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Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Une Altamira française : la caverne de Lascaux à Montignac (Dordogne) Abbé Henri Breuil Citer ce document / Cite this document : Breuil Henri. Une Altamira française : la caverne de Lascaux à Montignac (Dordogne). In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 85année, N. 5, 1941. pp. 347-376; doi : 10.3406/crai.1941.77450 http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1941_num_85_5_77450 Document généré le 22/01/2018

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Comptes rendus des séances del'Académie des Inscriptions et

Belles-Lettres

Une Altamira française : la caverne de Lascaux à Montignac(Dordogne)Abbé Henri Breuil

Citer ce document / Cite this document :

Breuil Henri. Une Altamira française : la caverne de Lascaux à Montignac (Dordogne). In: Comptes rendus des séances de

l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 85ᵉ année, N. 5, 1941. pp. 347-376;

doi : 10.3406/crai.1941.77450

http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1941_num_85_5_77450

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SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE

PRESIDENCE DE M. MARCEL AUBERT.

M. René Dussaud termine la lecture du mémoire deM. l'abbé Breuil sur une Altamira française : la grotte de Lascaux, Mon- tignac, Dordogne {.

M. Adrien Blanchet, se référant à un article de Gréville dans la Revue Archéologique de 1892, se demande si les tons des peintures préhistoriques n'ont pas varié.

M. Edmond Faraf, communique la première partie d'une note intitulée: Turpin l'archevêque.

COMMUNICATION

UNE ALTAMIRA FRANÇAISE : LA CAVERNE DE LASCAUX A MONTIGNAC (DORDOGNE), PAR M. HENRI BRECIL, MEMBRE DE L'ACADÉMIE.

1. Découverte et situation.

Le 12 septembre 1940, quatre garçons de Montignac, sous la conduite desjeunes Ravidat et Marsal, passèrent, au cours d'une promenade sur le plateau de Lascaux (2 km. sud de Montignac), au voisinage d'un demi-entonnoir s'en- fonçant dans la table rocheuse, et laissant apercevoir un étroit trou noir. Une pierre jetée dans cet orifice ayant roulé assez de temps, les jeunes explorateurs élargirent le trou presque comblé de terre ; la chute d'un grand pin, voici une vingtaine d'année l'avait découvert, les racines de la culée ayant entraîné la terre dans laquelle elles s'étaient enfoncées. Munis d'une corde pour la descente, et d'une lumière de fortune, les quatre jeunes explorateurs descen-

1. Voir ci-après.

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dirent une pente raide d'environ 6 m. de haut, et se trouvèrent dans une salle obscure ovale, d'environ 30 m. de long et 10 m. de large au milieu; sur les parois, ils remarquèrent des figures d'animaux nombreuses se détachant sur la paroi claire ; il y en avait aussi un grand nombre dans le diverticule axial la prolongeant, et dans un couloir se développant en haute galerie à droite du milieu de la salle. Ils prévinrent aussitôt M. Laval, instituteur en retraite de Montignac,' qui leur avait parlé dans ses cours des grottes peintes et gravées des Eyzies, également situées sur la Vézère, mais à 25 kilomètres en aval. 11 fut d'abord rempli de scepticisme et recula devant l'étroitesse de l'ouverture. Un de mes jeunes amis, artiste distingué et grand alpiniste, M. Maurice Thaon, vint à passer sur ces entrefaites à Montignac ; je lui avais autrefois montré les cavernes pyrénéennes, alors qu'il avait 14 ans, et, la semaine précédente, je lui avais fait visiter aux Eyzies Font-de-Gaume et la Monthe. Ayant été autorisé par M. Laval à visiter la grotte avec ses anciens élèves, il reconnut qu'il s'agissait bien d'une caverne ornée authentique, exceptionnellement belle et bien conservée. Il me prévint de suite par téléphone, à Brive, où je me trouvais, et vint, le surlendemain, m'y apporter, à bicyclette (3o km. et le retour) les premiers croquis des figures principales. Le lendemain, 21 septembre, grâce à l'auto du Dr Cheynier, de Terrasson, je m'y rendais avec ce dernier, auquel se joignaient l'abbé J. Bouyssonie et M. D. Peyrony, l'explorateur zélé des gisements des Eyzies, où nous collaborons depuis 40 ans. C'était presque un petit congrès réuni pour examiner la découverte. Aucun doute n'existait sur l'extrême importance de celle-ci.

II. Description de la caverne comme cavité et régime physique.

L'entrée de la grotte de Lascaux nous parut d'abord un effondrement accidentel au fond d'une salle ayant eu son

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accès par des couloirs aujourd'hui bouchés ; mais les travaux d'aménagement, que le Cle et la Ctesse Emmanuel de la Rochefoucauld, les propriétaires, firent exécuter, permettent maintenant de voir que l'ancienne entrée était bien à l'endroit actuel. Une fissure du calcaire crétacé en ce point, accompagné d'un tassement sensible d'une masse de ce calcaire, ont peut-être, dèsles temps tertiaires, amené l'eau d'infiltration du plateau à pénétrer en ce point, et à y creuser, par dissolution, la cavité actuelle et ses prolongements en profondeur. L'absence, jusqu'ici, de tout vestige de repaire de grand ours et de très vieil habitat humain, semble indiquer que la grotte n'est devenue accessible à des habitants de ce volume que tardivement, et, en somme, durant un temps assez court.

Bien que les fouilles n'y soient qu'à leur début, on peut observer qu'un remplissage de ruisseau s'y est formé, y entraînant des sables et argiles ferrugineux tertiaires de l'âge des sables du Périgord; ce remplissage, stratifié, fut d'abordsableux, puis argilo-sableux ; très épais parendroits (7 à 8 m.?), il est d'ailleurs sucé par les étages inférieurs de la caverne, inaccessibles ; de là résultent des dénivellations en talus de sable en plusieurs points. Le dépôt argilo- ferrugineuxcompact, très riche en ocre fauve, n'existe plus en place que par endroits, le long des parois. Tout cela s'est produit, creusement et remplissage, avant la pénétration de l'Homme préhistorique, qui n'a eu lieu que lorsque le ruisseau a cessé de couler régulièrement. Ses eaux venaient d'un banc imperméable de calcaire marneux, noduleux, très compact, formant le toit de la caverne; la masse sous- jacente, dans laquelle les galeries sont creusées, est d'un calcaire sableux de grain très fin, mais pas très dur.

Lorsque la phase active du creusement et du remplissage de la grotte actuelle s'est terminée, par suite du creusement des vallées avoisinantes avant et durant le quaternaire, l'évidement par les suçoirs de son contenu sablo-

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argileux s'est poursuivi, en même temps que, près de l'entrée, un talus de matériaux meubles s'est accumulé, couches d'argile du plateau entraînée par la pluie et la neige, pierrailles détachées par intempéries. A diverses reprises, durant des phases humides, l'eau d'infiltration pénétrantpar l'entrée et les fissures parallèles avoisinantes ont amené la formation de planchers stalagmitiques. Mais presque en aucun point, à cause de son toit imperméable supérieur, il n'y a eu (excepté où il s'est trouvé percé) de formation de stalactites et stalagmites, il y a eu seulement une légère exsudation de calcite pure, cristalline, qui a re\rêtu toutes les parois de la salle ovale et de son diverti- cule axial ; cette exsudation, qui ne se produit plus aujourd'hui, était presque entièrement arrêtée lors de l'exécution des peintures. Au contraire, le sol de la chambre ovale est entièrement recouvert d'un plancher stalagmitique blanc et mou, cloisonné de gours qui se remplissent d'eau aux grandes pluies. Sous ce plancher se trouvent des niveaux minces successifs de sable et d'argile et de plus anciens planchers de calcite, qui contiennent de rares silex paléolithiques supérieurs, des os corrodés, et assez de charbon.

