlmeú,Jau.~a¡1 bien,i u.tRtSiIT.VOtlSeA!l<eOU-:re.e.-ne
suis jamais sorti de.0., et j'-honore
les voyageu'rs.14s sont sous la protection -de Mercure etde Jupiter On' apprend Itoujo~ur.9 quelque chose d'uaileavec eux. Pour vous, il faut que vous ayez éprouvé de
grands chagrins dans votre palrie pour avoir quitté sijeune vos parents, avec lesquels il est si doux de vivreet de mourir.
,Q.u9ii~¡u'i~l s'ojftdijfIAlci~¡e, 1'01 rép0iArd¡iit ce j,eune]~(!)'IUmiet'de Parler t0iujoeU¡rs de soiavec.sincé:r¡té, ~u~s
no:usavezla~i:tun -tibonaoouleil,ureje'YGus .crAcQQ\œr,ai
VO,loBit.ie,rst-outtes m, es aven'tures, baAnese:t mauvaises.c( le m'appelile Amasis. Je suis né à Thèbes en
t.¡
L'ARCADIE210
Égypte, d'Lin père riche. Il me fit élever par les prêtres
du temple d'Osiris. Ils m'enseignèrent toutes les scien·.
ces dont l'Égypt~ s'honore la langue sacrée, par la-.
quelle on communique avec les siècles passés, et. la
langue grecque, qui nous sert à entretenir des relations
avec les peuples de l'Europe. Mais, ce qui est au-des-
sus des sciences et des langues, ils m'apprirent à être
juste, à dire la vérité,' 11ne èraindre que les dieux et à
préférer à tout la gloire qui s'acquiert par la "vertu.
« Ce dernier sentiment crût en moi avec l'âge. On
ne parlait depuis longt~mps en Égypte que. de la guerre
de- Troie. Les noms d'Achille, d'Hec~or et" des autres
héros m'empêch~iént de dormir.. J'aurais acheté un
seul jour dé leur renommée par le sacrifice de toute
ma vie. Je trouvais heur~ux mon compatriote Memnon,
qui avait péri sur les murs de Troie, et pour lequel on
construisit à Thèbes un superbe tombeau..Que-dis-je ?
j'aurais donné volontiers mon corps pour être changéen la. statue. d'un héros, pourvu qu'on m,'etlt exp.osé
sur une colonne à lavénération
des peuples.« Je résolus donc de m'arracher aux délices de
l'Égypte et aux douceurs de la maison paternelle
pour acquérir une grande -réputation. Toutes les fois
que je me présentais devant mon père « 'Envoyez-« moi au siège de Troie, lui disais-je, afin que je me
« fasse un nom illustre parmi les hommes. Yous avez
« mon frère ainé, qui vous suffit pour assurer votre
t<postérité. Si vous. vous opposez toujours à mes ilésirs
« dans la crainte de me perdre, saehez que si j'échappe
_««la guerre je n'échapperai pas au chagrin. » En
effet, je dépérissais à vue d'œil, je fuyais toute soci~té,et j'aimais tant là solitude qu'on in"avait donné. le sur-
L'ARCADIE 211
nom de Monérès (soli-laire): Mon père voulut- en vain
combattre un sentiment qui était le fruit de 1"éducation
qu lm aval. donnée..« Un jour il me présenta il Céphas, en m'exhortan:t
à suivre ses conseils. Quoique je n'eusse jamais vu
Céphas, une sympathie secrète nl~atta~ba d'abord.it.lui.
Ce respectable ami ne chercha point à.combattre ma
passion favorite; mais pour l'affaiblir il lui fit changer
d'objet. « VOUS'aimez. la- gloire, me dit-il c'est ce qu'il
« y a de plus doux dans le monde, puisque les dieux
« en onlfŒille1J'rpartage~ MQ:i$ comment cOlm\ptez-OUS
(c l'acquérir au siège de Troie ? enel, parti prendrez-vous, des Grecs ou des Troyens 1 ?Lajastice est peur
la Grèce la pitié et le devoir pour Troie. Co~~nbaEt-
a trez-.vous en faveur de l'Europe contre l'Asie ? Por-
a terez-vous les armes contre Priam, ce père et ce roi
Infortuné, près de succomber avec sa fainille et son
(( empire sous le fer des Grecs? D'un autre CÔté,pren-
(( drez-vous la défense du ravisseur Pâris et de l'adul-
a tère Hélène, contre Ménélas son époux ? Il n'y a point
a de véritable gloire sans -justice. Mais quand un
«. homme libre pourrait démêler dans les querelles
«( des rois le parti le plus juste, croyez-vous que ce
«serait à le suivre que consiste la plus grande gloire
~· qu'on puisse acquérir 2 Quels que soient les app)au-
*dissements. que les victorieux reçoivent de leurs
(( compatriotes, croyez-moi, le genre h£u~ ~âi:nsai~t b~ien
(t les mettre un jour à leur place. Il n'a placé qu'au
t. On sait que la fameuse guerre de Troie, qui fait le sujet de l'Iliade
d'Homère, eut pour cause l'enlèvement d'Hélène, femme du roi grec-
Mênélas, par le pasteur PArte; itl~ de Priam., roi deT~oie. Le. Grecs, ayant t
pour' chef Agamemoon, roi i d'Argoe, assiégèrent Troie pendant dix ans
et enli~ 1~, ruinèrent.
L'ARCADIE212
If rang des héros et des demi-dieux ceux qui n'ont
exercé que la justice comme Thésée, Hercule, Piri.
titonsp etc. Mais il a élevé au rang des dieux ceux
Il qui ont été bienfaisants tels sont Isis, qui donna
(les lois aux hommes; Osiris, qui leur apprit les arts
et la navigation; Apollon, la musique; Mercure, le
commerce; Pan, h conduil'c des troupeaux; Bacchus,
Il Í\ planter la vigne Cérès, à faire croiti-c le blé. Je
suis né dans les Gaules, cl--itinua Céphas c'est un
pays naturellement bon et fertile, mais qui, faute de
te cÎ\rilisation, manque de la plupart des choses néces-
IC saircs au bonheur. Allons y porter les arts et les
plantes utiles de 1"Égypte, une religion humaine et
a lois sociales nous ~n rapporterons peut-étrc des
choses utiles à votre patt-ie. Il n'y a point de peuple
sauvage qui n'ait quelque industrie dont un peuple
t( policé ne puisse tirer parti, quelque tradition an-
Il cicnne, cluelque production rare et particulière à son
climat. C'est ainsi que Jupiter, le père des hommes,
a voulu lier, p:w un commcrce réciproque de bien-
( faits, tous les peuples de la terre, pauvres ou riches,
et barbares ou civilisés. Si nous ne trouvons dans les
Gaules rien d'utile il l'Égypte, ou si nous perdons,
par quelque accident, les fl'uils de notre voyage, il
nous en restera un que ni la mort ni les tempêtes ne
sauraient nous enlever ce sera le plaisir d'avoir fait
« du bien. »
·~ Ce discours éclaira tout à coup mon esprit d'une
lumière divine. J'embrassai Céphas, les larmes aux
yeux. ~<Partons, lui dis-je allons faire du bien aux
hommes; allons imiter les dieux 1 »
« Mon père approuva notre projet, et comme je pre-
L' l~~G:AD~I~~ 213-
nais congé de lui, il me d¡it, en me serrant dans ses
bras « Mon fils, vous allez entre,prendre la chose la
·~ plus d.i.fOciie qu ïl y ait au monde, puisque vous allez
(( tr~v~iller au bonheur dès hommes. Mais si vous
C(pouvez y trouver le vôtre, soyez bien silr que vous
ferez le mien. »
·~ Après avoir fait nos adieux, Céphas et moi, nous
nous embarquâoles à Canope sur un vaisseau phéni-cien qui allait chercher des pelleteries dans les Gaules
et de l'étain dans les nes Britanniques. Nous empor-
l~lmes avec nous des toiles de lin des niodèles de
chariots, de charrues et de diversnlétiers; des cruches
de vin, des instruments de musique, desgra,ines de
toute espèce, entre autres celles du cl1anvre.et du lin.
Nous fimes attacher dans des caisses autour de la
poupe du vaisseau, sur son pont et jusque dans ses
cordages, des ceps de vigne qui étaient en Beur et des
arbres fruitiers de plusieua-s sortes. On aurait prisnotre vaisseau, couvert de pampres et de feuillages,
pour celui de Bacchus allant à la conquête des Indes.
·~ Nous mouillâmes d'abord sur les côtes de rilc de
Crète pour y prendre des plantes convenables au cH-
mat des Gaules. Cette lie nourrit une plus grande
quantité de végétaux que l'Égypte, dont elle est voisine,
par la variété de ses températures, qui s'étendent de-
puis les sables chauds de ses rivages jusqu'au pieddes neiges qui couvrent le mont Ida, dont le soiiiruet
se perd dans les nues. Mais, ce qui doit ét-re en, core hicl1
pl~us cher à ses habitants, elle est gouvern~ée par les
sases lois de ~:i,nos.
t( Un vent favorable nous repoussa ensuite de la
Crète à la hauteur de Mélite (Malte). C'est une petite
L'ARCADIE214
ne dont les collines de pierre blanche paraissent de
loin sur la mer comme de's toiles tendues au soleil.
Nous y jetâmes l'ancre pour y faire de l'eau, que l'on
y conserve très pure dans des citernes. Nous y aurions
vainement cherché d'autres secours cette. lie manftue
de, tout, quoique, par sa situation entre la Sicile et
l'Afrique et par la vaste étendue de son port qui se
partage en plusieurs bras, elle dût être le centre du
commerce entre les peuples de l'Europe, de l'Afrique
et même de l'Asie. Ses habitants ne viv ent que de brio.
gand~~es. Nous leur fhllesprésent de graines de melon
et de celles du xylon (le coton). C'est une herbe qui se
plait -dans les lieux les plus arides et.dont la bourre
sert à faire des toiles très blanches et très légères.
Quoique Mélite, qui n'est qu'un rocher, -ne produise
presque rien pour la subsistance des hommes et des
aninlaux, on y~ prend chaque année, vers l'équinoxe
d'automne, une quantité prodigieuse de cailles, qui s'y:
reposent en passant d'Europe en Afriqtle. C'est un spec-
taèle curieùx de les voir, toutes pesantes qu'elles sont,
,traverser la mer en "nombre presque infl~i. Elles atten-
dent que le -vent du nord souftle et dressant en l'air
une de leurs ailes comme une voilé et battant de
l'autre comme d'une rame, elles rasent les flots de leurs
croup.ions chargés -de graisse. Quand elles arrivent
dans l'lie elles sont si fatiguées qu'on les prend à la
main. Un homme en peut ramasser' dans un jourpIns qu'il n'en peut manger dans une année t.
« De Mélite, les vents nous poussèrent jusqu'aux lies
Le~ caille~ passent il. Malto il jo~r nommé, sur 1'lmumtchdu pays.
~'AI~~AD~~ ~5
d'Enosis., qui sont à l'extrémité méridionale de la
'Sardaigne. Là ils devinrent contraires et nous obli-
gèrent demÕuHler. Ces Hes sont des écueils sablonn~uxqui ne -produisent rien; mais, parune merveille de la
providence des dieux, qui dans les lieux les plus stériles
sait nourrir les hommes de mille manières différentes,elle a donné des thons à ces sables, comme elle a donné
des cailles au rocher de Mélite. Au printemps, les
thons qui entrent de l'O"céan dans la Méditerranée
passent en si grande quantité entre la Sardaigne et
les îles d'Énosis, que leurs habitants sont occupés nuit
et jour à les pécher, à less~ler et à, en tirer de},;buiile.
J'ai vu sur leufrs riva~és des monceaux ~'os~ bri11é9 ~ié
ces poissons, plus hauts que eettemaison.- Mais ce pré-sent de la nalur.; né rend pas les insulaires plus riches.
-Ils pêchent pour le profit des habitaimts-de la Sardaigne.Ainsi nous ne vlmes que des esclaves aux Ue! d'Énosis
et des tyrans à Mélite.
« Les vents étant devenus. favorables, tious partilnes
après-avoir fait présent aux lna~bita,nt's d'Éno~is de quel-
ques ceps de vigne et en avoir reçu de jeunes plants
de châtaigniers, qu'ils tirent de la Sardaigne, où les
fruits de.ces arbres vienrient d'tine grosseur considé-
rable.
« Pendant le vOY8.8e, Céphas me-faisait remarquerles aspects variés des terres, dont la nature- n'a fait
aucune semblable en qualité et en forme, afin que di-
Verses plan~tes et diversaniRl'aux.pusseat trouver, d'alDs.
le même clhnat, des tetnpératutres diŒérentes.Quaad
nous n'apeccevions que le ciel ét l'eaUt. il me faisait
1. Iles dc âaint-Fierre et Saint-~ntioche.
216 L'ARCAD~~
observer les hommes. Il me disait « voyez ces ge~s« de mer, comme ils sont robustes !Vous les ren-« driez pour des tritons. L'exercice du corpsestl'ali;.(1 ment de la santé. Il dissipe une inSIOÏté de maladies« et de passions qui naisseo;t-danslecreposdesuv'¡iFles.« Les dieux ont
planté ~a vie hun~aâ.ne co~r~e 1es ch~~es« de mon pays. Plus ils sont battus des- vents, plus ils« sont vigoureux. La mer, me disaU-ilencore,est une« école de toutes les vertus.- On y vit dans des privationsccet dans des dangers de toute espèce.' On est forcé
« d'y être courageux, sobre, chaste, prudent, patient,u
vigilant, religieux. Mais, luirépondis- je, pourquoi
«. la plupart den,?sco,QtPà~nonsde:~o~age.n!~QQ,t..i;ls:iu.
« ~une de cesqualités-là?unsson,t,presquét9usi~telli-
t~ pérants, violents, impies, ,louanfjjÜ btâm8'otsans« discernement iout ce qu'ils. voien:t faire.
cc Ce n'est point la mer qui les a corrompus, reprit« Céphas. Ils y ont apporté leurs passions d~ la terre.« C'est l'amour des richesses, la paresse, le désir de se« livrer à toutes sortes de désordres quand ils sont il« terre qui déterminent un grand nombre d~on~4rnes«
a, voyager sur la mer pour s'enrichir; et comme ils« ne trouvent qu'avec
beaücoup de pei~ne les moye~n9« de se satisfaire sur cet élément, vous les voyez tou-
jours inquiets,so'mbresetimp8;tients~parce qu'il n'y
a rien de si mauvaise humeur que le vice quand. il setrouve dans le chemin de la vertu. Un vaisseau est le(i creuset où s'éprouvent les qualité9, _mor~les,. Le mê-« C~8:Dt y em,ire,.e,t le ~oa"Yd!(fft'eDit,ltteJlelt1!I\8Ii:$la vertu tire parti de toute. Pre'fltezd!eJeiIlFs «Iél.ults'.Vous apprendrez ici à
mépriser48alem:e,n,tl'¡'nj~d!re etles vains
applaumssement$, .mettrevetre cont-enteu
L'A~~`~ -~l )51~ i e
«umeRteI1V0.S~m:ê.e.,etuà -n,:pFegdTe,ue..les,die,~s
<<~~urté 3 rc~in,~s~°evosactions. -Ce 1-uii qui veut -faire dïti
« bien au'xb'oirp.mes doit S'exercer de -bonnehe 1u, r c~, à
« enrece'!o!¡rdlu mal. C'est par les travaux du corpsu
~t ~.a~r, l~iEn~~s~~e~i~es ~~m°-~ aa qFue v©s f~o~i~é~e~«
'laJQIj:s~V(!),tl~êcÓrps'et'v0t,pec.â'JIle.'Ç';est;ipli 'q,g~iHercule« a acq9u~is le et la force prodigieuse qui ont« Portésa 9--loi~re j~,usqu~e-ulxastres. »
« Je suivais donc, autant que je lepou-va,is, les con-
seils de mon ami, malgré mon eatréme jeunesse. Je
tra vaiUaisà lever les lourdes antennes et à manaeu-
vrer_t~9jl~s ;n;m~j5J~-J~-cmQhuJrce raillerie de mes
C~1t~$¡"t~;IIJ'!I"p:j~D~j).J:ieDçe,
j~ét8is,~tti..tt."de'çÓinÇedé~,lfIÎL'm'ta:i¡tJ'ÍI.:s.faeÎ:le;de,exer-
cerço'Qjt~étes'te*JÍ:pêles'CJ1Je,cÓIDtre les mépris des
hOdliIDes, 'ta'Rt'DJ.QD:édiucaUonm'avait déJà ~endusen.
si,,b.1-eà 1"9;pi'R'¡Olld~âu,trui 1
« Nous- Passâmes le détroit qui sépare l'Afrique de
l'Europe (Glbrailtar), et nous vimes, à droite et à gauche,les deux montagnes Calpé et Abilaqui en ro~tiOent
1 en~t-r-ée.Nos ma-telots phéniciens ne manquèr,entpas
deuo:Q,sfai'fè observer-que leur r~d-tion ~talt la pr.em~ière
detou:tesceUesde la terre q~ui aB-ait osé pén~trer~dansle ..vasteOcéaD, et côtoyer ses' rivages jusque sous
l'On~rs~ glacée. Itsm:irentsa8,lo¡'re -fort au-dessus de
celle d':8er-cule, q~ui ~v~i-t planb~, d~issien~t-i~ls, deux co-
lonnes à ce passage, avec l'inscription On ne va point
au J~e((j. ,CQ.8Ile"sile~WJ!.lQeod~,dl@st~~l!a,a.d.e~ait ".too
ce~l~u~i-ë9 c~ÇQ!8l~,e:s'4i.llè~'g~njé'lil~Jjiaîi~c{~,bl1,i,. né
t. ,811c'lI,heoCeasiDR ;1~I~1rPlJler le'sb'mme8
lI..laJiusticeetcle'l'elulre hi 'lamjmei¡te."aes
"héros, le,g.rdij,sa.i,t « J'ai toujours ouldilre ~q5u'ül-:i'al=
-L'ARCADIE,2~S
a lait respecter les anciens. Les inventeurs.en chaque« science sont les plus clignes- de l~uange,p.ar~ 'ils« en ouvrent la.carrière aux autres hommes. Il est peu« difficile ensuite à ceux qui viennent après eux d'allerccplus avant. Un enfant monté sur les épaules d'ungrand homme voit plus loin que celui qui le porte. »
l\Iais Céphas leur parlait en vain ils ne daignërentpasrendre le moindre honneùr à la mémoire du fils ~'AI~-
.mène. Pour nous, nous vénérâmes les rivages de l'Es-
pagne, où il avait tué Géryon à trois corps; nous cou;
ronnàmcs nos têtes de branches de peuplier et nous
versâmes, en son honneur, dg vin de Tbasos. dans lesflots.-
Bientôt nous découvrim es les profondes et ver-
doyantes forêt.s qui couvrent la Gaule'celtique. C'est unl'ils d'Hercule, appelé .Galatès, qui donna à ses habi-tants le surnom -de Galates ou de Gaulois: Sa inère,fille' d'un roi des Celtes, était d'une grandeur 'prodi-gieuse. Elle dédaignait de prendre un mari parmi les
su jets de son père; mais quand Hercule passa dans les
Gaules, après la défaite de Géryon, elle nèpút refuser
.son, cœur et sa main au vainqueur d'un tyran. Nousentrâmes ensuite dans le can~l.qui sépare la G.aule.des lies
Britanniques; et en peu de jours nous par-.vlnmes7 à l'embouchure de la Seine, dont les eaux-vertes
se distinguént en tout temps des flots azurés dela mer.
« J'étais au comble de la joie. Nous étions près d'ar-river. Nos arbres étaient frais et. couverts de ..feui,1,1,es.Plusieurs d'entre eux, entre autres les ceps de* vigne,avaient des fruits mOrs. Je: pensais- au bon accueilqu'allaient n'ou"s faire des peuples dénués des princi-
2f9.L'A'Rl~A!DJlE
pa~uac biens de la nature" l~rsq€u'i~l:g nous.verraient déJ'8
barquer sur leur rivage avec :les plus douces nrod~uc=tions dé l'Ég3~pte ~t ~de la Crète. Les seuls travaux de
l'agriculturesuffisenlpoltr 17ize-r les peuples erf'antset
vagabonds, et leur 'ôter le désir de soutenir par la
violence la vie bumuineq'ue la, na:tu-re entretient partant de bienfaits. Il ne -faut .q,u'un. s,ra-in de blé, me
disais-je, pour policer tous les Gaulois par les arts que
l'agriculture fait naitre. Cette seule graine de lin suf-
fit pour le vêtir un jour. Ce cep de vigne est suffisant
pour répandre à perpétuité la gaieté et la joie dans
leu-I's fes.tiQs.Jese.~taisalcPslco'm'b¡'eflles6uv,rages de
lana'ttÜ'è -sont s.érie ursà ce ul'desboiOunes .Ceu;x-ci
dépél~issent dès qu'ils commencent àiparalLl'e; les au-
Ires, au contraire, portent en eux J'esprit de vie qui
les propage. Le temps, qu,i détruit les m~nu~mcnts des
arts, ne fait que multiplier ceux de la nature. Je voyais
dans une seule semence plus de vrais biens renfermés
qu'il n'y ,en a en Égypte dans les trésors du roi.
« Je me Iivrais~iLces 4]uivines et humaines spécula-
tions; et, dans les transports de ma- joie, j'embrassaiCéphas, qui m'avait donné une si juste idée des biens
d~es peuples et de la vériita~le gloire. Cependant mon
ami remarqua que le pilote se préperait à remonter la
Seine, à l'embouchure de laquelle nous étions, alors.
La nuit s'approchait; le vent soufflait de l'occident, et
l'horizori était fort chargé. Céphas dit au pilote « Je
·~ vo~u~sco~n~sy~i~ltl~ede ne ~p'(!);i¡nten¡trerdan-s le fl~EUVet
ct i~~aia:plu~;8t~de jeter l'ajncre d'&IlISCe.port aimé d'Am-
« p~h~itri~te q~u~evous voyez s,.ulrla gauche. Voici ce que
« j'ai oui raconter à ce 'sujet à nos anciens
« La Seine, fillè de Bacclius et nymphe de Cérès,
~0 L'ARCADIE,
« avait suivi dans les Gaules la déesse des blés, lors-
t( qu'elle cherchait sa flllcProser.pine partoutelaterre.
« Quand Cérès eut mis fin à ses courses, la Seine la
pria de lui donner, en récompense de ses services, ces
prairies que vous voyez là-bas. La déesse y consen-
« tit et accorda de plus à la de Bacchus de faire
« croUre des blés partout où elle porterait ses pas. Elle
« laissa donc la Seine sur ces rivages et lui donna
« pour compagne et pour suivante la nymphe Héva,
« qui devait veiller près d'elle, de peur qu'elle ne f~t
enlevée par quelque dieu de la mer, comme sa fille
Proserpine l'avait été par celui des enfers. Un J(H:lF« (lue la Seine s'amusait 11 courir sur ces sables en
« cherchant des 'coquHles, et qu'elle fuyuit, en jetant
« de grands cris, devant les flots de la mer, qui quelque-
·· fois lui mouillaient la plante des pieds et quelque-
« fois l'atteignaient jusqu'aux genoux, Héva, sa com-
« pagne, aperçut sous les ondes les chevaux blancs, le
« visage empourpré et la robe bleue de Neptune. Ce
dieu venait des Orcades après ungrandtrem;blen),ent
de terre, et il parcourait les rivages de rOcéan,exa-
minant ~avec son trident si leurs fondements n'avaient
« point été ébranlés. A sa vue, Héva jeta un grand cri
tc et avertit la Seine, qui s'enfuit aussitôt vers les
,(prairies. Mais le dieu des mers avait aperçu la
nymphe de Cérès, et, touché de sa bonne grâce et de
« sa légèreté, il poussa sur le rivage ses chevaux ma-
u rins après elle. Déjà ilétailtprèsd'el'atteiftdre, lors-
« qu'elle invoqua Bacchus,SOift père, et Cérès, sa mal-
e( tresse. L'un et l'autre l'exaucèrent dans le te BlipS
4(que Neptune tendait les bras pour la saisir, tout le
« corps de la Seine se fondit èn eau; son voile et ses
uJ}j,'Ç-A~JIE~'A:I=E ,u.
~avêtef1left,ts~e'ns, ue~1-es Y~en~~ts p us
(c -devinre:Jil,tfles,Ue,tsco1deurd'ém,eraude -eUe futeh-an-
« gée en un fleuve de cette couleur, qui se ~lait en~ore
à pe-rro "1 1" n a é :é~tan- t(ca"pUifcogfl-f .e$, leUI.q,g.e,e a.aunésé.tant~nym,be.« ,Qeva."oulrult.. -~le,'r:egretcie,ta: pertedes'a;1battr,esse.
«l\Iai.sles nê.réides,pou¡f la reco:œcRserdesa¡JbléH,tê,
« lui élevèrent sur le rivage un tombeau de pierres
blanches et noires, qu'on aperçoit de fort loin. Par
un art céleste, elles y enfermèrent même un écho,
«afin qu'Héva, après sa mort, prévint par l'ouïe et par
la vue les marins des dangers de la terre, comme,
((peQd;aJ}\t.sa-vie-,eJle-a;vœi'lave~ti la nymphe de .Cérès
des7 dangers dê~I-a, ~mer.-Von-s voye'-i d'ici'sonto,fubeau.
a C'est ,eettemontacgneescarpée, formée de couches
funèbres de pierres blanches et Doi'res.EUe porte
(( toujours le nom de Héva 1. Vous voyez, à ces amas
(i de cailloux dont sa base est couverte, les efforts de
a Neptune irrité pour en ronger les fondements et
« vous pouvez entendre d'ici les mugissements de la
« mentagnequi avertit les gens de prendre garde à
« eux: Pour Anlpllitrite, touchée du malheur de la
« Sei~ne, elle pri~a les néréides de creuser cette petite
(( baie que vous voyez sur votre gauche, à l'embou-
chure du fleuve; et elle voulut qu'elle fiat en tout
temps un havre assuré contre les fureurs de son époux.
« Entrez-y donc maintenant, si vous m'en croyez, pen-
« dant qu'il fait jour. Je puis vous certifier que j'ai vu
,( souve!R.t l'elilij,e'u de la m:erp{)!olrsuivre la Seinehien
avant dans les cayPa~n~es et renverser tout ce qui se
« reRce-nÍt:r81i,tsu;r son passage,
1. Cap de la Hève, for,né de couches de pierres noires et blanches.
22. L'RCAUIE
« Il faut~ répo~dit le pilote àCé-phus;f!J,ue V'Ol1lSèJl)e
preniez pour un homme bien stupide de me fai~re« de pareils contes à mon âge. I13~ a quaTan~te a~n~s q:uP« je navigue. J'ai mouillé de nuit et de jfQ~ -d9an~l~a« Tamise pleine d'écueils, et dans Je Tage,q'1J'Îest si«
rapide; j'ai vu les cataractes du N:i:l, q~ui f«:6¡t uo "brldt« affreux; et jamais je n'ai vu ni oui dire rien de sem-« blable à ce que vous de me raconter. Je ne se..a rai pas assez fou de m'arréter ici à l'ancre tandis q ue« le vent est favorable pour remonter le fleuve. Je« passerai la nuit dans son canal et j'y dormirai bien
profondément. »
« Il dit, et, de concert avec lesmatelots, il fit une
huée, comme les hommes'présomptueux eÍi.guorant~
ont coutume de faire quand on ieur donne des avisdont ils ne comprennent pas le sens.
«Céphas alors s'approcha de moi et me: demande. ai
je savais nager. « Non, luirépondis.je. J'ai appris en
«Égypte tout ce qui pouvait me faire honneur parmi
« les hommes et presque rien de ce qui:p9u~:a1tm 'être.« utile à moi-méme. » Il me dit Ne nous q,uittons
« pas tenons-nous près de ce banc de rameurs etmettons toute notre confiance dans les :dieux. »
« Cependant le vaisseau, poussé par le vent et sansdoute aussi par la vengeance d'Hercule, entra dans lefleuve à pleines voiles. Nous évitâmes d'abord troisbancs dè sable qui sont à son
embouchure; ensuite,nous étant engagés dans son
caDall,~0'USR'evt¡JDeS'il¡IiSautour de nousqu'un~vas'~e.larêt
quis'~tenda'i¡tjuIStfue.sur ses rivages. Nous ri'apercevions dansce pa=ys d''aiu=tres
marques .d'habitalionque qu:elques filmées quis'élevaient çà et 1~ au-dessus des arbres. Nous voguâmes.
'j,iâiG,.A..t.8S'--A ~14.4--74-1
-la
t
amslijiislu'>l1ce,we, J'an¡UitoêQISeOl'Ô6iaot 4el'ilea
fe ,i1t9:~e iliei- 19aiic-.re,
u LE b. iI. .1 ~.té ~r u~n ~e~n~i~~ai,s .et((.e.<a:¡ss'eau~ 'GJII<asse u :un côté par lnit Yen Jt~a4,S,~t
de 1 '{l,t~e.'DfJeCQ,\u.'S (hiJl'e;uy~, vin:tCJltravcrs.dao5
"ecMt<;Ü.Mi;}¡¡'S ,¡rij~gf'éceltte,e:si¡t;i(!)!ft;d:aJilgeJJei1.\lse,,n.e.s
ulate:l0ltsse ,m¡iTentù'.be:ire e,tnse,éjc9ui~, se ,cl~~r.a\nt
¡L~1'ab~i d~ vto°ut e~aé~er; 'parcequ'j¡lsse vo3-aient en, tou-
rés de la terre de toutes parts. 1,.],saUèf'entens:u1te se
coucher, sans qu'illen restâ,t un seul pour veill-er à la
~lanœuvre..
« Nous élions restés sur le pont, Cépl~as et J"loi, assis
S'~lr.-;uft:baff.c,de~~a,g1:e~~ps:c)iu~~bB¡luli$.sj.on.s>le. ,scnpJn~il
d;e n,os ,ye~ux,, e~ ~a~~i~~s̀eritwre~~en~a~ v;v s~ecta~ç~~~es=
tue.uJ:cJes"a¡$t~esq¡uirGuJ'aie~t.so[,U0S têtes. 1~ la
COrJl's'te'U,e..f:iGJild!el;~1Q:II,rse-était au 'Il.di,eu de son ,cours.,
'lorsque nousententUuilesaulai;Í1 u a jbru=i~t SOll'ro,mu-
gi~ssant; selll\btâb11éàcelui d'une cataracte. Je me levai
j m'prudem'lDent,po,ur voir ce que ce pouvait .être.. J ~aper-
etis, 1, à la blancheur de son écume, une .œon:tagne
d'¡eauq)UiÍveOi).,j¡t.à'ROU:8 du côté' de la .m,ere',l se .rou-
lamt surelte-mê,pie.E1te occupait toute la targeuil"
du lIeu've,et, surmontant ses rivages à droi-te et à
gauche, ~Uesebr'is~:t avec un. fracasbor,ribl-e parmi=
les troncs" des arbres de la forêt. Dans l'instant elle fut
sur notre vaisseau, et, le rencoD:trant en travers, elle
le coucha sur le côté ce mouvement me fit tODlber
dans l'eau. Un moment après, une seconde vague, en-
core ,lid$'ête,'êe'Ci{llleJr~ pl'e"IB¡i¡ère,. fi¡t_.1~\u¡r'nerule ,¥ai's-
seau :.éU¡t -à !i=t. Je ',mres0uv.j.eus q!o!ators j'Rtenlis
serUI' ufte,.m,U¡}l;¡tuideclecrΡs étouffés- -dece,bte carènE
1. Il s'agit ici dupbcnomèllc dit la barrc; produit par le Oot 8eheur-
tant au courant du fleuve.
