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7/23/2019 Sistemul Politic Comunist http://slidepdf.com/reader/full/sistemul-politic-comunist 1/21  F CULT TE DE TIIN ŢE POLITICE Prof. dr. Cristian BOCANCEA SISTEMUL POLITIC ROMÂNESC CONTEMPOR N PERIO D SOCI LIST  Suport de curs Extras  din  volumul  La Roumanie du communisme au post-communisme , Editions L'Harmattan, Paris, Montréal, 1998.

Sistemul Politic Comunist

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F CULT TE DE TIIN

Ţ

E POLITICE

Prof. dr. Cristian BOCANCEA

SISTEMUL POLITIC

ROMÂNESC CONTEMPOR N

PERIO D SOCI LIST 

Suport de curs

Extras 

din 

volumul La Roumanie du communisme au post-communisme,Editions L'Harmattan, Paris, Montréal, 1998.

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Chapitre I

L’INSTALLATION DU COMMUNISME

Pendant la Seconde guerre mondiale, la Roumanie a souvent connu le sommet du désespoir et rarementl’apogée de la gloire. L’histoire lui a réservé une situation peu enviable: à la fin d’une guerre à l’Est et d’une autrecontre l’Allemagne de Hitler, la Roumanie ne retrouvait plus ses frontières, ni son régime démocratique.

L’été de 1940 amenait l’effondrement de l’édifice national créé en 1918 - la Grande Roumanie. L’ultimatumsoviétique du 26 juin arrachait la Bessarabie et la Bukovine du Nord; le 30 août, Ioachim von Ribbentrop et GaleazzoCiano imposaient le Diktat de Vienne, qui concédait le nord de la Transylvanie roumaine à la Hongrie. Enfin, laBulgarie obtenait le Quadrilatère (le Sud-Dobroudja), le 7 septembre 1940.

La politique européenne, fondée sur le système de paix de Versailles et sur la Société des Nations, était tombéeen désuétude depuis 1938. Les alliances régionales de la Roumanie (la Petite Entente et l’Entente Balkanique), aussi bien que les garanties promises (le 13 avril 1938) par Edouard Daladier et Neville Chamberlain étaient sans effet face àla montée du fascisme. Dans l’Europe des années 30, les accords internationaux restaient une question d’honneurseulement pour les petits pays, qui dépendaient du statu-quo de Versailles.

Sur fond d’une dégradation de la situation politique et militaire européenne et sous la pression des événements(les pertes territoriales), le Roi Carol II confiait le pouvoir politique au général Ion Antonescu, suspendait laConstitution et abdiquait en faveur de son fils Michel, le 6 septembre 1940. Ion Antonescu - le Chef de l’État - détenaitle pouvoir législatif, le droit de nommer et de révoquer les ministres et aussi de décider de la guerre et de la paix.

Le régime autoritaire d’Antonescu orienta sa politique étrangère vers les puissances de l’Axe, en espérant leursoutien pour obtenir la révision des frontières jugées injustes. Le début de la guerre contre l’Union Soviétique et lessuccès sur le front semblaient être les résultats d’une justice transcendante, car les Roumains ne luttaient que pour leursdroits nationaux, tandis que “l’Empire athée” des Russes menait une guerre de conquête. Mais après la défaite deStalingrad, un vrai désastre se profila à l’horizon: l’Armée Rouge avançait vers le territoire roumain. Le MaréchalAntonescu essaya d’obtenir, par l’intermédiaire de ses diplomates, une paix honorable et juste avec les Alliés. Mais le23 août 1944 il fut arrêté par le Roi (coalisé avec les politiciens libéraux, nationaux-paysans, socio-démocrates etcommunistes). La Roumanie commençait la guerre contre l’Allemagne. Malgré sa contribution à la défaite du fascisme,la Roumanie fut traitée, à la fin de la guerre, comme un pays vaincu, à la merci des Soviétiques.

1. Le premier gouvernement “ vraiment démocratique”

L’entrée de la Roumanie dans la coalition anti-fasciste fut accompagnée, dans la politique intérieure, par laformation d’un gouvernement présidé par le général Constantin Sănãtescu. A côté des militaires, siégeaient, dans lenouveau cabinet, les représentants des partis impliqués dans le coup d’État du 23 août. Mais le 16 octobre legouvernement “s’effondrait” à cause de la démission des ministres socio-démocrates et communistes. Quatre joursavant cette démission, le Parti Communiste et le Parti Social-Démocrate avaient formé un bloc politique - le Front National Démocrate, qui regroupait le PCR, le PSD, le Front des Laboureurs, le Parti Socialiste-Paysan, l’Union desPatriotes, l’Union Populaire Magyare et les Syndicats Unis.

Dans le nouveau gouvernement Sãnãtescu, formé le 4 novembre, les forces de gauche occupaient lavice-présidence et le tiers des portefeuilles. Une nouvelle démission , celle des ministres libéraux et nationaux-paysans,cette fois, mettait fin à la carrière politique de Sãnãtescu, tandis que la gauche politique en tirait son profit.

Le 6 décembre 1944, un autre général, Nicolae Rãdescu, était chargé par le Roi de former le gouvernement.“L’armistice” entre les partis politiques demandé par Rãdescu, qui détenait aussi le portefeuille de l’Intérieur, ne dura pas longtemps. Les manifestations dans la rue, les prises d’assaut des mairies et des préfectures, les pressions exercées

contre les ministres anti-communistes donnaient le sentiment que la Roumanie se trouvait au début de la guerre civile.Le 24 février 1945, les communistes et leurs sympathisants organisèrent des manifestations à Bucarest et dansles villes de province, afin d’obtenir la formation d’un gouvernement “plus démocratique”. A la suite de confrontationssanglantes entre les manifestants et les forces de l’ordre, les deux groupements engagés dans le conflit s’accusèrentréciproquement: les communistes accusèrent Rãdescu d’être responsable de l’incident, tandis que le Premier ministreaccusa les agents de Moscou - “ces étrangers sans Dieu ni Patrie”, ces “horribles hyènes” - d’être à l’origine desdésordres.

Quinze jours après la Conférence de Yalta, Andrei Vychinsky arriva à Bucarest et exigea, au nom de l’UnionSoviétique, le départ de Rãdescu, considéré comme incapable de maintenir l’ordre, en faveur d’un gouvernement “plusdémocratique” (lire pro-soviétique). C’était le début d’un conflit de longue durée entre la conception orientale et laconception occidentale de la démocratie. Dans ce conflit, la classe politique roumaine, sans connaître les accords deYalta, attendait l’aide des Américains: “Les Américains arrivent !” était le mot d’ordre. Mais, peine perdue !...

La solution d’un cabinet présidé par le prince Barbu Ştirbey fut rejetée par les communistes. Vychinsky,

l’émissaire de Staline, exigea la nomination de Petru Groza, président du Front des Laboureurs, une petite formation degauche contrôlée par les communistes, comme chef du gouvernement; c’était l’homme de confiance pour lesSoviétiques. L’audience de Vychinsky chez le Roi Michel Ier  sur la question du premier ministre ne se déroula pas dansune atmosphère de politesse diplomatique; au contraire il semble qu’il y ait eu des coups de poing sur la table et desclaquements de portes. Michel Ier  était déjà le souverain d’un pays occupé.

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Le 6 mars 1945 fut annoncée la formation d’un cabinet présidé par Petru Groza. Dans le nouveaugouvernement, les communistes détenaient les portefeuilles de l’Intérieur (Teohari Georgescu), de la Justice (LucreţiuPãtrãşcanu), et des Communications et Travaux publics (Gheorghe Gheorghiu-Dej - le secrétaire général du PCR). LeParti Libéral de Gheorghe Tãtãrãscu détenait la vice-présidence et trois ministères (Tãtãrãscu aux Affaires Etrangères),tandis que la Parti National-Paysan (le groupement d’Anton Alexandrescu) occupait un seul ministère. Pour la premièrefois depuis le 23 août 1944, les partis “historiques” - le Parti National Libéral (dirigé par la famille Brãtianu) et le Parti National-Paysan (de Iuliu Maniu) - quittaient le pouvoir. L’installation du gouvernement Groza, considéré par lescommunistes comme un cabinet “de large concentration démocratique”, n’était pas un simple changement degouvernement, mais un vrai changement de régime politique.

Un nouveau régime politique en Roumanie signifiait la suppresion du système traditionnel du contrôle parlementaire exercé sur l’exécutif. Le nouveau gouvernement - expression d’un bizarre pluralisme politique - exerçaità la fois le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif; quant à la justice, elle ne jouissait plus de l’indépendance garantieconstitutionnellement. Aucune opposition institutionnalisée ne résistait plus au pouvoir. Dominé par les communistes,le gouvernement préparait minutieusement sa légitimation, en suivant le scénario de “la conquête légale et pacifique du pouvoir politique”.

Le changement du gouvernement roumain déclencha des réactions négatives dans les capitales occidentales. AWashington, on affirmait que “le gouvernement Groza, formé le 6 mars, est en fait un gouvernement Vychinsky. Pourl’instant, la Roumanie a perdu tout brin d’indépendance (...). L’administration, l’armée, la gendarmerie, la police, la justice, les communications, la propagande sont tombées sous la coupe des ministres appartenant au Parti Communiste,dirigé par les citoyens soviétiques Ana Pauker et Laszlo Luca” (Buzatu, 1991). Le Président H. Truman déclarait àStaline que les États-Unis n’acceptaient pas de négocier la paix avec un gouvernement roumain dépourvu dereprésentativité. Confronté aux pressions internationales, le pouvoir de Bucarest acceptait alors un remaniementinsignifiant: le Parti National Libéral de Brãtianu et le Parti National-Paysan de Maniu déléguaient dans legouvernement deux ministres sans portefeuilles, en échange de la reconnaissance occidentale.

Après sa légitimation internationale (le 4 février 1946), le gouvernement commença la destruction de touteopposition politique. Le 1er  juin 1946 -jour de son anniversaire- le Maréchal Ion Antonescu fut passé par les armes. Unancien ministre des affaires étrangères, Grigore Gafencu, nota dans son journal : “... le Maréchal tombe comme unmartyr de la cause roumaine, parce que la Roumanie ne connaît plus qu’une seule menace: la Russie. Une légende naîtraà son sujet, qui adoucira le jugement de l’histoire. Sa mort causée par l’empire voisin le place au coeur d’un peuple quise sent, tout entier, menacé par cet empire”. Les collaborateurs du régime Antonescu et les politiciens de l’oppositionanti-communiste furent emprisonnés, ou même tués, à leur tour.

Une nouvelle loi électorale modifia la structure du pouvoir législatif, en supprimant le Sénat; c’était uneviolation de la Constitution, mais cette illégalité représentait pour le gouvernement le cadet de ses soucis. Le but descommunistes était la création d’un parlement à chambre unique, facilement influençable et obéissant. La disparition duSénat mettait fin à la carrière politique de certains sénateurs à vie (anciens premiers ministres, membres de la familleroyale). La loi électorale n’acceptait pas la candidature d’anciens combattants sur le front anti-soviétique; parmi cesderniers, on trouvait plusieurs dignitaires des partis “historiques”. Dans la perspective des élections générales,l’opposition était méthodiquement anéantie.

Afin d’obtenir une majorité confortable dans le futur parlement, les communistes organisèrent une coalitionintitulée “ Bloc des Partis Démocrates ” (PCR, PSD, le Front des Laboureurs, le Parti National-Populaire, lesnationaux-paysans d’Anton Alexandrescu et le Parti Libéral de Gheorghe Tãtãrãscu). Dans un pays détruit par la guerre,le BPD disposait de fabuleuses ressources financières pour organiser une campagne électorale à l’américaine. Tandisque les observateurs internationaux s’attendaient à une victoire de l’opposition, le BPD gagnait 347 sièges, et les autresforces politiques seulement 67 mandats de député.

Malgré la fraude électorale sur une grande échelle, les pouvoirs occidentaux acceptèrent les résultats desélections. “Le premier gouvernement vraiment démocratique” avait fait son devoir: la Roumanie avait acquis un parlement à l’image du pouvoir exécutif. Seule la figure triste du Roi Michel Ier   barrait encore la route auxcommunistes.

2. Le chemin vers la républ ique populaire 

Le Parlement issu des élections “libres et sans entrave” du 19 novembre 1946 donnait une apparence denormalité à la vie politique roumaine. Le gouvernement Groza avait transgressé plusieurs fois la Constitution avant le19 novembre 1946 et il avait été promptement critiqué par l’opposition. Après sa légitimation par la “volonté du peuple”, l’exécutif n’était plus obligé d’assumer seul la responsabilité; apparemment, la loi était faite par le Parlement, àl’ombre duquel on opérait les changements fondamentaux du système politique.

Le Parlement “démocratique” fut inauguré par le Roi en décembre 1946. Les partis “historiques” refusèrent de participer aux réunions d’une assemblée à majorité communiste. Ils avertirent même le souverain des conséquences del’inauguration du Parlement; un tel acte signifiait pour Iuliu Maniu la fin de la monarchie.

Afin de détruire la base économique de l’ancienne classe politique roumaine, les communistes imposèrent unelégislation anti-libérale. Le 20 décembre 1946 fut nationalisée la Banque Nationale. Au mois de mai 1947, legouvernement créa les Offices Industriels, pour exercer un contrôle sur la production et le commerce. Pour mieuxsurveiller la propriété foncière, fut interdite toute transaction sur les terrains. Les paysans aisés furent frappés, à leurtour, par des impôts supplémentaires. On préparait, à l’évidence, la révolution socialiste dans l’agriculture.

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Sur le plan politique, les communistes augmentèrent les pressions sur l’opposition. La direction du Parti National-Paysan fut arrêtée au moment de sa tentative de fuite en Occident. En conséquence, l’activité du PNP futinterdite, le 30 juillet 1947. Le Parti National Libéral présidé par Dinu Brãtianu évita les représailles en acceptant sa propre dissolution. Le groupement libéral de Tãtãrãscu fut écarté du gouvernement, en faveur des communistes et dessocio-démocrates, le 6 novembre 1947. La droite politique perdit ses derniers portefeuilles ministériels. En contrepartie,le Parti Communiste installait Ana Pauker aux Affaires Étrangères, afin de mieux “harmoniser” la politique extérieurede la Roumanie avec celle de l’Union Soviétique.

