83
Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000 Ecole Nationale de la Santé Publique SE LOGER ET HABITER, UN ENJEU D'INTERFACE ENTRE MARCHE ET ASSISTANCE Vivette TIERCELIN CAFDES Talence 2000

Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

  • Upload
    others

  • View
    7

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Ecole Nationale de la Santé Publique

SE LOGER ET HABITER, UN ENJEU D'INTERFACE ENTRE

MARCHE ET ASSISTANCE

Vivette TIERCELINCAFDES Talence 2000

Page 2: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

1

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

TABLE DES MATIERES

Introduction ..............................................................................................................................p .4

Chapitre I Le droit au logement, une problématique globale, unemise en œuvre locale ....................................................................................p .7

1.1 Le droit au logement : un enjeu social et politique .....................................p. 7

1.1.1 Une question sociale récurrente .................................................................................................p . 7

1.1.2 Une question politique ................................................................................................................p. 8

1.1.3 Une question d’actualité : la décennie 80, une nouvelle crise ....................................................p.101.1.3.1 La crise du logement, une crise de l’accès1.1.3.2 L’émergence d’une nouvelle thématique : l’insertion par le logement

1.2 L’accès au logement : sa mise en œuvre par l’associationService Logement de Niort ...........................................................................p.15

1.2.1 Des acteurs organisés autour de constats locaux ......................................................................p.15

1.2.2 Une évolution des publics et des finalités...................................................................................p.161.2.2.1 L’insertion des jeunes par le logement : la circulaire des Comités Locaux

pour le Logement Autonome des Jeunes (CLLAJ) du 25 août 1988, n°88.16

1.2.2.2 Le droit au logement en faveur des personnes défavorisées : la loiBesson du 31 mai 1990, n° 90.449

1.2.3 La valorisation du partenariat et des réseaux pour établir, rétablir etgarantir l’accès au logement.......................................................................................................p.18

1.2.4 Les personnes en difficultés sociales et / ou économiques : uneproposition de caractérisation.....................................................................................................p.21

1.2.4.1 Une précarisation économique1.2.4.2 Une disqualification sociale

1.2.5 Le rapport locatif : un rapport normalisé, légalisé.......................................................................p.231.2.5.1 Les attendus d’un bailleur1.2.5.2 La relation locataire, bailleur, marché : une relation en tension

1.2.6 L’offre de service : une médiation entre la demande et l’offre delogements ...................................................................................................................................p.26

1.2.6.1 Un mode de prise en charge des personnes : l’accompagnement sociallié au logement

1.2.6.2 La gestion locative : une offre de service à plusieurs entrées

1.2.7 L’offre de service : une lecture de ses effets en référence à « l’accès aulogement »..................................................................................................................................p.30

1.2.8 L’accès au logement, un enjeu d’insertion : des orientations et despratiques en tension. ................................................................................................................. P.31

1.2.8.1 Le risque de création d’effets de filières1.2.8.2 Le risque de dérive des pratiques : de l’accompagnement à l’assistance1.2.8.3 Le risque d’une logique assistancielle permanente engendre un risque de

stigmatisation des personnes.

Page 3: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

2

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Chapitre II Se loger et habiter : un enjeu d’insertion pour les personnes ..................p.35

2.1 Une double approche méthodologique .......................................................p.35

2.1.1 Une approche théorique .............................................................................................................p.35

2.1.2 Une observation de terrain .........................................................................................................p.36

2.2 Se loger, c’est vivre dans un lieu .................................................................p.36

2.2.1 Le logement situe socialement ...................................................................................................p.372.2.1.1 Le logement, espace de domiciliation : la référence administrative2.2.1.2 Le logement, espace de reconnaissance sociale : la référence au statut

social2.2.1.3 Le logement, espace de citoyenneté : la référence au droit

2.2.2 Se loger, un enjeu d’insertion et de cohésion sociale.................................................................p.44

2.3 Habiter, c’est s’approprier le logement .......................................................p.45

2.3.1 Le chez soi et l’investissement du sujet......................................................................................p.462.3.1.1 Le chez soi, espace de relations affectives2.3.1.2 Le chez soi, espace de l’intime et du privé2.3.1.3 Le chez soi, enjeu de relations sociales2.3.1.4 Le chez soi et l’inscription dans un lieu, sur un territoire

2.3.2 Habiter, un enjeu de reconquête de son histoire et de son devenir ...........................................p.52

2.4 « Se loger » et «habiter » : proposition d’une interfacedynamique .....................................................................................................p.53

Chapitre III Une posture à l’interface du marché et del’Accompagnement social : la création d’une AgenceImmobilière à Vocation Sociale, ..................................................................p.56

3.1 Une posture d’interface ou la création d’un nouveauréférentiel .......................................................................................................p.56

3.1.1 Une mission de prospection et de gestion de logements autour d’un projetindividuel : rechercher l’adéquation entre l’offre et la demande .................................................p.58

3.1.2 La gestion de logements dans un cadre réglementaire : reconnaître lesindividus dans leurs droits ..........................................................................................................p.58

3.1.3 La sécurisation du rapport locatif : garantir l’accès et le maintien dans unlogement .....................................................................................................................................p.60

3.1.3.1 Une approche préventive : la gestion sociale du rapport locatif3.1.3.2 Une approche réparatrice : assurer la solvabilité des ménages

3.1.4 Le développement d’une offre de « qualité » : répondre aux enjeux dereconnaissance sociale ..............................................................................................................p.64

3.1.4.1 Une inscription dans les dispositifs chargés de la programmation deslogements sociaux et de leur attribution

3.1.4.2 Une capacité d’expertise

3.1.5 Une intervention territoriale : favoriser l’insertion des personnes et lacohésion sociale .........................................................................................................................p.66

Page 4: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

3

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

3.2 La création d’une agence immobilière à vocation sociale (AIVS®) : laproduction d’un projet partagé p.67

3.2.1 Les principes d’animation et de construction du projet...............................................................p.673.2.1.1 Le principe de participation3.2.1.2 Les principes de clarté et de transparence3.2.1.3 Les principes de formation et d’information des acteurs3.2.1.4 Une pluralité d’acteurs3.2.1.5 Une structuration territorialisée : le département des Deux-Sèvres3.2.1.6 L’inscription du projet dans le cadre des politiques publiques

3.2.2 Une approche réglementaire : la loi Hoguet du 2 janvier 1970...................................................p.713.2.2.1 Les obligations légales3.2.2.2 Les statuts juridiques et fiscaux3.2.3 Une approche organisationnelle .................................................................................................p.733.2.3.1 Les ressources humaines : la diversité des métiers3.2.3.2 Les ressources financières : des financements mixtes

3.2.4 La fonction de direction ..............................................................................................................p.753.2.4.1 S’inscrire dans une démarche de projet et d’innovation3.2.4.2 Construire de nouveaux savoirs et savoir-faire3.2.4.3 Promouvoir une démarche collective3.2.4.4 Développer une gestion prévisionnelle des ressources humaines et

financières

3.3 L’AIVS, un outil immobilier au service d’un projet social :un enjeu d’évaluation permanente...............................................................p.77

Conclusion ........................................................................................................................p.79

Référence bibliographiques ...................................................................................................p.81

Annexe 1 Charte F.A.P.I.L............................................................................................... p.83Annexe 2 Les règles d’utilisation de la marque AIVS®.................................................... p.84Annexe 3 Mission de prospection, document interne ...................................................... p.85Annexe 4 Diagnostic social par SOLEA, document interne ............................................. p.87Annexe 5 Articulation du projet AIVS(colonne vertébrale) document

interne ............................................................................................................. p.88Annexe 6 Cartographie des bassins d’habitat sur le Département 79 ............................. p.89Annexe 7 Caractérisation des relations entre les parties concernées par

le rapport locatif ............................................................................................... p.90

Page 5: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

4

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Introduction

Le logement est un bien particulier, par ses dimensions économiques et sociales, patrimoniales et

affectives, positionné dans le cadre d’un marché.

Le thème de « la crise » dans l’histoire du logement depuis les débuts de l’industrialisation au

XIXème siècle, est un thème récurrent. Il trouve son origine dans les problèmes de pénurie de l’offre,

d’insalubrité, d’inadaptation entre offre et demande, d’inégalités fortes entre les différents groupes

sociaux.

Face à ces «crises », l’Etat a situé son rôle dans une fonction de régulation afin de réduire les

écarts, les désajustements. Les politiques favorisant l’aide à la pierre, l’aide à la personne, sont

autant de tentatives pour amortir les conséquences des mécanismes d’exclusion les plus

apparentes.

Le modèle de société, construit dans l’après-guerre se caractérise par une forte croissance

économique permettant de développer les acquis liés au travail et de généraliser la protection

sociale. Cette période, appelée les 30 glorieuses entre en crise à partir de la décennie 70. Dès lors,

la crise du logement se pose en terme de «crise d’accès ». Cette nouvelle problématique s’inscrit

dans un contexte social et économique qui exclut de plus en plus de personnes du marché du

travail. Ce processus conduit à la précarisation des ressources, à la perte d’emploi, entraînant

souvent la perte de statut social, l’affaiblissement des liens sociaux et provoque aussi de multiples

ruptures familiales et affectives.

Au cours de cette période, apparaissent les politiques d’insertion avec l’émergence d’une nouvelle

thématique : l’insertion par le logement. Elle va conduire à considérer l’accès au logement dans une

double perspective :

- le logement, en tant qu’unité d’habitation répondant aux besoins primaires de la

personne

- le logement, en tant qu’enjeu d’insertion sociale pour les personnes inscrites

dans un processus de paupérisation, de précarité.

