13
UNE FINANCE RESPONSABLE À L'ÈRE DE LA MONDIALISATION ÉCONOMIQUE Corinne Gendron et Gilles L. Bourque Altern. économiques | L'Économie politique 2003/2 - no 18 pages 50 à 61 ISSN 1293-6146 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2003-2-page-50.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Gendron Corinne et Bourque Gilles L., « Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique », L'Économie politique, 2003/2 no 18, p. 50-61. DOI : 10.3917/leco.018.0050 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Altern. économiques. © Altern. économiques. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © Altern. économiques Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © Altern. économiques

Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

UNE FINANCE RESPONSABLE À L'ÈRE DE LA MONDIALISATIONÉCONOMIQUE Corinne Gendron et Gilles L. Bourque Altern. économiques | L'Économie politique 2003/2 - no 18pages 50 à 61

ISSN 1293-6146

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2003-2-page-50.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gendron Corinne et Bourque Gilles L., « Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique »,

L'Économie politique, 2003/2 no 18, p. 50-61. DOI : 10.3917/leco.018.0050

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Altern. économiques.

© Altern. économiques. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 2: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

L’Economie politique n° 18

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

Trim

estr

iel-a

vril

2003

p. 50

Corinne Gendron, professeure à l’Uqam (Université du Québec à Montréal),et Gilles L. Bourque, économiste chez FondAction [1]

Au milieu des années 1970, le régime d’accumulationfordiste s’est grippé, sonnant le glas des Trente Glo-rieuses qui ont caractérisé la période de l’après-guerre.Jusqu’alors ancré dans le territoire national, le déve-

loppement est devenu affaire de production, puis de commerceinternational. Impulsé par les stratégies de multinationalisa-tion des grandes entreprises, le nouvel espace économiquemondial a trouvé, dans les nouvelles technologies de communi-cation, le terreau de son expansion et de son approfondissement.Cet espace mondial est devenu peu à peu l’élément de réfé-rence des stratégies corporatives, conduisant à une profonderecomposition du politique et des rapports entre entreprise etEtat. Cette recomposition a été d’autant plus radicale que,poussé par les nouvelles technologies de communication, lemouvement de décloisonnement, de désintermédiation et dedéréglementation (communément appelé « mouvement destrois D ») est venu consacrer le démantèlement du systèmemonétaire et favoriser l’intégration d’une finance désormaismondialisée et hautement volatile.

Une finance responsable à l’ère de la mondialisationéconomique

[1] Nous tenons à remercierle programme INÉ, du CRSH,qui a permis de mener les recherches ayant servi de base au présent article. Il s’inspire de plusieurs denos recherches, notammentGilles L. Bourque et CorinneGendron, «La financeresponsable : la nouvelledynamique d’une financeplurielle ?», Economie et Solidarités n° 2, vol. 34 (à paraître, 2003), etGilles L. Bourque et DanielSimard, «Une expériencequébécoise de financeresponsable : la CSN et sesoutils collectifs», CadresCFDT n° 400, juillet 2002.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 3: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

Avril-mai-juin 2003

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

51

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p.

›››

Les modalités de régulation de ce nouveau régime sont aucœur des controverses de notre temps. Les nouvelles instancesde la mondialisation en sont à échafauder un système complexe oùle libre commerce est érigé en principe légitimateur, alors que desacteurs sociaux dispersés proposent une mondialisation alter-native, portée par d’autres principes, et s’engagent dans un pro-cessus d’organisation réticulaire inédit où l’action sociale prend denouvelles formes. Ces acteurs ont ceci de particulier qu’ils ne secontentent plus de la sphère politique et sociale pour déployerleur action ; ils investissent désormais le champ autrefois suspectde l’économie. Le commerce équitable, les investissements socia-lement responsables, la finance solidaire et l’économie socialeont en commun le fait d’instrumentaliser l’économie à des finssocio-politiques. Ces mouvements contestent ainsi le dogme d’uneéconomie a-sociale purement fonctionnelle, et rendent visiblesles implications politiques des postulats de l’économie tradition-nelle. Ils proposent une nouvelle économie, réencastrée dans lesocial et inscrite au cœur d’un projet de développement librementchoisi : l’économie pensée comme moyen peut être configurée enfonction de choix politiques et sociaux faits en amont.

