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7/26/2019 Sturdza - Europe Orientale Et Le Role Historique Des Maurocordato
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ALEXANDRE A. C. STOURDZA'II!!
AUTORISE A FAIRE UN COURS LIBRE A L A FACULT DES LETTRES DE PARIS
MEMBRE D E LA S OCI T DE GOGRAPHIE DE PARIS
DE LA SOCIT ROUMAINE DE GOGRAPHIE ET DE LA SOCIT D'HISTOIRE ROUMAINE
KEPQP ORIENTALEu j_j i.tji i.~i_jn i ju
\>\'1Et;'lEROLEHISTORIQUE1
1:), > 1
DES-MAUROCORDATO1660-1830
A VEC U N A PPEND IC E CONTENANT DES ACTES ET D OCU MENTS HI STO RIQ UES
ET D ITLOM ATICITTES INDITS
Ouvrage enrichi de 1 2 S illustrations
et d'iin tableau gnalogique
PARIS S .LIBRAIRIE l'LON
PON-NOURRIT et C^, IMPRIMEURS-EDITEURS
S, RUE GARANCIRE 6e
9'3Tous droits rservs
7/26/2019 Sturdza - Europe Orientale Et Le Role Historique Des Maurocordato
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L'EUROPE ORIENTALE",1
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Tir cinq cent vingt-cinq exemplaires, dont vingt-cinq sur papier
de Hollande.
DU MME AUTEUR
La Roumanie comme facteur de la civilisation en Orient, confrence faite Paris
le 4 juin 1901, au profit des victimes de la Martinique. Paris, 1902 (Lavf.cr)
Byzan.ce et l'influence byzantine en Roumanie (sur une confrence de M. C. Dissesco).Bucarest, 1902 (Gbl).
La Roumanie n'appartient pas la pninsule balkanique proprement dite, ni
comzne sol, ni comme race, ni comme Etat. (^Mmoire et communication la Socitde Gugiapbe.) Bucarest, 1904 (Soci-'c).
Pre-Istoria Roma (f-a Roumanie prhistorique). Bucarest, 1904. (Confrence faite lu
Socit d'Histoire roumaine.) Bucarest, 1904 (Socec).
Les Envoles de l'me russe et ses affinits lectives. Paris, 1908 (Fortin).
La Terre et la Race roumaines (encyclopdie roumaine illustre). Paris, 1904(I\a\fa!rj.( Ouvrage cotr mi-npur V Acadmie franaise.)
De l'histoire diplomatique des Roumains, 1820-1860. Rgne de Michel Sturdza,
prince de Moldavie (1834-1849). Paris, 1907 (Plon-Noukrit).
(Ouvrage couronn juir V Acadmie des Sciences morales et politiques. Mention trs honorable.)
La Roumanie et les Roumains, leon d'ouverture du Cours libre autoris en Sorbonne,faite le 6 avril 1910. Paris, 1910 (Lkroux).
L'Hrosme des Roumains au moyen ge et le caractre de leurs anciennes insti-
tutions, le^on de rouverture du Cours libre autoris enSorbonne, faite le 6 dcembreigio.Paris, 1910 (Leroux).
La Lutte pour
la couronne dans les Pays
Roumains au XVI' et au XVIIe sicle,leon de rouverture du Cours libre autoris en Sorbonne, faite le 11 dcembre iqii.
Pans, 1912 (Giard et Brire).
Figures hellniques mconnues I. Alexandre Maurocordato l'Exaporite (1641-1709). Paris, 1912 (Imprimerie Liv)
La Diplomatie europenne et les Pays Roumains au XVIII" sicle, leon de rouver-ture du Cours libre autoris en Sorbonne, f;ile le 9 dcembre 1912. Paris, 1912 iGiakuet BiiiKKj.
PARIS. TY1JOGHAHHIEPI.ON-NOUKKITRTt" 8, RLHUAKANCIRI- 18130.
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Fig. TMl.KM U.l.kl.OKIUl K 111 l'KIM\K WIUi..M, K KI'KK>KM\M I.K> l'I.KMh) IKMI WKKs
ll l 'HN(,Rf> DI-: K XKI.tiW I 1' KN I
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ALEXANDRE A. C. STOURDZA
AUTORIS A FAIRE UN COURS LIBRE A LA F A CU LT DES LETTRES DE PARIS
.MEMBRE DE LA SOCIT DE GOGRAPHIE DE PARIS
DK LA SOCIT ROUMAINE- DE GUtiRAPIIIK ET DE LA SOCIT d'hjSTOIRK ROUMAINE
LipOPORIENTAIS
/f -ET LE ROLE HISTORIQUE
VV )j.RpS-
MAUROCORDATO
1660-1830
AVEC UN APPENDICE CONTENANT DES ACTES ET D OCU MENTS H IS TOR IQ UES
ET DIPLOMATIQUES INDITS
Ouvrage enri chi de 128 illus trations
et d' un tableau gnalogique
PARIS ~i
LIBRAIRIE PLON
PLON-NOURRIT ET O, IMPRIMEURS-DITEURS
8, RUK GAKANCIKK 6e
'9*3Tous droits rservs
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Tous droilt. li- Inidurlimi cl do r-[jith!hc-lii'ii rservs ;'il'auteur, jumi- tous Wsj'^ys,ycontins lu Kniinianie ot lu Grtce.
Copyriglil hy Plon-NourrU et O, 1913,for tlie United States of Aruerica registered.
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C OMl\1:NC il y a prs de deux ans, cet ouvrage tait entirement
termin et crit aumois dejuillet de l'anne dernire, par con-
squent avant la guerre italo-turque et avant la guerre des Turcs
contre les allis balkaniques. Les conclusions qui le terminaient, et
qui nous paraissent ressortir des faits historiques exposs, nous lesavons maintenues, parce que les vnements rcents ne peuvent en
rien les modifier, mais semblent plutt les confirmer. Les faits histo-
riques qui font l'objet de cet ouvrage pour lapriode de 1660 1830,embrassent en ralit l'histoire de laquestion d'Orient, dans laquellenous avons accord une place prpondrante aux Pays Roumains,
principal reprsentant de lacivilisation dans l'Europe orientale etquimritent d'attirer davantage l'attention de l'historien. En outre, nous
avons fait figurer plus en relief certains membres de la famille Mau-rocordato, comme ayant t des facteurs historiques rellement trs
importants dans cette priode. Enfin, notre point de dpart, quiconstitue latrame secrte detout l'ouvrage, explique certains pointsobscurs et certains conflits d'incompatibilits irrductibles, en jus-tifiant nos conclusions; c'est celui de l'ide derace, du gnie propre chaque peuple, de leur mentalit particulire, du principe desnationalits. Il importait aussi videmment de tenir davantage compte
des personnalits reprsentatives, de faire une plus large place auxindividus dans l'expos des vnements et de mettre plus en vue,sans exagration, le rle des grands hommes qui ont illustr cette
lAVA^T-PROPOS>' ''t
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poque, et parmi lesquels les Maurocordato ont prcisment leur
rang marqu, comme les plus puissants agents occultes, au dix-sep-time et au dix-huitime sicle, de la destruction de l'empireottoman.
L'ide de cet ouvrage, tel que nous le prsentons au public, nous
appartient absolument en propre, et nous entendons en assumer seul
toute la responsabilit (i).Nous avons cependant le devoir d'exprimer tous nos remercie-
ments les plus chaleureux aux personnes qui, des titres divers, ont
bien voulu s'intresser cetouvrage, ou nous accorder leur aimable
concours pour l'impression ou la ralisation de cette oeuvre, ainsi que
nous procurer des documents originaux, des livres, des photographies
ou des gravures. Ce sont d'abord la princesse Michel D. Sturdza,
ne Maurocordato; le gnral prince Lon Maurocordato et ses deux
frres, les princes Georges Maurocordato et S. E. Edgar Mauro-
cordato, ministre plnipotentiaire; M. Georges de Baltazzi et son
pouse, ne princesse Maurocordato; ensuite, Mme Denys Puech,
ne princesse Gagarine-Stourdza; S. E. M. le ministre Jean Laho-
vary S. K. M. Alexandre G. Floresco, ministre plnipotentiaire;
S. E. M. Constantin G. Manu, ministre plnipotentiaire; le gnral
(1) F' I;t Mich~l D. St~d~ ne(i) ira 190S, nous avons propose la pr incesse Michel D. Sturdza, ne Maurocordato, de
foire un travail spcial sur la gnalogie des Maurouordato et de lui procurer les copies de cer-
tains documents indi ts sur les Maurocordato, que nous savions exis ter aux Archives de Venise
et de Vienne. Elle a bien voulu nous en charger, en spcifiant que cette uvre resterait isole,ainsi qu'il fut fait, de mme, l'anne suivante, pour la traduction franaise, qu'elle nous confia,des tudes historiques relatives aux Maurocordato publies en roumain par son pre, feu le princeAlexandre G. Ces deux travaux taient entirement excuts aux frais d e la
princesse Michel D. Sturdza, lorsqu'un igi l nous lui avons propos de fondreen un seul vulunit;
la gnalogie des Maurocordato, ainsi que les copies et traductions des d ocuments de Venise et
de Vienne, avec. tous les matriaux que nous avions runis pour nos cours l ibres en Sorbonne
sur l 'histoire de l'Europe orientale an dix-septime et au dix-huitime sicle, en laissant de
ct (pour tre publie plus tard, sans aucun lien, ni pcuniaire, ni autre avec cet ouvrage) la
traduction des tudes de son pre, La princesse Michel D. Sturdza a bien voulu accepter notre
proposition, en mme temps que ses trois cousins, le gnral prince Lon Maurocordato,les princes Georges Maurocordato et S. E. Edgar Maurocordato, ministre p lnipotent ia ire peu
aprs, M Georges de Bal tazzi a bien voulu contribuer aussi pour une partie des frais concernant
cet ouvrage sur l'Europe orientale, frais auxquels ont gracieusement contribu les trois personnessusdites. Telle est la gense de notre ouvrage, qui a subi par ce fait certains remaniements-
pendant les deux annes de t ravai l qne nous lui avons consacres. Nous avons cru devoir indi-
quer ces dtails, afin qu'il n 'y ait pas de confusion entre cet ouvrage, qui nous est personnel sous
tous les rapports, et la traduction franaise des tudes historiques relatives aux Maurocordato,
du
prince
Alexandre G. Maurocordato (uvre particulire
de
pit filiale,
que la princesse Michel
D. dsirait lever la mmoire de s on pre), raison spciale pour laquelle nous n'avons
pas fait e ntrer cette traduction dans le corps de notre ouvrage, c onformment d'ailleurs avec ce
qui avait t convenu, ds 1910, avec la princesse Michel D. Sturdza elle-mme.