C’est dans ce contexte, en 1989, que s’est constituée, l’association Service Logement de Niort, au

sein de laquelle j’occupe, depuis la création, la fonction de direction. Construite pour faciliter l’accès

des jeunes au logement autonome, elle a rapidement étendu son action en direction des publics

fragilisés économiquement, disqualifiés socialement, afin de restaurer les liens entre l'offre et la

demande, favoriser les rapports entre bailleurs et locataires, permettre que s’établisse ou se

rétablisse un rapport locatif.

Page 6: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

5

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Si les jeunes rencontrent encore un certain nombre de difficultés pour accéder à un logement

autonome, la question de l’accès au logement se pose d’une manière plus cruciale pour les

personnes en situation précaire 1, c’est pourquoi cette population a été retenue dans le cadre de

notre étude.

Les actions et les pratiques développées par le Service Logement : accompagnement social et

gestion locative (location, sous-location), visent à favoriser l’accès au logement, pour les personnes

«démunies », selon les termes de la loi Besson. Elles tendent à renforcer les aptitudes des

demandeurs pour répondre aux normes locatives en vigueur. Ces pratiques centrées sur la

personne, et sur la gestion d’une offre de logement alternative aux parcs publics et privés, ne

permettent néanmoins pas toujours l’accès à un logement adapté, c’est à dire : un logement de

qualité, accessible financièrement, implanté sur un territoire socialement reconnu.

Deux raisons majeures président à ces difficultés : le défaut d’offre de logements adaptés, l’absence

de travail sur la sécurisation du rapport locatif.

De ce fait, les dispositifs et les pratiques qui ne devaient avoir qu’un caractère conjoncturel, une

fonction transitoire, s’inscrivent dans la durée, contiennent les personnes dans des dispositifs

d’insertion ou les maintiennent dans des logements précaires, vétustes voire insalubres.

D’autre part, de plus en plus de ménages sont orientés vers ces dispositifs, ce sont pour beaucoup

des «valides - invalidés par la conjoncture». Leur situation précaire, la faiblesse de leurs revenus,

l’absence de statut social reconnu, et /ou l’appartenance à un groupe social disqualifié, (émigrés,

bénéficiaires des minima sociaux, gens du voyage... ), ne leur permettent pas d’accéder au marché

du logement

Centrées sur la personne, les pratiques renvoient une question sociale globale à un mode de

traitement individuel : disqualification sociale, inadaptation sociale et inaptitude à accéder à un

logement, sont de ce fait assimilées.

Dans ce contexte deux risques majeurs apparaissent : la transformation des pratiques d’aide à la

personne en pratiques assistantielles, le passage d’une discrimination positive à des effets de

stigmatisation.

Le travail sur la personne oublie un champ déterminant, celui de l’offre de logement organisée dans

le cadre d’un marché. L’enjeu, pour nous, est d’associer deux logiques qui a priori paraissent

1 Nous situons la notion de « précarité » sur différents registres : précarité sociale, économique, affective,statutaire…

Page 7: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

6

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

antagoniques : le travail sur l’offre de logement pour qu’elle soit accessible et adaptée (à la

personne) et le travail d’accompagnement de la personne pour qu’elle puisse investir le logement.

Cette perspective nous amène à nous interroger sur la nature du lien qui relie la personne au

logement.

Les notions «se loger » et «habiter » sont apparues comme deux clefs d’entrée possibles pour

interroger ce rapport : « personne – logement », et comprendre en quoi, il est constitutif de la

trajectoire individuelle et sociale de la personne.

Cette étude nous a conduit à penser notre action non plus seulement en terme de «médiation » qui

tend à considérer le dysfonctionnement offre /demande du seul point de vue de la «défaillance » du

demandeur, mais en terme «d’interface » c’est à dire en recherchant de nouveaux modes de relation

et de régulation entre les deux systèmes que sont «l’offre, organisée dans un marché » et la

«demande qui se précarise».

Ce questionnement a permis d’élaborer un nouveau dispositif prenant en compte l’offre de logement

et la personne. L’intervention sur l’offre de logements faisant référence à des pratiques immobilières

réglementées en particulier la loi Hoguet – (1970), la création d’une agence immobilière s’est

imposée pour concrétiser notre projet.

Mais, il ne s’agit pas tout à fait d’une agence comme les autres, elle s’intitule : Agence Immobilière à

Vocation Sociale, AIVS, et emprunte aux champs de l’immobilier et du social. Elle vise à produire et

à rendre accessible une offre de logements «qualifiée » qui «qualifie » les personnes. Elle intègre les

notions qui nous paraissent être les fondements de toute pratique sociale : la reconnaissance du

droit des personnes, la référence au territoire, la recréation de liens sociaux

Page 8: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

7

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Chapitre I. Le droit au logement : une problématique globale, une mise en

œ u vre locale

1.1 - Le droit au logement : un enjeu social et politique

1.1.1 - Une question sociale récurrente

La question du logement s’appréhende à la lumière du développement industriel et urbain que

connaît la France au XIXème siècle.

Une croissance rapide des agglomérations industrielles, une concentration des populations

ouvrières, un bâti existant insuffisant pour répondre à la demande de logement, tels sont les

éléments qui amènent à caractériser cette question sociale en terme de «crise » comme nous le

propose Nicole Questiaux 2 :

« L’histoire du logement urbain est celle d’une crise permanente…une crise persistante dansun domaine où l’ajustement est difficile entre l’offre et la demande ».

Tout au long du XIXéme siècle, plusieurs groupes sociaux se sont mobilisés pour tenter d’intervenir

sur ces désajustements et faire en sorte que le logement devienne un « bien » accessible à tous.

Les discours se sont construits en référence à différentes idéologies :

- un discours patronal : il vise à moraliser et à sédentariser des ouvriers au nom de

l’efficacité économique,

- Un discours socialiste 3 : il tend à améliorer les conditions d’habitat. Le logement est

pensé comme pouvant résoudre la question sociale, l’objectif est de faire vivre les

hommes dans un cadre harmonieux, c’est ce qui, pour exemple, a conduit à

l’expérimentation des phalanstères.

- un discours philanthropique : il cherche à créer des aménagements à la marge du

système économique en place, sur un ensemble de questions sociales : le logement, la

limitation du travail des enfants et des femmes…, l’enjeu est alors d’humaniser

l’organisation économique et sociale.

2FOURNIER Jacques et QUESTIAUX Nicole, Le traité du social, Situations, luttes, politiques, institutions3 Socialisme de la fin du XIXème, début du Xxème siècle, pour exemple : Charles Fourier

Page 9: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

8

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

1.1.2 - Une question politique

A la fin du XIXème siècle, la question du logement devient un enjeu de société, une question

politique qui va conduire l’Etat à légiférer. Quelques dates et textes législatifs nous permettent

d’illustrer ce positionnement et d’en repérer l’évolution :

- La loi du 30 novembre 1894 appelée « loi Siegfried », prévoit des exonérations fiscales

et des prêts des Caisses d’Epargne et de la Caisse des Dépôts et Consignations

(C.D.C) aux premiers organismes de logement social : c’est la naissance du secteur

public de la construction avec la création des habitations à bon marché (HBM) qui

deviendront plus tard les habitations à loyer modéré, les HLM.

- La loi Loucheur en 1928 élargit l’intervention de l’Etat aux classes moyennes qui sont,

elles-mêmes confrontées à la pénurie de logements dans la période de l’après guerre.

Cette loi instaure le financement d’immeubles à loyer modéré et vise à développer

l’accession à la propriété du logement. Elle instaure un rôle de contrôle, de soutien

financier et de réglementation de l’Etat.

- La politique gouvernementale à partir de 1945 cherche à établir un équilibre entre

bailleurs et locataires. La nouvelle réglementation des loyers édictée par la loi du 1er

septembre 1948 crée la notion de « surface corrigée » 4. L’introduction de règles pour le

calcul des loyers marque le début de l’intervention de l’Etat sur le marché privé du

logement.

Parallèlement, par la loi du 1er septembre 1948, l’Etat instaure un nouveau mode de

régulation du marché en mettant en place un dispositif de solvabilisation des

ménages. Il s’agit de la création de l’allocation logement, aide financière agissant

comme un complément de ressources afin que les familles puissent faire face au

paiement de leur loyer.

A partir de 1953, la politique du logement connaît une nouvelle orientation. Les travaux

du IIème plan inscrivent le logement parmi les priorités de l’activité économique et

sociale, les pouvoirs publics s’efforcent de mobiliser l’épargne, Claudius Petit crée le

1% logement. 1% des masses salariales est versé par les entreprises à l’Etat pour

4 La notion de surface corrigée tient compte de la surface habitable et d’une surface théorique, calculée enréférence à l’existence d’éléments de confort.

Page 10: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

9

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

financer le logement public. Développement industriel et politique du logement se

trouvent associés, les entreprises sont engagées dans l’effort de construction.

Malgré l’ensemble des mesures développées, l’offre de logement reste encore insuffisante et

souvent de mauvaise qualité. La mort d’un enfant en janvier 1954, dans un abri de fortune et l’appel

à « l’insurrection de la bonté » lancé par l’Abbé Pierre feront prendre conscience de la gravité de la

situation.

L’Etat renforce son intervention en faveur de la construction afin de réguler le rapport offre/demande

par une politique « d’aide à la pierre », c’est à dire un ensemble de mesures et avantages

financiers (prêts, fiscalité…) proposé aux producteurs de logements en vue de développer une offre

à loyer réduit.