Les innovations sociales du secteur financier sont tout à faitreprésentatives de cette appropriation de l’économie par ceux quenous avons convenu d’appeler les nouveaux mouvements sociauxéconomiques [2]. La finance socialement responsable propose eneffet de nouvelles modalités de fonctionnement, tendant à rendreexplicite la performance sociale des actes financiers. En consé-quence, elle permet d’orienter ces actes en fonction de critèressocio-économiques, donnant potentiellement corps à un modèle dedéveloppement choisi en amont du système financier lui-même.

La pratique financière comme outil de mobilisation socialeAu cours de sa courte histoire, l’investissement éthique prati-qué par les communautés religieuses inquiètes des activitésimmorales telles que l’alcool et le jeu (sin stocks) a progressi-vement cédé le pas à un mouvement d’investissements socia-lement responsables préoccupés par les questions de droitshumains, de droits du travail et d’environnement. Ainsi, dès lesannées 1960, les activistes américains du mouvement des droitsciviques et contre la guerre du Vietnam rejoignent les commu-nautés religieuses dans leurs efforts de mobilisation. A cetteoccasion, les critères éthiques utilisés dans la gestion financière

[2] Voir Corinne Gendron,«Emergence de nouveauxmouvements sociauxéconomiques», Revue Pourn° 172, Paris, Grep, 2001.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 4: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

L’Economie politique n° 18

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p. 52 prennent un caractère de plus en plus social. Mais cette mobi-lisation financière conserve la même forme, celle d’un tamisagepar l’application de filtres négatifs au moment du choix desplacements financiers.

Dans les années 1970 et 1980, la mobilisation financière prendson envol à l’international en se concentrant sur la lutte contrel’apartheid en Afrique du Sud. Elle sort du territoire américain etse répand en Grande-Bretagne, où les liens avec l’Afrique du Sudsont évidents, puis sur le continent européen. C’est dans cecontexte que se produit un tournant important, qui débouchera surune nouvelle forme de placement. Alors que la finance éthique selimitait à une approche punitive, de rejet de certains placementsen fonction de critères moraux, un activiste américain, Leon Sullivan,propose une approche d’engagement : les placements doiventservir à changer les conduites des entreprises, particulièrementen faisant en sorte qu’elles deviennent des acteurs de réformedu régime de l’apartheid par l’application volontaire de politiquesd’emploi non discriminatoires.

Ce premier pas sur le plan international a rapidement servide modèle pour étendre le mouvement des investissementsresponsables à d’autres causes, en particulier à celle de l’envi-ronnement. Alors que l’on pouvait craindre que le mouvementdes investisseurs responsables ne s’effondre avec la fin de

l’apartheid en Afrique du Sud, celui-ci, au contraire, a connu un nouveausouffle avec la cause environne-mentale, qui s’est progressivementimposée comme le critère dominantdes fonds éthiques. Au cours desannées 1990, le mouvement de l’in-vestissement responsable a pour-suivi son essor, à la faveur de ladiversification des thèmes de mobi-

lisation sociale. Les conséquences de la mondialisation ont donnéprise à plusieurs campagnes pour dénoncer les conditions de tra-vail dans le Sud, notamment le travail des enfants. Parallèlement,la mondialisation financière a suscité l’émergence d’une nouvellefinance solidaire territorialisée, axée sur les besoins des collec-tivités, et l’apparition de nouveaux acteurs sur la scène finan-cière, tels que les fonds de travailleurs. Dans la même foulée, ona vu des institutions financières allouer une partie de leurs actifs

La fin des années 1990 voit une véritable institutionnalisation

du mouvement de l’investissementresponsable, alors que les législations

reconnaissent son existence et qu’il se structure en industrie.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 5: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

Avril-mai-juin 2003

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

53

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p.

›››

à de nouvelles institutions financières visant le développementéconomique et social de leur communauté. Aux préoccupationsenvironnementales se sont ainsi ajoutées des préoccupationsplus spécifiquement sociales, telles que le respect des normesinternationales de travail dans les pays du Sud ou le développementdes communautés en difficulté dans les pays du Nord.