La monarchie - dernier symbole de l’opposition - vivait au jour le jour. Dans le camp communiste, tous les pays (exceptée la Roumanie) avaient déjà adopté une forme républicaine de gouvernement; donc, le règne de Michel Ier  n’était plus un problème spécifiquement roumain, mais un problème du bloc des États communistes. Aussi, GheorgheGheorghiu-Dej, le chef du PCR, n’hésitait-il pas à promettre à ses camarades du Kominform - le Bureau d’Informationdes Partis Communistes, créé en septembre 1947- l’élimination de la monarchie et l’instauration de la République.

Isolé du peuple et de l’ancienne classe politique, le Roi Michel Ier  ne trouvait appui ni dans son propre pays, nien Occident. Une solitude accablante planait au-dessus du Palais royal. Rentré de son voyage en Grande Bretagne, où ilavait participé au mariage d’Elisabeth - l’héritière du trône - Michel Ier  trouvait un nouveau ministre de la défense: lecommuniste Emil Bodnãraş. Le 23 août 1944, Bodnãraş  avait participé au coup d’État contre le Maréchal IonAntonescu. Maintenant, il préparait le “débarquement”du Roi.

Le 30 décembre 1947, le Premier ministre Petru Groza et Gheorghe Gheorghiu-Dej furent accueillis au Palais.Le Roi pensait que le gouvernement voulait lui communiquer l’accord concernant son mariage avec la duchesse Annede Bourbon-Parme. Mais le discours du Premier ministre commença étrangement: “ - Eh bien, Votre Majesté, lemoment est venu de mettre au point les conditions de notre divorce”. Michel Ier   rappela alors à ses “visiteurs” quele peuple était le seul en mesure de changer la forme de gouvernement. Aucun pouvoir (ni même l’URSS) n’avait ledroit de transgresser la Constitution. Après trois heures de “négociations”, hanté par la crainte de la guerre civile, le Roifut obligé de signer l’acte d’abdication : “Dans la vie de l’État roumain, reconnaissait le souverain, se sont produits, lesdernières années, de profonds changements politiques, économiques et sociaux, qui ont créé de nouveaux rapports entreles principaux facteurs de la vie d’État. Ces rapports ne correspondent plus aujourd’hui aux conditions établies dans lePacte fondamental - la Constitution du Pays -, ils demandent un urgent et fondamental changement. Face à cettesituation (...) je considère que l’institution monarchique ne correspond plus aux conditions de notre vie d’État, ellereprésente un obstacle sérieux pour le développement de la Roumanie. En conséquence, entièrement conscient del’importance du geste que je fais dans l’intérêt du peuple roumain, J’ABDIQUE pour moi et pour mes héritiers auTrône...”

Le même jour, le Parlement “prenait note de l’abdication du Roi”, et abrogeait la Constitution. Le pouvoirexécutif était confié à un Présidium (formé de 5 membres), élu par l’Assemblée des Députés. Le Parlement décidaitaussi sa propre dissolution, en vue de nouvelles élections ayant pour objet de réunie une assemblée constituante.

L’acte d’abdication n’avait aucune base constitutionnelle: dans le droit public, la succession au trône ne faisait pas partie des prérogatives du Roi en fonction, donc Michel Ier   ne pouvait pas renoncer au trône pour lui et encoremoins pour ses héritiers. La sanction parlementaire de l’abdication était, elle aussi, grèvée par plusieurs illégalités. Toutd’abord, la Chambre était en vacances. Aucune session extraordinaire n’avait été convoquée pour le 30 décembre. Parailleurs, même en admettant la possibilité de la réunion de la majorité des députés, l’Assemblée n’était pas en mesurede décider le changement de la forme de gouvernement, parce qu’elle n’était pas une Constituante.

Par une série d’actes anti-constitutionnels, le royaume devenait donc la République Populaire Roumaine. Unelongue cohabitation entre le Roi et le gouvernement communiste prenait fin dans le cadre d’une “réunion solennelle” del’Assemblée des Députés, qui dura seulement 45 minutes ...

3. Un pluralisme mourant face au parti unique 

La modernité politique en Roumanie avait été étroitement liée au pluralisme. Le dix-neuvième siècle avait été

dominé par les libéraux et les conservateurs; à la fin du siècle, était apparu un faible mouvement socialiste. Après laPremière Guerre Mondiale, un émiettement sans précédent avait abouti à une multitude de partis politiques, qui“accompagnaient” les formations principales: le Parti National Libéral et le Parti National-Paysan.

L’année 1938 avait apporté la première limitation du pluralisme politique (le Décret royal n° 1422 du 30 mars1938), en faveur d’un parti unique (le Front de la Renaissance Nationale), présidé par le Roi Carol II. Sous l’autorité dugénéral Ion Antonescu, à partir du 14 septembre 1940 et jusqu’au 14 février 1941, une autre formation politique - leMouvement Légionnaire - devait jouer le rôle de parti unique. Enfin, jusqu’au 23 août 1944, tout mouvement politiqueavait été mis hors la loi. Cependant, les partis avaient continué à exister, en appuyant le régime du Maréchal.

La restauration de la Constitution de 1923 légitima de nouveau l’existence des partis politiques; maisle régime pluraliste ne résista que trois ans. À sa place, s’installa le Parti Communiste, un parti unique, et cela pour quarante-deux ans.

Au moment du coup d’État contre le Maréchal Antonescu, les communistes roumains ne comptaient que milleadhérents, dont la majorité était formée de Magyars et de Juifs. Un groupement auto-intitulé “PCR” s’activait à

Moscou, sous la protection de Staline. Pendant que l’Armée rouge pénétrait sur le territoire de la Roumanie, les“Moscovites” (ou les “extérieurs”) regagnaient le pays, désireux de prendre le pouvoir. Ainsi, un parti ridicule par sesdimensions comptait deux groupements dirigeants et affichait des ambitions démesurées. Cependant, grâce à l’aidesoviétique, ce parti réussit à résoudre ses problèmes internes, à faire interdire l’activité des partis bourgeois, et às’assujettir le Parti Social-Démocrate, au bout de trois ans seulement.

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L’entrée des communistes dans le gouvernement Sãnãtescu fut un acte dicté par les circonstances politiques etmilitaires de l’été 1944. Mais une fois installés dans les fauteuils ministériels, ceux-ci écartèrent rapidement les autresforces politiques : les libéraux de Gheorghe Tãtãrãscu, ainsi que les nationaux-paysans d’Anton Alexandrescu, finirentleur carrière politique dans la catégorie des “ennemis de classe”, dès que leur utilité disparut. Quant aux “partishistoriques”, ils furent éliminés par les décisions illégales du gouvernement Groza.

Le Parti National-Paysan présidé par Iuliu Maniu (la force politique la plus importante de l’opposition) et leParti National Libéral de Dinu Brãtianu furent les principales cibles de la terreur communiste. Plusieurs membres etdirigeants de ces formations se trouvèrent considérés comme fascistes. Iuliu Maniu passa pour “la figure sinistre ducomplice d’Antonescu”, et son adjoint, Ion Mihalache, fut blâmé pour son volontariat sur le front anti-soviétique. Maisla principale opportunité pour l’interdiction du PNP fut “l’affaire Tămãdãu”: quelques dirigeants du parti (IonMihalache, Nicolae Penescu - secrétaire général du PNP, Nicolae Carandino - directeur de la publication officieuse“Dreptatea” etc.) essayèrent de quitter le pays, le 14 juillet 1947, à bord de deux avions. La police secrète,contrôlée par le ministre communiste de l’Intérieur, tendit un piège aux leaders nationaux-paysans. Ils furentaccusés de haute trahison et finirent dans les prisons communistes. Le 19 juillet 1947, l’Assemblée des Députés retiraitaux parlementaires du PNP leur immunité, afin de les faire arrêter. Le 30 juillet, une décision du Conseil des ministresmettait hors la loi le Parti National-Paysan. Pour les “partis historiques”, “l’affaire Tãmãdãu” signifiait “la fin de laterreur en liberté et le début de la terreur en captivité ” (Frunzã, 1990).

Les libéraux de Gheorghe Tãtãrãscu (ministre des Affaires Etrangères) furent écartés sous le chef d’“ actiond’espionnage en faveur d’une puissance étrangère”.  Éliminés du gouvernement et de l’administration locale, leslibéraux essayèrent de survivre dans le jeu politique. Tãtãrãscu, devenu “ennemi de la classe ouvrière”, abandonna la présidence du parti, afin de le sauver. Mais le 15 novembre 1947 le groupement libéral fut obligé de quitter leParlement.

Les forces politiques de gauche subirent moins de violence de la part des communistes. Les politicienstraditionnellement de gauche pouvaient, en effet, être utilisés par les communistes soit pour renforcer la crédibilité duParti Communiste, soit pour ruiner les partis adverses. Furent donc surtout employées, comme méthodes dedétournement gauchiste, la persuasion, le chantage et la corruption. Les prisons furent réservées à ceux qui refusèrentavec entêtement de s’enrégimenter sous l’étendard du communisme internationaliste.

Au début de 1947, le président du Parti Social-Démocrate, Constantin Titel Petrescu, fut répudié par une partiedes leaders socio-démocrates, qui luttaient pour la fusion avec le PCR. En revanche, les communistes offraient aux“unionistes” portefeuilles ministériels, fonctions diplomatiques et protection politique. En octobre 1947, le XVIII-èmeCongrès du PSD scellait le démembrement du mouvement social-démocrate. Quelques mois plus tard, le PSD -Indépendant de Constantin Titel Petrescu fut mis hors la loi par le Tribunal militaire, sous l’accusation de “propagandeanti-démocratique et anti-soviétique”.

Après l’isolement et l’intimidation des socio-démocrates indépendants, la fraction “unioniste” du PSDs’unissait avec le PCR, pour former le parti unique de la classe ouvrière - le Parti Ouvrier Roumain -, le 21 février 1948.En 1965, fut liquidé le dernier souvenir de l’unification: le IVème Congrès du POR devenait le IXème Congrès du PartiCommuniste Roumain (pour souligner la continuité du mouvement communiste, à partir de 1921).

"Le parti unique de la classe ouvrière” ne supporta plus longtemps le pluralisme politique. Le corps électoral,convoqué le 28 mars 1948, procéda à l’élection d’une Constituante (nommée la Grande Assemblée Nationale), àmajorité communiste: le Front de la Démocratie Populaire (le POR, le Front des Laboureurs, l’Union PopulaireMagyare et le Parti National Populaire) occupait 405 sièges de député, tandis que “l’opposition” (les “reliques” dumouvement libéral de Tãtãrãscu et le Parti Paysan Démocrate de Nicolae Lupu) comptait 9 mandats.

La Grande Assemblée Nationale adopta la Constitution de la République Populaire Roumaine, le 13 avril 1948.La loi fondamentale du pays consacrait le contrôle absolu de l’État sur l’économie nationale. Quatre années plus tard, le27 septembre 1952, une nouvelle Constitution précisait le rôle du parti unique: “Le Parti Ouvrier Roumain - affirmait-elle - est la force dirigeante des organisations ouvrières et des organismes et institutions de l’État. Autour de lui seréunissent toutes les organisations de ceux qui travaillent dans la République Populaire Roumaine”.

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Chapitre II

LE SYSTÈME POLITIQUEDE LA ROUMANIE SOCIALISTE

Les totalitarismes, soient-ils de gauche ou de droite, sont marqués par une série de mécanismes de

 politisation paradoxale du social (paradoxale au sens que, bien qu’imprégnée de politique, la société est de plus en plus écartée pratiquement de l’action politique, qui devient l’apanage de la bureaucratie du Parti).Dans ces conditions,  l’analyste d’un tel système peut être surpris devant des structures et des mécanismes

 jamais connus dans d’autres contextes et qui ne deviennent pas intelligibles à l’aide des catégories politiquesclassiques. Le système politique communiste comprend des structures et des rapports politiques où il apparaitun processus d’érosion du caractère politique (au sens classique du terme) des institutions qui,habituellement, sont spécialisées dans l’action politique; en revanche, une série de structures et de formes

 participatives, qui, dans les “sociétés ouvertes”, n’étaient pas politiques par leur nature, sont soumises à une politisation croissante. Dans ce cas, il ne s’agit pas du phénomène mondial contemporain d’élargissement dela sphère du politique, mais bien de la disparition de la société civile. Par la politisation des formes

 participatives et l’uniformisation (la massification) de la société civile, le système politique communiste s’estforgé un milieu d’action docile, contrôlable jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne. La

destruction de la société civile a signifié cependant, à long terme, la prémisse du blocage du système politique, devenu insensible à toute réaction du dehors et incapable de développer des mécanismes souplesde rétroaction. L’analyse systémique du communisme comme “phénomène social total” est, en fait, l’histoiredu blocage et de l’autodestruction d’un système social et politique.

1. Trois Constitutions pour bâtir une nouvelle société 

Certaines dictatures proclament publiquement leur aversion envers toute constitution, en fondantl’action politique sur la volonté et l’inspiration du chef. Le communisme se veut pourtant une démocratie,

 plus exactement, la forme parfaite de la démocratie. Dans ce but, il a dû conserver, pour la forme, laconstitution comme loi fondamentale de l’État; en revanche, l’attitude pratique envers celle-ci a mené à lacréation d’une atmosphère de mépris de la constitution et de la loi en général. Se plaçant au-dessus, etsouvent en dehors, de la loi, le Parti a transformé et a adapté à ses propres besoins la célèbre maxime deMussolini, qui a pris la forme suivante: “Tout dans le Parti, rien en dehors du Parti, rien contre le Parti ”.

Les constitutions de l’État communiste roumain, en exprimant la volonté politique du Parti unique,se sont éloignées progressivement des principes du droit constitutionnel, pour prendre des formes de plus en

 plus dépourvues d’autorité, au point d’obéir n’importe quand aux articles d’une loi ordinaire.La première Constitution qui a suivi le coup d’État communiste du 30 décembre 1947 (ayant comme

résultat l’abolition de la monarchie et la proclamation de la République Populaire Roumaine), votée en avril1948, après un vide constitutionnel de plus de trois mois, était loin de correspondre, par sa forme, soncontenu et la procédure de sanction, aux exigences d’une loi fondamentale. Après la fin des vacances

 parlementaires (du 20 décembre 1947 au 20 janvier 1948), l’Assemblée des Députés reprit son activité, bienque la Constitution, en vertu de laquelle elle avait fonctionné jusqu’alors, ait été abrogée. Le 22 janvier,l’Assemblée vota une nouvelle loi électorale par laquelle on changa le nom du corps législatif en “GrandeAssemblée Nationale” et on convoqua le corps électoral, pour l’élection de la Constituante, le 28 mars 1948.Par la victoire électorale des communistes, qui dominaient l’alliance électorale appelée le Front de laDémocratie Populaire, la subordination du législatif aux intérêts du Parti Communiste s’accentuait.