Au cours de la décennie 70, l’Etat infléchit son action. Les dispositifs visant « l’aide à la pierre »

deviennent moins importants au profit du renforcement « des aides à la personne ». Il s’agit de

dispositifs de solvabilisation des ménages, pour couvrir une partie de leur loyer ou pour soutenir

l’accession à la propriété : (prêts PAP, prêts conventionnés…), c’est à dire des prêts à taux

bonifiés :

- 1971, extension des ayants droit à l’allocation logement aux catégories : personnes

âgées et jeunes travailleurs.

- 1977, création de l’aide personnalisée au logement (APL). Elle s’adresse aux occupants

de logements dont les propriétaires ont passé une convention avec l’Etat, fixant les

conditions de prix, de qualité du logement en contrepartie de subventions, de prêts

bonifiés…pour la réalisation de logements ou leur réhabilitation.

Ces dispositifs d’aide à la personne proposent une démarche de correction sélective a posteriori de

certains dysfonctionnements du marché. Celle-ci procède de la volonté de l’Etat de renforcer le rôle

du marché.

C’est ce que précise René Ballain 5 :

« Le logement est perçu comme un bien privé dont la production et la gestion relèvent defaçon prioritaire du système marchand. Il appartient alors à l’Etat de fixer les conditionspropices au développement du marché immobilier et de renforcer en même temps sonintervention à caractère social pour limiter les effets d’une telle intervention. »

5 BALLAIN, René et BENGUIGUI Laurence. Loger les personnes défavorisées, page 27

Page 11: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

10

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Si la détérioration du contexte socio-économique de la décennie 70 engendre une nouvelle crise,

celle-ci ne va véritablement apparaître que dans la décennie 80.

1.1.3 - Une question d’actualité : la décennie 80, une nouvelle crise.

La ligne de fracture de la décennie 50 se situait entre ceux qui avaient un logement et ceux qui n’en

n’avaient pas. Dans la décennie 70, elle s’est déplacée, grâce aux politiques mises en place, entre

ceux qui avaient un logement de qualité et les mal logés.

Dans la décennie 80, cette fracture ne se joue plus en terme quantitatif ou qualitatif, mais en terme

d’accès, elle est produite par l’extension des phénomènes de précarité, de pauvreté et d’exclusion.

Dès lors, les politiques du logement ne ciblent plus directement les catégories « ouvriers »,

« familles » mais, « les défavorisés, les démunis, les précaires ».

1.1.3.1 – La crise du logement, une crise de l’accès

Pour comprendre ce nouveau phénomène, il semble nécessaire de resituer le contexte économique

et social de la décennie 80. En référence aux travaux d’Alain Lipietz,6 nous emprunterons son

image : « De la société en montgolfière à la société en sablier ».

L'image de la montgolfière caractérise la société française depuis les années 40 jusqu ‘à la fin

des 30 glorieuses, soit 1970 - 1974. Elle présente de manière schématique les caractéristiques

suivantes :

- un système socio-économique comportant peu de riches, peu de pauvres et une classe

moyenne salariée largement prédominante

- toutes les composantes du système social sont en ascension

- les dépenses des classes moyennes font fonctionner le système en entraînant le

mouvement des affaires

- à l’intérieur de la société, les trajectoires individuelles sont ascendantes et la hiérarchie

sociale a tendance à se resserrer.

Une telle organisation socio-économique a comme conséquence l’amélioration du niveau de vie et

du sentiment de sécurité de la grande majorité de la population.

Marie-Christine Jaillet et René Ballain 7, traduisent l’impact de cette dynamique sociale sur les

parcours résidentiels, appelé « effet de chaîne » :

6 LIPIETZ Alain, La société en sablier7 SEGAUD Marion et BONVALET Catherine, BRUN Jacques, Logement et habitat, l’état des savoirs, page258

Page 12: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

11

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

« Le départ des ménages inscrits dans une trajectoire ascendante vers l’accession à lapropriété, libère les logements locatifs HLM dans lesquels peuvent alors entrer desménages installés dans le parc ancien, inconfortable…lesquels, dans un contexte générald’amélioration du niveau de vie rejoignent à leur tour la cohorte des accédants, cédant ainsileur place à d’autres, et ainsi de suite ».

Ce modèle socio-économique qui a prévalu, « modèle fordiste », entre en crise dans les décennies

70 – 80, Alain Lipietz 8propose une lecture des origines de la crise sur deux axes :

- la mondialisation qui ébranle les protections nationales

- la diminution de rentabilité de l’avancée technologique.

La société devient dès lors « une société en sablier », c’est à dire une société du glissement vers

de plus en plus de pauvres.

- les riches deviennent une minorité mais se partagent de plus en plus de richesses

- les pauvres deviennent de plus en plus nombreux

« C’est un écoulement inexorable de la majorité de la population vers les bas revenus,comme un tas de sable qui s’étale à la base ».

Ce mouvement conduit à la mise en échec des trajectoires résidentielles promotionnelles, l’effet de

chaîne précédemment défini : amélioration de la situation des ménages (économique et sociale) et

amélioration du statut résidentiel ne fonctionne plus, produisant le blocage de certaines populations

dans le parc privé, l’éviction des ménages modestes du parc ancien du fait de sa réhabilitation, la

faiblesse de l’accession à la propriété. Aujourd’hui, on ne passe plus d’un parc à l’autre, on observe

plutôt des itinéraires circulaires à l’intérieur de ces parcs, produisant des populations « captives ».

Il apparaît que la crise de l’emploi est venue réactiver la crise du logement. L’absence de logement

et le « mal logement » selon l’expression utilisée par la Fondation Abbé Pierre, se présentent

comme des facteurs structurels de la précarité sociale.

Jacques Barou 9 synthétise la nature de la crise du logement en ces termes :

« La nouvelle crise du logement est de nature plus complexe et s’exprime plus en terme depossibilité d’accès, de maintien dans les lieux, de difficultés de cohabitation, dedéséquilibres sociaux et économiques qu’en terme de pénurie de produits adaptés à lademande. Elle reflète la crise de la société qui marque cette fin de siècle ».

Face à cette crise sociale et économique, les pouvoirs publics ont mis en place de nouvelles

mesures visant à protéger les catégories de la population qui ne sont plus sur le marché du travail

ou les jeunes à la recherche de leur premier emploi : c’est l’émergence des politiques d’insertion.

8 LIPIETZ Alain, La société en sablier9 Information sociale n°77, page 6

Page 13: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

12

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

L’insertion, d’abord pensée sous le seul angle de l’accès à l’emploi s’est rapidement confrontée à la

nécessité de résoudre un ensemble d’autres difficultés. C’est ainsi que le processus d’insertion

s’appréhende en terme d’insertion professionnelle mais aussi d’insertion sociale, d’insertion par le

logement, par la santé…et va générer de nouvelles politiques qui vont cibler prioritairement les

populations les plus fragiles.

1.1.3.2 - L’émergence d’une nouvelle thématique : l’insertion par le logement

Deux nouvelles notions apparaissent dans tous les textes législatifs produits à partir de cette

période: l’insertion par le logement et le droit au logement, nous avons retenu trois textes

majeurs qui fondent ces orientations.

• La loi Quillot du 22 juin 1982, n° 82-526 .

Elle fait référence au « droit à l’habitat » :

« Le droit à l’habitat est un droit fondamental, il s’exerce dans le cadre des lois qui le régisseL’exercice de ce droit implique la liberté pour toute personne de son mode d’habitation et desa localisation grâce au maintien et au développement d’un secteur locatif et d’un secteurd’accession à la propriété ouvert à toutes les catégories sociales. »

Elle établit un équilibre dans le rapport locatif, en instaurant des devoirs mais aussi des

droits pour chacune des parties en particulier en direction du locataire qui n’était jusqu’alors

pas du tout protégé.

- Elle fait valoir le droit au logement sur le droit de propriété

- Elle réglemente la durée d’occupation du logement avec le bail de 3 ans

reconductible.

- Elle établit le principe du loyer de référence par rapport aux loyers du voisinage

- Elle réglemente les conditions et les modalités du congé de la part du bailleur

Ces orientations vont être réaffirmées par la loi Mermaz du 6 juillet 1989, n° 89 .462

La loi Besson du 31 mai 1990, n° 90 – 449

Elle fait référence au droit au logement et marque un recentrage en direction des

personnes défavorisées. L’exposé des motifs indique :

« Il subsiste aujourd’hui un nombre inacceptable de sans abris et de mal logés, c’estpourquoi dans le cadre de la priorité gouvernementale majeure que constitue la politique dulogement il a été décidé d’arrêter un plan d’ensemble en faveur du logement des personneset des familles défavorisées, destiné à rendre effectif leur droit au logement. »

Page 14: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

13

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

- Elle établit une intervention en direction d’un public spécifique : « les plus

défavorisés ».

- Elle introduit le principe d’une intervention à l’échelle d’un territoire : le département.

- Elle invite à la définition et à la programmation d’une politique globale par la

création de plans départementaux

- Elle implique les collectivités locales auprès de l’Etat

- Elle invite de nouveaux acteurs, en particulier les acteurs associatifs, à construire une

démarche partenariale.

- Elle engage une intervention sur l’offre pour la développer et la diversifier

- Elle engage une intervention en direction de la demande pour la solvabiliser et

accompagner les ménages cumulant des difficultés sociales et économiques, avec la

création du Fonds Solidarité Logement 10.