224 L'ARCADIE
renversée mais voulant appeler mol-même mon ami
à mon secours, ma bouche se remplit,d'eau salée,mes
oreilles bourdonnèrent, je ~me sentis emporter avec
une extrême rapidité; et bientôt après je ,perdis toute
connaissance.
« Je ne sais combien de temps je restai dans 1'eaumais quand je revins à moi j'aperçus vt.,£'s l'occident
l'arc d'Iris dans les cieux et du côté de l'orient les
premiers feux de l'a.urore, qui coloraient les nuages
d'argent et de vermillon. Une troupe de jeunes filles
fort blanches, demi-êtues de peaux, m'entouraient.
Les unes me présentaient des li7q-ü-é r~s~d,a"-n.~s-- d'es-C-0.
quilles, d'autres m'essuyaient avec des m- ougses- d'au-tres me soutenaient la té'te avec leu rs mains. Leurs
cheveux blonds, leurs joues vermeilles, l~urS yeux
bleus, et je ne sais quoi de céleste que la pitié met
sur le visage des femmes, me firent croire que j'étaisdans les cieux et que j'étais servi par les Heures, quien ouvrent chaque jour les portes aux malheureux
mortels. Le premier mouvement de mon coeur fut de
vous chercher, et le second fut de vous demander, ô
Céphas Je ne me serais pas cru heureux, même dans
l'Olympe, si vous eussiez manqué à mon bonheur.
Mais mon illusion se dissipa lorsque j'entèndis ces
jeunes filles prononcer de leurs bouches de rose un lan-
gage inconnu et barbare. Je me rappelai alors les cir-
constances de mon naufrage. Je me levai. Je voulus
vous chercher, mais je ne savaisoùvotlS retrouve,r.
J'errais aux environs au milieu des bois. l'ignorais si le
fleuve où nous avions fait naufrage était près ou loin, àma droite où à ma gauche, et, pour surcroit d'embar-
ras, je ne pouvais interroger personne sur sa position.
~1~:C ~2Q~'~`_
:w_
~iee i~r~
« ~;pTès y avoir u~npe-úréRécb:i, je., relwQ.rttu,aj.que,
lesherbeS,éta,ienthu Illl~deset lefe;u,in~ge d~es a~rbres
d'un vertbriUant;d' oÙjeconclusqu'~ta.valt plu abon-
da:n~më~~t~la n~~u~i~~.récédënie: Je mi~ecoa=~~ma~~~.aï~s =cet-t~
i.dêe.à..la"'t1e.dê,a,q,ui'cô'u:b1:ife'n~Õ.re-éD~té:Rit.jiau-
nesle.lo.ng'.des' cti.~lBins ..Jepeosl1:Ïqueceseatls.dlevalent
se jeter dans quelque ruisseau,,et le ruisseaudaI:is le
fleuve. J'a,llaissuivreces indications, lorsque des hom-
mes sortis d'une cabane voisine me forcèrent d'y
entrer d'un ton znenaçant. Je m'aperçus alors que jen'étais plus libre, et que j'étais esclave chez des peu
ples'Otl(j:ét~i~'iifl~~Í~.c'4~êt'lIo!liQl'e';C~IQ1~JtI,I[',dièt1;-c--1 if.
«-J'e-n~at'të-~tèlüï'Èiterg-ô~C~é-Iph-as'i~,1'e~-ideplài,sï~r~d"avoir
fâit nauf'rageau_,port,dem.evoirrédü:it' .eoserv;iltude
par ceux que j'étais venu servir de si Iain, d~êtFe relé..
gué dans une terre barbàre, où je ne pouvais me"faire
entendre de-personne, loin du douxpays
de l'Égypte
et de mes parents, n'égala pafle chagrin de vous avoir
perdu. Je me rappelais la sa.gesse de vos conseils, votre
confiance dans les dieux, dont vous me faisie~s~ntir
la providence'U:D.:mil~ell même dés{»lusgran~s rnauai
vos observations sur les ouvr~8esde la nature, qui la
remplissaientpour moi- de vie et de bienveillance; le-
calme où vous saYiex tenir toutes mes passions; et jesentais,_ par les nuages qui s'élevaient dans mon coeur
que j'avais perdu enyaus le premier des biens et qu'uri
ami sage est. le plus grand' présent qué la bonté des
dieux puisse aCêô~l"t!lerà Un
« .Jené.-pensais ddne qu' ~t1m~yelt'ev(Ju.s.re,trOüVêr j
ét je me, ftatta'isd'y iéussir,entB\en¡fûya,nt au DiUieÍi de
la, nuit, si je pouvais seulement me rendre au bord de
la rtter. Je :savaisbieIi que je né pouvais lï~t~ en -étre fort
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226 L'ARCADIE
éloigné; mais j'ignorais de quel côté elle étai\t" 1~ n'ÿavait point aux envi,ro:Jl's de hauteur d'où j,epu.sseladécouvrir. Quelquefois je montais au sommet de- s plusgrands arbres, mais je n'aperce~ra~iFs q~u~e l~a su~~e~ dela forêt qui s'~le~ndait jusq~u'ù 1''hori~zon. S'0UVIUlltje'éta,isattentif au vol des oiseaux, pour voir slJe n'apercevrais
pas quelq!1e oiseau de mer venant à terre raiire sonnid dans la Corêt, ou quelque pigeon sauvage al:Íant
picorer le sel sur les bords de la mer. J'aurais préférémille fois d'entendre les cris perçants des mouettes,IOl'squ'elles viennent dans les tempêtes se réfugier surles rochers, au doux
eba--n~t~des-ro--Ùi,ges-go,r,9, mei S, qui an-
nonçaient déJà, dans les feu,jt¡les Jau,nies d:esboisl lafin des beaux jours..
(cUne nuit que j'étais couché, je crus entendre au loinle bruit que font les flots de la mer lorsqu'ils se bri-sent sur ses rivages; il me sembla même que je distin-
guais le tumulte des eaux de la Seine poursuivie parNeptune. Leurs mugissements, qui m'avaient transi
d"horreur, me cOftlblérent alors de joie. Je me levai: jesortis de' la cabane et je prêtai une oreille attentive,mais bientôt des rumeurs qui venaie~na des diversesparties de l'horizon confondirent tous mes jugemen~ts,et je reconnus que c'étaient les murmures des ventsqui agitaient au loin les
feUillages des chênes et deshètres.
(t Quelquefois j'essayais de faire entendre aux sauva-8Res de m'a cabane que j'avai'sperd1u u:naEf :i~; le met-tais la main sur mes yeux, sur ma bouche et- sur i:n©ncœu.r; je leur mentrais l'h0:J'¡'Z0\R j:e}e~8is au ciel, mesmains jointes et je versais des la~r.es. Ils compre-anaient ce langage muet de ma douleur, car ils pleu.
~'A:CAÏ~1~ !9
r8\ie'ota\vecml,o:Ï;Hmaii~s,parJI'I)eC0R1Ta.c~iendonltje
ne p011~vai5JU,erendlVe ra=itso~n; iiI81'edo;u;b~a!iè.fttde pré-cauit-io po~ur 111'enlipêcl~er de
m'élo'i:gner d'eux.
'((J'l~q';Dli'1\'i:dijncà.' 'apf rlë1 n~ e, aAn
d'ele~.i'ris,t't1¡i'~e. de'mQ:II..sC!).~tet«ie.lc9"YPeRd,e5eDsjbles.Us 's'e,m¡pressaieldeu'¡-mê:mes de m' ense¡'~ner~lesnem'sdes obj'e's que je leu." irionitrais.
y'esc~i~avaôe e~t fowtdoux chez ces peuples. Ma vie, à l~e,1-i~bertë près, ned~iF(~l'é·rai,t en rien de celle de mes matitres. Tout était communentre nous, les vivres, le toit et la terre, sur laquellenous coucl~ions enveloPfJ~s de_pea.u_x. Ils avaient
m'êjRt\e"d~s:J¡;ga,a:sc:'6Uil';Jilla Je,ltoesse.,efilsnc¡we
d~o~nfnyien~t:à s~u4~Po~ter=q~u~e-l~~ mo~i9~d~cejpat~ti~ de leu~rs
trava;p.¡.Ep ,eu; de temips jepar,¥ins à converser av eceux. V con.~n,~ud. leur gouverneme~nt et deleur caractère.
(c Les Ga-ules sont peuplées d'un grand nombre de
petites nations, dont les unes sont gouvernées par des
rois, d'autres par des chefs appelés iarles mais sou-
n1:isestou!tesaiu,081yoi'rd:esd'fuides, qui les réunissentsous
une mémereldi~g~io~n et les gouvernent avec d'au-
tant plïu-9 de fae.i¡Hté que miille couaumes d~i~ll'éren~tesles divisen.t.Les d:ruides ont persu~ad~ à ces nationsqu'el'les dESCend-a-ient de Pluton, dieu des en-fers, qu'Usappel€len~t Hoder, ou 1"Aveugle. C'est pourquoi les Gau-
lois comptent par nuits et non point par jours, et ils
comptent -les. betgres du-,jo-ur- du. milieu de,la'J)uitt con-
t'Pela C0IW'Qlede. t0'urslres,'eu,tre~si aïdlor-ent p1:u-
slfe:olrs'êtqttJ!e8dfie"tt~x.'all¡ssitervi¡lUesq~uel(Q'cJ!er,.tels,que
N¡iCi)'Ñ~er, lell1'ailtrede's'enits~ <CJI1¡j)jpj5e'l¡es vai'ssea,u~1
sur leurs côtes, aln, d~~isen, de leur en procurer le
r~i~l~l~age.Ai~n~si ils croient que toua v~is~eav yu~i périt
L'A~RCADI]9,228
sur leurs rivages leur est envoyépar"'Nic!):rd'er.llsont,
de plus, Thor ou Tlieuta-tès, le dieu de la guerre, armé
d'une massue qu'il lance du haut des airs: ils lui don-
ncnt des "sants de er- et un baudrier. qui redouble sa
fureur quand il es~cein~t; Tiy, ausslcru:ellletacillu,rne
Vidar, qui porte des sou-l~iers f,6rt épais, 'avec lesquels
il peut marchér dans l'air et sur l'eau sans"fa2ire de
bruit; Heinldall à la dent d .or, qui voit le jour et la
nuit il entend le bruit le~ plus.léger, même celui que
fait l'herbe ou la laine quand elle croit; Ullér, le dieu
de la glace, chaussé de patins; Loke, qui eut trois en-
fants de la géanteAngh~rbode,Jamessu.g~~ededo"u-
leàr, savoir le loup Fenris, le ser-penlM'id,gaFd et
l'impitoyable Héla. Héla est lamort, 1,1~s.d~ise-nt q~ue, son
..palais est la misère, sa table la famine,. sa porte le
précipice, son vestibule la langueur, son lit l'a consomp-
tion. Ils ont encore plusieurs autres dieux" dont les
exploits sont aussi féroces que les noms: Hérian, Ri.
tlindi, Svidrer, Salsk) qui veulent dire le guerrier, l'ex.
terlnil1al~ur, l'incendiaire, le pèreducal'Ra'ge. Les
druides honorent ces divinités avec des cérémorties lu~
subres, des chants lanlentablés et .des sacri-tice9 hu-
mains. Ce culte affreux leur dônne tant de pouvoir sur
les esprits effrayés des Gaulois qu'ils président à tous
leurs conseils et décident de toutes les afFaires. Si
quelqu'un s'oppose à leurs.jugements, ils le privent de
la communion de leurs mystères et dès ce moment
il est abandonné de tOrDit1~Pm~o~n~d~e,r~~t~émede s~ f~~nn~rae
et de ses ençfan~ts: il est, race ,:11'011 ose leur ré-
sister car ils le chargent .se'u~sde 1~'éd=uea~t~i~ande la
jeunesse, ati.n de lui j;mpri:mer debeD:nebeo,re et d'uloe
manière inaltérable ces opinioiu5 horcible~.
"0".1"8~.A"r.I". 'AGa
ccQuœ,tajù~.ja'rles oUDe~:les,~j¡I~0n¡t dIN.jltUde.ne etde m~orts~u'r leurs vassaux. Ceux q.ui~viven;ts0uS des
roi-9 eu r,payo-nzt la moiitié du~ribn;t,jl'sJè'ftQ~ sur, les
p -à- heu~r
profi€t: he~plf~_s ri~lzes~dot~~enitc~es~st~~s~t~iq~.sa~~f:l~u~ pau~.
vresd'e;léu'r'.Glasse,/q~üiles,accom:¡~lliJ~ntà la -guerre et
fon¡tvœu.d:emou:rir~véCeu'l. sonttrès braves. S,'ils
rencon:trel1<tà'la. chasse un«ours, le principal d'entre
eux met bas se~ ~fl~c6es-, attaque' seul l'animal et letue d'un coup de couteau. Si le feu prend à leur
son.il~ll!i~i~t!J.!I;¡I,s ne voient tomber sur
e.u~ les sQ~l~ipves~t~~a~rn~éesï~~l'-a;u~~e~, ~~u~rlyb~or~l~yela
mer,:s'~9'~S~rjt,Ja'Jlijic:è~e.u;jJ'éÎile,e,à:læma'in,;aux.vaInes
,uii~l'i,s:è~;tds""I~"ri~alè.;I:ls'D1éttéRtla valeur ârésis-
ternOft'seulel)l,e-n,t. :a\ls;bê,tes.:réroces, mais même aux
.élém'enfs.La va,I~'Q~r leur tient lieude justice' Ils ne
décidentleursdUférendsq,uepar les armes et rerar-
dent la raison comme la ressource de ceux qui n'ontpoirit de -couruge. Ces .deux classes decitoy~ns, dont
rune emploie -la. ruse. et l'.auwe la force pour se raire
cra'indre,se.' balanceot.eQlreeltes;maiseUés;seF.éunise
sen-tpeu'rtYEauQiserJe peuple, qu~el,'Ies t-mïtent avecun souverain mépris. Jamais uFn ~horrame du peuple ne
peut- parvenir, -chez .les Gau'lèis, à remplir aucune
cbarge publique. nsemibleque cette nation n'est faite
que pour ses prêtres et pour ses grands. Au lieu d'être
cQn$,Qlc!e.par-les. uu.s,e,t~p~oté.8jeJD8:F,lesaul'"sjeoQ1l81e
)Iaju:stice tet:e.¡iefit,tes;a~(I1iïtes ne l'è',a,e,nt qae
pour .qù:elesiavles ..l'o»!pTi¡~é,ttt.
C(~h ne&ou,iteepe,ntfaut'Du'llie put de~`lio~ni<nies
(IU,iaient de meilleures qu~al'i~és que 1 es Ca-t-IL-ois" la 3
sont fort i~)'8éhleux, et Us excel~l~en~t d,4,no ~lu~svieu~rs
L'ARCADIE230
genres d'industrie qu'on ne trouve point ailleurs. Ils
couvrent d'étain des plaques de fer avec tant d'art
qu'on les prendrait pour des plaques d'argent. Ils as-
semblent des pièces de bois avec une si g~a~d~e justesse
qu'ils en forment des vases capables de ccntenir toutes
sortes de liqueurs. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est
qu'ils savent y faire bouillir de l'eau sans les rbr8ler
ils font rougir des cailloux au feu et les jettent dans
l'eau contenue dans le vase de bois, jusqu'à ce qu'elle
prPr~ne le degré de chaleur qu'ils veulent lui donner.
Ils savent encore allumer du feu sans se servir d'acier
ni de caillou, en frottant ensemble du bois de lierre et
de laurier. Les qualités de leur cmur surpassent encore
celles de leur esprit. Ils sont très hospitaliers. Celui
qui a peu le partage de bon cœur avec celui qui n'arien. Ils'aiment leurs enfants avec tant de passion quejamais ils ne les maltraitent. Us se contentent de les
ramener à leur devoir par des remontrances. Il ré-sulte de cette conduite qu'en tout temps la plus tendre
affection unit tous les membres de leuer! familles, et
que les jeunes gens y écoutent avec le plus grand res-
pect les conseils des vieillards.
ci Cependant ce peuple serait bientôt détruit par la
tyrannie de ses chefs, s'il ne leur opposait leurs proprespassions. Quand il arrive des querelles parmi les nobles,il est si persadé'que c'est aux armes à les décider et
que la raison n'y peut rien, qu.'il les force, pour mériterson estime, de se baUre jusqu'à la mort. Ce préjugépopulaire détruit beaucoup d'iarles. D'un nu are côté,il est si convaincu des choses terribles que les drui-des racontent de leurs dieux, et la peur, comme c'est
l'ordinaire, lui fait ajouter à leurs tràditio'ns des cir.
L'-ARCADIE 231
constances sieŒraya:ntes,quesesp.êtreshiensouvent
trenl~bleQ:t ptusque Ju.i devant des idoles qu'ils ont teux~mêmesrab¡riquées. J'ai bien reconnu parmi eux la
vé,ri!'édeceltelDa.hne.deuosUmssacrés"quldilt«I(pe
i,apiter a vo~ul~u;qüe le m'a'i que l'on fait aux hommesrejai,1,11.tse,pt fois sur son auteur, afin que personne nepOt trouver son bonheur dans le malheur d'autrui.
cc Il y a çà et là, parmi quelques peuples des Gaules,des rois qui fortifient leur autorité en prenant la dé-fense des plus faibles mais ce qui préserve la nationde sa ruine totale ce sont les femmes. Égalemento~prj,jnées.par les lois des
druides et par les.mœu,rsféroces des iacles, elles sont,réd:uitesau ,pl'Us durescJa-
vage.Eli(es.son.tcha,gées des 6~mces les plus pénibles,comme de labourer la terre, d'aner dansfesbois cher-cher le gibier de's chasseurs, de porter les bagages deshommes dans les voyages. Elles sont, de plus, assujet-ties toute leur vie à obéir à leurs propres enfants: Cha-que mari a droit de vie et de mort sur la sienne; et
lorsq,u'i=1 m~eur~t, si on soupçonne sa mort de n'étre pasnaturelle, on donne la question iL sa femme: si elles'avoue coupable,.par la violence des tourments, on lacondamne au feu t..
« Ce sexe malheureux triomphe de ses tyrans parleurs propres opinions. Comme c'est la vanité qui les
domine, les femmes les tournent en ridicule. Une
simple chanson leur suffitpourdétruirç le résultat
des assemblées les plus graves. Le peup~l~e; et surtout
les. j~eyn:es gens, toujours gréts à les servir, font courircette chanson par les bourgs et les hameaux. On la
1. Faits cités par 'César dans ses Cooementaires tur~ la~ruer~e dea
Gaa!es,
~32 L'ARCADIE
chante le jour et la nuit. Celui qui en est le 9~~j~et,quel
qu'il soit, n'ose plus se montrer. De là. il arrive queles femmés, si faibles en particulier; jouissent en
général du plus grand pouvoir. Soit crainte du ridi-
cule, soit expérience des lumières des fem'D1es, les
chefs n'entreprennent rien sans les consulter. Ellesdécident de la paix et de la guerre. Comme elles sont
.forcées par'les nnaûa de là société de renoncer à ses
opinions et de se réfugier entre les bras de la nature,elles ne sont ni
aveuglées .ni endurcies par les. préjugésdes hommes. De là vient qu'elles voient plus saine-ment qu'eux dans les affaires publiques, et prévoientavec beaucoup de justesse les. événements futurs.Le
peuple, dont elles soulagent les maux, frappé de leurtrouver souvent plus de disc~rnement qu'à ses chels,sans en pénétrer les causes, se 'piai~t à. leur attribuer
quelque chose de divin 1.'
CIAinsi les Gaulois passent successivement .et rapi-dement de la tristesse à la crainte et de la crainte à-la joie. Les druides les épouvantent .Iesiarlesle.smal~traitent; les femmes les font rire, chantér et danser.
Leur-religion, leurs lois et leurs mœurs étant sans cesseen 'contradiction, ils vivent dans une inconstance per-p~tuell~ qui fait leur caractère principal. ~oilà encorepourquoi ls sont très curieux de nouvelles et de savoirce qui se passe chez les étrangers. 'C'est par cette rai-son qu'on en trouve
beaucoup hors de leur patrie, dontils aiment à'sortir, comme tous les hommes quti y sontmalheureux.
Ils méprisent les laboureurs et ils négligent par
1. Tacite, àfaeura dea (ier~rtaina.Ii"-
L'AR'C!D]! 13S
v
.ço~sc~q~ue~nt l'agricy9lture, qu~i est la base de la félicité
pu'bUqtle~.Quandnous arrivâmes. dans leur pays, ilsne cultivaient que les grains qui peuvent croltre ~lans
le cours d;'unété, 'cQm,me),es fèves, :Ies len~ti~lles,
l'avoi~ne, le peti-t n:ril, l~e sei;le et l' orge.Onn ~y trouvait
<lue- b:ienpeu tle j!oment.Cependantla terre 'y est
très féconde en productions natureUes.U y a beaucoupde excellents le long des. rivières. Les forêts
y sont élevées et remplies de toutes sortes d'arbres
fruitiers sauvages. Comme ils manquent souvent de
vivres, ils ~'employaient à en chercher dans les
ck;8;{ltps :et dans ~1-es -bois. JetFeu¥aH~ dans les prairies
des gousses des racines de daucus et defll:i-pen-dule. Je revenais que'lquefoist~ut ehargé de baies de
myrtilles, de faines de hrtres, de prunes, de poires, de
ponunes,. que j'avais cueilliés dans la fOl'êt. Ils faisaient
cuire ces fruits, dont la plupart ne peuvent se manger
crus, tant ils sont. d.pres. Mais il s'y trouve des arbres
qui en produisent d'un ~o~lt excellent. J'y ai souvent
admiré des pom'R1cÏers chargés de fruits d'une- couleur
si éclatante qu'on les edt pris pour les plus belles
fleurs.
Voici ce qu'ils racontent au sujet de ces pomniiers,
qui r croissent en abondance et de la plus grande
beauté. Ils disent que la helle Thétis,' qu'ils appellent
Friga, jalouse de ce qu' à ses propres noces V éous,
qu'ils appellent Siofne, avait remporté la pomme qui
étn,j¡t le prix de -la beauté, sans qEu'o~nl'e~i, nn=iEsese~ule-
m~e.n~tde la c9,ncurrepce des -lro~i's déesses, pésoJut de
s'en ve,n,ger.Un. j;our tlénc que VéIlUS, descendue su¡r`
cette partie du rivage des Gaules, y cherchait des per-
les pour sâ parure et des coquillage-s"appeiés manches
L'ARCADIE23\
de couteau pour son fils Siflon-ne, untritoti lui déroba
sa pomme, qu'elle avait Dlise sur un rocher, et la
porta à la déesse des mers. Aussitôt Thétis en sema les
pépins dans les campagnes voisines, pour y perpétuor
le souvenir de sa vengeance et de son triomcpbe. VoUà,
disent les Gaulois celtiques, la cause dugrand nombre
de pommiers qui croissent dans leur pays et de la
beauté singulière de leurs filles'.
« L"hiver vint, et je ne saurais vous exprimer quel
fut mon élonnement lorsque je vis pour la première
fois de ma vie le ciel se dissoudre en plumes blan-
ches comme celles des oiseaux, l'eau des fonlaines se
changer en pierres, et les arbres se dépouiller entière-
ment de leurs feuillages. Je n'avais jamais rien vu de
semblable en Égypte. Je crus que les I~aulois ne tar-
deraient pas à mourir, comme les plantes el les été-
ments de leur pays; et sans doute la rigueur de l'air
n'aurait pas manqué de me faire mourir moi-méme,
s'ils n'avaient pris le plus grand soin de me vétir de
1. Et p('ut-t~tre des 1)rot,9 si cc~nsmuns en Normandie, puisque cette
liomme fut, dans son origine, 11ft présent de la Discorde. On pourrait
trouver une cause moins éloignée de ces procés dans le nombre prodi-
gieus de petites juridictions dont cette province est remplie, dans ses
colitismes litigieuses et surtout dans l'éducation eurolu~Cnnp., qui dit ¡,
i-liaque homme, dès renCnnce S'uiar le pmn:ic~
Il ne seriit pas si aisé de trouver les causes morales ou ph!'sifJues de
lai beauté singulièrement remarquable du sexe dans le pays de CnuI,
surtout parmi les tilles de lit campagne. Ce sont des yeui bleus, une
iii-lientesse de traite, une lmicheur do teint, et des titilles qui fer:~ient
honneur aux plus jolies femmes de la cour. Je ne connais qu'un autre
~anton dans tout le royaume oil 1cs rem mes du peuple soient aussi
belles c'est à A,ignon.La beauté y n cependaflt un autre caractère. Ce
sont de grands yeus. noirs et doux, des nez aquinn., des tête! d'Ange-
lica Kauffmann. En attendttnt que la philosophie moderne s'en occupe,
on doit permettre iL la mythologie des Gaulois de rendre raison de lit
betluté de leurs filles par une rable que les Grocs n'auraient peut-ëtrc
pas rejetée. (Note de l'neetc~sr.)
2. La neige.
L'ARICADIR 235
fourrures. M'àis qu'il est aisé à un homme sans expé-
rience de se tromper! Je ne connaissais pas les ressour-
ces de la nature pour chaque saison comme pour
chaque clinlat. ~1a'hiv;~r est pour ces,peuples septen-
trionaux le temps des festins et de l'abondance. Les
oiseaux de rivière, les élans, les taureaux sauvages, les
lièvres, les cerfs, les sangliers, abondent alors dans
leurs forêts et s'approchent de leurs cabanes. On en
tue des quantités prodigieuses. Je ne fus pas moins
surpris quand je vis le printemps revenir et étaler
dans ces lieux désolés une magnificence que je ne lui
avais jamai~s vue sur les bords même du Nil. Les
rubus, les Cram;hoisiers, les églantiers, les fraisiers,
les primevères, les violettes, et beaucoup d'autres
fleurs inconnues à l'Égypte, bordaient les lisières ver-
doyantes des forêts. Quelques-unes, comme les chèvre-
feuilles, grimpaient sur les troncs des chênes et
suspendaient à leurs rameaux leurs guirlandes par-
fumées. Les rivages, les rocliers, les montagnes, les
bois, tout était revêtu d'une pompe à la fois magniri-
que et sauvage. Un si touchant spectacle redoubla ma
mélancolie. «Heureux, me disais-je, si parmi tant de
(Aplantes j'en. voyais s'élever une seule de celles que
j'ai apportées de l'Égypte! Ne fl\t-ce que l'humble
plante du lin, elle me rappellerait ma patrie pendant
ma vie en mourant je choisirais près d'~He mon
tombeau elle apprendrait un jour à Céplî. ;~ù 1 c-
posent les os de son ami,- et aux Gaulois le nom et
les voyages .l'Al11asis. »
« Un jour, pendant que je cherchais à dissilper ma
mélancolie en voyant danser de jeunes filles sur
l'herbe nouvelle, une d'entre elles qui~tta la troupe des
236 L'ARCADIE"
danseuses et s 9en' vint pleurer sur moi puis, tout à
coup elle se joignit à ses compagnes et continua de
danser en jouant et folàtrant avec elles. Je. pris ce
passage subit de la joie à la douleur et de la douleur
à la joie dans cette jeune fille pour un effet de l'incon-
stance naturelle à ce peuple; et je ne m'en mettais
pas beaucoup en peine, lorsque je vis sortir de la
forêt un vieillard. barbe rousse, revêtu d'une robe de
peaux.de belette. Il portait à sa main une branche de
gui et à sa ceinture un couteau de caillou. Il était
suivi d'une troupe de jeunés gens à la fleur de l'~lge,
vètus de baudriers faits des m,êmes peaux et tenant
dans leurs mains des courges vides, des chalumeaux
de fer; des cornes de boeufs et d'autras instruments
de leur musique barbare.
lt( Dès qu'e ce vieillard parut, toutes les danses ces-
sèrent, tous les visages s'attristèrent, et tout le monde
s'éloigna de moi. Mon maitre même et sa famille se
retirèrent dans leur cabane. Ce méchant vieillard alors
s'approcha de moi, me passa une corde de cuir autour
d u cou, et, ses satellites me Corcant de le suivre, ils
m'entralnèrent tout éperdu, comme des loups qui
emportent un niouton. Ils me conduisirent à travers
la forêt jusqu"aux bords de la Seine là, leur chef
m'arrÓsa de l'eau du fleuve; ensuite il me fit' entrer
dans un grand bateau d'écorce de bouleau, o'ù il s'em-
barqna lui-même avec toute sa troupe.(i Nou~s remontâmes la Seine pendant huit jours, en
gardant un profond silence. Le neunème, nous arri-
vâmes dans une petite ville 'bâtie au milieu d'une ne.
Ils me débarquèrent. vis-à-vis, sur la rive droite du
fleuve, et ils me conduisirent dans une grande cab4ne
y
1 It^GAa`1:~ ç~~
sans fenêtres, qü~i étai~t éGlairée par des t0,rcbes de
sa.pin. Ils m attachèrent au ~ilieu de la cabane à un
poteau; et ces jeunes gens,.qui me gardaient jour etn.u,i,t~ armés ~,e h~ac6~es de ne ,cess.aient,desauter 'autour de moi, en souff.l:a'Rrtde tc);Q'tes leurs
forces dans leurs cornes de bœu,fs et leurs fifres de
fer.- Ils. accompagnaient leur affreuse musique de ces
horribles paroles, qu'ils chantaient en choeur:
« 0 Niorder! ô UifUndi! 1 ô Svidrp.r! û Héla 1 ô Héla.11(( Dieux du carnage et des t~mpêtes, nous vous appor-(( tons de la chair. Recevez le sang de cette victime, de
cet elJ,fant~. de 0 Niorderl ô Riliudi! ê
« Svidreu 8 Né`la, 1 ÕHéla! »
« En prononçant ces- Dlolsépou.vantables,Us avâ~ient
les yeux. tournés dans la tête et lebouche écumante.Enfin ces fanatiques, accablés de lassitude, s'en~lormi-
renl, à l'exception "de l'un d'entre eux,. appelé Omfi~ Ce-
nom, dans la langue celtique, veut dire bienfaisan_t..
~mfi, touché de pilié, s'approcha de moi Jeune in-
«fortuné, me dit-il une guerre cruel°le _s'estélevé~
s~.entre les peuples de la Grande- Bretagn~ et ceux.
a des Gaules. Les Bretons prétendent être les maitres
H de la mer qui nous sépare de leur ile. 1~'ous avons
« déjà perdu contre eux deux batailles navales. Le
«collège des druides de Chartres a décidé qu'il îal-
« lait des victimes pour se rendre favorable Mars,
« dont le temple est près d'ici. Le chef des druid'e~,
qui a des espions par toutes les~a1!lIes, üappr.is
que la tempête, t'avait jeté sur- nosc6tes:il. a.été
« te chercher lui-æêœe.Uest vieux et sans. pitié.. Il
« porte les noms de deux..de nos dieux les plus re-
« doutables. Il s'appelle Tor-Tir. Mets donc ta con.
L'ARCADIE238
« fiance dans les dieux de ton pays, car ceux des
« Gaules demandent ton sang. »
« Il me fut impossible de répondre à Omfl, tant
j'étais saisi de frayeur 1 Je le reolerciai seulement en
inclinant la tête; et aussitôt il s'éloigna de moi de peur
d'être aperçu de ses compagnons.
