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Fernand DUMONT, Jacques Grand’Maison, Jacques RACINE et Paul TREMBLAY (1982) Situation et avenir du catholicisme québécois. Tome II Entre le temple et l’exil Préface de Fernand DUMONT et Jacques RACINE LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES CHICOUTIMI, QUÉBEC http://classiques.uqac.ca/

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Fernand DUMONT, Jacques Grand’Maison,Jacques RACINE et Paul TREMBLAY

(1982)

Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II

Entre le temple et l’exilPréface de Fernand DUMONT et Jacques RACINE

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALESCHICOUTIMI, QUÉBEChttp://classiques.uqac.ca/

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http://classiques.uqac.ca/

Les Classiques des sciences sociales est une bibliothèque numérique en libre accès, fondée au Cégep de Chicoutimi en 1993 et développée en partenariat avec l’Université du Québec à Chicoutimi (UQÀC) de-puis 2000.

http://bibliotheque.uqac.ca/

En 2018, Les Classiques des sciences sociales fêteront leur 25e anni-versaire de fondation. Une belle initiative citoyenne.

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Politique d'utilisationde la bibliothèque des Classiques

Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation for-melle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue.

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Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Président-directeur général,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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Cette édition électronique a été réalisée avec le concours de Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Lac-Saint-Jean, Québec.http://classiques.uqac.ca/inter/benevoles_equipe/liste_patenaude_pierre.html Courriel : [email protected] à partir du texte de :

Fernand DUMONT, Jacques GRAND’MAISON, Jacques RA-CINE et Paul TREMBLAY

Situation et avenir du catholicisme québécois. Tome II. Entre le temple et l’exil.

Montréal : Les Éditions Leméac inc., 1982, 237 pp.

Police de caractères utilisés :

Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.

Édition numérique réalisée le 20 mars 2021 à Chicoutimi, Québec.

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Fernand DUMONT, Jacques GRAND’MAISON,Jacques RACINE et Paul TREMBLAY

Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II. Entre le temple et l’exil.

Montréal : Les Éditions Leméac inc., 1982, 237 pp.

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Maquette de la couverture : Luc Mondou« Tous droits de traduction et d'adaptation, en totalité ou en partie,

réservés pour tous les pays. La reproduction d'un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé que ce soit, tant électronique que mé-canique, en particulier par photocopie et par microfilm, est interdite sans l'autorisation écrite de l'auteur et de l'éditeur. »

ISBN 2-7609-5513-3/2-7609-5515-X (tome 2)Copyright Ottawa 1982 par Les Éditions Leméac Inc. Dépôt légal

— Bibliothèque nationale du Québec 2e trimestre 1982Imprimé au Canada

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FERNAND DUMONTJACQUES GRAND'MAISON

JACQUES RACINEPAUL TREMBLAY

SITUATION ET AVENIRDU CATHOLICISME QUÉBÉCOIS

Entre le templeet l’exil

LEMÉAC

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Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II. Entre le temple et l’exil.

Quatrième de couverture

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Dans le premier volume de cet ouvrage, nous avons fait part de ce qu'on nous a dit des difficultés et des aspirations des croyants dans divers milieux sociaux. Les auteurs ont naturellement prolongé ces dialogues, en s'alimentant à leur propre expérience, dans des vues à la fois plus générales et plus personnelles. Les chapitres que l'on va lire tâchent d'étendre plus loin la réflexion, d'esquisser des diagnostics et des objectifs d'ensemble. Ces textes s'inspirent néanmoins des mêmes expériences, de la même discussion commune, de la même foi.

Ces chapitres ne s'enchaînent pas selon la stricte logique d'un plan méthodiquement établi. Les quatre thèmes de ces chapitres ont été fixés par le groupe ; après quoi, chacun des auteurs a poursuivi libre-ment son chemin, avant de soumettre la première version de son texte à la discussion. Des recoupements étaient inévitables ; de semblables suggestions se retrouvent ici et là. Nous n'avons pas cherché à élimi-ner ces interférences, car elles manifestent heureusement une commu-nauté de pensée. On ne manquera pas de discerner une double orienta-tion de fond, une double insistance sur ce qui nous a paru être les mis-sions essentielles de la communauté chrétienne : la pédagogie de la maturation des personnes dans la foi ; la critique de la civilisation.

Comme dans le premier volume, on trouvera ici des propositions concrètes, des réflexions plus générales, des rappels quant aux exi-gences foncières de la tradition chrétienne et de son actualisation pré-sente. Sous prétexte de plaider pour des changements et des remanie-ments, nous n'avons pas cédé à la tentation de dresser des organi-grammes ou de compiler des recettes de cuisine.

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COLLECTION À HAUTEUR D'HOMME

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Note pour la version numérique : La numérotation entre crochets [] correspond à la pagination, en début de page, de l'édition d'origine numérisée. JMT.

Par exemple, [1] correspond au début de la page 1 de l’édition papier numérisée.

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[7]

LES AUTEURSTome II

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Fernand Dumont, professeur à la faculté des Sciences sociales de l’Université Laval, président de l'Institut québécois de recherche sur la culture.

Jacques Grand'Maison, professeur à la faculté de Théologie de l'Université de Montréal.

Jacques Racine, professeur à la faculté de Théologie de l'Universi-té Laval.

Paul Tremblay, ancien président du Comité catholique du conseil supérieur de l'éducation, responsable de la formation permanente d'agents pastoraux à Chicoutimi.

[8]

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[233]

Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II. Entre le temple et l’exil.

Table des matièresQuatrième de couvertureLes auteurs [7]Fernand DUMONT et Jacques RACINE, PRÉFACE II [9]

Chapitre 1. Fernand DUMONT, “CRISE D'UNE ÉGLISE, CRISE D'UNE SOCIÉ-TÉ.” [11]

I. Crise d'une Église [13]Une question de langage ? [13]Un rendez-vous manqué avec l'histoire ? [17]La recherche d'une identité [21]

II. Crise d'une société [25]Une crise du langage aussi ? [25]Au lendemain de la Révolution tranquille : quelle société ? [28]Une crise morale [33]

III. L'avenir d'une Église [38]Œuvrer parmi les hommes [38]Annoncer l'espérance [42]

Chapitre 2. Paul TREMBLAY, “LE DEVENIR DE LA PAROLE EN CE PAYS.” [49]

[234]I. Une transmission incertaine [51]

Dans les foyers : le silence [52]Dans les écoles : un rendement aléatoire [53]Dans les paroisses : la rareté de la Parole [54]Une situation problématique [56]La foi insolite [57]La solidarité fondamentale : l'écoute de la Parole [59]

II. La dévaluation de la Parole [60]Le flot des paroles [61]Le triomphe de l'image [62]

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La primauté de l'action [63]L'invasion des jargons [66]Pour une prise de conscience [68]Économiser la Parole [68]Donner la Parole [71]

III. La famille et le devenir de la foi [76]Amplitude et longévité de la famille [78]Famille et socialisation [79]Famille et sécularisation [80]Les convictions et pratiques des parents [81]Liberté, recherche, conflit [83]Appui communautaire [84]Accueil de la diversité des familles [86]

IV. L'école et le devenir de la foi [87]Un affluent, mais pas le fleuve [87]L'ambivalence de l'école [89]L'école catholique, un moyen privilégié ? [93]Un choix à confier aux parents [99]

[235]Fonction sociale de l'école et confessionnalité [102]Retour aux questions de fond [106]

Chapitre 3 . Jacques RACINE, “LES CHRÉTIENS ET LA CRITIQUE DE NOTRE SOCIÉTÉ.” [111]

I. Les chrétiens et la société libérale [112]Soumission et consommation [113]Fierté et sécularisation [114]Opposition et retour au passé [116]Mise en question et lutte [117]

II. Difficultés de la critique sociale au Québec [118]Une information indigeste [119]Une opinion manipulée [121]Une confusion des valeurs [122]Incohérence des comportements [124]

III. Des blocages inhérents au catholicisme québécois [125]Une tradition chrétienne qui a du poids [125]Une institution ecclésiale non signifiante [128]

IV. Pour une participation des chrétiens [131]Un ressourcement évangélique [131]

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Une présence au cœur du monde [134]Des défis pour notre temps [137]Une Église, sacrement du salut en Jésus-Christ [143]

[236]

Chapitre 4 . Jacques GRAND'MAISON, “UNE VOCATION ORIGINALE POUR LE CHRISTIANISME D'ICI.” [145]

I. Le fond de scène [146]Une identité à construire [148]Un profond embarras [151]Notre cible principale [156]

II. Cheminement critique et constructif [158]Une pédagogie du changement historique à revoir [158]Discernement et pertinence [167]Institué et instituant [172]

III. Une redéfinition des rapports de l'institué et des instituants [175]Une clé de compréhension [175]L'Action Catholique [177]La réforme liturgique [178]Le renouveau catéchétique [179]Le discours et les positions éthiques de l'Église [181]Les expériences communautaires [184]Les charismes et les ministères [186]

IV. Nouvel âge et tâches de l'avenir [192]« Voici que je fais toutes choses nouvelles » [193]Quand on n'a que l'Évangile en main [195]Pratiques nouvelles et pédagogie de la foi [196]Spiritualité d'un homme nouveau [202]

Les auteurs, “QUELLE FOI   ? QUELLE ÉGLISE   ? ” [211]

I. Quelle foi ? [212]II. Quelle Église   ? [222]

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Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II. Entre le temple et l’exil.

PRÉFACE 2Fernand DUMONT et Jacques RACINE

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Au seuil de ce second volume sur la « situation et l'avenir du ca-tholicisme québécois », nous prions le lecteur de se rappeler les conditions dans lesquelles nous avons travaillé, et qui ont été évo-quées au début du premier tome. Nous sommes un groupe de croyants sans mandat, sans prétention à représenter les diverses composantes de l'Église ; engagés dans l'Église de ce temps à des titres divers, nous avons fait effort sérieux pour nous mettre à l'écoute d'autres croyants. Nous avons œuvré de façon artisanale, avec les moyens du bord, sans les ressources des commissions d'enquête ou des entre-prises de sondages. Nous ne proposons aucun système ; nous parlons en nos noms propres. Que l'on nous permette de le répéter, par hon-nêteté.

Dans le premier fascicule, nous avons fait part de ce qu'on nous a dit des difficultés et des aspirations des croyants dans divers milieux sociaux. Les auteurs ont naturellement prolongé ces dialogues, en s'alimentant à leur propre expérience, dans des vues à la fois plus générales et plus personnelles. Les chapitres que l'on va lire tâchent d'étendre un peu plus loin la réflexion, d'esquisser des diagnostics et des objectifs d'ensemble. Ces textes s'inspirent néanmoins des mêmes expériences, de la même discussion commune, de la même foi.

Ces chapitres ne s'enchaînent pas selon la stricte logique d'un plan méthodiquement établi. Les quatre thèmes de ces chapitres ont

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été fixés par le groupe ; [10] après quoi, chacun des auteurs a pour-suivi librement son chemin, avant de soumettre la première version de son texte à la discussion. Des recoupements étaient inévitables ; de semblables suggestions se retrouvent ici et là. Nous n'avons pas cher-ché à éliminer ces interférences, car elles manifestent heureusement une communauté de pensée. On ne manquera pas de discerner une double orientation de fond, une double insistance sur ce qui nous a paru être les missions essentielles de la communauté chrétienne : la pédagogie de la maturation des personnes dans la foi ; la critique de la civilisation.

La conclusion — si l'on peut parler de conclure en pareil cas — définit les attitudes et les convictions de tous les membres du groupe.

Comme dans la première partie, on trouvera ici des propositions concrètes, des réflexions plus générales, des rappels quant aux exi-gences foncières de la tradition chrétienne et de son actualisation présente. Sous prétexte de plaider pour des changements et des rema-niements, nous n'avons pas cédé à la tentation de dresser des organi-grammes ou de compiler des recettes de cuisine.

Quand on envisage la situation d'une institution, quand on essaie de dégager les lignes incertaines des choix et des paris, il est indis-pensable de tenir compte de la nature de l'institution en cause, et de le marquer plusieurs fois plutôt qu'une. Cela risque d'agacer les techno-crates ou ceux qui préfèrent les rapports administrables. En l'occur-rence, pour prendre quelque distance envers les rapports adminis-trables, /'/ aura suffi de nous souvenir de la modestie de nos res-sources, de la richesse des ressources des personnes et des groupes qui habitent notre Église. De nous souvenir, plus encore, que tous nos efforts pour modifier des structures et pour affronter l'avenir sont su-bordonnés à l'œuvre du Christ qui nous rassemble et qui, lui d'abord, construit à la fois la maison du monde et la maison d'Église. Si notre impatience est grande, nous avons souhaité avant tout qu'elle soit un peu accordée à la sienne.

Fernand DUMONT et Jacques RACINE

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Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II. Entre le temple et l’exil.

Chapitre 1

CRISE D’UNE ÉGLISECRISE D’UNE SOCIÉTÉ

Fernand DUMONT

Retour à la table des matières

La crise du catholicisme québécois est évidente pour tout le monde. Là-dessus, les diagnostics n'ont pas manqué depuis quinze ans. Il serait utile d'en dresser une récapitulation. On y constaterait que beaucoup de croyants ont fait de gros efforts pour comprendre ce qui leur arrive, qu'ils ne se sont pas réfugiés dans les apaisantes sécu-rités du quant-à-soi ou dans le procès rancunier du monde environ-nant. L'angoisse ne nous a pas rendus parfaitement lucides ; elle ne nous a pas non plus aveuglés tout à fait. Cependant, ces examens de conscience souffrent parfois d'une grave carence ; tournés vers l'Église, ils méconnaissent un peu trop que la crise religieuse rejoint la crise de notre société.

La crise religieuse ne se réduit pas à la remise en cause d'une insti-tution troublée ou dépassée par le cours de l'histoire récente. La ques-tion ne se résume pas à savoir si l'Église doit disparaître de nos pay-sages ou s'y adapter. L'Église a été mêlée trop intimement au passé du Québec pour que l'on envisage sans réticences, chez les incroyants, de la remiser au vestiaire des vêtements [12] démodés ou, chez les croyants, de l'envoyer chez le nettoyeur. Et puis, à quoi donc devraient s'adapter l'Église et la foi ? À la grandeur de notre société, les conflits

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sont si nombreux, les contradictions si profondes quant aux idéaux de la vie que la considération de la crise religieuse doit, dans une pre-mière étape de la réflexion en tout cas, être mise en regard de la crise de la collectivité dans son ensemble.

Certes, se borner à la crise religieuse serait une commode division du travail et qui satisferait une opinion publique supposément plura-liste. Des incroyants et des croyants s'en contenteraient. Le terrain ain-si départagé, nous pourrions enfin nous occuper d'autres choses qui nous réuniraient malgré cette différence. Quelles seraient donc ces choses ? On ne refera pas une société québécoise avec des retailles du passé ; on ne la refera pas davantage dans une espèce de stratosphère où seraient perdus de vue les recherches et les conflits des hommes, des groupes, des mouvements sociaux — et des Églises — qui sont la substance de cette collectivité, qui constituent ses empêchements et ses possibles. Dans ce débat, le catholicisme n'est pas un cas à part ; pas plus que le syndicalisme, la politique, les factions de gauche ou de droite.

Ai-je à le préciser ? Parlant de crise de l'Église et de la société, je n'entends pas emboucher les trompettes de l'Apocalypse. Je constate plus simplement que nous sommes pour le moins placés actuellement en situation d'interrogation. Je constate aussi que la plupart d'entre nous, jeunes ou vieux, y éprouvent des malaises, y recousent pénible-ment le tissu de leur destin. Certains y perdent même leur vie.

Beaucoup ne l'entendront pas ainsi :

* La crise ? Enfin l'individu en surgit, en deçà ou au-delà des idéologies, en marge des appareils religieux ou autres ; il est désormais possible de poursuivre la voie de sa liberté à soi...

* La crise ? Accoucheuse de révolutions prochaines, elle débride les plaies d'une société, annonce les chirurgies radicales d'où naîtra la Cité harmonieuse...

[13]* La crise ? Bonne occasion de remuer les cendres du passé, de

démontrer qu'étaient sans issues les chemins où notre société s'est engagée depuis vingt ans, de trouver par en arrière un idéal disparu par en avant...

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Situation et avenir du catholicisme québécois. Tome II. (1982) 19

Pour ceux d'entre nous qui ne se veulent pas autrement que de la commune condition humaine, sans prétention à des synthèses ou à des prophéties qui ne les compromettraient pas, comment rassembler les questions que suscite la crise ?

I. CRISE D'UNE ÉGLISE

Une question de langage ?

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Au Québec, l'Église catholique est devenue marginale.Ce disant, je ne songe pas en premier lieu au déclin de la pratique

religieuse. À cet égard, les chiffres, si éloquents soient-ils, nous ren-seignent mal sur les complexes appartenances, les recherches person-nelles, les doutes et les refus. Je pense avant tout ici à l'institution ec-clésiale, à ce qui est le plus visible. Nos liturgies routinières ou renou-velées, fussent-elles célébrées en public, ne semblent plus concerner que la vie privée. Dans les débats d'opinions, on retient surtout les querelles comme celles que provoquent l'école confessionnelle ou, plus discrètement, les messages des évêques ou du Pape. À tout prendre, nous serions devant un groupement parmi d'autres, dont le visage n'est visible que chez ses représentants officiels ou chez ceux qui s'en réclament dans des polémiques périodiques.

Le cheminement de l'institution ecclésiastique au cours des der-nières années ressemble à celui qui transforme les Églises en secte. Là-dessus, madame Colette [14] Moreux, observatrice attentive de notre société, a proposé un raccourci saisissant. Après avoir rappelé que le langage de l'Église a autrefois défini notre société, donnant forme à l'école, à la famille, aux associations volontaires, à la poli-tique, elle constate :

De nos jours, même si la présence matérielle de l'Église, ses richesses, l'adhésion encore massive d'une partie de la population, l'influence de cer-tains de ses membres peuvent faire illusion sur sa vitalité, on peut cepen-

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Situation et avenir du catholicisme québécois. Tome II. (1982) 20

dant estimer que son poids social est faible parce que son langage, au sens large, est inexistant ; elle n'a plus de langue spécifique, elle tente seule-ment de donner et de se donner l'illusion de sa survie en s'appropriant le langage d'autres définisseurs qu'elle réajuste tant bien que mal à ses finali-tés propres : elle est informée par les instances actuellement dominantes de la société civile. Celles-ci acceptent relativement bien que l'Église parle, par une tolérance délibérée, et dans la mesure justement où elle se cantonne dans un langage qui n'est pas le sien... 1

Il me faut replacer ce diagnostic dans le contexte des propos de l'auteur. Le langage qu'évoque madame Moreux n'est pas celui des entretiens de chaque jour, là où, l'auteur en conviendrait, les thèmes de la parole religieuse continuent d'être présents ; de cette modeste pa-role, il importerait de poursuivre l'examen, de déceler les formules positives ou négatives au ras des consciences et des conduites. Bien plutôt, le langage dont fait état madame Moreux est celui-là qui per-met à une institution de montrer son originalité et, en même temps, d'affirmer son pouvoir de rendre intelligible, significative, la société plus large où elle existe.

Dès lors, comment ne pas confirmer, du moins dans une première vue des choses, la justesse du jugement posé ? Non seulement l'Église a perdu son ancien langage, mais elle en emprunte un autre où on ne la reconnaît [15] plus et où, bientôt, elle ne se reconnaîtra plus elle-même. Voilà le nœud de la crise. De la crise de l'Église, veux-je dire ; et qui ne préjuge pas de l'avenir de la foi en ce pays. Qui connaît un peu l'histoire du christianisme sait que celui-ci n'a pas toujours vécu, loin de là, de sa puissance d'animer publiquement les sociétés ; ses périodiques rentrées dans le secret des destins personnels ou dans les marges de l'histoire officielle l'ont fréquemment provoquée à retrou-ver la vivacité de ses sources, à se souvenir de ses humbles commen-cements.

Mais un arbre, une Église du vingtième siècle, n'est plus, ne saurait plus être le grain de sénevé dont parlent les Évangiles. Pour se rappe-ler ses modestes racines l'Église ne doit pas oublier sa condition adulte, le poids de son organisation, la complexité des doctrines héri-tées, l'histoire de ses compromissions et de ses audaces. Pour un

1 Colette Moreux, « Idéologies religieuses et pouvoir   : l'exemple du catholi - cisme québécois   », Cahiers internationaux de sociologie, LXIV, 1978, 36.

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homme de cinquante ans, il n'est pas malséant de revenir à la fraîcheur des eaux de son enfance ; à la condition de n'y point chercher alibi ou désistement devant la vieillesse qui s'annonce. Il en est de même pour l'Église, et pour toutes les institutions. Il serait trop facile aux croyants du Québec de raturer de leur mémoire les pompes ecclésiastiques de jadis pour ne plus murmurer que des vérités toutes simples. Ce lan-gage épuré ne tromperait personne. De quiconque, on exige qu'il porte courageusement le poids de son passé. Cela n'empêche pas les culpa-bilités, les conversions et les nouveaux départs ; mais dans ces re-prises, on s'attend à percevoir la même personne ou la même institu-tion. Une Église qui se torturerait pour reparaître jeune ferait sourire, comme ces vieilles dames trop maquillées qui consultent, les lunettes sur le nez, les catalogues de la mode.

Nous voilà donc, non pas devant la fin de la foi chrétienne au Qué-bec, mais devant une Église en vacance de sa société. Ayant pris en charge une collectivité, elle lui avait imprimé une identité. Elle s'est un peu perdue dans cette entreprise, au point où elle a du mal aujour-d'hui à se retrouver. Doit-elle maintenant abandonner entièrement à d'autres, et sans repentir, le soin d'élaborer un nouveau langage pour notre société ?

D'abondants propos entendus au cours des dernières décennies, de la part de bien du monde, y compris [16] de théologiens et de pas-teurs, vont dans ce sens. Selon le cliché devenu habituel, l'Église a joué ici, dans l'éducation, les soins hospitaliers et ailleurs, un rôle de suppléance ; il est bon, pour elle comme pour la collectivité, qu'elle s'en soit désistée. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi pour le langage ? Faute de mieux, notre société s'exprimait dans l'idiome de l'Église ; si notre société parlait enfin à partir d'elle-même ? Et si l'Église, du même coup, retrouvait la liberté d'une parole particulière, d'un langage qui soit strictement religieux ?

Est-il sûr qu'il y ait telle chose qu'un langage proprement reli-gieux ? Comment parler de Dieu sans parler des hommes et aux hommes ? Supposons que le langage de l'école, de l'hôpital, du syndi-calisme, de la politique soit parfaitement aseptisé quant à des réfé-rences religieuses. Alors la foi ne se dirait plus que dans le secret des consciences, dans des conversations intimes, dans les célébrations li-turgiques. Que dirait-elle ? Nous le savons quelque peu puisque nous en avons fait graduellement l'expérience depuis quinze ans : elle parle-

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rait un dialecte... Je ne propose évidemment pas que l'Église québé-coise tente de revenir en arrière et, par tous les moyens, de redire ce qui est aboli. Je ne veux ressusciter ni Mgr Bourget, ni Mgr Laflèche, ni le cardinal Villeneuve, ni le curé de mon enfance. Le Christ y pour-voira. Mais je connais, comme tout le monde, de nombreuses sociétés où l'Église n'exerce plus la fonction de parole dominante et où pour-tant elle ne cesse pas d'être présente au langage de la collectivité. De la France à la Pologne, en passant par le Brésil ou le Nicaragua, on a le choix des exemples...

Aussi, il serait bon d'oublier cette histoire de suppléance qui com-mence à relever d'un vocabulaire usé et d'une mémoire routinière. De toute façon, les institutions suppléent toujours à quelque chose. Tant que les rouages sociaux ne fonctionneront pas tout seuls, des per-sonnes ou des organismes devront répondre à des besoins sans cesse changeants et mal définis. Sans quoi il faudrait dire que l'Église de jadis a suppléé à des technocrates malheureusement pas encore nés, que ceux-ci suppléent à leur tour à des comités populaires mal assurés encore...

[17]

Un rendez-vous manqué avec l'histoire ?

Il est banal de rappeler le rôle que l'Église a tenu ici après la Conquête. Certains n'y ont vu, n'y voient encore qu'un appétit du pou-voir savamment mis en œuvre. La recherche historique nous apprend peu à peu à rouvrir le débat.

En 1760, les misérables débris canadiens de l'empire français d'Amérique se trouvent subitement insérés dans un autre empire, étranger par les institutions, la langue, la religion. Cette petite popula-tion possède des coutumes bien à elle ; cependant, de sa première ap-partenance elle n'hérite d'à peu près aucune structure proprement poli-tique. L'Église, avec ses paroisses, son clergé, son évêque, ses quelques institutions scolaires est susceptible d'en assurer la cohésion d'ensemble, la représentation officielle. Cette Église n'avait pas joué un rôle déterminant au temps du régime français ; des historiens ont parlé de sa « servitude ». Elle ne jouira pas non plus d'une grande li-

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berté sous le nouveau régime ; l'étroit contrôle où la tient le pouvoir ne se desserrera que dans les années 1830. Sous surveillance, l'épisco-pat a dû constamment montrer sa loyauté, encouragé en cela par les idéologies d'Ancien régime. À tout prendre (et pour ceux qui veulent s'expliquer le passé plutôt que de le faire comparaître aux tribunaux contemporains), à travers des louvoiements, des petitesses et des gran-deurs, l'Église a assez bien joué un rôle qu'elle n'avait pas d'abord choisi : être l'ossature d'un peuple minuscule dans un immense em-pire. Ce rôle s'est agrandi, on le sait, à partir du milieu du XIXe siècle. Le triomphe d'alors, et qui s'étendit sur un siècle, fut à double figure. D'une part, il correspondait à un vide des autres instances du pouvoir autochtone ; d'autre part, et par voie de conséquence, il donnait à l'Église une puissance dont ses élites cléricales et laïques ont naturel-lement tiré avantage, plaisir et aveuglement.

Déjà, cette Église se trouvait ainsi menacée. Sous le flonflon des cantiques et des processions, malgré la pourpre des évêques et l'autori-té des curés, une fêlure se dessinait et qui préparait inévitablement des éclatements futurs. Situation fausse que celle d'une Église qui, par [18] principe, en appelait à la transcendance du Royaume de Dieu et qui, en même temps, s'accordait et se voyait accordée la régence du royaume de César. D'où l'ambiguïté de son langage, que l'analyse la plus sommaire des idéologies du passé nous jette au visage. On y ré-pétait sans cesse que cette Église ne faisait pas de politique, mais qu'elle prétendait quand même dominer (ou inspirer) la politique ; ce qui n'était, à toutes fins utiles, qu'une redondance et une contradiction. On exigeait du pouvoir ce qu'on ne devrait exiger que des consciences. Comment la distance n'aurait-elle pas été comblée par des stratégies, des hypocrisies et, au mieux, des silences ?

On fait la même constatation, plus appuyée, quand on songe au contrôle de l'Église sur l'éducation. Pour des croyants, l'Évangile doit être annoncé aux enfants. Mais qu'arrive-t-il quand, transmué en for-mules rigides de catéchisme, l'Évangile tend à se confondre avec un processus officiel de l'apprentissage de l'enfance et de l'adolescence ? Là encore, les décrets, les règles, les idéologies dissimulaient des contradictions de la vie quotidienne qui devaient un jour éclater comme un abcès mûr bien avant la Révolution tranquille.

À qui s'étonne encore de la débandade religieuse des années 60, on doit ainsi rappeler que, sous son apparente opulence et à cause d'elle,

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malgré les parades et l'inconscience de ses propriétaires officiels, la maison était minée de toutes parts. À l'Église, nous devons cette jus-tice d'admettre qu'elle a tenu debout une collectivité fragile ; nous lui devons aussi cette justice de convenir que, dans cette fonction, elle a épuisé peu à peu ses propres sources. Beaucoup de ceux de ma géné-ration ont eu le sentiment de s'abreuver en leur adolescence au maigre filet d'eau d'un ancien torrent qui s'était peu à peu tari.

À ce diagnostic, j'ajoute une réserve qui ne se veut pas précaution apologétique. Ce que je viens de dessiner à grands traits ne préjuge pas de la foi vécue par les croyants. De cette foi, l'histoire reste presque tout entière à faire. À des témoignages multiples, à ceux que je pourrais rendre moi-même, il est certain que de nombreux chrétiens ont ici inspiré profondément leur vie de l'Évangile. Je pense, pour ma part, à des parents, à des éducateurs [19] dont la qualité de prière et de charité m'est encore enseignement et défi. Néanmoins, pour ceux-là aussi, un climat de conformisme religieux, entretenant un confor-misme social et s'inspirant de celui-ci à son tour, a entravé la libre et neuve expression de la foi. Certains se sont secrètement révoltés contre les paroles officielles ; les autres leur ont emprunté un idiome inapproprié. Dans les deux cas, et pour la plupart, ils n'ont guère eu le droit de parole. Cela, il est important de le souligner face à des inter-prétations grossières qui tendent à nous donner de notre passé des images caricaturales : d'une part, une masse amorphe aliénée dans l'adhésion naïve aux dominations religieuses ; d'autre part, une mino-rité de contestataires qui serait heureusement aujourd'hui triomphante. Notre passé (comme notre présent) est infiniment moins simple et in-finiment plus dramatique. La mémoire que nous en avons importe non seulement aux historiens mais à nous tous, que nous soyons croyants ou incroyants.

Encore une fois, on ne saurait saisir les éléments essentiels de la crise récente du catholicisme québécois si l'on ne garde à l'esprit l'état d'une Église qui, bien avant, avait déjà cumulé les conditions de son effondrement.

Malgré les idéologies officielles, tantôt rassurées, tantôt inquiètes, la société québécoise changeait au moment même où l'Église y assu-rait son emprise. À partir de la dernière guerre mondiale, ces change-ments se sont prodigieusement accélérés. La guerre, l'élévation subite du niveau de vie, la croissance rapide des organisations dès le lende-

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main du conflit mondial, plus tard l'extension des responsabilités de l'État : ces facteurs, et bien d'autres, ont mis à découvert des aspira-tions longtemps dissimulées, en ont fait surgir de nouvelles. Le déve-loppement prodigieux des médias (de la radio, de la télévision, en par-ticulier) a modifié radicalement les représentations du monde, accru l'importance de l'intelligentsia, permis l'émergence de nouveaux pou-voirs. La réforme de l'éducation, la scolarisation plus étendue ont créé de nouveaux auditoires et de nouvelles tribunes, multiplié les techni-ciens de l'économie, les techniciens de l'opinion, de la culture. Enfin, assez bien calfeutrée jusqu'alors quant aux influences extérieures dis-cordantes, [20] notre société s'est largement ouverte aux influences et aux modes étrangères.

En pareille conjoncture, sont ébranlées en premier lieu les institu-tions qui avaient été les plus imbriquées dans l'état social ancien. L'Église du Québec n'a pas fait exception à cette règle. Elle a cédé le terrain au ministère de l'Éducation ou à celui des Affaires sociales. Il y eut plus important encore. La pratique religieuse était auparavant liée aux autres pratiques sociales ; les rites liturgiques étaient tellement insinués dans les rituels sociaux que, ceux-ci se trouvant bouleversés, ceux-là devaient l'être aussi. Il en fut de même pour le clergé, les frères et les soeurs. Leurs rôles et leurs statuts sociaux, jadis assurés, devenaient si menacés qu'un grand nombre des acteurs se désistèrent, les uns parce que le scénario appris se trouvait sans emploi, les autres parce qu'ils trouvaient ailleurs (dans l'administration publique, par exemple) l'occasion de recycler de premiers apprentissages.

Partout, de nouvelles normes de vie se sont cherchées, se sont af-frontées. L'Église ne pouvait changer ses propres idéaux comme on change de chemise. Elle a tenté, il faut le reconnaître, de dire autre-ment sa tradition. Cet effort de renouvellement a été intense et varié : réforme de la catéchèse des enfants, de la liturgie, de l'enseignement théologique ; recyclage du clergé, transformations des pratiques pasto-rales, efforts de l'épiscopat... Mouvement religieux multiforme auquel les historiens rendront justice. Pour ma part, je me souviens du temps où j'enseignais à l'Institut dominicain de pastorale, en marge de mon enseignement universitaire, du temps où nous fondions la revue Com-munauté chrétienne, du temps plus proche où la Commission sur les laïcs et l'Église attirait dans les villes et les villages des foules consi-

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dérables de chrétiens avides de dire leurs rancœurs, leurs réclamations ... et leur foi.

Sur beaucoup de fronts, l'Église a donc bougé à partir de 1960. Mais le lourd appareil acquis du passé, la soudaineté des changements l'ont débordée ; comme ont été débordées, j'y reviendrai, d'autres insti-tutions de notre société. L'Église québécoise a dû affronter le change-ment avec des outils qui n'étaient pas de son héritage. [21] De la caté-chèse à la liturgie, des missions régionales à la théologie, les outils et les messages ont été transposés ici à partir d'expériences étrangères auxquelles nous n'avions guère participé. Vatican II a mis au point, comme il est normal pour un concile, des aspirations, des tâtonne-ments dont on avait fait ailleurs l'expérience. Ici, il fut reçu, soit comme un courant d'air étranger et gênant, soit comme une doctrine enfin rajeunie, mais par les autres. On a appliqué des décrets, vulgari-sé des textes. Sous ces exégèses, on a mal assumé des souvenirs, des expériences, des échecs, des bouleversements qui étaient de notre his-toire à nous. Les nouvelles structures, créées dans le sillage du concile, se sont souvent juxtaposées à celles qui existaient déjà. Un langage nouveau s'est ajouté à l'ancien : c'était inévitable, incapables que nous étions de formuler ce que nous avions à dire, quitte à le bal-butier.

De sorte que beaucoup de croyants ont fini par s'apercevoir qu'il leur fallait, dans ce pays, et à leurs risques et périls, retrouver une identité.

La recherche d'une identité

Dans la crise présente de notre Église, bon gré mal gré, les respon-sables officiels ont la garde des normes définies par la tradition. Au cours des temps, on a développé les enseignements évangéliques ; rien là que de normal puisque l'Évangile est un germe et non pas un code monolithique dont on répéterait inlassablement les articles. Mais, ex-plicitation ne va pas sans sédimentation. Les principes, les normes, les règles s'accumulent ; par après, on a du mal à distinguer la vivante inspiration de la mémoire et les scories de la routine. Les appareils, les bureaux, les structures ont aussi de la mémoire. Celle-ci est hélas plus

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juridique que l'autre, elle veille davantage aux règles accumulées qu'à l'inspiration qui les a produites, et qui pourrait aujourd'hui les contes-ter.

Un évêque québécois d'aujourd'hui, fût-il prophète, se trouve ainsi placé dans une situation particulièrement difficile. À moins d'être un irresponsable, il ne lui viendra [22] pas à l'esprit de tailler à sa guise dans l'héritage dont il a la garde ; ce ne serait pas seulement les offi-cines romaines mais les croyants qui l'en empêcheraient. Dans les heures de grandes démolitions et de grandes interrogations, on ne re-prochera pas à un évêque de garder bon sens, de ne pas s'abandonner au désespoir ou à la propagande.

Il n'en reste pas moins que le fossé se creuse, de plus en plus pro-fond, entre le lourd entretien des normes officielles et le travail tâton-nant, parfois sérieux et parfois erratique, des croyants pour trouver des normes nouvelles de conduite en ce monde nouveau. Les représenta-tions de Dieu, la référence à Jésus-Christ, les imageries du surnatu-rel : tout cela est remis en cause. La culpabilité, la faute, le salut : ce langage est devenu fluent et erratique.

Du reste, ont été ébranlées les institutions naguère toutes proches de l'Église, qui lui prêtaient leurs symboles et lui empruntaient les siens : la famille, le mariage, par exemple. Quelle parole cohérente et plausible l'Église peut-elle tenir, en tant qu'institution, dans pareil contexte ? Pour l'heure, il faut constater une disjonction entre l'officiel et le vécu. Le contenu de la foi, les critères de la morale se définissent à des paliers différents. L'institution et la conscience concordent mal, quand elles ne se contredisent pas.

Cette discordance ne m'effraie pas tout à fait. Elle est, à sa ma-nière, le signe d'une communauté vivante. Quand le fond de la conscience paraît correspondre parfaitement aux normes définies par l'institution, n'est-on pas en régime totalitaire ? Il n'en faut pas moins s'interroger quand la tension menace de ressembler à une rupture.

Alors, que peut-on espérer ? Que la parole officielle dise cette ten-sion, s'en nourrisse, en dégage les implications et la fécondité. Entre-prise éminemment difficile. Elle doit se garder d'une double impasse : rigidifier l'héritage du passé pour l'offrir comme un bloc infrangible aux incertitudes des croyants et des incroyants ; ou, à l'opposé, brico-ler les vieux principes avec les modes du jour. Dans l'entre-deux, il

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doit y avoir place pour une parole vivante, à la fois fidèle et ouverte. Pénible [23] recherche, je le répète, et ce n'est pas moi qui prétendrai en détenir la grammaire. Nos évêques n'ont pas la tâche aisée.

Nos évêques, on les sent plus ou moins divisés. Cela n'est guère surprenant : comment, dans un monde et un christianisme disparates, les évêques pourraient-ils être parfaitement unanimes sans être des automates de l'orthodoxie ou de l'idéologie ? Là-dessus encore, on aimerait que ces divergences se laissent voir plus ouvertement. Il ne s'agit pas d'entrer dans des polémiques, dont on ne voit guère l'utilité, mais d'entretenir une parole authentique, de ne pas la dissocier des personnalités qui la portent et des situations concrètes qu'elle tente d'exprimer.

Au surplus, l'institution officielle donne l'impression d'être encom-brée. Elle n'a pas échappé à la foi qui préside au développement de toutes les organisations : la prolifération des bureaux, des bureaucra-ties, des comités et des commissions. Une Église qui demeure consi-dérable, qui est affrontée à tant de problèmes, peut difficilement s'en défendre. Il demeure que, toujours du point de vue de l'identité pu-blique de l'Église, il en ressort une image troublante. D'autant plus que cet appareil ne se plie souvent qu'à des consultations de pure forme, s'enclôt dans des enceintes peu perméables à la diffusion de l'informa-tion, s'est donné après le concile de nouvelles structures qui (je le rap-pelais) ont été malheureusement, dans bien des cas, accolées aux an-ciennes.

De sorte que, pour l'essentiel, la vieille antinomie des clercs et des laïcs s'est assez peu modifiée en profondeur. Elle s'est même accen-tuée par suite des changements dans la composition du personnel ec-clésiastique. Faute de recrutement suffisant, le clergé vieillit rapide-ment. En conséquence, les obstacles se multiplient pour une pastorale qui voudrait rejoindre les divers groupes d'âges et d'intérêts, la com-plexité des expériences humaines. Par contre, le nombre des perma-nents laïcs s'accroît. On peut s'inquiéter, sans insulter quiconque, de la possible constitution d'une technocratie religieuse qui n'aurait plus les garanties et les devoirs des ministères. En même temps que l'on pré-serve le célibat ecclésiastique, on encourage par à côté l'exercice de fonctions [24] par des personnes que l'on écarte du sacerdoce reconnu et qui risquent ainsi d'être, soit des fonctionnaires, soit des prolétaires du magistère. Je crains que, pour préserver des règles, on laisse s'en

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dissiper le sens, que le clergé devienne une caste raréfiée et lointaine. Alors, s'accentuerait la marge entre l'institution et les communautés, les prêtres et les laïcs, l'Église et la société.

Nous sommes invités à des hypothèses semblables si nous dépla-çons le regard de l'institution en ce qu'elle a de plus officiel vers le monde plus vaste et plus vague de l'opinion publique. Depuis les an-nées 60, ce monde est traversé au Québec par de vives discussions quant au destin collectif et aux idéologies, mais aussi et surtout quant aux normes et aux valeurs de la vie sociale et de la vie personnelle. L'Église y est-elle partie prenante ? Les médias lui font place ; l'infor-mation dite « religieuse » y reçoit un traitement qui n'est pas mesquin. Cette information ressemble à tant d'autres : objective, exacte, elle ne soulève guère passions ou débats, sauf quand il s'agit de combats d'ar-rière-garde. Une certaine droite réactionnaire tient alors la vedette ; et les problèmes en cause apparaissent à la plupart des gens comme des querelles de sacristies.

Je ne souhaite pas, Dieu m'en garde, que l'on nous organise de haut une vaste stratégie de pénétration du journalisme, de la littérature, du cinéma ou de la politique. Il revient aux dynamismes divers, et pas toujours convergents, d'une communauté de s'exprimer et de réunir les ressources pour le faire. Ne s'étant pas retrouvée depuis les ébranle-ments des années 60, la communauté chrétienne ne pouvait reparaître aisément au théâtre de l'opinion. Sauf par la ténacité de quelques-uns, pour qui cet ébranlement a été une redécouverte des sources ; ou, à rencontre, pour les vieux acteurs qui tiennent à tout prix à faire réen-tendre un répertoire périmé.

À tout prendre, la recherche d'une identité chrétienne s'effectue au mieux au ras du sol. Cette recherche se dit mal au grand jour ; ce qui est peut-être sa meilleure garantie d'authenticité. J'observe, comme bien du monde, le renouveau de paroisses où, grâce surtout à la pré-sence de pasteurs exceptionnels, la charité est vécue humblement, la foi est partagée dans la simplicité, l'attention [25] quotidienne aux plus démunis se dépouille de tout soupçon de rhétorique. Les statis-tiques sur la pratique religieuse n'y sont plus la préoccupation pre-mière ; pratiquants réguliers ou épisodiques, non-pratiquants y tra-vaillent côte à côte dans une amitié qui a saveur d'Évangile.

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Bien sûr, à côté, il y a des paroisses qui sont revenues à la routine d'avant, où le renouvellement du langage n'a été que de surface, où le conformisme s'est enveloppé de fleurs nouvelles. Et, croyants et in-croyants ne manquent pas de nous le rappeler, mouvements charisma-tiques, « renouement conjugal » et autres rassemblements ne sont pas dénués d'ambiguïtés. Leur langage, pour ne pas dire leurs techniques, a été souvent emprunté. Qui donc, parmi les idéologues à la mode au Québec, vivant lui aussi d'emprunts, osera leur jeter la première pierre, sans travailler plus énergiquement à remettre en question cette déperdition de soi qui, depuis toujours, est la marque de notre tragédie collective ?

II. CRISE D'UNE SOCIÉTÉ

Une crise du langage aussi ?

Retour à la table des matières

Le langage religieux a longtemps tenu lieu de discours d'ensemble pour notre société ; il s'est effrité au cours des années. Tel était mon constat de départ. En conséquence, une question se pose, et elle n'est pas exclusive au Québec : faut-il remplacer ce discours par un autre ? La vie en commun exige-t-elle, au sein des conflits les plus déchi-rants, un certain consensus, au moins pour que les dissensions se fassent entendre ? Ou bien, après la prédominance du langage reli-gieux, n'avons-nous que deux choix possibles : les vastes totalita-rismes politiques qui étendent progressivement leur emprise sur la planète ; la cafétéria des propagandes de [26] plus faibles portées où chacun trouverait la liberté d'emprunter ses formules ? Après la dis-qualification de la parole ecclésiastique, avons-nous encore besoin d'un langage collectif ?

Soit un exemple, dont on discute beaucoup dans les médias, les salons, et les colloques : la querelle à propos de la confessionnalité scolaire.

D'un côté, certains défendent encore l'étiquette confessionnelle, se fondant sur l'argument que l'on ne saurait limiter la présence de la reli-

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gion dans l'école aux cours de catéchèse. Il faut convenir, en effet, que la foi n'est pas une spécialité comme l'arithmétique. Par ailleurs, com-ment imposer officiellement un contexte religieux à ceux qui s'y re-fusent par conviction intime ou par indifférence ? Comment imposer à des professeurs le soin de transmettre une foi qu'ils n'ont pas ? Sou-vent l'école confessionnelle est le contraire de l'évangélisation, sa cari-cature.

Forts de ces constatations, pourquoi ne pas abolir la confessionna-lité ? Ne serait-ce pas une nouvelle étape, obligée, des transformations scolaires inaugurées au cours des années 60 ?

Cela entraînerait-il que les enfants des croyants devraient fréquen-ter, le soir ou le dimanche, des cours d'enseignement religieux ? Les moins fanatiques d'entre nous s'y objecteront ; ils ont le droit à ce que leurs enfants ne soient pas pénalisés à cause d'un enseignement qui, après tout, a autant droit à prendre place à l'école que l'histoire an-cienne ou la géographie ; pas plus que ne doivent être brimés plus ou moins subtilement ceux qui ne désirent pas cet enseignement. À pre-mière vue, une solution s'imposerait : une école publique neutre où chacun recevrait soit une initiation religieuse, soit (disons pour faire bref) une initiation morale. Pour l'enseignement religieux, il n'y aurait pas de trop gros problèmes : chaque confession déciderait de son contenu. Pour l'enseignement de la morale, cela serait plus compli-qué : quel contenu lui donner ? Comment s'entendre sur ce qui est cri-tère pour les uns et futilité pour les autres, idéologie pour d'aucuns, aliénation pour certains ? Et qui proposerait un arbitrage, rassemble-rait les lieux communs d'une morale ? Le mouvement pour la laïcisa-tion de [27] l'école n'est-il pas logique quand, après avoir proposé la neutralité de l'école qui eût conservé le choix d'un enseignement reli-gieux ou d'un enseignement moral, il suggère finalement de supprimer l'un et l'autre ?

Une école publique serait-elle ainsi une école parfaitement asepti-sée ? Une école où, comme paraissait le souhaiter récemment quel-qu'un, on instruirait en se gardant d'éduquer. Que l'on imagine un pro-fesseur entièrement nettoyé de ses préjugés, enseignant les mathéma-tiques sans passion, la littérature sans laisser paraître ses goûts person-nels, la philosophie sans parti pris, l'histoire réduite à la chronologie... On lui interdirait de parler à ses élèves comme un individu parle à d'autres individus, c'est-à-dire en y mettant ses conceptions de la vie.

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Quels professeurs accepteraient d'enseigner dans ces conditions ? Et quels enfants consentiraient à fréquenter pareille usine peuplée par des ordinateurs vivants ?

Ce qui n'empêche pas de souhaiter qu'il y ait vraiment une école publique, c'est-à-dire un lieu d'apprentissage pour tous les enfants du Québec. Mais n'est-il pas simpliste de prétendre lui enlever toute por-tée éducative afin qu'elle convienne à tout le monde, c'est-à-dire à per-sonne ? Que transmettre aux générations plus jeunes ? Un savoir sup-posément objectif, c'est-à-dire déterminé par des technocrates qui remplaceraient les évêques d'antan ou par des comités où ne se retrou-veraient encore que des experts ? Une école publique ne se définit pas par le vide qu'elle ferait des options auxquelles chacun tient dans la poursuite de sa vie. Elle est publique dans la mesure où elle est le mi-crocosme d'une Cité. Elle doit disposer d'un langage qui ne soit pas le résumé de particularismes, qui ne soit pas non plus leur censure dans un empyrée du savoir où on ne retrouverait plus personne.

Je n'ai pas, toute prête par-devers moi, de solution à ce problème. J'évoque le cas de l'école parce qu'il est exemplaire de beaucoup d'autres. Il éclaire d'une manière particulièrement crue une question de fond qui se pose désormais à notre société : la nécessité et la difficulté du pluralisme.

Le pluralisme est un bienfait. Ne regrettons pas les anciennes una-nimités de surface, empêchons surtout [28] qu'il s'en forme d'autres. La liberté ne va pas sans diversité et sans conflits. Encore faut-il que se maintiennent des conditions de dialogues et de convergences. Non pas parce que cela est indispensable à la machinerie sociale : à cela les lois et les codes pourvoient tant bien que mal. Les lois et les codes concernent ce que Bergson appelait la société close, à laquelle il faut faire sa part. La société ouverte repose sur des exigences plus com-plexes. Le pluralisme ne se confond pas avec l'indifférence de chacun envers les autres. Il est susceptible de nourrir des rapports plus subtils et plus vrais entre les hommes, où les consensus s'alimentent aux dif-férences et où, en revanche, celles-ci trouvent garanties et points d'ap-pui. Le pluralisme n'est pas un pis-aller ou une concession ; c'est une faculté de vivre ensemble où chacun est capable de proposer des va-leurs qu'il a librement élues et d'accueillir celles d'autrui, où chacun est capable de s'insérer dans la construction d'une société qui ne soit pas stricte juxtaposition d'individus et de sectes. Il n'est pas d'autre

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façon d'échapper à la perpétuelle renaissance des conformismes. Ceux-ci ne cessent point de menacer. La couleur religieuse ne leur est pas indispensable. D'anciens tabous sont morts ; d'autres renaissent à mesure, parfois sous couvert de libération. S'il était autrefois interdit de parler de certaines choses, il est maintenant devenu indécent de n'en point parler. On ne met pas en question sans péril et sans ostra-cisme les nouveaux idéaux de la bourgeoisie éclairée. Les orthodoxies ont leurs professions de foi et leurs convenances, leurs langages et leurs scolastiques. Pas plus aujourd'hui que naguère, la liberté de pen-ser et de dire ne va de soi.

Au lendemain de la Révolution tranquille :quelle société ?

Au cours des dernières années, et bien avant de façon souterraine, dans les destins individuels aussi bien que dans les institutions, s'est poursuivie une double quête.

D'un côté, se sont proclamés de toutes les manières un effort de libération intérieure, la contestation des anciennes [29] entraves, le goût de la découverte de soi. La littérature, à commencer par la poé-sie, en est le signe éclatant. Nos vies en témoignent à leur façon. L'aventure comportait risques et périls : s'y perdre sans autre recours que l'indéfinie recherche ou attraper au vol quelque nouvelle certitude. C'était sans doute le prix à payer, effarant quand on songe aux destins de tant d'êtres qui s'y sont irrémédiablement perdus, pour briser des principes devenus des chaînes.

D'un autre côté, et c'était là une impulsion complémentaire de la précédente, les Québécois se sont mis en quête d'une identité collec-tive. Les vieux clichés, la sédimentation historique des formules sur notre identité ont volé en éclat. Sans doute en vue de nouveaux re-pères. Mais nous n'en avons pas trouvés ; ou plutôt, on en a proposé de si nombreux qu'ils laissent le champ libre à toutes les positions. Pourquoi s'en étonner ? Du moment où chacun veut librement cher-cher sa voie, comment ne changerait-il pas du même coup sa visée de la collectivité, introduisant par là, en même temps qu'une relativisa-tion des normes acquises, le besoin d'une concertation nouvelle ? La

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conscience que nous avons de notre collectivité n'est pas la simple résultante de nos errances individuelles. Dans les idéologies qui s'af-frontent, on décèle le concert discordant de nos désirs mais aussi, et du même mouvement, l'exigence d'une référence collective, l'anticipa-tion d'une société où se révélerait au grand jour une recherche de soi qui, de quelque façon, nous demeurerait commune à tous.

Ainsi en fut-il de ce qu'on a appelé, faute d'un meilleur terme, le « néo-nationalisme » des années 60. L'étiquette s'applique mal à des idéologies fuyantes. Le nationalisme d'autrefois se laissait assez bien cerner par quelques thèmes relativement codifiés ; le nationalisme d'aujourd'hui, en plus d'avoir changé substantiellement de contenu, est infiniment plus divers. D'un individu à l'autre, d'un groupe à l'autre, on décèle des variations et même des contradictions. Il y a des nationa-listes canadiens-français et des nationalistes québécois. Certains se réclament du passé, alors que d'aucuns le récusent. Parfois on lie le nationalisme au socialisme ; ailleurs on l'en dissocie farouchement... Ces variations et ces contradictions [30] révèlent une phase nouvelle de l'idéologie, mais tout autant son emprise plus profonde chez des individus qui veulent mieux s'assurer désormais de leur singularité. Ainsi, à l'orée des années 60, nos représentations de notre histoire ont éclaté en de multiples directions, impossibles à ramener aux schémas assez simples qui avaient nourri les querelles de Groulx avec Chapais ou Maheux. De même pour les vues d'avenir.

Dans cette foulée, la politique a revêtu une extrême importance. Depuis 1960, on a suggéré qu'elle avait pris le relais de la religion, que les intellectuels avaient remplacé le clergé. Quoi qu'il en soit de ces vues sommaires, la politique a servi pendant quelque temps de laboratoire pour l'élaboration d'un nouveau langage collectif. L'État est devenu un puissant symbole, lui qui avait été si longtemps une of-ficine d'administration et de patronage. Les utopies y ont trouvé leurs prétextes ; les partis ont suscité des ferveurs militantes que nous n'avions pas éprouvées depuis les batailles des ultramontains et des libéraux au siècle dernier et le bref feu de paille des années 35.

Selon des inspirations parentes, les mouvements sociaux se sont consolidés et multipliés. Dès les lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, le syndicalisme a connu un prodigieux accroissement de ses adhérents. Plus récemment et dans certains secteurs (publics et para-publics notamment), il a acquis une force de frappe, un pouvoir de

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négociation étendus. Il a contribué aux débats idéologiques, à mesure que s'accroissaient, à l'exemple de l'État, ses ressources économiques et le nombre de ses experts. Le syndicalisme ne fut qu'un cas plus spectaculaire que les autres. Sur tous les terrains et pour presque toutes les clientèles, se sont multipliés les associations, les mouve-ments, les groupes de pression. À mesure que les problèmes de la vie privée montaient en surface, ils étaient assumés par des groupements préoccupés de les porter sur la place publique, orchestrés par les mé-dias devenus plus envahissants, entretenus par des spécialistes plus nombreux et plus bigarrés.

Jamais on n'aura proféré et entendu autant de discours sur à peu près tous les aspects de la vie collective. Jamais la parole n'aura susci-té, en si peu d'années, tant d'institutions nouvelles : nationalisation de l'électricité, [31] réforme radicale du système scolaire et des services de santé, croissance des structures de l'État. Les idéologies ne sont fréquemment que des compensations ou des consolations pour les in-suffisances des pratiques effectives ; en ce temps-là, au contraire, elles ont suggéré le sentiment de mordre immédiatement sur la réalité. On s'est donc mis à espérer plus encore : l'abolition des classes sociales ou l'autogestion pour le lendemain. Les idéologues déçus de France et de Navarre nous visitaient, observaient le spectacle pour reprendre foi en leurs théories et nous donner, en passant, quelques conseils.

Voici que, depuis cinq ou six ans, tout cela semble s'essouffler, se renier même.

Le nationalisme ? Il s'effiloche dans la mesure même de sa florai-son d'hier.

Le nationalisme des années 60 était neuf en ses anticipations tout autant que dans son examen du passé. S'y cherchait une nouvelle iden-tité de notre société. Pour y arriver, on a levé toutes sortes de cen-sures, à commencer par celles que nous avait imposées une mémoire collective sclérosée.

La mémoire n'est pas un bagage de souvenirs que l'on traînerait sur son dos et dont on remplacerait à loisir le contenu au premier comp-toir venu. Pour les collectivités comme pour les personnes, la mé-moire est conscience de soi ; on peut la remanier quand on ne s'y re-connaît plus, à la condition de ne pas se renier soi-même. Au Québec, en certains quartiers, nous nous sommes tellement acharnés à mépriser

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ce que nous avons été qu'il est devenu impossible, à la fin, de conce-voir ce que nous pourrions devenir. Nous avons peut-être ainsi tourné en rond. Car, si l'on y songe, ce procès, ce déni de nous-mêmes comme collectivité, il remonte fort loin dans le passé ; il a toujours accompagné en contrepoint nos pauvres idéologies de la « mission canadienne-française ». Avons-nous donc, au cours des vingt der-nières années, avec plus de fracas, répété les sempiternels symp-tômes ? Nous sommes-nous enfermés, au prix d'un langage nouveau, dans les vieux embarras ?

De même, décline et se fane la symbolique de l'État québécois qui fut omniprésente au cours de la Révolution tranquille. Même sous la gouverne d'un parti souverainiste, [32] l'État se ratatine de plus en plus dans ses rôles d'arbitre. N'est-ce pas inévitable qu'il en soit ainsi, sous la pression des conflits sociaux, de l'inflation, de la multiplica-tion des idéologies, de l'effritement de l'opinion publique, de la contestation des mouvements sociaux, de la fluence des attitudes et des valeurs ? Le référendum sur la souveraineté a mobilisé une société tout entière ; il s'est terminé par un match nul. Il y avait là bien plus que l'échec d'une idéologie particulière : celui d'un effort pour que les citoyens se souviennent ensemble du sort de leur société. Le grand débat est retourné à la vie privée... et à la Cour suprême. De Londres est venue la conclusion.

La campagne électorale de 1981 aura été, à cet égard, fort instruc-tive. Le souvenir de la scission référendaire s'étant quelque peu estom-pé, les deux partis principaux ont eu du mal à distinguer nettement leur programme respectif. De part et d'autre, les thèmes n'étaient pas exactement les mêmes ; ils auraient pu, pour la plupart, être échangés d'un bord à l'autre sans que ne fût beaucoup modifiée la couleur d'en-semble de chacune des factions. Au niveau des clientèles, les opposi-tions étaient plus dures et plus irréductibles ; on s'est gardé, et cela est révélateur, de les faire trop paraître dans les idéologies. Certains ont qualifié ces programmes de « discours conservateurs » ; ce n'est pas faux, ce n'est pas le plus important. Disons plutôt que ces discours ne se compromettaient plus dans l'épaisseur de la vie collective. La poli-tique avouait son incapacité à tenir plus longtemps le rôle qu'elle a assumé au cours de la Révolution tranquille, celui de faire converger pour un temps les conflits du langage collectif. Maintenant, et on nous le répète de partout, occupons-nous à « gérer la crise »...