A la fin des années 1990, on peut parler d’une véritable insti-tutionnalisation du mouvement de l’investissement responsable,alors que les législations reconnaissent son existence et qu’il sestructure de plus en plus en industrie. A tel point que certainsanalystes se demandent si l’investissement socialement respon-sable n’est pas en passe de se banaliser, pour devenir un simplesegment de marché destiné au nouveau créneau des « investis-seurs socialement responsables ».

Finance, éthique et responsabilité socialeCe petit rappel historique permet de voir que, même si certainsles confondent, il est pertinent de distinguer l’investissementéthique, auquel on peut attribuer une connotation morale, del’investissement socialement responsable, qui évoque la dimen-sion et les impacts sociaux de tout investissement. Tandis quele premier, qui marque les débuts du mouvement, supposel’application de critères et de jugements moraux individuels, lesecond, plus présent aujourd’hui, se réfère davantage aux impactssociaux des activités et des investissements qui les supportent.En d’autres termes, l’investissement éthique renvoie à des valeursmorales reposant sur des choix individuels particuliers, alorsque l’investissement social suppose une évaluation systéma-tique et partagée des activités et de leurs conséquences sur lasociété, effectuée sur la base de normes sociales largementdébattues et reconnues.

La notion d’investissement, traduite du terme anglais invest-ment, n’est en fait pas très appropriée pour analyser les trans-formations en cours dans les pratiques financières. Le termeanglais confond les activités de placement et celles d’investisse-ment, que l’on distingue en français. A partir du terme uniqued’investment, la littérature portant sur les investissements respon-sables a classé ceux-ci en trois grandes formes distinctes : l’appli-cation de filtres positifs ou négatifs au moment du choix de pla-cement (screening ou tamisage) ; l’engagement ou l’activismeactionnarial auprès des entreprises du portefeuille de placement ;

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 6: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

L’Economie politique n° 18

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p. 54 et l’investissement communautaire. Ces formes d’activités finan-cières correspondent d’abord et avant tout aux pratiques del’investissement responsable telles qu’elles ont émergé auxEtats-Unis. Or, ce classement ne tient pas compte de la distinctionfondamentale entre placement et investissement, d’une part, etignore d’autre part les pratiques financières alternatives appa-rues ailleurs, telles que les fonds de travailleurs au Québec oula finance solidaire en Europe. C’est pourquoi nous proposonsplutôt, comme traduction de l’expression « socially responsibleinvestment », la notion de « finance socialement responsa-ble » (FSR), qui intègre tout en les distinguant les aspects place-ment et investissement.

Cette notion permet de développer une nouvelle typologie,où la finance socialement responsable se compose de deux grandstypes de pratiques distinctes : les placements et les investisse-ments. Alors que le placement se réfère à l’action de placer del’argent, l’investissement renvoie à l’emploi de capitaux visant àaccroître la production ou à améliorer le rendement. En d’autrestermes, les placements concernent généralement les activitésfinancières sur les marchés secondaires, alors que les investis-sements concernent des participations directes en entreprise.Mais, qu’il s’agisse de placement ou d’investissement, la financesocialement responsable peut prendre diverses formes et adopterplusieurs véhicules.

Les placementsLes deux principales formes de placements socialement respon-sables correspondent aux pratiques financières alternatives quiont émergé aux Etats-Unis et qui se sont répandues presquepartout où il existe des marchés organisés de capitaux : le tami-sage et l’engagement (ou l’activisme actionnarial). Le tamisagese pratique par l’application de filtres positifs ou négatifs, surla base de critères éthiques, sociaux ou environnementaux, dansle processus de choix des placements. Les filtres sont négatifslorsqu’ils visent à exclure certaines entreprises du portefeuille deplacement – par exemple des producteurs de cigarettes, d’armesou encore des entreprises qui ont un bilan social ou environne-mental déficient. A contrario, les filtres positifs visent à ajouterdans le portefeuille des entreprises qui se signalent par des pra-tiques exemplaires, qui apportent une contribution significativeau développement durable, ou encore qui font preuve d’unegouvernance d’entreprise participative.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 7: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

Avril-mai-juin 2003

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

55

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p.

