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Stardust Memories # 34 - DECEMBRE 09 SPIKE JONZE JAMES CAMERON AVATAR MARCO BELLOCHIO VINCERE SELECTION DVD

Stardust Memories # 34

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Stardust Memories # 34 - déc. 09

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  • Stardust Memories

    # 34 - DECEMBRE 09

    SPIKE JONZE

    JAMES CAMERON AVATAR MARCO BELLOCHIO VINCERE SELECTION DVD

  • Stardust Memories www.stardust-memories.com

    Une publication de:

    ASSOCIATION STARDUST MEMORIES

    c/o Daniel Dos Santos

    11 rue Erard

    75012 Paris

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    Directeur de la rdaction : Daniel Dos Santos

    Rdacteurs : Claire Babany, Sbastien Clro,

    Daniel Dos Santos, Suzanne Duchiron, Anne

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    Administration : Daniel Dos Santos

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    STARDUST MEMORIES - C/o Daniel Dos Santos

    11 rue Erard

    75012 PARIS

    Crdits photographiques

    Couverture : Where the wild things are Warner bros

    p 4 : Max et les maximonstres Maurice Sendak-

    Editions LEcole des loisirs

    p 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13 : Where the wild things are

    Warner bros

    p 14, 15 : Avatar Twentieth century Fox

    p 16, 17 : Vincere Ad Vitam

    p 18 : Hadewijch Tadrart Films

    p 19 : Un conte finlandais Epicentre films

    p 20 : La Domination masculine UGC Distribution

    p 21, 25 : Up Walt Disney studios

    p 22, 24 : Watchmen Paramount pictures

    p 26 : Ponyo sur la falaise Walt Disney studios

    p 27 : Synecdoche New York Oceans films

    Images et photos sous copyright et/ou libres de

    droits. Sadresser (ou pas) aux auteurs, mais les

    citer, toujours. Cest plus cool.

    ISSN: 1957-2956 Dpt lgal parution.

    Imprim chez Promoprint (Paris).

    STARDUST MEMORIES est publi mensuellement

    (jusqu ce que mort sen suive) par

    STARDUST MEMORIES (association loi 1901), chez

    Daniel Dos Santos, 11 rue Erard, 75012 Paris.

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    formules dans les articles, celles-ci nengageant que leur auteur.

    Nous mme, nous ne les approuvons pas. Dautre part, toute

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    lauteur, ses ayants-droits ou ayants-cause, est illicite (loi du 11

    mars 1957, alina 1er de larticle 40) ou bien doit tre faite trs

    discrtement. Cette reprsentation ou reproduction, par quelque

    procd que ce soit, constituerait donc une contrefaon sanction-

    ne par les articles 425 du Code Pnal et toute la fin de la Bible.

  • Art from adversity La condition humaine dans toute sa simplicit. En cette fin d'anne, on nous propose deux films attendus tout deux depuis la fin du millnaire dernier. Avatar de James Cameron. Et Where the wild thing are de Spike Jonze. Deux blockbusters ? Pas vraiment, puisque le film de Spike Jonze est frein dans sa distribution par divers conflits qui lui firent rater tous les festivals (on aurait, semble-t-il parl de Cannes), le poussrent un remontage (alors que Spike Jonze avait, par contrat, droit son final cut), puis enfin le retardrent dans sa sortie, l'oublirent dans sa promotion, le minimisrent dans sa distribution. Tout est relatif videmment. Le film de Jonze cota 100 Mil-lions de dollars ! Sauf justement qu' ce prix-l, la stratgie du film est suicidaire. Les studios dcident de la vie et mort d'un film. Where the wild things are fut envoy au pilori.

    Avatar au contraire, a bnfici d'une promotion qui tourne la propagande, au lavage de cerveau. Comme si Ava-tar n'tait plus qu'un produit de consommation idal, parfait, un aboutissement commercial d'un systme qui se perfectionne depuis une vingtaine d'anne : Hollywood.

    Parce qu'aprs tout, l'volution du cinma comme de toute forme de progrs nat du conflit entre deux systmes conomiques. Blockbusters contre systmes de diffusion alternatifs. L'exemple d'Avatar nous fait alors suspecter un conditionnement politique du cinma par rapport ses moyens de production et diffusion (vaste sujet dbat-tre). Comme si le cinma en tant qu'industrie conditionnait le cinma en tant qu'art.

    Car Where the wild things are, qu'on aurait tendance pour des raisons totalement lgitimes classer dans la mme catgorie de films qu'Avatar (conomiquement, c'est un blockbuster hollywoodien, structurellement, c'est une uto-pie, esthtiquement, c'est un film fantastique) est ontologiquement diffrent du film de James Cameron. Que ce soit dans son propos (le film de Spike Jonze s'oppose toute hirarchie politique, celui de Cameron prne le pou-voir du juste chef) dans son esthtique (le film de Jonze reproduit une esthtique documentaire, celui de Cameron prne un contrle et une prcision absolue), sa morale politique enfin (Spike Jonze n'ambitionne pas de transmet-tre un "message", Cameron use de mtaphore simplistes). D'un ct, Where the wild things are est un film foison-nant, ouvrant l'horizon politique des possibles. De l'autre ct, Avatar, s'autoproclamant rvolutionnaire, est en tout point un film foncirement fasciste.

    En cette fin de dcennie, la profondeur de l'expression "art from adversity" reste parfois insouponne. La soif de contrle et la volont de domination de James Cameron est l'oppose de la simplicit du Max de Where the wild things are. Car chez Max, elles sont toujours mises en doute, contestes (et Max court le risque de se faire dvorer) alors que chez Cameron, tout est hirarchie, personne ne court le risque de dfier le ralisateur et son go, sans doute de peur de se faire dvorer.

    DANIEL DOS SANTOS

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  • Max et les maximonstres

    Carol le maximonstre

    Film du mois

    Interview

    Autres Critiques

    Selection dvd

    Up Ponyo sur la falaise

    Watchmen

    Synecdoche New York

    Avatar

    Un conte finlandais Hadewilch

    La domination masculine

    Vincere

    7

    8

    12

    14

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  • 8

  • MAX ET LES MAXIMONSTRES Des annes en gestation, ladaptation du best-seller de Maurice Sendak Where the wild things are par Spike Jonze sort enfin en salles aprs moult pripties. Jug trop sombre, trop agressif, trop triste pour un public pour enfant, le film a subit en amont ce que le livre avait subit en aval lors de sa sortie. Mais est-il seule-ment pertinent voir chez Max et les maximonstres uniquement comme un film pour enfant ?

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  • Happiness isn't always the best way to be happy.

    Ce nest pas parce que la psychanalyse sest empare de la littrature, ou le cinma, pour enfant comme schma dtude des pulsions enfantines que tout livre, ou film, traitant des pulsions de lenfant est ncessairement un film ap-pelant une lecture psychanalytique.

    Demble, la question : quel film-pour-enfant est Max et les maximonstres ? est une mauvaise question. Car videm-ment, le terme est pjoratif. Quest-ce quun film pour enfants ? Un film qui par sa conception simple peut toucher directement des tres dge et exprien-ce rduits ?

    Dans ces cas-l, Spike Jonze propose de rvolutionner le genre, de dynamiter ses codes. Lconomie tout entire du film tourne autour dune simple proposition esthtique : lunivers cr, cette le des maximonstres est une le faite de fort darbres morts, de falaises, de dserts pas de couleurs, pas de frie, et cet univers tout entier est, tout comme le monde rel, film camra lpaule, comme un reportage. Lide tant de soustraire tous les artifices et toute la fantaisie que lon associe gnralement

    lenfance. Donc : plans courts, montage cut, clairage naturel tant que faire se peut, et crature faites de gros costumes poilus (donc matrielles et non numri-ques). De lartisanat mais pas dartifice.

    Lhistoire est celle de Max, un jeune garon trs seul. A lheure du dner, il monte sur la table et dit sa mre : Femme. Nourris-moi ! . Sa mre se fche, il menace de la manger puis la mord. Elle lenvoie dans sa chambre sans dner. Mais Max senfuit, court dans la nuit jusqu une petite barque abandonne qui le mnera sur lle des maximonstres.

    Par de nombreux aspect, le Max de Jonze serait le pendant masculin et pi-curien lAlice de Carroll, auquel il fera de nombreuses rfrences directes.

    Surtout, Jonze partage avec Carroll un mme sens du ludisme, une passion pour les jeux o les rgles sont incapables de construire un quilibre pouvant dpar-tager gagnants et perdants. Pour Car-roll, le jeu na pas de rgle, mais pour Jonze, le jeu na pas de structure ni de fin. Rares sont ce titre les films pour

    enfants mettant en scne le jeu pour lui-mme, en dehors dune conomie dap-prentissage (dans la majorit des Dis-ney, on ne joue que pour apprendre, ou bien on joue en chantant, cest--dire au sein dune organisation stricte et chor-graphie).

    Il est connu que Franoise Dolto d-conseilla vivement la lecture du livre de Sondak aux enfants. Les monstres se-raient des manifestations brutales et horribles de linconscient de lenfant, qui leffraieraient ou laideraient au mieux assouvir ses dsirs de puissance. Le rcit dinitiation choue si le personnage nacquiert aucune connaissance.

    Renversement structurel. Max et les maximonstres aurait premire vue tout dun Bildungsroman classique. Le jeune Max senfuit dans un monde imaginaire car il est incapable de faire face une ralit qui lui est hostile (soit une rupture entre une me pleine d'idaux et une ralit qui rsiste selon les mots de Jrgen Jacobs). L-bas, il ap-prendra faire face la ralit selon une volution dtermine. Enfin, cest la

    Ralis par Spike Jonze

    avec Max Records, Cathe

    rine

    Keener, James Gandolfin

    i

    sortie en salles

    16 dcembre 09

    10

  • prtendue immaturit de lenfant quil sagit l de renver-ser en la confrontant ses responsabilits et, in fine, en le rconciliant avec le monde. Seulement voil, rien de tout cela naura lieu et au cours de son priple, Max sera confront des personnages qui auront moins dexprien-ce que lui. Rsultat : linitiation est renverse, cest Max qui va apprendre aux monstres, leur apporter ses connais-sances, son exprience et non linverse. Max et les maxi-monstres nest pas un veil spirituel mais au contraire une rgression, un repli sur soi. Il chappe au schma type de ce genre de film. Pas daventure, pas de danger, pas de menace. Uniquement du jeu. Plaisir ici suprieur un bonheur ontologique.

