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I ÉTUDES SUR LES NOMS PROPRES ET LEUR VALEUR HISTORIQUE AU TEMPS DES DEUX PREMIRES DYNASTIES FRANQUES . PAR M. FÉLIX BOURQUE LOT Membre résidant. (Extraitdu XXJ'I!!' volume des Mémoires de l, Société impériale des .4ntiquairc de Fronce.) La question dont M. Le B!ant s'est occupé dans son Mémoire sur le Rapport de la forme (les flOFflS propres a'ec la nationalité à l'époque nérotingienne, est certainement une des plus intéressantes que puisse soulever l'histoire de nos origines. La résoudre, ce serait éclairer la 1. Ce mémoire a été lu le 21 décembre 1864 à la So- ciété des Antiquaires de France; mais les communications verbales dont il est la mise au net remontent au mois de juin de la même année, époque à laquelle la question a été soulevée par M. Le Blant dans le sein de la Société, ((IBLICTHÈQE') Document _____________ I I I I I II DIII II 1 .,., .. 0000005565443 A

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ÉTUDES

SUR LES NOMS PROPRES

ET LEUR VALEUR HISTORIQUE

AU TEMPS DES DEUX PREMIRES DYNASTIES FRANQUES .

PAR M. FÉLIX BOURQUE LOT

Membre résidant.

(Extraitdu XXJ'I!!' volume des Mémoires de l, Société impérialedes .4ntiquairc de Fronce.)

La question dont M. Le B!ant s'est occupédans son Mémoire sur le Rapport de la forme(les flOFflS propres a'ec la nationalité à l'époquenérotingienne, est certainement une des plusintéressantes que puisse soulever l'histoire denos origines. La résoudre, ce serait éclairer la

1. Ce mémoire a été lu le 21 décembre 1864 à la So-ciété des Antiquaires de France; mais les communicationsverbales dont il est la mise au net remontent au mois dejuin de la même année, époque à laquelle la question a étésoulevée par M. Le Blant dans le sein de la Société,

((IBLICTHÈQE')

Document

_____________I I I I I II DIIIII 1 .,., ..0000005565443

A

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ETUDgS

plupart des obScurcltéS qui enveloppent le ber-ceau de la monarchie franque; ce serait fixer laproportion et le rôle (les éléments dont, avecl'aide du temps, s'est formé le peuple français;ce serait donner peut-être le secret de nos pre-mières révolutions politiques. Je ne crois pas,pour ma part, que le moment d'une solutioncomplète et absolue soit encore venu, si toute-fois il doit jamais venir. Mais les faits que l'édi-teur des Inciiptwiis chre'ticnnes (le la Gaulea recueillis et interprétés contribueront sansdoute à la préparer; elle sera rendue plus facileencore, si de nouvelles observations sont fourniespar d'autres travailleurs.

Je voudrais apporter it l'oeuvre ma modestepart de labeur. Depuis longtemps et souventmon esprit avait été attiré par les problèmes quesoulève l'importance relative de la populationgermanique et de la population gallo-romaine enGaule, après l'établissement définitif de lanarchie franque ; j'avais cherché à me rendrecompte de la distribution de chacune desdeux races dans les différentes classes (le lasociété, des fluctuations (lue le temps et les cir-constances ont fait subir à cette distribution, duparti que l'on peut tirer de la forme des nomsde personnes pour la connaissance de la natio-nalité. Voici quel est le résultat de mes recher-ches qu'on nie permette d'ajouter à ce qui aété dit le peu que je crois savoir.

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SUI LSS NOMS FIWPRES. 3

Je pense avec Augustin Thierry et avec d'an-tres écrivains éminents que, pendant la premièrepériode du régime mérovingien, les noms sontd'ordinaire Ufl signe (le race, et que de la formede ces noms l'hislorien est en droit de tirer desconséquences susceptibles de servira l'explicationdes fuis.

M. Le Blant a Puisé dans l'étude conipandes dénominations personnelles une preuve,péremptoire à mon avis, que le clergé chrétiende la Gaule franque a commencé par se re-cruter presque exclusivement parmi les Gallo-Romains. Des comparaisons analogues me four-nissent aussi des données qui ne semblerontpeut-être pas dénuées d'intérêt .-Mais avantd'entrer en matière, je crois à propos (l'exa-miner le degré de certitude que mritenL lesnoms (le personnes considérés comme signes derace.

Des Germains (Francs, Burgondes, Wisi-oths, etc.) , parvenus à soumettre la Gaule à

leur autorité, des Gallo-Romains", nombreux etpolis, mais abaissés, désunis et dépourvus de

1. Récits des temps méroingiens, 4 1 récit, p• 299 de l'édii.de 18,53. - Aug. Thierry a été vivement attaqué pour sesidées à cet égard; je suis heureux que l'occasion se pré-sente de combattre pour l'homme supérieur dont je m'ho-nore d'avoir été l'élève et l'ami.

2. J'appelle Gallo-Romains, sans dictinction, tous les ha-bitants de la Gaule autres que les Germains.

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4 ÉTUDES

cette énergie morale qui donne la supériorité classure la victoire, telles sont les deux popula-tions qu'on voit occuper ensemble le sol gauloisaux sixième et septième siècles. Il n'est paspermis de douter (l'exemple des mêmes situationsà des époques plus modernes suffirait, au be-soin, à le prouver) que, pendant quelque temps,ces deux races soient restées distinctes l'une (lel'autre. Mais comme l'ancienne population pos-sédait à un haut degré la faculté d'assimilation,comme la population germanique, maîtresse enfait du pouvoir, était à beaucoup d'égards l'in-férieure et ['obligée de ceux qu'elle avait réduitsà l'obéissance, comme enfin les deux peuplespratiquaient la même religion , ce qui est entreles hommes le lien le plus rùr et le plus puis-sant, ils ne tardèrent pas beaucoup ii se rappro-cher, à s'unir et à se fondre.

A quel moment cette fusion peut-elle être re-gardée comme accomplie? C'est une (laie, toutle monde le comprend, quil est bien difficile defixer. Dans tous les cas, la thèse des historienset (les publicistes, qui, dans le camp nobiliaire,comme dans le camp plébéien et libéral, ontprolongé jusqu'à nos jours la distinction existantprimitivement entre les Gallo-Romains vaincuset les Germains vainqueurs, est, selon moi, toutà fait inadmissible. Il faut voir dans les écritsde Boulainvilliers de Montiosier, d'AugustinThierry, de M. Guizot, comment cette question

D

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SUR LES NOMS PROPRES.

d'histoire a été traitée par les passions politiques.Voici quelques citations

« H est faux, dit Boulainvilliers, que ce ne soitpas la force des armes et le hasard d'une con-quête qui aient primitivement fondé la distinctionqu'on énonce aujourd'hui par les ternies denoble et de roturier '.