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Alexandre Soutzo; le prince Constantin Bassaraba de Brancovan;
le prince Alexandre Callimachi; les princes Jean Maurocordato de
Dangeni et Dmtre Maurocordato de Jassy; M. Emra. Kretzu-
lesro prsident de la Socit d'Histoire roumaine; le prince
Michel D. Sturdza, MM. les Directeurs des Archives Impriales
de Vienne, de la ville de Venise, des bibliothques de Nancy
et de Genve et des Archives des ministres des Affaires tran-
gres de Saint-Ptersbourg et de Paris, ainsi que quelques autres
personnes qui nous ont instamment pri de ne pas les nommer. Nous
ne devons pas oublier d'exprimer notre satisfaction la maison
Plon-Nourrit et CiB,pour les soins qu'elle a mis publier dignementcet ouvrage, qui, nous l'esprons, sera de quelque actualit, vu les
rcents vnements qui ont agit la pninsule carpatho-balkanique.Avons-nous russi dans la tche que nous nous tions propose?
C'est ce qu'il ne nous appartient pas de dcider. Avons-nous mme
excut un ouvrage complet? Peut-on d'ailleurs faire en histoire une
uvre complte ? Faut-il mme puiser un sujet que l'on traite et ne
laisser rien glaner d'autres ? Nous pensons que non, quoique
nous nous soyons efforc, dans l'tat actuel des choses, parfairecertains cts de cet ouvrage, tout en laissant, quelquefois malgr
nous, d'autres parties moins acheves. D'ailleurs les archives euro-
pennes occidentales sont loin d'tre puises, quant aux recherches
et aux documents relatifs aux vnements historiques dont nous
nous sommes occup, et les archives orientales le sont encore moins.
Nous avons tch de donner une bibliographie aussi complte quepossible, sans devenir indigeste. Et puis, en somme, c'est dans les
choses, dans les faits eux-mmes, plus que dans les livres, qu'il fautaller chercher l'Histoire. Nous avons la conviction d'avoir fait uneuvre sincre et de bonne foi, mais nous avons conscience de toutce qui nous a chapp. D'ailleurs, les historiens, dignes de ce nom,ne sont contents que lorsqu'ils ont la certitude d'avoir atteint lavrit. Mais o se trouve la vrit en Histoire, si ce n'est dans la
ralit, quand on peut la connatre, et cette connaissance elle-mme,toujours incomplte, ne s'acquiert qu'au prix d'un labeur consid-rable et de
longues mditations. Nous nous estimerions
trop heureux
d'avoir pu au moins fixer quelques impressions fugitives de psycho-logie sociale, d'avoir ramass quelques grains de poussire lumi-
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neuse dans l'obscurit d'un pass, dont l'cho lointain se rpercutejusqu' nous et ne se fixe, leplus souvent, qu'au travers duprisme
denotre propre sensibilit, car, ainsi que l'a dit Lamartine
Etl'histoire,cho delatombe,N'est quelebruitdece quitombeSurla routedugenrehumain
L'AUTEUR
Paris, mai 1913.
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CHAPITRE PREMIER
Considrations GNRALES sur l'Europe orientale ET SUR LA FORMATION DES
DIVERS GROUPES kthnigues DE LA pninsule carpatho-balkanjaue. psy-
cho.ooie DES RACES autochtones ou htrognes DES PAYS carpatho-
Balkaniques. LE CONFLIT PERMANENT issr DE l'tablissement DES
Ottomans DANS l'Europe orientale. Les peuples chrtiens DE l'El-
ROPE ORIENTALE. les puissances occidentales ET LA QUESTION D'ORIENT.
l'europe ORIENTALE ET L'EMPIRE OTTOMAN PENDANT LA SECONDE moiti
du dix-septime sicle. LES premiers prodromes DE LA dcadence
DES Ottomans. DSORGANISATION et vices df. l'arme turue. L'im-
puissance DE GOUVERNEMENT DES TURCS. PERTES MILITAIRES DES O tTO-
MANS au DIX SEPTIME sicle. dcadence DES sultans turcs et DES
GRANDS vizirs AU dix-sept ime sicle. i.a DYNASTIE DES grands vizirs
Kceprii.i. Grecs et Roumains, HONGROIS et Polonais, SLAVES ET Mos-
covites, ET LEIK SITUATION RESPECTIVE VIS-A-VIS DES Tl'RCS. SheRBAN
Cantacuzne, prince de VALACHIE. LE ROI
JEAN Sobieski ET LA dli-
vrance DE VIENNE (16S3).
DKS
le commencement du quinzime sicle, le triple aspect ethnogra-
phique, politique et social de l'Europe orientale se modifie de plus
en plus sous la pousse victorieuse de l'Islam, et c'est juste titre que l'on
peut dire ds lors, avec Albert Sorel Depuis qu'il y eut des Turcs en
Europe, il y eut une question d'Orient (r)! n Il y eut mme davantage, il y
(1) Consulter, en gnral, les ouvrages suivants L. Tiiuasne, Breviarium rnrum ges-tarum Turcarum et Sophi Persarum imperatoris de anno 1514. J-K. Zeller, La diplo-matie franaise vers le milieu, du. seizime sicle, Paris, 1881.
Kicoluas (prisonnier des
Turcs et janissaire), De vila et moribus Turcarum, Paris, 1509- A. DE Saint-Maurice,La Cour ottomane ou l'interprte de la Porte qui explique toutes les charges et les fonctionsdes officiers dit. Srail, etc., Paris, 1673. M. Di L.\ Croix, tat gnral de l'empireottoman, etc. par un solitaire turc, trad. fran., Paris, I695. Hammer, Staatsver-waltungdes Osmanische Reiches, Vienne, 1813. A. Djev.ilbev, tat militaire ottoman, trad. fran.Macrids, Paris, 1882; le Corps des Janissaires.
G.-B. Defhno, Histoire du commerceentre le Levant et l'Europe, Paris, 1830.
C. Sathas, dans Hellenika Anecdota, t. 1,Athnes, 1S67. Chr. Anglus, Enchiridhim de s ta tu hodiernorum Graecoruvi, trad. latine
cle Fehlau, Leipzig, 1668. C.-D. Rafi-enei., Histoire les Grecs modernes depuis la prise de
j usqu' ce jour, Paris, 1825. Comte DE Laborde, Athnes a?/r quinzime,seizime et
dit-septime sicles, Paris, 1854 Fr. Herzgeki;, Geschichte Griechenlands
r^rdem Ahsierh'Jl d"s antiken Lebens bis su Gegenwart, Gotha, 1877-79. C. Sathas,c'Jf.xozpxTOjy.svi 'K).),{, Athnes, 18(19. Kampouroglou, itrropaTv 'AOivawv, t. I, Athnes,-
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eut une question vitale, question de race, question de religion, question de
progrs ou de dcadence, question europenne orientale, expression quenous pensons employer comme plus significative que celle de questiond'Orient, pour
l'objet
de cet
ouvrage.
A
peine deux sicles
aprs, cet Islam
victorieux s'affaisse lentement et justifie ce qu'crivait, plus tard, le marquis
d'Argenson au roi Louis XV L'empire ottoman devient faible et offre
tous les signes d'une prompte dissolution. Al'heure qu'il est, cette dis-
solution , prvue au dix-huitime sicle par un diplomate perspicace, parait
s'imposer comme une inluctable delenda Carthago. Ce sont l des faits
aujourd'hui incontestables; leurs causes sont lointaines, profondes et peuventse rsumer en quelques mots que nous formulons, comme une loi (dj
dveloppe en principe par Gustave Le Bon (i) La constitution mentale
des races constitue une cause irrductible de diffrence, d'cart, d'loigne-
ment, de sparation et d'antagonisme. Or, les lments ethniques qui ont
compos l'chiquier compliqu qui s'appelle l'Europe orientale, sont pourla plupart irrductibles, et de tous ces lments les plus irrductibles, les
plus dpourvus d'affinit quelconque avec les autres, ce sont l'lment mon-
gol et l'lment turc. Ces deux lments turc et mongol ont pu s'entendre
entre eux, de mme que les divers lments slaves opposs, comme aussi
les lments hellno-latins ou daco-latins, ont pu par moments s'entendre
malgr leurs rivalits, parce qu'il y avait affinits entre eux; mais aucun de
ces lments n'a jamais pu, aucun moment donn de l'Histoire, s'entendre
avec les lments mongol et turc. D'un ct, l'lment htrogne turco-mongol de l'autre ct, l'lment plus ou moins autochtone da.ee, hellne,
latin, entre ces deux groupes un antagonisme permanent, non pas
ncessaire, mais invitable. Des anciens lments autochtones fusionns,
Plasges, Illyriens, Tliraccs, Daces, Hellnes, Latins, se sont forms, avec
nu sans les Slaves, des groupes ethniques nouveaux Roumain, Russe, Grec,
Albanais, Serbe, Montngrin, Dalmate. Chacun d'eux a eu sa vitalit
1S39. Naima,Chronique, trad. anglaise par Ch. Fraskk, sous ce titre Aimais of theTurkish empire from. rsl to 1659, Londres, 1832 et 1836. Le comte Thodore deGontaut-Biron, Ambassadeen Turquie de Jean de Gontaut-Biron (1605 1610), Corres-
pondance diplomatiqueetp.ipicrs indits, Paris, 18S9. Graveliljs, Syndroniosrermn Turco-Gernianicarum, Francfort, 1627. Pakuta, Sloria Veiwsiana, partie H, Gucrra di Cipro,Venise, 1605. Romaxix,Storia docujn'.rjitala dl Veuasia, t. VI et VII, Venise, 1857 et1858. Bkli.v,Essai sur l'histoireconomiquede la Turquie d'aprs les crivainsoriginaux,dans le Jmtrnal Asiatique de 1S4. Chrytreus, Oratio de statu ecclesiaruin hociemporein Graecia, Francfort, 1583. E. Legrand, Bibliographiehellnique, Paris, 1885. XNO-POL,Histoire desRoumains, t. II,et Isloria, t. IV. Jean et ThodoseZygomalas, dans leRecueilde textesde l'cole des langues orientales, t. II, Paris, 18S9. Papakigopoulo, His-taire du peuple hellnique(en grec), t. V,Athnes, 1S74,et Histoire de la civilisation hell-nique, Paris, 1878. C. Sathas, kr>VrtxovOarpav,Venise, 1879.-Du Ir|rne, Bibliographiedes lettrs grecs (de J-/S3 1821), Athnes, 185g. C. Famix, Histoire de la rivalit et du
protectorat des en Ori"e, Pari,, IS~53. Weltgoscliic;ete.protectorat des glises chrtiennes en Orient, ParU, 1853. OnCKN, Weltgeschickte Lavtsseet Rambaud,Histoiregnrale, t. IV et V. Driault, La question d'Orient. Di-:Barrai., lude sur Vhistoirediplomatiquedel'Europe, t. I, etc., etc.
