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    Raymond Lemieuxprofesseur titulaire de sociologie de la religion et d'histoire du christianisme la Facult de thologie et de sciences religieuses de lUniversit Laval

    (1990)

    Le catholicisme qubcois:une question de culture

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel:[email protected] web pdagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    Raymond Lemieux, Le catholicisme qubcois : une question de culture. (1990) 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-MarieTremblay, bnvole, professeur de sociologie au Cgep deChicoutimi partir de :

    Raymond Lemieux, Le catholicisme qubcois: une question de culture.Un article publi dans la revue Sociologie et socits, vol. 22, n 2, octobre1990, p. 145-164.

    M. Raymond Lemieux est professeur titulaire de sociologie de la religionet d'histoire du christianisme la Facult de thologie et de sciencesreligieuses de lUniversit Laval.

    [Autorisation formelle accorde par lauteur le 26 fvrier 2004.]

    Courriel : [email protected]

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition numrique ralise le 24 octobre 2004 Chicoutimi,Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada.

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    Raymond Lemieux, Le catholicisme qubcois : une question de culture. (1990) 3

    Table des matiresIntroduction

    I. Des pratiques connues et mconnues

    1. La pratique dominicale2. Les rites dits de passage3. Les autres pratiques sacramentelles

    II. L'institution catholique: religion ethnique et mobilisations paradoxales.1. Au creux de la culture qubcoise : un catholicisme ethnique2. La crise d'identit3. Un nouveau type de mobilisation

    III. Religion: catholique

    1. Un catholicisme populaire2. Un catholicisme sans glise3. Un imaginaire clat

    Conclusion

    Rsum

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    Introduction

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    Le Qubec n'est plus un pays de chrtient. Personne ne niera pourtant quele catholicisme y reste un fait de culture important. Ses signes extrieurs sontvidents, de la prsence des glises la grandeur du territoire jusqu'aux dbatsconcernant le droit et l'thique, en passant par l'enseignement et le statut des

    coles. Il reprsente toujours la rfrence religieuse normale de la trs grandemajorit de la population.

    L'observation du catholicisme qubcois est cependant une oprationdlicate. Trop souvent dpend-elle d'une sociologie implicite qui, proposantdes vidences, pige le regard de l'observateur. Les proccupations anthropo-logiques s'tant dplaces d'une religion autrefois dominante vers lesproblmes plus centraux de la postmodernit technico-communicationnelle, lasociologie empirique du catholicisme qubcois est devenue une entrepriseparadoxalement sous-dveloppe. Les grandes institutions catholiques (dioc-ses, communauts religieuses, etc.) n'ont plus ni les moyens ni le got des

    enqutes extensives qu'elles entreprenaient ou commanditaient dans lesannes soixante 1. Sauf quelques chercheurs isols, pourvus de moyenslimits, personne n'a pris la relve. C'est pourquoi les opinions courantes rv-lent souvent beaucoup de mconnaissance.

    1 Les dernires en date ont t faites dans le cadre de la Commission d'tude sur les lacs et

    l'glise, dite Commission Dumont. Voir L'glise du Qubec, un hritage, un projet.Rapport-synthse, instruments de travail. Montral, Fides, 1971, 6 tomes.

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    Pour tenter d'y voir un peu plus clair, nous proposons trois dmarches.D'abord, nous nous demanderons ce que signifient les donnes quantitativesdisponibles. Ensuite, nous questionnerons l'histoire rcente pour mieuxdceler les dynamismes socioculturels qui ont agit le monde catholique et qui

    l'inscrivent dans la culture qubcoise contemporaine. Enfin, nous en obser-verons rapidement certaines manifestations actuelles, pour tenter d'en saisir lapertinence sociale.

    I. Des pratiquesconnues et mconnues

    1. La pratique dominicale

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    Il n'est pas sans intrt de suivre l'volution statistique de la pratiquedominicale depuis vingt-cinq ans. On mesure alors la baisse spectaculaire quia caractris cette pratique, pour la situer autour de 35% au dbut des annesquatre-vingt dix, alors qu'elle tait de 85% en 1965.

    Cet effondrement, cependant, n'est un phnomne ni spcifiquementqubcois ni spcifiquement catholique. D'autres pays religion dominante,par exemple l'Italie et l'Angleterre, ont eux aussi connu des phnomnescomparables ceux du Qubec, dans un contexte de remise en question de laplace de la religion dans l'ordre civil 2. Ailleurs au Canada, toutes les confes-sions ont connu une baisse importante dans la mme priode, la pratiquedominicale passant de 60% 27% chez l'ensemble des protestants, et de 79% 49% chez les catholiques hors Qubec 3. Si la chute a t moins spectacu-

    2 Voir ce sujet notamment MARTIN, David, The State, res publica and the Church of

    England , de mme que CIPRIANI, Roberto, Religious influence on Politics in Italydiffused religion ,Actes de la 17e Confrence internationale de sociologie des religions,Londres, 1983 :Religion et domaine public, Paris, Secrtariat C.I.S.R., 356 p.

    3 BIBBY, Reginald'W, La religion la carte, Montral, Fides, 1988, (traduction deFragmented Gods, Toronto, Irwing Publications), p. 35 ss. Chiffres partir de l'Institut

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    laire, c'est que d'une faon gnrale on est parti de moins haut. De plus, laposition sociale traditionnelle des diverses confessions, dans le reste duCanada, n'a jamais t analogue celle du catholicisme qubcois d'avant lesannes soixante.

    Ces chiffres sont les indicateurs les plus superficiels d'une volution qu'ilsclairent finalement assez peu. Ils ne disent rien du sens et de l'effectivit del'appartenance que suppose la pratique dominicale. Ils laissent dans l'ombredes variables importantes qui se rapportent aux rpartitions selon l'ge et lesexe, aux milieux de vie, aux niveaux de scolarit, etc.

    Les taux de pratique sont en effet fort diffrents selon qu'on les observedans les milieux ruraux, dans les petites villes ou dans les grandes, dans lesmilieux suburbains ou dans les centres-villes. L'cart va de plus de 60% moins de 5%. L o les mobilits gographiques, sociales et professionnelles

    sont trs fortes, les taux de pratique sont toujours trs bas. La pratiquereligieuse dominicale, renvoyant la fonction traditionnelle d'encadrementqu'assuraient autrefois les paroisses, est fortement dpendante du degrd'clatement du tissu communautaire et de la capacit effective, pour les indi-vidus, d'intgrer un milieu de vie autre que purement fonctionnel. Ne pas tenircompte de cette ralit, c'est risquer de confondre l'appartenance un milieude vie, milieu auquel la paroisse confre une part de son identit tradition-nelle, et l'appartenance une religion. Ds lors on s'explique mal commentles Qubcois, l'instar des Franais et des Italiens, voire des Anglais (pourl'anglicanisme), continuent de s'avouer catholiques 85% ou 90%, alorsqu'ils affichent des taux de pratique dominicale si bas.

    Des indices prcurseurs de ce phnomne de diffrenciation entre l'appar-tenance la paroisse et l'appartenance la religion taient pourtant djreprables ds les annes soixante. De nombreuses monographies paroissialesen ont fait tat, notant par exemple comment l'implication des paroissiensdans les mouvements paroissiaux diffrait certes en fonction de l'ge et duniveau de vie, mais aussi et surtout en fonction du caractre rcent ou anciende leur implantation physique dans la paroisse 4. Toutes les banlieues desvilles en expansion ont connu cette difficult d'intgrer par l'intermdiaire de

    canadien de l'opinion publique (ICOP) et des propres recherches de l'auteur. Celui-ci

    prsente par ailleurs un panorama gnral des pratiques religieuses canadiennes qui, sanstre exhaustif pour ce qui est du Qubec, en fait toutefois ressortir la spcificit et amorceplusieurs pistes de recherche.

    4 Citons pour exemples les recherches de Paul BLANGER, Les associations paroissialeset la conception de la paroisse St-Jrme-de-l'Auvergne, Qubec, tude prsente auComit de vie paroissiale, 1963, 184 p., de Grard LAPOINTE,La Ct de Beauport. Dela dispersion rurale la banlieue rsidentielle, Qubec, Centre de recherches ensociologie religieuse de l'Universit Laval, 1964, 146 p., de mme que nos propresrecherches, notamment dans la rgion de l'Amiante : LEMIEUX, Raymond, L'glise del'Amiante, Qubec, Centre de recherches en sociologie religieuse de l'Universit Laval,1968, 282 p.

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    leurs institutions traditionnelles, c'est--dire gnralement la paroisse, leursnouvelles populations. Ce fut l le premier effet reprable de l'urbanisation surla religion qubcoise.

    Ces remarques nous indiquent que le catholicisme a quelque chose d'im-portant voir avec la socialisation des Qubcois. Si, selon des donnesrecueillies en 1984, 71% des catholiques canadiens-franais de plus de 61 anspratiquaient rgulirement, alors que dans la catgorie des 18 30 ans ce tauxs'tablissait 30% 5, cela ne reflte-t-il pas aussi le fait que les personnesges ont t soumises des processus de socialisation radicalement diffrentsde ceux que connaissent aujourd'hui les plus jeunes ? 6.

    2. Les rites dits de passage

    Retour la table des matires

    La premire difficult rencontre dans la recherche est inhrente au sensmme des mots. Qu'est-ce que lapratique religieuse ? Qu'est-ce qu'une prati-que rgulire ? En quoi la pratique dominicale est-elle un indicateur privilgide l'appartenance catholique ? Cette appartenance ne se manifeste-t-elle paspar d'autres pratiques que celle du prcepte dominical ?

    Malgr leur caractre disparate, les donnes disponibles mritent attention.Les plus importantes concernent les rites de passage, c'est--dire ces pratiquescollectives qui marquent l'accs des sujets une qualit de vie sociale nou-velle. Le catholicisme, notamment par ses clbrations du baptme, de ma-riage et de la mort, a toujours jou ce rle 7. Explorons-en quelques facettes.

    5 Voir MOL, Hans, The Secularization of Canada , Research in the Social Scientific

    Study of Religion, vol. 1, 1989, pp. 197-215. Cet auteur prsente un tableau comparatif dela pratique religieuse rgulire selon certaines catgories d'ge en 1965, 1974 et 1984,tableau tabli partir d'tudes menes l'occasion des lections canadiennes auprsd'chantillons stratifis de Canadiens aptes voter. On entend ici par pratiquergulire le fait d'aller l'glise au moins deux fois par mois.