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Les mouvements sociaux aussi plafonnent. Les vastes appels à la participation collective ne suscitent plus guère d'échos. Aux pénibles conquêtes a succédé la défense raffinée des privilèges. Les conseils et les comités consultatifs ont proliféré. Les nouvelles élites, les experts et les délégués des organismes bureaucratiques y occupent presque toute la place. Le syndicalisme est fractionné selon des intérêts contra-dictoires. Des classes sociales différentes s'y retrouvent désormais ; [33] quelles que soient les tentatives pour appeler « travailleurs » à peu près tout le monde, personne ne confond les professeurs syndi-qués de l'université avec les ouvriers syndiqués de Seven-up. Il n'est pas nécessaire d'être marxiste pour constater que la classe ouvrière trouve mal à exprimer sa conscience de classe dans des organisations qui lui soient propres. La participation des citoyens à la vie munici-pale, à la conduite des écoles, à l'orientation du mouvement coopératif n'est pas non plus en progrès ; c'est le moins que l'on puisse dire.

Les idéologies ne se renouvellent guère. Les utopies reculent de plus en plus loin leurs échéances. Elles perpétuent des thématiques usées grâce à des bricolages où sont rassemblés, pour faire bonne me-sure, le prolétariat, les femmes, les Amérindiens, l'écologie, etc. Cette symbolique délirante n'est pas très favorable à des engagements un peu concrets ; à tout mettre ensemble en langage, on se dispense de bousculer vraiment les pratiques collectives. Gide disait que l'on ne fait pas de la littérature avec des bons sentiments ; en est-il autrement pour la politique ?

Une crise morale

Morale : ce mot, au Québec, est interdit par une censure aussi ferme que celle qui défendait naguère de parler des fesses et de leurs alentours. Quand on utilise ce mot, il faut s'en défendre de tous les bords, se justifier devant plusieurs tribunaux. Rappelons donc que le mot est fort ancien : il désigne traditionnellement les critères que l'on a tirés de l'expérience, qui la guident en retour, qui servent à s'en justi-fier. Tout le monde a donc une morale. Ça ne devrait effrayer per-sonne.

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Parler de crise morale suscite des objections autrement sérieuses. On a l'air de se hausser à quelque niveau supérieur, de se déguiser en moraliste, pour juger que les morales que l'on observe autour de soi n'obéissent pas à quelque canon supérieur, que des règles acquises menacent d'être compromises par les morales effectivement mises en œuvre. La méfiance envers les moralistes n'est [34] pas sans fonde-ment ; encore ne devrait-elle pas porter uniquement sur les tenants des morales anciennes. Ceux qui viennent de découvrir de nouveaux idéaux d'existence ne manquent pas de les ériger en normes suprêmes et d'évaluer de plus haut qu'eux-mêmes, de plus haut que leurs tâton-nements, les expériences différentes des leurs. De la morale au mora-lisme, l'ascension est quasi fatale. C'est sans doute pourquoi chacun est tenté de résoudre, pour son compte, la crise de la morale, c'est-à-dire d'imposer à autrui une censure dans la recherche de sa morale.

Il n'y a pas de morale sans crise. S'il fût jamais des temps apparem-ment tranquilles où la morale de tous était la morale de chacun, se se-rait alors trouvé interrompu le cours de l'histoire en ce qu'il a de pro-prement humain. Quiconque connaît un peu le passé n'a rencontré rien de pareil nulle part. Au contraire : chaque fois que des règles d'exis-tence sont apparemment acquises et professées par tous, la poursuite du sens en devient d'autant plus exaspérée par après.

Une crise morale n'a rien à faire avec la prolifération des morales. Cette prolifération est, au contraire, un signe de vitalité de la morale. Il y a crise quand les conditions mêmes de la recherche d'une morale sont compromises.

Au lendemain de la dernière guerre mondiale, Camus écrivait : « ce peuple est à la recherche d'une morale, voilà ce qui est vrai ». Je cite Camus comme une caution, car je me ferais écorcher vif si j'osais, à moi tout seul et sans référence, proférer pareille déclaration à propos du Québec de ces années-ci. Pourtant, pas plus que Camus, je ne tiens en réserve un bon vieux code pour les temps de crise. Je veux simple-ment dire que nous voilà réduits non pas à élaborer une morale pour tout le monde mais à nous interroger sur les prérequis de la liberté qui engendre les morales.

On s'accorde assez communément à reconnaître que, du moins dans sa première phase, la Révolution tranquille est terminée. Il y a du vrai dans cette observation. Elle appelle cependant une nuance impor-

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tante, et qui nous reporte à ce que je disais des deux courants majeurs de la Révolution tranquille : l'exploration de [35] voies individuelles de la liberté, la recherche politique d'une identité collective. Cette der-nière piétine actuellement, alors que la première s'exaspère. Rien là qui représente une coupure absolue. Parlons plutôt d'un déplacement d'accent, assez marqué cependant pour que les problèmes de notre so-ciété ne se posent plus aujourd'hui comme dans les années 60.

La jeune génération en témoigne plus ouvertement que les autres. Les vieilles coutumes, les anciens genres de vie ne pèsent plus guère sur elle. Elle se trouve entre deux mondes : l'un qui paraît périmé, et qui n'a plus besoin pour disparaître de la critique qui occupa et parfois divertit les aînés ; l'autre, encore incertain, que seuls des expériences, des essais et des erreurs sont susceptibles de faire entrevoir. En réalité cette situation, plus visible chez les jeunes, est aussi celle des plus vieux. Voici qu'à peu près tout le monde, parti à la recherche d'une société, se trouve engagé à la recherche de soi-même.

À cela, les sociologues et autres spécialistes ne seront pas en peine de trouver des explications. L'investissement dans la politique, le pro-cès des idéologies sclérosées, la vie militante font appel, au secret de chacun, à des besoins et à des désirs personnels qu'attisent les débats d'opinion. Et faut-il évoquer à nouveau la prospérité factice des décen-nies passées, la rapide croissance d'une classe moyenne profiteuse et porte-parole d'une société de consommation, l'utilisation par cette classe du syndicalisme et de la politique pour s'assurer les avantages d'un corporatisme minutieux en même temps que le contrôle de l'opi-nion et de la mode.

On aurait tort de borner le diagnostic à ces constats.Nous nous sommes efforcés de démystifier les croyances d'antan.

Et pas seulement dans le cercle de la religion, mais aussi pour ce qui concerne nos conceptions de l'éducation, de la famille, de la sexualité, etc. Des idéologies nouvelles sont apparues. Elles se sont succédé avec une telle vélocité que la ferveur qu'elles ont provoquée se fane, sauf chez ceux pour qui la contradiction n'est pas occasion de doute.

Par-dessous, plus ouvertement à mesure que le temps passe, les croyances ont fait place aux techniques.

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[36]Le monde des écoles en a d'abord fourni l'exemple. Toutes les mé-

thodes y ont été essayées, importées le plus souvent des quatre coins de l'univers. Notre nouveau système d'enseignement est sans doute le cas unique au monde d'un bric-à-brac qui, faute d'enseigner aux en-fants l'orthographe et les rudiments de l'expression, pourra servir de musée pour les observateurs étrangers. Nous faisons de même pour l'art de faire l'amour, de pratiquer la stérilisation des femmes et des hommes... Ouverts sur le monde, grands voyageurs et grands badauds que nous sommes, beaucoup de nos magazines ressemblent (sauf pour la langue qui d'ailleurs, comme la pensée, est souvent de traduction) à n'importe quelle publication américaine d'à côté. Le Québec est deve-nu une sorte de société expérimentale. Cependant, nous n'avons pas grand-chose à dire sur la conduite de l'expérience. Jadis porteurs d'eau dans les facteries, nous voilà porteurs d'eau dans les morales...

Je n'entretiens pas personnellement de phobie particulière envers les États-Unis. Je reconnais même que mon appartenance à la culture américaine est autrement plus importante que ma citoyenneté cana-dienne. Je n'ai aucun scrupule à préférer les romans de Steinbeck à ceux de Mauriac ou à manger des hamburgers plutôt que des croque-monsieur. Là n'est pas la question. De même que je m'inquiète de l'emprise des multinationales américaines sur notre économie, de la gouverne de la politique américaine sur la nôtre, je ne peux manquer de me soucier de la colonisation de ma conscience par la culture du grand voisin. Après m'être vu dépouillé de mes facultés de décision dans l'économie et la politique, vais-je me départir de mes questions sur la signification de la vie ?

Une constatation se fait jour ces années-ci : il n'aura pas servi à grand-chose de jeter par terre les vieux mythes, ni même de décapiter saint Jean-Baptiste devant le trône de M. Trudeau, pour mettre à la place le mythe californien. Celui du dieu mâle, parfaitement maître de son corps et de ses sentiments, jeune, beau, hygiénique, spontané, sa-chant faire l'amour sans se compromettre ; ou celui de la déesse fe-melle, douée des mêmes qualités et attributs interchangeables. Ces dieux-là, plus proches [37] de nous que les anciens, sont aussi plus répressifs. Ils sont les symboles d'une discrimination, d'une oppression que nous n'avions pas encore connues. Car qui pourra s'ajuster à ces modèles ? Qu'allons-nous faire des vieux, des difformes, des mal-ai-

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més et de ceux qui enragent de ne pas aimer ? De la plupart d'entre nous...

Je ne m'étonne pas que beaucoup de révolutionnaires d'hier dé-couvrent maintenant, toujours le nez attentif aux vents qui soufflent d'ailleurs, les vertus du néo-libéralisme. Lequel est à tout prendre la nouvelle version de l'idéal des repus, le fussent-ils de fraîche date. Une fois acquis le privilège de poursuivre la « réalisation de soi-même », assurés contre tous les risques de la misère, les privilégiés mettent en cause l'État qu'ils voulaient construire hier et prêchent aux classes populaires les vertus de leur confort.

Nous avons donné toutes les sécurités de revenu et de liberté de parole à quelques-uns, à ceux-là qui les ont réclamées au nom des « travailleurs » (moins souvent au nom des pauvres, le mot étant peu à la mode). Les voilà barricadés dans cette nouvelle forteresse, dont ils ont soigneusement fermé les portes. Nous n'avons pas réussi à syndi-caliser ceux qui en avaient le plus besoin ; nous avons préféré dégui-ser les privilégiés en « travailleurs ». Nous ne parvenons plus à trou-ver des postes et des responsabilités aux plus jeunes dans les enceintes des établissements d'enseignement et de recherche ; nous défendons le monopole de ceux qui sont en place. Nous ne sommes pas parvenus à scolariser les démunis ; les professeurs invoquent les classes sociales plutôt que de faire le procès de leurs propres démarches. Les droits de l'homme nous tiennent lieu de morale comme au XVIIIe siècle ; en ce temps-là aussi, la bourgeoisie triomphante se proclamait porte-parole du progrès et émancipatrice des pauvres du dedans et de ceux des co-lonies. Des bons sentiments aux idéologies révolutionnaires, il n'y a qu'un pas ; des uns aux autres, on trébuche sans y prendre garde sur des variétés nouvelles de l'oppression que tâchent de faire oublier les cantilènes du radicalisme verbal. « En 1950, disait Camus, la déme-sure est un confort toujours, et une carrière parfois... » En 1980, au Québec, en va-t-il autrement ?

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III. L'AVENIR D'UNE ÉGLISE

Œuvrer parmi les hommes

Retour à la table des matières

Le parallèle que j'ai esquissé entre la crise de l'Église québécoise et la crise de notre société ne visait qu'à aligner un certain nombre de repères. Je me suis contraint à être quelque peu superficiel, à grossir certains traits, à en estomper d'autres, afin de suggérer un diagnostic. En tout cas, ce qui me paraît ressortir de cette rapide vue des choses, c'est la convergence du cheminement de l'Église et de celui de la col-lectivité tout entière.

Cette convergence est d'une nature singulière. Autrefois, notre Église s'identifiait à notre société ; elle lui fournissait une part impor-tante de son organisation, du langage qui exprimait son originalité et son destin. La dissociation s'est effectuée rapidement au cours des der-nières décennies ; après bien d'autres, j'ai parlé d'une marginalisation de l'Église. Néanmoins, il apparaît que ce constat de marginalisation ne dit pas l'essentiel. L'Église est encore profondément intégrée à notre société : non plus, contrairement à naguère, comme support et structure, mais comme participante à une plus vaste interrogation. Les incertitudes qu'elle éprouve, les tâtonnements qui sont les siens res-semblent à ceux de toutes les institutions et de toutes les personnes en ce pays ; ils en sont le contrecoup, la répétition à un autre registre. Pour être radicalement différente, la solidarité n'a pas cessé.

Que cette solidarité, difficile et angoissée, ne s'arrête pas : c'est le premier vœu à formuler pour l'avenir. Là est la croisée des chemins. Pour l'Église, il n'est pas rassurant de maintenir le cap sur la crise ; il est tentant, au contraire, de se refermer sur ses frontières, fussent-elles illusoires, de se cantonner sur des problèmes internes. Risquer de se perdre plus encore dans l'aventure commune ou devenir une secte par-mi d'autres : tel est le dilemme.

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[39]Du reste, nous n'avons pas le choix. Quel chrétien, dans sa condi-

tion quotidienne, pourrait prétendre aujourd'hui à un cercle quelque peu assuré de ses pratiques et de ses croyances ? La foi divise des amis, des époux, des générations. De la famille à la politique, de la littérature à la science, les idéologies, les attitudes, les factions s'af-frontent et se contredisent ; une personne normale n'observe pas ce remue-ménage seulement autour de soi, mais en soi. On devrait céder à la schizophrénie pour s'en garder.

Faut-il sauver à tout prix un langage ? Pas plus que les autres, le langage religieux ne saurait être mis à l'abri. À moins que ce langage devienne un dialecte second qui, pour répéter des certitudes, ne sert plus à exprimer la quête vivante du sens. Une sorte de bilinguisme, qui ressemblerait à celui de naguère : le latin pour la messe ou les vêpres, le français pour le reste. Encore que cet exemple soit assez banal et qu'il n'éclaire que de pâle façon les enjeux et les risques dont je veux parler.

Prenons l'exemple de la pensée scientifique. Là-dessus je ne connais guère de plus sincère et de plus émouvant témoignage que celui du Père Dubarle. Dominicain, mathématicien, logicien, philo-sophe des sciences, il a travaillé pendant un demi-siècle au laboratoire de l'École polytechnique de Paris sur le rayonnement cosmique et les hautes énergies. Il s'est engagé dans cette voie par décision réfléchie, au sortir de ses études théologiques. J'aimerais citer tout au long ces confidences d'un vieil homme, toujours fermement croyant, qui ra-conte l'errance de la foi qu'il a vécue et comment, de cette nuit, il a tiré lumière. Je ne puis malheureusement rapporter qu'un bref passage :

Dès les premiers temps de cette mienne entrée dans les cercles d'une formation scientifique survenant après mes études religieuses, une évi-dence se fit jour de façon irrésistible : la science était quelque chose de l'intelligence humaine dont la doctrine qui m'avait été transmise lors de mes années de formation dominicaine ne pouvait venir à bout. Jamais la science moderne n'entrerait dans la belle demeure de la théologie et de la philosophie [40] reçues de la tradition de mes maîtres. Là-dessus, le passé, peut-être avait-il vécu d'arrangements. Mais aucun arrangement ne pouvait aller maintenant au fond des choses. J'étais en présence d'une autre connaissance, d'une autre méthode de l'intelligence, d'autres catégories et

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de tout autres performances de la faculté humaine... La science, en un tournemain, me dépouillait de ma théologie, de mes sécurités intellec-tuelles et conduisait ma foi à sa nudité 2.

Bien des hommes de mon âge, démunis en leur jeunesse davantage encore que le Père Dubarle, ne disposant que de la pauvre pitance des manuels de catéchisme et d'apologétique, qui ont entendu les invites de la pensée contemporaine, pourraient rendre semblable témoignage. Si la foi ne s'est pas égarée en chemin, ce n'est point pour s'être recro-quevillée sur son premier langage mais bien plutôt pour avoir accepté des défis qui se sont parfois tournés en tempêtes. Pour être devenue plus enracinée, la foi a dû porter le poids des incertitudes ; pour n'avoir pas perdu la faculté de se confesser en des paroles cohérentes, il lui a fallu accueillir son contraire, qui l'a ainsi heureusement empê-chée de se durcir.

Les chrétiens ne sont pas les seuls à subir la tentation de fixer leur croyance dans une idéologie. Tant d'Églises séculières invitent à un refuge de l'esprit où le fanatisme tient lieu de conviction. Quoi que l'on dise dans les discours académiques, l'esprit scientifique comme l'esprit tout court aspire au repos ; tel qui fait profession de recherche en des domaines circonscrits adhère farouchement par ailleurs à des partisanneries qui le rassurent. La foi doit pousser trop loin l'interroga-tion qui la porte pour se contenter de pareilles stratégies.

La science n'est qu'un exemple. Dans le monde plus vaste de la culture, qu'il s'agisse de l'art ou des modestes façons de vivre, les prin-cipes établis ne peuvent plus désormais servir de noyaux assurés de la conscience ou du [41] langage. Sauver malgré tout des principes, c'est trop souvent les isoler des conduites effectives, les maintenir à l'écart d'une existence personnelle et collective devenue hésitante ; c'est considérer ces tâtonnements comme d'inutiles piétinements, alors que l'expérience aurait déjà fourni les bons enseignements à qui voulait les entendre.

D'ailleurs, quand les principes sont devenus assez nets pour être proférés comme des clichés, c'est qu'ils ne sont plus que l'écho d'insti-

2 Dominique Dubarle, o.p., « L'épreuve de la foi par l'incroyance scientifique », La vie spirituelle, 614, mai-juin 1976 ; reproduit dans Nouveau dialogue, 37, nov. 1980, 6-12. Passage cité, p. 7.

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tutions devenues elles-mêmes sclérosées ; les principes et les institu-tions ont pris subrepticement congé de la vie. Les crises actuelles de la famille, du mariage, du travail, des Églises, de l'éducation scolaire nous en préviennent. Là-dessus encore les dogmatismes de remplace-ment ne manquent pas ; les libérations de toutes sortes se conver-tissent rapidement en idéologies, en partis, en principes nouveaux dont il n'est guère permis de contredire les énoncés et les grands-prêtres. Les croyants et les Églises auraient tort de se constituer en armée particulière dans cette vaste bataille de mots. C'est plutôt à la tâche de maintenir ouverte la crise des principes et des institutions, de désentraver la recherche des hommes que la foi est heureusement vouée.

Il serait donc contradictoire que les chrétiens se rabattent, en ces temps de crise, sur l'ambition de sauver au moins des structures : le célibat ecclésiastique ou l'école confessionnelle, par exemple. Je ne veux pas dire qu'il faut balancer sans réticence les structures de l'Église ; ce serait tout aussi ridicule que de prôner la liquidation du langage théologique, des principes ou de la famille. Il s'agit plutôt, sur tout cela et sur tant d'autres choses, de nous laisser instruire par l'évé-nement, de ne point confondre l'essentiel avec les formules juridiques, de ne point confondre le maintien de la foi avec la défense des bas-tions institutionnels. Faute de pouvoir être présent à la crise du lan-gage, à celle des principes, à celle des institutions, il serait oiseux de nous réfugier dans la sauvegarde de structures ecclésiastiques qui n'ont de valeur que pour le service de Dieu et le service des hommes.

[42]Chrétiens, il n'est pas question de renoncer aux symboles et aux

institutions qui marquent notre différence mais de retrouver le foyer vivant de notre présence au monde de ce temps, présence qui exige la complicité. Comprendre ne va pas sans accepter de se laisser submer-ger, sans prendre le risque même de se perdre.

Est-il besoin de rappeler à qui partage notre foi que lorsque, à un moment précis de l'histoire, Dieu vint à notre rencontre en Jésus-Christ, il n'a pas consacré les quelques années de sa vie publique à préciser au plus vite le langage, les principes, les institutions, les structures qui devaient assurer l'existence des hommes. Sans mépriser les coutumes, il les a toutes remises en question : non pas en sceptique

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assuré de quelque vérité de dernière la tête, mais en homme de foi, pour relancer le langage, les institutions, les structures sur les chemins de la vie. Et s'il est mort ignominieusement sur une croix, n'est-ce pas parce qu'il savait que nous ne pourrions croire à un Dieu qui n'eût triomphé de nos angoisses que par des idéologies, si parfaitement ajustées fussent-elles ? Ce Dieu-là était un homme libre. Il ne tenait pas précieusement la foi dans sa poche, avec son mouchoir ; il ne la proclamait pas non plus comme le manifeste savamment numéroté en articles pour une secte éventuelle.

Annoncer l'espérance

Nous ne nous confronterons pas avec la crise présente, nous ne préparerons pas l'avenir, par le repli sur un corpus de langage, de prin-cipes, de schémas structurels. Nous n'y arriverons pas non plus en donnant priorité à l'élaboration d'un vaste plan de reconquête aux rouages parfaitement ajustés. Abandonnons ces deux ambitions aux fabricants de systèmes, qu'ils soient de droite ou de gauche, pour qui on ne saurait habiter l'histoire sans être assuré d'avance de vues géné-rales sur le passé et sur l'avenir. Ces temps-ci, le mieux est d'avouer son incertitude ; et plusieurs fois plutôt qu'une. Puisque c'est en leur profondeur radicale que se conjuguent crise de l'Église et crise de so-ciété, il nous faudra le courage [43] d'aller chercher jusque-là une complicité qui, jamais plus, ne se retrouvera dans les réconciliations de surface.

Allons-nous, pour autant, nous déguiser en sourciers de la profon-deur, faute de participer à l'inflexion des événements, aux solidarités incertaines que suppose l'existence commune des hommes ? Ces échappatoires ne sont pas illusoires : la profondeur est souvent un re-fuge ; on en fait si vite un autre langage, d'autres principes, d'autres partis. Qui ne voudrait être profond ?

Quand l'Évangile nous reporte aux profondeurs, il n'y fait lever que des paradoxes. Est-il besoin de rappeler que Jésus fait l'éloge de « ceux qui ont une âme de pauvre », des « humbles », des « affligés », des « affamés », des « assoiffés de justice », des « miséricordieux »,

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des « cœurs purs », des « artisans de paix », des « persécutés pour la justice »... Rien là qui ressemble à quelque portrait du bon paroissien.

Ce paradoxe est vivant. Il est fait pour durer. Il souligne qu'il n'y a pas de valeurs sans crise des valeurs. Aussi, il consonne avec les crises de civilisation, dont la nôtre. Si nous le prenions au sérieux (ce qui convient aux paradoxes) non seulement il ne nous consolerait pas de la crise du monde ; il nous empêcherait de la dénouer par de hâ-tives manœuvres. Car est évidente la tentation, dans les bouleverse-ments actuels de nos sociétés, d'improviser des issues qui ne seraient que des phantasmes apaisants.

De ces imageries, il est beaucoup de variétés. Elles n'ont guère changé depuis quelques siècles. On a ajouté des détails, on en a oblité-ré d'autres, mais sans beaucoup modifier le scénario. La Cité parfaite est toujours pour demain ou après-demain ; en bien des pays, dans beaucoup d'idéologies, on sacrifie les hommes d'aujourd'hui à l'hypo-thétique bonheur de ceux de l'avenir. Selon une autre perspective, ap-paremment plus libérale, des nantis projettent sur les pauvres les images de leur réussite, rêvant d'étendre à tout le monde l'idéal de leurs propres vies ; ils oublient que leurs privilèges leur viennent de la misère des autres. Ils procèdent comme ces idéologues des pays « dé-veloppés » qui font des plans pour des pays dont le sous-développe-ment est la condition de la prospérité des riches. Se situent tout près certains [44] codificateurs des droits de l'homme qui ne portent si haut les arguties des principes que par la méconnaissance des forces concrètes qui produisent oppression et violence.

Refuser d'aller jusqu'au bout de la crise, ce serait pour les croyants entériner ces manœuvres de diversion. Au Québec, comme partout dans le monde, il faut débrider la plaie. En peu de mots, un éditorial de la revue Esprit le rappelle : « Dans une société défaite, les grandes organisations commerciales, culturelles et politiques, proposent ou imposent un produit, un service, une obligation pour chaque part de la vie. Ainsi le peuple devient un public, l'habitant un usager, le citoyen un consommateur, le travailleur un outil ... Des révoltes éclatent dans les marges, mais ce système auquel on ne croit plus détermine encore les comportements et les revendications. Il faut, par la réflexion, par l'expérimentation, lui trouver une alternative. Nous ne croyons pas à une société sans contradictions et sans État, mais à une société de di-versité et de conflits, où seront rendues à la vie commune les capacités

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d'analyse, de gestion, de critique dont les organisateurs et les clercs font leur affaire 3. »

Oui, répétons-le, « ce système auquel on ne croit plus détermine encore les comportements et les revendications ». Une pensée poli-tique essoufflée croit souvent être à gauche parce qu'elle conteste le système tout en s'inspirant du système. Ce sont le plus souvent les par-venus qui, du haut des tribunes ou ailleurs, claironnent les slogans que l'on sait sur « la société juste » ou sur « les droits fondamentaux », usant du langage comme ils le font de leurs autres privilèges. Parfois, ils parviennent même à mettre dans la bouche des opprimés leurs propres slogans.

Ce disant, je ne veux pas jouer à mon tour au pharisien. « J'aurai voulu seulement expliquer, dit un personnage de Bernanos, que le pauvre n'a désormais plus de mots pour nommer ce qui lui manque, et si ces mots lui font défaut, c'est que vous les lui avez volés 4. » Nous les [45] lui avons volés, en effet, nous tous, moi aussi, qui tient cette plume à la main. Pourtant, c'est ce langage du pauvre que, dans les Béatitudes, le Christ a tenté de restaurer, de sauver : par un renverse-ment prodigieux du langage de ceux qui voient de loin la misère, y compris la leur, sans en rien apprendre.

Les initiatives de la « social-démocratie » ne sont pas méprisables. Une répartition plus équitable des impôts, l'accès plus étendu à l'édu-cation scolaire ou aux services de santé, un appareil administratif ou judiciaire plus attentif aux personnes et aux situations concrètes : dans un monde où sévissent de monstrueuses injustices et de monstrueuses inégalités, ce sont là des objectifs tangibles que n'osent dédaigner que les prophètes du grand soir. Mais quand nos ambitions se bornent à ces nécessaires mesures, elles nous confinent à la cuisine de la justice. Pour s'attarder à ces exigences, il ne faudrait pas s'en rassurer. Pour être attentif aux possibles, sans quoi la politique se perd dans la méta-physique, on ne doit pas s'interdire de pousser plus avant la critique.

C'est à ce point que le paradoxal message du Christ nous rejoint au creux de la crise. À cette crise, le Christ n'apporte pas de solution. De cette crise, comme de toutes les autres qui nous ont précédés et nous

3 Esprit, mai 1981, 1.4 Georges Bernanos, Monsieur Ouine, Pion, 1946, 188.

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suivront, il fait sourdre un écho, une interrogation sur les hommes que nous sommes.

Et d'abord sur ceux qui croient en lui et qui prétendent avoir enten-du son appel. Un chrétien qui relit les Béatitudes ne saurait faire de sa foi un drapeau. On ne se promène guère parmi les hommes avec un pareil programme, comme s'il s'agissait d'une recette qui puisse deve-nir à la mode. Des critiques, des plans, des révolutions pour ce monde-ci et pour ce temps-ci, il en faut ; c'est avec les autres, croyants ou non, que nous devons les élaborer et les mettre à l'épreuve. Les Béatitudes, comme notre foi dans le Royaume à venir, ce ne peut être pour nous que la mémoire persistante, et qui ne laisse pas de repos, de l'ineffable misère des hommes et de l'inépuisable défi de Dieu.

Au Québec et ailleurs, la crise a réduit les croyants à une portion assez limitée du domaine des hommes. Je n'oserais pas, sans d'infinies précautions, qualifier cette [46] aire restreinte en empruntant les mots de l'Écriture à propos du « petit reste ». Car parmi ceux qui restent dans l'enceinte de l'Église, il y a une foule très bigarrée. N'en faisons pas un peuple privilégié ; l'Esprit souffle où il veut, cela aussi l'Écri-ture le souligne. Reconnaissons plus simplement que, dans le vaste espace où des hommes croient aujourd'hui en des valeurs, haïssent l'injustice et n'oublient pas leurs propres insuffisances, la maison d'Église n'est pas méprisable. Depuis que, à peu près partout, les sou-tiens et les complicités des pouvoirs lui ont été enlevés ou qu'elle s'en est elle-même dépouillée, l'Église devient de peine et de misère une puissance spirituelle. Ce n'est pas vrai seulement du catholicisme, mais du protestantisme, du judaïsme, d'autres religions encore. Pour ce qui nous concerne, les Églises chrétiennes sont partout confrontées aux béatitudes qu'elles annonçaient sans les avoir toujours reportées sur elles-mêmes.

Plutôt que de réclamer quelque privilège, le moment est venu de nous souvenir vraiment quel salut nous a été promis et en vue de quelle histoire des hommes. Ce qui comporte, pour résumer, deux exi-gences.

Sans perdre l'originalité de notre tradition, et même pour la retrou-ver, nous devons nous engager résolument dans la remise en cause de cette civilisation qui est la nôtre et qui, malgré les idéologies offi-cielles, n'est pas faite pour l'homme. De cette critique, nous ne déte-

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nons ni les assurances de principe ni les bonnes théories. Néanmoins, il y a certes place pour l'espérance du Royaume de Dieu dans ce pro-cès, à la condition que cette espérance n'ambitionne pas de couvrir la voix de quiconque ne s'en réclame pas ou la récuse. Par définition, aucune valeur ne s'impose de soi ; l'espérance encore moins que toutes les autres.

Ce qui exige, selon une contrepartie nécessaire, que nous fassions inlassablement le ménage de notre maison d'Église. Non pas pour nous donner une sorte de pureté par ces ablutions dont se moque l'Évangile. Faire le ménage, c'est moins chasser la poussière qu'ac-cueillir ceux qui furent invités dans la parabole : « Allez donc aux dé-parts des chemins et conviez aux noces tous les gens que vous pourrez trouver. Alors les serviteurs s'en [47] allèrent par les chemins et ra-massèrent tous les gens qu'ils trouvèrent, les mauvais comme les bons... » (Mt, 22, 9-10). Ainsi, les argumentations juridiques sur la contraception, le divorce, l'union libre devraient, non pas disparaître afin de nous mettre à la mode, mais prendre la place qui leur revient, qui n'est certes pas la première. Surtout qu'il ne nous appartient pas, l'Évangile y insiste de tant de manières, de juger des « bons » et des « mauvais », à commencer par chacun de nous. Faire le ménage, ce n'est pas chasser les pharisiens (qui pourrait vraiment prétendre n'en être pas un lui-même ?) mais empêcher que notre maison en porte l'enseigne et en fasse profession. La tâche de l'Église, si elle est de critiquer une civilisation qui est infidèle aux hommes, est plus encore de maintenir une idée de l'homme, de participer à sa mesure à une pé-dagogie des hommes : non pas des hommes abstraits, bardés de ver-tus, formés aux écoles confessionnelles et aux adéquates rhétoriques, mais des hommes que nous sommes, « aux départs des chemins ».

À peu près tout le monde se trouve aujourd'hui « aux départs des chemins ». À peu près personne n'est assuré du langage, des principes, des institutions. Pourquoi, à l’encontre et pour faire je ne sais quel contrepoids, l'Église s'évertuerait-elle à donner des assurances que, par ailleurs, les chrétiens ne détiennent pas ? Aller au plus pauvre, c'est aller à l'incertitude, entrer dans le relatif, avec pour seul viatique l'assurance de cette infinie miséricorde de Dieu que nul langage, nul principe, nulle structure ne clôturent.

Cela n'interdit pas de dessiner des programmes, de circonscrire les lieux pour des engagements décisifs. Je n'insiste pas là-dessus ; les

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autres collaborateurs de ce livre s'y attardent. Encore ne faut-il pas perdre de vue l'essentiel : tant que les incertains, les divorcés, les ma-laimés, tous ceux qui contreviennent ou cèdent aux idéologies de ce monde, se sentiront par principe à l'écart de l'Église, nous aurons man-qué à l'Évangile. Sans doute, au ras du sol, des communautés chré-tiennes et des pasteurs l'ont compris depuis longtemps. Espérons que l'Église, en sa figure officielle, le proclame aussi et se définisse en conséquence.

[48]Pour y arriver, que la crise nous fasse souvenir de Dieu, du seul

Maître devant qui un croyant accepte de fléchir la tête, et bien avant d'adhérer à quelque langage, principe, ou institution, colorés ou non de religion. C'est pourquoi, et il convient d'insister là-dessus pour fi-nir, réjouissons-nous de la prolifération de ces lieux de réflexion et de prière qui poussent de partout sur les terrains de l'Église ou en leurs marges. Assoupis que nous étions dans notre langage, nos principes et nos structures, trop assurés d'une identité qui semblait venir d'un monde que nous pensions avoir colonisé, nous voilà forcés de nous tourner vers Celui dont les voies ne sont pas toujours les nôtres.

Je m'arrête donc au seuil des planifications.

Soucieux que j'étais avant tout de la crise, celle-ci m'aura amené à rappeler des inspirations anciennes pour des temps nouveaux. Je m'en console en me souvenant du passage de l'Évangile selon Matthieu où l'auteur a réussi à placer, au détour d'une page et avec un sourire peut-être, une apologie de son métier d'intellectuel : « tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux... tire de son trésor du neuf et du vieux » (Mt, 13, 52). Cette apologie convient encore à ceux qui, écri-vant aujourd'hui, n'éprouvent pas le besoin de mépriser l'Église d'hier pour espérer en celle de demain.

Fernand DUMONT

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[49]

Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II. Entre le temple et l’exil.

Chapitre 2

LE DEVENIR DE LA PAROLEEN CE PAYS

Paul TREMBLAY

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« Au commencement était la Parole... La Parole est venue dans le monde » (Jn 1, 14). Voilà le fait initial et toujours fondateur. Les chré-tiens sont ceux qui accueillent cette Parole aujourd'hui, qui se la disent et la redisent à travers leur expérience et leur culture propre, qui veulent la garder vivante parmi les hommes comme le bien le plus précieux. Car ils trouvent dans cette Parole la plus étonnante et la plus claire révélation de Dieu sur lui-même et sur le destin de l'homme.

L'Église surgit là où cette Parole est racontée, là où cette Bonne Nouvelle est proclamée, là où se produit la foi. La foi se produit quand cette histoire apparaît inséparablement liée à notre histoire per-sonnelle, à l'histoire de l'humanité d'aujourd'hui, d'hier, de demain.

C'est une histoire de vie, de mort, de désert, d'eau, de vin, de pain, de libération jusqu'aux extrémités de la terre, d'espérance jusqu'en la vie éternelle. Cette Parole a été portée depuis deux mille ans par une communauté, à partir des apôtres et de leurs compagnons, des humbles dockers de Corinthe et des serviteurs et servantes de Rome. Elle a franchi les mers et les siècles. Sur les rives du Saint-Laurent, elle s'est répandue grâce au témoignage [50] des premiers ancêtres

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venus de France. Elle nous a atteints à travers l'austère morale et la religion que nous avons apprises de nos pères et mères.

Où en est cette histoire de la Parole en ce pays ? Qu'advient-il de la course de la Parole dans le Québec des années 80, à la veille d'un nou-veau siècle ? Les relais existent-ils ? La foi se transmet-elle de la pré-sente génération à la prochaine ? La langue de l'Évangile est-elle en-core parlée ? Est-elle encore apprise et encore comprise dans les foyers, à l'école, dans la culture ? Les chrétiens d'aujourd'hui sont res-ponsables du devenir de la Parole pour ce temps : quel souci en ont-ils ? Depuis quelques années, les écologistes ne cessent de soulever la question : quelle terre allons-nous laisser à nos enfants ? Un peu de la même manière, nous nous demandons ici : quelle foi allons-nous lais-ser aux générations qui viennent après nous ?

Question redoutable. Est-il possible de l'envisager d'une manière aussi globale ? Déjà il est difficile d'évaluer la prestation réelle des principaux lieux de transmission : qu'advient-il des familles en ce qui concerne l'éducation de la foi ? et de l'école ? et des paroisses ? Ce n'est pas que manquent les efforts d'évaluation de l'action pastorale, qui se sont multipliés ces dernières années. Mais si l'on excepte la ca-téchèse, qui a fait l'objet d'un examen sous l'angle strictement doctri-nal, force est de constater que l'évaluation porte le plus souvent sur les instruments, sur les moyens, sur les stratégies. Cela est utile mais il apparaît tout aussi important, sinon plus, de s'interroger sur les fins et sur l'aboutissement de tous ces efforts accomplis dans les divers champs pastoraux. Quelle est la résultante de ce déploiement considé-rable d'énergies et de générosité ? Au bout du compte, la foi se trans-met-elle ?

Question impertinente, diront certains. Qui peut oser répondre ? Et à quel titre ? C'est « la puissance du Seigneur qui fait croître la Pa-role » (Ac 19, 20). Dans tout effort apostolique, comme le veut le pro-verbe, « autre est le semeur, autre le moissonneur » (Jn 4,36). Ne faut-il pas se contenter de dire comme l'apôtre Paul : « Moi, j'ai planté, Apollos a arrosé, mais c'est Dieu qui faisait croître » (I Co 3,6). Pour-tant à plusieurs reprises, Jésus a [51] pressé les prêtres et les croyants juifs de s'interroger sur le rendement de la vigne (Mt 21,33). Il leur rappelait les paroles d'Isaïe : « Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il en retourna la terre et en retira les pierres, pour y mettre

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un plant de qualité... Il en attendait de beaux raisins, mais... » (Is 5, 1-2).

De toute façon, cette question monte insensiblement dans l'esprit et le cœur de bien des parents lorsqu'ils se mettent à douter de leur té-moignage devant certains échecs de l'éducation de la foi dans leur foyer. Elle hante aussi le cœur et l'esprit des pasteurs et des militants lorsqu'ils se heurtent aux difficultés de l'annonce de la Parole. Ques-tion de temps d'incertitude, qui révèle la profondeur de la crise dont il est fait état tout au long de ces pages. Mais c'est une question qui naît bien plus de l'attachement que du doute. « Que ma langue s'attache à mon palais, si je t'oublie... » (Ps 136,6).

I. UNE TRANSMISSION INCERTAINE

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On sait comment s'exerçait dans un passé pas très lointain la trans-mission de la foi. Du moins il est facile d'identifier les canaux majeurs qui véhiculaient alors les croyances et les pratiques de la foi ; c'était la famille, l'école, la paroisse et la culture ambiante. Ce schéma est certes un peu simpliste : même dans un Québec plutôt homogène et unanime, la circulation de la foi ne se réduisait pas à ces seuls canaux. Pas plus d'ailleurs que le système sanguin ne se limite à quelques ar-tères majeures mais comprend aussi tout un réseau de vaisseaux capil-laires qui distribuent le sang jusqu'à l'intérieur de la vie cellulaire. Seul l'Esprit connaît ces canaux invisibles par lesquels la foi se trans-met et parvient finalement à imprégner les replis de la conscience et de la vie. Mais le battement des artères principales n'en demeure pas moins vital. Or, ces artères qui ont servi traditionnellement à trans-mettre la foi fonctionnent aujourd'hui bien irrégulièrement. [52] Le système de transmission est devenu incertain, peut-être précaire.

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Dans les foyers : le silence

Dans la plupart des foyers, la foi est devenue silencieuse. « Nous n'en parlons jamais », reconnaissent beaucoup de parents qui se disent par ailleurs des croyants convaincus. « Nous n'osons plus... Nous ne savons plus... Nous n'avons plus les mots... Tout est tellement chan-gé... » La famille est entrée dans l'ère du silence sur la foi. Un silence qui s'étend et s'épaissit, comme un mauvais brouillard. Il provient de causes profondes. « Nous ne sommes plus sûrs de rien », avouent bien des adultes, comme si la foi leur échappait. « C'est comme si on n'avait plus rien à dire. » Plus grave encore : « Cela ne nous dit plus grand-chose. »

Ce silence sur la foi n'est pas imposé, comme il arrive en pays mar-xistes. Il s'agit d'un silence à moitié consenti, silence de celui qui perd ses mots, qui désapprend sa langue ou devient gêné de la parler. Il provient d'une pudeur excessive chez certains, mais avant tout d'un sentiment d'incapacité largement répandu. « Nous nous sentons dému-nis, déphasés. » Dans leur mutisme même, bien des parents se sentent mal à l'aise. Certes, il leur arrive de faire parfois quelques allusions à la « providence », de rappeler à l'occasion un principe moral ; ils ac-compagnent même assez volontiers leur enfant au moment des pre-miers sacrements. Mais oser parler de la foi ? Faire une prière ? Lire l'évangile au foyer ? Non. Cela est très rare. La plupart se contentent, comme ils disent, de donner l'exemple. « On essaie de leur donner l'exemple par notre vie. » Certes, l'exemple est important, mais il ne suffit pas à dissiper une impression d'esquive généralisée en ce qui touche « le dire sur la foi ». L'Église d'ici se cherche un langage, no-tait Fernand Dumont dans le premier chapitre. Les parents, eux, disent explicitement qu'ils ont perdu la parole de leur foi. Ils sont devenus aphasiques... « Nous n'en parlons jamais. »

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[53]

Dans les écoles : un rendement aléatoire

Dans les écoles, juridiquement confessionnelles, toutes les struc-tures de transmission sont en place. Mais quel voltage passe à travers toutes ces lignes ? Il n'est évidemment pas facile de le mesurer. Entre le voltage à peu près nul que dénoncent les uns et le voltage élevé que claironnent les autres, il convient de faire bien des nuances. En réalité, la situation de l'éducation de la foi peut varier considérablement d'une école à une autre, voire d'une région à une autre.

En ce qui concerne l'enseignement religieux et la pastorale à l'école, on peut dire qu'un bon nombre de professeurs et d'animateurs (osons dire les deux tiers) veulent être et sont effectivement d'hon-nêtes « serviteurs de la Parole » (Lc 1,2). Il est incontestable que sur-gissent ici et là de réels dynamismes de vie chrétienne, en raison no-tamment de la vitalité des jeunes, de leur parole spontanée, de l'appui qu'ils reçoivent d'éducateurs croyants remarquables. Mais on a par ailleurs raison de parler, comme on le fait dans ces pages, de plafon-nement de la catéchèse et de l'animation pastorale. Depuis quelques années déjà, l'essoufflement est perceptible, de même qu'une atonie montante, une menace d'enlisement. Comme une semence, la caté-chèse scolaire promettait beaucoup à ses débuts ; elle continue d'ailleurs de lever assez bien dans les classes du primaire. Mais elle déçoit par après. Il ne semble pas que ses fruits soient durables et ali-mentent vraiment la croissance de la foi chez les grands adolescents et les jeunes adultes. Bien des raisons et des explications peuvent être apportées, mais la plus vraisemblable est la suivante : la seule terre de l'école est trop peu profonde pour enraciner une foi robuste. « Voici que le semeur est sorti pour semer... Des grains sont tombés dans des endroits pierreux, où ils n'avaient pas beaucoup de terre ; ils ont aussi-tôt levé parce qu'ils n'avaient pas de terre en profondeur ; le soleil étant monté, ils ont été brûlés et, faute de racine, ils ont été séchés » (Mt 13, 5-6). Les jeunes qui ont aujourd'hui vingt ans ont reçu l'ensei-gnement renouvelé de la catéchèse scolaire. Qu'en ont-ils retenu à tra-vers les aléas de l'école et de la vie ?

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[54]La catéchèse scolaire a peu de terre pour pousser et durer si les

jeunes ne trouvent dans leur foyer un premier enracinement dans la foi, la prière, le service. De même en est-il de l'école, fût-elle confes-sionnelle, si les élèves n'y rencontrent pas le témoignage d'adultes croyants et à l'aise dans leur foi. À ce sujet, il est évident, à qui a un tant soit peu visité les écoles, que plusieurs d'entre elles (une sur trois oserais-je dire) vivent sur des réserves religieuses très minces. Quelques personnes isolées y tiennent à bout de bras la confessionna-lité ; on n'y sent pas de milieu porteur, ni à l'intérieur ni à l'extérieur. Une école catholique qui n'est pas reliée aux énergies un peu vives de la communauté chrétienne environnante est comme un édifice en panne d'électricité et branché sur son générateur d'urgence : cela donne une confessionnalité blafarde. Dans un tel contexte, certains permanents peuvent bien se dépenser généreusement, l'école elle-même n'arrive pas à se requinquer. La foi qui ne se transmet pas par procuration circule peu ou pas en pareil milieu.

Dans les paroisses :la rareté de la Parole

Dès qu'on évoque cet autre lieu où la foi voudrait s'alimenter pour croître, chacun pense d'abord à l'homélie dominicale et à la qualité des célébrations liturgiques. De la pratique actuelle de l'homélie, il n'est pas exagéré de dire qu'elle laisse à peu près tout le monde insatisfait. C'est là un euphémisme. En réalité, l'homélie qui apporte une nourri-ture solide est rare. Cette rareté fait apparaître une véritable faim de la Parole. « On magasine », disent plusieurs fidèles, cherchant d'une pa-roisse à une autre la prédication et la célébration qui soient signi-fiantes. Parlant des suites pastorales du concile Vatican II, Jean-Marie Domenach écrit : « Nous voulions un ressourcement, et nous avons eu un ramollissement. » Cela est particulièrement vrai pour l'homélie. Ce qui était attendu, c'était un renouvellement, c'est-à-dire une parole plus vive, plus proche de l'Évangile. Certes on l'entend bien quelquefois, mais en de trop nombreux endroits [55] on ne trouve désormais plus qu'une pensée molle et une parole tiède. Prédication qui se complaît

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dans les sentiments humains et le domaine des relations personnelles, prédication superficiellement biblique, qui dégénère souvent en bavar-dage. La Parole n'a rien à voir avec trop d'exercices oratoires du di-manche où le prêtre parle « pour rien dire ». Considérée sous l'angle de la pédagogie chrétienne, l'homélie est une zone déprimée de la pas-torale ; elle appelle un plan d'urgence.

Ce constat ne se veut pas une pierre lancée à ceux qui, chaque di-manche, ont la redoutable tâche d'annoncer la Parole. Bien des prêtres peinent longtemps pour préparer l'homélie du dimanche ; certains luttent même avec la Parole, de jour et de nuit, un peu comme Jacob avec le mystérieux adversaire ; ils savent qu'au sortir de cette lutte, eux aussi, comme Jacob, « boitent de la hanche » (Gn 32,32). Mais cette blessure demeure trop souvent cachée. Pourquoi taire cette souf-france ? C'est quand elle est reconnue que l'auditeur commence à dé-celer que la parole est authentique : celle-ci a frappé le prophète avant qu'il ne l'annonce aux autres, alors elle est digne d'écoute. Moïse a protesté ouvertement : « Je ne suis pas doué pour la parole, ni d'hier, ni d'avant-hier, ni depuis que tu parles à ton serviteur. J'ai la bouche lourde et la langue lourde » (Ex 4, 10). Ainsi parlèrent Isaïe et Jéré-mie. L'apôtre Paul lui-même a fait état des critiques qui circulaient sur son compte parmi les Corinthiens : « il est faible et sa parole est nulle » (2 Co 10,10). Paradoxalement, c'est peut-être en commençant par admettre, individuellement et collectivement, que la pratique ho-milétique actuelle donne une Parole trébuchante que nous pourrons arriver à la rendre plus significative. « Dieu ôte la parole aux plus as-surés » (Jb 12,20).

L'apport des paroisses à la croissance dans la foi ne se limite mani-festement pas à l'homélie dominicale. Il faut faire entrer en ligne de compte l'effort d'éducation qui se réalise dans les mouvements et dans les services, et surtout dans les essais de catéchèse aux adultes et tout ce qui s'accomplit dans la pastorale du baptême, de la confirmation, du mariage, de la pénitence et dans la célébration des funérailles. Au-tant d'occasions pour une Parole plus appropriée, en lien direct avec l'expérience [56] de la naissance, de la croissance, de l'amour, du mal et de la mort. Cette pastorale s'articule peu à peu dans la perspective d'une éducation permanente de la foi. Il convient d'y voir, avec les recherches tâtonnantes qu'elle nécessite, un filon intéressant pour la transmission dé la foi.

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Une situation problématique

Nous reviendrons sur ces constats rapides, trop rapides, que nous avons faits au sujet de la famille, de l'école, de la paroisse concernant la transmission de la foi. Dans leur franchise même, ils reflètent les propos entendus dans les tables rondes et bien d'autres échos qui vont dans le même sens. Ils révèlent une situation problématique pour le devenir de la Parole. Bien sûr la foi circule et le corps ecclésial est vivant. Mais les artères qui ont traditionnellement servi à transmettre la foi sont en partie ou totalement obstruées. Il y a de quoi s'inquiéter. Quand le médecin parle de sclérose des artères, le diagnostic est sé-rieux, même si le patient ne s'en rend pas encore vraiment compte, même si le flux du sang peut arriver parfois à s'inventer des canalisa-tions nouvelles. Pour la circulation de la Parole, le diagnostic est grave, même si, comme nous le disions à l'instant, dans le corps mys-tique que forment les croyants de génération en génération, l'Esprit ne cesse d'inventer des voies imprévues.

Le réalisme nous oblige à voir la fragilité de la situation, tout de même que la foi incite à ne pas y trouver un prétexte à la démobilisa-tion. Il vaut la peine de citer ici un passage étonnant du prophète Ha-baquq. Cet homme fut aux prises avec une situation un peu similaire à la nôtre. Il vivait à la fin d'une période de triomphalisme, dont il récol-tait les fruits amers, tout en se préparant à la chute de Jérusalem et à l'exil. Il ne sombre pas dans le masochisme, ni dans la mystique désin-carnée. Il n'a pas la naïveté de croire que tout est meilleur ailleurs, chez d'autres peuples, dans d'autres Églises. Il sait que le mal qui frappe Israël est profond et il le reconnaît clairement :

[57]

Je reste sur place, bouleversé.Oui, le figuier ne fleurit pas,les vignes ne rapportent rien,la culture de l'olivier trompe l'attente,les champs ne donnent rien à manger,l'enclos s'est vidé de ses brebis,et l'étable, de son bétail.

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Que faire en pareil temps ? « Le juste vivra par sa fidélité », ré-pond Habaquq (2,4). La fidélité, c'est le refus des retours en arrière, des accommodements faciles ou de la fuite en avant. La fidélité c'est parfois le consentement à l'exil, l'attachement à la Parole nue. Ainsi Habaquq peut-il ajouter du même souffle :

Moi je serai dans l'allégresse à cause du Seigneur,j'exulterai à cause de Dieu qui me sauve.Le Seigneur est ma force.

(Ha 3, 16-19)

La foi insolite

« Les temps difficiles sont les temps les plus évangéliques », disait Mère Theresa. La situation historique présente nous renvoie, bon gré mal gré, à certains postulats qui ont marqué, à l'origine et à d'autres périodes de la vie de l'Église, la diffusion de l'Évangile. Ainsi l'Esprit nous apprend-il que « ses sentiers ne sont pas nos sentiers ».

La foi redevient une réalité insolite, étonnante. Chacun est aujour-d'hui à même de le constater quotidiennement : que ce soit à la mai-son, à l'école, au travail ou en paroisse, la foi n'est plus un donné préa-lable, une sorte de présupposé. De plus en plus, l'option pour le Christ tend à reprendre la densité qu'elle avait à l'origine et que notre tradi-tion catholique avait comme masquée. Par exemple, nous étions habi-tués à dire : parents chrétiens, enfants chrétiens. Cet axiome est de moins en moins vrai aujourd'hui. Que d'adolescents et de jeunes adultes se situent en rupture d'héritage face à la foi et à la pratique de leurs parents ! Mais le cheminement inverse commence [58] aussi à apparaître : des enfants et des adolescents désirent suivre la catéchèse et participer à la vie ecclésiale alors que leurs parents ont depuis long-temps rompu tout lien. Il en va de même de l'école confessionnelle. Naguère on pouvait dire : l'école catholique prépare des croyants et des pratiquants. Aujourd'hui l'école catholique accueille des enfants qui sont très diversement initiés à la foi chrétienne ou pas initiés du tout, et qui en ressortent à la fin du secondaire après avoir accompli un itinéraire spirituel qui a pu les conduire à des attitudes religieuses ou non religieuses fort variées. La foi n'est plus nécessairement au bout

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de nos structures et de nos planifications : elle est surprenante, impré-visible. Que de parents le constatent, avec douleur souvent, sans trop comprendre pourquoi !

Insolite, la foi n'est donc plus automatique. Elle n'est plus courante, au sens où l'on dit des maisons qu'elles ont l'eau courante. Nous ne pouvons plus nous reposer uniquement sur les aqueducs qui ont servi traditionnellement à conduire la foi à peu près partout. Ces canalisa-tions se sont ensablées en bien des endroits ; de plus, aucune d'elles ne saurait contenir la puissance de l'Esprit qui fait jaillir d'autres sources là « où il veut », là où on ne s'y attendait pas.

C'est donc à des sources anciennes et nouvelles qu'aujourd'hui la foi apparaît et disparaît. Des disciples, il en naît et disparaît dans nos familles, à l'école, dans les paroisses, dans les mouvements (Cursillo, rencontres, action catholique, groupes charismatiques). Même dans les milieux les plus durs, « des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham » (Mt 3,9). Ajoutons aussi que le disciple peut naître et disparaître en chacun de nous.

« Le disciple, en effet, peut disparaître en nous à tout âge, quand d'autres voyages ou simplement la tranquillité viennent obscurcir le prix de l'itinérance avec Jésus-Christ. Le disciple peut naître ou re-naître, pour peu que l'air du large vienne nous fouetter et que l'ai-guillon de la Parole se mette à avoir raison de nos facilités 5. »

[59]

La solidarité fondamentale :l'écoute de la Parole

Jésus lui-même en son temps a annoncé et provoqué un tournant qui mettait fin à un modèle d'unanimité, hérité des solidarités natu-relles. Il a bouleversé les solidarités familières aux Juifs. Solidarité du culte : il annonce l'heure où ce n'est « ni sur la montagne ni à Jérusa-lem » (Jn 4,21) qu'il convient d'adorer le Père. Solidarité de la race : il parle d'un Royaume destiné non pas seulement aux Juifs mais à tous les peuples. Solidarité de la famille : celui qui veut le suivre doit lais-

5 G. Piétri, Serviteurs de la parole, Salvator, 1980, 25.

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ser derrière lui sa famille et ses biens, au prix de la division au sein même des foyers. « Désormais, s'il y a cinq personnes dans une mai-son, elles seront divisées : trois contre deux et deux contre trois » (Lc 12,52).

En même temps, Jésus inaugurait une solidarité autre, absolument fondamentale : celle de l'écoute de la Parole. « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pra-tique » (Lc 8,21). C'est cette Parole qui a rassemblé les apôtres. C'est elle qui a fait surgir les premières communautés. Cette Parole ne cesse encore de tisser un mystérieux réseau de relations, mais c'est après avoir défait ceux que l'on croyait intouchables : la famille, l'école, la nation, la paroisse. C'est en vain que l'on chercherait à réifier ou « théologiser » l'une ou l'autre de ces institutions comme si elles étaient absolument essentielles à la transmission de la foi. Seule la Parole demeure essentielle. Et toutes les institutions doivent se mesu-rer à ce critère premier.

Ainsi donc, pour surmonter les aléas actuels de la transmission de la foi en ce pays, c'est autour de la Parole qu'il faut nouer plus résolu-ment encore qu'hier l'éducation de la foi, à tous les âges, dans tous les milieux.

Cependant, une difficulté de taille nous attend. Car si en d'autres périodes, notamment au temps des civilisations orales, la Parole était considérée et vénérée, tout autre est la situation en notre temps.

[60]

II. LA DÉVALUATION DE LA PAROLE

Retour à la table des matières

Dans la société actuelle, la parole est comme une monnaie déva-luée. La dévaluation est provoquée par de multiples causes notam-ment : le flux incessant de paroles, l'image omniprésente, la primauté donnée à l'efficacité et à l'action, les jargons dominants. Cette déva-luation se retrouve et se répercute dans l'Église : là aussi la Parole est dévaluée. En dépit des efforts et des acquis des renouveaux biblique et catéchétique, la Parole reste sous-estimée dans la pastorale et sous-uti-

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lisée dans la formation des croyants. Pour que surgisse une Parole qui fasse des disciples, il paraît indispensable de revoir la place faite à la Parole dans la pédagogie chrétienne. Mais avant de chercher quelle action il faudrait entreprendre, il importe de voir dans quelle situation se trouve aujourd'hui la parole.

Partons de cette observation que fait Jacques Ellul sur le sort de la parole dans la société contemporaine, observation qui rejoint « la crise du langage » décelée dans notre propre société :

La parole est un centre vital de notre monde, elle est le premier lieu de la crise générale, elle est le signe vivant de l'aliénation, elle est l'appel sen-sible au secours de notre temps. La parole est la grande mutilée, exsangue et presque morte, mais il faut prendre conscience de ce que cela signifie, c'est toute notre civilisation qui est ainsi exécrée, la parole signe de cette mort possible, et canal par où pénètre le poison mortel. Vouloir sauver l'homme aujourd'hui, c'est d'abord sauver la parole. C'est commencer par là 6. »

Sauver la parole : c'est déjà un défi considérable dans nos sociétés qui se refroidissent. Sauver aussi la Parole : dans une Église qui se cherche confusément, cela devient [61] une tâche primordiale. C'est peut-être par là qu'il faut commencer...

Le flot des paroles

La parole est dévaluée par le flot de paroles qui coule à longueur de jour : paroles de la radio, de la télévision, du téléphone, des jour-naux. Paroles de cinq ou six professeurs que l'élève doit écouter chaque jour. Discours de la publicité, discours politique, discours syn-dical, discours religieux : on écoute tout cela d'une oreille distraite, avec un brin ou beaucoup de soupçons. Dans ce torrent, on arrive mal à discerner les mots qui porteraient sens et qui mériteraient d'être écoutés. À la fin, le risque est grand de ne plus prendre aucune parole au sérieux. Words, words, words. Le flot coule, et nous laissons cou-ler.