›››

L’engagement, qu’on appelle souvent l’activisme actionnarial,adopte une philosophie d’action différente, même s’il s’appuiesur des critères identiques au tamisage. La philosophie de l’en-gagement est de contribuer au changement des pratiques desentreprises au chapitre de leur responsabilité sociale et environ-nementale. Les activistes utilisent leur influence en tant qu’action-naires ou même en tant que simples détenteurs d’obligations,dans le but d’améliorer la gouver-nance et les pratiques sociales etenvironnementales de l’entreprise.Pour ce faire, ils engagent toutd’abord un dialogue avec la direc-tion, afin d’obtenir des informationssur les pratiques de l’entreprise oude persuader les dirigeants de modi-fier certaines pratiques socialementinacceptables. Lorsque le dialoguene donne pas de résultat, ces activistes déposent des résolutionsd’actionnaires ou votent des résolutions à caractère social lorsdes assemblées d’actionnaires. Enfin, ces activistes iront jusqu’àla menace de désinvestissement, en liaison avec des campagnesactives de boycottage. Le désinvestissement peut ainsi êtrereconnu comme une troisième forme de stratégie de placementsocialement responsable, puisqu’il combine tout à la fois l’enga-gement et le tamisage, auquel il peut aboutir si le dialogue prévupar la stratégie d’engagement échoue.

Les investissementsOn peut classer les pratiques de l’investissement socialementresponsable en deux grandes catégories, selon qu’il s’agit decapital-développement ou de finance solidaire. Dans ce domaine,les expériences nationales sont multiples ; chaque pays a innové,et on y observe une multitude d’expériences de services financierscherchant à répondre à des besoins nouveaux. La distinctionentre capital de développement et finance solidaire nous apparaîtcomme la plus appropriée pour saisir les tendances de fond desinvestissements socialement responsables.

Le capital développement doit être compris comme une formede capital-risque dont le rendement anticipé sur les investissementsne vise pas tant à maximiser qu’à pérenniser l’activité écono-mique. Comme le capital-risque, le capital développement attendun rendement par rapport aux risques encourus. Cependant,

La distinction entre capital de développement et finance solidairesemble la plus appropriée pour saisir les tendances de fond des investissements socialement responsables.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 8: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

L’Economie politique n° 18

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p. 56 contrairement aux sociétés de capital-risque classiques, les fondsde capital développement ont comme objectif principal le déve-loppement économique de leur territoire, dans le but de créer del’emploi. Ils se distinguent aussi des organismes publics par lefait qu’ils fournissent du financement, plutôt que des subven-tions aux entreprises.

Au Québec, l’exemple type de ce capital de développementest celui des fonds de travailleurs [3]. En retour des avantages fis-caux dont bénéficient les souscripteurs, la législation impose àces fonds l’obligation de combiner l’objectif de rendement à desobjectifs de création d’emplois, de développement économique, departicipation et de formation des travailleurs. Un pourcentageimportant de l’actif des fonds de travailleurs doit prendre la formede participations directes dans des PME québécoises, le restepouvant être utilisé sous forme de placements en obligations ouen valeurs mobilières. Dans les pays de tradition anglo-saxonne,où les fonds de pension privés sont plus développés, on a vu émer-ger ces dernières années plusieurs formes de véhicules financierssemblables aux fonds de travailleurs. Aux Etats-Unis, on nomme cespratiques les investissements économiquement ciblés (economi-

cally targeted investments) : ils visentà combler des lacunes de finance-ment qui entraînent des sous-inves-tissements dans certains secteurs.De façon générale, les promoteursde cette finance socialement respon-sable sont des fonds de pension quimutualisent les risques en plaçantune partie de leur actif dans une

société d’investissement qui se donne des objectifs de créationd’emploi, de développement économique communautaire, delogements abordables, d’infrastructures publiques, etc.

La finance solidaire, quant à elle, renvoie à une pluralité devéhicules d’intervention, tout en étant nécessairement gouver-née par les acteurs locaux. Elle s’inscrit le plus souvent dans laperspective du développement économique communautaire, quise définit comme une stratégie multifonctionnelle et globaleconçue et dirigée localement, dans le but de contribuer à la revi-talisation et au renouvellement des économies des communau-tés locales. La finance solidaire tente de répondre à la difficulté,pour les collectivités en déclin et les populations aux prises avec

[3] Voir Corinne Gendron,«Fonds de pension à la québécoise»,Le Monde diplomatique,avril 2002 (ou à l’adresse :http://www.monde-diplomatique.fr/2002/04/GENDRON/16383).