    6 Reginald BIBBY et Donald POTERSKI font une lecture rapide mais originale de lareligion des jeunes dans La jeunesse du Canada, tout fait contemporaine . Unsondage exhaustif des 15 25 ans, La fondation canadienne de la jeunesse, Ottawa, 1988,57 p. Pour une tude qualitative on pourra consulter GERMAIN, Elisabeth, Jean-PaulMONTMINY, Jacques RACINE et Rginald RICHARD, Des mots sur un silence. Lesjeunes et la religion au Qubec, Qubec, Cahiers de recherches en sciences de la religion,coll. tudes et documents en sciences de la religion , 1987, 110 p.

    7 Dj en 1969 Colette MOREUX tablit la distinction entre ces rites et les autres dans ladtermination de la religiosit des Qubcois. Voir Fin d'une religion ? Monographied'une paroisse canadienne-franaise, Montral, Presses de l'Universit de Montral, 485p.

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    Les pratiques autour de la mort. Malgr la scularisation vidente desrites familiaux et sociaux qui se droulent dsormais au salon funraire sous lagrance attentive d'un entrepreneur professionnel, la quasi-totalit des Qub-

    cois passe par l'glise l'occasion de la mort d'un de leur proche. Lesthanatologues rencontrs dans la rgion de Qubec 8 valuaient moins de10%, en 1980, la proportion de leurs clients qui ne le faisaient pas, et ilsplanifiaient leurs investissements (chapelles funraires ad hoc, etc.) en vued'un pourcentage optimal ne devant pas dpasser 15%. Les usagers de cesservices non religieux, nous indiquaient-ils alors, comprenaient surtout destrangers et des marginaux, ces derniers tant dfinis comme des personnesdcdes en situation d'isolement social et affectif complet. Une lecturesystmatique des chroniques ncrologiques des quotidiens confirme, en 1989,cette valuation. Toujours dans la rgion de Qubec, la quasi-totalit desbulletins qui y paraissent mentionnent des funrailles religieuses catholiques

    ou protestantes. Autrement dit, les autres n'y sont pas mentionnes.

    Quelles qu'elles soient, les pratiques autour de la mort supposent unecommunaut humaine qui reconstitue ses liens affectifs fondamentaux. Il sem-ble bien que le catholicisme, mme marginalis, continue de prsenter, pource faire, des outils symboliques qu'on n'est pas prt d'abandonner.

    L'accompagnement des mourants, par ailleurs, est devenu un acte techni-que contrl par des spcialistes, le plus souvent en milieu mdical. Dans lesprocdures aseptises que cela suppose, toute intrusion extrieure, ft-elleaffective, n'a de place que dans la mesure o elle contribue positivement la

    logique thrapeutique ou palliative gre par la rationalit mdicale. Lapastorale des malades (qu'on appelle dsormais, par un glissement de voca-bulaire qui est loin d'tre innocent, pastorale clinique) et le sacrement desmourants font dsormais partie de ces contributions exognes. Ils ne sont pasexclus, mais les conditions et les modalits de leur pratique sont souventcontrles par une rationalit qui n'est pas la leur. Dans les meilleurs cas, l'hpital, l'aumnier est considr comme un adjuvant de l'quipe soignante.Son intervention acquiert une allure fonctionnelle. Il doit apprendre tenir saplace et faire la preuve de sa comptence. Dans les pires cas, il est margi-nalis, sinon tout simplement ignor ou appel la dernire extrmit, quandquelqu'un de la famille y pense.

    Le rite du baptme. l'autre extrmit de la vie, la pratique du baptmene connat pas, elle non plus, de baisse notable dans les populations de souchequbcoise, malgr le fait que l'enregistrement des nouveau-ns dans les8 Recherches menes en 1980-81. Voir LEMIEUX, Raymond, Pratique de la mort et

    production sociale , Anthropologie et socit, vol. 6, n 3, 1982, 25-44 ; LEMIEUX,Raymond et Rginald RICHARD (dir.), Survivre... La religion et la mort, Montral,Bellarmin, Les cahiers de recherches en sciences de la religion, volume 6, 1984, 285 p.

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    mairies urbaines se dveloppe. Il n'existe pas de statistiques officielles sur lesujet. Les compilations que nous avons faites partir des registres municipauxet paroissiaux du territoire suburbain l'ouest de Qubec (Sillery, Sainte-Foy,Cap-Rouge, impliquant quatorze paroisses catholiques), donnent, pour l'anne

    1988, 740 baptmes et 348 enregistrements civils. Le total tait de 77 en1978 : il a donc quintupl en 10 ans. Pour connatre le nombre des enfants nonbaptiss, il faut cependant soustraire des enregistrements civils ceux qui ontfait l'objet d'un double enregistrement, soit environ les deux tiers 9. Sur untotal de 836 nouveau-ns enregistrs sur le territoire, on obtient ainsi 96 nonbaptiss, soit 11,5%.

    Ces chiffres ne sont bien sr qu'indicatifs par rapport ce qui pourrait treune tendance gnrale. Il faut noter que la population concerne comprend untaux moyen de mobilit rsidentielle d'environ 10% par an et comporte unedes plus fortes proportions de citoyens d'origine trangre dans la rgion de

    Qubec.

    Le mariage religieux. Pour l'ensemble du Qubec, on a compt en 198824 440 mariages religieux et 9 029 mariages civils 10. La distributiongographique de ces rsultats mrite une attention particulire, quoique lesdonnes disponibles ne permettent pas non plus d'aller trs loin dans leurinterprtation. Montral par exemple, on a enregistr 4 620 mariagesreligieux pour 2 772 civils ; Qubec par contre, 804 mariages civils et 506religieux. Dans ce dernier cas cependant, les territoires civils et religieux neconcordent pas. Les maris civilement Qubec peuvent aussi bien provenirde Sainte-Foy (160 mariages religieux), de Charlesbourg (208), de Beauport

    (206) ou de l'une ou l'autre des municipalits suburbaines, que de Qubecmme.

    Pour valuer la situation du mariage religieux dans la socit qubcoise,les donnes qui le concernent doivent tre mises en regard non seulement dumariage civil mais de l'ensemble de la situation de la famille. Or, la majoritdes foyers au Qubec est dsormais compose de familles soit monoparentalessoit reconstitues. De plus, les unions de fait sont une ralit culturellenormale, pratique par 70% 75% des jeunes de 18 20 ans. En 1988, 33%des enfants sont ns de parents non maris lgalement, taux qui a tripl en 10ans. Au moment du mariage catholique ou civil, la majorit des couples con-naisse dj une vie conjugale active, dans beaucoup de cas depuis plusieurs

    9 Cette estimation ne peut tre faite, dans l'tat actuel des registres d'tat civil, que d'aprs

    les notes inscrites par les officiants en marge des enregistrements de baptme ou lesphotocopies de l'enregistrement civil annexes aux registres des paroisses. Il peutvidemment y avoir eu des oublis.

    10 Les donnes de ce paragraphe et du suivant ont t fournies directement par le Bureau dela statistique du Qubec ou proviennent de sa publication,La situation dmographique auQubec, Qubec, Imprimeur officiel, 1989.

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    annes. Le mariage religieux, ds lors, entrine une situation de fait devantlaquelle les mots d'ordre et les normes catholiques ont peu de poids. D'unefaon gnrale, il s'inscrit dans un contexte tel que sa signification est ambi-gu en tant qu'indicatrice de la qualit de l'appartenance l'glise.

    Pourtant, malgr tous les facteurs qui pourraient tre considrs commedes obstacles la clbration religieuse, celle-ci non seulement perdure maisest l'objet d'une demande constante. Si l'on considre que le nombre desmariages civils comprend tous les cas qui concernent des personnes divorces,on doit conclure que la trs grande majorit despremiers mariages se clbre l'glise et cela, alors mme que les paroisses sont exigeantes : elles proc-dent toujours des rencontres entre les fiancs et un agent de pastorale,donnent des avis qui peuvent aller jusqu'au refus et suggrent, sinon imposent,des sessions de formation prparatoire.

    Au-del de la sociographie, il faut donc se demander quelle est la signi-fication socioculturelle de cette clbration. Or, le mariage religieux, ceniveau, semble consister essentiellement inscrire une situation de fait dansune tradition, alors mme que celle-ci n'encadre plus la vie quotidienne. On yaffiche et clbre la stabilit, d'autant plus que le contexte gnral en est un deprcarit affective. On accorde pour cela la clbration tout le faste et toutela publicit possibles, ractualisant les modes et les symboles les plus tradi-tionnels (chants, vtements, voitures, etc.) et impliquant lesfamilles d'originede chacun des conjoints, familles avec lesquelles les relations ont pu tre,jusque-l, tnues. Pour reprendre le mot de Liliane Voy, le mariage religieuxreprsente alors une tentative de matrise symbolique des liens prcaires 11

    et une qute de lgitimit dans une socit o les identits sont devenuesphmres 12. Il conviendrait d'analyser plus fond sa porte culturelle etaffective pour laborer une sociologie capable de mieux clairer les problmesde construction de la personnalit dans la socit postindustrielle.

    Dans ces rites du mariage, de la naissance et de la mort, ce sont des grou-pes familiaux et affectifs largis qui interviennent, c'est--dire des groupesconstitus de plusieurs gnrations et non seulement du couple, de la famillenuclaire ou d'un groupe d'ge particulier. C'est un des rares lieux, dsormais,o cela se produit. L'essai de matrise symbolique qu'on y trouve ne concernedonc pas seulement, pour les protagonistes, l'intgration d'une socit, maisl'intgration d'une histoire personnelle et sociale. Non seulement la lgitimit11 VOY, Lilianne, Approche mthodologique du sacr , in Cloet, M. et DAELEMANS,

    F. (dir.), Godsdienst, Mentaliteit en Dagelijks Leven/Religion, mentalit et viequotidienne, Archives et bibliothques de Belgique/Archief en Bibliotheekwezen inBelgi, numro spcial, 35, Bruxelles, Actes du colloque des 23 et 24 septembre 1987, p.259.

    12 Idem, p. 261. Voir aussi dans ce sens REMY Jean, Liliane VOY et mile SERVAIS,Produire ou reproduire. Une sociologie de la vie quotidienne, Bruxelles, ditions Vieouvrire, 1982.

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    et la fonctionnalit sont au rendez-vous, mais aussi l'affectivit. Dans ce tra-vail de construction de son identit, l'individu est appel intrioriser lesattitudes et les valeurs des autres envers lui-mme et envers le monde13c'est--dire affirmer symboliquement sa place dans une socit qui ne se rduit

    plus seulement unpeer group, mais qui se reprsente comme une traversede l'histoire.