Le 6 avril 1948 commençait la session de la Grande Assemblée Nationale, la première Constituantede l’État communiste roumain. Sa mission était très facile puisque le projet de la nouvelle Constitution avaitété élaboré dans le “laboratoire” communiste et publié, dès le 8 mars, dans le quotidien “Scânteia”(“l’Etincelle”), organe officieux du Parti Communiste. Présenté par le Premier ministre Petru Groza, le 8avril, le texte de la Constitution fut voté à l’unanimité cinq jours plus tard, par un Parlement sans opposition.La Constitution du 13 avril 1948 représentait le principal instrument politique du gouvernement pour réaliserses objectifs économiques. Toute l’économie du pays allait passer sous le contrôle de l’État, en vertu desarticles 11 et 14 de la Constitution, qui prévoyaient la possibilité de la nationalisation “lorsque l’intérêtgénéral l’exigerait”, ainsi que le monopole d’État sur le commerce. La nationalisation des principales firmesindustrielles, bancaires, de transport et d’assurances eut lieu le 11 juin 1948. Le 20 avril 1950 on nationalisait

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une grande partie des immeubles et des habitations (dans l’histoire post-communiste de la Roumanie, le problème des bâtiments nationalisés représentera l’un des principaux enjeux politiques, dans la dispute entrela gauche et la droite), après avoir détruit, en mars, les “grandes” propriétés foncières privées à partir de 50hectares, conservées par la réforme agraire de 1945. La Constitution avait donc légitimé la réalisation du

 programme économique du gouvernement communiste. De plus, elle supprimait l’inamovibilité des juges etsimplifiait la procédure de modification de la Constitution.

Une fois gagnée la bataille que les communistes menaient dans le domaine économique contre lecapitalisme, cette Constitution perdait son utilité. Elle était “dépassée historiquement”, selon le langage des

doctrinaires communistes. La réalisation des objectifs politiques du Parti unique imposait la nécessité d’unenouvelle constitution: “Si, par la Constitution du 13 avril 1948, on avait préparé une transformation totale del’économie nationale et un nivellement au standard le plus bas du pouvoir économique des habitants de laRoumanie, (...) la Constitution du 27 septembre 1952 est la constitution du total asservissement de laRépublique Populaire Roumaine à l’Union Soviétique” (Focşeneanu, 1992). L’existence de l’État roumainétait, en effet, étroitement liée aux conditions de l’alliance avec la “Grande Union Soviétique”; la politiqueextérieure de la Roumanie reposait sur le principe de base de “l’amitié avec l’URSS”. L’étoile rouge desarmoiries du pays venait confirmer, au niveau des symboles, le fait que la Roumanie était, en réalité, unerépublique soviétique.

Mais la Constitution de 1952 représentait plus qu’un enrôlement explicite dans les rangs du campcommuniste. En ce qui concerne le fonctionnement intérieur de l’État roumain, trois nouveautésapparaissaient, au moins. Premièrement, par le changement de l’ordre des titres dans la Constitution, les

 pouvoirs de l’État étaient tous prioritaires par rapport aux droits du citoyen, présentés à peine au chapitreVII, sous le titre de “Droits et devoirs fondamentaux des citoyens”. L’État passait ainsi avant l’individu et lesdevoirs pesaient plus que les droits. Par exemple, la liberté de parole, la liberté de la presse, des réunions etdes manifestations ne pouvaient être exercées que “conformément aux intérêts de ceux qui travaillent et afinde renforcer le régime de démocratie populaire”.

Les libertés se transformaient en obligation de renforcer la démocratie populaire, tandis que les droits-le droit au travail, au repos, à la retraite, à l’enseignement, l’égalité des sexes, l’égalité devant la loi, etc.-devenaient des devoirs. Le travail sera défini dans la Constitution de 1965, comme “un devoir d’honneur

 pour chaque citoyen du pays”. Deuxièmement, la Constitution de 1952 confirmait, pour la première fois, latransformation du type de propriété, la propriété socialiste représentant la nouvelle réalité économique du

 pays. Mais ce qui consacrait la réalisation des objectifs des communistes c’était l’article 86 de la

Constitution, qui précisait: “Le Parti Ouvrier Roumain est la force dirigeante des organisations de ceux quitravaillent, ainsi que des organismes et institutions de l’État”. Cet article donnait à la Roumanie une “force politique dirigeante” et transformait les institutions de l’État en instruments d’une politique de parti.

Une modification ultérieure du Chapitre III de la Constitution (par la loi n°1 du 25 mars 1961) devaitcréer explicitement un organisme qui détenait en même temps des pouvoirs législatifs et exécutifs: le Conseild’État. En remplaçant l’ancien Présidium de la Grande Assemblée Nationale, le Conseil d’État devenaitindépendant de celle-ci et s’assujettissait le Gouvernement et le Parquet Général.

La dernière Constitution de l’État socialiste roumain allait être celle de 1965, souvent modifiéedepuis. La nouvelle Constitution, adoptée par la Grande Assemblée Nationale le 21 août 1965, exprimait lefait que la Roumanie était devenue un État socialiste solide, où la propriété socialiste était dominante et où leParti unique dirigeait toute la vie politique, économique et sociale. En reflétant comme dans le passé lavolonté politique du Parti Communiste, la nouvelle Constitution démontrait les velléités d’indépendance des

communistes roumains, qui avaient exprimé, dès avril 1964, leur option pour une politique non-soumise àMoscou. Par conséquent, la Constitution ne faisait plus aucune mention de “la grande Union Soviétique” etrevenait à la forme “classique”, où les droits (mais cette fois-ci, les devoirs aussi) des citoyens apparaissaientavant le titre consacré au pouvoir de l’État. En revanche, le Parti Communiste avait sa place à l’article 3 de laConstitution, étant défini comme “la force politique dirigeante de toute la société” dans la nouvelleRépublique Socialiste de Roumanie.

En partant de la suprématie du Parti Communiste Roumain dans la société socialiste, la Constitutionde 1965 fait une distinction entre les citoyens du pays: d’une part, “les citoyens les plus avancés et les plusconscients issus des rangs des ouvriers, des paysans, des intellectuels et des autres catégories d’employés”,qui sont membres du Parti unique; d’autre part les autres citoyens. De cette façon, “devient principeconstitutionnel la division même de la société en citoyens du premier rang, supérieurs et donc privilégiés, etcitoyens du second rang, considérés a contrario  inférieurs et donc non privilégiés. Et cette division de la

société en citoyens supérieurs et inférieurs ne reposait sur aucun critère de valeur, mais sur le plus arbitrairedes critères possibles, celui de l’adhésion et de l’obédience” (Focşeneanu, 1992). En corrélation avec la

 politique de libéralisation et d’affirmation des valeurs nationales promues après 1965 par Nicolae Ceauşescu,cette précision constitutionnelle devait provoquer un enrôlement rapide et même enthousiaste d’un grand

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nombre de Roumains dans les rangs du Parti Communiste. Dans la Roumanie Socialiste, l’appartenance auParti deviendra le critère principal d’appréciation des personnes, ainsi que de distribution des droits et des

 privilèges.Concernant l’organisation des pouvoirs de l’État, la Constitution de 1965, et les modifications qui

ont suivi, limitaient beaucoup les prérogatives du Parlement, pour élargir les pouvoirs du Conseil d’État et plus tard (à partir de 1974) ceux du Président de la République. C’est ainsi que le pays a pu être gouverné pardécrets, la Grande Asssemblée Nationale se contentant d’approuver les décrets-loi édictés par le Conseild’État et par le Président. La Grande Assemblée Nationale s’est transformée en une institution politique

décorative.Parmi les nombreuses modifications opérées dans le texte de la Constitution, la plus importante pour

l’évolution du régime totalitaire en Roumanie est celle qui concerne l’introduction de la fonction dePrésident de la République (loi n° 1, du 28 mars 1974), qui devenait automatiquement président du Conseild’État et commandant suprême de l’armée. Cumulant des attributions législatives et exécutives, et contrôlantl’armée, le Président détiendra, en fait, le pouvoir suprême dans l’État. Et ce pouvoir total ne pouvait que

 produire les abus, l’illégalité et le culte de la personnalité.L’histoire constitutionnelle de la Roumanie communiste met donc en évidence la modification

 brutale des principes et des mécanismes de fonctionnement des pouvoirs dans l’État, l’instauration d’unsystème politique qui a remplacé le principe de la séparation des pouvoirs par “le principe de la collaborationdes pouvoirs dans l’État”. Ce nouveau principe représentait, en fait, le passage de la démocratie “à lamonocratie”, d’une action politique contrôlable socialement à une action obscure, soumise seulement à “ladiscipline de Parti”.

Les trois Constitutions communistes n’ont pas été adoptées pour être respectées, mais pour créer uneimage de respectabilité du régime de Bucarest. Les nombreuses modifications apparues dans les textesconstitutionnels, faites par des procédures extrêmement simples, prouvent le fait que la loi fondamentale du

 pays était obligée de s’adapter aux objectifs de la politique du Parti. La création de nouvelles institutions degrande importance (le Conseil d’État et la Présidence de la République) par de simples “lois de modificationde la Constitution” prouve quel “poids” avait la Constitution dans la Roumanie Socialiste.

En ce qui concerne les droits de l’homme, les Constitutions du régime communiste ont évolué: de lasuppression complète de ces droits par leur disparition des textes (la Constitution de 1948), à leur violation“constitutionnelle”, en mettant des conditions restrictives à l’exercice de ces droits (“le devoir de s’enrôler

 pour la construction du socialisme” : Constitution de 1952). Politiquement, les “droits” de l’individu se

réduisaient au droit d’adhérer à la politique du Parti unique et de participer à l’activité des organisations quilui étaient subordonnées. Dans le domaine économique, la limitation du droit à la propriété conduisit auchangement de la structure sociale du pays, à une égalisation des citoyens dans la pauvreté et à lamodification radicale de l’attitude envers la propriété. La propriété de l’État ou “de tout le peuple”n’était, enfait, la propriété de personne, de sorte que personne ne s’en sentait responsable.

Le pouvoir judiciaire, bien que formellement indépendant, était subordonné pratiquement au pouvoir politique, et travaillait pour “la défense du régime socialiste”. L’article 106 précisait que: “le TribunalSuprême rend compte de son activité à la Grande Assemblée Nationale et, entre les sessions, au Conseild’État”. Il y avait donc une instance de contrôle pour les juges du Tribunal Suprême. Les magistrats desniveaux hiérarchiquement inférieurs étaient assujettis aux Conseils Populaires (organismes locaux du

 pouvoir d’État), qui les élisaient et les révoquaient conformément à la loi.Différentes quant à leur forme et à leur contenu, les trois constitutions sont, au-delà des apparences,

semblables. Elles représentent l’image du même régime politique totalitaire, construit selon le modèlesoviétique et adapté à la pensée et au comportement d’une classe politique pour laquelle le pouvoir ne pouvait être qu’unique et indivisible.

2. L’État communiste 

La question de l’État a constitué l’une des obsessions de la doctrine et de la pratique communistes. Considérécomme une forme politique historiquement constituée avec l’apparition de la propriété privée (et - implicitement - de lalutte de classes entre exploiteurs et exploités), dans la doctrine marxiste, l’État devait disparaître dès que les conditions

historiques qui l’avaient créé cesseraient d’exister. La disparition de la propriété privée et de l’exploitation équivalait audépassement historique de l’État.En Roumanie, les débats idéologiques concernant l’État ont reproduit, en général, les théories classiques de la

littérature marxiste. La conception de l’État comme produit historique des sociétés divisées en classes antagonistes,ainsi que l’idée de sa disparition dans le communisme accompli, sont présentes dans toutes les études consacrées à

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l’État socialiste roumain. Jusqu’à la disparition de l’État, les communistes roumains ont considéré qu’il y avait pourtantune longue période où le rôle de l’État, loin de diminuer, allait augmenter : “L’avance continue dans la voie del’accomplissement du socialisme et du passage graduel au communisme suppose pour une longue perspective historiquel’élévation à un niveau qualitativement supérieur du rôle de l’État dans toute la vie socio-économique” (Ceau şescu,1968).

Le document principal du Parti, le “ Programme du PCR de réalisation de la société socialistemultilatéralement développée et d’avance de la Roumanie vers le communisme”, affirmait la nécessité d’accroître lerôle de l’État “dans l’organisation scientifique de l’activité socio-économique”. Un État fort (et contrôlé par le Parti)devait donc être “un instrument politique fort pour forger les structures socio-économiques du nouveau régime”.

Les institutions de l’État socialiste roumain se sont constituées graduellement, au fur et à mesure que lesintérêts et les positions du Parti devenaient de plus en plus claires et que personne ne contestait plus le droit souveraindu Parti de décider pour toute la société. La construction des institutions a pris, dans ces conditions, l’aspect d’une permanente rectification et complexification -que la propagande officielle appelait “perfectionnement”- destinées àaccréditer l’idée que tout allait de mieux en mieux.

La Constitution de la République Socialiste de Roumanie affirmait que le pouvoir “appartient au peuple, libreet maître de son sort”. Ce pouvoir, il l’exerçait par la Grande Assemblée Nationale et par les Conseils Populaires, élusau suffrage universel et constituant la base de tout le système des institutions de l’État. Le système du pouvoir de l’Étatavait comme fondement les institutions résultant du suffrage universel: au niveau national - la Grande Assemblée Nationale (Parlement unicaméral et ... monocolore) et au niveau local - les Conseils Populaires. Selon la Constitution,ces organismes du pouvoir d’État nommaient les organes administratifs centraux et locaux, ainsi que les représentantsdu pouvoir judiciaire.

La Grande Assemblée Nationale était élue au suffrage universel, comme unique organisme législatif du pays,ayant les attributions suivantes: l’adoption et la modification de la Constitution (l’adoption d’une nouvelle constitutionne nécessitait donc pas la convocation d’une Constituante, et pour la modification de la Constitution l’initiative d’untiers des députés suffisait); la réglementation du système électoral; la décision de consulter le peuple par référendum(sur proposition du Président de la République); la désignation et la révocation du gouvernement (le Conseil desMinistres), du Conseil d’État et du Président, ainsi que celles du Tribunal Suprême et du Procureur général; le contrôlede l’activité des organismes qu’elle nommait et révoquait, ainsi que des Conseils Populaires; l’élaboration desdirections du développement intérieur et de la politique extérieure; la déclaration de la mobilisation générale et de l’étatde guerre.