Du même âge sont des masses de mound-milk, actuellement desséché, de la galerie de droite, où le plafond imperméable est assez aminci, et a laissé échapper de rares écoulements calcitiques complètement morts et pourris aujourd'hui.

L'absence presque totale de concrétions dans cette grotte s'explique suffisamment par ce que nous avons dit. Il reste à expliquer la conservation des parois, pour ainsi dire parfaite, dans la salle d'entrée, le diverticule axial et diverses parties de la galerie de droite, et leur destruction presque complète dans les premiers mètres de celle-ci.

On sait que la principale cause ordinaire de la destruction des parois de grottes peintes et gravées est leur attaque et dissolution par la rosée de condensation de l'air chaud

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LA CAVERNE DE LASCAUX A MOINTIGNAC 35i

d'été y pénétrant profondément. Cette cause de destruction n'agit pas à Lascaux par suite de la descente rapide à l'entrée, rappelant celle d'une cave : l'air chaud de la belle saison n'y pénètre pas, car l'air chaud est plus léger que l'air froid. Il n'y a donc pas à Lascaux de condensation estivale. Mais, en revanche, l'air froid d'hiver y tombe, et l'on voit alors l'air plus chaud de la grotte monter au dehors, et y former une colonne de brouillard. L'air froid occupe, désagréablement pour ceux qui fréquentent la grotte l'hiver, le sol de la première salle et s'infiltre progressivement sur celui des autres parties de la grotte, assez pour qu'il y gèle. Alors, dans les zones basses de l'atmosphère de la grotte, se produit la condensation qui a pourri la stalagmite du sol et les dépôts de mound-milk de la galerie de droite, mais aucune figure n'existe à ce niveau, et en toute saison, les belles figures de la grotte sont au-dessus du niveau où se fait la condensation. Toutefois, la gelée a détachéquelques écailles de parois peintes, les unes avant que la décoration n'ait eu lieu, les autres postérieurement à celle-ci et l'ayant mutilée.

Dans les premiers mètres du couloir de droite, où le revêtement de calcite, un peu plus jeune et sur les figures, n'existe que vers le bas des parois, le calcaire sableux s'est effrité en arène, soit par suite de l'action de l'air venant de l'entrée, soit en raison du frottement des gens qui y ont circulé. Seules les figures peintes du bas des parois, fixées par de l'exsudation ultérieure, ont subsisté. Mais après 4 ou 5 mètres, on commence à apercevoir, sur le plafond bas et les parois, des traits gravés et bientôt de nombreuses gravures, souvent avec vestiges de couleur. On comprend aisément que si seulement 1 millimètre de paroi s'est délité en sable, la couleur a disparu, mais que tous les traits plus profonds qu'un millimètre demeurent visibles. Au delà toutes les figures peintes sur les parois sont assez bien conservées, quoique affaiblies, mais celles du plafond, sou-

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mises davantage à l'action de la pesanteur, sont très évanouies, et plus visibles dans leurs contours gravés que dans leurs surfaces colorées.

Ainsi, dans la salle ovale et son diverticule axial les peintures ont, comme substratum, une mince etdurecouche cristalline granulée, formée de petits cristaux qui ont, par le très léger travail qui s'est poursuivi depuis le temps des peintures, solidement fixé celles-ci ; aucun travail de gravure ne se voit, sur cette surface grenue, sauf en un endroit, mais il se peut que ce même travail cristallin ait effacé des lignes trop fines. Cet enduit naturel, très résistant, a contribué à 1 étonnante conservation des fresques; au contraire, dans la galerie de droite, la couleur repose directement sur une roche à grain fin, mais peu solide, et elle s'est beaucoup atténuée, disparaissant par places. Là, toujours ou presque, la gravure, parfois indépendante de la peinture, accompagne celle-ci, mais lui est toujours postérieure, et paraît destinée à accentuer la netteté de ses contours. Assez peu de figures peintes manquent de ce complément de gravure.

Une des conséquences de la situation en contrebas de la cavité est son peu de confortable, comme température en hiver ; au contraire de la plupart des autres cavernes, il y fait froid en cette saison, et c'est durant la belle saison qu'elle a dû être occupée, époque où, probablement, le Renne ne faisait pas partie de la faune du Périgord, où il devait arriver à la fin de l'automne, pour repartir vers les grands glaciers du Nord au début du printemps. Peut-être avons-nous à tenir compte de ce point de vue en étudiant les animaux figurés, qui ne comprennent pas cet animal.

III. Figures peintes et gravées.

11 y a lieu d'examiner séparément celles de la salle d'entrée et du diverticule qui la prolonge, et celles de la

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galerie de droite, les deux ensembles ne présentant pas un grand nombre de points communs.

A. Salle d'entrée et diverticule. 1 . Vers le fond à gauche de ce dernier, oblitéré par un

signe très postérieur, un œil exercé peut discerner un petit bras d'enfant cerné de couleur rouge atténuée. C'est le seul exemple ici des mains aurignaciennes cernées de couleur si abondantes dans d'autres cavernes et probablement la plus ancienne figure de Lascaux.

2 a. Viennent certainement ensuite un petit nombre de petites figures en traits rouges linéaires fins, trois chevaux semblables à ceux que l'on trouve ordinairement, dans beaucoup de cavernes, sous-jacents, à l'ensemble des autres figures d'animaux de l'art aurignacien excepté les dessins digitaux, quelques tracés de ramures de cerf très conventionnelles qui émergent de plusieurs figures moins anciennes du diverticule.

2 b. Vestiges d'une frise de 4 têtes de taureaux tracés très simplement en jaune, l'un émergeant d'un complexe des séries 9, 13 et 14. — Ce n'est pas sans hésitation que je donne la séquence suivante des diverses techniques de figures de Lascaux, que je me réserve de modifier et de contrôler ultérieurement ; la restauration de figures plus anciennes, à une époque ultérieure, en rend l'appréciation des plus délicates. Ces réserves faites j'en poursuis l'exposé.

3. A gauche de la grande salle, s'observent deux cerfs de petite taille, de couleur rouge uni assez pâle, aux pattes très raides, jointes par paire : l'un a les ramures en forme de feuille de palmier-dattier ou d'ailes de moulin ; l'autre a des ramures, en perspective tordue, extrêmement compliquées et conventionnelles, mais avec les andouillers de base typiques du cerf élaphe ; il y en a eu 2 autres au voisinage, détruits et repris à des dates ultérieures.

4. Nombreux chevaux petits et moyens de couleur bistre plus ou moins uni, l'un en partie rouge ; les uns du

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diverticule, ainsi qu'un hémione, dont beaucoup dans la « Frise des petits chevaux ». Un certain nombre de ces figures a été remanié par d'abondantes additions noires à la 12e série. Quelques-uns au moins témoignent d'une conception archaïque de dessin. — Un bouquetin du diverticule, compris dans la frise susdite, et tracé en ponctuations bistres assez atténuées est peut-être plus ancien.