    Alors, un bouleversement des rapports (trs Carrollien) sopre plusieurs niveaux :

    A un niveau purement visuel, les dimensions saffolent en pntrant dans lle des maximonstres. Tout dabord, les monstres sont simplement bien plus grands que Max alors pourtant que celui-ci simpose comme roi. Ceci initie un jeu visuel sur la perspective et les chelles de gran-deur : Max est un gant au milieu du micro-village cons-truit par le monstre se prnommant (justement) Carol, dans le dsert passe en arrire-plan un chien mais dont les dimensions sont encore bien suprieures celles des maxi-monstres, enfin lorsque Max explique Carol quun jour le soleil va mourir, ce dernier lui rpond : Look at me, Im big ! How could guys like us worry about a tiny little thing like the sun !

    Au niveau des rapports sociaux enfin. Et cest l que le film est vraiment subversif. Le film remet en cause lauto-rit parentale en gnrale (et lautorit fminine en parti-culier, Max nayant pour famille que sa soeur et sa mre) et la renverse.1 Max se veut une figure autoritaire et lors-que sa ralit sociale est incapable de le voir comme tel, il fuit. Mais il fuit pour devenir roi chez les maximonstres, feignant alors un pouvoir illimit pour tablir son ordre lui. Il reproduit alors un schma patriarcal avec ses mons-tres, alors mme quil est un enfant sans pre.

    Plus profondment encore, Max labore lorganisation politique dun ternel prsent, absout de toutes responsa-bilits autres que cette question quest-ce quon fait maintenant ? . Le roi dcide de quoi faire. Et le roi veut jouer car jouer lui permet dassouvir ses pulsions destruc-trices. Il fait lexprience, malgr lui, du politique et de la communaut. Et la conclusion laquelle il arrive est la fois potique, idaliste et concrte. Les maximonstres nont pas besoin de pre, de roi, ils nont besoin que deux-mmes (la seule raison pour laquelle ils avaient besoin dun roi tait dloigner toute la tristesse , ce quils ne peuvent faire quen restant ensemble). Le systme politi-que qui prvaut dans le film, cest lanarchie. Un univers sans ordre, sans autorit, une communaut des gaux. Plus aucune domination.

    Max et les maximonstres se rvle plus comme un essai sur lanarchie quun simple rcit dinitiation. Et dun point de vue strictement politique, Max et les maximonstres est bien plus passionnant comme tentative potique dtablir un schma structurel au sein dun microcosme social que comme lassouvissement simple de pulsions enfantines contradictoires.

    Aprs tout, Max et les maximonstres nest peut-tre quune splendide oeuvre de rsistance, (rsistance au monde, linjustice) sous lapparence dun film autiste, immature, contradictoire, enfantin, mchant car il ne pense qu jouer, se bagarrer, et au final, qu tre protger (par des igloos, des forts) du seul mal existant ici : la tristesse.

    DANIEL DOS SANTOS

    1. Dautant plus qu la fin du film, Max rentre chez lui, accueil-lis par sa mre et il mange, symbole quil a enfin russi affirm son autorit sur sa mre qui lavait auparavant priv de dner.

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  • Bonjour Carroll, tout dabord jaimerais vous posez une question sur le scnario du film : comment s'est pass pour vous le passa-ge du livre l'cran ?

    Grrr... dans le livre, au moins, on ne voyait pas

    quel point on peut se sentir triste et seul. Le livre

    ne laissait pas le temps de nous connatre, nous,

    les maximonstres. On ne voyait mme pas grand-

    chose de lle o nous vivons. Pour Maurice Sendak,

    ctait une fort luxuriante, trs verte, pour Spike

    Jonze cest un dsert, des rochers, des forts mais

    avec des arbres morts ou presque morts. Un paysa-

    ge moribond.

    Cela vous mettait mal laise de vous dvoilez autant ?

    Pff... moi, non ! Cest juste quon apparat diffrent,

    mchant diffremment. Grrrr... Apparemment,

    plus gentils, mais fondamentalement plus m-

    chants. Dans le film, on ne donne plus limpres-

    sion chaque instant quon sapprte manger

    Max, mais en mme temps, on ment, on se dispute,

    on se bat... et puis, en fait, on mangeait des petits

    enfants, on a mang nos anciens rois. Cest plus,

    mais cest autrement. C'est un autre forme de

    Mal, qui nat par le mensonge. Et le mensonge

    est li une forme de malaise, donc il engendre

    conflits, tristesse, etc.

    Je pense que c'est ce moment-l o l'on passe

    les limites de l'histoire pour enfants, celle pour

    adulte. Ce qui caractrise fondamentalement

    une histoire pour enfant, c'est une seule et uni-

    que chose : l'absence de mensonge. C'est tout.

    Maintenant, il faut dire que le livre de Sendak a

    ceci de gnial qu'il soulve la question de l'hon-

    ntet des maximonstres, sans y rpondre. Le li-

    vre est trop court. On ne sait pas vraiment si nous

    sommes capables de mentir ou non.

    Il me semble que le plus menteur de vous tous, a reste Max, non ?

    Evidemment, mais il faut aussi savoir nous appr-

    cier notre juste valeur et voir l'quilibre que

    nous formons avec Max. Ce n'est pas parce qu'on

    fait preuve de franchise que l'on est honnte.

    Transmettre et partager n'est pas tant un effort

    de celui qui donne que les futures chanes de ce-

    lui qui reoit. Cela cr une certaine obligation.

    Et c'est prcisment ce rapport-l qui se renverse

    au court du film dans notre relation avec Max. Il

    arrive parmi nous avec toutes ses histoires et ses

    ides, il arrive parmi nous comme notre roi. Mais

    bientt, c'est nous qui lui faisons partager notre

    univers et lui qui peu peu n'arrive plus assimi-

    ler. On voit bien alors que faire rentrer quelqu'un

    dans son intimit, c'est entretenir sur lui un rap-

    port de domination, en faisant croire une certai-

    ne vulnrabilit et donc, une certaine confiance.

    Or, l'intensit du lien que l'on entretient avec

    une personne ou un monstre ne se mesure pas ce

    que l'on veut bien lui transmettre. Mais au

    contraire ce qu'on en lui dit pas. Ce qu'on choisit

    de ne pas lui dire se justifie par notre vulnrabili-

    t face certaines choses, certaines situations.

    Paradoxalement vous tes trs expressif dans le film, notam-ment dans vos actes, vous dtruisez beaucoup de choses, alors que dans le livre non.

    Dtruire ! Grrrr.... Dans notre le, seuls, on apprend

    tre sage. Et on apprend se laisser aller. Quand

    on sait ou quon pense quon ne peut faire de mal

    personne, quand vous pensez que vous ne touchez

    plus personne, vous basculez. Rage, violence, des-

    truction sont souvent trs positives, vous pouvez

    au moins jouer avec. La destruction a quelque

    L INTERVIEW

    12

  • chose de trs ludique aussi. Cest un ludisme un

    peu dsespr je lentends, mais il donne lillu-

    sion bienfaisante dexprimer pleinement ce

    quon ressent lorsque ce ludisme destructeur est

    lui-mme gnr par des sentiments quon ne

    peut pas contrler et donc souvent, pas exprimer

    non plus. Evidemment, vous me direz que cest

    une sorte de folie [silence] Vous me direz que

    cest une sorte de folie nest-ce pas !

    ...Non, non, euh si vous voulez dtruire, dtruisez.

    Grr... Ce quon appelle folie, cest une sagesse pri-

    male. La folie ne soppose pas la sagesse dans le

    sens o Erasme lentendait.

    Vous avez lu Erasme ? Vous avez des livres sur votre le ?

    Grr... On les a tous mang, comme les imperti-

    nents qui posent des questions idiotes !

    Euh vous disez quErasme avait tord.

    Oui, il sous-estimait, malgr tout, la folie. Sre-

    ment que la sagesse, pour lui, cest le cartsianis-

    me. Eh ben, moi, je serais plutt bergsonien. Et si

    jai envie de dtruire cest que peut-tre jai une

    raison et peut-tre que je ne suis mme pas sr

    davoir une raison. Mais dune, a ne change rien

    laction et casser des arbres et des maisons, a

    peut tre plutt marrant et de deux, on se sent

    mieux aprs quoi qu'il en soit, ou du moins on se

    sent comme si on avait accomplit quelque chose.

    La destruction est une forme de cration. C'est

    une volution, par dfinition cratrice. Alors, on

    peut nous appeler des sauvages [wild things] mais

    moi je me dis que lart est aussi une forme de sau-

    vagerie. Aprs tout, si un sauvage est un crateur,

    un artiste, alors peut-tre quun artiste, cest aus-

    si bien un sauvage.

    Parlez-moi un peu de lorganisation sociale de votre le. Com-ment vous cohabit ensemble, vous les maximonstres ?

    Rrrr... vous voulez parler de la mtaphore politique

    du film. Ce serait idiot de simplifier a pour vous

    alors que moi, j'ai vcu le politique. Mais les cho-

    ses sont simples. La monarchie, c'est simplement

    le rvlateur de notre volont profonde d'anar-

    chie. Nous ne voulons plus tre triste. C'est tout.