« Je me rappelai dans ce moment la raison qui avait
obligé les Gaulois qui m'avaient fait esclave de m'em-
pêcher de m'écarter de leurs demeures ils craignaient
que je ne tombasse entre les mains des druides mais
je n'avais pu vaincre ma fatale destinée. Ma perte
maintenant, me paraissait si certaine que je ne 'cto"yais
pas que Jupiter même pût me délivrer de la gueûle
de ces tigres affamés de mon sang. Je ne me rappelais
plus, ô Céphas, ce 'que vous m'aviez dit tant de fois,
que les dieux n'abandonnent jamais l'innocence. Je
ne me ressouvenais plus même qu'ils m'avaient sauvé
du naufrage. Le danger présent fait oublier les déli-
vrances passées. Quelquefois je pensais qu'ils ne
m'avaient préservé des flots que pour me livrer à une
mort mille fois pl us cruelle.
« Cependant j'adressais mes prières à Jupiter et je
goûtais une sorte de repos à nl'abandonner à cette
Providence infinie qui gouverne l'univers, lorsque les
portes de ma cabane s'ouvrirent tout à coup, et une
troupe -nombreuse de prêtres entra, ayant Tor-Tir à
-leur tête, tenant toujours à sa main une branche de
gui de chêne. Aussitôt lajeunessè barbare se réveilla
et recommença ses chansons et ses danses funèbres.,
lor-Tirvint à moi; il me posa sur la tête une couronne
d'if et -une poignée de farine de fèves; ensuite il me
mit un bâillon dans la bouche, et, m'ayant délié de
~'1'~°
mon Poteau il a Ch a les derrière le dos.Alors tout son cortège se mit en marche au bruit deses
lllguhresinstruments, et deux druides, me soute-
nafltpar 1 e s -br'c- is meco ndui-siren't -a -U-1"en -11 ,du, sa-crifice.» »
Ici1'irtée, s'apercevart (fUele fuseau de Cyanée lui
échappait des mains et qu'elle pâlissait, lui dit « Ma
fille, il est temps de vous aller reposer. Songez quevous devez vous lever demain avant l'aurore, pour allerà la fète du mont Lycée, où vous devez offrir, avec vos
compagnes, les dons des bergers surles. autels de Ju-
p¡'ter.»u-çy~;n~.e:, ~t&~teitem~la'Qte",lllt.rélp(}nUit.: Mon
père,J'al1outprépâ:~é"p()1Î:FI'al~ête de de a in. Les cou-ronnes de Jletirs, les 'gâteaux de fromen~t, les vases de
lait, tout est prêt. Mais il n'est pas tard la lunen'éclaire pas le fond du vallon les coqs n'ont pas en-core chanté; il n'est pas minuit.
Permettez-moi, jevous en supplie, de rester jusqu'à la fin de cette his-toire. Mon père, je suis auprès de vous; je n'aurai paspeur. »)
Tirtée regarda sa fille en souriant; et, s'egcuslnl àAmasis de l'avoir interrompu, il le pria de continuer.
« Nous sorUmes de la cabane, reprit Amasis, au mi-lieu d'une nuit obscure, à la lueur enfumée des tor-
ches de sapin. Nous traversâmes d'abord un vaste
champ de pierres, où l'on voyait çà et là des squelettesde chevaux et de chiens fichés sur des pieux. De là
nous .arrivâmles ia, l'entrée d'une g~ran:d'ecav.erne,creu..sée dans le flanc d'un rocher tout blanc 1. -Des caillots
d'un sang noir, répand-ii aux env irons, exhalaient une
t. Montmartre, selon les uns ~lfù~~s hlartis (mont de Mars), selonl~s autres ~fo~ J~Ifa~~tyr~m (mont de! Mart!'I'~)..
LtARCAD lE240
odeur infecte et- annonçaient que C"était le ~e~~l,-p~ d;e
Mars. Dans l'intérieur de cet affreux repaire étaient
rangés, le long des murs, des têtes -et des asse'lftents
humains; et au milieu, surune pièce de roc, s'élevait
JUSqU'il la voflte une statue de fer représeni~;a¡nÎ.tled!i:eu
Mars. Elle était si difform e qu'elle ressem-1.'ai~,t ph1tÔ:t
à un. bloc de fer rouillé qu'au dieu de la s,uerr.e.On y
distinguait cependant sa massue hérissée clepoi:rdes,
ses gants garnis de têtes de clou,. et son horrible bati-
drier où était figurée la mort. A ses pieds était assis le
roi du pays, ayant autour de lui les principaux de
l'État. Une foule inimense de peuple répandu au de-
dans et au dehors de -la caverne gardait un- morne
silence, saisi de respect, de relig~ion et d'effroi.s~ Tor-Tir, leur aidressant la parole à tous, leur dit
a 0 roi, et vous, iarles, rassemblés pour la défense des
« Gaules, ne croyez pas triompher de-vo9 ~ennemis sans
« le secours du dieu des bataillpg. Vos pertes vous
a ont fait voir ce qu'il en coitte de négliger son culte
a redoutable. Le sang don~c aux dieux épargne. celui i
a due.versent les mortels. Les dieux ne font nai«tre les
a hommes que pour les faire. mourir Oh! que vous êtes
« heureux que le choix de la-victime ne soit pas tombé
« sur l'un d'entre vous LorS(lUe je cherchais en moi-
a e quelle tète parmi nous leur serait agréable,
prêt à leur offrir la mienne pour le bien de la patrie,« Xiorder, le dieu des mers, m'apparut dans les son1"
(1 hres forêts de Charh"es; il était tout dégouttana- de
(l l'onde marine. Il me dit d'une voix h,tuya'Rte coinrrfne« celle des tempêtes « J'envoie, pour le salut des
(( Gaules, un étranger sans parents et amis. Je rat jeté~t rr~oi-méme sur les rivages. de l'occident.- Son sang
~·
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la
«plili~tJ,ietlJÏ1\féI'J_. Il ~"i1'J!.I'.c~.NiiGr4e,r';f)Ig.s a~igaie, 8 e~~a~~t~.d; gl~ton y
«ApeÍOi,e Tor.Tj~avQ;¡taehe.véceSIlJ.1G,tsetfpoyaibles,
un Ga~1.. '.1'J l'q;uUrIl,e.S ass)sa.:u.;flr'l,s. 'l!Ju,Vo~'s,;v~'n9t'tlllfllNQ.,m.Oil;
c'étitiit. C~il'i~~s. c<(J).A:i8œsiis[lê Mon- the,«
s~ écri:a.t.it..0er':lel\sco'm,:atrlo¡1e81,¥ousaleZÎfQlDe..«, ler un -homme venu desboF:ds du .Nitpo.1JI' ~ro~~ga2p-« porter l'es bi -ens les plus précieux de la ,Gr,êce et deci
rElI1Pl.elVou~com¡meDcePez donc par moi., qui lui en«
dô~nhai 1~e p~rem,ier désir ~tqui.leteucbai de pitié pourtc vous, si cruels envers lui. » En :disant ces mots il me
et- 'lIIe.(ti~ait;tte~sfJ!I'tra;pm:es.
pfi)¡.r,i"J~jp'le,Q~s"et. ~sa`r~g~ô~ta~is,g~ns:pr~~m~~i~~lui
ex,~i.efQ;.6~F.emeD¡tJ:êstê.ip~,e"s de ma jc,ie.Aus'si.t4tli'ca\'eme reten~tiit ,ie'JD!g.mQtteset de AtI-nl\issemeD:ts. Les jeunes druides pleurèrent etlàissè-rent t();Iober de leltrsmitins lesiflstru'men,ts de monsacI-Ulce car la religion se tut dès que la,nature parla.Cependant personne de l'assemblée n'osait encore me
des mainsdes .9ac~rei-geait~e. g ~lg,,
le.mes, sej:etant aUlQiilieu d~'elU: ,aTmclièl'ent mes
liens, monbài:flén et ma, couronne funèbre. AÍios¡'+C8fut pour la seconde fois que Je dus la vie aux lem'D1esdans les Gaules.
ci Le roi, me prenant dans ses bras, me dit « Quoi 1et c'est vous, malheureux étranger, que Céphas regret-Lait -sans cesse 0 dieux ennemis de ma patrie, ne
nouse~vol. ,ez=vru~s~d~esb~ien~f~~t~te~u~c~s9~~`e ~r l~e~if~-
«métérl ))M~;rs iils'adlœsSiL- auxclb!fs.desnatioR'1
ettoQI' 'papla.~ee.tielolCe;èSdlJej,tÎtte..t"hu'!D¡a-
nif~é, fldeccl'l1lR coa~5ni~u~n açcoWilsJ:u'rêl'en\td:enep'lll1S
rédu,i:re Ù Itesclavage ceux que les tempé.tes j,eHeralent
242 VARCADU
r
sur leurs c6tes, de ne sacpj;fte,rl1l'.veniiraUcuJ1halDime
innocent, et de n'offrir à Mars que t-esan,sdOIGOUipa-
bles. Tor-Tir irrité VE)ll,lu,t envahi S 'oppeser à cette
loi il se retira en menaçant le roi et tous les Gaulois
de la vengeance prochaine d'es dieux.
a Cependant le l'oi, accempagnê de mon ami, me
conduisit, au milieu des aœlanta,ttons. 4Iupeu-ple,dans
sa ville, située dans l'ile voisine. Jusqu'au moment de
notre arrivée dans Ille, j'ava.is été s.i trou'blé que jen'avais été capable d'aucune réflexion. Chaque espèce
de circonstance nouvelle de mon malheur resserrait
mon coeur et obscurcissait mon esprit. Mais dès que
j'eus repris l'usage de mes sens ettIJeJeviBIAel1¥Ï~
sager le péril extrême auquel'je Ye'R'aisd~êtdtQ¡pper,Jem'évanouis. Ob!que l'bom~meestlai:blè dans la joieil n'est fort qu'à la. douleur. Céphas me fit revenir,la manière des Gaulois, én m'ayitant la tête et en souf-
liant sur mon visage.
tc Dès qu'il vit que j'avais recouvré l'usage de mes
sens, il me prit 'les mains dans les siennes et me dit
(t 0 mon ami, que vous m'avez eo6téd, lapmesllès
que les Dots de l'Océan, qui renversèrent notre vais-
seau, nous eurent séparés, je me trouvai jeté, je ne( sais comment, sur la rive droite de la Seine. Mon
«premier soin fut de vous chercher. J'allumai des
«feux sur le rivage; je vous appelai; j'engageai plu-« sieurs de mes compatriotes, accourus à. mes cris, de
« visiter dans leursbarqJ.les les bords du- fleuve,·~pour voir s'i~l~ ne VGUstpo\u~ve'0:¡e8It pas :tOU8805'
soins fu,renti,nultiles. Le joulr'Îln,tetll1emoft' notrec(vaisseau reaven6, la oarène en haut, tïoult près du ri-tt vage où j'étais. Jamais il ne me vi~n-t dans la pensée
LI', -24, 11~l_- III
que .0'0' .û$~ieZu,püillbo'r'.lulr. le '1"¡"'8I. 'e"B8',
« ~~oA~gle Ba~ü~ ~~a ~i~~ ~e ~e ~'u~t ~~e le ,h"'IÎ-((
.s'ièm.eJDu'r.ae,~v0usc'reyaqt perl,jeme.dete:rlllinai«.
à~ y,p~ys~e_r p~ YQ~~~~s=p~~e~te~~4a~tal~en~tC(JJlQNsi;J~p!¥'¡sm;0fj>¡dsénce: -a 'meu CQ:m;bté,en;t "d~,a\P1i¡~jj8r..mais.un 'c'p.îe'mêmenedé.
(( dOOlDl'agepasd'e lapepted',u:n a~n~Éi:le retournai
cc preSCpieaus8i:tê.tde l'aut-re c8té d~u Deuve.Op y dé-«
cbaI'8éaiitnotPema~beureuxvaisseau, où rien n'avaitt( péri que les bom:m'es. Je cherchais votre corps sur« le rivage de la mer et je le redemandais le soir, le
~at~~e~t ~l~~ea -de ':J'a'JIi,IJjt.a¡tli:-n,ties' de
('1'.çt."câDn¡-:tIeit~Ílls"ele¥êl' un¡teDibeau, 'prèsid'ece-
« I!Q:ii4!i,Jlfe¥a..Pasiég je e ts )ma v-ie :ds€ns ces
vaines si le roiqul 'J'-ê,g'Resur les bordsde
ceflellve,Íalorméq,u'un vaisseaupbênicien avait«(péri dans ses IO:lI1ail1es, n'en avait réclamé les effets,ci qui lui appartenaient suivant les lois des Gaules. JeccIls donc rassembler tout ce que nous avions apportéde JI'i..t~, a~rbr-e-9 'lê:lDes,qtJi. n'avaientc(
pasettêendQ1D;lDages par l'eau, et jemerend-is avec
ces débris au~pr~s de ce prince, Bénissons donc la
Providence des dieux, qui nous aréu~n€is et q~ui a
rendu vos maux encore plus utiles à ma patrie que« vos présents. Si vous n'eussiez pafs fa2i;t naufrage surt( nos côtes on n'y el1t pas a-boli la coutume barbar e« de condamner à l'esclavage ceux qui y périssent; et
c(s'i.(¡)uÎ:n'¡e;UlsÎiê.'lSltêeQlt'mlle-ttètae~i(fté, je« ne VO,tÍ88:U'Jai's p-eUi't;rej\imaJsre\u,etJe ,s'ac'gdesc(i'hhIgeeft¡tslt1nlel'a;ten:co~e s'ulrlesau¡wlsdu dieute gars. »
« Ainsi parla Céphas. Pour le roi, il n'oubUa rien de
~!14 .L'AR-CÀ.'I-ÏÉ.'
ce qui pouvait me fa~re ~ubléiér le s.ouven~i#_r de = me~
malheurs. Il s'appel~it.Bard\u's.J!l6taitdc~j~à. avancé en
~ge et il portait, comme son peuple, la barbe et les
cheveux longs. Sonpalai$ét~itb.tid~ltr,on~s desll.-
pins couchés les uns sur lesuag:t'es.lrD~yavailt,peur
portes que degraÍ1d~ cuirs de b.u;C,ui eR'Ierïaaient
les ouverlures.Personne n'y faisait la -garde, -car il
n'avait rien à~craindre 'de ses stij:ets; mais il avait em-
ployé toute ~on industrie pour. fertifler sa ville contre
les ennemis du dehors.11I'avait eo:t6urêede murs faits
de troncs d'arbres, entremélés de mottes de .gazon,
avec des tours de :pie~re ~aa$ a~s~t~ aaa p.ort;e~ -11~-y
avait au baut de ~sto!u;~d'es~~WDelé~~CÎÍji'i:ê.jebt-
jour et. nuit. Le roi Bu4us&'aiteuée.teUetde;lq.
nymphe Lutétia, sa mère, dBn\teUepÓrta,i'~ le nom.
Elle n'était d'abord couverte ql.1,ed"arbres,. et Bardus
n'avait pas un seul sujet. Il s'occnpait à ..tordre, sur le
bord de son lIe.t des eUtles d'écorce de tilletd et iL
creuser des aunes pour ~n faire des bateaus: Il ven-
dait les ouvrages ,eseSIPal'Qs;aax 'lDa'P.R'~FScqg~, ¡es-
cftndaient, ou remontaient la S-eine. Pend qu il tra.6
vaillait, il chantait les avan'MgesdQl'ind!ustrie et du
commerce, qui lient tous lesbolD;h1es.Les: bateliers
s'arl'êtaient souvent pour.écouter'ses chansons, ils les
répétaient et les répahdaientdans toutes les Gsules,
où elles élaient connues sous -le nom de vers. bardes.
Bientôt il vint des gens s'établir dans son lie, pour ren.-t
.teDd~recklm!ter et pour y vi_el l'. 'ptu:. tle,F,eté.
Ses irichesses 9 acerurent avee.'s'~Deli$.&'Jte ;seeo.jwit
de'RlaisOD8, lesiorêts vo'isiaesse4êlrriebèFe'ht,et des
t. lie dite de la Cité, où ~at!eut éle~é~, dit=oa, lea p.lehédiQcel deLutèce.
~"), 4 -10
··
=-- -"=-
~t;~ou~~ea~u~cn4~r~~g~~ë~b~yu~t~l~'l'~s~d~a:~ï~-v~i-g~~ ~roïsin~. C'est a~ ~q~ Eé ~~un rôi ~t~x ~r~é
u'nell1¡,ir-e~RSvi&l:e'Jlce..IIa:islQAqQesOIlJilen'etaiit
pa~ -e~~Qrea: en~ü~~ m~s e~ $'.Q~`i~ d~j~. à;
e~~v~ai~~ vic~e ~da.c~ iï~~·~as~to~~s ~é~~$.,
:==;r:{=:à.8f
-Un jour, ,uRs..aJ;ull1e.'œ.r.edê',èJlefÂ~rs., qu re..
m~ontaien't. la Sellleen.caRo,tsd~écGrce.d'GrR1e,d¡bar-
quèren-t sur son rivage s'epten~t-riona-1, tout v-is--à.i"isd'e
Lutétia. Ils avaient à 1-eu-r t~éte le ia~r-le Camut,. b'oisième'
fils- de Tendal, prince du Nord. Carnut venait de rava-
ge~t .o~r~t~ lfe~ ~e3 :1~, ~~er E ~bor~e;o~ u,ai~t
.I'.C. 'l'J ,<"c,.<<t"c't'r.'I. ,;Î~.f :'Jf. ;Yil~';¡;(:I,ft' >'J:e, >,ç:PQV;pjpl,:e, en
8eçr~tj"di,os;}e.s'Cl¡jLUI~p~te.s"ia.s,¡:, comme
tO,U8 ,lèS,boll).'ês;"riii¡ble.s,~ijü-è1i.~Dt"j..s,oi1'rl~eu~
qu.i serelÎti,Qt're40,utalbn~s.~ês e :CIJ.;rnut' eut mis
pied à terre, il vint trouver le ~oi ~ard=us e~; lui dit
« Combattons, toi et moi, à l'a tête de -nos guerriers le
ic plus faible obéira au plus fort car la -première, loi
c(d~:la.iu~'u'neesl:q\u:teut"cèjeàtarQl' » 'f.e'roi..
Bai'düs'lui'~ép{)lnUt"C( -.0~¡FJi,u,t/I."&'iirDel~asissait«lue
O«.d.'élipeser ID. vie pourd~'feÎ'a.fp~ mOD,euple, le
u,teraistrès:vatoBtiers-; .'aisje.'n~ezpô,ser.aisp~s"l~
vie de mon peuple 'q~a'~cliI..8';a:s!il'aitdesauver la
«miènne. C'est la bOD;iêet~oDla.r()rct'fJuidoit choi-
tc sir les rois. La bonté 'seü~le ~gouver-ne 1~ monde, et
« elle emploie, pour le gouverner, l'intelligence et la
(e '0~I1fli.1~i'i.~G!"Í. .F4r'@1tétt~).~Ge;Œ1!ife¥tjjU'les.ies
«.pui_Jtçe8.del"Q!.ilYe'¡~ai'_J~BI~ctè"ÎlejjJl.f~i..
(."qu~é~.t\t.veJtX'.8Q.u.è.rel'Jte;s'ilij.e]h.¥1,ells"i:!PÍ,¡.lle,« to¡'Q1a"e-.moi" _estle.plu's8f1ÎMe do leur ~aire ~5u
« bi'en.Vôi¡là de pauv,resGaul1Óis tout anseSins ~re"
L'AfteADI!.216
proche, je les ai plusieurs -fois vêtus et DQQ;rris, en« me refusant à moi-mém-e deslinlibi:ts etdes8!Ji.lDents.
Voyons si tu sauras pourvoir à leurs -besoins. »
Carnut accepta le d~é~. C'~ta~i5~ en a~o.~r~~e. ¡¡lfllt ùla chasse avec ses guerriers; iit tua beaüc6.u~ de- che..
vreuils, de cerfs, de snngtierset d~élal11's..1¡ldoDI0Q, en-
suite, avec la chair de ses animaux, un grand, festin à
tout le peuple de Lutétia, et vétit de leurs peaux ceux
des habitants qui étaient nus. Le roi Bardus lui dit:« Fils de Tendal, tu es un grand chasseur tu nour-« riras le peuple dans la saison de la chasse; mais« au printemps et en été illm'01tftlLfiecfai'rR.'9ür
moi, avec mes blés, la laine de ;DlesbJ!ebi,s et le« lait de mes troupeaux je puis l'entretenlrtoute« l'année. »
« Carnut ne répondit rien; mais il resta campé avecses guerriers sur le bord du fleuve, sans vouloir se
retirer.
« Bardus, voyant son obstination, fut le trouver à sontour et lui proposa un autre déU.« « La valeu.r 'lui« dit-il, convient à un' chef de guerre, mais la patience« est encore plus nécessaire aux rois. Puisque tu veux(f régner, voyons qui de nous deus. portera le plus«
longtemps cette longue solive. » C'était le tronc d'unchêne de trente.ans. Carnut le prit sur son dos; mais,
impatient, il le jeta promptement par terre. Bardus le
chargea sur ses épaules et le porta, sans remuer,
j~usqu'ap:rès le coucher du soleil et bien avant clan,s lanuit.
"( Cependant Carnut et ses gu.erriers ne s'en aU'ah~ntpoint. ~g passèl'ent ainsi tout l'hiver, occupés de lachasse. Le printemps venu, ils menaçaient de détrai're
~~A~~ ~.A#D~I~E
unéril¡le- ft8l¡'8SaR,t~ uqui~fu~.itdele,u;rn.biΡr;et¡1s
étai¡eotcl'au\taBltp'ljttsacJ!aia4"e q!u'~il:smaD"tl'aieR't
alond:e-neu'witttre.Uà;rdusRc savait ce,m¡me¡R:t s'en
.r s,,d~~u~ ca~- ~~a- èi~er~t ~l~es ~~lus f~~ï ~a~~ vl =~
s'gW~<tt~~les.pl!i1s.i;tRci.eos.' :800 il-,e pe~sonne 'De
po, l~û~ d~onfne~ d~econ~Ei~l~s:-~ti~ tn i~l` e~c~~se~son
elmbarra$àsaDlère~Lutetia,qiuiétai!trert â:ée, m~ais
quiavai:tullgrandseus.
« Lutetialuidi,t « Mon fils, vous savez quantité
« d'histoires anciennes et curieuses que je vous aiap-
ç( prises dès votre enfance; vous excellez à les chanter
« d~~tifez: `i~, ~s ~d~e~é~d~ ~X ch~neo~s:,t)
« Ba~d~fs:a~i~~t~~roü~ver~a~rn=.~i!t ae~~luai.a~i,t_: « ~Fil~sde ~en·
ud!a:I,'iil'l1:e's:Qfltpa$Ùi un,rGi;de'R~H;PFit~sess'wj,e¡ls et
((d~ê;trefe"n1eetcoRs.taR;tc:da'lls 'lest'Alvau,x;U dioi,t sa-
(C VO,iF~b8:luI¡iJ'delell'r,pen!Sée leso,piniioRs -qui les ren-
dent malheureux car ce sont les opinions qui font
agir les hommes et les rendent bons ou méchants.
« Voyons qui de toi ou de moirégoera sur leurs esprits.
« Ce n~erf~ut:poji~par des co~ ~~at~q~l~érc~ale serüt ~su~i9re
(c.dans les Gau~és, mais par des chants divins qui sor-
« taie~3t de sa bouche comme des ch~i~n~s d'©r, enchal-
« naient les oreilAles de ceux qui l'écouta~ent et les for-
caient à le suivre. »
«Carnutacceptaavec joie ce troisième défi. Il chanta
les combats des dieux du Nord sur les glaces, les tem-
pête~ de Niorder sur les mers, les ruses de Vidar dans
lesird~$"reSI'a.~ai8eS~¡,e'l~;Qr'S'Br}. :tepreetrem,i~e
deH~)tter'ajB¡S en~,fer, 1ilyj:0tgRiÎ\r le récit de ses
pr. 0,~pres Y-ictoires, et sesde
CU'Feur dans le coeur de ses gu'errier3; qu~i paraissaient
prêts à tout détruire.
~~8 L'Aft;CA~'I¡B.
« Pour le roi Bard'us, voici ce q:u'j;J cha,l.'t.a
Je chante l'aube du ni.-a.tin, 1 -e's pre, -m~ei~ersrayon,s
de l'aurore "qui ont lui sur lesGauil~s,eœpire de Plu.
ton, lesbieO'fa.its de C~rèsea l~e n~a~~b~ea=r~:dEe ~1'étna~u~it
¡( Lois. Écoutez m:escha~l;ts,es:ftri¡.ts(lesfl:euves, et ré-
Pétez-les aux es'p,riot,d-esmon:ta;gnesbleu:es..
(c Cérès venait de chercher par toute la terre sa flUe
« Proserpine. Elle retournait dans la Sicile où elle
était adorée. Elle traversait les Gaules sauvages, leurs
montagnes sans chemins, leurs vallées désertes et
leurs sombres forêts, lorsqu'elle se trouva. arrêtée
par les eaux de la Seine, sa nym'ihe, cha€no~é en
« fleuve.
cc Sur la rive opposée de la. Seine se bai~,6,0.naitalors.
un bel enfant aux cheveux ~londs, a~ppel.,ê Lois. 1,1
aimait à. nager dans ses eaux transparentes et à
courir tout nu sur ses pelouses solitaires. Dès qu'il
aperçut une femme, il ana se cacher ~ous une. touffe
de roseaux.
« Mon bel enfant, lui cria CérèseD .soupirant, venez
Cf à moi, mOl) bel enfant » » A. la voix d'une lemme
amigée, Lois sort des roseaux. 1,1 met en 'rou'8,iss&nt« sa peau d'agneau suspenêlue il un saule. Il traverse
la Seine sur un banc de sable, et, présenta'R.t la
main à Cérès, il lui montre un chemin au milieu des
eaux,
c( Cérès, ayant passé le 'fleuve, donne il renfant LoIs
un gâteau, uDegelrbed'é,ils et un bŒiselr ,iud,sIJui
àkppren~d cOR11De,nt.le pailD sef,it avec d¡uhléetcem..
ment le b¡érieA¡t. draBsles cbialm,s. « '(j;rR(dm8,pei,
~t belle étrangère, lUfid;i,tL9jt~; jrevais porter ma mère
(( vos 'leçons. et vos deux présen~s. >>présen~ts.
»
YIl'
«La-"lUèr'deL9i.s.partaBea"eç.o~eIlfMif~t sonC(éP0U': 'le'lœteauel1e¡ba.er. Le père ravi cultive 00
((ch'a, .sè~JBe..lleb:(é.. ~i~n~t8~t-a tvrr~e se ceuYrèd.u¡ue
« ~mo~ss9t~d~~e, ;e~t ~se~ ~anc~ dy~es -a~
a c~su'u.ne~éesse ~a~~FPPQ~rt~r3o~9 -,une plante cé-« leste:
ccP,rèsd'elà vivait un .d~r(d-de. navalt rin'SljectieR
l' desfo:rê.ts. lit distribuai:t aux Gaulois pourleur nour-Cfriture les laines des hêtres et les glandsd.escbênes.il Quand il vit une terre labourée et une rnoisson:CfQue deviendra ma puissance, dit-il, si les hommes
v
·< 1~1a3g~p~lJe~I:~ois « ~11~0~~~e~l.a .i.; ,l£ui :a~it- 03~t,iex-
« vo~t~~à~d~ :vo~uFsvf~tes ~1'é~rang~re:au§a :bea~u~a;é~is u
Lovi~s:,aaa~~ma~~ice;:le ~0ad~u~it=~r les~~ord~sde ~l~a:eir~e.
Cf J"éta'¡s"d;j¡t~i'l,.sousce -satl\le. argenté; je courais sur
Ces blanc.hesmarogueri:tes; je fu's me cacher sous ces
roseaux, car j'éta.is nu. Le traitre druide. sourit
« il saisit Lois et le noie au fond'des eaux.
C( :La'lD'è..e~eLôis'ne-revoi:t'pl,usSQR.fi'S. e s'en
(C 'Va dans les bois ets'éc'I'ie '«(}ùêles-vous, Lois,
uLois,moncherenlantY » ¡Lesseu¡ls échos répètent
uLois,Loi:s,mo'Rcber en~'an~t »E4ecour.t tÕutê,per-
due le long de la' Seille. ;Elileaperçoit sur ~onrjva'geccune,blancbeur: « 1~1-n'est.:pas ~1-oin,d~it-e-l~le; VGilà ses
« fléurs chéries, vo¡'~i. ses bl~anches marguerites. )) Hé-
li las 1 c' ait Loi s-~pLo¡"Ul Ç4
« ~p~~e~pl~ e,he ~~o~i~ ie~~te p~~od~d~i~nasesbras
(CtT~a'Otsl¡eGo.sg1!aœ~d.re'W-i5,; ~ele",eu;tteJ'DJRi-
«..ercOM~e!Sé~\cœu'r;.airs -~I¡eccœ,Hrfle,;la ni~r.~ nE
(Cpeutp'}us,Piehau4ferleC0I1'S .dpfli1s, et le co~~ d~u
« Otl{t.81ace déjilLlecœu;r-delo. mère elle ea~t ~prés -de
L'ARC AillE250
« de mourir. Le druide, monté sur un roc voisin,s'ap-
« plaudit de sa veo'geance.
(c Les dieux ne viennent pas toujours à la voix' des
« malheureux; mais auxcris-d'llnemève'aftl,i'g.ée'Cé.« rès apparut. « Lois, dit-elle, sois fapl:\lsl>el1!eJleur
« des Gaules. » Aussitôt, les joues pâles de 'Lois se
« développent t en calice plus blanc que la neige, ses
·~ cheveux blonds en filets d'or. Une odeur suave s'en
« exhale. Sa taille légère s'élève vers le ciel; mais sa
tète se penche encore sur les bords du fleuve qu'il a
« chéri. Lois devient lis.
« Le prêtre de Pluton voi t cepro.d'Ï'geet n'en est
« point touché. Il lève vers les d.ieuxsopetieQ'rs un
« visage et des yeux irrités. Il blasphème, il menace
« Cérès; il allait porter sur elle une main impie, lors-
qu'elle lui cria « Tyran cruel et dur, demeure. »
« A la voix de la déesse il reste immobile. Mais le
« roc ému s"entr'ouvre; les jambes du druide s'y en-
c( foncent; son visage barbu et enflammé de colère se
« dresse vers le ciel en pinceaux de pourpre;-et les vê-
« tements qui couvraient sesbrRs meurtriers se héris-
sent d'épines. Le druide devient chardon.
Toi, dit la déesse des blés, qiii voulais nourrir les
c( hommes comme les bêtes, deviens toi-même la pâ-« ture des animaux. Sois l'ennemi des moissons après(( ta mort, comme tu le fus pendant ta vie. Pour toi,
belle fleur de Lois, sois l'ornement de la Seine; et
« que daasla..mm¡B. de ses reistafleu.rvietorieuse- l'em-
« porte un jeolr sur le guides ((¡ru.ides. »
Braves sv-ioa-nas deea.rn'1i1~t~ venez habiter ma vi~l~le:
« La fleur de Lois parlaœ,e mes jardins; des jeunes« filles chantent jour et nuit son aventure dans mes
L'A~
« cham,ps.cCltacun.s'y livre.. à. un facile-elt-gai,et
a mes grenfï~ers, ai9r~ès dje Cérès, rompent.. sous rab.en-
« dance des blés. »
C(. -.A.p~i~eg~«~~s.a'it.u,;ijllÎ~ec.e:Jj~ft,tel'qu.eclêsjgu~r"
rie'rs.du.N'~J!cI,qùl~moJ~ûen,tde'fa:i¡~, .g;bQ;~d~n~èr~nt
le..fUs.d.éTen.d:alet"se.n,pen¡tuBabÏ'tantsd:e'LlI!iétla.c(.'6b'! `I
« me disait souvent ce bon roi, que n'a;i~-j-e ici que~lqfue
·<fameux chantre de la Grèce ou de 1'Égypte pour po-
q( licer l'esprit de mes suJets! 1 Rien n'adoucit le cœur
c( de l'homme comme de beaux chants. Quand on sait
a faire des vers et de belles fictions, on n'a pas besoin
«deseeptp.e-~i0iit-~tT~ij~f~ »
« ~1 rne .~n~en~a voi,r, a~e~; Céph~,s, lel¡ieuQû.Ï'lavait
fait pl'iln.ter:les arbres et les graine 5 r.écha:p.pés de -notre
naufrage: 'C!étai t sur les flancs ,d:'une côl~I4ine egaposée
au midi. Je fus pénétré de j~oie q.uand je vis les arbres
que nous avions apportés pleins de suc et de vigueur.