5 a. De dessus l'un des grands taureaux noirs (9e série) dans la frise de gauche de la grande salle, émergent le mufle, les cornes et quelques autres parties d'un grand taureau en rouge violacé d'un tracé large. L'un des petits cerfs de la série 3, contigu, dont il ne reste qu'un débris de ramure, a été repeint d'un tracé de corps de même couleur frottée, galopant à gauche, pattes étendues par paire, unepeudiver- gentes, avec assez de vie.

ο b. Assez grands tracés larges, de couleur rouge, sous- jacents à des vaches en rouge uni de la série 10 et H , et émergeant de leurs contours, tant dans le diverticule que sur la paroi droite de la salle (vache suivie de son veau).

6. Trois dernières figures assez grandes dans le fond du diverticule, en larges bandes rouges et remplissage partiel de couleur. Deux figurent des chevaux ; le meilleur estassez haut sur pattes, au contraire de la presque totalité des autres de la grotte ; il présente quelques touches très foncées au museau et aux sabots. Le Bison qu'il suit a les sabots presque noirs: ses cornes, vues de pleine face, sont en forme de lyre.

7 a. Assez nombreux chevaux en bistre clair modelé (feston de poils du flanc bien observé et rendu), avec contours tracés parfois en noir, et touches noires aux articulations et aux sabots. Leurs pattes sont très courtes et leur corps très épais, ce qui donne à certains d'entre eux dans le diverticule, une allure de peinture chinoise ancienne.

7 b. Certaines figures analogues, mais en brun foncé, se voient oblitérées par le dernier grand taureau noir de la

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frise de droite de la salle (série 9) ; ce sont: un cheval, et un fort joli cervidé, à ramure en perspective tordue, dont les bois assez courts, terminés par des palettes en éventail, ressemblent un peu à des ramures de daim, tout en ayant d'autres caractères de cerf élaphe. Le cerf de teinte brune, sans pattes, à ramures plus foncées, avoisinant l'entrée du diverticule et à droite, semble du même âge ; les andouillers frontaux en sont tout à fait élaphiens, mais sont surmontés d'immenses et magnifiques empalmures mégacéroïdes. Ces deux cerfs otit la même perspective tordue de la ramure que les précédents. — Cachée presque entièrement par la large bande ventrale du grand taureau cité (série 9) se dissimule une figure d'ours en brun presque noir, au museau curieusement relevé, aux oreilles rondes, dont on voit les épaules, un pied postérieur armé de trois griffes, et, à peine, une patte antérieure à griffes étalées.

8 a. Figures bichrômes : un cheval rouge uni, à tête, membres et contours noirs, a probablement été repeint à une période plus tardive (série 11 ?).

8 b . Petit cerf bistre à tracé noir et très grands bois à extrémités assez évasées de la partie gauche de la salle ; leur perspective est aussi tordue. Plusieurs très beaux chevaux, l'un renversé, d'un bistre uni cerné de noir, tous d'une très belle venue, et remarquables par leurs pattes grêles, assez longues, et leur tête délicate et fine, bien différentes du cheval rouge et noir précité (8 a).

9 a. Grands taureaux (Bos primigenius), exécutés en deux temps; d'abord d'un tracé grêle à tracé frotté, puis — peut-être à une époque différente — magnifiquement renforcés de larges bandes noires de couleur liquide à contours nets d'une véritable maîtrise. Ils arrivent à des dimensions dépassant 5 m. 50; véritablement formidables. Les plus remarquables sont les quatre de la grande salle, dont trois orientés vers le diverticule. Il existe de faibles vestiges de plusieurs autres, mais simplement frottés, dont deux dans le diverticule.

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9 b. Onpeut, avec doute, joindreà cette série la première grande figure de gauche de la salle, et un bouquetin sans pattes à contours noirs épais sur la gauche de la frise des petits chevaux. Tous deux sont presque exclusivement tracés à l'aérographe et d'un art assez grossier. Le premier animal, qui ne correspond à aucune bête réelle, demande quelques explications : Par la masse du corps et les pattes épaisses, il ressemble à un bovidé ou à un rhinocéros; la queue très courte indiquerait plutôtce dernier; les flancs en sont marqués d'une série de larges taches ovales en forme d'O ; le cou et la tête sont, pour le corps, ridiculement petits ; la tête est à mufle carré rappelant celui d'un félin, et de son front se dirigent en avant deux longues tiges raides, reclilignes, terminées par un pinceau, qui ne ressemblent aux cornes d'aucun animal. — Nous avons baptisé « licorne » cet être fantastique : animal mythique, ou — peut-être — homme déguisé dans une peau de bête qui le masque entièrement. Ce n'est pas le seul exemple d'être animal composite et irréel dans l'art quaternaire, mais c'est le plus spectaculaire.

10. Animaux en rouçeuni, de dimensions moyennes. Il y en a deux séries secondaires, présentant d'appréciables différences : dans la salle, à gauche, un gros taureau (Bos primigenius) dont les jarrets fléchissent, les pattes antérieures s'écartent en équerre, et le mufle touche le sol; il me rappelle un torodelidia blessé à mort et sur le point de se coucher pour mourir ; — face à lui, sur la paroi de droite, se voit une vache, suivie de son veau représenté seulement par un avant-train et cachant sa tête derrière sa mère ; il s'agit aussi d'une femelle de Bos primigenius, superposée à des vestiges de tracés des séries 5 et 9 a. Des rallonges probables de ses cornes étant tracées en noir à la série 9 a, on peut douter de la succession que je présente ; il ne me paraît pas certain que l'apparence de superposition du rouge sur le noir des séries 9 et 40 ne soit pas due a. ce

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que le rouge, couleur plus riche, n'a pas prédominé aux points de contact sur le noir.

11. Animaux rouges à tête noire. Dans le diverticule, se voient quatre grandes vaches rouges, appartenant à une autre race, le Bos longifrons; toutes sont refaites sur des tracés rouges de la série 5 ; une seule est entièrement terminée, à gauche en entrant dans le diverticule. Plusieurs se superposent largement à des vestiges de tracés rouges fins de la série 2 et à des chevaux bistres à pattes courtes de la série 7. La tête et le cou en sont souvent peints ou rehaussés de noir, peut-être secondairement à la série 12. Les encornures, toujours en perspective tordue presque faciale dans les séries antérieures, subissent ici d'importantes variations de dessin. La première vache a les deux cornes figurées de profil, insérées sur une véritable visière frontale ; celle-ci se retrouve sur les trois autres ; dans une, il n'y a plus qu'une corne, à double tracé ; les deux dernières encornures sont encore en perspective tordue, mais atténuée.