    C'est poru a que nous avons besoin d'un roi. Au d-

    but du film, c'est notre dsir communautaire qui

    est incertain. Comment vivre ensemble ? Com-

    ment ne plus tre triste ? C'est a la vraie ques-

    tion ! Max est arriv comme notre roi, notre sau-

    veur. Mais ce qu'il nous a ordonn de faire pour

    nous sauver, c'est faire n'importe quoi. En gros, son

    autorit devient trs vite inutile. Tout ce qu'il

    nous apporte (mais c'est l'essence mme de notre

    organisation) c'est une conscience politique. C'est

    dj beaucoup. Nous n'avons besoin que de nous-

    mmes. Nous n'avons besoin de personne. Ni de roi,

    ni de chef. Nous nous suffisons. Et il n'y a rien que

    nous ne puissions accomplir par nous-mmes. Nous

    sommes tous les fragments d'un mme coeur

    nourri d'histoires tristes, d'amour et d'imagina-

    tion.... l'infini. Nous sommes ensemble. Nous

    sommes unique. Nous sommes immortels.

    PROPOS RECUEILLIS ET TRADUITS

    PAR DANIEL DOS SANTOS

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  • Depuis quelques annes, James Cameron prpare Avatar son autoproclam film r-volutionnaire, film ouvrant une nouvelle re, film inaugurant de nouvelle technique

    de prise de vue, film le plus cher de lhistoi-re du cinma promotion inclue Mais cest oubli que James Cameron est un pour tou-

    jours cinaste des 80s, (priode dj en ma-jorit regressiste, fascine par les 50s). Spectaculaire tape loeil, propos mani-chen au programme. Les chiens ne font pas des chats.

    Ralis par

    James Cameron

    avec Sam Worthington,

    Sigourney Weaver...

    sortie en salles

    16 dcembre 09

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  • Lesthtique industrielle du Hollywood contemporain est intrinsquement politique, puisquen vidant le cinma de sa consistance et de son effectivit, elle conduit la domination culturelle et conomique des Etats-Unis : comme esthtique de la clture, elle est esthtique impriale. En mme temps lindus-trie amricaine trouve dans ses grosses productions cinmato-graphiques lesthtique qui lui convient : vider les images de leur ralit pour mieux contrler les rseaux de leur circula-tion, clore les films sur eux-mmes pour mieux fermer la per-ception et imposer un modle dominant dapprhension du monde. 1

    Limage en relief srige en pure apparence, puissance explicite du faux, dautant plus quAvatarjuxtapose prises de vue relles et animation, humains et humanodes mimtiques, dont le tout vise former une cohrence dans sa tromperie manifeste, sa capacit se faire passer pour le rel, sans pour autant (filouterie du film) sen revendiquer pleinement.

    Concrtement, Avatar na aucune consistance. Esthtiquement, il est obsolte (le film est dans la logique esthtique du Holly-wood du dbut des annes 80, soit trs laid, color, simple, cari-catural, et surtout aujourdhui trs conventionnel, Cameron sera toujours un cinaste des 80s). Il donne avoir une somme de dtails inutiles, farfelus, incohrents pour former un mlan-ge trs inspir notamment par les cultures asiatiques et particu-lirement japonaises sans pour autant tre capable de supporter un rcit ou un propos. A chaque image, le film affirme sa fausse-t tant et si bien quil ne peut trs rapidement plus entrer en rsonnance avec la ralit et ne peut plus affecter la perception quen a le spectateur. Cest ainsi un cinma qui ne renvoie qu lui-mme et perd toute possibilit douvrir la perception, son esthtique est fondamentalement une esthtique de clture.

    Quels sont donc les enjeux dun tel film ? Outre le dfi techno-logique (cest--dire de nouveaux programmes informatiques crer, de nouveau systmes de codage mettre en place nom-bre de choses passionnantes donc), cest lhistoire dune utopie que Cameron tente darticuler. Et cause de cet aspect utopi-que, la mtaphore politique dun tel film est dun ordre diffrent de celle de films coloniaux tels Danse avec les loups, Le Nou-veau monde, Le Dernier des Mohicans auquel Avatar est trs facilement comparable. La ferveur de Cameron raliser le programme utopique, qui sexprime travers la conception ultra-dtaille de la plante Pandora, (informations dordre gologiques et biologiques) et la maigre laboration de structu-res sociales (information de lordre du politique) est symptoma-

    tique du concept dAvatar. Il nest pas question dalternative politique mais dalternative au politique. Le film se trouve alors entre deux lignes de descendance de lUtopie de Thomas More. Dun ct, il est bien dtermin raliser le programme utopi-que. Il sera systmique et englobera la pratique politique rvo-lutionnaire (le monde-cosmos des Navis). Dun autre ct, il poursuit un lan utopique plus cach mais omniprsent, qui se manifeste sous les formes de la diplomatie, la paix, un rejet des chimres commerciales2 (les colons terriens)

    Ici, lutopie sert clairement damorce lidologie (lesprance tant aussi, aprs tout, le principe des plus cruels abus de confiance et larme principale du totalitarisme via la propagan-de). Avatar est un film pour la paix, contre la guerre, pour la nature, contre la destruction de la nature pour un profit com-mercial, pour la biologie, contre la technologie Les grands cinastes (ou simplement les intelligents) savent viter un ma-nichisme propre inspirer le doute sur leur perception mme du monde ou la moralit de leur propos. Et il apparat mme clair quAvatar prne dlibrment un totalitarisme. Il sarticule comme un film de propagande, montre le totalitarisme sous ses aspects soi-disant positifs. Le film cherche ainsi promouvoir un systme moral, un code de conduite, un exemple , qui paradoxalement invitera le spectateur abandonner son huma-nit pour devenir compltement Navi : virtuel, trompeur, aux fausses valeurs, une imitation, une rptition, un tre sans consistance et dot dune substance intrinsquement program-me. Un tre dralis au coeur dun monde qui nexiste pas, suivant les dsirs raisonns quil na pas, esclave ternel de lici et maintenant.

    Cet tre, cest aussi bien Jake Sully, protagoniste du film, qui se transfrera dfinitivement dans le corps de son avatar la der-nire image du film3, que le spectateur, plong malgr lui dans un univers, sans issue, sans cette caractristique fondamentale de ltre humain : sa capacit faire erreur.

    DANIEL DOS SANTOS

    1. Vincent Amiel, Pascal Cout, Formes et obsessions du cinma amricain contemporain, Paris, Klincksieck, 2003, p. 39.

    2. A ce titre la subtilit de Cameron inventer de nouveaux noms touche le fond : le minerai que les humains cherchent extraire du sol de la pla-nte Pandora, ce minerai inobtenable sappelle lUnobtainium

    3. Oups ! le dernier plan du film est celui de loeil de lavatar de Jake Sully qui souvre, symbole concret de sa renaissance en Navi !

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  • Cest la brve description que lon rencontre un peu partout. Sans en savoir vraiment davantage, mis part que Bellocchio est un ralisateur dun certain ge, reconnu, on pourrait croire quun tel film chercherait mler histoire et glamour, en rendant plus hu-main Mussolini le dictateur par le rcit de son histoire personnelle et sentimentale.

    En ralit ce nest pas du tout de cela quil sagit. Certes, Mussolini est bien prsent et puissamment incarn, en tout cas pendant la premire partie du film. Cest un jeune homme tnbreux, fou-gueux, dont la dtermination sduit et fascine au-del de toute mesure la jeune et lgante Ida, propritaire dun salon de beaut intelligemment prsent par une alternance dimages darchives de canons fminins de style dbut de sicle et de squences filmes par Bellocchio. Donnant voir Mussolini par le regard admiratif, et mme soumis, de sa matresse, le film pourrait risquer de sublimer le monstre.

    Il nen est rien, car le scnario contourne cet obstacle de manire trs habile. Ida personnifie lItalie toute entire, tombe sous le charme du dictateur ; elle fut la premire, depuis Trente en passant par Milan, et en prira. Sduite et abandonne du jour au lende-main par un jeune Mussolini assoiff dambition, la jeune femme ralise progressivement et avec horreur ce qui lui arrive, et en rend compte dans lun des moments les plus poignants du film : Futur, quel futur ? Lhomme qui est mon mari et auquel je dois un fils ma compltement efface de son pass. Je ne suis mme pas un fant-me, je nexiste plus , dit-elle en substance, dune voix anormale-ment calme, au psychiatre qui tente de laider.

    Sans quelle en soit informe, Mussolini en a pous une autre. La dcouverte de cette trahison est magistralement mise en scne par Bellocchio : la rdaction du journal Il Popolo dItalia (fond par Mussolini avec laide de largent dIda, et moteur de la propagande fasciste), Ida, carte sans mnagement, aperoit par lentrebille-ment de la porte, dun regard horrifi et que les spectateurs nou-blieront pas de sitt, Mussolini embrasser sa femme et sa fille com-me si de rien ntait. Le retournement de situation est dampleur, puisque les premiers dveloppements de leur relation, lapparence passionnelle, avaient rellement de quoi faire illusion si ce ntait

    le regard fixe de Mussolini, dtourn dIda au cur mme de leurs treintes. Dautres indices, obscurs au dbut du film, sexpliquent : les visages hagards apparaissant de faon presque subliminale, au dtour dune scne, ponctuant les premiers moments de la liaison entre Ida et Mussolini. Cest une manire techniquement audacieu-se pour Bellocchio dannoncer la suite, qui participe dune certaine audace formelle caractrisant le film.

    Quoi quil en soit, cest la premire tape explicite du glissement dIda vers la mise lcart force et loubli. La guerre a clat, Mus-solini est bless. Tandis quau dbut de sa carrire il prnait le socialisme et le pacifisme, il a sans tats dme retourn sa veste pour devenir le plus fervent des militaristes. Mme chose pour la religion : anticlrical (comme il le confie dun air ddaigneux Ida la vue dun prtre), il finit par parvenir un compromis avec lE-glise symbolis par les Accords du Latran, faisant du catholicisme la religion dEtat. Derrire le lit dhpital de Mussolini bless, la Passion du Christ, la religion omniprsente. Ida se dbat pour garder lattention de Mussolini et chapper la misre qui la guet-te, elle et son fils, ne russissant qu provoquer de vains scandales.