(1)Gustave LeBon,Loispsychologiquesde Vvolution despeuples
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propre, sa destine spciale, pris isolment; en ralit, aucun n'a pu se
soustraire au contact des voisins, Mongols ou Turcs, aucun n'a pu chapper
l'action plus ou moins dltre de ces voisins; nanmoins chacun (le ces
troupes ethniques a survcu, sous l'oppression turque
ou mongole, puis s'est
rveill, s'est rvolt contre l'lment htrogne et s'est essay, tour de
rle de le rejeter hors de son sein comme indigeste, inassimilable ou ind-
sirable. 11. nous semble (i) que, de ces divers groupes ethniques, c'est le
groupe roumain qui est le plus important, avec le groupe hellnique, quoique
la chose n'ait pas encore t reconnue par les historiens. l.e principal titre
de gloire que nous voyons ici aux Roumains, aux yeux de l'Occident et de
la civilisation, c'est d'avoir t pendant trois sicles, comme l'avait dj fait
remarquer Edgar Quinet, le boulevard de la chrtient en Orient a. Nous
pensons devoir ajouter qu'ils ont t aussi le boulevard de la civilisation
en Orient )). Ce fut d'ailleurs comme une prdestination singulire et imposepeut-tre par sa situation gographique, que
ce rle dvolu la Terre rou-
maine et ses habitants, de dfendre les frontires de l'Occident contre les
menaces des invasions orientales. Boulevard de Rome paenne pendant les
invasions barbares, boulevard de Rome chrtienne pendant l'invasion musul-
mane, la Terre roumaine parait-elle destine tre encore, dans un avenir
quelconque, le boulevard de la troisime Rome ou de la civilisation euro-
penne contre quelques hordes nouvelles en train de se prparer quelque
part derrire un horizon inconnu? C'est ce que l'on ne saurait prvoir.videmment aucune race humaine actuelle ne
peut plus se dire indemne
d'un croisement quelconque, plus ou moins renouvel, plus ou moins rare;on a donc eu raison de comparer une race humaine de nos jours une couche
gologique, dont les stratifications superposes sont sensibles malgr l'corce
qui peut les envelopper. Il en est ainsi de l'histoire ethnographique des
peuples. L o nous voyons une race puissamment assise, nous voyons aussi
partout, sous cette corce actuelle, transparatre les restes ou les couches
successives des races prcdentes, plus ou moins sensibles. Nous pouvonspour ainsi dire saisir les lments ou les molcules ethnogniques diverses,
qui ont form par leur combinaison et leur adhsion l'homognit contem-
poraine d'une race. Or, le rapport des couches successives ethnographiquesconstitue la substance d'une nationalit; on ne saurait contester qu' cettesubstance devenue homogne ne s'ajoutent encore partout, de temps autre,des accidents, c'est--dire des interventions superficielles de certains l-ments ethniques trangers, survenus aprs coup, une fois la substance natio-imlc forme, et qui ne l'entachent gure, ne lui enlvent rien de son origi-nalit acquise, ne font que l'effleurer pour ainsi dire de faon phmre etsans rien changer son organisme intrieur dfinitivement constitu. Ainsi,
pour les Roumains, sur la race primitive des Plasges-Turzanes s'est super-
Ci)Alex. Stourdza, Terre et race roumaines, p. i6r et seq.; La Roumanie et les Rou-mains, p. 17 34; L'hrosme des Roumains, p. io; La lutte pour la couronne dans lesPays Roumains, p. 24 La diplomatieeuropenneet lesPays Roumains.
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pose la couche solide thrace (daco-scythe), sur celle-ci la couche latine la
plus puissante, puis enfin les couches, plus faibles, slave et grecque; les
accidents causs par les Tartares, Avares, Coumanes, Hns et Turcs n'ont
pu en rien branler la solidit de la race roumaine, forme de ces cinq l-
ments superposs plasgique, thraco-scythique, daco-latin, slave
et grec; mais le fond rel est l'organisme daco-latin, lequel donne aussi
au Roumain sa vritable physionomie psychologique (i).Cet argument s'applique aussi, par analogie, aux Hellnes, qui ont pu
survivre, soit dans les les de l'Archipel, soit sur le continent, et aux llyriensde la cte Adriatique ou des Ball;ans.
Rsumons en quelques traits lapidaires la psychologie de chacun des
trois principaux groupes ethniques du dix-septime sicle dans la pninsule
thraco-illyrieimc le Roumain, le Grec, le Turc. D'abord, le Roumain. Par
(i) Nous avons fait dans notre Cours de la Sorbonne, pendant le second semestre de
1910, l'historique de l a formation de la race roumaine sur la base de preuves d'ordre
anthropologique, ethnographique et linguistique, que nous avons rsum dans notre Hrosmedes Roumains au -moyeu dgv, p. 4 La succession des sicles n form, par l'union gra-duelle, sur les premiers fonds des races quaternaires, des Pelages et des Iraniens, des
Ligures et des CtlLes, des Thriices et des Gtes, des Scythes et des Agathyrses, des Daceset des Romains, des Jtalotes et des Illyriens, des Goths, des Slaves et des Grecs, ce typeparticulier aux contres carpatho-danubiennes, sasissable surtout chez le montagnard, ce
Lype daco-latin, qui forme, par la pernuuncucu et la cont.inii.itc de certains traits anthropolo-giques, la race que je dnomme race roumaine, laquelle j'ai appliqu deux lois prcises dont
j'ai fourni la dmonstration et que j'ai formules Premire loi, qui sert de base If y a
continuit dans le.temps de certains traits spciaux anatomiques, morphologiques, qui ta-blissent la permanence d la race, du type (pour parler abstraitement), ou du grimpe ethnique(pour parler concrtement), form par les Daces et les Latins, et que j'ai dnomm raceroumaine Seconde loi Les mlanges ethniques i.qu' se font aussi par voie d'affinits
lectives) sont peu prs les mmes avec des nuances qui constituent des -varitschez les peuples mditerranens, italiotes et carpatho-danubiens balkaniques. Mais ces
mlanges ont en lieu par proportions diffrentes et ont t soumis aux influences du climat.Ceci au point de vue anthropologique pur.
u La constitution de la nationalit roumaine comme substance nationale s'effectua dansla citadelle des Cnrpathes, l o s'tendait l'ancienne Dacie Trajane. Les facteurs ethniquesqui ont contribu crer la nationalit roumaine comme individirn lif ethnique sont aunombre de cinq 1" la souche de la race quaternaire autochtone, europenne, prhisto-rique, qui se perd dans la nuit des temps, tout en ayant laiss les vestiges que nous avons
signals; 2" la souche plasgique, prhistorique, est la premire assise commune in tousles peuples carpatho-daniibiens-balkaniques-adriatiqucs, de la pninsule thraco-illyrienne,improprement dite balkanique; 3" la souche aryenne ou indo-europenne, notamment durameau iranien soratislriun des qui ont habit la Dacie avant la conqute romaine,est compose des Agathyrses et des Scythes, absorbs par les Thraco-Gtes et les Daces,leurs frres zoroastriens et frres des Thraco-Hellnes et des Illyriens; 4" sur cette souche
daco-scythe furent greffes les lments latins romaniss (grecs- illyriens-italiote3 et mdi-
terranens) qu'amenrent la conqute et la colonisation romaine, les traits anthropologiqueset psychologiques des Daces se combinant par -vo.e d'affinit aveu les traits caractristiquesdes Latins, pour constituer la race daco-romane. ou roumaine 5" cet amalgame de Daceset de Romains subit, pendant l'invasion des Barbares, une seule influence relle plus puis-sante, celle des Slaves, dont le contact sept fois sculaire, malgr la religion, la culture et
le sang, ne put en rien ternir les traits latins dominants, dfinitivement acquis aux Daco-Romains, nu sein desquels ces Slaves eux-mmes disparurent compltement. Ceci au pointde vue ethnographique. L'argumentation plus dtaille suit dans notre ouvrage prcitL' hrosme de* Roumains, etc., p. 5 8.
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son caractre brillant, belliqueux et frondeur, indpendant et tenace, par sa
vioueur et sa vaillance, son mpris du danger et de la mort, et son curieux
optimisme, le Roumain est Dace (thrace et scythe, donc Iranien). Par son
enthousiasme soudain, qu'gale parfois son dcouragement facile, par sa
mlancolie rveuse et son amour du bien-tre et du repos, par son indolence
et son fatalisme, sa dvotion, son impressionnabilit et son accession la
piti, il est Slave. Par sa passion de parade et d'effet, son esprit d'organisa-
tion et son gnie militaire, par ses tendances positives en matire scienti-
fique, son got de centralisation, son avidit de progrs et de domination
par l'tat, il est bien Latin. Par son got pour les arts, les ornements et la
danse, la musique et la posie, son entrain, sa lgret, sa galanterie, par
son loquence verbeuse, facile et remuante, par sa mobilit et sa vhmence,
sa finesse et sa souplesse, par sa vivacit et son amour du merveilleux, desvoyages et de l'aventure, il est Grec. Cette dernire influence a plutt rap-
port la classe cultive et lettre, car la population n'a que peu subi le
mlange grec. fl y aurait lieu d'ajouter ce que ces traits distinctifs ont d'affi-
nits avec quelques particularits des Celtes dont le sjour prolong dans la
pninsule carpatho-balkanique est indniable. L'originalit du Roumain tient
dans ce mlange singulier de tolrance et de susceptibilit, son esprit de
libre examen, son courage indomptable, ses aptitudes vraiment extraordi-
naires d'assimilation, son orgueil et cette fiert qui le pousse parfois aux
extravagances, son got dmesur pour le faste, sa munificence qui ne vaque trop souvent jusqu' la prodigalit, sa confiance excessive dans l'avenir,son hospitalit gnreuse. Le plus souvent dbonnaire, parfois capricieux et
rarement cruel, il ne persvre pas dans la vengeance; ambitieux et tm-
raire, il ne cdera que les armes la main ce qui est son droit; vite abattuet encore plus vite relev, faisant montre mme de sa personnalit dbor-
dante, sa vanit ne l'empche jamais de reconnatre le mrite de l'adversaire;non dpourvu de ruse et de dissimulation, il sait toujours envelopper sa
politique d'urbanit et de politesse; mlange curieux de souplesse et de
vigueur, de rve et
d'action, de tolrance et de susceptibilit, d'orgueil etde libralit, un trait le caractrise et l'impose, son hrosme, dont il adonn tant de preuves au cours de son histoire si mouvemente.
