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SÉQUENCE 4 LA RENCONTRE AMOUREUSE Problématique Comment les scènes de rencontre amoureuse révèlent-elles la métamorphose du personnage de roman ? Objet d’étude Le personnage de roman, du XVII ème siècle à nos jours Lectures analytiques Lectures cursives Activités complémentaires Texte 1 La Princesse de Clèves Madame de La Fayette (1678) Texte 2 Madame Bovary (II,8) Gustave Flaubert (1857) Texte 3 Moderato Cantabile Marguerite Duras (1958) 1. Mise en perspective des extraits étudiés : La Princesse de Clèves paragraphe précédant le texte étudié Le personnage d’Emma et l’arrière-plan romantique - Madame Bovary (I,6) -Le lys dans la vallée Balzac (1836) 2. En complément du texte 1 La Princesse de Clèves HDA La beauté féminine : comparaison de trois représentations de Vénus - “La naissance de Vénus” S. Boticelli 1484 - “Vénus anadyomène” Titien 1520-25 - “Vénus au miroir” Rubens 1614-15 3. Le Nouveau Roman -Tropismes N. Sarraute 1939 -La Modification M. Butor 1957 -La Jalousie A. Robbe-Grillet 1957 -Pour un Nouveau Roman A. Robbe- Grillet 1963 -Le Père Goriot Balzac HDA Projection du film A bout de souffle – Jean Luc Godard (1960) dans le cadre du projet « Lycéens au cinéma » La Nouvelle Vague /le « Cinéma de la Qualité » Comparaison de la scène de rencontre entre Patricia et Michel, avec un extrait du Diable au corps de Claude Autant- Lara (1947) : la rencontre entre François et Marthe Lecture cursive intégrale Moderato Cantabile Marguerite Duras 1958

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SÉQUENCE 4 LA RENCONTRE AMOUREUSE

Problématique Comment les scènes de rencontre amoureuse révèlent-elles la métamorphose dupersonnage de roman ?

Objet d’étude Le personnage de roman, du XVIIème siècle à nos jours

Lectures analytiques Lectures cursives Activités complémentaires

Texte 1 La Princesse de Clèves

Madame de La Fayette (1678)

Texte 2 Madame Bovary (II,8)Gustave Flaubert (1857)

Texte 3 Moderato Cantabile

Marguerite Duras (1958)

1. Mise en perspective des extraitsétudiés :

• La Princesse de Clèves paragraphe précédant le texteétudié

• Le personnage d’Emma etl’arrière-plan romantique- Madame Bovary (I,6) -Le lys dans la vallée Balzac(1836)

2.En complément du texte 1 La Princesse

de Clèves

HDA La beauté féminine : comparaisonde trois représentations de Vénus- “La naissance de Vénus” S. Boticelli1484- “Vénus anadyomène” Titien 1520-25 - “Vénus au miroir” Rubens 1614-15

3. Le Nouveau Roman-Tropismes N. Sarraute 1939-La Modification M. Butor 1957-La Jalousie A. Robbe-Grillet 1957-Pour un Nouveau Roman A. Robbe-Grillet 1963-Le Père Goriot Balzac

HDA Projection du film A bout de

souffle – Jean Luc Godard (1960)dans le cadre du projet « Lycéensau cinéma »

La Nouvelle Vague /le « Cinémade la Qualité »Comparaison de la scène derencontre entre Patricia et Michel,avec un extrait du Diable au corps

de Claude Autant- Lara (1947) : la rencontre entre François etMarthe

Lecture cursive intégrale

Moderato Cantabile Marguerite Duras1958

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LECTURES ALALYTIQUES

Texte 1 La Princesse de Clèves (Première Partie) Madame de La Fayette (1678)