Je reconnus d"aboi-(l l'arbre aux coins de Crète, à ses
fruits cotonneux et odorants; le noyer de Jupiter, d'un
ver,tllusl:ré;-l'ave'tinier, ietiguier, lepetlptie~le'poi-
rier du mont 1 ~a; avEC ses fruits en pyramide tous
ces a~rbres-venaient dfè 1'v~le de Crète. 11 y avait encore
des vignes de Thasos et de jeunes cbâ-taigners de l'ilede
Sardaigne. Je voyais un grand pays dans un pelit jar-din. I-I y avait, parmi ces végétaux, quelques plantes
qui étaient mes compatriotes, entre autres le c~anvre
et le lin. C'étaient celles qui plajsaie~tle plus tu roi,
à -ca~w~sed~éleu~cu~ti~l~i:té. I~1~,a~va~itt:âdrnjirré hs toi=iesqu'on
en .fu:is'a1it<e'D"Eg"te,ptu'sd.¡u:PaJlJl~es.etfl¡u,ssouples''q~e
les .,peaux' dlon\t: s';li¡r¡i¡1!~ai'e,n¡tta'pl¡üJ8;rtcles'6aull:&î's.1.e
roi prenait plaisir à arroser.1u1..même ces plantes et
en Oter les mauvaises herbes. Déjà le chanvre, d'un
L'~1RC~lDTE252
beau vèrt, portait toutes a ses-.tétes égales à la hauteur
d'un homme, et le lin en fleur couvrait la-terre, d'un
nuage d'azur.
«'Pendant' que nous nous livrions, Céphas -et moi,
au plaisir d'avoir fait du bien, nous apprîmes que les
Bretons, fiers de leurs derniers succès, non contents de
disputer aux Gaulois l'empire de la mer qui les sépa~e.
se -préparaient na les attaquer par terre et à remonter
la "Seine, afin de porter le fer et le feu usC{u 'au milieu
de leur pays. Ils étaient.partis, dans un nombre pro-
digieux de barques, d'un promontoire de'leur 4le,
qui n'est séparé du continent que par un petit détroit,
Ils- côtoyaient le rivage' des Gaules et -ils étaient prèsd'entrer dans.la Seine, dont ils savent franchir les dan-
gers en se mettant 4a:ns des anses à l'abri des fureurs de
Neptune. L'invasion des Bretons -fut 'sue .dans toutes.
les Gaules, au moment où ils commencèrent à l'exé-
cuter; car les Gaulois allument des feux sur les mon-
tagnes, et par le nombre de ces feux et l'épaisseur de
leur fumée ils donnent des avis qui volent plus promp-tement que les oiseaux.
A la nouvelle du départ des Bretons, les troupesconfédérées des Gaules se' mirent en route pour dé-
fendre l'embouchure de la Seine. Elles marchaient sous
les enseignes de leurs chefs c'étaient des peaux de `
loup, d'ours, de vautour, d'aigle, ou de quelque autre
animal- malfaisant, suspendues au bout d'une gaule.-Celle du roi Bardus
etdé son, ne était la figure d'un
vaisseau, symbole du cominerc~. Céphas. et moi nous
accompagnâmes le f(»i' dans cette expédition. En peude jours tôutes les troupes gauloises se rassemblèrent
suc le'bord de la mer.
~'J~1E. 2531
( Tr-oisavisfu:rèrtt ouverts pour 1~, défen~e de son
rivage. Le premierfut d'y ertroncer des- pieux peur
empêcher les Bretons de débarquer, ce qui était d'une
faciÍeQiécutiol1,aUèndu, cquenôÜ's;étionsens'rand
nornbre et que lafo:rêtétait'v()isine.'Ledé1J~iè,m:c fut
de les combattre au'moment où ils débarqueraient. Le
troisième, de-ne .pas exposer les troupes à découvert a.
la descente des ennemis mais. de les attaquer lors-
que, ayant mis pied à terre, ils s'engageraient dans les
bois et les vallées. Aucun de ces avis ne fut suivi car
la discorde était parmi les chefs desGaulois. Tous vou-
laient~Q~jâ~r¡,(!{~!lPJlij(t'cl!uJ[ #'11~~r4i.sp(lsé à
obéi'r.Pendan:;t"q¡u'iJ's-dêti~;éraient.-ren~eü1i'JP~rut,et il.
débarq~ua-au dre.
«(Nous étions perdus sans Céphas. Avant l'arrivée
des Bretons, il avait conseillé au roi Bardus de -diviser
en deux sa troupe, composée des.-habitants de Lutétia,
et de se mettre en embuscade avec la meilleure partie
dans. les bois qui couvraient lé revers d~ la montagne
d'Héva, tan~lisr q:ùé lùi Céphascombattrait les ennemis
avec 1 'aùtrepariie,' jointe au. reste des Gaulois. le priai
.Céphasdé détacher de sa division les jeunes gens qui
brMaient, comme moi, d'en venir aux mains et de ~'en'
donner le- commandement. (c Je ne crains point les
dangers, -lui disais-je. J'ai passé par toutes les épreu-~
ves que les prêtres de Thèbes font subir aux initiés
-et je n'aLppjn~ eu peur.» Céphas balança quelques
m-0-,ments.. En;fi,,n ilmecoRI6.a les. jeunes gens do -sa
tcoupe, en leurreco'J,bæandaot, ai~~si q~u'à; moi; de ne
pas. s!écai1~rdesa
« Ltenneml'cependantmit pied à terre. A sa vue
beaucoup de Gaulois stavancêrent vers lui en jetant de
25. L'ARCAD'IE
grands cris mais, comme ilsl'atta~ue:ien~t pasr pe'i,tes
troupes, ils en furent aisé, ment repoussé.s, et il auraitété impossible d'en rallier un seul s'ils n'étaient venusse remettre en ordre derrière nous.
Nous aperç-ûmesbientôt les Bretons
qUimarcbaientpournousattaquer.Les jeunes gens
quejecomrnandaiss'ébra,nlèrenta'lors,et nous marchâmes aux Bretons sans nous embarras-ser si le reste des Gaulois nous suivait. Quand nousfûmes à la portée du trait, nous vimes que les ennemisne formaient qu'une seule colonne, longue, grosse et
épaisse, qui s'avançait vers nous à petits pas, tandis
que leurs barques se hâtaient d'entrer daosc}efl,ea,vepour nous prendre à revers. Je.1'avoue, je fusébnanléà la vue de cette multitude de barbares demi-nus,peints de rouge et de bleu, qui marchaient en silencedans le plus grand ordre. Mais lorsqu'il sortit tout àcoup de cette colonne silencieuse des nuées de dards,de flèches, de cailloux et de balles de plomb, qui ren-versèrent plusieurs d'entre nous en les perçant de parten part, alors mes
compagnons prirent la fuite. J'allaisoublier
moi-mème que j'avais l'exemple à leur donner,lorsque je vis Céphas à mes cOtés; il était suivi de toute1-'armée. « Invoquons Hercule, me d~i~t-i1,et chargeons 1 »La présence de mon ami me rendit tout mon
courage.Je restai à mon poste, et nous chargeâ.mes, les piquesbaissées. Le premier ennemi que je rencontrai fut unhabitant des lies
Hébrides., Il était d'une taille gigan-tesque ses épaules et sa tête étaient
C-(1);tt\lertes,d'unepeau de raie épineuse; il portait- au cou' un, couier demâchoires d'hommes, et il avait pour lance le troncd'un
jeune sapin, armé d'une dent de baleine. « Queccdemandes-tu à Hercule' me dit-il. Le voici qui vient
-t'NaiC'i-,I>IE u 15<5
.«àitC!)i'»)uEnJDême_,tem~p.iIJBe'0~ta.'8IBeetl' de son
éOf,¡)rmeJ'aftce ,avect3olt'¡ef1Ji1'ieque,sieJ¡lem'eêt
attei9n~t, el~l~e rn'eû~a cloué 4 terre, oüeUeen:1rabip.n
qu'il de la r~n~r à iuï, Je
lulp~r9~i'1a.jg'lr8e.del~é.pieiudeBtJ~étai$e.é,. il en
sorU.taU'$sit6l un jet de sang noir et épais, et ce
Breton tomba en mordant la terre et en blasphémant
les dieux.
« Cependant nos troupes, réunies en un seul corps,
étaient aux prises avec la colonne des ennemis. Les
massues frappaient les massues, les boucliers pous-
saiel}t~les;hQ4~lievs,-lesnl(l.ncesse. ,cFo.isQ;ieo,tavecles
la'l1cet;t\.losidCux:.Oers. taupea:ui,se'd¡s;pu:~ent -1,"empire
de spra:i.ries:leurscorn'ess0nten;t~el¡acees; leurs
fronts se heurtent ils se poussent en m~u;gissant et~
soit qu'ils reculent ouqu~i'l,s avancent, ces deux rivaux
ne se séparent point. Ainsi nous combattions corps à
corps. Cependant cette colonne, qui nous surpassait en
nombre, nous accablait de son poids, lorsque le roi
Bardus la\'iutchar~er en queue, à la tête de ses sol-
J~tsq;liiJetaient de grands cris. Aussitôt une terreur
panique saisit ces barbares, qui avaient cru nous
envelopper et qui étaient enveloppéseux..mêmes. Ils
abandonnèrent leurs rangs et s'en~rl1irent vers les bords
de la mer pour regagner leurs barques qui étaient
loin de là. On en fit alors un grand massacre et on
prit beaucoup de prisonniers.
« .ppr-ès lab_ai¡),I¡ejeji¡s àGé~pbas:«(Les'Gt\'1d(i)is
«doive'lIltla'rict(i).iireaèOCG'llsei¡lq'ufe)~eus,avez.Q'D1Bé ,au
« roi;-pQu~r JIIloi, je vous d0is~'IIDR;neu!r. J'av41,sde-
« mahdé unpes:te -que je ne co~n~na~i~9s~tis pas. I~lfa~l~~lai~t
« y donner l'exemple, et j'en étais incapable, lorsque
~1r`~r'256
« votre -.t., rassu:ré. J'. '1"(C votre présence m.9a rassuré. ,:e-cro,a'118 que ,eSI'Rltl'a-.
"lions de légypte m'a-vale-nt fon-iio-é eOD:tiie.to.usles
« dangers; mais il est aisé d"ètre br4ve dans u-n péril
dont on est shI" de sortir. ~),Céph~s me,p,epGo.di.t
0 Amasis 1 il y a plus de fopeeàa¥o1terseila:wtes
qu'il n'yr a de faiblesse àlescc¡)'lDim.ettre. C'es~t ~:er-
cule qui nous donné la. ,ict~i,re; mais,' après lu'i,
c96st la surprise qui a- êtê le courage à nos ennemis
« et qui avait ébranlé le vÕtre~ La va-leur s'ap-
(.cprend par l'exert¿ice, comme toutes le& autres vertus.
NOUS devons, en tout temps, nous méfier de nous-
mômes. En Vain nous -Rousap:p"en;sccs'Q:D,eLJ?e.-e'x-
·~ périence nous nedevolI'scoD1,'tierq;~e!SÍlt'lesooaul's
ccdes dieux. Pendant que nÓusJ¡,usetl;itpQ;SS0ns d'uu
côté, la fortune nous frappe de 1'autre. La seule con-
« fiance dans les die 'IX couvra un homme tout en-
u tier. » `
u On consacra à Hercule une parUe des dépouilles
de~ Bretons. Les druides voulaient qu'on br61ât des en-
nemis pr'rsonniers, parce que ceux-CI enuselh: :e même
à l'égard des Gaulois qu'ils ont pris dans lesbatail:les.
Mais.je me présentai dans l'assemblée .esGagléîset
je leur dis 0 peuples vOUSVOY8Z par mon exemple
si les dieux approuvent les sac~i~fices humai~ns. Ils ont
remis la victoire dans vos-, mains généreuses; les
souillerez-vous dans le sang des mal=.heureua ? N'y
a-t-il pas eu assez de sang versé dans là fureur du
(( .ce,mbat'l'Eo.répantb'ez-veos mæ!n,te'Dat1lttltnseolère
(e et dans la joie dlw trielmjpb:e'V~-seDnemiIJID1Ím.leftt
a leursp~isénnlie~ · s~s'8e&~le.. en "fl6R'.siité,
tc comme vous les lu'rpalsezen coulnse. »tes taries et
tous les guerriers applaudl,rent" ,mes parafes.. Ils déci-
-} ~¡¡
-lui#
11
dèren~t -q~ue~-lès ~p:sèn~n~ièr~ dévg~e~e ~s~~a~i~`é~
réd'l]i'sàc l'eséla~v,age. y
«(Sef;usdÓnc" CaU5~q'0R ,a~01i,tla loi tu les c-oni
..1 't a~ f~ rt'ét oc~a~l~n :o~.el1t~Ut~au., .J;e.'u.c.o:Jtss"4,QD.c¡»ce~s.9,D,u~oa.
~v~~üt € ~o~gé~a co~ut`u~e-- d~ aa~ .i~Q~r ~e~° ~n~c~~t~ â
Ma'rS~:t:d!d!l\i've ,lèsiJ}auifrasést}R 4se Yditude
je fustroi.sloisutile"aus.heDÍtDesclansc1es.Gaules': une
fois par- mes succès et deux«fois par mes mal:,heurs;
tant il est vrai que les dieux tirent le bien du mal
quand il leur platt.
a Nous revl:Rmes' à Lutétia, comblés par les peuples
d ~h~or~n~e~r~-et d ~.p·p~a~~ss~~en~ts.e p~r- soi~n rd~u
~9 e ~Qifj-8.o,;jlipJjn'.
Lapbl)pn:pt ';cle'D.ÓS'I1f.),fè:~Lefiaiéi~:eÍJ>rri;,pG~t. 'ill,calmil'a
d'à~iorc~` com~men~t1~ nayu~e~a9aüft pivéservé ~~leu~rs-fr~u`its
de l'attaque4es: eiseau'x. iL,ackÃ:,tâigoe,eD1c'oreenJait,
étâit couverte de cuir et4'une" coque épineuse. La
noix tendre était protégée par une dure coquille et
par un brou amer. Les fruits mous étaient défendus
av~a5nt~laeur m~at-u~riaé.:par .:le¡tl'ràîpreté,leurac,¡.U,téou
lel1r verdeur. -Ceux qu-1 étaient .iD!ltaient à les
cuerl¡li¡r. "Les,Uirioots,dorês" 'les'Jê,ckes¥etQutêeselles
COiQsc9toRneU'Xel!h.lieÔ!tlefJltustio1lx;pa'~fuD1s.Les
rameaux 4upru.merétaieat couverts de ftUi~t-9 -Ifioletot.
saupoudrés .de.poudre.lttanche.-lesgroippes, déjàv~r.
meilles, pendaient à la v.igne et sur les larges feuil~les
du figuier la figue entr'ouverte laissait couler son suc
9-e €r. «, vwit ~~aien~ .d~t~leëG,SjlU.tite9; lü'æiê11'el'drEr'e~j¡5fJd;~t("0n,'voi\t.ie'B:, :d,j~t.cJ1e
«(.l'Qi~4De'eesIFu¡rtSS,Q,tctel"ji4sé.tS'drfts'i4ie.s'"Be
«(Sè)fif,al"eQn1lme'-1J$.s:eJ.e~eejs., '4~;s.ID.S. '4'e.;trlfsf~
réts, à uiR'ellú:ute.g,ro'ù' 0Óft D~.puirsJ~a'1êiD~.Us,
« SOftità la portée de lamai,n. Leurs ~i°a~n~teaceweulrs
258
-'C' c'KT":r:
"iAiiei~Â1¡1â_mr'
Ilr:¡-
(~appellent les -yeux,- leurs- doux.- O~r4lt ,etill« semblent formés po,ürlaho'u.c1:1~par .)'eurfor.eet
leur rondeur. » Mais q'u;aDd:ceb0'~r9leR. eut sa,
vouré' le goèt 0 vraiprésen, t de ~J~uPi~ter 1 ditil-; au-
«(CD:DIDetspréparéparl"JiI;,omRJ;e}!tfJ'fe.,¥.es;tcQRlpa..«( rable ils surpassent en douceur 'et 1
0 mes chers 8:ID'js,mesre,peêt8:blèshêtes vous
« m'avez donné plus que mon-rOYaume vous avez
« apporté dans les Gaules sa~v~ges u~ne~ portion de la
délicieuse Égypte. Je préfère un seul de ces arbres il« toutes les mines d'étain qui rendent les Bretons si
riches et si fiers. »
(c Il fit" appeler lespl'iDclp~l1x 'ha¡lJ.i:~p,t.s>tle'J.aci1té:et
il voulut que chacun d'eus 9 mer.
veineux. Il leu-r recommanda d"en conserver p ceeuse-ment les semences et de les mettre en terre dans leur
saison. A la joie de ce bon roi et de son peuple, jesentis que le plus grand plaisir de l'homme était defaire du bien à ses semblables.
Céphas me dit « Il est temps de montrer à mes((
compatriotes' l"usagedesartsd.e 1~É&fpte.faisaQvéd-uvaisseau naufragé 1R plupart de nos machines mais
(e Ju~qu'ici elles sontrestées inutiles sans qu'ej'osasse
même les regarder car elles merappelaient trop vi-
« vement le souvenir de votre perte. Voici le momentde nous en servir. Ces boments sont mars; cette« chènevière et ces lins ne tarderont pas à l'être. ) »
Quand, on eut recueilliçesJ!JaQtes.n~u~~p,J:lm~s
aUFo- et à, sonpe'1I,lerúS>.8ec4es'c~Q¡u!1;i'AS;c~)gp"tBttlliire
le blé en fariEne, etlesdii'e>~>apil"ts,q}~Qllt;crtp!aeala.
pAt~.p.ou'r en faire.upaia.Â¥a~tn0.pe'I1i:y.6e;Jes
Gaulois mond~aient le blé, l'avoi'De et J'orge d,e leurs
e .?H
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~~o~s l~s b~t~t~~n~~~pecd~~s=ps~;i~~tsd~E 1~Q~~dFa,~s-des
trQDes.tt'fa'b,e3icre!lli'és,elt"i:!s.se ,co.Q'tentaientde fai,~$
bfJlUil'r.ces:,gra~Îllsp~u¡rleur.'n0Urri¡tu;re. eur
.a-=~~t=;¡;i~=~j:
g~o~r l~és~a~re~ de yon- ~l~~u~ne, à, leys~cl~ :à, he~~i~er,
0 r, ,e:t:à:torare',èneemtile.p~€us~ie.t~~rsde "o.u-renlaipe, des cord~.es. ,Noustivnes voi~r comme ces cordesp par le~u~ forc~ et l~ur
souplesse, deviennent propres à être les nerfs de toutesles machines. Nôus leu~eRseigDa.mes à tendre les filsdu lin sur des métiers pour en faire de la toile au
~~ye~i. 5~1~i~an:reft~~ et côF ~ë, t ces d©ru~ tr~ava~s.f!?~3~p~f'é(iS
c°¡f~;c.tf,¡.v~ux
fO'ftt'Í~$,$~r:i..jJif"ges,;I~s:le'gues nu ver
d'Q$t'j¡~iDc'i.;at.d'a;tJ$,.J"dGie..
c(JSDu.s1~ijp.ap¡pri.esl!tJsBiÎede:}a~j;ère, de l'ber..
udi1&tie"dû,rab:Gtètdelascie' înveutéepar rin8énieuJ:
D~daIe comment ces outils donnent à 1~ho mme denouvelles mains etfaçoDoen-t à son usage une multi-
tu,de d'arbres dont les bois se perdent dans les forêts.
'~¡Q'iju~Jrè'Q'r."eR5~j~'â¡IJ1'ès.:à,t!'Ferd~1Iè'lJ,rsitFOhcs,n6ue~x
d(l8tfis~(!sviS~(~tGU~s,r¡¡Î,s6i~.pl'QpreSà.e!lpr¡lIl(!r
Jej[J{s.:d!u.eia'M~te ~~fru-i~t-9 -et~'à ~ex;t-ra-ire ~des'b~~uiles
de,r'-ts;d:I¡;¡~sn.'l1u..Us"ne 'Ncueitl;.t'eo;t'pasbeauco,upde de nos leurdonn4,mes un
grand~ d~si~r d`en ~=~~ti~~liëc les. ceps, non seulement
par l'excellence' de leurs fruits, mais en leur faisant
8otde.r des vins de Crète et de l'ile de Thasos, que nous
~c vA~pr~sl~$ur a~~voi~ï~m.o~~trél'u~sia~gé d'ë i~n~ ~n~i~éd~e
bifei~~s q̀nre 1$ a~~t~~ë a ~p`~~a`cé~asûpr Sl~a=te~ë ~1~~v~ui~de
]ail i,JtGUI1Itur"plflRes.,lt. d'CéU(f1~jr~ ce.!I~qÍu'eHe8mÍsS9;u,s,ses p reds eomimlel1\~ 90 peut ~uvëc ~8
260 C A D~Iy
l'ea1i daris les lieux' les plu.! éloignes des flel1,ves,'a~
moyen des puits inventés par Danaiis de ma-
niére on découvre les métaux ensevelis dans le sein de
la terre; commen~t, après les avoir -fondre en -.1~in-
gots, on les forge sur l'ench.UQepo,urlesdiv,iseren
tables et en lames commeut,pàrtt,estravll'uxplus
faciles-, l'argile se façonne, sur la ro~tie du potier en
figures et en vases de -toutes les formes. Naus les sur-
primes bien davantage en leur montrant des bouteilles
de.verre, faites avec du sable et des cailloux. Ils' étaient
ravis d'étonnement de voir la liqueur qu'elles renfer-
maient se manifester à la 'vl1ee£¡êha;p~er-.à.ta.)o.âil1.
ci Mais quand nous leur It1'mes les b~e~v~re5 -dïe Mïercure
Trismégiste, q:ui traitent d~es arts Tiliérau~ et dés s~ie~nee3
na~urenes, ce fut alors que leur ad,mi'ratioft fi' eut plus
de bornes. D'abord, Ils ne pouvaient comprendre que
la parole ptit sortir d'un livre muet et que les pensées
des premiers Egyptiens eussent pu se transmettre jus..qu'à. eux sur des feuilles fragilés de papyrus. Qûand ils
entendirent ensuitele récit denos.décou.vertes,qu'Hs
virent. les prodiges de -la mééa-n-etque qui remue avec de
petits leviers les plus lourds f-ardea -ux, et ceux de la
géométrie qui mesure des distances inaccessibles, ils
étaient hors d' eux-mêmes. Les merveilles de là chimie
et de- la magie, les divers phénomènes .de la physique,les fais aient passer de ravissement en ravissement.
Mais lorsque nous leur ellme~~ pré~,it une éc~itpse de
lune, _qfu'ils regardaieRlta VQiO~tlu.t"e arriv4eC,OQli.eune
défâilElance accidentelFede cettepÍ8îBèit~, etc¡'u.~nsvi.
reut, au moment que nous.legTii1d1¡cîPâ~mes,1'¡!ttre Odela nuit s'obscurcir dans un ciel ser.ei~n, ils tômb~rent` hnos pieds' en disant « Certainement, .vous êtes des
lfi!iIBI1.'I>nli~r..
(_d¡¡,eu'xl ce e-u~n, e 4,,ru. i.-de para sen.
silhtlea'BleS""UlüUleU'!tS,tiJs.s'ist1ti,tà.'ta:u:tes' nos .iiRst-rllC,UIOfts.
l:l'n0.u~s'd;\t: «'Av0s-1~ltmiê~es et iL 'v'osbieRlai\ts, je' s-iq
«.teIJt~d~"¥~(!),\s~,r,elq~'j\Er~p(t)ij;r,' :ltel,~e.s~uf1S de
a u~ x M~ -0->~X- 'a~vez's,.u4teJts«
ul ê,tesdès-t1OiBuDeSCOnl:mefti9:us;S:ans
c(d'o\f!te 'VoIIs1I"vez trQ,Q.véq¡tleJq:ue mO'8.ftde' monter
dàns. le-,ciel, ou les habitants dû ciel sont descendus
dans l'beureusetgrpte pour vou s communiquer tant« de biens et tant de lumières. Vos sciences et v09 arts« surpassent notre intelligence et ne pr~uvent être que
"'ti.Cê\f~~>;m,;¥ôlt'Sêtes e
«ê¡Ir~~i'f5 c',(:fes,ditfo."s:"ipê,i"uIFs :pO.lIlfn@US, ,.titt~j!ter
((nè;u;s.;a.a,¡iJJl},J¡aÓîlê8>~êL'ltxdi;eQI.)infe'rDaux. Nï6t~r,-epays
(C es¡t 'e4i),veptde.s:térUrestQrè'f¡s.h'a'j1éespa~ d~es génies
..c~œitl¡rai'sàDtS:,qIQ.i sê.ment. notre vie de discordes, de
«guerres de terreuro, d"ignora¡nces et d'opi-«nions malheureuses. Notre sort est mille fois plus
déplorable que celui des bêtes qui, vêtues, logées et
H.Jl'(iuj,niesl!8.'r la n'a~tüpe~,s'1d'v:enlt leu~r, instinct sans
« s!éB'arer~tRe craignenf;puintles enfers.
« Les d~ieux, luirépoR.d¡i¡tCéJpbas, n'ont été in-
(f justes envers aucun pays ni à l'égard d'aucun homme.
Chaque pays a des biens qui lui sont particuliers et
« qui servent à entretenir la communication entre tous
les peuples par des échanges réciproques. La Gaule
a -des métaux que l'~glI!t~ w'a pas; ses ,forêts sont
(('û~;})e;~l~'s; ses ttcnlt-e1;li'X .ontpb'iS,le lait et ses bre-
R'~i'$~ pl-u,~ de lo,i'son.Mài.s,' d'ansquelquelie~ que
« rh(1)j~mebab,U,e,~S(}Rpar_Gees,t têUj(j):tU~sfort sapé-
« _rieur à celui des bêtes, parce qu'il- a upe -raison qui
{("Je dévèloppe à .proportion d-es obstucles qinpelle sur-
uÀL'&'B'I!'&cl"I!o'ZU&l t AR~CA-911-18
« inonte.- qu'il peU!t, seul desæl1i'a,u~,arppJi"lu;erà 'S0i« usage des moyens au-xquels r~ïsé:nnep.e:ult re.llsteJ
« tels que le feu. Ainsi, J'uipite-r luiad0nnél~e.pi;Fe su
« la terue en éclah'ant sa r.a4i.c~ ~e1~iDi'eUi8e'otl.êQ;1« de la nature, et en ne
cen9aflltcqtu'à.tuil'eÍlélll'e:ftitq:u« en est le pl'emier ~oteu~.r, »
(c Céphas parla ensuite à Omli et aux Ga'u'}clisdes ré
comuenses réservées dans un autre monde à la verti
et à la bienfaisance et des punitions destinées au vicl
Et à la tyrannie, cle la méternpsycose et des autre:
mystères de la religion de l'Égypte, autant qu'i'l es
permis à un étrangelrdeJes;e0iD);¡~i,tre~ Les7G-Ia~u~llori'sconsolés par ses
discÓursetpar'Ros.prése'ffts,n'oas'a;p
pelaient leurs bienfaiteurs, leurs pères, lies vrâi'si'n.
terprètes des dieux. Le roi .Bardus nous dit « Je nf« veux adorer que Jupiter. Puisque Jupiter aime le!« hommes, il doit protéger particulièrement les rois,(t qui sont chargés du bonheur des nations. Je veu]« aussi honorer Isis, qui a apporté ses bienfaits sur la« terre, afin qu'elle présente au roi des dieux les vaevx« de mon peuple. » En même temps H ol'donnaqu.olJélevât un temple, il Isis, à quelque distance de la ville,au milieu de la forêt; qu'on y placât sa statue avec
l'enfant Orus dans ses bras, telle que nous l'avions
apportée dans le vaisseau; qu'elle fût servie avec toutesles cérémonies de l'Égypte que ses prêtresses, vêtuesde lin, l'honorassent nuit et jour par des chants et
par Doe vie plitre Cfuia"r&è'b1~ 1% dës diielux.« Ensuite il voulutappren&peàc9ilUtalitre eit à tracer
t. t3a pretend que c'elt l'a~ncien~ne érli.ede Sai'Dte-'Geneviè\'e, élév4.'Oi~ tsis avant l'établi8lf1ment du christianisme dans les Gaule.. (Note del'auteur.)
260
~n·a, ~=ar,~ei.
leB ca=~~ei~~re~i.4nai~e~$, f~t s~ ~r~~a~.é :de ~l'1~~ ~~e
réel ri-turet qul e d~auls~u~n,tran~0,~port-dleta je""le i~l .~h~ ees
vers
Voici -des -ea;6aet~eiS-Î(geS,AI"4jp'eU'~Rt 'é,
ufijUe'f'Jes 1BQi'tsd"'Jse¡nd(ês1'1I,j}Jea;s":ÍI:sftou~>"p.
C(gre:d~~o~~t ce q~u~e~ios p~è.re~o~~~a~ :il a rai~ll~ a~r_~si
« .et ,dans J11iiJ)!leansj~siRs'rll¡iF0ftt nos elofants de',ce
« que nQUS,ens9Rsauj0~l'd'lud. :ltn'yap0Înt'eflèehe
« q"liaH:leaussilaÏ:R ni de lance aussiferte. Us at-
c( teind:raicn,t un bo,mnle retranché au haut d'uoemen-
tagne; ils pénètrent dans la tête malgré le casque,«
et trâ~erse~r~it ~a~~u~ .~é ~i~; c~l~~ss~e;~` -ca~
«l'es 'setlit~aRs"ils'donn~II\t¡t:tfesa:ges,nseits",ifs~if.1It' t« ~lés sédi~~ions., :i,~s d~o~~ae~~ut.~de-sages :co,eils, ii~s-tl'r~~°
«ai,m.e'F, U:S ,conso1ent, Us .fortii'ent; si ~qü,ltue
« :bolm:m.eftlécbanten Ca,i,t,usayè:, ils Jpl~edJuisent-tlne.et
«contra.j,re. »
« Mon me dit un jour ce bon roi, les l'd'ReS de
ton pays sont-elles plius belles que les nôtres? Te
« reste-t-il quelque chose ù. regretter en Égy:pte? Tu nous
a en as a5l~Pnr~té ce qu'il ya,deBlf!;illeu,r: tes ptautes,a les arts et les sciences. 'L'lg,ptetout entière doit-
«être ,jci"pour ,t(j)'i.]Rest~av.ec nous tu r~ne~as :a~près
(1 moisu:t~ les:Ga:ulois. Je n'aid.'au;treenlao't 'qu'une fille
au~yiq_ue, q~i 9'a~p:pel~è Got~ ,jete:)111 donnerai en ma-
« riage. Crois-moi, un peuple vaut mieux «tu une.a-
(e mille, et une bonne femme qu'une patriè. Gotha
« demeure dans cette lIe là-bas dont on aperçoit d'ici
« tes arbres ,cOiriI1~co"eut,,q :j.,e- ,u, ne- ~18!e 'sêirt,a~
vée te.io' des hlomlDeS),'etSl1~tDuit"tdi¡R:del}aico,uir.es' -3
(r(¡)!IIS. ~r
« Led,ésir de faFite le héRhed'r d'u-.n pe,u"lesus,en-
d1,t en moi l'amau.f de la pa~~trie. 1,,e consu!lta~i :Géphas.