La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998,

n° 98-657

Elle réaffirme les enjeux sociaux de la politique du logement :

- « Le logement est la condition première de l’autonomie personnelle et familiale, del’intégration dans la vie sociale et professionnelle. Garantir le droit au logement est doncune priorité de l’action publique. Le logement représente un facteur indéniable desécurisation et d’insertion ».

Le volet logement définit les orientations suivantes :

- La prévention des expulsions

- La mobilisation du parc locatif privé pour les personnes à ressources modestes

- Le développement d’une offre adaptée aux besoins des personnes défavorisées,

notamment dans le parc public

- L’amélioration de la protection des habitants et les conditions de vie dans l’habitat

- La référence au principe de mixité sociale.

10 La loi Quillot avait instauré un fonds d’aide aux impayés de loyer, la loi Besson a repris cette initiative encréant le Fonds Solidarité Logement, FSL. Il s’agit de renforcer la solvabilité des ménages qui n'est plussuffisamment assurée par les aides classiques que sont l’APL et l’Al. Ce fonds intervient à différentsmoments de la location, pour faciliter l’accès au logement, (caution, premier mois de loyer) ou faire face àdes impayés de loyer. Le FSL finance également le dispositif « accompagnement social lié au logement »,des ménages en difficultés.

Page 15: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

14

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

L’enjeu de la concertation entre les pouvoirs publics et le secteur associatif est réaffirmé par cette

loi.

Le principe de mixité renvoie à la loi Delebarre, du 13 juillet 1991, n° 91-662, dite « loi d’orientation

pour la ville ». Elle fait référence à la diversité de l’habitat, souligne l’importance de la mixité sociale

dans les équilibres urbains. Cette loi , inscrit la notion de « droit à la ville ».

Les trois grands axes qui structurent les nouvelles orientations de la politique du logement : une

population cible, une approche territoriale, une approche partenariale, s’inscrivent dans les

fondements des politiques d’insertion.

L’introduction d’une discrimination positive dans le cadre de la politique du logement se traduit par

un resserrement de l’intervention publique en direction des laissés-pour-compte avec des pratiques

qui empruntent à la fois au champ de l’immobilier et de l’action sociale. Ces nouvelles orientations se

caractérisent comme le passage d’une politique de logement social menée au nom de l’intégration, à

une politique sociale du logement au nom de l’insertion.

Insertion par le logement et droit au logement, apparaissent comme de nouveaux enjeux pour

favoriser l’insertion des personnes et la cohésion sociale, c’est dans ce contexte socio-politique des

années 80 – 90 que l’association Service Logement s’est constituée.

Initiée par l’association des Foyers de Jeunes Travailleurs de la Ville de Niort, l’association a été

créée en octobre 1989.

Comment participe t’elle à la mise en œuvre du droit au logement ? Quelles sont ses pratiques,

autour de quels enjeux ? Telles sont les questions qui vont nous guider pour situer le développement

politique et organisationnel de la structure.

Page 16: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

15

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

1.2 –L’accès au logement : sa mise en œuvre par l’association Service Logement de Niort.

1.2.1– Des acteurs organisés autour de constats locaux

Les acteurs de l’association des Foyers de Jeunes Travailleurs 11 de la ville de Niort, [structure au

sein de laquelle j’exerçais la fonction de directrice adjointe] se sont trouvés au cours de la décennie

80, confrontés à un ensemble de paradoxes.

Le schéma qui consistait à penser la vie en FJT comme un relais, une transition, un moment

d’expérimentation, pour faciliter le passage du logement familial au logement autonome et mettre en

œuvre une démarche d’insertion, ne fonctionne plus ou plus totalement. Le marché du logement

n’est pas favorable aux jeunes, les bailleurs redoutent leur précarité économique, leur mode de vie,

leur image. Ils assimilent construction d’un processus «d’entrée dans la vie » et instabilité.

Au sein des FJT, on observe :

- L’allongement des durées de séjour, lié à la difficulté de trouver un logement et non le

résultat d’un véritable choix

- Le départ du FJT est souvent synonyme de retour dans le logement familial, par

manque de ressources.

- L’accès au logement autonome devient minoritaire, même pour des jeunes intégrés.

Des actions d’éducation, d’animation de la vie collective, de formation sont menées au sein des FJT,

mais aucune action n’est véritablement organisée pour travailler le passage d’une formule

d’hébergement à l’accès au logement autonome.

Le rapport Schwartz 12 porte un regard sur l’insertion professionnelle et sociale, en 1981. Il révèle le

rôle majeur du logement dans les processus d’insertion et conduit l’Etat à proposer de nouvelles

mesures en faveur des jeunes. L’ordonnance du 26 mars 1982 crée les Missions Locales et les

Permanences d’Accueil, d’Information et d’Orientation (PAIO). Elle pose le principe d’une prise en

charge globale des jeunes pour favoriser leur insertion sociale et professionnelle. La circulaire du

25 août 1988, invite à la création des Comités Locaux pour Le Logement Autonome des Jeunes,

pour favoriser l’accès au logement 13.

C’est de cette rencontre, entre un questionnement émanent du terrain et un cadre législatif nouveau,

que l’association Service Logement s’est créée en 1989.

11 Nous retiendrons le sigle FJT pour nommer les Foyers de Jeunes Travailleurs.12 SCHWARTZ Bertrand, L’insertion professionnelle et sociale des jeunes, rapport au premier ministre,1981.13 Nous retiendrons le sigle CLLAJ pour nommer le Comité Local pour le Logement Autonome des Jeunes

Page 17: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

16

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

1.2.2 – Une évolution des publics et des finalités

1.2.2.1 – L’insertion des jeunes par le logement : la circulaire des CLLAJ,

comités locaux pour le logement autonome des jeunes, du 25 août 1988,

n° 88.16

Cette circulaire constitutive des CLLAJ, définit les finalités suivantes :

« Pour faire face aux difficultés d’accès des jeunes à un logement autonome, lespouvoirs publics souhaitent que la notion d’insertion par le logement sedéveloppe permettant ainsi aux actions d’insertion sociale et professionnelled’aller vers une efficacité durable. En effet le logement constitue l’un des pivotsde l’accès à l’autonomie sociale… »

Elle invite à :

« créer des lieux d’accueil, d’écoute, d’information, d’orientation et de formationpour aider les jeunes dans leur recherche d’un logement et faciliter leurmaintien…offrir aux jeunes des services techniques assortis d’un suivi socio-éducatif personnalisé ».

En préconisant la mise en place des CLLAJ, elle propose un cadre réglementaire assorti de moyens

financiers. Cette circulaire a retenu l’attention des administrateurs et des personnels du FJT qui ont

sensibilisé et mobilisé d’autres acteurs sociaux concernés par la question de l’insertion des jeunes :

Mission Locale, Foyers éducatifs, Aide Sociale à l’Enfance, Centres socioculturels....en vue d’étudier

la pertinence et la faisabilité d’un projet de création de CLLAJ sur la ville de Niort. Cette étude a

donné lieu à la création d’une association en 1989 appelée « Service Logement » pour gérer le

CLLAJ.

Un service : « accueil, information, orientation » s’est mis en place sur la ville avec le projet de

recevoir toute personne de moins de trente ans à la recherche d’un logement.

Dix ans après, le Service logement accueille annuellement environ 400 jeunes travailleurs, (au sens

générique du terme), et 400 étudiants.

Les jeunes s’adressent directement au Service Logement ou sont orientés par des travailleurs

sociaux pour être soutenus, conseillés, dans leur recherche de logement. Cette aide se structure

autour de 3 temps :

Page 18: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

17

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

- La Construction et la validation d’un projet logement

repérer la pertinence du projet logement au regard du projet global du jeune. Les personnes

chargées de l’accueil réalisent seules ce travail si le jeune ne rencontre pas de difficultés d’insertion.

Ce projet est conduit en partenariat avec d’autres référents sociaux (service social de secteur,

mission locale, foyer de jeunes travailleurs…) si le jeune se trouve dans une situation plus difficile,

plus précaire.repérer la faisabilité du projet logement en référence aux ressources, aux modes de

relations, la capacité d’autonomie, la mobilité…

- L’aide à la mise en œuvre du projet logement :

- orientation vers des bailleurs publics ou privés, aide à la négociation avec les bailleurs,

accompagnement dans les démarches administratives et locatives : visites de logement, soutien au

moment de l’état des lieux, de la rédaction du bail…

- L’aide au maintien dans le logement :

intervention lors de difficultés avec le bailleur au cours de la location. Aide à l’aménagement,

intervention par rapport à la prise en charge du quotidien.

Cette activité d’accueil est exercée par deux salariées. La première est titulaire d’un baccalauréat et

vient d’intégrer une formation sur « l’habitat des jeunes », la seconde est titulaire d’une licence en

psychologie. Depuis dix ans, nous avons inventé, construit collectivement ce nouveau métier resté

encore sans nom : « référent logement ?. accompagnateur logement… ? »

Parallèlement à ce travail d’accueil des jeunes, un travail en direction de l’offre s’est développé avec

la constitution d’un fichier de bailleurs privés.

- La création d’une bourse de logements en direction des bailleurs privés

Le Service Logement a mis en place une « bourse de logements ». Il s’agit d’un fichier constitué

aujourd’hui de 500 bailleurs, environ 1200 adresses de logements sont répertoriées. Ce travail mené

depuis 10 ans a permis de gagner la confiance d’un certain nombre de propriétaires et de pouvoir

ainsi favoriser une attribution en direction des ménages en voie de paupérisation, en situation

précaire.

L’association Service Logement présentant un certain savoir faire dans l’aide à la construction d’un

projet - logement et à sa mise en œuvre, a été sollicitée en 1993 pour s’inscrire dans les nouvelles

actions proposées par la loi Besson.