12. Animaux en noir uni: six chevaux assez petits de la paroi de gauche de la salle. La superposition du plus grand de la salle sur la « licorne » est certaine, de même que celle de ceux du panneau à sa droite sur le cheval bichrôme (série 8) et un grand taureau noir (série 9). L'ordre paraît inverse pour le petit cheval incomplet sous-jacent au pied dé derrière du taureau suivant ; mais ce pied est de la deuxième exécution de ce bovidé, dont les pattes sont d'une technique très affinée — Dans le diverticule, outre quelques vestiges très incomplets, négligeables, la partie droite de la frise des petits chevaux est de cette série, et comporte quatre petits chevaux courant à droite, à allure de poneys d'Islande extrêmement velus. Je rattacherais volontiers àla même série la retouche en noir à l'aérographe du cheval bistre (série 4) qui leur sert de tête de file et d'un autre du milieu de la frise, et pas mal d'autres retouches faites avec

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la même technique à des chevaux des séries 4, 7, 8, etc. Probablement aussi viennent ici les chaînes de disques alignés du diverticule, et peut-être le bouquetin mentionné série 9.

13 a. Animaux bichrômes rouges et noirs ou foncés, de style supérieur. Leur style est trop parfait pour les confondre avec les chevaux bichrômes de la série 8 a ; ils se rapprochent davantage de ceux de la série 8 b, dont il n'est pas certain qu'il faille les séparer; peut-être ces derniers devraient-ils descendre ici. Une seule figure incomplète de cheval fort belle est à citer dans la salle/ sur la paroi gauche très haut. Il est postérieur aux figures avoisinantes (série 5 et 9) dans lesquelles il s'encadre: on diraitqu'on n'a pas voulu les recouvrir en exécutant le reste de la figure. Cette figure est en rouge violacé uni, avec un tracé dorsal noir exécuté au pinceau, ainsi que les oreilles et le museau très délicat. La crinière, d'une courbe très élégante, est faite à l'aérographe. Tout en bas de la paroi, dans la zone brune, généralement sans peinture, on voit avec difficulté une immense têle de bison noir et rouge violacé, à longues cornes peu recourbées, en perspective tordue, qui semble de la même série ; il se prolonge en un corps extrêmement vague, sauf une série de lignes rouges ondulées parallèles figurant les plis du fanon.

Dans le diverticule et dans le complexe comprenant, déjà mentionnés, des têtes de taureaux jaunes (séries 2 b) et un grand taureau en noir frotté de la série 9, et sous-jacents à un nouveau taureau en noir uni de la série 14, qui les recouvre malheureusement trop complètement, se trouvent deux bœufs à formes très légères (Bas longifrons) se suivant en marchant à gauche ; le second n'est exécuté que dans sa partie antérieure; l'autre était très complet et d'excellent style mais est presque caché par le taureau noir subséquent. On peut en lire sanspeineles pattes postérieures brunes, ainsi que la queue tombant droit qui sont d'une

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perfection rare ; malgré le recouvrement de noir on en lit assez aisément aussi tout l'arrière- train, le dos, le cou et la tête à œil en ovale réservé, traitée comme les têtes des vaches de la série 11. Le contour était brun, cernant un intérieur rouge violacé. Urie patte brune, jetée en avant, émerge entre les pattes du taureau subséquent. Cette figure témoigne que la peinture « périgordienne » a su s'élever, à un moment donné, aussi haut, à tous points de vue, que la peinture polychrome magdalénienne.

13 b. Figures en noir uni de technique supérieure. Il n'y • en a que deux à citer, qui se font vis-à-vis dans le diverti- cule : Le grand taureau noir superposé aux figures, précédentes, et la vache de même teinte sautant par-dessus la frise des petits chevaux en évitant de les oblitérer; elle recouvre elle-même une figure rouge difficile à identifier qui lui donne, comme à son vis-à-vis, une allure de pseudopolychrome.

Le grand taureau a réemployé l'autre taureau de la série 9 a depuis le front jusqu'au milieu de la fesse; sauf quelques retouches à une corne, tout ce contour supérieur du corps lui est antérieur ; il est simplement adapté au nouveau sujet, non sans quelque gaucherie et lourdeur. L'une des pattes postérieures est littéralement greffée dans le bas-ventre et raide comme un piquet ; l'autre présente un épaississement du jarret excessif, qui contraste avec la jambe très fine qui lui fait suite ; les sabots sont aussi de dimensions très excessives et les bourrelets du corps entou- .rant l'insertion des pattes antérieures sont nettement disgracieux, comme la projection en avant de la lèvre supérieure. Il ne se dégage pas moins de l'ensemble une note de puissance brutale qui compense ces défauts. L'œil, très gros et réniforme, est cerné d'un espace clair réservé, et la narine est aussi laissée en clair.

La vache noire [Bos longifrons), qui fait vis-à-vis au taureau précédent, présente l'attitude de « sauter la bar-

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rière » de fort spirituelle manière, pour éviter d'oblitérer les petits chevaux noirs contigus. Les pattes antérieures, unpeu trop fortes, surtout leurs sabots, sont jetées en avant avec vigueur, tandis que les postérieures se replient au maximum sous le ventre, l'une en dehors, l'autre ramenée en raccourci sur le corps, le sabot touchant le défaut de l'épaule ; cette dernière patte est cernée d'un liséré en clair, que l'on retrouve autour des cornes du grand bison bi- chrôme de la série précédente. Les cornes sont vues en perspective faiblement tordue, et la tête, un peu petite, s'allonge en avant, tandis que la queue, moins exagérément allongée que celles des vaches rouges séries 10 et 11, ondule gracieusement en arrière. Une réserve peu visible existe pour l'œil et la narine. Le mufle se superpose nettement à un gros signe en grille, de tracé épais rouge. Quelques autres signes analogues, et d'autres sont dispersés le long des parois de ce diverticule, tous différents les uns des autres.

IV. Peintures^et gravures de la galerie de droite.

Examinons maintenant la galerie de droite; la surface rocheuse n'est plus de même nature ; jusqu'ici les peintures de la lre partie étaient exécutées sur une assez mince pellicule de calcite cristalline grenue, très lentement exsudée de la paroi dès avant leur apposition ; cette couche est très dure, et y a fixé la couleur, les cristaux continuant à travailler depuis, mais, sauf vers le fond du diverticule, ne. la traversant pas. L'absolue sécheresse actuelle de ces parois témoigne que cette exsudation est entièrementarrêtée. Le toit imperméable de la grotte y a empêché les écoulements stalagmitiques habituels à tant de cavernes. ExamiT nons maintenant les conditions physiques des parois de la galerie de droite: le calcaire sableux, fin, peu dur et assez friable, est à nu partout. Dans les premiers mètres, où elle

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est surbaissée, la roche, sous l'influence de l'air extérieur venantde l'entrée, et aussi à cause du passage des visiteurs de l'époque du Renne, s'est effritée en sable sur quelques mètres, excepté les parties basses des parois, où l'exsudation précitée s'est produite par place, mais a continué à se produire, conservant seulement le bas de deux très grandes figures noires de bovidés, dont l'une, avec son ventre hérissé de poils, est, par ce caractère, seule de son genre.

Mais bientôt on aperçoit, sur le plafond bas et les parois, des vestiges de gravures assez petites, d'abord trop incomplètement conservées, puis qui se font extrêmement nombreuses. Quelques-unes sont encore en partie rehaussées de couleur brune. On peut comprendre que, si la paroi a perdu 1 millimètre, la plus grande partie des surfaces peintes a disparu, mais que tous les traits gravés plus profondément ont subsisté. Dans des points plus protégés, il existe quelques petites figures peintes conservées, dont un tout petit loup brun clair rappelant ceux d'Alpera. Pour les gravures, très nombreuses et petites, de cette partie du couloir, dont l'étude est encore très incomplète, elles comprennent un très grand nombre de chevaux, de bœufs et bisons, à encornures en perspec^ tive fortement tordue, et de rares bouquetins.