Elue pour une législature de 5 ans, la Grande Assemblée Nationale nommait un Bureau (formé par le Présidentde la GAN et par les quatre vice-présidents) et un certain nombre de commissions permanentes et temporaires. LeParlement désignait aussi une Commission constitutionnelle et juridique, chargée de contrôler la constitutionnalité deslois qu’il avait lui-même votées, ou des décrets édictés par les autres organismes suprêmes du pouvoir d’État. Bien quedésignée par la Constitution comme l’unique corps législatif, la Grande Assemblée Nationale ne représentait en réalitéqu’une assemblée décorative, chargée d’approuver les décrets du Conseil d’État, dirigée par le Président de laRépublique. Convoquée deux fois chaque année dans des sessions ordinaires (ou dans des sessions extraordinairesfestives, pour marquer les différents événements de l’histoire communiste du pays), la Grande Assemblée Nationaleétait remplacée en réalité par deux autres organismes suprêmes du pouvoir d’État: le Conseil d’État et le Président de laRépublique.

Le Conseil d’État était défini dans la Constitution comme “l’organisme suprême du pouvoir d’État à activité permanente, subordonné à la Grande Assemblée Nationale”. A l’exception des courtes sessions parlementaires, leConseil d’État faisait donc la loi en Roumanie. En plus de certaines attributions permanentes (fixer la date des électionsgénérales, organiser le référendum, structurer les ministères, ratifier les traités internationaux, établir les gradesmilitaires et instituer les décorations), cette institution reprenait la majorité des attributions du Parlement durant leslongues vacances de celui-ci. Le Conseil d’État était dirigé par le Président de la République; c’est ainsi que lalégislation devenait l’apanage d’une seule personne qui ne remplissait pas par hasard, en même temps, la fonction desecrétaire général du Parti Communiste.

Désirant dialoguer d’égal à égal avec les chefs des États occidentaux, et pour démontrer l’originalité dusystème politique de la Roumanie, Nicolae Ceauşescu a créé pour lui-même la fonction de Président de la République, par la Loi n°1 du 28 mars 1974. Par cette loi, la Constitution était complétée d’un chapitre, dans le cadre du Titre III. LePrésident était désigné comme chef de l’État et représentant de celui-ci dans les relations intérieures et internationalesde la Roumanie. Elu par la Grande Assemblée Nationale, le Président était en même temps commandant suprême del’armée et président du Conseil d’État. La concentration excessive du pouvoir, spécifique de tout régime totalitaire, seretrouvait donc en Roumanie aussi.

Au niveau local, le pouvoir d’État était exercé par l’intermédiaire des Conseils Populaires élus au suffrageuniversel pour une période de cinq ans (comme la Grande Assemblée Nationale) au niveau départemental,respectivement pour deux ans et demi aux niveaux administratifs inférieurs (les municipalités, les villes et lescommunes rurales). Les attributions principales des Conseils Populaires concernaient l’adoption des plans dedéveloppement et des budgets locaux, la désignation des organes exécutifs locaux, l’élection et la révocation des juges

et des procureurs en chef (attribution spécifique des Conseils Populaires Départementaux).À la différence du statut des députés des démocraties pluralistes, on pratiquait, dans le système politiquecommuniste, le mandat impératif. La Constitution stipulait l’obligation des députés de présenter périodiquement desrapports d’activité aux électeurs. Quoique non précisée par la Constitution, la révocation des députés était possible dansle cas d’une activité non-conforme aux intérêts des électeurs (plus exactement, du Parti). Pour avoir la certitude que les

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députés garderaient sans cesse dans leurs esprits les directives du Parti Communiste, on devait imposer la pratique selonlaquelle chaque charge publique - y compris celle de député - ne pouvait être occupée que par les membres du Parti. Lesexceptions à cette règle étaient très rares et se justifiaient par la nécessité d’attirer dans la politique communistecertaines personnes qui ne voulaient pas la faire de façon directe. On pouvait donc parler, en réalité, de la GrandeAssemblée Nationale du PCR, et aussi des Conseils Populaires du PCR!

Si les soi-disants “organismes du pouvoir d’État” étaient répartis sur deux niveaux (organismes suprêmes etlocaux), la formule était valable aussi pour le pouvoir exécutif, représenté par “les organismes centraux et locaux del’administration d’État”. L’organisme suprême de l’administration d’État était le Conseil des Ministres, qui dirigeaitl’activité exécutive générale sur le territoire de la Roumanie. Dans l’exercice de ses attributions, le Gouvernement pouvait prendre des décisions à caractère normatif. Le Conseil des Ministres était composé par le Premier ministre, lesvice-premier ministres, les ministres, les ministres secrétaires d’État, le président du Conseil Central de l’UnionGénérale des Syndicats, le président de l’Union Nationale des Coopératives Agricoles de Production, la présidente duConseil National des Femmes, et le premier secrétaire du Comité Central des Jeunesses Communistes. L’activité duConseil des Ministres se déroulait conformément au principe de la direction collective (valable aussi au niveau dechaque ministère). Le Conseil des Ministres dans son ensemble, ainsi que chacun des ministres, était responsable de sesactivités devant la Grande Assemblée Nationale et, durant les vacances de celle-ci, devant le Conseil d’État.

Les organismes locaux de l’administration d’État étaient représentés par le Comité Exécutif ou par le BureauExécutif du Conseil Populaire de chaque unité administrative. Au niveau départemental et municipal, les ConseilsPopulaires désignaient des Comités Exécutifs, dont les membres étaient choisis parmi les députés; au niveau des villeset des communes rurales, on désignait des Bureaux Exécutifs. Ces organismes exécutifs pouvaient prendre des décisions pour accomplir leurs tâches. A côté des comités ou des bureaux exécutifs, les conseils populaires géraient aussi unesérie d’organismes spécialisés de l’administration d’État.

Le pouvoir judiciaire était organisé conformément au dogme qui affirmait que le droit socialiste, produit par untype supérieur d’État et de société, est nécessairement supérieur au droit bourgeois et non-comparable à celui-ci. Parconséquent, rendre justice avait un caractère surtout politique, la Constitution même précisant que “par l’activité judiciaire, les tribunaux défendent le régime socialiste ...”.

Organisé en “tribunaux de première instance” (au niveau des villes et des municipalités), “tribunaux” (auniveau des départements), “Tribunal Suprême” et “tribunaux militaires”, le pouvoir judiciaire était fortementsubordonné aux autres pouvoirs de l’État. Bien qu’étant supposés indépendants, les juges des instances inférieuresétaient subordonnés au Tribunal Suprême, qui était responsable, à son tour, devant la Grande Assemblée Nationale et leConseil d’État.

Le début de l’action juridique pour les affaires pénales était précédé par l’action de poursuite pénale menée parles organes du Ministère de l’Intérieur (la Milice et la Sécuritate). Leur activité, ainsi que celle des organes d’exécutiondes peines (les pénitenciaires subordonnés au Ministère de l’Intérieur), était surveillée par les organismes du Parquet.Celui-ci était organisé hiérarchiquement (le Parquet Général, les parquets départementaux, les parquets locaux et les parquets militaires) ayant comme attributions de “surveiller l’activité des organismes de poursuite pénale et desorganismes d’exécution des peines”, de veiller sur le respect de la légalité, de défendre le régime socialiste, de respecterles droits des institutions et des citoyens.

Un rôle à part dans “la défense des conquêtes révolutionnaires”, avant et après la victoire totale du socialisme,devait être tenu par la Sécuritate. Il y avait trois départements distincts à l’intérieur de cette institution:

- les troupes régulières du Ministère de l’Intérieur, formées approximativement par 25.000 soldats et officiers;- les unités d’élite, préparées pour des actions spéciales anti-terroristes, de guérilla urbaine, etc. (Ces unités

étaient les suivantes: l’Académie Militaire de la Sécuritate, les Unités Spéciales de Lutte Anti-terroriste, la V-èmeDirection, chargée de la protection des dignitaires, la Direction du Contre-Espionnage, la Direction des RenseignementsIntérieurs, le Service “D” - désinformation);

- les organes de répression intérieure. Concernant ceux-ci, un ancien officier supérieur de la Sécuritate, lecolonel Filip Teodorescu, affirmait: “Je ne nie pas l’existence, jusqu’au dernier moment, de la “police politique”. Ils’agit des segments du système de la Sécuritate qui s’occu paient des activités politiques illégales. Elles concernaient principalement: les survivants du mouvement légionnaire*, les nationaux-fascistes, les nationaux–irrédentistes, lesanciens membres des partis historiques. Tous ceux-ci, à l’exception des chefs actifs, étaient encadrés dans un systèmede surveillance générale dans le but de savoir s’ils avaient l’intention de redevenir actifs (...). Les dissidents, même peunombreux, étaient aussi surveillés (...). Les forces engagées dans cette activité ont diminué graduellement au fil des anset, les derniers temps, elles représentaient moins de 20% du total des effectifs de renseignement” (Teodorescu, 1992).Les effectifs du Département de la Sécurité de l’État n’étaient donc pas suffisamment nombreux pour réaliser lasurveillance de l’activité de la majorité des citoyens. La mise sur écoute de toutes les conversations téléphoniques n’est pas une hypothèse acceptable non plus. Si, par ses possibilités humaines et techniques, la Sécuritate ne pouvait tenir enobservation toute la population, elle avait au moins fait croire à cette idée et avait créé le sentiment que “le bras armé dela révolution socialiste” était présent partout.

Ainsi, en bénéficiant d’une structure institutionnelle qui reflétait la confusion des pouvoirs, l’État socialisteroumain avait pratiquement des pouvoirs sans limites dans ses rapports avec la société dans son ensemble et avec les

individus. Mais toute tentative de la part de l’individu de déterminer la nature et la structure des institutions oppressivesrestait sans aucun résultat, car l’État lui-même n’était pas une autorité indépendante. “Ce qui frappe l’observateur de

* Le Mouvement Légionnaire, connu sous le nom de la  Légion de l'Archange Michel, a été une organisation politique d'extrême droite, mise hors la loi en janvier 1941 par le Maréchal Antonescu.

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l’État totalitaire – considérait H. Arendt – n’est certainement pas sa structure monolithique. Au contraire, tous leschercheurs sérieux, qui ont abordé cette question, sont d’accord au moins sur la coexistence (ou le conflit) d’uneautorité double, le Parti et l’État (...). On a observé aussi, fréquemment, que les relations entre les deux sourcesd’autorité, entre l’État et le Parti, sont en fait celles qui découlent d’une autorité apparente et d’une autre réelle, de sorteque l’appareil gouvernemental est décrit d’habitude comme étant la façade impotente qui couvre et protège le pouvoirréel, exercé par le Parti" (Arendt, 1994). Le citoyen des pays à régime totalitaire vivait donc sous l’autorité simultanéede pouvoirs concurrents; il ne savait pas très bien auquel il devait obéir et lequel il fallait négliger à certains moments.“La seule règle dont chacun pouvait être sûr, dans un État totalitaire, était que plus les agences gouvernementalesétaient visibles, moins de pouvoir elles avaient; et moins on connaissait l’existence d’une institution, plus elles’avérerait puissante...” (Arendt, 1994).

La multiplication continuelle des institutions de l’État, l’apparition d’institutions à double nature (de Parti etd’État), l’augmentation non productive du corps administratif devaient empêcher le développement de l’espritrationaliste et devaient provoquer une absence générale de responsabilité, à l’exception des places les plus importantesde la hiérarchie politique. Cet état d’esprit gagna toute la population, qui perdit l’habitude d’agir par initiative personnelle. L’État avait accaparé l’initiative dans tous les domaines de la vie sociale, se substituant à la société civile.

Etant l’objet d’une anomalie idéologique, accepté en théorie seulement comme expression de la période detransition de la dictature prolétaire à la société communiste, l’État est resté pourtant le domaine privilégié de la doctrineet de l’action des adeptes du communisme. Agent économique unique, basé sur l’appareil bureaucratique et dirigé par leParti unique, l’État communiste a fonctionné dans l’histoire sous le signe de la téléologie: “A la différence des autresÉtats, qui prétendent offrir à la communauté l’ordre et l’organisation nécessaires à son fonctionnement et assurer lesmeilleures conditions pour sa prospérité future, les États socialistes sont téléologiques” (Ionescu, 1972). Cela signifiequ’ils envisagent la transformation de l’homme et de l’ensemble de la société, la création de la société sans classes et,implicitement, sans appareil d’État.

Si l’État socialiste n’a pu mener à terme sa tâche, il a pourtant marqué profondément l’histoire de notre siècle,en prouvant que le développement non contrôlé de l’appareil d’État au détriment de la société, ainsi que le contrôle decet appareil par un Parti unique déterminent des blocages politiques et sociaux, d’où l’on ne peut sortir que par unerévolution ou, au moins, par une réforme des structures.

3. Le Parti Communiste, “ patron” du système politique 

Le 8 mai 1921, un groupe radical s’était détaché du Parti Socialiste de Roumanie; ce groupe était partisan del’adhésion au mouvement communiste, dirigé de Moscou par l’intermédiaire de la IIIème  Internationale (le Komintern).

Ce nouveau parti de la classe ouvrière, renonçant aux formes parlementaires de lutte politique, pour adopter la stratégiede la clandestinité imposée par la IIIème Internationale, s’était transformé en une secte, qui n’avait réussi à réunir quequelques 500 membres parmi les 40.000 que comptait le Parti Socialiste le 8 mai 1921. Pendant que le Parti Socialistesortait de cette crise au début de l’année 1922, pour continuer son activité dans le système politique, le PartiCommuniste mourait lentement. Un rapport du Komintern de 1928 ne mentionnait plus l’existence d’un particommuniste en Roumanie.

Afin de sauver les apparences de la continuité du mouvement, certains groupes de communistes roumainsémigrés en Union Soviétique se donnèrent le nom de Parti Communiste Roumain et représentaient cette organisation politique dans les organismes du Komintern. Pour justifier ce nom et leur activité, les communistes “extérieurs”convoquèrent en 1928, à Harkov (près de Moscou), le IVème Congrès du parti et, à cette occasion, la direction du PartiCommuniste fut remplacée en entier. Ce Parti Communiste de Roumanie, qui, en fait, déployait son activité en UnionSoviétique, put poursuivre sa ligne politique anti-roumaine et pro-soviétique. Les communistes de la Roumanie desannées 30 restèrent, quant à eux, sans organisation politique ou rentrèrent dans le mouvement socialiste.