6 Jacques Ellul, La parole humiliée, Seuil, 1981, 282.

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Dans l'Église aussi la parole surabonde. Depuis l'introduction de la langue vernaculaire dans la liturgie, les fidèles ont l'impression que le prêtre ne fait plus que parler. Et si ce dernier s'avise de faire des petits bouts d'homélie tout au long des célébrations, ils auront vite l'impres-sion d'un verbiage insupportable. Plusieurs paroisses ont valablement tenté de mettre la Bible en valeur et la célébration de la Parole tient désormais une place importante dans la messe du dimanche. La caté-chèse scolaire pour sa part a tenté de familiariser les jeunes avec le texte même de la Parole de Dieu. Après quinze ans d'efforts incontes-tables, il faut se demander : les chrétiens d'aujourd'hui connaissent-ils mieux la Bible ? Ont-ils pris le moindrement l'habitude de la lire, indi-viduellement ou collectivement ? Très peu, semble-t-il. La Parole coule, on la laisse couler...

Beaucoup réclament que l'Église soit davantage présente sur la place publique, qu'elle entre dans le flot des paroles télévisées. Pour être dans le courant ! Mais, précisément, vaut-il la peine de suivre le courant ? Faut-il vraiment parler de tout, sur tout, partout ? Il y a certes des paroles à dire. Quelques-unes. Essentielles. Mais on ne fera qu'empirer la situation en cherchant à multiplier [62] les talk shows re-ligieux et les longues encycliques. Si le flot de paroles ne faisait fina-lement que détruire la parole ? Si le courant nous amenait à parler beaucoup pour rien dire ? « C'est le parler pour rien dire qui cancérise la Parole » (Ellul). Il cancérise la pastorale, l'enseignement religieux et la prédication. Excès de paroles. Nous voulions une religion plus vraie, nous avons une religion plus verbeuse. Il convient de s'interro-ger plus sérieusement sur « ce qu'il y a à dire ». Il faut économiser la parole, dans un temps qui la gaspille... Le respect de la parole, et de la Parole, commence par là. Un peu moins de verbiage et peut-être la Parole commencera-t-elle à prendre du relief. Le vieux sceptique Qo-hélet ne manquait pas de réalisme : « Que tes paroles soient peu nom-breuses ! Car de l'abondance des paroles viennent les propos insen-sés » (5, 1-2).

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Le triomphe de l'image

Dans l'univers des médias, la parole est dévaluée au profit de l'image. Finie la galaxie Gutenberg, ne cesse-t-on de dire, voici la ci-vilisation de l'image et de la communication électronique. L'image triomphe partout, et la parole régresse. Les professeurs sont à même de le constater chaque jour dans les apprentissages scolaires.

L'image s'installe aussi dans l'Église. Affiches, montages, films, bandes illustrées, vidéos, émissions de télévision, cette panoplie est de plus en plus courante dans les classes d'enseignement religieux, dans la pastorale, dans les groupes de formation chrétienne. Il est incontes-table que cet univers des médias présente des possibilités nouvelles pour l'évangélisation, mais il soulève également des difficultés in-édites.

La civilisation de l'image a déjà marqué en profondeur la manière dont les gens — enfants, adolescents, adolescentes et adultes — ap-préhendent bon nombre de réalités sociales et même la réalité reli-gieuse. L'image c'est le concret, l'intéressant. C'est aussi la preuve, l'évidence. En comparaison, la parole, fût-ce la Parole de Dieu, paraît indigente, abstraite, irréelle. L'image, qui [63] montre la réalité, est bientôt perçue comme porteuse de la vérité. Une chose devient vraie lorsqu'on la voit. Après avoir entendu lors de la veillée pascale la pro-clamation du texte de l'Exode, une adolescente s'exclamait : « Cette histoire est vraie : je l'ai vue dans un film à la télévision. » Réaction typique ! De plus en plus de gens voient dans l'image non seulement le réel, mais aussi le vrai. Or, on le sait bien, la démarche de la foi adulte est inverse : le croyant adhère à la Parole, sans avoir vu... Dans l'ordre de la foi, l'image est factice, le vrai est au-delà du visible, au-delà du réel et c'est par la Parole que l'on accède à la vérité. « Nous annonçons ce que l'œil n'a pas vu... » (I Co, 2,9).

Ce simple rappel doit faire penser que dans ce temps où domine l'image, la Parole résonne différemment dans le cœur et la conscience des croyants. La pédagogie chrétienne essaie d'en tenir compte depuis des années et elle a tenté de parler le langage des images. En dépit de certains emballements naïfs au sujet de l'audio-visuel dont nous reve-nons à peine, il importe de poursuivre les avancées dans le monde de

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l'image. Avec sérieux. Il ne s'agit pas de faire valoir la parole contre l'image ou vice versa, dans une sorte de rivalité conduisant à la substi-tution de l'une par l'autre. Il est clair que les deux peuvent très bien se conjuguer. Mais il demeure que dans la pédagogie de la foi, la Parole n'est pas interchangeable. En ce domaine, ce n'est pas vrai qu'une image vaille mille mots ; elle ne vaut même pas une Parole. Même si celle-ci est moins évidente, apparemment moins efficace, plus austère et plus exigeante, elle demeure la référence première. Elle est « la pa-role de vérité » (Ep 1,13).

La primauté de l'action

La parole se trouve également dévaluée au profit de l'action. Satu-rés de discours et d'écriture, les gens appellent des gestes, des actes. En politique, en économie, dans les sports, ce sont finalement les gestes et les résultats qui comptent. En éducation, un accent considé-rable [64] a été mis ces dernières années sur l'expérience, aux dépens de la parole et des connaissances : l'apprentissage se fait avant tout à partir du contact avec le réel. Les faits d'abord !

On retrouve la même insistance dans l'éducation et la transmission de la foi. Les croyants ne prêtent guère attention aux sermons, homé-lies, discours, encycliques. Le premier repère de la foi, pour le chré-tien et le non-chrétien, c'est non pas la Parole ou les sacrements, mais l'agir du croyant, l'agir des communautés, l'agir de l'Église. Les pa-rents qui n'osent plus dire leur foi se replient sur le témoignage. L'exemple, n'est-ce pas ce qui compte avant tout ? De Jean-Paul II, le monde et les médias retiennent les gestes : les voyages, l'appui au syn-dicat Solidarité de Pologne, le pardon à son agresseur. Que retien-dront-ils de l'encyclique récente de cent pages sur le travail ? Pas grand-chose. La civilisation de l'image s'arrête aux actes. C'est eux qu'elle valorise. Les paroles, elles, paraissent du vent.

On a raison d'insister sur l'efficience de la foi : « Sans les œuvres, la foi est morte » (Ja 2,26). On a également raison d'insister sur l'effi-cience sociale de la foi, comme les évêques du Québec l'ont fait au cours des récentes années, comme Jacques Racine le rappelle dans un autre chapitre en montrant les dimensions et l'esprit de l'engagement

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social des chrétiens. Pareil accent sur le témoignage personnel et col-lectif vient heureusement contrebalancer une période où la foi est ap-parue avant tout comme une affaire notionnelle, sans lien avec la vie concrète des hommes. Dieu manifestement n'a pas parlé pour dire des vérités stériles, encore moins pour ne rien dire ; il a parlé « pour nous les hommes et pour notre salut ». Il faut tenir à faire agir la foi.

Mais il faut résolument tenir aussi à faire parler la foi. Le témoi-gnage, si désintéressé et généreux soit-il, ne suffit pas. La foi pour être, et pour se transmettre, a besoin de se dire et d'être dite. Dans la pédagogie chrétienne, gestes et Parole sont indissociables ! Ce binôme se retrouve de bout en bout de la Bible. Parole et création. Parole et Exode. Parole devenue chair. Parole et sacrement. Parole et pain. Du témoignage de Jésus, il est [65] dit qu'il était puissant « par les paroles et par les œuvres » (Lc 24,32).

L'action seule est ambiguë. Elle est toujours à double et à multiple sens. Comment interpréter une action, un geste, un engagement, sans pénétrer dans le secret des motifs qui l'inspirent ? C'est la parole qui apporte la différence, c'est elle qui permet de saisir la spécificité chré-tienne. Un jeune, profondément bouleversé à la nouvelle de la mort de Bobby Sands, le pacifiste d'Irlande du Nord victime d'une grève de la faim, faisait ce commentaire : « Jésus n'a pas fait plus que Bobby Sands... qui, lui aussi, s'est donné jusqu'à la limite, par amour. » Cette réflexion montre bien que la réalité seule, si poignante soit-elle, ne livre pas le secret ni de la mort de Jésus ni de la mort de Sands. Il faut retourner aux paroles. Seule la parole permet de discerner le sens d'une vie, le sens d'une mort. C'est elle qui fait la différence.

Voilà pourquoi il est capital que la foi se dise. Certes les croyants ont raison de craindre la parole où l'on ne sentirait qu'une façade, une fonction, quelque chose d'inauthentique. De même faut-il renoncer aussi à tout prosélytisme indiscret, sous ses formes anciennes et sous ses formes nouvelles. Par exemple, il existe un « volontarisme alle-luiatique » à la mode qui ressemble à un embrigadement psycholo-gique et que Jean-Paul Desbiens stigmatisait ainsi : « C'est tout beau, tout fraternel, tout ressuscité, tout moi et tout moite. Du Philippe de Néri à la portée de tous. On consomme de la fraternité comme des Va-liums. » Au-delà de ces contrefaçons toujours renaissantes, il faut dire qu'il y a un moment qui est propre à la foi et qui passe par une parole. C'est le moment où l'amour, la liberté, la difficile fraternité, la secrète

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confiance sont confessés comme prenant source en Dieu. Si le croyant renonce à cette parole de foi, sa pratique ne dira pas autre chose qu'une force, étonnante peut-être, mais qui pourrait bien n'avoir son origine que dans le cœur humain.

Une foi qui n'arriverait plus à se dire ne serait-elle pas déjà une foi atrophiée ? Il serait tragique que l'on se lance dans l'action ou que l'on se replie sur le témoignage parce qu'au fond « on a plus rien à dire ». Une foi qui ne serait plus qu'agir ne serait plus la foi chrétienne. [66] Certes, aujourd'hui, « le combat pour la justice et pour la transforma-tion du monde est une dimension constitutive de la prédication de l'Évangile... » (Synode de 1971). Mais la question de Paul au sujet de Jésus demeure : « Comment croiraient-ils en lui, sans l'avoir entendu ? Et comment l'entendraient-ils, si personne ne le proclame ? » (Rom 10,14).

L'invasion des jargons

Un quatrième facteur contribue à la dévaluation de la parole : c'est l'invasion des jargons. Par jargon, il faut entendre tous les langages incompréhensibles pour les non-initiés. Ce sont la plupart du temps des langages particuliers à des groupes ou à des champs de connais-sance scientifique, caractérisés par leur complication. Il est évident que les sciences et les professions ont besoin de se donner un langage approprié, exact, savant, de même que les techniciens se donnent des outils très spécialisés : les mots sont des outils intellectuels. Le pro-blème commence lorsque ces langues franchissent le seuil des labora-toires et des chapelles pour devenir le parler de convenance et parfois dominer l'opinion.

La communauté chrétienne n'est pas à l'épreuve du jargon. Jargon catéchétique. Jargon charismatique. Jargon théologique de la scolas-tique d'hier et des divers courants de la théologie d'aujourd'hui. Jargon socio-pastoral. À mesure que l'Église accepte en son sein la diversité des familles spirituelles et des courants de pensée théologique, il est inévitable et normal que se multiplient les parlers particuliers. Ces langages spécialisés ont souvent leur raison d'être et leurs destina-taires ; ils servent notamment à de nécessaires confrontations avec les

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diverses sciences et les idéologies ; ils révèlent parfois des facettes moins connues de l'Évangile. On aurait donc mauvaise grâce de s'ob-jecter à leur présence. À une condition expresse cependant, et c'est la suivante : que l'Évangile continue d'être annoncé dans « la langue ma-ternelle » des gens, c'est-à-dire dans une langue simple et compréhen-sible. À la Pentecôte, l'Esprit donna aux apôtres [67] le pouvoir de « parler d'autres langues », mais ce n'était pas pour parler en langues ou de manière inintelligible, c'était pour que tous les Juifs et passants de Jérusalem puissent entendre l'Évangile dans leur langue maternelle. « Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? » (Ac 2,8).

« La langue dans laquelle nous sommes nés » comme chrétiens, c'est la langue de Jésus. Il a parlé la parole de tous, la plus claire, la plus quotidienne. Il a refusé toutes les sectes et leur vocabulaire : as-cètes de Qumran, pharisiens, zélotes, scribes. Il a parlé la langue du monde ordinaire. Et — signe messianique — les pauvres le compre-naient (Lc 4, 18). Sa parole a traversé les siècles. L'extraordinaire jaillit encore de la rencontre entre le quotidien, le banal du langage, et ce pouvoir étonnant de la parabole de faire éclater un sens nouveau.

La foi naît de la Parole. Rarement du jargon. Il faut tenir énergi-quement à un langage religieux qui soit compréhensible, ouvert, ac-cessible. Il faut récuser le langage clos, mystérieux, hermétique, le langage codé des écoles comme le langage ardent des chapelles. C'est encore en tenant à la valeur des mots, à la chair des paroles de l'Évan-gile qu'on demeure le plus près de la Bonne Nouvelle. Il vaut la peine de citer ici saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens au sujet du parler exalté ou délirant : « Supposez, frères, que je vienne vous voir et vous parle en langues : en quoi vous serai-je utile, si ma parole ne vous apporte ni révélation, ni connaissance, ni prophétie, ni ensei-gnement ? Il en est ainsi des instruments de musique, comme la flûte ou la cithare : s'ils ne rendent pas des sons distincts, comment recon-naître ce que jouent la flûte ou la cithare ? Et si la trompette ne rend pas un son clair, qui se préparera au combat ? Vous de même : si votre langue n'exprime pas des paroles intelligibles, comment comprendra-t-on ce que vous dites ? Vous parlerez en l'air. Il y a je ne sais com-bien d'espèces de mots dans le monde, et aucun n'est sans significa-tion. Or, si j'ignore la valeur du mot, je serai un barbare pour celui qui parle et celui qui parle sera pour moi un barbare... Dans une assem-

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blée, je préfère dire cinq paroles intelligibles pour instruire aussi les autres, plutôt que dix mille en langues » (I Cor 14, 6-18).

[68]

Pour une prise de conscience

La dévaluation multiforme de la Parole, causée par l'inflation des paroles, de l'image, de l'action et du jargon, constitue un phénomène redoutable pour la transmission et le développement de la foi aujour-d'hui. En plus de l'incertitude des canaux traditionnels de transmission dont nous avons parlé, c'est la Parole elle-même, en tant que parole, qui paraît menacée par des facteurs culturels très larges sur lesquels nous avons peu ou pas de prise. Les canaux traditionnels, eux, peuvent toujours être modifiés et même remplacés ; la Parole, elle, demeure essentielle, irremplaçable. Que faire ?

La fidélité à la Parole dans le contexte présent appelle avant tout une prise de conscience plus aiguë du sérieux de la situation. Il ne semble pas en effet que la communauté chrétienne québécoise, dans ses structures et dans son parler officiel, ait vraiment senti ou pressenti l'étendue de la dévaluation en cours et le choc éventuel en retour. Il ne manque pourtant pas de signes et d'observateurs qui y font allusion, et plus d'un croyant s'en inquiète secrètement. Nous indiquerons ici deux pistes qui visent à favoriser cette prise de conscience. Celles-ci sont forcément bien partielles et elles appellent une large confrontation. Les mesures concrètes de redressement ne sauraient venir qu'à la suite.

Économiser la Parole

« Gardez ma parole », disait Jésus à ses disciples. Nous traduisons, pour le contexte présent : « Économisez la Parole. » Un peu comme il est devenu courant de dire : il faut économiser l'énergie, conserver l'eau, préserver l'environnement. Il faut protéger et préserver la Parole. Si l'eau, l'énergie, la nature sont essentielles à notre survie, la Parole est pour le croyant une ressource vitale, première. Il faut à tout prix

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conserver cette source d'eau vive. Ne pas la laisser polluer. Ne pas la polluer nous-mêmes. Ne pas en abuser.

[69]Mais que pourrait éventuellement signifier dans le concret cette

« économie » de la Parole ? Donnons ici quelques exemples, en vue d'indiquer dans quelle direction il convient de faire porter notre ré-flexion et notre action, individuelle et collective.

Économiser, c'est d'abord éviter de gaspiller. Nous avons dit que les paroles prolifèrent, dans la société et dans l'Église, que l'abondance de paroles ne donne pas nécessairement une Parole nourrissante. Il devient impérieux de renoncer à ces homélies où l'on parle « pour ne rien dire », à ces lectures bibliques faites « uniquement pour la forme », à ces cours de religion qui tournent en bavardage et où les jeunes eux-mêmes disent qu'ils « niaisent ». Mieux vaudrait parfois se taire et rester silencieux devant la Parole, en confessant notre pauvre-té. Rien ne déprécie autant la Parole que les phrases vides et vaines, qui supposément voudraient lui faire écho. Elles l'émoussent plutôt et la banalisent. « Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain. »

Économiser, c'est encore gérer avec sagesse. Comment gère-t-on l'annonce de la Parole ? Par exemple, c'est un objectif majeur de notre Église que la Parole de Dieu soit abondamment présentée aux jeunes dans les classes du primaire et du secondaire. À cette fin, un ensemble fort imposant de programmes et d'instruments pédagogiques ont été préparés pour chaque degré. Cet enseignement se veut ressourcé et il l'est vraiment. Il se veut fidèle à l'expérience des jeunes et il se déve-loppe avec un bon sens de la progression et du cheminement dans la foi. Ce sont là des acquis importants, que la pédagogie a aidé à conso-lider mais que l'Évangile lui-même déjà suggérait explicitement. « Comme des enfants nouveau-nés, désirez le lait pur de la parole, afin que, par lui, vous grandissiez... » (I Pi 2,2). Toutefois, dans leur volonté même d'être proches de l'expérience des jeunes, ces instru-ments ne multiplient-ils pas à l'excès les détours pédagogiques et les stratégies éducatives ? On veut servir l'Évangile à petite dose, par pe-tites portions méticuleusement découpées. Ces mets tout préparés goûtent bien un peu le lait de la Parole, mais comme celui-ci est dé-layé parfois ! Il faudra bien un jour ou l'autre en venir à se fier davan-tage au « lait pur » de la Parole et cesser [70] de tant miser sur les ali-

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ments préparés. Nous avons pris l'habitude depuis quinze ans de consommer une quantité considérable de programmes et d'instru-ments. Et après deux ou trois ans d'usage, on les déclare démodés et dépassés. Il devient de plus en plus difficile de répondre à ce besoin de surconsommation : nous n'en avons plus les moyens. Car cette pa-noplie coûte finalement très cher, en personnes et en argent. Il faudra certainement apprendre à gérer avec plus de sagesse et plus d'écono-mie l'effort catéchétique auprès des enfants. Il sera vraisemblablement nécessaire de revenir plus souvent à l'Évangile servi nature. Sans addi-tif et sans emballage.

Autre exemple d'une vérification à faire pour une gestion plus rai-sonnable de la Parole. Est-il requis que la Parole de Dieu soit annon-cée aux enfants de manière systématique pendant les onze années de scolarité obligatoire et ce, à raison de 100 ou 120 minutes par se-maine ? Ce temps est-il valablement utilisé ? Bien sûr, les professeurs ne cessent de dire « nous n'avons pas assez de temps pour passer tout le programme », et cela est en grande partie vrai. Ce qu'il faut cepen-dant se demander, c'est ceci : tout le contenu des programmes est-il vraiment essentiel ? Un examen s'impose. Car le temps alloué est fina-lement assez considérable : mal utilisé, il peut donner lieu à bien des redites et à un piétinement qui lassent les jeunes. Il n'est pas interdit de penser que la Parole serait mieux servie par un peu plus de conci-sion. En ce domaine aussi peut-être, il serait possible de « faire plus avec moins ». « Ne rabâchez pas les paroles... », disait Jésus.

Économiser, cela peut signifier encore faire des réaménagements et des conversions. Ainsi, par exemple, l'effort catéchétique accompli auprès des enfants n'a pas été accompagné d'un travail similaire au-près des adultes. Cependant, la pastorale d'ensemble se convertit pro-gressivement aux perspectives d'éducation permanente et on voit sur-gir depuis plusieurs années d'intéressants projets sur l'éducation de la foi des adultes. Pour appuyer, approfondir et élargir cette orientation nouvelle, il n'est pas nécessaire d'abandonner les actions entreprises auprès des jeunes pour se consacrer totalement à la population [71] chrétienne adulte. Cette problématique de l'éducation de la foi par pa-lier, qui obligerait à choisir entre le palier de l'enfance et le palier de l'âge adulte, a quelque chose de faux. Quand on veut une maison habi-table, on ne se demande pas si l'on va chauffer seulement le sous-sol ou seulement le deuxième étage : il faut le plus souvent chauffer les

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deux, mais avec un réel souci d'économie. À partir d'une gestion plus économe des ressources et de la Parole elle-même aux deux niveaux, il demeure possible de donner un bon service de la Parole, tant aux jeunes qu'aux adultes.

Économiser, c'est surtout aller à l'essentiel. La preuve n'est pas en-core faite que la prédication, l'enseignement et la pastorale sont vérita-blement centrés sur l'essentiel, c'est-à-dire le témoignage vital de la foi, en paroles et en actes. On connaît l'extrême simplicité et l'extrême richesse des confessions de foi des premiers croyants. « Tu es le Christ. » « Il est le Seigneur. » Le credo des apôtres frappe aussi par sa brièveté. En revanche, les credos modernes sont prolixes, que ce soit celui de Paul VI ou ceux qu'on nous sert régulièrement sous le titre « ce que je crois ». Par ailleurs, nous sommes à l'heure du retour à l'essentiel, aussi bien en pédagogie que dans l'ensemble de nos pra-tiques sociales. Ce thème du retour à l'essentiel prend immanquable-ment un goût d'automne. Nous sentons qu'en plusieurs domaines, et pas seulement dans notre foi, il faudra consentir à un dépouillement. Finie la saison de l'abondance et du feuillage dense. Dénudé, l'arbre est réduit à l'essentiel : quelques branches porteuses, la sève secrète, les bourgeons à peine apparents. Ainsi la Parole en cette saison qui s'étend sur le pays... Il nous est demandé d'en préserver l'essentiel.

Donner la Parole

Pour que la Parole conserve ou retrouve sa valeur, il ne suffit pas qu'elle soit proclamée, fût-ce dans ses éléments les plus essentiels. Il faut encore qu'elle soit dite dans l'intention de susciter une réponse chez l'auditeur [72] et que finalement ce dernier parle à son tour. La Parole n'est vraiment transmise que lorsqu'elle est reprise et interpré-tée par celui qui l'écoute. Si, pour que la foi se transmette, il est néces-saire que la Parole soit dite, il est tout aussi indispensable que soit donnée à qui l'écoute la chance de répondre. Annoncer la Parole et donner la parole, cela fait tout un.

« Donner la parole » qu'est-ce à dire ? Pensons à n'importe quel groupe : une assemblée, un syndicat, un parti politique, un groupe reli-gieux : quels en sont les signes de vitalité ? Un indice sûr du dyna-

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misme d'un groupe, c'est la « circulation de la parole » qu'on y ob-serve. Là où un seul homme ou quelques personnes seulement mono-polisent le micro, on devine tout de suite que les membres sont ou passifs, ou peut-être dominés. Une assemblée est vivante lorsque l'ani-mateur « donne la parole » et que les participants ont la certitude d'y « pouvoir parler ». Il n'en va pas autrement dans la communauté chré-tienne. Celle-ci est vivante lorsque la parole y circule. C'est pourquoi la pédagogie chrétienne n'atteint réellement son but que lorsqu'elle rend les croyants capables de parler. C'est-à-dire capables de répondre de leur vie et de leur foi, capables d'interpréter la Parole en lien avec leur vie, capables de parler à Dieu et de parler de Dieu.

Donner la parole ne constitue pas un geste facultatif, une sorte de concession à l'esprit démocratique du temps, encore moins un em-prunt à la dynamique de groupe. Ouvrons la Bible. Dès la Genèse, quand Dieu parle, ce n'est pas pour donner un spectacle de puissance ou faire un traité théologique sur la création. Il parle pour attester sa volonté d'être avec sa création, et notamment d'entrer en dialogue avec l'homme. Adam est créé à l'image de Dieu ; c'est dire qu'il est capable de relation, de réponse, de dialogue. Le premier geste d'Adam ne consiste-t-il pas du reste à « nommer » les êtres et les choses ? Quand Dieu parle, il n'occupe pas toute la place. Ce Dieu qui parle donne la parole, il rend l'homme parlant. Pensons aux épisodes évangéliques qui relatent les rencontres de Jésus avec les hommes et les femmes de son temps ; le premier effet de sa Parole, c'était de dénouer la langue et le cœur de ceux et celles [73] à qui il s'adressait. La merveille de la Pentecôte, ce fut que les apôtres devinrent « parlants ».

Quand Dieu parle, il donne à l'homme de parler en retour, avec la liberté de la parole. Voilà une loi fondamentale de la pédagogie chré-tienne. Si donc la Parole est proférée simplement pour satisfaire à une orthodoxie, ou à un programme, ou « juste pour parler », elle demeure non seulement stérile, elle contribue à sa propre dévalorisation. La Parole vraie est celle qui cherche à nouer une alliance. Il y aurait un examen à faire pour vérifier si nous avons une Église qui donne la pa-role. Une Église où les fidèles parlent aisément, ou une Église silen-cieuse qui écoute quelques porte-parole désignés ? Attardons-nous un peu, au risque d'être très schématique.

Dans le travail catéchétique scolaire, l'objectif d'annoncer la Parole en donnant la parole a été pris vraiment au sérieux. La pédagogie ac-

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tive encourageait du reste à marcher dans ce sens. Si bien que les jeunes ont pris la parole, du moins dans bien des classes et dans bien des salons de pastorale. Ceux qui pourfendent aujourd'hui encore l'éducation religieuse scolaire pour son dogmatisme ne prouvent qu'une chose : ils ont peut-être lu Piaget et quelques auteurs, mais ils ne savent pas du tout ce qui se passe dans les classes depuis quinze ans. La parole des jeunes demeure balbutiante, certes ; elle n'a pas en-core de raffinement théologique, bien sûr ; mais c'est une parole fraîche, qui vient de leur propre fond, une parole de témoin. Cela constitue un acquis majeur. Le malheur, c'est qu'en dehors de l'école, les jeunes ne se voient guère offrir la possibilité de parler. Tout se passe comme si la communauté chrétienne ignorait cette aptitude des jeunes à dire la foi, à la célébrer, à en témoigner. La parole des jeunes n'a pas beaucoup fécondé notre Église. Et pourtant, comme dit le pro-phète, « Vos fils et vos filles prophétiseront. » Dans une Église qui vieillit, on devrait prendre plus au sérieux le témoignage des jeunes.

Dans la foulée de la catéchèse scolaire, un effort important a été accompli auprès des parents en vue de leur donner la parole dans l'ini-tiation chrétienne de leur enfant. L'objectif était non seulement de les amener à prendre part aux célébrations, mais d'abord et avant tout [74] de les habiliter à accompagner spirituellement leur enfant avant et après le sacrement. Selon cet esprit, il est évidemment capital que les parents puissent véritablement dire leur mot dans la décision à prendre concernant le degré de préparation de leur enfant, de même que sur le moment et sur la séquence de la célébration des sacrements. Bref, il est question de leur donner une vraie responsabilité, puisqu’aussi bien on va répétant depuis des siècles que les parents sont les premiers res-ponsables de l'éducation de la foi de leur enfant. Malheureusement, les pressions sont fortes pour réduire ce champ de compétence qui appartient aux parents et pour imposer, de haut, une séquence des pre-miers sacrements qui soit uniforme dans les cinq continents. Il y a plus malsain que refuser de donner la parole ; c'est de la donner pour faire semblant, ou pour n'accepter rien d'autre que la répétition de son propre discours. Donner la parole, c'est laisser une marge de liberté, vraie.

« Donner la parole » dans les assemblées liturgiques ne saurait si-gnifier que l'on puisse inviter tout le monde à parler. Cela est du reste peu souhaitable. Il y a déjà à ce sujet trop d'essais maladroits, dans le

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genre : « Maintenant, je vous invite à faire un partage d'Évangile... » En dehors de petits groupes, cette pratique n'engendre généralement que malaise et « zozotage » ; la Parole n'a rien à gagner de cette addi-tion d'impréparation individuelle. Pour autant, il ne faut pas renoncer à donner la parole aux fidèles. C'est ainsi que certains pasteurs pré-parent leur homélie avec un groupe de fidèles. Il y a surtout deux brèches dans les célébrations, en plus des chants et des réponses évi-demment, où la parole de la communauté devrait pouvoir se faire en-tendre : la prière universelle des fidèles et le choix des lectures.

En ce qui concerne la prière universelle des fidèles, comme l'ex-pression même le dit, il faudrait y retrouver les besoins et les de-mandes bien réels de la communauté locale et universelle. Force est de constater que ce moment d'expression et de prière est complète-ment raté dans la plupart des paroisses. On y lit platement des de-mandes anonymes dans le style abstrait d'une Unesco spirituelle. Le feuillet Prions en Église n'est pas le premier responsable, car les inten-tions qu'il propose demeurent [75] de simples suggestions. Il nous fau-drait aller avec humilité chez nos frères anglicans et protestants pour commencer à réapprendre ce que devrait être cette prière des fidèles.

L'autre ouverture possible à la parole des fidèles et de la commu-nauté, ce serait de donner un peu de liberté dans le choix des lectures à proposer à la communauté chaque dimanche. Donner la parole en effet, c'est laisser une place à la parole d'un autre. Que d'occasions ratées de présenter une Parole qui aurait de l'impact sur une commu-nauté locale en raison d'un événement, d'une fête, d'un drame, de tout ce qui peut marquer fortement la vie d'un quartier ou d'un village. Bien des fois, pour dénoncer le centralisme extrême du système sco-laire de France, l'anecdote a été racontée du ministre de l'Éducation nationale qui pouvait se dire : « Il est 9 heures, dans toutes les écoles de France les écoliers ouvrent Les lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet. » Il y a mieux ou pire que cela. Il est déjà décidé depuis au moins dix ans que le 29 octobre 1989, année C au lectionnaire, on lira dans toutes les églises catholiques du monde entier la parabole du pharisien et du publicain. Comment, en tenant à une telle rigidité, peut-on espérer que les pasteurs et les fidèles arrivent à relier Parole et vie ? Une souplesse est apparue récemment dans les rituels du ma-riage et des funérailles, où il est désormais loisible de puiser dans un répertoire assez vaste de textes bibliques et de prières qui permettent

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de s'adapter aux situations, que les mariés ou les parents en deuil peuvent choisir. Il serait sûrement possible d'étendre pareille pratique à l'ensemble d'une année liturgique.

Au-delà de l'école, au-delà de la liturgie, au-delà des paroles parti-culières de chrétiens individuels ou de groupes de catholiques, il convient de noter l'effet important que peut avoir l'initiative des évêques de donner officiellement la parole à des groupes de croyants. Pensons à l'expérience de la Commission Dumont, à la mise sur pied de Développement et Paix. Très beaux risques encourus, qui font ap-paraître une parole plurielle, des accents avec lesquels on est peu fa-milier et qui témoignent d'une étonnante vitalité dont on doute parfois. On se prend à souhaiter que ces occasions soient plus fréquentes. [76] Par exemple, si, au lieu des évêques mais à leur invitation, c'était un groupe de parents qui s'adressait aux parents pour leur parler de l'édu-cation chrétienne au foyer ; ou un groupe de femmes s'adressant à la communauté pour lui dire les aspirations de la moitié féminine de l'Église, ou un groupe de médecins catholiques traitant de l'avorte-ment. Donner la parole, c'est faire en sorte que de multiples voix soient entendues.

Une Église vivante, une communauté qui transmet la foi, c'est une communauté où la Parole est annoncée et où la parole circule.

III. LA FAMILLEET LE DEVENIR DE LA FOI *

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On ne saurait traiter de la question de la tradition de la Parole en ce pays sans considérer pour elles-mêmes deux institutions qui ont été dans le passé des relais majeurs dans la transmission. Il s'agit de la famille et de l'école. Ces deux institutions, disions-nous au départ, sont devenues hésitantes et incertaines en ce qui regarde l'éducation de la foi ; elles sont toutes les deux très affectées par la dévaluation de la Parole dont il vient d'être question. Même si l'école semble inquiéter davantage et monopolise beaucoup l'attention, il reste que la situation

* * Cette section du chapitre a été rédigée par Jacques Racine.

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familiale est fondamentalement plus préoccupante et pourrait bien s'avérer, à long terme, plus décisive.

Aussi, ne faut-il pas se surprendre que l'Église ait multiplié ses in-terventions sur la famille au cours des dernières années et qu'elle en ait favorisé une véritable promotion. Une lettre pastorale a été publiée par les évêques du Québec, en 1975 ; la Conférence des évêques ca-tholiques du Canada a investi beaucoup de temps dans la préparation du synode de 1980 et a publié à cette occasion [77] un guide pastoral sur la famille. Les mouvements familiaux ont connu une revigoration étonnante dans la poussée du Renouement conjugal. Une attention particulière a été apportée à la pastorale de la préparation au mariage. On a commencé à initier les parents à l'éveil spirituel de leurs enfants et à leur participation à la catéchèse. Enfin plusieurs diocèses ont choisi, comme priorité pastorale, la famille, au cours des deux der-nières années.

Toutes ces initiatives se sont manifestées avec une certaine acuité au moment où l'on constatait que le modèle familial traditionnel écla-tait au Québec et que la transmission de la foi n'était plus assurée. Les nombreux divorces, la grande proportion de familles monoparentales (10% des familles québécoises), les unions de fait remettent en cause les façons de voir. Il en est de même des faits suivants : on ne se marie plus nécessairement à l'Église, des parents retardent le baptême de leurs enfants, la première communion est souvent la dernière des com-munions pour un bon nombre d'années. Plus encore, les comporte-ments des gens ne se règlent plus selon les directives de l'Église.

Pour que l'appel de l'Église à la responsabilité des familles dans l'éducation de la foi ne soit pas vain et ne signifie pas un abandon aux parents de tâches quasi impossibles, il importe que l'on soit conscient de la problématique nouvelle à laquelle sont confrontés les parents dans leur tâche et des conditions nécessaires à son accomplissement. À quelles familles s'adresse l'Église ? Dans quel contexte ?

Il ne saurait être question de brosser ici un tableau exhaustif du vécu si diversifié des familles québécoises et de leur évolution pen-dant les vingt dernières années. L'analyse des taux de divorce et de remariage, de l'évolution des rôles masculins et féminins et des rela-tions parents-enfants, des facteurs externes influençant la cellule fami-liale sont très utiles pour se défaire d'un discours abstrait, idéal, qui ne

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rejoint plus la réalité. Cette analyse doit sous-tendre notre recherche mais nous ne nous attarderons qu'à en décrire certains éléments qui paraissent en lien plus étroit avec le problème de la transmission de la foi.

[78]

Amplitude et longévité de la famille

Il est devenu courant d'affirmer que la famille contemporaine au Québec a en moyenne deux enfants et que la probabilité que les deux conjoints vivent ensemble pendant une quarantaine d'années est très forte étant donné le progrès constant de l'espérance de vie. Cette affir-mation statistique ne tient pas compte des nombreux divorces. Mais, même dans ces cas, les observations qui suivent gardent leur perti-nence.

La baisse du taux de mortalité et du taux de natalité fait que les enfants d'aujourd'hui et même certains adultes ont une moindre expé-rience de la mort et de la naissance. Or, on sait jusqu'à quel point la religion est liée dans toutes les cultures à ces temps forts. C'est à ces moments que le groupe familial resserre son unité pour exprimer sa foi par des rites, des prières, des prises de parole, des partages.

Il est de moins en moins rare d'entendre de jeunes parents affirmer au baptême de leur enfant que c'est la première fois qu'ils participent à une telle cérémonie. De la même façon qu'ils n'ont pas appris auprès de frères et de sœurs plus jeunes, de cousins ou de cousines, les ap-prentissages de base dans l'accueil du nouveau-né, ils ont peu d'idées sur la façon de procéder à l'éveil spirituel de leur enfant. Ils n'ont pas l'impression de se situer dans la ligne d'une tradition familiale : ils considèrent qu'ils innovent, et les remarques des grands-parents confirment leurs affirmations puisqu'ils disent que ce n'était pas ainsi dans leur temps.

Le petit nombre d'enfants, par famille, provoque une diminution des fêtes familiales qui entourent la première communion et la confir-mation. Il enlève de l'importance à l'influence que jouent les enfants les uns sur les autres et sur leurs parents eux-mêmes, alors que c'est souvent par une prise de responsabilité à l'égard d'un frère ou d'une

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sœur plus jeune qu'un enfant ou un adolescent apprend à manifester ses propres croyances, ses valeurs, ses convictions.

Beaucoup de jeunes adultes n'ont jamais connu la mort d'un proche. On affirme souvent que la société [79] actuelle cherche à ca-moufler la mort. On peut certes appuyer ces dires sur de multiples exemples ; mais on ne doit pas oublier que, malgré toute l'information quotidienne que l'on a sur les meurtres, les assassinats, les accidentés, les victimes de la guerre ou des séismes, on connaît une moindre fa-miliarité avec la mort. Au temps des hauts taux de mortalité infantile et des grandes familles, on ne pouvait passer facilement à côté des questionnements fondamentaux sur le sens de la vie et de l'au-delà et sur les réponses présentées par la foi chrétienne.

Les temps privilégiés de transmission de l'héritage religieux que sont la naissance, la première communion, la confirmation, le ma-riage, la mort sont moins fréquents dans l'expérience de chaque fa-mille. Il faut penser suppléer à cet état de fait par des pratiques plus communautaires et par une plus grande qualité et intensité des inter-ventions pastorales à ces moments.

Famille et socialisation

Dans l'analyse du processus de socialisation de la personne, on a beaucoup insisté en ces dernières années sur la multiplicité des inter-venants : parents, amis, éducateurs, communicateurs de masse, etc. Plus de gens agissent sur les mêmes enfants ou adolescents et ils le font à partir de conceptions différentes de l'homme, de l'histoire, de la société, de la religion. Cela a provoqué souvent un doute sur l'in-fluence réelle des parents et une certaine dépréciation de leurs tâches, même si de nombreuses études sur le développement montrent le poids considérable des interventions faites au cours des premières an-nées de l'enfance alors que d'autres mettent en évidence l'importance de la famille dans les orientations de fond de la personnalité.

Au Québec, les parents ont été confrontés à un pluralisme considé-rable à l'intérieur même de l'Église catholique, à la suite de Vatican II et de l'avènement de la nouvelle catéchèse. Ils ont été dévalués dans

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leur rôle de premiers éducateurs de la foi. Ils ont quasiment été invités à [80] ne pas communiquer ce qu'ils savaient et à délaisser des cou-tumes et des façons de faire qui risquaient de ne pas rejoindre les ef-forts « in-humains » de purification de la foi. Il s'est produit dans les foyers, une sorte de silence sur Dieu, écrit Paul Tremblay. Les parents ne comprenaient plus, ils se sentaient déphasés, ils ne voulaient pas entrer en contradiction avec l'école ou la paroisse. Ne voulant pas gaf-fer, ils ont cessé d'intervenir. Ils n'osaient plus parler de Jésus et du Bon Dieu, ils étaient gênés de prier publiquement. Il y a bien eu cer-taines tentatives pour lier les parents au changement, mais la plupart du temps, l'objectif premier était de les utiliser aux fins de la catéchèse en milieu scolaire ou de la liturgie en paroisse. On ne cherchait pas à les situer, eux-mêmes, dans leur propre démarche. On s'est rendu compte, depuis peu, de l'énorme problème posé par une entreprise pastorale de type intellectuel, trop axée sur la qualité de l'expression verbale et la participation des spécialistes et fort éloignée de la vie réelle et des pratiquants, malgré ses prétentions contraires. Comme on l'a signalé, de nouvelles initiatives ont été prises pour mettre en valeur le rôle des parents, des frères et des sœurs, on a focalisé à nouveau sur la famille, mais il n'est pas facile de redonner valeur à ce que l'on a dévalué.

Famille et sécularisation

Le processus de sécularisation de la société québécoise a atteint la vie familiale de multiples façons. Un des aspects les plus significatifs en ce qui nous regarde est la désacralisation du temps. Il y a une tren-taine d'années, l'Avant et le carême vécus au foyer de multiples façons centraient la vie quotidienne sur des valeurs religieuses et servaient de préparatifs aux fêtes de Noël et de Pâques en leur donnant tout leur sens spirituel. Les congés officiels étaient déterminés par le calendrier liturgique : la Toussaint, le Vendredi saint, l'Épiphanie, etc., alors qu'aujourd'hui, ils sont fixés en fonction de l'allongement des fins de semaine ou de la période des vacances. Le dimanche lui-même a per-du peu à peu son sens ; il est [81] associé avant tout au phénomène du loisir et il tend à devenir un jour de congé parmi d'autres.

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Si la naissance, le mariage, la mort sont des temps exceptionnels d'expression des convictions et des traditions religieuses, le dimanche et les fêtes sont les moments réguliers de cette expression, moments partagés par la communauté et autrefois par toute la société.

Nous avons tenu à souligner ce trait particulier de la sécularisation, mais c'est tout le contexte culturel qui est changé. On vit comme si Dieu n'existait pas à l'intérieur de la famille. La privatisation de la reli-gion rejoint même cette communauté de base.

Ces quelques éléments de problématique, qui semblent de prime abord nous faire conclure que les transformations sociales ont rendu les parents stériles au niveau même de la transmission de la vie de foi, invitent au contraire les croyants à plus de lucidité et de discernement et appellent certaines orientations pastorales qui tiennent compte des faits évoqués.

Les convictions et pratiques des parents

Affirmer que les convictions des parents sont la pierre d'angle de toute transmission de la foi est certes une lapalissade. On nous dira qu'il n'y a là rien de bien nouveau. On a toujours répété ce message. Pourtant, on est surpris encore aujourd'hui de voir des gens demander le baptême et la première communion pour leurs enfants sans expri-mer dans leur vie quelque forme d'appartenance religieuse. De même, il est assez étonnant de constater le peu d'énergie investie par l'Église dans la formation des jeunes parents comparativement aux efforts consentis pour la formation des enfants d'âge scolaire. Ce n'est pas un phénomène nouveau. Naguère, l'Église pouvait s'en tirer lorsque tout le milieu portait la préoccupation religieuse et lorsque les traditions étaient identiques de génération en génération. Mais les transforma-tions importantes qu'ont connues la liturgie, la catéchèse, l'institution ecclésiale exigent une réappropriation des rites et des manières de faire, une prise de parole, une réflexion [82] sur la foi de la part des jeunes parents. Ils doivent reprendre confiance en eux-mêmes, agir avec simplicité, ne pas craindre de renouveler, dans leur foyer, des traditions dont ils ont gardé bon souvenir et qu'ils savent adapter aux circonstances. Pour cela, il importe qu'ils prennent conscience que

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l'héritage de la foi se transmet moins par les discours et par la caté-chèse que par les pratiques quotidiennes.

Certaines études, notamment celle de W. Gruehn 7, montrent la si-gnification de la mère priante dans les premiers stades de l'expérience religieuse de l'enfant : le simple fait pour la mère de prier auprès de son enfant, puis avec lui, a de fortes répercussions sur celui-ci. De la même façon, des études psychologiques notent des corrélations fortes entre la participation à la messe dominicale des parents, leur intimité conjugale et la foi des adolescents 8. Au cours des deux dernières an-nées, nous avons conduit des entrevues auprès des quinze à vingt-cinq ans avec des étudiants de maîtrise en théologie. La très grande majori-té des interviewés ont fait référence à leur expérience familiale pour affirmer et expliquer leurs convictions et pratiques religieuses ou leur distance face à celles-ci. Ceux qui manifestaient un engagement de foi ou une recherche à ce niveau parlaient avant tout de la pratique évan-gélique de leurs parents, de leur amour, de leur sens de la justice, de leur générosité et de leur accueil. Ceux qui étaient distants s'atta-quaient souvent à la participation forcée à la messe du dimanche, à un certain magisme des sacrements, à la morale sexuelle.

L'éducation religieuse passe avant tout par la pratique du partage, de la miséricorde, du respect de l'autre, de la justice à l'intérieur de la famille et dans les rapports avec les autres. Que d'occasions se pré-sentent dans le quotidien de mettre l'Évangile en pratique au sein d'un foyer et de se grandir spirituellement. À tour de rôle, fidèles [83] à leurs convictions, parents et enfants par leur agir, sont interpellés et soutenus tout comme ils questionnent et encouragent. L'expérience religieuse se fait à l'intérieur d'un climat de recherche réciproque, de liberté, d'échange entre générations. Le très beau livre d'Andrée Pilon Quiviger, Enfants de nos amours 9 est un encouragement et une inter-pellation des mieux sentis en ce sens. L'auteur y rapporte « l'histoire quotidienne où (elle) a vu venir au monde (ses enfants) et par laquelle (elle est) née à (elle-même) ».

7 W. Berger et J. Van der Laus, « Étapes et durée de la maturation de l'acte humain et de l'acte de foi », in Concilium, 142, 1979, 57.

8 W. McGready, « Famille et socialisation », in Concilium, 141, 1979, 43.9 A. Pilon Quiviger, Enfants de nos amours, Leméac, 1979.

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Liberté, recherche, conflit

Nous avons peut-être donné l'impression jusqu'ici que la transmis-sion s'effectuait à la façon de vases communicants. Il y aurait un ou des donneurs et un ou des receveurs, des savants et des ignorants, des possédants et des pauvres. Le contexte contemporain de changement rapide et de liberté met en évidence que, sur le plan de la foi et de la religion, la transmission doit se vivre selon une recherche commune des membres de la famille à l'intérieur d'une critique libératrice.

À partir des pratiques quotidiennes, des temps de fête, on appren-dra à nommer ensemble ce que l'on vit, à communiquer et à advenir à soi-même. Au cœur de ces expériences, en exprimant ses façons de percevoir, de sentir, de comprendre ce qui se passe, on devra rester attentif à l'expression de l'autre, même si cela peut conduire à des po-sitions diamétralement opposées où l'un pourra dénier tout sens reli-gieux et toute motivation de foi à une expérience pourtant vécue comme telle par les autres membres de la famille. Cela provoquera même des conflits, parmi les plus déchirants à survenir au sein d'un foyer. Avec douleur, on se rappellera les paroles du Seigneur : « Je suis venu séparer l'homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère... Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de [84] moi ; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi » (Mt 10, 35-37).

Les conflits si présents au moment de la préadolescence, de l'ado-lescence et de la jeunesse, s'ils sont vécus dans le respect de la diffé-rence, s'ils sont exprimés dans un climat de liberté, peuvent devenir un temps fort de transmission de la religion, mais aussi de sa redécou-verte et de sa meilleure compréhension par tous les membres de la famille. La souffrance du conflit peut se transformer en un dépasse-ment. À force de discussions et de mises au point, on découvrira bien souvent que ce n'est pas tant la religion qui est mise en question, que l'idéologie sous-jacente fort conservatrice, axée autour de la paternité, de l'autorité, du pouvoir et de son exercice. On se rendra compte que la religion est souvent utilisée à des fins fort différentes de sa fin prin-cipale qui est de favoriser une rencontre entre l'homme et son Dieu, et que sur ce point on en est tous à des balbutiements. Au cours de ces démarches et de ces échanges, la foi apparaîtra de moins en moins

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comme un donné définitif et clos. Elle sera mise en relation avec le présent pour soutenir les engagements, et avec l'avenir pour en éclai-rer les voies. Elle deviendra projet autant qu'héritage.

Appui communautaire

Dans la mesure où la société est sécularisée, la famille, pour réali-ser sa mission, a besoin plus que jamais de relais et de réseaux inter-médiaires. Dans ces temps de transformations, les couples doivent vivre entre eux des expériences d'échange et de soutien afin de faire l'apprentissage de leur métier d'éducateur. Les enfants élevés dans une famille nucléaire restreinte doivent, pour leur part, avoir la chance de connaître des expériences religieuses extra-familiales surtout au mo-ment de l'adolescence. Ils doivent savoir partager leur réflexion avec des pairs et vivre des engagements adaptés hors du foyer, dans des mouvements. Au moment des fêtes et des événements importants, la famille aimera ouvrir le [85] cercle et partager avec d'autres croyants, ses coutumes, ses traditions, ses façons de faire.

L'expérience des communautés de base, des regroupements de prières, des mouvements familiaux et apostoliques, de même que la prolifération des sectes indiquent bien le renouveau de la recherche communautaire. Le dernier rassemblement de militants chrétiens pour une Église populaire a donné beaucoup d'importance au regroupement des familles 10. C'est une tendance nouvelle qui se dessine depuis peu dans les groupes de gauche.

À l'intérieur de ces diverses expériences, l'initiation chrétienne, les célébrations axées sur l'événement se déroulent en communauté. La famille bénéficie, d'une autre façon, des avantages que l'on reconnais-sait à la famille étendue. La participation à des baptêmes, mariages, funérailles se trouve multipliée. Les occasions d'exprimer ses convic-tions religieuses sont plus fréquentes et l'ambiance fraternelle permet une reprise de la parole et des témoignages.

Les autorités ecclésiales doivent elles-mêmes pousser plus avant certaines initiatives qu'elles ont prises, mais dont elles ne semblent pas 10 « Les enfants prennent leur place dans l'Église populaire » Vie ouvrière, 156,

octobre 1981.

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avoir perçu toutes les exigences. Ainsi, on n'a pas su encore donner tout son sens au baptême et au sacrement du pardon communautaires ; la dimension collective du salut et la responsabilité de chacun face à ses frères ne sont pas facilement perceptibles dans ces célébrations. De même, on a beaucoup parlé de concertation famille, école, pa-roisse, mais cette concertation a rarement été perçue comme un ac-cueil et un soutien de la réalité familiale. Celle-ci était trop souvent au service de l'école ou de la paroisse quand elle n'était pas utilisée comme instrument pour favoriser l'une ou l'autre institution dans leurs débats. Aussi a-t-on peu progressé vers une pastorale paroissiale qui porte attention à la famille dans son organisation. Nous ne voulons pas dire par là que les paroisses n'ont pas une pastorale spécialisée de la famille par les mouvements, le S.P.M., etc. ; nous voulons signifier que [86] leur pastorale générale est axée sur les individus de différents âges et situations et non sur les familles. L'exemple de la liturgie est des plus éclairants. Des pas ne seront possibles en ce sens que si l'on fait une place véritable à la coresponsabilité des laïcs dans l'élabora-tion de la pastorale paroissiale, si l'on construit la communauté d'abord à partir des foyers, si on leur donne la première place.

Accueil de la diversité des familles

Nous l'avons déjà exprimé, il n'y a pas un modèle monolithique de la famille au Québec. À l'école, les enfants font très tôt l'expérience d'amis dont les parents sont séparés ou dont le père (habituellement) ou la mère est absent. Les discours et les comportements des chrétiens et de l'Église deviennent fort importants dans ce contexte. Plus qu'une faculté d'accueil, il leur est demandé une vigilance pour ne pas tomber dans des attitudes ou des remarques stéréotypées, pour une prise de parole qui parte de la réalité afin que le devenir de la foi ne soit pas rendu quasi impossible aux enfants (et aux parents) qui font une expé-rience de vie familiale différente du modèle idéal. Nous savons que l'Église a suscité beaucoup d'initiatives ces dernières années auprès des familles monoparentales ; mais nous ne pouvons nous empêcher de croire qu'il y a encore toute une façon de parler et d'agir qui per-dure et s'inscrit dans une longue tradition.

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De la même façon, il faut noter que le discours officiel de l'Église sur la famille est un discours masculin. Malgré certains désirs de faire siennes des façons de voir de la femme, ce discours n'y arrive pas et risque à chaque détour de tomber dans les mêmes travers : la distinc-tion des rôles, la femme au foyer, l'éloge de la maternité sans son cor-respondant la paternité, etc. Ces déficiences, ainsi que le peu de place faite à la femme dans l'Église, risquent d'enlever beaucoup de valeur à l'action de l'Église en faveur des familles. Aussi, importe-t-il que le discours officiel de l'Église et sa pastorale de la famille soient de plus en plus pris en charge par les chrétiens et les chrétiennes qui vivent la situation familiale.

[87]Les familles chrétiennes, dans la diversité même des situations

qu'elles connaissent, demeurent des laboratoires premiers de pratique évangélique et d'éveil au spirituel, des lieux d'apprentissage à la vie du disciple de Jésus. L'avenir de l'Église québécoise se joue en partie au cœur de la cellule familiale. Il importe cependant de ne pas exiger de celle-ci ce qu'elle ne peut offrir (enseignement catéchétique systéma-tique, respect des normes édictées), mais de l'encourager et de la sou-tenir dans ce qu'elle peut réaliser mieux que toute autre instance (éveil et croissance spirituels, expérience de communion et de responsabili-té, mentalité évangélique). Que les familles n'aient surtout pas l'im-pression que l'Église leur impose une mission impossible et qu'elle leur renvoie des problèmes qui concernent l'ensemble de la société ou de la communauté chrétienne. Cela exigera sans doute que les chré-tiens, hommes et femmes, participent à la définition et à l'établisse-ment de politiques familiales cohérentes tant dans la société que dans l'Église.

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IV. L'ÉCOLEET LE DEVENIR DE LA FOI

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Si la question de la famille est fondamentalement la plus préoccu-pante pour le devenir de la foi, en ce pays, l'école semble inquiéter davantage dans le contexte actuel d'un projet de réforme de l'éduca-tion. Nous y prêterons donc une attention particulière, en tentant de cerner l'apport qu'on peut raisonnablement attendre de l'école en ma-tière de transmission de la Parole.

Un affluent, mais pas le fleuve

Dès qu'il est question du rapport entre l'école et la foi, la discussion dérive très vite sur le terrain complexe, [88] mais à vrai dire beaucoup plus restreint, de la confessionnalité scolaire. Il ne faut certes pas ignorer ce débat qui a cours présentement, mais que ce soit sans perdre de vue le propos d'ensemble de ce livre, et surtout sans mettre de côté la question qui nous intéresse particulièrement ici : dans le large processus de la transmission de la foi, quel est, quel peut être l'apport de l'école ? On sait que la foi se transmet un peu à la manière d'un courant qui se crée progressivement en s'alimentant à plusieurs sources, en intégrant de multiples apports. Le courant de la foi prend sa source bien en amont de l'école, il poursuit et élargit son cours loin en aval d'elle. Dans l'ordre de la transmission de la foi, l'école consti-tue un affluent. Qu'est-il raisonnable d'attendre de cet affluent ? Tel est notre angle d'approche.

Ce genre de questionnement ne saurait évidemment à lui seul ap-porter une solution au débat entourant l'école confessionnelle, mais il peut contribuer à éclairer. D'abord et avant tout parce qu'il permet de situer ce débat dans la perspective fondamentale de l'éducation de la foi, c'est-à-dire dans l'ordre des finalités. Ensuite parce qu'il oblige à déborder l'école. L'expérience révèle en effet que les débats sur l'école ont souvent le malheur de s'enrouler sur cette institution et de s'enfer-

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mer dans un cadre et un raisonnement étroitement scolaires. Ce qui les rend proprement insolubles. Le débat confessionnel n'échappe pas à cet enfermement scolaire. Que de propos où l'école apparaît comme un monde en soi, une réalité à part, une entreprise autarcique ! Dans les remous autour de l'école confessionnelle, certains parlent et ré-agissent comme si celle-ci représentait le tout de l'éducation chré-tienne. L'affluent devenu le fleuve ! Il importe donc de bien situer ce débat et d'ajuster au besoin les perspectives, bien que cela ne dispense nullement du travail d'analyse qui s'impose pour connaître en détail la problématique de la question confessionnelle à ses divers paliers : ju-ridique, théologique, pédagogique, social et politique. Il serait trop long, et ce serait en dehors de notre propos, de reprendre ici cette pro-blématique de base, qui du reste a été développée ailleurs par des or-ganismes habilités [89] à le faire ; je ne peux que renvoyer à ces études ou rapports déjà assez largement diffusés 11.

La perspective de la transmission de la foi, en nous faisant prendre un certain recul, permettra de mieux apercevoir certains enjeux igno-rés ou trop peu présents dans le débat confessionnel. Nous sommes parfois si affairés à ajuster la mécanique de nos aqueducs et de nos barrages, que nous risquons d'oublier de vérifier les sources d'approvi-sionnement d'eau. Si soucieux de fourbir nos arguments et nos ri-postes, que nous en venons à oublier les fins pour lesquelles nous mi-litons. Si préoccupés de vouloir émonder l'arbre ou le garder intact que nous oublions de vérifier les racines. Ce serait tragique si nos dis-putes ne servaient qu'à masquer une absence. Pendant que nous discu-tons à l'intérieur du cercle de nos installations, peut-être ne voyons-nous pas le désert qui s'élargit autour d'elles.

11 Voir le rapport du Comité catholique dans L'État et les besoins de l'éduca-tion, Rapport 1979-1980, Conseil supérieur de l'éducation, 65-92 ; voir aussi le rapport du Conseil supérieur de l'éducation sur la confessionnalité, sep-tembre 1981.

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L'ambivalence de l'école

Eu égard à l'éducation de la foi, l'école demeure ambivalente. Je ne parle pas ici au niveau des principes, mais au niveau de la réalité vé-cue dans les écoles. Je dis que cette réalité quotidienne est ambiva-lente. Elle présente des aspects contraires, tantôt positifs tantôt néga-tifs, favorables et défavorables à l'éducation de la foi, sans pour autant que cela soit contradictoire et qu'il faille conclure soit à l'hypocrisie soit à la faillite de l'école. La lecture de situation présentée au début de ce chapitre évoquait cette ambivalence, ce double aspect de la réalité scolaire.