Page 19: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

18

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

1.2.2.2 – Le droit au logement en faveur des personnes défavorisées, la loi Besson du

31 mai 1990, n°90. 449

La loi Besson fait appel à la mobilisation de l’ensemble des acteurs locaux, en particulier des acteurs

associatifs, pour développer des actions visant à promouvoir le droit au logement pour les personnes

démunies : sans abri, mal logées, personnes seules et familles. Le Service Logement a été reconnu

comme l’un des interlocuteurs privilégiés, pour mettre en œuvre des actions préconisées par la loi :

d’une part, en direction de la demande, avec la mise en place du dispositif d’accompagnement social

lié au logement, d’autre part, en direction de l’offre, par la gestion d’une offre de logements appelés

de manière générique « logements d’insertion ».

L’association a opéré une réorientation importante en passant d’une logique d’action en direction

d’un groupe social : les jeunes, à la prise en compte d’une question sociale : l’accès au logement

des personnes démunies. Ce changement a conduit à repenser les pratiques et le rapport à

l’environnement.

1.2.3 – La valorisation du partenariat et des réseaux pour établir, rétablir et garantir

l’accès au logement.

L’objet de l’association Service Logement est décliné en ces termes :

« L’association a pour objet d’établir, rétablir et garantir l’accès au logementpour des personnes en difficultés sociales et/ou économiques ».

Pour atteindre ce but elle se fixe plusieurs objectifs :

- Gérer un service d’accueil, d’information, d’orientation- Développer un réseau partenarial pour renforcer sa mission et créer une cohérence

avec d’autres projets ou actions en direction du logement et de l’habitat- Prendre en compte et faire prendre en compte les besoins des personnes ciblées en

matière de logement dans le cadre des politiques mises en œuvre- Développer tout service favorisant le droit au logement et à l’habiter, et en assurer la

gestion.

Le passage d’un travail en direction des jeunes, (pour qui se pose le problème de décohabitation du

logement familial, et de l’accès au logement autonome en référence à leur entrée dans la vie, à une

orientation plus globale intégrant des personnes de tous âges, inscrites dans des processus de

disqualification sociale, en situation précaire face au logement, a interrogé l’association qui a dû se

repenser, repenser son projet, ses pratiques. L’un des enjeux premiers a été de se resituer face à

l’environnement pour appréhender cette nouvelle problématique.

Page 20: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

19

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

- Le renforcement et la diversification du partenariat

Les relations partenariales au moment de la création du Service se sont établies avec des acteurs

politiques et sociaux s’intéressant à la question de l’insertion des jeunes : collectivité locale (Ville de

Niort), Affaires Sociales (DDASS), services sociaux, structures d’accueil, d’information, d’orientation,

d’hébergement, pour exemple: Foyers de Jeunes Travailleurs, Mission Locale, foyers éducatifs...

L’intégration de nouveaux publics a nécessité la création d’une articulation avec d’autres acteurs, en

particulier les acteurs du logement:

- Les bailleurs sociaux et associatifs

- Les financeurs du logement social (les Collecteurs du 1% logement , la Caisse des

dépôts et consignations…)

- Les opérateurs, maîtres d’œuvre du logement social (PACT 14, bailleurs sociaux …)

- Les associations de conseil juridique : des professionnels, l’ADIL15, des militants, les

syndicats de locataires…

Parallèlement, s’est rapidement imposée la nécessité de s’inscrire dans un réseau prenant en

compte la question de l’accès au logement des personnes démunies pour échanger, réfléchir,

construire de nouveaux projets, s’approprier une culture « logement » et « habitat ».

L’inscription dans un nouveau réseau politique, de l’UFJT à la FAPIL

L’association, adhérente au moment de sa création à l’Union des Foyers de Jeunes Travailleurs, en

référence à son objet : le logement des jeunes, et à son histoire : création par l’association des

FJT, a ensuite adhéré à la FAPIL : Fédération des Associations pour la Promotion et L’Insertion par

le Logement.

Cette nouvelle adhésion « choisie » s’est fondée sur plusieurs facteurs :

- les valeurs de la FAPIL telles qu’elles sont énoncées au sein de la charte16 :

« …faire valoir le droit à habiter sur l’ensemble du territoire national, non seulementdroit à un toit mais droit à la dignité et à l’enracinement…permettre qu’il existeréellement des possibilités de mobilité et de choix du lieu d’habitat… »

- La conception du réseau valorisant la notion d’échange : adhérer, c’est recevoir et

donner.

- La diversité des adhérents. Ils proviennent d’horizons multiples, 63% ont une double

appartenance, ex : FNARS 17, PACT, UFJT 18…Cette dimension enrichit les approches,

14 PACT, Protéger, Améliorer, Conserver, Transformer, anciennement Programme d’Action Contre lesTaudis.15 ADIL, Association départementale d’Information sur le Logement.16 Charte FAPIL, Annexe 1

Page 21: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

20

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

les débats, les pratiques, elle permet de se situer non pas en terme de défense d’un

outil, d’un dispositif mais de réflexion face à une question sociale.

- La dimension démocratique . Créée en 1998, la FAPIL est une fédération jeune qui

regroupe 71 adhérents en 1999. Sa jeunesse et sa dimension (encore à taille humaine),

facilitent le débat démocratique, permettent que chacun participe, de sa place, à

l’élaboration des orientations collectives.

Cette mise en lien, dans le cadre d’un partenariat et d’un réseau, prônée par tous les textes

organisant la politique du logement, a permis à l’association d’appréhender cette question sociale

dans sa complexité, en intégrant les enjeux politiques, économiques, sociaux, urbains, culturels,

dans lesquels elle s’inscrit, et de développer des interventions en direction de cette population en

difficultés sociales et / ou économiques.

En tant que directrice, j’ai participé à faire évoluer le projet de l’association en me situant dans un

double rôle :

- un rôle d’animateur, en cherchant à connaître et à faire connaître les besoins des

personnes au regard du logement, à faire prendre en compte ces besoins dans le cadre

des dispositifs existants et/ou à proposer des aménagements dans le cadre des

dispositifs locaux.

- un rôle d’opérateur dans la mise en œuvre et la gestion de dispositifs pour répondre à

des besoins non couverts.

Si la catégorie « jeunes » parvient, malgré un certain nombre de difficultés, à accéder à un logement

autonome grâce aux dispositifs d’accueil, au travail du projet et au travail en direction des

propriétaires privés (avec la constitution de la bourse de logements), l’accès au logement pour les

personnes en situation de paupérisation et de précarité demeure plus difficile voire non résolu pour

un certain nombre d’entre elles, c’est pourquoi nous nous sommes intéressés à cette deuxième

catégorie.

Comprendre en quoi la situation de précarité fait problème pour accéder au logement demande à la

fois de repérer les caractéristiques des personnes et d’étudier la manière dont s’inscrit le rapport

« bailleur – locataire ».

17 FNARS : Fédération Nationale des Associations de Réinsertion Sociale18 UFJT : Union Nationale des Foyers de Jeunes Travailleurs

Page 22: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

21

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

1.2.4 – Les personnes en difficultés sociales et /ou économiques, une proposition de

caractérisation.

La loi Besson propose en 1990 une définition des publics ciblés :

« Des personnes éprouvant des difficultés particulières, en raison del’inadaptation de leurs ressources ou de leur condition d’existence, pour accéderà un logement indépendant ou s’y maintenir. La priorité doit cependant êtreaccordée aux ménages sans logement, menacés d’expulsion sans relogementou relogés dans des taudis, des habitations insalubres, précaires ou defortune ».

Cette définition n’est pas opératoire, elle ne renseigne pas sur les situations des personnes, c’est

pourquoi nous proposons une caractérisation des publics à partir de l’étude des situations des

ménages orientés vers le Service Logement pour bénéficier d’une mesure d’Accompagnement

Social Lié au Logement (ASLL). Ces observations sont établies à partir des 93 dossiers adressés au

cours de l’année 1998, par une sous commission du Fonds Solidarité Logement. 19 .

- Une majorité de personnes seules

Les couples représentent 35% des ménages dont 74% sont des couples avec enfants. Les

personnes seules, sont principalement concernées : 75% des ménages sont composés d’un seul

adulte, 26% d’entre eux sont des familles monoparentales.

- Toutes les tranches d’âge sont représentées

La situation de précarité touche aujourd’hui tous les âges de la vie. La catégorie des 21-30 ans

représente 33% des ménages, la catégorie des 31 / 40 : 30% , la catégorie des 41 / 50 : 28%.

Le pourcentage chute pour les plus de 50 ans, cette dernière catégorie représente 9% des

demandes.

- Une situation très précaire face au logement

67% des ménages ont un logement autonome (63% ont un statut de locataire, 4% ont un statut de

sous-locataire).

17% sont hébergés dans leur famille ou chez des amis.

3% sont pris en charge dans un établissement à caractère social.

11% sont sans domicile fixe (caravane, squat, rue…)

19 Cette sous commission du FSL est chargée de valider les demandes d’accompagnement social lié aulogement établies par les travailleurs sociaux. Elle est composée d’un représentant de la DDASS, unreprésentant du Conseil Général et un représentant du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de Niort.

Page 23: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

22

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

62% des ménages occupant un logement autonome sont en situation d’impayés pour des

montants importants : 60% ont une dette inférieure à 10 000F, 9% entre 10000 et 20 000F, 11% de

20 000F à 40 000 F et 8% ont une dette supérieure à 50 000F.