La finance solidaire s’inscrit le plus souvent dans la perspective

du développement économiquecommunautaire, en tant que stratégie

conçue et dirigée localement.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 9: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

Avril-mai-juin 2003

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

57

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p.

›››

le cercle vicieux de la pauvreté, d’accéder à du capital, les outilsde la finance traditionnelle n’étant généralement ni disponiblesni adaptés aux besoins de ces populations. Comme la financetraditionnelle, la finance solidaire peut prendre la forme de prêtsà intérêts avec ou sans garanties, mais elle passe aussi par lareconstruction du capital social des communautés. Les investis-sements de la finance solidaire visent évidemment des résultatsquantitatifs (création d’emplois ou d’entreprises, en particulierdes entreprises d’économie sociale), mais surtout qualitatifs :employabilité, perfectionnement, nouvelle culture entrepreneu-riale, autocontrôle, gains d’autonomie…

Les véhicules de la finance solidaire sont diversifiés : le créditcommunautaire, le microcrédit ou les cercles d’emprunt occupentle créneau des très petits prêts, en offrant du crédit et de l’accom-pagnement aux personnes et aux groupes qui cherchent à démar-rer ou à consolider des projets générateurs de revenus auto-nomes. D’autre part, les Credit Unions au Canada, les caissespopulaires et d’économie au Québec, les banques éthiques enItalie, les caisses solidaires et les fonds de partage en Francepeuvent être, dans une certaine mesure, classés comme véhi-cules de la finance socialement responsable, lorsqu’ils se donnentun rôle de développement social spécifique dans leur commu-nauté d’appartenance.

Une nouvelle régulation portée par des modalités inédites de l’action collectiveLa finance responsable, qu’on peut également caractériser de plurielle,compte tenu de la diversité des instruments qui s’en réclament,existe et se développe parce qu’en amont, tout d’abord, des per-sonnes s’approprient les valeurs et les principes d’une éthiqueautre que celle, exclusive, du profit à court terme. Mais c’est aussiparce que, en aval, cette finance répond à des besoins provenantd’entrepreneurs individuels et collectifs qui intègrent, dans leurprocessus de décisions, des critères relevant de l’intérêt général.

Le placement responsable permet aux investisseurs préoc-cupés par l’impact de leurs choix financiers de se prononcer surles pratiques des grandes entreprises « publiques » [4]. Il corres-pond à un nouveau véhicule de pression sociale : au lieu d’utili-ser des moyens de pression traditionnels, les mouvements sociauxaccaparent le statut d’actionnaire pour forcer l’entreprise à tenircompte de considérations sociales, en sus de la recherche d’un

[4] Entendues ici dans le sens de sociétés à capital ouvert.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 10: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

L’Economie politique n° 18

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p. 58 rendement financier. Cette utilisation inédite du statut d’action-naire pose un véritable défi au système juridique, puisque, loind’être propriétaire de l’entreprise, l’actionnaire n’a que des droitsd’investisseur vis-à-vis d’elle. En conséquence, il ne peut contes-ter ses pratiques que dans la mesure où celles-ci présentent unrisque pour son rendement.

C’est dans cette optique que, jusqu’à tout récemment, la loi surles sociétés canadiennes par actions permettait aux entreprisesde rejeter toute proposition des actionnaires ayant pour objetprincipal de « servir des fins générales d’ordre économique, poli-tique, racial, religieux, social ou analogue». Amendé à la fin de l’an-née 2001, le régime juridique canadien permet désormais dedéposer de telles propositions, à condition que ces dernièressoient liées aux activités commerciales et aux affaires internesde la société. Cet amendement étend, il est vrai, le champ d’actiondes actionnaires, mais il faut y voir davantage une compréhensionplus large des facteurs de rentabilité et de risque qu’une trans-

formation dans la nature du droitdes actionnaires vis-à-vis de l’en-treprise. Il n’en reste pas moins que,en pratique, les résolutions d’action-naires à caractère social ou envi-ronnemental, alors même qu’ellesne recueillent que 10 à 30 % desvotes, ont un impact considérablesur les politiques de l’entreprise ;