    Vincere Ralis par

    Marco Bellochio

    avec Giovanna Mezzogior

    no,

    Philippo Timi

    sortie en salles

    25 novembre 09

    16

  • Tout comme il a tourn le dos ses ides anciennes, Mussolini a reni Ida et son enfant.

    Ida se retrouve donc seule, avec son fils, quelle a galement nom-m Benito (Albino), et auquel elle rpte jour et nuit quil est le fils lgitime de son pre. Elle ne se rsout pas son triste destin, r-clame son d, veut crier la vrit : elle crit au Pape, Mussolini lui-mme, aux plus hautes autorits du pays. Autant sadresser au Pre Nol. Non seulement ses lettres demeurent sans rponse, mais elle est mise lcart dans un asile psychiatrique. La condi-tion dIda est ambigu, et ce grce la formidable interprtation de Giovanna Mezzogiorno. Est-elle simplement obstinment com-battive, ou franchement drange ? Son obsession premire avec Mussolini, qui ne lui a jamais vritablement rendu ses regards passionns et dj inquitants, pouvait laisser prsager de son destin. Mais lorsquelle parle avec lucidit de son sort, il est diffici-le de la condamner.

    Lors de cette seconde partie marque par ce glissement vers la folie, latmosphre est toute autre : les regards hagards dIda, ses mouvements incohrents et dments, le dsordre de sa coiffure, la pauvret de sa mise, font contraste avec la jeune femme lgante et souriante des dbuts. Cest le dclin dune femme, et celui dun pays. Magnifiques scnes hivernales, lorsque Ida escalade les bar-reaux de sa prison, laissant chapper en vain ses lettres, qui sga-rent dans le vent et la neige, et qui font delle un personnage la fois pathtique, mais aussi potique, duquel se dgage une beaut glaante.

    Le propos devient plus large, et cest l o lon prend pleinement

    conscience de la richesse de luvre. Tout comme Michel Foucault et dautres lont signal, il est difficile de circonscrire la folie, pure-ment mdicalement du moins. Le spectateur ne sait pas si Ida est rellement folle ou non, tant le scripte et le jeu de Giovanna Mez-zogiorno entretiennent lambigut, mais l nest pas tellement la question. Ce qui est sr, cest que le pouvoir politique, en loccur-rence les fascistes, en ont dcid ainsi. Les institutions psychiatri-ques ont ici une fonction sociale indniable : cest l o se retrou-vent les gens diffrents, ceux qui gnent, ceux qui pour une raison ou pour une autre doivent tre mis lcart du reste de la socit.

    Dans Changeling, Clint Eastwood traitait galement ce thme. Christine Collins (interprte avec force par Angelina Jolie) refu-sait de reconnatre que le petit garon qui lui avait t remis par la police tait son fils. Ses dclarations taient gnantes pour le pou-voir en place (la police, les mdias) ; elle sest donc retrouve mise lcart lasile. Ida Dalser et Christine Collins sont des person-nages diffrents, mais ont en commun cette lutte isole et dsesp-re contre le pouvoir dominant.

    La bande originale (compose par Carlo Crivelli) accompagne et

    met en valeur les moindres scnes comme les grands tableaux. Ida marche la rencontre de Mussolini dans les bureaux de la rdaction du journal Avanti!, auquel il participait avant de fonder Il Popolo dI-talia. Une musique la fois alerte et inquitante laisse prsager du danger qui pse sur la jeune femme ; elle veut voir Mussolini, mais toutes les portes se ferment, elle doit escalader le mur pour laperce-voir. Dj, ses ambitions et sa propre folie le sparent delle.

    La musique est associe avec intelligence au cinma, lintrieur m-me du film. Dans une scne digne du cinma muet des annes 1920, en particulier allemand, alors que Mussolini et Ida sont au cinma, Mussolini se prononce avec passion en faveur de la guerre. Sensuit un affrontement entre bellicistes et pacifistes, tandis que le pianiste continue daccompagner de manire presque dmente les actualits diffuses sur le grand cran. A dautres moments, des airs dopra donnent au film une tonalit lyrique qui sied particulirement au rcit.

    LHistoire est omniprsente, et sinvite au travers dimages darchives allant de lattentat de Sarajevo jusquaux discours de propagande du Duce devant le peuple italien. Cet entremlement du documentaire et de la fiction, un rythme effrn, donne limpression dune fuite en avant du rcit de Bellocchio et de lHistoire, qui nest pas sans rappe-ler le mouvement futuriste dont au cours du film Mussolini loue la vitesse et le mouvement. Bellocchio lui-mme qualifie son film de mlodrame futuriste , associant le futurisme la monte en puis-sance du dictateur, et le mlodrame au dclin dIda.

    Le film pouse le point de vue de cette dernire, dans la mesure o une fois mise lcart, Mussolini ne sera plus vu que par la lentille officielle, les images darchives, de propagande. Le personnage fictif de Mussolini disparat en mme temps que lamant, il nest plus quu-ne figure publique, seulement reprsente par le documentaire. Lac-teur Filippo Timi ne refait surface que pour interprter Benito fils, puisque le pre est devenu cette figure abstraite et politique, cet hom-me cumant aboyant devant les foules dont le fils renverse le buste, comme pour se dbarrasser de cette paternit crasante. Il ny par-vient cependant pas, et devient une caricature grotesque du pre, dont il imite les discours fulminants.

    Ainsi, Marco Bellocchio signe un film sombre la structure intelli-gente et captivante, latmosphre sonore et visuelle impressionnan-te et potique. Le rythme est matris et la fin saisissante, avec la dclaration de guerre du Duce la France et la Grande-Bretagne devant les foules, contenant lexhortation et le titre du film : Vincere ! ( Vaincre ! en italien).

    Vincere est lhistoire dIda Dalser, et en creux celle de lItalie toute entire ; Ida Dalser, qui sest jete dans un amour passionn et des-tructeur, et dont le destin fut ananti par Mussolini, tout comme celui de tant dautres individus. Elle fut cependant coupable, davoir dlib-rment et entirement remis son sort entre les mains dun tel person-nage tout comme, malheureusement, tant dautres individus.

    CLAIRE BABANY

    17

  • Rien que par son nom, elle se fait remarquer. Hadewijch, toute jeune postulante dans un couvent de religieuses du Nord de la France, est une jeune fille en mal de reconnaissance, da-mour et daffection. Sa ferveur religieuse masque son manque de foi, car dans lamour quelle croit porter Dieu, cest elle-mme qui se regarde. Cette illusion, les vieilles soeurs lon bien remarqu. Elle refuse les rgles, sinflige pnitences et mortifications, un comporte-ment qui dnonce un orgueil bien loign de lhumilit et de labaissement sacerdotal. Le film commence donc par le renvoi de la postulante dans le monde, afin que cette dernire prouve sa foi en toute libert. Des campagnes humides nous voici alors dans les rues paves de lle St Louis, et de la cellule troite du clotre, Cline arrive dans limmense et luxueux appartement de ses parents. Paris est alors loccasion de

    rencontres, dans cette ville sans frontires, o la jeune fille entre dans un caf, passe du comptoir la table de trois banlieusards maghrbins, puis des quais de Seine dans un dcor au clair de Lune aux cits des banlieues et jusquau Moyen-Orient. Ces prgrina-tions spatiales illustrent bien le cheminement intrieur de la jeune femme en qute de la-mour de Dieu mais aussi dexotisme, qui rpond sinc-rement lappel divin mais ne parvient pas recevoir la sim-plicit de son message.

    Car en fait dabandon au Sei-gneur, la jeune Cline est sans cesse dans lexigence et la pro-vocation. A la recherche de manifestations sensibles du divin, elle passe ct de la-mour du Christ tout en dplo-rant de ne pas le trouver. Bru-no Dumont dcrit dans ce film lillusion religieuse qui nat de la recherche de sensations, de

    ce narcissisme humain vou-loir sentir la prsence de Dieu. Lhrone ira mme jusquau terrorisme, et jusquau mal scandaleux de lattentat pour prouver son besoin de secous-ses. Le cinaste filme la fragili-t humaine au travers de cette frle et dlicate personne, au verbe rare et au regard timide, et pourtant dtermine et sans peur. En manque daffection, en mal de reconnaissance, elle cherche se faire une place, et trouve refuge auprs dun Dieu quelle invente plus quelle ne cherche. Antagonisme vivant, fragile et dure la fois, dune scne lautre elle est petite fille son chienchien ou ado-lescente rebelle qui insulte son pre, femme ouverte aux cultu-res trangres ou bute dans des convictions intgristes. Ces variations pourtant jamais ne sonnent faux, tant lhrone de Dumont semble perturbe et en recherche. Le paradoxe, cest que Cline a besoin da-mour mais se refuse lamour. Cline refuse dadmettre que Dieu est l, comme laffirme Khaled, un jeune musulman

    Ralis par

    Bruno Dumont

    avec Max Records, Cathe

    rine

    Keener, James Gandolfin

    i

    sortie en salles

    16 dcembre 09

    La tactique extatique de Bruno Dumont

    HADEWIJCH qui sest approch delle au caf ainsi que Jsus aborda la Sa-maritaine prs du puit. Assoif-fe de Dieu, notre hrone se trompe de source car elle ne parvient pas voir le Christ dans son prochain, alors quil lui tend pourtant les bras chaque instant. Le jeune Kha-led, dans sa navet et dans ses faiblesses, est bien plus proche de Dieu que Cline qui se croit pure, car il est lcoute, il sexcuse, et il aime spontan-ment. Les scnes dintimits entre Cline et Khaled sont bouleversantes de vrit. La justesse des dialogues et de leur interprtation font de ces moments de vritables perles de cinma, dans lesquels le dsir des personnages est pr-gnant tandis lobjet reste ind-fini, puisque lune semble ten-dre vers lamour dsincarn et lautre vers lamour terrestre. Khaled est franc dans ces hsi-tations mmes, Cline reste fuyante, secrte. Inaccessible aux hommes, elle ne peut acc-der Dieu. Refusant le juge-ment, elle est persuade da-voir raison, dtre digne dun

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  • amour exceptionnel et dtre la seule le comprendre. Mais en repoussant Khaled au bord du fleuve, elle rpugne en fait se mouiller : elle se soustraie au baptme, et leau qui la puri-fiera finalement.