    La religion est dsormais un des rares lieux o cela reste possible. On n'adonc pas se surprendre que la pratique des rites intgrateurs qui viennentd'tre voqus n'ait pas connu de chute comparable celle de la pratiquedominicale. Se dessine ainsi un catholicisme paradoxal, puisqu'il ne se conju-gue plus une vie religieuse quotidienne bien qu'il reste toujours trs enracindans la culture.

    3. Les autres pratiques sacramentelles

    Retour la table des matires

    On possde encore moins de donnes sur les autres pratiques sacramen-telles. On sait que la pnitence a t la premire des pratiques traditionnelles connatre la crise dans les annes soixante. Bien que l'institution catholique aittravaill srieusement en transformer l'image de tribunal pour favoriserune approche en termes d'accueil, et quoiqu'elle ait renouvel sa thologie dupardon, elle n'a pas russi rendre populaire l'aveu des fautes, personnelles oucollectives. De plus, cette pratique, selon tous les tmoignages recueillisdepuis vingt ans, se heurterait une perte gnrale du sens de la culpabilitdans une socit dont la rgulation sociale, s'effectuant sous mode de contrledes performances, insiste davantage sur les capacits fonctionnelles et lesavoir-faire que sur la responsabilit personnelle. La pratique subsiste, sousdes formes diverses, pour une partie des chrtiens proches de la vie del'glise, de mme que dans les lieux de plerinage et les monastres. Maisaucune donne ne permet d'en valuer correctement la ralit concrte.

    La confirmation, qu'il faudrait considrer aussi comme un rite d'initiationmarquant le passage la maturit dans la foi, mais associ l'accs

    13 HADDEN Jeffrey K., The Gathering Storm in the Churches, New York, Double day,

    1969, 211 ss. Voir aussi, sur le thme gnral de la construction de l'identit, MOL, Hans,Faith and Fragility (Religion and Identity in Canada), Burlington (Ont.), Trinity Press,1985.

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    l'adolescence, a t jusqu'ici strictement lie l'enseignement religieux scolai-re. De nouvelles procdures viennent d'tre dfinies pour rserver davantagede responsabilits aux paroisses dans sa prparation et sa clbration. On peuten attendre un certain renouveau mais il est trop tt pour en observer les

    consquences.

    Certes, il ne faut pas rduire le catholicisme ses seules pratiques sacra-mentelles. Cependant, si les sacrements sont bien, selon la thologie la plustraditionnelle, des signes sensibles, on ne saurait ngliger non plus leur portesmiologique, c'est--dire ce en quoi ils sont prcisment faits pour inscrireune ralit dans la vie sociale. Au-del des donnes quantitatives traverslesquelles nous en observons la pratique, nous sommes donc invits nousdemander quel type de catholicisme est dsormais celui du Qubec.

    II - L'institution catholique :religion ethnique et mobilisations

    paradoxales.

    Retour la table des matires

    Les chiffres dont nous avons fait tat n'auront surpris personne. Que lespratiques ne soient plus unanimes, que leur sens ne soit pas vident, c'est lsimplement l'tat de question initial d'une crise dont la problmatique habitedepuis trente ans tous les discours sur le catholicisme qubcois. Quand oncompare l'tat actuel la situation antrieure, quelque peu mythique, o il yaurait eu unanimit des pratiques, on ne peut que parler d'effritement, d'cla-tement, voire d'effondrement. Or cette crise met en cause, essentiellement,l'institution catholique14, c'est--dire non seulement l'glise dans ses cadres et

    ses structures d'autorit, mais ce en quoi le catholicisme s'inscrit dans laculture, au niveau mme des mentalits et des attitudes fondamentales desQubcois.

    14 Nous entendons par institution tout systme d'change rel, imaginaire et symbolique

    rendant compte de rapports sociaux en un lieu et un temps donn . Voir LOURAU,Ren,L'instituant contre l'institu, Paris, Anthropos, 1969, p. 172.

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    Il est impossible d'aller plus loin dans l'analyse des mentalits sans tenircompte de l'histoire, de la place qu'y tient le catholicisme, et surtout del'imaginaire qu'on produit, aujourd'hui encore, de cette place. Comment, eneffet, comprendre l'inscription actuelle du catholicisme dans la culture sans la

    mettre en regard de son inscription ancienne, c'est--dire sans relire etinterprter cette dernire ?

    1. Au creux de la culture qubcoise :un catholicisme ethnique

    Retour la table des matires

    La socit, dit Henri Desroche, ne cre une religion que dans la mesureo la religion lui permet de se crer elle-mme 15. Les rapports entre religionet socit prsentent une ambivalence incontournable et on ne saurait, selonDurkheim, trouver l'une sans l'autre. Il s'agit cependant moins ici d'expliquerla socit qubcoise par son catholicisme, que d'expliquer les qualits pro-pres de ce catholicisme lui-mme par l'volution de la socit qubcoise.Spontanment, on a plutt l'habitude de faire le contraire : toutes lespoques, on a invent des mythes pour fonder la vision du monde que celasupposait : des origines mystiques et de la vocation providentielle du

    Canada franais, cls de vote du discours triomphaliste et clrico-conservateur 16, jusqu' la scularisation et la grande noirceur , thmescentraux du discours critique de la Rvolution tranquille, en passant par la priest ridden Province de la drision anglo-canadienne.

    Utilisant les travaux de nombreux sociologues 17, l'historien Martin E.Marty a propos un certain nombre de catgories sociohistoriques susceptibles

    15 DESROCHE, Henri, Sociologie religieuse et sociologie fonctionnelle , Archives de

    sociologie des religions, n 23, janvier-juin 1967, p. 3-16.16 Outre les uvres de Lionel GROULX, dont son Histoire du Canada franais depuis la

    dcouverte (Montral, Fides, 1960), il faut lire pour s'en faire une ide juste l'essai

    historique de George GOYAU, Les origines religieuses du Canada. Une popemystique, Montral, Fides, 1951, 301 p. et le fameux discours prononc par HenriBOURASSA lors du Congrs eucharistique international de Montral en 1910, dont letexte a t redonn par Le Devoir le 11 fvrier 1950 (voir TRUDEL, Marcel, GuyFREGAULT et Michel BRUNET, Histoire du Canada par les textes, Montral, Fides,1952, p. 235). Plus loin encore, on consultera l'uvre du sulpicien FAILLON, Histoire dela colonie franaise en Canada, parue Paris et Montral en 1865-66; voir ce sujetROUSSEAU, Louis, La naissance du rcit mythique des origines qubcoises ,Studies in Religion/Sciences religieuses, vol. 3, n 2, 1973, p. 152-165.

    17 A Nation of Behavers, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1976, 238p.

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    d'clairer l'inscription de la religion dans la socit amricaine. La premired'entre elles est ce qu'il appelle la religion ethnique, terme dsignant unesituation o il y a correspondance entre l'appartenance ethnique et les carac-tristiques religieuses des citoyens. Prvalente ds l'poque coloniale 18, cette

    situation a continu de marquer les vagues migratrices subsquentes auxtats-Unis : tre Irlandais de New York ou de Chicago au XXe sicle veutdire tre catholique, comme le citoyen de Plymouth (Mass.) au XVIIIe sicletait puritain, et le propritaire terrien de Virginie tait anglican. Dans larupture par rapport au pays d'origine, la religion s'est ainsi constitue garantedu dsir d'implanter dans le nouveau monde des traits de culture originaux.Elle a alors donn profil une identit nouvelle nationale-religieuse, c'est--dire une identit nationale exprime essentiellement par les discours, les riteset les symboles d'une religion institue.

    La situation de la Nouvelle-France, marque elle aussi de forts courants

    mystiques, a t certes proche, bien des gards, de celle des Plerins de laNouvelle-Angleterre. L'histoire a cependant diverg par la suite.

    Aux tats-Unis, avec les mlanges subsquents des populations, l'urbani-sation et surtout la constitution autonome de l'tat, on est vite pass unereligion dnominationnelle o non seulement les confessions ont reprsentdes systmes d'influence en concurrence les uns avec les autres 19mais o ladfinition mme de l'identit des citoyens a transit de l'ethnicit l'entrepriseconfessionnelle. Puis, dans un troisime temps, on est pass la constructiond'une identit nationale prenant support sur une vritable religion civile, faitede valeurs et parfois de symboles emprunts au substrat (mainstream

    religion) des grandes confessions 20. Cette religion civile, dont le concept estemprunt Will Herberg 21et Robert N. Bellah 22, repose sur la sublimationde la nation et a comme enjeu la construction de l'homognit sociale 23. Par18 Il faut se souvenir que dans neuf des treize colonies la religion a t tablie par la loi.

    Voir. MARTY, Op. cit., p. 4.19 Les Cantons de l'Est ont fourni au Qubec un exemple de cette situation. Encore

    aujourd'hui, on y trouve des villages o trois, parfois quatre glises se font face, tel cepetit bourg de Kinnear's-Mill, dans les environs de Thetford-Mines.

    20 Tout d'abord, les grandes confessions protestantes et issues de l'anglicanisme, auxquellesse sont ajouts les catholiques romains dans la pousse migratrice de la premire moitidu sicle, puis les juifs l'occasion de la Seconde Guerre mondiale.

    21 Protestant-Catholic-Jew : An Essay in Amerian Religious Sociology, New York, Garden

    City, 1955.22 Civil Religion in America , Daedalus, vol. 96, n 1 (hiver 1967) ; American CivilReligion in the 1970s , in RICHEY, Russell E. and Donald G. JONES (eds), AmericanCivil Religion, New York, Harper & Row, 1974.

    23 [Civil Religion] is an organic structure of ideas, values, and beliefs that constitutes afaith common to Americans as Americans, and is genuinely operative in their lives ;...Sociologically, anthropologically, it is the American religion, underguiding Americannational life and overarching American society. ...And it is a civil religion in the strictestsense of the term, for in it, national life is apotheosized, national values are religionized,national heroes are divinized, national history is experienced... as a redemptive history (HERBERG, Op. cit., p. 90).

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    la suite seulement, on serait autoris parler de religion sculire 24, de reli-gion de l'identit 25et enfin, avec Thomas Luckmann, de religion invisible26.

    Sauf dans certaines rgions comme les Cantons de l'Est et d'autres hors du

    Qubec, le Canada franais a peu connu de vritable concurrence dnomina-tionnelle ; c'est plutt un rapport d'tranget et de chauvinisme qui s'estinstall entre la culture paysanne francocatholique et la culture bourgeoiseanglicane ou anglo-protestante 27. Sauf certaines vellits rvolutionnaires viterprimes au XIXe sicle comme au XXe, il n'a pas connu non plus dereligion civile 28.

