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Catherine Turbelier-Gabriel Master Ingénierie et Conseil en Formation 2004-2005 Université de ROUEN 0 Université de ROUEN UFR de Psychologie, Sociologie, Sciences de l’Education Département de Sciences de l’Education Master Ingénierie et Conseil en Formation DE LA DEMARCHE D’INSERTION A LA DEMARCHE D’INTEGRATION Quelles compétences pour le personnel éducatif ? Quels impacts identitaires ? Sous la direction de Madame Bachira TOMEH Catherine TURBELIER-GABRIEL Septembre 2005

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Catherine Turbelier-Gabriel Master Ingénierie et Conseil en Formation 2004-2005 Université de ROUEN

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Université de ROUEN UFR de Psychologie, Sociologie, Sciences de l’Education Département de Sciences de l’Education Master Ingénierie et Conseil en Formation

DE LA DEMARCHE D’INSERTION A LA DEMARCHE D’INTEGRATION

Quelles compétences pour le personnel éducatif ?

Quels impacts identitaires ?

Sous la direction de Madame Bachira TOMEH

Catherine TURBELIER-GABRIEL Septembre 2005

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DE LA DEMARCHE D’INSERTION à LA DEMARCHE D’INTEGRATION :

QUELLES COMPETENCES POUR LE PERSONNEL EDUCATIF ?

QUELS IMPACTS IDENTITAIRES ?

Sous la direction de Madame Bachira TOMEH

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION Un choix guidé par un contexte particulier page 6 Les professionnels expriment leur désarroi page 7 1. THEORIE

1.1 CONTEXTE DE L’ETUDE

1.1.1 Un établissement d’accueil à vocation d’insertion page 12 1.1.2 Un public en rupture grave page 12 1.1.3 Une mission générale pour des situations complexes page 13 1.1.4 Un personnel spécialisé et un travail d’équipe page 14 1.1.5 Des méthodes adaptées aux publics en difficulté sociale page 14

1.1.6 L’immigration bouscule l’Europe page 16 1.1.7 La politique de l’Etat page 16 1.1.8 L’immigration dans la Manche : une pratique récente page 17

1.2 LES CONCEPTS THEORIQUES DANS NOTRE RECHERCHE page 19

1.2.1 Le concept d’exclusion page 21 1.2.1.1. L’anomie page 22 1.2.1.2. La désaffiliation sociale page 23 1.2.1.3. La disqualification sociale page 23 1.2.1.4. La désorganisation sociale page 24

1.2.2 Concept d’intégration page 25

1.2.2.1 L’acculturation page 26 1.2.2.2 L’assimilation page 29

1.2.3 Concept de compétences page 30 1.2.4 Concept culturel page 34 1.2.5 Concept d’identité professionnelle page 36

1.3 UNE PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE DYNAMIQUE page 39

« Changement de population d’un CHRS : en quoi la formation va-t-elle permettre au personnel de passer d’une pratique au service de l’insertion à l’intégration comme nouveau champ de référence professionnelle »

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2. PRATIQUE

2.1 LES HYPOTHESES DE TRAVAIL page 41

1ère hypothèse Les compétences du personnel éducatif sont différentes selon la démarche d’insertion ou celle de l’intégration 2ème hypothèse La connaissance culturelle d’un public est indispensable à l’action auprès de celui-ci 3ème hypothèse Le changement de public modifie l’identité professionnelle du personnel éducatif

2.2 LES ENJEUX DE LA MISSION page 42

2.2.1 Le choix de la méthode page 42 2.2.2 Les outils page 43 2.2.3 Le public visé page 44 2.2.4 Déroulement de la mission page 44 2.2.5 Le travail éducatif au CHRS page 44

2.2.5.1 Phase d’Observation Page 44 2.2.5.2 Entretiens avec le personnel éducatif Page 48

2.2.6 Résultats page 50 2.2.7 Conclusion de la mission page 57

2.3 INVESTIGATIONS COMPLEMENTAIRES SUR LE TERRAIN : page 58

les indicateurs éclairent les hypothèses

2.3.1 Méthodologie et lien avec la mission page 58

2.3.2 Indicateurs

2.3.2.1 Classement des indicateurs d’anomie page 60 2.3.2.2 Classement des indicateurs d’intégration page 64

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2.3.2.3 Indicateurs de connaissance culturelle page 67

2.3.2.4 Indicateurs d’impacts sur l’identité page 71

professionnelle

3. RESULTATS (analyse et interprétation) page 76

3.1 Recontextualisation de la recherche page 76

3.2 Synthèse générale des résultats et affirmation des hypothèses page 77

3.3 Conséquence méthodologique sur la formation

et préconisations page 84

3.4 Limites de la recherche page 84

4. CONCLUSION page 86

5. Bibliographie Page 89 6. Glossaire Page 90

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TABLE des TABLEAUX

Tableau A Comparatif des difficultés avec le référentiel des compétences éducatives Page 52 Tableau B Classement des priorités de formation par fonction et score Page 55 Concept d’insertion (classement des indicateurs d’anomie) Page 62 Concept d’intégration (classement des indicateurs d’intégration) Page 65 Connaissance culturelle (classement des indicateurs) Page 68

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INTRODUCTION Un choix guidé par un contexte particulier Cette recherche se déroule dans un CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion

Sociale) situé dans la Manche et spécialisé dans l’accueil et la réinsertion d’un public

défavorisé de femmes et familles en difficulté sociale. Depuis quelques années, le

CHRS doit faire face à une demande croissante d’accueil des demandeurs d’asile. Il

faut aujourd’hui adapter les savoirs faire et les savoir être éducatifs à cette clientèle

dont les besoins, les habitudes, les aspirations et le niveau socioculturel sont

sensiblement différents des populations habituellement accueillies. Cette nouvelle

population se définit par sa problématique d’intégration sensiblement différente de la

thématique d’insertion habituellement traitée au sein de l’établissement. Il devrait s’en

suivre des changements de comportements professionnels, modifications des postures

théoriques (insertion, intégration) des méthodes d’analyse (psychologie et sociologie),

des attitudes éducatives et des fonctionnements. Le changement est subi par la

structure et vécu comme une fragilisation de l’ensemble des acteurs. L’écueil est

double, rigidification des fonctionnements et /ou incohérence des attitudes. La situation

est vécue par l’ensemble des acteurs comme un échec a priori et non pas un challenge.

Nous avons choisi ce thème de recherche autour des demandeurs d’asile parce qu’il

correspond à une problématique réelle du CHRS pour laquelle aucun membre du

personnel n’a été formé. Notre travail est circonscrit autour d’une thématique qui

intéresse tous les corps de métier de l’établissement. L’accueil de cette nouvelle

clientèle est de nature à modifier, les règles d’éthique, les fondements théoriques, la

hiérarchie des connaissances et des compétences, les savoirs faire, les bases

documentaires et les activités. En ce sens, elle oblige l’établissement tout entier à se

redéfinir notamment dans ses stratégies de management du personnel et dans la

formation. C’est l’ensemble de l’établissement qui s’ouvre à la mutation.

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Des professionnels qui expriment leur désarroi

Les CHRS accueillent peu de demandeurs d’asile, en effet, ces derniers ont une durée

d’hébergement supérieure au public traditionnel qu’il convient de ne pas exclure. Les

CHRS ne sont pas en mesure de remplir leur principale mission de réinsertion

professionnelle puisque le statut du demandeur d’asile ne permet pas le recours au

mécanisme le plus intégrant qu’est le travail. Les délais de réponse de l’OFPRA (Office

Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) pour l’obtention du statut légal de

réfugié sont très longs. Les demandeurs d’asile sont, par voie de conséquence, à la

charge totale de l’établissement (aucune prestation ne leur étant délivrée). Et l’insertion

par la construction de droit à ressources est elle aussi vaine.

Devant l’afflux de migrants, les CHRS sont confrontés, voire contraints à l’accueil de

cette nouvelle population pour faire face à l’urgence des situations et répondre aux

besoins vitaux de ces personnes. Tous les partenaires sont tour à tour sollicités

(travailleurs sociaux, associations, hôpitaux, hôtels, …), face à cette urgence chacun

conçoit son intervention et réagit avec son potentiel, en fonction de ses moyens, de ses

connaissances, de sa position dans l’établissement. (Bourdieu). Les comportements

des professionnels, ils le disent eux-mêmes, sont assis sur des théories inopérantes ou

inadaptées à cette nouvelle population. Les schémas sont globalement ceux de

l’insertion et de l’inadaptation ; les références sont celles de la psychanalyse, et les

analyses sont socioculturelles.

Dès lors, des questionnements surgissent et annoncent notre recherche :

Interrogation des connaissances d’aujourd’hui en matière de connaissances de

l’immigration et de l’immigrant.

Affaiblissement des hiérarchies naturelles liées aux connaissances et

compétences.

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Certaines compétences ou certains diplômes, dans le contexte actuel sont

déterminants pour la validation des réflexions de l’équipe. (La psychologue)

qu’en sera-t-il avec la barrière de la langue ?

Crainte des décalages de valorisation professionnelle

Quand un professionnel dit avoir bien travaillé qu’évoque-t-il comme critères ?

Perte de repères dans la culture professionnelle des agents de l’établissement :

Il s’agit de prendre conscience de l’univers théorique dans le lequel les

professionnels naviguent (la psycho sociologie de l’insertion) en prenant

conscience des décalages avec le contexte sociologique des demandeurs

d’asile : sociologie de l’intégration.

Crainte de pertes des valeurs d’image des agents aujourd’hui en situation de

force (compétences)

Certains professionnels, de par leurs compétences, leur ancienneté, leur

charisme sont ressentis par les membres de l’équipe, ou de la direction comme

un élément déterminant pour le positionnement de telle procédure ou la

validation de telle analyse.

Personnels en situation de faiblesse

Des profils particuliers sont aujourd’hui en situation de faiblesse (compétences,

diplôme ou expérience en décalage avec le public reçu) certaines personnalités

sont pointées aussi par cet item. Elles espèrent de ce changement un gain en

terme d’image et de positionnement au sein de l’entreprise.

Positions institutionnelles

Certain postes institutionnels induisent des rôles ou des positions qui sont

typiques de la population reçue dans l’établissement (le directeur). L’incertitude

crée des réponses floues.

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Réticences aux changements

Chaque changement induit dans les institutions des attitudes de blocage.

La nature des blocages est souvent la même pour une même équipe

(le pouvoir de l’équipe), ils seront identifiés pour mieux anticiper les méthodes.

Identification des postes et logique d’adaptation des compétences au public

accueilli.

D’autres interrogations, singulièrement moins nombreuses concernent le thème lui-

même des demandeurs d’asile :

D’une langue à l’autre pour cacher l’essentiel : la barrière de la langue est

évoquée par le personnel dans toutes les approches du thème des immigrants Il

est difficile aux éducateurs de s’investir dans des histoires de vie dont le détail

leur échappe totalement. La méconnaissance de la psychologie des réfugiés et

apatrides rend complexe le soutien des situations de désarroi. »

Le degré de formation des demandeurs d’asile de l’Europe de l’est qui sont

présentés comme formés et souvent diplômés

Les effets de communautés qui isolent les travailleurs sociaux dans les centres

d’accueil.

Nous allons chercher à comprendre ce qui doit être modifié dans les références

théoriques, dans le référentiel métier, dans les plans de formation, pour que les

personnels s’adaptent à ce nouveau public. Il s’agit d’examiner les freins à l’adaptation du

personnel à ce nouveau public.

Nous proposons de traiter cette recherche par l’analyse des éléments du contexte à

travers le fonctionnement de l’établissement, le contexte européen des demandeurs

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d’asile, avec un effet de loupe sur la pression des autorités françaises et

incontournablement la loi sur les étrangers.

Pour lire cette réalité, il est nécessaire de s’appuyer sur des théories et de rechercher les

concepts auxquels font référence les difficultés annoncées, trois niveaux de concept se

dégagent : le niveau professionnel pour l’insertion et l’intégration ; le niveau sociologique

pour l’aspect culturel ; et le dernier niveau de dimension psychologique et sociale pour la

compétence et l’identité professionnelle.

Une enquête sur le terrain, auprès des professionnels du CHRS permet d’identifier leurs

difficultés à adapter leurs méthodes à ce nouveau public. Cette enquête prend la forme

d’une Mission dont le commanditaire est le directeur de l’établissement.

Il s’agit lors de cette mission de permettre l’expression des professionnels sur les

difficultés qu’ils éprouvent à adapter leurs méthodes à un nouveau public et recueillir,

organiser les données d’un nouveau champ de compétences pour lequel le CHRS devra

mettre en œuvre un plan de formation. Cette étude suppose de mesurer à partir de cette

expression les réels écarts entre le profil actuel du personnel éducatif et celui d’un

personnel adapté à la demande du public des migrants.

Les choix pour cette expression doivent tenir compte de la fragilisation des salariés, des

caractéristiques de la profession des éducateurs et permettre la valorisation de la

recherche de nouveaux axes de travail.

Le compte rendu final doit se présenter sous la forme d’un rapport faisant figurer par

thématique les compétences actuelles, les difficultés dans les différents registres, les

nouvelles compétences telles que l’équipe éducative les manifeste. Cette présentation

doit permettre une lecture par priorité des besoins en formation du personnel. Le choix

managérial de la direction est d’exposer dans un second temps le rapport au personnel.

Pour compléter la recherche des entretiens avec des spécialistes de l’accueil des

demandeurs d’asile, (Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile) alimentent une

comparaison des compétences pratiquées dans le cadre de l’insertion (pour les CHRS)

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avec celles nécessaires à l’accompagnement d’une démarche d’intégration (pour les

CADA)

Ces explorations sur le terrain permettent la vérification des hypothèses par une

investigation complémentaire (fichiers, dossiers des résidants, entretiens) et affinent les

résultats qui seront proposés sous forme de tableaux démonstratifs à lecture directe

avec commentaires.

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1. THEORIE

1.1 CONTEXTE DE L’ETUDE

1.1.1 Un établissement d’accueil à vocation d’insertion

Le Centre d’Hébergement et Réinsertion Sociale, géré par le Centre Communal

d’Action Sociale de la ville de Saint Lô (Manche), est agréé pour 27 places et fonctionne

24h/24. La prise en charge des familles est limitée à 6 mois.

1.1.2 Un public en rupture grave

Si la population accueillie n’est pas homogène, quelques traits caractéristiques se

dégagent :

Expérience fréquente de la violence en couple avec ou sans alcoolisme.

Les abus sexuels et incestes sont fréquents

Difficultés de se projeter dans l’avenir pour eux-mêmes et leurs enfants

Le niveau socio culturel est faible

Aucune expérience d’une vie collective de qualité

Niveau scolaire faible et absence de formation professionnelle

Les raisons principales des accueils d’urgence sont le plus souvent liées à la rupture de

vie conjugale dans un contexte de violence. Les familles programment fréquemment un

séjour en utilisant le CHRS comme ultime rempart à un placement de leurs enfants pour

mauvais traitements ou défaut de soins.

Les familles sont accueillies dans des appartements autonomes répartis dans différents

quartiers de la ville.

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1.1.3 Une mission générale pour des situations complexes

Au delà de sa fonction d’accueil, d’hébergement et de réinsertion, le CHRS est au coeur

de la lutte contre la pauvreté et de l’exclusion. Il est le maillon complémentaire qui

permettra l’accueil et l’orientation des familles en situation de détresse ou nécessitant

un accueil d’urgence. Ces missions d’accueil, d’orientation et d’insertion sont liées et se

complètent.

Le CHRS est un outil d’insertion qui permet aux familles accueillies d’accéder ou de

retrouver une autonomie en facilitant l’accès aux droits fondamentaux :

l’habitat

les soins

l’accès à la formation, à l’emploi, à la culture

la scolarisation des enfants, accueil en crèche ou halte-garderie, centre de loisirs...

Le CHRS gère également le 115 numéro vert d’accueil, d’orientation, et d’information

des sans abris de la Manche ainsi qu’un point rencontre pour l’exercice du droit de

visite sécurisé des parents séparés ou divorcés. Cette dernière mission est sous l’égide

du juge des affaires familiales.

Il apporte une réponse adaptée à chaque situation de détresse sociale. Le CHRS inscrit

son action en complémentarité avec d’autres partenaires sociaux par :

une articulation étroite avec l’ensemble des dispositifs concourant à l’insertion dans la vie sociale (ANPE, mission locale, Centre de formation..)

une participation aux différentes instances mises en place dans le cadre des grandes lois sociales (Revenu Minimum d’Insertion, Commission Locale d’Insertion, Fonds Solidarité logement)

une participation à une politique de prévention afin d’éviter les phénomènes de

répétitions. Un relais est prévu avec les travailleurs sociaux du secteur à la sortie

du CHRS

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1.1.4 Un personnel spécialisé et un travail d’équipe

Le personnel regroupé au sein d’une équipe éducative se compose de tous les profils

classiques des travailleurs sociaux encadrés par un chef de service éducatif et un

directeur et un adjoint de direction :

4 Educateurs spécialisés

2 conseillères en économie sociale et familiale

2 moniteurs éducateurs

3 veilleuses de nuit

1 agent technique

1 psychologue

1 médecin

La complexité des problématiques des résidants suppose des qualités d’analyse et de

synthèse qui s’expriment grâce à la méthode du travail en équipe. Celle-ci permet à

chacun des intervenants d’apporter sa contribution à la compréhension des difficultés des

personnes accueillies à partir de son angle de vue au sein de la structure et de sa

formation.