    Car en dpit de sa ferveur reli-gieuse Cline doit bien admet-tre quelle est malheureuse. Lorsque Nassir, le grand frre fru de thologie de Khaled, lui parle de linvisibilit du Sei-gneur, elle pleure de douleur, car elle ne supporte pas cette absence de manifestation. En suivant le parcours de la jeune fille en qute de spiritualit, on comprend alors que le divin se manifeste dans le cach, car il est partout, et quon ne peut le dissocier du rel comme sou-haite le faire Cline. Pour la jeune fille, Dieu est dans les symboles : dans son chapelet,

    sa croix, la musique sacre quelle coute lglise. Mais nest-il pas aussi dans cette musique rock coute sur les quais de Seine, dans laffection que lui porte Khaled, dans les propos maladroits de son pre qui la questionne sur sa jour-ne ? Dumont transforme en effet chacun de ces moments le concert de rock, les rendez-vous avec Khaled, le trajet en voiture de la jeune fille avec son pre en vritables s-quences dadoration, o le temps est suspendu, et la rali-t extrieure occulte. Lenvi-ronnement est utilis comme un dcor rigide qui met en valeur lvnement qui est en train de se drouler sur la sc-ne. Chaque lment de lintri-gue sinsre ainsi dans le grand spectacle du monde, et entre dans le schma de

    contemplation de lattitude chrtienne. Seul le regard de la jeune fille est triqu dans une vision gocentrique et misra-blement humaine. De retour au couvent, sous une pluie diluvienne, les gouttes deau offrent au regard de Cline une vision dformante du rel, vision quelle sest construite pour chapper la duret du monde. Mais on ne peut tre seul avec Dieu, dcouvre-t-on par lexprience de Cline. Il lui aura fallu une bonne dou-che pour sapercevoir quon nest avec Dieu que lorsque lon est avec les autres, et que lon sabandonne, comme dans cette squence finale o elle est sauve de la noyade par cet ouvrier, dlinquant rcidiviste travaillant sur le chantier de rparation du couvent. Comme Khaled, David est humble et

    Un bb qui nat la veille de Nol, trois amis denfance qui se retrouvent aprs des annes de sparation Nos Roi Ma-ges finlandais arrivent en por-tant avec eux rancoeur et hai-ne, mais finiront par ouvrir leur coeur et offrir en cadeau leur humanit partager.

    Dans ce film sans effets ni esthtisme, peinture raliste et terne dune socit misrable, le frre du ralisateur de Lhomme sans pass, tudie des personnages accabls par le poids de leur histoire, au seuil de la cinquantaine et relisant le sens de leur vie. Ces anti-hros exercent pourtant

    des mtiers qui font rver : acteur, photographe et com-missaire de police, Rauno, Erkki et Matti sont trois ra-diographes de leur existence, lun par la rptition, lautre par lobservation, et le troisi-me par linvestigation.

    En quasi huis clos dans un bar karaok dsert, tandis que les verres se vident et se remplis-sent, le trio va se faire du bien et se faire du mal, dans un ballet doux-amer et plein de charme.

    Port par la performance de ses acteurs, le film compose un grand travail sur la psycholo-

    gie des personnages. Atta-chants dans leurs faiblesses, leurs hsitations, et le ct puril quils semblent conser-ver de leur amiti initiale, les trois hommes jouent en une soire leur vie elle-mme, et, tels lenfant de Nol, renais-sent ici dans leur virginit originelle.

    La prsence de la chanson donne beaucoup de charme au film. Quand ils chantent, les personnages se mettent nu, se rvlent dans leur fragilit, et font le don deux-mmes. Mika Kaurismki nous prsen-te un film trs humaniste, voi-re mme chrtien : les person-

    Ralis par

    Mika Kaurismaki

    avec Max Records, Cathe

    rine

    Keener, James Gandolfin

    i

    sortie en salles

    23 dcembre 09

    nages trouvent le bonheur dans la charit. Ce sont tous des pres Nol.

    Alors que la mort rode, que la jalousie pointe dans les re-gards mfiants, que la ran-coeur est tenace et que la ven-geance et la violence sont pr-gnantes, pourtant, les trois comparses vont finalement rester amis. Tout est bien qui finit bien, et cest pour a que cest un conte, mais un conte de Nol, nest-ce pas un mira-cle bien rel ? Mika Kaurism-ki a russi ici rendre la vie magique et la magie ralit

    SUZANNE DUCHIRON

    pauvre de cur. A sa deuxi-me sortie de prison, il garde confiance, et promet sa mre de se tenir sage et davancer . De mme que Khaled aprs quil ait vol un scooter, il nest pas fier. Il est pcheur, mais il sen repend. Heureux les pauvres de coeurs, le Royaume des Cieux est eux. Ces mes simples ren-contres en chemin sont des tmoignages vivants de la-mour du Christ, ils sont la vie, lesprance humaine. Khaled a compris mieux que Cline que Dieu tait l pour tous, que Dieu tait parmi les humains, et non dans les exercices spiri-tuels de haute voltige auxquels elle dsire se livrer. Dans les bras du criminel, cest finale-ment Cline qui est repche.

    SUZANNE DUCHIRON

    19

  • Voici un film dont le titre avait des odeurs de Premier sexe dE-ric Zemmour et qui a en fait le got dune grenouille farcie.

    Cette grenouille princire si on lembrasse des saveurs de poulet. Petit coq touchant de fragilit, lorsque nous voyons lcran ce membre du mouve-ment canadien anti-fministe, interview avec son caniche gant et qui se plaint de la femme qui a tout selon lui.

    La femme daujourdhui aurait donc lenfant, la toge de lavo-cate, des gros seins et les clefs de la bagnole. Plus besoin de lhomme. Lhomme au caniche a dailleurs dessin un magnifi-que portrait reprsentant une terrible Joconde aux hottento-tes pour illustrer ses peurs.

    Pourtant un autre homme, Patrick Jean, le ralisateur du film, voit les choses autrement, et exerce lavantage que lui donne son sexe : limpartialit.

    Une uvre sur le mme sujet crite par une femme naurait peut tre pas eu le mme recul sur les choses, cela confre en tout cas au propos une certaine crdibilit.

    Selon P. J., les fministes dau-jourdhui ne se battent plus contre des aberrations concr-tes qui leur ont t infliges par le pass : animaux soumis, reclus la maison, qui nont ni

    le droit de vote ni la possibilit de bien gagner leurs vies. Car ces combats ont t gagns sur le papier, et leurs victoires promulgues par des lois, au-jourdhui elles peuvent mme entrer Polytechnique ! Oui, mais le film revient sur laffaire Marc Lpine Montral, o 15 femmes, si elles ont pu intgrer la prestigieuse cole, nen sont pas sorties vivantes, fusilles dans une atroce Co-lombine/connerie misogyne. En effet, le 6 avril 1986, l-cole Polytechnique de Mon-tral, un certain Marc Lpine a fusill 15 femmes avant de se donner la mort.

    Le film revenant sur la lutte finalement sanglante qui a amen la femme lgalit, nous dit aussi quaujourdhui elle doit lutter contre linvisi-ble domination masculine. Lut-te invisible ou soumission si-lencieuse au joug ? Car que fait-elle notre avocate/ Jo-conde, lorsque loeil torve, elle prononce le mot : ptisserie , dans un speed dating dprimant.

    La domination est donc par-tout : chez Toys R us o les lego et la dnette sont dos dos dans les interminables rayons, dans limagerie des livres pour enfants, o la petite fille rve, tandis que le petit garon construit, agit. On voit

    la femme qui attend toujours et encore et cette autre du speed dating qui explique avec petit geste de main de bas en haut rustique et typique que lhom-me doit tre au dessus sociale-ment, celle qui annonce avoir offrir sa gentillesse, sa patien-ce, celle qui attend que lhom-me soit sr de lui.

    Le film miroir pas si dformant et pourtant alarmant de ce que peut tre la fminit daujourd-hui fait beaucoup rire, et dit des vrits, cruelles pour tous.

    Et les rapports hommes/femmes dans tout cela ? Il est ici beaucoup question de satit et dart mnager et peu de sexe dailleurs. Car lart mnager est bien la seule qualit artistique que Leo Ferr attribue la femme dans un extrait qui lui est consacr. Dautres archives documentaires y supputent que la femme est la femme de m-nage de lhomme, car quel outil rabote, cot, nourrit et avec le sourire cest encore et tou-jours la femme ! Quelle mer-veille.

    Cette galit nouvelle est per-ue par certains, comme une indigne perte de pouvoir, et cest comprhensible. Si jen-tendais dire un jour quil fut un temps, o un individu pouvait rentrer chez lui trouver son linge repass et le couvert mis, et que cet individu appartenait

    Ralis par Patric Jean

    Documentaire

    sortie en salles

    25 novembre 09

    20

    mon genre, je ferais tout pour regagner ce pouvoir perdu. Alors, ne blmons pas les mi-sogynes, il nest quhumain que de vouloir profiter dun droit ancestral !

    Non, ce qui est plutt regretta-ble en fait, cest pourquoi per-sonne ne se demande ce qui fait que les relations entre les sexes doivent se cristalliser autour dune chemise mal rabot ou du droit mal se comporter avec une personne parce quelle ne ramne pas assez dargent la maison ?

    Il est difficile de comprendre dans ce discours ce que cela peut avoir voir avec un quel-conque rapport avec une rela-tion entre deux tres humains quasi civiliss et qui plus est animaux ! Car les animaux ne font pas le mnage. Non ! Le progrs narrtera pas la domi-nation masculine. La plus habi-le des machines soutenant lart mnager ny fera rien ! Celle-ci cessera peut-tre le jour ou nous reviendrons la sauvage-rie qui fait de nous des faunes gaux.