    Si l'on applique rigoureusement le concept de religion ethnique auCanada, on doit convenir que c'est moins sous le Rgime franais que lecatholicisme a jou ce rle, mme si la prsence d'une glise rformatrice ettridentine y a laiss des marques profondes, qu'aprs. la Conqute britannique.

    Le vacuum cr par le dpart des lites civiles a alors permis l'glise,pourtant pauvre pendant tout le sicle qui a suivi 29, de se constituervritablement en glise nationale et de porter au monde la notion mme denationalit canadiennefranaise. Cette religion ethnique a alors t le fait d'unenationalit minorise, c'est--dire dsapproprie des signifiants politiques deson identit. L'glise, comme elle le fait encore aujourd'hui dans d'autressocits nationalit minorise telles l'irlandaise et la polonaise, a fourni lelangage, les signifiants et parfois les outils politiques de l'identit nationale.

    24 Religiocification of Secular Humanism . Voir MARTY, op. cit., p. 14.

    25 The ways in which belief and social behavior are linked in citizens expressions ofloyalty to various religious clusters or movements (MARTY, Op. cit., p. 8).26 The Invisible Religion: The Problem of Religion in Modern Society, New York,

    Macmillan, 1967. The continuous dependency of the secondary institutions onconsumer preference and, thus, on the private sphere makes it very unlikely that thesocial objectivation of themes originating in the private sphere and catering to it willeventually lead to the articulation of a consistent and closed sacred cosmos and thespecialization, once again, of religious institutions. ...We are observing the emergence ofa new social form of religion characterized neither by diffusion of the sacred cosmosthrough the social structure nor by institutional specialization of religion (p. 104-105).

    27 SAVARD, Pierre, Aspects du catholicisme canadien -franais au XIXe sicle, Montral,Fides, coll. Essais et recherches, section histoire, 1980, 196 p. ; La vie du clergqubcois au XIXe sicle , Recherches sociographiques, vol. VIII, n 3, 1967, pp. 259-273.

    28 MARTY note lui-mme que le Canada n'a jamais connu de vraie religion civile. Sur les

    rapports entre le nationalisme et l'glise au Qubec, on lira notamment le livre de JacquesGRAND'MAISON, Nationalisme et rel igion, tome 1, Nationalisme et rvolutionculturelle, Montral, Beauchemin, 1970, 221 p., et le postface de Guy BOURGEAULT, L'glise et les nationalismes qubcois , au livre de Pierre CHARRITON, Le droit despeuples leur identit, Montral, Fides, coll. Hritage et projet 23, 1979, pp. 193-214.

    29 SAVARD, Pierre, Op. cit. ; voir aussi du mme auteur, Aspects du catholicismecanadien-franais au XIXe sicle, Montral, Fides, coll. Essais et recherches, sectionhistoire, 1980, 196 p. Sur le plan quantitatif, la rfrence est toujours celle de Louis-Edmond HAMELIN, L'volution numrique sculaire du clerg catholique dans leQubec ,Recherches sociographiques, Vol. II, n 2, avril-juin 1961, pp. 189-241.

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    Cela s'est fait d'abord dans la reconnaissance et la ngociation des intrtscommuns de la hirarchie catholique et du gouvernement militaire, qui avaienttous deux besoin d'assurer la paix sociale pour poursuivre leur mission. On aassist alors ce paradoxe d'un colonisateur occupant antipapiste qui a tolr

    et parfois favoris ce qui aurait t impensable dans sa mre patrie: une hirar-chie ultramontaine. Rome devenait ainsi une paradoxale garantie contre laFrance aristocrate, rvolutionnaire ou bonapartiste 30. Cela s'est fait ensuite travers les rpressions successives de toute vellit d'affirmation d'une bour-geoisie librale nationale, dans la premire moiti du XIXe sicle. Puis, partir de 1867, le pacte confdratif l'a entrin en disposant des comptencesprovinciales et fdrales de telle faon qu'aux provinces ont t dvolus deschamps o lglise, devenue institution d'encadrement du peuple 31, a pudvelopper librement son influence et retarder d'autant sa confrontation lamodernit 32. Ces champs, d'importance politique mineure l'poque, sont lesressources naturelles, l'ducation et les affaires sociales.

    Le catholicisme qubcois est ainsi tributaire d'une sociohistoire politiquequi l'a profondment marqu, jusqu' lui donner son caractre triomphaliste dela premire moiti du XXe sicle. Le clrico-conservatisme, cette idologiequi a fait du pouvoir des clercs la condition de survie de la nation, en a tl'expression sinon la plus fine, du moins la plus autorise.

    2. La crise d'identit

    Retour la table des matires

    Nul besoin d'insister ici sur les effets de l'urbanisation et de l'industrialisa-tion sur ce catholicisme national 33. Les premiers signes en ont t tangibles

    30 Mgr BRIAND lui-mme pouvait crire en 1775: Le gouverneur m'aime et m'estime ;

    les anglois m'honorent. ...La pit rgne parmi le peuple plus que du tems desfranois... (sic), De concert avec le gouverneur Carleton, il tentera de garder secrtela bulle d'abolition des jsuites... : Les conqurants demandent le bien de ces religieux

    je veux le conserver l 'glise et notre aimable gouverneur me soutient en cela. Lettre deMgr BRIAND, vque de Qubec, le 10 mars 1775, extrait reproduit dans TRUDEL,Marcel, Guy FRGAULT et Michel BRUNET, Histoire du Canada par les textes,Montral, Fides, 1952, p. 124.

    31 LINTEAU, PA., R. DUROCHER, et J.-C. ROBERT, Deux institutionsd'encadrement , ch. 12, extrait de Histoire du Qubec contemporain, Qubec, BoralExpress, 1979, pp. 229-250.

    32 TURCOTTE, Paul-Andr, L'enseignement secondaire public des frres ducateurs(1920-1970). Utopie et modernit, Montral, Bellarmin, 1988, 220 p.

    33 Voir le premier chapitre intitul Arriver en ville, 1939-1950 , de Jean HAMELIN, Op.cit., 1984, pp. 12-108.

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    ds l'entre-deux-guerres, dans la naissance des mouvements ouvriers, puissurtout lors de la grve de l'amiante en 1949 34 et travers l'volution dusyndicalisme catholique lui-mme 35. Grard Pelletier a pu annoncer pour s'enattrister, ds 1960, feu l'unanimit 36. L'effritement du clricalisme par la

    suite a t l'effet et le produit de deux vnements indissociables pour lecatholicisme qubcois: le concile Vatican Il et la Rvolution tranquille.

    La premire consquence de l'urbanisation a t la lente closion, puis lamonte politique de catgories sociales nouvelles. Les styles de vie de cesdernires ne sont pas rductibles ceux de la bourgeoisie du XIXe sicle,lettre et anticlricale. Le XXe sicle a plutt produit une petite et moyennebourgeoisie d'affaires en lutte constante pour son progrs social, moinsanticlricale qu'indiffrente aux dbats des clercs qui ne la touchaient gure.Les intellectuels n'y ont pourtant pas t au dernier rang: ils en ont port, enquelque sorte, la conscience. S'ils se sont permis, comme leurs pres, d'tre

    anticlricaux, cela aura t cependant moins par crainte des clercs que pourlgitimer leur propre place de nouveaux dfinisseurs de situation en accusantd'obscurantisme ceux qui les ont prcds.

    Quand cette bourgeoisie nouvelle fut en mesure, avec la Rvolution tran-quille, de se donner les leviers politiques ncessaires la ralisation de sesaspirations, le nationalisme a cess de transiter par les symboles et les pou-voirs religieux pour s'inscrire directement sur la scne politique. Le Qubec(qu'il faut dsormais distinguer du Canada franais) est alors pass directe-ment de la religion ethnique, sauvegarde de son identit nationale minorise, la religion sculire, moteur de son dynamisme nouveau, remplaant ses

    cadres de rfrence catholiques par les dogmes de la technique, la gnose duprogrs 37et la mystique de la scularisation 38. L'glise a d se dpartir ducontrle des secteurs principaux o son influence s'exerait directement sur lasocit : l'ducation (cration du ministre de l'ducation en 1964), lesaffaires sociales (1966), la colonisation (abolition de l'office diocsain decolonisation en 1965). Pour l'institution catholique, ds lors, la Rvolutiontranquille a signifi la dsappropriation de son discours socio-politique et la

    34 DAVID, Hlne, La grve et le Bon Dieu : la grve de l'amiante au Qubec ,

    Sociologie et socits, vol. 1, n 2, novembre 1969, pp. 249-276.35 ROUILLARD, Jacques, Mutations de la Confdration des travailleurs catholiques du

    Canada, 1940-1960 , in BOISMENU, MAILHOT et ROUILLARD, Le Qubec entextes, 1940-1980, Montral, BoralExpress, 1980, ch. 27.36 Le temps n'est pas loin, je crois, o l'unanimit canadienne-franaise sur des questions

    comme le divorce aura cess d'exister ; o, mme publiquement, des posit ionschrtiennes fondamentales, des vrits de foi seront contestes ; ... o l'me de notrepeuple apparatra divise . PELLETIER, Grard, Feu l'unanimit , Cit Libre(nouvelle srie) XIe anne, n 30, octobre 1960, pp. 8-11.

    37 MNARD, Guy et Christian MIQUEL, Les ruses de la technique, Montral, Boral,1988, 298 p.

    38 DION, Grard, La scularisation dans la socit qubcoise , Perspectives sociales,volume 22, n 1, janvier-fvrier 1967, pp. 1-13.

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    ncessit d'apprendre, quelquefois malgr elle, des rles nouveaux renvoyantles fidles eux-mmes leur autonomie. Ce catholicisme discret 39 cacheraalors une profonde crise d'identit.

    Les vingt-cinq dernires annes d'histoire du catholicisme qubcois sontcelles d'une glise en qute d'une mission qui lui soit propre. Cela s'est faitd'abord par les rformes de la liturgie, de l'enseignement et des communautsreligieuses, dans une idologie de l'adaptation : comment transmettre lemessage dans une culture qui lui est devenue trangre ? Cela s'est traduitensuite par la recherche de nouveaux terrains d'action. Mais cela s'est surtoutmanifest de faon symptomatique par la chute radicale des vocations et ledpart de nombreux membres du clerg sculier et des communauts reli-gieuses entre 1967 et 1977. Dpourvue de ses fonctions d'encadrement,l'institution catholique voit ses cadres eux-mmes la dserter, puis ceux quirestent vieillir sans tre remplacs.