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Cette héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France ; et quoiqu'elle fûtdans une extrême jeunesse, l'on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame deChartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; lavoyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu'elle arriva, le vidamealla au−devant d'elle ; il fut surpris de la grande beauté de mademoiselle de Chartres, et ilen fut surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient unéclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sapersonne étaient pleins de grâce et de charmes. Le lendemain qu'elle fut arrivée, elle alla pour assortir des pierreries chez un Italienqui en trafiquait par tout le monde. Cet homme était venu de Florence avec la reine, ets'était tellement enrichi dans son trafic, que sa maison paraissait plutôt celle d'un grandseigneur que d'un marchand. Comme elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il futtellement surpris de sa beauté, qu'il ne put cacher sa surprise ; et mademoiselle deChartres ne put s'empêcher de rougir en voyant l'étonnement qu'elle lui avait donné. Ellese remit néanmoins, sans témoigner d'autre attention aux actions de ce prince que celleque la civilité lui devait donner pour un homme tel qu'il paraissait. Monsieur de Clèves laregardait avec admiration, et il ne pouvait comprendre qui était cette belle personne qu'ilne connaissait point. Il voyait bien par son air, et par tout ce qui était à sa suite, qu'elledevait être d'une grande qualité. Sa jeunesse lui faisait croire que c'était une fille ; mais nelui voyant point de mère, et l'Italien qui ne la connaissait point l'appelant madame, il nesavait que penser, et il la regardait toujours avec étonnement. Il s'aperçut que ses regardsl'embarrassaient, contre l'ordinaire des jeunes personnes qui voient toujours avec plaisirl'effet de leur beauté ; il lui parut même qu'il était cause qu'elle avait de l'impatience des'en aller, et en effet elle sortit assez promptement. Monsieur de Clèves se consola de laperdre de vue, dans l'espérance de savoir qui elle était ; mais il fut bien surpris quand il sutqu'on ne la connaissait point. Il demeura si touché de sa beauté, et de l'air modeste qu'ilavait remarqué dans ses actions, qu'on peut dire qu'il conçut pour elle dès ce moment unepassion et une estime extraordinaires.

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Texte 2 Madame Bovary (Deuxième partie, chapitre 8)Gustave Flaubert (1857)

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M. Lieuvain se rassit alors ; M. Derozerays se leva, commençant un autre discours. Le sien peut-être, ne fut point aussi fleuri que celui du Conseiller ; mais il se recommandait par un caractère de styleplus positif, c’est-à-dire par des connaissances plus spéciales et des considérations plus relevées. Ainsi,l’éloge du gouvernement y tenait moins de place ; la religion et l’agriculture en occupaient davantage.On y voyait le rapport de l’une et de l’autre, et comment elles avaient concouru toujours à la civilisation.Rodolphe, avec madame Bovary, causait rêves, pressentiments, magnétisme. Remontant au berceau dessociétés, l’orateur vous dépeignait ces temps farouches où les hommes vivaient de glands, au fond desbois. Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes ; endossé le drap, creusé des sillons, planté la vigne.Etait-ce un bien, et n’y avait-il pas dans cette découverte plus d’inconvénients que d’avantages ? M.Derozerays se posait ce problème. Du magnétisme, peu à peu, Rodolphe en était venu aux affinités, et,tandis que M. le président citait Cincinnatus à sa charrue, Dioclétien plantant ses choux, et les empereursde la Chine inaugurant l’année par des semailles, le jeune homme expliquait à la jeune femme que cesattractions irrésistibles tiraient leur cause de quelque existence antérieure.— Ainsi, nous, disait-il,pourquoi nous sommes-nous connus ? quel hasard l’a voulu ? C’est qu’à travers l’éloignement, sansdoute, comme deux fleuves qui coulent pour se rejoindre, nos pentes particulières nous avaient poussésl’un vers l’autre.Et il saisit sa main ; elle ne la retira pas. « Ensemble de bonnes cultures ! » cria leprésident. — Tantôt, par exemple, quand je suis venu chez vous… « À M. Bizet, de Quincampoix. »—Savais-je que je vous accompagnerais ?« Soixante et dix francs ! »— Cent fois même j’ai voulu partir, et je vous ai suivie, je suis resté.« Fumiers. »— Comme je resterais ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie !« À M. Caron, d’Argueil, une médaille d’or ! »— Car jamais je n’ai trouvé dans la société de personne un charme aussi complet.« À M. Bain, de Givry-Saint-Martin ! »— Aussi, moi, j’emporterai votre souvenir. « Pour un bélier mérinos… »— Mais vous m’oublierez, j’aurai passé comme une ombre.« À M. Belot, de Notre-Dame… »— Oh ! non, n’est-ce pas, je serai quelque chose dans votre pensée, dans votre vie ?« Race porcine, prix ex aequo : à MM. Lehérissé et Cullembourg ; soixante francs ! »Rodolphe lui serrait la main, et il la sentait toute chaude et frémissante comme une tourterelle captivequi veut reprendre sa volée ; mais, soit qu’elle essayât de la dégager ou bien qu’elle répondît à cettepression, elle fit un mouvement des doigts ; il s’écria :— Oh ! merci ! Vous ne me repoussez pas ! Vous êtes bonne ! vous comprenez que je suis à vous !Laissez que je vous voie, que je vous contemple !Un coup de vent qui arriva par les fenêtres fronça le tapis de la table, et, sur la Place, en bas, tous lesgrands bonnets des paysannes se soulevèrent, comme des ailes de papillons blancs qui s’agitent.