Le projet tel qu’il est développé au CHRS s’appuie sur des valeurs démocratiques,

d’éthique professionnelle, et celles liées aux personnes. Il s’ensuit une charte qui

témoigne en même temps de la rigueur souhaitée et du souci de professionnalisation.

1.1.5 Des méthodes adaptées aux publics en difficulté sociales

La grande mission du CHRS est l’insertion et la réadaptation d’un public en perte de

repères ou en absence de normes sociales ordinaires. Pour ce faire, les travailleurs

sociaux et médico-sociaux s’appuient sur des analyses issues de la sociologie classique

(de Durkeim à Maslow) en expliquant les comportements en référence à des classes

sociales et culturelles et en accompagnant les personnes qui sont en rupture

momentanée ou durable avec les règles de leur groupe (le concept d’anomie est très

utilisé par les professionnels de la structure). Un autre angle d’attaque est fourni par le

personnel éducatif par le biais de l’accompagnement individuel qui trouve sa source dans

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l’histoire personnelle et quelquefois intime de l’usager. Son comportement est expliqué et

analysé en fonction de cette histoire. L’accompagnement peut être de la simple prise de

conscience du résidant à l’engagement d’un soin psychothérapique.

Le travail éducatif s’organise autour des deux idées suivantes :

un individu est constitué des règles du groupe social dans lequel il s’est construit au travers de scénarios socioculturels qui se sont sédimentés, l’insertion idéale témoigne d’un passage harmonieux de l’individu dans ces différents scénarios.

Au sein de ces groupes sociaux, l’individu a un parcours, une histoire personnelle basée sur l’interaction des relations qu’il a nouées et qui ont fait ce qu’il est aujourd’hui. Ce parcours est souvent semé d’embûches de malaises, de blessures qui ont perturbé la personne de manière durable et qui l’empêche d’avoir un comportement équilibré dans la vie d’aujourd’hui

L’offre du CHRS s’inspire de ces deux lectures de l’insertion en proposant aux résidants

la possibilité d’expérimenter des scénarios socioculturels structurants et parallèlement de

faire le point leur propre implication dans les raisons de leur problématique actuelle.

Offre d’une vie collective de qualité, jusqu’à l’expérimentation de la démocratie (être

tour à tour le représentant d’un groupe, ou bien évoluer dans un groupe qui a une

représentation : conseil de vie sociale, loi du 2 janvier 2002)

Offre d’un parcours individualisé qui va du réapprentissage des savoirs de base

jusqu’à l’engagement d’une relation suivie avec un psychologue

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1.1.6 L’immigration bouscule l’Europe1

Le13/06/2002 à Luxembourg les ministres de l'intérieur des Quinze réunis sur

l'immigration clandestine et le contrôle aux frontières ont présenté un plan "concret",

sur les bases d'une étude effectuée par l'Italie. Ce texte doit servir de base de

discussions pour les Sommets prochains, qui réuniront les Chefs d'Etat et de

gouvernement de l'Union européenne. Parmi les propositions faites : une police

européenne des frontières (proposition non acceptée par les pays du Nord, notamment

la Suède). D'autres mesures concernent les pays d’origine. Faut-il sanctionner les pays

non coopératifs ou aider les pays enclins à coopérer? La France et la Suède sont

contre des sanctions alors que l'Espagne et l'Italie y sont favorables. David Plunkett, le

ministre de l'intérieur britannique a précisé qu'il ne s'agissait pas de construire "une

forteresse européenne". Le marché du travail en Europe resterait ouvert aux immigrants

en règle et aux demandeurs d'asile. Par ailleurs, Antonio Vitorino, Commissaire

européen aux affaires intérieures, a souligné : "Nous devons renforcer le principe de

solidarité et de partage du fardeau". Ainsi une aide sera versée aux pays directement

touchés par l'afflux d'immigrés, l'Italie, l'Espagne et la Grèce.

1.1.7 La politique de l’Etat

En France la loi « Sarkosy » sur l’immigration (Loi N° 2003-1119 du 26 novembre 2003)

vise à lutter contre l’immigration clandestine, cette loi rend l’accès au territoire français

et l’obtention des titres de séjour plus difficiles pour les étrangers non communautaires.

Quelques aspects de cette loi2 :

Pour obtenir un visa, les candidats au séjour en France doivent désormais fournir une

attestation d’accueil, contracter pour certaine une assurance médicale et déposer dans

un fichier leurs empreintes digitales ainsi qu’une photographie.

Le champ du délit d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour des étrangers est étendu

afin de lutter plus efficacement contre les filières de trafic de clandestins.

1 Titre emprunté à Jean-Christophe PLOQUIN

2 Actualités Sociales Hebdomadaires n° 2336 du 5/12/2003

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Elle restreint l’accès au statut de résident. Elle durcit les conditions de délivrance de

plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale »

ainsi que les conditions d’obtention d’un titre de séjour pour les membres d’une famille

venus rejoindre, au titre du regroupement familial, un étranger résidant en situation

régulière.

Les mariages blancs et les reconnaissances de paternité de complaisance préoccupent

particulièrement le gouvernement : la législation est modifiée afin d’encadrer plus

strictement la délivrance d’un titre de séjour aux étrangers mariés à un Français ou

parents d’enfants français.

Autre cible, le travail illégal : plusieurs mesures sont prévues à l’encontre des

employeurs mais aussi des travailleurs étrangers qui pourront être expulsés.

Cette loi apporte également quelques retouches au droit de nationalité afin de tenir

compte de la notion d’intégration.

Elle réforme la double peine - pratique qui rend possible l’éloignement d’un étranger qui

a purgé sa peine de prison sur le territoire français -, allonge la durée de rétention

administrative et aménage le dispositif de zone d’attente.

En action sociale classique la bonne volonté et la capacité de l’usager sont

déterminantes pour que son insertion soit réussie. Tous les dispositifs sont opérants à

cette condition. Dans le cas de la politique d’accueil des demandeurs d’asile, c’est le

contexte juridique et règlementaire qui crée l’incertitude de l’intégration quand bien

même le migrant et le professionnel qui l’accompagne mettent tout en œuvre pour la

faciliter. Il s’ensuit des incompréhensions des travailleurs sociaux qui remettent en

cause le sens du travail et l’identité professionnelle.

1.1.8 L’immigration dans la Manche, une pratique récente

Il y a environ 4 ans la préfecture sollicite la ville pour l’accueil de demandeurs d’asile.

Dans les mois qui suivent sur la logique communale d’un accueil attentif et décent le

CCAS multiplie , à la demande de l’état, les logements et autres chambres d’hôtel. Dans

ce dispositif les premiers logements occupés sont les logements du CHRS. Puis très vite,

sur les effets de filières, le dispositif se développe jusqu'à l’accueil et l’hébergement, tous

dispositifs confondus, de 120 migrants pour une ville de 21 000 habitants. Très

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rapidement alors le Maire de la commune saisit les autorités en sollicitant une solidarité

des communes du département. La réponse des autorités préfectorales se construit sur

l’injonction nationale de mise en place d’un CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs

d’Asile) par département. A cette époque, seuls trois départements dont le notre, ne

disposent pas d’un CADA.

L’association France Terre d’Asile ouvre un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile

(CADA) à Saint Lô (Manche) le 7 avril 2003. Il s’agit d’une structure éclatée de 90 places

réparties dans le département.

En 2003, le nombre d’entrées est de 78 pour 10 sorties.

Le taux d’occupation est de 75 %.

En 2004 le nombre d’entrées est de 62 pour 42 sorties

Le taux d’occupation de 98 % témoigne d’une activité pleine et continue de cette

structure

Après avoir dressé les éléments de compréhension du contexte et pour mieux aborder la

commande institutionnelle développée notamment dans la mission il est utile de

s’interroger sur les écoles de pensée qui constituent la référence du personnel éducatif et

celles qui fondent les théories de l’intégration. Dans le chapitre qui suit nous chercherons

à comprendre aussi la mécanique des compétences individuelles et collectives et la

construction des référentiels. S’agissant d’un nouveau public d’étrangers l’étude du

concept d’identité culturelle apportera un éclairage à notre recherche et celle de l’identité

professionnelle permettra de comprendre l’impact du changement de public sur la valeur

de l’exercice de leur profession.

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1.2 LES CONCEPTS THEORIQUES DANS NOTRE RECHERCHE

Le travail d’ingénierie de formation commence par l’analyse du problème tel qu’il se

pose aux éducateurs et donc à l’établissement avant d’anticiper l’évolution des méthodes

et des compétences. Il s’agit d’étudier en premier lieu le contexte, de dégager et

d’identifier les besoins. FIGARI 3 nous éclaire dans cette démarche par une proposition

méthodologique de mise en place d’une offre globalisée d’ingénierie de formation qui

tienne compte de tous ces paramètres. Il schématise l’ingénierie de formation autour de

trois items. Seul le premier, « l’induit », sera développé dans cette partie du travail de

recherche. Les trois items sont les suivants :

1. « l’induit »

L’induit, premier item du dispositif de FIGARI consiste à cerner le contexte, il s’agit ici

de fixer notamment les origines de la formation :

Diagnostic des composantes du contexte et évolution des problématiques soulevées par le nouveau public.

détermination des caractéristiques sociologiques et économiques du contexte

identification des acteurs, nature de leur mandat

La nature des enjeux pour les acteurs et l’établissement lui-même

2. « le construit »

Deuxième item : il s’agit des processus d’élaboration de la formation, le projet

d’organisation, les modalités de choix des stratégies et des méthodes. Ici se situe le cœur

du processus d’ingénierie avec la programmation de la formation.

3 FIGARI

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3. « le produit »

Le troisième item constitue les performances : il s’agit des productions, des résultats

obtenus, des effets produits par la formation.

FIGARI propose le schéma suivant :

CONSTRUIT

INDUIT PRODUIT

Dans le respect du schéma de FIGARI nous plaçons notre réflexion dans la phase de

l’induit qui consiste à étudier le contexte. En l’occurrence, l’inadaptation des

compétences et des savoirs faire en matière d’intégration/insertion, la détermination des

caractéristiques de la demande d’asile, la mission des professionnels et la nature des

enjeux , constituent ici le contexte.

Nous pouvons examiner à partir du terrain quelques éléments de description du contexte

Les théories du couple insertion/intégration ont eu, à cause de la crise économique, une

traduction étroite. L’insertion est devenue autant un stigmate qu’un processus positif, un

identifiant permanent qu’un état temporaire. La société européenne découvre l’insertion

des migrants et se surprend à calquer ses théories de l’intégration, ses analyses et ses

pratiques sur celles de l’insertion sociale. L’attention sera portée dans cette recherche

conceptuelle au repositionnement des écoles de pensée par rapport à ces publics

distincts que sont d’un côté les « exclus » et de l’autre les migrants en voie d’intégration.

Parmi les nombreux angles d’attaque que propose l’insertion, il a été résolument choisi le

champ de l’analyse des comportements des groupes et par voie de conséquence

l’approfondissement du concept d’exclusion et d’anomie. L’équipe éducative du CHRS

est formée également à l’analyse psychologique des comportements. Les pratiques

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éducatives recherchent ce qui dans l’histoire intime de l’usager peut-être décrypté pour

apporter à celui-ci des éléments de réponse à ce qui l’a conduit à sa situation du moment.

Cette façon de voir met l’usager en position forte d’être responsable de ce qui lui arrive

sans considération de l’environnement socioéconomique. Cela suppose une sorte de

consensus non éclairé sur ce qu’est l’insertion et son revers l’exclusion. Cette attitude

professionnelle de l’équipe éducative n’est pas acceptée par le public des demandeurs

d’asile dont les raisons de migration sont évidemment moins individuelles que

socioéconomiques et politiques. La lecture de leur comportement sur les raisons de leur

départ n’est pas à chercher dans une histoire individuelle au sens ou la psychologie le fait

habituellement. L’équipe, consciente de son décalage méthodologique souhaite revenir

sur une logique d’étude qui lui permette de comparer les différents publics.

Conformément à l’induit de FiGARI, nous poussons donc l’analyse des savoirs faire en

examinant leurs sources théoriques. Il est alors choisi de reprendre les sources de la

sociologie et de repartir du concept d’exclusion sociale

1.2.1 LE CONCEPT D’EXCLUSION - le couple exclusion/insertion –

L’insertion est une notion qui se définit en creux. Autrement dit c’est la réponse

méthodologique et organisationnelle au concept de l’exclusion. Comme nous l’avons dit

plus haut la tendance de l’équipe éducative est de rechercher au sein de l’individu lui-

même les raisons qui ont provoqué son involution. Ce faisant on constate la négation

des causes structurelles de l’exclusion. Nous avons choisi de nous appuyer d’abord sur la

dimension apportée par l’anomie définie par DURKHEIM pour commencer à dresser le

panorama théorique des mécanismes de l’exclusion. Nous enrichissons ensuite nos

références de trois autres dimensions apportées par CASTEL avec le processus de

désaffiliation. PAUGAM définit pour sa part l’exclusion comme une disqualification

sociale. DUBET enfin rapproche l’exclusion d’une désorganisation sociale. Nous

vérifierons auprès du public traditionnel du CHRS, à partir d’indicateurs, la pertinence de

cet angle de vue sociologique.

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1.2.1.1 L’anomie

DURKHEIM a bien montré comment le changement rapide entraînait ce qu'il a appelé

l'anomie, cette étrange désorganisation sociale pour le groupe et psychique pour

l'individu. Le concept d’anomie forgé par Durkheim est un des plus importants de la

théorie sociologique. C’est de nos jours celui qui caractérise le mieux la situation où se

trouvent les individus lorsque les règles sociales qui guident leurs conduites et leurs

aspirations perdent leur pouvoir, sont incompatibles entre elles ou, lorsque minées par les

changements sociaux, elles doivent céder la place à d’autres. DURKEIM a montré que

l’affaiblissement des règles imposées par la société aux individus a pour conséquence

d’augmenter l’insatisfaction et, comme diront plus tard THOMAS et ZNANIECKI, dans un

travail auquel nous ferons référence aussi dans le concept d’intégration, la

“démoralisation” de l’individu. La théorie de l’anomie paraît d’importance fondamentale à

une époque qui, comme la nôtre, est caractérisée par des changements rapides : rupture

d’emploi, expulsion du logement, aléa de santé, de couple… En effet, le changement

implique le vieillissement des règles de conduite traditionnelles en même temps que

l’existence dans les phases de transition, de systèmes de règles mal établies ou

contradictoires. Dans une population comme celle du CHRS les individus voient leurs

capacités d’adaptation amoindries. Les personnes ont des comportements paradoxaux.

Leur conduite est selon les cas chaotique ou leur comportement est emprunt de rigidité.

Dans les deux cas, c’est l’inadaptation et l’exclusion.

Les indicateurs

Nous vérifierons auprès de l’équipe éducative, l’apparition de ces symptômes de rupture

du public accueilli, notamment le relâchement des normes sociales

Comportements chaotiques : alcool, violence, décohabitation familiale, rupture du couple, attitudes actives de retrait social, transgression des règles morales et des usages.

Comportements rigides : intolérance, règles éducatives outrancières, révolte, xénophobie…

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1.2.1.2 La désaffiliation sociale – causes socioéconomiques –

Castel 4 au-delà de cette notion générique qu’est l’anomie, apporte son éclairage à

l’exclusion. Son processus de désaffiliation décrit, identifie les causes socioéconomiques

de l’exclusion, déclin des institutions, crise de l’emploi, défaillance des réseaux de

sociabilité. Il instrumentalise la réponse en schématisant les actions préventives et les

actions réparatrices. La réversibilité de l’exclusion se dessine.

Indicateurs

Seront recherchés ici, tous les signes témoignant d’un contexte socioéconomique négatif

déterminant pour la situation des personnes accueillies.

Echec scolaire récurant,

défaut de couverture sociale et médicale,

multiplication des périodes de chômage,

rupture avec le milieu familial,

absence de vie collective, relations amicales pauvres

1.2.1.3 La disqualification sociale – statut d’assisté –

PAUGAM 5 dans son analyse insiste sur le discrédit de ceux dont on peut dire qu'ils ne

participent pas pleinement à la vie sociale. Il s'intéresse à ceux reconnus comme pauvres

par la société et non à l'ensemble des populations défavorisées. Il va privilégier l'analyse

de la relation entre les assistés et les travailleurs sociaux. Cette relation revêt différents

aspects :

le recours à l'assistance est une épreuve humiliante et dégradante. Le statut d'assisté

est donc dévalorisé.

4 CASTEL , «De l’indigence à l’exclusion, la désaffiliation. Précarité du travail et vulnérabilité relationnelle.», dans DONZELOT,

(dir.), Face à l’exclusion. Le modèle français, Paris, Éditions Esprit, 1991, 137-168 p.

5 PAUGAM « L'exclusion : l'état des savoirs », sous la direction de Serge Paugam »

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l'identité sociale de l'assisté est malmenée ; il fait l'objet d'un processus d'étiquetage

(GOFFMAN) : désigné publiquement comme appartenant à .... il fait aussi l'objet d'un

processus de dégradation statutaire : se prêter à des formalités dégradantes (faire la

preuve de sa pauvreté.)

Ce processus de disqualification sociale s'organise selon PAUGAM en 3 phases :

1. « les fragiles » : ils bénéficient d'une intervention ponctuelle car leurs difficultés

sont d'ordre économique.

2. « les assistés » : ils font l'objet d'un suivi social régulier car leurs difficultés sont

plus importantes.