Entre 1934 et 1938, la majorité des leaders du groupement extérieur du Parti Communiste devaient tombersous les balles des pelotons d’exécution staliniens. En Roumanie, il semble que le parti se soit réorganisé, mais dans lemême esprit sectaire, sans parvenir à attirer les prolétaires réfractaires aux mots d’ordre du Komintern.

Dans ces conditions, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Parti Communiste Roumain, à peine sorti de laclandestinité, n’était pas une formation politique organisée, même pas au sommet, sans parler du nombre insignifiant deses membres. La future force politique dirigeante de la société roumaine cherchait une tête et un corps.Pour la tête,Staline marqua nettement sa préférence pour Gheorghe Gheorghiu-Dej - communiste du groupe “intérieur”. Quant auxadhérents, ils s’inscrirent au parti, tout de suite après son installation au pouvoir, le 6 mars 1945. L’histoire du PartiCommuniste allait connaître ensuite une “gloire” continuelle jusqu’au 22 décembre 1989.

“Le pluralisme” de la démocratie populaire

Dans un ouvrage consacré à la démocratie socialiste, on trouve cette étrange affirmation:  “Le socialisme

n’exclut ni ne suppose, a priori, le système pluri ou mono-parti” (Neagu, 1979). En réalité, la possibilité du pluralismeétait acceptée soit pour le processus de passage au socialisme des pays capitalistes développés, comme la France oul’Italie (où l’on pouvait envisager une alliance des communistes et des socio-démocrates), soit pour l’étape del’instauration du régime communiste après la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’alliance avec d’autres partis degauche était plus que nécessaire.

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Dans la conception des partis communistes de l’ancien bloc socialiste, la démocratie ne devait pas être associéenécessairement à l’existence des partis d’opposition. La présence de ces derniers dans les régimes bourgeois traduisaitl’expression de puissants conflits entre les classes antagonistes, tandis que l’absence des contradictions entre les classesdes sociétés socialistes ne pouvait engendrer que la pluralité des opinions et non pas une pluralité antagoniste. Donc,comme l’affirmait Nicolae Ceauşescu dans l’ouvrage La Roumanie sur la voie de la construction de la société socialistemultilatéralement développée, dans les pays socialistes, où les mécanismes politiques sont fondés sur le Parti unique etlà où les antagonismes des classes ont été dépassés, la question du pluralisme n’a pas de sens.

Dans l’histoire communiste de la Roumanie, le Parti unique s’est pourtant imposé avant même que lesdifférences des classes ne disparaissent. L’élimination de la scène politique des partis concurrents a été réalisée soit pardes décisions abusives de l’exécutif (dans le cas des partis bourgeois), soit par la soi-disante action d’“unification” des partis politiques de la classe ouvrière.

Le processus d’"unification” des forces politiques de gauche a connu plusieurs étapes. Le 30 novembre 1944,le parti Socialiste Paysan s’est uni au Front des Laboureurs (formation politique du futur premier ministre Petru Groza).Le groupe national-paysan d’Anton Alexandrescu s’unira lui aussi au même Front des Laboureurs, le 20 janvier 1948.Le Parti National Populaire s’est sabordé en mars 1949, en justifiant son retrait de la vie politique par la fin de sonmandat historique. Le Front des Laboureurs - l’allié le plus fidèle du Parti Communiste Roumain - a suivi, finalement,la même voie: il s’est sabordé pour... la cause du socialisme!

Le passage du pluralisme au système du Parti unique a connu, comme étape décisive, l’unification du PartiSocial-Démocrate Roumain avec le Parti Communiste Roumain (février 1948), unification à la suite de laquelle est néle Parti Ouvrier Roumain. Le nom du Parti unique ne changeait rien au caractère “révolutionnaire” et anti-démocratiquedu communisme. Beaucoup plus nombreux que les communistes et bénéficiant d’un prestige social incomparablementsupérieur, les anciens socio-démocrates, intégrés au POR, allaient vite constater que l’unification avait représenté ladernière étape dans l’instauration du totalitarisme. Les anciens leaders socio-démocrates, déçus et réveillés par le chocde la réalité, ont pris le chemin de l’exil, lorsqu’ils n’ont pas été arrêtés avant. En Occident, ils devaient laisser “ plutôtune impression d’opportunisme et de lâcheté que de fidélité à leurs idées, puisqu’ils s’étaient soumis à la volontécommuniste ” (Funzã, 1990).

Même après l’instauration du Parti unique, le terme de “pluralisme” n’a pas été écarté totalement. Il a étéutilisé encore pour désigner les processus “démocratiques” au sein du Parti Communiste, où la propagande officiellesoulignait le rôle des débats d’idées et du pluralisme des opinions. Si, dans la politique intérieure, le pluralismedésignait la multitude des voix qui chantaient la même chanson, composée par la direction du Parti unique, à l’intérieurdu camp socialiste le pluralisme représentait un enjeu beaucoup plus grand. L’acceptation par Moscou du droit dechaque parti communiste de choisir lui-même sa stratégie dans la construction du socialisme, en fonction dudéveloppement historique spécifique à chaque pays, signifiait la reconnaissance implicite de l’indépendance des Étatssocialistes par rapport à l’Union Soviétique et de l’émancipation des partis communistes par rapport à la tutelle duPCUS.

Une fois réalisé le détachement symbolique du PCUS, par la Déclaration d’avril 1964 *, le Parti unique deRoumanie pouvait aussi se débarrasser du dernier vestige du pluralisme du mouvement ouvrier intérieur. C’est ainsiqu’au IVème  Congrès du Parti Ouvrier Roumain (1965), pour souligner la continuité et l’unité du mouvementcommuniste, fut repris l’ancien nom de Parti Communiste Roumain. Par son organisation structurale et par le caractèrefigé de son idéologie, le Parti avait démontré que la démocratie populaire originale qu’il avait créée n’avait pas besoinde pluralisme, mais seulement de “l’unité de granit entre le peuple, le Parti et son secrétaire général”.

 Du “dégel” à la re-stalinisation 

Le Parti Communiste Roumain a connu une évolution sinueuse: des convulsions sanglantes des années 50 au“dégel” ou libéralisation des années 60, pour finir dans une re-stalinisation, sous la direction de Nicolae Ceauşescu .

Après l’"unification” avec les socio-démocrates, le processus de “purification” a commencé dans le nouveau parti: la plupart des socio-démocrates ont été affublés d’étiquettes anti-communistes, et, de ce fait, exclus du POR. Lorsde cette opération, qui à débuté en 1948, approximativement 200.000 adhérents -dans leur majorité, des anciens socio-démocrates “unifiés”- ont été exclus du Parti. Cette “ purification ” par l’exclusion des personnes indésirables a eu lieuaussi dans les instances de direction. D’une part, on a éliminé (quelquefois physiquement même) certains communistesattachés à la cause nationale. Par exemple, l’ancien ministre de la justice, Lucretiu Pãtrã şcanu, l’un des “cerveaux” duParti, a été exécuté pour plusieurs raisons, notamment pour avoir affirmé: “Avant d’être communiste, je suis Roumain!”.D’autre part, les derniers représentants du groupe “extérieur” du Parti ont été marginalisés. De cette façon, les leadersautochtones, Gheorghe Gheorghiu-Dej en tête, ont écarté la concurrence des intellectuels et des “moscovites”.

Sur un fond de “pacification” intérieure du Parti, sa direction a pu amorcer une politique d’indépendance parrapport à Moscou. Relativement affaiblie par les actions réformatrices de Kroutchev, la pression de l’Union Soviétiquesur les pays satellites reprit par le biais du Conseil d’Aide Economique Réciproque (CAER), siégeant à Moscou.

*  À la suite de la "résistance" roumaine aux tentatives d'intégration économique du CAER et comme

conséquence du rôle de médiation joué par le POR dans le conflit idéologique sino-soviétique, a été publiée en avril1964 la “ Déclaration sur la position du Parti Ouvrier Roumain concernant les problèmes du mouvement communiste etouvrier international ”. Cette prise de position élevait au rang de politique de Parti l'indépendance et la souveraineténationales, en favorisant le rapprochement entre le régime de Bucarest et les pays occidentaux. À l'intérieur, le régimes'assurait ainsi du soutien du peuple, qui appréciait le détachement de la Roumanie de l'Union Soviétique.

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Poursuivant une plus grande intégration économique des pays socialistes, les économistes soviétiquessoutenaient la thèse de la division internationale du travail. De cette façon, la majorité des pays socialistes seraientdevenus, en fait, des colonies de l’empire soviétique. Conscients du danger de l’occupation économique, les leaders deBucarest refusent alors le projet qui voulait faire de la Roumanie “le potager” du camp socialiste. Ils affirment le droitde chaque Parti de décider les stratégies économiques et politiques appliquées dans son propre pays. En mars 1963, uneréunion pleinière du Comité Central approuve la position du Parti concernant l’inopportunité des organismessupranationaux. Une année plus tard, une autre réunion pleinière du Comité Central adopte la célèbre “Déclarationd’avril”.

Dans la société roumaine, les deux dernières années de l’époque de Gheorghe Gheorghiu-Dej ont représenté ledébut de la déstalinisation. Devant l’insistance des pays occidentaux, qui avaient renoué leurs relations avec laRoumanie, le régime de Bucarest a fait sortir de ses prisons plusieurs milliers de prisonniers politiques, entre 1962 et1965. Les abus et les immixtions soviétiques dans la politique intérieure des États socialistes, y compris dans celle de laRoumanie, ont été portés à la connaissance de la nation. On a dénoncé aussi le pillage subi par la Roumanie après laSeconde Guerre mondiale. Une série de personnalités de la vie culturelle roumaine ont été réhabilitées. Une“révolution” a donc eu lieu, dirigée par le sommet du Parti. Celui-ci revendiquait de plus en plus souvent et avecinsistance son héritage national; la monnaie du nationalisme, pour laquelle quelques années auparavant on risquait la peine de mort ou une lourde peine de prison, était considérée maintenant comme la devise forte du régime communiste.Le détachement de Moscou, l’amitié avec les pays démocratiques occidentaux et avec la Chine (devenue désormais unesorte de “garant” de l’indépendance de la Roumanie), la libéralisation intérieure sur le plan culturel représentaientautant de raisons pour croire à la possibilité d’un socialisme roumain démocratique.

Après la déstalinisation “extérieure”, Gheorghiu-Dej devait déclencher le processus de déstalinisationintérieure. Il est probable qu’il y aurait réussi s’il n’était pas mort le 19 mars 1965. Son testament politique (la“ Déclaration d’avril ”) aurait du être mis en pratique par ses successeurs. Mais après 1965, l’indépendance conquise par Gheorghiu-Dej à grands risques ne fut plus utilisée comme point de départ de la démocratisation intérieure, maiscomme terrain de manoeuvres pour l’instauration de la dictature et du culte de la personnalité.

Après sa confirmation dans la fonction suprême du Parti, Nicolae Ceauşescu est élu par la Grande Assemblée Nationale comme président du Conseil d’État (le 9 décembre 1967). La concentration du pouvoir de Parti et d’État dansles mains d’un seul homme est effective. Durant les premières années qui suivent la prise du pouvoir, NicolaeCeauşescu conserve les apparences de la libéralisation qui avait débuté sous la direction de Dej. A l’extérieur, ilcontinue et développe les relations avec les États occidentaux et avec la Chine. Mais sa manifestation la plusspectaculaire comme chef de Parti et d’État, indépendant vis-à-vis de Moscou, se produit en août 1968. Son refus de prendre part, à côté des troupes des autres pays du Traité de Varsovie, à la répression du Printemps de Prague lui vautl’appréciation favorable de tous les pays démocratiques et, ce qui est plus important, l’appui sans réserves du peupleroumain. Son courage à affronter les Soviétiques a constitué pour longtemps le réservoir d’un soutien diffus, dont ilavait besoin pour installer graduellement sa dictature personnelle.

Au début des années 70, une série de restrictions est imposée pour réaliser un contrôle total du Parti et de l’Étatsur la vie économique, politique et culturelle. Ceauşescu prépare une révolution culturelle selon le modèle chinois. Si,de 1965 à 1970, le chef du Parti mène une campagne de critiques acerbes à l’adresse des erreurs commises par le Partidans le passé, dans les deux décennies suivantes le Parti devient la force politique dont on ne peut parler que positivement. Les communistes de la vieille garde de Dej ayant été écartés du pouvoir, le changement démocratique estdevenu impossible à l’intérieur du Parti aussi. La nouvelle génération de leaders communistes désirant profiter desavantages du pouvoir se borne à obéir au chef suprême du Parti, du bon vouloir duquel dépend le maintien dans sesfonctions de chaque grand dignitaire.

Après la période du “dégel” des dernières années de Gheorghiu-Dej et après les premières années de “l’époqueCeau şescu”, la Roumanie subit un processus de re-stalinisation, contraire à l’évolution générale du socialisme mondial.Pendant que l’URSS se trouve en pleine période de stagnation et que dans certains États socialistes européens on essaieune timide réforme, la Roumanie parcourt le chemin inverse: de la libéralisation à la re-stalinisation. Le Parti, l’État etla société roumaine connaissent ainsi une période où l’idéologie se fige, où le culte de la personnalité prend desdimensions jamais vues dans ce pays.

Tout le processus de re-stalinisation se déroule, pourtant, sous l’apparence de la démocratie. Le centralismedémocratique assure, selon l’avis des doctrinaires communistes, “le droit sans limites des membres du Parti d’exprimerleur opinion, dans un cadre organisé, sur toutes les questions mises en discussion et, après la prise d’une décision, ilimpose la discipline nécessaire en vertu de laquelle la minorité doit se soumettre à la majorité, celle-ci étant obligée demettre en pratique cette décision-là” (Mãgureanu, 1981).