Au sujet des Hellnes, c'est--dire des Grecs en gnral, peu d'crivainsnous paraissent les avoir psychologiquement dcrits avec plus de vrit etde profondeur que M. Alfred Croiset, doyen de la Facult des Lettres dePans (i), dont nous pensons devoir rsumer ici en quelques lignes la pen-se L'enchanement des transformations successives de la cit grecquea son point de dpart dans des faits conomiques et politiques. Dans lessocits individualistes et
nergiques le
grand nombre finit
par l'emporter.i^uand les races sont en mme temps idalistes et raisonneuses, elles con-oivent un idal thorique d'galit et de libert, idal qu'elles expriment en
(t) Dansson ouvrage Lesdmocratiesantiques..
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formules abstraites, universelles, de caractre impratif, ce qui augmenteleur puissance d'action. C'est ce caractre universel et rgulier de l'volu-
tionpolitique qui
fait ressembler la direction du mouvement
l'volution
d'un tre vivant. Les historiens, dans la recherche des causes, se mfient
trop de la psychologie des peuples ou des individus. Il impurte le tenir
compte de l'ide de race, de celle du gnie propre un peuple, de faire une
large place aux individus dans la trame des vnements, de mettre en relief
le rle des grands hommes, sans exagration. 1,'historien est oblig de tenir
compte que les mmes faits ne peuvent manquer d'avoir des rpercussions
politiques fort diflrentes selon l'esprit, la volont ou l'imagination d'un
peuple, et que le coefficient personnel qui leur a donn leur physionomie
originale et unique doit tre pris en considration, En gnral, un Grec ne
ressemble pas un Romain, encore moins un Asiatique. Le Grec moyenest incontestablement un homme d'intelligence vive, dlie, subtile, essen-
tiellement rationnelle et dialectique; il voit nettement et a besoin de s'expli-
quer ce qu'il voit; il est capable d'analyse et d'ides gnrales; il est promptaux inductions et dductions; il a moins de sensibilit que d'imagination.Celle-ci est nette, plus prcise que colore, capable de saisir les ensembles
aussi bien que les dtails. Ce qu'il a de sensibilit drive en partie de son
imagination; ces motions viennent de sa tte autant que de son cur; cette
imagination d'artiste lui fait aimer en toute chose le beau, parfois le sp-
cieux cette mme imagination gouverne sa volont, qui est forte, mais sur-tout vive et prompte, et parfois changeante. Il parle vite et bien, et il s'en-
chante de sa parole. Trs sociable, cause du plaisir qu'il trouve au )eu de
la parole et de la dialectique, il est en mme temps trs personnel, fort
attentif son intrt propre (mme dans ses ides morales), avide de gloire,de succs de toute sorte, parfois avec hrosme, souvent avec une vanit un
peu frivole. Foncirement humain, il peut se montrer cruel quand son ima-
gination exalte sa passion. Il a toutes les qualits qui suscitent les initia-
tives hardies et brillantes, dans l'art, dans la pense pure, dans les affaires,
dans la politique, plutt que les qualits pondres et disciplines qui fontla force de l'action collective. Ces aptitudes apparaissent dj chez les con-
temporains d'Homre; elles se retrouvent encore chez le Grec d'aujourd'hui.Elles sont la trame solide qui forme l'unit continue du peuple grec tra-
vers les sicles et les rvolutions. On ne saurait mieux dire.
Voyons maintenant les Osmanlis eux-mmes, les Turcs- L'empire otto-
man., hritier de fait de l'empire byzantin, bien malgr lui quant l'hoirie
sociale, eut les avantages et les inconvnients de cet hritage, car, s'il acca-
para les monuments et les cits des Byzantins, il s'incorpora en mme temps
les tares byzantines qu'il greffa sur les siennes propres, ce qui produisit lersultat que nous allons voir. L'empire ottoman, puissant comme l'empire
byzantin de part et d'autre des dtroits, commanda quelque temps les routes
de l'Europe l'Asie et exera sur toute l'Europe orientale, et mme quelque
peu sur l'Europe centrale, une relle suprmatie, fonde sur la crainte de
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ses -irmcs- mais il eut les mmes ennemis que l'empire byzantin et de pires
dfauts. Les murs des Turcs, leur vrai caractre, l'influence de ce caractre
sur leur destine politique, ont chapp, en gnral, la lgret des obser-
vateurs vulgaires. Spandugino Cantacuzne d'abord, puis le prince Dm-trius Kantmyr et Alexandre Maurocordato l'Exaporite, au dix-septime et
au dix-huitime sicle, dmlrent leur caractre et leurs tares. En ralit,
toute la constitution de la dynastie et de l'empire ottomans tait fonde sur
l'esclavage. C'est par les esclaves que le peuple turc et les peuples soumis
continuaient tre gouverns. Esclaves, les officiers du harem, les gardes
des portes et des jardins, la garde du corps du sultan; esclave, la redoutable
milice des janissaires; esclaves, mme les gendres ou les enfants du padis-
chah. Le conseil des vizirs, presque tous anciens captifs, n'a-t-il pas t qua-
lifi de march des esclaves . Et qu'est-ce que le sultan lui-mme? Danstout Stamboul on le dsigne sous ce nom le (ils de l'esclave , car c'est
presque toujours d'une captive qu'il est n. Au dix-huitime sicle surtout,
cette oligarchie d'esclaves est en dclin, prcisment parce qu'il s'y est intro-
duit, par exemple dans Vodjak des janissaires, des lments libres Sur les
huit sultans qui rgnrent de la mort de Soliman le Grand l 'avnement de
Mohammed IV, trois seulement ont paru la tte des armes Moham-
med ni, dans la campagne de Keresztes; Osman II, dans celle de Hotin;Mourad IV dans celle de Bagdad, et le dernier seul fut vraiment un chef
deguerre.
Ceux de ces sultans qui
restent invisibles leurs soldats se
rendent invisibles aussi leurs autres sujets, invisibles leurs ministres,
pires que les rois mrovingiens, car ils s'cartent volontairement des respon-sabilits du pouvoir. Ils ne traitent plus eux-mmes les affaires; les vizirs et
les gouverneurs, n'tant plus surveills par eux, tendent s'manciper. Le
plus grave est que le sultan, qui ne sait plus faire travailler ses ministres,ne sait plus les choisir. Et voici que, de plus en plus, le harem s'immiscedans cette administration. Dj au temps de Soliman le Grand, il y avait eu
conflit entre le harem et le grand vizirat; d'autres catastrophes achevrent
d'assouplir les grands vizirs de la dcadence. Pour se maintenir en place, ils
laissent le harem piller et ruiner l'empire. Le sultan ne gouvernant plus, le
grand vizir, maire du palais moralement dchu, tant empch de gouverner,c'est, en dernire analyse, aux mains de ngres eunuques et d'esclavesachets qu'est remis le pouvoir absolu. Le sabre de Bayzid Ildrim et deMohammed le Conqurant n'est plus qu'un hochet. Aux impts, chaque jour
plus nombreux et plus lourds, s'ajoutent toutes les autres causes de ruinealination des domaines impriaux, altration des monnaies, taxes illgalesde tout ordre. Le paysan, mme turc, est cras. En un mot, jamais on n'awu telle exaction et oppression dans aucun pays du monde, dans aucun
Etat. Autrefois, il y avait dans l'empire ottoman une infinit de petits fiefs(dinars) et de grands fiefs (zams). Chacun de ces fiefs, suivant son tendue,mettait sur pied un nombre dtermin de cavaliers bien monts, bien quips,
bien arms, des guerriers courageux. Mais dj, depuis 1582, on commena
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vendre ces fiefs, puis on les distribua des serviteurs du srail, des
eunuques ngres, des nains, des muets, des idiots; d'autres furent sim-
plement usurps. Souvent ces usurpateurs les transforment en biens de main-
morte (vakitf),
de faon que
le sultan ne puisse
lesreprendre.
Nous retrou-
vons pour les iiefs ottomans tous les abus dont les empereurs byzantins ont
essay de dfendre leurs fiefs de stratiotai. Ce qui augmenta surtout, ce fut
l'pffectif des soldats pays sur le trsor, notamment celui des janissaires;tandis que le nombre des guerriers fifs diminuait, celui des guerriers solds
triplait, au grand dtriment du trsor et des sujets. La milice des janissaires
dgnra; auparavant, on n'y admettait que des jeunes gens d'origine chr-
tienne, enlevs la guerre, ou en vertu du Devchtirmc tous les esclaves
du sultan ne vivant que de sa soupe; on fit entrer dans l'odjak des trangers
par demi-douzaines, ds 1582. Mourad III voulut v faire rentrer des gens de
basse condition, ou qui, comme acrobates ou lutteurs, avaient amus lepeuple. La brche une fois ouverte, tout le monde s'y prcipita. On voit
alors des janissaires pour lesquels l'annonce d'une guerre semble une cala-
mit. En temps de paix, ces gens forment dans la capitale une tourbe sdi-
ticuse, prte toutes les mutineries. Bientt on verra des janissaires vendre
leur solde; la redoutable milice des soldats esclaves fera place une gardeurbaine raisonneuse et sditieuse, fausse garde prtorienne sans vaillance et
sans ressort.
En outre, en temps de guerre, aprs chaque engagement, les vainqueurstaient
rcompenss avec
magnificence; les chefs obtenaient des
fourrures,de belles armes, des aigrettes parsemes de pierreries; les soldats recevaient
des sequins et des ducats. Dans le combat, le commandant faisait placer
ses cts un sac rempli de pices d'or et payait chaque tte de ghiaour qu'onlui apportait; ces largesses attiraient souvent de toutes parts de nouvelles
recrues, ce qui grossissait d'une faon inattendue les armes ottomanes dans
les moments de danger. Or, parmi ces largesses, le repas tait une chose
capitale, au dix-septime sicle. Au milieu de lacour, une quantit d'cuelles
remplies de riz prpar la turque; en face, une troupe nombreuse de janis-saires. 5ur un signe, les soldats rompent les rangs et se prcipitent avec
imptuosit vers le repas qui leur a t prpar; on les voit se disputer leurpart, se heurter, tomber et se relever, sans dsordre pourtant et sans cri.