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Texte 3 Moderato Cantabile (chapitre II)

Marguerite Duras (1958)

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L’homme avait cessé de lire son journal. — Justement hier à cette heure-ci, j’étais chez Mademoiselle Giraud. Le tremblement des mains s’atténua. Le visage prit une contenance presque décente. — Je vous reconnais. — C’était un crime, dit l’homme. Anne Desbaresdes mentit. — Je vois… Je me le demandais, voyez-vous. — Parfaitement, dit la patronne. Ce matin, c’était un défilé. L’enfant passa à cloche-pied sur le trottoir. — Mademoiselle Giraud donne des leçons à mon petit garçon. Le vin aidant sans doute, le tremblement de la voix avait lui aussi cessé. Dans les yeux, peu à peu, afflua un sourire de délivrance. — Il vous ressemble, dit la patronne. — On le dit — le sourire se précisa encore. — Les yeux. — Je ne sais pas, dit Anne Desbaresdes. Voyez-vous… tout en le promenant, je trouvais quec’était une occasion que de venir aujourd’hui ici. Ainsi… — Un crime, oui. Anne Desbaresdes mentit de nouveau. — Ah, je l’ignorais, voyez-vous. Un remorqueur quitta le bassin et démarra dans le fracas régulier et chaud de ses moteurs.L’enfant s’immobilisa sur le trottoir, pendant le temps que dura sa manœuvre, puis il seretourna vers sa mère. — Où ça va ? Elle l’ignorait, dit-elle. L’enfant repartit. Elle prit le verre vide devant elle, s’aperçut de samégarde, le reposa sur le comptoir et attendit, les yeux baissés. Alors, l’homme se rapprocha. — Vous permettez. Elle ne s'étonna pas, toute à son désarroi. — C’est que je n’ai pas l’habitude, Monsieur. Il commanda du vin, fit encore un pas vers elle. — Ce cri était si fort que vraiment il est bien naturel que l’on cherche à savoir. J’aurais pudifficilement éviter de le faire, voyez-vous. Elle but son vin, le troisième verre. — Ce que je sais, c’est qu’il lui a tiré une balle dans le cœur. Deux clients entrèrent. Ils reconnurent cette femme au comptoir, s’étonnèrent. — Et, évidemment on ne peut pas savoir pourquoi ? Il était clair qu’elle n’avait pas l’habitude duvin, qu’à cette heure-là de la journée autre chose de bien différent l’occupait en général. — J’aimerais pouvoir vous le dire, mais je ne sais rien de sûr. — Peut-être que personne ne le sait ? — Lui le savait. Il est maintenant devenu fou, enfermé depuis hier soir. Elle, est morte. L’enfant surgit du dehors et se colla contre sa mère dans un mouvement d’abandon heureux.Elle lui caressa distraitement les cheveux. L’homme regarda plus attentivement. — Ils s’aimaient, dit-il.