« Race d'affranchis, s'écrie Monilosier, animéd'une sorte de fureur, race d'esclaves arrachésde nos mains, peuple tributaire, licence vous futaccordée d'être libres et non pas à nous d'êtrenobles; pour nous, tout est de droit, pour voustout est de grâce . »

M. Guizot s'exprime avec plus de - calme« Depuis pins de treize siècles, la France conte-nait deux peuples, un peuple vainqueur et unpeuple vaincu; depuis plus de treize siècles, lepeuple vaincu luttait pour secouer le joug duvainqueur; notre histoire et l'histoire de cettelutte. De nos j ours, une bataille décisive a étélivrée: elle s'appelle la Révolution '. »

Aug.Thierry dit aussi que nous sommes e deuxnations ennemies dans leurs souvenirs et incon-ciliables dans leurs projets 4 . » Mais il reconnaîtle « mélange physique des deux races pri-

• !ïisgoirc de l'ancien gouvernement de la France.. De la monarchie française.

3. Du guuverwinnt de la France.li. Dix ans rf études /ltssoFlquc.s, p. ft63.

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mitives,et il ne met plus en avant, que leuresprit (( constamment contradictoire 2 . »

Je le répète, la persistance à part jusqu'auxtemps modernes des races germanique et romainesur le territoire gaulois est une pure illusion quele raisonnement et les faits dissipent. L'étudedes noms propres fournit à cet égard d'utileséclaircissements. Quant à la thèse soutenue parquelques écrivains et d'après laquelle se seraientpropagésjusqu'à la révolution de 4789, non pointle sang, mais l'esprit gaulois dans les massespopulaires, l'esprit germain dans la noblesse, iln'entre pas dans mon sujet (le la discuter ici.

Revenons à la distinction des races, telle queje l'entends. Il s'agit uniquement de l'époque queremplissent les deux premières dynasties de nosrois. Mon opinion est, comme je le disais tout àl'heure, que les Gallo-Romains, réunis avec lesGermains sous le scèptre mérovingien, ont con-servé pendant quelque temps leur personnalitéet le sentiment d'un passé dont ils croyaientpouvoir s'enorgueillir. J'estime, en outre, quela forme des noms peut servir à constater cettepersonnalité, sinon dans tous les cas, au moinsdans un certain nombre de circonstances, et jevais essayer (le l'établir.

Le premier moyen de preuve peut se trouverdans les généalogies ou filiations authentiques

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que les anciens documents nous ont conservées.Il est nécessaire d'en rassembler le plus grandnombre possible et de s'assurer que les nomsgardent de pire en fils, dans les unes et dans lesautres, la ftrnie romaine ou la forme germanique.Voici deux listes qui portent avec elles leur si-gnification

GALLO-ROMAINS.

Je place ici les noms dont la tournure paraîtcaractéristique. La liste en sera complétée plusloin par ceux qui, dans les textes, sont accom-pagne's d'une désignation d'origine

Agathimerus, petit-fils de Remigius.Arcadius, fils d'Apollinaris; - petit-fils de

Sidonius.Aridius, fils de Jucundus.Lustadius,Attalus, neveu de Gregorius (Grégoire, évêque

de Langres).Celsus, patrice, fils de Silva.D'uamius, fils d'Evantins.En frasius, fils d' Ennod ius, sénateur.Gallus (saint Gall ) , fils de Georgius et de

Leocadia.

1. Les noms qui suivent sont empruntes à Grégoire deTours, t Frédégaire CL à ses continuateurs, à Fortunat, auxdiplômes, etc.

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S ÉTUDES

Gregorius (Grégoire de Tours), fils (le Floreti-tius, se'nateur, et d'Armentaria; - petit-fils deGeorgius et de Leocadia; -- arrière-petit-filsde Gregorius, évêque de Langres; - descendantpar son aïeule Leocadia de Vectius Epagatus,martyr de Lyon 1.

Jovinus, recteur,fils d Aspasius.Leo, duc,

Leontius, évêque, fils de Placidina.Marcellus, fils de Félix, sénateur.iNicetius (saint Nizier), fils de Florentius, ex

senatoribus, et d'Artemia.Paternus, fils de Julita.Palatina, fille de Gallimagnus.Sallustius, fils d'Evodius.Serenus, fils d'Adrianus et de Serena.

GERMAINS.

Je laisse à leurs noms la forme latine souslaquelle ils nous sont parvenus, afin que le lec-teur conserve sa liberté d'appréciation tout en-

1. Toute la famille de Grégoire de Tours était romaineet se recrutait parmi les Romains. Le frère de l'évêque deTours s'appelait Petrus, sa soeur avait polit époux un Ro-main nommé Justinus; ses nièces se nommaient Eustenia etJustina. Il avait pour parents les évêques Gallus, Tetricuset Nicetius. Les premiers évêques de Tours, dont la listeest entièrement romaine, faisaient, sauf cinq, partie de safamille. (Hisi. franc. Greg. Tur., L V, C. L.)

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SUR LES NOMS PROPRES. 9

tere; le caractère germanique qui leur appar-tient reste assez frappant pour n'échapper à per-sonne.

Adalbertus, due, fils d'Adalricus.Adalsiuda, fille cl'Arnalarius.Adaltrudis, fille de Girartus et de Grirnberga.Adegundis, fille d'Albertus, noble personnage.Ado, fils de 1)olena.Agantrudis, noble dame, veuve d'Iiigobertus,

fille d'Ebrulfns.Albiichus, fils de Haicho.Amairichiis, fils d'Aînalberchtus.Angeiwara, fille d'Afï'o.Angilbaldus, fils (le Ilildeboldus.Angilb ertus, fils (le Gaobertus.Arnulfus, 'à-, fils de Mauriho.Lhariulfus, J

Basinus, fils (Je Chlodullus, duc de l'Austrasiemosellane.

Baudegisilus, fils de Baudulfus.Boso, duc, fils de Mummolenus.Boso, fils d'Audolenus.Dacco, fils de Dagarius.Farus, fils de Chlodoaldus.Gislemarus, fils de Warado.Radulfus, fils d'Adaltruda.Ranichuldis, fille (le Sigiwaldus.Rernilia , femme d'Auiiemundus , fille d'ins

leul)ana.

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10 ÈTUDXs

Theoda, fille de Wiliacharius, prêtre.

Le premier point de la thèse que je me suisposée, c'est-ii-dire la persistance des formes no-minales dans les filiations romaines et dans lesfiliations barbares, semble déjà établie par lesexemples qui précèdent; mais la démonstrationpeut et doit être poussée plus avant. Eu effet, lapersistance des races elles-mêmes est attestéeformellement par le témoignage des ancienstextes, dans lesquels certains personnages se trou-vent qualifiés de Francs ou d'or, inc franque,de Romains ou d'origine romai/?c. ici encore, laproduction des exemples est indispensable.