et cela est probablement moins dû à la menace de contrainte juri-diques qu’elles représentent qu’au battage médiatique dont cesrésolutions sont l’objet. Dans nombre de cas, la direction négocieavec les actionnaires activistes en vue du retrait de la proposi-tion au moment de l’assemblée. Cette pratique a donné lieu àl’adoption de plusieurs codes de pratiques en matière de droitshumains et au chapitre de l’environnement par des firmes tradi-tionnellement réfractaires aux stratégies de responsabilité sociale.Par ailleurs, l’engagement concerne souvent les activités extra-territoriales des entreprises, qui échappent à la juridiction deleur pays d’attache. Le placement responsable se positionne ainsicomme régulateur d’agents économiques de plus en plus difficilesà saisir et à encadrer, et les campagnes d’actionnaires favorisentles comportements corporatifs socialement responsables, touten fournissant aux parties prenantes de l’entreprise des infor-mations essentielles à la prise de décision.

Les résolutions d’actionnaires à caractère social ou environnemental,

si elles ne recueillent que 10 à 30 % des votes, ont un impact considérable

sur les politiques de l’entreprise.D

ocum

ent t

éléc

harg

é de

puis

ww

w.c

airn

.info

- -

-

138.

73.1

.36

- 03

/05/

2013

14h

06. ©

Alte

rn. é

cono

miq

ues

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. ©

Altern. économ

iques

Page 11: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

Avril-mai-juin 2003

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

59

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p.

›››

Si les placements responsables ont l’ambition d’encadreret de surveiller les pratiques sociales et environnementales desgrandes entreprises, on pourrait dire que l’investissementresponsable tente de domestiquer la finance elle-même. A l’heure

où les marchés financiers inter-dépendants sont de plus en plusinstables et volatils, l’investisse-ment responsable territorialise lecapital en y accolant des projetsconcrets de développement ancrésdans les populations. Il participenotamment au renouveau de l’en-

trepreneuriat individuel et collectif, auquel il dédie une partieimportante de ses capitaux. En finançant des projets concretsportés par les communautés locales, l’investissement respon-sable est un exemple probant d’instrumentalisation de l’éco-nomie à des fins sociales, qui a l’intérêt de rapprocher l’inves-tissement de sa finalité originelle : le développement.

De façon plus générale, et qu’il s’agisse de placements oud’investissements, la finance responsable se démarque d’uneindividualisation des outils financiers à laquelle a présidé lafinanciarisation de l’économie et l’internationalisation de lafinance. Elle vient reconstruire le lien entre l’investisseur et leprojet de développement, en se préoccupant de la question de lacohésion sociale. Les attentes à court terme sont reléguées ausecond plan, et les bénéfices ne sont plus mesurés uniquementà l’aune du rendement financier individuel. Il s’agit donc d’uncapital patient, bénéficiant d’un rendement satisfaisant, maisavec une performance sociale et environnementale plus élevéesur le long terme. L’intérêt de cette finance responsable estqu’elle tend à resocialiser une économie qu’on a longtemps cher-ché à émanciper de son ancrage social. Peu à peu, les différentsacteurs sociaux s’approprient des mécanismes, des techniqueset un champ acquis à des experts du capital, pour y impulserd’autres finalités et en élargir le potentiel social.

Porteurs de nouvelles régulations, ces acteurs sociaux pro-posent une modalité inédite de l’action collective. Ainsi, mêmesi l’on peut les présenter comme une troisième génération demouvement social, les nouveaux mouvements sociaux écono-miques ne viennent pas tant remplacer les mouvements précé-dents, comme l’ont parfois interprété certains, mais plutôt ouvrir

l’investissementresponsable tentede domestiquer la finance elle-même.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 12: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

L’Economie politique n° 18

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p. 60 des champs d’intervention dans la sphère autrefois suspecte del’économie. Les nouveaux mouvements sociaux économiquessont donc en lien, et même souvent issus des mouvements sociauxdes générations précédentes.