    Le capitalisme a tu lamour.

    La domination masculine. Un film qui suscite de multiples interprtations et dbats, voir absolument. Tout ce qui est racont plus haut et bien plus encore

    ANNE SABATIER

  • Dossier Dvd

    21

  • Au-del de la profonde posie de ses corps et de ses figures, de lin-tensit motionnelle et esthtique quil dploie, Watchmen (probablement le film le plus passionnant quon ait vu depuis plu-sieurs annes) reprsente laboutissement dune rflexion historique sur lAmrique du XXe sicle travers tous ses maux politiques, sociaux, psychologiques et psychosomatiques Un film-ogre donc, qui raconte lhistoire dun groupe de super hros la retraire qui se font dcimer un un.

    NIGHT HOWL II

    What happenned to the american dream ?

    THE COMEDIAN

    It came true. Youre looking at it !

    Ralis par

    Zach Snyder avec Malin Akerman, Billy Crudup... Editeur

    Paramount Home Entertainment Sortie en dvd / blue-ray (dition ultimate)

    le 01 dcembre

    22

  • Watchmen problmatise le rapport de lA-mrique la guerre. a a lair assez com-mun, dit dentre de jeu, mais au moins on pourra contourner un temps la question pnible (et souvent partisane) : quoi sert luchronie ? ou dans notre cas : quoi cela sert, quest ce que cela veut dire de placer lhistoire de Watchmen en plein milieu des annes 80 ?1

    Je n'rige pas de nouvelles idoles ; que les anciennes apprennent d'abord ce qu'il en cote d'avoir des jambes d'argile. Renverser ces idoles (mon mot pour idaux ), ce serait plutt l mon affaire.

    La ralit a t dpouille de sa valeur, de son sens, de sa vracit un degr gal la fabrication dun monde idal Le monde rel et le monde apparent pour tre exact : le monde fabriqu et la ralit Le mensonge de lidal a jusquici t de jeter lanathme sur la ralit, et travers cela lhumanit elle-mme est devenue menson-gre et fausse jusqu ses plus profonds instincts jusquau point de clbrer les valeurs inverses celles qui seules pou-vaient lui garantir prosprit, avenir, et le droit exaltant un futur. 2

    Voil qui pourrait prsenter exactement la nature de Watchmen. Le film est lexagra-tion des idaux amricains, une histoire exacerbe de lAmrique, une ralit fabri-que mais idale.

    Les super-hros sont videmment les ido-les parfaites pour appuyer une telle r-flexion. Le super hros a dailleurs toujours fait parti dun imaginaire guerrier, les prin-cipaux (les plus clbres) super-hros des comic-books amricains sont ns dans un monde instable et belliqueux, cest--dire la veille et le plus souvent pendant les grandes guerres amricaines (respectivement, la seconde guerre mondia-le pour les hros de DC Comics et la guer-re du Vit-Nam pour ceux de Marvel) et reprsentent avant tout un fantasme glo-rieux de victoire par la force. On se rappel-le peut-tre que le hros de DC Comics Captain Amarica (une des sources dinspi-ration du hros Dollar bill ainsi que dans une moindre mesure du Comedian ) nhsita pas mettre son poing dans la figure dHitler et mener les troupes amricaines la victoire. Et cest bien cette question absurde et paradoxale que pose le film : et si ctait vrai ? et si le rve amricain, tel quil est exprim tra-vers sa pop culture, son inconscient collec-tif, se ralisait ?

    videmment, le film est bien plus com-plexe quon ne pourrait le croire. Il ne se contente pas de simplement dexpliciter le fait que morale et justice ne se confondent pas (la grande majorit des films de super-hros, au mieux, en arrive ce point). Il problmatise le rapport des super-hros lHistoire. Mieux, les hros de Watchmen somatisent eux seul tous les dsirs de lAmrique, ils sont les fragments clats dun modle unique impossible reconsti-tuer.

    Le gnrique (sublime et passionnant) nous introduit parfaitement ce modle. Fonda-mentalement, il y a deux faons de traiter formellement, narrativement luchronie. Dabord, partir dun vnement cl, le cours de lhistoire (la ralit) diverge radi-calement de celle que nous connaissons : lapproche classique. Lautre approche, plus dconstrutioniste (qui porte certainement lhritage du Matre du Haut chteau de Philip K. Dick autant quune influence certaine de la dystopie), consisterait crer un cours du temps parallle mais dans le-quel pourrait se drouler, plus pisodique-ment des vnements tels que nous les connaissons. De ce fait, la question de lori-gine est en soi un nouveau problme (o commence luchronie ?) qui entranera avec lui la question essentielle (et ce sont l les enjeux dune telle histoire) de la valeur de la ralit.

    Ici, lorigine de luchronie est assez viden-te. Elle commence avec lapparition des premiers hros masqus, la fin des annes 30. Donc voil ce que le film nous propose : concevoir la naissance de la ralit fiction-nelle au mme moment que son apparition en tant que fiction (en tant que signes) dans la ralit. Il sagira en gros de satta-quer la dernire grande mythologie am-ricaine travers la figure du super-hros. Nous nous trouvons face un effacement des frontires entre lart (art ici de la pulp culture en premier lieu) et la vie.

    Mais le film a lintelligence de ne pas re-jouer la reprogrammation du mythe des super-hros (ce que fait par exemple Incas-sable de M. Night Shyamalan), au contraire il le dprogramme. Et l encore, le premier rflexe serait dlever le film de super-hros la sphre de la haute cultu-re (rappelons dailleurs que Time maga-zine compte le roman graphique Watchmen de Alan Moore et Dave Gibbons parmi les plus grand roman de langue anglaise du 20me sicle) ce qui viserait dconnecter

    Watchmen de sa source, son sujet, et enfin le lgitimer comme un futur classique, pour de mauvaises raisons, au nom de principes rtrogrades.

    Les composants du post-modernisme selon Mike Featherstone comprennent entre autre :

    La chute dune distinction hirarchique entre haute culture et culture populaire ; une promiscuit stylistique favorisant l-clectisme et le mlange des codes ; parodie, pastiche, ironie, jeu et la clbration de la surface dpourvue de profondeur de la culture ; le dclin de loriginalit/du gnie de lartiste ; la supposition que lart ne peut tre que rptition 3

    Cest dans le but de crer cette trange schizophrnie culturelle et artistique que Zach Snyder (qui semble depuis 300 vou-loir pousser ses limites un pop-art cin-matographique) met en place une promis-cuit de rfrences artistiques qui sont autant de signes dpourvus dun sens clair, autant de simulacres dpourvus dune rali-t cartographiable (les rfrences la pein-ture de Lonard de Vinci ou Michel-Ange sont videntes et reconnaissables par tous mais que disent-elles de la ralit ? quels liens entretiennent les musiques de Bob Dylan, Simon & Garfunkel, Mozart, Wa-gner et The Philip Glass Ensemble entre elles et avec le film ?). Et qui finalement ne nous dit que cela : la ralit nest plus, et lHistoire du monde nest plus quun amas de signes impossible dcrypter, dvne-ments impossible vivre. Et cest bien l la force extatique du film : ne jamais permet-tre didentifier des symboles reconnaissa-bles et amputables un discours ferm, tre plutt dans la mlancolie des systmes et des idologies. Lenjeu esthtique serait alors de crer un muse-univers de toute la culture (classique, moderne, contemporai-ne) et finalement den faire le tombeau.

    En sapprochant de plus prs de la figure du super-hros, on voit videment que le travail de dmystification (qui se produit par linsertions de signes du rel, par exemple : Dollar Bill est un super-hros avec un cape rouge que lon retrouve mort par balle ; sa cape tant reste coince sur une porte tournante, il a t pris au pige) est un travail aussi bien sur les corps (il ny aura quun seul super-hros dot de pou-voirs, Dr Manhattan, tous les autres n-tant que des gens ordinaires portant des costumes avous ridicules) quun tra-vail social (ces hros masqus sont des

    La dernire chose que jirais promettre, ce serait damliorer lhumanit.

    Friedrich Nietzsche

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  • sociopathes, schizophrnes, psychopa-thes et regroupent eux seuls une large tendue de toutes les psychopathologies connues) quun travail moral et plus vaste-ment thique (ces fous sont des tueurs, violeurs, terroristes et la notion mme de justice fait problme devenant elle aussi une ide illisible. Il est question de dtruire non seulement la reprsentation canonique du super-hros (esthtique, plastique) mais aussi sa valeur et notamment sa valeur de modle (ici il ne semble y avoir que des modles mais tout est simulacre).

    A ce titre, il est intressant de se pencher sur le seul personnage dot de rels pou-voirs, Dr Manhattan, et de voir comment il est trait, quels problmes historiques il soulve, quelles contradiction il met jour, ce dont il est lallgorie4. Sous des traits qui font de lui une sorte dhomme de Vitru-ve bleu (et lhomme de Vitruve, qui consti-tue ici la deuxime et moins explicite rf-rence Lonard de Vinci, a les proportions dun homme normal, ce qui est la seule mesure de normalit du personnage du Dr Manhattan) il est lallgorie dune culpabi-lit atomique amricaine. Il soulve dabord un problme phare, une hypocrisie certaine

    au cur de toute diplomatie : toute dissua-sion, mme au nom de la justice, est fonde sur la peur et donc sur une forme (mentale) doppression. Comme il est larme ultime, il pousse, il est le moteur inpuisable de la course larmement de lURSS (et donc indirectement des tats-Unis) ce qui entre-tient la menace dun holocauste atomique. La fin du film (absolument brillante et quelque peu diffrente du roman graphi-que) confirmera sa responsabilit (indirecte mais certaine) dans lholocauste invitable provoqu au nom de la paix. Dr Manhattan finira dailleurs par rduire en cendres la seule personne assoiffe de vrit (personnage dont nous tairons le nom mais qui dira plus tt : mme face face avec lApocalypse, je ne ferais jamais de compro-mis ) et limage de ces cendres sinspire directement des photos des corps calcins dHiroshima dont il ne restait plus que des traces sombres, des ombres ensanglantes sur le sol.