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LECTURES CURSIVES

Madame Bovary (Première partie chapitre 6) Gustave Flaubert 1857

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Il y avait au couvent une vieille fille qui venait tous les mois, pendant huit jours, travailler à lalingerie. Protégée par l'archevêché comme appartenant à une ancienne famille degentilshommes ruinés sous la Révolution, elle mangeait au réfectoire à la table des bonnessœurs, et faisait avec elles, après le repas, un petit bout de causette avant de remonter à sonouvrage. Souvent les pensionnaires s'échappaient de l'étude pour l'aller voir. Elle savait parcœur des chansons galantes du siècle passé, qu'elle chantait à demi-voix, tout en poussantson aiguille. Elle contait des histoires, vous apprenait des nouvelles, faisait en ville voscommissions, et prêtait aux grandes, en cachette, quelque roman qu'elle avait toujours dansles poches de son tablier, et dont la bonne demoiselle elle-même avalait de longs chapitres,dans les intervalles de sa besogne. Ce n'étaient qu'amours, amants, amantes, damespersécutées s'évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu'on tue à tous les relais,chevaux qu'on crève à toutes les pages, forêts sombres, troubles du cœur, serments,sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieursbraves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l'est pas, toujoursbien mis, et qui pleurent comme des urnes.Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissa donc les mains à cette poussière des vieuxcabinets de lecture. Avec Walter Scott, plus tard, elle s'éprit de choses historiques, rêvabahuts, salle des gardes et ménestrels. Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir,comme ces châtelaines au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs jours, lecoude sur la pierre et le menton dans la main, à regarder venir du fond de la campagne uncavalier à plume blanche qui galope sur un cheval noir.

Le lys dans la vallée Balzac (1836)

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Mes yeux furent tout à coup frappés par de blanches épaules rebondies sur lesquelles j'aurais voulupouvoir me rouler, des épaules légèrement rosées qui semblaient rougir comme si elles setrouvaient nues pour la première fois, de pudiques épaules qui avaient une âme, et dont la peausatinée éclatait à la lumière comme un tissu de soie. Ces épaules étaient partagées par une raie, lelong de laquelle coula mon regard, plus hardi que ma main. Je me haussai tout palpitant pour voir lecorsage et fus complètement fasciné par une gorge chastement couverte d'une gaze, mais dont lesglobes azurés et d'une rondeur parfaite étaient douillettement couchés dans des flots de dentelle.Les plus légers détails de cette tête furent des amorces qui réveillèrent en moi des jouissancesinfinies: le brillant des cheveux lissés au-dessus d'un cou velouté comme celui d'une petite fille, leslignes blanches que le peigne y avait dessinées et où mon imagination courut comme en de fraissentiers, tout me fit perdre l'esprit. Après m'être assuré que personne ne me voyait, je me plongeaidans ce dos comme un enfant qui se jette dans le sein de sa mère, et je baisai toutes ces épaules eny roulant ma tête. Cette femme poussa un cri perçant, que la musique empêcha d'entendre; elle seretourna, me vit et me dit: "Monsieur?" Ah! si elle avait dit: "Mon petit bonhomme, qu'est-ce quivous prend donc?" je l'aurais tuée peut-être mais à ce monsieur! des larmes chaudes jaillirent demes yeux. Je fus pétrifié par un regard animé d'une sainte colère, par une tête sublime couronnéed'un diadème de cheveux cendrés, en harmonie avec ce dos d'amour. Le pourpre de la pudeuroffensée étincela sur son visage que désarmait déjà le pardon de la femme qui comprend unefrénésie quand elle en est le principe, et devine des adorations infinies dans les larmes du repentir.Elle s'en alla par un mouvement de reine.

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LECTURES CURSIVES

LE NOUVEAU ROMAN

TEXTE 1 Tropismes

Nathalie Sarraute 1939

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Ils semblaient sourdre1 de partout, éclos dans la tiédeur un peu moite de l’air,ils s’écoulaient doucement comme s’ils suintaient2 des murs, des arbresgrillagés, des bancs, des trottoirs sales, des squares.

Ils s’étiraient en longues grappes sombres entre les façades mortes desmaisons. De loin en loin, devant les devantures des magasins, ils formaientdes noyaux plus compacts, immobiles, occasionnant quelques remous,comme de légers engorgements.

Une quiétude étrange, une sorte de satisfaction désespérée émanait d’eux. Ilsregardaient attentivement les piles de linge de l’Exposition de Blanc, imitanthabilement des montagnes de neige, ou bien une poupée dont les dents et lesyeux, à intervalles réguliers, s’allumaient, s’éteignaient, s’allumaient,s’éteignaient, s’allumaient, s’éteignaient, toujours à intervalles identiques,s’allumaient de nouveau et de nouveau s’éteignaient.

Ils regardaient longtemps, sans bouger, ils restaient là, offerts, devant lesvitrines, ils reportaient toujours à l’intervalle suivant le moment de s’éloigner.Et les petits enfants tranquilles qui leur donnaient la main, fatigués deregarder, distraits, patiemment, auprès d’eux, attendaient.