3. « les marginaux » : ils se situent à l'écart du dispositif officiel d'assistance =

rupture du lien social

Indicateurs

Nous rechercherons sous cet item tous les signes d’appartenance des individus aux

systèmes de solidarité, d’assistance et d’économie solidaire

utilisation des systèmes de solidarité (revenu minimum d’insertion, resto du cœur…)

fréquentation exclusive des discounts alimentaires

recours aux vestiaires associatifs

revenus sociaux

1.2.1.4 La désorganisation sociale – l’absence de projet de vie-

DUBET 6 décrit l’exclusion en terme de la désorganisation sociale qu’il définit comme une

baisse de l'influence des règles sociales de conduite existantes sur les membres du

groupe. Dans ce cas, l'individu devient démoralisé et incapable de définir un projet de vie

(démoralisation) : les adultes sont désorganisés par suite de l'effondrement des règles de

6 DUBET Les inégalités multipliées, Editions de l'Aube, 2001. L'hypocrisie scolaire. Pour un collège enfin

démocratique (avec Marie Duru-Bellat), Seuil, 2000

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conduite et les enfants sont amoraux en l'absence de règles de conduite socialement

sanctionnées.

Indicateurs

Absence de projets pour l’individu et sa famille

Aucune projection dans l’avenir pour les enfants

Amoralité des enfants

Apparition de signes forts de démoralisation

Perte des repères sociaux

1.2.2 CONCEPT D’INTEGRATION

L’intégration se présente moins comme un concept qu’un processus relatif à une histoire

de vie qui conduit un individu étranger à se fondre le moins mal et le plus vite possible à

une culture et une société qui n’est pas la sienne. Sur cette simple définition de bon sens

et non scientifique on remarque aisément que le processus ainsi décrit est très éloigné de

l’insertion sociale. Si les exclus et les migrants ont en commun de ne pas avoir de

ressources, de logement, d’emploi cela ne suffit pas à conclure que les difficultés, les

capacité les ressources individuelles et les dynamiques collectives soient les mêmes.

Nous avons choisi de nous appuyer dans cette étude sur les deux aspects de

l’intégration que sont l’acculturation et l’assimilation.

L’intégration est considérée dans la majorité des littératures en sociologie de la migration

comme un processus par lequel les individus et les groupes d’une société accèdent aux

ressources économiques, culturelles, sociales et politiques de cette dernière, sans

nécessairement renoncer aux cultures et aux valeurs de leurs pays d’origine. Selon

WINDISCH 7 « il n’y a pas de politique d’intégration des migrants sans politique

simultanée d’intégration nationale : c’est un esprit d’accueil de la part des uns et une

volonté d’adaptation de la part des autres. » Pour OBIN et OBIN-COULON l’intégration se

7 WINDISCH. 2000, « immigration. Quelle intégration et quels droits politiques ? Page 49/52 Lausanne Edition l’age d’homme

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développe selon 2 dimensions. La première recouvre « la participation à des structures

contraignantes (activité professionnelles, institutions politiques et sociales) et l’adoption

de normes communes »8. La seconde prend la forme « du développement d’un sentiment

d’appartenance à une même communauté » 9

1.2.2.1 L’acculturation

En effet, du point de vue de la psychologie sociale, l’intégration ou l’acculturation

désigne le processus par lequel un individu fait l’apprentissage et intériorise les valeurs et

les normes du milieu auquel il appartient. Ce milieu influence de ce fait ses manières de

penser et d’agir. Vu sous cet angle, l’acculturation ne se différencie pas du terme de

socialisation. Les individus sont adaptés à leur société et à leur culture ; ils sont

" socialisés " ou pour mieux dire " acculturés ". Il y a dès lors un a priori capacitaire des

migrants qui possèdent les qualités pour s’intégrer contrairement à l’usager national exclu

dépourvu de ces mêmes capacités. Cette différence constitue donc le tournant de notre

recherche. Au CHRS, c’est bien ces deux populations qui sont reçues. Des auteurs

comme CAMILLERI 10 ou COHEN-EMERIQUE nous livrent une vision moderne du

rapport entre les cultures en définissant « l’expérience inter culturelle comme étant

susceptible d’inverser les rapports entre individus et cultures ». Les immigrés doivent

faire face aux angoisses provoquées par les écarts entre leur culture d’origine et la

culture du pays d’installation. C’est ici que se construit alors la nouvelle place des

professionnels du CHRS Toujours selon CAMILLERI, « si le projet d’immigration est vécu

comme « provisoire », l’immigré se contentera d’adapter au minimum son comportement

exigé par la vie publique tout en étant en contradiction avec son identité réelle. En

revanche, si le projet est vécu comme « irréversible », l’individu cherchera à réduire

l’angoisse créée par sa situation en articulant les normes et les valeurs de son milieu

d’origine à celles de la culture d’accueil afin d’établir des relations et de s’impliquer dans

la société d’installation »

8 OBIN , OBIN-COULON Immigration et intégration. Hachette éducation, 1999. (Questions d'éducation) ISBN : 2-

01-170611-4

9 Ibid. note 5

10.CAMILLERI « stratégies identitaires » 1990, PUF .Choc des cultures CAMILLERI .COHEN-EMERIQUE 1990 L’harmattan

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Indicateurs

Recherche des atouts culturels mis en œuvre par le migrant

Acquisition du langage

Aptitude technique et échanges de services

Connaissances mises en œuvre et formation

Modèle familial

Comportements sociaux

D’un tout autre point de vue, l’anthropologie culturelle a largement contribué à une

meilleure compréhension du processus qui consiste, pour un individu ou un groupe

n’ayant pas la même culture que la culture dominante (celle de la société d’accueil) à

s’adapter à ce nouveau milieu. D’une certaine manière l’anthropologie culturelle constitue

l’introduction des références théoriques de l’acculturation. Une question cependant

apparaît comme centrale dans le débat théorique consacré aux processus d'acculturation

notamment celui de la direction du processus (uni ou bidirectionnel). Concernant cette

question, on peut considérer qu'un large consensus existe sur l'idée de la bi-directionalité

du processus d’intégration (c’est l’immigrant qui s’intègre et la société d’accueil qui

intègre). On comprend aisément que s’agissant du CHRS la bidirectionnalité est l’enjeu

majeur posé par notre thème de recherche c’est bien aussi la question des

représentation mentales, les phénomènes de rejet, l’adaptation des méthodes et donc la

bidirectionnalité des processus qui est l’objet de notre étude

Indicateurs

Les représentations mentales, c'est-à-dire l’idée que l’on se fait du migrant sans

rapport avec la réalité. Exemple : le migrant est pauvre malade et inculte

Les phénomènes de rejet et d’incompréhension souvent liés à la concurrence

déloyale provoquée par le demandeur d’asile supposé prendre la place des nationaux

Le point de vue de la sociologie / anthropologie sociale : L’analyse du processus

d’acculturation doit être replacée à ce niveau que Roger Bastide appelle " les cadres

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sociaux de l’acculturation ". Bastide11 développe une vision optimiste et dynamique de

l’acculturation. En effet, « l’acculturation ne produit pas comme l’exclusion des êtres

décalés, hybrides et marginaux dans la mesure où les immigrés, grâce au " principe de

coupure " peuvent tirer parti de la complexité du système social et culturel pour s’inscrire

dans un processus de reconstruction culturelle. L’’univers social est scindé en

" compartiments étanches " dans lesquels ils s’engagent sans que ces " participations "

d’ordres différents ne leur apparaissent contradictoires. Ce mécanisme de coupure

singularise l’intégration et l’oppose à l’insertion dans notre recherche.

Le point de vue de la sociologie française : Selon SCHNAPPER 12 « L’idée

d’intégration n’implique pas pour autant celle d’harmonie ni d’égalité dans la participation

des divers groupes, elle signifie que la nation devient l’instance de régulation des

inégalités, des rivalités et conflits intérieurs ». La nation est un processus d’intégration de

populations diverses qui n’est jamais complètement achevée. L’unité culturelle et l’unité

nationale ne peuvent jamais se confondre totalement. » SCHNAPPER propose deux

notions à retenir : « l’éducabilité et la socialisation » : elles englobent la capacité des

hommes à acquérir par l’éducation – au sens large du terme – les moyens de participer à

la vie commune et nationale. L’école joue un rôle fondamental de formation des citoyens.

« L’homogénéité culturelle n’a jamais suffi pour constituer une nation ; l’important c’est

que les citoyens partagent l’idée qu’il existe un domaine politique indépendant des

intérêts particuliers et qu’ils doivent respecter les règles de son fonctionnement. »13

Indicateurs

Participation associative comme usager, comme bénévole

11 Bastide, Acculturation, In : Encyclopedia Universalis, vol.1, pp.114-119

12 SCHNAPPER , la France de l’intégration : sociologie de la nation en 1990. Gallimard, 1991. 374 p. (Bibliothèque des sciences humaines)

13 SCHNAPPER « La communauté des citoyens » Paris, Gallimard nrf essais, 1994

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Participation aux formations

Insertion dans l’école

1.2.2.2 L’assimilation

Cette thématique est fondamentale pour aborder la problématique telle qu’elle se définit

au CHRS. En effet une mauvaise connaissance des mécanismes de l’intégration conduit

au quotidien à penser par exemple que la naturalisation est forcément l’objectif du

migrant. Dans ce cas le risque d’adopter un comportement « assimilateur » est d’autant

plus fort.

L’assimilation constitue la dernière phase du processus d’acculturation. L’assimilation est

alors la disparition de la culture d’origine, qui accepte intégralement les valeurs de la

culture du milieu d’accueil, ce qui se produit en général dans le cas des immigrés de la

2ème génération mais qui ne se produit jamais de manière complète.

Du point de vue de l'École de Chicago, la 1ère étape du processus consiste dans la

reconstruction d'un nouveau « groupe ethnique » original par les immigrants, par le

développement des sociabilités locales vigoureuses, groupe qui va jouer paradoxalement

un rôle décisif de médiation pour l'adaptation des immigrés à leur nouvel environnement.

Le processus d'assimilation se découpe ensuite en 4 étapes, définies par Park et

Burgess 14 :

la rivalité (concurrence)

le conflit (prise de conscience de la rivalité)

l'adaptation (ajustement des individus et du groupe aux situations sociales créées par le

conflit)

l’assimilation (par laquelle s’opère la fusion entre l’individu ou le groupe et la société

d’accueil ; par laquelle " des individus et des groupes acquièrent les souvenirs, les sentiments

et les attitudes d’autres individus et d’autres groupes et, en partageant leur expérience et leur

histoire, sont associés à eux dans une vie culturelle commune ").

14

Cité dans « l’école de Chicago » Alain COULON que sais-je 1992

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Compte tenu du caractère récent du phénomène de l’immigration massive des habitants

des pays de l’Europe de l’Est, les indicateurs d’assimilation ne pourront pas être relevés

sur cette population.

Indicateurs

Concurrence sur les emplois, l’attribution des aides, des logements

Organisation réactive des demandeurs d’asile au conflit avec les nationaux

Ces deux concepts exclusion d’une part et d’intégration d’autre part sont désormais la

base théorique de compétences connues et pratiquées pour les unes et pour les autres, à

découvrir, à instrumentaliser et à mettre en œuvre. Le chapitre qui suit et qui est

consacré à la compétence fait une présentation de ces « savoirs agir » comparés en

application des deux concepts.

1.2.3 LE CONCEPT DE COMPETENCES

De la compétence individuelle à la compétence collective du service.

La compétence est le résultat d’une mise en synergie des compétences individuelles et

des compétences des unités de travail, ainsi que de la mise en œuvre des moyens

nécessaires. Il s’agit de favoriser l’expression des compétences par l’organisation du

CHRS en :

facilitant l’échange et le partage,

définissant des objectifs précis porteurs de sens,

valorisant les résultats obtenus et l’implication des agents.

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Un plan de formation, et même une offre simple de formation n’ont

de sens que dans ce contexte. C’est donc le management du service, à tous les niveaux,

qui est concerné pour que cette compétence s’exprime et se développe. Dans cette

approche, deux éléments prennent toute leur importance, à savoir les ressources et

notamment celles relevant des savoirs et savoir-faire, ainsi que la mise en place d’une

organisation qui permet et facilite leur diffusion et leur appropriation au plan individuel et

collectif.

La combinaison de ces deux préoccupations conduit nécessairement à mettre en place

une réflexion et une action en termes de management des connaissances. La recherche

qui suit permet d’éclairer cet objectif.

Nous proposons ici quelques définitions de la compétence lorsque celle-ci s’organise

dans le savoir

Savoir mobiliser des connaissances et des qualités pour faire face à un problème

(MANDON)

« Une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des connaissances

acquises et qui se transforme avec d’autant plus de force que la diversité des

situations augmente »(ZARIFIAN Le modèle de la compétence, une démarche

inachevée 2004)

Un ensemble de connaissances, de capacité d’action et de comportements structurés

en fonction d’un but et dans un type de situations données (GILBERT et PARLIER

1992)

D’autres inspirations lorsque la compétence s’organise à partir de l’agir

Une disposition à agir (MINVIELLE et VACQUIN)

Savoir, savoir-faire, savoir être (DENNERY)

« La compétence constitue une valeur pour l’individu, et sa mise en œuvre crée elle-

même de la valeur au sein de l’entreprise » (PIOLLE « valoriser les compétences »

2002)

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Nous retenons enfin les travaux de LE BOTERF15, auteur incontournable dans le

domaine de la théorie de la compétence qui présente la vision la plus complète et la plus

avancée. Il propose :

Une définition du concept de compétence allant du savoir-faire au savoir agir en

situation

Une approche sur l’apprentissage par l’expérience (notion de transfert de

compétences)

Une démarche d’évaluation basée sur les performances, l’activité, la singularité

Des orientations pour définir la contribution spécifique de la formation au processus

de professionnalisation

Des pistes pour développer la compétence et la performance collectives à partir de la

coopération et de la synergie entre les compétences individuelles

Une clarification des relations entre compétences et qualification

LE BORTEF définit la compétence comme une résultante entre :

savoir agir (formation, apprentissage)

vouloir agir (reconnaissance, motivation),

pouvoir agir (organisation du travail)

« Le savoir agir » se décline pour l’insertion selon le référentiel de compétences qui suit.

Il a été choisi l’excellent référentiel Suisse qui fait autorité en la matière. Il en est livré ici

une partie volontairement édulcorée. Celui-ci est déjà validé par les formations de base

des éducateurs mais aussi par l’établissement.

Quelques extraits du référentiel de l’exclusion qui se présente comme une bonne

illustration du savoir agir selon LE BOTERF

Analyser les facteurs de désocialisation,

Créer les conditions préalables à des démarches de socialisation

Jouer un rôle facilitant la "mise en relation" avec la société civile

Assurer des "médiations socialisantes"

15

LE BOTERF ouvrage " Construire les compétences individuelles et collectives " (2000)

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Anticiper et prévenir les risques de tensions et de dérives

Faire face aux situations conflictuelles et violentes

Sortir et dépasser la crise

Quelques extraits du référentiel de l’intégration (France Terre d’Asile) qui illustre lui aussi

le concept de compétence comme « savoir agir ».

Accueillir et héberger dignement les demandeurs d’asile

Veiller au respect de droits des usagers

Assurer une prise en charge sociale adaptée

Fournir un accompagnement juridique qualifié

Assurer un suivi médical et sanitaire

Développer une animation adaptée

Assurer la scolarisation et développer la formation

Gérer le sorties et assurer les premières démarches d’insertion des réfugiés

Etre partenaire des acteurs institutionnels

Approche d’un référentiel commun exclusion/intégration

Organiser et accompagner :

des activités de la vie quotidienne

des activités liées au travail, à l’insertion professionnelle

des activités liées à l’intégration scolaire de la personne

les activités de loisirs sous leurs formes diverses

« Vouloir agir » : Les personnels éducatifs sont culturellement enclin à qualifier leur

action en qualifiant leur impact personnel sur leur public, en moralisant leur action en

terme d’éthique et en donnant une importance non négligeable au savoir être. Dans la

situation actuelle ils subissent cette déqualification et marchant ils expriment leur

motivation d’évoluer. Ce vouloir agir tel que le définit LE BOTERF est même ici une

expression collective des personnels éducatifs.

« Pouvoir agir » concerne l’organisation du travail comme validation des nouvelles

compétences et contexte de ce fait facilitateur de la nouvelle mission des éducateurs.

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Encore une fois c’est la combinaison des trois savoirs que décrit LE BOTERF qui met en

œuvre la compétence individuelle et collective.

BELLIER 16 enfin distingue cinq dimensions du savoir être : les qualités morales, le

caractère, les traits de personnalité, les goûts et intérêts, et le comportement. Le

management s’appuiera sur cet auteur pour valoriser dans le cadre des compétences

requises les caractéristiques de ce corps professionnel.

1.2.4 LE CONCEPT CULTUREL

Le multiculturalisme est un fait de la vie sociale : toute nation par définition est formée de

population diverse par leur culture, leur milieu social, leur religion. Le migrant en pays

d’accueil a une identité individuelle tout en étant au carrefour des cultures de la société

qui l’entoure. La différence culturelle peut être créatrice de richesse

L’équipe éducative présente comme un obstacle important la méconnaissance du public

des demandeurs d’asile. Il faut comprendre dans l’expression de cette difficulté que la

connaissance de la culture de l’autre est indispensable au travail en direction de ce public

: valeurs, histoire, us et coutumes, religion conditionnement politique…

Une histoire de valeurs

« L'appartenance à une culture se traduit ainsi par l'adhésion aux normes et valeurs de

cette culture. Selon Zavalloni17 les valeurs sont le point de rencontre entre l'individu et la

société, l'une des caractéristiques primordiales de l'identité étant qu'elle possède un

noyau central de valeurs difficilement amovibles qui sont la liaison essentielle entre

l'individu, sa culture et ses différents groupes d'appartenance. »

Une dynamique évolutive

16

BELLIER Sandra Thèse « le savoir-être dans l’entreprise » VUIBERT 1998 17

Zavalloni, Values, in H. Triandis and J. Berry (Eds.), Handbook of cross-cultural psychology , Allyn & Bacon, 1980.