Au bout d'une vingtaine de mètres, la voûte s'élève, et le sol sableux dévale à gauche en talus rapide de 7 à 8 m. de hauteur. De ce côté, la grotte prend l'aspect d'une haute nef. Le sol s'en est abaissé de .plusieurs mètres depuis l'époque des artistes, carilcachedes engouffroirs quisucent les sables vers des galeries inférieures inaccessibles, comme cela a lieu, du reste, dans lediverticule continuant la salle d'entrée, et au seuil delà galerie de droite.

Il en est résulté que des figures, autrefois à portée de la main, dans ces deux parties de la caverne, se trouvent aujourd'hui surélevées considérablement et très peu accessibles.

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362 COMPTES RENDUS DE 1,'aCADÉMIE UES INSCRIPTIONS

Dans la nef, elles le sont encore durant plusieurs mètres, puis il faut s'engager sur une étroite corniche à gauche, pour continuer l'examen de la frise qui se poursuit.

De ce côté, nous noterons successivement :à l'angle de la galerie d'accès et de la nef, deux petits chevaux gravés avec des vestiges de couleur brune, analogues à ceux de la série 7 de la première partie. Au-dessus d'un enfoncement du bas delà paroi, se voient deux groupes, chacun de quatre têtes de bouquetins, l'un, à têtes tracées en noir, l'autre à têtes rouges et cornes noires; elles semblent assez anciennes comme série, et ne correspondent pas à celles de la première partie, quoique proches, probablement, de la 3e ou 4e.

Dans le renfoncement cité s'observent les figures suivantes, de gauche à droite et de haut en bas: une jument bistre, gravide, en partie brun foncé aux sabots et jambes, et à queue noire; elle est gravée après peinture (comme toutes les figures suivantes), et porte une flèche gravée sur la fesse, et une autre, d'un type différent, sur le milieu du corps. Elle est suivie de près par un étalon à crinière très convexe et tête fine, de même dispositif de couleurs et gravure, au corps zébré de sept flèches gravées verticales. Une deuxième jument gravide le suit, à tête et encolure sombres, et, pour le reste, de mime technique. Son arrière-train plonge, sans cesser d'être visible, sous la figure brun foncé d'un bison tourné à droite, également entièrement gravé après peinture; il est marqué, comme l'étalon, de sept flèches, mais non terminées par le chevron de pointe. Sa tête est ridiculement petite, et ses cornes, dirigées en avant, sont en perspectwe tordue, disposées comme les pinces d'un crabe. La barbe est simplifiée en barre épaisse et verticale. Il n'y a rien de magdalénien dans cette tête. Assez de traits gravés de plusieurs autres bisons sillonnent son avant-train.

Parle travers de sa corne, on remarque, plus ancien, un petit cheval incomplet, disposé verticalement, et dont la

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LA CAVEKNE DE LASCAUX A MONTIGNAC 363

tête, seulement gravée, a utilisé l'accident rocheux sous- jacent à la corne inférieure du bison ; son corps est marqué d'une sorte de peigne brun à quatre dents, dont le sommet forme Tensellure, et dont les dents déterminent des barres verticales sur le flanc.

A chaque extrémité de ce panneau supérieur, se voit, tracé en noir, un signe rectangulaire «en barrière», formé de 4 traits verticaux et de plusieurs traverses. Il en est aussi quelques-uns dans le diverticule terminant la salle des grandes fresques, et beaucoup d'autres, peints ou gravés dans toutes les parties de droite.

Au registre inférieur des figures précédentes, se voient deux chevaux. Celui de gauche, courant à droite, est entièrement gravé, et rehaussé plus tard de noir fait à l'aéro- graphe, dont la couleur a ((foiré» autour de l'encolure de malencontreuse façon. Est-ce par suite de cette erreur que la peinture a été abandonnée? Ce cheval, ou du moins sa peinture, doit être rapproché des chevaux noirs de la 12e série de la première partie de la caverne.

Le suivant, comme les juments et l'étalon, paraissent être apparentés à la 8e série ; mais le bison ne se rapporte à aucune de celles qui y sont représentées.

Le dernier cheval de ce recoin est figuré marchant à droite et pâturant ; il appartient à la même technique que l'étalon et les juments. Sa position sur une surface très inclinée, au ras d'un entablement, rend impossibieune photographie non déformée. On remarquera le beau développement de sa crinière et de sa queue.

Les chevaux de même technique, couleur et gravure, allongent leur file au pied delà paroi, le long d'une étroite corniche aujourd'hui surélevée par la descente du sol. De nombreux graffiti, la plupart de chevaux, parfois très petits, les surchargent.

Il en est de même de deux autres niveaux picturaux successifs : Le premierest constitué par trois ou quatre motifs

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364 COMPTES HENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

rectangulaires ou carrés, divisés en 9 carreaux environ de diverses couleurs agencés de différentes façons pour chacun ; ils sont situés tout en bas du panneau. Mon collaborateur, M. Thaon, qui les a vus le premier, les a interprétés comme des blasons ou signes tribaux, et je suis incliné à penser que son interprétation est rationnelle. Les couleurs qui y alternent sont le rouge, le noir, le bistre et, chose également nouvelle, une teinte violacé mauve très accentuée. Ce n'est qu'à Altamira que j'ai vu — et très peu — du violacé franc dans les grottes ornées. On peut trouver des comparaisons, quoique assez diverses, à ces symboles héraldiques dans nombre de populations primitives, les Australiens, par exemple. On sait d'ailleurs qu'en Ecosse le nombre de lignes de diverses couleurs verticales et horizontales dans l'étoffe des kilts signifie tel ou tel clan, et le Dr Demelle, des Eyzies, m'a montré sur un burnous kabyle, des groupes de losanges et triangles brodés de diverses teintes qui signifiaient le propriétaire ou le fabricant1.

Se superposant à la frise des chevaux et aux rectangles précédents, s'étale une grosse vache noire de teinte unie, visiblement gravide avec les pieds en perspective tordue, mais plus encore les cornes, qui sont de profil ; elle est également entièrement gravée.

Il me paraît qu'elle peut être rapprochée de la vache sautant et du taureau avoisinant du diverticule, dont nous avons fait la série 14 de cette partie de la grotte.

Un peu au delà et sur la paroi inférieure à la corniche mentionnée, quoique encore assez haut au-dessus du sol actuel, dans le fond d'une demi-rotonde, une paire de bisons mâles, cul-à-cul, étalent leurs puissantes silhouettes brun foncé. Chacun détale en sens inverse de l'autre. Ils

1. Use peut que les nombreux rectangles barrés de Lascaux, gravés ou peints d'une seule couleur, dont aucune n'est semblable, aient la même signification.

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ne rentrent dans aucune des séries de la lre partie de la caverne ; bien que la perspective tordue du dessin des sabots subsiste, elle ne s'étend plus à l'encornure, chacun n'ayant qu'une seule et très forte corne, vue de profil à courbe simple. Celui de gauche présente une large plaque rouge occupant l'espace dorsal de la naissance de la queue à l'avant de la bosse, et une large écharpe scapulaire. J'imagine qu'elle figure des surfaces où le long poil roux d'hiver n'a pas encore fait place au court poil noir d'été. Les deux animaux, malgré la superposition de celui de gauche sur celui de droite, semblent faits de la même main. Ils donnent l'impression d'une scène vue par l'artiste, alors qu'à l'affût et caché sur le sentier des bisons, il les a vus arriver vers lui, puis notant sa présence, se jeter de côté pour fuir, chacun dans un sens opposé. La gravure joue dans leur exécution, un rôle plus discret que dans les figures précédentes.