L'AIt-C AID 1 E264
qui approuva les vues du roi..Je priai donc ce prince.
.de me faire conduire au lieu qu'llabitait 'sa fille, afin
que, suivant la coutume des Égyptiens, je ptis~e me
"rendre agréable à celle" qui devait étre un jour la corn'
,pagne de Dles' peines et de mes plaisirs. Le roi char-
~gea une vieille femme, qui venait chaque jour au pa-
lais chercher des vivres pbur Gotha, de' me conduire
chez elle. Cette vieille me fit embarquer avec elle dans
un bateau chargé de provisions; et, nous laissant aller
..au cours du. fleuve, nous abordâmes .en peu de temps
dans rile où demeurait la fille du roi Bardus. On appe-
lait cette ile l'Ue-aux-Cygoas, parce que ces oiseaux.
venaient au printemps faire leurs nids dans lés roseaux
qui bordaient ses rivages, et qu'en tout temps ils pais-
saient l'c~nserinac .pole~ttilla 1,. qui y croit abondamment.
,1V'ons mimes pied à terre et nous -aperç~1mes la prin-
cesse assise sous des aunes; au -milieu d'une pelouse
toute jaune des fleurs de l'anserina. Elle était entourée
de cygnes, qu'elle appelait à elle en leur jetant des
grains d'avo~ne. Quoiqu'elle fût à l'ornbre des arbres,
elle surpassait ces 'oiseaux en blancheur par l'éclat
de son teint et de.sa robe, qui était d'hermine'. Ses che-
veux étaient du plus beau noir; ils étaient ceints, ainsi
.que sa robe, d'un ruban rouge. Dèùx femmes qui rac~
L'a~~serh:a pote~:tilta se trouve fréquemment sur1es th'ages de 1-~t
8~ine, au= environs de Paris. Elle les rend quelquefois toutjndnes à la
fin de l'été, -par la couleur de sa fleur. Cette fleur est en rose, de fa lar..
geur d'une pièce de vingt-quatre sous, sans tige élevée. Elle tapisse la
"terre, ainsi que son reuriHage,qdi .'étend! "fort loin eoformede réseau.
Les oies aiment beaucoup, eette plante. Ses feuillee èù 'forme de .pattes
d'oie; qui sont collées contre la terre, permettent aux oisé.aui aquutiquesde s'y promener comme sur-un. tapis; et" la couleur jaune de se9 fleurs
«forme 110 Contraste très agfoéàble avec l'azur de la rivière-et la verdure
des arbres, mais surtout avec la; couleur marbrée des oies qu"on'y aper-
çoit de fort loin. (Notc de l'auteid~.)
¡'
Lt!A~(l¡J)'rÊc'~ô.5
-M- c.
coœpagnaient'.aquelque"distance'vinrent a~ï-devant--de
nous. L' uneâttacba notre. .bateauaüxbran~hesd"Î1n
saule; et l'autre, me prenant -par la main, me'conduisit
vers satnaitResse. La Jeu"ne..pf.'Ïcn.cesse ,lue.tita:sseo:ÍrstW
l'herbe auprès d'elle;apr~squoi~Ue'eptésenta4e
la farine de millet bouillie, un canard rôti sur des
écorcès de boulèau, avec du lait .de chèvre dans une
corne d'élan. Elle atteildit ensuite, sans me, rien- dire;
.que je m'expliquasse sur le sujet de'ma visite.
« Quand j'eus goûté, suivant l'usage, aux mets qu'elle'
in'avait offerts, je lui dis i~ 0 belle Gotha, je désire
«deveRj'ri~le"ge'fl'dl'e'duroi:votre,père;et je viens,de
« sonconsentemen-1, savoir si marecbercbe vous --sera
a agréabyé. »
ccLa fillé du roi Bardus baissa les yeux,~ et répondit0 étranger 1Je. suis demandee. en mariage par. plu--(( sieurs iarlés, qui font tous les jours à mon père de
,(Cogrands présents pour m'obtenir; mais je n'en aime
(1 aucun.. Ils ne savent que se 'battre: Pour toi3 je. crois,
si tu deviens mon époux, que tu feras mon bonheur,*« puisque tu fais déjà celui de mon peuple. Tu m'ap-.
prendras les arts de l'Égypte,. et je. devïendra'i sem-
blable à la bonne Isis de ton pays, dont on dit tant
« de bien dans les Gaules. »
Après avoir ainsi parlé, elle regarda nies habits,
admira la finesse.. de leur tissu et les fit examiner à
ses femnles, qui levaient les mains au ciel-de surprise.
Elle 49uta ensuite, en me regardant: « Qd~oiq:u~e tuv
«'viennes d'qn pays reRlpll.de toute sorte de richesses~(. et d'industrie, il ne faunt pas croire que je manque
~=de rien, é~ que je sôis moi-même dépourvue .d'in..
« telligence. Mon pèr~ -m'a élevée'dans .1'ainou~ du
VARCADIR26~
«tmvail, et il me fait vivre dans l'abondance de toutes
« choses. »
« En même temps elle me fit entrer dans son palais,
où vingt de ses femmes étaient occupées à lu,i'pl'H'Pler
des oiseaux de rivière et à lui ,faire des parures et des
robes de leur plumage. Elle me montra des corbeilles
et des nattes de jonc très fin,' qu'elle avait elle-même
tissues, des vases d'étain en quantité, cent peaux de
loup, de martre et de renard, avec vingt peaux d'ours.
ccTous ces biens, me dit-elle, t'appartiendront si tu
« m'épouses mais ce sera à condition que tu n'auras
« d'autre femme que moi, que tu ne m'obligeras poi-n~t
« de travailler à la terre ni d'aller chercher les peaux
a des cerfs et des boeufs sauvages que tu auras tués dans
les forêts: -car ce sont des usages auxquels les maris
assujettissent leurs femmes dans ce pays, et .qui ne
me plaisent point du tout que si tu t'ennuies un jourde JDoi, tu me remettras dans cette He où tu es venu
« me chercher, et où mon plaisir est de nourrir des
cygnes et de chanter les louanges ile la Seine, nymphe
« de Cérès. »
« Je souris en moi-même de la naïveté' de la fille du
roi Bardus, et à la vue de tout ce qu'elle appelait des
biens; mais comme la véritable richesse d'une'femme
est l'amour du travail, la simplicité, la franchise, la
douceur; et qu'il n'y a aucune dot qui soit comparable
à ces vertus, jè lui répondis 0 belle Gotha le ma-
( riage chez les Égyptiens est une uRionégale, lin par-
«tage commun de biens et de maux. V ousme serez
«chère comme la n~oité de moi-méme.. » Je lui fis pré-
sent alors d'un écheveau de lin, crd et prépaué dans
les jardins du roi son père. Elle le prit avec joie et
LIARCADIE ~~i
me d6i:t « Mon arn~i, Jefilel~aiceUQ,at J'enlerai une« robep0ur,lejo'llrdemesnoces.
» Elle- me P rése nta àson tour ce -chien que vous voyez, si couvert de p 0 iis
qu'à,peh1eOJ1IlJivQitlesy;eu~,¡~U:emed:Ï't:«.ce.cb'¡en
s9a-p-- ,P,e è. -i:ldèscendd"unerace'trèsildèle.U«
.tesuivra"partout,sur la ter re, sur la eige et dans
a l'eau. I'1 t'accornpagnera à la chasse, et même dans
« les combats. Il te sera en tout temps un fidèle campa-a gnon et un symbole de mon attachement. ) Comme
la fin du jour'approchait, elle m'avertit de me retirer,de ne point descendre à l'avenir par le fleuve, mais
d 'a,Her cpar~ ote~rel;ecloR:g,Td::urh~81ge, jusquevis"à~visde
son iley-0 u ses femmes viend:ra,ien~t rne ch~e~cher; :a~fi~n
de cacher notre bonheur aux jaloux. le pris congéd'elle et je m'en revins chez moi en formant dans mon
esprit- mille projets agréables.
« Un jour que j'allais la voir par un des sentiers de
la forêt, suivant son conseil, je rencontrai un des prin-
cipaux iarles, acco~mpagné de quantité de ses vassaux.
Ilsétaiental'œés co!m.me s'~i~ls eussent été en guerre.
Pour moi, j'étais sans armes, comme unhoinnle qui
est en paix avec tout le monde. Cet iarle s'avança vers
moi d'un air ficr et me dit « Que viens-tu faire
« dans ce pays de guerriers avec tes arts de femme?
(CPrétends-tu nousapprendre à filer le lin et obtenir
« pour ta récompense la belle Gotha'l Je m'appelle
Torstan. J'étais un des c;mpagnons de Carnut. Je me
suis t,rou:v.é'.à. V-Hil'g't~detlx.c0Im¡b'a~ts 'e_D1IQ,retà,t;rc'ftte
« duel,s.. -J'ai combattu trois fQiscon;treuW~i\tik'¡n,d ce roi
({ fame,ltxdu.NÓrd.J.eveux porter ta eheveture aux
<<pieds du dieu Mars, auquel tu as échappé, et boire
« dans ton crâne le lait de mes troupeaux. ) »
268 .4. T~'A R C A D-I`
Après un discours si brutal, j~e4c-rus q-u~e ce,.barbare
allait m'assassiner; mais joignanltalayauté à'J;a féro-
cité, il ôta .son casque et sa cuirasse, qui étaient (le
peau de bœuf, et me présenta deux épées n.uesen'Iu~en
don.na,n,t le choix.
« Il était inutile de parler raison à u(nj;ato~x et il un
furieux. J'invoquai en moi-méme Jupiter, le protecteur
des étrangers; et choisissant l'épée la plus courte, mais
la plus légère~ quoique à peine-je pusse la ruanier, nous
commençâID:esun combat terrible, tandis que ses vas-
eaux nous environnaient comme témoins, en attendant
que la terre rougit, du sltn,gde leur chef ou, de ce-Itui
de leur hôte*
« Je songeai d'abord à désarmer n~~on ellneml pour
épargner sa vie; mais il ne rn'en laissa pas le malh'c;
la colère le mettait hors de lui. te premier coup qu'il
voulut me porter flt sauter un grand éclat d'un chêne
voisin. J'esquivai l'atteinte de -son épée en baissant la
tête. Ce mouvement redoubla son insolence. « Quang.1
tu t'inclinerais, me '"It-I', Jusq'll aux enofers; tu ne
«saurais m'échapper. )) Alors, preoant'Son épée à deux
mains, il se précipita sur moi avec fureur; .mais, Ju-
piter donnant le calme à mes sens, je parai du fort de
mon épée le coup dont il voulait m'accabler, et lui en
présentant la pointe, il s'en perça lûi-méme bien avant
dans la poitrine. Deux ruisseaux de sang sortirent il
la fois de sa blessure et dé sa bouche il tomba sur
le des; ses main s 1-àte,hèreat S9ift é,ée,- ses ~ux se
tournèrent. vers le ciel,. et i~l eX.r.a." Auss¡itâ.t ses
vassauxenvironnèrent.se'R corps en Jeta\Jilrtdre"8r.auds
cris. Mais île me laissèrent aller sans~ me faire aucun
mal car il règne beaucoup de générosité parmi ces
'L,''A'"R,C, .Â.'D'""1'~EnIND,À269
~arlaaTes: Je me petiral -à la cité en ma- vie.
toirea
Je rendiscoæ,te à Céphas et au roide. ce qui ve-
nattde .~8Ir-r.ve:r. «-Ces.Hl~les,u,dltle d
« du soucie J¡lsty,rUinnicsenlmanp.elqite.S'Uy a
« quelque ma,.uvais ~-üi jet dans 1,ep.à:Ys, :j¡UI'oentan,quent
pas. de l'attirer à ~ux,p0tlrrort~ft,êrlelu'partl.I~'s se
rendent quelque,fois redoutables à'moi.ême. Mais les
« dru~ides le sont encore davantaye. Personne ici n'ose.
a rien faire sans leur aveu. Comment m'y prendre pour
affaiblir ces, deulx puissance-s ? J'ai.cru_g:1i' en al1JJmen-
a lana ce~l~le ",desiiWfffe~19;"QSepil:j!s:;u.~è'IJ{lÎetàcê1~e des
a d~~ui~d~es.,2~~ai~s.le co~n~iw est at~~i~v: ~a-:p4~i~sa~ce 'des'
,1 d:ru,btesest "DluMæestée 1!1 sem-bile que ru~ne~ et ]"autre
a s'accorden=t po.u~ étend~e ~e~u~r oppression sur mon
peuple et jusque sur mes bôtes. 0 étranger, me d'it-il,
vous ne l'avez que 'trop éprouvé 1» Puis, se tournant
vers Céphas: « 0 mon ami, ajollta-t-il, vous qui avez
a ucquis dans vos voyages l'expé.'ience nécessaire au
« gou'vernem'en;tdes hommes, donnez ,queltftlescon,sei:ls
Il à un' roi qui n'est jamais sorti de son pays. Oh jesens que les rois devraient voyager.
« 0 d"t Céphas, je vous d'é "1 uneu partie de 1;~ pol,i~tidue et de la pb~ilosoph~ie de l'Égypte.
ti Une des lois fondamentales de la nature est que tout
« soit gouverné par des contraires. C'est des contraires
que résulte l'harmonie du monde il en est de même
,« ciroce~le. des ni La pqtssaDee.dte:s,alf.s,ét ce~~le
de là i~~Jg¡¡¡,6n s'ecombœtite:ft:t 'eitiezt~~s}es,ed,les.
( Ces 41e~U'Xp7niss-a~n.ces S011\:tilécess aires porut Is conseir-
( vat,i0:Rde 1-'Ét-,a-t.Lorsque le peuple est op'tim~ par
u ses chefs, il se réfugie vers ses lu-êtres; etlDrsqu'il
VARCAD-18310
est opprimé par ses prêtres, il se réfulieverslescbefs.La puissance des druides a dOJ;lCatlcg'm'e'R;techez vous
par celle même des iarles car ces d'eu~pUiissancesse balancent partout. Si vous vaulez dEis~ikn~ue~r1~'u.r~edes deux, loin daugmenter ceHequilui est opposée,ainsi que vous l'avez fait 9 il faut, au contraire,blir.
« Il y a un moyen encore plus simple et plus s0r dele diminuer à la fois les deux puissances qui vous font« ombrage c'est de rendre votre peuple heureux; car« il n'ira plus chercher de protection hors de vous, et« ces deux puissances se.détruironthientÓt,pulsqu!elles(e ne doivent leur inOuence qu'à l'apiuion de ce Blême
peuple. Vous en viendrez à bout en don~nant aux Gau-lois des moyens abondants de subsistance, par 1'~ta-
blissement des arts qui adoucissent la vie, et surtouten honorant et favorisant l'agriculture, qui en est lesoutien. Votre peuple vivant dans l'abondance, lesiarles et les druides s'y trouveront
aussi. Lorsque cesdeux corps seront contents de leur sort, ils ne cher-« cheront point à troubler celui des autres ils n'auront(( plus à leur disPf?sition cette foule d'hommes miséra-.« bles, demi-nus et à moitié morts de faim, qui, pour« avoir de quoi vivre, sont toujours préts à servir la« violence des uns ou la superstition des autres. Il ré-« sultera de cette politique humaine que votre propre(( puissance, fortifiée de celle d'un peuple que vous ren-« drez heureux par vos soins, anéantira celle des iarles« et des druides. Dans toute mon archie bien réglée le
« pouvoir du roi est dans le peuple et celui du peupleCJ.dans le roi. Vous ramènerez alors vos nobles et vos
prétres à leurs fonctions naturelles. Les iarles défen-
-J '.<>c> :-t
1~jjJ4.tl; l-27~i
~cd~D;t ~l~a ~~at°ion~ ~~u-d~e~o~~'et-uel':opjli.'1'PD;t plus
a a;u dedravs -et les diFQlittes nellfJl1ve:rne",eBt pl\u's 1esa Ga:u3l:oi,spar la terreur, ma,1s iils les cënsoleron-t et
'les"(I¡ta~f,a)ltt~fla¡r,. lê!ü1l's"~lQRtt.èjês itlell'V$' -o n~séi.,l -4(i
s'U;DPO)!tév4esm'lfuxd-elavi~8i¡"Jsi,q:üe~aoi¥eD,t~fa\i:re« les'mio,is:tresd:e toute "retig,isB.
a C'est pa~r cette po~l~~i€tique c~~u~el'~g~r.~te es~t parvenueà un degré de puissance et de félicité qui en a Caille
centre des nations, et que la sagesse de ses prétress'est rendue recommandable par toute la terre. Sou-
venez-vous donc de cette maxi~~e, que tout exe~s
dans -le P,o.IJ;vt1H~r<l'~u;n'cocps religieux ou'mjfi,taire
(& v'¡ellt4u~.â\)¡lie~ür du peuple y parce-que toute puis-(t sancevie'ft't de-lui.
Vou:snetfé'trui:rezcetexcèsqu 'enrendant le peuple heureux.
(i Lorsque votre autorité sera sutUsa,m'ment établie,« conférez-en une partie à des magistrats choisis parmiles gens de bien. Veinez surtout sur l'éducation des
enfants de votre peuple mais gardez-volls de la confier
«aupremiorvenù qui voudrra s'en char~er, et encore
«( moins à aucun corps particulier, tel que celui des
«( druides, dont les intérêts sont toujours dü~érerits de
Ceux de l'État.. Considérez l'éducation des enfants.de
« votre peuple comme la partie la plus précieuse de
« votre adrninistration. C'est elle seule qui forme les
citoyens les meilleures lois ne sont rien sans elle.
En attendant que vous puissiez jeter d'une manière
«soljjd~-les,foJl'éMeRts.dub0ft\beui['a.e.sGa'ulalis,0ppo"
« sez quelques digues à leurs maux Instituez beaucoup.·<de'fêtes,qui lesdissipell'tp.a:r'deschauts et-pal' des
t< danses. Balancez l'influence réunie des iarles et des
u druides par celle des femmes. Aidez celles-ci à sor-
212 T,& "o¡"r.\8I", ,c"
tir de leur e~sela'B8éiQ(tBesfi,lte~Qâ'é'F}élo'assis,tieR,t
{(. aux fêtes -religieuses. Leurdoucettf .DafllféUe'afl'ai.
blira peu a peu la férocité des Dlœors.~tde lareli-
giôn. »
Le roirêpoQdi-tà Cépbas: ti -Vos 6bserva~tions sont
1( ple.nes"de vérité et Vf)S:maxime.s de sagesse. J'en ~prô-
fiteiai. Je veux rendre cette ville fameuse par son in-
dustrie. En attendant, mon peuple ,ne' demande pas
-mieux que de se réjôuir et de chanter; je lui ferai.moi-
(( même des chansons. Quant aux femmes, je crois vé-
« ritablement qu'elles'. peuvent m'aider beauco~p1\c'est
par elles que~ je coinu~encer~i- à. ren~~e. n~on peuple
« ~~ureux,au moinsparlesmœ~rs, stjenel~"puis.,par
les lois,. »
Pendant que ce bon roi parlait, nous aperçllmes
sur le bord opposé de la Seine le corps de Torstan.
Il était tout nu et paraissait sur l'herbe comme un
monceau de neige. Ses amis et ses vassaux-l'enton-
raient et jetaient de temps en temps des cris affreux.
Un de ses- amis traversa le fleuve dans une barque et
vint dire au roi' « Le sang se paye par .Ie~aDg; que
légyptien périsse 1» Le roi ne répondit rien à cet
homme; mais quand il fut parti.il me dit « Votre dé-
fense a été légitime;'maisce serait-ma pi.opre inj ure,
que je serais obligé de m'éloigner. Si vous. restez,
vous serez, par les lois, obligé de vous battre succes-
a sivement avec tous les parents deTor~Jtan, qui -sont
a nombreux,' e~vous.suc~olD.rez"tê~.c9IU :;tard~ B.' .u n
autre côté, si je vousdefe:ndiscolitré::êux,alns'¡.queje
« le ferai, vous entrâ1nerez'cette viUe"naissanted:ans
a votre perte car les parents dI)Tofstan.nemarf,lque-
« -rent.pas de l'assiéger, et il seJoindra à~eu:Ebe.u-
w-w:. ·.
t8
r':
i~'
« ~ô~ de ,.7~o,.c~< ,C~T: -< ,I,
-~u~ les ~~a~rr~~t~~c~r-vou~,
e e 1« ezc~~mt~ ~a ~eui~e~~e~. ~lfa~so~~x s~ç ~q~u~vous
«(tr9~¥erj,~i:Gt1te_s-bQmmes.q\Uîj' ne voy
-cc,~1~g.=~~ ~1'9.n~r~ld -111E~ »
us
,«-'1J~si,t«fjv,il;,a!oR;Ilij.(l:~sQJ~res'9U'r,'las_B'é' 'flela-
'jiUe,ef~nvj~t';aeç~úri'r'Stirses'reiQparts,tÔÙ8 es
tan.ts,.<J:l~'QsésàsÕu:tenirun isjègeen-'D1afa'e~ Iciilsfai.sa.ienfdes amas de cainoux, là.i,lspl~aie~t de
.grandes 'a'rb~lête8et de longues poutres armées de
pointes de fer. Cependant nous voyions arriver le longde là Sei,nenne grande foule de peuple. C'étaient les
a~t~,I~~1!r~,i~il\ç~ "t~C'I~"Í'S
p ~r~sans dës~ des' cëua ~i~é'ta~en~t.~a-
tancè{âtmej)it'<.a.:nob\'eaúté~~Les>'u'lJ's;~dès'cedd:aieD:t1ftfleuve en, barques d'autres traversaient..1I1.fo~t en
lon8:uesc()'lonn~Tous v~n~i>~n:t~' étabÍl¡' sur les riva-gesvoislbs dê~Lutétia~ et ils étaient én nombre intini.Il m'était impossiblé désormais de m'échapper. Il ne
fallai,tf4s ~çomp~er,d' réùss!i~fr-à l~a:.f~a~,veü~rd -e-s ténèbres
cardè!Fq1le"):anUittUl~è~u'e,'lesniécontentsalluniè-
~rttu~e>JJiIl1t'¡tt.iilé. der~px, d(lnÙe.fIeú~eétaitéclàirê
Jusqu'~ufond:deson.canal.
li))anscette.perplexiÙje formai en moi-mémé une
résolution qui fut'-agréable 'àJùpiter.Comme je n'attendais plus-. rien des bOn1~e~, je résolus dé me~ jeterentre les bras de la. vertu et de sauver cette ville nàis-
.sa"jJ:etJ.ijt.êliv~êr:s~ji1'â.ên~~s.A~j.'l.(!
a 'Ço~;Íl"ance dall's -tes .li.eux uqu;~ils vi~ren't:'
là ",>'
se ~préaerrta, d~vanf à8ÛS¡.wnant à --la mairtune, brJ;nebëde chêne; sur l8!tuelle avait.~r1\ une
quel
L'A-'RCÀID1-9114
branche de gui. A la vue de cet arbrisseau qui avait
pensé m'être si fatal, je frissonnai inais le ne savais
pas que ,l'ondoit souvent son salut '%aqui Fon a d~ sa
perte, comme aussi l'on doit souvent sa perte à qui
l'on a dt1 son salut. « 0 roi 1 dit 4tnli, 4 Céphas 1 soyez
(~tranquilles j'apporte de quoi sauver votre ami.
Jeune étranger, me dit-il, quand toutes les Gaules
seraient conjurées contre toi, voici de quoi les tra-
verser sans qu'aucun de tes ennemis ose seulement
« te regarder en face. C'est ce rameau de gui qui a-
« crû sur cette branche de chêne. Je vais te raconter
fi d'où vient le pouvoir de cette plante, également re-
« doutable aux'hommes et aux dieux de ce pays. Un,
« jour Balder' raconta à sa mère Friga qu'il avait songé,
« qu'il -mourait: Friga con jura le feu, les métaux, les-
« pierres, les maladies, l'eau, les animaux, les serpents,
de ne faire aucun mal à- son fils et les conjurations-
de Friga étaient si puissantes que rien- ne pouvait
leur résister. Balder allait donc dans les combats
des dieux, au milieu des traits, sans rien craindre.
ç( Loke, son ennemi, voulut en savoir la raison. Il prit
~· la forme d'une vieille et vint trouver Friga.. Il lui.
« dit « Dans les combats les traits et les rochers tom-'
bent sur votre fils Balder sans lui faire de mal.
Je le crois bien,.dit Friga~; toutes ces choses me l'ont.
juré. Il n'y a rien dans la nature qui puisse l'offen-.
« ser. J'ai obtenu cette grâce de tout ce qui a quelque
« puissance: Il n'y a qu'un petit arbuste à qui je ne l'ai:
« pas demandée,. parce- qu'il m'a paru trop. faible. Il.
t( était sur l'écorce d'un chêne à peine avait-il une,,
~Eracine. Il- vivait sans terre.' Il s'appelle Mistiltein.
«( C'était le gui. » Ainsi parla Friga. Lake aussitôt
-t
L-1Il1-~1-1Il«'11Il
2111L'A;R~Ç 1.~E-,~e 211qffl-InJ'7:J
« couru-t chercher cet--arbuste; etvena'Dt~àrassemblee
«des dsïe~ux p~~dant q.u'i.ls combattaient contre l'invul.
« nerableBaldel', car l~urs j~eua sant des combats, il(' s
'ap;pp.och~a'de,rave'tJ;gil~;H~o:de:r.«Po,u:f;q'Uoi, 11-dit
«nelances-t1.l'p~s\atls-sidestransif'Balder? Je suis
(( aveugle ,.réponditBoder,etje n'ai point d'armes. »
« Loke lui présente le'guide chêne etlui dit « Balder
«est devant toi. »L'aveugle Hoder lance le gui Balder
·~ tombe percé et sans vie. Ainsi le f ls invulnérable
·· d'une déesse fut tué par une branche de gui lancée
·· par un aveugle. Voilà l'origine du respect porté dans
(('l'esccG.aJtd~acët'afb.rissèau..
«PlüIri's, û -étradger ~1,u~n peuple gouverné par la
«crainte au déCautde la Faisan. J'avais cru, à ton
«( arrivée, q ue tu en ferais nailré l'empire par les arts
«-de l'Êgypteet voirl'accomplissement d'un ancien-
« oracle fameux parmi nous, qui prédit à cette ville
*les plus grandes destinées que ses. temples s'élève-,
*ront au-dessus des forêts qu'elle réunira dans son
« sein deshofi1.Jues de toutes les ,nations que l'igno-
rant viendra y chercher des lumières, l'infortuné des
consolations, et que les dieux s'y communiqueront
«( aux hommes comme dans l'heureuse Égypte. Mais
(( ces temps sont bien éloignés. »)
t( Le roi nous dit, à Céphas et à moi « 0 mes amis 1
« profitez promptement du secours qu'Omfi vous ap-
porte. » En même temps il nous fit préparer une
ba,¡~qJI'e armée-dehoRs rameurs. J:l nous donna deux.
deRi-i-piquesd.ebois de frêne qu'il avaia ferrées -lui-
mémne, et. deux lingots d'or, qui ét~ient les prem~iers
fruits de son commerce; Il chargea ensuite des hommes
de confiance de nous conduire chez les Vénétiens. « Ce
2?6 L'AIt,SÀD-ÎcE.
« sont, nous dit-il, les meil-.1e~u.-rsnaVtgateul'sd.1!sG;a,\des.
«( Ils vous donneront les moyeas de' retourner dans vot 1re
(( pa,.Nrs,car leurs vaisseaux vo~t"'d.ans.l'.éditerra:née,-
« ,C'est d 'aiUeursu'll bonpeuple,Poiu.f\,&!us, 8-~eS a~~i~l 1
« vos noms seront à jam.alscélèbresdansles Gau¡les,
Je chanterai Céphas et Amasis, et pendant que je vi-
« vrai, leurs noms retentiront souvent sur ces rivages. »
c( Ainsi nous primes congé de ce bon roi, et d'()m,O,
mon libérateur. Ils nous accompagnèrent jusqu'aubord de la Seine en versant des larmes, ainsi que
'110UI. Pendant que nous. tl~aversi9'Ds,la~,v:iUe, ~u.Qe"f()u¡le
de peuple nous suÏ-v,ait..en no=us ,dr6~;D'a.t~e.s¡pbIS
tendres marques d'affectio.n. Les {e¡m:~es. po.~l;asie~nt
leurs petits enfants dans leurs bràs et surr leur9 ypay~l°es
et nous montraient en pleurant les pièces de UID dont
ils étaient vêtus. Nous dtmes adieu au roi Bardus et il
Omfi, qui ne pouvaient. se résoudre à se séparer de
nous. Nous les vtmes longtemps sur la tour la plus
élevée de la ville, qui nous ,faisa'ient gue des mai!ns
pour nous dire adieu..
« A peine nous avions déborde..Jlle, que les a,m,is de
~orstari se jetp.rent dans une multitude de bal'q'ues et
vinrelit ~lOUSattaquer eit poussant des cris effroyables.
M.-Ils à la vue de l'arbrisseau sacré que je portais dans
mes mains et que j'élevais en l'air, ils; tombaient pros-
terués au fond de leurs bateaux, comme s'ils eussent
été frappé s par ÛID;9itlVei¡r 'i~i'nJ ~a=n~t~°a su,el'sl1i¡'r0¡D
a de fôrce sur ~eges;ri¡ts séd\ù.¡ts! 1 N!0UispassÎttlDes
aitisi au sans ce,ilf te. 'JD0IiIR"dJ,erï.stu¡e.
« Nous" renuonstânues le fleuve ~e~u~dant t un j,o'Ú.EA-
suite, ayant mis pied à t~rre,nous nous d-irigeâmesvers
l'dccident, à traver~ des fo~réts presque impraticables,
'yA~1-~ ~~r~r,27.1
Le4iir -sol ,était u~çaetli,et!Il-V¡,r.t. t!l'arbr,es l'en"'ers~s¡f.¡rle temps@ -1~létait ta,p'issé P, de meusse-8 é
parle te,m,s.l!lé-taj:tta;p,j:sso po:~t(j):u:ttle paisses
~t q ~~ei~ys~~ea,~b,a~ù ~.u~s .a~i~.©s
.ces :i.véts
~~t q=u~e~Ye~nt d`e ~l~tES ~é~e~r~s n~~i~o~s~~d~s~~a~w~~sétaireQit 81'peu ~é~û~téa, <1(11'8de :l'an..tsa;t-bI?~S yavaient poussée Lespeu.,Jes ,qui les habilta;ient étaientencore plus 88uvoges'.q,ue leur pays. Us n'avaientd'autres tem,plesque quelque °if frappé de la foud~re,ou un vieux chêne tiansIesbrll!l,bhes
duquel quelque
~ui~~é ~iat ~aé- ~e~ ~~e. ~asu~t~vec ses aofin~s.