D'une part, la semence de la Parole est effectivement lancée dans la plupart des écoles avec un bon degré d'honnêteté, mais cette se-mence est loin de trouver partout une terre propice à son éclosion et surtout [90] suffisamment profonde pour assurer sa croissance. Ainsi l'école se trouve-t-elle, comme la famille, et comme la paroisse, af-frontée à l'ambivalence qui se manifeste au sein de la population ca-tholique québécoise. D'autre part, à l'école aussi, la foi devient de plus en plus insolite, imprévue. Elle n'est pas donnée d'avance. Elle n'est plus un héritage du sang. « C'est à peine si deux ou trois enfants ont la moindre initiation à la prière quand ils arrivent en première année », disent souvent les enseignants qui accueillent les écoliers de six ans. Autre aveu fréquent des professeurs de religion au secondaire : « Cer-tains groupes d'élèves veulent faire une démarche sérieuse en caté-chèse, les autres traînent les pieds. » Les professeurs et les animateurs de pastorale font face quotidiennement à cette ambivalence des élèves, à la sympathie ou à l'indifférence de leurs collègues, à l'appui ou au désintérêt du personnel de direction.

Ambivalence, ce mot décrit bien la réalité vécue dans beaucoup d'écoles en regard de l'éducation de la foi. Il suggère qu'il y a du pour et du contre, il y a du plus et du moins. Il y a des degrés. Il y a du jeu. Il y a la marge de l'histoire propre à chaque école, à chaque milieu. Et il faut en tenir compte si l'on veut comprendre quelque chose à la si-tuation vécue concrètement et dépasser les portraits-robots. Certaines écoles arrivent à dépasser ce stade d'ambivalence ; il s'y crée un cli-mat, un esprit, un courant qui imprime une cohérence, une détermina-tion, si bien que le qualificatif « confessionnel » prend alors un sens

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très explicite. D'autres écoles restent en deçà de ce seuil ; elles n'ar-rivent pas à surmonter l'incohérence et tout projet y semble absent ; alors les effets bénéfiques escomptés du qualificatif « confessionnel » se retournent plutôt contre les intentions affichées.

Remarquons que cette ambivalence ne date pas des années ré-centes. Les collèges classiques et les couvents de naguère n'ont pas formé que des croyants ; ils ont aussi contribué à fabriquer des consciences sincèrement dressées contre la vérité qu'on voulait leur inculquer. Remarquons encore que cette ambivalence affecte toute l'école. Nul besoin d'être aussi critique qu'Ivan Illich pour reconnaître que l'institution scolaire, tout en cherchant [91] avant tout à favoriser l'instruction et l'éducation, distille aussi quotidiennement l'ennui, l'af-fadissement de la curiosité intellectuelle, le dégoût de la langue, le sens de la facilité, et d'autres retombées évidemment indésirées. On est fondé de croire que les bons effets l'emportent sur les mauvais, mais l'école a sans cesse besoin de se redresser. Quand donc la reli-gion entre dans le cadre scolaire, elle doit s'attendre à participer aux bénéfices et aux maléfices de cette institution.

Admettre cette ambivalence foncière de l'école, ce n'est pas verser dans le scepticisme, non plus que dans le relativisme vis-à-vis toute forme d'institution. Mais cette idée d'ambivalence me paraît plus utile pour comprendre la situation de l'école en regard de la tradition de la foi que les schémas tout roses ou tout noirs que l'on nous sert réguliè-rement. Qui n'a entendu ou proféré les clichés dans le genre : l'école catholique est une façade pour sécuriser les parents. Il y a malheureu-sement du vrai dans cette affirmation, mais l'école confessionnelle est loin de n'être que cela. Ou encore : l'école pluraliste favorisera l'esprit de dialogue et de tolérance. Il y a heureusement du vrai dans cette af-firmation, mais l'école pluraliste n'est pas que cela ; elle aussi sécréte-ra ses contre-effets, que ce soit l'indifférence ou le relativisme. En fait, ces jugements ou clichés révèlent moins le vécu réel de l'école que la thèse mise de l'avant par ceux qui les prononcent. En vérité, il me semble que l'école confessionnelle et l'école pluraliste sont moins fa-vorables pour l'éducation de la foi que leurs promoteurs le laissent entendre ; elles sont également moins défavorables pour la foi que leurs détracteurs voudraient nous le faire croire. Les intégrismes de toute forme se ressemblent, qu'ils soient de type confessionnel ou de type pluraliste. Tous deux se croient obligés d'exalter démesurément

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le modèle d'école qu'ils préconisent tout en rabaissant l'autre. Le tra-gique, c'est qu'ils se neutralisent. Comment se libérer de ces schémas partisans ou idéologiques ? Peut-être l'idée d'ambivalence ouvre-t-elle une brèche... Si les confessionnalistes revenaient du ciel de leurs prin-cipes et ne disaient pas plus que l'école catholique ne donne en réalité, et si les pluralistes descendaient des hauteurs plurales et évoquaient aussi les difficultés de vivre concrètement le [92] pluralisme, ces deux groupes se rencontreraient peut-être dans ce lieu ordinaire, parfois étonnant, souvent prosaïque, que je nomme ambivalence.

Parler d'ambivalence de la réalité scolaire, c'est au fond admettre que la foi n'est jamais le fruit d'un conditionnement, qu'il soit confes-sionnel ou pluraliste. La foi ne s'apprend pas comme un alphabet. Elle ne se réduit pas à un héritage culturel, bien qu'elle nécessite un savoir relié à une histoire, à une communauté, à une culture. Elle déjoue constamment les meilleures stratégies empruntées au marché des convictions ou de la pédagogie. On peut l'approfondir ou la banaliser au contact des siens. Comme on peut aussi l'affermir ou l'affadir au contact des autres, croyants et incroyants. C'est pourquoi mieux vau-drait se montrer modeste lorsqu'il est question d'aménager la foi pour les autres, y compris pour les jeunes générations. L'effort qui tend à créer un environnement favorable est certes utile, voire indispensable ; mais il demeure ambivalent, au mieux il ne fait jamais que conduire au seuil de la rencontre entre la Parole de Dieu et la parole intérieure de l'homme.

Reconnaître cette ambivalence, c'est finalement admettre que l'école est un moyen. Rien d'autre qu'un moyen. Confessionnelle ou non, l'école reste un instrument, un outil par rapport à l'éducation de la foi. Elle peut servir à bien ou à mal. Son statut confessionnel ou l'ab-sence de ce statut ne la qualifie pas de soi ni ne la disqualifie de soi pour la promotion de la foi. Tout dépend de la manière dont on se sert de cet instrument, de la manière dont on déploie ses possibilités.

Vérité d'évidence que cela ? Oui. Mais il n'est pas superflu d'insis-ter. Dans la confrontation des thèses qui circulent, comme il est diffi-cile de tenir à la réalité vécue, aux vérités premières ! On se montre tellement affairé à promouvoir ou à défendre l'école qu'on voudrait avoir qu'on oublie de regarder l'école qu'on a. Elle seule est réelle, à notre portée ; elle reste un moyen ambivalent.

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L'école catholique, un moyen privilégié ?

Pour l'éducation de la foi, l'expérience séculaire et présente de la communauté catholique conduit à affirmer que l'école confessionnelle constitue un moyen privilégié. Cette affirmation est reprise et entéri-née dans la déclaration du concile Vatican II sur l'éducation chré-tienne. Elle doit donc éclairer notre réflexion sur l'école et sur la trans-mission de la foi. Mais il serait bien insuffisant de répéter une telle affirmation sur un ton quasi comminatoire comme si elle devait clore le débat confessionnel qui a cours ici. Il convient plutôt de chercher à saisir le sens qu'elle revêt dans l'ensemble du document conciliaire et de voir comment elle peut se traduire dans le contexte scolaire et reli-gieux québécois des années 80. Sur ce sujet de l'école, comme sur tant d'autres, les croyants d'ici attendent plus qu'une parole répétée, ils at-tendent une parole vivante qui les aide à comprendre leur situation, pour ensuite pouvoir dire leur mot et prendre leurs responsabilités.

On sait que l'histoire de l'éducation se confond à l'origine avec l'histoire des abbayes et des églises diocésaines et paroissiales. L'école est née d'un effort de promotion spirituelle et culturelle surgi au sein de la communauté chrétienne. Avant l'émergence de l'école, l'Église avait vécu pendant des siècles de l'institutio christiana, c'est-à-dire de ce réseau exemplaire d'éducation permanente de la foi qui commen-çait avec l'initiation aux sacrements et qui se poursuivait dans les grands rituels et la prédication des temps liturgiques. Avec la multipli-cation des écoles, l'Église a tenu à ce que la foi des fidèles ne demeure pas en reste par rapport au développement de leurs connaissances. C'est pourquoi, notamment depuis la Réforme, elle a beaucoup misé sur l'école confessionnelle pour la transmission de la foi aussi bien dans les pays de mission que dans les pays de vieille chrétienté, par-tout où cela s'avérait possible. Dans la tradition catholique québécoise, on sait la place importante qu'a tenue l'école catholique paroissiale. Notre histoire à cet égard est bien un peu singulière, mais elle est loin d'être aussi exceptionnelle qu'on le laisse parfois [94] entendre. D'autres pays, d'autres régions ont également connu une forte pré-sence religieuse à l'école : qu'on pense à la très anglicane Angleterre, à

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la France catholique d'avant 1789, à la Bavière, aux villages puritains de la Nouvelle-Angleterre. Quoi qu'il en soit, cette histoire explique seulement en partie l'attachement qu'un bon nombre de catholiques d'ici gardent pour l'école catholique. Sans exclure que des ajuste-ments, voire même des réaménagements nouveaux, puissent être in-troduits en vue de tenir compte de l'évolution de la population, beau-coup continuent de privilégier spontanément l'école catholique pour des raisons probablement entremêlées : apprentissage de la foi, réfé-rence à une doctrine et à des valeurs connues, sécurité, crainte du changement, habitude. Ils y tiennent et ils veulent maintenir cette pos-sibilité pour leurs enfants. Rien de plus normal. Certains s'étonnent parfois de cet attachement et tendent à l'interpréter de manière à le vider de toute signification. Persiflage insolent, qui refuse de voir l'ambivalence de tant de choix humains et qui oublie cette évidence première qui est, comme dit le proverbe, notre lot commun : « Aux vérités banales comme aux servitudes banales chacun moud son blé et cuit son pain. »

Il faut cependant dépasser ce simple constat. Il importe de préciser le sens de l'expression « moyen privilégié », car celle-ci reçoit, dans le débat actuel, diverses interprétations qui ne sont pas toujours exactes.

Moyen privilégié ne veut pas dire moyen unique ou moyen exclu-sif. A ce sujet, la déclaration conciliaire ne laisse pas de doute. Par son titre d'abord, qui porte sur l'éducation chrétienne, c'est-à-dire le déve-loppement de la foi, la transmission de la Parole. Voilà la finalité ou la visée clairement établie dès le début du texte. Celle-là s'impose à tous les chrétiens comme un devoir capital, aussi bien pour les pasteurs que pour les parents. Elle est manifestement déterminante pour le devenir et l'expansion de la foi. Une fois cette finalité énoncée, le texte conci-liaire aborde ensuite la question des moyens qui sont multiples : la formation catéchétique en Église, les moyens de communication so-ciale, les mouvements et associations de jeunes et surtout les écoles.

[95]Au sujet des écoles, dont il souligne l'importance pour la formation

intellectuelle et sociale des jeunes, le document conciliaire traite en deux sous-titres distincts des écoles qui ne sont pas catholiques et en-suite des écoles catholiques. Concernant les premières, on peut lire : « l'Église a conscience de son grave devoir d'être présente, avec une

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affection et une aide toutes particulières, à ceux (les enfants) qui ne sont pas élevés dans des écoles catholiques » (paragraphe 7). Pour eux, elle veut être présente : par le témoignage des éducateurs croyants, par l'action apostolique de leurs camarades et par la présen-tation de cours sur la doctrine du salut. Aux parents qui envoient leurs enfants dans ces écoles non catholiques, l'Église rappelle le grave de-voir d'insister et d'exiger même que soient dispensés des services d'éducation religieuse. C'est pourquoi elle « félicite les autorités et les sociétés civiles qui, compte tenu du caractère pluraliste de la société moderne, soucieuses de la juste liberté religieuse, aident les familles pour qu'elle puissent assurer à leurs enfants, dans toutes les écoles, une éducation conforme à leurs propres principes moraux et reli-gieux » (paragraphe 7). Cette dernière citation, souvent utilisée à tort et à travers, se rapporte manifestement à la situation scolaire de très nombreux pays où l'école publique non confessionnelle accepte de dispenser certains services d'éducation religieuse. C'est tirer cette phrase hors de son contexte ou vouloir falsifier la pensée conciliaire que de l'appliquer à l'école catholique, dont le document conciliaire traite séparément et distinctement par la suite.

Concernant les écoles catholiques, le document conciliaire com-mence par dire qu'il s'agit d'une présence de l'Église dans le domaine scolaire « à un titre particulier ». Il rappelle immédiatement le carac-tère propre de l'école catholique. « Tout autant que les autres écoles, celle-ci poursuit des fins culturelles, et la formation humaine des jeunes. Ce qui lui appartient en propre, c'est de créer pour la commu-nauté scolaire une atmosphère animée d'un esprit évangélique de li-berté et de charité, d'aider les adolescents à développer leur personna-lité en faisant en même temps croître cette créature nouvelle qu'ils sont devenus par le baptême, et, finalement, [96] d'ordonner toute la culture humaine à l'annonce du salut pour éclairer par la foi la connaissance graduelle que les élèves acquièrent du monde, de la vie et de l'homme. » (paragraphe 8) Après avoir rappelé la responsabilité singulière des maîtres, le concile rappelle aux parents « leur devoir de confier leurs enfants, où et lorsqu'ils le peuvent, à des écoles catho-liques ». Notons au passage l'incise « où et lorsqu'ils le peuvent », qui vient qualifier ce devoir des parents, qui ouvre la porte à une analyse de situation et à un jugement à porter selon les milieux ; cette incise apporte un assouplissement certain à un devoir qui était autrefois im-

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posé de manière absolue et dont un catholique ne pouvait s'exempter qu'avec l'autorisation de l'évêque du lieu. En conséquence, c'est faire une interprétation restrictive du document conciliaire que de rappeler aujourd'hui ce devoir aux parents sans dire un mot de l'examen qu'ils ont à faire de la situation scolaire dans leur milieu et du jugement à porter en fonction du bien commun : le devoir s'impose là où les pa-rents peuvent envoyer leurs enfants dans une école catholique. Notons enfin ceci : le texte conciliaire mentionne qu'il existe différentes sortes d'écoles catholiques et prend acte du fait que leur lien avec l'Église peut être plus ou moins étroit. Ainsi, en France et aux États-Unis, les écoles catholiques ont à toutes fins utiles un statut similaire à celui de nos institutions privées québécoises : elles appartiennent de droit tan-tôt à une congrégation enseignante, tantôt à un diocèse ou à une pa-roisse. Leur lien avec la communauté catholique est donc très étroit. La situation des écoles publiques catholiques au Québec est autre : celles-là appartiennent non à l'Église mais aux corporations publiques que sont les commissions scolaires ; leur lien à l'Église s'effectue à travers le projet éducatif que se donnent ces institutions, projet qui peut faire l'objet d'une reconnaissance juridique par un organisme confessionnel officiel. Il importe donc de tenir compte de ces situa-tions ou modes de dépendance très divers, qui appellent des aménage-ments variables selon les circonstances et les milieux. « Que toutes les écoles qui, d'une façon ou d'une autre, dépendent de l'Église, se rap-prochent au maximum de cet idéal de l'école catholique, bien que, se-lon les circonstances [97] locales, elles puissent revêtir des formes diverses. » (paragraphe 9)

Voilà pour l'essentiel les axes majeurs de la pensée conciliaire sur la question de l'école située dans la perspective de l'éducation chré-tienne. Cette pensée se trouve sous-jacente à la déclaration des évêques du Québec sur « Le système scolaire et les convictions reli-gieuses des citoyens » (mars 1982), qui met heureusement fin à une interprétation partielle et rigoriste tendant à faire croire que Vatican II n'avait fait que répéter le droit canon de 1917. Il est important que cette pensée conciliaire soit exposée avec clarté afin de nous aider col-lectivement à trouver les adaptations qui s'imposent dans notre sys-tème scolaire confessionnel. Car cette pensée est fondamentalement libératrice. Tout en marquant la nécessaire convergence sur la finalité, l'éducation chrétienne, elle admet de la souplesse en ce qui concerne

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les moyens. Il n'est pas vrai qu'elle oblige les catholiques à s'enfermer dans une cage de concepts et de consignes immuables. Elle interdit surtout que les catholiques se divisent entre eux au nom d'une doctrine qui admet précisément la diversité.

En 1969, les évêques de France ont monnayé cet enseignement conciliaire en l'adaptant à la situation scolaire propre à leur pays. Leur parole a beaucoup contribué à diriger un débat qui avait littéralement déchiré les catholiques français pendant près d'un siècle. Dans l'éven-tualité de changements éducatifs projetés par le nouveau gouverne-ment socialiste, l'épiscopat de France vient de rappeler, à l'automne 1981, ce même enseignement, dans une langue claire, succincte, trans-parente. Lisons plutôt. Après avoir évoqué les problèmes difficiles qui affectent l'école et souligné l'importance qu'aboutissent les efforts et recherches en vue d'apporter des solutions nouvelles, les évêques écrivent :

C'est dans cette perspective que la question de l'enseignement catho-lique doit être abordée, sans passion mais en toute clarté. Les évêques rap-pellent fermement leur attachement à l'école catholique, à son projet édu-catif propre et aux moyens indispensables à sa mise en œuvre. (...) Qu'il y ait [98] des lieux où soient proposées, au cœur même du projet scolaire, les valeurs inspirées de l'évangile apparaît dans une société pluraliste comme une contribution originale au service des jeunes en quête de sens pour leur vie. Cette proposition de la foi dans le respect de la liberté donne au projet éducatif de l'école catholique son vrai caractère et sa dimension profonde.

Avec la même intention, les évêques portent le souci pastoral des jeunes catholiques de l'enseignement public. Ils tiennent à dire leur estime et leurs encouragements à ceux qui concourent aux tâches de l'aumônerie, ainsi qu'à tous ceux qui s'efforcent de proposer l'évangile aux jeunes et de favoriser la réussite de l'école. Reconnaissant la légitimité du choix que des parents catholiques ont fait en conscience pour leurs enfants, ils les appellent à participer à l'animation de l'aumônerie et à la vie des établisse-ments. Ils souhaitent que les catholiques de l'enseignement public contri-buent à la recherche des transformations nécessaires pour un meilleur ser-vice des jeunes.

L'enjeu d'une réforme éducative, c'est l'authentique service de l'homme et de son destin 12.

12 Déclaration du 30 octobre 1981, La Croix, mardi 3 novembre 1981.

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Par-delà les éléments de situation spécifique à la société française et qui ne sont évidemment pas interchangeables, cette citation consti-tue un écho évident de ce qu'on peut lire dans la déclaration conci-liaire : l'école catholique est un moyen préférentiel mais elle n'est pas un moyen unique ou exclusif, il y a place pour un jugement et un choix légitime de la part des parents. Il est temps que cette pensée trouve aussi son écho officiel en notre pays, par-dessus les voix qui affirment sans nuance qu'une seule et unique position est acceptable pour les catholiques. Elle appelle une parole intrépide et sereine.

Ajoutons un élément de plus. Si l'expression « moyen privilégié » n'est pas synonyme de moyen unique, elle ne signifie pas davantage que ce moyen serait automatique. L'expérience quotidienne révèle, avons-nous dit, l'ambivalence [99] de l'école même confessionnelle. Pour autant, l'école catholique n'est pas sans effet. L'étude menée aux États-Unis par McCredy et Rossi a bien montré que l'école confes-sionnelle exerçait une véritable influence sur les connaissances reli-gieuses et sur ce qu'on pourrait appeler une vision du monde (notam-ment le sens de la responsabilité sociale et l'ouverture au change-ment). Mais cette influence de l'école ne se manifeste que lorsque sont rassemblées deux conditions : premièrement, que l'élève provienne d'une famille croyante fervente ; deuxièmement, que sa présence dans une institution catholique dure plus qu'un seul niveau et s'étende, par exemple, du primaire à la fin du secondaire, ou du secondaire au col-légial. Cela montre que l'école confessionnelle n'est pas de soi un moyen autosuffisant. Si elle est seule à agir, il y a fort à parier que son influence sera minimale. Pour qu'elle soit efficace, il faut une réelle coïncidence entre la famille et l'école, il faut aussi une immersion pro-longée.

Un choix à confier aux parents

La nouvelle étape dans la réforme scolaire présentement envisagée par le gouvernement oblige à repenser l'insertion de l'éducation reli-gieuse et de l'école confessionnelle dans le paysage scolaire québé-cois. Sous l'angle qui nous intéresse ici, savoir la transmission de la foi, il apparaît important que les parents puissent être appelés à choisir eux-mêmes le statut de l'école où ils envoient leurs enfants. Ce choix

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peut en effet servir à déclencher une prise de conscience bénéfique, il peut amorcer ou relancer la participation des parents à l'effort d'éduca-tion religieuse de leurs jeunes. Au fond, deux options peuvent être loyalement envisagées. À la lumière de la pensée conciliaire sur l'école, aucune ne peut être « canonisée » ou « condamnée » au départ. Il s'agit d'en arriver à un jugement d'opportunité sur le type d'école qui convient le mieux à tel milieu, compte tenu de ses possibilités, des attentes de la population, de la pensée ecclésiale et des exigences du bien commun.

[100]L'option 1  : l'école confessionnelle. Cette école a ses mérites et ses

misères. Elle n'a pas toutes les vertus que certains lui attribuent. Elle n'a pas non plus tous les vices dont d'autres l'accusent. Elle comporte ses chances et ses risques pour la foi. Dans la perspective ecclésiale, elle est un moyen privilégié pour la tradition de la foi. Bien ancrée dans la tradition scolaire québécoise, elle peut apporter un élément original dans un système scolaire que beaucoup souhaitent voir se di-versifier.

L'option 2  : L'école publique tout court, sans trait confessionnel. Cette école peut loyalement assurer une part de l'éducation chrétienne traditionnellement attendue de l'école, savoir l'enseignement religieux et une forme d'animation pastorale. Elle aussi aura ses forces et ses misères. Il serait incorrect et injuste de la dénigrer systématiquement. Il serait également incorrect et naïf de laisser croire que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes dans une telle école, pour l'édu-cation de la foi comme pour le reste. Elle comporte des risques et des chances pour la foi. Ce qui est clair, c'est qu'une telle école peut être, là où la population le désire, un choix raisonnable et raisonné.

Ce choix doit être rendu possible par l'État. Plusieurs raisons mi-litent en ce sens. Dans une société qui se dit pluraliste, il serait illu-soire de croire qu'un seul modèle d'école puisse parvenir à répondre à toutes les attentes sur l'ensemble du territoire. Il faut laisser place à la diversité, lui permettre d'émerger. C'est la seule manière de prendre en compte les disparités religieuses entre les régions, l'évolution des mentalités, les brassages des populations. Va-t-on délaisser le monoli-thisme confessionnel uniquement pour tomber sous l'empire d'un autre

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monolithisme à visage séculier ? S'il faut s'opposer à l'intégrisme reli-gieux, il faut aussi résister à l'intégrisme bureaucratique, même lors-qu'il s'habille du prêt-à-porter pluraliste aujourd'hui très en vogue. On a parfois critiqué les comités confessionnels pour la manière dont ils procédèrent, en 1974, à la reconnaissance juridique du caractère confessionnel de toutes les écoles relevant des commissions [101] scolaires établies pour catholiques et pour protestants. Cette critique est en partie recevable. Mais au moins les comités confessionnels se fondaient sur une obligation que leur faisait la loi, sur une tradition séculaire, sur une présomption juridique en faveur de la confessionna-lité (ce que les juristes appellent « la commune renommée », qu'il faut se garder de confondre avec une quelconque « odeur de sainteté » per-çue dans toutes les écoles), sur une révision toujours possible du statut confessionnel. Au nom de quelle fine analyse le gouvernement procé-derait-il à une opération inverse, tout aussi universelle mais cette fois irréversible ? Il y a les déclarations de la Commission des droits de la personne qui demandent au gouvernement de lever certains aspects discriminatoires de l'école confessionnelle ; ces études sont à prendre au sérieux, mais elles ne disent pas nécessairement le dernier mot sur tous les aspects de la question ; elles ont notamment la limite de ne guère dépasser le jardin clos des libertés individuelles. Or, le système scolaire, pas plus que la société en général, ne peut se réduire au qua-drillage étriqué des seuls droits de chaque personne individuellement prise. Il existe aussi des droits collectifs qui doivent entrer en ligne de compte, tels ceux consentis aux catholiques et aux protestants par la tradition scolaire et légale du Québec. Aucun de ces droits, individuel ou collectif, n'est absolu. Tout droit en effet ne peut se déployer qu'à l'intérieur des possibilités et des limites du bien commun. C'est donc en fonction du bien général qu'il convient d'arbitrer les inévitables conflits de droits qui surgissent dès que l'on pose la question du rap-port de l'école avec les convictions des gens qu'elle dessert. Et non pas par la seule invocation de l'un ou l'autre droit, non plus que par des syllogismes faciles sur la discrimination — un concept qui demeure encore plutôt mal défini en droit. Attentif à la difficile mais nécessaire conciliation entre ces divers droits, le Conseil supérieur de l'éducation proposait récemment comme voie d'évolution la mise en place pro-gressive d'une réelle diversité dans les types d'écoles. Le pluralisme sociologique et idéologique de notre société appelle en effet une plu-ralité d'écoles. Non pas l'école pluraliste partout, ce qui constituerait

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un retour à l'uniformité et une victoire de [102] l'esprit de géométrie. Mais des écoles se donnant un projet d'éducation qui puisse comporter des variantes dans le style, la pédagogie, les valeurs adoptées, incluant la variante confessionnelle.

L'Église doit également favoriser un tel choix par les parents qui sont les premiers intéressés. Voilà pour elle une occasion unique de donner véritablement la parole aux laïcs, de reconnaître que les pères et mères sont réellement « les premiers responsables de l'éducation de la foi de leurs enfants ». De l'autorité ecclésiale, on peut souhaiter re-cevoir un éclairage sur les enjeux d'un tel choix, sur les avantages et les limites des deux principales options en présence. Cet éclairage donné, les pasteurs devraient renvoyer les catholiques à leur conscience en s'engageant à respecter leur choix. Comme cela se fait au temps des élections. Ce serait faire preuve de cléricalisme et man-quer une chance exceptionnelle de faire parler l'Église peuple de Dieu si les autorités diocésaines et paroissiales allaient s'engager dans des campagnes ou croisades pour la défense de l'école catholique. Beau-coup de parents sont désireux et capables de faire ce choix. Ils n'ont pas à se faire dire de quel côté voter. D'ailleurs, une fois leur choix exprimé, et quel que soit ce choix, les parents seront appelés à ap-puyer les projets d'éducation chrétienne à l'école. Ils se montreront disponibles et soucieux de le faire dans la mesure même où ils auront eu leur mot à dire dans la décision.

Fonction sociale de l'écoleet confessionnalité

Dans la décision à rendre concernant le statut confessionnel de l'école, il est important que soit prise en compte la fonction sociale de l'école. Par fonction sociale de l'école, entendons ici l'ensemble des responsabilités et devoirs de l'institution scolaire à l'endroit de la po-pulation et du milieu qu'elle dessert. C'est dire qu'il serait incorrect de souligner la visée de l'éducation chrétienne à l'école au point d'ignorer ou d'occulter la fonction sociale de celle-ci. Le rappel et la promotion des obligations de l'école en matière de confessionnalité sont donc [103] à faire en lien avec ses autres responsabilités pédagogiques et

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sociales. Cette conciliation n'est pas toujours facile à opérer. Mais qui ne la recherche pas activement verse vite dans l'inflation verbale et la distorsion.

C'est la foi elle-même qui incite à tenir compte de la fonction so-ciale de l'école. Dans son enseignement dit de « doctrine sociale », l'Église a trop insisté sur la responsabilité sociale de l'entreprise, de l'État, de la propriété privée, du travail, pour que subitement, au sujet de l'école, on n'en souffle pas un mot. Pourtant, certains défendent ici l'école catholique comme d'autres en Amérique latine défendent leurs grands domaines fonciers. Au nom du droit sacré de propriété ! Il y a là non seulement oubli d'un pan important de l'enseignement social chrétien, il y a aussi une grave méprise. S'agissant des écoles pu-bliques catholiques du Québec, il est clair que les catholiques n'en sont pas les propriétaires. Ce sont des écoles communes, appartenant à des corporations publiques. Leur caractère confessionnel n'est pas un titre de propriété. La prise au sérieux de leur fonction sociale est donc d'autant plus impérieuse. Je veux en souligner ici deux conséquences.

Tout d'abord, les catholiques ont à prendre fait et cause pour la re-valorisation de l'école. Comme croyants, leurs préoccupations ne sau-raient se limiter à la seule dimension confessionnelle ; elles doivent s'étendre à tout ce qui peut causer la réussite ou l'échec de l'école. Qu'on ne se fasse pas d'illusion : dans une école accablée ou déprimée, l'éducation de la foi ne vole pas très haut. Il est donc requis des catho-liques qu'ils apportent leur contribution, en termes de réflexion, de recherche, de critique et de participation, à une réforme scolaire qu'il faut pousser plus loin, qui nous a déjà coûté et nous coûte encore très cher, en laquelle pourtant il ne faut pas renoncer à espérer malgré de sérieuses désillusions. Tant de problèmes restent à résoudre ! Il y a ceux dont parlent fréquemment les médias : la restructuration scolaire, l'engagement plus actif des parents, les restrictions budgétaires, le pro-jet éducatif à définir, l'égalité des chances, l'accueil des enfants de culture et religion diverses. Mais il y a aussi les problèmes dont on parle moins, probablement parce qu'ils sont devenus endémiques : [104] l'ennui que provoque l'école chez beaucoup de jeunes, l'échec et l'abandon scolaire d'un trop grand nombre, les contraintes infinies des conventions et de la bureaucratie qui digèrent les bonnes intentions et laminent les enthousiasmes, la difficulté de l'école à se situer par rap-port aux autres moyens ou lieux de formation. Autant de problèmes

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qui montrent que l'école n'arrive pas encore à assurer à tous les jeunes l'entrée dans leur propre vie d'adulte et leur insertion dans le monde. Autant d'enjeux également pour ceux et celles que la foi rend attentifs au « service de l'homme » (Jean-Paul II).

De la considération sur la fonction sociale de l'école, je tire aussi une conséquence pratique pour l'aménagement de la confessionnalité. Il me paraît en effet devenu souhaitable que toute école publique, qu'elle soit confessionnelle ou non, puisse offrir aux parents des élèves le choix entre l'enseignement religieux et l'enseignement moral. À la fin du secondaire, ce choix pourrait être laissé directement aux élèves. La règle qui prévaut actuellement dans l'école catholique, c'est-à-dire la règle de l'obligation de l'enseignement religieux assortie d'une possibilité d'exemption, est moins discriminatoire qu'on ne le répète un peu partout, sans examen sérieux du concept juridique de discrimination ; il n'empêche que la fonction sociale de l'école pu-blique et le bien commun exigent que soit levé aujourd'hui tout soup-çon à cet égard. Cela peut d'ailleurs se réaliser sans beaucoup de frais. Tout d'abord, matériellement, il s'agirait d'un changement très mi-neur : les parents auraient à indiquer chaque année, dans une petite case prévue à cette fin sur la fiche d'inscription de leur enfant, s'ils désirent le voir suivre l'enseignement religieux ou l'enseignement mo-ral. Il me paraît bien exagéré de prétendre que cela constituerait pour les catholiques un réel préjudice, et il serait proprement ridicule de vouloir s'y opposer en brandissant l'article 93 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord. Quel branle-bas pour une petite coche annuelle ! Une question plus sérieuse se pose, qu'il faut considérer : ce change-ment serait-il conciliable avec le projet d'une école catholique ? Il convient de répondre oui. Car il est clair qu'il s'agit ici d'une simple modalité d'aménagement, qui ne touche pas au caractère fondamental de l'école [105] catholique. Parmi les caractéristiques essentielles de celle-ci, figure en première place l'obligation de faire une présentation explicite et respectueuse de la foi chrétienne. Mais cette présentation peut pleinement se faire dans les deux cas : que l'enseignement reli-gieux soit obligatoire ou qu'il soit facultatif. Certains estiment même que la seconde manière apparaît, dans les circonstances présentes, plus respectueuse des attentes de chacun. Manifestement, l'identité de l'école catholique n'est pas mise en cause par l'éventualité d'un tel changement. Pas plus que l'identité des catholiques ne fut atteinte,

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malgré certaines appréhensions, lorsque fut prise la décision d'abolir la règle pratique de l'abstinence du vendredi.

Ajoutons ceci : il est peu probable que cette modification entraîne un grossissement subit des effectifs en enseignement moral. Il faut donc s'attendre à ce que persiste la principale difficulté rencontrée dans la mise en œuvre de l'exemption, savoir le petit nombre d'élèves intéressés. Peu importe en effet que l'enseignement moral soit deman-dé à la suite d'une démarche d'exemption ou qu'il soit choisi au mo-ment de l'inscription, il reste qu'il sera toujours difficile de l'organiser chaque fois qu'il s'adressera à un petit nombre d'élèves d'âges et de degrés différents. La modification proposée peut cependant apporter un avantage réel en ce qui concerne l'éducation de la foi, en ce sens qu'elle pourra éveiller ou relancer la responsabilité des parents tou-chant l'éducation religieuse de leurs enfants. Sur le plan économique, quand un bien est devenu trop courant et ne coûte pas cher, les gens en usent souvent sans discernement (pensons au pétrole). Il peut être opportun, pour le revaloriser et modifier les comportements, d'en hausser le prix. Ainsi, la modification proposée vise à lever un peu la barre, de telle sorte que se retrouveront en enseignement religieux ceux qui l'auront effectivement demandé. Cela ne peut qu'être béné-fique pour la qualité de cet enseignement.

Notons bien le sens de cette option. Elle réclame que, dans notre société devenue pluraliste, l'enseignement religieux, même sous la forme catéchétique, demeure un « service public » offert par l'institu-tion scolaire à tous les croyants qui le désirent. Certes, tous les ci-toyens [106] et tous les catholiques ne sont pas favorables à cette posi-tion ; certains, par exemple, préféreraient que la catéchèse devienne strictement un service interne à la communauté chrétienne, qui en as-sumerait totalement la responsabilité. Mais un accord général existe pour maintenir ce service aussi largement accessible. L'État voit là une demande sociale importante, massive même, et il admet ouverte-ment que la dimension religieuse comporte un intérêt socio-culturel évident. L'Église, pour sa part, estime que l'école demeure un lieu éducatif majeur et elle admet les risques et les chances que représente la possibilité de présenter la Parole à une proportion de la population qui déborde largement le nombre des croyants convaincus. Non seule-ment ce point n'est-il pas vraiment remis en cause dans le débat pré-

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sent, il en ressort même plus clairement affirmé par la plupart des in-tervenants.

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Concluons ces propos sur l'école et son rapport à l'éducation de la foi. Deux écueils principaux nous guettent en ce domaine. Le premier, ce serait de concentrer toutes nos énergies sur les seules structures de l'école. De toute évidence, ces structures ne sont pas indifférentes pour l'éducation de la foi, pas plus qu'elles ne le sont, par exemple, pour l'égalisation des chances ou pour la promotion du fait français au Qué-bec. Ils versent dans l'angélisme ceux qui prétendent qu'en matière d'éducation de la foi il faudrait oublier le langage des structures, tout comme ceux qui, à l'inverse, estiment que la foi risque de s'effondrer si les structures bougent le moindrement. Les structures ne sont que des moyens. Tantôt soutien, tantôt obstacle. Elles ne suffiront jamais par elles-mêmes à donner ou à entretenir la foi. C'est pourquoi une fois que l'on se sera entendu sur le statut de la maison-école, il faudra encore se demander : que mettons-nous dans cette maison en fait d'éducation de la foi ? Qu'y mettrons-nous demain ? Voilà qui devrait nous préoccuper tout autant que le sort des structures.

[107]Le deuxième écueil : ce serait de concentrer toute notre attention

sur l'école. Cette dernière, répétons-le, n'est qu'un lieu d'éducation par-mi d'autres ; en ce qui concerne la foi notamment, son apport ne sera jamais que complémentaire, rarement initial.

Dans le débat confessionnel, nous pouvons et nous devons tenter d'éviter ces deux écueils. Si nous y parvenons, alors le débat lui-même pourra se révéler profitable, car il servira à faire émerger des questions vitales pour l'éducation de la foi, mais demeurées jusqu'ici trop sou-vent informulées ou trop discrètement évoquées. Il pourra en résulter des prises de conscience salutaires. Autant la problématique de la confessionnalité scolaire peut devenir étouffante si l'on s'y enferme, autant elle peut se révéler éclairante lorsqu'on la relie à l'évolution de l'école, de la société et de l'Église. Ainsi envisagé, le débat confes-sionnel pourrait devenir un bon révélateur d'une situation de la trans-

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mission de la foi qui déborde de beaucoup l'école, et qui se répercute dans l'ensemble de la vie ecclésiale.

** *

Terminons par une proposition concrète, qui permettra de vérifier et d'actualiser l'ensemble des propos de ce chapitre sur le devenir de la foi en ce pays. Il s'agit à proprement parler d'une tâche à accomplir, que je considère personnellement comme urgente. Mais on ne pourra juger de son à-propos qu'en reprenant, pour les confirmer, les contes-ter ou les dépasser, les vues ici exprimées sur la transmission de la foi et la contribution spécifique de l'école.

Le temps paraît venu de faire un bilan de l'expérience catéchétique des vingt dernières années et d'en vérifier et repenser les orientations et les méthodes. Il ne s'agit pas de renier les étapes antérieures, mais plutôt de faire le point et de procéder aux ajustements qui s'imposent pour relancer la marche en avant.

[108]Ce bilan s'impose en raison de l'essoufflement perceptible depuis

quelques années. Tout en préservant les acquis appréciables du renou-veau opéré depuis vingt ans, il faut aujourd'hui analyser franchement les malaises observés et relever patiemment les interrogations nou-velles qui surgissent. En voici quelques-unes. L'approche existentielle de la foi, qui comporte une attention particulière à l'expérience des jeunes et aux situations humaines vécues, constitue un acquis certain par rapport à un enseignement religieux purement conceptuel et comme extérieur au sujet croyant. Mais les risques d'enlisement dans les situations et les propos humains sont trop fréquents pour ne pas se demander : y a-t-il un meilleur équilibre à proposer entre l'aspect sub-jectif d'éveil et d'intériorisation de la foi et l'aspect objectif d'informa-tion et de connaissance des faits et documents clés pour la foi (histoire biblique, évangile, grands textes de la tradition ecclésiale) ? Autre question : la pédagogie active et la non-directivité ont beaucoup inspi-ré la pratique catéchétique. Comment faire la somme des apports posi-tifs et négatifs des approches pédagogiques modernes, sans pour au-tant verser dans la nostalgie du passé ? Autre question : les instru-ments didactiques servant à l'enseignement religieux possèdent en gé-néral un tonus biblique et doctrinal plutôt remarquable. Mais comment

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expliquer que la pratique concrète soit souvent si décevante à cet égard ? Aujourd'hui comme hier, force est de constater une ignorance religieuse effarante. Les orientations et les méthodes de la catéchèse ont-elles été assez attentives à la place de la mémoire dans la trans-mission de la foi ? Autre question : la catéchèse actuelle équipe-t-elle suffisamment les jeunes pour affronter les problèmes posés aujour-d'hui par les situations de la foi dans les familles et dans la société ac-tuelle ? Le décrochage observé à l'adolescence est-il une cassure irré-médiable ou une étape de croissance ? Autant de questions, et bien d'autres, qui naissent de la pratique catéchétique elle-même et qui ap-pellent une vérification sérieuse.

Un bilan s'impose également en raison de l'évolution de l'école qui conduit cette institution vers un recentrage de ses activités. L'éduca-tion de la foi ne peut échapper [109] à cette opération. Une vérité en effet fait son chemin : on ne peut tout attendre de l'école. Sollicitée de toutes parts, l'école est devenue « comme un chameau qui ploie sous le faix des richesses mythiques dont on a voulu la charger. Investie de toutes les missions éducatives concevables, l'école, victime d'un véri-table délire inflationniste, se voit, par le fait même, dépouillée de la spécificité d'une éducation définie (c'est-à-dire limitée) comme sco-laire » (D. Hameline). Le propre d'une éducation définie comme sco-laire n'est-il pas de faire accéder à l'intelligence rigoureuse et exi-geante des choses ? L'école paraît seule à pouvoir faire cela. Les fa-milles, la télévision ou des bibliothèques ne la remplaceront jamais à cet égard. Dès lors, la contribution de l'école à l'éducation religieuse n'est-elle pas également à concevoir avant tout dans l'ordre de l'intelli-gence rigoureuse et exigeante des choses de la foi ? Mais comment réaliser ce recentrage sans faire croire aux nostalgiques des restaura-tions que l'on va revenir aux catéchismes notionnels et autoritaires d'autrefois ? Comment réduire et concentrer les objectifs de l'éduca-tion religieuse au spécifique scolaire, sans pour autant revenir à une « instruction » étroitement limitée aux processus cognitifs ? Dans la recherche d'issues à ces dilemmes, nous aurons notamment à chercher plus activement ce qui est « de base » pour l'éducation de la foi, ce qui lui est véritablement essentiel.

Pour inventer la nouvelle étape qui s'impose, un bilan critique est indispensable, qui ferait état des acquis et des limites du renouveau catéchétique, de ses avancées et de ses dérives. Au cours des années,

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des révisions et des ajustements ont été effectués, mais ce travail s'est réalisé pour ainsi dire à la pièce. On a procédé également à une cer-taine évaluation, mais sous l'angle étroitement doctrinal et taxono-mique. Le bilan à constituer devrait partir de la préoccupation globale de la transmission de la foi. Il devrait commencer par une longue écoute des jeunes eux-mêmes qui ont reçu cet enseignement et qui ont aujourd'hui vingt ans, de leurs parents, de leurs pasteurs. Il ne saurait donc être confié aux seuls pédagogues et spécialistes.

De toute évidence, la nouvelle étape à franchir est loin d'être tracée d'avance. Elle pourra éclairer l'ensemble [110] des problèmes qui se posent aujourd'hui dans la transmission et le devenir de la foi. Recon-naître et explorer les frontières où l'Esprit nous a conduits, c'est déjà l'amorce d'un chemin.

PAUL TREMBLAY

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[111]

Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II. Entre le temple et l’exil.

Chapitre 3

LES CHRÉTIENSET LA CRITIQUE

DE NOTRE SOCIÉTÉJacques RACINE

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On a écrit abondamment sur la participation de l'Église au devenir de la société québécoise. Les historiens se sont intéressés successive-ment à ce qu'ils ont appelé l'épopée mystique des débuts, l'Église sou-mise et collaboratrice du temps de la conquête, l'ultra-montanisme et l'antilibéralisme de la fin du XIXe siècle, l'Église triomphante et l'état de chrétienté de la première moitié du siècle présent. Au cours des dernières décennies, face à cette histoire de l'insertion de l'Église au Québec, les catholiques sont passés d'un sentiment de fierté à un si-lence, sinon à une honte envers cette tradition de présence et de parti-cipation à la vie du pays. Dans les années soixante, l'Église a donné elle-même l'impression qu'elle n'avait plus rien à dire, ni à offrir, qu'elle doutait de la pertinence sociale de son message et de son agir. Ne faisant plus facilement l'unanimité, n'étant plus le point de réfé-rence premier pour exprimer le vouloir-vivre de la nation, l'Église sembla préférer le retrait à toute autre position.

Dans le présent chapitre, convaincu de la nécessité pour les chré-tiens de participer à la mutation de la société [112] québécoise, nous chercherons à mieux cerner les réactions ambiguës des croyants face à

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la société libérale, à analyser les causes de la faiblesse de leur critique sociale et de leur participation, à proposer certaines orientations.

I. LES CHRÉTIENSET LA SOCIÉTÉ LIBÉRALE

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La Seconde Guerre mondiale a mis fin au Québec à deux siècles de résistance des Québécois francophones et catholiques au mouvement de sécularisation et de libéralisme de l'Amérique du Nord. Après s'être opposés pendant des années à l'« american way of life », par des insti-tutions qui leur étaient propres dans les secteurs de l'économie, de la culture, de la politique, les Québécois ont cessé la lutte et se sont orientés plus ou moins consciemment vers un modèle de société libé-rale, séculière et bureaucratique. Ils ont tôt fait de remplacer l'Église par l'État, comme expression du vouloir-vivre collectif.

Ce changement de cap important s'est réalisé, à première vue, sans trop de brisures. Le concile Vatican II a aidé les catholiques à légiti-mer cet état de fait par sa réflexion sur l'Église dans le monde de ce temps, par sa reconnaissance de l'autonomie des réalités terrestres, par sa foi exprimée dans le monde moderne, la science et la technique. Mais si l'on regarde de plus près, si l'on ne s'attarde pas seulement à la surface des choses, on se rend compte aujourd'hui qu'on ne change pas si facilement que cela les orientations d'un peuple ; on ne remplace pas un cadre de références vieux de deux siècles en quelques années. On ne passe pas d'un système de valeurs à un autre sans des trauma-tismes importants. Il est assez facile de changer l'aménagement de l'espace, d'introduire de nouvelles technologies ; il est plus difficile de redonner cohérence à une vision du monde ou à une configuration de valeurs.

[113]Après la Seconde Guerre mondiale, le Québec ne s'est pas seule-

ment ouvert à la technique, à la science, à la démocratie, à la politique internationale ; il a plus ou moins consciemment acquiescé à un ren-versement de valeurs, c'est-à-dire, à la primauté des valeurs maté-

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rielles sur les valeurs spirituelles, à la primauté de l'individu sur le col-lectif. On est passé du pouvoir ecclésial au pouvoir économique comme définiteur des valeurs. Pour certains, ce passage est une vic-toire longtemps attendue ; pour d'autres, c'est la perception d'un échec ; pour d'autres encore c'est quelque chose d'imprévu, de subi : la grande majorité ressent un mélange d'approbation et de désapproba-tion, de fierté et d'inquiétude.

Dans ce contexte, on ne doit pas se surprendre de la difficulté qu'ont les chrétiens à se situer et à formuler une critique sociale perti-nente. Ils oscillent sans cesse entre quatre types de réactions qui marquent encore aujourd'hui leurs choix politiques et socio-écono-miques.

Soumission et consommation

N'ayant pas prévu l'ampleur des changements, absents des lieux de décision, subjugués par la publicité, les gens ont subi sans trop de ré-actions les transformations sociales conséquentes aux priorités écono-miques établies. Une certaine prospérité aidant, ils se sont laissé en-traîner dans le cycle de la consommation et ont été portés petit à petit à prendre tous les moyens à leur disposition pour augmenter leurs re-venus bien souvent dissipés dans la recherche d'un plaisir immédiat. Cette course au confort et au bien-être matériel a fortement atténué chez les Québécois les préoccupations d'ordre spirituel et social. Bien plus, confrontés maintenant au chômage et à l'inflation, impuissants à corriger la situation, ils se désintéressent de plus en plus des intérêts collectifs. Chacun cherche à tirer son épingle du jeu indépendamment des autres. On aime bien formuler certaines critiques face aux divers gouvernements dans la mesure où l'on attend tout de ces instances, mais on refuse d'analyser l'ensemble de répercussions qui découlent de [114] ses demandes et on ne se reconnaît pas de responsabilité par-ticulière dans la réalisation des projets souhaités. On désire tous les services, immédiatement et gratuitement ; on a peine à accepter des priorités, des restrictions.

Cette recherche du bien-être matériel s'est répercutée dans un phé-nomène de dénatalité important et dans une tendance vers la stérilisa-

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tion. On veut être moins nombreux à partager des ressources limitées. Le malthusianisme est pratiqué à haute échelle et s'appuie sur un cer-tain fatalisme quant à la régie de la vie économique. On croit qu'on peut conquérir la lune, aménager l'espace, mais on considère que rien ne peut être fait pour changer la gestion des biens et des ressources. Le dogmatisme des banquiers et des économistes appelle la soumis-sion. Si on ne leur obéit pas, les peines sont connues : inflation et baisse du produit national brut. Le chômage, la pauvreté, l'injustice ne sont à leurs yeux que des maux nécessaires pour gagner le ciel promis à quelques élus. Un premier ministre a même dit récemment que la loi martiale pouvait être aussi un mal nécessaire. Dans le quotidien, laissé à soi-même, on adhère à cette nouvelle religion, on aspire à être sauvé par l'économie et à recueillir sa part des biens. On accepte la priorité des valeurs de l'avoir même si l'on ressent un certain malaise, un cer-tain tiraillement en regard d'une tradition spirituelle différente. Sou-vent peu confortable dans une position où l'on ressent une opposition radicale entre l'Évangile et le mode de vie, on prend distance face à la pratique chrétienne et à l'Église, on se réfugie dans un sentiment d'im-puissance face aux changements qui pourraient être apportés pour hu-maniser la vie en société. Dépendant des manipulateurs de l'opinion, on répercute leur analyse critique sans procéder à un effort personnel d'évaluation.

Fierté et sécularisation

Face à ce tournant des années 60, les Québécois ont ressenti aussi un sentiment de fierté dont le sommet a sans doute été atteint lors de l'exposition [115] universelle de 1967. On rejoignait enfin le stade d'une société développée, ouverte sur le monde, libérée du clérica-lisme et du duplessisme. C'était l'âge adulte. On découvrait l'impor-tance des droits de la personne, les bienfaits du pluralisme et de l'œcu-ménisme. On s'émerveillait des progrès de la science et de la tech-nique. On acceptait avec ferveur le projet d'une société séculière, on réprouvait le passé récent de l'Église et plus encore son discours mo-ral. La tradition et l'Évangile n'étaient plus des pôles de référence im-portants pour évaluer les choix à faire ; ils étaient remplacés par les

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statistiques, les données des sciences humaines, les nécessités de l'économique et du politique et surtout le rêve américain.

Diagnostiquant, dans le passé, une trop grande collusion entre la religion et le devenir de la nation, on s'est acharné à distinguer les dif-férentes réalités sociales à un point tel qu'on a relégué la foi et la reli-gion dans le domaine du privé et qu'on a opéré une rupture entre foi et engagement. Les luttes menées, avec raison, pour l'autonomie des réa-lités terrestres ont conduit à une fausse conception de cette autonomie et à un refus de l'interpellation de la morale dans divers secteurs au point où l'on puisse parler d'un amoralisme de la vie économique. Les grandes orientations sont laissées entre les mains des spécialistes et des technocrates. On répugne à ce qu'au nom de la foi et d'une cer-taine conception de l'homme, l'Église intervienne dans les questions sociales, politiques et économiques.

On pourrait dire, pour résumer, que la valeur déterminante de ce courant idéologique est le progrès pris en un sens technique et scienti-fique, pour lui-même et non en fonction de l'homme. On caricature à peine en affirmant que ce qui est nouveau et techniquement faisable est nécessairement valable. On s'émerveille de la puissance et de la perfection des moyens disponibles en s'interrogeant le moins possible sur les finalités. Il est moins question d'une opposition entre la foi et la science ou la technique que d'une absence de lien de l'une à l'autre.

[116]

Opposition et retour au passé

Il n'y a pas eu de blocage systématique face aux transformations de la société. Les éléments les plus conservateurs sont demeurés silen-cieux dans les premières années de la Révolution tranquille. On res-sentait un certain échec. Mais au fur et à mesure que l'on constatait les limites du projet de société que l'on avait mis en œuvre, un sentiment de réprobation a surgi au sein de la population. Face aux difficultés économiques, à la crise de la famille, aux tensions sociales, on est alors porté à jeter un regard idyllique sur le passé et à souhaiter sa res-tauration en vue de résoudre les problèmes de l'heure.

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On critique la société particulièrement en ce qui touche la sexualité et l'éducation. On considère la liberté comme source d'abus et de dérè-glement. On favorise les institutions fortes qui possèdent une autorité bien définie et peu partagée. On craint de plus en plus les interven-tions des gouvernements dans les différents secteurs de la vie. On pré-fère une nette délimitation des domaines d'intervention entre l'Église, l'État, les entreprises. On a toujours l'impression qu'il y a quelque chose d'un peu dangereux ou de fourbe dans les expériences mixtes.

Peu poussé à l'analyse sociale et au compromis où l'on craint de perdre face, on adopte des positions doctrinaires sur tous les sujets. Le jugement éthique est avant tout affirmation dogmatique. La loi natu-relle à laquelle on réfère est comprise comme un donné définitif et stable, la recherche et le cheminement sont considérés comme des marques de faiblesse. Ces attitudes de base permettent peut-être d'ex-primer une opposition radicale à la société libérale ; elles n'apportent aucune contribution au devenir de la société.

Quant à l'Église, on lui demande d'être d'abord une force de l'ordre. On en fait la garante de la tradition et de la continuité. Elle est cet éta-lon-or sur lequel on peut se fier, auquel on peut retourner dans la tem-pête. L'Église ne doit pas oublier l'essentiel : le spirituel. Elle doit prendre garde de trop s'associer à la nouvelle élite et ne pas se laisser aller au vent du renouveau. On n'apprécie [117] pas les tentatives de démocratisation qu'il y a en son sein et on réfère à Rome comme pôle d'autorité, particulièrement dans les questions d'éducation et de sexua-lité, acceptant moins bien les orientations données par rapport à la re-mise en question du système économique et de la politique internatio-nale.

Mise en question et lutte

Certains contestent aussi la société libérale, non plus en fonction d'un ordre ancien, mais en vue d'un nouveau projet de société. Cette réaction prend sa source à la fois dans des analyses de type socialiste et dans le message évangélique. On insiste sur les liens entre la foi et l'engagement, au point où celui-ci devient presque l'unique ressour-cèrent et l'unique moteur de la foi.

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On exige une Église qui prenne parti pour les pauvres et qui s'en-gage dans les luttes de libération. On interprète l'histoire de la lutte des classes à l'intérieur même de l'Église et on reproche à la hiérarchie une neutralité qui soutient les pouvoirs en place. On accepte le conflit comme source de dynamisme et on refuse toute distinction entre le privé et le public sur le plan de la foi.

Il est possible de distinguer dans ce courant idéologique diverses tendances plus ou moins radicales et diverses façons d'entrevoir la présence et l'action de l'Église. Tantôt, le socialisme est le pôle de ré-férence premier et le biais par lequel on lit l'Écriture et on juge l'action de l'Église ; tantôt, la référence directe à l'Évangile, sans analyse so-ciale et économique précise, conduit à un socialisme utopique ; par-fois, on promeut un socialisme démocratique en continuité avec la tradition de coopération et d'entraide, sans cesse relativisé et corrigé par l'Évangile.

Si l'on exprime fortement la liaison entre la foi et l'engagement, on a cependant quelque peine à en exprimer les articulations et à s'en-tendre sur la façon de référer à l'Écriture. On veut s'engager de plain-pied avec les non-croyants, lutter avec eux contre les injustices et pour une démocratie de participation. Mais on craint de perdre [118] la spé-cificité du christianisme. On ne veut pas former de ghettos, bouder ce qui est humain, couper les collaborations avec les hommes de bonne volonté, mais on veut marquer la pertinence sociale de la foi. On veut s'identifier comme croyant participant à la mise en question radicale de la société libérale. On s'attaque aux péchés collectifs du système, c'est-à-dire à ses structures. Tout cela se vit souvent en distance avec l'Église hiérarchique.

Au terme de cette description de différentes réactions véhiculées par des chrétiens face à la société libérale, il n'est pas facile d'évaluer la force relative de chacun de ces courants et encore moins de caser chaque croyant de façon exclusive dans l'une ou l'autre de ces familles idéologiques. Les cloisons ne sont pas étanches et les évolutions per-sonnelles et collectives provoquent successivement des réactions fort différentes. Il suffit de considérer sa propre vie pour être conscient que l'on échappe difficilement soi-même à l'influence de ces ten-dances tout en se reconnaissant plus à l'aise dans l'une d'entre elles.

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II. DIFFICULTÉS DE LA CRITIQUE SOCIALEAU QUÉBEC

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La brève analyse que nous venons de faire a mis en évidence cer-taines relations entre le type de critique exercée face à la société libé-rale par les chrétiens et la compréhension qu'ils ont de leur foi et du rôle de l'Église. La façon de procéder a pu laisser croire à une forte conscientisation des croyants et à un riche et légitime pluralisme. Mal-heureusement, on constate pour une majorité d'entre eux, une soumis-sion, une absence de critique, ou encore un malaise réel. Il existe une difficulté pratique à se situer comme citoyen et comme croyant. On a peine à évaluer la situation et à s'engager [119] dans la transformation sociale. Nous avons suggéré précédemment que cela pouvait s'expli-quer par le renversement des valeurs qui a suivi la Seconde Guerre et qui a laissé les chrétiens en déséquilibre ; avant d'aller plus loin, nous désirons préciser le diagnostic en signalant quelques difficultés à l'exercice de la critique sociale au Québec, en mettant en lumière des blocages inhérents au catholicisme québécois à cet égard.

Afin d'exercer leur jugement critique, les hommes ont besoin de savoir distinguer et confronter ce qu'ils savent, ce qu'ils pensent, ce qu'ils veulent et ce qu'ils font. Ils ont besoin d'une information perti-nente et fiable, d'une prise de conscience de leurs opinions et de celles des différents groupes sociaux, d'une évaluation de leurs attentes et de leurs valeurs, d'une pratique signifiante. Or, il arrive que la société actuelle rende à la fois difficiles la cohérence de ce cadre critique et l'exercice de chacune de ses composantes.

Une information indigeste

Il s'agit d'écouter les propos des gens autour de soi pour entendre des expressions comme celles-ci : « on ne sait pas quoi penser », « c'est trop compliqué », « on ne comprend rien », « on ne sait pas qui a raison ». Quand on leur demande s'ils lisent ou écoutent les informa-tions, s'ils s'intéressent à ce qui se passe à l'Assemblée nationale ou à

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la Chambre des communes, ils répondent par la négative ; ou encore ils affirment qu'ils ne peuvent pas s'y fier.