15% des ménages logés sont en situation d’expulsion

Plus de la moitié des ménages font valoir la vétusté des logements. Ils sont majoritairement

équipés d’un chauffage électrique sans qu’aucune norme d’isolation ne soit respectée entraînant des

coûts de charges très importants, renforçant ainsi les processus d’endettement.

De nombreux ménages n’ont plus aucune relation avec leur bailleur depuis plusieurs mois ou

alors, les relations sont conflictuelles.

1.2.4.1 - Une précarisation économique

Le rapport à l’activité est très faible. 10% des ménages ont une activité professionnelle, celle-ci est

précaire. Les emplois occupés sont à durée déterminée et à temps partiel. Les rémunérations sont

calculées sur la base du SMIC.

68% des ménages sont bénéficiaires d’une allocation :

- 43% perçoivent le Revenu minimum d’insertion

- 13% perçoivent l’Allocation Parent Isolé.

- 12% perçoivent des indemnités journalières, l’allocation adulte handicapé, des

prestations familiales.

Les ressources ASSEDIC (liées à une activité salariée antérieure) sont peu nombreuses : 22 % , et

peu élevées ce qui témoigne de la faiblesse des revenus pendant l’activité (le taux des allocations

est proportionnel aux salaires perçus), et de la durée du chômage (le taux des allocations est

dégressif).

Les ménages orientés vers une mesure d’accompagnement social sont presque tous aujourd’hui

sans activité alors qu’ils sont pour leur grande majorité dans l’âge des actifs 20. La perte d’emploi est

principalement liée à des licenciements économiques mais aussi à des accidents du travail, des

ruptures affectives qui ont amené les personnes à « décrocher » et à entrer dans des systèmes de

vie précaires.

20 Actif au sens de l’INSEE : statut indexé au statut du travail, intègre les travailleurs, les chômeurs.

Page 24: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

23

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

1.2.4.2 - Une disqualification sociale

La perte du logement ou le « mal logement » n’intervient pas de manière soudaine, première, elle

est le produit d’une succession de crises, de ruptures. Elle s’inscrit dans un processus de

disqualification sociale, tel que le définit Paugam 21, et trouve ses sources dans plusieurs facteurs :

- La dégradation du marché de l’emploi

- L’affaiblissement des liens sociaux

- Les ruptures conjugales

- Le déclin des solidarités ouvrières

- La crise des banlieues

La disqualification se joue sur un ensemble de pertes qui semblent s’enchaîner, inexorablement.

Perdre son emploi, c’est perdre son statut social. Se pose dès lors la question de son utilité sociale

donc de sa reconnaissance lorsque l’on ne participe plus à la production sociale. C’est aussi perdre

ses revenus, en conséquence les biens auxquels on peut accéder, sa capacité à satisfaire ses

besoins, ses envies. C’est encore, perdre ses réseaux relationnels, c’est se retrouver isolé, vivre le

plus souvent cet état de chômeur de manière coupable, avec un sentiment de honte conduisant au

repli sur soi.

On observe de nombreuses ruptures familiales, conjugales, des déplacements géographiques

importants, parfois un vécu d’errance de plusieurs années.

Des problèmes de santé sont fréquemment associés ainsi que des conduites à risque ou

marginales.

Les précarités économiques, sociales, affectives qui caractérisent ces personnes rendent difficile

l’accès ou le maintien dans un logement. Pour comprendre en quoi elles s’opposent à

l’établissement d’un rapport locatif inscrit de manière durable dans le cadre du droit commun (le

contrat de bail), il est nécessaire d’interroger la nature de ce rapport .

1.2.5 – Le rapport locatif : un rapport normalisé, légalisé

Repérer ce qui rend difficile l’accès ou le maintien dans un logement, oblige à questionner les

attendus d’un bailleur et à analyser en quoi les publics répondent ou ne répondent pas, de manière

réelle ou supposée, à ces attendus.

1.2.5.1 - Les attendus d’un bailleur

Nous parlons de manière générique « d’un bailleur » en sachant qu’il ne s’agit pas d’une catégorie

homogène. Elle est constituée de plusieurs groupes : privés, publics, associatifs, chacun se

décomposant lui même en plusieurs types. Pour autant, si les missions, les enjeux, les pratiques ne

21 PAUGAM Serge, La disqualification sociale, essai sur la nouvelle pauvreté.

Page 25: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

24

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

sont pas les mêmes, trois attendus structurent le rapport locatif : le paiement du loyer, l’usage du

logement en « bon père de famille », l’entretien du logement.

Pour un bailleur, la catégorie qui offre le maximum de garantie locative est celle des salariés, en

particulier fonctionnaires, mariés, avec un ou deux enfants. Elle présente: des ressources pérennes,

un statut social reconnu, une stabilité familiale. Les ménages concernés par une mesure

d’accompagnement social sont éloignés, en tous points de ce type idéal. Leur situation représente

une source d’inquiétude pour le bailleur qui peut se traduire par un rejet. Notre travail nous a amené

à repérer les éléments venant « inquiéter » le bailleur, un tableau permet de les visualiser.

Attendus des bailleurs Sources d’inquiétudes

Paiement du loyer

• Absence de travail ou travail précaire entraînant des ressourcesfaibles et/ou instables.

• Absence de liquidités pour payer la caution dès la réservation dulogement, obligation de solliciter une aide financière auprès d’unservice social.

• Variation des aides au logement en fonction de la variation desressources, de la composition du ménage

• Nombreuses démarches administratives entraînant des délais depaiement souvent longs et des paiements parfois incertains

Relation de voisinage, usagedu logement en « bon père defamille »

• Absence de statut social reconnu pour les précaires et les chômeurs• Appartenance à un groupe social rejeté, ex : gens du voyage,

bénéficiaire du RMI, émigrés, familles nombreuses• « Look » marqué générant un sentiment d’insécurité• Assimilation : précarité économique, marginalité sociale et

comportements déviants.

Entretien du logement• Défaut d’entretien quotidien ( par méconnaissance ou absence de

ressources)• Non signalement des dysfonctionnements• Dégradations• Usage inadapté

Ce tableau laisse apparaître que le rapport locatif est aussi un rapport symbolique, en terme de

représentation à la norme sociale dominante. Tout ce qui apparaît hors norme est vécu comme

potentiellement à risque, dangereux.

1.2.5.2 – Le rapport : Locataire, bailleur, marché, un rapport en tension

Le logement, en tant que bien de consommation est inscrit dans le cadre d’un marché fonctionnant

sur le principe de l’offre et de la demande. Toute personne à la recherche d’un logement s’y trouve

confrontée, quelle que soit son histoire, sa situation, sa culture, ses références. De notre point de

vue, les propriétaires adoptent quatre types de comportements face aux demandeurs de logement,

Page 26: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

25

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

ils sont corrélatifs d’un positionnement spécifique au marché et peuvent se caractériser et se

représenter de la manière suivante :

Problématiques sociales Relation au

bailleur

Relation au marché22

Des personnes

intégrées

Statut social reconnu

Solvables, capables d’effectuer des

démarches, de négocier, inscrites dans

une démarche de projet,

Relation

De confiance

Des personnes inscrites

dans un processus

d’insertion

Statut social précaire

Instabilité affective, relationnelle, précarité

socio-économique, mobilisation sur des

projets et des processus d’apprentissage

Relation

de méfiance

Des personnes inscrites

dans un processus de

désinsertion

Disqualification sociale

Difficultés à être, à faire, fragilité sociale,

économique, culturelle, relationnelle

Isolement, conduites à risques

Relation

de défiance

Des personnes en situation

d’exclusion

« Hors statut »

Basculement, rupture, perte de repères

sociaux, affectifs, grandes difficultés

sociales, économiques, cumul de

handicaps, conduites marginales

Absence de relation,

rejet

Ce tableau montre comment se jouent les rapports aux bailleurs et au marché. Les jeunes accueillis

au Service appartiennent de manière majoritaire aux deux premières catégories. Les personnes

ciblées par la loi Besson et prises en charge dans le cadre d’une mesure d’accompagnement social

se situent exclusivement dans les deux dernières catégories. Elles ne sont pas reconnues des

bailleurs, elles sont éloignées du marché du logement voire en sont exclues.

Dans ce contexte, notre rôle vise à rapprocher la demande et l’offre de logement, nous définissons

notre mission dans une perspective de médiation.

22 P : Public – M : Marché

P

P

P

P

M

M

M

M

Page 27: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

26

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

1.2.6 – L’offre de Service: une médiation entre la demande et l’offre de logements

Nous définissons la médiation comme une intervention destinée à rechercher une solution, à trouver

un accord, entre plusieurs parties en tension, en conflit, afin de faciliter une négociation. La

médiation est une fonction « d’entre deux » pour servir de lien.

1.2.6.1 - Un mode de prise en charge des personnes : l’accompagnement

social lié au logement

Avant d’être une pratique, l’accompagnement social est un dispositif inscrit dans le cadre de la loi

Besson. La circulaire du 7 décembre 1990, n° 90-89 définit l’objectif visé par l’accompagnement

social en ces termes :

« Garantir une insertion durable des personnes concernées dans leur habitat, lever lesréticences des bailleurs et les inciter à accueillir ou à maintenir dans leur parc des ménagesen impayés de loyer ou ayant des problèmes de comportement ».

Présenté dans un premier temps dans une perspective très normalisatrice, l’accompagnement est

redéfini par la circulaire du 11 mars 1993, n° 93-23, d’une manière plus globale. Il est repositionné

comme une aide à la personne visant la définition d’un projet logement, l’installation, l’appropriation

du logement, l’intégration dans l’immeuble, le quartier, la ville.