Cette distribution, offerte plusieurs fois par semaine aux janissaires par la
munificence du Grand Seigneur, jouait un rle dans les proccupations de ses
ministres; c'tait pour eux un moyen de connatre l'opinion des soldats. Si
ceux-ci passaient devant les cuelles sans y toucher, ou mme les repous-saient du pied, cette bouderie indiquait de leur part un mcontentement,
toujours prt se tourner en rvolte. Mangeaient-ils avec entrain, le gouver-nement se rassurait, mesurant cet empressement le zle et les bonnes dispo-
sitions de la
troupe. En
rsum, de l 'excs de l'abattement les Turcs pas-saient celui de la prsomption, et ils s'estimaient invincibles, depuis qu'ilss'taient reconnus capables de rsistance, car, aprs avoir rveill la fureur
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populaire contre les chrtiens, les ministres du sultan, loin de refrner cette
force aveugle qu'il leur avait fallu dchaner, ne s'occupaient qu' lui laisser
libre carrire; ils entretenaient l'ardeur belliqueuse des Musulmans, en fai-
sant appel leurs deux passions principales, le zle religieux et la cupidit;ils leur promettaient le paradis, mais
leur distribuaient de l'argent Cette
dcadence fut accrue par les particularits mmes de la mentalit musul-
mane, sectaire et froce, ce que n'observe pas l'historien Kantmyr. En effet,
l'Ame musulmane est combative, jalouse, tyrannique et oppressive; sa reli-
gion se faisant une loi d'opprimer et de supprimer le chrtien, le ghiaour,
tout dans l'organisation de l'empire ottoman devait concourir exalter cet
esprit de haine et de sang. Mais ce qui chez les Sarrazins de l'poque de
Saladin et chez les khalifes de Bagdad et de Cordouc, ce qui mme chez un
Soliman le Magnifique, chez un Mohammed II, chez un
Rajazet Ildrim, sut
se revtir de quelque noblesse et de quelque grandeur pique, devint plus
tard un pli accus de despotisme furieux, d'autant plus outrancier que l'me
asiatique en est elle-mme tout imprgne. Lorsque les guerres diminurent,
lorsque le luxe, le faste, la sensualit et une longue accoutumance du pouvoir
tyrannique eurent mis jamais leur empreinte implacable sur les Osmanlis
dgnrs, lorsqu'ils ne furent plus gouverns que par des sultans de plusen plus sanguinaires ou mdiocres, notamment depuis 1640, par des vizirs
de plus en plus rapaces (comme, par exemple, Kara-Mustapha, qui en est le
prototype), par des mercenaires de plus en plus louches et mme par la vale-
taille des harems, une seule chose prdomina chez eux, la sozf de Vor del'or qui seul leur permit de satisfaire certains instincts de btes fauves. Et
malheureusement cette perversion, cette corruption, cet abaissement, cette
lpre devinrent contagieux et engourdirent ou dtruisirent, leur contact,chez plusieurs nations chrtiennes de l'Europe orientale, le sens moral le pluslmentaire.
Que pouvait-on donc opposer cette tyrannie ottomane, qui s'exeraitpar des moyens si effroyables? La rsistance, la rvolte, que non pas; ellestaient bientt noyes dans le sang. C'est alors que la souplesse fline,
l'habilet enveloppante, l'intelligence pntrante et patiente des Grecs, desPhanariotes, fit son apparition sur la scne de l'Histoire, au dix-septimesicle, nommment lorsque les Hellnes parvinrent, en 1661, s'emparersans violence de la charge importante de grand dragoman, ou interprte dela Sublime Porte ottomane, en la personne de Panaiotis Nicousios de Chio,charge qui demeura entre leurs mains, sans interruption, jusqu'en 1821.Nous pensons ne pas pouvoir tre taxs de faire du paradoxe, si, au lieu deblmer les Phanariotes l'excs, nous estimons qu'il faudrait plutt les louerde leur habite diplomatie, de leur sagace tactique, qui fut un des facteursannonciateurs de la dlivrance des
peuples chrtiens de
l'Europe orientale.
f-n effet, ayant pntr, comme nous l'avons dit, dans le gouvernementmme de l'empire ottoman par l'acquisition de la haute charge de grandinterprte (peu peu mme dans celle d'ambassadeur et quelquefois de grand
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vizir), les Phanariotes devaient fatalement aboutir obtenir, conqurir sil'on peut dire, par cette voie indirecte et dtourne, la couronne mme des
principauts roumaines, qui tait leurs veux comme un reflet de lit cou-ronne
impriale de Ryzance, objet.et but de leurs rves intrieurs, ce queparat dmontrer avec certitude l'ambition du grand prince SherbanCantacuzne.
Notons aussi la caractristique des peuples d'origine illyrienne ou slave.Un petit pays, qui devait un jour faire parler de lui, mais qui traversait alorsde cruelles preuves, c'est celui que les Serbes appellent Tserna-Gora , etles Italiens Montngro sur cette Montagne-Noire , ainsi que sur une
partie de l'Albanie, rgna jusqu' la fin du quinzime sicle la dynastie des
Balcha (la maison des Raux de Provence). Puis s'tablit une autre dynastiefranaise, les Maramont, devenus les Tsernovitch, qui embrassrent la reli-
gion orthodoxe. L'un d'eux, Ivan le Noir, y btit une glise et un monastrevers 1483 ou 1484, dans la petite ville de Cettini, qu'il adopta pour capitale,et y fonda un sige piscopal, dont le titulaire s'appela le vladika. C'est dece temps qu'on peut faire dater l'existence mme du Montngro serbe et
orthodoxe, dsormais distinct de l'Albanie catholique, avec laquelle il taitrest en quelque sorte confondu. On peut mme dire qu' partir de ce momentle Montngro fut rellement cr par l'migration sur ses rochers des coura-
geux habitants de la plaine. Le Montngro devint ainsi une sorte de tho-
cratie, dont le chef tait lu par le clerg et par le peuple.
L'histoire des Bosniaques, Serbes, Bulgares est plus sombre que celledes Grecs. Aucune province de l'empire n'a t tenue dans une plus troite
sujtion que celle de langue slave. On n'y a mme plus l'ide ou la vellitdes rvoltes d'autrefois. Tous les impts tombent d'aplomb sur ces malheu-reux Slaves, avec toutes les corves de charroi, de terrassements, qu'exigentles passages d'armes ou les siges. Leur chef ecclsiastique, l'archevqued'Ochrida, est tout aussi impuissant que le patriarche des Grecs; leur clergest plus ignorant encore que le clerg hellne. Dans le pays serbe, il ne
subsiste de l'ancienne organisation nationale que les kniases (princes, simplesnotables des
villages), le
grand kniaze, chef de
canton, le
pope ignorant et
sa vieille glise dont les cloches ont t enleves, enfin les monastres,centres des plerinages et de l'esprit national. Les Bulgares taient dans la
mme situation, soumis galement un haut clerg de langue grecque,entams par la conversion l'Islam de certains cantons, comme celle desPomaks du Rhodope. Quant l'Albanie, la conqute ottomane y avait
dtruit les anciennes dynasties. L'oppression en chassa les plus hardis aven-turiers. Beaucoup allrent, avec Mercure Bouas, sous le nom 'estradiotes,
guerroyer aux gages de Venise, du roi de France, de Henri VIII d'An-
gleterre nu d e l'empereur germanique. D'autres, mme rests chrtiens,
entraient au service des Turcs comme armatoles, ou formrent des corpsauxiliaires dans leurs armes.
Pour ce qui touche surtout les Serbes et les Albanais, nous pensons que
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Dora d'fstria les a dpeints sous des couleurs vives et originales de la faon
suivante (i) L'me de cette nation (serbe) n'est pas moins divise que
son territoire. Tandis qu'une partie des Serbes, cdant l'influence du gou-
vernement autrichien, se sont soumis l'glise de Rome, les Serbes indpen-
dants de la Principaut et de la Tsernagora (Montngro) ont tous repouss
nergiquement la domination du catholicisme. Les diffrences politiques
aouravent les dissensions religieuses. Les Croates et les Bosniaques musul-
mans ont adopt le rgime aristocratique, tandis que les Serbes, rests
fidles l'glise orientale, ont conserv l'amour de leurs anctres pour une
dmocratie patriarcale. Il n'est point de Serbe qui ne se croit gentilhomme,
et leur hros librateur, qui est devenu kniaze (prince) de la principaut, ne
peut oublier que Kara-George tait un simple paysan. Les deux petits
tats o vit aujourd'hui le Serbe indpendant, la principaut (aujourd'huiroyaume) de Serbie et le Montngro, sont d'imperceptibles dbris du vaste
empire qui a succomb dans la plaine de Kossovo (1388). Avec le tzar
Lazare, descendirent dans le tombeau la grandeur et la libert des Serbes.
Depuis ce dsastre, l 'Autriche et la Turquie se sont disputes lcs lambeaux
de leur nationalit. Si, parmi les Serbes orthodoxes, le sentiment de l'galitest aussi vif que chez les Grecs, il n'en est pas de mme du penchant pourla culture intellectuelle. Un Serbe se plat mieux cheval que dans un col-
lge. Aussi, mme dans la principaut, les coles sont encore rares (aujour-d'hui encore), et l'on a vu, au temps de la guerre de l'indpendance, des
citoyens revtus des fonctions les plus leves, comme le kniaze Milosch etles snateurs, ne pouvoir lire une lettre. Il est vrai que les Turcs ne lais-
saient imprimer aucun livre serbe; la premire imprimerie a t fonde parMilosch. L'agriculture n'a pas plus d'attrait pour les Serbes que l'tude. Ces
pasteurs indolents, ces soldats hroques ont t trs bien nomms par uncrivain musulman les Arabes de l'Europe . Comme les Arabes ils ontun instinct potique trs dvelopp. Chez eux, les femmes jouent un rleassez prpondrant, etc.
Les Albanais n'ont pas dgnr de la valeur de leurs pres. On les
regarde encore comme les meilleurs soldats de l'Orient. Mais les discordes reli-gieuses paralysent leurs forces de la manire laplus d(,plorable et menacent ce
peuple fameux d'une destruction complte. Comme en Bosnie, trois cultes sont
en prsence dans l'Albanie l'islamisme, l'glise orthodoxe et l'glise de Rome.11 est d'autant plus facile d'entretenir la discorde dans ce pays, qu'il est par-tag entre quatre tribus parlant des idiomes diffrents les Djgues, les Toskes(dont le nom rappelle celui de Tusci ou Toscans, ce qui confirmerait l'opinionde d'Arbois de Jubainville, que les trusques et les Albanais sont galementd'origine Turse ou Flasge), les Djamides et les Liapes, ont leurs habitudes
particuhres. Sur les deux rives de l'Adriatique, en Italie comme en Albanie,1 union des tribus de mmes races pourrait raliser des merveilles, etc.