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Selon, VINSONNEAU18, « l’identité des individus est une dynamique évolutive, elle donne

sens à son être en reliant passé, présent et futur. La culture agit sur les conceptions de

soi, estime de soi et présentation de soi. La culture donne donc forme à l’esprit. L’individu

n’est donc pas le seul créateur de lui-même, la culture est un élément essentiel de cette

création »

De nouvelles stratégies cognitives

Comme le note Camilleri19, « une culture fournit normalement à ses membres la

cohérence entre les besoins pragmatiques (négociation de l'influence sociale, acceptation

d'autrui,…) et ontologiques (idéal de soi, conservation de soi) de l'individu, elle ne remplit

plus aussi aisément ce rôle en cas de bouleversement social et culturel, lorsque la

migration, par exemple, apporte des modifications majeures entre les valeurs culturelles

existantes et des disparités qui appellent de nouvelles stratégies cognitives pour

réconcilier les codes culturels en présence. »

Ces trois auteurs ont en commun l’idée que la reconnaissance prévaut largement sur la

connaissance. Que la culture de l’autre n’est pas un capital de connaissances mais

valeur d’échange et de communication. Que la culture n’est pas statique mais dynamique

et que les disparités sont plus des moteurs que des handicaps pour l’adaptation des

migrants comme des éducateurs.

Indicateurs de connaissance culturelle :

Religion

Habitudes culinaires

Alimentation

Aménagement du logement qui reflète les habitudes et les pratiques sociales du pays

d’origine.

Rôle de chacun des membres au sein de la famille (rôle du père par ex)

18 VINSONNEAU Article Revue Sciences Humaines novembre 2000 "Socialisation et identité"

19

Camilleri, Sciences Humaines , numéro 15, Hors-série, décembre 96-janvier 97.

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Les indicateurs de disparités

Citoyenneté

Langue d’échange en France

Relations avec les administrations

Le conditionnement politique

Les valeurs d’échanges

1.2.5 CONCEPT D’IDENTITE PROFESSIONNELLE

Le personnel éducatif se trouve déstabilisé dans son identité professionnelle en raison de

l’accueil des demandeurs d’asile. Comme nous l’avons indiqué plus haut, leur formation

leur permet de prendre en charge un public défavorisé, en grande difficulté. Il se trouve

confronté désormais à un public de migrants qui a souvent un niveau de qualification égal

ou supérieur au sien. Les repères sont bousculés. Ce ne sont plus des déficits qu’il faut

traiter mais des différences.

Au travers de la rencontre avec le migrant se pose souvent la question de l'identité

professionnelle de l'éducateur, quel est son mandat, quelle est son action. Au-delà tout

simplement s’annonce l’interrogation de son identité personnelle.

Malgré soi, se constate alors, une manière d’entrer en réaction avec le migrant, la mise à

distance involontaire de l’autre en le maintenant à sa place d'autre manifestant ainsi

indélibérément sa différence. Cela se manifeste soit en développant sa propre altérité

par rapport à lui, soit en développant l'altérité de l'autre par rapport à soi. Ces attitudes

sont autant de symptômes de la perte d’identité professionnelle, et non pas le signe

d’une méthode professionnelle réfléchie.

Ce faisant, l’éducateur se met dans l'impossibilité d'entrer en relation avec le migrant, et

donc de l'aider. L'autre voie doit être celle plus noble de la rencontre avec l’autre comme

sujet à part entière que nous reconnaissons comme tel.

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L'individu construit son identité tout au long de sa vie. L'identité n'est pas acquise une fois

pour toutes. L'identité professionnelle se construit au jour le jour, dans les activités

quotidiennes de travail, dans des expériences et des savoirs partagés et transmis.

La problématique de l'identité professionnelle étudiée en particulier par DUBAR et

SAINSAULIEU, s'intéresse aux rapports établis par les individus avec leur activité et leur

organisation de travail, en ce qu'ils participent aux processus de structuration identitaire à

l'œuvre en chaque être humain.

Selon GOHIER et ALIN20 « L’identité professionnelle fait appel à la dimension

psychologique aussi bien que sociale de la personne. C’est l’individu qui élabore lui-

même son identité en contexte » « La construction de l’identité professionnelle repose sur

le développement de compétences qui permettent de maîtriser l’acte professionnel et sur

la reconnaissance par les autres de cette maîtrise »

COHEN –EMERIQUE et HOHL 21 constatent que « les difficultés des intervenants sont

souvent liées à une menace à leur identité professionnelle et personnelle. Comment

modifier cette image de l'autre et de soi afin d'être en capacité de poursuivre l'acte

professionnel »

BOUCHER22 nous indique : « On assiste à la transformation de l'action sociale et

culturelle. Dans le contexte actuel, la gestion des différences culturelles fait partie de

cette dynamique de recomposition de l'intervention sociale. »

L’identité professionnelle se définit dès lors comme un enjeu de tous les niveaux de

l’organisation. C'est-à-dire que l’organisation doit produire des dynamiques sociales de

reconnaissance des individus au travail. Celle-ci doit les conduire par exemple à se

20 Selon Gohier, et Alin (dir.) (2000). Enseignant-formateur : « la construction de l’identité professionnelle ».

Paris : L’Harmattan.

21

COHEN-EMERIQUE / HOHL Janine

Article : Education permanente, 150/2002 22

BOUCHER : Pour la revue du GREP, 173, mars 2002

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définir positivement aux yeux de leurs collègues et proches. La recherche collective, le

plan de formation, l’ingénierie sont autant de définitions de ces dynamiques.

Quatre modalités d’accès à la reconnaissance de soi et des autres sont définies dans

l’expérience contemporaine salariée.

L’appartenance à l’entreprise

La réalisation d’une œuvre individuelle ou surtout collective

La dynamique des trajectoires (le sentiment que la réussite de son parcours

professionnel se superpose à la qualité de l’homme)

La capacité à résister et son courage de dire non dans des situations jugées

dangereuses

Ce dernier concept est déterminant dans l’approche de la reconstruction du Centre

d’Hébergement et de Réinsertion Sociale L’identité professionnelle recomposée

apparaît comme un indicateur fort de toutes les phases de la réorganisation

Connaissance des nouvelles méthodes et théories qui se rattachent au nouveau

public des demandeurs d’asile : exclusion/intégration

Définition d’un nouveau référentiel de compétences

Reconnaissance culturelle du nouveau public

Rééquilibre de l’identité professionnelle des éducateurs

Ce dernier concept achève le panorama de notre ressource documentaire sur les

références théoriques et les écoles de pensée applicables à notre problématique de

ressources humaines. Nous pouvons orienter notre travail vers l’écriture de notre

problématique de recherche

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1.3 UNE PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE DYNAMIQUE

Comme nous l’avons décrit, l’afflux des demandeurs d’asile conjugué à la pression locale préfectorale a créé des conditions de contrainte institutionnelle et professionnelle du personnel. Le personnel est déstabilisé face à ce nouveau public de demandeurs d’asile et en recherche de solutions organisationnelles pour adapter la structure à l’accueil des migrants. Pour toutes ces raisons, la question qui se dessine au centre de la recherche est la suivante : Quels sont les freins à l’adaptation du personnel éducatif au nouveau public en termes de : Modification des postures théoriques Changement de comportements professionnels et des compétences , Evolution de l’identité professionnelle

Ceci nous amène à décrire la problématique de la manière qui suit :

Changement de population au CHRS.

En quoi la formation va-t-elle permettre au personnel éducatif de passer de compétences

au service de l’insertion

à l’intégration comme nouveau champ de référence professionnelle ?

Le 1er chapitre a permis de formaliser, riche d’un capital documentaire, notre

problématique de recherche. Il a été consacré à la recherche théorique, nous avons

démontré la singularité voire la forte distinction des concepts d’insertion et d’intégration.

Des auteurs comme LE BOTERF nous ont accompagné dans l’étude du concept de

compétences et d’autres nous ont permis d’étudier les conditions de rééquilibre de

l’identité professionnelle dans ce contexte de changement de public. Le second chapitre

sur la pratique va s’ouvrir sur l’expression de nos hypothèses et la vérification de celles-

ci. Nous allons les confronter aux professionnels eux-mêmes et les tamiser à la réalité du

terrain.

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La réalité du problème que nous soulevons est triple :

Dans le contexte actuel, les compétences en matière d’insertion ou d’intégration

sont-elles différenciées par les personnels éducatifs. Cet aspect mérite d’être

éclairci.

les spécificités culturelles des populations migrantes sont-elles prises en compte

dans le suivi éducatif. Notre étude doit s’attacher à mettre en relief et résoudre

cette difficulté.

Enfin, l’identité professionnelle du personnel de l’établissement n’est-elle pas

modifiée par l’arrivée de ce nouveau public des demandeurs d’asile.

Nous allons tenter lors du prochain chapitre d’élucider ces trois interrogations nées de

l’analyse du contexte

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PRATIQUE

Nous allons au gré de ce chapitre sur la pratique, affiner et décrire nos hypothèses de

recherche et les passer au filtre des pratiques professionnelles.

Rappelons tout d’abord que notre recherche repose sur une mission commanditée par

l’établissement. Les objectifs sont de permettre l’expression des personnels sur les

difficultés qu’ils éprouvent à adapter leurs méthodes. Le but est de recueillir et organiser

les données d’un nouveau champ de compétences pour lequel le CHRS devra mettre en

œuvre ultérieurement un plan de formation.

2.1 LES HYPOTHESES DE TRAVAIL

Pour entreprendre la recherche, nous devons nous interroger : quelles questions nous

posons-nous ? Qu’allons-nous vérifier sur le terrain ?

Insertion – intégration : avons-nous à faire à des concepts différents ?

Les professionnels du CHRS sont-ils bien formés à l’insertion ? à l’intégration ?

Les compétences sont-elles identiques pour ces théories?

Qu’apporte la connaissance culturelle des migrants ?

Quels impacts sur l’identité professionnelle du personnel éducatif ?

Pour traiter cette recherche, nous proposons d’étudier les hypothèses suivantes : 1. Les compétences du personnel éducatif sont différentes selon la démarche

d’insertion ou celle de l’intégration

2. La connaissance culturelle d’un public est indispensable à l’action auprès de celui-ci

3. Le changement de public modifie l’identité professionnelle du personnel éducatif

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2.2 LES ENJEUX DE LA MISSION

Pour le Directeur, l’enjeu de cette mission s’inscrit résolument dans une démarche de

management délicate où se joue l’adaptation du CHRS.

Le personnel exprime pour sa part un risque de déséquilibre entre la population

habituelle et les demandeurs d’asile qui est de nature à modifier l’entité du CHRS Pour

l’Etat, l’enjeu tient en peu de mots : le CHRS doit accueillir un nouveau public de

demandeurs d’asile et son personnel formé au travail social est censé être opérationnel

de suite. Pour les élus locaux, la politique de l’Etat entre en contradiction avec les

positions défendues par le Maire confronté aux sollicitations humanitaires et inquiet des

conséquences pour sa commune de l’afflux de ces nouvelles populations.

2.2.1 Le choix de la méthode

En application de notre recherche conceptuelle dans notre première partie, nous avons

repris la méthodologie enseignée par Gérard Figari qui schématise l’ingénierie de

formation en 3 items « l’induit – le construit – le produit ». Cette méthode donne un

cadre théorique au projet de la direction et à la commande formulée à mon égard.

«l’ induit » consiste à cerner le contexte du CHRS

Le diagnostic du contexte, l’expression des difficultés des personnels, le défaut

de connaissances, l’adaptation de leurs comportements, le bouleversement des

méthodes, la remise en cause de la déontologie…

La détermination des caractéristiques socio-économiques du contexte des

migrants : l’Europe, la loi Sarkosy, les institutions françaises, les dispositifs…

L’identification des acteurs que sont les éducateurs, avec l’évolution de leurs

mandats

La nature des enjeux pour les acteurs et pour l’établissement

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« Le construit »

Il s’agit ici

Des processus d’élaboration de la formation

Des projets d’organisation

Des modalités nouvelles de fonctionnement

Du recours à des méthodes diversifiées

« Le produit »

Ce troisième item constitue les performances :

Les productions obtenues

Les résultats produits

Les capacités supposées

Globalement la vérification des résultats produits par la formation

La commande de la direction est en corrélation directe avec le premier point de cette

méthode. Permettre au personnel d’exprimer les inquiétudes, les échecs, les

incertitudes. Mesurer avec lui, par une discussion appropriée, les déficits de

comportements professionnels et de méthodes. Enfin, restituer, pour validation, tous

ces matériaux, sous une forme organisée et thématique qui se prête à la construction

d’un plan de formation élaboré dans un second temps sous la conduite du directeur.

2.2.2 Le choix de l’outil

Un recueil de données par entretiens individuels auprès de l’équipe éducative a été

retenu pour trois raisons :

la petite taille de la structure ne permet pas le traitement statistique de grand nombre

la formation, la mentalité des éducateurs les rend rétifs aux questionnaires par

enquête

Il ne s’agit pas d’un simple recueil de données mais d’un mode d’expression du personnel sur ses difficultés.

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2.2.3 Le public visé

L’étude portera essentiellement sur le personnel éducatif en lien direct et

permanent avec les résidants.

2.2.4 Déroulement de la mission

Le travail d’ingénierie de formation commence par l’analyse du problème tel qu’il se pose

aux éducateurs et donc à l’établissement avant d’anticiper l’évolution des méthodes et

des compétences. Ce travail s’est construit sur l’étude du projet d’établissement, des

fiches de postes et des comptes rendus des journées institutionnelles conduites par la

direction sur l’évolution des pratiques. Il s’agit d’étudier en premier lieu le contexte du

travail éducatif, de dégager les méthodes utilisées, d’identifier les besoins des

résidants, les réponses aux sollicitations du public en deux étapes :

Observation du travail éducatif (exploitation documentaire du travail d’insertion

des publics en difficulté) pour validation du référentiel éducatif ; puis participation

à l’accueil et au suivi d’une famille avec l’éducateur référent

Entretiens avec les éducateurs (mesure des écarts entre les compétences

actuelles et celles attendues pour l’intégration des demandeurs d’asile)

2.2.5 Le travail éducatif au CHRS Villa Myriam

2.2.5.1 Phase d’observation (1ère Etape)

Il ressort de cette exploitation la présentation succincte du travail éducatif à partir d’une

organisation chronologique suivante :

Après un premier entretien d’admission, la famille est accueillie au CHRS par un

éducateur qui veille aux bonnes conditions d’installation de la famille. Cet accueil est

toujours une épreuve pour la famille. En effet, elle vient de quitter son domicile, ses

repères dans des conditions souvent difficiles (violence du conjoint, difficulté à fuir le

domicile avec ses enfants…) pour s’installer provisoirement dans un endroit inconnu. La

première étape du travail éducatif va être de sécuriser, de rassurer, la mère de famille

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45

mais aussi les enfants généralement perturbés ou choqués. Après cette première étape

de mise en confiance, l’éducateur va accompagner la résidante dans l’élaboration d’un

projet individualisé qui va permettre à la famille de retrouver son autonomie. Il s’agit de

l’accompagner en respectant son rythme, ses capacités. L’éducateur assure un rôle de

soutien, médiateur, écoute, conseil. Il ressort de cette étape une position valorisée de

l’éducateur qui aborde la famille sur un plan humain et chaleureux. Ce moment est

déterminant pour la mise en confiance et la levée des craintes de l’usager. La présence

de l’éducateur est vécue comme sécurité et réconfort.

Méthodologie utilisée au CHRS

1) L’entretien individuel

L’entretien individuel est pratiqué par l’éducateur référent de la famille. La relation

individuelle favorise l’expression des difficultés, des potentialités. Elle permet un meilleur

soutien, rend la personne acteur et responsable de son projet. Cet entretien individuel a

lieu une fois par semaine et permet de suivre l’évolution ou la réorientation du projet.

2) Les réunions à thème

Elles sont animées par les résidants avec l’aide de l’éducateur dans le but de permettre

au résidants de retrouver confiance en soi, faciliter l’expression orale, l’écoute, le respect

de l’autre tout en approfondissant le thème abordé : dangers domestiques, contraception,

citoyenneté, diététique etc….

3) Les ateliers

Les éducateurs utilisent également des supports techniques et animent plusieurs

activités

à l’intérieur de l’établissement : cuisine, esthétique, couture, activités manuelles, échanges de savoirs

à l’extérieur de l’établissement : inscription à des activités dans les maisons de

quartier, centre sociaux, sorties à la plage, visites de musées, soirée théâtre, cinéma …..