Voici les noms auxquels est jointe, à ma con-naissance, la qualification de Francus, de ge-nere Francus ou Franco, dans les écrits méro-vingiens:

Ammingus(Menana'ri Chron., al). D. Bouquet,t. Il, P. 72).

nsegisibus (Fredegar. Chron, con tin., pars.28 , C. xcvii, an. 680).

Bertoaldus, maire du palais (Fredegar. Cliron.,an 603, c. xxiv).

Bodilo, (Fredegar. Chion. contin., pars 48,

au. 669, C. xxv. - Chron.. ilioLi'siac., ap. I).Bouquet, t. li, p• 652.)

Dotto, comte (Vita sancti Amarirli, ap. Bol-land. 4cia ,çanctoum, t. 1 febr., p. 84).

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Ermenfridus (Fredegar. Chron. contin., parsC. xcviii, an. 680).

Flaochatus (Fredegar. Cliron., C. LXXXIX,

ai). 641).Grippo, ambassadeur (Greg. Turon., Hist.

franc., 1. X, C. 2).Herpo, duc (Fredegar. Chron. , C. XLIII, an. 613).Launebodus, duc (Fortunati Carmina, 1. 11,

C. ix).Quolenus, duc (Fredegar. Chi-on., e. xvii,

an. 599).rrheedelinda (Fredegar. Chron., e. xxxiv, an.

607).Wu Ifin us, nobil issime (ï-'i/a sancti Eusicii.

ap. Bouquet, t. III, ). 428).

Voici quelques n'.ms qui se présentent avecdes indications de nationalités germaniques

Senoch, avec la qualification (le Theif'ale(Greg. Turon. Hist. Franc., I. V, e. vii);

Chrodoaldus, avec la qualification d1Agilulfingeou 4yglol/inga (Fredegar. (hron. C. LH an. 624);

Blandinus, avec la qualification de ex Sicam-brorum genere, (Vita S. Salaberga, 22 sept.).

Je donnerai tout à l'heure la liste (les nomsauxquels on trouve jointes dans les ancienstextes les qualification; de Romains et d'origine,Ø,fl7jfl J 'ai cru devoir comprendre dans cetteliste les noms de persnnages qui reçoivent, letitre de snateur, fils de se'nafrur, de famille ou

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12 ÉTUDES

d'origine sénatoriale. Quel sens doit-on attri-buer à ces appellations? Désignent-elles desmembres de ces familles sénatoriales dont l'il-lustration remontait aux temps où la Gaule fai-sait partie de l'empire romain? S'appliquent-elles à des personnages ayant obtenu de la courimpériale un titre répondant à celui de Pir cia-rsswws, à une époque où l'on sait que lestitres (le ce genre furent très-recherchés d'unepart et de l'autre extrêmement prodigués? Sont-elles, enfin, une distinction réservée aux mem-bres des curies municipales qui subsistèrentdans la Gaule après l'occupation barbare et aux-quelles, à l'imitation des institutions romaines,on aurait appliqué le titre de Sénat?

l'ai beaucoup hésité axant de prendre unparti entre ces solutions. En effet, la persistancedes curies romaines plus ou moins altéréesest démontrée par une foule de textes que M. deSavigny a réunis dans son flistoire clii tirait ro-main et par les dispositions mêmes de la LexRomana J! ms,.,rothorum, rédigée sous le règned'Alaric II. Or, les mots curia,curmalms, decimrio,ordo, qui s'appliquent au corps et aux officiersmunicipaux, figurent assez fréquemment dans leslois, dans les actes et dans les formules, muais onne les voit point paraître dans les chroniques. Onpourrait donc admettre que, dans les bouchespopulaires, les noms sénat et se'natew' eussentpris la place des ternies de la langue officielle, à

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SUR LES NOMS PROPRES. 43

un moment oit le sénat de Home ne possédait plusd'autorité réelle. Cette idée trouverait une sortede confirmation dans les paroles suivantes queGrégoire de Tours met dans la bouche de Gon-debaud, roi des Bourguignons:Sed eorain ,çena-,uztoribus ineis et alus quos eliga.rn ', et dansdiverses mentions de pays qui se présentent ac-colées au titre (le sénateur... N., sénateur desGaules', N., sénateur de Tours , N., sénateurd'Auvergne ', etc. Enfin , une charte d'Anse-mundus et d'Ansleubana, sa femme (an 521j.3),contient la mention (lu 'Vobilis senatus rien-il(li'Vis b

Cependant, l'opinion qui rapporte le titre (lesénateur ii des descendants d'anciennes famillessénatoriales ou à des personnages décorés eux-mêmes de qualifications honorifiques par l'auto-rité impériale de Rome OU (le Byzance , sem-ble devoir être préférée. On sait que la Gauleavait été favorisée, presque dès le moment de laconquête romaine, quant îk l'entrée de ses ci-

4. Rist. eceles. franc., 1. II, C. xi.

. Greg. 'juron., Nia. franc., 1. VI, e. xxxIx. -lei.,ibid., 1. II, e. xxi. —Id., De (.loria confess., C. y.

3. Gxcg. Tui'on., Hia. franc., L III, e. xvii.De senatoribus, ciribusqac droernis (Greg. Tu ron.,

Rist. f,anc.. I. X, C. xxx).q Qtialiter fratres (sciente?) senatu nobilis Vien-

nensis, ces nostras Deo tibique tradidirnus » (Diplornata,C/zart, etc., icteiii.ç merci., id. Pardessus, t. I, p. 107).

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ÉTUDES

toyens dans le sénat. Tacite nous a t'ait connaitreles priviléges obtenus sous ce rapport par la citédes Eduens et par la Gaule narbonnaise'. Ruinartremarque, à propos d'un passage de Grégoire deTours, qu'à l'époque gallo-franque, on donnaitla qualification de sénateur à des individus (Juln'avaient jamais vu Rome, et tout en rappelant quebeaucoup d'habitants de la Gaule avaient été debonne heure introduits dans le sénat, il ajouteque parfois Grégoire de Tours ne semble dési-gner parle mot sénateur que les premiers citoyensd'une cité '. Le texte que je regarde comme leplus probant en faveur de la signification denoble appliqué an terme sena toi, est une phrasede Grégoire de Tours, ainsi conçue : a Au-dientes autem senatores urbis (Arverna) quilune in loco illo nobilitatis Romanœ steinmaterefi1gebant'. »

Les autres témoignages historiques qui se rap-portent à la même question ont un sens moinsaccusé; niais ils sont utiles à connaître. Je mecontente de les rapprocher. (in lit dans les Yii