    Lallgorie que vhicule Dr Manhattan va, sur le plan personnel, runir lide matres-se de la destruction de la figure archtypale et patriarcale du hros. Deux personnages, un homme et une femme dbout et nus au milieu dun dsert sembrassent. Derrire eux une explosion atomique. Cette femme,

    Laurie Jupiter, cest la petite amie du per-sonnage de Dr Manhattan depuis une quinzaine danne. Cet homme, Dan Drei-berg, est un ancien hros masqu faisant parti du groupe des Watchmen quand celui-ci existait encore. Outre la menace pour les personnages dune prsence atomique qui lointainement rappelle la prsence m-me de Dr Manhattan (rappelons quaprs chaque tromperie de sa petite amie, il est prsent), lhomme, Dan Dreiberg a des problmes drections (qui nont a priori rien doccasionnel) quil ne peut rsoudre que par la stimulation que provoque chez lui les costumes de super-hros. Dans ce rve, son rve, les deux personnages nus sarrachent la peau, sous celle-ci il y a leur costume, et alors le rapport sexuel est pos-sible. Cet exemple trahit lide gnrale que tous ces personnages sont avant tout atteints de dsordres sexuels. Ils ne sins-rent pas du tout dans une logique conser-vatrice de la famille. Il y a videmment quelque chose de ftichiste vouloir se costumer. Et outre des problmes dim-puissance, nos hros ftichistes (voire sadi-ques ou masochistes) ont simplement aban-donn toute ide de rapports sexuels (et ce pour deux raisons, nous y reviendrons) ou sont bien souvent homosexuels. De toutes les faons, lide mme de reproduction est une ide abandonne (il ny a donc pas de futur possible) et la nostalgie dune famille idale (qui nexiste simplement pas dans lunivers du film) hante chacun des person-nages comme un exemple de normalit inatteignable.

    Si lide de rapport sexuel est abandonne cest cause dune autre menace, cette fois-ci microscopique, le SIDA, dont divers signes viennent nous rappeler le dan-ger. Noublions pas dailleurs que lhistoire se droule dans les annes 80 o lon prend connaissance de lexistence du virus (que lEglise pensait la punition aux mauvaises

    murs). Le seul personnage dailleurs avouer avoir ce cancer qui ne se soigne pas est un ancien super-vilian homo-sexuel. Le personnage de Dr Manhattan senfuit sur Mars aprs quun journaliste lui dit quil provoque le cancer chez les gens quil aime. Sur Mars, il cre une gi-gantesque horloge elle-mme limage des clichs du VIH (sorte de sphre couverte de pics ou aiguilles), etc. Les signes sont multiples, et il serait intressant de consi-drer le court extrait de Nietzsche cit en dbut de texte comme une menace sur

    toutes les murs sexuelles rprimandables

    par lEglise. Si on ne considre plus ce paragraphe comme programme esthtique mais programme moral, les mmes mots viennent condamner, entre autre mais sur-tout, lhomosexualit (insistons l-dessus histoire de faire taire des dbats sans fonds depuis 300 autour de lide que le cinma de Zach Snyder est un cinma sur lhomo-sexualit latente ou au contraire prne lhomophobie et la misogynie ; videm-ment, ce nest ni lun ni lautre). Rappelons dailleurs que ds le gnrique du film, lhrone lesbienne est sauvagement assas-sine avec sa matresse, les mots Lesbian Whores tant crits avec leur sang sur le mur au dessus de leur lit.

    Cest avant tout lide dun monde strile que le film matrialise. Si tout devient si-mulacre, si tout est copie du rel, quelle vrit reprsenterait la copie dune copie ? et sans vrit o va le monde ? que repr-sente la paix ? Lide sublime du film cest de fonder son histoire, sa peur de lauto-anantissement par le mensonge, sa peur du vide de sens, sur une nostalgie du pass. Le dsir du film entier est de revenir une matrice des valeurs sociables correctes, justes ou pieuses de lAmrique. Sauf qu-videmment, lAmrique a construit son Histoire dans et par la violence, linjustice et loppression. Il ny a jamais eu dans lhis-toire du peuple amricain (cest--dire des migrants europens) de Paradis Perdu. Tout est violence. Tout a toujours t vio-lence. Tout sera toujours violence.

    DANIEL DOS SANTOS

    1. Notons que Daren Aronofsky, qui devait aupa-ravant raliser Watchmen voulait mettre jour lhistoire pour ladapter notre poque. Principe intressant mais combien diffrent.

    2. Friedrich Nietzsche, Why I am so wise, Op. cit., p. 4. Traduction personnelle.

    3. Mike Featherstone, Consumer Culture and Post-modernism, London, Sage, 1991, pp. 7-8. Traduc-tion personnelle.

    4. Nous concevons lallgorie en ce sens : Au cinma, le plus souvent, les personnages reprsen-tent des cas et des valeurs : la loi, la rvolte, la normalit Il sagit alors demblmes ou darch-types mais pas dallgories, au sens o lallgorie suppose une construction conceptuelle prcise. Au principe de reconnaissance, de dj vu et de dj su sur lequel spcule larchtype, soppose llabo-ration conceptuelle, parfois complexe et neuve, de lallgorie. Cest en ce sens peut-tre que Walter Benjamin affirmait : Lallgorie est larmature de la modernit. Nicole Brenez, Abel Ferrara. Le mal mais sans fleurs, Paris Editions Cahiers du cinma, 2008, p. 17.

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  • Rien de bien surprenant mais lvnement fut nouveau. Cette anne, le Festival de Cannes sest ouvert non seulement avec un film danimation mais un film en 3D ( la grande jubilation dune petite foule en costume et robe de soire se rjouissant par avan-ce de devoir porter dpaisses et laides lunettes 3D pour profiter du spectacle). Leffet fut plaisant, dautant plus que le film, Up de Pete Docter et Bob Pterson, sy prte. Non pas cause de sa ma-nire de filmer (la 3D reste surtout impressionnante quand elle reconfigure des plans de vue subjectifs, ce dont Docter et son comparse nabusent pas), mais plutt pour la luminosit du film qui aide faire ressortir la 3D dautant plus que les lunettes 3D obscurcissent lcran (qui par consquent, lui, est plus lumineux que pour une projection ordinaire). Dun point de vue technique, Up est une brillante russite.

    Up dbute dans les annes 30 (dont il gardera lesthtique et lesprit) avec le timide petit Carl, 8 ans, rvant de devenir explo-reur. Il rencontre dans une maison abandonne un nergique garon manqu du nom dEllie qui entretient elle aussi une pas-sion pour lexploration. Elle lui fait promettre de partir avec elle pour les chutes du paradis . Dbute alors un squence ellipti-que (teinte de la musique de Michael Giacchino, qui lon doit dj la formidable musique de Star Trek il y a quelques mois), musicale mais muette, qui suivra leur vie deux, leurs espoirs briss les uns la suite des autres (strilit, accidents, manque dargent, vieillesse, maladie, puis mort sont autant de briseurs de rve). Carl se retrouve veuf, seul, affaibli dans la vieille maison o il a rencontr Ellie pour la premire fois.

    En somme, pour une fois, Pixar nous plonge dans lespace intime de ses personnages. Le Studio nous avait plutt habituer un va et viens entre sphre professionnelle et sphre personnelle, no-tamment dans de dtestables entreprises communautaires qui sont quasiment des rveries congnitales ( peu prs tous les Pixar prcdent, Ratatouille en moins), la surprise est si agrable que le film tout entier est hant par cette squence.

    Malheureusement, pass cette premire squence et sa suivante, la nature profonde de Pixar (favoriser le rve devenu ralit plu-tt que la ralit comme rve) refait alors surface. Et face une

    morale bien pensante (vive lentraide, vive le bien, vive la liber-t), ce sont les rapports humains qui ne devienne rellement que des changes.

    Tout rapport humain y est motiv par lchange de valeur (je taide pour ceci, mais tu maideras pour cela) ce qui transforme les films-guimauves de Pixar en bourses des sentiments dont les objets de spculations sont aussi divers que rcurrents : animaux mignons, mchant obsd, enfant dbrouillard, gentil vieux grin-cheux. Le tout suivant la logique implacable de Nietzsche lors-quil mettait jour lagressivit inhrente au principe de charit (je massure de la gratitude des autres, et jaffermis mon emprise sur eux en les traitant bien). Simple principe de domination nar-cissique et infantile. Brique de plus dans la conception dun ima-ginaire qui cache sa nature violente et dominatrice derrire de bonnes intentions.

    videmment, on peut smerveiller des prouesses techniques du film, sa musique, son esthtique (lharmonie gomtrique des personnages notamment : le vieux carr, lenfant rond, le m-chant filiforme) et en ralit, lengouement pour les films Pixar (on pourrait presque parler dadhsion de principe tant la presse est systmatiquement unanime) vient de l. Avec un si bel emballage, pourquoi ouvrir le cadeau ?

    DANIEL DOS SANTOS

    Film danimation Ralis par

    Pete Docter & Bob Peterson Editeur

    Walt Disney Studio Home Entertainment Sortie en dvd / blue-ray

    le 09 dcembre

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  • Quarrive-t-il un cinaste qui sent la fin venir ? Se rfugie-t-il

    dans une uvre totalisante o surgit dans la moindre image le spectre de la rfrence, o chaque plan est film comme le der-nier ? Disons juste titre que Hayao Miyazaki nest pas Agns Varda, que ses collages lui sont des dessins et que la navet de son trait refuse latrophie nostalgique du tout en un. Myazaki luderait alors le film testament ? Pas sr.