La pratique de ces activités permet :

a) L’épanouissement du résidant par :

L’expression personnelle,

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La découverte de ses possibilités,

La confiance en soi,

La valorisation de la personne,

L’amélioration de l’image de soi,

Le développement de la curiosité et le désir d’apprendre,

La responsabilisation

b) La socialisation par :

L’échange des expériences et points de vue,

La découverte de l’environnement et des institutions

La convivialité

Le respect des horaires, des exigences,

L’organisation de l’activité,

La gestion du temps,

Une connaissance de l’environnement.

c) L’acquisition de connaissances :

L’émergence du savoir faire,

L’information,

La transmission du savoir,

La confrontation des expériences

La découverte d’autres milieux

Ces ateliers permettent à l’éducateur d’observer :

Le comportement de la personne,

Son organisation,

Sa capacité à prendre des initiatives,

Ses compétences,

Ses limites, sa compréhension,

Les interactions qu’elle peut établir au sein d’un groupe

Son adaptation

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C’est un outil qui permet d’évaluer la capacité d’insertion professionnelle et sociale. Cette

observation est transmise à l’équipe lors de la réunion de synthèse hebdomadaire

4) Le travail en appartements

L’installation de la famille en appartement permet :

de reconstituer la cellule familiale après la rupture de vie commune,

d’apprendre et réapprendre à vivre seul,

d’organiser et gérer son quotidien,

d’appréhender l’environnement,

d’apprendre à être un locataire et un voisin corrects

a) Les repas

Au-delà de la convivialité, l’éducateur favorise la communication au sein de la

famille, permet à chacun de s’exprimer, de retrouver sa place. Les repas sont

l’occasion d’expérimenter des connaissances acquises au cours des ateliers.

b) soutien et aide technique

entretien du logement,

élaboration des menus, courses

préparation des repas,

rangement,

entretien du linge

organisation des horaires en fonction des activités de chacun

c) accompagnements

découverte du quartier,

invitation à participer à la vie associative,

utilisation des services collectifs : bus, centre de loisirs, haltes-garderies…

5) la réunion d’équipe hebdomadaire

analyse et synthèse pluridisciplinaire des situations des résidants

propositions et hypothèses de travail

débat sur les orientations de travail

projet de contrat avec mobilisation des ressources pour le soutenir

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évaluation du temps prévisionnel du séjour

A partir de l’observation du travail éducatif au CHRS de Saint Lô, nous nous sommes

rapprochés du référentiel de compétences de l’éducation spécialisée élaboré par un

« groupe métier » formé d’éducateurs spécialisés exerçant leur profession dans divers

contextes. Nous avons a retenu les 11 fonctions qui vont permettre de repérer et classer

les éléments recueillis au cours des entretiens. Cet aspect a été validé par la direction.

1. Analyser une demande et les besoins exprimés par la personne

2. Recréer du lien social, de l’identité sociale, accompagner le parcours de

socialisation, éviter la désocialisation

3. Travailler en réseau et en équipes pluridisciplinaires

4. Concevoir et mettre en œuvre des interventions socio-éducatives différentiées

5. Anticiper et faire face aux situations de crise, mettre en place des médiations

6. Intervenir dans le respect de la déontologie et de l’éthique du métier

7. Communication interne

8. Communication externe

9. Travailler en équipe

10. Evaluation des activités, développement personnel et professionnel

11. Gestion administrative

2.2.5.2 Entretiens (2ère Etape)

(Voir grille d’entretien en ANNEXE 1)

L’objectif de l’entretien

Il s’agit dans ces entretiens de vérifier le plus largement et le plus librement possible la

position des éducateurs face à la thématique de l’insertion en pointant par comparaison

les décalages entre les deux publics d’insertion (population habituellement accueillie) et

d’intégration (population des demandeurs d’asile). Cette méthode d’entretien est validée

par le directeur. Elle doit contribuer à être le révélateur des difficultés en prenant, avec

sérieux, le temps de discuter avec chacun. Cet entretien doit permettre à chacun de faire

le parcours de la comparaison entre les deux publics et de ce fait, dédramatiser ce qui

apparaît parfois insurmontable. La méthode est annoncée à l’avance, il s’agit de poser

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sur la table les difficultés, et de rechercher à terme des solutions de formation et de

moyens nouveaux.

Préparation des entretiens

Ce qui d’ores et déjà pose difficulté au personnel éducatif, c’est leur savoir agir

professionnel, celui-ci semble fragilisé. Par définition ce savoir est une construction

connue du personnel éducatif. Il apparaît donc nécessaire de s’attacher dans la

préparation de l’entretien à permettre à l’éducateur interrogé de situer sa problématique

dans un des grands champs que constitue ce référentiel de compétence éducative.

Exemple de question préparée à partir du référentiel: «Lorsque vous pointez votre

difficulté à cerner ce qu’attend un demandeur d’asile, vous êtes face à un problème :

D’analyse de demande

Expression des besoins

De construction d’hypothèse de compréhension et d’action

De recherche d’une stratégie d’accompagnement »

La conduite de l’entretien

a) présentation de la mission confiée par le directeur

Il s’agit de permettre l’expression des professionnels sur les difficultés qu’ils éprouvent

à adapter leurs méthodes à un nouveau public et recueillir, organiser les données d’un

nouveau champ de compétences pour lequel le CHRS devra mettre en œuvre un plan

de formation. Cette étude suppose de mesurer à partir de cette expression les réels

écarts entre le profil actuel du personnel éducatif et celui d’un personnel adapté à la

demande du public des migrants.

b) Présentation du contexte d’arrivée des demandeurs d’asile dans la structure

Nous avons constaté

L’obligation de prise en charge par le CHRS de nouvelles populations

Une variation des temps d’accueil subit par le CHRS

Un contexte politico économique difficile

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c) Rappel des premières difficultés évoquées par l’équipe

Difficulté de communication

Comportement clanique des populations accueillies

Exigence des migrants

d) Présentation de l’objectif de la mission

Elaboration d’un rapport faisant figurer par thématique :

les compétences actuelles,

les difficultés dans les différents registres,

les nouvelles compétences telles que l’équipe éducative les manifeste

cette présentation doit permettre une lecture par priorité des besoins en formation du personnel

e) Présentation à l’éducateur du déroulement de l’entretien

Cet entretien a pour but de permettre votre expression sur les difficultés qui sont les

vôtres dans votre travail auprès des demandeurs d’asile. Je vous demande de vous

exprimer dans l’ordre d’importance de ces difficultés. Pour ma part, je vais prendre en

note vos propos en m’attachant au sens plus qu’aux mots eux-mêmes. Je prendrai soin

de vous questionner pour bien comprendre ce qui est de l’ordre :

Des difficultés vécues par vous

Des inquiétudes

D’un manque de savoir faire de votre part

Pour chacun de ces items je vous demanderai de les situer sur le référentiel éducatif qui

est celui de votre formation professionnelle. Nous chercherons ensemble la meilleure

correspondance.

f) Prise de notes de l’entretien

Voir exemple d’un entretien avec un éducateur en ANNEXE 2

2.2.6 Résultats

Les données pour alimenter la construction d’un plan de formation ont été recueillies au

cours d’entretiens avec les 8 personnes constituant l’équipe éducative. Les rencontres se

sont déroulées conformément à la méthode choisie. Ils ont été bien accueillis et à en

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croire l’abondance des propos, ont permis effectivement de libérer des tensions. La

seconde phase du traitement a été de présenter sous une forme synoptique la relation

entre les difficultés évoquées par le personnel et le référentiel de compétences

éducatives. Chacune des difficultés rencontrées par l’équipe a fait l’objet d’une double

cotation :

Une première cotation par rapport au degré de priorité (il était demandé lors de l’entretien de dire si les difficultés étaient ou non prioritaires)

Une seconde cotation signalant le nombre de personnes ayant ressenti cette difficulté

L’addition des deux notes donne un indicateur de priorité maximum pour l’item

Une autre colonne permet de noter l’indication selon laquelle la difficulté peut être levée

par :

de la formation de l’organisation du partenariat

Trois présentations des résultats donnent un classement :

de détail de tous les items évoqués pendant l’entretien classés en fonction du

référentiel de compétences (tableau A)

des fonctions du référentiel de compétences les plus concernées par cette demande

de formation avec le cumul des scores et des items par ordre décroissant de leurs

scores et donc par priorité (tableau B)

Nota : nous avions prévu une colonne qui mette en relief les concepts auxquels font références les difficultés exprimées (ex :

intégration, insertion….) permettant ensuite la rédaction d’un cahier des charges de formation. La direction n’a pas souhaité que cette

colonne figure, préférant engager ultérieurement cette recherche sous une forme collective.

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52

Le tableau qui suit classe par ordre d’importance et en lien avec le référentiel professionnel

les difficultés évoquées par les personnels.

TABLEAU – A - Comparatif des difficultés avec le référentiel

des compétences éducatives (classement par score)

(voir tableau complet en annexe 3)

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53

Les résultats montrent que la première difficulté réside dans le fait de faire une hypothèse

de compréhension et d’action (16 points). Nous notons ici la difficulté d’imaginer une

action dans la méconnaissance du contexte juridique où elle se déroule.

Arrive en deuxième position l’idée que la langue puisse être une barrière importante pour

connaître les besoins et organiser les activités de la vie quotidienne (15 points). A

l’évidence, il ne s’agit pas ici d’apprendre toutes les langues d’Europe de l’Est pour

pouvoir travailler avec cette population. Ce besoin est typique du désarroi professionnel.

Le 3ème item (15 points) souligne le manque de positionnement de l’institution face à des

problématiques de fonctionnement touchant à l’éthique (injonction à quitter le territoire)

En 4ème item, vient l’ignorance des problématiques du migrant, du contexte politique qui

les portent et des raisons même de l’immigration (14 points) Nous sommes ici face à des

connaissances à acquérir d’une part, par un enseignement approprié et d’autre part, par

une expérimentation avec des partenaires.

Tableau B - Classement des priorités de formation, analyse des résultats

Les résultats montrent que c’est la conception et la mise en œuvre des interventions

socio éducatives qui est évoquée comme la principale difficulté (57 points)

« J’ai perdu mes repères, je ne sais pas comment travailler et quoi travailler avec eux. »

Le souci de l’intervention dans le respect de la déontologie et de l’éthique du métier

arrive en seconde position (48)

« Il faut avouer que l’injonction à quitter le territoire, la descente de la police de l’air et des frontières, l’image que l’on se fait de la reconduite à la frontière me posent des problèmes éthiques aujourd’hui difficilement surmontables »

« On est un centre d’hébergement pas un centre d’expulsion ni de rétention »

L’étude pointe l’analyse des besoins et des demandes de cette population atypique et

nouvelle des migrants comme le troisième écueil à la pratique professionnelle. (34

points)

« On a du mal sûrement à imaginer ce qui se passe dans la tête de quelqu’un qui ne sait

pas où il va dormir, s’il va rester, s’il reverra son pays. »

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54

L’évaluation des activités, le développement personnel et professionnel se classe au

quatrième rang des préoccupations des éducateurs (23)

« compte tenu que ni l’institution ni le migrant n’ont de pouvoir sur l’obtention du statut,

comment dès lors évaluer la qualité de notre travail »

Suit de peu l’interrogation suscitée par la recréation du lien social, de l’identité sociale et

l’accompagnement vers un parcours de socialisation de ces nouveaux résidents (22)

« On constate que l’insécurité liée à l’arrivée en France crée des effets de clan qui rend encore

plus difficile le contact et la mise en confiance »

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55

Ce tableau montre les priorités de formation sur les 11 fonctions du référentiel de

l’éducation spécialisée

Tableau –B- Classement des priorités de formation par fonction et score

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56

Une approche plus détaillée des scores par items (voir ANNEXE 4 : classement des

compétences par fonction avec les scores) donne un relief à la première difficulté des

professionnels de la Villa MYRIAM. Il faut comprendre dans la conception et la mise en

œuvre des interventions socio éducatives le développement d’outils individuels et

collectifs à l’usage des migrants :

De mise en confiance

De mise en valeur

D’échange avec l’environnement

De communication avec les français

D’apprentissage de la citoyenneté

Cette même approche par score donne une vision précise de l’interrogation

déontologique et éthique, il faut entendre ici les difficultés :

à accepter les conclusions des institutions, notamment le déboutement

à comparer les dossiers et les obtentions des statuts

à constater les incroyables délais demandés par les administrations chargée

d’instruire les demandes d’asile

à accueillir et jouer l’intégration des migrants pour déboucher sur des reconduites à la

frontière.

à être considéré selon les cas comme des militants ou comme des instruments du

pouvoir

L’approche des scores par fonction permet de découvrir que le contexte général de

l’immigration est une exigence forte de formation. Elle recouvre tout autant :

Le contexte politique des pays d’origine

La connaissance de la réglementation en matière d’asile

Les raisons personnelles de demandes d’asile

La connaissance des procédures

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57

La recherche d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs de l’action déterminant le point suivant

de l’étude s’appuie une idée nouvelle : la volonté du demandeur d’asile , ses efforts

d’intégration conjugués à toute l’efficacité possible des professionnels ne suffit pas à

garantir l’obtention du statut. Dès lors la notion même d’évaluation du travail est vécue

comme vaine, dérisoire en même temps qu’elle n’est pas instrumentalisée.

Une éducatrice témoigne :

« Mr S a passé son diplôme de français de l’étranger, avec notre aide il a un promesse

d’emploi, il a fait tout les efforts d’intégration que l’on puisse imaginer et les politiques du

département le soutiennent, malgré cela il est débouté »

Le besoin qui pointe au sein de l’étude de recherche de formation autour du lien social

et de l’accompagnement dans un parcours de socialisation met en relief le déficit de

solutions adaptées pour :

Rompre l’isolement clanique des migrants

Modifier leur image négative dans le public et les institutions

Eviter les rapports de force avec l’environnement

Préparer une alternative au statut de demandeur d’asile

2.2.7 Conclusion de la mission

Dans la mission, nous nous sommes attachés à travailler autour de la description et

l’inadaptation de certaines compétences comme génératrice des difficultés

principales vécues par les travailleurs sociaux du CHRS. Elles se regroupent dans les

champs suivants de :

la mise en œuvre des interventions socioéducatives différenciées

L’intervention dans le respect de la déontologie et l’étique du métier

L’analyse de la demande et les besoins exprimés par la personne

Cette mission nous aura permis l’étude et la vérification sur le terrain de l’hypothèse de

travail autour des référentiels de compétence

Ce travail a été remis à la direction du CHRS et, est en cours d’exploitation pour la

programmation d’un plan de formation qui devrait s’organiser sur deux années.

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Nous notons que ce travail pourrait utilement se compléter par l’utilisation de la méthode

des scores sur les deux autres aspects du traitement de la problématique, que sont :

Les aspects de l’organisation générale de l’établissement

Le traitement de nouvelles formes de partenariat

A titre conservatoire, nous avons commencé à pointer quelques indicateurs dans la

cotation des problématiques (Formation, Organisation, Partenariat), mais cette partie de

l’étude est resté inaboutie.

Les résultats auraient sans doute été enrichis de l’étude des besoins des demandeurs

d’asile eux-mêmes tels qu’ils apparaissent dans les dossiers, mais cet axe de recherche

n’a pas été jugé prioritaire par la direction. Probablement que les indicateurs de

compétences nouvelles auraient gagnés en finesse et précision. Cette étude doit être

conduite ultérieurement mais partiellement par l’examen des dossiers des demandeurs

d’asile. Elle fait l’objet de nos investigations complémentaires

2.3 Investigations complémentaires sur le terrain : les indicateurs éclairent les

hypothèses

2.3.1 Méthodologie et lien avec la mission

La démarche d’orientation vers la formation comme réponse à la problématique

annoncée tout au long de ce mémoire nous invite à vérifier de plusieurs manières, la

réalité de la référence aux concepts. D’une manière complémentaire à la mission, cet

angle de vue est indispensable à l’appréciation d’axes futurs de formation. Il permet en

effet la mesure des décalages énoncés dans les conclusions de la mission. D’une

autre façon, nous explorons sur le terrain les pistes ouvertes lors de celle –ci. Dans

cette nouvelle partie nous allons aborder plus finement les compétences requises à

partir des savoirs et des concepts.

Rappelons notre première hypothèse : « les compétences du personnel éducatif

sont différentes selon la démarche d’insertion ou celle de l’intégration ». Dans

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cette partie nous allons d’abord nous attacher à l’étude des dossiers des résidants et

rechercher la présence des repères utilisés par les professionnels en les classant selon

les critères d’exclusion retenus par les auteurs dans la construction de leurs concepts

d’insertion et d’intégration.

Anomie

Désaffiliation sociale

Disqualification sociale

Désorganisation sociale

Le même nombre de dossiers de migrants sera examiné selon le même filtre des

critères utilisés en insertion. Le but est bien de faire la démonstration que les références

conceptuelles sont différentes en fonction des deux publics reçus et qu’il est donc

indispensable d’envisager une adaptation des professionnels au contexte et non

l’inverse. La tendance est pourtant de penser que la position du migrant lui commande

de s’adapter au pays qui l’accueille. Si cette position est globalement commune sur

beaucoup d’aspects (la langue, la réglementation par exemple), en matière d’action

sociale, quel que soit le public, c’est le professionnel qui s’adapte. Or dans le cas des

demandeurs d’asile on constate que la tendance est de leur demander d’adopter un

comportement d’exclu c’est à dire de marginal, de pauvre, de désinséré. Cette partie

doit nous éclairer sur ce point.

Nous allons ensuite, en interrogeant les professionnels du CADA et de l’AUDA (Accueil

d’Urgence des Demandeurs d’Asile) vérifier que la formation doit s’orienter vers

d’autres références conceptuelles que sont :

l’acculturation

L’assimilation

Il s’agit ici de réaliser que le suivi de ce public pose les bases d’un autre métier dont il

faut apprendre les concepts et les auteurs. Là aussi l’objectif est de renforcer la

conviction que la formation est un élément fort de réponse à la problématique soulevée

ici.