Au delà, le couloir se rétrécit bientôt en boyau, qui ne tarde pas à remonter vivement en s'élargissant faiblement en deux points. Les gravures y abondent et on y voit encore quelques petits chevaux peints et gravés, surtout dans le second. Le premier présente des dessins incisés plus fortement que les autres gravures de la grotte, figurant six lions, et un équidé (?) vu de face, superposé partiellement à un bison gravé du style à cornes en perspective tordue de la première partie de la galerie. Je les ai décalqués, mais point encore mis au propre ; l'étroitesse du site les rend difficiles à photographier, l'un des lions a le dos hérissé de douze flèches. Il est peu aisé de leur assigner une place dansla succession des séries de la caverne.

Au delà se trouveun puits profond, qu'a franchi M. Thaon, et qui mène, par une rampée pénible, à une gravure de tête de bison vue de face, que je n'ai pu aller voir encore.

Revenons maintenant dans la haute nef, pour examiner la paroi faisant face à la frise des chevaux bistres ; nous y

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366 COMPTÉS RENDUS DE l'aCADÉJJIE DES INSCRIPTIONS

verrons, se développant sur environ 5 m. de long, une enfilade de 5 magnifiques têtes de cerfs élaphes tracés en noir, dont chacun mesure environ 4 m. de hauteur. Leur silhouette, réduite à la tête avec ses ramures et à l'encolure, est d'une splendide élégance, et leur effet décoratif est simplement merveilleux. Elles se superposent à des vestiges de petit cheval bistre et à une bande de points faits à l'aérographe, et sont exécutées avec de la couleur frottée. Les ramures sont dessinées en perspective tordue en voie d'atténuation, en ce sens que l'artiste a tenté, surtout dans les trois figures de droite, de rapprocher les deux tiges en couchant sensiblement les andouillers frontaux de l'animal placé en arrière. Sauf que nous devons considérer ces figures comme parmi les plus récentes de la caverne, nous ne pouvons leur donner un ordre de succession certaine avec celles de la première partie.

Quelques gravures non étudiées et peu accessibles se trouvent dans leur voisinage.

Revenant en arrière jusqu'au point où le couloir surbaissé nous a permis de descendre dans la haute nef, nous voyons, face à son débouché, une abside en cul-de-four, bourrée de figures dont l'étude est à peine ébauchée . Si l'on y remonte à partir du pied de la frise des têtes de cerfs, on voit d'abord, gravissant le talus de sable, deux énormes silhouettes de bovidés brun noir (Bos longifrons) se suivant, d'environ 4 m. chacune, mais incomplètement conservées ; leur peinture, vers le haut du talus, a recouvert deux larges gravures en faisceaux de traits divergents qui me paraissent représenter des huttes ou paillottes analogues à celles d'Altamira.

D'autres gravures, plus récentes que les peintures, figurent entre autres des cerfs de petite taille; leurs ramures sont toujours en perspective tordue, semblable à celle des peintures rupestres de l'Espagne orientale ; ils ne sont pas peints,, mais il est arrivé, comme on le voit dans celui de

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droite, que Ton a raclé tout autour d'eux la couleur brun foncé du grand bovidé peint, pour y découper la silhouette gravée sur un contour éclairci.

D'autres peintures, toutes assez ou très déteintes, mais lisibles en partie pour la gravure, couvrent toutes les surfaces accessibles de l'abside, tant les parois que la voûte. L'étude n'en a pas encore été poussée, bien que la plupart aient été déchiffrées : il y a une grande frise plafonnante de cerfs courant à droite, tous du style déjà signalé et divers chevaux bichrômes à fond rouge cerné de noir ou de brun, semblables à l'un de la première salle classé dans la série 8 archaïque; une frise horizontale de très petits cerfs gravés courant à droite, à peinture brune déteinte, domine la descente verticale de 8 m. accédant aux peintures situées au fond de cette sorte de puits.

Sur les peintures précédentes, toutes les surfaces accessibles sont sillonnées d'innombrables traits gravés, véritable toile d'araignée de graffiti de toutes dimensions, les uns, énormes, appartenant à des taureaux et à des cerfs pouvant atteindre 3 m., les autres, plus petits, représentant des taureaux, des bisons et des chevaux. Leur relevé, comme celui des peintures qui les supportent, demandera certainement plusieurs années, et il se peut que, durant cette opération, l'on découvre des figures d'autres animaux. Tous, en tout cas, présentent les conventions de perspective tordue des bois, des cornes et des pieds que nous avons signalées.

A droite et à gauche du trou de descente sont deux sortes de pupitres rocheux obliques, encrassés par la poussière des siècles, et usés, visiblement parce que les gens se sont appuyés dessus. Celui de gauche laisse voir, à sa marge supérieure, une longue bande naturelle horizontale en relief, cochée d'incisions verticales disposées comme des divisions centimétriques ; en face, il y a eu de profonds dessins, actuellement très usés, et d'une lecture incertaine.

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368 COMPTES RENDUS DE l'aCADÉMIE DES IiNSCMPTIONS

Lorsque, avec une échelle de corde, on descend dans le trou auquel aboutit l'abside, on se trouve en face, à droite, d'un recoin dont la paroi droite ne présente qu'une mauvaise figure de cheval noir faite à l'aérographe. L'autre paroi du recoin présente des figures noires d'une autre importance: un homme, mort apparemment, repose entre, à sa droite, un bison blessé et furieux, et un rhinocéros laineux s'écartant à sa gauche. Un peu plus bas que le bison se voient les vestiges très atténués d'un second bison beaucoup plus petit.

L'homme, d'un dessin assez schématique, est renversé obliquement sur le dos ; la tête, petite, ressemble à celle d'un oiseau à bec droit ; les bras, étalés obliquement, se terminent par des mains étendues à quatre doigts; le tronc, allongé, est fait de deux traits parallèles s'épaississant vers les hanches, et se rejoignant en demi-cercle, à la fourche, où s'insère le sexe, pointé horizontalement vers le bison.

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LA CAVERNE DK LASCAUX A M0NT1GNAC 361)

Les jambes, continues, sont allongées, avec quelques faibles renflés vers les cuisses et les mollets; elles s'affilent au bas des jambes, avant de se couder à angle droit vers la droite pour former les pieds, un peu grands et courbés, dont le gauche est emboîté dans le droit, sans indication d'orteils. Sous ces pieds se voit un court objet muni d'un fort crochet, à autre extrémité croisiUonée, qui paraît un propulseur. La lance, à grande barbure unilatérale, prend en écharpe le bison ; sa hampe est fracturée vers les deux tiers de sa longueur. Du ventre du bison s'échappent les entrailles, formant une anse énorme à quadruple tracé. Le bison est à l'arrêt, tracé en noir sur une tache jaune ocreuse naturelle, habilement choisie pour imiter une peinture bichrôme. Ses pieds, en perspective tordue, ne témoignent d'aucun mouvement, malgré l'expression féroce de la tête aux cornes sinueuses menaçantes abaissées vers l'homme. Le mufle est rentré dans la fourrure du fauve par un effort plus expressif que juste ; les poils du fanon, du chignon et de la bosse sont indiqués par de fortes et larges hachures verticales; le reste du contour est tracé d'une large bande, plus épaisse au ventre. Pour la queue dressée, elle fouette l'air avec furie.