On pavoise souvent à propos de la société contemporaine en louant l'abondance et la célérité des informations. On est à l'ère de l'informa-tique. On rêve de cette société où chacun aura chez soi les consoles qui lui permettront d'être en contact avec les banques de données les plus poussées. Mais tout cela ne fait souvent qu'empirer la situation, car les informations les plus contradictoires sont présentées sous l'ap-parence de la science et de l'objectivité ; impressionnés par les don-nées et les statistiques, les gens ne peuvent ni les questionner, ni exer-cer [120] de discernement. D'autre part, les gouvernements et leurs agences multiplient leur budget de publicité et leurs centres d'informa-tions ; on télédiffuse les débats parlementaires. Mais des débats aussi importants que ceux du renouvellement constitutionnel et de la poli-tique énergétique deviennent des jeux de parlementaires qui s'adonnent souvent à un triste spectacle qu'on croirait d'un autre âge. On est devant sa télévision et on réagit devant l'in-à-propos des dépu-tés. Ils ne se préoccupent pas d'aider le citoyen à savoir. Ils jouent et veulent marquer des points à tout prix ; ils sont prêts à toutes les exa-gérations, à toutes les déformations. Il ne faut pas se surprendre que les citoyens se dépolitisent et qu'ils expriment un certain mépris lorsque l'on parle de politique. Le même phénomène se produit dans les relations patronales-ouvrières et provoque, avant tout, un désenga-gement syndical. D'une part, la complexité des conventions collec-tives et de leurs négociations empêche le travailleur de s'y retrouver et de se les approprier ; d'autre part, la radicalité des discours dans des situations de recherche du mieux-être fait perdre son sens au discours véhément nécessité par des situations d'injustice et de pauvreté. Autre-ment dit, les excès verbaux des syndiqués les mieux nantis finissent par tellement choquer qu'on n'est plus capable d'écouter les doléances réelles des petits salariés et de leurs syndicats ; on ne perçoit même plus la qualité de certaines luttes syndicales faites pour la reconnais-sance du droit d'association, la protection de certains secteurs mous de l'économie, la mise sur pied de législations sociales nécessaires. Ici aussi, comme en politique, le goût du spectacle et de la sensation, l'exagération verbale, la déformation exigée de la réalité perturbent à un point tel l'information que les gens ne savent plus quoi penser ; en cas de doute, ils préfèrent s'en remettre au leader politique ou patro-

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nal, dans une passivité qui avec le temps, devient l'attitude fondamen-tale du citoyen. Si la multiplicité des informations, le caractère fausse-ment objectif de celles-ci, la recherche du sensationnalisme nuisent à l'exercice de la fonction critique des citoyens, on doit dire par contre, qu'il y a une faiblesse extraordinaire au niveau de l'information de base nécessaire à la vie quotidienne et à l'action concrète. [121] Un ouvrier pourrait toujours connaître des statistiques économiques raffi-nées concernant l'économie française, mais il n'est pas au courant de la réalité économique de l'entreprise dont il fait partie et il ne peut y exercer de responsabilité réelle : qu'on ne vienne pas se plaindre par la suite de revendications exagérées de sa part. C'est au niveau munici-pal, niveau politique le plus proche des gens, qu'il est le plus difficile d'avoir les informations nécessaires pour la prise en charge d'un quar-tier, pour les programmes d'habitation et d'urbanisme. Quant à l'Église, on sait qu'il est plus facile d'être informé des faits et gestes de Jean Paul II que de l'activité des églises locales.

Il ne faudrait pas voir, dans cette critique de l'information, la re-cherche d'une information unique et objective, le refus de la liberté de presse, le mépris des efforts des moyens de communications et des développements de l'informatique, le retour à la censure. Il y a sans doute cependant un appel à l'autocensure et à la responsabilité sociale, un refus de la confusion entre information et publicité, un souci de rappeler le rôle pédagogique de l'information quant à la participation éclairée des citoyens. Pour qu'ils puissent exercer une critique sociale pertinente, ils ont besoin d'un savoir adéquat.

Une opinion manipulée

Exprimer son opinion est certes une première démarche critique. Face à des événements, à des discours, à des politiques, à des per-sonnes, que de fois se fait-on demander : « Quelle est ton opinion ? » C'est souvent à partir d'une telle question que l'on procède à des tours de table en équipe de travail et de réflexion afin, petit à petit, de for-mer un accord unanime à partir des différences et de décider d'une action commune. Dans notre société, on parle de l'importance de l'opi-nion publique comme guide dans la bonne conduite de l'État et de l'Église. Dans la mesure où il est possible aux gens de faire connaître

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aux dirigeants ce qu'ils pensent, ils devraient ainsi influencer les orientations des différentes politiques.

[122]Mais on perçoit aujourd'hui une crise de l'opinion publique. On a

faussé ce mécanisme critique par une manipulation bien orchestrée comme on a faussé la loi de l'offre et de la demande par la publicité éhontée. L'on ne cherche pas à faire exprimer aux gens leurs pensées réelles et à favoriser leurs confrontations avec d'autres pour arriver à plus de justesse dans leur réflexion. On craint d'ailleurs les mouve-ments trop organisés. On préfère rejoindre le citoyen individuelle-ment. On force alors l'opinion par des campagnes de publicité orches-trées par des spécialistes afin de subjuguer le citoyen isolé, de se l'as-servir. On dit qu'au Canada, avec vingt millions de dollars de publici-té, on peut faire passer n'importe quelle idée au point où les gens la considèrent comme s'ils l'avaient formulée eux-mêmes. On arrive même à utiliser les sondages pour mieux déjouer les gens et les prendre au piège. Tout le débat constitutionnel a été et demeure entou-ré de pareilles manœuvres. Il ne faut pas se surprendre que les ci-toyens ont souvent l'impression d'être manipulés. On ne désire pas d'eux une véritable participation ; on ne cherche que les réponses qui conviennent aux fins déjà poursuivies. Bien plus, on transforme ces réponses partielles données dans un contexte précis en des jugements d'ensemble. Quand un non égale un oui et qu'un oui est quasi un non, ça ne vaut plus la peine de parler. Si l'on me demande si je préfère que le prix de l'essence ne monte pas, je répondrai oui, mais on profitera de ce oui pour jouer dans les juridictions des provinces et faire porter un plus fort taux d'augmentation sur l'huile à chauffage. Devant une telle situation, les gens préfèrent se taire. Ils ont l'impression d'être toujours mal interprétés ; à cause de l'effet boomerang ressenti, ils fi-nissent par douter de leur capacité de formuler une opinion qui tienne. Ils ne croient plus à l'importance de dire ce qu'ils pensent.

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Une confusion des valeurs

Si, pour formuler une critique, on a besoin d'un minimum de connaissances et d'une certaine confiance [123] en soi, il importe aussi de la fonder sur des valeurs. On ne s'attardera pas ici au phénomène du pluralisme des valeurs, traité en bien d'autres endroits. La difficulté qu'on désire d'abord soulever est le caractère assez nouveau, d'une vie, d'une éthique fondée sur les valeurs. Les gens étaient habitués jus-qu'ici à se référer à des principes et à des normes, à des lois et à des réglementations. Ils les suivaient, les adoptaient, les contestaient ou y contrevenaient. Mais la référence était celle-là. Ils étaient rarement initiés à une réflexion en termes de valeur et à un renvoi au jugement de leur conscience afin de prendre position ou d'agir. C'est cette défi-cience et le défaut d'apprentissage à cet égard qui poseront les pro-blèmes les plus sérieux. Aujourd'hui pas plus qu'hier, les gens ne se sentent à l'aise pour procéder de cette façon. Ils sont insécures face à la diversité des solutions qui découlent d'une telle démarche à partir des valeurs. Ils jugent négativement ce qui peut être considéré comme un acquis ou au moins un défi exaltant pour la morale. Ils cherchent à se rattacher à des normes, à des lois, même si celles-ci ne corres-pondent plus à la réalité.

De la même façon, si l'on réfère aux valeurs pour exercer un juge-ment critique, on a de la difficulté à accepter les interactions et les ten-sions qui existent entre elles. On aimerait pouvoir pousser au bout la liberté, l'amour, la justice, la solidarité, alors que bien souvent des priorités sont à établir entre des valeurs et des équilibres à respecter. Il y a des gens qui se lancent dans la défense de la liberté à un point tel qu'ils oublient totalement les exigences de la justice ou du bien com-mun. Certaines discussions sur la protection du territoire agricole ont été significatives sur ce point. D'autres personnes revendiquent le droit à la sécurité sans condition, comme un absolu, sans se soucier des conséquences sur l'ensemble de la société et sur le sort des plus défavorisés.

Ne sachant trop comment axer leur jugement et leur action à partir d'une référence aux valeurs, ne sachant y discerner une certaine hié-rarchie, les gens accepteront facilement une dépendance de plus en plus grande envers des idéologies, des mouvements, des leaders qui

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feront les choix pour eux et qui fixeront des priorités. [124] Alors on pourra parler d'un pluralisme des valeurs, selon que l'on suit un chef de parti politique, un chef syndical, un poète, un leader religieux, un leader révolutionnaire ; mais il s'agira plutôt, et bien souvent, d'un plu-ralisme d'intérêts qui auront su s'habiller, se donner bonne conscience sous la bannière des valeurs. Il n'y a plus de critique sociale possible pour ceux qui se sont mis totalement à la remorque d'autres personnes. Ils deviennent des mobilisés facilement utilisés.

Incohérence des comportements

La critique sociale la plus pertinente provient certes de comporte-ments conséquents qui expriment des valeurs et inspirent de nouvelles voies d'intervention. Notre société souffre malheureusement d'une dis-tance importante entre la radicalité des discours et le conformisme des pratiques. Il ne se trouve pas de lieu où l'on ne soit aux prises avec ce phénomène qui n'est pas dû avant tout à une mauvaise volonté, mais à l'emprise du style de vie américain sur notre quotidienneté. Il y a une recherche du confort, du loisir, de la sécurité qui canalise les énergies et bloque toute entreprise de changement social. Les partis politiques, les syndicats, les mouvements sociaux défendent souvent des poli-tiques généreuses, qu'ils émasculent eux-mêmes par ailleurs pour se conformer aux besoins à court terme de leurs clientèles, ou pis encore pour ne pas en subir les exigences. Ainsi, on parle de la nécessité de diminuer l'écart des revenus, on propose des méthodes sophistiquées d'imposition ; en même temps, les gouvernements multiplient les oc-casions de fuites fiscales pour les grosses entreprises ; les associations patronales crient à la persécution et à la fuite des capitaux ; les syndi-cats versent dans un corporatisme qui favorise les mieux nantis. Après plus de dix ans que l'on parle de la recherche d'une société juste, de-meurent des écarts considérables ; on peut même affirmer que les riches sont encore plus riches et les pauvres plus pauvres. Cet exemple n'en est qu'un parmi d'autres ; mais il est l'un des plus démobilisa-teurs ; il renvoie à un [125] certain fatalisme aliénant, au mythe de la « main noire de l'économie ». On en vient à croire à l'impossibilité d'agir sur les grands ensembles, on ne s'intéresse qu'au passé et à la défense de ses droits et de ses intérêts personnels ; on cherche à se

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réaliser dans un matérialisme que l'on se presse cependant d'estimer comme le pire mal de la société. Nous n'en sommes pas à une incohé-rence près.

III. DES BLOCAGES INHÉRENTSAU CATHOLICISME QUÉBÉCOIS

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Si les chrétiens partagent avec leurs concitoyens certains obstacles à la participation dus à la société québécoise, ils subissent également les entraves provoquées par leur appartenance au catholicisme. Souli-gnons deux difficultés inhérentes au catholicisme québécois.

Une tradition chrétienne qui a du poids

On ne fait pas fi facilement d'un héritage qui remonte à plusieurs générations. Un intervenant lors d'une table ronde affirmait : « Il reste qu'il y a, je pense, une attitude chrétienne dans le sens suivant : nous sommes une civilisation chrétienne. Ce que nous sommes vient beau-coup de cet enseignement général, de certains comportements issus d'une doctrine chrétienne. Cette attitude-là, elle est peut-être surtout faite de souvenirs ; mais je crois qu'elle se traduit dans nos vies assez fréquemment, assez vigoureusement aussi. Je pense à des notions comme l'accueil, la tolérance, la lutte contre les injustices, une cer-taine compassion aussi. »

Cette tradition chrétienne a ses aspects positifs et peut contribuer à une qualité de vie en société ; elle comporte aussi des lacunes considé-rables par rapport aux défis actuels. Elle est, au niveau social et éco-nomique, [126] une tradition nettement conservatrice, qui repose sur une vision statique de l'ordre social et sur une recherche de restaura-tion, de retour à l'ordre ancien. Il est aisé d'évoquer les textes récents du magistère pour signaler que l'enseignement social de l'Église a for-tement évolué ; malheureusement, ce renouveau est peu présent à la réflexion de la grande majorité des chrétiens. Les évêques et les

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prêtres eux-mêmes se sont peu approprié les prospectives de Jean XXIII et de Paul VI, alors que Jean Paul II arrive difficilement à se départir de sa compréhension d'une doctrine sociale préétablie. Il est vrai par exemple, que dans la lettre du cardinal Roy à Paul VI à l'occa-sion du Xe anniversaire de Pacem in terris, on aborde sous un aspect dynamique la notion de l'ordre et on relie la notion de nature à celle d'histoire. Cependant, on revient à des conceptions très statiques lorsque l'on parle d'un certain ordre dans l'Église ou encore lorsque l'on réfère à la loi naturelle en ce qui regarde la régulation des nais-sances.

La tradition chrétienne qui marque encore aujourd'hui les gens ex-clut le conflit de ses perspectives ; dans les faits, elle préfère presque toujours le statu quo d'une injustice existante à une possibilité de bou-leversement. On ne sort pas facilement d'une longue opposition aux évolutions et aux révolutions, aux luttes et aux combats. On a refusé pendant longtemps de parler des luttes de classes, de pointer les causes réelles des injustices, de considérer les tensions existantes dans les recherches du bien. La seule tension évoquée était celle de l'égoïsme et de l'amour, du péché de l'homme qui se referme sur lui-même, de la bataille entre le bien et le mal. Cette façon de voir amène l'homme à considérer que, s'il doit y avoir un changement quelconque, il viendra seulement de la générosité, de la conversion et de la bonne volonté de celui qui exerce l'autorité plus que de la défense de leurs droits par ceux qui subissent les situations pénibles. De même, si l'ef-fort de changement ne donne pas un résultat positif immédiat, le re-mède proposé sera automatiquement le retour à ce qui existait aupara-vant, et non la critique des mécanismes de changement et leur réajus-tement nécessaire. Ainsi face aux difficultés du système d'éducation, avant de s'engager dans une analyse précise [127] de la situation, cer-tains exigent un retour à l'ordre ancien.

Une autre caractéristique de cette tradition chrétienne, qui remonte fort loin, est son ignorance, sinon son mépris de l'économique. La fai-blesse de l'enseignement social de l'Église a toujours été son incapaci-té de considérer sérieusement les questions du pain et du beurre. On s'est réfugié dans la bienfaisance ou la « charité » dans un premier temps, puis sur les mesures sociales dans un second temps ; mais l'on a eu peine à esquisser une éthique économique et à en respecter une juste autonomie. Il est beau de parler d'une économie au service de

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l'homme : mais comment, en tant qu'économie, peut-elle réaliser sa mission ? C'est comme si les condamnations séculaires du commerce et du prêt à intérêt, souvent contraires aux pratiques mêmes de l'Église ou au moins des chrétiens, avaient discrédité à jamais toute réflexion chrétienne sur ces questions. Ce secteur de la vie sociale semble échapper à la responsabilité du croyant, à cet appel de l'Écriture aux hommes afin qu'ils gèrent la Création. C'est la position même de l'Église face aux biens matériels qui est en cause ; il y a un discours élogieux sur la pauvreté, considérée avant tout comme un manque, qui a faussé les perspectives. Songeons entre autres à cette référence inap-propriée au texte de l'Écriture déclarant qu'il y aura toujours des pauvres parmi nous.

D'autre part, la tradition chrétienne a souvent proposé un discours sur la politique qui faisait reposer sa critique d'abord sur la qualité des hommes plus que sur leurs programmes. Dans les faits on n'acceptait pas facilement que la politique soit l'art du possible et non de l'idéal, soit question de prudence et non de foi. Dans une perspective de rela-tions étroites entre l'Église et l'État, considérant celui-ci comme le dé-fenseur des intérêts de l'Église, confondant facilement la recherche du bien commun avec le bien de l'Église, on a rendu difficile l'apprécia-tion par les citoyens de la tâche quasi impossible des gouvernements dans nos sociétés diversifiées. Se situant souvent elle-même comme groupe de pression, dans les dernières décennies, l'Église n'a pas sou-vent aidé les chrétiens à se situer dans une recherche commune [128] de politiques scolaires, sociales, économiques, culturelles pertinentes au défi des temps présents.

Il y a de nouveaux courants dans la pensée sociale de l'Église dont on pourrait facilement tirer des éléments pour contredire les énoncés proposés. Cependant, en majorité, les croyants continuent à se référer à ce qu'ils ont appris : la défense absolue de la propriété privée, l'im-portance de l'ordre et de l'autorité, la crainte de tout ce qui se rap-proche du socialisme, le refus du conflit. Il faut avoir eu l'occasion de rencontrer différents groupes au sujet de l'éthique sociale et de l'évolu-tion récente de l'enseignement ecclésial pour constater que, même lorsque l'on cite les messages des évêques ou de Paul VI, on étonne, on choque, on est souvent contesté et considéré comme faussant le vrai message du Christ. Il ne faut pas se le cacher : la tradition chré-tienne qui a du poids chez nous, ce n'est ni celle des Béatitudes, ni

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celle des Pères de l'Église, ni celle plus récente de la fin des années 60, mais c'est au contraire la tradition liée à la contre-réforme, à la question romaine, à la doctrine sociale de Léon XIII au concile Vati-can II. Cela ne signifie pas que les gens recourent à cette tradition pour guider leur vie personnelle ; ils y réfèrent comme à une idéologie pour exprimer leur critique sociale et souvent motiver leur refus d'en-gagement.

Une institution ecclésiale non signifiante

Ce n'est pas sans raisons que les chrétiens restent bloqués sur la vision d'une époque. La vie interne de l'Église confirme leur façon de voir. Elle demeure fortement axée sur une théologie tridentine et sur un centralisme romain exacerbé depuis la chute des États pontificaux et la proclamation de l'infaillibilité pontificale à Vatican I. Tout vient de l'autorité qui, elle-même, appuie sa démarche sur ce qui a été fait ou dit antérieurement. Cela donne l'impression d'une Église figée dans le ciment, possesseur d'une vérité immuable qu'il suffit de répéter. Quelques personnes gardent le contrôle absolu de l'interprétation de la Révélation et de sa promulgation aux hommes dans un discours quasi unique.

[129]Bien sûr, on accepte de faire jouer aux laïcs et aux simples prêtres

le jeu de la consultation ; on ne se met pas à l'écoute de leur expé-rience. On instaure de multiples conseils ; mais ce ne sont guère en-core des lieux où l'on pourrait se former à l'action sociale et à la dé-mocratie.

L'Église institution arrive difficilement à appliquer à elle-même les conseils qu'elle formule pour le bien-être des sociétés : liberté d'opi-nion, respect des droits, circulation de l'information, égalité de l'homme et de la femme, droit d'association et destination universelle des biens, respect des cultures, valeur de chaque être humain, principe de subsidiarité. C'est en ce sens qu'elle devient non signifiante et qu'elle appuie inconsciemment les courants les plus réactionnaires dans la société. Il ne s'agit pas ici d'accuser les hommes en place qui se défendent tant bien que mal et qui font souvent des pieds et des

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mains pour opérer des ouvertures dans un système fermé. Il faut hon-nêtement reconnaître les efforts réels des évêques québécois pour être plus attentifs à la vie, pour traduire dans la réalité ce qu'ils perçoivent comme juste et nécessaire ; mais ils sont eux-mêmes bloqués, quoi qu'ils disent, par un système d'autorité monarchique centralisé et forte-ment contrôlé.

Que de questions indiscutables, que d'actions impensables, que d'expériences inimaginables ! Les moindres risques envisagés dans la mise en œuvre de changements commandent un rappel à l'ordre, une mise en garde ou pis encore un retour à la situation antérieure. La créativité doit être étroitement délimitée, les discussions doivent ne porter que sur les détails ; la critique exige d'être bien canalisée, d'au-tant plus qu'elle a été plus que suffisante au cours des dernières an-nées, dit-on.

On dira que nous sommes bien pessimistes. On rappellera que beaucoup d'expériences contraires à ce diagnostic sont réalisées. C'est juste, mais elles demeurent marginales, et la plupart du temps en contradiction directe avec les législations, les énoncés de politique, le système de l'Église catholique romaine. Celle-ci tolère mal l'initiative des Églises locales ; elle n'admet pas facilement la diversité d'ap-proche, elle ne fait pas confiance aux niveaux inférieurs même dans les plus menus détails ; elle ne croit ni à la collégialité ni à la cores-ponsabilité. [130] C'est cela qui est inadmissible et qui contredit l'en-semble de son enseignement social et de ses propos sur le développe-ment et sur la dignité de l'homme. Elle fonctionne selon un modèle statique, autoritaire. Elle est allergique à la participation, à la critique, à la recherche, au doute. Ce modèle romain finit par se répercuter dans beaucoup de nos églises locales et paroissiales. Il multiplie les petits papes à droite et à gauche ; il est le fossile « vivant » de l'ordre ancien.

À la fin du XIXe siècle, Léon XIII a dédouané la république en ex-plicitant le sens de la parole selon laquelle « toute autorité vient de Dieu » et en montrant que la désignation par le peuple de celui qui exerce l'autorité n'enlève rien à Dieu. En même temps, il a indiqué que la monarchie n'était pas le seul régime acceptable pour les chrétiens. Il faudrait un nouveau Léon XIII pour appliquer ces distinctions à l'Église, ainsi que son fameux principe de subsidiarité qui affirme que l'État centralisé ne doit pas intervenir directement dans des questions qui peuvent être réglées par les personnes elles-mêmes ou par des as-

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sociations, regroupements, unités plus restreintes. L'État est plutôt ap-pelé à soutenir et à animer la prise de responsabilité de ceux-là. Tant que l'Église ne se laissera pas interpeler, dans son fonctionnement, par son propre enseignement social, elle sera « non signifiante » aux yeux des hommes, elle donnera raison à ceux qui la considèrent positive-ment ou négativement comme une force conservatrice. Il va sans dire qu'elle ne contribuera pas à former en son sein des citoyens éveillés, critiques, créateurs, face aux défis contemporains.

Dans la mesure où l'on saura vaincre les difficultés qui entravent la qualité de l'information, la liberté d'opinion, le jugement de conscience, la cohérence des comportements, dans la mesure où l'Église acceptera avec lucidité de considérer les blocages qu'elle en-tretient et qui rendent plus aléatoire l'engagement lucide des chrétiens, seront favorisées des conditions nécessaires à une critique sociale au-thentique.

[131]

IV. POUR UNE PARTICIPATIONDES CHRÉTIENS

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Derrière un diagnostic, se profilent toujours des aspirations et des tendances. Déjà à la lecture des premières parties de ce chapitre, on aura soupçonné les orientations que prendra la prospective que nous voulons maintenant soumettre à la réflexion. Les questions posées sont toujours les mêmes : notre foi a-t-elle quelque chose à voir avec notre action en société ? En quoi peut-elle intervenir sur les pratiques sociales ? À quelles conditions pouvons-nous participer au devenir de la cité ? Y a-t-il aujourd'hui des chantiers prioritaires, une certaine cri-tique de la civilisation à exercer ? Comment l'Église doit-elle, en tant qu'institution, se situer dans la société québécoise ?

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Un ressourcement évangélique

On ne dira jamais assez que la pertinence première de la participa-tion spécifique des chrétiens à la société doit leur venir d'un contact fréquent avec l'Évangile qu'ils acceptent de considérer comme fonde-ment de leur questionnement et de leur critique.

Il est évident qu'on ne trouvera pas dans l'Écriture les solutions aux problèmes contemporains ; mais on a fait tellement d'avertissements en ce sens, de tout bord et de tout côté, qu'on finit par laisser croire qu'il ne faut pas trop prendre au sérieux les appels évangéliques au partage, à la solidarité, au respect de tout homme, à l'attention aux pauvres et aux malades. Les Béatitudes et le sermon sur la Montagne sont vite classés aux oubliettes. C'est comme si l'on craignait que les gens prennent au sérieux le message révolutionnaire du Christ et se mettent, à partir de là, à interpeler les structures sociales, écono-miques, politiques, ecclésiales. Il est vrai que lorsque l'on confronte la vie à l'Évangile, des conversions [132] sont nécessaires et cela vaut non seulement pour la vie personnelle, mais également pour la vie so-ciale.

Les chrétiens doivent prendre conscience qu'il n'existe pas une doctrine sociale toute faite, contenant toutes les solutions et qu'il ne resterait qu'à appliquer. Ils ont, comme les autres hommes, à essayer d'abord de bien lire et de bien comprendre les situations et les événe-ments en eux-mêmes, puis de les soumettre à la lumière de la Révéla-tion et de la réflexion continue de l'Église. Ils puiseront dans ce contact avec l'Écriture, et dans la personne du Christ, une force pour chercher des voies nouvelles et contribuer à leur réalisation. Il ne s'agit pas de passer d'une tradition chrétienne à une autre, d'une doc-trine dépassée à une nouvelle doctrine mise à jour, d'une obéissance passive à des normes à une obéissance passive à d'autres normes. Il ne faut surtout pas se mettre à attendre un corpus bien défini, des mes-sages officiels qui lèveraient toutes les ambiguïtés. Un risque, une re-cherche, une insécurité sont nécessaires et ils font partie du pari évan-gélique.

Il faut apprendre à entrer en contact direct avec l'Écriture, favoriser les lectures communautaires, reconnaître que les chrétiens rassemblés

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ont une certaine fonction d'interprétation de la Parole vivante aujour-d'hui. Ils découvriront un Dieu présent à l'histoire qui laisse entrevoir des lignes directrices pour l'action, lignes inscrites fondamentalement dans l'événement primordial de la Mort et de la Résurrection de Jésus-Christ.

Ces lignes sont, entre autres, celles de la dignité absolue de chaque personne humaine que le Christ a libérée, de la gérance des biens en vue d'une redistribution universelle, de l'autorité comme service, de la charité efficace à l'image du bon Samaritain, de la miséricorde comme possibilité illimitée de recommencement, du Royaume à réaliser dans la vérité, la justice et la liberté, de l'Espérance fondée en Jésus-Christ ressuscité.

Cette référence à l'Écriture ne se fera pas sans difficulté. On pourra discuter sans fin la façon d'utiliser les textes et de les transposer dans les situations présentes. Les positions sont multiples à cet égard. Il est facile de rejeter le fondamentalisme qui cherche dans la Bible une ré-ponse explicite à une situation donnée ou encore le [133] situation-nisme qui considère comme dépassé et inefficace toute référence à la Bible par rapport à des questions contemporaines. Il est plus compli-qué de favoriser positivement une façon d'assurer ce va-et-vient entre un texte et la vie, en respectant l'un et l'autre. Deux critères semblent cependant offrir une certaine assurance : la lecture communautaire de la Bible et de la vie ; la lecture spirituelle, celle qui se veut lieu de ren-contre et d'écoute du Dieu Vivant et Révélé.

Ces mêmes critères permettent de mieux cerner qui est le Christ afin d'éviter le plus possible qu'à partir de perceptions différentes, de multiples christologies, on extrapole des orientations fort différentes pour la construction des sociétés contemporaines. La confrontation des lectures dans une communauté agissante, qui accepte sans cesse de faire retour sur son action, peut seule mener à une transposition de qualité de la Bible à la Vie. De la même façon, ce n'est que dans la mesure où l'on considère l'Écriture comme le lieu privilégié de la Ré-vélation d'un Dieu qui est encore un partenaire de l'homme contempo-rain, que s'explique cette référence à des textes passés et non dépas-sables dans la recherche de la conduite de la vie aujourd'hui. Malgré les difficultés esquissées, il importe que comme Église et comme chrétien, on se laisse sans cesse questionner par l'Évangile de Jésus-Christ. Ce côte à côte de la vie et de la Parole, à travers un combat

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continuel contre soi-même, rendra peu à peu le chrétien libre face aux totalitarismes, critique face aux idéologies, persévérant dans l'action, sensible aux recommencements nécessaires, immunisé contre le fata-lisme.

Cette expérience provoquera aussi des souffrances, des tiraille-ments, des incertitudes, des isolements. Désirant s'associer avec tous les hommes, peu importe leur foi, sans dénier lui-même ce qui lui est propre, le chrétien sera, à certains moments, contesté dans sa façon de vivre sa solidarité. Ses alliés dans la lutte lui reprocheront quelquefois une certaine tendresse envers les personnes, alors que ses adversaires douteront de l'authenticité de son engagement et l'accuseront de se servir de la religion. La miséricorde et le souci des plus petits lui atti-reront le blâme de manquer d'efficacité [134] alors que sa préoccupa-tion de partage des biens le fera qualifié d'utopiste ou de naïf. On ne peut pas éviter ces inconvénients et ces souffrances. On ne peut rougir de l'Évangile sous prétexte qu'il ne fait pas sérieux face aux défis ac-tuels. D'ailleurs, au nom de quelles réussites exceptionnelles, face aux défis contemporains, aurait-on le droit de disqualifier radicalement l'Écriture ?

Une présence au cœur du monde

On pourrait croire qu'une référence trop étroite à l'Évangile prédis-pose les chrétiens à se considérer à part dans la société, à se former en ghetto, ou encore à exercer un prophétisme en dehors des lieux de dé-cisions et de réalisations. Il s'agit de s'arrêter au témoignage même du Christ et au mystère central de l'Incarnation pour s'apercevoir qu'il n'en est rien. Il n'y a pas, dans l'Écriture, de dualisme, d'opposition entre le corps et l'âme, la création et le salut, de lutte entre un Dieu du bien et un Dieu du mal, de compétition entre Dieu et l'homme. Le chrétien se situe au cœur du monde, comme son Dieu l'a fait ; il est avant tout un envoyé, un missionnaire, il est sel de la terre et ferment dans la pâte. Il doit coopérer à l'œuvre d'un seul Dieu Créateur et Sau-veur.

Cette perspective nous sort des débats sur la spécificité des institu-tions chrétiennes. L'exigence première, les combats essentiels sont de

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faire en sorte que le chrétien travaille avec les autres hommes au deve-nir de sa société. Sa tâche n'est pas de bâtir un système parallèle, de protéger ses arrières, mais, par sa présence aux grands débats et aux grandes réformes, d'influencer l'ensemble de la vie sociale, de la même façon que toute personne intervient avec ce qu'elle a de meilleur et avec la richesse de son expérience. Il ne s'agit pas d'exiger des prérogatives, mais de s'engager authentiquement. Il faut moins combattre que chercher à faire partager une perception des choses que nous considérons significative pour le bonheur des hommes et la paix sociale.

Cette façon de voir exige des chrétiens, par exemple, qu'ils contri-buent à l'organisation d'un système scolaire [135] et d'un projet éduca-tif permettant un meilleur développement de l'homme et de la femme aujourd'hui, avant de mettre toutes leurs forces à défendre un système particulier qui, avec l'évolution, risque d'être discriminatoire. C'est à cette tâche de présence et d'action dans des institutions non ecclésiales et non confessionnelles qu'il faut habiliter le chrétien. Voyez comme on a de la difficulté à accompagner ceux qui œuvrent dans les mouve-ments syndicaux depuis la déconfessionnalisation de la C.T.C.C. Ils ont peine à exercer un certain leadership dans le respect de l'autre et dans une nécessaire confrontation. Ils ne sont pas les seuls à s'interro-ger sur les liens entre leur foi et leur engagement ; on pourrait retracer des exemples similaires dans presque tous les secteurs de la vie.

On traite ailleurs, dans cet ouvrage, de la pédagogie à développer pour favoriser cette démarche de présence des chrétiens au cœur du monde. Permettons-nous de souligner quelques conditions plus direc-tement liées à la participation des chrétiens à la critique sociale.

Le repli sur la facilité nous empêche souvent d'analyser la situation sous ses différents aspects, de nous arrêter aux causes réelles des phé-nomènes observés, d'établir les relations qui existent entre eux. On se livre à des diagnostics à courte vue, on se rabat sur des solutions par-tielles, quand on ne renvoie pas l'homme simplement à la réalité de sa vie privée. Ces attitudes nous disqualifient par rapport à l'organisation des grands ensembles qui sont significatifs de la vie en société. Il ne suffit pas de multiplier les cellules de base, de s'intéresser au privé et au semi-privé, il faut que des chrétiens partagent les efforts des autres hommes pour régler à une plus haute échelle les problèmes de l'homme contemporain, et cela exige des efforts concertés aux diffé-

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rents niveaux de l'analyse. Il ne suffit plus de parler du désir de Dieu de sauver tous les hommes et de la fraternité universelle. Il faut la réa-liser petit à petit, et cela demande une remise en question de l'écono-mie mondiale et de l'ordre politique. Combien de fois le discours des chrétiens n'ose pas évoquer ces questions et les coûts engendrés par les remises en cause, pour les citoyens des pays riches. On parle de l'avenir du prochain [136] et du souci des pauvres, on dit que les gens sont trop égoïstes, qu'ils ne partagent pas assez ; mais on a peine à considérer comme nécessaires les transformations sociales qui s'im-posent.

Si l'on veut être présent à ce monde qui se bâtit, il faut, sur le même pied que les autres hommes, accepter d'étudier les mécanismes sociaux en eux-mêmes, sans tomber dans un moralisme désengageant. Il ne s'agit pas seulement d'éclairer les conduites des hommes à la lu-mière de l'Évangile, mais de jauger aussi la valeur des mécanismes mis en place dans nos sociétés. Il ne suffit pas de parler de matéria-lisme ambiant, d'injustice, de mépris de la personne ; il faut éviter les discours creux, les allusions générales : toutes choses que l'on re-proche avec raison aux pasteurs et aux chrétiens. Il faut apprendre à lire la société, à la disséquer, à s'intéresser à ses péchés collectifs qui s'expriment dans des politiques, des législations, des formules admi-nistratives, des institutions.

Cet effort pour élargir les diagnostics appelle la création de nou-velles pratiques sociales, le renouvellement des institutions et des fa-çons de faire. Des solutions neuves sont nécessaires pour pallier les déficiences actuelles. Elles doivent revêtir l'ampleur même des pro-blèmes soulevés. On ne répondra pas à l'ensemble des questions re-liées au monde du travail sans remettre en cause, non seulement le régime des relations ouvrières, mais l'organisation du travail et proba-blement la structuration même du temps de travail. La crise énergé-tique et la protection de l'environnement font appel à une imagination créatrice de pratiques sociales renouvelées. Les développements de la génétique, de l'informatique, de l'agriculture interrogent les codes éthiques considérés comme les plus stables. Il importe que des chré-tiens, avec d'autres, s'attèlent à la tâche de mettre en marche des initia-tives sans cesse sujettes à être corrigées et ne se contentent pas d'un prophétisme négatif, décriant les efforts nécessairement partiels de ceux qui se mettent à l'œuvre.

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Dans cette recherche commune de diagnostics pertinents et de pra-tiques significatives, on fera l'expérience du pluralisme. La diversité de perception et de jugement apportera une richesse d'approche ; sou-vent, elle [137] provoquera des confrontations d'où naîtront de nou-velles perspectives. Cette façon de voir devra être acceptée carrément par les chrétiens. Elle ne constitue ni un recul ni une trahison ; elle n'oblige pas au silence face aux exigences de l'Évangile. Elle est une recherche, à partir de présupposés et de motivations neuves, de la so-lution la meilleure dans des circonstances précises. Elle ne méprise ni la vérité ni le respect de la position de chacun ; elle exige les compro-mis nécessités par la réalité. Il n'y a là ni abdication ni renonciation. Il ne s'agit pas de négocier la vérité, mais de se donner les moyens de faire au mieux dans la recherche d'un avenir fait pour l'homme. Cette position exige une humilité devant l'ampleur des défis posés et la re-connaissance de l'honnêteté de ceux avec lesquels on œuvre. Elle est possible si l'on admet que les solutions sont à élaborer et que la mise en commun de positions issues d'expériences historiques différentes est dynamique et positive.

Des défis pour notre temps

Il est sans doute nécessaire, à ce point, de souligner certains chan-tiers prioritaires ouverts à la réflexion et à l'action des chrétiens et de l'ensemble des Québécois : chantiers qu'on n'a pas le droit d'ignorer, dont on ne peut pas se désintéresser, même si l'on y œuvre de diverses façons et selon des orientations différentes. Nous ne voulons pas être exhaustifs dans notre présentation, et nous ne prétendons pas proposer de positions précises sur l'un ou l'autre sujet abordé. Nous rendons compte plutôt de différentes inquiétudes qui ont été soulevées dans notre groupe de travail au cours des deux dernières années.

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1. Vie et stérilisation

Nous avons déjà mentionné la mentalité malthusienne de notre ci-vilisation et évoqué les découvertes de la biologie et de la médecine dans le contrôle de la génétique. Nous touchons ici à la valeur fonda-mentale de la vie et du devenir de l'humanité. Il n'est pas possible de [138] laisser aux seuls spécialistes et scientifiques le soin d'élaborer une éthique de la vie. Il ne saurait être question non plus, par rapport à l'ensemble des dimensions de ces problèmes, de se réfugier dans des slogans et des campagnes « pour la vie », « pour ou contre l'avorte-ment », « pour ou contre l'euthanasie ». Il nous faudrait être capable de reprendre ces questions d'importance en dehors de cadres polé-miques, à l'intérieur d'une compréhension globale de l'homme et de la société. Lorsque nous exprimons comme croyant que la vie est don de Dieu, nous affirmons qu'elle ne dépend exclusivement ni de la per-sonne qui la possède, ni du couple qui la procrée, ni de la société qui la soutient, de telle sorte qu'aucune de ces instances ne peut intervenir sans tenir compte des autres et sans prendre en considération l'aspect personnel et l'aspect collectif de la vie. Il est étonnant de constater qu'en vingt ans, nous soyons passés dans notre société d'une discus-sion sur l'usage des contraceptifs à des propositions de certains profes-sionnels quant à la stérilisation de catégories de malades ou encore de femmes en santé mais qui risquent par hérédité de donner naissance à des handicapés. Nous ne voulons pas signifier par là qu'il y a un lien nécessaire entre ces phénomènes, mais nous croyons qu'il y a une cer-taine façon d'aborder l'ensemble des questions touchant la vie qui finit par nier son aspect mystérieux et ce qui fait la spécificité de l'être hu-main. Le désir de faire disparaître les risques de souffrances morales ou physiques, la maladie, l'infirmité, expriment souvent aussi le refus de considérer la mort. On passe sous silence que vie et mort sont insé-parablement liés, on camoufle aux hommes une donnée historique iné-luctable. Bien sûr, nous avons à vaincre la maladie, la souffrance, le mal, à éloigner la mort ; mais cette lutte ne se traduit pas par l'annihi-lation des personnes et de la vie.

Des centres de bioéthique ont commencé à traiter de façon interdis-ciplinaire de l'ensemble de ces questions touchant la vie ; le débat de-vra être élargi, et les chrétiens auront à y prendre part et à marquer

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dans leurs conduites leurs convictions. Tout en appelant une éthique qui sache guider les gens dans leur quotidien, il ne faut pas nier l'inter-dépendance de divers facteurs : l'éthique [139] de la vie que nous vé-hiculons est fortement influencée par la façon dont nous nous situons face à la recherche du bien-être matériel, à l'hédonisme et à la foi en l'avenir. La place faite à l'enfant, au vieillard, à l'handicapé demeure un critère premier pour évaluer la qualité de vie d'une société.

2. Économie et redistribution des biens

La société libérale a toujours eu pour principe que dans la mesure où l'on avait une économie forte et libre-échangiste, on surmontait du même coup les problèmes de pauvreté et de distribution des richesses. Les années 50 ont semblé donner raison à ces pronostics, tout au moins en Amérique du Nord. Depuis lors, malgré les efforts du néo-li-béralisme et la mise en œuvre d'un vaste programme de politiques so-ciales et d'aide au développement, les écarts entre les revenus n'ont cessé d'augmenter entre gens d'un même pays, plus encore entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement. Bien plus, au cours des dernières années, le dérèglement des économies occiden-tales et l'inflation galopante ont pénalisé à nouveau les plus démunis. Ils ont provoqué un chômage inacceptable et ont légitimé des taux d'intérêt nettement usuraires qui ne font l'affaire que des gros prêteurs et des institutions bancaires de haut calibre. Cette situation est nette-ment immorale.

Il est plus facile de dénoncer le mal économique que de suggérer des remèdes adéquats. On dit souvent que si les économistes avaient des solutions, les hommes politiques les leur emprunteraient sans tar-der. C'est vrai, jusqu'à un certain point. Se posent aux économistes des problèmes qui s'apparentent à la quadrature du cercle : on veut bien que les pauvres soient plus riches mais à condition que les riches soient richissimes ; on veut bien d'un dialogue nord-sud, mais pourvu que cela aide les économies du nord à régler leurs problèmes de mar-ché. Le dernier sommet économique d'Ottawa peut presque se résumer à l'affirmation des Américains disant : « Laissez nous redevenir forts et conduire le monde, faites-nous confiance, un jour il y en aura pour tous les alliés. »

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Plus près de chez nous, que de peine nous avons à accepter des mé-canismes d'imposition graduée, des [140] Sans dénier le rôle impor-tant des gens directement mis en cause dans les questions écono-miques et la nécessité de dépasser les grandes visions systémiques souvent utopiques afin de créer des correctifs immédiats et pratiques, il faut donner grande importance à l'éducation aux réalités écono-miques des citoyens et à leur nécessaire intervention dans ce secteur. La complexité de la macro-économie, son langage hermétique ne doivent pas permettre à quelques-uns de se réserver les questions de pain et de beurre et de soustraire à leur responsabilité la très grande majorité des gens qui, par leur conduite et leurs aspirations, ac-quiescent en silence aux décisions des pouvoirs.

Les chrétiens n'ont pas à se laver les mains devant ces questions en s'appuyant sur la primauté du spirituel. Ils doivent être attentifs à la façon dont ils exercent l'intendance, la gérance des ressources au pro-fit de tous. Responsables de la création, ils ont à être attentifs aux questions de l'écologie et de l'environnement. Ils ne peuvent éviter les exigences de partage maintenant, et d'héritage pour les prochaines gé-nérations. Ils ont à se compromettre dans la complexité des réalités économiques.

3. Démocratie et participation

On divise souvent le monde entre les états démocratiques et ceux qui ne le sont pas ; et l'on mentionne comme caractéristique première des sociétés libérales, la démocratie. Il demeure que celle-ci n'est ja-mais définitivement organisée. Au contraire, elle exige une lutte et une attention de tous les instants. Toujours, des facteurs importants tentent de contourner les règles du jeu afin de confier à quelques-uns le contrôle et l'avenir des sociétés.

On a parlé beaucoup de démocratie au Québec depuis le début des années 60. Se sont multipliés les comités consultatifs à tous les pa-liers. Nous avons connu certaines expériences de participation dans les [141] secteurs scolaires, hospitaliers, culturels, municipaux, ainsi que dans certains milieux de travail. Tout cela s'est heurté souvent à la bureaucratie, au rôle trop envahissant de permanents qui ont reçu des

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délégations de pouvoirs. On s'est contenté souvent d'une démocratie formelle, exercée périodiquement par le seul droit de vote portant sur des personnes et non sur des programmes, et cela à tous les échelons de la réalité sociale.

Les chrétiens d'ici n'ont pas une longue tradition de la démocratie. Assez facilement, ils seraient portés à croire qu'elle retarde indûment les décisions et l'action. Mais, depuis quelques années, un courant tout à fait différent s'est fait jour et l'on a relié de façon explicite la dignité de la personne humaine à la possibilité pour celle-ci d'exercer une par-ticipation responsable dans les divers secteurs de la vie sociale. À la suite des interventions de Paul VI, on a relié la recherche de la paix, de la justice et de la participation responsable des citoyens au devenir de leur pays. Il importe que les chrétiens soient présents aux multiples efforts qui sont faits pour démocratiser notre société, non seulement afin que tous les services soient offerts à tous, non seulement dans le sens de l'égalité des chances, mais dans une recherche imaginative pour que de plus en plus d'hommes et de femmes puissent agir de fa-çon responsable et contribuer pour leur part au bien-être de tous. Cer-tains culs-de-sac rencontrés dans les essais antérieurs sollicitent de notre part de nouvelles tentatives, des correctifs adéquats ou une re-prise à neuf de toute la problématique, particulièrement dans les mi-lieux de travail où les économies socialistes et capitalistes n'ont pas su encore affronter le défi de la démocratisation.

4. Droits personnels et droits collectifs

C'est avec un certain retard que les croyants se sont préoccupés des droits de la personne au Québec. Ils reliaient facilement ceux-ci aux révolutions française et américaine qu'ils réprouvaient ; ils étaient plus portés au prosélytisme et à la défense de la religion qu'à la promotion de la liberté de conscience et de la religion.

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[142]Aujourd'hui, la tendance semble inversée, du moins dans les dis-

cours, sinon toujours dans la pratique. Les croyants se trouvent confrontés avec les autres citoyens aux défis réels posés par l'exercice concret des droits qui demandent la mise en place de conditions so-ciales, économiques et politiques fort exigeantes et sous-évaluées lors de la proclamation solennelle des différentes Chartes. Que l'on pense au droit au travail, au droit à un revenu décent, au droit à l'informa-tion, au droit à la sécurité au travail, etc. Les démarches entreprises pour faire progresser les situations réelles ont non seulement démontré l'importance de changements radicaux au niveau de l'organisation so-ciale et du droit, mais elles ont fait découvrir aussi l'existence de droits collectifs indispensables à la mise en pratique des droits indivi-duels. Les débats autour de la Loi 101 sur la langue et autour du droit à l'autodétermination ont forcé une réflexion en ce sens. Les revendi-cations des Amérindiens et des Inuit nous laissent perplexes et dému-nis. Nous sommes à nouveau mis en face des relations intimes de la personne et de la culture, de la personne et de la société. On ne peut défendre les droits de la personne de façon efficace sans défendre éga-lement les droits de la culture qui l'anime et qui colore la compréhen-sion même des droits. On ne peut parler indéfiniment de droits person-nels sans les mettre en lien avec des responsabilités sociales, avec des exigences de socialité et de solidarité ; on ne peut multiplier indéfini-ment la liste des droits sans les hiérarchiser de quelque façon, sinon on risque de faire perdre un poids considérable à des droits primor-diaux.

L'approche des droits de la personne dans nos sociétés peut être fort riche dans la mesure où on ne la restreint pas à une certaine dé-fense de l'individualisme qui se tourne toujours en faveur des plus forts, dans la mesure aussi où l'on réalise, dans la société, les condi-tions qui rendent possible l'exercice de ces droits par les plus démunis. Une société fondée sur la défense des droits de la personne n'a de sens que si, en même temps, elle s'appuie sur des solidarités et sur des communautés pluralistes.

Nous aurons à rencontrer dans les années qui viennent bien d'autres défis d'ordre éthique. Certains ont été [143] énoncés en fili-grane ou traités plus longuement dans cet ouvrage : les questions

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d'éducation et de transmission de la culture, le rôle de la famille, la place de la femme dans la société, le nationalisme et l'internationa-lisme, la gestion planétaire des ressources, la paix et le désarmement... Plus globalement, nous devrons rester conscients que notre société a plus ou moins nettement favorisé une priorité des valeurs du matéria-lisme et de l'hédonisme et que cela, à notre point de vue, ne peut concourir à la réalisation et au dépassement de la personne, encore moins à la qualité de vie d'une société. Ce rappel que l'on ne peut bâtir l'homme et la collectivité sur les valeurs premières de l'argent et du plaisir va certes à contre-courant ; aussi importe-t-il qu'il soit basé sur un véritable amour de la vie, une juste conscience de la dignité et de la liberté de la personne humaine, une espérance dans l'avenir.

Une Église,sacrement du salut en Jésus-Christ

Nous avons essayé de préciser certaines orientations pour favoriser une critique sociale pertinente de la part des chrétiens. Nous ne pou-vons clore cette réflexion sans parler du rôle de l'Église comme col-lectivité organisée.

Certains croyants souhaitent un parti pris de l'Église dans les ques-tions sociales, économiques et politiques, alors que d'autres lui re-prochent toute initiative en ce sens. Il n'importe pas de délimiter ici des champs dans lesquels l'Église devrait se compromettre et d'autres qu'il lui faudrait éviter ; ou encore, de traiter des multiples façons dont elle devrait intervenir. Notre propos se veut à la fois plus englobant et plus précis. Ce qui compte, c'est que l'Église dans sa vie interne même manifeste clairement ses options. Ce qui importe, ce n'est pas d'abord son discours sur la société, mais la qualité et le sens de sa propre pra-tique. Elle doit être ce lieu où il est possible à tout homme et à toute femme de se développer, d'être reconnu dans sa dignité et ses possibi-lités : un lieu privilégié pour la reconnaissance des plus petits, des [144] pauvres, des handicapés. Elle doit être, par ses communautés diverses, ce lieu réel de pratique de la fraternité, de la solidarité et du service. Elle doit favoriser la multiplication de regroupements signifi-catifs et ouverts sur le milieu. D'ailleurs, n'est-ce pas par des réalisa-

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tions concrètes comme celles de certaines communautés de base, de mouvements apostoliques, de services ecclésiaux que l'Église conti-nue aujourd'hui à exercer sa mission ? Dans chaque diocèse du Qué-bec, on pourrait mentionner des expériences pertinentes qui ont jailli de la vie chrétienne au cours des dernières années, qui interpellent les hommes de notre temps et qui contribuent à la qualité de la vie en so-ciété.

Par sa façon d'être et d'agir, l'Église peut être à la fois sacrement du salut en Jésus-Christ et facteur important de critique sociale. En elle doivent se retrouver les bases de la vie sociale telles que présentées par Jean XXIII dans Pacem in terris et complétées, dix ans plus tard, par le cardinal Roy dans sa lettre à Paul VI. Les communautés ecclé-siales particulières, l'Église diocésaine et l'Église universelle doivent avoir :

la vérité comme fondementla justice comme règlel'amour comme moteurla liberté comme climatle progrès comme ordre.

C'est en réalisant d'abord dans sa vie interne les orientations qu'elle propose à la société que l'Église apportera sa principale participation à l'élaboration d'un nouveau contrat social au Québec. Elle deviendra, du même coup, un soutien pour les chrétiens qui œuvrent au coeur du monde, à la lumière de l'Évangile.

JACQUES RACINE

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[145]

Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II. Entre le temple et l’exil.

Chapitre 4

UNE VOCATION ORIGINALEPOUR LE CHRISTIANISME D’ICI

Jacques GRAND'MAISON

Pourquoi abandonner une tradition qui traite du pain et du vin, de l'an-goisse et du désir, de la naissance et de la mort, de la justice et du Royaume comme de constituants invendables de la vie ? Une tradition qui a toujours dépassé ce que les sciences sociales permettent de dire, en fa-veur d'une Promesse à tous ; dans laquelle il était possible qu'un homme réclame pour d'autres la lumière qu'on ne voit pas. Qu'il fasse briller sa Face sur toi.

Dorothe Sölle

[146]I. LE FOND DE SCÈNE

Retour à la table des matières

Nous nous sommes longtemps attardés à la crise, celle de notre civilisation comme celle du christianisme, pour en discerner tout au-tant les ferments de vie que les ferments de mort. À tous les grands tournants historiques, le christianisme a repris un nouvel élan lorsqu'il a consenti à se confronter aux vis-à-vis critiques les plus importants de l'époque. Pensons au passage du judaïsme au monde gréco-romain, à l'invasion des barbares, à la Renaissance, aux révolutions mo-dernes... Chaque fois, l'Église et les chrétiens ont été amenés à relire

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le Message avec des yeux neufs pour accueillir une Bonne Nouvelle dans l'inédit du monde, caché au creux de la crise de la civilisation. Cette requête aboutissait toujours à une démarche centrale : la ressaisit du mystère du Dieu « révélant » et de l'homme historique en Jésus-Christ, dans les surgissements imprévisibles de son Esprit vivant au milieu de nous.

Nous disons « mystère » non pas au sens d'énigme, ou encore au sens d'un monde rêvé à côté du nôtre, mais au sens merveilleux et scandaleux de l'Incarnation. Le Dieu Autre en se faisant fils de Jo-seph, en passant par la mort et la résurrection, ne recrée pas un autre monde, mais un monde autre. Il nous invite aussi à une pleine respon-sabilité historique de collaboration à l'émergence d'une terre nouvelle dans l'horizon d'un Mystère que l'œil n'a pas vu.

Bien sûr, il y a là une situation inconfortable que nous essayons sans cesse d'éviter en optant soit pour une terre sans Dieu, soit pour un Dieu sans terre, soit pour une Révélation sans l'histoire, soit pour l'his-toire sans Révélation. Le paradoxe évangélique : être dans le monde et ne pas être du monde, comme les Béatitudes d'ailleurs, nous incite à vivre cette tension terrestre entre le tragique combattant et l'espérance en paix, entre le pain nécessaire et l'âme libérée, gratuite, entre le Dieu Autre et le Dieu fait chair. Certes, redisons-le, il est faux de voir les deux mondes étrangers l'un à l'autre. Mais en même [147] temps, il nous faut reconnaître qu'en Jésus-Christ Dieu ne nous sort pas de notre condition humaine et historique, et cela jusqu'au cœur du Royaume final. De même le Dieu fait chair ne cesse pas pour cela d'être le Dieu autre qui nous a créés, sauvés et ressuscités gratuite-ment.

Aucune logique humaine, même théologique, ne peut circonscrire ce mystère de l'action gratuite de Dieu dans le cours de nos aventures humaines et de notre entière responsabilité libérée. Il y a quelque chose ici de notre propre mystère humain : nous sommes à la fois de la nature et en même temps d'une conscience, d'une liberté qui lui échappent. L'homme est plus que l'homme. Cette dimension irréduc-tible de l'être humain comme sujet unique, autonome, capable de pro-jet, échappe à toute logique scientifique, à toute nécessité historique, tout en s'y inscrivant. Il y a beaucoup de connivences entre l'homme gratuit qui vaut par et pour lui-même, d'une part et d'autre part, le Dieu de notre foi. On pourrait prolonger le même constat dans le rap-

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port entre les hommes, en particulier dans le mystère spécifique de l'amour. À ce niveau de profondeur, même l'athée rencontre le risque d'une foi, d'un risque, d'une espérance.

Cette insertion du gratuit, du libre, de l'aimant dans le nécessaire et l'obligé a même des conséquences politiques énormes. Qu'est-ce qu'un système social, qu'est-ce qu'une idéologie politique qui ignorent ce niveau de profondeur où l'homme vaut pour lui-même, où l'homme est une fin irréductible face aux structures et aux moyens de tous ordres.

Nous entrons dans un nouvel âge postcapitaliste, postmarxiste, à peine amorcé, où des individus, des classes, des peuples se lèvent pour refuser d'être de purs instruments des grands systèmes dominants, qui à titre de producteur ou de consommateur, qui à titre de bénéficiaire ou de tenant de pouvoir, qui à titre de pion sur l'échiquier d'un pur rap-port de force. Ce monde contemporain livré tout entier à une logique exclusive du pouvoir abolit le droit, enlève tout poids réel aux droits fondamentaux. Voyez les jeux politiques actuels. Ils se réduisent à un combat entre deux forces qui se disputent un pouvoir unique et qui créent presque toujours des [148] exclus. Cela se produit jusque dans des institutions quotidiennes consacrées « officiellement » au service de tous. Par exemple, le droit individuel et collectif des malades n'avait aucun poids réel dans le jeu dualiste des forces libérales et so-cialistes en lutte au moment des grèves récentes.

Comment ne pas reconnaître que cette nouvelle conscience est en prise directe sur les Béatitudes, sur le parti pris du Dieu gratuit pour le pauvre, i.e. celui qui n'est que lui-même, sans voix, ni pouvoir, ni avoir, ni savoir, ni valoir. Comment ne pas reconnaître aussi la radica-lité politique où, à la suite du Dieu de Jésus-Christ, nous sommes amenés à nous partager nous-mêmes à travers la plus juste transaction des biens et des choses.

Nous aurons à revenir, dans la dernière partie, sur cet inédit du monde et de la foi. Mais il nous faut admettre, nous aussi, que cette clarté évangélique dans le brouillard de notre époque s'accompagne de ténèbres intérieures à notre foi elle-même. Non seulement nous parta-geons le vertige historique de nos frères incroyants face aux culs-de-sac gigantesques de notre civilisation, mais nous nous interrogeons sur notre propre identité d'espérants, sur celle de notre Église. Mais en-core là, percent de nouveaux signes des temps.

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Une identité à construire

Le deuxième indice que nous retenons pourrait se formuler comme suit : dans quelle mesure ne sommes-nous pas, Église et chrétiens, confrontés pour la première fois à penser et à vivre une foi originale, sinon plus spécifique, dans ce premier contexte sécularisé de l'his-toire ?

Toutes les sociétés, jusqu'ici, ont été des sociétés fondamentale-ment religieuses. La religion y occupait une position centrale, sinon très importante. Pour la première fois, dans la foulée des révolutions modernes, l'institution religieuse ne fait pas partie du fonctionnement nécessaire de la société civile. C'est là un contexte radicalement nou-veau, même s'il ne faut pas en durcir les traits [149] au point d'ignorer les déplacements et les transferts du sacré qui se sont produits dans la société séculière, telle la profondeur sacrale accordée aux droits fon-damentaux.

Mais il est une autre raison qui nous incite à pointer le défi actuel de découvrir notre vocation originale. En effet, la chrétienté, i.e. ce projet religieux qui englobait tout le reste, était jusqu'à tout récem-ment le substrat historique de l'Église et de la société d'ici. Toutes les institutions se situaient dans le prolongement de l'institution reli-gieuse. Était-on catholique parce que francophone ou l'inverse ? Il n'est pas facile, dans un tel contexte, de discerner le spécifique de la foi, de l'Église. Essayons de comprendre cela à travers deux exemples d'un autre ordre, mais très éclairant.