1. sourdre : sortir de terre

2. suinter : en parlant d’un liquide, sortir presque imperceptiblement à travers une matière

TEXTE 2 La Modification

Michel Butor 1957

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PREMIÈRE PARTIE I

Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droitevous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant.Vous vous introduisez par l’étroite ouverture en vous frottant contre ses bords,puis, votre valise couverte de granuleux cuir sombre couleur d’épaisse bouteille,votre valise assez petite d’homme habitué aux longs voyages, vous l’arrachez parsa poignée collante, avec vos doigts qui se sont échauffés, si peu lourde qu’ellesoit, de l’avoir portée jusqu’ici, vous la soulevez et vous sentez vos muscles et vostendons se dessiner non seulement dans vos phalanges, dans votre paume, votrepoignet et votre bras, mais dans votre épaule aussi, dans toute la moitié du dos etdans vos vertèbres depuis votre cou jusqu’aux reins.

Non, ce n’est pas seulement l’heure, à peine matinale, qui est responsable decette faiblesse inhabituelle, c’est déjà l’âge qui cherche à vous convaincre de sadomination sur votre corps, et pourtant, vous venez seulement d’atteindre lesquarante-cinq ans.Vos yeux sont mal ouverts, comme voilés de fumée légère, vos paupières

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sensibles et mal lubrifiées, vos tempes crispées, à la peau tendue et comme raidieen plis minces, vos cheveux qui se clairsèment et grisonnent, insensiblement pourautrui mais non pour vous, pour Henriette et pour Cécile, ni même pour les enfantsdésormais, sont un peu hérissés et tout votre corps à l’intérieur de vos habits qui legênent, le serrent et lui pèsent, est comme baigné, dans son réveil imparfait, d’uneeau agitée et gazeuse pleine d’animalcules1 en suspension.

Si vous êtes entré dans ce compartiment, c’est que le coin couloir face à la marcheà votre gauche est libre, cette place même que vous auriez fait demander parMarnal comme à l’habitude s’il avait été encore temps de retenir, mais non quevous auriez demandé vous-même par téléphone, car il ne fallait pas que quelqu’unsût chez Scabelli que c’était vers Rome que vous vous échappiez pour cesquelques jours.

1. animalcule : animal microscopique

TEXTE 3 La Jalousie

Alain Robbe-Grillet 1957

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Maintenant l’ombre du pilier – le pilier qui soutient l’angle sud-ouest du toit – diviseen deux parties égales l’angle correspondant de la terrasse. Cette terrasse est unelarge galerie couverte, entourant la maison sur trois de ses côtés. Comme salargeur est la même dans la portion médiane et dans les branches latérales, le traitd’ombre projeté par le pilier arrive exactement au coin de la maison; mais il s’arrêtelà, car seules les dalles de la terrasse sont atteintes par le soleil, qui se trouveencore trop haut dans le ciel. Les murs, en bois, de la maison – c’est-à-dire lafaçade et le pignon ouest – sont encore protégés de ses rayons par le toit (toitcommun à la maison proprement dite et à la terrasse). Ainsi, à cet instant, l’ombrede l’extrême bord du toit coïncide exactement avec la ligne, en angle droit, queforment entre elles la terrasse et les deux faces verticales du coin de la maison.

Maintenant, A... est entrée dans la chambre, par la porte intérieure qui donne sur lecouloir central. Elle ne regarde pas vers la fenêtre, grande ouverte, par où – depuisla porte – elle apercevrait ce coin de terrasse. Elle s’est main- tenant retournéevers la porte pour la refermer. Elle est toujours habillée de la robe claire, à col droit,très collante, qu’elle portait au déjeuner. Christiane, une fois de plus, lui a rappeléque des vêtements moins ajustés permettent de mieux supporter la chaleur. MaisA... s’est contentée de sourire : elle ne souffrait pas de la chaleur, elle avait connudes climats beaucoup plus chauds – en Afrique par exemple – et s’y était toujourstrès bien portée. Elle ne craint pas le froid non plus, d’ailleurs. Elle conservepartout la même aisance. Les boucles noires de ses cheveux se déplacent d’unmouvement souple, sur les épaules et le dos, lorsqu’elle tourne la tête.

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