Si l'on pense, comme j'y suis incliné, que ce n'est pas un coup de lance qui peut éventrer ainsi un bison, la présence du rhinocéros qui s'éloigne à gauche à pas Iranquilles en donne l'explication; il semble s'écarter, paisible, avant détruit ce qui l'inquiétait. Au point de vue technique, il a été exécuté en deux temps: un tracé léger en noir frotté a précédé son accentuation à Γ aérographe, qui a été interrompue, et ne s'est étendue ni au ventre, ni aux pattes antérieures, ni à la gorge velue. L'œil, petit ovale, et les traits du mufle ont été exécutés avec de la couleur liquide. Les deux cornes classiques se retrouvent sur le nez moins busqué que de coutume. Entre l'homme et le rhinocéros, se voient six points noirs distribués par paires verticales.

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370 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

II reste une figure à expliquer, le poteau à base paraissant muni d'une barbelure, et son couronnement, oiseau conventionnel sans pattes et presque sans queue. Il m'a rappelé les poteaux funéraires des Eskimos de l'Alaska et des Indiens de Vancouver. Il sera intéressant de s'assurer si la sépulture neg-îtpasau pied de cette peinture, commé- morative sans doute d'un accident mortel au cours d'une chasse.

V. Observations et comparaisons sur la technique des peintres et les animaux figurés.

A côté des procédés habituels de tracé au doigt ou au pinceau, et au frottis, la couleur, à Lascaux, a très largement été employée en poudre soufflée, toujours pour les teintes que nous avons appelées plates, mais qui se résolvent, si on les examine avec attention, en une série de taches arrondies contiguës, formant un pommelage diffus. On retrouve le même procédé dans un très grand nombre de contours, spécialement pour les crinières des chevaux, mais associé constamment aux autres procédés d'application de la peinture. C'est la première fois, en dehors des mains aurignaciennes, faites au patron, que l'on observe l'usage de ce procédé de couleur soufflée. Cartailhac et moi avions, pour ces' mains, rappelé que les Australiens emploient la bouche même pour projeter la couleur ; mais il est à supposer ici, étant donné la régularité de la projection, qu'un tube à souffler a été employé, os tubulaire ou roseau.

Les animaux figurés dans la salle de Lascaux et son diverticule comprennent de très nombreux chevaux d'au moins trois variétés, des bœufs de deux, des cerfs élaphes. avec mélange de caractères rappelant certainement le cerf mégacéros en un cas, et peut-être le daim en un autre. Aucun renne n'y apparaît, non plus que le mammouth et le rhinocéros laineux (celui-ci présent dans le couloir de droite). Cette absence demande une explication, qui n'est

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nullement de rajeunir, comme des observateurs inexpérimentés l'ont déjà tenté, ces peintures, datées par des blocs tombés à Sergeac, tout voisin, dans des foyers aurignaciens et périgordiens.

D'abord le renne ne joue aucun rôle dans l'art figuré des grottes ou parties de grottes antérieures au Solutréen, ni sur les blocs sculptés de celui-ci, ni dans nombre de grottes ornées du Magdalénien, surtout ancien : il n'y a pas de rennes figurés à Pair-sur-Pair, Gargues, Cap-Blanc, Comarque, Niaux, Bernifal, Cabrerets, Roc de Sers.

Même où il y en a de figurés, les rennes sont généralement en très petit nombre : à Font-de-Cause : 6, pour des centaines de figures ; peut-être une douzaine aux Comba- relles, pour plus de 600 images ; aux Trois-Frères, une quinzaine dans le sanctuaire magdalénien, qui contient plusieurs centaines d'images, et aucun dans la galerie aurigna- cienne; à Marsoulas, un seul, gravé, pour un nombre considérable de bisons et de chevaux ; au Portel, un seul, tardif, par rapport à de très nombreux chevaux et bisons. Le renne joue donc un rôle peu important dans l'art pariétal, même à l'époque magdalénienne, où l'animal abondait le plus. Pourquoi ? — Sans doute parce que ce gibier, qui passait à l'automne, venant du nord en grandes bandes, restait l'hiver en Aquitaine et repartait au printemps, suivant, par milliers de milliers, impertubablement (comme au Canada) par les mêmes pistes, malgré les embûches des chasseurs qui en abattaient des centaines, ne nécessitait aucune magie, aux yeux des Paléolithiques. Ce gibier inintelligent, médiocrement agile, se prenait si aisément, aux époques de passage, que point n'était nécessaire de magie pour cela, pas plus que pour les saumons de rivière et autres poissons qui ne sont presque jamais figurés dans les dessins pariétaux. L'art mobilier suffisait, au Magdalénien, pour les poissons, et, dans une mesure moins absolue, pour les rennes. Au contraire les chevaux, les bisons, les bœufs

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372 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

(à certaines époques), les cerfs, pourtant assez rares alors, étaient l'objet de tous les efforts magiques de l'art pariétal, et il suffit, à Font-de-Gaume, de voir, au Magdalénien le plus récent, de nombreux graffiti de mammouth, animal alors presque éteint, pour conclure que la faune figurée sur les parois n'est pas un reflet fidèle de celle qui vivait alentour. L'un des derniers troupeaux de ces éléphants ayant 'sans doute traversé la Vézère, le désir de s'emparer de ces énormes bêtes, l'impression vive qu'elles firent sur les artistes et les chasseurs amenèrent cette floraison anormale de leurs figures.

D'autre part, il convient de rappeler qu'à Solutré (Saône- et-Loire), il y a deux niveaux où les os de renne abondent, l'intérieur, Aurignacien typique, et le supérieur, Solutréen et Magdalénien, mais que cet animal est extrêmement rare dans le niveau périgordien (ex-aurignacien supérieur) qui a accumulé l'énorme couche du magma à ossements de chevaux.

L'absence du renne ne peut donc pas être un argument pour reporter à la fin de l'âge du renne les figures de Lascaux, mais est au contraire un argument en faveur de son âge, du reste fixé par les blocs peints et gravés trou- vésdans les foyers aurignaciens et périgordiens de Sergeac. C'est, avec plus de taureaux, la même faune que celle des parois de Pair-sur-Pair (Gironde), parois qui étaient entièrement enfouies, lors de la découverte sous des dépôts périgordiens.

La comparaison artistique du style des figures s'établit aussi avec les couches picturales anciennes des autres cavernes, sous-jacentes à Font-de-Gaume, Altamira, Pa- siega, aux figures magdaléniennes, libres de superposition, comme à Gabrerets et Le Portel.