Tout se passe comme si la famille d'aujourd'hui avait à définir sa vocation propre, alors qu'autrefois elle était le cœur de toute la société, de la culture. Il n'y avait pas d'une part un modèle de société et, d'autre part, un modèle différent de famille. Pensons au même type d'autorité exercée partout. Comme le dit P. Berger : « Une même vie sociale palpitait à la maison, dans la rue et dans la cité... Dans notre vie contemporaine, au contraire, chaque famille constitue son sous-monde séparé 13. » Plusieurs fonctions ont déserté la famille, et inévitablement 13 P. Berger, Affrontés à la modernité, Paris, Le Centurion, 1979, 30.

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celle-ci est amenée non seulement à se repenser, mais aussi à décou-vrir sa réalité et sa mission originales. On notera que cette situation nouvelle de la famille a beaucoup à voir avec la mobilité géogra-phique et sociale, avec une révolution culturelle où l'on veut inventer son propre projet de vie seul ou avec d'autres.

En pareil contexte, il y a tout un monde entre une Église de béton et la tente qu'on déplace. Les « adorateurs en esprit et en vérité » (saint Jean) sont des nomades à l'affût des chemins imprévus de l'Es-prit et du monde. Un peu comme la famille moderne, la foi passe de la nature à l'aventure, de l'héritage au projet, comme accent prédomi-nant.

Le deuxième exemple, on le trouve à l'école, avec des aspects nou-veaux. La réforme scolaire a multiplié [150] les tâches et les rôles de l'école. Celle-ci a suivi un mouvement inverse par rapport à la famille. On se retrouve alors dans une situation incroyable d'encombrement où la mission propre de l'école est subsumée au point qu'on n'est plus ca-pable de l'identifier. Il faudrait ajouter ici à la complexité de la situa-tion : l'entrée massive de critères de rationalité empruntés à d'autres modèles et qui ont peu à voir avec la spécificité éducative, tel l'em-prunt d'un modèle administratif de type industriel et d'organisation bureaucratique. Si bien qu'il est difficile de préciser ce que seule l'école peut faire dans cette société.

Ces deux exemples pourraient être repris dans le cas de l'Église et nous y trouverions de multiples analogies. Mais il y a plus. Quand la chrétienté a éclaté chez nous, ce n'est pas seulement l'Église de cette chrétienté qui a été mise en cause, mais aussi la famille, l'école, les services sociaux, l'hôpital, etc., qui étaient du même moule. Or, phé-nomène compréhensible, mais encore méconnu par bien des analystes, ces institutions de base qui constituaient quasiment le tout de notre société traditionnelle, n'ont pas été vraiment repensées dans leur champ spécifique d'expérience, mais plutôt dans une certaine globalité étatique inspirée par des modèles presque tous empruntés ailleurs, en masse et précipitamment. D'où une addition d'écrans qui ont bloqué la capacité de redéfinir la mission propre, l'identité de ces institutions communautaires de base.

Bien des débats autour de ces institutions restent tributaires de cette amnésie. À ce chapitre, les chrétiens d'ici portent une mémoire

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précieuse... pourvu qu'ils ne s'y enferment pas comme le fait l'Asso-ciation des parents catholiques. Il y a un je ne sais quoi d'ironique dans cette autre tentative de l'État de valoriser les communautés lo-cales après les avoir soumises à un seul modèle bureaucratique stan-dard, centralisé, anonyme. Une certaine pastorale a suivi le même mouvement d'uniformisation et de standardisation.

L'ancien comme le neuf, l'expérience historique comme le tournant actuel invitent donc à voir les choses dans cette perspective de voca-tion originale. Et cela vaut pour l'Église. Nous en donnons un seul in-dice révélateur : dans nos structures de confessionnalité scolaire, il arrive [151] souvent que la pastorale ne figure pas dans l'organi-gramme. On ne sait pas où situer cette composante. Quel paradoxe ! Quel écart !

Un profond embarras

Un troisième inédit se révèle dans l'embarras profond ressenti par les pasteurs et par les chrétiens pour ce qui concerne leur identité, leur propre situation dans le tournant actuel. Nous avons connu la même perplexité dans notre groupe lorsque nous avons bâti ce dossier de réflexion et d'action.

Après une première phase intensive d'observation, de consultation et d'interprétation nous arrivions à un constat commun : dans les di-vers milieux, on semble tourner en rond, tant au niveau de la pensée qu'à celui de l'action. On retrouve toujours, dans des champs les plus divers, les mêmes stéréotypes d'explication, le même sentiment de plafonnement. De-ci, de-là, percent certaines questions pertinentes et profondes, mais qui tombent vite à plat. Bien sûr, nous avons repéré plusieurs expériences intéressantes, mais souvent atomisées, plus ou moins étrangères les unes aux autres. Toutes, elles connaissent des seuils critiques difficiles à surmonter après les enthousiasmes de dé-part. Problème de maturation, sinon de croisière ? Il y a beaucoup plus.

Par-delà un certain approfondissement personnel de la foi ou même un partage évangélique gratifiant, on semble très dérouté quand il s'agit de se situer dans le tournant actuel, et surtout quand on veut

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préciser ce que le christianisme a à dire et à faire prophétiquement et pastoralement dans ce contexte on ne peut plus complexe.

Toutes les grandes idéologies aussi bien que les institutions clés sont soumises à une critique de plus en plus radicale. Le projet chré-tien et l'Église n'y échappent pas. Évidemment, on peut noter le contre-courant de repli sur le statu quo ou encore sur l'héritage conçu moins comme une tradition vivante que comme un dépôt plus ou moins figé et rassurant. Il y a donc de grands [152] écarts d'attitudes, de comportements tant dans l'Église que dans la société, si bien qu'on peut parler d'une situation dualiste, pour ne pas dire schizoïde.

Avant de formuler une problématique et un diagnostic, nous pour-rions nous demander s'il n'y a pas deux besoins de base : « se ramas-ser » et « se relancer » qu'on tente souvent de combler en suivant des voies parallèles, et parfois même contradictoires. Il faudrait aussi se demander jusqu'où on se rend dans la poursuite de chacun de ces deux besoins. Nous avons l'impression que plusieurs en restent à une vue superficielle des choses.

Essayons de suivre d'abord le cheminement critique du premier courant qui nous semble prédominant. En termes très simples, nous pourrions dire que l'Église, que les croyants d'ici, au bilan, cherchent plus à se retrouver, à se « ramasser » qu'à se relancer et à affronter les tâches et les défis les plus cruciaux. Il s'agit, bien sûr, d'un profil d'en-semble, car il faut reconnaître des entreprises prometteuses. Mais n'anticipons pas. Voyons plutôt cette attitude de base chez la plupart. Se ramasser, se retrouver autour du même patrimoine, réaffirmer la même appartenance fondamentale, assurer l'acquis sous toutes ses formes et particulièrement les appuis structurels. Souvent des vieux réflexes de chrétienté s'y glissent, par exemple, au chapitre des pou-voirs, des statuts, des garanties institutionnelles. What we have, we hold. À témoin, certaines positions rigides dans le domaine de la confessionnalité scolaire. On peut facilement comprendre cette volon-té politique, quand on songe au fait que c'est là le seul réseau public de l'Église qui, massivement et précipitamment, est passé au secteur privé, quand on pense aussi au fait que la transmission systématique de la foi chez les jeunes a été confiée jusqu'ici à l'institution scolaire principalement.

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Paroisse, école et famille, voilà les lieux traditionnels de l'expé-rience de la foi. Aux yeux de plusieurs pasteurs et laïcs, la pastorale devrait revenir à ces lieux de base, pour ne pas dire à ces sources. C'est là où les pasteurs et les laïcs devraient se concentrer, se concer-ter pour refaire leur unité d'esprit et d'action.

Ce premier courant, dans la mesure où il se conçoit uniquement à partir de cette vision des choses, comporte [153] beaucoup de pièges. En effet, comment ignorer que ces institutions de base sont marquées par de grands et profonds courants culturels, sociaux, idéologiques qu'on ne saurait comprendre à partir d'elles ? Ces institutions sont plus influencées par de tels courants qu'elles ne les influencent elles-mêmes. Nous en voulons pour preuve la difficulté de projeter un cer-tain profil de société ou d'Église à partir des expériences vécues dans des lieux domestiques.

Ce qui bloque davantage la perception juste de ce problème, c'est le fait que le courant culturel dominant, à savoir une nouvelle révolu-tion affective concentrée dans l'aire privée, semble être confiné à ces lieux quotidiens. D'où la tentation d'y voir le seul terrain pertinent. Cette privatisation peut nous jouer de mauvais tours. Essayons d'élar-gir l'horizon, surtout celui de cette révolution affective évoquée plus haut comme un phénomène important de l'évolution récente.

On est passé, au cours des dernières décennies, d'une société à do-minante religieuse à une société à dominante politique, pour en arriver récemment à une société thérapeutique, implosée, individualiste, et même narcissique. Les comportements individuels et collectifs sont davantage de cet ordre, même si les débats de surface évoquent de tout autres références politiques : fédéralisme-souverainisme, libéra-lisme, socialisme, progressisme-conservatisme.

Cette révolution affective, dans une perspective positive, porte une dynamique d'individualité, d'intériorité, et de synthèse personnelle qui offre un riche terreau d'accueil à une expérience de foi plus qualita-tive. Ce peut être, encore là, une tentation pour une Église privatisée qui, grâce aux institutions de base mentionnées plus haut, pourraient y engouffrer toutes ses ressources pastorales et spirituelles.

Qu'on nous comprenne bien : nous ne voulons en rien minimiser l'importance de cette volonté de revoir les choses à partir du terrain plus vital de l'expérience personnelle, et plus précisément à partir du

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sous-sol affectif dont on saisit tout à coup l'impact jusque sur le plan politique. Pensons ici à la redéfinition du rapport homme-femme. Le danger que nous signalons pourrait se traduire [154] ainsi : de meilleurs relations humaines, mais sans révision des rapports sociaux culturels, structurels et politiques, bref un contexte institutionnel non changé. Nous suggérons de revoir la révolution affective, pendant un moment, en nous situant de l'autre côté de la lunette. Vue de là, cette révolution affective semble mal engagée. Elle vire à une société théra-peutique de type narcissique, toute en image et en spectacle. L'écran animé devient le réel. Et la personnalité elle-même se loge dans son image, et aussi dans les miroirs de l'écran, de la publicité. Même « l'autre » devient un simple miroir « pour soi ».

On perd ainsi contact avec sa réalité personnelle tout autant qu'avec le pays réel. Les structures bureaucratiques elles-mêmes, de par leur stérilité, tournent les gens sur eux-mêmes dans un face à face explosif qu'on tente d'éviter en se limitant à un jeu de miroirs, de re-flets, d'images où s'instaurent des pratiques de séduction, de manipula-tion. À cela s'ajoutent des structures, des règles et des statuts abstraits, impersonnels, standards qui vont dans le même sens. On n'arrive pas à se rejoindre. On tente vainement de résoudre le problème par des ren-contres, des sessions de tous ordres, hors circuit, hors de la vie, tou-jours dans le même climat plus ou moins explosif, vite neutralisé par des règles de procédure impersonnelles qui offrent une sorte d'unisson artificiel de forme, et rarement de contenu.

N'y a-t-il pas des phénomènes semblables dans notre Église ? Les nouveaux rituels n'ont rien à envier aux anciens en matière de forma-lisme. On aboutit vite à des formules stéréotypées qui masquent sou-vent les questions et les enjeux inédits auxquels font face les chrétiens d'aujourd'hui. La rencontre liturgique et le discours pastoral, sauf ex-ception, ont bien peu de mordant prophétique. Tout se passe comme si l'on avait évacué la profondeur dramatique du mystère chrétien comme de l'aventure humaine, un peu à la manière de la société théra-peutique et narcissique.

Le courant traditionaliste dans l'Église a-t-il un peu plus de profon-deur ? Avoir certaines de ses luttes, toutes centrées sur les formules d'hier, sur le maintien des structures [155] et des pouvoirs de chrétien-té, on se demande si c'est bien l'Évangile du Christ qu'on veut pro-mouvoir.

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Au bilan, on peut dire que le neuf tout autant que l'ancien, dans les deux familles spirituelles principales de notre Église, restent bien en deçà des profondes requêtes pascales du tournant actuel, à la périphé-rie du noyau évangélique où s'affrontent les germes de mort et les germes de vie nouvelle, les forces les plus décisives du mal et celles de la croix dans la foulée prophétique d'une résurrection boulever-sante. La foi de cette espérance se conçoit et se vit dans la rencontre entre l'imprévu indicible du Royaume et le risque des tâches de libéra-tion les plus cruciales. Si l'un des traits de base du narcissisme domi-nant est sa superficialité, nous mesurons tout de suite la difficulté d'at-teindre une certaine profondeur de vérité humaine et évangélique dans la crise actuelle et son dépassement. Les conservateurs se rapporteront à la tradition et les progressistes à la modernité avec une conscience aussi superficielle. Nous nous demandons même si ce n'est pas là une des caractéristiques majeures du comportement actuel des Québécois, en religion comme en politique, en privé comme en public. Mais voi-là ! ces accommodements, ces pincées de sucre sécuritaire et de sel libertaire ne suffisent plus.

Ne sommes-nous pas une Église tiède, des croyants tièdes ? Certes, on peut noter un certain climat chaleureux dans les rassemblements communautaires ces derniers temps. Des chrétiens se reconnaissent avec joie et simplicité. Mais on doit s'interroger sur la profondeur spi-rituelle et le tonus prophétique de ces retrouvailles. Rappelons ici les rapides plafonnements soulignés plus haut.

Nous sommes donc confrontés à refaire, à réinventer un chemine-ment critique et constructif, difficile mais passionnant. C'est ce que nous allons tenter dans la deuxième étape. Auparavant, il nous faut mieux discerner la cible de notre démarche.

[156]

Notre cible principale

Déjà, nous pouvons annoncer un vecteur de réflexion-action qui reprend, dans des perspectives renouvelées, une orientation de fond qui a été perdue de vue au cours des dernières décennies, à savoir ; le rapport bilatéral, tendu, fécond entre institution et événement, comme

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lieu concret d'inscription des rapports : Royaume et histoire, Écriture et tradition, Évangile et spiritualités, foi et vie, Bonne nouvelle et in-édit du monde.

On a dit que souvent les révolutions ont porté à son ultime sens une idée, une conviction, un sens traditionnel enfoui dans l'histoire. Bien sûr, avec la tentation d'y enfermer ou d'y réduire la riche com-plexité de l'expérience humaine, et aussi de la foi et de la révélation elle-même. Nous resterons avertis face à ces éventuels pièges, mais pas au point d'inhiber des choix, des options qui nous apparaissent nécessaires, urgents et importants dans le tournant actuel.

Nous sommes des relais. Nos paris, aussi limités soient-ils, s'ins-crivent dans une tradition, une histoire, un Royaume qui débordent l'actualité historique et même les requêtes prophétiques de ce tournant crucial. Cela aussi, nous essaierons de nous en souvenir. Le spécifique chrétien, tout autant que l'ensemble du patrimoine, tout autant que l'horizon du Royaume sont sans cesse à reprendre dans les avancées de l'Esprit et du monde.

Nous allons donc nous orienter progressivement vers ce pari an-noncé plus haut : la révision des rapports entre institution et événe-ment, en y ajoutant une médiation qui lui manquait jusqu'ici : l'insti-tuant. Ricœur disait un jour qu'une liberté qui n'entre pas en institu-tion, qui ne se soucie pas d'être instituante, débouche sur une anarchie stérile, sur une angoisse paralysante, sur un repli « en soi ». Il en va de même de la foi vécue qui refuse d'aller au bout de l'Église qu'elle porte, de la communauté qu'elle peut rassembler, et disons le mot ta-bou, de la « pratique sociale » qu'elle inspire évangéliquement.

Mais il y a d'autres raisons pour fonder ce pari. D'une part, l'impor-tance des événements dans notre culture moderne, surtout urbaine ; d'autre part, le caractère [157] dramatique de tout ce qui est propre-ment institutionnel présentement. Ce dernier aspect est encore plus vrai pour ce qui concerne l'Église. Le balancier, en ce domaine, va aux extrêmes : l'Institution intouchable face au rejet de l'Église-institution.

Nous sentons monter une exacerbation de ces deux plaidoyers plus ou moins aveugles. Il n'est plus possible de ne pas aborder de front cette question majeure. Tout notre cheminement va nous y mener. Il s'agit de l'avenir de ce que nous appellerons les forces « instituantes », expérientielles, critiques et constructives qui sont en gestation dans

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l'Église comme dans la société. Quelles sont-elles ? Quels blocages rencontrent-elles ? Quels styles de vie, quelles pratiques sociales et évangéliques, quelle forme et quel contenu d'Église annoncent-elles ? Et surtout quelle foi ?

Il en va de la foi un peu comme des valeurs. Souvent la crise de celles-ci relève davantage des figures collectives et des institutions qui les portent. Comme dit Fernand Dumont, l'amour qui est en cause pré-sentement, c'est le mariage ; la foi qui est en cause, c'est l'Église. Certes, on ne peut ramener toute la question à cet aspect. Mais com-ment en nier l'importance, particulièrement dans l'Église contempo-raine. La perspective évangélique du vin nouveau et des outres nou-velles vaudrait-elle pour tout, sauf pour notre institution ecclésiale ? Comment récuser toute interrogation sur l'autoritarisme et le juridisme de l'Église catholique ? Est-il farfelu d'appliquer à la structure hu-maine de l'Église cette possibilité qu'on retrouve partout ailleurs, à savoir : l'institution qui se substitue à la valeur, au lieu de se définir en fonction de celle-ci ?

L'enjeu va plus loin dans notre cas, dans la mesure où il y a adé-quation quasi automatique et dite irréfutable entre la Vérité et la Structure. Ce qui évite des requêtes parfois cruciales de pertinence. La foi évangélique est avant tout ce qui fait vivre jusqu'aux horizons in-connus du Royaume. D'où une question aussi simple que profonde : pourquoi tant de croyants cherchent à côté de l'institué une foi qui les fait vivre, qui assume leurs vraies questions humaines, leurs véritables espoirs et désespoirs, leurs vraies fautes et leurs réelles quêtes de sa-lut ? [158] N'est-ce pas un chemin capital pour la Pâque du Christ ? L'extraordinaire diversité des voies de l'homme et de l'Esprit nous in-vite à sortir de certains corridors, de certains culs-de-sac pour dégager les nombreux « possibles » d'une si riche foi, capable de s'investir dans plusieurs « demeures du Père », dans moult chemins d'humanité.

C'est ce dégagement progressif et constructif que nous allons ten-ter, avec une pédagogie de cheminement le plus près possible de la Révélation et des aventures croyantes d'aujourd'hui.

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IL. CHEMINEMENT CRITIQUEET CONSTRUCTIF

Une pédagogie du changement historique à revoir

Nous entreprenons une étape critique qui réclamera un effort plus exigeant de réflexion et de discernement. Faut-il s'en étonner quand l'Évangile lui-même prend à rebours tant de nos évidences pour nous entraîner souvent dans des sentiers déconcertants. Faut-il s'en étonner quand nous considérons la radicalité de nos questions, de nos per-plexités, et la précarité de nos réponses anciennes et nouvelles ?

Qu'il s'agisse de conversion évangélique ou de changement histo-rique, nous ne pouvons pas nous en remettre à des recettes pastorales, encore moins à des sucreries spirituelles qui n'ont rien du sel de la terre. Le Seigneur lui-même nous a incités à être aussi habiles que les fils des ténèbres. Souvenons-nous de la parabole de l'intendant mal-honnête. Nous allons, nous aussi, commencer par une parabole aussi terre-à-terre.

Disons tout de suite que ce point de vue critique ne veut en rien nous abstraire de notre situation de membres de l'Église. C'est un peu beaucoup nous-mêmes que nous mettons en cause en tentant de dis-cerner les péchés, [159] les écrans, les passifs, les blocages de notre Église historique.

Nous proposons ici une comparaison éclairante pour décrire la si-tuation de l'Église. Pendant longtemps, l'industrie automobile améri-caine a pu imposer son offre (les grosses voitures) à la demande des consommateurs. Au demeurant, il y avait bien des connivences entre les producteurs et les consommateurs. Le marketing se chargeait des autres conditionnements nécessaires. De nouveaux facteurs de réalité sont apparus, telle la crise de l'énergie, et aussi de nouvelles attitudes. Les compagnies américaines se sont entêtées à miser sur leurs straté-gies anciennes et nouvelles de l'offre. Et voilà l'échec. La mécanique n'embraye plus ; les perspectives sont inversées ; une « demande » plus complexe ne rencontre plus l'offre proposée ou imposée.

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Il en va un peu de même dans l'Église, et surtout dans les rapports entre elle et le monde d'aujourd'hui. Même les nouveaux modèles de l'offre : renouveaux liturgiques, catéchétiques, pastoraux et autres, ne semblent pas rejoindre ce qui a émergé comme quêtes de sens, comme attitudes de fond, comme styles de vie, y compris les cris d'un drame spirituel aux multiples visages. Le problème se complique par le fait que les chrétiens et les agents pastoraux de la base sont perplexes et n'arrivent pas à nommer, à qualifier ce qu'ils cherchent ou veulent. Tout se passe comme si l'écart grandissait entre offre et demande, entre réponses et questions, entre modèles et expérience, entre dis-cours et vécu, entre idéologies et pratiques. Un peu comme dans le monde séculier, il y a à la fois disqualification des « profanes » et pro-cès des experts. Quand des expériences intéressantes naissent, elles ont peine à se situer par rapport à l'institution ; elle n'arrivent pas à se rejoindre entre elles.

Au chapitre de la confessionnalité, on peut se demander si une cer-taine politique de notre Église ne ressemblerait pas à celle d'une com-pagnie qui déciderait aujourd'hui de se limiter à la fabrication de Ca-dillac. Qu'arrivera-t-il si la stratégie confessionnaliste devenait impos-sible ? Quels autres recours pédagogiques aurons-nous développés ? Avec qui, où, quand, comment et pourquoi ?

[160]Sur ce terrain et bien d'autres, de graves problèmes pédagogiques

se posent, comme nous le révèle cette observation attentive qui n'a rien encore d'une problématique d'interprétation. Nous n'avons fait qu'enregistrer ces différentes formes d'écart à partir de nos recherches et de nos consultations. Voyons ces écarts en relation avec quatre co-ordonnées.

Le Rapport Dumont s'intitulait : Héritage et Projet. Mais de fait, il a surtout valorisé une dynamique du provisoire qui se voulait inté-rieure au contexte nouveau du Québec depuis la révolution tranquille, intérieure aussi à une expérience chrétienne en train de chercher ses voies. Déjà le rapport constatait que le renouveau conciliaire, tout au-tant que la chrétienté, ne collait pas aux nouvelles « identités » en re-cherche. D'où une préoccupation de saisir ces nouvelles émergences. Dix ans plus tard, nous nous rendons compte que celles-ci se

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cherchent encore dans un contexte davantage éclaté. Encore moins se sont-elles trouvé des mains !

Il y a plutôt un repli sur l'héritage comme la seule vision du monde cohérente et sûre. D'où l'intérêt pour certains mouvements populaires qui la restaurent plus qu'ils ne la renouvèlent 14. Un peu comme la re-découverte d'un vieux meuble. Est-ce une autre expression de la nos-talgie qui a cours sur le terrain profane ? Va-t-on jusqu'à décaper l'hé-ritage de ses faux vernis ? Bien sûr, il y a un accès plus direct à l'Évangile ; mais chez ces chrétiens, le nouveau bagage se limite très vite à un petit noyau de références sur un fond de chrétienté quasi in-tact. C'est une vision du monde courte et « à côté ». On s'en rend compte quand on fait entrer, dans le circuit, des questions, des atti-tudes, des pratiques que plusieurs [161] ont laissées à l'entrée de ces laboratoires de l'âme en quête de sécurité.

Il faut noter ici le fait que la majorité des pratiquants, et aussi des agents pastoraux dépassent la cinquantaine. C'est un fait massif que nous passons trop sous silence. Fait qui heurte de front l'intérêt priori-taire accordé à la confessionnalité, et par là, à la génération montante. Voyons bien encore ici la distorsion : le plaidoyer confessionnel tient davantage de l’héritage, des positions de chrétienté, du pouvoir cléri-cal (même des laïcs), d'un projet religieux englobant au point de noyer toutes les autres considérations, surtout la sécularité et ses requêtes toutes autres de pédagogie et d'évangélisation. Même la façon de com-battre et de débattre, Constitution en main, rappelle l'univers de la Loi, de l'Autorité. Une sorte de retour « judéo-chrétien », exactement à l'opposé de ce qui s'est passé dans le façonnement premier de l'Église. Corneille ne devait pas se faire juif.

Dans cette vision du monde, religieuse et profane, ni le vécu actuel ni un quelconque projet ne semblent avoir une place. Il en va ici un peu comme des attitudes face au pape Jean-Paul II. L'Héritage séduit tout à coup par sa fermeté ; mais dans la vie concrète, on sait bien

14 Nous avons demandé à une quarantaine de chrétiens « ordinaires » d'écrire une lettre qui a pour titre : « Pourquoi je suis chrétien ». La très grande majo-rité a tenu à peu près le même langage : « J'ai eu le bonheur de naître et de grandir dans un milieu chrétien. Pendant un certain temps, j'ai pris mes dis-tances. Aujourd'hui, je redécouvre cet héritage. C'est la seule valeur sûre. » Chacun avait choisi d'adresser cette lettre à un de ses enfants (adolescents). Serait-on chrétien comme on est blond ou noir, garçon ou fille ?

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qu'on doit agir d'une autre façon. Il faut l'école confessionnelle, mais qu'elle ne nous dérange pas. Est-ce une phase transitoire ? Quelles se-ront les attitudes de la majorité si, à travers la question confession-nelle, émerge une sorte de bloc catholique politique qui tente de plé-bisciter la vision du monde décrite sommairement plus haut ? Le grand écart entre celle-ci et l'école réelle fera peut-être apparaître les autres : la paroisse et la cité, le discours religieux et les styles de vie, l'éthique catholique officielle et les pratiques des chrétiens, etc.

Qu'en est-il de l'éthique ? L'écart ici se fait davantage implicite, contrairement au débat plus ouvert qui s'engage au niveau de la confessionnalité. Mais la dramatique semble encore plus profonde. Même les chrétiens conservateurs, dans leurs pratiques véritables, tout en plaidant un retour à la normalité, à la loi, à la morale (on sait les-quelles), agissent souvent selon les nouvelles sensibilités : « mener sa propre vie », juger en fonction de « ce qui me rend heureux », mainte-nir le confort des dernières [162] décennies, défendre avant tout et même contre tout sa liberté individuelle, se fier à son jugement de conscience et de situation, etc.

Deux démarches contradictoires qui créent un contexte schizoïde, mensonger et trop souvent pharisaïque... Une position publique « ca-tholique », d'une part ; et d'autre part, un univers privé où l'on n'obéit pas vraiment aux rappels de Jean-Paul II. La conscience individuelle veut être maître dans sa propre maison, chez les pratiquants comme chez les distants, ou chez les esprits non religieux.

Mais le problème de fond est encore plus complexe. Il explique en partie l'attrait de Jean-Paul II dans nos sociétés libérales qui ne savent plus comment les choses, les institutions, les hommes, les conduites vont tenir ensemble. Plusieurs citoyens, non religieux et religieux, ne s'inquiètent pas pour eux-mêmes sur le plan éthique, mais pour la so-ciété. Ils posent spontanément les problèmes sociaux, économiques, politiques et aussi culturels en termes moraux. Pour penser « l'ordre à restaurer », ils n'ont de modèle ferme que l'ordre moral de la chrétien-té. Or celle-ci est encore tout près de nous au Québec. On voit avec surprise surgir dans des discours quotidiens, même chez beaucoup de gens distants et non religieux, des références qui rappellent celles de la chrétienté. Pensons aux thèmes de la discipline, de l'autorité... pour les autres, pour la société... pour les enfants (suppléance de la fa-mille ?).

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Face aux « différences », aux « marginalités », aux identités parti-culières, aux nouveaux mouvements de libération, face aussi aux as-sistés, aux chômeurs qui tous invoquent leurs droits, les catholiques en majorité affirmeront-ils le law and order ? Au niveau ecclésial, multi-pliera-t-on les « exclus », les « irréguliers » ? Quel paradoxe, quand on songe au fait que l'Église première s'est construite avec des « ex-clus » ! Bien sûr, il existe beaucoup de générosité dans les milieux chrétiens, comme le soulignent certains témoins ; mais ceux-ci s'in-quiètent du comportement social et politique de base qui se refuse à un véritable changement des règles du jeu.

Il y a plus : c'est l'éthique elle-même qui est distordue par des contradictions internes. Or, cela est particulièrement [163] grave à cause de la position stratégique de l'éthique, souvent principale média-trice entre la foi et la conduite de vie individuelle et collective, privée et publique, quotidienne et politique.

Nos témoins ont perçu ici une question cruciale, mais ils se sentent très démunis pour l'aborder, même sur le plan de la démarche pédago-gique comme telle. Par exemple, on ne s'est pas interrogé sur un fait très révélateur : pour remplacer l'enseignement religieux, les oppo-sants promeuvent un enseignement moral. N'est-ce pas significatif ? La question éthique reste pédagogiquement au centre du débat. Or, les voies ecclésiales sont silencieuses à ce chapitre. Comme on va le voir, ce problème a bien des facettes peu explorées.

Nous retenons d'abord le témoignage percutant d'un pasteur qui, à sa façon, nous parle du grand écart entre l'offre et la demande, surtout au chapitre des pratiques.

« Comme pasteur, je souffre de l'hypocrisie de ce système confes-sionnel : à chaque année, au moment du sacrement de l'Eucharistie et du pardon pour les enfants de 2e, 3e années, c'est le même scénario qui recommence. Encadrement sacramentel presque automatique des jeunes alors que la majorité des parents ne sont branchés sur aucune communauté chrétienne véritable. Mais dans une époque où on re-cherche des sécurités perdues, le parent agnostique ou indifférent dira : « il faut que l'école, elle, donne une formation morale de base ! Autrement, on s'en va à la dérive ». Ce gros bon sens comment y ré-pondre : je n'ai revu à l'église ici aucun des communiants du mois de mai. Me faut-il apostropher ces parents complices d'un système préfa-

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briqué, où ils sont inscrits presque à leur insu ? Ces parents, je ne les revois plus une fois passée la réunion obligatoire à l'école pour ins-crire leur jeune. »

Ce témoignage se passe de commentaires. On ne saurait s'y limiter. Bien d'autres choses se cachent derrière cette situation.

Des consultants ont signalé le fait qu'autrefois l'école se chargeait de l'instruction religieuse, alors que les familles se limitaient aux pra-tiques. Voici que celles-ci se voient tout à coup mises au défi d'assu-mer ce rôle. Les parents sont démunis, et ce n'est pas seulement à cause [164] d'une nouvelle catéchèse qui les déroute. Du coup, surgit un autre problème de fond bien identifié par l'andragogie : l'adulte ap-prend à partir de ses acquis. Tous nos renouveaux ont péché contre cette donnée pédagogique de base. On est passé du catéchisme à la catéchèse en un rien de temps, sans même une reconversion du lan-gage. Écoutons un consultant : « La nouvelle catéchèse a commandé un effort de production de manuels qui a fait oublier d'autres dimen-sions et mobilisé beaucoup d'énergies, y compris pour la formation livresque des maîtres... L'illusion des évêques : la production des ma-nuels comme stratégie éducative. Or, une enquête a révélé que les jeunes retiennent davantage ce que leurs parents leur disent et dans le vocabulaire de leurs parents, beaucoup plus que dans celui de la caté-chèse scolaire. Mais il faut admettre aussi que bien des parents ne disent plus rien parce qu'ils ne savent plus comment dire. »

La liturgie connaît des problèmes semblables. Renouvelée dans le temple, elle n'existe plus dans les milieux de vie sous une forme ou l'autre. La prière se fait de plus en plus vague, malgré un certain inté-rêt pour la spiritualité. Une enquête auprès de 500 cursillos révèle qu'en dehors des rencontres, il y a peu ou pas de prière dans la vie.

Les homélies sont un des rares lieux spécifiques de transmission de la foi chez les adultes. Or quelle insatisfaction généralisée, malgré les nombreux recyclages du clergé ! Aurait-on, là aussi, loupé la loi de base de l'éducation des adultes, signalée plus haut ? Bientôt, les pa-roisses vont être majoritairement aux mains de vieillards. Quel défi gigantesque !

D'autres consultants, dans une ligne prophétique : culte et justice sociale, s'inquiètent de la séparation pratique (et pédagogique !) du sens et du pain, de la foi et des requêtes de justice. Offre-t-on un sup-

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plément d'âme pour les obèses de l'abondance matérielle ? Un sacré de consolation ? Une nouvelle consommation pour des esprits errants dans une vie sécuritaire ? Des importations de l'intérieur, après les épices d'Orient qui commencent à décevoir ? Aux uns l'Esprit saint, aux autres les services de la charité paternaliste. Mais peu de projets [165] pastoraux qui articulent la foi évangélique et la responsabilité de justice dans la cité. Même à l'école, on ferait pas mal de « tourisme spirituel » et une certaine décoration intérieure.

Si les traditionalistes veulent le retour au dogme, au rite d'hier, cer-tains pédagogues religieux mettent toute leur sécurité dans le bon « processus » mécanique du « s'éduquant ». Les orthodoxies peuvent prendre bien des visages. Elles peuvent s'enfermer dans le « moyen indiscutable », dans la bonne grille, dans la recette infaillible. La pé-dagogie chrétienne est autrement plus exigeante et la vie elle-même ne s'accommode pas toujours des logiques simplistes, en tout cas, pas à long terme et encore moins dans les profondeurs de l'âme et de la foi. Comme dit un témoin : « Par-delà les recettes, l'action livrée à elle-même a sa vanité, l'amour sans autres valeurs d'accompagnement a sa fragilité (peu avouée), de même la liberté. » Et Dieu garde sa ténèbre face à ceux qui maquignonnent son mystère.

Laissons encore parler certains témoins :

— « Comme parent, je me sens capable d'annoncer Jésus-Christ, mais je me sens incapable d'annoncer l'Église. »

— « Le débat sur la confessionnalité autour du cas de Notre-Dame des Neiges renvoie l'image d'une Église coupée des fidèles où domine encore le cléricalisme ou du moins l'appareil ecclésial. »

— « Il y a contraste entre ma définition de la foi et la façon dont je suis obligé de la gérer institutionnellement comme éducateur de la foi. »

— « On voudrait que l'école soit plus catholique que la paroisse. »— « Si je demande au curé de désigner quelqu'un de sa paroisse

pour accompagner un catéchumène, il trouve que je lui demande quelque chose d'énorme. »

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— « Les laïcs les plus engagés sont humiliés à cause de l'image et du comportement de l'Église-institution particulièrement [166] dans des domaines où ils sont concernés comme laïcs. »

— « Depuis un bon moment, bien des journalistes ont démissionné de faire la nouvelle religieuse. »

— « Plusieurs en sont venus à ne miser que sur les petits groupes, plus ou moins étrangers à la grande institution. »

Cette brochette de témoignages marque pour le moins une crise d'appartenance. Même la référence à l'Église-institution est probléma-tique chez bien des chrétiens. On s'inquiète de la cléricalisation in-terne. Les laïcs sont de plus en plus anonymes ; le presbytérat se rétré-cit, et l'Église-institution devient de plus en plus logée à son sommet. C'est toujours la même pyramide, mais elle est inversée. Bien sûr, il y a beaucoup de pousses nouvelles, mais elles sont atomisées, sans fi-gure ecclésiale. Le fait qu'on ne puisse pas parler d'une certaine opi-nion publique dans l'Église, même locale, est symptomatique.

Parfois, nous avons découvert des phénomènes inattendus chez des consultants, particulièrement en milieux populaires. Un certain retour à l'héritage et à l'institution est plus ou moins inconsciemment une façon de fonder l'autorité parentale sur une valeur, la religieuse, que les jeunes, plus instruits que leurs parents, ne connaissent pas. La reli-gion devient pour les parents, tout à coup, un fondement original et sûr pour articuler leur autorité à une expérience que les jeunes n'ont pas, et qu'ils doivent désormais apprendre de leurs parents. Il s'agit, en l'occurrence, de chrétiens membres de nouveaux mouvements spiri-tuels. Une hypothèse à vérifier.

Cet exemple de courant souterrain en est un, entre plusieurs autres, qui invitent à percer la surface institutionnelle et les appartenances qu'on croit raffermies depuis quelque temps. L'histoire aura sans doute beaucoup de choses à nous enseigner ici. Ce qu'il y a de sûr, c'est que l'Église-institution garde l'apparence d'une grande affaire solidement organisée, sûre de sa vérité, sécurisante en ces temps agités et tour-mentés. Tout ce qu'il faut pour un certain climat de restauration, pour un bloc catholique bien tassé ?

[167]

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Voilà un premier bilan assez pessimiste. Mais il est le reflet fidèle de nos données d'observation. Peut-être la vie concrète se charge-t-elle de compenser les pauvres stratégies pédagogiques de l'Église ? L'Es-prit saint existe toujours.

Discernement et pertinence

Une des références constantes des débats et des combats actuels porte sur les changements comme tels, leurs raisons originelles, leur bien-fondé ou leur non-pertinence, leurs orientations présentes ou fu-tures, leurs rapports avec le passé. Voici une société, et dans une cer-taine mesure une Église, qui viennent de tenter une mutation profonde d'elles-mêmes. Il semble que les esprits soient mûrs pour un bilan cri-tique de cette foulée réformatrice.

Après quelques décennies de réformes de tous ordres, qui semblent toutes arriver à un plafonnement, nous devons évaluer les actifs et les passifs de notre pédagogie du changement historique. Bien sûr, nous le ferons en centrant davantage notre attention sur la pédagogie prati-quée par l'Église et ses diverses instances. Mais nous ne saurions le faire sans cerner le mieux possible le contexte historique tel que nous le révèle un regard inspiré par l'expérience pédagogique. Il faut d'abord nous arrêter sur celle-ci pour bien saisir sa spécificité.

Le champ pédagogique, entre autres, a été le lieu d'une surabon-dance chaotique d'expériences, de méthodes, d'objectifs, d'utopies. Par-delà un indéniable dynamisme d'exploration et de créativité, ces essais nombreux, successifs, souvent peu mûris ont créé une confu-sion mentale, un éclatement institutionnel, une usure psychique, et aussi un scepticisme généralisé quant à leur pertinence et quant à leur efficacité, sans compter l'absence de cohérence minimale. Les esprits les plus lucides constatent, non sans raison, que bien des entreprises ont abouti à des résultats contraires aux objectifs de départ. Combien d'initiatives dites progressistes ont renforcé des attitudes et des com-portements de dépendance ? [168] Après tant de « travaux de labora-toire » pour les « s'éduquant », pour « l'auto-prise en charge indivi-duelle et collective », on se rend compte que les gens concernés sont tout aussi démunis, sinon plus, dans leur vie réelle, hors des labora-

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toires pédagogiques d'auto ceci ou cela. Malgré la proclamation sté-réotypée du primat du vécu, de l'expérience en situation, beaucoup doutent de plus en plus de ce qu'ils peuvent ou pourraient faire par eux-mêmes.

D'aucuns diront qu'il s'agit justement de démarches à long terme, bien différentes des méthodes traditionnelles de transmission du tout fait, du tout pensé, de l'acquis, alors qu'une pédagogie de la culture à faire, de la vie à changer, des nouveaux modèles à inventer est autre-ment plus difficile et plus complexe. Justement, rétorquent d'autres, n'a-t-on pas utilisé des techniques pédagogiques d'une façon magique pour atteindre rapidement des objectifs qui exigent une profonde et souvent lente gestation ? Bref, des objectifs de long terme avec des méthodes de court terme.

Comme on a bâti beaucoup de structures avant de préciser ce qu'on allait y mettre, ainsi a-t-on vu plusieurs aventures pédagogiques inves-tir surtout dans des outillages qui ne devaient qu'à eux-mêmes leur prétendue pertinence. Et nous voilà perplexes devant tant d'échecs. Ceux-ci ne semblent pas rejoindre l'expérience, les attitudes et les at-tentes, même de ceux qui ont le plus fréquenté ces technologies so-phistiquées. Tout se passe comme s'il fallait inverser cette démarche pédagogique et reprendre de fond en comble le difficile travail préa-lable de mieux comprendre ce qui se passe chez les gens concernés, avant de s'interroger sur des structures et des outils plus adaptés.

Nous avons cru un moment que le problème crucial venait de la pauvreté pédagogique de nos nouveaux appareils et techniques. Au-jourd'hui, il faut bien admettre que le principal défi se loge plutôt dans une profonde révolution culturelle des sensibilités et des orientations de vie reliées à des changements qualitatifs de tous ordres que nos technologies pédagogiques n'arrivent pas à assumer.

[169]Malheureusement, la majorité des débats actuels en matière péda-

gogique se traduisent avant tout dans des conflits de modèles, de grilles et de techniques très formalisés qui tiennent d'une logique pu-rement instrumentale, alors que le problème de pertinence relève da-vantage de situations, de contenus culturels souvent non formels, in-édits, et surtout réfractaires aux rapides opérationnalisations dans des techniques d'apprentissage dites scientifiques.

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La plupart des intervenants professionnels réduisent la question pédagogique à la seule préoccupation du comment, souvent conçu en termes d'instruments et de processus techniques plus ou moins adap-tés. Adaptés à quoi, à qui ? Le discours, ici, devient tout à coup vague ; ou bien, il s'appuie sur des enquêtes d'opinion qui prétendent révéler ce que pensent, font et vivent les gens interrogés. On sait pour-tant le décalage entre les opinions et les comportements réels.

Une pédagogie, c'est plus qu'une technique d'apprentissage, plus qu'un ensemble de connaissances et de pratiques dans un domaine particulier, plus qu'une méthodologie, plus qu'un processus institution-nalisé d'action cognitive ou autre ; c'est une manière particulière d'ex-primer, de comprendre, de sentir, de communiquer, de se situer, d'agir dans un champ d'expérience toujours original et non interchangeable qui marque tout autant les moyens que les buts poursuivis par des ap-prentissages ou par des projets.

La pédagogie pastorale, catéchétique, liturgique a souvent contrac-té les maladies de l'époque, et particulièrement les travers signalés plus haut. Là aussi, on a surtout investi dans les outils tout en procla-mant d'une façon paradoxalement abstraite l'idéologie du vécu, de l'homme en situation. Un vocabulaire mystificateur, tels ces qualifica-tifs d'accompagnateur, d'animateur, de conscientisateur, d'incitateur, masquait souvent de pures démarches de technicien des grilles ou même des thérapies à la mode.

Certes, des problèmes plus spécifiques à l'Église se sont posés en cours de route. Cet instrumentalisme pédagogique se heurtait en amont à la transmission du [170] Message, du « contenu », et en aval à une crise profonde du croyant lui-même.

Le discours officiel de l'Église, mis à part un certain renouvelle-ment de la problématique sociale (voir les messages épisodiques des évêques en ce domaine), n'osait pas vraiment reproblématiser la doc-trine et l'éthique formalisées depuis le concile de Trente. Et même les percées de Vatican II n'arrivaient pas à faire leur chemin à cause des raidissements de Rome après le concile. Raidissements qui s'accusent dans le tournant actuel, particulièrement aux niveaux doctrinal et mo-ral. On l'a vu dans les prescriptions tridentines revenues en force pour l'initiation chrétienne et sacramentelle. On l'a vu au dernier Synode où il n'a même pas été question de réévaluer le contenu d'Humanae Vi-

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tae, qui a pourtant créé une des crises majeures de l'Église contempo-raine, sans compter certaines bases contestables à divers chapitres : sources chrétiennes, biologie, philosophie et expérience des laïcs eux-mêmes dans le mariage. Tout au plus, il s'agissait de mieux « expli-quer » l'encyclique !

À l'autre extrême du spectre, on observe des pratiques pédago-giques de base en paroisse, en catéchèse, en liturgie centrées sur d'autres formules qui ne semblent pas davantage rejoindre la crise des croyants jeunes et moins jeunes, leur perplexité profonde.

Ne soyons pas injustes : nous sommes peut-être encore trop près de l'éclatement de la chrétienté auquel se sont ajoutés tant de change-ments culturels qu'à peu près personne n'arrive à assumer, à orienter, à gérer. Ce qui nous ramène à notre premier constat sur la pédagogie du changement historique et sa précarité dans un contexte de crise aussi profonde. L'expérience et la portée de ce changement historique, chez nous, ont été peu explorées dans leurs profondeurs humaines et spiri-tuelles. Nous ne pouvons nous en tenir aux explications reçues depuis lors. Il y a chez notre peuple un drame spirituel inédit de par la radica-lité même des ruptures structurelles et des mutations culturelles ré-centes. Nous sommes passés très vite d'un projet religieux de chrétien-té à une société sécularisée qui a fait souvent table rase de l'expérience passée. Celle-ci revient alors comme un retour du refoulé, comme le naturel au galop, sous [171] des dehors laïcs mystificateurs. Voilà un autre problème pédagogique gigantesque.

Mais en deçà de cette laïcisation superficielle de la chrétienté (voir les nouvelles façons aussi cléricales, corporatistes, dogmatiques et autoritaires de défendre sa cause sacrée à l'exclusion des autres), nous retenons davantage le drame spirituel qui implose dans la conscience confuse de bien des nôtres. Cette dramatique se traduit jusque dans l'incapacité d'une parole de foi personnelle chez le croyant lui-même, et chez bien des pasteurs. Nous ne parlons pas ici des paroles toutes faites livrées par la chrétienté, ou de ces autres paroles aussi formali-sées des nouveaux instruments pédagogiques. Dans nos églises, dans nos classes de catéchèse, dans nos laboratoires spirituels il y a de plus en plus de chrétiens profondément perplexes, démunis, muets. Quel contraste avec nos nouveaux rituels opulents, nos nouveaux vocabu-laires, nos techniques pédagogiques de bavardage. Et que dire du si-

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lence quasi total de la foi sur le terrain profane qui constitue la plus grande part de la vie ?

On parle beaucoup du plafonnement des renouveaux récents, des seuils à franchir, comme s'il fallait, une fois de plus, simplement chan-ger la ou les méthodes. Ce serait déjà beaucoup de se rendre compte de l'énorme décalage entre les discours tenus et cette âme muette, cette conscience silencieuse, déchirée, paralysée de tant de chrétiens.

Dès lors on comprend l'attrait de l'héritage dans ce qu'il a de plus institué pour sécuriser une foi bloquée face au présent comme au fu-tur. On comprend encore davantage la tentation d'utiliser cet héritage institué pour compenser ou même fuir une cité séculière qui apparaît comme une Babel où l'on ne sait même plus comment les choses les plus essentielles vont tenir ensemble. La cohérence religieuse d'hier s'offre alors comme un substitut qui a toutes les apparences d'un « na-turel », d'un « culturel » familier pour la population adulte, et à travers elle parfois, pour la génération montante, elle aussi angoissée de mar-cher sur les sables mouvants des modes de tous ordres.

[172]Nous faisons face ainsi à des ambivalences qui ne sont pas faciles à

assumer pédagogiquement. Plusieurs veulent à la fois la sécurité maximale, soit des contenus ou des contenants (ou les deux à la fois), et la liberté maximale du vécu dit inédit et non assimilable à tous les institués du passé et même du présent. Un tel éclatement qui atteint les profondeurs du drame spirituel évoqué plus haut nous empêche de chercher ici des boucs émissaires.

Nous retenons une première problématique qui a l'avantage d'éclai-rer un défi crucial et spécifique de l'Église catholique, y compris la nôtre avec ses modalités particulières comme nous le verrons, et en même temps l'avantage de proposer une approche dynamique de type pédagogique.

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Institué et instituant

Rappelons ici la ligne de fond du diagnostic que nous poursuivons depuis le début : l'inséparabilité pédagogique de l'offre et de la de-mande, des structures et de l'expérience, de la pastorale organisée et des pratiques chrétiennes, qui toutes sont appelées à interagir dans les deux sens. Les crises se logent précisément dans la rupture ou la non-pertinence des rapports entre les deux. Or, le défi de les surmonter apparaît davantage, sous cet angle, comme une tâche proprement pé-dagogique.

Nous faisons ici un pari, celui de prendre le terme le plus commun, le réfèrent le plus utilisé : l'institution. Souvenons-nous des discours tenus par nos divers témoins. Ils avaient en commun cette idée sous-jacente : « Le Christ et l'Évangile, ça va, mais l'Église-institution, voi-là le problème. » On aura beau objecter que l'Église est plus qu'une institution, qu'elle est sacrement de Jésus-Christ et de son salut, com-munauté évangélique du Royaume et de l'expérience chrétienne ; on ne répondra pas ainsi au blocage tel qu'il s'exprime. Refuser de s'attar-der au « problème institutionnel » soulevé par les uns et par les autres, c'est non seulement fuir la question [173] telle qu'elle se pose, mais c'est éluder cette tâche de renouvellement pédagogique dont nous es-sayons de montrer l'importance.

Bien sûr, il faut démystifier une conception simpliste de l'institu-tion trop souvent conçue comme un pur système de structures, de sta-tuts et de pouvoirs (tel celui de la hiérarchie). L'institution est davan-tage : un champ particulier d'expérience, organisé, finalisé, avec une originalité sociale, culturelle, historique. Et dans le cas de l'Église, il faut ajouter l'économie proprement évangélique du sacrement, de la grâce, de l'action de l'Esprit, et surtout de la clef de voûte qu'est Jésus-Christ, Seigneur du monde et de l'Église dans l'unité du Royaume, projet du Père.

Dans cet ensemble vivant, dynamique, on peut discerner deux pre-mières composantes : l'institué et l'instituant. Par exemple, nous ver-rons comment le Credo de Nicée (l'institué) a été bâti par les confes-sions des diverses Églises locales et par l'authentification décisive du Magistère (instituants). Comme Newman l'a reconnu lors de sa

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conversion au catholicisme, c'est la pierre de touche de notre Église que ce rapport dynamique entre l'institué et l'instituant, qui correspond à l'interaction continue, dans la mouvance de l'Esprit, entre l'Écriture et la Tradition, entre le Credo et les confessions chrétiennes, entre le sacrement et l'expérience de foi, entre la hiérarchie et la communauté, entre la pastorale et les pratiques chrétiennes, etc. Un chassé-croisé très riche qui marque l'originalité du processus d'institutionnalisation dans l'Église, particulièrement dans les rapports sans cesse renouvelés entre l'institué et l'instituant, au cœur des avènements de l'Esprit dans les événements du monde.

Oublions pour un moment les discussions théologiques sur la pri-mauté de tel institué sur tel instituant ou vice versa, par exemple, le poids réel de l'expérience chrétienne, ou du peuple de Dieu en regard de la structure hiérarchique ou même du rituel sacramentel.

Nous retenons plutôt une problématique d'ensemble qui identifie l'institué comme la structure historique de l'Église telle qu'elle est dé-finie et vécue à telle ou telle époque, et plus particulièrement dans celle d'aujourd'hui. [174] Les instituants sont les forces de renouvelle-ment qui puisent à la fois dans l'inédit du royaume et celui du monde, et dans une relecture du patrimoine (Écriture, tradition et expérience historique de l'Église). C'est en quelque sorte le correspondant du cou-rant prophétique par rapport au courant sacerdotal dont parle Congar. Nous savons que nous ne pouvons tout ramener à cette distinction. La hiérarchie, par exemple, peut être tout autant une force instituante qu'un institué. Et le chrétien peut s'enfermer dans l'institué et s'abs-traire de sa responsabilité instituante comme baptisé, comme porteur de charismes particuliers en communauté.

Voilà pour les premières clarifications de base qui seront enrichies et nuancées dans la section suivante de ce chapitre.

Notre intention est de cerner les ruptures (et les dépassements pos-sibles) entre l'institué actuel de l'Église et les forces instituantes qui portent d'une façon privilégiée un renouvellement de la foi chrétienne jusque dans son expression ecclésiale, dans sa traduction institution-nelle. Là se trouve un aspect majeur de la crise présente... et aussi une issue dynamique possible parmi d'autres.

Si nous parlons d'échec des forces instituantes, ce n'est qu'en rela-tion avec le contexte immédiat, contemporain. Il se peut qu'elles dé-

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bouchent à long terme. L'action mystérieuse de l'Esprit nous échappe, et l'Esprit reste le maître d'oeuvre. Il serait ridicule de prétendre scel-ler cette crise, quand on garde en vue pareille conviction. De plus, nous pensons que les forces instituantes que nous allons pointer ont une convergence souterraine qui fera bien son chemin, malgré l'échec actuel.

Mais ce n'est pas une raison pour reculer devant le drame profond de la situation des croyants et de l'Église. Nous n'avons pas choisi le couple instituant-institué d'une façon gratuite. Tout notre diagnostic nous y amenait. Il y a un peu partout dans le monde, sous diverses formes culturelles, religieuses ou politiques, une révolte et une affir-mation de ce que nous appelons le sujet humain, individuel ou collec-tif. Affirmation du sujet dans son autonomie, dans sa valeur en elle-même, dans sa responsabilité propre, dans sa conscience comme dans [175] sa pratique. Affirmation du sujet humain comme force détermi-nante, normative, instituante dans une perspective d'autodéveloppe-ment. C'est tout un style d'institution, de pouvoir, de société qui est mis en cause par là.

III. UNE REDÉFINITION DES RAPPORTSDE L'INSTITUÉ ET DES INSTITUANTS

Une clé de compréhension

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Nous pensons qu'en dépit des réformes et des renouveaux que Va-tican II a tenté d'institutionnaliser pour leur donner un second souffle historique, l'Église est restée structurellement, culturellement, théolo-giquement et pastoralement dans le schème ecclésiologique du concile de Trente. Celui-ci a figé tous les processus instituants et s'est enfermé dans un institué doctrinal, éthique, sacramentel, pastoral et clérical qui est devenu intouchable et, disons le mot, irréformable 15. Faut-il rappe-

15 Une autre comparaison peut éclairer ce couple instituant-institué que nous avons choisi comme clé de compréhension. Une langue est longtemps parlée avant que ne se constitue une grammaire. Une langue vivante exige des rap-

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ler [176] l'histoire douloureuse d'une longue Contre-réforme qui dès ses origines amenait sur le plan religieux le protestantisme, et sur le plan profane, le refus des naissantes révolutions scientifiques, poli-tiques et culturelles ? Celles-ci ont même été contraintes à se dévelop-per dans des luttes contre l'Église catholique et contre la religion. À ce chapitre, l'histoire de la crise moderniste est révélatrice. Et le fait qu'elle ait retenti sous diverses formes, après Vatican II, et cela au sein de l'Église et au cœur de la théologie, appuie cette hypothèse d'un schéma tridentin toujours dominant. Certes, il y a une longue histoire là-dessous à laquelle il faut s'arrêter un moment.

Dès le début de l'Église, cette question de l'institué et de l'instituant s'est posée d'une façon dramatique au concile de Jérusalem. Corneille devait-il se faire juif pour devenir chrétien ? D'aucuns voulaient enfer-mer le vin nouveau dans les outres du judaïsme, dans son institué (cir-concision, sabbat, loi et sacerdoce). Le premier combat a porté sur la liberté évangélique de façonner ses propres « instituants » chrétiens. Les Évangiles de Marc, Matthieu, Luc, Jean et Paul en sont par eux-mêmes un témoignage. De même les diverses liturgies, communautés, confessions et théologies. Elles ont servi à la formulation du Credo comme à l'initiation chrétienne, aux ministères comme à la mission. Preuve que la foi peut s'investir dans différentes cultures (Pères grecs et latins), dans différents modèles d'Église, et qu'elle est elle-même plus instituante qu'instituée.

Le deuxième institué qui a compromis ce primat de l'instituant, a été le constantinisme. Une Église calquée sur l'Empire romain. Beau-

ports soutenus entre la pratique du langage et sa grammaire, y compris des tensions, des transgressions, des dépassements. Dans cette foulée, on peut se demander si le concile de Trente a rendu plus ou moins impossible ce rapport vivant entre la structure et l'expérience, et aussi s'il n'a pas méconnu la cohé-rence, la pertinence et l'efficacité instituante de l'expérience de foi comme telle. La pastorale de l'institué a mangé la pédagogie instituante de la conscience et de l'agir chrétiens. Or, la pédagogie a, entre autres rôles, celui d'amener un champ d'expérience à trouver sa cohérence, sa pertinence et son efficacité d'institutionnalisation, tout en maintenant une distinction, et un rap-port mutuel entre l'institué et l'instituant, la grammaire et le langage. Il s'agit, bien sûr, d'une clé qui n'a rien d'exhaustif. Mais elle nous semble précieuse. Rahner, à la fin de Vatican II, disait qu'à ses yeux la redéfinition des rapports entre charismes et institution était un des défis majeurs de l'avenir, défi non éclairé et non assumé par le concile. Ce qui est bien différent de la coexistence entre les expériences informelles et l'organisation institutionnelle de l'Église.

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coup de diagnostics historiques ont retenu ce tournant comme le plus significatif. Nous ne pensons pas ainsi. Les forces instituantes du mo-nachisme, les spiritualités du moyen âge ont été des contrepoids assez efficaces. Selon nous, le drame central de l'institué qui étouffe l'insti-tuant, c'est l'Église tridentine, société parfaite, Royaume arrivé, struc-ture enroulée [177] sur elle-même au point de ne plus être capable de se distancer, d'accueillir le neuf de l'histoire et de l'Esprit. Bien sûr, il faudrait nuancer, mais pas au prix de noyer cette constatation essen-tielle.

Ce rappel historique n'est donc pas étranger aux problèmes qui nous assaillent aujourd'hui, et plus particulièrement aux culs-de-sac de la pédagogie chrétienne. Nous voulons le prouver.

Une des caractéristiques de l'Église catholique du XXe siècle, chez nous et ailleurs, c'est l'échec cuisant des nouvelles forces instituantes qui se sont exténuées dans l'escalade impossible de ce Sisyphe institué qu'a été une certaine ecclésiologie tridentine, dominante encore au-jourd'hui.