4. « Primi }Edui senatorum in urbe jus adepti sunt. »Çracite, Aimai., I. XI, c. xxv.)— « Galliœ Narbonensi....daturn ut senatoribus ejus provinci.... jure quo Sicilia ha-beretur l'es suas invisere liceret. (1(1., ibid., J. XLI,e. xxiii.) — Po,. aussi Suétone, De Jul. (]xsare, C. Lxxx,

2. Notœ ad c. xi 1. VI de J'Ris. des Francs de Gré-pire de Tours.

3. De Gloria confesso,uw, U. V.

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SUR LES NOIS PROPRES. 15

Patrum de Grégoire de Tours: « Beatus Leo-bardus, Arvernici territorii indigena fuit, generequidem non senatorio, ingenuo tamen '; » -dans le traité de Gloria rua rtylum : « Sed cumesset (le prêtre Eparchius) genere senatorio, etnullus in vico illo Ricoinagensi, juxta sculidignitatem haberetur nobilior ! ; » - dans le deGloria con fessorwn: e Duos in bac urbe (Lug_dunensi) fuisse ferme, virum scilicet et conjugemejus, senatoria gente j)ollentes'; » - dans lesJ'itx /'atrum: u Gallus, quem a Dei cultu abs-irahere non potuit, nec spiendor generis, neccelsitudo senatorii ordinis » Grégoire de Toursparle aussi de fils de sénateurs que se donnèrentpour otages les rois Thierry et Childebert '; -de filles de sénateurs que Chramne fit enleverClermont ; - de Sulpitius, vit , nobilis et deprimis senaionbus Galliarum ; - d'Ilortensius,unus ex scuatoribus, qui exerçait les fonctionsde comte de Clermont ';— des sénateurs auver-gnats qui accompagnaient Apollinaire à la ba-taille de Vouillé et qui y trouvèrent la mort

I. Vitae Patram, C. XX.. De Gloria inartyram, C. LXXXVII.

3. Greg. Tiiron., De Gloria confessorum, C. Lxv.4. Id,, Vitœ Patrum, e. vi.i. id., Rist. franc., 1. III, e. xv,6. Id., ibid., I. 1V, C. XIII.7, 1(1., ibid., I. VI, e. xxxix.8. Id,, Vit,V Patru'n, e. iv.1. Id., Hist. franc., 1. lI, e, xvii.

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- .-,----e-.--.-

16 ÉTUDES

Fortunat s'exprime ainsi dans l'épitaphe dujeune Arcadius:

Hie puer Arcadius, veniens de proie senatus'.

Enfin, on ne (bit pas oublier le testamentd'Ephibius, rédigé à Vienne en 596, dans lequella plus grande partie des témoins reçoit la qua-lification de sénateurs '.

Il est certain, d'ailleurs, que les expressionssénateur, fils de sénateur, de famille sénatoriale,s'appliquent, sauf de rares exceptions que je feraiconnaître, à des personnages portant des nomsde forme latine et dont quelques—uns sontindubitablement de race romaine.

Voici maintenant la liste annoncéeAgroecula, évêque de Cliâlons, ex genere sena-

torio (Greg. Turon. !Itrt. I'r(Il,c., 1. V, C. Lxvi).Arcadius (Fortunati Cai,,,., I. 1V .Claudius, maire du palais, ,encre Roniaiws

(Fredeg. Chion., an. 606, e. xxviii).Eufrasius, fils du sénateur Ennodius (Greg.

Turon., 1. IV, C. xxxv).Eufronius, év. de 'l'ours, ex genere illo quod

superius senatomiuin liuncupaviwus (Greg. 'l'ur.,1. X, C. XXX, 110 18).

1. Fortunati Carmina, I. IV, e. xvii.2. Dijiloînata, Chari—v, etc., édition Pardessus, t. 1, p. 240.

- L'authenticité de cette pièce laisse des doutes à la cri-tique.

mm

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SUR LES NOMS PROPRES. 47

Francii j o, év. (le Tours, ex seriatoribus (Greg.Tur., I. X, C. xxx, n° 14).

Gutidulfus, duc, ex genere senatori() (Greg.

Hortensius, comte, ex senatoribus (Fredeg.Bis!. e/)tom., C. xxxvIii. - Jt((t S. Quinhiani,ap. D. Bouquet, t. lEI, p. 408).

Marcellus, diaconus, Felicis senatoris fihius(Greg. Turon., VI, vu).

Ominatitis, év. de Tours, de senatoribus etcivibus Arvernis (Greg. Tur., 1. X, e. xxx,n° 12).

Perpetuus, év. de Tours, de genere, ut aiunt,senatorio (Grieg. Turon. !hst. franc., lib. X,C. xxx, n° 6).

Protadius, patrice, genere Romanus (Fredeg.C/zron., an. 604, e. xxiii).

Hichomer, patrice, Romanos genere (Fredeg.Cliron., an. 607, e. xxix).

Sulpitius, évêque de Bourges, nobilis et deprimis senatoribus Galliarum (Greg. Turon., VI,xxix).

Teuteria, maîtresse de Théodebert, genereRomana (Fredegar. Hisi. cpi!., C. XXXIX).

Valentinus, chef de la milice du palais, trahensex paterni generis sanguine originern a Romanis(Fila S. Vakatini, ap. D. Bouquet, t. III,p . 410).

Volusianus, év. de Tours, unusex senatoribusGreg. Tur. Jus!, franc., I. II, e. xvii); ex ge-

ocre seriatorio (Id., L X, C. xxx, n° 7)

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18 ETLJDES

Ainsi, voila des Romains et des Germains par-faitement caractérisés et distingués les uns desautres, soit par la forme de leurs noms , soitpar les qualifications positives dont ces nomssont accompagnés. Cependant, il ne faudraitpas croire et je n'entends pas dire que les formesnominales doivent toujours et sans réserve êtreprises I)0u1' une preuve de la nationalité; je feraimême voir tout à l'heure que la valeur de cettepreuve diminue à mesure que l'on s'éloigne duberceau de la monarchie franque. Si, d'unepart, des sentiments facilement appréciables pou-vaient pousser les Romains à s'affirmer Romainsait des barbares, un certain nombred'entre eux, et ce nombre s'augmenta de plus enplus, étaient entraînés à imiter les Germains, àadopter leurs habitudes de vie, à se façonner àleurs manières, et à déguiser leur propre origine.A la différence de quelques autres peuplades ger-maniques, les Francs n'avaient pas repoussé lesunions avec les indigènes, et dès les premierstemps de leur établissement en Gaule, on voitdes noms tudesques attribués à des enfants nésde mariages entre des personnes de race romaineet de race germanique; ce Fait se produit mêmelorsqu'il s'agit d'enfants nés d'un couple pure-ment romain. Ainsi, pour fournir quelques exem-ples

Les noms de l3ursolenus et de Dado sontdonnés aux fils de Severus.