    En se rappropriant notre petite sirne occidentale, le ralisateur annonce bien quil sera difficile de voir au-del de Ponyo sur la falaise. Mais au lieu de chercher ladieu dans la rtrospective, il le trouve dans un refus de la rgression. Cette fois, la toute-puissance du conteur, immortel, qui laisse son imaginaire le loisir denrailler les lois de la ralit, dcouvre ses limites. Du moins les met-il en abyme. Le dsir de raconter de Miyazaki est certes toujours l, brlant, hriss de mutations larvaires, mais il est davantage spculaire que dpaysant. Lartiste se regarde faire, le voile de la fiction ne suffit plus. En un tour de main les mta-morphoses se veulent mtaphores. Paradoxalement, le film en devient des plus littraux : Ponyo, une question de vie et de mort.

    La vie dabord : Ponyo, profil dembryon qui grandit mesure que sa toute-puissance psychique se tarie, enfant venue de la mer, homonymie si dmonstrative quil ne faut pas chercher loin luni-vers intra-utrin. Au cas o cela vous chapperez cependant, la mtaphore arrive point nomm dans cette squence o une fem-me, gante couleuvre, se love dans les flots et sculpte la course du monde. Bien sr, tout le monde aura compris quil sagit de la maman de Ponyo et sans dtournement elle sera ensuite dsi-gne comme la mre de la mer. Seconde et non moins flagrante mtaphore, distribue par un contrechamp des plus analogique, celle de Ponyo face un bb blotti dans les bras de sa mre. Dans sa soif dintrojecter le monde, la rondeur innocente du visa-ge de Ponyo fond presque sur le nourrisson observ, et quelque temps aprs, elle ira mme se frotter contre lui, happant ses lar-mes.

    La petite sirne de Disney est un bb sirne, un nouveau-n gou-vern par le principe de plaisir. Pourtant, lge des babils les plus prononcs, elle prouve du dsir pour son compagnon, un dsir mri, qui nest pas celui de lenfant aux zones multi-rognes, mais celui dun amour complexe. Perd-elle galement le pouvoir sur les choses quand un tre sempare delle. Elle grandit vite, dcline aussi trs vite lorsque le monde devient entit tran-gre, en dehors de son contrle. Par le biais de son personnage et sa croissance clair, Miyazaki se cogne alors au principe de ralit que le conteur refuse, et la magie souveraine craint dsormais sa dchirure. Elle advient.

    La mort ensuite : non loin du foyer utrin (celui de Ponyo), fami-lial (celui de Sosuke, le petit garon) srige un dernier foyer, le Sunflower, fief de retraites en fauteuil roulant. Si lune des pen-sionnaires est hostile son entourage, notamment au petit Sosu-ke, cest parce-que cette vieille mre redoute au fond la proximit de la mort, quelle assimile locan voisin, gangue de tsunamis, sinsurge-t-elle un moment donn. Ainsi, le sillage amniotique de la mer serait aussi celui de la mort. En ce point de chute appa-rat soudain le seul personnage qui pourrait incarner le retrait imminent et conscient du cinaste Miyazaki : Fujimoto, le pre de

    Ponyo. Sur son requin Plerin, tel Wotan, le chef des dieux de lopra Wagnrien dont sest inspir Miyazaki, il refuse la fin du monde. On le voit sacharnant rtrcir Ponyo, la ramenant sans cesse dans les langes de locan. Si elle grandit, elle lui chappe, elle devient vulnrable et sera promise la plus humaine des fini-tudes. Mais la volont rgressive de Fujimoto, comme la vague qui se retire, sestompe et se tait. Quand Fujimoto laisse Ponyo aux mains de Sosuke, la dchirure familiale se double du plus clatant mouvement de vie : la descendance. Le pre doit dlaisser lhritage et se consacrer aux hritiers, de mme, les retraites sentant leur fin venir ne sen soucient plus, clbrant lunion for-me par la jeunesse.

    Si une dchirure advient dans le tissu du monde, il y aura tou-jours quelquun pour la ressouder. Et si jamais Myazaki, dans cet appel conscient et serein, coupe court au fil de ses mtamorpho-ses, sa pte traditionnelle sera reprise par ses cinfils. La pyro-technie numrique regarderait davantage ce dessin denfant, re-gard le plus proche du conte, quelle nen serait pas moins desser-vie. Aller de lavant mais quelquefois rebrousser chemin, rgres-ser un peu de temps en temps, un chalenge de plus en plus auda-cieux pour un cinma qui, en vertu dimpressionner et de dmon-trer, ne doit pas oublier quil est l pour raconter.

    FLORENCE VALRO

    Je suis arriv un ge o je peux compter sur mes doigts les annes qui me restent

    vivre. Bientt, je retrouverai ma mre. Que vais-je lui dire quand ce moment arrivera ?

    H. Miyazaki

    Film danimation Ralis par

    Hayao Miyazaki Editeur

    Walt Disney Studio Home Entertainment Sortie en dvd / blue-ray

    le 24 dcembre

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  • Oublions un instant latypisme de Charlie Kaufman dans le cinma indpendant am-ricain. Dlaissons toute spculation sur cet univers gnial qui nappartient qu lui. Ne nous rfugions pas dans lattitude auteuri-sante qui consisterait placer sa premire

    uvre en tant que ralisateur dans une continuit mentale et artistique Perce-vons simplement le film tel quil est. Que lon apprcie ou pas le travail scnaristique antrieur de Kaufman (Being John Malko-vitch, Adaptation, Eternal Sunshine of the spotless mind) ne change rien laffaire. Synecdoche, New York, malgr ses dfauts, demeure une belle mtaphore de ce que sont le processus et langoisse de la cra-tion.

    Lart de la vie, thtre. Lintrigue initiale a un air de dj vu. On se croirait dans un film de Woody Allen, o les inquitudes de lartiste se mlent aux tracas quotidiens les plus banals. Caden Cotard (Philip Seymour Hoffman), metteur en scne de thtre la fois brillant, nvros et hypocondriaque, voit sa vie scrouler : sa famille ne lui don-ne pas lattention et la reconnaissance quil attend, sa femme le quitte pour une carri-re de peintre en Europe, emmenant leur fille Olive, sa liaison avec la jeune Hazel (Samantha Morton) choue lamentable-ment Lorsque Cotard obtient une bourse au mrite, il dcide alors de raliser, dans un gigantesque hangar de New York, une pice dont lambition dmesure nest autre que mettre en scne la vie quotidienne.

    Un passage rsume ltendue peu rjouis-sante du projet. Sadressant sa troupe dacteurs, le dramaturge rvle notre lot tous : nous savons que nous tendons vers linvitable preuve de la mort, mais nous pensons secrtement le contraire, nous

    faisons semblant de ne pas en avoir peur, de ne pas en tre conscient Lart de la vie repose exclusivement sur cette cons-cience inavoue, cette imposture que lon simpose soi-mme, cette fausse innocen-ce. Cest ce que cherchera montrer Co-tard dans sa qute cratrice.

    Le cercle artistique est donc celui du th-tre. En tant quespace o se confrontent vie relle et comdie, la scne conue par Co-tard forme un vritable microcosme archi-tectural, socital, sentimental, mortuaire Il est, en somme, la vie elle-mme. Recre, re-prsente mais non pour autant simule, comme sil sagissait de rendre travers le prisme thtral toute lintensit et la vrit de lexistence.

    Pourtant, un problme persiste. Le public : Quel est-il ? O est-il ? Quand aurons-nous enfin un public ? demande un com-dien au metteur en scne, aprs 17 ans de rptitions ! L est le paradoxe : il ne peut qutre absent puisquil fait partie intgran-te de la reprsentation. Kaufman la bien compris, le seul public possible au final, cest le spectateur de cinma, qui devant le miroir cranique, assiste ce qui est la fois le spectacle envisag par Cotard et son making of. Lide en elle-mme est telle-ment forte quon pardonne volontiers au film ses quelques maladresses et sa faibles-se visuelle.

    La vie de lart, synecdoque. En prenant la vie comme sujet, le personnage de Caden Cotard emprunte une figure qui donne son titre au film : la synecdoque, trope tenant ses origines de la littrature, et qui consiste prendre la partie pour le tout ou le tout pour la partie. De prime abord, toute pice de thtre peut tre une synecdoque (Mort dun commis-voyageur dArthur Miller, la

    pice mise en scne au dbut du film, peut se lire comme rvlant lessence tragique de toute existence). Seulement, loriginalit cratrice de Cotard rside dans le fait que la vie est prise aussi comme forme interne de mise en scne : la partie est elle-mme le tout, le tout la partie.

    La pice volue peu peu, et prend un tournant dcisif lorsque Cotard fait le choix de sinspirer de sa propre vie, la fois comme homme et comme crateur. On voit se dessiner toute la complexit du rcit tiss par Kaufman : la synecdoque en ques-tion se trouve mise en abme linfini. Seul le mystrieux personnage de Millicent Weems, sublimement incarn par Dianne Wiest, parviendra prendre la place de Cotard et lui donner le rle dont il a

    tant besoin pour achever son uvre (mais nen rvlons pas plus).

    Lingniosit de Kaufman, dfaut de ryth-me parfois (mais comme on le sait, Kauf-man dbute comme ralisateur), se double dun dnouement des plus pessimistes : lultime tragdie humaine, cest celle de notre inluctable ascension vers la mort. Paradoxalement, cest de cette trop fatale issue, vcue la fois en tant quhomme et en tant que personnage, que nat le chef

    duvre dramatique de Caden Cotard. La boucle est boucle, et sa fin (le mot est bien videmment double-sens) sera sans doute son plus bel panouissement artistique.

    Derrire lcran, un autre petit conteur dhistoires joue sa propre partie, avec ses petits techniciens, ses petits comdiens. Tour tour il nous sduit, nous bouscule, nous enivre. Nous restons sans voix, et nous savourons

    SBASTIEN CLRO

    Im just a little person

    () Of many little people

    () Maybe somewhere far away

    Ill meet a second little person

    And well go out and play

    (Extrait de la chanson Little Person,

    crite par Charlie Kaufman et Jon Brion)

    Ralis par

    Charlie Kauffman avec Philip Seymour Hoffman, Catherine Keener... Editeur

    TF1 Vido Sortie en dvd / blue-ray

    le 07 octobre

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