(1) uvres,t, II.
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Ajoutons encore, au sujet de la nation grecque, qu'elle avait t comme
dcapite par la conqute; Mohammed II avait fait de larges excutions
sur les chefs de la noblesse byzantine; l'aristocratie intellectuelle avait mi-
gr. Aprs le grand exode des Lascaris, des Bessarion, des Gmiste Pl-
thon, etc. continuera celui des crivains de second ordre. 11 n'y a plus de
Grecs lettrs qu'en Crte, Corfou, Crigo, possessions vnitiennes; dans
les villages, l'lite des jeunes gens sont enlevs pour le service du palais ou
le service militaire, perdus pour l'hellnisme. La petite aristocratie, celle des
archontes et des primats, si elle ne se hte de se convertir, risque de perdresa seigneurie locale; il vient d'Asie des militaires turcs, des Ottomans ou des
Seldjoukides, des Iconians, comme on les appelle, qui se substituent eux
et, titre de timariotes ou sams, occupent leurs anciens fiefs. Alors beau-
coup de ces propritaires grecs se font Turcs; de stratiotai, seigneurs chr-tiens, ils deviennent spahis, seigneurs musulmans. Ils reviennent, avec des
chances de succs nouvelles, aux entreprises de leurs anctres sur les biens
de l'Eglise, sur les terres des pauvres, sur ce qui reste. de libert aux pay-sans. On peut donc dire qu'aucun peuple n'a t plus compltement aban-
donn par ses lites que le peuple grec. Les pays grecs, Hellade, More, les,n'ont mme pas de repos dans la servitude. Pour eux, la conqute se fait
petit feu, avanant, reculant, revenant. Ils sont disputs, pendant trois cents
ans, entre les Vnitiens et les Ottomans. On s'tonne qu'il puisse encore
subsister une racehellnique,
et de fait, priodiquement,
les vides doivent
tre combls soit par les migrations valaques et albanaises, soit par l'arrive
de colons Yurufcs, pasteurs tureomans d'Asie Mineure. Sous les exigencesaccumules du gouvernement centra], parmi les ravages priodiques, on se
demande comment peut vivre le paysan; effrayante est la liste des impts de
Soliman; aussi ne se maintient-il un peu de vie que dans les classes commer-
antes. Le sujet grec, Constantinople, Salonique, Athnes, est mieux
protg contre la concurrence trangre qu'au temps des empereurs byzan-tins. Le droit de douane de 2 JJ2 pour cent pour le sujet non-musulman, de
5 pour le musulman, est de io pour l'tranger. A la vrit, il lui est dfendu
de porter des armes, par consquent d'armer ses navires; mais il trouve
moyen de tourner cette prohibition comme toutes les autres. Il adopte le cos-
tume du conqurant; en Occident, on ne sait plus distinguer le Grec de
l'Osmanli. Non seulement les ports grecs de l'cmpire ottoman tmoignentd'une activit qu'on n'avait pas vue depuis quatre sicles, mais de nouveaux
centres commerciaux vont se fonder dans des les jusqu'alors dsertes, sur
des roches arides, Hydra, Syra. Le seul fait qui viendra troubler cette
activit renaissante, ce sera les diminutions de tarif douanier consenties parles sultans, en vertu de capitulations, certaines nations d'Occident. Puis,
ds la conqute de Grenade par les rois catholiques et mesure que l'Inquisi-tion svissait plus rigoureusement dans la pninsule ibrique, vinrent s'ta-
blir dans les tats du sultan des Maures et des Juifs, industrieux et mme
riches. Enfin, dans les grandes villes, surtout Constantinople. commence
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pour les Grecs la concurrence des Armniens, brasseurs d'affaires et manieurs
d'argent. Toutefois, les Grecs aussi fins que les Maures, les Juifs ou les Arm-
niens, et en outre bons marins, surent garder la meilleure part dans le trafic
de l'empire. C'est donc par le commerce que renaissent la richesse, l'activit,la fiert du peuple grec; c'est l, pourj'avenir, l'instrument de
sa rdemption.
Ces prmisses psychologiques ncessaires poses, tudions maintenant la
question d'Orient ou plutt la question europenne orientale, particulire-
ment au point de vue de la situation propre de la pninsule carpatho-
balkanique, ainsi que la succession des vnements historiques au dix-
septime sicle.
Pendant longtemps on a restreint le nom de question d'Orient )> aux
relations de l'empire ottoman avec les tats chrtiens d'Europe. 11ne pouvait
en tre autrement nlors
que les seuls
problmes qui se
posaient aux hommes
d'tat taient l'indpendance des pays danubiens ou de la Grce, la lutte
entre la Russie et la Turquie pour la domination dans la mer Noire, l'auto-
nomie de l'Egypte, l'organisation intrieure et la rforme administrative de
t'empire ottoman sous l'influence de l'Europe, les relations diplomatiquesdes puissances chrtiennes avec le sultan; aujourd'hui, il faut donner cette
expression de question d'Orient une signification beaucoup plus large et,
pour bien poser les problmes que nous venons d'numrer, il faut les envi-
sager dans leur rapport avec l'histoire de l'Islamisme tout entier (i) et de
toute l'Europe. C'est le but d'une partie de notre ouvrage.
Il nous parat superflu, hors des limites de cet ouvrage, mme de rsumerles vnements historiques, les faits d'ailleurs connus qui amenrent l'tablis-
sement dfinitif des Turcs aux quinzime et seizime sicles dans la pnin-sule carpatho-balkanique. Ds le milieu du dix-septime sicle, la situation
change nettement, et un mouvement de dsagrgation se dessine clairementdans l'empire ottoman. Il ira en grandissant jusqu' nos jours. L'exemplevient de haut et dans la srie des dplorables sultans qui rgnrent de 1648 1730, le premier fut Mohammed IV (1648-1687) qui succda au sultanIbrahim I", prcipit du trne le 18 aot 1648, par une rvolte de janis-
saires. L'historien Hammer attribue cette catastrophe simplement auxdbauches du souverain, aux exactions ncessaires l'entretien de son haremet aux dfaites essuyes par les Turcs depuis trois ans. Mais ce n'tait l
qu'un pisode de la dcadence totale des Osmanlis. Nanmoins, sous le nou-veau sultan Mohammed IV, encore enfant, une louable conomie remplaales ruineuses prodigalits d'Ibrahim; mais ses tout premiers vizirs, SoofiMohammed et Kara-Murad, ne parvinrent point vaincre les Vnitiens qui,
,'' Monod va mme jusqu' dire que, depuis la funeste guerre de 1870, la questionr Orient est devenue le problmecapital de la politique europenne. Elle tient la premirePiice danslesproccupations des hommes d'tat comme dans les mditations des historiens.Prface a l'ouvragedeDkiaul sur T,a questiond'Orient, Paris. Consulter aussi Ren PlNON,B-ilT'"1"1 lSm/r" otl"< Paris, et L'Eurape et la Jeune Turquie. Ch. Loiseau, LeBalka~cstex~rn,l'aris. 1~I:1c, 17iya,5.eevcDaZ~uxatieet axu Mon!~zigro,Paris, PIOn, IgI2.a
an slmie, Paris. Marge, Vuyugeen Dalmatie et au Montngro,Paris, Pion, 1 -ous Jaray, L'Albanie inconnue, 1913. Haumant, la Serbieetc., etc
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matres de la Crte, de l'Archipel et d'une partie de la More, faisaientflotter leur pavillon devant le chteau des Dardanelles et menaaient mme
le Bosphore. Tant de dsastres eussent peut-tre amen pour Mohammed IV
une fin aussi tragique
et
plus prmature que celle d'Ibrahim, si l'habile
Kcuprili ]"r ne ft bientt port par les circonstances au grand vizirat. En
fait, jamais sultan si jeune n'avait ceint le sabre d'Osman; il n'avait que septans; tout le pouvoir demeurait aux mains de sa grand'mrc, la vieille sultane
valid grecque, Ksen Malpeiker. tandis que la jeune valid russe Tarkhane,sa mre, semblait relgue au second plan. Nanmoins, la sultane Ksen
dut partager le pouvoir avec les auteurs de la rvolution, c'est--dire avec les
lments mme les plus brutaux de la soldatesque et du peuple; le rsultat
fut une anarchie comparable celle qui signala le rgne de Moustapha l'Idiot.
L'esprit d'insubordination soufflait partout sdition des icoglana appuys
par les spahis, mais rprime par les janissaires; ceux-ci faisaient tremblerla capitale, et bientt les grands vizirs comme les grands mouflis ne furent
plus entre leurs mains que des jouets bientt briss; leur tour, les corps de
mtiers s'insurgrent, et il n'y eut plus de gouvernement possible entre les
grands vizirs appuys par la vieille sultane et les odjaks ou milice solde,
qui taient au nombre de sept, c'est--dire les janissaires, les spahis de la
Porte, les silhidars, les topdjis ou artilleurs, les toparahadjis ou gens du
train, les djbdjis ou armuriers, les bostandjis ou gardes des jardins ou des
barques du palais. Le petit sultan de sept ans sicgait au conseil avec pompe
et apparat, rptant gravement les paroles qu'on lui
soufflait et demandant son matre de calligraphie (souvent un Grec ou grammatiste) de lui apprendre crire cette phrase coutumire aux hattichrifs, et qui dpeint toute la
mentalit asiatique Obissez, ou je vous ferai couper la tte! )) Enfin
l'anarchie s'accrut quand au fond du harem la jeune et la vieille sultane en
vinrent aux mains et eurent recours, l'une aux janissaires, l'autre aux
eunuques qui, plus habiles, armrent les icoglans, enfoncrent les portes du
harem et tranglrent la jeune sultane. Quand Mohammed IV fut en ge,toute la part personnelle qu'il eut dans le gouvernement de son Etat fut d'in-
terdire ses sujets non-musulmans de porter les bonnets rouges et les pan-
toufles jaunes; cependant Mohammed IV n'tait pas luxurieux comme son
pre, quoiqu'il subt la domination d'une Grecque dont le nom signifiaitcelle qui a bu les roses du printemps ; ce sultan tait sobre, mme rigo-
riste, et renouvela les prohibitions contre le vin, le caf et le tabac; mais il
avait la passion effrne de la chasse, ce qui donna prtexte aux insurgs quile renversrent du trne en 1687. Il eut pour successeurs ses deux frres
Soliman II, de 1687 1691, et Ahmed II, de 1691 1695; ce dernier aimait
la musique et la posie, et fut un dvot mlancolique. Quand il mourut, le
droit des frres tait puis et on en revint au fils de Mohammed IV et de
la Grecque qui ce avait bu les roses du printemps . Ce fut Moustapha Il(1695-1703), puis Ahmed III (1703-1730), lequel passa son rgne broder
des pantoufles et jaser avec les femmes du harem.