Deux personnes travaillent à plein temps sur ce secteur, elles ont une formation de travailleur social,

elles sont éducatrices spécialisées.

L’accompagnement social est une pratique sociale qui s’est développée dans le cadre des politiques

d’insertion, il a fait l’objet d’une charte élaborée par l’UNIOPSS 23 . Elle définit quatre principes

éthiques :

- Une démarche volontaire qui engage la liberté des personnes accompagnées

- Un travail à partir de l’échange et de la confiance

- Un engagement réciproque

- Le développement de la responsabilité.

L’accompagnement social lié au logement est un travail centré sur la personne, il vise sa

requalification pour permettre d’instaurer ou de restaurer une relation contractuelle avec un bailleur,

formalisée de manière réglementaire dans un contrat de bail.

23 UNIOPSS, Accompagnement social et insertion, pratiques associatives.

Page 28: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

27

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Les pratiques s’articulent autour de quatre axes :

- Un travail sur les parcours des personnes pour les aider à comprendre leur histoire,

permettre d’établir des liens entre parcours professionnels, affectifs, résidentiels,

sociaux…afin de repérer ce qui a conduit à la situation présente.

- L’inscription dans un réseau. Les personnes, dans l’incapacité de comprendre, de

faire face à leur situation devenue difficile, trop lourde à porter, s’inscrivent souvent dans

une dynamique de fuite ou de repli. Il s’agit de créer ou recréer les liens avec les

différents organismes référents, les différents interlocuteurs (CAF, bailleur, référent RMI,

assistant social…..)

- Un travail sur le projet logement. L’accès ou le changement de logement après une

rupture ou une difficulté à être, est un moment important dans l’histoire des personnes. Il

va souvent être l’occasion de les remobiliser sur de nouveaux projets : emploi,

formation, activité, soins, relations familiales. Ceux-ci seront travaillés, en partenariat

avec d’autres référents sociaux.

- La mise en œuvre du projet. L’enjeu est de négocier un nouveau logement ou de

négocier le maintien dans les lieux en proposant un protocole visant à convaincre le

bailleur, c’est à dire lui offrir suffisamment de garanties face aux risques locatifs.

Malgré ce travail d’accompagnement, de médiation, certaines demandes de logement restaient non

satisfaites. Les bailleurs, publics ou privés, n’étant pas prêts à intégrer dans leur parc des personnes

ne présentant pas les profils ou les garanties attendues, l’association s’est engagée dans la gestion

de logements. 147 logements sont gérés par l’association, 6 salariés (4,5 équivalent temps pleins)

sont attachés à ce secteur :

2 personnes sont chargées de la gestion immobilière, 1 personne assure la gestion administrative,

3 personnes assurent l’entretien des logements et des immeubles.

1.2.6.2 - La gestion locative, une offre de service à plusieurs entrées

Le principe de « location, sous-location » est apparu en 1982, dans le cadre de la loi Quillot, il

concernait le parc public. Les associations devaient présenter une garantie financière apportée par

une collectivité locale. La loi Besson du 31 mai 1990 a étendu ce principe au parc privé. Elle a

supprimé la garantie financière et instauré par son article 9, l’obligation pour les associations

d’obtenir un agrément délivré par la préfecture.

Des logements appartenant à des bailleurs publics ou privés, sont pris à bail par le Service

Logement. Plusieurs logiques de développement ont prévalu sur ce secteur d’activité :

Page 29: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

28

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

- La gestion de logements privés dans le cadre d’un PST (Programme Social Thématique) 24.

Les PST ont pour objectif de faciliter l’accès ou le maintien des plus démunis dans un logement

réhabilité. Ce dispositif inscrit dans la loi Besson vise à créer une offre sociale de logements dans le

parc privé.

Sur Niort, les propriétaires ont la possibilité de confier la gestion de leurs logements réhabilités et

conventionnés au Service Logement qui apporte la garantie de paiement des loyers et des charges,

une garantie de non-vacance et assure la remise en état du logement s’il y a dégradation.

Cette activité de gestion locative est financée par la Ville de Niort qui a souhaité mettre ce dispositif

de gestion en place pour garder la maîtrise des attributions et garantir la finalité sociale du parc

réhabilité, sur la durée du conventionnement soit 10 ans.

Ce parc ne s’adresse pas de manière exclusive aux personnes suivies dans le cadre d’une mesure

d’accompagnement social lié au logement, il est accessible à toutes personnes rentrant dans les

critères de ressources définis par la réglementation (revenus inférieurs à 60% du plafond HLM).

117 logements PST sont gérés par le Service Logement, au 31 décembre 1998.

- La gestion de logements privés ou publics dans le cadre d’une location sur projet individuel

Ces logements sont pris en gestion par le Service pour répondre à des recherches qui n’aboutissent

pas, les « candidats locataires » n’offrant pas de garanties suffisantes aux bailleurs privés ou

publics. Concernant les bailleurs publics, il existe parfois un a priori qui joue en défaveur des

demandeurs : appartenance à une famille identifiée « à risque », référence à des locations

antérieures qui ont posé problème. Ces souvenirs ou ces représentations « collent à la peau » des

locataires et viennent mettre en échec toute tentative d’accès au parc public.

Le Service Logement intervient dans la perspective d’amener le sous locataire à respecter ses

obligations. Nous sommes ici dans la logique de « la preuve », l’enjeu est de faire valoir un

comportement normé auprès du bailleur afin de transférer le bail. Cette procédure inscrite dans la loi

Besson est appelée, « bail glissant ». Le sous locataire conserve son logement, il devient locataire

en titre auprès du bailleur, l’association à ce moment là n’intervient plus dans le rapport locatif. Cette

action de gestion locative n’était jusqu’à présent pas financée. La loi relative à la lutte contre les

exclusions de juillet 1998 est venue pallier ce manque. L’article 40 instaure une ligne budgétaire

appelée : aide à la médiation locative (AML).

24 Les logements appartiennent à des propriétaires privés, ils sont réhabilités avec l’aide de financements de

l’ANAH (Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat). En contrepartie des subventions obtenues, les

loyers sont plafonnés, ils sont environ inférieurs de 30 à 50% du coût du marché. Le propriétaire s’engage à

louer à des personnes aux très faibles ressources (60% du plafond HLM). Ces logements sont conventionnés

et ouvrent droit au versement de l’aide personnalisée au logement.

Page 30: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

29

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

20 logements sont gérés par le service logement au 31 décembre 1988, dans le cadre de cette

procédure.

- La gestion de logements d’insertion conventionnés ALT (Aide au Logement Temporaire)

L’Aide au Logement temporaire est instaurée par la loi n° 91-1406 du 31 décembre1991. Elle est

destinée aux associations qui logent, pour des durées limitées, des personnes défavorisées en

situation d’urgence (absence de logement, rupture familiale, conjugale…). Elle fait l’objet d’une

convention annuelle passée entre le préfet et les associations, elle est versée par la Caisse

d’Allocations Familiales.

Elle couvre le montant du loyer et des charges. L’occupant a un statut d’hébergé et verse une

participation financière au prorata de ses ressources.

10 logements conventionnés ALT sont gérés par le Service Logement, au 31 décembre 1998.

Les dispositifs de gestion locative mis en oeuvre par l’association s’appuient sur plusieurs logiques

de développement :

- l’intervention sur un segment du marché : les logements PST

- la prise en gestion d’un logement auprès d’un bailleur privé ou public pour répondre à un

besoin spécifique

- la gestion de dispositifs : logements relais conventionnés ALT

D’autres pratiques visent à inscrire la relation bailleur - locataire dans un rapport locatif direct.

- La constitution d’une bourse de logements avec les bailleurs privés

Cette action vise les jeunes et les personnes en difficultés25. Un fichier regroupe environ 500

bailleurs et plus de 1200 adresses de logements.

- Un travail avec l’ensemble des bailleurs publics.

Des ménages sont présentés aux bailleurs publics pour une attribution de logement. Certains

attendent depuis plusieurs années sans avoir jamais été contactés, sans connaître les raisons de

ces délais. La loi de lutte contre les exclusions doit modifier cette donnée puisqu’il est fait obligation

aux bailleurs sociaux de répondre à toute demande de logement, d’expliquer : les motifs de refus

d’attribution, les délais d’attente. Notre intervention vise à lever des préjugés, faire valoir des

25 Action décrite en page 17 de ce document.

Page 31: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

30

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

comportements nouveaux, la capacité des ménages à tenir leurs engagements. D’une certaine

manière nous pourrions parler d’une « labellisation » des ménages.

Les actions développées par le Service logement visent à restaurer un rapport locatif en travaillant à

la fois auprès des demandeurs et des offreurs de logements. Elles permettent de résoudre de

manière partielle les problèmes d’accès au logement. Un regard sur les résultats en matière de

relogement des ménages suite à une mesure d’accompagnement social en témoigne.

1.2.7. L’offre de service : une lecture de ses effets en référence à « l’accès au logement »

Un tableau permet de rendre compte de la situation des ménages face au logement à l’issue de la

mesure d’accompagnement. Ces données sont établies à partir des 93 ménages concernés par

l’action du Service Logement en 1998

Résultats Nombre Pourcentage

Relogement 58 62%

Maintien 4 4%

Orientation vers un logement d’insertion 10 11%

Dossiers n’ayant pas abouti à un relogement 10 11%

Dossiers annulés 11 12%

62% des ménages sont relogés:

- 25% des ménages relogés intègrent le parc géré par l’association Service

Logement. Il s’agit de ménages qui n’ont pas été acceptés dans les parcs publics et

privés. De ce fait, ils ne bénéficient pas d’un statut de locataire, ils sont sous locataires,

c’est à dire inscrits dans un statut non défini légalement.