:J.,6;J!s"ie"la~\u'¡i(,e.'1if:eiii!1f~e¡a"e:iCes,a~hl!eS ,é'~a;itagi!~o
pa4r =1es~e~n;ts:,et ,eêlM~ar"tBll1J_èMd!e¡l[a iJiQine,'iils
s'¡antgJQateut¥o;i!r'!e8~ap~i(¡.ét 4es¡aieu1:'de ce.lctrets,
Ailo1"s,s~~isis d'.une ~terre~u~v~Eli~i~e.use.,~i~ls se prostcernaieiat
ù terJ'e et adoralien, t en ,t~e"tantces ,ajnstantêmesde leu¡rinlasilnati'on..NOlcOnd;ycteu,rsmênles n'auraient
ja'mais osé' 'traverser cés lieux, que la religion leur ren-dlt<it. ;peaie.ut.l:es,s'¡iIJ8,ft~a,.aiellt "été'
-raïesurés -bien -P 8
pa.r1abr.ancbedeg.uique jep.ortaisque ¡pa:r,'D9s raisons,
(( Nous 'ne ko:uvàmes en, ~trave~sanvt les Gaules,
a' cun cu-lÉte raison3na~lil~e de* la di'Y¡i¡nité, si te n'est
qu'un soir, en lLIu!i~an;tsurlebau!t d'une monta~gnecouverte de n,elge, nous y ape:rg4`mes un feu a.u milieu
d'un bois de hêtres et de sapins. Un rocliei» MOUS.4;u,taillé en forme d'autel, lui servait de foyer~ 11 avait,
~,ra~n, a~mpa~ ~oi`~ yc, e~ :s ~ea~u~c~~`~~a~uf~,1;
tbup,êtaJiieatsuspe.fla:tte,s a,,u,-x ~a.BQ¡u~o.el .Oiw.
Y~~i~i~n~ O:nn'.u~p.e~:ev=~i~t-u~l~é~~uz~sa~u~ 4~~e"60'te ,S'eli..
tude,'aostoui'er-éteruI1lecle l~j):o"il8n,auou\n,emartUedu séj~o.u~r~~esh~o~m.rnses: Nes .guides:Jlè'ŒSd;œeot,ue ce
l~eu éttdtcoll1sac'ré au dieu des ~~ya~~eu~~s. Ge mot de
~~T8 L'A~RCADI:~
consacré me fit frémir. Je dis à Céphas :'(c Él,oign,on~ 9.C(nous d'ici. Tout autel m'es,t stispect dans les Gatdes.
Je n'honore désormais la divinité que dans les temples« de l'~ôYP~t~. » CepbasD1eré:poniit~:« « ~uye~~ toxte
religion qui asservit un bom- me iL un aUitrehQIU:Qle
au nom de la divinité, fl\¡t-ce même en 'Égypte; mais
« partout où l'homme est servi, Dieu est d'¡gne,ment
honoré, fùt-ce même dans les Gaules. Partout le
bonheur des hommes fait la gloire de Dieu. Pour
(( moi, je sacrifie à tous les autels où l'on soulage les
maux du genre humain. » Alors il se prosterna et
fit sa prière; ensu,i:le i~ljeta dllusle fe~u un "f¡.¡~O.çQRLde
sapin et des branches degenev.ri:e.qiulparf,t1'luèren:tles airs en pélillan't. son exemple; a~près q.uoinous fttnles nous asseoir au pied du rocher, dans un
lieu tapissé de mousse et 8'brUé du vent du nord;
et, nous étant couverts des peaux suspendues aux
arbres, malgré la rigueul8 du froid nous passârnesla nuit fort chaudement. Le matin venu, nos guidesnous dirent que nous marc', e.r.,ORS jusqu'au soir su'r
des hauteurs semblables sans trouver ni bois, ai feu,ni habitation. Nousbénlmes une seconde fois la P~r.o-~
vidence de l'asile qu'elle nous avait donné nous
.8emlmes religieusement nos, pelleteries aux rameaux
de sapins nous jetâmes de nouveau bois dans le
.foyer; et avant de nous mèttre en route je gravai ces
mots sur l'écorce d'un hêtre:
CEPS AS ET .UIAS1S
ONT ADORE ICI LIC DIEU
QUI (tREND SOIN DES VOYAGEURS.
L'A ~~y A'D-Ël-71~h~
Il~ _7.
(~.NOUS.,uccessevementchez 1es -C~n,u~e~,
lesCénôman,es, les Diablinthès, les Re_dons, les-curi6.,
les~it~,nt~Lde~~r¡~~ig¡jm.,et ~p1}~~n0A1s
-arfi!v'àmesc à r,extréfflité¡Gcêid~1l:taJe' (le." "la,Glti1:de,J~liez';les Vériétièll's. Le n 0.t sont' leà, 0,1 U!S;
'vigatel1TS deeesmers."Flsont mêmetondé -une colonïede leur
no'œ, aufond du golfe Ad.riatique.Dèsqu'lIs
surent que nous étions les amis du roi Bardus, ils
'-nous comblèrent d'amitiés. Ils nous offrirent de nous
ramener directement en Égypte, où ils ont porté le tir
c,O"JJuerce,IP-i;\is" -co~;me- iJ~tvaJiq'~Aiellt-aus$ic¡,df1:ns'
la,'G:rè~ë,CJë:pfi'as..JÜéd:i,t:((4t.loll:s'cn., ';Gf!èce"Jl;ou,s'y
«aUrânstJ,ieSQCcasiaU's fréquefttesde pet()tni[.l,erd~RFsti
votre patrie: Les,Grecs sont amis des Égyptiens. Ils« doivent à rÉgypte les fondateurs les plus illustres de
( leurs villes Cécrops «À,donné des lois à Athènes, et
«( luachus' à Argos. C'est à Argos que règne Agamem-« non, dont la réputation est répandue par toute la~<terre. Nous l'y verrons couvert de gloire au sein de
« sa -famille et entouré de rois et ile- héro 5'ü est-
(i encore au siège de Troie, ses vaisseaux: nous ra-
«(mèneront aisément dans votre patrie. Vous avez .vu
(i le dernier degré de civilisation en Égypte, labærba-
« rie dans les Gaules; vous trouverez en Grèce une
« politesse et une élégance'qui vous charmeront. Vousaurez ainsi le spectacle des trois périodes que par-
1 'Lcs Garnutes leç habitants du pays chartra-in les Céno-ni4-1~es, cent du 1W;ns et les D~aubl~inthes; ceu~i de9 environs. Les Re=
dons, qui -balbitalent la ville de nennes,avaieptleJCuriosolUefid~~Dsleur voisinage, et les I>eq4,ples de halriol'iglnnétnient.oi.si'Ds:aes -V6é-
tiens, quiba¡bit¡¡.icnt Vaunes en Bretagne. On l)rétend que leg Vénitieus
du- golfe A driatiq- aie, qui portent le même nom en latin, tirent leur ori-
gino d'eux. Voyez César, Strl,bQDct laGéographie de d'Anville.
~Notede 1"oulekr.)
~gp .L"A'~Rr.&o,n-I'~D'.980 .4:4:U)
courent là plupart des- natiôns. Dans la première
t( elles sont au-dessous de la nature; elles y atteignent
dans la seconde ;-eUesvont au delà dans latcois'¡ème~,»)
« Les vues de Céphas flattalen'tt-rQP'IQ,lon:li:m¡b~t~()n
pour la gloire pour nepas saisir l'occ~;si~ôr~ .de can~
naitre aes hommes aussi f'àm'euJt" que les Grecs, et
surtout qu'Agamemnon. J'attendis avec i~pat~ence le
retour des !ours favorables à la navigation, car nous
étions arrivés en hiver chez les Vénétiens. Nous pas-
sà% mes ('Jtte saison dans des festins' continuels, suivant
l'usage de ces peuples. Dès que le" printemps fut venu,
nous nous embarquâmes'pou.rAf~qs..A.viÙrt4~.qqi,tt,er
les Gaules nous apprime'sqqenÓ,tredêp'lll'tdeLutétia
avait fait renai~re la tranquillitedanslesÉtats du roi
l~ardus; mais que sa fille, Ja.belleGotba,s'éta,Í't rétirée
avec ses femmes dans le temple d'Isis, à laquelle elle
s'était consacrée, et que nuit et jour elle faisait reten-
tir la forêt de ses chants harmonieux,
le fus très sensible au chàgrin de ce bon' roi qui i
perdait.sa fi~lepar un e ffeet Diême de notre arrivée
dans son pays, 'quJ devait le couvrir un jour de ,gloire;
et j'éprouvai moi-même la vérité de cétte-ancienne
niaxime, que la considération publique ne s'acquiert
qu'aux dépens du bonheur dornestique:« Après une naxigation'assez longue, nous rentrâ-
mes dans le détroit d'Hercule. Je sentis tinè joie vive
à la vue du ci~l de l'Afriqtle, qui me rap le
climat de ma patrï'e N~usv~œes,les~~ufesm0n;t'agnes
de la :111auritan:ie, Abil~a, 's'¡\!Uéeau4étr();i\t~IIÍè~e,`et -cel~les qtU:'oBAoü¡¡,me 1,-es~ Se,- r -e s, p 'a,r -ce s
soiil d'une égalebauteur.;EUessontcouverte's, depuis
-leur sommet jusq:u'au bord de la mer, de palmiers
~lc,t.D"l1t-D-8 1'924-~p9-
` =
chargés 'de es < Nou,scd:éc6u'~rtmes u lesvie11es'
coteaux dre.l'll Nu.mlcl.ie, qni se COU:fQRftenÆ ~.e~ux f~ïs
.PQr & de 'm;oisà{)l1squicroi,ssentltl'ombra des o-1-i
"vî~S.t~fld¡l~ifJ'~e,"fe~al'as'ltJ,r:be~ Qij~au~j~a,i'$;"
sen- en tOI~~t~sa.isel)daJ.1'sleJJ¡tsvaHéestouJouFsver~és.
Nousc~toy~, .rn.es les- bo~rds de la Syrte, ou ~croï€t.le fruit
délicieux du.lotbos, qui fait, dit-on, oublier la patrieaux étran .gers- qui 0 en ~angent.BientÕt'l1oU~ apered-mes les sables de la Lib3~e, au mili-eu-desquels sont
placé,~ les jardins enchantés des H~spérid.es; comme si
la nature se plaisait à faire contraster- les contrées les
pl~tls,~rI~ê~àv:èê'I;~sp,I,~sfécond;es.ous'eutend,ions.1.a
nuitlç~rü:sisse'fflen'ts.les tigres et des -,qui-
venaient se 'baJgner dàDsla mer; et, au lever de l'u-
rore, nous -les voyions se retirer vers les montagnes:
Mais la férocité de ces animaux n'approchait pas
de celle- des hOM'mesde 'ces régions. Les.unsimmolent
leurs enfants à Saturne d'autres ensevelissént les
femmes toutes vives dans les tomb.eaux4e leurs-époux.
Il y en a qui, à la mort de leurs-rois, égorgent tous
ceux 'qui les ont servis. D'autres tâchent d'attirer les.
étrangers sur leurs rivages pour les dévorer. Nous
pensâmes un jour être 'la proie de ces anthropophages:
car, pendant que nous étions descendus à. terre et
que nous échangions paisiblernent avec eux de l'étain
et du fer pour divers fruits excellents qui croissent
dans leur pays, ils n01ls.d,ssèrent .uneelJÙ}.I).~cad.e
d0;ilt'IliQ;1!ISUC-s(¡)¡rti1nes'~«I!1J.A¥êc;bi'efi.c'Œe"Ja.,ëi;ne.JDcp~Hs"
cetcévép.~m'e'nl,.JiliÓUSn.'o~'âÆlijes,l¡us;déba:rq~,ers.ur ces
C&'î'êSi¡Fiiôspitalières, que la nature a ptâcées en :v8;in
sous un si beau ciel.
J'étais ~~h.rHé das traverses de .Jl1on"OJrageeI:l-
282 L'ARCADIE
trepris pour le bonheur des bon, mes, et SQ~rtoutde
cette dernière perfidie, qUtejed\isuàCé,bas: « J~e cco~ir
« toute la terre, excepté l'~g3~~te, couverte {Iebarhares.
'« Je crois que des opinions absurdes, des relift-ions
'« inliuniaines et des moeurs férocessont m
a< inhumaïnes et des rnoeurs fé~oees so~yt le partage
« naturel de tous les peuples; et sans dOQte la volonté
de Jupiter est qu'ils y soient abandonnés pour tou-
a jours car il les a divisés en tant de langues diffé-
rentes que l'homme le plus bienfaisant, loin de pou-
voir les réformer, ne peut pas seulement s'en faire
« entendre. »
« Céphas me répondit « N'accusons point Ju_pÍter« des maux des hommes. Notreespril est si- borné
que, quoique nous sentions quelquefois que nous
sommes mal, il nous est impossible d'imaginer com-« ment nous pourrions être mieux. Si nous ôtions un
a seul des nlaux naturels qui nous choquent, nous ver-
a rions naître de son absence mille autres maux plusa dangereux. Les peuples ne s'entendent point; c'est un
« mal, selon vous mais s'ils parlaient tous le. même
a langage, les impostures, les erreurs, les préjugés,les opinions cruelles particulières à chaque nation,« se répandraient par toute la terre. La confusion
générale qui est dans les paroles serait alors dans
les pensées. » Il me montra une grappe de raisin « Ju-
piter, dit-il, a divisé le genre humain en plusieursa
langues, comme il a divisé en plusieurs grains« cette. grappe, qui renferme un _grand noxn.bre d~e
a semences, afil1quesi une partie de ces semences
« se -trouvait attaquée par la corruption, l'autre en
«ClÎtpréservée.
«(Jupiter n'a divisé leslangages des hommes qu'afin
'L'Al\e.t.d~;E va~
«ElO'¡¡)\S,:us'Sell\tt0tug6,œfs de la ):l'Q;tuTe.
( Pa§r.tou~t laflatuTcpa,rl;eà leur cœu!r,' éc,[-ai5r-e .1
(('rai,san,e't leur ,lfJol1'lrelc'boAbeul' dans un c9: ~rn~~eree
«"nlutneld~ba,"so'fnces. Partout,
aales
«p~~s~o~~c~~es ~e~up~es~ d~prave~n~t -leu£r-ca~iy y~sc~u=~~cis-
se-nt leuf s s lès retn~li~s~sent ~c~~:h.a,ines., de
« guerres, die cfiisco-rdes et de superstitions, en ne leur
ti montrant le bonheur que dans leur intérêt personnel« et dans la ruine d'autrlti.
« La division des langues empêche ces maux par-
ticuliers de devenir universels, et s'ils sont perala-«
neJ1tsc..chez.qJ.J~lqoltes:'H~lJPl~s,c'es t qu'il -3r a- descorps
(('a¡nl!))i\tie:¡x¡qi~J¡i"eJft.:pr9I¡tent, car. 1. erreur et le ,v'ice
<<so~n~tetf'angersà l'h6Ui~)i)l'e.L'9,£ûcede la vertu est
« de détruirecesmaux.Sl\ns'le, vice, la vertu n'aurait
·~guère d'exercice sur la terre. Vous allez arriver chez
« les Grecs. Si ce qu'on a dit d"eux est véritable, vous
« trouverez dans leurs nioeurs une politesse et une
« élégance qui vous raviront. Rien ne doit être égal à
« la vertu de leurs héros, exercés par de longs mal-
« beurs. »
« Tout ce que j'avais éprouvé jusqu'alors de la bar-
-bari.e des nations redoublait le désir que j'~va~is
d'arriver à Argos et de voir le grand Aoamemnon
heureux au' milieu de sa famille. Déjà nous aper-
cevions le cap de Ténare et nous étions près de le
doubler, lorsqu'un vent d~Afrique nous jeta sur les
S~ro,h'a(lesjN'GHs voy,iiCIHi)S'la m~er se br.i6ser coft!tre
les rocher~~q~.u~i envi~ro`nFn~ent ces ~~hes. Ta9nt û'a,
en se
retira;11't,éliteeRâêco~l"'ra'it-les_f~¡l~dèm'eAts£aveRnelu~;
.tallt9t, s'élevant tout à' coup; elle l,es;to,uvra:i;t, en r-ugis-
sant, d'une vaste nappe d'écume. Cependant nos
984 ~RCAD1E
,n~ate~o~s s'obst~naie~t, malgré la'tempête, à atteindre
le cap de Ténar.o, lorsqu'un tourbillon de vent déchira
nos voiles. Alors nous avons été forcés de relâcher, à
Sténiclaros..
ci De ce port nous nous somrnes mis en route. pour,
nous rendre à Argos par.terre. C'est en allant à ce
séjour du roi des rois que nous vous avons rencontré,
ô bon berger Mainten~nt nouis désirons vous accom-
pagner au mont Lycée, afin de voir- l'assemblée d'un
peuple dont les bergers ont des mœurs. si hospitalières
et si polies. » En disant ces dernièFeS -paroles, Amasis
re~arda Céphas, qui les approuva d'un signe de té -te.
Tirtée dit à Amasis « Mon fils, votre récit nous a
beaucoup touchés; vous avez. d~ en juger par nos
larmes. Les -Arcadiens ont été plus malheureux que
les Gaulois. Nous n'oublierons jamais -le règne de
Lycaon, changé jadis en loup en punition de sa
cruauté. Mais, à cette heure, ce sujet nousmèneraittrop
loin. Je remercie Jupiter de vous avoir disposé, ainsi
que votre ami, à passer demain la journée ayec nous
-au mont Lycée. Vous n'y verrez' ni palais, ni ville
.royale, et.encore moins des saùvages et des druides,
mais des gazons, des bois, des ruisseaux et des ber-
gers qui vous recevront de bon caeur. Puissie~-vous
prolonger longtemps votre séjour parmi n~us 1 vous
trouverez demain, à la fête de' Jupiter, des hommes
de toutes les parties de la -Gr.èce, et .:4esArcaûiens
bien plus in~truits que moi, qui connaJ1rontsan'sdoute
la ville d'Argos. Pour moi, je vous l'avoue, je n'ai
jamais -oui parler du -siège de Troie, n"'i de la gloire
d'Agamemnon, dont on parle, dites-vous, par toute la<#
terre. Je. ne niesui$occupé que du bonheur de ma
ua-de ma
L'&:R"riot~D-I:'¡" "'A-I"'8'c"1:1«;,
famille et de celui demesv~isins,J.e'ne-oonl1aisqué
lesprairiesetJes troupeaux. Jamais je n'ai porté ma
curiosité hors de mon pays. La.. vôtre, que 1 vous a-jeté$ijceu'ue',â:ù."ioi'lieú des
na-Lions étrangères est 'digned"un,7 dieu, et d'un roi. »
Alors Tirtée, se retournant vers ,sa fille, lui dit:
-« Cyanée, apportez-nous la coupe d'Hercule. » CJ" alléese leva aussitôt, courut la chercher et la présentason père d'un air riant. Tirtée la-remplit de vin; puis,s'adressant aux deux voyageurs, il-leur dit.: « Hercule
a vQ~rl.1g~c.QIpJUe"v.()us, mes chers -l1ôtes. Il-est venu
danscet~e'câ~ltne:; il s'y est'reposé.lo.rsc:fu 'ilpoul"sui.vit pendant un~ an la biche aux pi~dsd"ai'ra-indulDont
Éryulantbe. 1I a bu dans cette coupe; vous -êtes dignes
d'y boire après, lui. Aucun étranger n'y a- bu avant-
vous. Je ne m'en sers'qu'aux grandes fêtes et je ne la
présente qu'à mes amis. » Il dit et il offrit 1~ coupeà Céphas. Elle était de bois de hêtre et tenait une
cyathe de vip~ Hercule la vidait d'une seule haleine;
maisCêphas, Amasis et Tittée etirentassez de peinéà la viderenY1?uvant deux fois tour 'a' tour.
Tirt.ée ensuite conduisit ses hôtes dans. une chambrevoisine. Elle était éclairée. par une- fenêtre fermée d'une
claie de roseaux, à travers ,laquelle un apercevait,'auclair de la lune, dans la plaine voisine, les. iIes de
l'Alphée. Il y avait dans cette chambre deux bons lits,
avecHdesc.a,u¥ertu'resd'tI¡n:el.ai!~eckal~~tLoe:t ~1-égèr-,e
Al()r~Tirt~e.pri,tc()ng~de!}e5>]îQte.sfen'S'pij!h<ai,tl{n,t,
que .,I,Órpliée,vel'$ât sur eûg s~pJiqS.:cl.9,gX,p,a¥(¡)ts..
QüàndA,mas¡'s fu~t ,seùl ~avec _~éphas, i1 hii parla.aveç~
tr-ansport de la tranquillité d'eGevallon, d~ la hoyt4du berger, de la sensibilité "et des. grâces de,sa jeu:nè
286<~'<7~
fille, à laquelle il ne trouvait rien de comparable, et
des plaisirs qu'il sè promettait le lendemain à 'la, fête
de Jupiter, où il se flattait de voir un peuple entier
aussi heureux que cette famille solita'.re. Ces l!sréabIes
entretiens leur auraient fait passer à l'un et à l'autre
la n~xit sans dormir, malgré les fatigues de leur
voyage, s'ils n'avaient été invités au sommeil par la
douce clarté de la lune qui luisait il travers la fenêtre,
par le murmure du vent dans le feuillage des peu-
pliers, et par le bruit lointain de l'Achélo~s, dont la
source se précipite en mugissant du haut du mont
Lycée.
i
FRAGMENT DU LIVRE SECOND
L'ARCADIE
Tirtée fut réveillé par le chant des coqs,- lorsqu'à..peine la lumière blanchissait le fond du vallon 0. onn9 apercevait pas encore le soleil; mais les -sommetsdorés du mont Lyçée annonçaient qu'il allait bientôtparaltre. Tirtée' alla donc saluer ses hc~tës et'Ieur dit« Il est temps-de partir, si nous voulons profiter de lafraicheur
1~A.~s~itô_tJI,fits()rti~l'âpesse, la chargea dedcu~p~Iers~l/~it_du vin,.des;.gâteaux, et tout ce quiestnêcess.airê
auxb~soinsdu.voyage.Après quoi Cya-née parut, brillante.commenne. r o se elle venait- de
la fontaine, sur les bords dé laqueUeeUc allai', chaquematin, adresser~l1e prière aux naïades. Sa tète n'était
plus couronnée de fleurs depuis la mort de sa mère;~eulement, pour- paraitre à laféte, elle avait mis au-
tour de n.chapeg-:u-u.ie ,br.,o~n,,che de ,pi'R.TidéeJui
~jy~j:e.I~-r;ur"'l"'¡~~ss~JQ'aîs'.elle.,s'.en- ,ei~tlsa,'
~~ft'miq#~ê¡rÍl'ét~itpasunv(ll~ge Iwajsl1.npèJe"ilil~ge.-
"qWJ~ls,"~¡tâiênt'faire~ 'Tirté~. se souvint alors qu'on -ne
port-aiet- point d'armes 'auxfète.s du mont Lycée il: pr~a
e i~A,R~-A~
1 1~8~8
donc ses hôtes de déposerc ies-Ieurs, et en échange il
leur présenta à chacün une branche de chêne, 'pour les
sou]ager de la fatigue de la route. D'abord-, ils se
.dirigèrent vers le levant par uRscntierctracéaQ.JDi,~ieu
d'une immense prairie; de là ils gagnèrent inserisi.-
blement les flancs de la montagne, côtoyèrent les bois
arrosés par le Nisa et le Myolus, qui se précipitent en
torrents et coulent parmi les pierres; ensuite ils sui='
virent les bords d'une vallée dont le fond marécageux
et couvert de joncs ne leur offra,it aucun passage, mais'
qu'ils traversèrent sur un pont jeté entre deux rochers.
Déjà 1'alouette s!élevaitdans Jesairs"ta'8,rive, le'. ra-6
mier, le bec-figue et une multitude d'autres faisaient
entendre leur ramage, lorsqu'ils parvinrent- à l'entrée
d'unêplaine semée de genêts~ et de bruyères, qui -les
conduisit à la vallée de Bathos. Cette 'vallée s'ouvre au
sommet du mont Lycéè, et, suivant sa pente elle se
prolonge Jusque dans la plaine. En quittant les som-
mets toujours couverts de glaces' de la montagne, ils
suivirent un instant le ~ours~e la. fontaine Ol~ra~plas,
qui. -est à sec de'deux années l'une, et dans le voi!linage
de laquelle la teri"e vODiitdes flammes. I:â; de tous
côtés, l'œil. effrayé ne. décoùvre que des scènas" de des-
truction un'vent continuel y étève des tourbillons de'
sable; on n'y voit que des roches.entasséês et dos
..mas'ses suspendues et prêtes à s'écrouler à leur doni.
leur on dirait les débris d'un incendie: Quelqùes ari.
bres dessêchés attestent que rien ne'peut. plus .croltre:
dans cette'terre dé"saléé. Quand Tirtée .et ses hôtes eu-
rent atteint les limites -da ~alhon, ils saieposèrent sur'
le, tronc: d'un vieux sapin. « Vdus devez étré étonnés,'
di-tlal-d-rs Tirtée; dé vous trdùvér au milieu dé ces ruines"
su.A:'ÏI,eA¡;;fRL'A~I~1~
lorsqu'apeine"'volls",venez.~dequittel'unpllyssi,tertile.
V otresnrpl'ise cesserahhqu.andvous saurez que c'est ici
la vallée OÙ les géants combattirent les dieux. Là
'.s~a$~~¡JJI.'blèFent .cesmOns~~f.es,lft()i,tjéb.(¡)mimeS moitié
sèr,ents';la OÍltraQit'lléBphialtcet .sonfr.ère Otus; de
tail~e et de visage semblabllesaOrion:H;ercule et Apol-lon leur crevèrent les yeux. Là Pal~las, qui osa s'atta-
quer à Minerve, et Polybotès, sur le dos duquel Neptune
jeta, lorsqu'il fuyait, la moitié de l'He de Cos. Là l'au-
dacieux Porphyrion, monstre qui fut tué par Jupiter.
Anté~, qui reprenait ses forces en touchant -la terre,
les.pérflî1t-yeB'1~ v-ie dfâns~ ~l~ës l7râ~s -d'~Hsercu~le; Bri~rée,
qti'~â;ucun'desdieuxll'ôsaita..PPÏ!oêber, avait cent bras
armés chacun d'un c ~êneeDnàDimê ses propres ar-
mes lui furent fatales; la foudre de Jupiter l'ayant
renversé, Heut consumé dans ce vaste incendie.
cc Le plus horrible de tous ces monstres était Ence-
lade, fils de la Terre et du noir Tartare. I! avait cent
têtes de dragon de chacune de ses bouches s'échap-
pait un son différent des unes sortaient l'injure, le
blasph'énae,la calomnie, les malédictions; d'autres
rugissaient comme le lion ou éclataient comme le
tonnerre; tantôt ces voix isolées poussaient chacune
leur cri particulier; tantôttoutes ensemble faisaient
entendre d'horribles mugissements. Ce monstre, fier
de sa force, osa s'adresser à Jupiter trois fois le roi
des dieux lui lança un triple foudre de grêle, d'eau et
de feu, et trois fois il opposa éclairs à éclairs, tonnerre
à tonnerré; ilcombaUait avec les feux de l'Érèbe, son
père on edtdit une vaste fournaise; les rodl~~rs fo-n
daient autour de lui; les dieux effrayés cessèrent d'en-
tQurer Jupiter; Minerve même fut émue. Alors le maUre
i9
~'Ar~A~v1 `290
des dieux saisit '1. d,' à -A.. t. et
qu'il réserve pour les impies..4 cette vue le ministre
veut fuir; mais le feu l'atteint au moment 0 »Ùil a~ly~it
franchir le mont Hémus, ainsi ,Dontmé du sang qui
s'échappait de ses La foudre s'attache iL ses
chairs palpitantes; ses artères et ses vei~nes déchirées
paraissent à découvert; un sang n,ai:r coule de sa poi.trine et couvre ses membres foudroyés. Vainement il
menace encore Jupiter l'écrase sous le poids d u mont
Etna, d'où il vomit encore des torrents de flamme et
de fumée.
« Mais rien ne fut égal à la punition du fils de Lé-
phas. Il tenait de son, père la haine dés di,eux,etde
sa mère la haine des hommes tout ce,q,.d s'élevait t
l'offensait, il ne pouvait aimer que sa propre alubi-
lion. Dans le combat, il osa, comme ~ncedac~e, atta-
quer Jupiter, qui, pour le punir, lui inspira la plusfuneste des pensées, celle de lutter ontre lui~mênle.
Dévoué à sa propre rage, il attaque sans cesse sa
propre vie; niais il l'attaque vainement, elle lui est
toujours rendue pour donner unenouveUe proie à sa
fureur, et, précipité dans le Tartare, il y devient ledémon du suicide. »
Ainsi parla Tirtée. Cyanée versa des larmes sur le
sort réservé aux impies. Tirtée dit «Avançons, le so-
leil s'élève" il faut gagner la forêt avant qu'il soit
d'aplomb sur nos têtes. » Une allée de verdure les con-duisit à cette forét, à l'entrée de laquelle on voyait UH
temple dédié au dieu Pan; le silence de ces heaD:x lieuxn'était interrompu que par.le chant des ramiers. Cya-née ne voulut point passer sans offrir ses vœux au dieu
qui préside aux .troupeaux. « Cette divinité, dit-elle,
~~e~J ut,
dé~iQi¡8fteles~¡ebei,p'éSel1t8;n_is ,ellè.i1ecepte le -14!t
et 1~ ~niy~l .o~~r~t~~~a~ CQUlpe (les bergers. ~n~ et
~l~wc~~,11raq!ui,tent ~1~J~:pitt~~c ~I: ~e l~ r~pr e~~a~~h; i~l~
on ,c1iu
mon~t y~c~~e. ~~t~i~s ~c~ asi€~e ~~t~to~ 1~ ~t '14 éowle,or
i~l fw~t i~<<~v~ .pa°a~ la r~~p~~e~~r~r''s,t o~ .il vit ~y~ir~cpo~r€rrla Première fei,s.Oe,tte
be;lecha,ss6p6sse,pouir-suri. par le dieu, deSC8nd¡dt des bois du Lycée; ellese ¡J~cjpita dans le Ladon et fut changée en roseaux
qui gémissent encore auprès de la villé de L~cosure.Pan fut aimé de ~'lys; mais Bot-de, son rival, dans sa
fQFelW;â!~I;oQfSe,',piie¡pita"lanym,ed'uha,u't:d';uB rel-
c\h~er.PaRp(!ia"le8.4fèuJde .,JalDétamQ.pJuJser en pin
lIru-texaueé,etvoUll.~pf)ur,¡u,f)i ce bel arbre se plaitdans les montagnes et croit ~olonti~rs surIes bOltdsdes précipices; souvent i1 y penche satêtebat~uc des
,'ents, et Pan se couronne de son triste feuillage. »
Tirtée et ses hôtes lui adressèrent leur prière; puis,suivant les détours d'un chemin qui montait toujours
e~ s:e~pe~nta~n3t, i~ls pértétvè,e.itd:ansJebois, où -il$ est-
tendîl'ent unmu,rp¡uresen81ableacelui du' zéph yr au
mÏilteu des arbres, lorsque leitruitdesfeuU1esagitéesse confond avec le ,chant des 9iseau~, ou semblable a
celui de la mer lorsqu'elle expire sur ces rivages. Dieu-
tôt ils arrivèrent su,r' une belle peJousecouverled'uR
peuple immense. On n'entèndait de toutes parts quele sbn des trompettes, des fl11tes, des hautbois et des
cl1aih1!Q1eaUX :c~!ux~li:d8insai~e¡ftt;en ~rontd, ee~ua-1~~4~a~-taieo,t ou jeua,jell"tde1'& fh\¡te;'d~a'U~rres, 'llissis',à l'etD1hpe
desaTb~ces, fa~ïsaiena ~iesvo~s;qu~e~tf9:et des co~~eron~nves de
fleurs.