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Ainsi la mdiocrit de presque tous ces sultans turcs, depuis 1648, fit que
le pouvoir appartnt ds lors. dans l'empire ottoman, de plus en plus aux
influences du harem, aux misrables intrigues des eunuques et plus rarement
aux grands vizirs. Quand, parmi ces derniers, il se trouva des hommes suffi-samment nergiques et habiles, l'empire ottoman sut encore faire trembler
les infidles , la pninsule balkanique, les Hellnes, les Pays Roumains,
les Hongrois et mme le Saint-Empire; mais, quand les sultanes et leurs
cratures, quand la valetaille du srail devinrent de plus en plus prdomi-
nantes, l'empire ottoman retomba dans une anarchie de plus en plus accuse.
On sait que les grands vizirs de l'poque que nous allons tudier, et qui mon-
trrent quelques qualits, quelque nergie et quelque dignit, appartinrent
presque tous une famille que l'on disait d'origine franaise, mais qui en
ralit tait albanaise (de Kizil-Irmak, 12 lieues d'Amassia), famille quifournit une vritable dynastie de premiers ministres et qui s'appelaient les
Kprili. La domination des Kprili commena avec le premier du nom,
sous le rgne de Mohammed IV, qui eut un long rgne. S'il ne fut pas com-
parable aux illustres conqurants qui avaient fond l'empire des Turcs, il eut
du moins le mrite de choisir d'habiles vizirs et de les laisser gouvernerautant que possible l'abri des intrigues du harem. De cette dynastie minis-
trielle des Kprili (r), le premier, une sorte de Richelieu, fit cesser l'anar-
chie dans le gouvernement et t'administration par d'impitoyables excutions,et permit ainsi ses successeurs d'exercer peu prs tranquillement l'auto-
rit lgitime qu'ils tenaient du sultan. Ceux-ci furent malheureux dans leursentreprises guerrires; mais, vaincus, ils conduisirent lit dfensive avec beau-
coup de courage et continrent, autant qu'il tait possible, la raction victo-rieuse des peuples chrtiens; ils sauvrent l'honneur des armes ottomanes.Ce Kprili I'1 dbuta par la pendaison du patriarche grec cumnique l'ar-
Ihenios, sous l'gide de son clbre bourreau Soulfikar, qui se vantait d'avoir
trangl, lui tout seul, plus de 30 000 individus en cinq ans, c'est--dire
quelque chose comme 500 ttes par mois. Voyons brivement la successiondes vnements qui amenrent le dsastre militaire des Ottomans Vienne
en 1683.Kceprili I", en arrivant aux affaires, trouva les Vnitiens matres des Dar-
danelles, occupant Tndos, Samothrace, Lemnos et bloquant la capitale de
l'empire. 11mena nergiquement la guerre. La flotte vnitienne fut deux foisvictorieuse aux Dardanelles, le 2 mai et le 17 juillet 165g, mais elle perditMocenigo, son meilleur amiral. Alors Kceprili reprit Tndos et les autres
(1) En effet, en ce temps, ct de la dynastie rgnante Stamboul, une dynastie deministres,celledes Kprili, exerait le pouvoir de pre en fils au nom de souverains dg-nrs. Or, ces Kprili taient des hommes terribles, qui dployrent parfois de hautstalents dans l'administration et la
guerre. Lepremier du nom, Mohammed Kprili, s'taitmontre justicier froce et grand massacreur, commenous venons de le dire. Ce fut avec son^i, Ahmed Kprili II, vizir omnipotent du sultan MohammedIV, que la France eut trai-ter; commece ministre arrogant condescendait des explications satisfaisantes, une dtenteparut s oprer; maisla politiquefranaise n'tait pasencore au bout de sescontradictions.
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les, en aot de la mme anne. En 1660, les Vnitiens occuprent Skiathos,au nord de Ngrepont, et, avec le secours de volontaires franais, s'empa-rrent de Santa-Vcneranda et d'autres forts crtois; l'anne suivante, ils
furent encore vainqueurs dans les parages de Milo; mais l'habile Kceprilifinit par leur fermer les Dardanelles par la construction de deux nouveaux
chteaux.
Dix jours avant sa mort, le vieux Koeprili I" avait signifi au rsident
autrichien Reninger que le sultan ne souffrirait pas l'intervention de l'em-
pereur dans l'lection d'un nouveau prince de Transylvanie, mais qu'il sou-
tiendrait Michel Apafy et repousserait les prtentions du Hongrois Kmny.
Kprili II donna une sanction la politique de son pre, en envoyant une
arme dans la Transylvanie et la Hongrie, qui fut cruellement ravage (1661).
Deux ans aprs, il entra lui-mme en campagne avec 122000 hommes et145 canons; il passa le Danube Gran, battit les troupes du comte Gorgacs,
emporta Ujvar, et son arme se trouvant double par l'arrive de 100 000 Tar-
tares et 20 000 Cosaques, il dvasta la Hongrie, la Moravie et la Silsie, en
emmenant 80 000 chrtiens en esclavage. L'empereur Lopold I" semblait
impuissant repousser cette invasion aussi formidable qu'inattendue; le papeAlexandre VII conut alors le projet de former une Sainte-Ligue parmi les
princes chrtiens, et Louis XIV fut le premier lui offrir son concours, car
dans la tte du roi de France fils an de l'glise survivait l'ide rmees-
trale de saint Louis, de la Croisade sainte; en outre, il tait encore sensible
aux outrages subis par son reprsentant De La Haye, indpendamment deraisons de vanit personnelle. D'autres considrations pourtant agirentencore sur l'esprit de Louis XIV pour lui faire oublier les intrts de l'al-
liance, sculaire dj, de la France avec les Ottomans en d'autres circons-
tances encore, ses sentiments religieux l'emportrent sur les intrts les plusvidents de son royaume. Il et t aussi lier que Charles-Quint de conduire
contre les Turcs quelque magnifique croisade; il envoya Duquesne dans le
Levant; celui-ci f it une descente Chio, parut dans les Dardanelles avec
ses vaisseaux, jeta la terreur au srail et, sous la menace de ses canons, fit
renouveler les privilges jusque-l reconnus au commerce franais. Mais cefut l'Autriche qui d'abord occupa le premier plan de cette histoire. Elle y fut
appele par la dernire manifestation offensive des Ottomans dans l'Europecentrale. A la suite de l'intervention du pape. que nous avons signale plushaut, le roi Louis XIV commena par offrir un si grand nombre de Franais,
prs de 40000 hommes, et d'autres confdrs, que l'empereur d'Autriche
s'en effraya comme d'une offre trop magnifique. L'arme impriale compre-nait en tout, sous les ordres du grand capitaine Montecuculli, 20000 hommes;elle fut renforce par les 6000 Franais qu'envoya Louis XIV, sous le com-
mandement du comte de Coligny, qui avait sous ses ordres La Feuillade et
Gassion, ainsi que l'lite des volontaires mais, chose bizarre, on leur
ferma les portes de Vienne et on les considra avec mfiance. Pendant ce
temps, Kceprili II s'tait empar de Srinvar et du Petit-Komorn; mais il
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fut repouss sur le Raab et, comme il cherchait surprendre les gus, il se
trouva en prsence de l'arme chrtienne campe au pied du monastre du
.Saint-Gothard le grand vizir attaqua mais fut compltement battu, avec une
perte de ioooo hommes (i" aot 1664); nanmoins l'empereur en eutquelque humeur et ne
tira gure grand profit d'un succs qu'il devait d'ail-
leurs aux Franais, car il se mla aux affaires de l'Occident et la guerre de
Hollande. La dfaite du Saint-Gothard amena, le 10 aot, le trait de Vasvar
ou Eisenbourg, analogue aux bases du trait de Sitvarotok (1606), c'est--
dire l'vacuation simultane de la Transylvanie par les troupes autrichiennes
et ottomanes et la reconnaissance du prince Michel Apafy par les deux sou-
verains comme prince de Transylvanie, moyennant un tribut la Porte,
dont Apafy s'affranchit en 1679, lorsqu'il reconnut la suzerainet de la
maison de Habsbourg et que l'empereur Lopold I' lui octroya la clbre
charte dnomme Lcopoldinum.Au printemps de 1675, le sultan Mohammed IV allait clbrer publique-
ment les noces de sa fille, ge (le cinq six ans, avec le favori toujours en
exercice, et ce mariage, rvoltant selon nos murs, joindrait la circonci-
sion de son fils. Ce fut l'occasion de rjouissances populaires et de mangeriesnormes, qui mirent en moi tout l'empire pendant quinze jours et quinzenuits. Pendant toutes ces rjouissances intrieures, la tempte s'amassait
l'extrieur et la Turquie, confite en amusements, en sucreries et en
dbauches Andrinople et Stamboul, allait recevoir un coup de grce, que
l'impntie des futurs gouvernants et la faiblesse de l'arme aggraveraient l'envi En effet, le 3 novembre 1676, Kceprili FI mourait (1). Une inter-
ruption se lit alors dans le rgne des Kccprili; on ne reviendra aux des-
cendants de cette famille qu'aprs des preuves et des dsastres sans
nombre. Pour succder au vizir dfunt, le sultan nomma prsentement le
gouverneur de Stamboul, auquel il remit le sceau de l'tat c'tait ce
Kara-Mustapha, despote de basse espce, barbare corrompu, qui devaitfinir supplici Belgrade, aprs avoir essuy en 1683 sous Vienne unedfaite retentissante et prcipit, par son ineptie et ses garements, le dclinde
l'empire. Le
grand vizir
Kara-Mustapha, beau-frre de
Kprili II et
gendre du sultan, porta au plus haut degr l'avidit d'argent proverbialedes Turcs, notamment parce que, pour entretenir les trois mille esclaves,
1.1)Voici le portrait comique que nous a fait duclbre grand vizir KceprilII, l'ambas-sadeur franais Nointel, qui nous a laissaussi, sur les Turcs etStamboul, de savoureusesdescriptions,reproduites par Albert Vandal IImeparut dans une gravit qu'il est difficile
d'exprimer il avait lespiedsdroits et joints, unede ses mains cachant l'autre entirement tait pose sur ses genoux, et elles taient si bien unies que je ne les ai pointvues ni remuer, ni sesparerqu'une seulefois. Dureste, aprs m'avnir regard attentivement, il tint ses yeux demi ferms. Enfin,tout son maintien tait si naturel ou compos, qu'a' grand'peine onvoyait remuer un poilde sa barbe quand il partait. Un turban enfoncjus-
qu auxyeuxet une pelisse dont le col relev encadrait le visage du vizir d'une paissefourrure, compltaient cetaspect rbarbatif. (Albert Vandai., La mission du marquis de
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dont plus de quinze cents femmes, les sept cents eunuques noirs, du plusbeau noir, les milliers de chevaux, de chiens, de faucons et d'animaux de
toute sorte dont il s'entourait, il n'hsita pas de piller sans vergogne le
patriarcat grec, de ranonner les Pays Roumains, voire les ambassadeurstrangers, et de faire main basse sur tout ce qui pouvait lui rapporter de
l'argent. Il est manifeste que l'inconduite de ce vizir, son avarice et son avi-
dit d'argent, sa colre de n'avoir pu ranonner les Impriaux et les Polo-
nais, furent la cause dterminante de l'chec moral des Turcs Vienne en
1683, quoiqu'il ne semble pas douteux que, malgr tout, l'incapacit mili-
taire des Turcs devait succomber devant l'hrosme de Jean Sobieski.