L'Action Catholique

Au premier chapitre, considérons la percée prometteuse de l'Action Catholique comme force instituante, porteuse de l'expérience originale des laïcs par rapport a la structure cléricale et pastorale du modèle tri-dentin. D'aucuns avaient qualifié le XXe siècle comme l'époque de la naissance d'un nouveau style d'Église, déjà entrevu par Newman en pleine ferveur ultramontaine et tridentine de Vatican I. Or nous savons tous ce qui est advenu de l'Action Catholique depuis. En celle-ci étaient nées certaines expériences inédites, telle la spiritualité conju-gale. La logique unilatérale de l'institué dans Humanae Vitae n'a pas posé uniquement le modèle d'une Église tridentine fondée avant tout sur l'autorité hiérarchique comme le seul critère de toutes les défini-tions et expériences, mais aussi le problème encore plus crucial des fonctions et des expériences instituantes. Par-delà la question éthique, on rencontre ici le formidable problème d'une ecclésiologie, d'une pastorale qui n'arrivent pas à vraiment se définir en fonction de l'ex-périence chrétienne comme telle. Tout le poids est du côté de l'insti-

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tué. Certaines remarques populaires en disent long : « Celui-là est comme le pape, tu ne pourras jamais lui faire changer une seule idée. » Parfois on ajoute : « comme le curé ». [178] On dira que c'est là une caricature injuste. N'y a-t-il pas beaucoup d'échanges à la base ? Le problème majeur n'est pas là. Quel est le poids véritable de la pa-role, du jugement, de l'expérience des laïcs dans l'institution, dans ses politiques et dans sa pédagogie ? Y a-t-il présentement un laïcat iden-tifiable et dans l'Église et dans la société, du moins chez nous ? La pédagogie chrétienne se ramène-t-elle à la pédagogie « pastorale » ?

La réforme liturgique

On pourrait arriver aux mêmes conclusions dans l'analyse de la réforme liturgique. Tout s'est fait à coup de décrets par l'institué ro-main qui commandait à toutes les églises particulières, à tous les contextes culturels forcément différents les uns des autres, les mêmes règles rituelles. Même les spiritualités de la chrétienté, souvent vécues en parallèle avec l'institué, ont disparu sans être remplacées. La nou-velle liturgie de l'institué au temple se déploie dans le vide des litur-gies de la vie qu'étaient les spiritualités d'hier. Dire qu'il y a eu trop de changements en liturgie, ou même des expérimentations farfelues, ce n'est pas pointer le problème majeur d'un institué qui téléguidait le même petit pas imposé à tout le monde, sans une véritable pédagogie instituante d'un renouvellement pertinent où les chrétiens eux-mêmes auraient été partie prenante et agents actifs.

Ce qu'on a pu dire sur le Service de la Parole, tout en ignorant le fait brutal de l'évanescence des paroles particulières et sur la crise d'identité d'un laïcat encore plus anonyme, individuellement et collec-tivement dans l'Église ! Comme disait un travailleur : « Mon curé m'annonce Quelqu'un, sans se préoccuper si je suis quelqu'un dans la société, dans l'Église et même à ses yeux. » Certains renouveaux ré-cents de la prière et du ressourcement spirituels ont-ils réinventé des liturgies de la vie et dans la vie, des spiritualités ? Nous sommes bien prêts à donner chance aux coureurs. Mais nous demeurons sceptiques, à cause d'une pédagogie unilatérale de l'institué qui monopolise en-core la définition du style d'Église, [179] de la vie sacramentelle, de

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l'initiation chrétienne et même de la façon de prier dans les nouveaux rituels officiels.

Nous pensons qu'il n'y a pas eu vraiment de renouvellement « insti-tuant » dans la plupart de ces renouveaux spirituels qui ont parfois servi a récupérer un héritage de chrétienté sécurisant, ou qui semblent être incapables de répondre aux profonds et nouveaux embarras des consciences et des expériences actuelles, sans compter des aspirations peut-être inédites et encore non clarifiées. Celles-ci ne sauraient émer-ger par ce retour au vocabulaire et à la pédagogie de la chrétienté, même si celle-ci a pu avoir quelque pertinence chez nos pères et mères. Soulignons ici au passage que l'apologie d'un peuple croyant, profondément évangélisé, résiste mal à l'examen de notre histoire, et surtout au fait que ce même peuple ait si massivement et en peu de temps déserté son identification religieuse et ses pratiques de chrétien-té. Michel Tremblay dans un roman récent, Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges, n'a pas tort de souligner le fait que Dieu et le Christ étaient souvent absents du dialogue des êtres malgré la sur-abondance des pratiques religieuses. Ce qui nous interroge sur la pro-fondeur de l'évangélisation dans la chrétienté. Or si cet héritage nous revient tel quel, porte-t-il toujours une foi évangélique ? Bien sûr, là-dessus encore, il faudrait nuancer. Mais il n'en demeure pas moins que trop de recherches religieuses de tous ordres nous révèlent l'absence du Christ dans la conception de la religion chrétienne chez les interro-gés.

Le renouveau catéchétique

L'histoire du renouveau catéchétique, peut-être le plus riche de tous, malgré certaines ambiguïtés et maladresses, marque aussi un cul-de-sac des fonctions et des entreprises instituantes dans l'Église. Y a-t-il un domaine où l'on a autant investi pour se renouveler avec le plus de pertinence possible, à la fois évangélique et culturelle ? C'est un procès caricatural que de dire qu'on est passé d'une catéchèse des Sources à une catéchèse enfermée [180] dans l'intelligence des expé-riences profanes (telle la sexualité).

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Mais ce que nous retenons ici, c'est davantage le blocage de l'insti-tué face à ces nouveaux chemins de l'expérience chrétienne et de ses traductions pédagogiques. Blocage, et aussi contradiction entre la ca-téchèse d'une part, et, d'autre part, le style et le contenu de la prédica-tion en paroisse, pour ne pas parler de l'ensemble de la pastorale cléri-cale 16. Blocage et contradiction aussi par le discours et les stratégies du combat ecclésiastique sur la confessionnalité, particulièrement à Montréal. Comment concilier une éducation de la foi plus libre dans le contexte de structures confessionnelles obligées ? Comment institu-tionnaliser un style évangélique de laïcité dans la cité séculière quand le seul institué public de l'Église (l'école confessionnelle) est aux anti-podes de cette visée pressante de l'évangélisation ? Comment livrer à la catéchèse et à la pastorale scolaire, même dans les cas où la confes-sionnalité est ouverte, une tâche instituante de renouveau qui est contredite par l'ensemble de l'institué, et par une absence de vie chré-tienne active partout ailleurs, et surtout dans la famille ? Comment développer une conception et une expérience chrétiennes du pain, du travail, de l'argent, de la sexualité, de la consommation dans des struc-tures scolaires, alors que tout l'institué ecclésial marginalise ces tâches d'évangélisation pour se concentrer sur le fonctionnement interne de ses appareils ecclésiastiques ? N'est-ce pas un signe des temps négatif que cette autodéfense juridique de l'institué confessionnel en regard des défis internes à la démarche catéchétique et à la pédagogie de la foi ?

[181]D'aucuns craignent, non sans raison, une guerre de religion retenue

depuis quelques années comme une bombe à retardement. Le spectre clérical de la chrétienté, faut-il le rappeler, est encore tout proche des consciences. Que cette menace soit perçue d'une façon exagérée ne change rien aux attitudes des forces montantes qui, bloquées ailleurs, pourraient bien se tourner contre l'Église, comme lieu exutoire d'une profonde agressivité enracinée dans une longue histoire cléricale.16 Qu'on nous comprenne bien, il ne faut pas voir ce propos comme une charge

contre l'épiscopat. Celui-ci a joué un rôle capital pour encourager et soutenir le renouveau catéchétique. Le problème est d'un autre ordre, comme le laisse entendre ce texte. En effet, c'est l'institué « confessionnel » qui fait difficulté au point de compromettre la démarche même du renouveau catéchétique, sans compter une absence de pertinence politique et historique par rapport au tour-nant actuel. Voilà ce que nous tentons de montrer.

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On nous accusera de jouer les prophètes de malheur. Pourtant l'his-toire récente nous révèle comment notre Église n'a pas su voir venir l'éclatement de la chrétienté et les graves ruptures des années 60, mar-quées par la fièvre conciliaire de l'institué ecclésial. Ce peu de sens pédagogique, prophétique et politique du changement historique est trop évident pour ne pas le souligner avec force. Le prochain exemple le montrera avec plus d'évidence.

Le discours et les positions éthiquesde l'Église

L'échec le plus cuisant de la fonction instituante est sans doute au chapitre du discours et des positions éthiques de l'Église.

L'institué tridentin met sur un même pied « la foi et les mœurs », les structures de la foi et l'éthique. Vatican I pousse cette absence de distinction de niveaux jusque dans la définition de l'infaillibilité. Les structures fondamentales de la foi se prêtent, bien sûr, à diverses inter-prétations, mais on arrive vite à des exigences d'orthodoxie par rap-port à un donné révélé qui échappe en grande partie à l'initiative hu-maine. Au creux du mystère du Royaume et de la foi, il y a une éco-nomie de base qui s'impose et un rôle décisif du Magistère. Mais, on ne peut placer sur le même registre la Trinité et une position morale ! Celle-ci inclut la responsabilité libre, le respect de la conscience, les différences et les choix culturels, et surtout des pratiques qui ne sau-raient être toutes définies dans un code moral ou dans une dogma-tique.

Que la question éthique soit celle où le bât blesse davantage les croyants, on peut le comprendre quand on [182] se rappelle que la pé-dagogie morale de l'Église fait peser systématiquement un soupçon d'arbitraire, de subjectivisme sur le jugement de conscience de l'adulte chrétien, même dans des domaines où le clerc définiteur n'a pas d'ex-périence. Au dernier Synode, on a dit que les laïcs mariés qui prati-quaient la contraception faisaient un péché « objectif », mais pas for-cément « subjectivement », puisque la conscience peut facilement er-rer ou se tromper. Comment le laïc d'aujourd'hui reçoit-il un tel lan-gage ?

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Dans le contexte historique de l'Occident contemporain, l'autono-mie devient une des valeurs clés des sensibilités et des combats. On assiste à la révolte de l'homme sujet, face aux hétéronomies aliénantes et oppressives des grands systèmes dominants (capitalisme et mar-xisme, technocratie et bureaucratie). Un peu partout, des individus, des communautés, des peuples se lèvent comme des sujets historiques autonomes, se posant comme finalités décisives face au Pouvoir, à l'Avoir et au Savoir érigés en fins par les grandes idéologies qui s'im-posent à la planète. Dans les sociétés occidentales, la révolte du sujet passe par une nouvelle dynamique de l'individualité.

On comprend alors que l'hétéronomie morale très poussée de l'Église instituée, que sa façon de dévaloriser le jugement de conscience de l'adulte soient ressenties comme une agression et un rejet très grave.

Cette pédagogie morale faussée compromet trois grandes compo-santes de la maturité chrétienne. Premièrement, le discernement évan-gélique du sens de son expérience personnelle et sociale ; l'adulte non reconnu dans son jugement de conscience, s'il obéit à l'institué, ne sera pas porté à prendre l'initiative d'interpréter évangéliquement sa vie. Deuxièmement, le chrétien ne verra pas l'importance de témoigner de sa foi, et souvent il en sera incapable puisqu'il ne s'est pas bâti sa propre parole chrétienne ni son aptitude au discernement spirituel. En-fin, il ne connaîtra pas une appartenance active d'adulte dans une insti-tution qui souvent encadre cléricalement une masse anonyme qu'on ose appeler peuple de Dieu et communauté chrétienne, balayant même des vocations [183] historiques instituantes qui ont pu connaître une certaine vitalité dans la chrétienté.

Voilà donc une autre force instituante qui n'arrive pas à prendre corps dans l'institué. Quand un tel problème s'enracine jusque dans la conscience, on ne saurait dissimuler l'aveuglement qui refuse de le reconnaître. Mais il y va plus qu'une question de conscience.

L'Église aborde les grands enjeux historiques actuels par le biais des droits humains fondamentaux. On sait que ceux-ci deviennent un outil important de libération et de promotion collective. Ils sont une force historique, sociale et politique instituante, non seulement dans le changement et la réorientation des lois, mais aussi pour l'ensemble des structures sociales, économiques et politiques. La portée instituante

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des droits de l'homme est à peine amorcée, et apparaît même fragile, il faut en convenir ; mais elle n'en est pas moins prometteuse.

L'Église instituée appuie à fond cette nouvelle conscience de l'hu-manité. Mais dans quelle mesure la portée instituante des droits hu-mains fondamentaux s'exprime-t-elle à l'intérieur de l'institution ecclé-siale ? Comment cette institution pratique-t-elle elle-même ces droits ? Crée-t-elle ses propres exclus ? S'enferme-t-elle dans sa Loi, son Sabbat, sa chaire de Moïse ? Tient-elle le langage et la pratique des droits là où son pouvoir est bien en selle ? Se concentre-t-elle sur la revendication de sa liberté là où elle ne peut s'imposer ?

L'expérience nous a appris comment il est difficile de faire entrer l'esprit et la pratique des droits humains fondamentaux dans l'institu-tion, comme s'ils ne convenaient pas à celle-ci. On dira que les rap-ports avec le Magistère, avec la doctrine, avec la foi et l'Évangile ne peuvent se définir en termes de droits. Au moment où l'on retrouve dans le monde séculier cette « justice naturelle » de base des droits de l'homme, il est étrange que l'Église se taise tout à coup sur ce fameux « ordre naturel » qu'elle évoquait hier abondamment. Le pasteur Roux disait du dernier concile : « Les Pères ont loupé la chance historique de comprendre et d'affirmer que non seulement les droits de l'homme sont compatibles avec l'Évangile, mais aussi que celui-ci les appelle, les commande. » [184] La façon de traiter les théologiens dits « dévia-tionistes », les prêtres laïcisés, les divorcés, les homosexuels, et sur-tout les femmes et leurs droits, cette façon est loin de l'esprit des droits humains. Une révolution aussi profonde et aussi ample que celle du mouvement féminin historique actuel n'a que peu d'écho dans l'institué lui-même. Encore ici, nous retrouvons le peu de sens prophé-tique et pédagogique de l'Église institutionnelle.

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Les expériences communautaires

Plusieurs comptent sur les petites communautés de diaspora pour préparer à long terme une nouvelle force instituante. Communautés de base, fraternités, groupes parallèles, noyaux de chrétiens politisés, mouvements spirituels, courants théologiques nouveaux qui re-groupent des chrétiens autour de certains pasteurs et théologiens. La plupart ont en commun une plus ou moins forte distance envers l'insti-tué. Connaîtront-ils une percée historique ?

Chez nous, comme profil général, on a plutôt l'impression que beaucoup d'initiatives prometteuses sont en train de s'essouffler ou de se dissoudre, faute d'accueil et de soutien d'un institué qui fait de ces chrétiens des marginaux ou des exclus, souvent par-delà ou malgré la bonne volonté de certains pasteurs et évêques.

Et encore, si ces micro-organismes pouvaient jouer le rôle d'anti-corps ! Il y a peu de circulation entre l'institution et ces forces vitales. Celles-ci dispersées, éclatées, et souvent s'ignorent les unes les autres. Rien ici d'une dynamique instituante.

C'est un peu le même sort que connaissent des théologiens qui ne se contentent pas de répéter la parole officielle et instituée. Pendant que celle-ci s'affaire à maintenir des structures au-delà de ses moyens, le christianisme perd une chance inouïe dans un tournant historique où il a beaucoup à dire et à faire, précisément au moment où un monde déçu par les idéologies et par les techno-bureaucraties, cherche à re-trouver une nouvelle profondeur humaine et spirituelle, une foi en l'avenir, une [185] espérance engageante et signifiante et aussi une pédagogie plus pertinente de l'aventure historique.

Tout se passe comme si l'institué n'était ni de cette recherche d'un nouvel élan ni de l'extraordinaire richesse de la longue expérience his-torique et prophétique du judéo-christianisme, expérience qui a connu tant de crises de civilisation, tant de sauts qualitatifs. Nous ne pensons pas que seuls des microgroupes plus ou moins marginaux, et souvent centrés sur eux-mêmes, puissent apporter ce nouveau souffle dans leurs milieux immédiats, dans leur propre cité ou dans leur Église lo-cale. C'est toute une pédagogie chrétienne et pastorale de l'institué qui est en cause. L'absence généralisée de feed-back entre les chrétiens et

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l'institution, entre les consciences et le discours officiel est peut-être l'indice le plus concret, le plus familier et peut-être le plus décisif du gigantesque problème pédagogique de l'Église.

C'est avec mauvaise conscience que nous doutons de la portée his-torique de micro-expériences si riches et si diverses. Nous verrons plus loin comment elles pourraient pédagogiquement avoir plus d'im-pact. Mais nous voulons signifier clairement ici que l'institué tridentin toujours dominant est un obstacle capital, sans cesse subsumé dans le débat interne par les anciens et les nouveaux lieux communs : com-munauté, collégialité, coresponsabilité, pluralisme, œcuménisme, peuple de Dieu. On n'ose plus évidemment parler de laïcat comme tel, car ce serait trop indécent.

Veut-on une preuve à rebours de cet état de choses ? Voyez com-ment la parole « publique » du christianisme est presque seulement le lot du discours officiel et institué. Il y a ici un « effet pervers » comme disent les sciences humaines. À savoir, une privatisation des expé-riences de base et partout une faible portée instituante. Il y a encore trop peu d'indices de changement qualitatif des structures ecclésiales à leurs différents niveaux, y compris la paroisse, dans la foulée de ces expériences communautaires.

Bien sûr, l'institution est surchargée de problèmes. Paradoxale-ment, elle a multiplié les organismes et les structures. Pour compenser la faiblesse des structures de base, telles les paroisses, on multiplie les instances, services, [186] offices et bureaux diocésains et supradiocé-sains. On constate le même phénomène à Rome. C'est le « siphon-nage » par en haut, qui se distance automatiquement des dynamismes existants ou possibles d'en bas. À l'institué traditionnel, s'ajoute la bu-reaucratisation moderne. D'où un super institué éloigné de ce que pourraient être l'expérience chrétienne et sa mission instituante : une Église des croyants, et non des appareils ; une Église non pas pour le peuple, mais du peuple, de ses initiatives, de son témoignage. Institu-tion de la mission plus que mission de l'institution, sans qu'il faille pour cela isoler ou séparer ces deux dynamismes ecclésiologiques.

Demeure l'espoir de ce qui a été normatif tout au long de l'histoire judéo-chrétienne : le mystère des recommencements par les petits restes.

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Les charismes et les ministères

La cléricalisation interne qui s'est accentuée depuis quelque temps est elle aussi grosse du drame ecclésial d'un institué incapable d'ac-cueillir un nouvel instituant.

Voyez comment la redécouverte des charismes et de leurs riches dynamismes instituants s'est vite cléricalisée dans la théologie, la pra-tique et la pédagogie institutionnelle des ministères. Combien d'Églises diocésaines et locales investissent massivement dans la for-mation d'agents pastoraux sans aucun changement majeur du côté de l'institué, et encore moins du côté d'un style plus laïc d'Église ? Pen-dant ce temps, on offre encore aux laïcs des statuts de caporaux de service insignifiants ou de vagues statuts consultatifs. Le pouvoir reste fondamentalement clérical et la pédagogie institutionnelle aussi.

Par la collégialité épiscopale, on a fait d'évêques des mini-papes ; par le presbyterium, on a fait de prêtres des mini-évêques ; par les agents pastoraux, fera-t-on de laïcs ou de religieux des mini-prêtres ? Comme dirait Newman, c'est à ce niveau surtout que l'Église « looks foolish ».

[187]Même la collégialité épiscopale, qui aurait pu être un nouvel insti-

tuant, s'est muée en un des institués les plus contraignants, qui a réduit plus que jamais l'aire de la parole personnelle et du leadership person-nel des évoques, tout en démultipliant les contrôles des congrégations romaines qui ont trouvé là une courroie de transmission universelle idéale.

Si on ajoute à cela le monopole galvanisant de la parole unique du pape actuel, on ferme la boucle d'un des institués les plus rigides de toute l'histoire cléricale, malgré les apparences d'une Église plus ou-verte. Certes, bien des choses intéressantes bougent à la base. Mais elles sont disqualifiées « publiquement » par l'image d'une Église offi-cielle dont bien des laïcs ont honte. Combien de ceux-ci nous le disent en catimini, comme l'écho du silence qu'ils gardent dans leurs milieux de vie ou de travail sur leur identité de catholique. « Il n'est pas facile de se dire catholique de ce temps-là... et c'est loin d'être à cause de l'Évangile », avouent-ils.

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On ne le répétera jamais assez : la structure cléricale de l'Église, sa théologie, sa pastorale et sa pédagogie correspondantes sont en train de compromettre l'évangélisation et même l'assemblée eucharistique régulière de ladite communauté chrétienne. Connaîtrons-nous bientôt la situation de ces Églises particulières où de nombreuses paroisses ne célèbrent l'eucharistie qu'une fois de temps à autre ?

Notre Église a gardé les traits fondamentaux du système tridentin : societas perfecta, autosuffisante, définie en fonction de sa mécanique interne, affirmée comme un monde en soi à côté de « l'autre monde », centralisée au point que des institutions aussi importantes que les sy-nodes n'ont même pas le moindre statut législatif. Que les évêques, selon leur propre dire, se sentent considérés comme des « gérants de succursale » (que l'on se souvienne de la déclaration du cardinal Car-ter lors du dernier synode), que le réseau des nonciatures soit le circuit principal des décisions majeures pensées, téléguidées et imposées de Rome ; que des problèmes aussi graves que la proportion d'un prêtre pour 10 000 ou même 50 000 fidèles dans des pays dits catholiques, dans des communautés chrétiennes où l'on ne célèbre l'eucharistie [188] que quelques fois par année, voilà qui nous amène à la question la plus brûlante, la plus tragique : est-on en train de sacrifier l'évangé-lisation à un système historique ?

Dans notre propre Église particulière, nous allons à grands pas vers cette situation de vieille chrétienté où, pour bien des catholiques, la « religion » se résume à des rites de passage souvent vides de foi évangélique. Sorte de résidu culturel d'un héritage maintenu parce qu'il n'y a rien d'autre pour le remplacer. C'est se consoler à bon compte de partir d'une nouvelle situation de diaspora, si nous croyons vraiment à l'Église comme peuple de Dieu. Nous ne nions pas l'écono-mie historique du « petit reste » dans le judéo-christianisme. Mais en l'occurrence, celui-ci a toujours été conçu comme une oeuvre de l'Es-prit, en réponse à de graves infidélités, et surtout à des aveuglements de chefs religieux. « Des aveugles qui conduisent des aveugles », di-sait Jésus. Depuis Trente, il faut bien admettre l'extrême pauvreté du prophétisme interne dans la chrétienté catholique malgré certaines percées épisodiques qui n'ont rien changé à la trame de fond du pou-voir clérical. Les lendemains de Vatican II et l'histoire présente en té-moignent. Les voix prophétiques les plus importantes en rapport avec ce problème ecclésiologique capital sont venues de laïcs hors cadre.

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Nous en retenons deux qui sont d'une actualité prophétique saisis-sante.

Citons d'abord Bernanos, dans Les grands cimetières sous la lune :

Pareille aux humbles, aux plus dénués de ses fils, l'Église va clopin-clopant d'un monde à l'autre ; elle commet des fautes, elle les expie, et qui veut bien détourner les yeux de ses pompes, l'entend prier et sangloter avec nous dans les ténèbres. Dès lors, pourquoi la mettre en cause, dira-ton ? Mais parce qu'elle est toujours en cause. C'est d'elle que je tiens tout ; rien ne peut m'atteindre que par elle. Le scandale qui me vient d'elle, m'a blessé au vif de l'âme, à la racine même de l'espérance. Ou plutôt, il n'est d'autre scandale que celui qu'elle donne au monde. Je me défends contre ce scandale par le seul moyen dont je dispose en m'efforçant de comprendre. Vous me [189] conseillez de tourner le dos ? Peut-être le pourrais-je, en effet, mais je ne parle pas au nom des saints, je parle au nom de braves gens qui me ressemblent comme des frères. Avez-vous la garde des pécheurs ? Eh bien, le monde est plein de misérables que vous avez déçus. Personne ne songerait à vous jeter une telle vérité à la face, si vous consentiez à le reconnaître humblement. Ils ne vous reprochent pas vos fautes. Ce n'est pas sur vos fautes qu'ils se brisent, mais sur votre or-gueil. (114-115)

Faut-il insister encore davantage en remontant plus loin. Telle cette page de Dostoïevski dans La Légende du grand inquisiteur. Celui-ci dit à Jésus :

Tu n'as pas le droit d'ajouter quoi que ce soit à ce que tu as dit na-guère... Tout a été remis par Toi au pape, et tout, par conséquent, est main-tenant au pape... Tu nous as confié ton œuvre, Tu nous a conféré le droit de lier et de délier... Tu veux venir dans le monde et Tu viens les mains vides, en leur promettant une liberté qu'ils ne peuvent même pas com-prendre dans leur simplicité et leur anarchie innée, une liberté qu'ils craignent et qu'ils redoutent, car il n'y a jamais rien eu de plus intolérable, pour l'homme et pour la société humaine, que la liberté. Tu vois ces pierres dans ce désert nu et brûlant ? Transforme es en pains, et l'humanité courra derrière Toi, comme un troupeau reconnaissant et docile, bien que tremblant toujours que Tu retires ta main et tes bienfaits... Ils compren-dront, enfin, que la liberté et le pain terrestre pour tout le monde sont in-compatibles, car jamais, jamais, ils ne sauront se répartir le pain entre eux ! Ils se convaincront aussi qu'ils ne pourront jamais être libres, car ils

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sont faibles, vicieux, nuls et rebelles... Non, les faibles nous sont chers aussi. Ils sont vicieux, ils sont rebelles, mais finalement ils deviendront dociles. Ils nous admirent, ils nous prendront pour des dieux, parce que nous aurons consenti à assumer la liberté dont ils ont peur, et à les domi-ner. Mais nous dirons que nous T'obéissons et que nous régnons en Ton nom... (Les frères Karamazov, II partie, LV. ch. V.)

[190]En deçà de cette extrême dramatique du pouvoir clérical de l'insti-

tué ecclésial, comment ne pas reconnaître certaines grandes attitudes aujourd'hui plus souterraines, moins visibles qui marquent la pédago-gie de base de l'institué à ses plus hautes instances, peu importe si son langage a changé, s'il ne médit pas explicitement de la liberté, s'il n'a plus de pouvoir sur le pain matériel. Il est un autre pain, n'est-ce pas et encore plus important, comme le disait Jésus.

Nous n'ignorons pas les ambivalences des chrétiens d'aujourd'hui, ambivalences qui se retrouvent autant dans la sphère sociale que dans la sphère ecclésiale. Plusieurs portent des questions profondes qu'ils considèrent plus ou moins étrangères aux discours et aux pratiques de l'institué ecclésial, et en même temps, ils sont attirés par une Église qui a la vraie et l'unique réponse, fût-elle réduite à l'Héritage, comme seule valeur sûre dans le vide spirituel des temps présents.

Nous avons tenté de montrer l'enjeu très grave d'une Église qui continuerait de jouer la carte d'un institué apparemment sécurisant pour ceux qui sont restés en son sein. Inquiétante serait cette ré-homo-généisation par un institué qui rétablirait, restaurerait le dépôt, sans risquer le saut de la vie instituante, des autonomies plurielles, des questions qui portent en creux le neuf du Monde et de l'Évangile, et aussi les vrais péchés de l'époque.

La pédagogie de la réponse immédiate, instituée, indiscutable, re-fait surface. Et cela nous effare. Toute la tradition prophétique, fer-de-lance d'un christianisme bouleversant, interpellant, espérant, innovant, risque de s'estomper pendant un bon moment. Derrière l'échec des nouvelles forces instituantes que nous venons d'analyser, se dégage une crise de prophétisme autrement plus profonde que celle des an-nées 60 chez nous, ou que celles des autres tournants historiques de notre aventure spirituelle et humaine en Amérique.

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Crise de prophétisme à la mesure de la civilisation, à la démesure d'un Royaume de plus en plus en écart critique et dynamique non seulement avec le monde mais aussi avec l'Église. Il nous faut mieux cerner ce drame spirituel.

[191]Qui sait s'il ne porte pas un nouvel âge de l'homme et de la foi ?

Nous n'osons parler d'un nouvel âge de l'Église, tellement nous crai-gnons cet impénitent triomphalisme qui ne cesse de réapparaître d'un synode à l'autre, triomphalisme qui n'a rien à voir avec la fierté d'être chrétien.

Rappelons que souvent, dans les tournants majeurs, l'Esprit a em-prunté davantage la pédagogie du « questionnement ». Eh oui ! les questions de Nicodème font partie de la Révélation... et les questions de Jésus aussi. Qui sait, si la première liberté évangélique n'est pas d'abord cet espace dégagé pour les cris les plus profonds de l'âme, pour la révélation de la conscience d'une époque à travers les signes des temps, pour une co-naissance qui nous fait « advenir » dans l'avè-nement gratuit, toujours inédit de l'Esprit 17.

[192]

17 À ce sujet, nous aurions pu mentionner comme une autre force instituante plus ou moins mise en échec : les recherches théologiques, surtout dans le champ sociopolitique de l'action des chrétiens (la théologie de la libération) ou encore dans le renouvellement de la christologie. Les limites de ce travail nous empêchent d'ouvrir ce dossier on ne peut plus chaud des derniers temps. Depuis Vatican II, un climat d'orthodoxie tatillonne et parfois punitive tend à étouffer aussi bien les nouvelles voies exploratoires d'évangélisation que les centres de réflexion théologique les plus prophétiques. L'Église y perd en pen-sée et en action au moment où elle a besoin d'un meilleur équipement pour l'analyse de la crise, et pour l'expérimentation de solutions prospectives. Se contenter de rassurer les chrétiens et de restaurer une autorité forte laisse en-tière la tâche autrement plus importante d'un christianisme prophétique qui pointe une terre nouvelle dans la conscience désespérée de l'humanité contem-poraine. C'est une pédagogie de l'Exode dont l'Église a besoin, et non pas une restauration du temple dans le désert humain de la cité. Exode qui ne craint pas d'aller au fond de notre gigantesque drame de civilisation pour y loger la bonne Nouvelle d'une espérance qui n'a pas grand-chose à voir avec les solu-tions d'une chrétienté à renflouer.

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IV. NOUVEL ÂGEET TÂCHES DE L'AVENIR

Retour à la table des matières

Nous n'avons pas voulu séparer l'angoisse pascale de ce gigan-tesque tournant historique et l'espérance audacieuse, têtue, certaine d'un Royaume à l'œuvre dans ce nouvel âge à l'horizon. Fidélité et au-dace. Dieu gratuit et Dieu du nécessaire. Faim et pain... et de l'âme et du corps. Jésus de notre commun, fait Christ et Seigneur. Église de pécheurs et Église de l'Esprit, du monde et du Royaume.

Nous nous savons attendus par Quelqu'un, accompagnés dans la nuit de ce temps. Veilleurs, délégués de l'Espérance, habités par tant de questions, mais sûrs de la Promesse. « J'ai gravé ton nom sur la paume de ma main », dit le Seigneur en Isaïe.

Ce Dieu qui a épousé notre terre nous a fait passer de la créature au serviteur, et de là au fils, pour en arriver à instaurer entre nous et lui une amitié, une Alliance de sujet à sujet, de personne à personne. Oui, un Dieu assez fou pour croire que nous puissions devenir des frères. Il nous en a donné et le commandement et la possibilité et la force, comme élan premier vers des horizons sans cesse repoussés, d'âge en âge...

Nous vivons aujourd'hui de cette foi pascale dans les passages dif-ficiles de ce temps, au-dedans d'une société et d'une Église battues par des vagues de désespérance comme la barque des disciples. Pouvions-nous alors nous contenter de nouveaux arrangements pour apprivoiser une fois de plus l'Évangile et nos aventures de chrétiens dans l'aire domestique d'une autre sécurité ecclésiale bien polie, bien définie, ou dans la quête babienne d'un nouveau système plus adapté ? L'incon-fort du Mystère, le nôtre et le Sien, dans un Royaume innommable et une Cité impossible, resurgit dans les promesses figées d'entreprises qu'on a si souvent qualifiées de révolutionnaires. Tout, enfin tout, semble arriver. Comment mesurer nos réponses à la démesure des questions ? Lumières dérisoires dans l'opacité du désert qui semble le lot d'une majorité. Nous cherchons à tâtons la [193] nuée qui précédait et guidait naguère le peuple errant de ceux qui nous ont transmis le Testament. Exil, Exode, passage. Et une terre promise qui nous

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semble si loin, si vague à l'âme. Il n'y a d'incroyance que chez les croyants : voilà le cri des Prophètes, l'infidélité du peuple et la trahi-son des clercs... et surtout cette clameur de Jésus : « Jérusalem, Jéru-salem toi qui tues les prophètes... que de fois j'ai voulu rassembler les tiens... et tu n'as pas voulu ! Eh bien ! Votre demeure va vous être lais-sée déserte. » (Mt 23, 37) Annonce de la destruction du temple de nos certitudes, de nos rites et de nos sabbats.

« Voici que je fais toutes choses nouvelles »

Rien, rien ne laissait prévoir le geste le plus gratuit, le plus inespé-ré de l'histoire : la résurrection, cette victoire décisive sur Sisyphe. Comment oserions-nous, à notre tour, dogmatiser ou même planifier le Passage et son issue de Lumière où l'Esprit nous amène ? Le salut n'est pas plus facile que nos aventures humaines. Il faut d'abord inter-roger nos croyances et nos incroyances qui restent trop souvent à l'épi-derme de nos existences plus que païennes. Il en est de ce qui nous arrive un peu comme du trésor caché de l'Évangile : rien n'est offert sans une profonde liberté d'âme, d'esprit et de cœur pour accueillir et risquer l'irruption du Christ dans nos vies et dans notre temps. Le mes-sage de Jésus est plus Avènement dans l'événement, davantage Incon-nu dans l'histoire à faire, que Loi, Institution divine, Magistère ou sys-tème théologique, canonique, pastoral, confessionnel ou catéchétique. « Ne minimise-t-on pas l'inespéré et le surprenant de Dieu lui-même ? Ne dilue-t-on pas alors les plus belles pages de l'Évangile, ses para-doxes et sa concentration sur le scandale de la croix et de la résurrec-tion ? » Notre foi n'est pas vendable. Surtout pas à l'aune des publici-tés, des slogans, des techniques, et des grilles à la mode. Nous avons peut-être trop singé le monde au sens négatif du terme.

Nous venons d'une autre Parole et d'une autre Pédagogia, d'une autre Source et d'un autre Chemin. Plus [194] gratuits, plus mysté-rieux, souvent irréductibles aux savantes stratégies de l'efficace et du rentable. Quelque chose de cette « contagion chrétienne » dont parlait Pline le Jeune dans sa lettre à l'empereur Trajan en l'an 112 de l'Église première. Cette foi qui redevient inclassable, inadministrable, est la grâce de ce temps, un peu comme l'anonymat de la ville moderne qui se prête paradoxalement à une multitude de rencontres plus libres,

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d'échanges plus gratuits, d'initiatives inattendues. Au moment où les hommes réapprennent à donner toutes ses chances à la vie, en deçà des plomberies instituées, les chrétiens et l'Église se limiteront-ils à réaffirmer la lettre repolie de l'héritage, ou encore, à disputer l'un ou l'autre Credo des conciles ? Comme au temps des barbares, sous les décombres de l'Empire, un nouveau risque est à vivre dans ce monde déconcertant. N'y a-t-il en lui que germes de mort ? Notre Espérance doit savoir débusquer le sens du nouvel âge qui s'y cache et la Bonne Nouvelle qui l'accompagne.

Bien sûr, nous venons d'un monde, d'une histoire, d'un peuple et même d'une expérience qui n'ont plus l'index pointé vers la foi, et en-core moins sur l'Espérance. Comme si l'avenir bloqué signifiait ab-sence de Dieu ou retrait de la Promesse.

Nous venons d'une fatigue devant tant d'utopies, de technologies et de révolutions dévoyées ; nous venons d'une angoisse face au brouillage de toutes les pistes qui hier nous conduisaient au but du voyage terrestre ; nous venons d'une désillusion quant aux solutions tentées pour la libération et le développement d'une majorité d'hommes et de peuples affamés, dominés, exploités, déracinés, ba-foués dans leur plus fondamentale dignité ; nous venons d'une prospé-rité que nous voulons protéger à n'importe quel prix de silence, de compromis, de troc de canons et de droits, quitte à trouver dans la reli-gion un havre de paix avec Dieu que nous voulons absent de nos choix de styles de vie et de politiques, comme hier Israël dans le maté-rialisme de Canaan.

Voilà quelques-uns de nos péchés et de nos tentations. Faut-il d'abord, avec la liberté évangélique d'une espérance résolue, défatali-ser cette paralysie qui a [195] envahi tout autant notre conscience que nos pratiques de citoyens et de chrétiens ?

Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'une telle démarche n'a rien d'une révo-lution tranquille et facile. Nous n'avançons plus avec les grosses batte-ries de l'Église de chrétienté. Notre foi n'est plus évidente, garantie et rentable. Elle est au-delà des critiques qui ont démystifié ce qui en était non seulement les travers et les trahisons, mais aussi les soutiens humains les plus assurés. Nous n'aurons plus de grands moyens. Beaucoup d'entre nous l'avouent, mais n'y consentent pas. Voyez

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comment on poursuit un éventuel succès de la foi à partir d'outils plus sophistiqués et de grandes stratégies qui la feraient triompher.

Quand on n'a que l'Évangile en main

Un de nos témoins nous a raconté une expérience grosse de toute notre situation : « J'étais au bout de mon rouleau. Avec mes gars et mes filles en classe et ailleurs, j'avais tout essayé : le manuel, l'audio-visuel, l'animation orientée, la libre discussion, les travaux de re-cherche, la rencontre de personnes intéressantes, la narration d'expé-riences signifiantes, les projets d'action, les excursions hors cadre, les sessions de fin de semaine. J'étais désespéré. Alors, je leur ai mis les Évangiles dans les mains : « Lisez-les et dites-moi si vous avez le goût de continuer, de vivre, de faire quelque chose dans ce sens-là. Je me suis tu. Pendant quelques périodes, nous étions tous là à lire les Évangiles en direct, d'un bout à l'autre, en silence dans cette horrible classe sans fenêtres. Je n'avais qu'une certitude : tous étaient absorbés par le message de Jésus. Qu'allait-il en sortir ? Or, tout a démarré à partir de là. Après coup, je me rends compte que j'avais misé avant tout sur ma parole et non sur la Sienne, sur ma pédagogie et non sur la Sienne... »

Ce témoignage mérite qu'on s'y arrête. Vient un moment où l'on n'a plus que l'Évangile dans les mains. N'est-ce pas la situation de bien des croyants dans le tournant actuel ? Eh oui, il faut recommencer à partir de [196] la Source et de notre expérience la plus nue, comme l'ont fait ceux qui ont dû reprendre l'évangélisation de fond en comble après les grands éclatements d'histoire, de culture, de civilisation, de religion. Les recommencements de la foi et ceux de la vie avaient beaucoup de connivences entre eux. Les croyants, dans leur foi comme dans leur expérience humaine la plus profonde, doivent pros-pecter patiemment ces nouvelles poussées de l'Esprit et des consciences, qui s'entrecroisent dans l'inédit d'un nouvel âge en gesta-tion. Voilà ce que nous allons tenter d'identifier en nous rappelant que l'Esprit agit tantôt en continuité, tantôt en rupture de conversion, tan-tôt en dépassement, tantôt en dons inattendus et gratuits.

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Pratiques nouvelles et pédagogie de la foi

Il nous semble que la recherche d'un nouvel art de vivre et celle d'une spiritualité pertinente ont beaucoup en commun.

1. Plusieurs essaient de recomposer leurs expériences de base : vie intérieure, cadres et rapports quotidiens, travail et cheminement édu-catif, projet de vie et options politiques, religieuses ou autres. On ne veut plus séparer ses profondes sensibilités, sa philosophie de la vie, ses activités de tous ordres, y compris ses combats. N'est-ce pas déjà indiquer le défi passionnant de bâtir des nouvelles spiritualités comme, d'ailleurs, aux grands tournants historiques de l'évangélisa-tion ?

2. Retenons ici l'idée de réinventer une organicité humaine accor-dée à de nouvelles sensibilités culturelles : le projet individuel, une organicité des expériences quotidiennes, une cohérence des valeurs humaines privilégiées dans la culture d'aujourd'hui et des valeurs hu-maines fondamentales. Tels de nouveaux rapports entre les valeurs qui font progresser et les valeurs qui font durer (liberté-sécurité, progrès-stabilité, diversité-unité, esprit critique-fidélité, rupture-continuité, etc.).

[197]Cette organicité appelle une expérience de foi et une pédagogie

chrétienne qui visent un style de vie évangélique. Nos renouveaux récents se sont fait beaucoup trop en laboratoire, in vitro plutôt qu'in vivo, à côté des lieux et milieux où se déroule l'existence dans sa presque totalité. Nous ne voulons pas médire des moments et espaces distancés de la foi. Mais quand celle-ci n'est vécue, exprimée et parta-gée que dans des effervescences à côté, hors circuit, elle devient plus ou moins artificielle et peu incarnée. On ne sait en témoigner que dans des sous-systèmes parallèles et conditionnés, réservés aux initiés.

3. Une autre caractéristique du nouvel âge est le défi de réinventer des médiations communautaires. Entre les individus et les grosses

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structures, il n'y a plus d'étoffes sociales. Les groupes sont de plus en plus éphémères et restreints. On ne clique qu'avec un nombre restreint de personnes. D'où la difficulté d'expérimenter des « nous » forts et créateurs, des équipes de travail assez larges et durables. Tout est à reprendre en matière d'appartenance.

Les solidarités de la vie et celles de la foi ne se nouent plus auto-matiquement entre elles comme au temps de la chrétienté. Il faudra patience et discernement pour en arriver à des noyaux de croyants à même ces réseaux de solidarité qui ne coïncident plus avec une com-munauté chrétienne réelle ou potentielle. Il faudra aussi beaucoup plus d'imagination, et plus d'attention aux mille et un chemins de l'Esprit pour prospecter et expérimenter des formes de regroupement et d'ap-partenance plus diversifiées, moins ritualisées.

4. Le nouvel âge porte aussi le souci de façonner des motivations fortes que l'Occident repu, raffiné, décadent et sceptique n'a plus. Qu'offre-t-on aux générations montantes comme motifs, raisons, sources, horizons d'engagement, de service ? Crise énorme de signifi-cation. Médiocrité morale. Déclin du courage. Civilisation d'opinion et non de conviction. L'hypercritique ne semble pas véhiculer des mo-tivations positives et constructives, des finalités signifiantes et enga-geantes.

[198]Voici que surgit une nouvelle conscience en quête de profondeur

humaine et spirituelle. Il faut se méfier des recettes à la mode qui sé-duisent et sécurisent sans changer ni les hommes ni la vie, même celles des épices d'Orient si peu acclimatées à notre culture. La double pertinence évangélique et sociale, dans le tournant actuel, ne saurait être atteinte sans une réflexion qualitative et soutenue. Nous comptons trop sur les colloques ou les sessions de fin de semaine, sur des ren-contres discontinues, sans suivi, sans poids dans la durée. Qu'on nous comprenne bien, il ne s'agit pas de sous-estimer les richesses des mille et un échanges de la vie, mais plutôt de soutiens plus qualitatifs pour la maturation de solides et durables engagements.

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5. Nos organisations modernes de plus en plus ritualisées, bureau-cratisées et abstraites suscitent un phénomène de rejet. Combien cherchent ailleurs un sens à leur vie, et aussi des activités plus accor-dées à leurs sensibilités profondes et à leurs options ? Cette démarche, pendant un certain temps, s'est poursuivie dans l'aire privée où l'on a retrouvé un certain goût de vivre. Voici que celui-ci commence à s'ex-primer dans les institutions elles-mêmes. On veut y vivre des choses intéressantes et fécondes ensemble, souvent en oubliant un peu les rituels administratifs, syndicaux ou professionnels. Ainsi, beaucoup d'initiatives naissent dans l'informel, dans le gratuit où se sont logés les plus fortes pulsions du cœur et les coups de main les plus géné-reux.

Or jamais la foi, comme l'Église, d'ailleurs, n'a été en situation plus gratuite. Toutes deux ont cessé d'être fonctionnelles et rentables. D'où le caractère doublement archaïque d'un confessionnalisme étroit, juri-dique, obligé. Quel paradoxe ! Cela se produit au moment où la foi plus libre et plus gratuite exerce une attraction de plus en plus forte sur des consciences qui ont expérimenté le vide spirituel, l'aplatisse-ment humain d'une société sécularisée, désacralisée, purement instru-mentale.

Être du pays réel, pour l'Église et pour les chrétiens, ne signifie pas d'abord la reconnaissance de statuts assurés, mais le témoignage quali-tatif d'une présence à la [199] manière de Jésus. Présence d'une façon d'être, d'une liberté sans moyens riches, d'une conscience interpellante mais non imposée, d'une foi dans le plus quotidien de la vie, d'une Es-pérance qui fait confiance aux hommes et à Dieu, et d'un amour qui inspire et dépasse même les combats les plus radicaux.

6. On veut reprendre les choses par le fond, par les questions les plus vitales, par les expériences les plus humbles, mais aussi les plus fondamentales de la vie, tout en cherchant une liberté d'esprit et d'ac-tion ouverte à l'exploration des possibles. Qu'il s'agisse de son propre projet de vie ou des institutions et des milieux où l'on vit et travaille. On veut recentrer les appareils sur leur vraie mission humaine, sur des tâches communes de libération et de promotion dans une perspective d'auto-développement. On en a assez des batailles artificielles d'états-majors qui se disputent le pouvoir, assez de débats idéologiques abs-

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traits, échevelés. On préfère investir dans de nouvelles pratiques plus modestes mais aussi plus vitales. On cherche des dynamiques inté-grées qui ne séparent plus la parole, le sens, la solidarité et l'action ; l'individualité et la communauté ; la vie intérieure et l'engagement ; l'affectif, le rationnel, l'imaginaire et le spirituel ; le pays réel, les pos-sibles et les projets, etc.

Encore ici, nous retrouvons l'idée de spiritualité qui, tout en ayant sa spécificité évangélique, peut s'investir dans cette économie hu-maine de base que nous venons de décrire. Les spiritualités précèdent, accompagnent et dépassent les modèles de pastorale, de liturgie, de catéchèse et d'organisation ecclésiale et apostolique. C'est ce terreau nourricier qu'il faut requalifier — et n'ayons pas peur des mots — ré-inventer comme l'ont fait ceux qui ont vécu les grands tournants de l'évangélisation, toujours appelés par des mutations plus ou moins profondes de civilisation.

7. La révolte des autonomies personnelles et sociales, leurs expé-riences anticipatrices se heurtent aux grands systèmes de plus en plus hétéronomiques qui s'imposent avec des moyens très puissants. Nous avons longuement évoqué plus haut la fragilité des [200] nouvelles forces instituantes par rapport à ces « institués » gigantesques qui s'ap-proprient même la transcendance, le sacré, les symboles et les mythes. Nous n'éviterons pas de dures luttes. Luttes qui ont quelque chose du sel de la terre... et si peu en commun avec le sucre spirituel de certains renouveaux religieux récents. Certains de ces combats, nous aurons à les vivre en coude à coude avec des agnostiques ou même avec des esprits antireligieux. Il ne faudra pas viser une fausse pureté qui nous obligerait à nous replier entre nous, à côté des circuits décisifs de la cité réelle. Nous ne pourrons pas contester les péchés ou les travers de certaines stratégies avec crédibilité, si nous voulons mener notre propre jeu à la marge, sur des positions plus sûres, plus pures, moins compromettantes.

Ces ruptures et ces dépassements, nous devons les vivre aussi sur notre propre terrain ecclésial. Les renouveaux spirituels récents ont libéré une expression plus spontanée de la foi, avec une fraîcheur évangélique indéniable. Mais nous arrivons à un test de vérité. L'in-édit du vécu dans sa quête ou son accueil de la Bonne Nouvelle se

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heurte à un vieux bagage d'images, d'idées, de règles morales, de défi-nitions plus ou moins incompatibles avec cette démarche. Comment assumons-nous ce problème typique de plusieurs adultes d'aujour-d'hui ?

Le tournant actuel ressemble à celui que l'Église a connu à un mo-ment décisif de sa première expérience de base. Les Évangiles de Matthieu, Luc et Marc et les épîtres de Paul étaient surtout l'expres-sion de la construction interne de la foi, de l'Église et des ministères. Le saut johannique fut le choc de l'entrée massive du christianisme dans le monde gréco-romain, choc qui exigeait un certain dégagement du contexte judaïque, et une reprise du message dans un nouveau contexte culturel. En termes très simples, on pourrait dire qu'on pas-sait du primat de la proclamation à celui du témoignage.

Au cours des dernières années, un assez fort investissement a été fait pour se retrouver, pour se refaire dans la foi comme dans l'Église : une reconstruction du dedans. Mais n'arrivons-nous pas à un point re-lié au cumul des changements de tous ordres, qui appelle une compré-hension et un témoignage chrétiens renouvelés ? [201] Un nouveau saut johannique en quelque sorte ? Certes, l'effondrement des bases cléricales risque de mobiliser l'attention au cours des prochaines an-nées ; ce qui pourrait repousser encore plus loin la tâche d'assumer le saut qualitatif que nous venons de souligner.

Ce nouvel âge de la foi doit être partie prenante du profond renou-vellement de la problématique sociale, c'est-à-dire, des modes de vivre, de penser, d'agir en société. Certains parlent d'un autre contrat social, en dessous des scénarios politiques en présence. D'autres pensent et agissent dans une perspective de conflit global et radical. Il y a, bien sûr, un virage à droite, tantôt de type traditionaliste, tantôt dans le sens du statu quo. Et puis, il y a aussi les courants réformistes. Tout cela engage des débats et des combats de fond. Par exemple, y a-t-il proportion entre la question confessionnelle et le tournant gigan-tesque du monde de l'éducation ? Le christianisme d'ici sera-t-il un agent prophétique dans cette période historique qu'on considère comme cruciale ? Les évêques ont eu des interventions intéressantes. Mais sera-ce un des seuls lieux de réflexion plus ou moins perma-nents ? Bien sûr, il existe des groupes particuliers qui ont des options plus précises, tels les politisés chrétiens. De même, plusieurs ren-contres ponctuelles abordent ces questions. Cela suffit-il ?

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8. Le tournant des années 80 est marqué par le souci d'établir des raccords pertinents entre des expériences qui se sont déployées dans l'éclatement de changements de tous ordres et dans de multiples direc-tions. Beaucoup ont commencé par édifier une synthèse personnelle de leur projet de vie. Dans cette foulée, il faut songer à de nouvelles synthèses sociales. Le chrétien, dans sa propre démarche évangélique et ecclésiale, ne saurait passer à côté de cette requête. Plus qu'une spé-cificité qui nous identifie, plus qu'une pastorale qui fait sa place au soleil, il lui faut bâtir ce qui correspond à cette visée de synthèse vi-tale, à savoir des spiritualités articulées à d'authentiques pratiques so-ciales et évangéliques.

Nous ne cherchons pas ici la bonne et unique synthèse. Nous nous méfions même de l'idée de modèle. Ce genre d'ingénierie a trop de passifs à son crédit. La société [202] ouverte, la culture plus critique, la cité pluraliste et surtout les richesses de la vie nous incitent à rejeter cette mode de la pensée systémique. Et que dire de la diversité des aventures de la foi, des demeures dans la maison du Père ?

Nous parlons de synthèses sociales, de spiritualités au pluriel. L'homme et la foi sont trop riches pour s'enfermer dans un système unique, dans une morale figée. Les cohérences visées se veulent ou-vertes, révisables, libres, prospectives, sans compter la reprise décan-tée des acquis, de cette extraordinaire expérience judéo-chrétienne dont nous sommes fiers, malgré ses « hommeries » et les nôtres.

Nous ne voulons pas faire entendre une parole unique. Celle que nous portons invite nos frères à dire la leur, dans l'autre Parole qui nous rassemble tous en Église et surtout en Royaume. Notre parole, notre pédagogie, notre pratique se veulent les plus près possibles de celles que Jésus lui-même nous a enseignées.

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Spiritualité d'un homme nouveau

Le croyant n'avancera plus avec les forts soutiens d'hier. Il devra accepter d'inventer avec d'autres ses formes d'appui, de ressource-ment, de témoignage, souvent dans le contexte éclaté de l'anonymat urbain et des à-coups d'une existence mutante qui tient plus de la tente qu'on déplace que du temple. L'expérience prophétique et la vie de Jésus devraient nous inviter à assumer ce risque. L'homme d'aujour-d'hui commence à comprendre la nécessité d'une forte conscience, d'une solide vie personnelle, particulièrement dans l'urbanité actuelle. Développons-nous le style de foi correspondant, ou encore un style de pédagogie chrétienne et pastorale favorable à cette nouvelle exigence d'une individualité mûrie, de noyaux communautaires plus autonomes et plus responsables ?

Nous n'ignorons pas le besoin actuel d'ancrage dans des structures plus stables, dans des sécurités mieux assurées. Mais c'est mal évaluer l'évolution culturelle et spirituelle [203] récente que de sous-estimer l'explosion des libertés et des autonomies. Certes, on veut plus de dis-cipline, plus d'ordre mais pour les autres, pour la société, pour l'Église. Pour soi, on voudra le plus d'autonomie possible. Le chemin de cohé-rence est tout autre. Nous sommes tous plus ou moins marginaux les uns par rapport aux autres. Nous sommes de plus en plus « livrés à notre propre conseil », malgré les réponses des experts et leurs outils prestigieux. Nous sommes tous en diaspora, surtout dans notre expé-rience chrétienne. Or, nous avons gardé les mêmes structures fonda-mentales de la chrétienté. Hier, c'était l'Église qui rassemblait. Aujour-d'hui il faut apprendre à se rassembler en Église par des chemins plus difficiles, plus nombreux, et plus incertains. Ces démarches sont à peine explorées. Mais leur vérité dépendra avant tout de cette foi qua-litative qui a marqué les temps de diaspora.

Les questions se sont radicalisées. On se méfie des réponses, des experts, des discours, des leaders qui les ignorent. Bien sûr, les grandes insécurités actuelles amènent des comportements sécuritaires. Les porteurs de vérité, de la bonne réponse, semblent avoir un grand succès auprès du grand nombre. Mais changent-ils pour autant la vie ?

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Comme disait Marcel Légaut, Dieu nous rejoint d'abord par nos questions et les siennes, par nos soifs et nos faims (Béatitudes), par nos cris les plus profonds (le crazein de l'évangélisation). La première liberté, que sa grâce apporte, c'est précisément le dégagement, l'espace nécessaire pour réinterroger notre vie, notre foi, notre monde, notre Église... notre héritage comme nos aspirations.

Un certain réflexe clérical de chrétienté moque ou méprise une foi toujours en recherche, comme si l'Évangile avait cessé d'inciter à la recherche patiente de Dieu, du Royaume, du trésor caché. On com-prend alors la pauvreté de toute forme de feedback dans l'institution ecclésiale... et surtout le peu de poids de l'expérience des laïcs... et même de leurs questions. Cette cassure, au cœur de l'évangélisation elle-même, ne saurait durer. Elle [204] tient l'Église sur ses propres rives. Elle bloque la vocation de « passeurs » qui interpellent les rive-rains. « Allez vers le large », disait Jésus en écho d'Abraham qui par-tait ne sachant où il allait. Quand on s'enferme dans sa propre réponse, on ne sait plus risquer ni Dieu, ni son Royaume.

La méfiance cléricale devant le jugement de conscience, devant tout exercice de discernement évangélique autonome chez les chré-tiens devient un contre-signe de plus en plus grave. Comment procla-mer une foi libérante et maintenir une telle pédagogie magistérielle ? Les clercs ont créé des structures mentales catholiques aux antipodes de la profonde révolution contemporaine des autonomies. Un gigan-tesque retournement est nécessaire. Nous devrons retrouver cette confiance même de Dieu qui a « livré l'homme à son conseil », à sa libre responsabilité, à sa recherche personnelle et communautaire du Royaume. Pour transmettre Sa propre Parole, Dieu a passé par l'er-rance des bégaiements, des tâtonnements qu'ont connus ces témoins fragiles et faillibles du Message. Pensons aux prophètes et aux apôtres, à l'errance même de Jésus qui a dû trouver dans l'obscurité son chemin vers le Père et sa mission. Il y a si loin entre ce drame pas-sionnant et la dogmatique cléricale qui a déjà tout trouvé, tout défini. On comprend la difficulté pédagogique d'amener les chrétiens à dé-couvrir leur chemin de foi, à le comprendre, à en témoigner... et même à lui faire confiance. Nous n'avons pas intégré encore cette dimension autonome de la foi. D'où le risque d'une situation schizoïde où le style de vie est souvent étranger au style de foi et au style d'Église.

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M. Bellet dans Le Dieu pervers (Paris, Desclée, 1979) a bien mon-tré comment nous avons souvent défiguré Dieu en en faisant un ingé-nieur, un politicien, un moraliste, un roi, un juge et quoi encore, alors qu'il est la Source et l'horizon de toute vie, et en Jésus-Christ, le che-min décisif de la joie de vivre, du désir, de l'espérance qui inspirent nos combats pour le juste, le bon et le vrai. Systèmes et techniques, politiques et organisations relèvent de tâches que nous partageons avec les non-croyants selon des options fonctionnelles. Le spécifique de foi relève davantage du Dieu gratuit, de l'homme gratuit, du Royaume.