    3. Un nouveau type de mobilisation

    Retour la table des matires

    Dans la mme priode pourtant, la crise s'est conjugue une crativitremarquable.

    Le mouvement catchtique, ds les annes soixante, en a reprsent unesorte de prototype. L o l'enseignement religieux s'tait toujours fait sousmode de transmission d'un savoir lgitim par une autorit et formul dansdes propositions fermes, il a le premier inscrit dans l'cole une pdagogieexprientielle, supposant que l'enfant dcouvre les ralits du christianismenon plus partir de dfinitions dogmatiques (par questions/rponses commedans le petit catchisme) mais travers l'exprience vcue. Dieu est ainsipropose comme amour partir de l'exprience de l'amour, comme Pre partir de l'exprience du pre, etc.

    En proposant cette mthode, on entendait bien, en 1964, ne pas toucher aucontenu de l'enseignement : il s'agissait de trouver un nouveau langage, des'adapter des sensibilits dites nouvelles. videmment - et cela se fera mesure qu'on introduira les nouveaux manuels dans le systme scolaire au

    39 DENAULT, Bernard, Un catholicisme discret , in Yvon DESROSIERS (dir.),

    Religion et culture au Qubec. Figures contemporaines du sacr, Montral, Fide, 1986,pp. 153-168.

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    cours des dix annes subsquentes - on dcouvrira assez vite le caractre uto-pique de l'entreprise. D'abord, l'exprience propose l'enfant n'est pas nces-sairement celle qu'il trouve dans son milieu familial non plus que dans sonmilieu paroissial. Il est vite vident que la catchse scolaire est en porte--

    faux par rapport aux parents et au clerg qui n'y trouvent plus ce qu'ils onteux-mmes appris et exprimentent en consquence une nouvelle rupture detradition. Les matres, nouveaux dtenteurs du savoir, sont mis en position decatchiser les parents et... le clerg 40. Leur comptence n'est Pourtant pastoujours vrifie : il arrive qu'ils n'aient ni la comprhension de la mthode, niles convictions personnelles adquates pour en mener bien les objectifs. Ilsauront alors tendance rduire le contenu de leur enseignement leur propreexprience religieuse, positive ou ngative. ct de ses contenus objec-tifs tels que dfinis par les autorits ecclsiales, la catchse comporteradsormais des contenus culturels , ceux d'une culture religieuse en voied'clatement, et des contenus enseigns , ceux que vhiculent les ensei-

    gnants, souvent mi-chemin de l'orthodoxie et de l'htrodoxie 41. En intro-duisant la ralit de l'exprience dans l'enseignement religieux, on y fait entrerdes dimensions qui chappent au contrle de l'institution qui prne pourtant cechangement 42.

    Le mouvement communautaire a rpondu un autre impratif. Il a prisson essor l o la vie sociale a t le plus profondment marque par ladispersion des communauts naturelles et l o le catholicisme est devenu leplus permable la rationalit technique d'une socit modernise, c'est--diredans les milieux urbains intellectualiss. Il y a traduit essentiellement l'insa-tisfaction devant les rponses que l'institution catholique tait en mesure de

    proposer aux aspirations de fidles devenus distants, et le vide ressenti par cesmmes personnes dans une socit qui mne l'absurde. La critique ecclsiales'est allie ici une critique sociale.

    Les quelques centaines de communauts de base qu'a comptes le Qubecau dbut des annes soixante-dix, inspires la fois du catholicisme latino-amricain et des mouvements contestataires de la socit amricaine, se sontdfinies comme des groupes affectifs et slectifs proposant une appropriationnouvelle des traditions chrtiennes, appropriation susceptible de redonner unsens la vie et parfois mme d'articuler un engagement sociopolitique.

    40 LEMIEUX, Raymond, L'enseignement catchtique l'lmentaire dans le Diocse de

    Qubec, Qubec, Centre de recherches en sociologie religieuse, 1970, 330 p.41 LEMIEUX, Raymond, Catchse objective, catchse culturelle et catchse ensei-

    gne , Social Compass, XVII, 1970/3, pp. 403-423.42 Sous la pression des dbats qui ont pris l'allure d'une guerre des catchismes dans les

    mass media, les vques du Canada mettront sur pied en 1974 une commission d'tudecompose de thologiens, de pdagogues et de sociologues, pour valuer cette nouvellecatchse dont on se demande encore, aprs dix ans, si elle est vraiment catholique.

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    Ces communauts ont pris toutes les formes possibles : certaines ontaccept le leadership d'agents ecclsiaux autoriss, d'autres ont t complte-ment coupes de tout lien institutionnel. Certaines ont insist sur l'appro-fondissement doctrinal, d'autres sur la clbration, d'autres enfin sur l'insertion

    dans des milieux de vie. Certaines ont propos des formules aussi simples etpeu directives qu'une runion d'tude hebdomadaire, d'autres la mise en com-mun des ressources matrielles, de l'habitat, des responsabilits ducatives deleurs membres, etc. Mais dans tous les cas, leur utopie, rinventer l'glise,rinventer la socit 43, a contribu inscrire dans l'institution catholique aumoins un vocabulaire nouveau, celui de la communaut, dsignant le partaged'une exprience pourvue d'une identit sociale spcifique, et cela au pointque les paroisses traditionnelles elles-mmes, prises de court, se sont mises s'appeler, par extension, communauts chrtiennes 44.

    Le mouvement charismatique, dans un troisime temps, a mis en scne

    un autre type d'exprience. N lui aussi en dehors des traditions catholiquesd'ici, dans les milieux pentectistes amricains de l'entre-deux-guerres, il estapparu au Qubec sous l'influence de clercs qui en ont fait la prdicationitinrante. Malgr la dfiance initiale de la hirarchie, son succs a tfulgurant: le nombre de groupes de prire est pass de 45 301 entre 1973et 1975 45, dans une expansion d'autant plus spectaculaire que l'effervescencesymbolique qu'ils mettaient en scne prsentait des potentialits mdiatiquesintressantes. Dans l'utopie qui lui est propre: recours l'Esprit, glossolalie,reconstitution des liens affectifs, le mouvement charismatique s'est pourtantexprim dans un langage apolitique, au moins superficiellement 46. Cependant,par la nature mme de sa clientle compose de femmes ges, de clercs

    minoriss et de jeunes, il a pris une signification sociopolitique qui, pour treparadoxale, n'en est par moins relle, offrant des catgories socialesdpourvues de pouvoir et dsappropries de leurs capacits symboliquestraditionnelles une identit nouvelle et un lieu de parole original 47.

    43 LGER, Danile, Les communauts chrtiennes de base . tudes, fvrier 1976, pp.

    283-294.44 Il ne s'agit videmment pas seulement d'un glissement de vocabulaire, mais de la

    ncessit de formuler une ecclsiologie de la paroisse qui tienne compte des ralitssociales qui en forment le substrat. Les premires propositions dans ce sens ont t faitespar Fernand DUMONT ds la naissance de la revue Communaut chrtienne en 1962,

    revue qui a soutenu intellectuellement pendant vingt-cinq ans les efforts de renouveau ducatholicisme qubcois. Voir DUMONT, Fernand, La paroisse, une communaut ,Communaut chrtienne, vol. 1, n 1, janvier-fvrier 1962, pp. 21-30.

    45 ZYLBERBERG, Jacques et Jean-Paul MONTMINY, Reproduction socio-politique etproduction symbolique : engagement et dsengagement des charismatiques catholiquesqubcois , The Annual Review of the Social Sciences of Religion, Vol. 4, 1980, p. 138.

    46 CHAGNON, Roland, Les Charismatiques au Qubec, Montral, Qubec/Amrique,1979, 211 p.

    47 ZYLBERBERG, Jacques et Jean-Paul MONTMINY, L'Esprit, le pouvoir et lesfemmes. Polygraphie d'un mouvement culturel qubcois ,Recherches sociographiques,XXII, 1, janvier-avril 1981, pp. 49-103.

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    partir de 1975, mme si ses congrs annuels pouvaient attirer plusieursdizaines de milliers de personnes, le mouvement charismatique s'est peu peuintgr aux structures ecclsiales officielles sous forme de groupes de prirecontrls par des agents ecclsiaux reconnus. Cette routinisation a alors res-

    treint ses capacits mobilisatrices, tout en lui confrant un caractre institu-tionnel organique 48.

    Ces mouvements, malgr leur visage htroclite, ont plusieurs traits com-muns. Ils proposent tous, au cur de la crise, une utopie: rinventer la qualitde la vie religieuse et l'inscrire dans le vcu. Ils mobilisent les consciencesdans une stratgie de reconnaissance, en premire ligne, de l'exprience. Ils sedonnent tous comme but de cultiver cette exprience, de la rendre explicite, etsurtout de l'approfondir. L'institution catholique telle que traditionnellementinscrite dans le paysage qubcois est ds lors confronte une ralitnouvelle, une ralit qui lui chappe : l'exprience faite par des fidles autono-

    mes qui, individuellement, sont appels s'approprier une religion qui nesaurait plus s'imposer mais prtend d'abord tre vcue.

    Si leurs mthodes diffrent, dans tous les cas ils font cependant clater lesfrontires de l'institution catholique et son imaginaire. Ils y incorporent deslments jusque-l inconnus ou marginaux : lectures bibliques, partagesaffectifs, appropriation du corps, motion, voire extase. Ils s'inspirent toutautant de traditions exognes qu'endognes. Quoique fidles l'glise dont ilsreprsentent parfois un idal quelque peu romantique, ils chappent auxclercs. Quand ces derniers les rejoignent, ils le font aussi au nom d'uneexprience rendue possible et dont ils se sentent eux-mmes dsappropris.

    Autrement dit, au moment historique o s'instaure une problmatique de sortiedu catholicisme institutionnel, mergent de nouvelles appropriations de cedernier. Ces appropriations, rendant obsolte la distinction clerc/lac et poreu-ses les frontires institues, ouvrent des brches dans le mur des identits etinstaurent des transactions nouvelles entre l'intrieur et l'extrieur. C'est parelles, dsormais, que le catholicisme s'inscrira dans la culture.