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60

2.3.2 Indicateurs

Les tableaux qui suivent présentent la synthèse de détail de l’observation des dossiers

sur les grands champs de l’exclusion et de l’intégration pour chacune des catégories des

résidants habituels et des migrants. Le même échantillon est donc dans le premier

tableau passé au filtre des critères d’exclusion alors que le second tableau filtre à partir

des indicateurs d’intégration. Les critères retenus s’appuient sur les théories auxquels

font référence les travailleurs sociaux : DURKEIM, CASTEL, DUBET et PAUGAM

notamment pour l’exclusion. Les auteurs de référence pour l’intégration étant WINDISCH,

OBIN, CAMILLERI, COHEN EMERIQUE, SCHNAPPER

2.3.2.1 Classement des indicateurs d’anomie (tableau concept d’insertion)

L’étude porte sur 15 dossiers de résidants habituels et 15 dossiers de migrants. Plusieurs

types de documents ressources nous ont permis le recueil des données. Ils sont

identiques pour tous les résidants qu’ils soient en insertion ou migrants :

L’entretien d’admission

Le recueil d’information et d’observation réalisé après 3 semaines de présence

Le bilan à 3 mois

Bilan à 5 mois

Synthèse bilan de sortie

Sur un plan méthodologique la plupart des indicateurs retenus pour cette recherche se

sont révélés adaptés à la cotation. Trois indicateurs méritent néanmoins un commentaire.

La référence à l’alcool doit être comprise comme l’un des éléments constitutifs de la

rupture sociale. Sont donc cotés ici de la même manière, l’alcoolisme du conjoint, celui de

la femme, voire le milieu d’origine quand celui-ci est constitutif de l’exclusion. Cet item ne

perd cependant pas de sa fiabilité avec cette forme de cotation.

Si l’amoralité des enfants est un signe tangible de la perte de repères de toute une cellule

familiale, dans notre étude cet item s’est révélé impossible à coter pour les familles aux

enfants en bas âge ainsi que pour les enfants confiés durablement au service de l’Aide

Sociale à l’Enfance. La cotation est donc inexploitable puisqu’elle ne concerne que les

enfants présents et d’âge supérieur ou égal à 6 ans.

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L’indicateur de chômage regroupe les personnes ayants déjà travaillé titulaire d’un droit

ASSEDIC, celle n’ayant jamais travaillé et recherchant un emploi, celles ne pouvant pas

travailler pour des questions relatives à leur santé, leur niveau de formation ou leur

capacité d’adaptation.

Tableau concept d’insertion (voir page 62)

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CONCEPT D’INSERTION Classement des indicateurs d’anomie

Familles N° 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 Total 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 total

Indicateurs

Anomie 120 120

Alcool 1 1 1 1 1 1 1 1 1 9 0

inceste 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 10 0

violence 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 13 1 1 1 1 1 5

décohabitation 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 14 0

familiale

rupture du 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15 0

couple

intolérance

Révoltes 1 1 1 1 1 5 0

règles éducatives

outrançières 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 14 0

consom. Tranquilisants

Tentative de suicide 1 1 1 1 1 1 6 0

cotation sur 8 items 5 6 6 4 5 6 5 6 7 4 5 8 7 6 6 86 1 1 0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 1 5

Désaffiliation

sociale 90 90

Echec scolaire 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 13 0

défaut de couverture 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15

sociale

périodes de 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 14 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15

chômage

rupture avec le 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 13 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15

milieu familial

absence de vie 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 10 0

collective

relations amiciales 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 12 0

pauvres

cotation sur 6 items 5 4 5 2 3 5 4 2 5 3 5 4 5 5 5 62 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 45

disqualification

sociale 60 60

Utilisation des

systèmes solidarité 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 14 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 14

fréquentation

exclusive discounts 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15 0

alimentaires 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1

Recours aux 1 1 1 1 1 1 1 1 1 9 0

vestiaires associatifs 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1

revenus sociaux 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 13 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15

cotation sur 4 items 4 4 3 2 4 4 4 1 4 3 4 3 4 4 3 51 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 29

désorganisation

sociale 75 75

Absence de

projet pour lui ou 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11 0

sa famille

aucune projection 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11 0

pour les enfants

amoralité des 1 1 1 1 4

enfants

apparition de signes 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 12 0

forts de démoralisation 1 1 1 1 1 1

pertes des repères 1 1 1 1 1 1 1 1 1 9 0

sociaux

cotation sur 5 items 1 3 4 1 3 4 5 3 4 1 5 3 3 4 3 47 1 0 0 1 0 0 1 1 0 0 0 0 1 0 1 6

maximum possible 345 maximum possible 345

score établi 246 score établi 85

% moyen 71 % moyen 25

RESIDANTS HABITUELS MIGRANTS

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Présentation des résultats du tableau (concept d’insertion)

L’étude comparative des deux populations de 15 unités chacune nous montre d’emblée

un écart significatif de la pertinence des indicateurs d’anomie selon qu’il s’agisse de la

population traditionnelle du CHRS et de celle des migrants.

23 indicateurs ont été utilisés pointant le domaine de l’insertion/exclusion

En moyenne chaque résidant est concerné directement par 16 indicateurs sur 23 soit

71% des indicateurs permettant de définir l’exclusion. Les migrants sont concernés par 6

de ces indicateurs soit 25 %. Il est nécessaire de renforcer cet écart en soulignant que

dans ces 6 indicateurs d’anomie se trouvent des caractéristiques liées :

A l’absence momentanée de droits du fait même du départ pays

Aux ressources inexistantes sur le territoire français sans que cela signifie qu’ils

soient pauvres

A l’interdiction d’occuper un emploi sans que cela traduise, loin s’en faut, un

manque de formation ou une inaptitude au travail.

Soulignons toutefois que la procédure d’obtention du statut et l’incertitude qu’elle

provoque se traduit par la manifestation de signes forts et fréquents de démoralisation

des migrants tel que l’indique le tableau. Il n’est pas toujours possible cependant de

séparer les manifestations de détresse psychologique réelles des manifestations à visée

stratégiques.

Toute cette grille de lecture démontre l’inadaptation des concepts d’insertion à la

population des migrants, au sens de l’action sociale classique. Il n’est pas exclu que des

parcours de migrants conduisent à des situations d’anomie, notamment dans des

épisodes de détresse maximum engendrés par des conflits ,des guerres civiles voire des

génocides. Les familles que nous recevons émigrent le plus souvent dans une logique

économique. Les scénarios sont donc préparés par des filières organisées.

Nous allons maintenant observer selon la même mécanique d’étude la validité du concept

d’intégration pour ces mêmes populations.

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2.3.2.2 Classement des indicateurs de l’intégration (tableau concept d’intégration)

Le premier tableau pointe les items de l’origine de l’exclusion. Ce second tableau

examine les indicateurs permettant de mettre en relief des capacités d’intégration, celles-

ci étant exprimées et souvent instrumentalisés par les migrants.

Les indicateurs d’assimilation doivent être compris comme étant des signes d’une

intégration en marche. A la pratique, il s’avère que cette partie de relevé des indicateurs

d’ assimilation est biaisée parce que l’étude ne prend pas en considération le paramètre

de la date d’arrivée en France, ni l’âge des enfants. Or la durée sur le territoire français

est déterminante pour l’affinage de la position du migrant par rapport à un retour au pays.

Les mécanismes de l’intégration font constater une hyper adaptation des enfants par le

biais de l’école au détriment de leur langue maternelle. La perte de cette langue originelle

par les enfants entre pour un poids important dans l’évolution de la volonté de s’assimiler.

Si nous confirmons la force d’un milieu familial structurant, nous avons relevé durant cette

étude à quel point les familles étaient fières mais perturbées par l’adaptation à la langue

française, sans accent, de leurs enfants se posant alors très vite comme interprètes

naturels de la famille. Un item sur ce point aurait probablement enrichi l’étude.

Tableau concept d’intégration (voir page 65)

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CONCEPT D’INTEGRATION Classement des indicateurs d’intégration

Familles N° 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 Total 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 total

Indicateurs

Acculturation 150 150

aquisition du langage 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 13

Aptitudes techniques à

l'échange de services 1 1 2 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 10

mise en oeuvre de

connaissances et formation 1 1 2 1 1 1 1 1 1 1 1 8

modèle familial

structurant 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 14

comportements sociaux

adaptés 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 13

comportement clanique 1 1 1 1 4 1 1 1 1 1 1 1 1 1 9

négociation des droits

et conditions de vie 1 1 2 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 14

participation associative

usager ou bénévole 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 9

participation

aux formations 1 1 1 1 1 1 1 1 8 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 12

insertion dans l'école 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 13 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 14

2 7 1 3 1 2 1 7 0 3 1 1 1 1 2 33 10 9 7 8 7 9 9 6 7 4 8 9 8 7 8 116

maximum possible 150 maximum possible 150

score établi 33 score établi 116

% moyen 22 % moyen 77

Assimilation 75 75

détenteur d'un diplôme

Français 1 1 1 1 2

pratique courrante

de la langue française 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15 1 1 1 1 1 1 1 1 1 9

perte langue maternelle

des enfants 0 1 1 1 1 1 5

poste stratégique

(président ass) 0 1 1

projet de naturalisation 0 1 1 2

1 2 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 16 4 3 1 2 1 2 1 0 2 0 1 0 0 1 1 19

maximum possible 225 maximum possible 225

total général score établi 49 score établi 135

% moyen 22 % moyen 60

RESIDANTS HABITUELS MIGRANTS

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Présentation des résultats du tableau (concept d’intégration)

Ce tableau reprend en creux les résultats du précédent. Il n’est pas surprenant de

constater un score moyen de 60 % des signes d’intégration repérés chez les migrants

(contre 22% chez les résidants). Ce résultat est d’ailleurs minimisé par l’impact des

résultats de la partie concernant l’assimilation, celle-ci traitant logiquement des signes

d’une intégration aboutie, ce qui n’est pas le cas de la plupart de ces familles. Si nous

traitons uniquement la partie « acculturation » le score établi par les migrants est de 77%

le résultat des résidants reste inchangé.

Le score établi par les résidants habituels du CHRS mérite commentaire. Nous avons

coté en « intégration » des items qui sont à l’évidence des signes d’insertion comme la

participation aux formations par exemple. Sauf à considérer que le résidant en situation

d’exclusion est un étranger dans sa propre société, ce rapprochement d’indicateurs met

en relief que des items en apparence communs aux deux concepts d’insertion et

d’intégration sont peut-être à l’origine de la confusion des genres et des publics par les

personnels éducatifs. Quand certains points sont communs ou ressemblant, la tentation

est grande de penser que tout se superpose :

Le résidant, comme l’étranger, est pauvre

Le migrant, comme l’exclu, n’a pas de diplôme en France

Le demandeur d’asile, comme le sujet en insertion, est sans emploi.

I’illettré, comme l’étranger, connaît mal la langue.

Le paradoxe de la problématique qui justifie notre recherche se noue dans l’idée d’un

demandeur d’asile semblable au résidant puisqu’il est résident, et différent de celui-ci,

parce qu’il est étranger. La langue française a la même hésitation quand elle balance

entre la différence et la ressemblance, entre résidant avec un « A » quand il est français,

et s’écrivant avec un « E » lorsqu’il est étranger.

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2.3.2.3 Indicateurs de connaissance culturelle

Rappelons tout d’abord que notre deuxième hypothèse nous amène à vérifier que « la

dimension culturelle des demandeurs d’asile est indispensable à l’action auprès

de celui-ci ». La conséquence directe est de ne pas calquer notre schéma français qui

nous exonère d’offres de service que le résidant habituel trouve spontanément. Pour

prendre un exemple : lors de l’accueil des résidants classiques la pratique d’une religion

n’est jamais abordée et fait partie de la sphère intime du résidant. A contrario les

demandeurs d’asile d’Europe de l’Est manifestent un attachement réactif à leur religion et

souffrent de n’avoir pas de lieux de culte orthodoxe.

Voilà un réel besoin qu’ils manifestent et que typiquement, nous n’abordons jamais y

compris pour des raisons déontologiques. La référence française laïque en matière de

religion dans une collectivité publique est de ne traiter que la conséquence alimentaire

d’une religion. Le tableau d’étude par dossier n’est pas explicite sans un commentaire de

chacun des items qui explique ce qu’il recouvre.

Religion : la religion est notée au sein du dossier

Habitudes culinaires : le niveau de pratique culinaire pour les résidants, la différence d’habitude

culinaire pour les migrants

Aménagement du logement : capacité à investir le logement pour le résidant, les singularités

d’occupation pour le migrant (ordinateur, parabole…)

Rôle des membres de la famille : notes sur l’autorité, la place des enfants le rôle du père, les

problèmes ou comportement des couples

Citoyenneté : capacité à s’inscrire dans la vie collective pour les résidants, utilisation des

rouages politiques pour les migrants.

Langue d’échange : illettrisme pour les résidants. Pratique de l’anglais, du français pour les

migrants

Relation avec les administrations : autonomie dans la pratique des administrations pour les

résidants et difficulté de communication entre les administrations et les migrants

Conditionnement politique : exigence, invocation, négociation contournement des droits

Tableau concept culturel (voir page 68)

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Indicateurs de connaissance cultuelle

Classement des indicateurs

connaissance Résidants

offre de

service Migrants

offre de

service

culturelle 90 90

religion 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11 non

habitudes

culinaires 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15 oui 1 1 1 1 1 1 6 non

Aménagement du

logement 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15 oui 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15 non

rôle des membres

de la famille 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 15 oui 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11

citoyenneté 0 0

langue d'échange

en France 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11 oui 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11 non

relations différentes

administrations 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 13 oui 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 12 non

conditionnement

politique 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 13 non

5 3 5 5 4 4 5 5 5 4 5 4 5 5 5 69 6 3 6 6 6 2 7 5 5 5 5 6 5 6 6 79

score de féquence 77 % score de féquence 88 %

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Présentation des résultats du tableau (concept culturel)

Comme le tableau le présente la connaissance culturelle et le relevé d’indicateurs qu’elle

suppose est une méthode qui est pratiquée par les éducateurs en place. En effet un

premier examen des dossiers a permis de montrer que ceux-ci étaient présents dans les

documents et synthèses concernant le résidant ou le migrant. Ces indicateurs sont peu

nombreux certes mais montrent contrairement à l’intégration que la préoccupation existe.

Les scores de fréquence sont de 77% et 88%. La différence réside dans l’utilisation

unilatérale de deux items concernant uniquement les migrants :

La religion, déjà commentée.

Le conditionnement politique extrêmement prégnant chez les demandeurs d’asile de

l’Europe de l’est qui, habitués à l’organisation de l’administration de leur pays, pensent

pouvoir tout négocier avec les institutions françaises et leurs administrations.

Pour rendre plus fructueux ces résultats nous avons cherché à observer si des

prestations correspondaient à chacun des besoins, indicateurs ou des ressources listés

dans le tableau. Elles figurent dans la colonne offres de service. Le décalage est

démonstratif. Les prestations n’existent que pour les résidants habituels. Plus exactement

elles ne sont adaptées qu’aux résidants du CHRS. Notons que lors des entretiens avec

les éducateurs nous avons eu l’occasion de constater qu’en matière culinaire notamment

offres étaient faites aux demandeurs d’asile de préparer des repas collectifs pour le

CHRS mettant en valeur les spécialités et les savoirs faire de leur pays.

La réciproque n’a jamais été proposée il semble naturel que « les migrants mangent

comme nous » Cet aspect culinaire n’a pas vraiment de valeur d’échange. Il n’est que le

prétexte à une animation pour la population habituelle du CHRS.

Ce constat établi à l’occasion de cette recherche, a permis de soulever cette

différenciation entre des indicateurs de besoins et des indicateurs de ressources. Le

même thème pouvant d’ailleurs figurer dans les deux.

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Exemple : Les coutumes alimentaires supposent une organisation et des moyens

d’approvisionnement voire un accompagnement médical ou d’hygiène adaptée au pays

d’accueil. En même temps, la coutume alimentaire est un atout et possède une valeur

d’échange culturelle et donc d’intégration quand un accompagnement la favorise.

Parmi les habitudes d’occupation du logement, la gestion de l’eau et donc les

consommations des gens des pays de l’Est est invraisemblable. La réponse

institutionnelle est souvent coercitive au CHRS avec menace d’exclusion en cas de

consommation abusive. Les entretiens avec les personnels spécialisés auprès des

migrants et le témoignage d’un migrant par son intermédiaire nous ont fait accéder à la

dimension culturelle et sociétal du problème.

Exemple

« Chez nous l’eau est gratuite. Il n’y en a pas toujours et elle n’est pas toujours potable.

Mais elle est gratuite. Nous avons l’habitude de laisser couler un filet d’eau pour être sur

que les récipients se remplissent quand nous ne sommes pas là et que l’eau revient. »

Au bout de quelques mois le comportement des migrants s’adapte, le CHRS est

convaincu que la coercition a porté ses fruits alors que la solution était à dimension

d’adaptation culturelle. Une simple explication aurait permis de d’éviter d’emblée les

risques de dérive, dans un exercice outillé d’accueil des migrants

L’étude de ces dossiers et la confrontation des résultats aux connaissances des

professionnels spécialisés du CADA et de L’ AUDA permettent d’arriver à la conclusion

suivante que la formation dans ce domaine est utile. Notre conclusion sur ce point est la

suivante :

La connaissance culturelle s’articulant autour de deux notions, de besoins et de

ressources, autrement dit de difficultés mais aussi d’atouts est un concept producteur de

compréhension et porteur de savoir faire et de savoir être.