Pour que l’expression “libre” des opinions ne dépasse pas le “cadre organisé”, ainsi que pour maintenir la“discipline librement consentie”, les organisations de Parti sont l’objet de contrôles multiples de la part des échelonssupérieurs. Ces derniers dirigent les actions des organisations de base et “orientent” l’élection des organismes dedirection. Ces méthodes engendrent un système de dépendances personnelles, de clientélisme politique rappelant lesystème féodal. La position d’un individu dans la structure de la hiérarchie du Parti (la nomenklatura) dépend, dans unelarge mesure, de la discipline dont il fait preuve et du soutien des dirigeants. Le mécanisme de la démocratie “originale”

du PCR est donc fondé sur des critères totalement opposés au courant technocratique qui s’était timidement affirmédans les années 60.La “science de gouvernement” et “l’expertise” étaient, dans les années 60, des expressions privilégiées, qui

reflétaient le désir de rendre efficientes les prises de décision dans les domaines économique et politique. Les expertssemblaient s’assurer la première place dans le processus de planification et de décision, remplaçant les militants du

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Parti. Ceux-ci, ayant fait de l’activité politique leur profession, ont vu leurs intérêts et leurs positions menacés. “Lui-même militant du Parti de profession, Nicolae Ceauşescu ne pouvait pas ne pas sentir la frustration qui avait commencéà apparaître dans l’appareil. Le modèle maoïste de la révolution culturelle, avec sa violence anti-intellectuelle et sesslogans populistes, lui semblait, au contraire, familier: les concepts inconfortables de “compétence” et d’“efficience”sont remplacés par d’autres, pris au répertoire classique du communisme de guerre des années 30 - “révolutionnaire”,“élan”, “idéologie”, “engagement”, “enthousiasme” etc., dont ceux qui étaient formés dans les Ecoles de Parti étaientspécialistes" (Botez, 1992). Comme le remarque Mihai Botez, N. Ceauşescu a eu l’habileté politique de se concilierl’appareil de Parti, en lui montrant le sombre avenir auquel allaient le réduire les technocrates. Se voyant sauvés et, plusencore, promus en position de groupe privilégié et tout-puissant dans la société, les militants ont pris part de toutes leursforces au maintien de l’appareil du Parti, avec ses structures rigides, contrôlées complètement par le sommet.

À la différence de la révolution maoïste, dirigée contre l’appareil du Parti qui menaçait de devenir autonome, lare-idéologisation déclenchée par N. Ceauşescu au début des années 70 a donc frappé la technocratie naissante, afin de pouvoir s’asservir le corps de la nomenklatura reconnaissante. L’ascension dans la hiérarchie du Parti (et,implicitement, dans celle de l’État, économique ou culturelle) se réalisant selon des critères étrangers à la compétence professionnelle, on a favorisé la vieille garde de militants professionnels, obtus et obéissants.

C’est ainsi qu’aux dernières années du régime communiste, une compétition de plus en plus serrée et dures’annonçait entre les vieux militants et la génération des 35 à 40 ans, mieux instruite et moins dogmatique. Les jeunes- produits de “l’époque Ceauşescu” et de la période opportuniste du Parti, étaient accusés par les plus âgés d’être enclinsaux abus et au volontarisme et d’enfreindre le principe du travail collectif.

A l’intérieur du Parti, comme à l’intérieur de l’appareil de l’État, malgré “l’harmonie idéologique” et ce que la propagande appelait “l’unité d’action”, une lutte pour la suprématie mettait aux prises les diverses coteries régionales,qui avaient des ramifications et des membres dans les familles de Nicolae ou d’Elena Ceauşescu. On avançait mêmel’idée que le pouvoir effectif appartenait à l’épouse du secrétaire général du Parti, laquelle avait imité la célèbrecompagne du “grand timonier” chinois. Enfin, l’un des fils de Ceauşescu, Nicu (qui avait parcouru les échelonshiérarchiques jusqu’à la fonction de premier secrétaire du Comité départemental de Parti à Sibiu), essayait de seconstruire une image de successeur libéral de son père.

A l’exception de ces “manoeuvres de famille”, les mécanismes de la démocratie de Parti ne devaient pas permettre l’apparition d’un mouvement alternatif ou d’un groupe réformateur. Par la création d’un “systèmeimmunisant”, le Parti, c’est-à-dire son chef suprême, identifiait et éliminait discrètement tous ceux qui affichaient dunon conformisme ou qui formulaient quelque critique à l’adresse du totalitarisme. Tous les réformateurs virtuels étaientmarginalisés dans des fonctions sans importance. Sans recourir aux méthodes violentes des années 50, le chef du Partiécarte ses rivaux du jeu politique, en les condamnant à l’isolement. Pour des raisons “esthétiques”, ceux-ci sontquelquefois présents de nouveau sur le devant de la scène, pour peu de temps, à l’occasion des festivités, ce qui ne faitqu’accentuer leur amertume et leur impuissance.

Le système de clientélisme politique patronné par Nicolae et Elena Ceauşescu avait pour argument laconservation de l’unité du Parti, dans la mesure où des mouvements “déviationnistes” étaient apparus même àl’intérieur du PCUS. Le gorbatchévisme, qui avait fractionné le Parti soviétique, menaçait aussi l’unité des autres“Partis-frères”. Si certains d’eux essaient alors de suivre la voie des réformes, le Parti Communiste Roumain préfèregarder l’illusion de son originalité, de son “orthodoxie” et de son unité jusqu’au fatidique décembre 1989. Il gâche sadernière chance de se sauver au XIVème Congrès (de novembre 1989), lorsque sa “démocratie intérieure” ne peut quereproduire le même scénario de “réélection à la fonction suprême du camarade Nicolae Ceauşescu”. 

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Chapitre III

LA SOCIÉTÉ SOCIALISTE ET “ L’HOMO SOVIÉTICUS”

Le système politique de la Roumanie socialiste, dominé par le Parti Communiste, est devenu, aprés laRévolution de 1989, un facteur d’inertie institutionnelle pour le processus de la transition. Le modèle bureaucratique

fortement hiérarchisé pèse sur les tentatives de rationaliser les institutions de l’État et de constituer des formations politiques modernes. Bien qu’acceptée comme principe démocratique à valeur universelle, la séparation des pouvoirsdans l’État est vue comme un facteur de dissension et de limitation des capacités d’action des institutions publiques. Le pluralisme, acclamé en décembre 1989, est aujourd’hui, pour bien des citoyens, un caprice coûteux et un ennemi duconsensus national. La vieille structure institutionnelle du pouvoir et, en général, le système politique de typecommuniste constituent donc un mécanisme qui freine le processus de transition.

Les médias post-révolutionnaires démontrent, par les sondages d’opinion, les interviews et, quelquefois, même par les commentaires politiques, qu’à côté de l’inertie du pouvoir politique, l’inertie de la société civile se manifeste pleinement dans le processus de transition. Changer les mentalités en ce qui concerne la propriété, la liberté, ladémocratie, etc., et former une nouvelle culture politique sont les objectifs les plus difficiles de la transition; sil’adaptation des structures politiques et économiques aux réalités d’une nouvelle Europe est un processus qui relèvesurtout de la volonté politique des anciens États socialistes, le changement des mentalités ne peut pas se réaliser par undécret ou par une loi. La “création de l’homme nouveau”, imaginé dans les laboratoires communistes, a été bien

difficile; sa destruction l’est autant. L’homme libre n’est pas réapparu avec la démolition des statues de Lénine et deStaline. Après sept décennies en Union Soviétique et cinq décennies dans les autres pays de l’ancien camp socialiste, laconstruction du citoyen libre et responsable semble être l’épreuve la plus délicate de la transition.

On constate donc que la destruction de l’ancien édifice des institutions et la construction de l’Étatconstitutionnel pluraliste ne résolvent pas tous les problèmes de la transition. Finalement, les mécanismes et lesinstitutions démocratiques doivent être mis en branle par les hommes. Mais sont-ils préparés à conduire et à contrôler levéhicule de la démocratie? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’analyser la société qui a fonctionné enRoumanie, et dans le monde communiste, en général, jusqu’à la chute du régime totalitaire. Cette société-là peutexpliquer beaucoup de difficultés de la transition. Et l’homme de type soviétique est une confirmation vivante du faitque l’existence des droits et des libertés n’est que la condition de leur exercice; pour les exercer, les individus et lasociété ont besoin d’un long entraînement, de vaincre l’inertie et la peur, de dépasser l’indifférence et le désespoir. Dansle monde socialiste, les hommes ont appris d’Engels que la liberté c’était de comprendre la nécessité. Traduit dans lelangage de l’action sociale, le terme de liberté pouvait désigner le système compliqué d’interdictions entre lesquelles

l’individu était obligé de se faufiler pour rendre sa vie plus facile, ou même pour survivre. La reconstruction de ceconcept, ainsi que la reconstruction des modèles d’action sociale, demandent du temps et d’énormes efforts. Unenouvelle socialisation politique commence à présent sur les ruines de l’ancien “homme nouveau” de la sociétésocialiste.

1. Les effets politiques d’une nouvelle structure sociale 

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Les régimes démocratiques se préoccupent de la gestion rationnelle du domaine public et de lacréation des conditions de normalité sociale. A la différence de ceux-ci, les régimes totalitaires (et surtout lestotalitarismes de gauche) se sont laissé séduire par l’idée d’une ingénierie sociale, qui essaie de reconstruirele monde conformément aux principes égalitaires. Les résultats de cette ingénierie ont été tout à faitcontraires à son but initial: “Né d’un idéalisme impatient à renverser l’injustice du statu-quo, le communismea proposé une société meilleure et plus humaine - mais il a produit de l’oppression en masse. Il a propagé demanière optimiste la foi dans la capacité de la raison à construire une communauté parfaite. Il a mobilisé les

 plus forts sentiments d’amour pour l’humanité et de haine contre l’oppression, dans la perspective d’uneingénierie sociale motivée moralement. Il a subjugué ainsi quelques-uns des plus brillants cerveaux etquelques-unes des âmes les plus idéalistes - bien qu’il ait inspiré quelques-uns des plus horribles crimes dece siècle” (Brzezinski, 1993). Ainsi que Brzezinski le montre, le communisme a fait l’utopique parid’instaurer une rationalité sociale totale. Cette rationalité aurait été, en fait, une fin de l’histoire, mais d’unenature différente de celle prévue par Francis Fukuyama: non une dissolution de l’histoire conflictuelle del’humanité par la mondialisation du système occidental, mais une fin de l’accident dans l’histoire, par le

contrôle total des objectifs communautaires. Cette foi excessive dans le pouvoir de la raison humaine de“gouverner” l’histoire a provoqué, en pratique, une gigantesque expérimentation sociale, qui aurait dû faireapparaître “l’homme nouveau” et “la société homogène”. Les mécanismes de défense que l’individu et lasociété ont opposés aux pressions de l’expérimentation communiste ont conduit, finalement, à son échec.Mais ni l’individu ni la société n’en sont sortis indemnes.

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La structure de la société roumaine s’est modifiée de façon spectaculaire après l’instauration du régimecommuniste. Ces changements, qui faisaient partie de la stratégie du pouvoir communiste, ont connu deux étapes:

- la destructuration de la société bourgeoise, par la modification de la nature de la propriété (le transfert de la propriété privée à l’État a déterminé la disparition de la base économique de la bourgeoisie, des propriétaires fonciers etdes petits entrepreneurs industriels, agricoles et commerciaux) et l’élimination physique d’une partie importante de la prétendue “classe des exploiteurs”;

- la restructuration sociale par la restructuration des catégories “rémanentes”, qui ont reçu de nouvellesdéterminations dans les nouvelles conditions des relations de production et socio-politiques, et la création de nouvellescatégories sociales, spécifiques à la société socialiste. Les mécanismes de cette restructuration ont été les suivants:l’industrialisation à un rythme accéléré de l’économie nationale et sa modernisation; le coopératisme agricole et ledéveloppement intensif de l’agriculture; le développement des autres secteurs de l’économie; la répartition des forces de production sur tout le territoire du pays (quelquefois même en contradiction avec les opportunités économiques); la planification macro-économique et le contrôle politique de l’économie; l’urbanisation accélérée, etc.

Entre 1950 et 1985, des modifications profondes ont affecté la structure de la population active de Roumanie: pendant que l’on enregistrait une augmentation de la population occupée dans les domaines non agricoles, on constataitaussi la modification de la structure de la population dans les milieux sociaux (rural et urbain). En 1985, seulement 28%de la population active travaillaient dans l’agriculture (par rapport aux 74% en 1950); l’industrie occupait 37% desactifs, le bâtiment 7,5%, les transports 6,5%, le commerce 6%, l’enseignement 4%, la santé 2,5%, etc. Si en 1948seulement 23% de la population habitaient dans les villes, en 1985 la population urbaine s’élevait à 49,5%.

La modification de la structure sociale de la Roumanie a été déterminée par le besoin de “corriger” la réalitésociale, conformément à l’idéologie de la révolution socialiste. Ainsi, on a commencé à “fabriquer” la classe ouvrière,qui devait assumer le rôle de force d’avant-garde de la nouvelle société. La politique d’industrialisation rapide, planifiéeet contrôlée par le PCR au niveau national, a provoqué une ample migration de la population rurale vers les villesindustrielles. Les pressions économiques exercées sur la paysannerie, ainsi que la promesse d’une vie plus facile à laville, ont poussé beaucoup de paysans à tenter leur chance comme ouvriers.

Les énormes investissements dans le bâtiment civil ont créé, dans un temps assez court, les conditions del’assimilation de l’énorme masse de paysans qui avaient opté pour la civilisation urbaine. Mais la concentration de la population dans les agglomérations a représenté aussi un moyen important de contrôle social pour le régimecommuniste. La distribution centralisée de l’énergie électrique, de l’eau et de l’énergie thermique offrait, par exemple,aux gouvernants la possibilité d’exercer des pressions et de tester de façon permanente les limites dans lesquelles la population était capable d’accepter l’austérité.

Simultanément, on enregistrait des processus de destructuration des relations sociales. Si les sociétés ruralestraditionnelles réalisaient une “insertion” de l’individu dans un système complexe de relations sociales, la villeaugmentait la distance entre les gens, malgré leur rapprochement dans l’espace. La ville représentait, donc, l’espace dela solitude. Dans ces conditions, le pouvoir politique pouvait contrôler les processus de socialisation, s’assurant que, dumoins en milieu urbain, seul le modèle culturel de la société socialiste s’imposerait. Satisfaits de leur relative prospérité(par comparaison au niveau de vie du milieu rural), les anciens agriculteurs devenus ouvriers étaient parfaitement préparés à adhérer “avec sincérité et enthousiasme” au nouveau régime. C’est parmi ces ouvriers que le PartiCommuniste Roumain a recruté son énorme armée de “membres de Parti”, qui lui donnait le droit de s’autoproclamer“Parti de la classe ouvrière”.