    48 MONTMINY, Jean-Paul et Jacques ZYLBERBERG, Soumission charismatique :

    thanatologie d'un mouvement sacral, in ROULEAU, Jean-Paul et JacquesZYLBERBERG (dir.), Les mouvements religieux aujourd'hui. Thories et pratiques,Montral, Bellarmin, Cahiers de recherches en sciences de la religion, volume 5, 1984,pp. 283-297.

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    III - Religion: catholique

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    On ne peut sans doute pas rduire ces trois mouvements les mobilisa-tions qui ont marqu le catholicisme qubcois aprs la Rvolution tranquilleet ce, l'poque mme o l'on a t frapp par un certain silence officiel. Ilfaudrait voquer, pour tre juste, l'acceptation de nombreuses responsabilitspastorales par des lacs 49, la sensibilisation des communauts religieuses des

    champs d'action nouveaux, tels ceux du vieillissement, des minoritsethniques, du chmage, de la pauvret, de la violence urbaine, lesengagements ecclsiaux dans les quart-mondes, voire l'apprentissage par lesautorits ecclsiales d'une langage pastoral ax sur la critique sociale et lesralits conomiques, au risque mme d'tre contestes.

    Les nouveaux mouvements religieux , groupes, sectes, spiritualits,etc., dpassent par ailleurs de beaucoup les mobilisations proprement catholi-ques. On les compte dsormais par centaines, au Qubec comme dans lesautres socits occidentales o ils offrent des alternatives aux socialisationsreligieuses traditionnelles. Il ne faudrait toutefois pas en surestimer la porte.

    Toutes ces mobilisations n'atteignent qu'une infime minorit de la population :pas plus de 5%. Qu'en est-il des 85% qui continuent, eux, de se dire catholi-ques, affirmant une appartenance dont les contours sont devenus flous et lesexigences, de leur point de vue, alatoires?

    L'observation des mobilisations auxquelles a t confronte l'institutioncatholique au cours de la dcennie prcdente introduit une problmatiqued'analyse culturelle du phnomne catholique. Par culture, nous entendons ici, la suite de Clifford Geertz, des structures de signification socialementtablies 50mettant en lumire la dialectique constante de l'exprience et del'institution, ou si l'on prfre, du sujet et de la loi. L'analyse culturelle du

    catholicisme est un chantier ouvert. Il serait certes risqu d'en tirer desconclusions trop htives. Elle prsente cependant des hypothses de travailqu'il serait malheureux de laisser sous silence.

    49 LEMIEUX, Raymond, Clercs et lacs: un dfi institutionnel de l'glise , in PETIT,

    Jean-Claude et Jean-Claude BRETON (d.), Le lacat : les limites d'un systme,Montral, Fides, coll. Hritage et projet , n 36, 1987, pp. 13-53.

    50 GEERTZ, Clifford, The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973, p. 9.

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    1. Un catholicisme populaire

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    La premire de ces hypothses amne poser le fait que le catholicisme auQubec n'est plus une religion clricale. Il se caractrise davantage, d'unepart, par des solidarits la base, et, d'autre part, par diffrents modes dereligiosit populaire. Certes, il existe encore des clercs. Toute institution,l'glise comme l'tat ou l'Universit, a besoin de clercs, c'est--dire d'agentsqui parlent et agissent en son nom. Ces derniers ont cependant d renoncer une trop grande visibilit et ont pris l'habitude de la discrtion, ce que certainsconsidrent comme une socialisation russie, ce que d'autres, bien sr, leurreprochent. La culture catholique dborde de tous cts l'encadrement clricalqui cherche la dfinir. Mettant en dialectique constante l'exprience etl'institution, elle se prsente comme un systme de transactions continuesentre un modle fusionnel et un modle associatif 51pour rendre possible laqute spirituelle des individus et assurer l'identit religieuse de la population.Elle est essentiellement, en ce sens, une forme de religion populaire.

    Les manifestations de cette dialectique et les formes qu'elle prend sontdiverses.

    a. Qute spirituelle et engagements humanitaires. En relation avec lesinstitutions ecclsiales travaillent et gravitent un certain nombre de croyantsformant des noyaux relativement mobiles, mais convaincus et engags. Ceschrtiens nodaux52peuvent aussi bien constituer le centre actif d'une paroisse,jusqu' prendre en charge sa vie quotidienne et sa pastorale 53, que reprsenterdes ples de rfrence pour des quipes de travail htrognes auxengagements sociaux les plus diversifis. Leur statut est souvent ambigu. Lesautorits ecclsiales ont tendance les considrer comme des agents, porteursde dossiers spcifiques dans une pastorale planifie. Ils se considrentsouvent, eux, comme des rassembleurs et des animateurs. Dans un cas commedans l'autre, ils inscrivent dans l'institution ecclsiale, ou en rfrence avecelle, des solidarits multiples, solidarits de terrain plutt qu'organisation-

    51 DENAULT, Bernard, Op. cit., p. 161 ss.52 FICHTER, Joseph, Conceptualizations of the Urban Parish , Cities and Churches,

    Philadelphia, Westminster Press, 1973.53 Au sujet de la monte, dans l'glise qubcoise, des agents de pastorale lacs, le

    sommaire des rsultats de la recherche mene en 1990 dans les diocses de Qubec etChicoutimi a t publi par le priodique Pastorale Qubec, volume 102, n 12 et 13, 20aot 1990.

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    nelles. Ces solidarits supposent gnralement que la sparation entre prtres,religieux et lacs soit abolie, ou au moins dnonce. Parfois mme, lestiquettes confessionnelles sont mises en veilleuse au nom d'une thique del'action qui engage dans un mme projet des partenaires diffrents.

    Dans cette problmatique, le catholicisme se prsente essentiellementcomme le rfrent efficace d'une qute spirituelle capable de donner sens des engagements. Certes, cette qute ne lui est pas spcifique. Elle le dborde,le traverse et en branle l'institution. Cette dernire, cependant, est appele lui donner des lieux d'inscription historique, des traditions, des balises etparfois mme des normes pour la sauvegarde de son quilibre. tayons cetteaffirmation par le simple rappel du fait que les communauts religieusescontemplatives n'ont pas connu, au creux mme de la crise qui marquait lesautres institutions d'glises, de chute d'effectifs significative. Bien au con-traire, on peut aujourd'hui faire l'hypothse d'un certain renouveau spirituel

    dans le catholicisme qubcois comme dans celui des autres pays occiden-taux ; ce renouveau est marqu notamment par des fondations originales quidveloppent de nouvelles formes de vie religieuse et connaissent du succs 54.

    La crativit spirituelle est videmment difficile valuer. Quand elles'accompagne d'une production intellectuelle, cela devient un peu plus facile.La thologie qubcoise a certainement progress depuis trente ans, tant dansson enseignement que dans sa production d'uvres originales. Certes, laclientle tudiante des facults et dpartements a chang, de mme que leurcorps professoral et parfois leur statut: on y trouve dsormais autant defemmes que d'hommes, beaucoup d'adultes, une grande majorit de lacs et

    une petite minorit de sminaristes. Si l'on considre qu'il y a plus de troismille tudiants en thologie dans l'ensemble des tablissements universitairesfrancophones du Qubec, et cela, sans compter les dpartements dits de sciences religieuses 55, il est vident qu'on a dbord depuis longtemps lescadres traditionnels de la fides quaerens intellectum. L'aventure thologiquese prsente plutt, dsormais, comme le travail de construction d'uneconscience historique de la foi, mettant en dialectique tradition, expriencepersonnelle et constitution d'un savoir profondment marqu par son exposi-tion aux pratiques scientifiques contemporaines 56.

    54 Nous n'avons pas les moyens d'tablir le recensement exact de ces fondations, par ailleurs

    diversifies. Citons simplement, pour exemples, la Communaut du dsert (cinqimplantations depuis les annes soixante-dix),Myriam Bethlem (onze implantations).

    55 Pour obtenir le bilan de la situation des sciences religieuses au Qubec, voir ROUSSEAULouis et Michel DESPLAND,Les sciences religieuses au Qubec depuis 1972, Waterloo,Wilfrid Laurier University Press, coll. Sciences religieuses au Canada, vol. 2, 1988, 158p.

    56 DUMONT, Fernand, L'insti tution de la thologie, Montral, Fides, coll. Hritage etprojet 38, 1987, 286 p.

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    b. Effervescence et communion motionnelle. Nous avons vu comment lesmouvements charismatiques des annes soixante-dix ont pu canaliser unenergie sociale et spirituelle autrement perdue. Le catholicisme comme cultureprsente encore bien d'autres possibilits dans ce sens.

    Les centres de plerinage - le Qubec en connat au moins trois grands,sans compter ceux de moindre envergure - sont toujours aussi populairesmalgr la scularisation de la socit. Ils proposent des pratiques qui, tout entant traditionnelles, sont dlestes du poids de contrle social que comportaitleur encadrement traditionnel. Ils structurent un catholicisme de foule ol'individu, sans quitter l'anonymat de la cit, trouve un lieu de passage luipermettant de faire le point de son itinraire personnel. Il rintgre ainsi dessymboliques charges de sens, mme quand elles sont oublies dans lescontraintes de la vie quotidienne. l'occasion des ftes et des clbrations, leplerinage offre aussi non seulement un climat d'effervescence religieuse,

    mais une communion motionnelle qui, ouverte dans son accueil et phmredans sa dure, est efficace: actualisatrice du sacr dans une socit fragile etanomique, elle se donne comme alternative des communauts autrementimpossibles, permet un redressement de l'identit individuelle et devientmme parfois thrapeutique 57. Le catholicisme, remarquons-le, n'a jamaisboud, au Qubec ni ailleurs, ces formes populaires capables de traverser lescrises qui branlent les structures clricales. L o les rgulations performa-tives et rationnelles-techniques produisent la dtresse motionnelle, il sepropose comme alternative communionnelle et souvent mme comme la seuleinstitution capable d'une gestion symbolique du tragique 58.

    La matrise des techniques d'animation et des communications mass-mdiatiques donne cette religion d'effervescence des dimensions et uneefficacit nouvelles. On en aura connu une manifestation clatante lors de lavisite de Jean-Paul Il en 1984. Nous en avons fait l'analyse ailleurs et ne lareprendrons donc pas ici 59. Associant dans un mme vnement le person-

    57 Voir BOGLIONI, Pierre et Benot LACROIX (dir.), Les plerinages au Qubec, Qubec,

    Presses de l'Universit Laval, 1981, 160 p. ; BERNARD, Henri, Le plerinage : unerponse l'alination des malades et infirmes, Montral, Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, 1975, 247 p. : DORAN-JACQUES, Anne, Sainte-Anne de Beaupr et sesplerins : vivre en lien avec une personne de l'au-del , Social Compass, vol. 36, n 2,1989, pp. 219-227, de mme que la thse de doctorat de cet auteur, Le plerinage

    Sainte-Anne de Beaupr de 1858 1975, cole des hautes tudes en sciences sociales,Paris, 1979.58 Cette gestion symbolique de tragique, distinguer des gestions techniques (policires,

    juridiques et psychologiques) est celle que nous avons encore pu observer l'occasion dudrame de l'cole polytechnique de Montral, en dcembre 1989.