La perspective tordue des encornures des bovidés et des ramures des cervidés est inconnue de l'art pariétal magdalénien et même solutréen supérieur, où les conventions du

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dessin de ces parties de la tête sont celles d'aujourd'hui. Cette perspective tordue s'étend ici à la plupart des figurations de pieds d'animaux : les sabots de chevaux y sont représentés en ovale, comme dans le reste de l'art pariétal et mobilier aurignaco-périgordien , tandis qu'au Magdalénien et au Solutréen supérieur, ils sont toujours triangulaires et vus de profîL De même, pour la plupart des pieds de bovidés de Lascaux, en cela conforme à ceux de l'ancien âge du renne d'autres lieux, ils sont le plus souvent figurés comme un ovale fendu par le milieu. Si, à Lascaux, la fente du sabot a une tendance à se déplacer, c'est, chose curieuse, à l'inverse de la perspective réelle, la moitié antérieure s'exagérant par rapport à la moitié postérieure. Les pieds de cerfs, triangulaires allongés, sont également figurés fendus suivant leur axe, c'est-à-dire en perspective tordue.

Les caractères de perspective tordue des cornes et des ramures et même des pieds d'équidés et des ruminants du Périgordien de Lascaux se retrouvent intégralement dans les peintures de l'art oriental espagnol.

Prenons pour base de mes observations le grand abri de Minateda où j'ai essayé de discerner 13 couches picturales, ces conventions de perspective se retrouvant toutes aux séries 2, i, 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11, pour le moins. Elles se retrouvent à Cogul, Tormon, Alpera, CuevaRemigia, Can- tos de la Visera, et sans doute ailleurs encore, toujours pour les encornures et les ramures, moins uniformément pour la figuration des sabots de cerfs, de bouquetins, où la perspective vraie est parfois rendue. De cette identité dans les conventions du dessin des animaux, une conclusion s'impose, qu'a l'occasion de la découverte d'un cerf noir à ramure tordue de Sergeac, entre deux niveaux périgor- diens, j'avais déjà exprimé : l'art oriental espagnol dérive, non de l'art solutréo-magdalénien, mais de l'art périgordien aquitano-cantabrique.

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L'existence, à Lascaux, d'une scène (Homme mort, armes tombées, entre un bison furieux et un rhinocéros) montre nettement, comme la pierre gravée du Péchialet (Dordogne), du même âge, figurant deux hommes attaqués par un ours, que la composition scénique n'était pas ignorée des Péri- gordiens ou Aurignaciens supérieurs; bien qu'elle fût chez eux, embryonnaire, elle a pu se développer chez leurs descendants venus soit par la voie des Gastilles (grotte de Gasares) soit par celle de Port-Bou. La continuité terri to^ riale des deux arts est incontestable, mais le comte de la Vega de Lella a établi par la faune malacologique marine qu'avecle Solutréen, les conditions glaciales se sont accentuées et ont rendu le passage entre les deux régions difficiles par les montagnes et les hauts plateaux; le contact s'est trouvé réduit à la zone méditerranéenne. Il en est résulté un certain isolement entre les deux districts d'art paléolithique, et l'art rupestre levantin d'Espagne a évolué par ses voies propres pendant le Solutréen et le Magdalénien.

Les Aurignaciens supérieurs (périgordiens, qui avaient gagné ces régions plus tempérées) y avaient trouvé des populations méditerranéennes mangeuses de coquillages, peu douées pour Fart, et inclinées, comme à Romanelli (Tarente), à une représentation schématique des choses dont on trouve le reflet dans la couche I des peintures de Minateda.

Après l'impulsion artistique puissante des chasseurs de gros gibier venusdu nord, l'art levantin s'estdéveloppé sans jamais éliminer complètement ce schématisme local antérieur ; après la phase 9 de Minateda, on le voit regagner progressivement du terrain et devenir à nouveau prédominant dans les dernières phases, 41 à 13, pour s'enrichir bientôt de l'apport d'autres flots, mésolithiques d'abord, puis néo-énéolithiques. Que les toutes dernières phases de l'art levantin puissent descendre jusqu'au Mésolithique

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LA CAVERNE DE LASCAUX A MONTIGNAC 375

est très vraisemblable, mais la masse de ses compositions, dérivée de l'art aquitano-cantabrique, est d'âge solutréen et magdalénien, alors que ses débuts peuvent remonter un peu plus haut. C'est l'âge de l'ensemble du remplissage de la grotte du Parpallo (Alicante) où M. Péricot a découvert des peintures sur plaquettes analogues à celle des abris levantins.

Une des conséquences les plus importantes de la découverte de Lascaux est de confirmer l'âge paléolithique, indubitable désormais, de la plus grande partie de l'art oriental espagnol, et il m'est particulièrement agréable d'offrir à l'Espagne, où sont nées les études d'art des cavernes paléolithiques et rupestres paléo et néo-énéolithiques, et où j'ai tant travaillé, lui devant une importante partie de mes connaissances, ce premier exposé, en partie provisoire, du meilleur de cette découverte française. Cette découverte égale, comme valeur et comme art, celle de la caverne can- tabrique, et de plus, elle l'explique, comme un admirable précurseur donne la raison de l'œuvre des générations ultérieures, comme la première renaissance florentine, avec Fra Angelico, Botticelli, Philippo Lippi, annonce et prépare, sans les éclipser, les grands maîtres de la seconde Renaissance, les Raphaël et les André del Sarto, les Titien et les Véronèse.

L'art de Lascaux, malgré les vestiges et conceptions primitives de dessin qui y subsistent, témoigne déjà d'une remarquable maîtrise dans l'exécution de figures parfois immenses, et d'une technique habile, sûre et variée ; ses œuvres atteignent à l'élégance et à la puissance, et parfois même au chef-d'œuvre avec certains grands taureaux pourtant tracés avec des moyens d'une grande simplicité. Elles atteignent un point culminant de l'épanouissement ultime de la première phase de l'art paléolithique supérieur et leurs traits, d'allure primitive, contribuent à leur donner une fraîcheur d'expression, parfois un peu rude et

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naïve, tenant, à leur manière, de la première Renaissance. La multiplicité de leurs techniques successives, groupées en un temps relativement court, est le signe d'une sorte de fièvre artistique, riche en inspiration et en expériences; rien ne pouvait faire prévoir, de cette époque reculée, dont on connaissait seulement quelques rares fragments, une telle explosion d'art véritablement grand, et, dans son genre, parfait.

D'autre part, les grands polychromes d'Altamira, bien plus récents, ne sont pas éclipsés par la découverte moa- tignacoise; l'habileté du rendu des détails, l'usage judicieux de couleurs plus variées, les attitudes plus diverses, parfois d'une complication cherchée qui ne tombe ni dans le mièvre, ni dans le maniéré et n'ôte pas la force et la vérité aux œuvres réalisées, montrent un autre sommet de l'art pictural de l'époque des cavernes, dans le plein de sa seconde Renaissance. Chaque ensemble demeure incomparable et, dans son genre propre, un sublime exemple de la haute maîtrise des vieux maîtres anonymes du Paléolithique supérieur.

SÉANCE DU 26 SEPTEMBRE

PRESIDENCE DE M. MARCED AUBERT.

M. Demangel, Directeur de l'Ecole française d'Athènes, envoie des nouvelles concernant l'activité des membres de l'École en se félicitant des résultats obtenus à la date du 15 septembre 1941.

En Arcadie, à Gortys, MM. Metzger et Martin ont dégagé deux acropoles contiguës avec de beaux remparts et un petit sanctuaire dans une porte.

A Delphes, MM. Jannoray au Gymnase, Bousquet aux trésors