Ayant une formation sommaire, les ouvriers devaient être dotés d’une conscience de vainqueurs, de dirigeantsde la société socialiste. Ils devaient dépasser le handicap culturel et social, pour devenir maîtres et héros du travailsocialiste. La transformation de la personnalité du travailleur et son enrôlement dans le mouvement communiste étaientrelativement faciles à réaliser. Son expérience politique était négligeable. La lutte politique pour les droits et les libertésciviques lui était étrangère. “La liberté de la presse ne constituait pas non plus un rêve pour des gens à peinealphabétisés. Et, naturellement, les traditions de la vie à la campagne ne lui avaient pas inculqué le besoin de la libertéd’association. On peut dire plutôt que ce que les agriculteurs ont apporté dans la vie de l’usine a été le sentiment d’unesécurité confortable, acquise dans une communauté fermée et cohérente. Même leur méfiance spontanée vis-à-vis desintellectuels - sentiment tellement fréquent chez les ouvriers d’origine paysanne - fut un trait que les leaders de l’Étatsont arrivés à apprécier et à exploiter politiquement” (Brucan, 1991).

Après avoir inoculé aux ouvriers l’idée qu’ils représentaient la classe dirigeante de la société, les conditionsd’un pacte tacite entre le Parti et le prolétariat étaient créées. Le soutien politique dont le Parti allait profiter avait pour prix son obligation d’assurer l’élévation constante du niveau de vie de la classe ouvrière. Les événements dans plusieurs pays socialistes ont démontré que, dès que le Parti n’a plus pu tenir sa promesse faite aux ouvriers, ceux-ci l’ontsanctionné par des actions revendicatives, qui venaient assombrir la façade du bien-être socialiste. C’est ainsi que leschoses se sont passées en Pologne (la grève des ouvriers des chantiers navals, de décembre 1970), en Roumanie (lagrande grève des mineurs de la Vallée du Jiu, en août 1977) et en Hongrie (où les syndicats ont réussi à imposer augouvernement, en 1979, le maintien d’un niveau de vie constant malgré l’augmentation des prix).

Bien que la Roumanie ait représenté, pour l’opinion mondiale, le pays du “parfait consensus”, où le Parti nerencontrait aucune opposition, il faut dire que la grève de 1977, quoique non médiatisée, a soulevé les premières

interrogations sur la stabilité du régime communiste. Pendant l’été 77, comme s’ils se rappelaient les traditions desmouvements ouvriers de 1929, les mineurs de la Vallée du Jiu ont commencé une ample action revendicative, à laquelleont pris part plus de 30.000 travailleurs. Persuadés de l’inefficience des tractations menées avec les représentants locauxdu pouvoir, les mineurs ont pris en otage le Premier ministre et ont exigé de traiter directement avec le chef du Parti etde l’État. Nicolae Ceauşescu a été contraint d’accepter les revendications des mineurs, en déclenchant seulement

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quelques mois plus tard les répressions échelonnées. Pour le régime de Bucarest, la grève des mineurs confirmait le faitque le pacte politique entre le Parti et la classe ouvrière dépendait du maintien des avantages économiques de celle-ci.Quant aux mineurs, le relatif succès de leur action leur a fait prendre conscience du pouvoir qu’ils détenaient réellementdans le mécanisme social. Après la chute du régime totalitaire, le souvenir de la grève de 1977 sera l’argument principaldes actions directes, que les mineurs ont utilisé. Le fait d’avoir traité directement avec le chef de l’État, en 1977, leur afait croire que, après 1989 aussi, c’était là la seule façon de résoudre les questions économiques.

Les conditions économiques du “pacte” politique n’étaient pas trop difficiles à remplir dans les payssocialistes, puisque la pauvreté généralisée avait déterminé une diminution importante du niveau des aspirations desindividus. Dans ces conditions, “les gens ne voulaient pas être heureux ou influents ou avoir du succès, mais ils secontentaient de survivre, éventuellement dans des conditions meilleures que les autres membres de leur milieu” (Botez,1992). Plus encore, compte tenu du travail effectué, l’ouvrier socialiste recevait une quantité énorme de récompenses,concrétisées dans le salaire et les divers services gratuits. A propos de ce déséquilibre significatif entre le travail et lesrécompenses, Alexandre Zinoviev affirmait qu’ “on peut découvrir que le système communiste est avant tout (…) unetentation et seulement ensuite une nouvelle forme d’exploitation et d’asservissement. Le droit au travail, l’emploigaranti, l’individu les paie par l’obligation de travailler et par son attachement à une collectivité officielle. Les congés payés, les séjours gratuits en maison de repos, il les paie par des services misérables dans cette même maison de repos(...). La relative indépendance de la rémunération à l’égard de la qualité et de l’intensité du travail, la société la paie parune indifférence des hommes à l’égard de la productivité du travail et par des bas salaires” (Zinoviev, 1981).

Jusque vers la fin des années 70, les conditions économiques du “pacte” politique entre le Parti et la classeouvrière se sont maintenues en Roumanie. Mais, ayant l’ambition de liquider les dettes extérieures, le régime deBucarest a été obligé de sacrifier progressivement les “avantages” du socialisme pour acquérir “l’indépendanceéconomique de la Roumanie”. C’est ainsi que la dégradation générale des conditions de vie du peuple a conduit à unemaladie économique chronique, que Mihai Botez a appelée “l’économie de la pénurie”. Celle-ci a entraîné, à son tour,une “fatigue sociale” qui s’est traduite par une incapacité à réagir promptement au déclin économique individuel etcollectif. Le désir de changer n’était pas appuyé, dans ces conditions, sur une volonté d’agir. C’est ainsi qu’un syntagmecélèbre s’est mis à circuler, qui se voulait une radiographie de la conduite des Roumains: “la polenta n’éclate pas!”

L’explosion sociale était pourtant difficile à imaginer non seulement à cause de l’inertie de la population, maisaussi en raison du contrôle sévère exercé par l’État et par le Parti sur la société. La deuxième génération d’ouvriersn’avait pas l’expérience de la gestion d’un conflit ouvert avec le pouvoir et ne disposait pas d’une organisationsyndicale indépendante par rapport au PCR. Le syndicalisme n’était donc pas arrivé à imposer la différence entre larevendication politique et la revendication économique. Et l’identification des deux types de revendications faisait quetoute action syndicale “rebelle” était considérée comme un crime contre l’État (parasité par le Parti Communiste). Encombinant les “tentations économiques” et les menaces politiques, le pouvoir communiste a réussi à tenir sous contrôleune classe ouvrière relativement jeune et sans expérience; plus encore, le Parti a réussi à s’asservir cette classe, tout enaffirmant qu’il gouvernait mandaté par elle.

Si vis-à-vis de la classe ouvrière le Parti avait une obligation qui tenait de l’idéologie de la révolutionsocialiste, la paysannerie et l’intelligentsia représentaient les classes “alliées”, auxquelles il fallait imprimer l’esprit ducommunisme. Considérées comme dépositaires de l’attitude réactionnaire et anticommuniste, ces classes ont étésurveillées attentivement, longtemps après l’instauration du socialisme.

Représentant approximativement 80% de la population active au moment de l’instauration du régime totalitaireen Roumanie, la paysannerie était une force sociale conservatrice et méfiante vis-à-vis de la “révolution socialiste”. Lescommunautés rurales traditionnelles, dominées par l’esprit orthodoxe et attachées à la propriété privée, n’appréciaient pas du tout l’athéisme communiste et l’expérience des kolkhozes soviétiques. Si les paysans russes n’avaient pas unsens aigu de la propriété individuelle, il y avait, en Roumanie, une tradition séculaire de la petite propriété paysanne.Les grands mouvements sociaux déclenchés par les paysans tout au long de l’histoire avaient eu tous le même enjeu : laterre. Par conséquent, la collectivisation prévue par le régime communiste se heurtait a la forte opposition de la paysannerie. Dans ces conditions, la transformation de la paysannerie en une “classe progressiste”, adepte du

socialisme, s’annonçait longue et difficile.Après avoir liquidé les grandes propriétés (par la réforme agraire de 1945), le gouvernement communistedéclencha l’opération de la “transformation socialiste de l’agriculture”, recommandée par la Réunion Pleinière duComité Central du POR du 3-5 mars 1949. Cette “transformation socialiste” représentait l’élimination du droit de propriété privée sur la terre, qui devenait “propriété collective”. Après la nationalisation des industries et des autresdomaines fondamentaux de l’économie (juin 1948), le Parti instaura la propriété socialiste en agriculture aussi, après 13ans de “guerre” contre les paysans.

Au printemps de 1962, le Parti avait terminé, officiellement, la campagne de collectivisation de l’agriculture.La propriété privée de la terre était désormais réduite à seulement 9,3% de la surface cultivable du pays, survivantuniquement dans les zones des montagnes et des collines, où l’unification des terres n’était pratiquement pas possible.Dans ces conditions, “le pays n’avait plus de paysans. A leur tour, les paysans n’avaient plus de pays, mais seulementun domicile en milieu rural” (Frunză, 1990).

Diminuée en nombre et dépossédée de ses traits essentiels, la paysannerie s’est alors transformée en un prolétariat agricole totalement dépendant de la “répartition socialiste” et d’un système de rétribution du travaildécourageant. Il est vrai qu’avec la perte de la propriété, les paysans avaient perdu aussi le culte du travail bien fait.Malgré tout cela, l’agriculture devait soutenir longtemps l’économie nationale et les exportations. Les revenus del’agriculture compensaient les pertes énormes des secteurs industriels non rentables et le monde rural n’a donc pas

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 bénéficié de progrès importants du niveau de vie. Produisant la nourriture pour toute la nation (et pour l’exportation), la paysannerie roumaine est restée à la limite de la pauvreté matérielle, et, souvent, d’une pauvreté culturelle.

Si, selon le discours politique, les ouvriers et les paysans avaient le statut de classes sociales (même si leursdéterminations étaient quelquefois confuses et mélangées), l’intelligentsia a eu dans le système communiste unesituation paradoxale, résultat de son statut culturel et de sa position par rapport au pouvoir politique. Aucun régime ne peut être fondé uniquement sur la force, ni sur la justification idéologique de sa supériorité; les dirigeants sont toujoursobligés de récupérer (au moins en partie) l’image de la compétence, de la capacité de comprendre et d’organiser lesocial avec les instruments de la science. Or ce sont les intellectuels qui ont les meilleurs rapports avec la science. Et làoù les “princes” ne sont pas philosophes, le pouvoir doit s’assurer les services des intellectuels, pour acquérirl’efficience et la légitimité.

L’intelligentsia roumaine a été, après l’instauration du communisme, l’objet d’attaques permanentes, puisqu’elle était le dépositaire de valeurs culturelles, éthiques et politiques incompatibles avec le communisme. Mêmes’il y avait eu, dans l’intelligentsia de l’entre-deux-guerres, un important courant socio-démocrate, il ne représentait pas“une garantie politique” pour le nouveau régime. Dans ces conditions, une grande partie de l’intelligentsia a étéassimilée à “l’ennemie de classe” et internée dans les prisons du régime de “démocratie populaire”. Les plusimportantes personnalités culturelles, lorsqu’elles n’avaient pas quitté le pays, ont été écartées des universités et desinstituts après 1947, leurs places étant occupées par des inconnus, portés par la vague politique.

Décimée par “le test de fidélité”, l’intelligentsia roumaine a dû être remodelée en une catégorie très utile au pouvoir : les technocrates. La technocratie des régimes communistes était cependant différente de celle du mondecapitaliste, tant du point de vue de la possibilité d’y accéder et de la mobilité intérieure, qu’en ce qui concerne la position économique et le pouvoir de décision qu’elle avait dans la société. Certains sociologues d’Europe de l’Est ontessayé de démontrer que l’intelligentsia des États socialistes avait une situation privilégiée par rapport à d’autres classeset catégories sociales. Plus encore, certaines analyses occidentales concernant les rapports sociaux et politiques dans lesocialisme, soutiennent l’idée que la contradiction principale du socialisme serait celle qui se manifeste entre la bureaucratie administrative (qui défend la propriété d’État) et l’intelligentsia dont le pouvoir est fondé sur laconnaissance. Ces théories ont pourtant un grand défaut: elles imaginent plus qu’elles ne constatent. Théoriquement,l’intelligentsia aurait pu être privilégiée, mais elle ne l’a été pratiquement jamais: ses revenus ont rarement dépassé ceuxd’un ouvrier spécialisé et son accès au pouvoir effectif n’a été qu’isolé et accidentel. Même si les intellectuels étaientnécessaires au pouvoir, les dirigeants les ont toujours tenus en suspicion, manifestant “une certaine méfiance et mêmedu mépris pour les intellectuels en général et spécialement pour les écrivains” (Ra ţiu, 1990). Cela parce que la plupartdes dirigeants communistes de la “vieille garde” avaient une formation intellectuelle sommaire, qui leur donnait unsentiment d’infériorité devant les lettrés.

Quelle que fût l’attitude des dirigeants vis-à-vis des intellectuels, il est certain que le régime communiste, dansson ensemble, ne pouvait être “dévoué” qu’au travailleur manuel; par conséquent, le communisme ne pouvait guère

cultiver une relation trop cordiale avec l’intelligentsia. Selon Katherine Verdery, le statut des intellectuels dans lesocialisme était celui d’occupants passagers d’une place privilégiée pour la formation et la transmission des discours; ilsoccupaient donc l’espace de la construction idéologique et – implicitement – de la légitimation du pouvoir, celui del’émission des paradygmes autorisés par lesquels la société se pense elle-même et conçoit les rapports de pouvoir-obéissance. Cette interprétation du statut des intellectuels apporte des nuances importantes dans l’explication de leursrapports avec les autorités du Parti-État: l’intellectuel est en même temps utile et dangereux puisque l’espace delégitimation qu’il occupe “ne sert pas toujours au système du pouvoir en place, mais il peut être le reflet de la formationdes consciences alternatives ou d’autres images de la réalité sociale” (Verdery, 1994).

Par leur prestige culturel, les intellectuels pouvaient représenter à tout moment des centres alternatifs de pouvoir social, surtout dans les conditions de la constitution d’une opposition cohérente au pouvoir politique. Celan’arriva pourtant pas en Roumanie, car la division et l’atomisation n’avaient pas laissé de place pour un mouvementdissident articulé. Tout comme le monde roumain exilé, l’intelligentsia était fortement divisée, pas tellement à cause del’attitude envers le communisme, mais surtout à cause des orgueils et des animosités personnelles d’un byzantinisme

 parfait. Même s’ils se trouvaient dans le même camp (par leur anticommunisme et leur antisoviétisme), les intellectuelsse méfiaient néanmoins les uns des autres, se soupçonnant de collaborationnisme, pendant que chacun d’eux servait àsa façon le régime (certains en lui obéissant, en lui préparant des discours de légitimation, d’autres – peu nombreux – enle critiquant).