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SUI LES NOMS PROPRES. 19

Leudastes, le célèbre comte de l'ours, apère un esclave du fisc appelé Leocadius.

Bertulfus est fils de Florus.Abbo a pour parents Felix et Rustica.Goar ou saint Goar, né en Aquitaine, est fils

de Georgius et (le Va1eriaGenovefa ou Geneviève a pour parents Severus

et Gerontia.Les qualifications de 'enere senatorio et de lb-

nianus genere se trouvent même appliquées par-fois à (les noms (le forme germanique, commeà ceux de Gundulfus et de Richomer'. C'estlà, sans doute, un fait exceptionnel. Mais cetteexception mérite d'être signalée. L'un des per-sonnages dont il s'agit, Gunduif, était certaine-ment de famille romaine, et appartenait à cellede Grégoire de Tours, qui déclare quelque part lereconnaitre pour son parent, qucrn recognoscoinatris inex esse as'uncuium . II y a tout lieude supposer que Ricijoiner, sur lequel on n'apas de renseignements, et Gundulf, sont desenfants de mariages entre Romains et barbares,ou de mariages entre Romains, et dont les pa-rents ont cru utile de les rapprocher des Ger-mains par le lien des dénominations.

Il y eut aussi des Germains de l'époque méro-

1. G reg. Tu ron. Bisé. franc, I. VI, c u. - FredegaritChron,, an. 607, c. xxix.

L Greg. Tiiron., I. VI, u. il.

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ÉTUDES

vingielme qui crurent se distinguer d'une manièreheureuse et faire acte de bon goût en se modelantsur les anciens maîtres du pays, qu'il fallait bienreconnaître aussi pour les maîtres de la civilisa-tion.

Certains princes de la race de Chlovis furentaccusés de tendances romaines, et des tendancesdu même genre paraissent avoir laissé des tracesdans les dénominations de personnes. Jadis,lorsque Rome tenait le sceptre du monde, l'am-bition avait introduit chez les barbares des nomsde forme latine. Aurelius Victor, parlant de Su-vanus, qui porta un instant la pourpre impé-riale, affirme qu'il était d'origine tudesque.« Blandissimus, dit-il, quamvis barbaro patregenitus, [amen institutione Romana satis cultuset patiens . » Plus tard, lorsqu'ils eurent obtenuune suprématie incontestable, les Francs, enimitant les anciens possesseurs du pays, obéis-saient à un autre sentiment. On rencontre quel-ques exemples de filiation dans lesquels desnoms romains appartiennent à des enfants debarbares. Ainsi, une femme appelée Adreber-tana, c'est-à-dire, selon toute apparence, ger-maine, passe pour avoir été la mère de Dieu-donné, évêque de Chartres, mater Deodati,c'est-à-dire la mère d'un personnage portant un

1. Sex. AureliiVictoris epitome, règne de Constant, dansles Historix llonwnx epitnme (Amsterdam, 1 6125), p. 466.

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nom romain bien caractérisé '.11 est possible que,dans cette circonstance, le père, dont nous nesavons pas le nom, fût romain et qu'il ait tenti àperpétuer la marque distinctive de sa race'. Desmariages entre romains et barbares avaient lieudès les premiers temps de la monarchie, commeje le disais tout à l'heure. Le duc Godegisèleétait uni à Palatina; Basilius avait pour femmeBaudegundis, etc.

Enfin, Grégoire de Tours nous montre desnoms empruntés à la Bible et à l'Évangile queles Germains recevaient quelquefois au baptême.C'est ainsi que l'on voit les cieux princes Her-inenégild et Coedual appelés Jean et Pierre'.

Voilà les réserves que je voulais faire, les ex-ceptions qu'il était nécessaire (le signaler à laproposition émise au commencement de ce tra-vail. Les faits qui viennent d'être cités, et quisont d'abord peu nombreux, ne peuvent pas, àmon avis, empêcher qu'on se serve de la forme

1. Diplomata, Charte, édit. Pardessus, t. 11, p 235,

note.2• Le texte suivant offre des noms romains appliqués à

(tes Francs, qui cux-ménles donnent à leur fils un nomtudesque a Fuit igitur beatissinius Arnulfus nobilissimusFrancorum oruls parentibus, patre gentili nomine Quiriaco,matre vero cognomine Quintiana. (Vita S. Arnulfi, apud

D. Bouquet, t. III, P. 383.)3. Ces faits ont étéinvoqués contre Augustin Thierry,

par M. L. Aubineau, dans l'ouvrage qu'il a publié sous ktitre de critique et réfiFtae on de M. 4uusOn Thierr).

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22 ETLTDBS

des noms comme (l'un signe ordinaire de race,et je me crois en droit de tirer de la statistiquedes noms de personnes, les conséquences qui endécoulent.

Par la comparaison des formes nominales, unpoint important se trouve acquis à l'histoire. IIest évident (lue, malgré l'état d'infériorité danslequel les lois barbares plaçaient les Romainspar rapport aux Germains, les anciens maî-tres de la Gaule avaient, sous les Mérovingiens,accès aux fonctions publiques, et même auxcharges les plus éminentes de l'État. On pos-sède, à cet égard, un passage très-significatif'de la Vie de saint Valentin. un Romain yfigure comme ayant été élevé par la faveur duprince aux importantes fonctions de chef de lamilice palatine « Beatus Valentinus, parentibusnobilibus ortus, trahens ex paterni generis san-guine origineni a Romanis, sub Theodeberto regepalatinam militiam in adolescentia pro diguitateparentum adruitiistravit l•

Mais les dénominations de certains fonction-naires suffisent à elles seules pour témoigner de laparticipation des Gallo- Romains aux emploispublics sous l'empire des Francs.

Parmi les (laces, qui étaient à la fois, et sans

1. Vita B. Valentini, ai). Buiujuet, U, 410.— Voy. aussila Vie de Sajnt-Pateine ai). Bol land, Acta .anaoru, avril.T. IV, p. '&7.

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doute suivant le besoin, chef d'armée et gou-verneurs de province, figurent plusieurs person-nages portant des noms irrécusablement latins,comme ceux de

Abundantius, Desiderius, Ennodius, Euno-niius, Ennius, autrement dit Mumniolus, Vene-randus, etc.

Roth , dans son traité des Bénéfices, a fait re-marquer que l'on ne voit jamais de Romainscommander les armées des Vandales et des Os-trogoths, par la raison que ces armées étaienttoutes composées de barbares. En Gaule, il enétait autrement, et on sait d'une façon positive queles Romains concoururent avec les Germains auxguerres mérovingiennes.