Au milieu de cette vaste pëliouse on voyait un ro-
L'A RiCAo8;lil292
cher ombragé de vieu'l. ohènes qui 1-e eo.u~ro~n-0n~~ï~e~9t
jusqu'à son sommet. JapUeravait pris naissancedalil's
ce lieu. Une majestueuse obscurité régnait sous ces
tU1brf's, tout chargés de mousse, de lie-ben et de IORs-ues
scolopendlles; lorsque le vent agita'tJeursbr,ancbes, il
en sortait des sons harmoNieul CQm\ft1'e des chê,nes de
Dodone. Da milieu de ce massàf une longue
nèche de rochers sur laquelle les nuages se reposaient.
l..il, les douces colombes faisaient leurs nids la biche
blessée et poursuivie par le chasseur y trouvait un asile
inviolable tandis qu'au loin les bois retentissaient des
cris des chasseurs et des aboiep1ents des cbiens.l1 était
défendu, sous peine de hanniss6me:ut, de :,énétre,rsous
ces ombrages sacrés. Trois nymphes y avaient nourri
Jupiter Thisoa, N~da et l~gno; la première avait donn.é
son nom à une ville, la seconde à une rivière et la
troisième nu ruisseau qui coule au bas de la pyramide.
Pendant les grandes sécheresses le magistrat jetteune branche de chêne dans la fontaine; soudain il s'en
élève un brouillard qui s'étend sur toute l'Arcadie pour
y entretenir l'abondance et la fraicheur; aussi chacun
vient sur ces bords offrir les prémices de ses biens.
Les fils du laboureur y apportent les gerbes de leurs
guérets, et'la jeune bergère les fleurs de ses prairies.
Souvent la biche timide et le daim farouche accourent
à la vue de ces dons innocents; et, comme rassurés
par la sainteté du lieu ils les prennent jusque dans
les mains des jeunes filles.
Tirtée, après avoir déposé son offrande aux 'pieds de
la naïade, dit à ses hôtes « Allons nous repo~er'sur
le penchant de cette colline couronnée de po .mmiers
sauvages; dont les fruits sont aussi variés et, allssibril-
=p -.c:
L, "Á"D"
J,A, -Á" ",D'I'
c
A-ft~V:Ai. » ,t9.9
.la¡,ts,q;u:edesUeuifs,etq¡u,iI'a,pel;lef9:o't'à Cd,p4~es-~le
d1(¡)US-o,mbraf;esde sa, patrie. 'Âh!dilt, Céph;as, si les
(~a9u~lo~isresseœblajeoit aux ~~cadi~e~ns, jamais Je ne
l'eusse quittée. Sous ces beaux:arb~esc'" dif!h,tee,.llouS
ser4i)Jn's'à.l"4¡)¡jli,'¡ela.clia.teii1~,n,ol1;lISogo~t~Ds"rès~ela
feu;lelesd..ouceul's de 'lasoUtude,etnotpcvue s~éteno.
dira sur Je lieu de la fête et sur les routes qui y abou-
tissent; nous y observerons les peuples qui arrivent
de toutes les parties du Péloponèse. » Dès qu'ils furent
sous ces pommiers, ils détachèrent les paniers de
l'ânesse, qui se rnit à paitre sur la lisière de la forêt
avec les tr9upe~ux- dequ!,lqge~<Ar~~dieIl,<;)'il,n~ecS~I'-
,rit le repas,sur l'3herbe a~pr~s avoi.r hé~~ les d~i~ux;ils a~l~l=aient s'asseoi~r, ,lorsqu'un jeune homme d'une
figure charmante s'avança vers eux. Il s'approcha de
Tirtée et lui dit « Mon père, Lamon est près d'ici
avec notre famille, il vou s prie de venir le joindre;
votre présence et celle de vos hôtes lions rendra plus
agréables il Jupiter; si vous ne répondez pas à cette
prière, vous pouvez être st\rque mon père ne tardera
pas à arriver 1-ui-même. Lai~mon, dit Tirtée, se ré-
jouit de nous voir il fauldonc nous rendre à ses
vœuT.. Vous allez connaître, Õ mes chers hôtes, une
des plus heureuses familles de l'Arcadie Lamon- est
un magistrat de Lycosure, il vous instruira mieux que
moi des usages'de ce pays. » Ainsi parla Tirtée; en-
~uite il rechargea l'ànesse, qui, docile, revint à la voix
de Cyanée. Les chevaux et les bœufs, ornés de ,gui,r-
laencl.es comme s'ilseussentpartircipé _à la fêté,obêi-
.reut égalemen t à la voix de leurs maUres: 0- car ils
étaient aussi privés et aussidouxqu~ les chiens qui
veillaierit auprès d'eux. A'peine l'ânesse était-elle re-
2901 li-B
char~ée, qu'ils aperçurent le vieux 1 -Lam-on-,qui s~avan-
"çait à travers la forêt.A..gédeplusd'un siècle, sa dé-
marche était ferme, son air vif et joyeux on ne devinait
son âge qu'à sa barbe, qui descèndait 4. grands flotssur sa poitrine; tous ses lDouvements.annonçai,ept une
vieillesse verte et vigoureuse. « Voilà, dit-il à Tirtée'bien du temps que vous êtes loin de nous eh quoi! I
vous-laisserez-vous toujàurs consumer par la tristesse?
la solitude ne convient pas à. ceux qui souffrent ame-
nez avec vous ces êtrangers qu'ils se réunissent à ma
famille. » Il dit, et Tirtée suivit ses pas.
La nombreuse famille de Lamon était ass-ise sous
un vaste tilleul qui la couvrait'à peine -de son ombre;
auprès de là étaient _rangés ,-trois chariots autour des-
quels on voyait paître un grand noinbre de jeunestaureaux qui servaient à les trainer. A l'approçhe de
Lamon et de ses hôtes,.neufjeunes filles, belles comme
les Muses, se détachent du grQupe elles entourent
Cyanée, et, eIlrembrassant, elles disaient entre elles« Cômme elle est einberie "il semble que sa taille soit
plus parfaite, que son teint plus de blancheur qu'ànotre dernière entrevue.» ÊJII. parlant ainsi, elles la'
aconauisire~tvers le li.au,du festin on s'assits~r l'herbe,et l'on apporta 1111jeune sanglier, des gelinottes 'et dés
pâtisseries. Sur la fin du repas, Qn chanta un hymnect Jupiter; mais à peine les chants étaient-ils finis queLanion, adressant la par'ole â Tirtée et à ses hôtes, dit
_« J'ai une grâce.à vousdemandér;souvenez-vausqù'on
'n'en refuse aucune le'jour de la fète de Jupiter c'est
que V~lis veniez faire, dans, quelques jours, les ven-
danges avec nous jamais 'les vignes n'ont été si riche-
ment chargées. -i Pour moi, j'y' consens, » dit Tirtée;r
.~tirii8~
py~i~s~'ad°res~ant Cé~p°laase~t ~r~a~s;~s~: ~~i~ v~é ~o~
presse peJlI' v(j):tre dê,pa:rtlv0usne cC1HI,na,issezp,eint'Gn-
co,,re,n-os mœurs.et< n~sc9¡u~buftJ.es,etsal1l'S doute vous
ne"ref2:1'se'rez"jpa's"men4~De -£QBl11lèBt .t~ét~9:8e~s,s0flf,rèç;U's'e,ft':A~eadie. '»)Â:mls,is'S'8:pd!ait'}e si ce
balIJiDç~Ï'tdansla~l'il'in,te.d"ê,trei'cJ¡a¡r'geà s e 8 bêtes
mais.'c!ép;Íias'd¡i'l :ccCeq'uev'(1)lI's.n,g:g'spraposezesttrè,
agréable pour ne pas-l'accepter; nous restero~s donc
parmi vous, puis nous irons visiter ces belles v~il~l.es
dont les tours s'élèvent à 1"horizon.,» Ce consentement
répandit la joie dans la famille de Lamon, qui n'était
qi"e~pjp'j{f~81s¡èii1,tiJ~'¡f :.êâ,c-il¡~C9iDl,tai~i~g.«Iiœs,
neuf 4.~ëux''ficl;s et .uEd\frr8:lild,ô:oeihrê "ihpé,tiits-
'enfants.Peo(la.nttq¡ue_esj'e-uft'esf.illesariaftlea'¡entsur
les cbariotslesres!tes~,p!FepaS" .masis,'¡iCtfe'eteé,pÍbas
se placèrent. auprès de ,Lam,on.Du lieuo~ils ,étaient
on apercevait les coteaux du Ménale et'les dUfé,reo!tés'
routes qui aboutissaient dans la plaine ôù la foule
était rassemblée, et cependant on voyait encore les
différents' peuples, acco~w~ri9~ de toi~~es pa~s ceo~ de
Pholoé vena-ien~t. à cheval, ceui. d~i M~nale à pied ou
dans dés chariots; desbat'q:ucs légères remontaient
~'Alphêe, et;l~eu~rs voiles blanches se détacha1e.nt SUI' la
verd -ore desprai:ries et d~ispa~ru'tssai~nt derrière les
saules et les roseaux pour repai'Mitre 1»i~ntÓt. « Une
chose m'étonne, dit Céphas, c'est la beauté singulière
des peuples d'Arcadie; elle les fait distinguer des au-
tre 8- G!r~ecs par je e !'8Iis'Qr0'¡~.d~~lileUœUI:.li..es,~Jei)I_.1~°II~~I A~rnéine COIRrse;rVeo\tun caitr"IFairset v,ig,euiFeu«, e~t ;l~ n a=
rÍ:e'h vud'auis;si a~ ~`jàfb°1~e~u~Va:Sfèm_ese1t ¥9If¡nfafttst
devez-vous ces avan~tages à la 9Ït~uation du pays, ou à
l'air sain des mont.-tgi~ies La beauté, dit -Lamon., est
296 L'ARCADIE
un don des dieux, elle nait du bonheur et du calme de
l'ânle. » Céphas repartit «(Ainsi la beauté des Arca-
<liens nait du sentirncnt tle letii- bonheur. Mais tous
sont-ils donc l~euruux r Rici-i n'est plus touchant, san:,
doute, que cette taui4itrnl~~ cln peuples (lui s'unissent
par des chants rvlli~ic~ux, l'l cependant ,le suis fûcüé de
ne voir ici ni les sc,il(mr~, ni les esclaves, ni les pau-
vres, comme s'ils si'étaieni. pas dignes de participer à
la 1'te des dieux. Où sont vos IU'êtres. vos autels, ~·oa
sacrifIces '1 Conibieti l'Él4J'IJte i'cmporte il cet égard sur
tous les Ibetiples du ntonde! On y voit une multitude
de tnrnpieg coiisaci-és il iupiler, à qui vous n'avcz pas
nièiste élevé une ~taluc, el qui .æpendant eut son bc.·r.
ceau pal'nt¡ wnrs. 011 y entend sans cesse la mélodie
des voix et U~s in,4ti-unieiiLs. Le~ prc?lres y offrent tous
les jours dc titiiivelles viulirncs et y brûlent de l'en-
cens ¡¡\'CC de,4 cél'4~monics d'une grande t~tu~nifi~~rce.
0 ~tr:rn~er! reprit lamon, nous avons aussi élevé
des temples et des statues ù Apollon.1< 1'lan, à Minerve,
ces dieux prolecleun de l'Arcadie; mais qui oserait
élever un tcn11)lc iLJUpilCI'11A (obi-re, la mer, les cieux,
ne racontent-ils pas sa .tuilsanre'? Vous parlcl. de
temple; mais ces hautes forêts ne sont-elles pas plus
élevées que des colonncs '1 Est-il une '0610 plu~ majes-
tueuse que celle des cieul, des liambeatix aussi bril-
lants que le soleil un encens plus doux que celui des
fleurs. une naus.iflue plus t-oueliaate qùe la 1'~QDnais-sance des peuples, et des pon:Utes plus vénérables que
les ~a~v~~ro.ts des nations' Vous demandez qu'on
61ève tlnc statue 'a Jupiter; quoI art oxprimera donc
ulle Puissance si opposée à notre faiblesse, une durée
si contraire à notre rapidité, une immenlité si éloignée
LtA.R'£:ijBt:E 297
de notre peti,tesse 1 Alil- si quelque chose peut donner
une idée de cette subUnleimage, c'est l'aspE'ct de
l'homme verhleux et juste qui, il rexcnlple de Jupiter
1uï-~n~~n~e, s'occupe U-u bo~nheur des udsérables iiiot-telsa,
tc VOUSQ\'C1. parlé de sel'i'tcurs et d'esclaves; nous
n'en avons point: aucun Arcadien ne se soucie de ser-
vit' ni d'titre servi; l'échange des soins les plus doux
se fait entre les personnes qui vivent sous le même toit,
des enfants aux et des 1)~ti-es aux enfants. L'ai-
sance ne se rencontre (lue dans les fanlillcs nom-
hr~uses; nou.9 nous gOU\'(~I'nolls hicn plus pur les
nimurs que par les lois aussi c'cst l'éducation de nosenfants que nous soisnons siii- toute chose; ils sont
élevés non par ln puissance des I)i,èt:epte-4, iiiais par la
douceur de l'habitude. Une l1nfunec heul'cusc et line
jeunesse paisible servent à l)rolougcl' la vie aus5i il
n'est pas rure, commc \'OU5 le vayer. ici, ~le voir Cil Ar-
cadie des pères entoui-és de tltiati-e g4~nél'al,ions. Quant
à ceux {Jui sont privés du bonheur d'être pères et quivieillissent dans l'isolenlcnl, leurs parents s'empressent
de les recevoir chez eux; et au d~fnut de purents, les
voisins ..éclnnJenL le tli-oit de les rccucillir. Comme
l'amour de la patrie dt"-petid de l'union des fitiiiillest
on s'est bien 1I1l1'dé de d4tourner les uffcctiol1s uutu-
relles par des éducations étrun~î;rc: La hatrie ne
donne ici aucun prix aux talents ou il lu science, mais
elle en accorde 'à lu. vertu;, et, par un cflcL bien' uatu-
ce me semble, lu \'enn inspire le gailt de la
science el des talents. Vous ne "errez pas ici de grands
nl0nument,s, mais vous en verrez beaucoup d!utiles;
les ails y sont portés h un haut degré de perfection
nos statuaires sont célèbres par les expressions su-
298 `â~11 ~'`1~ a
1
hUmes bu char, di~).~ft'entà\lj.-heat~N:osmœU1''1 si simples ne'Rle,t'eB;t8.1ie(lnee'Rt~ave;à'1r~es:$0:r.
du génie, mais elles l'Or inspilren.!t4e,SM,pQ;Ces~ di'v.-i:nes,et qu'on aurai,t pu croire inex,r,iD}ah:les.Dla~es't,ol'l
n? examine ~s~int ~ci co~mme urie',c'liose-~es~i'e:uia,i,s
poù~rq~u~oielle est faite; l' ¡'Il1Ill0sture'et'l!eçbÍP1ot~(l¡'s,u'e
y ~sont inutiles, car ttersonne ne .,prot\tedé:t;e~eur.
Quant a ux douleurset auxmauxdu'corps,lavlesiol-
ple-que nous menons n'engendre' Jama:i~ d'e'maladies
aiguës: aussi l'exercice, en sanlé, ~le repos et la diète
dans la maladie, et surtout une bonne conscience, sont
les seuls médecins de l'Arcadie. 'Cc,
Dans un pays si ibeureu xil semble que les scieDcesont(lft\uratD~' d€'i~rn~~ri~e~n:~ea
progrès. V OtiS avez sans douteies astronome s et de8'
mages plus habiles que ceux de l'~$yp.~e. )).
Lamon reprit (c La vertu vautmiellx queteutes les
sciences; il n'y a que la vertu qui rende l'hom-me heu-
reua.1~'ous ne nous at tachons jamais aux causes natu-
relles, mais nous remonton~jusqu'àla div-inité. Comme
elle.est le principe de toutes choses, elle en est aussi
la conséquence. Au lieu que vous'ous,éteve~jQ,s,Î1'aul
principes les plus abstraits de la science,oQ l'es;prlt seconfond, où l'œil n'aperçoit plus rien nousdesten-
dons au contraire des principes aux résultats,commela nature nous l'enseigne, et nous nous arr~tons lù.
On dit que vous savez la cause 'des mouvéments du
soleil; nous savon~sr RGUS"utu,n,died,eQ;Dd\"itc;sQft\b:ail'.V ous
cO"'Ra:is"sezI'01'¡'8:iined~eSréJil!,tIÜ:Q;flS;I.\ïfâîs;tfurenous adorons les nymphes qgu~il~sw~sse`rivt éç~~a~p~ïérd`eleurs urnes bienfaisl\ntes.V0iQS' .'ealeu¡lez leceat1~sdes
~toiles nos pères nous ont appris qu-le des .'hoœ,mes'fa-
N t' r~-i
¿~-n£Xl~5_1{2J~Yt,iF{~}~j"r'"-`
-1~ y-_
un=~ u~ ~eu~ v~~us y~ r~ ~Q~~ ~o ~y
d~~~lleu~ es~ d~,ns=l~~tav se~ q~e ~s ;a~o:~s ~~no~~
'-rep0S~r,'eeJleS0;h:t~,p¡ID¡tJes 'sêi,tncesde te ,qui
on,t ap~rihs aux h~~rrnmes à; se~rber 1~ yl~~ Q~ ~ré~p.
p.h~i ~ent .~ur so~n~ Qyrâ~e~au~~~~is~ous ~a~ ye~cl~~r~
'g~s~u;vj,e.é-!1~119æm,e"est: si "if-y-asl,peude
telUipspoilf la.vep;t'u,co'm;meRtenl'estérf,it~jlp6ulr la
sç"iençe'lVousàvez,dit-on, en'É'gy;pite,recueiU:¡-toutesles plantes, ciécrit tous les anlmaur, disséq~ué le e
hu pour nous, nos cha'mps reaferment nos véSé-
,t~"g.I_e:t~.np~i-l\t,M,~iq,s:J'~h~omJne;<Cl1e --est
u~~Si~ :~a~r" F~'â~ q~i~i le =fe,i~ f~y~ :x~e~~
'I',plI.~8iit;ÎUt-è"Cép1l.ff;J¡U~veQs' su~9~e~=e~~to~ûa~vs
peneba;ftltset'Iês\iillsîin.cts--d~lâ na:~llre;~O;tÎ's devez
donc vousli,vrer,à.lâ.¥en8~èa;!lce,àla haine, au plaisir,
qui'sÓntdespellcbanlls naturels. »
L' "t.'t' L premier instinct, l'instinct uni-
versel de-l'homme,.est son bonheur; or le vice ne fait
piJ,~leJ1Qpheur:"la venge4Dcedéltruit lesloi,s,;lesexcès
a;fff.liibti~~o1.;lasa:nté,quiês,tle premier -des biens;
l.in:c():fi5,;t:in~es~a~pose' a~u r~ïa6riage et .divi'se les.fa-
m€i~l:les: Au cov~rai~re, ~ha;q:ue vertu attïï~e un~e por.tion
du-bon--h,,eu~r 1-a- tempél'ance, la santé; la constLlflce,
les douces ynion9`; et le ma-riage, ran10urdenos en-
fants. Ainsi, la vertu, enlaisant le bonheur particuliei-,
fait le bonheur général; c4lest ce que l'expérience nous
d .,e~n- «Ës 1.a,ppF_çt:t,~j;cet,A;41U,k.10i\tS'ein''e'n¡9Jlil!sa é 'el,~p'e'8ee;.
~lfa~s.Îiit{(fé.JlIag" -¡!tUfe,s~eIJH¡h1te.q\U~o;R'.fte.dFèilt-'qi8!l¡it~
ter;t>le;hijD&l~c'pe'i\n:e, etlue:)8. vdi'eJjles's'8 ea
..a )DéFit softitd'auilaDlt,plusCfde,l¡leSClUre ¡les plai,si'rsde
-1~a,j'-eu~n,esse.ont été ra,~j.ssaD'ts.
Lt; ~3~300
La nature, ditLamon,n~lI$_!Il~tsGrti-rde la vie
aussi doucement que nous y sommes8o.tl'é$, sans nous
en apercevoir. Est-il rien de plus heu.'reuxque la vieil-
lesse~ D~livrés des passions, les bommes ne S'oçc1upent
plus que de la vertu; ils resse ~mblen,,t déj.4 aux dieux
ils ne font que du bien et reçoivent de tous ceu-x quiles approchent des hommages et des respects. Leurs
espérances ne sont plus pour une vie passagère, mais
pour une vie immortelle, pour un bonheur sans fin. Ils
regardent la mort comme le plus doux des asiles; car,
une fois sortis de la. vie, ils deviennent les dieux de
leurs familles et de leur patrie. La perte de nos pa-
rents, celle de nos amis, nous porte à penser qu'un
jour nous serons tous réunis; loin de les éloigner de
nous après leur mort, ils reposent dans nos jardins,.dans les lieux de nos réunions et de nos plaisirs; nous
croyons qu'ils prennent part il notre bonheur, comme
un jour nous prendrons part à celui:dont ils jouissent.Ainsi la mort se présente à nous comme l'entrée d'une
vie plus heui-etise car la vie de ce monde, même en
Arcadie, est mélée de beaucoup de maux; les dieux
l'ont \'onlu pour nous ramener à eux par le malheur.
Cependant, reprit Céphas, le bonheur, en Arcadie,semble fait surtout pour la jeunesse car la vieillesse
ne peut plus aimer, et il ne lui reste que le regret des
plaisirs qu'elle a perdus. » Tirtée prit alors la paroleet dit: « Ah 1 que vous connaissez peu le plaisir d'avoir
bien vécu 1 Les ouvrages du grandJ,up¡'ter vo,o:t toudeursde perfections en p d'ukne grai¡né s'é~l~~ve
d'abord une tige verdayan'cc; el11e de'vielllten.'sui~e unarbre qui se couvre de fleu~cs e~i dflnfl~ d~ ~ts ces
fruits se mu.Jti¡>1ient et.forment des vergers et'"
1,'
="i,~ljt¡¡~1fif,
~~{:1~t;r
-I`A,~l~~t f
-l xr~f~r~ A~,i~v 1,in~~
~i d!a=1~Q_r.~.qu'Ufie1):,rant:é'le"épa~rles.caNsses de
'st\mère, Uesthei lreux ;1' àgcd'almerviel1 t,U.'p'fflal'ie,
~e't 1~e le plus doux i,lde,y¡el1t.pl~re.'tr.Qi,etse8
jQ.I;I;isiŒ~è.~s,a.Qgtnenteri,tà-mesu,oo'.iq'Ù'iilav,(luce' da.nt
'¡lavle.8éj'alesroiUes,p,asslol1'sl!abandonnent" s.a .r~;ison
le cond.ult, sonex,périence lé fait adorer de tous.
Plein de confiance et de Ragesse, il s'approche du
terme sans regret car il n'a que d'heureux souvenirs.
Et que regretterait-il sur la terre 2 ce qu'il a de plus
cher a déjà pris les devants ses a~eua, ses amis, le
doux, objet-d~a-son -mo,ur, tau~ a dispa,ru;-un~peuple
nouveau se 'présente"quine 18 pour le
vénérer comme un dieu. Vouloir Mt'ran:eherla vieil-
lessedelavie, c'est vouloiiren'retl'ancl1er les plus dé-
licieu:s9uvenirs, c'est vouloir :retrancher la nuit du
cercle du jour, la nuit, qui nous rend seule la vue des
cieux. Le jour, nous ne voyons que les objets de la
terre, l'astre de la lumière nous éblouit; mais la nuit,
quand-la terre a disparu, la majesté du ciel se montre,
nos regards pénètrent Jusqu'à l'habitation des dieux.
Ainsi lavitHUesse découvre un spectacle inconnu à la
jeunesse et jouit du bonheurinRni dont ,elle s'ap-
proche,. Vouloir ôter à la vie son dénouenl,ent, qui est
la mort,, c'est vouloir anéantir le temps des récom-
penses et de la vraielélicité. Pourquoi marchons-Rous
sur les pas des héros, si nous ne devons plus les
reloir'Po,\t,qU¡0i honorov ~s-nfoua lestf,jetl~f sin¡G:u,s. n~e
devonçs ,plus tes, ,ceo,nalitre? Ce ~eRdfe, si bi,el ~nor -dona,~6
-d,an,s~-tou,t es se 9 pal't:i~s.~ B'eserait d:èn'c~qfu'IU¡R-yf-,ainspec-
tacleden,teles'acteurssereR9u¥el1ef81ieR:tsanscesse'et
~an~e `but La vertu ne mérite-t-elle aucun prix? Divin
~o$ p~ ~s~~V-Al >z
Hercule toi 4-u-i'he-n-Orla- #-ces --he« Par tan~,t d1ac;ti.lts
d'éclat,. tes vertus n'auraient~sl1i\'¡'e_sd.'auc:u'Rlej()iê,ula, e9
tes bienfaits n'auraient mérité aucunerécom~en:9e 2
Ah 1 ma vieillesse ne a'est pas y,ainetDentp_r9'II1¡i'sfl~tevoir dans une vie immortelle J,Et vOils,mesiÎl't'o;âlsl I
vous qui ne ntesqu'apparaUresur]trt~l'l'8'etdont-aqcùn
bien'n'a pu me faire''oublier la perte vous, pieux com.
pagnons de m'a jeunesse, et vous aussi, chère épouse,
qui faisiez les déliCf?s de ma maison, maintenant soli-
taire, vous entendez sans doute 'ces derniers accents
de ma voix affaiblie, et vous vous préparèz à me rece-
voir dans votre sein » A ces mots Cyanée,necPOl.lvunt
plus contenir son émotion, se mit ~,j'on(tr:eenJar-me9;et tous désiraient de mourir, 'goltant par avance le
bonheur dé revoir leurs amis qui les ava1ent Précédésdans les champs Élysiens.
Cependant Amasis s'informait auprès d'un des fils
de Lamon du nom et des mœurs des différentes tribus
qui arrivaient de' toutes parts. Le jeu ne berger lui fit
d'abord remarquer les robustes ha~itants de la Mes-
sénie, qui fécondent une terre aride; puis les 'peuplessi doux de .l'Élide, qui ne respirent que les fêtes les
belliqueux Achaiens, et ceux de la voluptueuse Sicyone;les Épirotes,. les Acarnaniens, les habitants de l'Éto-
lie; les rudes Molosses, désceridus deleurRmontagnes;
les peuples de Delphes, ville célèbre par ses oracles;ceux de Samos,- qui naviguent par tou te la terre les
Dolopes, si légers à la. course', qui se vaiR!te,BI~,d'êltre
compatriotes' du vaU¡lant Aelhll!le eR.i}n les Athèn~ie«n.8,si 'Ingénieux, assemblés, par Cécrops, et 1`és Sparti~ates,si remarquables par une beau-tê mâle et.p'a~ la sévéritéde'leurs rnaeurs. «('~ontrez-m'ei, d-it A'm.asis, les ha~bi-
~Jo-
`
_t
s~~r_i
~Y' s:r-
i~· rn
.<=ï.s~s.x-` ss~
:.t' -3
~1~l~~y' C~ ~a~~ -~t
'ILJàfJ'1ie~'I.r~~I~A¡~~e~1t~¡-tes petlp1eJl
~M's,pG'n:ji¡f,'Je ,Ait sont ceux dont la
"lifsrÓ~~nHeest ,.8i s~rie~~e'etsi 1,~iè re;;no.uls pourrions
"I5'~Qi,i4Ie;ú~9\1\11.4iitOB'c~les'iépaœde' n~lu:s,8t
~c~n~,`~ïeni~~s d~t.-m~fis -d~ ta~~s se. ~~é-n~e ~s~i~i.,Am4sis et le dls detamon ab01!4t~NR't un
l~otri~nie d'Ârg,os~, qEu~i~épondit a5i~nsi à teur~ q,00'c( Il ne faut que deux 'jours de marche pour se rendre
ùAI'@os; mais, aimables bergers, vous qui êtes assezheureux pour ignorer ce qui se passe il la cour des
rois, ne venez-point dans cette dep vous
:Î1ti:!t'~Q.qU~a.iQ(oItt'Uft¡s~'»).Â.ssilttQP~1'ORde
tl'i~tesse"e'_Peigni\t"daRstGu._sestl'ai!ts,.ètit 'l\i'ou:t~_en's~éilC)18na;nt: «
Vous suppliez '-les dieux de protégervOJflai:Îirs, tandis que nous venons demand,er à ~1u-
piter'de8oulager nos maux. Eh quoi 1dit Amasis,voilh donc le sort de tous les rois ,Fa~rtout je les ai
vus, enviés et malheureux 1 » Le jeune lUs de Lnmonlui répondit « Ce sont les hommes qui font leur
propre malheur; les lois de la n~tul'esont toutes
foridées sur l'amour; les lois .but:naines le sont sur le
besoin de punir le cri¡me. Heureux ceux qui" ne sont
gouvernés que par les lois de la nature! Mais 19Arcadie,
aujou'rd'bulsiri.nte, n'est point arrivée de 8uite à
cet état de perfection elle a eu des maeurs sauvages,et rien n'était égal alors à la désolation qui 1'éguait
p!lmu JlQ.I1.S..
'(('Sc"bfunlmesDese se nt '"ien dObftcl".i¡lsdoi,eh,ttout
89'x. d~eu~ Jupiter- vers~a les. 'Î'ulits 4~;nsDo$.jaN;i'D's,
Gfïê'D'oUisa,pona le blé ,Baochulleftll, Pan.Jes-
tr~ou~pieaüx, ~V~n~u~nous eftvoyales deux présents qui
1-O,t,If'1~.f~~Ii\ 17"*
'l30~4 ~o --«
ravissent les eœu;rs. OIl"ual~ePêate~i11~
arbres ~v~n~~ des .frUtt., .mais.oæt4~fleul"1!e,j~
seaux coulaient sans lesaailnau;x'flé:ve"a",ttt
sans se Gherch~c, sans se 1ivrerckJQ1ŒsjeG~Jl~JJ.
instincts; Jes. oÎseaQI' .n-ecbafttaieJi1~,oj!I'eQ't&l'e:è.
on le monde était COR1:me u~ne-broderie, comme~
muvre inanimée; tout y ê:tai;tmonotone, 8a11'8 joie.Mais Vénus parut, conduite par les néréides, sur la sur.
face des mers; elle prit ses cheveux avec ses belles
mains, elle en pressa l'eau et les laissa floUer sur ses
épaules; les Heures vinrent au-devant cl'elle et lui
donnèrentune robe de
aèrent doucement sur leIJPicv.,es;dec'ey~l1è",et;J:J&Jûoul'
naquit pour la recevoir., D~âborde1)ê .se:bQ;ii8fl& dans
l'eau des fontaines, et les ruisseaux se m,¡'rentàmur-
murer chaque herbe qu'eUe' touchait en marchant
se couvrait de fleurs; chaque oiseau qui la voyait se
mettait ù. chanter. Elle cueillit des branches de myrtedont elle se fit une couronne. Alors les Heures ratta-
chèrent les tresses de ses cheveu:savec u,obandeall
de miUe couleurs, et la conduisirent au ciel, où son
aspect ravit les dieux; dès ce moment l'homme sentit
le désir de la lU ivre dans les cieux, où elle i'~it 1s joiel'es immortels.