Nous confirmons notre souscription aux thèses de Camilleri dans ses « stratégies

identitaires » qui définissent l’identité culturelle selon un processus en trois aspects :

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« l’identité prescrite qui se réfère aux normes et exigences sociales liées ici à la

représentation du demandeur d’asile dans la société française »

« l’identité revendiquée qui passe par la parole et le discours que tiennent les migrants

sur eux-mêmes »

« l’identité vécue dans les actes et les faits concrets de la vie quotidienne et dans le cas

des demandeurs d’asile, des parcours de vie des sujets migrants »

2 .3.2.4 Indicateurs d’impact sur l’identité professionnelle

Nous venons de voir que les références théoriques sont déterminantes pour travailler

avec ce nouveau public des demandeurs d’asile et que ce défaut d’appui théorique

représente une part importante du malaise ressenti par le personnel éducatif. A ceci

s’ajoute, et c’est notre troisième hypothèse, une perturbation de l’identité

professionnelle. Nous l’avons rédigée de la manière qui suit :

« Le changement de public modifie l’identité professionnelle du personnel

éducatif. » Nous pourrions ajouter qu’il a conscience de n’avoir pas été formé pour ce

nouvel accueil sans pour autant identifier les zones nécessaires de changement et donc

de formation. L’objectif de cette troisième phase de la recherche est de bien identifier les

points sur lesquelles cette identité a été perturbée pour mieux vérifier que la formation

peut aider à restaurer en l’adaptant, l’identité professionnelle.

La recherche repose sur les entretiens conduits avec les personnels du CHRS et d’autre

part ceux menés avec les personnels de l’AUDA et du CADA. (voir ANNEXE 5)

L’entretien a reposé sur quatre grands champs examinant la position des personnels sur

ses actes professionnels.

Le premier champ concerne le potentiel que le professionnel s’attribue.Les

questions sous tendues sont les suivantes : comme travailleur social que pouvez-vous

faire, que faites vous…avec les migrants, comment cela se passe-t-il ? Il s’agit en fait de

lui demander de s’exprimer sur ce qu’il peut ou non faire avec les compétences qui sont

les siennes.

Sur cette première question, quelques réponses typiques des personnels du CHRS

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« Ces familles sont très fermées à notre égard » « C’est pas vraiment notre boulot »

« On nous impose cette clientèle » « On est mis devant le fait accompli »« on a le

sentiment que les familles étrangères ont quelque chose à cacher ». « On ne peut pas

agir sur le milieu familial ». « On sent qu’on est utilisé ». « On peut rien faire avec la

barrière de la langue » » ils ont l’impression qu’on les surveille »

« En dehors de faciliter l’entrée des enfants à l’école ou de l’accès au soin on se

demande à quoi on sert »

« On nous demande de faire un travail qui ne correspond pas à notre profil de poste » on

agit dans l’urgence…

« Quand ils arrivent ils sont en situation de détresse d’hygiène parfois déplorable, n’ont

pas mangés depuis plusieurs jours…On est pas habitué et on est choqué de devoir

répondre à des besoins vitaux. »

En parallèle quelques réponses des personnels du CADA et de l’AUDA

« Le départ du pays c’est un grand bouleversement. » « C’est la dessus que l’on doit les

aider. » « « Nous avons deux priorités, le plus urgent : parler français et la

compréhension de la vie en France ». « C’est autour d’objectifs comme ceux-là que nous

concevons notre rôle. »

Comme on peut le constater le niveau d’expression des personnels selon leur

appartenance à l’une ou l’autre des structures est singulièrement différencié. Les

personnels éducatifs du CHRS ont une expression emprunte d’incompréhension et

témoignent à l’évidence d’un malaise. Le champ lexical utilisé est négatif et dépréciatif.

On imagine mal dans ce registre une présentation valorisée de leur travail. Partageant

cette idée avec Manuel BOUCHER, confirmant ainsi notre hypothèse, « la capacité de

s’identifier à la réalisation d’une œuvre individuelle et surtout collective », n’est pas

manifeste chez les professionnels du CHRS.

On sent à la lueur de la recherche conduite jusqu’ici sur les concepts, le référentiel des

compétences combien manque le matériau professionnel que la formation peut apporter

dans ces domaines.

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En revanche le niveau d’expression des personnels de l’AUDA ou des CADA est

immédiatement conceptuel et non factuel. La mission semble claire et bien intégrée. Elle

contient en elle-même ses degrés de priorité, la définition du concept, et une position

éthique par rapport au bouleversement des migrants. Les deux objectifs cités le sont à

titre d’exemple mais suffisent à introduire l’idée d’un vrai métier.

A contrario des personnels du CHRS, on note dans l’expression des personnels du

CADA et de l’AUDA, les repères de BOUCHER « d’une identité professionnelle qui se

définit dès lors comme un enjeu de tous les niveaux de l’organisation» « La recherche

collective, le plan de formation, l’ingénierie sont autant de définitions de ces

dynamiques »

Il faut souligner ici que dans les deux cas les personnes rencontrées sont des travailleurs

sociaux, personnels éducatifs dans le CHRS et appelés intervenants sociaux dans les

CADA. Ces derniers s’expriment sous la forme d’une expression collective valorisée là ou

les personnels en difficulté juxtaposent collectivement des impressions individuelles.

Le second champ concerne l’idéal d’action que le professionnel poursuit

Les questions qui illustrent cet item sont les suivantes :

« Dans l’idéal que pensez-vous devoir faire ? »

« Dans l’idéal ou situeriez-vous votre rôle, est ce dans l’accompagnement, la prestation,

le suivi ?

« Vous sentez plutôt aidant, facilitateur, révélateur de besoins …»

« Quand vous êtes satisfait de votre travail vous l’êtes sur quoi ? Dans ce travail auprès

des demandeurs d’asile quelles valeurs défendez-vous et quelles valeurs vous semblent

bafouées ?

Sur cette seconde question de l’idéal d’action les personnels du CHRS s’expriment :

« On devrait pouvoir réfléchir plus en équipe sur notre travail » « on ne devrait peut-être

pas fonctionner de la même façon avec les deux populations » « On a pas eu le temps de

réfléchir à notre façon de faire » « on devrait s’ouvrir sur les partenaires extérieurs » « Il

faudrait qu’on accepte l’aide des bénévoles ou des interprètes non travailleurs sociaux »

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« on ne s’appuie pas assez sur la richesse des migrants, on a le sentiment que c’est

nous qui sommes riches, on confond avec les résidants habituels ».

« On a rarement de retour quand ils sont contents , la plus grande satisfaction a été

l’obtention du statut pour la famille K, mais on n’y est pour grand chose » «Ça été

frustrant de ne pas pouvoir participer au comité de soutien » « Ça nous a donné

l’impression que la famille avait trouvé de l’aide ailleurs » « on s’est senti un peu jugé par

les militants qui défendaient la famille C » « Les militants ne comprennent pas qu’on ne

réagissent pas au quart de tour, et pensent qu’on doit être nous-mêmes militants de la

cause. » « La position du Maire qui est notre employeur était opposée à celle des comités

de soutien alors que faire ?» « On est vraiment entre deux feux dans cette histoire » »

« Quand Mr T a entamé une grève de la faim dans notre logement, on était démuni et

finalement, on a été exclu puisque la gestion est devenue politique quand la situation a

pris l’ampleur qu’on connaît » « Quand Mr K. a menacé de se jeter du haut de la tour des

pompiers et que le directeur a saisi le Procureur et le Préfet on ne savait plus du tout

quelles valeurs on défendait ».

En regard les réponses des personnels du CADA et de l’AUDA :

« Dans l’idéal on voudrait être sûr que le passage au CADA les a outillés pour leur séjour

en France » « Pour une situation idéale, c’est évidemment le migrant avec un vrai dossier

de demandeur d’asile qui, sur son témoignage, reçoit le statut et qui après un passage au

CADA a pu développer un réseau et une connaissance lui permettant d ‘être autonome

sur le territoire français » « La loi est claire : pas de statut, pas d’asile, et c’est vrai qu’on

a parfois des états d’âmes quand une famille est déboutée alors que son dossier et son

comportement sont corrects » « Il y aurait beaucoup à dire sur la réglementation et son

durcissement, mais le type de relations et notre fonctionnement nous mettent à l’abri des

effets militants, militants qui ne comprennent pas toujours l’attitude du CADA. Désormais

nous invitons ceux-ci à venir découvrir les missions du CADA. » « Pour faciliter

l’intégration des enfants dans l’école le CADA propose des prestations découvertes des

écoles d’origine des jeunes migrants, l’objectif est de sensibiliser les enfants français et

les enseignants au droit d’asile »

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Ce qui caractérise à nouveau l’expression du CHRS c’est le sentiment de décalage et

d’inadaptation. L’expression de l’identité est encore réactive. L’idéal se décrit comme une

amélioration de ce qui est fait (méthode, pratique), plus que la manifestation d’une

pensée professionnelle dont on est fier. D’une certaine façon l’idéal est présenté comme

une optimisation des pratiques. Les vieilles sentinelles que sont le militantisme ou l’esprit

critique des travailleurs sociaux, sont mises à mal par le contexte, c’est le professionnel

lui-même qui se sent critiquable.

Sans être vraiment à l’opposé, les travailleurs sociaux du CADA et de l’AUDA témoignent

d’un idéal raisonnable et possible qui traduit bien à quelle hauteur et à partir de quels

indicateurs ils situent leur qualité de travail. Il est intéressant de constater que sur des

difficultés identiques avec les militants de la cause des migrants, le CADA développe des

réponses construites et stratégiques qui protège leur identité professionnelle. Les

réponses sont organisationnelles, interventions dans les écoles par exemple et montrent

bien l’équilibre entre formation organisation et éthique.

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3. RESULTATS – Analyse et interprétation -

3.1 Recontextualisation de la recherche A quelques nuances près le public qui est reçu dans un centre d’hébergement est

toujours le même. Plus exactement la médecine sociale que l’on prodigue est une

science généraliste qui convient au plus grand nombre. L’harmonie des traitements

dispensés laisse en tout cas supposer que la population accueillie est homogène

également dans son profil de problématique sociale. Le traitement dans un CHRS

rappelons-le c’est l’insertion.

Quand arrive une population de nouveaux patients atteints d’on ne sait trop quel mal

exotique, c’est vainement que nous assénons le traitement habituel.

«Professionnel du CHRS : Je ne fais pas de différence entre insertion et intégration.

Tout est imbriqué pour moi un résidant c’est un résidant je ne fais pas de

différence… »

« Professionnel du CADA : je suis consciente que les demandes des demandeurs

d’asile relèvent de l’intégration et non pas de l’insertion, ils n’ont pas besoin

d’aide en ce qui concerne l’éducation des enfants ou l’entretien du logement par

exemple »

Inévitablement, c’est la remise en cause des compétences, la fragilisation des certitudes

théoriques et petit à petit la dévalorisation professionnelle. Il faut comprendre cette

nouvelle épidémie dans notre monde moderne, s’y adapter. Vient alors le temps de la

recherche…

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77

3.2 Synthèse générale des résultats et affirmation des hypothèses

Eloignons-nous de notre métaphore hospitalière et reposons brièvement la logique de

notre recherche :

L’équipe professionnelle qui œuvre dans ce CHRS n’a plus à démontrer ses

compétences et ses savoirs faire en matière d’insertion. Ces professionnels sont rompus

à l’action sociale, leur action et leur méthode sont quasiment instinctives. Or devant ce

nouveau public qui leur est envoyé par les services de l’état, supposant leur compétence

totale en matière sociale, ces équipes d’ici et d’ailleurs sont démunies et inopérantes. Ce

point de l’orientation par les services de l’état revient dans tous les entretiens

«Professionnel du CHRS : On nous a carrément intimé l’ordre de prendre une famille

moldave en urgence. La DDASS n’a pas voulu entendre que ce n’était pas dans

notre convention. Même le directeur a dû plier devant l’intervention du cabinet du

Préfet »

« Professionnel du CADA : notre mission est claire, nous accueillons les demandeurs

d’asile, c’est la base même de notre travail, celui-ci est balisé par notre

association, par le biais d’un règlement intérieur, d’un contrat de séjour

clairement défini"

Il ne s’agit pas dès lors de parler d’incompétence mais au contraire d’utiliser les ressorts

d’une compétence générale avérée pour poser de la manière la plus professionnelle qui

soit les tenants et les aboutissants d’une adaptation de l’établissement à un nouveau

public. Nous cherchons à démontrer dans cette recherche que le ressort du changement

implique le mécanisme des compétences.

Les témoignages d’inadaptation des compétences sont fréquents dans la quasi-totalité

des entretiens :

« Professionnel du CHRS : on ne sait pas comment aborder la souffrance de quitter

le pays. Quand on tente de le faire avec quelques mots d’anglais rudimentaires

on est face à des larmes et notre anglais ne suffit pas à soutenir et contenir le

chagrin… Alors on évite… La psychologue ne peut pas intervenir sur ces

manifestations, ce n’est pas sa formation et il y a le problème de la langue»

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« Professionnel du CADA : on sait qu’en arrivant en France, les demandeurs d’asile

doivent faire le deuil de beaucoup de choses : leur famille, leur pays, leur vécu,

leur métier qui ne sera pas le même que dans leur pays »

Les résultats de la mission montrent à l’instar de ce que nous enseigne LE BOTERF que

sur les trois aspects définissant la compétence

Savoir agir (formation apprentissage)

Vouloir agir (reconnaissance et motivation)

Pouvoir agir (organisation du travail)

Les personnels se sentent en difficulté sur chacun de deux premiers items. Ils

l’expriment dans le classement des priorités de formation suivantes :

Concevoir et mettre en œuvre des interventions socioéducatives différenciées.

(item 1)

Intervenir dans le respect de la déontologie et de l’éthique du métier (item 2)

Analyser une demande et les besoins exprimés par la personne. (item 1)

Le troisième item n’est pas étudié par le biais des entretiens conduits dans la mission. En

effet cet aspect ne fait pas partie de la commande de la direction. Néanmoins les

entretiens sont émaillés de références à l’organisation du travail. Ce point est d’ailleurs

cité comme une préconisation d’étude complémentaire avec la même méthode des

scores, dans les conclusions de la mission.

Comme le dit LE BOTERF « il est aujourd’hui nécessaire de gérer les compétences pour

accompagner la transformation des établissements ». L’exercice a permis d’engager le

personnel sur la réflexion à partir de l’organisation de ses difficultés comparativement à

un référentiel de compétences. Il est démontré désormais que les difficultés ne sont ni

politiques ni vraiment socio économiques, raisons qui apparaissent aujourd’hui comme

des valeurs refuges ou des excuses. Le cœur du problème concerne les compétences et

leur moteur, le plan de formation.

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La deuxième étape de notre recherche, après avoir validé l’adaptation des compétences

comme approche pragmatique de résolution du problème, est nécessairement de

démontrer que les références conceptuelles sont différenciées en fonction des publics.

Par conséquent il devient incontournable de poser les concepts de les comparer et de

justifier le passage de l’un à l’autre. La méthode développée dans cette recherche

consiste à valider comparativement les sources théoriques de l’insertion et de

l’intégration. Nous recherchons au sein des dossiers des résidants en insertion ou

migrants les traces signalées comme des besoins, des caractéristiques, ou des

problématiques témoignant de la relation avec d’une part l’insertion ou d’autre part

l’intégration.

Paradoxalement les personnels interrogés (8 sur 12) ont de la difficulté à témoigner de

leurs ressources théoriques en matière d’insertion même s’ils sont en capacité de

nommer spontanément les grandes catégories d’indicateurs d’insertion :

«Professionnel CHRS : on a un peu perdu de vue les auteurs de l’insertion

(Durkeim Maslow sont toutefois cités une fois sur deux), on travaille au quotidien

avec les grilles de lecture qui s’en inspirent, la dernière notamment le Recueil

d’Information et d’ Observation reprend tous les indicateurs d’information

permettant de dégager nos axes de travail au bout de trois semaines »

Les résultats sont éloquents, on ne les reprendra pas ici dans le détail chiffré. Ils montrent

que les concepts d’anomie développés par DURKEIM ceux de CASTEL pour la

désaffiliation sociale, PAUGAM pour la disqualification sociale et ceux de DUBET pour la

désorganisation sociale conjuguent tous les indicateurs ou presque permettant de

dépeindre le public en insertion du CHRS. Ce résultat prouve la solidité des concepts

utilisés et leur articulation entre eux. Ils démontrent l’opportunité de leur utilisation dans la

recherche mais aussi dans cette forme d’analyse sociale.

Le second résultat est tout aussi révélateur puisqu’il nous enseigne que le public des

migrants établit un score très faible dans les indicateurs d’insertion. Ceci renforce l’idée

d’indicateurs spéciaux pour chacun des publics.