Un personnage, ex genere Romano, paraîtdans une liste de ducs qui commandèrent eu635 l'armée du roi Dagobert. Seulement cet indi-vidu porte un nom très-décidément germanique,et il y a lieu de lui appliquer quelqu'une des con-sidérations que j'ai fait valoir plus haut, à pro-pos de faits analogues. Voici le passage même dea chronique de Frédégaire, que je cite à raisonde l'intérêt spécial qu'il offre dans notre sujet:

ci Anno XLV regni Dagoberti (an 635), cumWascones rebeflarent,... 1)agobertus, de uni-verso regn o Rurgundia exercitum promoverejuhet, statuens eis caput exercitus

Nomine Cliadoindtun, referendarium, (hifi,teinporibus Tiicuderici (1uolidadn rcgis, multis

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ÉTUDES

pia1iis prohabatur streuuus; (lui cuiti decemducibus, curn exercitibus, id est

« Arimbertus, Amalgarius, Leudebertus, Wan-dalmarus, Waldericus, Ermenus, Barontus, Chai-raardus, ex

genere Francorum,« Chraninelenus, ex

genere Romano,• Wilibadus, patricius, ex

genere Bnrgundionurn,• Mgyna, ex

genere Saxonuu-i'.Passons aux comtes. On trouve parmi eux des

individus appelés« Arrneii tarius, Attalus, Blandin us, Eulalius,

Eunornius, Avitianus, Firminus, Galactorius,Cailus, Peonius, etc. » Grégoire de Tours ditque Hortensius était comte de Clermont Hor-tensius, unus ex senatoribus co,nilaturn urbisirrernx aens!

Dans la liste des maires du palais, on remar-que les noms de

Florentianus, ,Iovinus, Proladius.Enfin, la liste des patrices recteurs ou préfets

qui gouvernaient les provinces méridionales de laGaule offre les noms suivants

« Agricola, Alhinus, Aletheus, Amatus, Aste-

1. Frcdear. Chron., c. lxxviii.. Vitx Patrum, C. iv.

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SUR LES NOMS PROPRES.

nus, Aureliauns, Calumniosus, Celsus, l)yna-inius, etc. »

Quant aux monétaires ou monnayeurs, dontl'office n'a pu être encore défini avec précision,leurs noms, qu'en voit inscrits sur les monnaiesmérovingiennes, appartiennent pour la plupartà la source germanique; mais quelques-uns sontévidemment de facture romaine. Dans les listesde noms de monétaires qui ont été publiées parM. Cartier', dans celles que l'on doit à M. de Pon-ton d'Amécourt ', dans celle, enfin, qu'a bienvoulu me communiquer mon confrère et ami,M. Anatole de Bartliélemy, et qui n'est point un-primée, la proportion des noms romains parrapport aux noms tudesques m'a paru être d'en-viron un septième.

A côté des observations qui précèdent, segroupent quelques remarques qui ont aussi leursignification. Les noms des rois francs sont etrestent invariablement gerrflafli(UeS; ceux deleurs femmes et coflCUl)iIJCS le sont presquetous . Quoique plusieurs princes mérovingiens

1. Tables de la Revue numismatique, 184 0 et 1 8 'i6.. Essai sur la numismatique méroviagienTie, 1864, in-S,

,. 198.3. Voici quelques exceptions Sarnson, filins Cliilperici.

(Grreg. Turon. Hist. franc., I. V, c. xxiii.) - Guntchra-ninus accepil conculnnaiii nomine Veneiandani. (Fredegar.flisi. epilom., C. LV i.) - 'l'lieudeberlus, Theoteriani, genereRoinanaiii, diixit uxoreni. (Id., C. xxxix.) — On voit d'autre

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ÉTUDES

paraissent avoir eu des tendances favorables auxmoeurs et aux institutions romaines, quoiqu'ilsaient laissé la langue latine s'introduire dansleurs chancelleries, ils n'ont jamais consentirépudier leurs noms nationaux, qui marquaientà la fois la noblesse de leur origine et la force deleur puissance.

De plus, l'étude comparative des noms depersonnes amène ceux qui s'y livrent it recon-naître que la situation des Gallo-Romains n'apas été la même dans les différentes provincesde la Gaule barbare et qu'elle a varié suivant lenombre des Germains établis sur le sol, suivantl'état ancien (les populations indigènes et suivantdes circonstances spéciales et locales qu'il nousest difficile d'apprécier. Ainsi, dans le midi dela Gaule, on ne trouve guère les hautes fonc-tions administratives et militaires occupées quepar des personnages portant des dénominationslatines, et ce fait s'accorde parfaitement avecce que nous savons par les chroniqueurs del'importance relative des Romains et des Ger-mains dans Je pays dont il s'agit. - Le nombredes fonctionnaires romains se montre aussi plusconsidérable dans la Bourgogne, dont les roisnationaux eurent toujours une profonde défé-rence pour l'empire des Césars, que dans la

part que le clerc Daniel, élu roi par les Francs, rerut le nollide Chilpéric. (Fredegar. C/jron. eont , pals . an. 715, c. cvi.)

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SUR LES NOMS PROPRES.

Neustrie, et surtout dans l'Austrasie, voisine duRhin et des pays foncièrement germaniques. -Enfin, si les noms romains et les noms tudesquesdans les listes de fonctionnaires mérovingiensprouvent que les gens des deux races avaientaccès aux emplois publics, non-seulement onpetit établir une proportion entre les Romainset les Barbares par rapport aux diverses pro-vinces de la Gaule, mais même par rapportaux différenies natures de fonctions. Pour lamairie du palais, pour les emplois de duc, deconnétable, de domestique, le plus grand nom-bre des dénominations personnelles accuse unesource germanique; pour les fonctions de comte,les noms tudesques et les noms latins paraissenten proportions it peu près égales; les noms depatrice, (le recteur, tic préfet indiquent presqueexclusivement une origine romaine.

Si nous descendons dans les conditions infé-rieures, voici les particularités que nous offrentles noms de serfs qui sont relatés dans leschartes, diplômes ou testaments; les noms ayantune apparence germanique se présentent ennombre beaucoup plus considérable que ceuxqui affectent la forme romaine. Ce fait est extrê-mement remarquable; il suffirait à lui seul pourruiner les systèmes d'après lesquels les Barbares,en occupant la Gaule, y auraient réduit en escla-vage les populations indigènes. Petit-être peut-ils'expli(Iuer, au moins en partie, par l'introduc-

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ÉTUDES

hou dans les provinces gauloises, de ces bar-bares vaincus par les armées impériales, qui,asservis et établis sur des territoires que la guerreavait dépeuplés , ont formé les premières po-pulations germaniques de notre pays. Il fautnoter, d'ailleurs, des exceptions. Le testamentde saint Aridius (saint Yriez) , qui date de l'an559, contient une majorité notable de nomsromains appliqués aux serfs qui sont l'objet deses dispositions ; il y a lotit au plus un tiers deBarbares 1•

Quant i' la distribution des personnes romainesou barbares dans les autres classes de la société,elle nous est bien imparfaitement connue. Il y alieu de croire que la population des villes étaiten majeure partie composée de Gallo-Romains, etque les Germains résidaient pour la plupart dansdes villas, d'où ils dominaient à des distancesplus ou moins grandes les gens des campagnes.Nous possédons un document qui fournit surces points quelques lumières. 3e veux parler dutestament d'Ephibius et de sa sur Rufina, enfaveur de l'g1ise de Vienne, dressé en 696. Parmiles noms des membres de la famille de l'abbéet des signataires qui interviennent dans l'acte,se présentent ceux de Leohius, (le rfI1ca(I'Eulogius, de Pelagius de Gregorius, de Sia-

t OEtu'. (le (rue d- Tours , cilit. Ruinai-t, p. Ià la suite de la Vie de saint Yri't.