    59 LEMIEUX, Raymond, Charisme, massmedia et religion populaire. Le voyage du Papeau Canada , Social Compass, XXXIV / 1, 1987, pp. 11-31; LEMIEUX, Raymond etJean-Paul MONTMINY Message et mdium : le voyage de Jean-Paul II au Canada ,in LADRIRE, Paul et Ren LUNEAU (dir.), Le retour des certitudes. vnements etorthodoxie depuis Vatican II. Paris, Centurion, 1987, pp. 88-102. Voir aussi le collectifprsent par Yvon DESROSIERS (dir), Le pape au Canada, communications prsentes

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    nage sacr et la foule bigarre, la production mdiatique du charismepontifical a court-circuit les symboles du sublime et ceux de la quotidiennet,crant pour un temps certes phmre lui aussi et possiblement sans lende-main pratique, la communion motionnelle laquelle tous, croyants et

    incroyants, ont pu participer dans l'intimit mme des foyers. Elle a fait duvoyage pontifical en terre canadienne une vritable clbration de la com-munication, mettant en scne l'utopie d'un monde devenu vivable. Le rsultaten a t, pour le moins, une insolite homognit des discours, au point quetoute critique, voire toute analyse de l'vnement en ont t vacues. Pendantdix jours, le Qubec est redevenu une socit unanime sublimant sa diversitdans la clbration d'un symbole unique.

    c. Une religion diffuse. Une troisime dimension de ce catholicismepopulaire renvoie cette qualit de la religiosit qui s'exprime travers l'affir-mation de valeurs prennes et universelles telles la compassion, la charit

    (entendre : le respect des autres), la tolrance, la libert, la paix, etc. Cesvaleurs qui constituent un humanisme de bon aloi tout en tant partages, ouen tout cas partageables par tous, sont spontanment rfres l'institutioncatholique, cette dernire les prchant sans relche dans ses dclarationsofficielles comme dans ses discours internes 60.

    Le catholicisme, en les intgrant ainsi, n'est pas seulement une religion: ildevient le rfrent axial de l'appropriation de la culture. On pourrait certesrecommencer parler ici de religion civile, la condition que le terme dsignenon pas la sublimation de l'tat ou de l'ethnicit, mais plutt celle du citoyen,et se traduise dans l'thique d'une certaine qualit de coexistence sociale.

    Aussi, ce catholicisme cesse-t-il de s'adresser aux seuls pratiquants et croyantspour interpeller tous et toutes, voire surtout les distants . Dans la mmesemaine, nous avons entendu l'automne 1989 le directeur d'un collge privsecondaire catholique et celui d'une matrise de petits chanteurs ( voca-tion liturgique) dfendre publiquement leur projet pdagogique en affirmantqu'il s'adresse aussi aux lves non pratiquants et mme non catholiques ,sans discrimination, parce que les valeurs fondamentales qu'il vhicule depuis toujours sont celles de la tolrance, du service, de la discipline, durespect de soi et des autres...

    Mais ceci nous amne une autre dimension de la culture catholique :celle de la religion scolaire.

    lors du colloque tenu l'UQAM le 7 dcembre 1984, Cahiers de recherche du R.I.E.R.,n 3, printemps 1985, 151 p.

    60 CIPRIANI, Roberto, Religious influence on Politics in Italy diffused religion , Actesde la 17e Confrence internationale de sociologie religieuse, Londres, 1983, pp. 75-96.

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    2. Un catholicisme sans glise

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    Nous avons voqu plus haut certaines questions poses par la persistancede pratiques sacramentelles, tel le mariage, dans une population pourtantloigne - du moins normativement - de l'glise. Il est une autre pratique quine cesse elle aussi d'tre paradoxale : celle de l'enseignement religieux sco-laire. En dehors des dbats caractre polmique concernant davantage lesstructures scolaires que la culture religieuse qui s'y diffuse, peu d'analyses decette situation existent actuellement 61.

    Depuis 1984, l'cole publique confessionnelle offre aux parents, ds leprimaire, un choix effectif entre deux profils: l' enseignement religieux etmoral catholique , et l' enseignement moral . Le respect de ce choix est engnral assez bien assur de la part des autorits scolaires qui veulent viterl'accusation, courante malgr tout, de marginaliser les enfants dont lesparents ne partageraient pas la religion commune. Certaines commissionsscolaires ont prpar des formulaires d'inscription o les deux options sontprsentes dans une criture rigoureusement parallle et quivalente. Malgrces efforts, l'inscription des lves en enseignement moral reste trsminoritaire.

    En 1986, pour une population parentale dont le taux de pratique domi-nicale se situait entre 20% et 30% (compte tenu du fait que les 35% du tauxgnral comprennent les personnes ges et les enfants scolariss eux-m-mes), 92% de ceux qui ont inscrit des enfants l'cole primaire ont demandl'enseignement religieux 62. Ici encore, ces taux se distribuent ingalement:dans les milieux o la scolarisation parentale et les niveaux de vie sontsuprieurs la moyenne, la demande pour l'enseignement moral peut allerjusqu' 50%. Dans les autres, c'est--dire dans les milieux urbains populaires

    61 Citons cependant, pour une esquisse de problmatique et la prsentation des principauxlments de la situation, le collectif prpar par Marcel AUBERT, Micheline MILOT etRginald RICHARD, Le dfi de l'enseignement religieux. Problmatiques etperspectives, Qubec, Cahiers de recherches en sciences de la religion, Volume 9, 1988,242 p.

    62 Les donnes dont nous faisons tat ici ne sont valables que pour le primaire. Ausecondaire, partir du moment o les lves font ce choix eux-mmes, la problmatiqueest videmment diffrente. Un sondage partiel auprs de collges privs de la rgion deQubec rapporte un taux d'environ 35% d'inscriptions en enseignement moral, ensecondaire 1.

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    et bien sr, les milieux moins urbaniss, les inscriptions en enseignementmoral restent des exceptions et sont plutt le fait ou bien de familles no-qubcoises dont l'origine n'est pas catholique, ou bien de familles pratiquantd'autres religions.

    Quel est le sens de cettepratique religieuse scolaire qui reprsente, pourbien des parents, la seule pratique religieuse effective? Notre collgue Miche-line Milot, pour rpondre cette question, a prcisment interrog les parents propos de leurs motivations 63. Leurs rponses dmontrent non pas uneparesse ou une crainte qui empcherait d'abandonner une pratique qui n'a plusde sens, mais une vritable demande. Les parents tiennent l'enseignementreligieux catholique. Ils y tiennent parce que la religion est pour eux unhritage familial. Ils veulent donner leurs enfants ce qu'ils ont reu, mmes'ils en ont abandonn les normes, et leur laisser le choix d'abandonner ou nonces normes leur tour. Devant la fragilit de la vie, la religion reprsente ainsi

    un ensemble d' tats fondamentaux de l'existence 64, qu'il serait risqud'oublier, encore plus de renier, parce qu'on ne sait jamais quand le besoinpourra s'en faire sentir.

    Ce catholicisme est bien, ici encore, un outil privilgi d'appropriationsymbolique de la culture. Il reste un lment de la personnalit modalequbcoise, tel que Colette Moreux le trouvait en 1969, et le retrouvait en1982 dans d'autres recherches 65. La famille, malgr son clatement, reste elleaussi l'agent de socialisation majeur de cette culture religieuse. Dans larfrence catholique, ce ne sont pas les mots d'ordre et les orientations con-crtes qui sont recherchs. Au contraire, plusieurs des tmoignages rapports

    indiquent que le passage de l'ducation religieuse la seule responsabilit delglise serait mal vu de bien des parents. Ceux-ci craignent plus qu'ils nedsirent une religion d'glise laquelle ils attribuent un militantisme indu etsur laquelle ils projettent les images ngatives attribues la religiond'autrefois, dont celle du bourrage de crne .

    Le catholicisme culturel se structure ainsi comme une organisation sco-laire des croyances et des valeurs. Cette pratique religieuse scolaire reprsenteelle aussi une tentative de matrise symbolique; en tant que telle, elle concernenon plus seulement les liens prcaires rencontrs l'occasion du mariage,mais la fragilit de l'appropriation gnrale de la culture. Transfre del'glise l'cole, la crdibilit de ses contenus repose sur leur stabilit sup-pose, renvoyant au savoir et la matrise des technologies de transmissionattribus ceux qui les vhiculent, sans vrification de leur conviction et63 De la transmission de la religion. Rapports famille -cole, thse de doctorat en

    psychopdagogie, Universit Laval, juin 1989, 215 p.64 MILOT, Micheline, Op. cit., ch. 5.2.65 MOREUX, Colette, Op. cit. ; Douceville en Qubec. La modernisation d'une tradition,

    Montral, Presses de l'Universit de Montral, 1982, ch. 1.

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    surtout sans solidarit communautaire, mais dans la connivence imaginaireentre la socit et l'cole, lieu de diffusion de schmes culturels fonda-mentaux prsums partags par le groupe social 66.

    3. Un imaginaire clat

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    Le catholicisme comme prgnance culturelle, c'est aussi sa capacit destructurer l'imaginaire. Le champ des croyances des Qubcois, considrindpendamment de leurs appartenances confessionnelles, est dsormais unchantier de recherche ouvert et profondment travaill par toutes sortes d'in-fluences exognes. Sans prjuger des rsultats des recherches menes cepropos par l'quipe constitue l'Universit Laval 67, mentionnons quelques-unes des avances du projet en cours.