L’acteur syndical est exemplaire à cet égard. Le changementd’orientation du mouvement syndical des années 1980, lorsque laconfrontation a cédé le pas à une concertation conflictuelle, aouvert la porte à de nouvelles stratégies pour défendre l’intérêtcollectif des travailleurs. Comme l’affirmait le secrétaire généraldu Réseau international de syndicats, l’Union Network Interna-tional (UNI), Phil Jennings : « Nous sommes constamment enquête de nouvelles méthodes de pression pour amener les entre-prises à assumer leur responsabilité sociale. » Ainsi, pour influen-cer le processus de mondialisation dans le sens du développementdurable et du respect des droits humains et sociaux, le mouvementsyndical s’est mobilisé sur plusieurs fronts. Il s’est rendu compteque la finance responsable pouvait représenter l’un des fers delance de l’intervention syndicale, là où la mondialisation a lesrépercussions les plus immédiates et les plus néfastes pour l’en-semble des travailleurs.

La Confédération internationale des syndicats libres (CISL)s’est positionnée sur le sujet et explore plusieurs voies d’inter-vention. Considérant que le mouvement syndical internationalest le mieux placé pour influencer le débat et participer àl’émergence de nouvelles pratiques dans ce domaine, la CISL,en partenariat avec les Secrétariats professionnels interna-tionaux (SPI) et la Commission syndicale consultative (TUAC)auprès de l’OCDE, a créé le Comité sur la coopération interna-tionale relative au capital des travailleurs. L’objectif principalde ce Comité est de faire entendre, au niveau international, lavoix du capital des travailleurs, de manière à pouvoir influencerles pratiques des entreprises. Le Comité veut faire de l’enga-gement corporatif le pilier de son intervention. En particulierdans le domaine du travail, son engagement visera à ce que lesentreprises adhèrent aux principes contenus dans la Déclara-tion de l’Organisation internationale du travail (OIT). La Décla-ration relative aux droits fondamentaux du travail stipule eneffet que l’ensemble des membres de l’OIT ont l’obligation derespecter, promouvoir et réaliser les droits contenus dans lesconventions fondamentales de l’Organisation [5], même s’ilsn’ont pas ratifié ces conventions.

[5] Ces conventions traitent de la libertésyndicale, de l’abolition du travail forcé, de l’égalité,et de l’élimination du travail des enfants.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques

Page 13: Une finance responsable à l'ère de la mondialisation économique

Avril-mai-juin 2003

La fi

nanc

e re

spon

sabl

e

L’Ec

onom

ie p

oliti

que

61

C. G

endr

on e

t G. B

ourq

ue

p.A la lumière de ce qui précède, on peut voir que le mouve-ment syndical est sans contredit un acteur omniprésent au sein desnouveaux mouvements sociaux économiques. Par ailleurs, le cassyndical illlustre bien comment la sphère financière tout commela sphère plus générale de l’économie sont désormais investies pardes acteurs sociaux soucieux de les configurer en fonction d’autresvaleurs que celles qui y ont présidé jusqu’à maintenant. Les nou-velles pratiques, tout comme les nouvelles institutions financièresauxquelles elles ont donné naissance, ancrées dans des mouve-ments sociaux divers tels que les syndicats, les communautésou le mouvement écologiste, sont l’antithèse de la finance spé-culative. En agissant sur le moyen et le long termes et en inté-grant des préoccupations socialesdans leurs processus de décision,elles combinent l’économique et lesocial, le local et le global. Ces mou-vements sociaux réinventent l’éco-nomie et la finance ; ils les resocia-lisent en les reléguant au rang d’outilet de moyen, et en leur donnant unefinalité qui ne dépend plus de lavéracité des théories économiques pour être atteinte. La mon-tée de l’éthique peut donc s’interpréter dans le cadre de laréorganisation des pôles de régulation, portée par une sociétécivile qui réinvente l’action collective, au point de donner forme àune régulation « de troisième type » entre l’Etat et le marché. �

Le mouvement syndical s’est rendu compte que la financeresponsable pouvait représenter l’un des fers de lance de ses interventions.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 13

8.73

.1.3

6 -

03/0

5/20

13 1

4h06

. © A

ltern

. éco

nom

ique

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 138.73.1.36 - 03/05/2013 14h06. © A

ltern. économiques