Tombs de Kceprili en Kara-Mustapba, les ambassadeurs curent regret-ter le premier. D'abord, connaissant mal le second, ils se bornrent envoyer
leurs souverains des dtails sur son extrieur, sur son train de maison;bientt ils le jugrent un diable incarn . C'tait plutt un alcoolique
omnipotent , comme dit finement l'historien Rambaud. De tout temps,
orgueilleux et rapace l'excs, Kara-Mustapha avait ml l'talage d'un
luxe insens de basses mesquineries et des gots crapuleux Lorsque le
caprice du matre l'eut lev au ministre suprme, il ne garda plus de
mesure dans la satisfaction de ses vices et de ses haines. Sa violence n'tait
pas raisonne comme celle de Kceprili; surexcite par l'abus continuel des
boissons fortes, elle tait incohrente et drgle. Il passait une partie de son
temps cuver son vin, dormir au pouvoir; mais ses rveils taient mau-
vais, terribles, dlirants; il y avait chez lui des alternatives de torpeur etde frnsie. Alors commencrent le supplice des ambassadeurs et la succes-
sion des dsastres militaires des Ottomans, dont la bataille du Saint-Gothard
n'avait t que le prlude.Un facteur politique important, de plus en plus prpondrant, reparut
ce moment sur la scne de l 'histoire des dmls des Turcs avec l'Europe,facteur ancien, oubli, nglig, mais qui psera lourdement dans la balance
des vnements, ct des Grecs; nous avons nomm les Roumains.
Les Roumains avaient eu la chance de ne pas se trouver sur la grande
route des invasions turques vers le nord. En Valachie, en Moldavie, ils con-servaient le bnfice des traits de soumission; moyennant l'investiture de
leurs princes par le sultan, ils n'taient gouverns que par des chefs riatio-
naux, n'taient astreints qu' un tribut modr et au contingent militaire; ils
n'avaient subir ni la prsence des Turcs, ni l'tablissement de mosquesdans leur pays. Quand leurs princes ne se mlaient pas d'intrigues polo-
naises, transylvaines ou hongroises, le sultan les laissait en paix; dans le cas
contraire, ils avaient tout craindre, car ils taient enserrs entre la Bulgarie
turque et le domaine des Tartares de Crime.
Or l'histoire des Turcs est, au
seizime et audix-septime sicle,
intime-
ment lie celle des Roumains. En effet, la rsistance la plus opinitre queles Turcs aient eu briser fut celle du peuple roumain. On le voit luttant
partout, associ aux autres nations qui ont combattre la puissance otto-
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mane, et lorsqu'il fut attaqu son tour par les Turcs, sa dfense fut si
nergique que les Ottomans durent employer leurs plus belles armes et
leur plus grande nergie pour vaincre les descendants des lgionnaires de
Trninn, qui surent dfendre avec vaillance la terre ancestrale, inosia ceamnre, comme les anciens roumains appelaient leur patrie (r). La seconde
moiti du dix-septime sicle est. remplie dans les deux Roumanics par les
luttes terribles des comptitions aux trnes, par les rvoltes des boyards et
par la misre effroyable du peuple, que dcimaient la famine et les guerrescontinuelles des Turcs avec les Occidentaux. Il est peu d'poques aussi
navrantes dans l'histoire de l'humanit, et l'on demeure confondu d'tonne-
ment qu'une nation qui eut subir, pendant plus de deux cents ans, des
calamits aussi tragiques, ait pu survivre de pareils dsastres et trouver
encore, en 1821, la force morale pour se relever et sortir du gouffre o l'avaitplonge la domination turque. D'autres faits importants retenir pour cette
poque ce sont d'abord l'extinction totale de la dynastie Bassaraba, puis
l'apparition de nouvelles familles rgnantes. Avec Constantin Sherban lassa-
raba, qui mourut Vienne en 1658, s'teint dfinitivement, quant aux mles,en Valachie, la dynastie des qui avait donn tant de princesillustres au pays. En Moldavie, les Rassaraba s'teignent aussi avec Ilias
Voda Rares en 1670, dernier des Musat. Les Bassaraba disparaissaient,
aprs cinq sicles de gloire historique (du douzime au dix-septime), dans la
tourmente qui avait aussi ananti l'autonomie de leur pays. Aprs eux, leurs
cousins, collatraux, neveux et parents par alliance ou par descendance
fminine, se disputrent les deux trnes roumains, avec ou sans l'aide des
trangers, surtout des Turcs. Cette perptuelle oscillation de la politiqueextrieure des princes roumains fut ds lors une des causes des malheurs deleur pays.
Des princes roumains de la fin du dix-septime sicle, Sherban Canfa-cuzne II (1679-1688) fut une figure originale et l'un des plus grands souve-rains de la Valachie, d'autant plus grand qu'il sut s'illustrer une poque
pleine de troubles et de calamits sans nom. A l'intrieur, il accorda ses
soins et son attention au sort du malheureux peuple, qui lui conservaune mmoire reconnaissante. Il nourrissait des plans grandioses pour sonavenir et celui de son pays, et les vnements parurent devoir d'abord luitre favorables. Les Ottomans avaient plant (1683) leurs drapeaux insa-tiables devant la capitale de l'Empire germanique, qui fut sauve heureuse-ment pour la chrtient et la civilisation. Aprs la bataille de Mohacz (1687),l'empereur Lopold avait envoy Sherban une lettre par laquelle il dcla-rait le prendre sous sa protection.
Sherban, assur de l'appui de l'empereur, rassemble aussitt une armeue 30 000 hommes et fait fondre
35 canons.
L'empereur envoie Bucarest
un Jsuite, le P. Aristide Dunod, pour encourager le prince travailler pour
(1) Voirnotre ouvrage Terre etracerountaines, p. 635.
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les chrtiens. Il lui transmet aussi un diplme dans lequel il nomme le princegnra] et lieutenant, et lui permet d'admettre d'autres princes dans la liguechrtienne; il lui promet l'hrdit du trne de Valachie dans sa famille,
lui concde tout ce qu'il reprendrait aux Turcs des possessions ayant ant-rieurement appartenu la Valachie, lui donne le droit de porter le titre de
comte de l'Empire et lui assure un refuge Sibiu, en cas de malheur. En
change de toutes ces faveurs, le prince s'oblige payer l'empereur
75000 piastres de tribut par an. Cantacuzne, dont l'ambition tait puissam-ment aiguillonne par la perspective du trne byzantin, entre galement en
relations avec le tzar de Moscovie, qui lui envoie un ambassadeur spcial
pour traiter avec lui.
Nanmoins, tous ces magnifiques projets croulrent. Il y avait en Vala-
chie un parti contraire l'alliance allemande et qui comptait mme parmises membres les deux frres du prince Sherban, Constantin et Michel, ainsi
que son neveu, Constantin Rrancovan. Cependant Sherban Voda avait tenu
les rnes de la politique avec une grande habilet, et son volution vers les
Allemands tait ncessaire. Une autre politique et t sotte et maladroite,
et, s'il avait t soutenu dans son uvre grandiose, les Pays Roumains
auraient depuis longtemps chapp la domination musulmane. On ne lui
laissa pas le temps d'agir, et il fut enlev, en octobre 1688, la fleur de
l'ge, plein de sant et de force (1).
Or, c'est vers ce
moment-l, en
1683, que le
grand vizir
Kara-Mustapha,soutenu par les Hongrois et Emerick Tkoly, envahit l'Autriche et marcha
sur Vienne. L'empereur s'empressa de quitter sa capitale, avec sa famille,sa cour et la plus grande partie de la noblesse, et se retira Linz. La capi-tale abandonne par le souverain, avec des fortifications dmanteles et une
faible garnison, semblait ne pas pouvoir tenir longtemps; le duc Charles de
Lorraine et le comte Stahrenberg la mirent en tat de dfense; les habitants
dployrent un courage hroque; les tudiants, les marchands, les bour-
geois, s'organisrent militairement et brlrent eux-mmes les faubourgs
qui auraient pu offrir un abri l'ennemi. Les Turcs ne tardrent pas s'em-
parer des ouvrages extrieurs; ils tablirent devant la ville un camp magni-
fique et commencrent un sige rgulier; ils ne tentrent pas moins de
dix-huit assauts; bientt la famine rgna dans la place. Le pape Inno-
cent XI, effray du danger que courait la chrtient, avait heureusement
dcid le roi de Pologne, Jean Sobieski (2), venir au secours de l'empereurGrce la mdiation du Saint-Sige, une alliance formelle avait t conclue
entre les cours de Vienne et de Cracovie. Lopold s'engageait mettre sur
(1)II est absolument inexact que le prince Serrinn Cantaeuzne ait t empoisonn parConstantin Brancovan. Nous en avons soigneusement recherch des preuves, que nous
n'avons trouves nulle part; l'affirmation de l'historien Tocilescu, timidement accepte parXnopol, soutenue par Jonnes