    Tout d'abord, il importe de dire que les signifiants les plus souvent utilisspour noncer les croyances restent ceux qui ont t mis en scne tradition-nellement par l'institution catholique: Dieu, Jsus-Christ, Marie, les saints, larsurrection des corps, etc. Mais ces signifiants sont dsormais pondrs pard'autres qui relvent soit d'un imaginaire cosmique (l'nergie fondatrice, ledestin inscrit dans la matire, les extra-terrestres, la rincarnation), soit de lasublimation du moi dans la force intime de l'tre psychique, ou encore quireprsentent des valeurs rifies comme l'amour, la libert, la paix, etc. Atravers cet univers complexe, se dessinent des trajectoires de salut dont lescritres de crdibilit ne renvoient plus l'orthodoxie des institutions, ni l'htrodoxie de leur contestation. Ils prennent plutt forme de paradoxes,intgrant dans un rapport de cohrence ad hoc des lments pris dessystmes trangers les uns aux autres et possiblement antinomiques. Chacunorganise son propre univers de croyances en y coordonnant des lmentschrtiens et cosmiques, psychospirituels et moraux. On trouve alors, dans uneproduction imaginaire intgre, tant la Providence que la force cosmique66 MILOT, Micheline, Op. cit., p. 174.67 Structuration des croyances et construction de l'identit individuelle et collective. Une

    quinzaine de communications ont dj t prsentes partir de ces travaux, la sectiondes sciences religieuses de l'A.C.F.A.S. (Montral, mai 1989 ; Qubec, mai 1990), laSocit canadienne pour l'tude de la religion (Qubec, juin 1989), la XXe Confrenceinternationale de sociologie des religions (Helsinki, aot 1989). Un premier collectifreprenant le matriel prsent doit paratre en 1990 sous la direction de RaymondLEMIEUX et Micheline MILOT: Les croyances des Qubcois, Qubec, Cahiers derecherches en sciences de la religion, volume 10.

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    universelle 68, la rsurrection que la rincarnation, la croissance personnelleillimite, l'amour et la non-violence comme jalons d'une qute personnelle desalut.

    Ayant dsormais accs un march de l'imaginaire extrmement ouvert,chacun y prend effectivement ce qui semble prsenter le meilleur rapportqualit/prix selon ses connaissances, ses besoins et les situations vcues dansson existence. C'est ce niveau sans doute qu'on trouve la pertinence la plusvidente du concept de religion la carte 69. Du point de vue d'uneorthodoxie, les menus constitus peuvent sembler incohrents; du point de vuedes utilisateurs, ils sont toujours des productions de cohrence, ft-elle utili-taire et provisoire. Il en est des croyances un peu comme d'une maison qu'onhabite: chaque objet qu'on y apporte prend une place particulire. Elles peu-vent permettre d'expliquer un vnement particulier; elles sont alorsdirectement utiles. Elles peuvent donner un sens gnral au monde; elles

    intgrent alors un mode de vie. Elles font partie de la dimension prive del'existence, dimension o les cohrences se font et se dfont non pas par l'effetd'une logique rationnelle ni par la force d'une autorit, mais dans une logiqueaffective. Elles prennent de la valeur, pour un individu, dans la mesure o ellesl'affectent.

    Les cohrences dogmatiques sont le fait d'institutions sociales : elles ren-voient une histoire collective. Les cohrences affectives reprsententl'inscription d'une subjectivit dans une histoire personnelle, Il n'y a pasd'automatisme pour rgler les rapports d'un niveau l'autre. On peut trs bienafficher des croyances chrtiennes pour certains aspects de sa vie, d'autres

    types de croyances pour d'autres aspects. La mme personne expliquera sagurison d'une maladie par l'aide de la Providence, ses succs en affaires parla force de son moi , son divorce par la faute du destin. On peut trs bienaussi croire au salut et en la rsurrection des corps mais, conscient de seslimites actuelles et possiblement de son chec, vouloir se donner une autrechance, par la rincarnation.

    Qu'est-ce qu'une croyance catholique ? un premier niveau, normatif,c'est une croyance dfinie par lglise, dans un souci de lgitimit, d'authen-ticit et de cohrence thologique. un autre niveau, celui d'un catholicismeculturel, c'est une croyance rfre l'institution catholique, mais dfinie d'unpoint de vue affectif. Les transactions d'un niveau l'autre sont nombreuses.Elles sont faites autant d'emprunts que de ruptures. L'institution normative dela croyance n'est plus en mesure d'en contrler l'exprience affective. Ellereprsente, pour cette dernire une vitrine parmi d'autres vitrines. Ses68 Voir l-dessus BOUTIN, Maurice, Les conditionnements socioculturels de l'activit

    thologique , Studies in Religion/Sciences religieuses, vol 7. n 2, printemps 1978, pp.207-222.

    69 BIBBY, Reginald, Op. cit.

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    cohrences peuvent paratre admirables, dsirables mme. Mais ce sont lesbesoins concrets et les situations vcues qui dictent les choix qu'on y fait.Dans le vif de l'existence, les croyances s'affirment alors comme les formula-tions provisoires mais ncessaires d'un sens et d'un possible salut du monde.

    Mme chez les catholiques pratiquants, a fortiori chez les autres, ellesrenvoient l'clatement de l'imaginaire occidental. un monde religieux invitro fait de dogmes et de normes institutionnelles, de traditions et de savoirs,se conjugue ainsi un monde religieux in vivo, essentiellement fait d'intgra-tions affectives, individuelles et provisoires.

    Conclusion

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    Essentiellement religion populaire, la culture catholique des Qubcois semanifeste comme qute spirituelle, exprience motionnelle et affirmation devaleurs prennes. Elle se pratique souvent comme une religion indiffrenteaux normes ecclsiales, sans rfrence communautaire concrte, voire sansglise. Son intgration affective est un complexe de ruptures et d'emprunts

    par rapport aux traditions et aux cohrences institutionnelles par ailleursexistantes.

    Cette culture catholique ne peut cependant pas tre rduite unpiphnomne social. Elle reprsente un axe d'appropriation structurelle de laculture qubcoise en inscrivant dans cette dernire un ensemble de transac-tions vitales entre la construction d'identit personnelle et l'histoire. Elle ouvrel'espace d'une vision transhistorique du monde l o l'exprience clate de laculture est en manque de sens et en rupture par rapport l'histoire. Elle con-tinue d'intgrer la personnalit qubcoise dans une sorte de rfrent communqui, bien qu'loign des normes et des contraintes de la vie quotidienne, reste

    disponible en cas de besoin.

    Plusieurs modles d'explication des phnomnes religieux contemporainspeuvent s'appliquer au catholicisme qubcois, mais aucun d'entre eux n'enrend compte adquatement : ni la religion la carte dont nous avons vu lefonctionnement dans le systme des croyances, ni la religion diffuse obser-vable dans la persistance de valeurs propres une institution autrefoisdominante, ni la religion invisible qui tient compte la fois de la crise des

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    institutions et du travail de construction de l'identit personnelle qui carac-trisent les socits postindustrielles. Quoique nous retrouvions des lmentsde tous ces modles sur le terrain, la ralit concrte, par ses facettesmultiples, les dpasse tous.

    La culture catholique - ce en quoi les sujets s'approprient la foi, lestraditions, les lois - n'est plus celle d'une fidlit mais d'une mobilit. Elle nerejette pas l'institution; elle la renvoie l'ordre du relatif et de l'alatoire. Elleest un constantpassage des frontires70o l'exprience, refusant les contrlesinstitutionnels, s'alimente de l'institution et de ses traditions pour lesrinterprter 71et o l'institution, craintive devant des expriences qui lui sonttrangres, ne peut cependant s'empcher d'en assumer la qute de sens. Onpourrait la reprsenter comme un de ces points de passages ou check-pointsqui, tels ceux du mur de Berlin figurant la rupture entre l'Est et l'Ouest tout enrendant possible le commerce entre les deux mondes, symbolisaient la fois

    la rupture historique et l'interdpendance des univers qui en rsultaient: celuide la rationalit institutionnelle d'une part, de la cohrence affective d'autrepart, celui de la prennit d'un discours institu d'une part, de l'inlassablequte de sens d'autre part.

    Raymond LemieuxGroupe de recherche en sciences de la religionUniversit LavalQubec (Qubec)

    Canada GIK 7P4

    70 GRAND'MAISON, Jacques, Le sacr. Du systme tanche au passeur de frontires ,

    in ROULEAU, Jean-Paul et Jacques ZYLBERBERG, Les mouvements religieuxaujourd'hui. Thories et pratiques, Montral, Bellarmin, Cahiers de recherches ensciences de la religion, volume 5, 1984, pp. 55-64.

    71 La production artistique contemporaine reflte galement cette problmatique d'une faonexplicite. Le film de Denys Arcand,Jsus de Montral, en est sans doute, parmi d'autres,un des exemples les plus clairs. Voir ROC-HAIS, Grard, Dire Jsus au prsent ,Relations, septembre 1989, pp. 209-212.

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    Rsum

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    Le catholicisme qubcois est devenu discret. Quoiqu'il connaisse des tauxde pratique de plus en plus bas, il reprsente une ralit culturelleincontournable. Tout en faisant tat des donnes empiriques disponibles songard, tant qualitatives que quantitatives, l'auteur tente d'en rinterprterl'histoire contemporaine. Il dcouvre alors un catholicisme populaire auxmultiples facettes: engagements la base, effervescence religieuse,

    communion motionnelle, affirmation de valeurs universelles, clatement del'imaginaire. Ce catholicisme transgresse souvent l'institution qui l'a port aumonde. Celle-ci pourtant, quoiqu'aux prises avec sa propre qute d'identit,reste le rfrent naturel de la qute de sens de la trs grande majorit descitoyens.

    Summary

    Quebec Catholicism has become discrete. Although the level of practicehas become lower and lower, Catholicism represents an undeniable culturalreality. The author, while presenting the empirical data available in thisregard, both qualitative and quantitative, attempts a reinterpretation ofcontemporary history. He discovers a many-faceted popular Catholicism:involvement at the base, religious effervescence, emotional communion,affirmation of universal values, explosion of the imaginary. This Catholicismoften transgresses the institution which gave birth to it. The latter, however,although grappling with its own quest for identity, remains the natural referentin the quest for meaning of the very great majority of citizens.

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    Resumen

    El catolicismo quebequence se ha vuelto discreto. A pesar de presentartasas de prctica cada vez ms bajas, representa una realidad culturalineludible. Al mismo tiempo que presenta los datos empricos disponibles enrelacin a l, tanto cualitativos como cuantitativos, el autor trata de re-interpretar la historia contempornea. El descubre un catolicismo popular amltiples facetas : compromiso de la base, efervecencia religiosa, comuninemocional, afirmacin de valores universales, explosin del imaginario. Estecatolicismo transgrede continuamente la institucin que lo trajo al mundo.Esta ltima, a pesar de estar frente a frente a su propia bsqueda de identidad,contina siendo el referente natural de la bsqueda de un sentido para la gran

    mayora de los ciudadanos.

    Fin du texte