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SUR LIES NOMS PROPRES.

grius, de Macrinus , d'Arteinius, etc. De plus,ces noms sont presque tous suivis dans l'acte (lela qualification de scnatol'. dont j'ai parlé précé-demment'.

En beaucoup de cas, le nom de romainsemble appliqué de préférence à des chrétienscatholiques ; c'est celui sans doute que se plai-saient à employer les barbares impar[itcinentconvertis à l'Evaugile. Romanos enim rocitant,(lit Grégoire de 'Fours, /iominw nostra re/,ionis.Un certain comte Goniachaire, avant fait saisirun champ appartenant à l'église d'Agde, et ayantobtenu sa guérison, grâce atiï prières de l'é-véri ne , parla ainsi aux siens: s Que pensez-vous

que disent ces Romains? Ils (lisent que j'ai étéu frappé de la fièvre pour avoir pris leur« champ, tandis que cela m'est arrivé conkr-« mément aux lois qui régissent le corps bu-« main '. »

On voit aussi à d'autres égards et dans descirconstances diverses, se manifester par dessignes certains la distinction persistante entre lesGallo-Romains et les Germains. Fortunat sequalifie lui-même de Romain : Nos Romanos,

1 Dij,/omala, C/1arla', t. 11, P.. De (;/,ria martpr,un, lib. 1, c. X\V.

3 Quid putatis (1(10(1 isti Roniani dicant? Aiunt eninime ob hoc fuisse febre gravatuin , quia tulerim agrumeorurn , quod niibi juxta consuetudineni humani corporisaccidit.(De Gloria Iflhi//F,uh7z, lii. T, e. LXXi:ç.)

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dit-il, dans des vers sur Charibert, nos Romanos'incis in e/oquio '. Les Romains, les Francs, lesBourguignons sont indiqués séparément dans laformule bien connue qui concerne les fonctions(le duc, de patrice et de comte (Franci, Romani,Iiurgun(1ioites, ('Cl rcllquas nationcs') ; les Francset les Romains le sont dans la Formule de Leudesamio (jubemus ut omnes pagenses vestros, tamF'rancos, Romanos, q uam reliquas nationesa).Grégoire de Tours distingue, dans son Histoireecclésiastique des Francs, par la désignation (leleurs nationalités respectives, le Franc Val inariuset lArverne Firminus . Le même chroniqueurparle de saint Portien comme passant pour avoirété' l'esclave d'un barbare (serus fertur fuisse cu-usdam barbari'). On trouve dans l'Histori(.,, epi-

tomata de Frêdégaire le récit des aventures d'At-tale, neveu de Grégoire, évêque (le Langres, qui,à Trèves, était serf d'un barbare (cuidani barbareser'iens), et qui fut délivré et rendu à son oncle,par l'adresse de Léon, un des cuisiniers de l'évê-que'. Dans la Fîe de saint Éloi, saint Ouen faitainsi parler son héros : l%'unquan, ta Romane,

1. Forjanati Gai-m., 1. VI, c. v.2. Recueil général de Formules pubi. par M. de Ro-

zières, jr. partie, p. 7 et 8.3. Id. ibid., p. 1.4. Hist. franc., 1. IV, e. xxxix.5. Visa Pat riim, e. w.6. C. xxxviii.

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quanquam /uec /'reque/lter laxes, consuetudines,iostras et'elleïe poteris '. La Vie de satut Goarcontient le passage (lue VOICI : e Tanta ejusanirnum innata ex feritate barbarica stoliditasappréhendera, ut nec in transilu quidem Ro-mane lingua vel gentis hommes lihcnter aspi-cere posset'. Enfin, je terminerai par deux faits.On lit dans la Chronique du deuxième continua-teur de Frédégaire que le maire du palais Ber-charius, qui méprisait l'amitié et les conseils desFrancs (Francorurn amicitiam atque consiliaspe conteinnens), fut abandonné par plusieursFrancs, entre autres par Auderamnus et Reultis,qui passèrent à Pépin et l'excitèrent contre lui,ainsi que le reste des Francs (reliquam partemFra,icoru,n concitant'). Le troisième continua-teur, parlant, sous l'an 742, de la révolte desGascons, dit que Pepin et Carloman, après avoirpassé la Loire à Orléans, défirent les Romains,Roinaïws jrotcPuflt '.

A mesure que l'on avance dans l'histoire mé-rovingienne, à partir surtout du septième siècle,

4. Fila S. Lugé!, al). Dachery, t. V, 26.2. fluiracula S. foaris, ap. Bolland. 6 julii, 10, 639.3. Fredegar. Chrun. continuai., pars 2°, an. 684, c. xcix.1. Fredegar. Chron. continuai., pars 3°, e. su. —Un Franc

qui avait fait des reproches à Frédégonde fut mis en prisonet on lui donna du poison clans (le I'absynthuin cum vina etnielle mixtun), ut mos harbarorum habet (Greg. Turon.,I. Viii, c, xxxi).— Magnus tune omnes Rotiiomagenses cives

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et quand un s'engage dans la période pendantlaquelle a régné la seconde d y nastie de HOS Fois,un phénomène remarquable apparaît aux re-gards. Le nombre (les noms germaniques aug-mente de plus cii plus, et ils finissent, sinonpar effacer coinplétement, au moins par dominer(le la manière la plus significative les noms ro-mains'. La gradation se montre très-frappantedans le clergé. Avant 584, les souscriptions deconciles ne contiennent point ou contiennentinfiniment peu de noms tudesques. En 584 et585 paraissent Reginaldus , Charietto , Berte-chraumus, Aunacharius , Baudegisilus , Ragni-.mundus, dc. Plus tard, les dénominations ger-maniques se multiplient encore; sans (l ue lesRomains cessent d'être en majorité : mais au mi-lieu du huitième siècle, les noms afïeclent exclu-sivement la forme germanique. Si l'on considèreles choses à un point de vue plus général, et sil'on consulte pat exemple, une table des oeuvreshistoriques d'Eginhard, on distingue, sur envi-ron deux cent trente noms de personnes, tout au

et prsertini seniores loci illius Francos niœror obsedit. (Id.ibid.) —Voy. aussi Greg. Turon., I. X, c. ii, et les Vies desaint Aniand et de saint Eusicius, dans D. Bouquet, t. II,p. 48 et 433.