A cause de son statut ambigu dans ses rapports avec le pouvoir, l’intelligentsia a dû évoluer sur un terrainfortement politisé. Dans le socialisme, la culture ne pouvait pas ne pas avoir l’esprit de Parti, et ses créateurs devaientêtre membres du Parti unique; au cas contraire, l’accès à la publication ou à une quelconque place de direction dans laculture était totalement bloqué. Bien que l’affirmation selon laquelle pour le créateur et pour l’intellectuel l’idée d’uneabsence d’alternative puisse paraître scandaleuse, et même immorale, l’histoire des quatre dernières décennies sembleconfirmer le fait qu’entre le compromis et la résistance il n’y avait que la place d’une conjonction. Ceux qui ont assuméla disjonction étaient trop peu nombreux et trop isolés pour détourner de façon significative le sens de la“normalisation” de l’intelligentsia. La situation de l’intellectuel roumain dans la société socialiste pourrait être résumée par ce que Paul Goma disait sur les rapports de l’écrivain et du pouvoir: “Je ne dirai rien de neuf en affirmant que

l’écrivain a toujours eu des rapports ambigus avec le pouvoir (qu’il soit divin ou séculier), donc des rapports sado-masochistes avec la liberté ...” (Goma, 1992).Comme tout autre système d’organisation sociale, le communisme a eu une masse à manoeuvrer, mais aussi

une classe politique, connue dans la littérature “soviétologique” sous le nom de nomenklatura. Jusqu’à la fin des années40, la Roumanie n’avait pas connu le phénomène des partis de masses. La vie politique s’était déroulée dans un système

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 pluraliste de partis de cadres, qui luttaient pour attirer et pour influer sur un électorat sans culture politique.L’instauration complète du communisme provoqua un changement total dans le discours et dans la pratique politique.Voulant se rallier les masses afin de justifier son rôle de direction, le Parti Communiste Roumain lança une campagnede recrutement destinée à substituer une nouvelle “ élite politique ” à la bourgeoisie, éliminée de la vie publique. Lanouvelle “classe politique”, issue de diverses couches de la société, se constitua graduellement et se forgea uneconscience de soi et un style de vie déterminés par les mécanismes spécifiques de fonctionnement des “ bureaucratiesallocataires ”.

La nomenklatura a constitué un segment social pour lequel les rapports classiques de propriété se sonttransformés fondamentalement, en ce sens que la différence entre les membres de la nomenklatura et ceux qui restaienten dehors d’elle n’était pas, formellement, celle du patron et de ses salariés. L’idéologie socialiste avait transformé toutle peuple en une masse de “propriétaires, producteurs et bénéficiaires”, et, par conséquent, “avoir” était devenu uncritère non pertinent pour caractériser la hiérarchie sociale. Le trait spécifique du socialisme n’a pas été la propriété(comme il pourrait paraître à première vue), mais la redistribution: “Le principe central de légitimation du socialisme[...] c’est “la redistribution rationnelle”, l’idéologie par laquelle l’appareil bureaucratique justifie l’appropriation de la plus-value et sa distribution conformément aux priorités établies par le Parti” (Verdery, 1994). Dans ces conditions, laclasse politique a été constamment préoccupée par l’accroissement du pouvoir de redistribution dans le système dela propriété d’État. L’inclusion de toutes les actions économiques dans les formes autorisées et contrôlées par l’Étatéquivalait à l’accroissement maximal de la capacité de redistribution de la bureaucratie.

Il ne faut pourtant pas confondre la bureaucratie de redistribution et la classe politique. Celle-ci était beaucoup plus réduite en nombre, plus éloignée de l’économie réelle et, par conséquent, dépendante de la première. La classe politique peut être conçue comme une “entité suprême” (Câmpeanu, 1988), qui contrôlait la société par l’intermédiaired’une autorité périphérique – la bureaucratie. Plus la bureaucratie de redistribution a été perfectionnée et intellectualisée(par des technocrates), mieux elle a pu constater la discordance entre “la logique centrale” du pouvoir et les phénomènes socio-économiques réels, qui n’obéissaient pas aux “lois du socialisme”. L’intelligentsia a pénétré doncdans la structure de la bureaucratie de redistribution, mais elle n’a pu pénétrer de manière décisive dans la classe politique. Celle-ci, prisonnière du discours idéologique et de son incapacité à s’adapter aux nouveaux phénomènesd’affaiblissement des idéologies et de mondialisation de l’économie, est restée isolée et inerte. L’État fort, où régnait lanomenklatura communiste, était en réalité un État faible, en crise de légitimité.

Après quelques décennies de communisme, les peuples de l’Est ont pris conscience de ce qu’était lanomenklatura : une bureaucratie centrale privilégiée et une direction locale corrompue, abusive et arrogante.L’oligarchie communiste a fonctionné selon un schéma féodal de dépendances personnelles, masquées par les principesdu centralisme démocratique et de la subordination hiérarchique. A l’intérieur de la nomenklatura, l’égoïsme et la peuront constitué les stimuli principaux qui ont perpétué un système bloqué, dans une société fermée.

2. Politique et socialisation: l’idéologie nationale

Les régimes communistes ont mis en oeuvre une série de mécanismes de socialisation, destinés à disloquer lesmodèles des sociétés traditionnelles et à construire “l’homme nouveau” et la société sans classes. Dans cette vasteaction de changement des matrices sociales et culturelles, les stratégies communistes ont oscillé entre des valeurs et des buts opposés, en centrant leur discours et leur action alternativement sur l’individu et sur la communauté, surl’internationalisme socialiste et sur le nationalisme, sur l’égalité et sur la stimulation des différences entre les individus.

Le communisme n’a pas été tout simplement un régime politique: il a été une manière de vivre et, en mêmetemps, une religion, qui a remplacé brutalement le christianisme, dont il a conservé néanmoins l’esprit et l’organisation.Le Parti Communiste a repris le messianisme orthodoxe en le transformant en messianisme prolétarien; il a remplacé ledogmatisme religieux par un dogmatisme idéologique; il a repris et perfectionné la hiérarchisation et la soumissioninconditionnelle aux supérieurs et il a projeté l’Inquisition médiévale dans la police politique et les tribunaux du peuple.

Cette nouvelle “église universelle” a employé tous les moyens de la conversion, allant de la persuasion à la terreur.En général, l’adaptation de l’individu à la nouvelle construction communautaire a eu lieu par la valorisationsans précédent des collectivités élémentaires: “L’adulte actif (qui forme le noyau de la population) ne fait pasindividuellement partie de la société communiste: il y entre par l’intermédiaire d’une cellule, d’une collectivitéélémentaire (...). Dans cette société, seule la collectivité et non la personne humaine isolée est un individu à part entière.La personne humaine isolée n’est qu’un individu partiel, pour autant qu’elle fait partie de l’individu-collectivité”(Zinoviev, 1981).

L’anti-individualisme communiste, greffé sur l’attirance naturelle de l’homme vers “l’abri” communautaire, aconduit à la création d’un statut généralement significatif des sociétés socialistes: celui de membre (du Parti, desorganisations de masse et civiques, du syndicat, des associations professionnelles et du collectif de travail). N’ayant plus de valeur par lui-même, l’individu a été subordonné aux intérêts et aux buts de la société dont il faisait partieuniquement en tant que membre d’une collectivité. Pour inculquer l’esprit collectiviste, tout un appareil idéologiqueformatif et coercitif a été mis en action; il n’y a que quelques ennemis déclarés du communisme qui ont pu y échapper

et ils ont payé leur liberté intérieure par l’emprisonnement.Dans la Russie soviétique, l’idéologie communiste a remplacé l’orthodoxie, en offrant aux masses unenouvelle religion et un nouveau frisson messianique. Dans une certaine mesure, les Russes étaient préparésspirituellement pour l’expérience communiste, vu que la liberté ne constituait pas pour eux une vertu nationale. Enrevanche, les nations ayant des traditions démocratiques européennes ont suivi un processus compliqué d’assimilation

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de l’idéologie communiste, dans les conditions de l’installation forcée des régimes pro-soviétiques. En Roumanie,l’assimilation de l’idéologie communiste a eu lieu d’une façon très originale: en pénétrant la société roumaine en tantqu’idéologie de substitution, le communisme est arrivé à être remplacé par un discours beaucoup plus puissant et plusadéquat aux traits historiques spécifiques aux Roumains: l’idéologie nationale.

Le discours idéologique a été ainsi obligé d’évoluer en Roumanie d’un horizon social et internationaliste versun horizon nationaliste, et, implicitement, antisoviétique. Tant que le communisme s’est appuyé sur la présence destroupes soviétiques, l’idéologie officielle a repris le répertoire thématique de Moscou, en insistant sur les valeursuniverselles du socialisme, sur la supériorité du système communiste par rapport au capitalisme décadent. Lorsque lerégime de Bucarest a commencé à construire sa légitimité intérieure, un glissement graduel est devenu nécessaire, versune idéologie du consensus national et de la récupération des “traditions progressistes” de la culture et de la politiqueroumaines, traditions dont l’héritier incontestable devait être le Parti Communiste Roumain. Cela fait que, si dans lesannées 50 le recours aux valeurs nationales était sévèrement puni, la construction du “communisme national” atransformé, à partir des années 60, le nationalisme en clé de voûte du processus de socialisation politique, ainsi que du phénomène de légitimation du pouvoir.

Le nationalisme avait été la valeur qui avait structuré le mouvement politique et culturel des Roumains à partirdu XIXème  siècle. Autour de l’idée nationale avaient gravité toutes les formes majeures de la création et toutes les personnalités culturelles et politiques. Le refus brutal de ces valeurs, à partir de 1947, n’avait fait que du mal au Parti,qui avait déjà péché en acceptant les thèses du Komintern concernant le caractère multinational de l’État roumain. Dansces conditions, “l’acclimatation du marxisme” passait nécessairement par la reconsidération du nationalisme.Initialement, le discours marxiste-léniniste avait remplacé le discours national; plus tard, les deux “idiomes” ontcoexisté, en essayant d’être également persuasifs. Pourtant, tandis que la majorité des Roumains était profondémentattachée aux valeurs nationales, presque personne n’agréait les valeurs marxistes-léninistes; aussi la direction du Parti a-t-elle dû favoriser le discours national, en acceptant “l’inclusion des catégories du marxisme-léninisme dans les débatsoù la question nationale ou ethnique était prioritaire” (Verdery; 1994). C’est ainsi que paraissait, en 1964, aux Editionsde l’Académie de la République Populaire Roumaine, un ouvrage inédit de Marx,  Notes sur les Roumains, où l’ontrouvait une critique virulente de l’expansionisme russe et une affirmation des droits des Roumains sur les territoiressitués entre le Prut et le Dniestr. C’est toujours en 1964 que s’est produit un événement politique majeur: la publicationde la  Déclaration d’avril , par laquelle les communistes roumains exprimaient leur option ferme pour la constructiond’un socialisme national.

Le recours à l’idéologie et à la symbolique nationales, ou même nationalistes, ne signifiait pas l’abandon dudiscours socialiste. Au contraire, le PCR a essayé de s’emparer du nationalisme pour l’utiliser comme instrument delégitimation. En même temps, les créateurs des discours de légitimation ont été obligés d’accepter que le nationalismedevienne un instrument, pour éviter qu’il soit éliminé. Le “mariage” de l’idée nationale et du socialisme a été le résultatd’une résistance culturelle de l’intelligentsia à la soviétisation, mais aussi la conséquence de la maturation etl’acclimatation du Parti Communiste. C’est ainsi que, dès 1965, dans les textes “autorisés” du Parti, on considérait que:“La nation et l’État continueront pour longtemps encore à constituer la base du développement de la société socialiste.Le développement de la nation [...] non seulement ne contredit pas les intérêts de l’internationalisme socialiste, mais, aucontraire, il correspond pleinement à ses intérêts...” (Ceauşescu; 1965).

Avec la dégradation de l’image du Parti et du système politique communiste, le nationalisme est resté la seulevaleur sur la base de laquelle se soient structurés les processus de la socialisation. Rétrospectivement, le communismeroumain n’a pas été seulement une idéologie de substitution, mais aussi un phénomène de conjoncture, qui a vécu son“heure astrale” sur le fond d’un bouleversement axiologique mondial. Quel donc a été le résultat de la socialisation politique pratiquée en Roumanie après l’instauration du communisme?

Ce résultat n’a certainement pas été le fanatisme de la population, ni sa radicalisation, même pas sa convictionquant à la supériorité du socialisme. Si pour les jeunes des années 50 les appels socialistes produisaient un certainfrisson, pour les nouvelles générations le communisme a existé uniquement sous sa forme opportuniste: les porteurs dece communisme invoquaient la supériorité du socialisme sur le capitalisme afin de pouvoir vivre comme dans lecapitalisme. Constatant l’incapacité du régime à dépasser le blocage économique, culturel et politique, saturé parl’idéologie du consensus national, mais aussi par le culte de la personnalité du chef du Parti et de l’État, le peupleroumain était de plus en plus immunisé contre les appels et les messages du pouvoir. Tout comme dans les jeuxd’échange des tribus amérindiennes, le pouvoir émettait constamment les mêmes messages, pendant que la populationles ignorait sciemment, en acceptant seulement le déroulement obsédant du rituel des “discours”. Sur fond d’un blocagedu système politique, les stéréotypes de “la langue de bois” ne représentaient plus que les signes extérieurs d’une fin decycle historique.

La question la plus compliquée pour la reconstruction “anthropologique” et politique, qui allait commenceraprès 1989, a été l’inertie des modèles d’action et du système de valeurs. “La sortie du labyrinthe” – le labyrinthe ducommunisme exacerbé – dévoilera l’absence de la capacité d’adaptation à un contexte relationnel dominé parl’individualisme; l’intolérance imposée face à la pensée alternative provoquera l’intolérance politique (les nouveaux politiciens pratiquant le même manichéisme que les doctrinaires communistes); l’obsession du Parti unique provoqueraun émiettement exagéré (à titre préventif), ainsi qu’un refus de l’enrôlement dans un parti, vu comme une conduite

 primitive et grégaire. A tous ces éléments d’inertie il faut ajouter l’insoluble question de l’attitude envers le passésocialiste. Comme le constatait Ralf Dahrendorf, les gens de l’Est, comme, d’ailleurs, tous ceux qui sont sortis d’une période de dictature, se trouvent devant un grave dilemme : “La pardon détruit la moralité publique et la vengeanceengendre la violence. Ni l’un ni l’autre ne mène pourtant à l’instauration de la liberté. Le cercle vicieux doit être brisé”(Dahrendorf, 1993).

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