[205]Dans le prochain combat historique entre les riches du Nord et les

pauvres du Sud, il se pourrait bien que les contenus humains les plus importants du nouvel âge viennent du Tiers monde, là où les hommes n'ont qu'eux-mêmes à affirmer, à défendre, là où avoir, savoir et pou-voir sont d'une façon plus évidente des moyens et non des fins, là où l'on ne peut séparer le sens et l'action, l'âme et le pain, là où la vie hu-maine toute nue fonde tout le reste, là où malgré tant de misères on a gardé une certaine joie de vivre. Le christianisme s'y sent beaucoup plus à l'aise ; car le sens le plus profond des Béatitudes, c'est plus que partager des choses ou même du pain, c'est se partager soi-même comme Jésus-Christ dans l'eucharistie pascale. Le dilemme occidental entre combats de justice et croissance personnelle apparaît dérisoire à cette profondeur de l'homme nu et du Dieu nu sur la croix.

Nous avons déjà dit qu'à chacun des grands tournants historiques, les croyants de la tradition judéo-chrétienne ont fait une relecture des Béatitudes et aussi de la Genèse pour retrouver les traces de Dieu non seulement dans la condition humaine de base, mais encore dans la création, dans le battement de la vie qui parle du Vivant, un peu comme le coquillage capable de rendre le chant de la mer. Une cer-taine théologie sécularisée et anthropocentrique nous a privés des riches symboliques de la nature pourtant omniprésentes dans la Bible, dans les Évangiles. Il faut les redécouvrir avec des yeux neufs. Com-ment s'y refuser au moment où l'homme moderne est en train de redé-finir ses rapports avec la nature ?

La cité moderne n'a plus de rythme. Elle est faite d'à-coups, d'ins-tantanés, de relations courtes, de stimuli agresseurs, d'expériences

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sans avant ni après. Woody Allen dans Manhattan nous montre com-ment le citadin est incapable de se situer dans la durée. Le film Being there, à son tour, traduit la même dramatique pour l'espace. On est partout, sauf là où l'on est. Le film Le Tambour de Günter Grass, par-delà cette brisure du temps et de l'espace, nous amène jusqu'à la crise intérieure et politique de l'être humain qui « débarque ». « Stop the world, I want to get off. » Un enfant arrête de croître. Une femme [206] se suicide. Un peuple se saborde. L'obsession du tambour, c'est la quête d'un rythme perdu ; le refus de grandir, c'est, en l'occurrence, l'innocence qui refuse de mourir. Contestation d'une société sans en-fant, sans nature, sans durée.

Jusqu'ici les religions avaient conjugué les rites humains et les rythmes de la nature, les battements du cœur et les battements de l'âme (rites de passage : naissance, initiations, mariage, mort ; fêtes et travail ; jours sacrés et jours ouvrables.) La cité sécularisée a brisé ce rapport fondamental. Elle a rejeté tout autant le rythme que le rite. Par exemple, bien des familles sont des cafétérias sans rythme commen-sal. À n'importe quel moment du jour, la chaîne stéréophonique, la télé, la tondeuse, la scie mécanique défient, obturent les moindres pores de silence, de repos, de respiration, même le dimanche.

Cette prise de conscience doit inspirer notre pédagogie liturgique et encore davantage notre expérience de foi. Nous avons à réap-prendre à relier vitalement nos activités extérieures et notre aventure intérieure, le travail et la prière, etc. Une spiritualité, c'est un modèle organique proprement humain, c'est une manière de sentir, de vivre, de penser, de partager, d'agir, de s'exprimer. Il doit y avoir connivence entre cette recherche de rythmes plus humains et les battements du cœur croyant.

Ce nouvel intérêt pour la nature, malgré ses ambiguïtés et ses pièges, c'est aussi une volonté de reprendre les choses à leur genèse, à leur commencement, comme si nous avions à réapprendre à vivre. On retrouve ce même phénomène sur tous les terrains. La science re-tourne à ses sources (telle la biologie). L'éducation revient aux ap-prentissages de base. La politique et les états-majors veulent renouer avec les troupes, avec les milieux quotidiens (décentralisation, démo-cratie directe, autodéveloppement, dynamismes locaux). La ville se réintéresse à l'environnement physique. L'art reprend du naturel avec les archétypes et les symboles fondamentaux. L'éthique revient au

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plus vital : la santé, la sexualité, la vie, la conscience. La liturgie se redéfinit à partir des réalités les plus « originelles » ; l'eau, le pain, le sel, les rythmes et rites de la vie, les sensibilités, etc.

[207]Reprendre le fil de la vie, retrouver le sens profond des choses,

c'est plus qu'une nouvelle idéologie de la sécurité, c'est arracher un sens, un je ne sais quoi de mystère au temps de la terre, au mouvement de la vie. Une signifiance, une orientation, mais aussi une ouverture, une transcendance... de l'intérieur, du dedans des choses. On pressent qu'on ne peut plus séparer la nature et l'aventure. La première sans la seconde étouffe, et celle-ci sans celle-là s'affole. Domestiquer un ca-nard sauvage, c'est lui ravir à la fois sa liberté et son sens de l'orienta-tion. Le lit de la foi, à ce niveau de profondeur, n'a rien de nos mo-dèles pédagogiques si souvent mécaniques.

Si bien des croyants ne reconnaissent pas le battement de leur vie et de leur foi dans nos mécaniques pastorales, encore moins trouvent-ils les événements significatifs dans l'Institution. Nous hésitons à rap-peler ici notre désir d'une Église qui fait événement, tellement nous craignons ce triomphalisme impénitent et parfois si infantile d'un cer-tain monde ecclésiastique. Il nous arrive même de souhaiter que Rome devienne plus discret. Les avènements de Dieu dans l'histoire, particu-lièrement ceux du Nouveau Testament, se sont inscrits dans des évé-nements plus humbles. La vie de Jésus en témoigne.

Bien sûr, il y a les grands signes prophétiques des temps. Mais en-core là, le discours ecclésial obsédé plus que jamais par son ortho-doxie traite souvent ces signes d'une façon intemporelle, abstraite, dans une sorte d'universalisme exsangue où à peu près personne ne trouve matière à identification et source d'inspiration.

La conscience des urbains que nous sommes, pour la plupart, réflé-chit le plus souvent à même les événements. Raison de plus pour dé-velopper une pédagogie de la foi où le langage, la pensée et l'action seront moins décalés par rapport à ce qui habite le champ de la conscience. Daniélou disait que le chrétien est celui qui peut « tomber en prière » à propos de tout. Chez Jésus, le moindre fait de vie deve-nait signe, parabole, sacrement du Royaume. Est-ce bien là une dé-marche familière de nos styles de vie chrétienne et ecclésiale ?

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[208]Certes, l'Évangile a force d'avènement dans nos vies. Mais c'est

souvent lorsque celles-ci sont mises en relation avec un événement que nous vivons vraiment à la manière de deux pierres qu'on entre-choque pour faire jaillir le feu et la lumière. Les Écritures ne laissent pas de doute là-dessus. Dieu a joué la carte de l'histoire. Il a risqué sa Lumière dans l'opacité de nos aventures parfois les plus profanes, les plus charnelles, les plus terrestres. Et Jésus nous a invités à rechercher le Royaume au « milieu de nous », du dedans même de l'événement le plus humble : un repas, une rencontre dans la rue, une conversation près du puits, une demande du voisin, un verre d'eau à offrir.

Il faut retrouver cette démarche première de l'intelligence et de la communication de la foi, cette contagion dont parlait Pline le Jeune à propos du christianisme à ses débuts. « Viens voir », disaient les pre-miers disciples. Sans ce courant chaud, toutes les organisations pasto-rales seront aussi froides que les institutions actuelles de la cité. Caté-chèse et liturgie, fêtes et grandes manœuvres apostoliques apparaîtront artificielles sans ce terreau nourricier. Faudra-t-il attendre que cette énorme organisation qu'est l'Église qui s'alimente à tant d'énergies pour son fonctionnement et sa survie, faudra-t-il attendre que ce sys-tème enroulé sur lui-même se stérilise ou s'écroule, pour songer à va-loriser ces moyens pauvres en prestige, mais si riches en forces vives disséminées à tous les coins de nos cités ?

Un jour, nous étions en train de discuter avec gravité sur les énormes responsabilités de justice qui confrontent les chrétiens. Tout à coup, quelqu'un se lève et dit : « Au nom de quoi, de qui voulons-nous combattre l'exploitation ? N'avons-nous que les références néga-tives des horreurs qu'elles révèlent ? Le pauvre se définit-il seulement par ses manques, ses blessures, ses privations, ses aliénations, ses op-pressions ? Pouvons-nous figurer la beauté de l'être humain que Dieu a voulue, celle de sa création comme celle de son Royaume ? Nous avons l'Espérance trop triste. Cette espérance ne peut signifier la gloire de Dieu dans la beauté de l'homme vivant, particulièrement ce-lui qui n'a que sa condition humaine, sans masque, son âme et sa vie à nu, dans sa [209] vérité profonde, comme sacrement décisif de Dieu en Jésus-Christ. »

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Nos combats sont consacrés au juste, au bon et au vrai, mais le cœur est à la beauté qui les contient et les dépasse. Notre élan le plus vital, nous le trouvons à partir de la beauté que nous cherchons dans la vie, en nous-mêmes, chez les autres, dans la nature, en Dieu. À l'ho-mélie du dimanche, toutes les têtes se lèvent, instruites ou pas, quand le langage évoque une beauté de la nature, de la vie, de l'humain. Déjà au matin de la création, l'être humain reçoit la mission de vaincre le chaos pour faire un monde beau. Saint Irénée, le premier théologien de l'Église, a présenté Dieu, l'homme, et le monde comme une œuvre d'art. Beaucoup de citadins d'aujourd'hui ont le sentiment de vivre dans une cité de plus en plus vulgaire ; ils aspirent plus que jamais à vivre plus bellement leur vie. « Que la tendresse enfin, comme l'eau, comme l'air, soit bien commun diffus et baume de l'univers. »

N'est-ce pas cet « ébranlement esthétique » dont parle Malraux, dans son ouvrage Le Surnaturel, ou Laborit dans L'éloge de la fuite ? Le psalmiste l'avait déjà clamé : « que la terre exulte, que grondent la mer et sa plénitude, que les étoiles se réjouissent... » (ps. 103).

Même nos récriminations contre un « sale temps » sont l'envers de notre quête de lumière et de « grâce ». Il en est de la foi un peu comme de la poésie. On ne la voit nulle part, si on ne la porte pas au fond de soi. Les chrétiens d'ici sont trop absents des œuvres cultu-relles. Nous ne rêvons pas une littérature catholique, un cinéma catho-lique. Mais se peut-il que l'art sacré de notre histoire ait perdu toute signification ? Se peut-il que notre génération de chrétiens ne produise aucune symbolique, aucun rêve, aucune image, aucun récit, aucune dramatique inspirés par la belle et tragique aventure d'une foi parlante aux hommes de ce temps ? N'est-ce pas là un autre signe de la crise que nous essayons de masquer de mille et une façons ?

** *

[210]Qui sait s'il ne fallait pas passer par ce creux de silence, d'impuis-

sance, de pauvreté ? Notre Église, notre peuple, nous-mêmes, nous vivons un tournant plus que difficile. Quelqu'un d'entre nous parlait récemment de ce courage espérant capable de cheviller l'angoisse et l'audace. Nous devrons le vivre avec une foi plus humble et plus réso-lue. C'est elle qui apparaît, comme jamais peut-être dans notre itiné-

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raire, le levier décisif de ce recommencement qui nous rappelle la Ge-nèse, les premiers balbutiements de la foi dans le monde.

Je voudrais citer un poème bien connu d'Anne Hébert, en pensant que notre foi a quelque chose de notre coin de terre et d'histoire, un peu à la façon des croyants du premier Testament qui n'ont jamais sé-paré l'argile, dont nous sommes, et l'art du Potier qui nous a faits avec amour et beauté : « Ce pays est à l'âge des premiers jours du monde. La vie est ici à découvrir et à nommer. Ce visage obscur que nous avons, ce cœur silencieux qui est le nôtre, tous ces paysages d'avant l'homme qui attendent d'être habités et possédés par nous, et cette pa-role confuse qui s'ébauche dans la nuit, tout cela appelle le jour et la lumière. » Ce poème rappelle celui de Péguy : « Mon fils est revenu avec un goût d'homme et de terre... qui renforce ma Promesse... »

Est-ce fuir dans l'esthétisme que de terminer cette étape avec le rêve du Dieu qui nous a faits à la fois fils de la terre et du ciel en Jé-sus-Christ ? Nous avons assez dit le tragique de l'Exode contemporain pour ne pas confondre l'enfantement du Royaume avec le retour au paradis perdu. Mais nous ne pouvons séparer notre itinérance humaine de la transhumance divine, qui déjà la transfigure à la manière de Jé-sus sur la montagne, avant le grand Passage.

JACQUES GRAND’MAISON

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[211]

Situation et avenirdu catholicisme québécois.

Tome II. Entre le temple et l’exil.

QUELLE FOI ?QUELLE ÉGLISE ?

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Partie prenante d'une société, d'une Église, d'une époque à la croi-sée de tant de chemins anciens et nouveaux, nous sommes un groupe de chrétiens soucieux de mieux qualifier notre foi et les orientations humaines qu'elle inspire. Certes, il s'agit d'une parole, d'un engage-ment parmi d'autres, dans une histoire de plus en plus imprévisible qui nous incite à ne pas jouer les prophètes.

La foi biblique et évangélique n'est jamais vécue en général, dans une Église intemporelle ou définie uniquement à partir d'elle-même. La foi est toujours en situation d'histoire, de culture, de société. Dans cette conclusion de nos travaux, nous voulons le redire clairement, en résumer les conséquences quant aux orientations évangéliques et hu-maines que nous privilégions, quant au visage historique de l'Église que nous souhaitons dans cette coulée.

Au moment où tant de crises dans le monde font désespérer de l'avenir, et de l'homme lui-même, nous découvrons dans le message du Christ qu'il est plus difficile de croire en la possibilité d'un monde solidaire et d'un homme fraternel que de croire en Dieu. L'amour du prochain et la justice ne sont-ils pas au centre des Évangiles ? Non seulement comme tâche cardinale, mais aussi comme requête de la foi en un Dieu qui s'est attaché à cette terre au point de se faire homme, en Jésus.

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[212]

I. QUELLE FOI ?

Les frontières à passer

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Il y a plus de dix ans, le rapport de la Commission sur les laïcs et l'Église faisait état d'une Église en train de se redéfinir dans une socié-té nouvelle. Les deux autonomies clairement affirmées permettaient d'entrevoir une liberté féconde de part et d'autre. Certes, l'Église et les chrétiens eux-mêmes connaissaient une profonde perplexité depuis l'éclatement de la chrétienté, et cela malgré le concile et les renou-veaux internes. On ne pouvait plus vivre sa foi de la même façon.

Mais l'espérance n'en restait pas moins chevillée à la parole de mil-liers de chrétiens qui se sont fait entendre à la Commission. Une cer-taine assurance du propos, par-delà des critiques parfois virulentes de l'institution, marquait la place encore importante de la foi chrétienne dans le paysage québécois. Après tout, la crise pouvait n'être qu'un embarras provisoire, ou même une belle occasion de se retrouver et de repartir.

Le rapport lui-même de la Commission avait jeté des ponts entre les deux autonomies ; celle de la société et celle de l'Église, et aussi entre les chrétiens et l'institution ecclésiale, tout en encourageant de nouvelles expériences prometteuses, comme les communautés de base par exemple.

Notre groupe a voulu refaire un parcours un peu semblable, dix ans plus tard, non seulement pour retracer l'itinéraire suivi jusqu'ici, mais aussi pour évaluer le tournant actuel et dégager des pistes d'avenir.

Dès le début de notre démarche d'écoute auprès de chrétiens et de pasteurs de divers milieux, nous avons constaté une profonde inquié-tude chez le plus grand nombre de nos interlocuteurs et, en même temps, une foi plus vive, plus libre, plus décidée. Le malaise se mani-festait surtout dans le sentiment de tourner en rond. Comme si les ré-

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formes religieuses, à l'instar des réformes [213] profanes, avaient at-teint un plafonnement difficilement surmontable.

Ne fallait-il pas tâcher d'éclairer les sources de ces sentiments ? Pour ce faire, nous avons d'abord tracé un portrait des principales ten-dances. Portrait qui constitue déjà un premier cadre de compréhen-sion.

Au sortir de la société religieuse traditionnelle, la sécularisation (l'autonomie de la vie profane, de la nouvelle société) est devenue, chez plusieurs croyants, l'unique repère de jugement et de comporte-ment. La rupture avec le passé a été radicale, à tel point qu'on en vint à disqualifier toute l'expérience historique.

D'autres chrétiens, davantage soucieux de l'avenir de la foi comme telle, ont surtout investi dans la reconstruction interne de l'Église. Contrairement aux tenants de la sécularisation, ils ne voulaient pas partir de zéro. Pour dégager une foi plus pure, plus spécifique, plu-sieurs retournèrent aux sources premières du christianisme.

Enfin, une troisième catégorie de chrétiens, dits traditionnels, s'est longtemps réfugiée dans le silence. Ceux-ci ne comprenaient pas pourquoi on faisait tant de changements. Même le concile Vatican II les laissait démunis et perplexes. Certains se sentaient même abandon-nés, trahis.

Nous nous rendons compte aujourd'hui qu'on n'a jeté aucune passe-relle entre ces trois familles principales qui, après avoir suivi des che-mins parallèles, ont fini par s'opposer d'une façon latente et sourde. Le débat de l'école confessionnelle qui s'amorce pourrait bien amener en surface ce conflit souterrain, à peine exprimé il y a dix ans.

Voilà un premier diagnostic que nous retenons, à la suite de notre recherche auprès de divers groupes chrétiens que nous avons consul-tés. Mais il en est un autre à la fois commun à ces trois grands cou-rants, et beaucoup plus profond. Plus que la mémoire confuse, c'est le doute face à la Promesse, qui nous a frappés. Nous avons cru discer-ner deux crises d'espérance qui se renforçaient l'une l'autre : d'une part, une perte de foi en l'avenir de ce monde, de cette société ; d'autre part, un vertige devant une Église de têtes blanches, et surtout une sorte d'incertitude innommable au cœur de la conscience chrétienne elle-même.

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[214]Ce drame spirituel, nous le sentions même chez ceux qui vivaient

des expériences ecclésiales intéressantes, gratifiantes. Tous, de di-verses façons et par des voies différentes, atteignaient ce même point critique, au-delà des questions de structures, de politiques ou de pasto-rales.

Quand toutes les formules ont été essayées, quand on rencontre tant de culs-de-sac, il faut risquer de voir l'envers de ce qui apparaît, de ce qu'on fait, de ce qu'on vit. Vient un moment où, pour faire un pas de plus, il faut aller chercher très loin au fond de soi et de la situa-tion le second souffle dont on a besoin.

L'Évangile lui-même nous avertit que pour arriver à une vie nou-velle, on doit passer par des retournements, par des conversions. Cette démarche, que l'on retrouve d'ailleurs dans toute expérience humaine, laisse entendre que le mal comme l'espérance sont plus profonds, plus difficiles à vivre que ne le laissent croire tant d'explications de sur-face.

On ne saurait se poser uniquement les questions dont on entrevoit déjà les réponses. Ce serait une façon de passer d'une crise à l'autre sans jamais les dénouer, sans jamais les dépasser.

Nous sommes d'un Évangile qui invite chacune des générations, chacune des époques à identifier ses germes de mort et de vie, ses risques à prendre avec courage et discernement. Et nous avons cette conviction qu'à travers les ruptures les plus radicales, une force de ré-surrection habite et soulève ce monde, et cela de par notre foi en Jé-sus-Christ. Mais comme Lui au jardin de l'abandon, nous ne voulons pas passer à côté de l'angoisse et des cris qui montent de nos enfers d'hier et d'aujourd'hui, ou encore nous enfermer derrière les barricades les plus sûres pour éviter le procès de la Croix.

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De la certitude au risque

Cette expérience d'écoute et de réflexion que nous avons faite entre nous et avec d'autres nous a renvoyés à notre propre aventure d'huma-nité et de foi. N'avions-nous pas nous aussi les mêmes questions, n'éprouvons-nous [215] pas les mêmes sentiments d'impuissance et le même vertige intérieur ?

Comme beaucoup de nos interlocuteurs croyants et incroyants, nous en sommes à ce seuil de vérité de l'homme contemporain qui cherche le sens profond de sa vie au-delà des techniques et des idéolo-gies, au-delà des morales et des religions instituées. Dans cette société du plein jusqu'à la démesure de l'inflation — inflation de l'argent, des structures, des pouvoirs, des désirs et des violences — la conscience se rend compte tout à coup qu'elle n'a plus d'espace pour respirer.

Il nous fallait partir de ce drame à la fois commun et singulier, à la fois spirituel et politique. Quelle était notre parole chrétienne, notre pratique évangélique, notre façon à nous d'assumer cette libération du dedans ?

Nous nous sommes souvenus de ces torrents qui, depuis Babel et tout au long de l'histoire judéo-chrétienne, n'ont cessé de lézarder les systèmes étanches, politiques ou religieux, emmurant tant d'espoirs et de libertés. Dieu et l'homme n'y étaient plus sujets, mais simples rouages d'une vaste structure définie par sa mécanique, son code, son rituel.

Les sociétés et les Églises, les idéologies et les morales, celles d'aujourd'hui comme celles d'hier, aboutissent toutes à la même im-passe au moment où elles réussissent à s'imposer. « Il est un temps pour défaire, un temps pour reconstruire », nous dit la Bible. En se-rions-nous là ?

Que de choses sont en train de se défaire, même parmi les plus fon-damentales : de la famille jusqu'au système monétaire. La restauration précipitée de l'Ordre pourrait bien étouffer cette vie nouvelle qui pousse dans les fissures de nos remparts et de nos défenses. Nous ne pouvons plus nous limiter à corriger ou à refaire les structures, même si nous n'en nions pas l'importance.

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Il arrive souvent qu'en dessous de ce qui se défait, d'autre chose naisse et anticipe un nouvel âge. C'est là le soupçon dynamique et libre de l'esprit évangélique. Mais il faut alors rouvrir les réponses re-çues, accueillir les questions imprévues, risquer la mort du grain dans l'espérance du centuple.

Cela ne saurait se faire sans un retournement de sa terre, de son expérience. Comme ce fut le cas chez la [216] Samaritaine, chez Ni-codème et tant d'autres témoins d'hier et d'aujourd'hui. N'est-ce pas un signe des temps que la procréation d'un enfant soit devenue plus un acte de foi qu'une œuvre de nature ou un calcul raisonnable ?

Croire aujourd'hui, c'est risquer l'avenir avec une espérance têtue, à contre-courant de ce désespoir politique qui prend les visages les plus divers : totalitarisme, terrorisme, law and order, chantage et violence de tous ordres. Il n'y aurait plus d'innocents : Job est coupable de son malheur ; mieux vaut que l'homme meure pour que Mammon ou le Veau d'or demeure. La fatalité du vieux paganisme refait surface. Même des athées de différents horizons idéologiques parlent mainte-nant d'une crise de la foi en l'homme.

Cette crise, elle est aussi en nous, chrétiens, dans la mesure même où notre pratique sociale dément l'espérance que nous proclamons au temple, dans la mesure où nous ne croyons pas pouvoir changer les choses dans le sens de la justice, de l'égalité des hommes.

On ne peut chercher le Royaume après avoir décrété la cité hu-maine impossible. Abraham n'a pas quitté le désert, mais une ville prospère. Et les Juifs fêtent la Pâque de Dieu dans l'histoire concrète de leurs libérations humaines. Voilà ce que nous ne voulons pas sépa-rer. Cette foi, enracinée dans nos vies autant qu'il se peut, n'en de-meure pas moins « folie aux yeux des sages » et « signe de contradic-tion ». Elle est moins que jamais évidente, naturelle.

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L'autre côté des choses :inattendus de la foi

Nous sommes d'un peuple en train de se reconstruire à même ses plus vives contradictions, et d'une Église qui vit un défi semblable jus-qu'au cœur de l'expérience de la foi. Rien ici d'une espérance facile puisqu'elle fraie sa route à l'ombre d'un double inconfort, celui d'une société incertaine et d'une Église vieillissante. Comme aux temps pro-phétiques d'Israël et de Jésus, nous persistons à croire qu'il y a tou-jours une braise de l'Esprit sous la cendre de nos déficits.

[217]Cette foi têtue, nous voulons la traduire dans notre façon de cher-

cher la vie même là où l'on ne voit que des signes de mort.Les conflits qui souvent nous inquiètent, et même nous déses-

pèrent, ne sont-ils pas l'envers d'un sens plus aiguisé de la justice, et surtout la recherche tâtonnante de ces solidarités plus radicales que commandent les temps d'austérité déjà à nos portes ?

Les replis sur la vie individuelle et privée ne comportent-ils pas la dynamique politique d'une affirmation du sujet humain qui vaut pour lui-même, de communautés humaines voulant se prendre en main face aux systèmes, aux pouvoirs qui réduisent la masse anonyme à l'état d'un simple rouage économique et politique ?

Cette reprise des rapports humains les plus fondamentaux, par exemple dans les relations des hommes et des femmes, dans l'affirma-tion de ceux qui n'ont que leurs droits humains pour faire face aux te-nants de la force ou du pouvoir, cette reprise de la vie par ce qu'elle a de plus radicalement humain appelle une société autre dans la foulée des Béatitudes. Non pas une idéalisation de la misère, mais cette conviction que le partage des biens n'est possible que dans le partage de soi, de ce qu'on a de plus humain en soi, à la manière de Celui qui s'est voulu d'abord « un homme pour les autres ». Pour nous chrétiens, la pauvreté n'a de sens que comme creuset d'une générosité sociale féconde, juste, libre et solidaire. C'est là l'autre versant des choses, l'envers du narcissisme à la mode qui est en train de nous isoler les uns des autres.

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Ce choc du besoin et de l'aspiration, de l'épanouissement et du combat, du plus matériel et du plus spirituel n'est-il pas celui-là même des tentations de Jésus au désert : changer les pierres en pain, sans cultiver la terre et partager son blé, sans planter le levain de l'amour et de la justice dans la pâte de l'histoire ? Ces contradictions ont l'avan-tage de faire voir les principaux raccords à effectuer pour en arriver à une véritable communauté humaine qui ne soit pas une caricature du Royaume de justice. Ces contradictions ont aussi l'avantage de susci-ter un incessant renouvellement par-delà des solutions [218] jamais définitives. La liberté évangélique se refuse à tout ce qui ferme et en-ferme.

Certes, nous connaissons le courant froid du durcissement des di-verses tendances qui s'affrontent. Mais en même temps, monte un courant chaud où, par tant de voies différentes, plusieurs cherchent un nouveau chemin d'humanité. Tout se passe comme si, dans la plupart des domaines, nous étions livrés à un acte de foi pour avancer. À la suite de Jésus, nous sommes de cette foi qui éveillait chez l'aveugle ou le perclus, des forces originelles capables d'incroyables dépassements, forces qui échappaient aux évidences du sens commun ou des lo-giques savantes.

Une mémoire subversive

Nous n'allons pas esquisser à nouveau une fresque de notre his-toire, mais tenter d'y débusquer une « mémoire subversive » sous la « lettre morte ».

S'il est un trait commun à l'Église et à la société d'ici dans leur che-minement récent, c'est cette pratique de laboratoire qui a multiplié les expériences et les essais, les changements et les programmes, les structures et les techniques. Cette pratique s'est souvent peu souciée des acquis de l'histoire, de la culture, de l'expérience, du savoir-faire qui existaient déjà. Ce qui nous a valu des institutions de plus en plus abstraites, anonymes, dans lesquelles bien des gens ne se recon-naissent pas. Sans compter ce sentiment de ne pouvoir faire les choses par soi-même, à même sa vie, son propre jugement. Et cela, en dépit

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de toutes les théories à la mode de l'auto développement. D'où un phé-nomène de rejet qui a provoqué le repli sur la vie privée.

Tout se passe comme s'il fallait renverser cette pratique dominante pour aller désormais de l'expérience au modèle, de la vie à la poli-tique, de la pratique chrétienne à la pastorale.

Après avoir remembré les diverses dimensions de sa vie, on cherche maintenant à développer des institutions qui ne soient plus de vastes mécaniques, mais des milieux plus organiques, plus libres, plus féconds.

[219]La quête de nouvelles communautés d'appartenance n'est pas une

mode de passage, mais le prolongement d'une dynamique approfondie dans les projets de vie individuels, dans des expériences où l'on a commencé à faire en petit ce qu'on veut en grand pour la société ou pour l'Église.

Toute entreprise collective ne saurait désormais atteindre une véri-table pertinence sociale ou ecclésiale sans s'inscrire dans ce mouve-ment de fond des sensibilités et des pratiques actuelles. Mouvement qu'on retrouve, d'ailleurs, dans la pédagogie évangélique où les pra-tiques de foi, les spiritualités précèdent rites et codes.

La précipitation de l'histoire au cours des dernières décennies nous fournit un autre repère de discernement et d'action. Ici comme ailleurs, en quelques années, nous avons traversé mers et mondes sans jamais jeter l'ancre. D'où un certain besoin de faire le point, non pas pour freiner la vie, mais pour mieux la relancer. Cette attitude, nous l'avons constatée chez la plupart des chrétiens que nous avons rencontrés.

Oui, nous n'avons été que route depuis un bon moment : éclate-ment de la chrétienté, concile là-bas, Révolution tranquille ici, sécula-risation et mort de Dieu, tâtonnements liturgiques et catéchétiques, pastorales d'ensemble, évangile social, communautés de base, religion nationaliste, mouvements charismatiques, théologie de la libération, révolution féminine, bataille de la confessionnalité... Sans compter les débats moraux bouleversants et une révolution culturelle qui instaure un nouveau procès du christianisme. Tout cela s'est produit en quelques années.

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Quoi faire ? Jeter l'ancre et attendre ? Gagner l'autre rive ? Retour-ner au jardin dévasté d'hier et mieux le clôturer ?

Nous, chrétiens, nous sommes du peuple d'ici, de sa mémoire, de son présent, de son avenir. Nous sommes aussi d'une plus vaste fa-mille spirituelle qui compte plus de 4000 ans d'histoire investie dans tant de peuples et de cultures, avec ses grandeurs, et aussi ses misères.

Nous ne voulons pas d'une Église citadelle close qui ignore tout ce qui est né en dehors d'elle, d'une Église emmurée dans son Code et sa Loi. Nous craignons [220] aussi la possibilité d'émergence d'un bloc politique catholique qui prétendrait dénouer les prochains débats au détriment d'une saine et juste laïcité. Cette question cruciale sans cesse repoussée risque d'être une bombe à retardement. Ce serait défi-nir le monde à partir de son village, et surtout refuser de « soumettre la vivacité de la foi à l'épreuve des contradictions et des diffé-rences... » (Mounier).

Nous nous rappelons l'histoire de ces nombreux chocs bénéfiques que le christianisme a connus quand il passait d'un monde à l'autre. Toujours les chrétiens scandalisés répétaient le vieil aphorisme latin : « ils méprisent ce que nous tenons pour sacré ». Il fallait alors une ra-dicale reconversion du regard pour discerner la Bonne Nouvelle dans la désinstallation de l'Église et dans l'inédit d'un autre âge en gesta-tion.

Cette mémoire subversive ne veut en rien mépriser ceux du dedans ou disqualifier l'Église réelle qui reste et restera pour nous le lieu pri-vilégié de nos sources chrétiennes et de notre appartenance spirituelle. En voulant, de l'intérieur, une Église autre, nous signifions clairement que notre démarche ne cherche pas à bâtir une autre Église à côté. Certes, comme bien des chrétiens, nous nous sentons parfois du de-dans, parfois du dehors ; mais notre engagement de foi passe résolu-ment par l'Église qui l'a fait naître et grandir.

Mise en chantier

Comment vivre cette espérance de l'intérieur sans s'y enfermer, sans abolir ses enracinements dans la société d'ici ? Comment vivre le système souvent scandaleux d'une double loyauté, celle qu'on voue à

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sa terre, à sa cité et celle qu'on consacre à un Royaume qui n'est pas de ce monde ?

Nous allons vivre une foi distincte de la culture où elle a germé, distincte du pouvoir qui l'a cautionnée, distincte de la structure reli-gieuse qui l'a protégée. Il y a en nous « un vieux chrétien » qui, par-delà sa fière fidélité aux Sources, défend des usages, des jugements, des droits acquis qui n'ont pas grand-chose à voir avec ces [221] sources. Il y a aussi en nous un homme nouveau, en rupture, soucieux de découvrir la Bonne Nouvelle dans l'inédit de ce qui advient, mais tenté en même temps de couper sa foi d'après les patrons à la mode du jour. Enfin, il y a en nous la difficulté d'apparier la tendresse et la jus-tice, l'amour et la lutte, la compassion et la dure fonction critique.

Dans ce contexte évangélique et historique qui est nôtre, nous ne voulons pas nous présenter comme les porteurs de la seule bonne ré-ponse, avec un plan précis pour cadastrer et construire l'avenir. Il y faudra des échanges approfondis entre les divers groupes chrétiens et des investissements soutenus, courageux. L'Église cesse d'être une institution arrivée. Elle apparaît davantage comme un projet.

Dans ce dossier de réflexion et de travail, nous avons proposé des priorités, des choix, des lignes d'action. C'était au simple titre de té-moins engagés. Il nous semble qu'il y a place pour de telles paroles singulières dans notre tradition chrétienne. Nous pensons particulière-ment à Vautre parole, celle de la femme, qui porte une critique néces-saire et radicale de l'héritage reçu. L'originalité de cette parole com-mande un champ d'autonomie que nous avons nous-mêmes revendi-qué dans notre propre entreprise. Il y a là une sorte de test de vérité historique pour la reconnaissance ecclésiale de toutes les autres diffé-rences, pour les échanges entre les diverses familles spirituelles en train d'émerger.

D'ailleurs, les différents courants naissants et prometteurs d'Église populaire l'ont rappelé récemment avec une justesse évangélique in-déniable. Avant d'y voir le point de vue d'une idéologie particulière, on ferait mieux de l'accueillir comme une des expressions les plus per-tinentes du Peuple de Dieu, qui a été une clé de voûte du dernier concile, de toute la tradition judéo-chrétienne.

De partout, on cherche à redéfinir les situations humaines les plus fondamentales pour dépasser des scénarios idéologiques de plus en

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plus décalés par rapport aux sensibilités et aux expériences. L'impor-tance des débats éthiques témoigne de cette radicalisation, de cette volonté de renouvellement. Se limiter à en condamner [222] les tra-vers et les erreurs, c'est se rendre incapables d'y repérer les pierres d'attente pour la construction d'un nouvel âge.

Voilà l'attitude de fond qui a inspiré l'ensemble de notre démarche. Celle-ci se prolonge dans des tâches historiques que nous ne préten-dons pas définir à nous seuls. Nous souhaitons vivement que se constituent des noyaux et des réseaux de chrétiens qui dépassent leurs besoins individuels ou communautaires pour ouvrir leur champ de foi à de plus larges appels.

Comme perspective d'avenir, nous retenons l'importance pour l'Église, et surtout pour ses communautés chrétiennes, de devenir un espace de liberté ouvert aux questions les plus cruciales, aux possibles les plus féconds, aux chantiers de justice les plus vitaux. Il se peut que notre Église, dégagée de toute position de pouvoir, soit amenée à jouer des rôles de médiation, comme c'est le cas présentement, dans plusieurs pays du monde, par exemple en Amérique du Sud ou en Po-logne, à cause de ses enracinements historiques, de sa prégnance culturelle, spirituelle et sociale dans ces sociétés particulières. De quelque manière, l'Église québécoise connaît une situation semblable.

Contemporains de cette société incertaine, de ce peuple impossible, de cette époque désespérée, nous nous sommes rendu compte qu'il faut un acte de foi fort difficile pour croire en l'homme, en l'avenir de ce monde, en la possibilité d'une cité fraternelle et égalitaire. Il y a là, chez beaucoup d'entre nous, une espérance plus incroyable que celle qui porte sur l'au-delà.

II. QUELLE ÉGLISE ?

Retour à la table des matières

C'est l'homme qu'il faut sauver, qu'il faut refaire et non d'abord l'Église. Nous croyons cependant que l'Église peut contribuer à cette tâche. Derrière les critiques entendues, derrière les doutes exprimés par les [223] croyants, se dessinent des attentes face à l'Église qui nous apparaissent comme autant de voies pour qu'elle se mette au ser-

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vice de l'homme. Ces voies exigent des changements, qui sont déjà en cours. Elles sont pratiquâmes grâce aux portes ouvertes par Vatican II et par l'évolution de la société québécoise.

Passage d'une Église cléricale à une Église,Peuple de Dieu

Dans la première partie du XXe siècle, l'Église du Québec reposait presque totalement sur ses clercs, ses religieux, ses religieuses. Elle était une Église riche de permanents qui exerçaient l'ensemble des fonctions d'autorité, d'organisation, d'interprétation, de créativité. L'Église, c'était la hiérarchie.

Depuis ce temps, on a certes parlé d'une Église, Peuple de Dieu, de l'importance du rôle du laïc, mais des études réalisées au cours des dernières années nous apprennent que les laïcs identifient encore l'Église et la hiérarchie. Ce qui est peut-être nouveau, c'est que des permanents prêtres, religieux, laïcs ne veulent pas non plus s'identifier à l'Église. Comme le dit Rémi Parent, dans un article récent, l'Église du Québec se trouve sans sujets.

Pour devenir une Église, Peuple de Dieu, il importe que celle-ci repose de moins en moins sur ses permanents, qu'ils soient prêtres ou laïcs, mais sur l'ensemble des baptisés. Cela exige que les permanents, toujours nécessaires, soient d'abord au service de la vitalité des croyants, qu'ils favorisent l'expression de leur foi et la prise en charge par eux-mêmes de leur communauté. Il faudra aussi qu'en Église, on sache découvrir le sens des nouvelles vocations laïques et accueillir les offres de service, sans crainte pour l'orthodoxie et l'autorité.

Si l'on échoue dans ce passage nécessaire, des risques sérieux ne sauront être évités. Les permanents prêtres, de plus en plus âgés et en nombre restreint, deviendront petit à petit des administrateurs à plein temps des biens matériels. Ils seront presque exclusivement au service [224] des pratiquants et à la disposition de ceux qui ont les moyens financiers nécessaires pour défrayer les coûts du culte. Délaissant la mission, ils seront moins des animateurs de la foi, des ministres de la Parole, que des responsables du sacré et du religieux. Sans la partici-

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pation pleine et entière des croyants, l'Église du Québec ne sera plus qu'un vestige.

Passage d'une Église de chrétientéà une Église missionnaire

Jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Église œuvrait dans une atmosphère de chrétienté et d'unanimité. On baignait dans un cli-mat religieux sans grande contestation. Les taux de pratique domini-cale étaient très élevés ; dans certaines paroisses, on pouvait facile-ment dénombrer les non-pratiquants. Le film Les Plouffe nous a re-plongés dernièrement dans cette ambiance. Les enquêtes les plus sé-rieuses réalisées ces dernières années et, dans différents milieux, font conclure à une pratique dominicale de 25 à 30% pour le Québec. Ce taux est nettement plus bas pour les 15 à 25 ans, et on ne revoit pas facilement les premiers communiants quelques semaines après le grand jour de fête paroissiale. Le taux de pratique dominicale n'aug-mentera pas pour la peine dans les années qui viennent.

Nous avons tous beaucoup de difficulté à accepter cette démassifi-cation de la pratique et ses conséquences sur nos façons de concevoir la mission pastorale. Comment faire pour que tous ceux qui ont aban-donné la pratique dominicale entendent l'Évangile ? Comment rendre la communauté chrétienne consciente de cette situation, responsable de la mission, éveillée aux urgences et aux changements nécessaires ? Comment faire connaître à ceux qui s'identifient comme catholiques, mais qui ne pratiquent pas, les nouvelles orientations pastorales quant au baptême et au mariage ? Comment assurer l'accès des jeunes aux sacrements ?

À ces inquiétudes vient s'ajouter la question de l'éducation de la foi et du rôle de l'école. A-t-on le droit [225] de défendre l'École catho-lique comme si 90% des gens étaient des pratiquants ou des croyants conscients ? Il faut envisager d'une nouvelle façon la confessionnalité scolaire, en se posant la question non pas sous son aspect légal, poli-tique ou juridique, mais sous l'angle de la transmission de la foi dans une Église en mission. Comment l'Église peut-elle assurer aux jeunes le soutien et l'accompagnement qu'elle leur a promis le jour de leur

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baptême ? Quels sont les rôles possibles de la famille, de la commu-nauté chrétienne, de l'école ?

Une Église de chrétienté est non seulement une Église d'unanimité et de pratique ; c'est aussi une Église établie. On y partage l'ensemble d'un territoire en paroisses, on investit les secteurs hospitaliers, les services sociaux, le monde scolaire et même le monde du travail. On s'assure que personne, aucun champ de l'activité humaine n'échappent à l'attention de l'Église. On noue un immense filet dont les mailles ne laissent supposément rien échapper. L'Église d'aujourd'hui est confrontée à une tout autre exigence. Elle doit être là où sont la vie et l'événement. Elle est à l'ère des communautés provisoires et de toutes espèces. Elle doit accepter les recommencements et les questionne-ments.

Ce passage d'une Église de chrétienté à une Église de mission ap-pelle créativité, imagination, engagement, disponibilité. Il exige au départ des croyants conscients de la situation du catholicisme et des permanents qui, loin de camoufler les faits, considèrent les croyants comme des adultes responsables.

Passage d'une Église du riteà une Église de la Parole

Au cours des dernières décennies, on a procédé à plusieurs change-ments liturgiques. Mais on a eu beaucoup de peine à vivifier la liturgie de la Parole avec ce qu'elle comporte de méditation, d'interprétation, de partage. On s'est vite enfermé dans un nouveau rituel, passant du rituel romain à celui du Prions en Église. Le renouveau liturgique a connu une certaine stagnation ; on n'a pas su discerner qu'au cœur de la réforme, il y avait [226] la mise en évidence de la Parole qui seule donne sens au rite et permet de rejoindre la vie. La difficulté n'était pas de passer du latin au français, de simplifier et de réorganiser les sacramentaires, mais de faire en sorte que la Parole soit entendue et accueillie avec ce qu'elle comporte d'invitation au changement, à la conversion, à la responsabilité, avec toute sa force et toute son espé-rance. Nous devrons apprendre en Église à vivre désormais coude à

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coude avec la Parole, à la faire partager par l'ensemble des chrétiens, à ne pas la diluer au gré des modes du jour.

D'ailleurs, ce passage du rite à la Parole n'est-il pas souhaité par beaucoup de jeunes et de moins jeunes qui prennent goût à la Bible, qui désirent la mieux connaître, qui aspirent à la fois à une lecture compréhensive et spirituelle de l'Ancien et du Nouveau Testament ? Pour rejoindre le plus grand nombre, il ne suffit pas de multiplier les groupes d'études et de réflexion ; il est nécessaire que, lors des grands rassemblements liturgiques, une attention continue soit donnée à la Parole. Ceci exige, pendant les célébrations, temps, silence et partage. La Parole interpelle et vivifie ; sans la Parole, le rite confirme les gens dans leurs préjugés et sclérose une communauté.

Passage d'une Église des normesà une Église de l'expérience humaine et spirituelle

L'Église a projeté et projette encore l'image d'une Église des normes, des directives, des interdits. Elle ne tient pas toujours compte qu'elle est une Église en marche, un rassemblement de croyants en cheminement. Trop souvent, elle semble se méfier de la conscience adulte, craindre les questionnements et les quêtes de sens, rejeter les acquis des recherches pratiques des croyants. Elle paraît mal à l'aise face au foisonnement des expériences spirituelles.

Pourtant, il y a de plus en plus de personnes de tous âges qui vivent, en dehors des cadres habituels, des expériences spirituelles et religieuses, des expériences [227] humaines riches qui demanderaient un discernement à la lumière de l'Évangile et de Jésus-Christ. Il ne suffit pas de montrer certaines réserves, de catégoriser le permis et le défendu, de chercher à réintégrer l'inédit dans ce que l'on connaît déjà. Il ne faut surtout pas se contenter de trouver tout cela un peu bizarre ou encore de se situer dans un esprit de concurrence. Ce qui est exigé, c'est le discernement de l'expérience elle-même, l'accompagnement attentif de la recherche, l'écoute de ce qui naît et se développe en de-hors des réseaux officiels et des systèmes structurés de pensée, l'ac-cueil à la vie et à l'effort de personnes.

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Passage d'une Église uniformeà une Église plurielle

L'Église a préféré longtemps la conformité et l'uniformité (avec tout ce que cela entraîne de passivité) aux solidarités, aux créativités qui naissent des efforts des croyants de différents milieux pour vivre l'Évangile. Des pas ont été faits à Vatican II pour s'ouvrir aux cultures, aux traditions et aux milieux diversifiés. Mais on est demeuré inquiet face aux phénomènes nouveaux : conférences épiscopales nationales, communautés de base, renouveau charismatique, Église populaire.

Il ne faut pas accepter comme un moindre mal ce pluralisme dans l'Église. Il faut, au contraire, saisir le dynamisme sous-jacent à une Église plurielle, ouverte aux différentes cultures et sous-cultures, aux multiples efforts des hommes et des femmes pour incarner dans la di-versité leur foi en Jésus-Christ. L'Église doit devenir plurielle pour être une Église vivante qui sache célébrer le rassemblement et la ré-conciliation entre les hommes et y œuvrer.

Passage d'une Église d'adaptation au mondeà une Église de participation à la mutation du monde

Avec la venue du concile et de la Révolution tranquille, l'Église du Québec est passée d'une opposition [228] au modèle de la société américaine séculière et libérale à une tentative d'adaptation à ce mo-dèle. Plus ou moins consciemment, les chrétiens du Québec ont vécu cette démarche comme une acceptation des valeurs séculières. De 1960 à 1970, le projet de société était clair : devenir semblable à la société américaine tout en conservant la langue française. Pour sa part, l'Église a sans cesse cherché à s'adapter aux diverses situations, elle a fait siennes les découvertes technologiques et scientifiques au point de ressembler elle-même à une vaste bureaucratie. Elle a cessé d'exercer son rôle critique. Elle a presque accepté pendant un certain temps de se réfugier dans la sacristie. La stratégie d'adaptation à la société qu'elle a adoptée ne pouvait conduire qu'à un échec : lorsque l'on

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s'adapte, on est toujours en retard sur la vie et en dépendance des défi-niteurs de la situation.

Heureusement, le monde sur lequel on s'alignait a été de plus en plus contesté par la contre-culture. Celle-ci a mis en cause l'interven-tion américaine au Viêt-nam, les politiques de développement et d'aide au développement, un certain absolu de la science et de la tech-nique, le matérialisme avec son gaspillage et ses conséquences né-fastes sur l'environnement. Bien plus, l'économie libérale et occiden-tale se trouve soudain déboussolée et les gouvernements sont confron-tés à la gestion pénible de la décroissance et au cycle infernal du chô-mage et de l'inflation. La société à laquelle on s'adaptait est aujour-d'hui fortement contestée.

L'Église a dorénavant à participer au défi de la civilisation et de la mutation de la société, sans verser dans un nouveau cléricalisme et sans espérer une nouvelle unanimité impossible et indésirable. Elle doit élaborer une critique réelle, ponctuelle et constructive de ce qui existe ; ce qui l'amènera à se retrouver souvent en coude à coude avec des gens qui ne partagent pas la même foi, et souvent en opposition à ceux qui cherchent, dans l'Église, la confirmation d'un ordre social qui leur est avantageux. Les croyants de tous les milieux ont à s'engager dans cette tâche et à devenir des agents de transformation sociale à l'intérieur d'un juste pluralisme d'options au sein de mouvements, d'institutions, de partis politiques. Ils doivent pouvoir trouver dans l'Église, [229] un soutien à leur engagement, un lieu de formation à l'autonomie, à la responsabilité et au discernement.

Mais on ne participe pas à pareille mutation de la société sans en être soi-même transformé. Cela vaut pour les personnes, mais aussi pour une institution comme l'Église. On ne peut prendre part au débat sur la place de la femme dans la société sans en reconnaître les exi-gences dans l'Église elle-même ; on ne peut contester la tendance bu-reaucratique et la faiblesse de la participation de la base dans la socié-té sans vouloir que l'Église devienne un atelier pratique d'expériences nouvelles pour combattre ces déficiences en son propre sein.

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Passage d'une Église caution de l'ordre socialà une Église parti pris pour les pauvres

S'il y a, depuis 1960, un secteur où la papauté a joué un rôle déter-minant et novateur par rapport à l'Église du Québec, c'est bien par ses prises de position sur les questions sociales et par son action en faveur des pauvres, particulièrement sous le pontificat de Paul VI. L'Église a appuyé les revendications des pays du Sud ; elle a contesté l'ordre éco-nomique actuel ; elle s'est montrée solidaire avec les luttes de certains peuples tant dans l'hémisphère est, en Pologne, que dans l'hémisphère ouest, en Amérique latine. Cette mise en question d'un ordre qui est injuste tout en se couvrant de légitimité, ce refus de lois économiques qui acceptent comme postulat le chômage et la pauvreté d'un grand nombre, cet appel à la prise en charge des populations par elles-mêmes ont été reçus surtout par des croyants d'ici qui oeuvrent dans les mouvements populaires et dans l'action catholique ouvrière. Ces critiques ont été reprises dans les textes de l'épiscopat. Elles n'ont pas encore marqué de façon significative la majorité des chrétiens qui ont peine à percevoir les liens entre leur foi et les réalités socio-écono-miques.

Dans une société en grave difficulté, où l'on doit réduire les dé-penses et où les tendances des hommes politiques fortement influen-cés par les directives du président [230] Reagan sont de sabrer d'abord dans les revues des plus petits, l'Église du Québec doit prendre d'abord parti pour les pauvres même si on lui reproche parfois ses vi-sées utopiques et son incompétence dans les secteurs économiques et sociaux. Elle doit aller à contre-courant, jouer un rôle prophétique dans l'administration même de ses ressources humaines et matérielles. Si l'Église doit encore jouer un rôle dit de suppléance, ce ne peut être que par une action solidaire avec les classes les moins favorisées.

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Passage d'une Église, pourvoyeuse de services religieuxà une Église, communauté responsable

Au moment où l'on constatait la diminution de la pratique domini-cale et où l'on cherchait à s'adapter aux différentes modes du jour, la tentation était forte de considérer les églises paroissiales comme au-tant de lieux où un personnel spécialisé offrait des services religieux pour une clientèle diversifiée. Un pas de plus et la paroisse devenait un lieu de consommation comme un autre, un type particulier de sta-tion-service à laquelle on référait au besoin pour les baptêmes, ma-riages, funérailles et autres célébrations. Ce piège doit être dénoncé à tout prix. Une action tenace et sans cesse révisée doit se continuer afin de former de plus en plus de communautés paroissiales ou de commu-nautés de base capables de fournir un ressourcement au croyant et d'exercer une véritable responsabilité face à la mission de l'Église.

Ces communautés seront un lieu privilégié de salut de l'homme si elles lui permettent de vivre ses attentes les plus authentiques. Le croyant devra trouver dans ces regroupements un soutien pour des combats efficaces contre les maux les plus profonds de notre société : la solitude, le refus de la gratuité, la discrimination, la priorité de l'ar-gent, l'individualisme, le fatalisme, l'irresponsabilité. Si ces commu-nautés deviennent des laboratoires de la vie en société et de la prise de responsabilité, si elles sont des lieux de fraternité, d'engagement [231] et de célébration, elles contribueront à la qualité du tissu humain de la collectivité et à la dignité des personnes.

** *

Les voies de passages du monde ancien au monde nouveau que nous avons évoquées, et qui sont tant de défis pour l'Église, expriment les espoirs que nous avons décelés chez les croyants. L'appel à la conversion qui ressort de la lecture de la situation présente a déjà été entendu par beaucoup. Des voies de passages ont été franchies, alors que d'autres sont à peine perçues. Nous ne prétendons pas avoir pu cartographier les unes et les autres. Nous sommes conscients des li-mites de notre travail et nous attendons avec impatience que nos diag-

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nostics soient complétés et mis en question, que nos orientations soient enrichies et contestées.

Après deux ans de mise en commun et de réflexion, notre groupe a tenté d'indiquer ce qui semble solliciter les engagements prioritaires des croyants et des communautés afin que l'Église devienne, peu à peu, une communion de communautés vivantes et un lieu de salut. Nous avons voulu dire à quelle Église nous aspirons. Mais nous sommes conscients de partager nous-mêmes les faiblesses de l'Église d'à présent, aussi ne nous érigeons-nous pas en censeurs du dedans, encore moins en censeurs du dehors. Par ailleurs, nous sommes trop attachés à l'Église, et du plus profond de nos cœurs, pour la considérer comme un parti à défendre. Nous lui appartenons par choix, sans honte comme sans complaisance. Nous y sommes libres, d'une liberté qui se voudrait à la mesure de notre fidélité.

LES AUTEURS

[232]

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TABLE DES MATIÈRESTome II ENTRE LE TEMPLE ET L'EXIL

Fernand DUMONT et Jacques RACINE, PRÉFACE II [9]

1 Fernand DUMONT, “CRISE D'UNE ÉGLISE, CRISE D'UNE SOCIÉTÉ.” [11]

I. Crise d'une Église [13]Une question de langage ? [13]Un rendez-vous manqué avec l'histoire ? [17]La recherche d'une identité [21]

II. Crise d'une société [25]Une crise du langage aussi ? [25]Au lendemain de la Révolution tranquille : quelle société ? [28]Une crise morale [33]

III. L'avenir d'une Église [38]Œuvrer parmi les hommes [38]Annoncer l'espérance [42]

2. Paul TREMBLAY, “LE DEVENIR DE LA PAROLE EN CE PAYS.” [49][234]

I. Une transmission incertaine [51]Dans les foyers : le silence [52]Dans les écoles : un rendement aléatoire [53]Dans les paroisses : la rareté de la Parole [54]Une situation problématique [56]La foi insolite [57]La solidarité fondamentale : l'écoute de la Parole [59]

II. La dévaluation de la Parole [60]Le flot des paroles [61]Le triomphe de l'image [62]La primauté de l'action [63]L'invasion des jargons [66]Pour une prise de conscience [68]Économiser la Parole [68]Donner la Parole [71]

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III. La famille et le devenir de la foi [76]Amplitude et longévité de la famille [78]Famille et socialisation [79]Famille et sécularisation [80]Les convictions et pratiques des parents [81]Liberté, recherche, conflit [83]Appui communautaire [84]Accueil de la diversité des familles [86]

IV. L'école et le devenir de la foi [87]Un affluent, mais pas le fleuve [87]L'ambivalence de l'école [89]L'école catholique, un moyen privilégié ? [93]Un choix à confier aux parents [99]

[235]

Fonction sociale de l'école et confessionnalité [102]Retour aux questions de fond [106]

3. Jacques RACINE, “LES CHRÉTIENS ET LA CRITIQUE DE NOTRE SOCIÉTÉ.” [111]

I. Les chrétiens et la société libérale [112]Soumission et consommation [113]Fierté et sécularisation [114]Opposition et retour au passé [116]Mise en question et lutte [117]

II. Difficultés de la critique sociale au Québec [118]Une information indigeste [119]Une opinion manipulée [121]Une confusion des valeurs [122]Incohérence des comportements [124]

III. Des blocages inhérents au catholicisme québécois [125]Une tradition chrétienne qui a du poids [125]Une institution ecclésiale non signifiante [128]

IV. Pour une participation des chrétiens [131]Un ressourcement évangélique [131]Une présence au cœur du monde [134]Des défis pour notre temps [137]Une Église, sacrement du salut en Jésus-Christ [143]

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[236]

4. Jacques GRAND'MAISON, “UNE VOCATION ORIGINALE POUR LE CHRISTIANISME D'ICI.” [145]

I. Le fond de scène [146]Une identité à construire [148]Un profond embarras [151]Notre cible principale [156]

II. Cheminement critique et constructif [158]Une pédagogie du changement historique à revoir [158]Discernement et pertinence [167]Institué et instituant [172]

III. Une redéfinition des rapports de l'institué et des instituants [175]Une clé de compréhension [175]L'Action Catholique [177]La réforme liturgique [178]Le renouveau catéchétique [179]Le discours et les positions éthiques de l'Église [181]Les expériences communautaires [184]Les charismes et les ministères [186]

IV. Nouvel âge et tâches de l'avenir [192]« Voici que je fais toutes choses nouvelles » [193]Quand on n'a que l'Évangile en main [195]Pratiques nouvelles et pédagogie de la foi [196]Spiritualité d'un homme nouveau [202]

QUELLE FOI ? QUELLE ÉGLISE ? [211]Les auteurs

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DANS LA MÊME COLLECTION

DANS LA MÊME COLLECTIONJacques Grand'Maison. Au mitan de la vie . 1976, 210 p._____, Une philosophie de la vie. 1977, 292 p._____, Au seuil critique d'un nouvel âge. 1979, 182 p.Hélène Pelletier-Baillargeon. Le pays légitime. 1979, 254 p.Jacques Grand'Maison. Une foi ensouchée dans ce pays. 1979, 140

p.Guy Brouillet. La passion de l'égalité. 1979, 212 p.Jean-Luc Hétu. Croissance humaine et instinct spirituel. 1980, 212

p.Marie-Magdeleine Carbet. Au sommet, la sérénité. 1980, 128 p.Jean-Marie Dubuc. Nos valeurs en ébullition. 1980, 142 p.Marc Brière et Jacques Grand'Maison. Un nouveau contrat social.

1980, 140 p.Richard Joly. Notre démocratie d'ignorants instruits. 1981, 240 p.Andrée Pilon Quiviger. L'éden éclaté. 1981, 148 p.Jacques Grand'Maison. La révolution affective et l'homme d'ici.

1982, 200 p.Jean-Guy Bissonnette, André Charron, Pierre-André Fournier, Lo-

renzo Lortie, Georges Milot, Marc Pelchat, Jean Picher. Situation et avenir du catholicisme québécois. Milieux et témoignages (tome 1). Préface de Fernand Dumont et de Jacques Racine. 1982, 266 p.

Fin du texte