1 ..... « Les noms germaniques deviennent plus com-muns dans l'histoire... . (Pétgnv, Études n(ropinj('nnrs,

31.)— Vos'. Aussi Giiérard , Cartulaire de Saint-Père de Chartres, Prolgomènes, p. 91

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plus une quinzaine de noms qui soient étran-gers à la langue tudesque, et il est nécessaire denoter que, parmi eux, plusieurs manquent decaractère national et sont empruntés aux his-toires religieuses, comme Jessé, Jacob, Jean,Thomas, etc. Le même fait peut être constatédans les cartulaires (le Saint-Bertin, de Beaulieuen Limousin, de Saint-Père de Chartres, deNotre-Dame de Paris, etc. Quant aux polyp-tyques, où sont inscrits les noms des serfs at-tachés aux propriétés rurales de certaines mai-sons religieuses, voici les résultats que leurétude présente. Du côté du nord, le polyptyquede Saint-Renii (le Reims contient une immensemajorité de noms germaniques; mais il offreencore des Claudius, des Florentinus, des Valen-tinianus, des Pelagia, (les Proba, etc. Dans leParisis, on remarque un nombre très-supérieurde dénominations germaniques, Ercamboldus,Framangildis, Ilidulfus, Godeberga, Reginal-dus, etc. Les noms latins qui se rencontrent,sont : Dominicus, Germana, Electa, Flavidus,Paulinus, Desiderius, Celsus, Vi-talis, Constan-tinus, etc. En général, les couples germaniquesdonnent à leurs enfants des noms exclusivementgermaniques; cependant parfois des enfants deparents barbares ont des noms partie romains,partie germains, et (l'autre part on voit un pèreromain et une mère germaine ne donner à leursenfants que des nous tudesques. La polyptyque

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34 ÉTUDES

de Saint-Victor (le Marseille met en évidenceûne fois de plus l'importance que les Romainsavaient conservée dans le midi de la Gaule. Là cesont les noms latins ou grecs qui dominentValerius, Mercorinus, Theodocus, Desideria,Anastasia. Quelques familles portent l'empreintegermanique

Dructaldus a pour enfants I)ructomus, Dut-berta, Dructerigus, Si uderaldus et J ohannes.

Parfois des parents romains appliquent à leursenfants, au moins en partie, des noms germa-niques

Theodorus et Eugenia ont pour enfants: Theo-baldus, Theodericus, Eugenia;

Candidus et Dominica ont pour enfantsCelsus, Mariberta, Regitrudis, Genarius, Savi-mana;

Valerius et Dominica ont pour enfant : Duc-sana.

Quoi qu'il en soit, le fait général que j'aiavancé précédemment au sujet de la prédomi-nance des noms germaniques reste entier. C'estsurtout dans les noms de fonctionnaires civils etmilitaires que cette prédominance se remarque.D'où vient-elle, et quelles causes peut-On luiattribuer?

Les Francs, chacun le sait, étaient arrivés enpetit nombre dans la Gaule. Bien que certainesparties du pays, et surtout les parties septentrio-nales, aient successivement reçu pour babitants

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SUR LES NOMS PROPRES.

des Barbares qui, cantonnés de l'autre côté duRhin, traversaient ce grand fleuve pour rejoindreleurs frères et partager avec eux les bénéfices dela conquête; bien que, après les efforts des roisgermains eux-mêmes pour se rattacher aux tradi-tions romaines, après une lutte sanglante engagéeentre l'Austrasie et la Neustrie, le germanismeait fini par triompher, la Gaule ne s'est pas dé-peuplée de ses anciens habitants et la populationromaine n'a pas été exclusivement remplacée parune population germanique. Au besoin, unepreuve suffirait pour le démontrer, c'est la per-sistance de la langue latine. Il faut donc cher-cher une autre raison du développement considé-rable des noms germaniques qui frappe les yeuxdans les documents des huitième et neuvièmesiècles. Ici, selon moi, les noms rie servent plus,comme au début de la dynastie mérovingienne, àmarquer la race de ceux qui les portent; mais ilsn'en ont pas moins une haute importance histo-rique. Ils montrent que, peu à peu, et sous lapression de leurs inaitres, la plupart des Gallo-Romains et surtout les gens des villes et les fonc-tionnaires avaient abandonné les signes de leurnationalité; ils montrent qu'un commencementde fusion s'était opéré déjà entre les deux popu-lations qui occupaient la Gaule, que cette fusionse faisait au profit de l'influence germanique, etque la Gaule tendait de plus en plus à se germa-niser. Enfin, l'abondance croissante des noms

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tudesques et l'avénement de la dynastie carlovin-gienne sont, à mou avis, deux faits concordantset qui s'expliquent l'un par l'autre. On comprendque, dans un État où la loi favorisait hautementles Germains, où la dynastie royale était barbare,tous les gens qui voulaient assurer à leurs en-fants un avenir brillant se hâtaient de les tàireentrer par le nom dans la Famille germanique, etde déguiser au baptême une origine qui ne pou-vait que leur nuire. Les mariages mixtes ame-naient tout natiireUement le même résultat,quand l'époux était Germain. J'ai dit que la reli-gion avait singulièrement favorisé la fusion; iln'est pas douteux qu'elle a été l'élément prin-cipal du rapprochement des populations et dumélange des races. Aussi, lorsque les Germains ou,pour mieux dire, les Francs, (but pendant quel-que temps le développement avait été arrêté, re-commencèrent à manifester leur prépondérancedans la personne de Pépin le Bref et dans celle(le Charlemagne, les Romains, se sentant décidé-ment vaincus, renoncèrent à jouer un rôle ets'efforcèrent de dissimuler de plus en plus latache de leur naissance. Cet abandon des tra-ditions du passé, et la fusion (lui en résulte, sontsi réels, que la distinction des races, jadis for-mellement réservée dans les lois germaniques, nese produit plus que comme titi dans lesnouvelles éditions de ces lois. Les Romains dontil est question dans les Capitulaires de Charle-

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magne et de ses successeurs sont les Italiens(le Rouie. On peut objecter la faveur dont lesnoms latins et grecs jouissent sous le règne duréformateur des écoles, et citer le saxon Alcuin,empruntant sous le nom antique d'Albinus. Maisce sont là des fantaisies scientifiques et de puresexceptions. 11 est évident que la barbarie germa-nique est la maitresse; son influence va se 1r0-longer jusqu au douzième siècle, et alors on verras'opérer dans les noms une nouvelle révolution,dont la signification historique n'est pas elle-même dépourvue d'intérêt.

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