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Eclairés par les auteurs de référence pour l’intégration, WINDISCH, OBIN, CAMILLERI

COHEN EMERIQUE, SCHNAPPER qui nous ont permis d’organiser une batterie

d’indicateurs d’intégration, nous avons opéré la démonstration inverse que les indicateurs

d’intégration se superposaient aux caractéristiques notées dans les dossiers des

migrants. A contrario le public en insertion ne se trouvait pas dépeint par ces mêmes

items. Sans être une révélation, cet exercice a toutefois valeur de démonstration a un

secteur professionnel qui a pu utiliser et utilise encore des indicateurs inadaptés et donc

des concepts inappropriés pour recevoir des demandeurs d’asile. Quelques réflexions

soulignent chez les professionnels du CHRS le manque d’indicateurs d’intégration

«Professionnel CHRS : Je sens toujours une méfiance, un comportement défensif quand je

les emmène en voiture. Il faut alors que je déploie des outils de mise en confiance pour

ne pas qu’il pense peut-être que je vais les livrer à la police. Je reste souriante, sereine

pour réduire l’angoisse que je perçois. Peut-être d’ailleurs que je me trompe »

« Professionnel CADA : quand ils arrivent, ils sont immédiatement en contact avec d’autres

demandeurs d’asile, ce sont eux qui expliquent le fonctionnement et qui lèvent les

craintes, notre rôle en général est bien perçu »

Le troisième stade de cette étude nous amène à valider l’idée que la connaissance

culturelle est indispensable à l’action auprès de ce public des migrants. La

démonstration est moins contrastée mais pas moins démonstrative. Peu de personnels

interrogés (2 /12) se positionnent face à la mise en valeur de la culture autrement que

par des objectifs d’animation des autres résidants.

«Professionnel CHRS : C’est au migrant de faire valoir sa culture, on apprend avec

eux, c’est plus enrichissant. Les autres résidants sont toujours très intéressés

lorsqu’on programme des séances animées par un migrant »

« Professionnel CADA : Les demandeurs d’asile, en particulier, les Tchétchènes

sont très attachés à la valorisation de leur culture, nous facilitons comme

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technique d’intégration, la valorisation des cultures des migrants dans tous les

rouages de la ville : formation, école, associations..)

Dans les dossiers, les signes de connaissance culturelle sont bien présents. Ceci n’est

toutefois pas en mesure de remettre en cause l’hypothèse d’amélioration de

l’accompagnement de ce public. C’est vrai que la connaissance culturelle semble exister

au regard des indicateurs d’ailleurs peu nombreux que nous avons catalogués, mais elle

ne fait l’objet d’aucune d’offre de service de la part des professionnels.

« Professionnel CHRS : Quand on part à l’étranger c’est vrai que le changement

d’alimentation est toujours une période difficile, au CHRS on suppose qu’ils

s’adaptent, en tout cas c’est vrai que ce n’est pas dans nos préoccupations »

« Professionnel CHRS : Chez nos résidants habituels on a parfois des musulmans

pratiquants, on propose toujours d’adapter les repas. C’est vrai qu’on ne connaît

pas d’emblée la religion d’un demandeur d’asile…et on ne connaît pas les

contraintes alimentaires des autres religions quand nous recevons des mongols

par exemple »

« Professionnel CADA : nous organisons des formations à la citoyenneté française, à

la compréhension des mécanismes des administrations françaises, et plus

globalement, la vie en France »

Les éléments culturels sont inscrits, comme pour les résidants habituels, par une sorte de

réflexe. Il s’agit de noter des particularités qui suffisent à une meilleure compréhension de

la situation sans correspondre à une prestation adaptée. On note ainsi quand on le sait,

que le migrant est de confession orthodoxe comme on note qu’une autre résidante est

diabétique. Cet angle d’attaque de l’identité culturelle comme ressort essentiel de

l’accompagnement des migrants est essentiel à la résolution de la problématique de

l’établissement. Les professionnels du CADA basent nous disent-il une grande partie de

leur accompagnement à l’intégration sur cette communion culturelle des publics car

comme nous le signifie VINSONNEAU, dans la construction de l’identité sociale, la

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quête de la différence est simultanée à celle de la similitude. Les deux mécanismes

s’intégrant dans la recherche d’un équilibre de la perception de soi. Comme le note

Camilleri « il reste du chemin à parcourir pour dans ce contexte professionnel pourtant

éveillé, l’on puisse « réconcilier les codes culturels en présence »

Point d’orgue de notre recherche, nous avons cherché à lever le voile sur l’impact de

cette mutation de public sur l’identité professionnelle. On sait que l’individu construit son

identité tout au long de sa vie notamment dans les activités quotidiennes de travail et

dans les savoirs partagés. Nous nous sommes intéressés ici, en suivant la voie ouverte

par Claude DUBAR, « au rapport établi par les individus avec leur activité et leur

organisation de travail en ce qu’ils participent aux processus de structuration identitaire à

l’œuvre en chaque être humain ».

Nous avons, au gré d’entretiens conduits contradictoirement avec le personnel éducatif

du CHRS et ceux du CADA et l’AUDA, mis l’accent sur des indicateurs de perturbation de

l’identité professionnelle chez les salariés du CHRS.

Le point fort relevé au sein des entretiens, et qui apparaît comme une barrière forte à

l’identité professionnelle, est que le personnel ne reconnaît pas comme faisant partie de

son travail l’accueil des migrants. Ils se disent « mis devant le fait accompli… » D’une

certaine façon ce n’est plus ici le défaut de référence conceptuelle qui se manifeste mais

l’idée que l’accueil n’est possible de cette population que si le personnel est associé à la

décision de l’accueil.

« En principe l’équipe se prononce toujours sur l’accueil d’un résidant, nous ne

sommes pas plus maître de la durée du séjour que sur le contrat éducatif avec

les demandeurs d’asile »

Ce propos traduit là encore la position majoritaire des personnels qui se sont exprimés.

Perturbé par l’arrivée de cette nouvelle population le personnel ici se recentre sur les

certitudes pédagogiques qui sont classiquement celles relevant des méthodes du travail

en équipe. L’indicateur de perturbation de l’identité professionnelle apparaît ici sous la

forme d’une confusion entre « l’équipe » comme méthode de travail et le pouvoir

institutionnel que les professionnels en équipe s’octroient ici de décider de l’accueil.

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Le second point qui transparaît comme indicateur de déséquilibre identitaire dans les

entretiens avec les professionnels est que le public est vécu comme perturbateur de

l’équilibre des professionnels. Il est d’une certaine façon suspecté de ne pas s’adapter

aux méthodes professionnelles, ce qui en matière de travail social est à l’opposé de la

culture classique. Les exemples sont nombreux de propos réactifs aux attitudes ou aux

mode de vie des migrants 6/12

« Professionnel CHRS : On arrive pas à travailler, ils sont exigeants, ils n’acceptent

de donner des comptes. On doit se justifier davantage. Ils n’acceptent pas notre

aide. A quoi cela sert-il de poursuivre le séjour dans ces conditions ».

« Professionnel CADA : notre action est très circonscrite dans les aspects de soutien

juridique, dans l’insertion dans la vie locale, dans la formation. Notre

fonctionnement n’est pas différent des autres CADA, notre spécialité réside peut

être dans le fait que notre travail autour de l’intégration est clairement encadré

par les règles de l’accueil des étrangers en France »

Nous confirmons que cette réactivité est un indicateur de perturbation. Le troisième axe

fort relevé au cours de ces entretiens élève au rang des perturbations identitaires les

caractéristiques de détresse des migrants. Ainsi les grèves de la faim, les menaces de

suicide sont de nature à bloquer l’expression professionnelle des spécialistes, qu’ils sont

par ailleurs, de ce type de drame. Le contexte politique dépassant ici l’aspect humain.

La comparaison avec les professionnels du CADA renforce cette idée de perturbation

identitaire chez leurs collègues des CHRS. Ils pointent comme des indicateurs de

valorisation, des items qui sont négatifs chez les praticiens de l’insertion.

Notre travail de recherche permet d’affirmer cette hypothèse que le changement de

public modifie l’identité professionnelle du personnel éducatif. Néanmoins nous ne

pouvons prétendre que nos indicateurs aient une valeur de règles dans un autre contexte

ou avec un autre public. En effet nous avons conscience que le caractère relativement

empirique des entretiens, par ailleurs très libres et abondants, nous autorise à dégager

des généralités. Certains paramètres comme l’âge des salariés, leur ancienneté dans la

structure, la variété de leurs expériences dans le domaine social , n’ont pas été

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appréhendées. C’est ici la limite de notre travail qui mériterait sans doute sur ce simple

aspect une recherche complémentaire.

3.3 Conséquences méthodologiques sur la formation et préconisations Si dans la chronologie de notre étude l’examen de la perturbation identitaire arrive en

conclusion de notre recherche, on peut poser l’hypothèse que dans l’abord d’une

formation cette partie est prioritaire. En effet ce corps professionnel a une identité

professionnelle très forte. Le caractère de spécialiste est souvent mis en avant et confine

parfois à un mode de pensée voire un mode de vie. Un premier travail en formation

autour de cette perturbation est le préalable indispensable à l’ouverture vers de nouveaux

concepts et de nouvelles méthodes.

Pour les mêmes raisons, sans doute faudrait-il que cette première partie de la formation

s’organise individuellement dans des stages regroupant des professionnels de structures

différentes. En effet une formation en intra risquerait de se confronter trop durement à la

réactivité qu’il faut justement dépasser.

Sur les autres items autour des références conceptuelles, il est préconisé de mixer les

formations théoriques avec des stages sur le terrain de l’intégration. Il en va de même

pour les aspects culturels où l’action a une valeur très forte d’illustration du concept.

Sur un plan organisationnel, il parait alors opportun d’engager sur un mode managérial, la

mise au point d’un référentiel d’intégration. Sous la forme d’un chantier permanent cette

construction servira de fil rouge à l’adaptation des personnels et de la structure au

nouveau public des migrants.

3.5 Les limites de la recherche

La question que l’on peut se poser quand on aborde une recherche de ce type c’est

l’enseignement général que l’on peut tirer de l’étude. Celle-ci se déroule au sein d’un

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établissement d’internat très fortement connoté insertion sociale. Il s’agit d’un

établissement de 30 places avec une équipe de professionnels de 16 personnes tout

corps de métier confondus. On y retrouve toutes les formations du travail social mais les

missions sont organisées autour d’un travail éducatif d’éducateur spécialisé. Notre

recherche et surtout notre observation sont circonscrites à cette superficie. Elle contient

en elle-même ses limites de volume d’observation. Un exercice salutaire consisterait à

s’enrichir d’une étude comparative qu’il faudrait conduire dans des établissements

similaires. Si certains ont été contactés à titre de vérification et de cohérence générale,

l’étude proprement dite s’est déroulée au sein du CHRS.

Notre étude dans un contexte strictement local a étudié une population issue d’Europe de

l’est. Celle-ci présente des caractéristiques ethno culturelles sensiblement différentes des

migrants issus d’autres parties du monde :

Niveau de formation

Origine sociale

Origine de la migration

Perception du monde occidental

Capacité d’intégration

A l’évidence ces caractéristiques sont de nature à faire varier les paramètres de notre

recherche et modifier ce qui pourrait à la première lecture apparaître comme des règles

générales. Notre étude a posé d’une manière contradictoire les concepts de l’insertion et

de l’intégration. Dans le scénario des jeunes rwandais arrivant en France malades,

blessés, esseulés et brutalement coupés de leurs racines, la dichotomie des concepts

n’est pas aussi tranchée. La mixité des concepts doit alors se poser d’une manière

totalement différente que n’a pas abordé notre recherche.

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4. CONCLUSION

La recherche se définit en cherchant et c’est en évaluant ce que l’on a découvert que l’on

peut s’interroger à nouveau sur ce que l’on aurait pu étudier. Notre étude n’échappe pas

à la règle.

Nous pouvons faire le tour de ce qui a été avancé dans le présent mémoire et redire

d’abord que notre recherche est justifiée par notre position au sein de l’organisation. En

effet, il ne s’agit pas d’un mémoire de travail social même s’il apporte des éclairages à

l’accompagnement des demandeurs d’asile. Il doit être compris comme une recherche

dans une optique managériale de développement et de mise au point de la formation des

personnels. En cela nous espérons qu’il est autant démonstratif de l’ingénierie que de la

connaissance de la thématique des migrants elle-même. C’est l’équilibre de ces deux

champs qui est ici visé.

Sans décrire à nouveau les éléments du contexte, il est utile cependant de rappeler que

cette recherche est née d’un changement de clientèle au sein d’un CHRS. Cette

variation de population et le caractère imposé et inopiné de cette évolution s’est traduit

par des difficultés d’adaptation des personnels sur des champs aussi divers que les

comportements, les réflexions, les techniques, et les références identitaires.

Nous nous sommes d’abords enrichis, dans la première partie, des concepts bornant la

problématique d’adaptation des professionnels à l’accueil des migrants. Nous avons

ainsi constitué la base documentaire permettant d’étudier comparativement les théories

traitant des deux grands concepts que sont l’exclusion et l’intégration. Nous avons pu de

cette façon instruire nos entretiens avec les professionnels et engager ces derniers dans

la compréhension de leurs difficultés. C’est ainsi que nous avons vérifié notre hypothèse

et affirmé que les compétences du personnel éducatif sont différentes selon la

démarche d’insertion ou celle de l’intégration. Tous ces matériaux, recueillis sous une

forme organisée et thématique en collaboration avec les personnels concernés se prêtent

à la construction d’un plan de formation. Nous avons été satisfaits de la richesse des

entretiens qui se sont déroulés et de l’attention des interviewés. Nos résultats

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enrichissent d’une part les thèmes de formations puisqu’ils posent les bases d’un

référentiel de compétences et d’autre part sont démonstratifs de la participation des

agents à sa construction. N’auront pas été traités ici les difficultés provoquées par la

mixité des populations. Il faut en effet garder à l’esprit que nous sommes face à une

recomposition partielle de la population et non pas au remplacement d’une population par

une autre. Le plan de formation, comme les règles d’organisation devront traiter la

confrontation des deux publics et la cohabitation des deux approches théoriques.

En affirmant que la connaissance culturelle d’un public est indispensable à l’action auprès

de celui-ci nous avons traité l’idée que nombre de besoins assis sur des pratiques

culturelles n’étaient pas pris en compte par les professionnels. La connaissance de ces

particularités culturelles est souvent très limitée et notre étude démontre que lorsque des

indicateurs culturels sont notés dans les dossiers , ils le sont comme des éléments de

connaissance simples et non pas comme nécessitant des prestations en retour. Il est

opportun de rappeler ici que les caractéristiques ethniques des populations de l’Europe

de l’est, la couleur de peau et les usages vestimentaires notamment, renforcent l’idée

qu’il n’y a, à part la langue, pas de différences culturelles notoires. A contrario méfions –

nous donc de l’idée simpliste qui consisterait à penser que des migrants issus de pays

sous-développés n’ont que des besoins primaires, santé, logement. Les aspects culturels

ne sont probablement pas des éléments de connaissances qu’un géographe pourrait

enseigner. Notre étude nous renforce plutôt dans l’idée d’une réflexion éthique sur le

respect de l’autre, de sa qualité, de ses spécificités, et de ses forces.

Confrontés à L’accueil de cette nouvelle clientèle, nous avons conclu à l’utilité d’engager

un appareil de formation qui soit de nature à modifier, les règles d’éthique, les

fondements théoriques, la hiérarchie des connaissances et des compétences, les savoirs

faire, les bases documentaires et les activités. Notre étude a apporté là aussi un

éclairage en pointant les manques, l’inadaptation des connaissances et enfin l’impact du

changement sur l’identité professionnelle. Dans ce contexte nous apportons les éléments

nécessaires à la construction d’un plan de formation. Notre étude aura apporté sa pierre

à la compréhension de professionnels en recherche de repères pour s’adapter à leur

nouvel environnement. Nous espérons avoir fait œuvre de révélateur des difficultés et

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suscité une prise de conscience des professionnels sur l’enjeu de la formation. Ces deux

aspects apparaissant comme deux préalables à une démarche collective de formation.

Dès lors plusieurs propositions de formation issues des conclusions de la mission et

enrichies des concepts étudiés peuvent être rappelées ici :

La mise en œuvre des interventions socio-éducatives différenciées qui

tiennent compte du niveau social des migrants et des mécanismes de

l’intégration.

L’intervention dans le respect de la déontologie et l’éthique du métier sur

les deux plans que constituent la réflexion théorique et la confrontation

d’expérience.

L’analyse de la demande et les besoins exprimés par cette population,

notamment en considération des particularités culturelles des usagers.

Ces premiers éléments de formation doivent s’accompagner d’un travail en réseau et de

la réflexion collective sur la construction d’un référentiel.

Notre étude s’est enrichie du contact avec le CADA. Et pourtant, celui-ci n’a pas de

personnel a priori mieux formé. Ses agents ne sont pas titulaires de diplômes différents et

leur adaptation au public des demandeurs d’asile ne pose pas de problèmes particuliers.

Sans invalider notre recherche nous pouvons poser une nouvelle hypothèse que c’est

autant le ressenti du caractère imposé de l’accueil des migrants que le changement de

public qui a fragilisé l’équipe en place. Ce sont alors les mécanismes institutionnels qu’il

faut examiner, la construction des identités professionnelles au sein d’institution comme

le CHRS, les logiques d’organisation et puis bien sûr l’avis des migrants eux-mêmes.

Mais ceci est une autre recherche.

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SCHNAPPER Dominique « La communauté des citoyens » Paris, Gallimard essais, 1994

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Glossaire

AUDA Accueil d’Urgence Demandeurs d’Asile API Allocation de Parent Isolé

CADA Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile

CHRS Centre d’Hébergement et Réinsertion Sociale

CCAS Centre Communal d’Action Sociale

CDE Centre Départemental de l’Enfance

CMU Couverture Médicale Universelle

DDASS Direction Départementale Affaires Sanitaires et Sociales

OFPRA Office Protection pour les Réfugiés et Apatrides

OMI Office Migrations Internationale

RMI Revenu Minimum d’Insertion