Voilà, dit Amasis, une charmantë allégorie de la
plus noble des passions. »
kmasis achevait à peine ces paroles que les Dlles
de Lamo.vitu!eftt ~n~oneer qu~e l~a féte d'onatnitt Ly-~ée allait ca~u~ncer: ~ht~~s étaient s~uiwi~esdepl'Ü'sieu,rs
jeunes bergères. ,Ó
~jà l'ôa~b~e des mo~~t~g~ledse ~rolcng~it~ dân~~l~e~
815O-~¡i..i~
20
v.'eSU'S'tle~1a -e .li:~ellHU'aitle- Moult 4tycée
se lep~pemlier"rmé .en.
f.1I1\t.,ai sete8:8!iQlltpaf la main, et'¡do1\,tqiUèlqGel..ual
~y~ ~~r ï ~co~ d~e ~ey~a gens
~a~ ~e~ ~l~a ~a~~e, ~ou ~re-~u~t ~d~u~
'ilO:tll; lv tl'olstèmeej <4'lïomilUes .~n~â~ié~et ~de J~u'~eefera~es ou de jeuiies mères portant leu~ra ~nmfasnaa
entre 'JeuN la~ru-s;le quat.rièem,eetlederuierétaiitcom-
,os6devleiUard:s, dont les cheveux blancs imprimaientle respect.
Les enfants commenCtn'cnt à eliantets d'une voix
dOuee,e~~iEi1Jü~.te
cc8'ij,itèt',eJal1cclèsselih'ai's ~de ï'i~nnocence, verse
do,tesmQÏn8 ~ie~fuisanfl~~ 1~s ~m~oissor~s sur nos ~tc3rres
et le lait dan~'les mamelles de nos brebis. 0 Jupiter 1
roi des dieux, sois le père de l'heureuse A~rcadie. » Et
tout le peuple répétait Sois le pèl'c de "heureuse
AI~cadic, »
Les jeune4 gmrs destititès à s'unir ,pr~iaicul Ie maUre
des dieux de bénit leur ten~res~e et de ne point
souŒrlr de ~crQ~tes d~n~ l'heureuse Arcadie.
Les bo'm'mcsm~riéscbantaien'tlur lt! mode dorien
Cf 0 3~u-piterl bénis nos enfants qui a'ppal'~iennollt aussi
à l'heureuse Arcad~ie. )) Et les vallées et les échos des
Inontagnes i-épétafent CfNos enfants appartiennent à
l'heureuse Arcadie. »
4près,çes chent-o .pieu,1, tous ces peuples se sépa-rèo
'eat'eB.'Bivj¡~Bt à veJttj\r.se ~Eo'nr .le'oIAt 4'escendBel'llt
A>tro.;vê'rSle,s- ,ttlllilrie9.bai'IJ\lu~espar lé M,etus, les au-
tTes9'Idvirent les vives -du 6Uee¡);Jcs'er Âcb'loAs,
IGu:sem!pe'tnnt d'an's leurs cœu. la poix et un doux
s~nF~i;~e~~t de pi.Hé. Cêphas c-t Alonsis, charmés de ce
306~t'A'a~ê~B~i8'
qu'ils.voyaient, désiraient beauco~~p ~é~le~·~ p~i~~ré~~de leurs hôte,.s et séjourner dans ces heuu:x c~a;ts;mais ils étaient cO'Dlbattus par la crainte «étre à
cbarse à celcri qui les avait accueilli. Ce0-ph:as dUit sonami Lorsque nous. parthnes de la ~ayu~lr, le roinous donna trois lingots d'or; l'un a .su~t~(1 aux dé-
pensesde notre navigation des deux quii nous l'estent
J'un nous défrayera jusqu'en Égypte; prions Tirtée
d'accel}ter l'autre, èt restons encore quelques mois en
Arcadie. » Alnasis saisit cette idée avec joie; ils allè-renl donc vers Tirtée et lui dirent « Vous .nous avez
nppri~ que vos mllgistrafs trnOquf.\nl avec les étran-
gers; acceptez ce morceau d'or, vous en achèterez un
troupp;au, et il vous rappellera notre ,séjour aUprèsde vous. »
Tirlée l'épondit t( Vvus dites que ceci est de l'or;j"ai entendu parler ,le ce
mélirl qui fait tant de malau m9n~ le; mais il est inutile ici, où l'on ne lait usogeque du fer qu'on trauve dans nos
monl~t~iies. Il estvrai que nus magistrats lral1quent avec
les. ét¡-a.nse.,pour les de la nation; mais les puvtieuli~t~s ni!font aucun commerce, et leur richesse est dans leur.
champs et duns leurs troupeaux. L'usage de l'or estun grand mul, puisqu'il peut faire vivre les Jlomnlcssans truvailler. Le trni'uil fait le bonheur, il cltle com.
pa~non de la vertu, du repos et de l'abondance..Le pos-sesseur d'tin tir~tul inulite est bien malheureuX; il étendses désirs ü tout, sa cou vaitlle n '0. plus de bo'mcl. Oh 1
quel pernicieui trésor que' celui qui peut ~te~r~tpayer les bonnes et les 'mauvaises actiof1s i Mais, le~dicltS en soient loués ces faul.bieus nous sont ira.l~oun"8; ~r
-1 ~r i ¥ --À 1
~jE~¡iJl~t.4UJt; .A Eç
aùée quLeràt,nadit"Q'enn. Tefus »"atJii@eAt -ses
1:a~s, ~cp~li~t ~i:ric cc Peut..être.avecceitot"o!Afera4tua
'tusei~ b~;ldllht le lait' ») Aussitôt Céphas lui p'l)és8n(;a
le lingot,( )fuis, dit.elle, comme ¡lest 1~~·d 1 Ob1 nos
vasesdete)~re IGntplu.s légersetp'J,us ~Q!JRm0d:es; i à
<18.e1usage pouriset~it-eh donc !'employer? ».
Tirtée reprit (cCetor, tanl estimé des peuples qui
s'{'loignent de la nature, est trop nloupou" couper,
trop lourd pour faire des vases, trop dur pour servi.,
aux mêmes usages que le plo.nh.
Eh bien dit Amt~si~, nous en fcrons une cbalnc
pvu~' GY.f-ilée,
-13n~ Ct~~i~f~~ aUCyan,~een riunt, si ,mesco;lJI1:pa-
giletS me voyaient. un ornement si étrangey elles me
croiraient devenue esclave. D'ailleurs, l'éclat de cc mé-
tal app~w~:lto·t-il de celui des ~n~rr~ones de nos pr~~ 2
h.l-illa forme des fleurs, leur légèreté, leurs nuance;s
,t4)'iéel et leur-s lioiiiies e(leui-s'71
Si vous ire voulez pus de nolre ni-, dit Anl11sis; pcr-
mettez du moins que je partage vr~s travaux.
Volontiers, reprit Tir.t6c; voicijustement des arbres
(lui sont restés S8111culturc la terre ne demande qu'l&
rendre; niais j'ai pcrdumcs enf~t~rls, et mou patafi-
1noill(~ ~st triste et négligé. )J
1111se diriM~I'cnt alor8 VCI'I un hetil tortrc .~OUVCI.t
de cyprÓs.: .fútnit le tombeau des aiicéli-es. Um allée
de SAllicl conduisdit dc lù jusqu'à la cuhune, cl ge pro-
J'IAi'4)a.Ît vers .h1plade où j-adits 'tait.ttué te j:u€lld~ ~t
tilpace ~a~l`evn~ui~, tout.-le du 'beJtgol'. Ar'
riité clwz lui, j t dit il ses h~t~as t( ;RcI~(¡}Sez~\to!USlet
Aîlleuis l!hÓsItitalité est un devoir, mais cn Arcadie
~~i~ cst. ~~1banbcUli. )i Al1rès quelf{tlesJo:un (le tra"l\:iJ;
L'ARC~R1~308
Amasis dit à son ami « Voilà qu'e le jardin n'a plus
besoin de nos bras; mettons-nous en route, nous visi-
terons les'autres contrées de l'Arcadie et nous serons
de retour au temps des vendanges. » Céphas lui dit
« J'approuve vos pensées; peut-être recueiUerons-nous
quelques plantes utiles à nos hôtes; ils n'estiment que
lès biens naturels, et l'or ne peut rien ajouter à ce
qu'ils possèdent. »
Le départ arrêté, Céphas dit à son hôte « Quelques'
jours s'écouleront encore avant que les raisins soient
bons à couper, nous allons en profiter pour parcourir
ce beau pays Amasis est destiné à vivre dans une
grande nation il est nécessaire qu'il apprenne parmi
vous les choses qui peuvent le rendre heureux. » Aus-
sitôt que Tirtée connut le dessein de ses hôtes, il se
hàta de faire préparer tout ce qui leur était nécessaire.
Cyanée cueillit des fruits et pétrit des gâteaux; elle mit
ensuite du vin dans des vases, car son père avait dit
que le était un des meilleurs conipagnons de voyage.
Pendant ces apprëts, 'Tirtée traça une carte de l'Arcadie
sur une écorce de bouleau, et montra à Céphas la route
qu'il devait suivre. Le matin étant venu, il conduisit
les deuxvoyage6rs,) usqu'à
l'entrée du vallon puis,
avant de prendre congé d'eux, il leur recommanda de
ne point marcher pendant la chaleur du jour. « Si vous
êtes pressés par la soif, dit-il ne vous arrêtez pas
après avoir bu de l'eau des fontaine.9; évitez surtout
l'ardeur du soleil, dangereuse dans cette saison. »
Après quelques instructions semblables, il leur donna
à chacun un épieu pour se défendre des b~les féroces,les assura que partout ils trouveraient bonne récep.
tion puis il les quitta en les recommandant aux dieux.
849L!~I.m"D,I.
Les deux vOfageulrs.pa-ssèp.e1'11eM~:I¡usetleMta;
d 1 à .:1, svi€vi~r~nt l~e eyevrin:in q~uii d'. a=u Mon, t
Lycée, dont i€I~s déco=uvrai~emt pei;n:c~1~som,me'. couvert
de 1il;11¡."es; a€r~ï.Yës ~=upi,~cl ~~e c~~ttc~ me:l,ta8o.o,Us
virent le cbAteau de Lyc4.oit,; 0 était en rUiiuB, et ces
ruines, noircies par les siècles, ressemblaient à ut)
immense bloc'de bronze. B,i'enté:l ils arri,vèreu:t au pied
des hauteurs d'u ~én~ale. Là, ils s'ai pour éviter
l'ardeur du se'leU, et voyant il quelques pas d'eux unimnlense troupeau forlllé de toutes les chèvres de
plusieurs bergers, qui les conduisni()nl lUI son de la
RI1\te,Cé,phQsp~Q',0$â-tle s'pao~l~a.n u'erat On, juge
bien,(Ut~i;1,desQlœt1~sd;.lulllena¡b¡'0!ft par ~;e~l~~sd:e ses
enfants. ))1~lsvift,peft,td0nc au d"une .t'f'oupe de
jeunesfitles et de Jeu.B;es8ar~O:fils,g'l'on:pés a4 leur d'un
petit enfant qui pleurait sur une chèvre couchée ses
pieds. Les uns présentaient ù l'animal expi,rant des
branches de cytise d'aufres, des épis encore verts, dé.
robés dans les champs de Cérès quelques-uns citas.
saient les mouches avec les -ligesfte,u1'i.esdugenêt;
mais leurs efror,ts ne pouvaient rien Le jeune berger
leur disait « EI-le a été rna noul'rice,mon père me
l'avait donnée, en me promettant qu'el'Ie ne me serait
jamais ôtée; et voilà qu'el-le meurt, et qu'il faut la
perdre pour toujours 1 Ah 1 c'est en vain que vous lui
offrez les fleurs du cytise, elle n'a rien voulu recevoir
de ma main. Pour le consoler, ses amis lui disaient
« I1 fau=t es~pére~rque 11upiter, à CtUlSe de ta perte et de
ta douleur,m.ettra ta n,,01,1-lTiCeayprès die 1a c~hévre
Amalthée, qui lui a don ,né son haivt. » Ce-¡rleft'Elant la
chèvre, ne pouvant plus soulever sa tête, tournait en-
core ses yeux sur son cher nourrisson; niais bienitôt
tt-A',ft.c,'éD:waIf: :Af.-D310
elle expita, D1algt"ú les soins de tous ocuxqulI'env'i.l'ounaient. Alors les bergers ~rrrr~~r~ri~rr~ jeune on-tant loin do ces lieux, pendant quo les plus torts seInirenllL ~r~~u~~c~ln teri"t et
qued'a;u'trcspltlçÛènt":1aché'~I.c sur des branches de chél16 otla ~ortv~y~i.~r~ do
verts .feuillages.
Dès qu ils furent éloignés, Céphas et ~Amasls, assis
ati-pied d'un lll'bre, se mirent à contentpler les riveschnrnuudes d'une rivière qui coulait à peu de distance."IIISi~ul"S enfants revinrent. alors sur leurs pas et di-i,-erit i( Si vous ères éh'angcrs, ne rc~tc1. pas ainsi seulsrlan, nos
c111lnps, venez ~~r ~l8tpe~.ü nous ~dôJ'oJ1s
Jupiter, et nous.'f1specl6~s'leshét6sq.u'Unousenvoio. »
A ces mots, les uns conduisirent les ,'oJ'ageursvcrslescollines ois ils avaient leurs habitations, les autres so
séparèl'ent de la troupe pour aller avertir leurs fa-'milles. Cépl~as et Amasis furent reeus par des hom-mes
simples, qui s'empress~ren~, de les accueillir et de leurpi-éseittei- du lait de leurs troupeaux. l/apl'ès-n1idi, ilsse reluÍl'cnt en route eL le soir ils arrivèrent au oti-lieu d'une pi-ait-ie. Des bergers vinrent au-devaiit d2eux,et les invitèrent à se reposer dans une grande laitel!ie,où plusieurs familles rassemblées prépQI'aicnL des fro-
mages et pét,'issaient le beurre avec du sel. Pendantque les mères et les I1l1es étaient occupées de.ces dlO'é.i-oitts travaux, les homme!; s'employaient au dehors àdompter de jeunes tnul'caux
pour le la~ou,r, e,t,:Je~accouphl.nt à des c'h¡ari'ets,i¡ll' les aGee¡ottl!a~'(f¡lI\t' à.obéir à la voix nos v01a:geulps a-pprijre,a~t.-ç(»,'enl-tot~is~4i~ttous ces apprêts peur 8Jfrlre~à )alo~!re de
~tlJée,lt.!p"-preté, l'~bo~nd~$nc~ et la joie réguai~~t d'aB,s ce,£,temaison; tou~le'monde
.s'el'l1'p~ssad'l\ccQeH~rir leStle.ux
31111n~~BIE
amis. celui quI' pær8!issœt le ellef dit à Céphas.: « Je ne
pulls m'élolgAer,Juais demain mon fils alné -vous
olettra sur. vo,ti-e. -route; il vous conduira Jusqu'aux
l1e!i'X o¡pu'aqu:i:8~daJÏe'; car -60 di cc u est ti'PiJ.I1l11¡,
n'eus,; llfutéle.vépD.1'le:ce'J1.f.uu'rc' li4j 4~ppr't,t
la m~~d~ui~re; vous verrez, suF~~les bord-3 fleuris du
fieu~re L~t~e~ le ~bos~lu~t où il fut nourri pa'fune chèvre.
.Cette- chèvre appartenait à on paUre ~lui se nom,mait
Airt~laûs lebasal"dluint découvrir que tous les jours,il la nlèole heure, sa chèvre quittait le troupeati; il la
sHivil et rec~u~. avec snrl~ci5e qu'clle s"arrètait an-
p008 d,u;l1e,fl,f.lill,it;,q~ièUed~nllait.samamelle.Dès
IblID11l1es.so."titiën:f de .1u tête de 'l~enfant.;Lépàtrelo
prit et le donna ri une noul'riee nom'mée 'on., De-
puis ce teni,.ps ce lieu est, sacré; il.est défendu d'y ualtl'o
et d'y mourir. Mais vous y apprendrez plusieurs excel-
lents préceptes pour conserver votre santé. le me sou..
viens. de celui-ci t( Exerce ton corps et repose ton
esprit. » Après ces mots le berger !tc relira, et chacun
fut prendre du repos..r
.Dés qu'llfut jour, les voyageurs se remirent en route.
Us. vire n't, en passant, lelàeu où naquit Escula,pe et
c8toyèrent le Ladon jusqu'à Telpbuse de là, ils tra-
'versèrent l'Éryma,thQ bouillonnant, et virent, dans
les vastes plaines qui mènent à Olympi'o, les superbes
cbevaux qu'on éle\'ait pour les courses. Les oliviers
e,.d~t~sJt 't¥tfl,t".Q;nJu cou roitue les v'ainqueurs,.Q,mbJ.'a-
~i~~t~ ~~t~ ebt~l~l~= ~de ~èn~u~s·i~. ,.lf;e[s.hâ\Ji~ânttstte
ces.;1):ell!1ttUI.se"e't0.;i,&}~t'asbCJDt'us'l8~e 1e~.a~'res
1tœlml/alftiwtfe. ~rea!jl'Ge'q¡Q!~ts,'0tr¥en:t aS'sister à
ta.tes les -lê.tes. u])sn't!ul¡t 'besdtn 'ntlte",peotsniûeba-
t-è&u~ j 'llcq,rs clilevau~ ne les ~quFi~tte~l~l;yânuai-s:; ces -ani-
1.'A R-CA~D-1E3t2
maux, dressés avec douceur, partagent l'habitation de
leurs maUres et couchent sous les tentes au milieu
des femmes et des'enfants ce son des compagnons et
des amis.
Après quelques jours de repos chez ces peuples si-n-
guliers, Céphas et son ami tournèrent leur route vers
les Dlonlagnes, traversèrent des plaines où de riches
troupeaux faisaient retentir l'air de leurs cris, et visi-
tèrent le mont Cyllène, dont le sommet est couvert de
glaces éternelles; de là ils se dirigèren vers des fu-
mées qui s'élevaient de toutes parts au sein d'immen-
ses foréi;s de sapins; ils 3~trouvèrent de vastes ca~banes
habitées par des hommes vêtus de la, dépouille des
animaux sauvages. Là le fer coulait dans I~srorges,
qui retentissaient des coups de marteaux. Ce métal
prenait i,o~stes les formes sous la main habile des
forgerons; on Je façonnait en faux tranchantes, en
tridents, en socs de charrue. Nos; voyageurs furent
accueiUis avec hospitalité par ces noirs enfants de
Vulcain.
En quittant ces lieux ils descendirent les-hauteurs
pour entrer dans les vallées du mont £."ymanthe; ces
vallées n'étaient point habitées les animaux sauvages
y trouvent des retraites inaccessibles, sur des rochers
couverts de bruyères pourprées ou de genêts à fleurs
d'or. Au sommet des collines, au-dessus des bruyères
et des genèts, croissaient des pins et des oliviers sau-
vages un peu plus haut, le f,lcuveÉrym¡lliDtliese
précipitait en bouiU,oDnaat travers les roches. Les
voyageurs franch=i~re~na ptusleursc0:tliiB¡es a,a'Dttlèd'es-
.cendre dans la vallée, et vers le D1Hieudu j'Our-Us
arrivèrent sur le bord du fleuve. Là ils se reposèrent
8f3I_i-~E7si~-
iL-l~1'omib~·e d 'U'A rocher et.cpntcjJ1plèreof les pics de la
montagne. et:ses crot,,ipes, qui! frappées "des" rayon- s du
so,leU,paraissaienttout étincelantes de lumière. Les
Ul~nt5iét~t~nt "colll'Onités,Æl~a!rbres",touj'f):ulrs'v:erl'$;(dafts
la.Ia;ill~e, lesb0rc¡ls'd'u Ueuv.e p(u~als~saÓienteft.t~ecou-
pés de riants:pâtu.rages,tand,isquesutles ci-meè éloi-
gnées des montagnes des troupeaux de cerfs s'earré-
taient attentifs, et que des chevreuils, suivis de leurs
petits, gravissaient des rocttes en précipice. Ces scènes
de l'hiver n'étaient animées ni par l'aspect ni par la
voix de l'homme; seulement les coqs de bruyère et les
fÎ'anco::ti[ns~rai'sa.ie.ntr-éten,tir ces solitudés dé leurs cris
ai~us: Acettevuè, Gêphas soupi:na au ressouvenir du
Nord; Amasis lui dit: « Que ces lieux songtpaisibles!
comme la pensée d'Hercule, qui a chassé dans ces
lieux la biche aux pieds d'airain, ajoute à leur beauté!
c'est la vertu qui honore la terre. Que la nature est
belle, ornée par les mains des dieux 1 elle semble ap-
peler les travaux de l'homme, et sa magnificence est
la pro-messe de ses bienfaits. ,Que nepouvons-l'loUS
vivre icil je cultiverais ces landes désertes, je ferais
croitre la vigne à la place de ces genêts,ces prairies
nourriraient un troupeau, je ferais retentir de ma
tlt\te ces rives désertes, et je luêlerais ma voix à celle
des oiseaux. »
Après avoir traversé une vaste forêt, ils arrivèrent
'8;llscuD!lIle't 'd'uR'e ..mon tag,ae d'où 1'0-0, déco1l~~itune
vile .ag~ftÏiflque;c'étai¡t ,4.rgos, ((Vai:)¡à laci:té ~'Ae~a=
dit Céphà-5, il'(Jift;S-)teus)'a.' v'¡'si~ter? Non,
,di;tAm'asis. ;1~ ne souhaite plus rien hors de l'Arca-
die je préfère la cabane (le Tirtée au séjou,rd' Argos;s
3t~ ~'A~RCAD~1.~
mais .puI8q~'il faut v~;ager. jusqu'aux vend ange!3,tâchons de visiter les bergers qui habitent les rivesde.l'Iriachus. Ils se remirent donc en route mais
le temps était si couvert et 1 chemins
qu'ils nè tardèrent pas à s"égarer. La nuitvi~tless'~I'-prendre, et ils résolurent de se mettre à 1,9a-br-ie sous unmassif de sapins et d'allumer du feu pour écarter lesbêtes féroces. Cependant leurs provisions étaient épui.sées ils recueillirent quelques châtaignes .siverles
qu'ils furent obligés -de les j~ter. Céphas dit- alors:«
Puisque les arbres nous refusent le'urs fruits, voyonssi les eaux nous
serontplus~fâVOl'ü;}jJijs;cclep:Q,isi9~"aime les lieux
solitaires,etJ'aiâperç~ un ,ru,i'~sèD::u.Jtll"milieu des rochers. ». Amasis le suivit, et ils trol1~"vèrent plusieurs poissons, qu'ils dardèrent avec 'leurs,épieux. CépUas fut 'le plus heureux il frappe; une-truite et la jeta sur le gazon; alors ils allumèrent dufeu à la manière des Gaulais, avec du bois d'if et. de-
lierre,- et ils firent griller leur proie sur des charbonsardents. La
soir~eétaitfra1çbe, et~ un ora-get~lTih'le
.coÕ}~ençait à éclater: c'éta~ l'époque des corps devent de l'équinoxe; ils sehâtêrent de "préparer un lit
de feuilles sèches et se couchèrent à la pâle lueulrdes 'éclairs. Bientôt la pluie .tomba par torrents, lésvents faisaient gémir" au loin lalorê'; mais ils étaient àl'abri sous un épais feuillage, et tous ces bruits loin-tains ne flrent qu'augmenter 'les
charmesd~,le.!Ïrrepos.
Le lendemain Anaasis-- di-t ù .j""aï*rime,Le lendemain~1I1~sis" di-t.à .~e:lDi:' « ,Q'JlÍe:J'~iiJlle-
la- Ithe:rtéu deee.tt,ie sau~a~ge~1 Qu='e~l`l~e m~re.st.cl~è~eavec vonsl ~Ailhsij 'aurais -voulu
vivre -aud'hui un sentiment plein de
40'~c"Qr~'a~è'bre¡:cl,
i
~l'~
~-jl'
-=--'u-
` °-,
"ee.I'sà'I\pa,i'n'se1l1eDleht..les.J8.IJ:l's.'de rA:pca~,ie '31'w
mecbai'nte.~t;je nesu:¡'spiuskè,ireuxq:u:'aup,'ès.de
laQUed¡«:tT¡'rtêe-.L~ ain1ableCyanéem'au)àisséun sou-
'iel~iç"1J:~>rie~'I1;e ,P'e:tlÍt.éifti4Ge~èle;jD1e.'te.F~if'ÓPliTie'"
l~wG~;û~le, l'É~ypste et 1`'Arc~,`d~ie; ent~n,. j~e ~n'ai l~~s ~e
:.Et6t'q~lIe.. poui~ la Y1e aes be ers. Je n~e ra.ppel1e sater~d3resse pour ses pa.rents,p.6I1r ses'amis, pour leses amist pour les
.~a61°beu:reua sa religion si douce, sa modestie et, ses
graces na-ives il me semble que je n'aipoint d'autres
souvenirs. Le reste :tngest indifférent; il n'y a plus queCyanée pour moi dans la nature.
d* h ~,45 -9 y-e,' U,'Ient-sans d -ou, tle vous
l'é~om.peirsèr'enAircadiet1ù,biien<CJ¡uev.o-üsa.jez'raU
~d~ns,lâGatde.(Jner~m:mevertl1euse;esrlêpl~.sbeau
.présent qu'ils pu,isseR,tlai:ri!à l'homme@ E-1-le est sa
joie, sa consolatio.l},.ses délices, la compagne de ses
plaisirs et de ses peine& 0 monamn puissent les
divux vous protéger, dussé-je m'n retouner seul por-tèr en Égypte la nouvelle de votre bonheur 1 »
CepeRI,dan't la~ p°luie t()nthaiteneore,el-un-vent~ ter-
l'iblea~gitaitnlesa..bresde la foret. Au-dessus, de leur
-ils -ne v~ya'~entq~e desch$'I!n:esde.ontagnés,
1f\iilu-y~ient à perte de vue il leurs-pieds, la vallée
re.ssemblaità un vaste lac, où sepréci,Ua,ient une
imul~titlude de lOff'e nts. Araasis, t aperçu un- pindont la cime dominait la forêt, essaya d'y monter
pour découvrir la route; mais i1 ~e d~çou~it_ r~e.n.
u J~ n~'a~pe~t~oi~s,d~~sa~i~, Tri'futnée"~1~Q;OÎ};s>'JJli_t~~tl..
peâ€u~a; rje n~ ~o~s d férêts'~¡,\cJ~ie.s!i'
4,p~as~
dêÇè'\h.r'q:uelqd'es'oi-seau:x,.eféllsB,f~Mtêz~ien.cJde,1-
ê.tÍf.i!ls'd.\tj'gentl~ul" vol. -e-l\'ê~'C!1is;'Ü!'uta;.ltê~d¡Ít
LfA9Rté-A.-Û1{;è316
Amasis;. il plane en silence sur la~ diloi~le, ~u-d~~sus ~1°es
rochers et des ~forêts. Mal°l~euu à no-u3!_ repri~t
Céphas, ces lieux ne sont pis habités. » Cependant
Amasis s'écria: « Voici, de l'autre côté de la forêt, une
volée de moineaux quipa..tentàUre.d"aiile et se
dirigent vers ces rochers lointains, au pied du vaJ¡loR.
Notre route est trouvée, dit Céphas. L'aigle n'ai,me
que les lieux déserts, mais les moineaux cbél'Îssent
l'habitation de l'homme; ils 'y trouvent des grains et
des fruits et ils jouissent de nos moissons. » En s'en-
tretenant ainsi, les deux amis traversaient la forêt,
franchissaient les torl'en ts, et après plusieurs -heures
de marche ils an'Ívèrentau bordd'unruisseau,'fJU,j
les conduisit à une clairière d'où s'élevait une1bmé'e
épaisse; bientôt après ils entendirent le bruit des
haches et des marteaux et le fracas causé par la chute
des arbres',1~9 se retrouvaient parmi les hommes.
.11
t
',}
1/f
FIN
T.A.BLiJ~EDvL~ MATI~~
VOYAGE A L'ILE D'UTOPIE
AvsN~c-raopos: ?
'~I,ijii'oDi~"o" 15
t.De.ip&loQ,derilc Idée de-"oo,goq'èrncmenl.. 31
J',I'.BèICrhJ(ioDdes" y 111 e o~d'UIoëie 9 et~.pn*ncipa,lement de celle
d'A~lIiaul'o&c,sac8,pitale. l .1. 1 1 38
III. De 1'àdmtnistr~rlion de 'laJu8Uceel delmagillratl. 1 4.1
J'V. Delarll,et dcsarUs8oll. 1 1 1 1 4f%
V. Du commerce et des relations des Utopiens. 55
VI. Des voyages des Utopicns. 1. 1 61
VII. Des esclaves t 0:1
VIII. De l'art militaire en Utopie. t20
IX. Des différentes religionad'Utopicl 1 1 -îo
L'AR.CAD1E
Av~~rr-raopos. i?3
FÜGIIBICT8SavANT DB I'H~AI~IBIJLS A L'ABC.\bll- 1 17i''
l.lVaB PUIII£8. LIS GAULBS,. 1 1 1 1 1 1 lOt
F11~i1iLNT DU LIVRE 8SQ0ND. 1,'A_CADIS. l' 1 1 287
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tI8I.Dltfttnr. i
hl~r~iric Ch. DELAGR¡\VE, 15, rne Souttlol, t'IlilS.
So~~t en ~e~tl~~:1 Histoire comique des États de la Lune et du Sole%
1';11' Cnl.o nf l3~nc~xsc.Histoire des Flibustiers américains su B11II· siècle
l'al' (J::XMÍi:LI "l,
Voyages des poètes français aux xm. et XVIIIE 816.cles: RaolDe 'DI6" La Fontaine en Llmoll81u,Regeard en Laponie, eto.
La Franc@ A vol d'oiseau au Moyen Age, par Aug.CHALUMIL.
Les gr~c18 voyages de découvertea des anolcns,pili.'A.N-ilcuAlq..
Premier voyage de IP. Le Yaillant en Airiqne.Premier voyage autour du monde sur l'escadre de
lllapcllu~e, par l'ta~F~rs. Découverte do détroitde Lemaire, par G. 'SCUOUTTBN.
Voyage de ~aroo Polo en Alde..Voyage au pays d'Vtolle, par Thomas 1~iopua.Rob1DsOD Cru806, par DAIUEL DE FOI.
"1--
Prileiflll O.I à plrlltre 'lil.'Gllectiee
Déoouve~ des aouroes du 86n6Oa1 delà fiamble,par)fOLLIU.
poy~~e â'Atpbroiae Par". Travaux de ,Bernard, sp ~,U,èODté!lpar eu*i-mémeai.
Le 6 giiobanté, G«mographie et Id8tolre nâta-~tt.(~- du mOY8DÃgei par FIRjj~' DI~ IS.
'or-08S ,4!.1h1ni' Young en rrance, en 1990::91.
GrtU7,J~Ub~.se, ses vO~ilge~, 9e~ travaux, rac60tédl~ur ~1d1-~ém9:- '2:
'0'.n
,'PI?' "lPilarfe"itû: P", 'rZiilfti '('"a1r8 dd
"yJ~:C'RutÓ1»:O~I,q,1:
que'd'uD!]~tllîe:~&l.' '80~ d~-e Ué'L =~B"ple boa
~~çpe'~`~
1-Jeem
dë5.
re~J; oo~ pa/s~Fe 1a oopqalte àu I~e~e, par
f
~`.Yo3!e~.ee. ea :$i~b~'la; par CHüZtâe~n~~i~D~e.
voyadëâdé'o~'q~&Urviueëù6"«etaux.ro
,t!IT.f 6-ft e par DGOUVILLe, M'oBlsa, etc,
YO~rïi~ a 4 Coot:
~~opli O~lla~ t19 ia1%«Ide, par Ci"'
BI. ~ILAy
d~ i~ ,i~'>
capta }~1!\T_uuc. e,wRU~','¡¡,~Y' c.t~· i y, r-