- 18% des ménages relogés intègrent le parc privé. Ce sont principalement des

personnes seules. Les logements : studio ou T2, sont accessibles financièrement pour

les personnes aux faibles ressources. Pour ce type de logements le marché sur la ville

de Niort n’est pas tendu, par contre, ces logements sont souvent d’une qualité très

moyenne. Les grands appartements et plus encore les maisons, sont en revanche

totalement inaccessibles.

- 57% des ménages sont relogés dans le parc public. Cette solution en terme de

relogement n’est pas toujours satisfaisante du point de vue des personnes d’autant

qu’un certain nombre d’entre elles ont quitté ou fui ce parc. Il s’agit dès lors d’un retour

Page 32: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

31

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

avec tout ce que cela peut représenter en terme d’échec, de régression, de parcours

inversé. Il s’agit souvent d’un accès, par défaut d’une autre offre accessible.

- 4 % des ménages ont été maintenus dans leur logement. Il s’agit de ménages logés

dans le parc public, rencontrant des problèmes d’impayés, de voisinage. Ceci interroge

sur la capacité du parc public à assumer son rôle de bailleur social, à adapter ses

pratiques de gestion pour garantir les rapports locatifs.

- 11 % des ménages ont été orientés vers un logement d’insertion, sur une offre

gérée par le Service Logement ou l’un de ses partenaires : Centre d’Hébergement et de

Réinsertion Sociale, Résidence Sociale. Il s’agit de logements conventionnés ALT 26:

logements relais, logements d’apprentissage, logements d’insertion, logements

d’ urgence…. Ces logements s’adressent à des personnes plus marginalisées, relevant

d’une prise en charge globale. L’occupant a un statut d’hébergé lié à un projet

d’insertion.

- 11 % des mesures n’ont pas abouti à un relogement, par défaut d’offre adaptée, ce

qui a conduit au maintien des personnes dans leur logement avec l’inconfort (physique

et moral) que génère un logement inadapté.

- 4 % des mesures ont été annulées pour changement de projet de vie ou départ de la

ville.

- 8 % des mesures n’ont pu se mettre en place en raison de problématiques d’ordre

pathologique ou de non-engagement de la personne dans le processus

d’accompagnement (comportements atypiques, déviants...).

1.2.8 : L’accès au logement, un enjeu d’insertion : des orientations et des pratiques en

tension

L’analyse des résultats conduit à observer les effets produits et à identifier un certain nombre de

risques

1.2.8.1 - Le risque de création d’effets de filières

Le développement d’une offre de logements de type « logements d’insertion » s’appuie sur les

dispositifs instaurés par la loi Besson. La création de ce parc, géré par les associations est une

première rupture dans la dualité : public – privé, en matière de logement. Ces logements sont

proposés comme des « sas », ils doivent favoriser et préparer le retour au logement dans un statut

de droit commun, le statut de locataire. Toutefois, ces dispositifs produits au fur et à mesure de

26 ALT : Aide au logement temporaire, dispositif décrit en page 29 de ce document.

Page 33: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

32

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

l’émergence de nouveaux besoins au regard de la défaillance du marché et de la précarisation d’un

nombre de plus en plus important de personnes, manquent de débouchés. Ils n’ont pas d’impact sur

l’offre ou le marché et risquent de se constituer en une sphère d’insertion autonome, ce qu’Eme et

Elbaum 27 nomment :

« Un tiers secteur insertionnel, parapublic, dans lequel les publics tournent sans pouvoir s’enévader ».

La prise à bail d’un logement par une association sur le principe de la location, sous - location (en

transférant les responsabilités), déplace les risques locatifs sur les structures. Cette pratique permet

de « gagner » des logements sur le marché privé, pour les personnes les plus démunies, mais n’a

aucune influence sur ce même marché. Elle déresponsabilise les bailleurs, installe les occupants

dans des statuts d’exception. C’est une pratique de substitution, qui intervient à la marge sur le

désajustement entre offre et demande. De plus, elle peut mettre en danger les structures sur le plan

économique, les contre garanties sur les impayés et la vacance ne sont pas ou insuffisamment

couvertes. En conséquence les budgets de fonctionnement des associations couvrent et assument

les risques, ce qui présente un caractère à la fois dangereux et litigieux.

1.2.8.2 - Le risque de dérive des pratiques : de l’accompagnement à l’assistance

La pratique d’accompagnement social centrée sur la personne vise à la remobiliser, lui permettre de

retrouver une nouvelle dynamique personnelle pour l’aider à s’inscrire ou à soutenir son processus

d’insertion. Elle part du postulat que la personne est disqualifiée et qu’il est nécessaire de la

requalifier pour lui permettre de retrouver un comportement normé offrant suffisamment de garanties

à un bailleur, et trouver ou retrouver ainsi un statut de locataire. Elle doit s’adresser aux personnes

les plus précarisées Deux risques sont identifiés :

- L’absence de débouché sur une offre de logement adapté aux besoins des

personnes conduit à prolonger de manière importante l’intervention dans le

cadre des mesures d’accompagnement : d’une durée fixée à 3 ou 6 mois, elle

se prolonge durant un an voire plus.

Le durcissement du marché (privé et public) conduit à orienter vers les mesures d’accompagnement

social de plus en plus de personnes qui ne relèvent pas de ce dispositif. La défaillance du marché

est traitée dans le cadre d’une défaillance de la personne.

27 EME et ELBAUM, Cités par J.L. LAVILLE, revue RIAC 33 Lien social et politique, 1995

Page 34: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

33

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Cette pratique d’accompagnement qui laisse entendre que les personnes souffrent d’une

quelconque anomalie ou invalidité pose la question de l’accès au logement non pas en terme de

question sociale mais en terme d’inadaptation sociale des personnes. René Ballain 28rappelle :

« Le dispositif d’accompagnement fait porter au seul candidat aspirant à un emploi ou à unlogement et sur son incompétence supposée le poids du resserrement du marché du travailou de la fermeture de l’accès au logement ».

1.2.8.3 - Le risque d’une logique assistantielle permanente engendre un risque de

stigmatisation des personnes

Si un certain nombre de personnes ont besoin d’une prise en charge de type éducative pour faire

face à un ensemble de difficultés, le seul fait de ne pas avoir de logement, d’être dans une situation

sociale et économique précaire, ne relève pas nécessairement d’une intervention du champ de

l’action sociale. René Ballain évoque ce risque :

« Déjà surnuméraires dans la sphère du travail, « normaux inutiles » sur le marché del’emploi, ils sont également indésirables dans la sphère du logement, soupçonnés d’être demauvais payeurs ou de déranger le voisinage, sans pour autant cesser d’être normaux. S’ilsempruntent la voie des plans pour le logement des plus démunis, c’est qu’ils ont épuisé lesautres filières d’accès au logement. Ils en attendent un logement mais se trouvent pris dansles mailles d’un dispositif tutélaire ».

Ces observations nous amènent à établir un tableau synthétisant les écarts entre les effets attendus

par la structure et les effets produits par la pratique. Dans la réalité les choses ne se présentent pas

de manière aussi schématique, un tableau force nécessairement le trait, pour autant, il permet

d’objectiver des tendances, des risques.

Effets attendus Effets produits

L’accès au logement L’accès aux dispositifs

La référence au droit L’inscription dans des statuts d’exception

La reconnaissance des personnes, la recherche

de leur implication

Des pratiques d’accompagnement « durables »

des pratiques assistantielles,

Des mécanismes de sécurisation des bailleurs Des effets de substitution des responsabilités

28 BALLAIN, René, Information sociale n°77, octobre 1999

Page 35: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

34

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Conclusion

Les actions mises en œuvre par le Service Logement font apparaître que la crise du logement,

identifiée comme une crise de l’accès, est traitée du seul point de vue des personnes, de leur

propres défaillances, inaptitudes, inadaptations.

Afin de concevoir d’autres actions et d’autres pratiques, il est nécessaire d’observer sous de

nouveaux angles le système sur lequel nous souhaitons intervenir.

Nous proposons de décentrer notre regard en ne posant plus la question de l’accès au logement des

personnes démunies sous l’angle de la disqualification sociale, de l’inadaptation de l’offre, ou encore

en référence au marché, mais en terme d’enjeu d’insertion pour la personne.

La mise en perspective de la relation « individu – logement » doit permettre de comprendre les

différents enjeux, personnels et sociaux, présents dans cette relation pour étudier la manière dont

l’accès au logement peut venir soutenir ou enclencher une dynamique d’insertion, ou encore éviter le

basculement des ménages les plus fragiles.

Interroger cette relation « personne - logement » amène à appréhender le rapport au logement dans

une double dimension, que nous appellerons « se loger » et « habiter » renvoyant l’une à la fonction

sociale du logement, l’autre à la dimension du sujet.

Nous proposons d’éclairer ces notions « se loger » et « habiter » à partir d’une double démarche :

approche théorique et observations de terrain. Nous faisons l’hypothèse que ce travail va permettre

de poser la question de l’accès au logement dans une perspective de droit et d’insertion, dans la

mesure où elles sont référées à la dimension du sujet, au lien social et au territoire.

Page 36: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

35

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

II – Se loger et habiter : un enjeu d’insertion pour les personnes

2.1 –Une double approche méthodologique

Le travail sur les notions « se loger » et « habiter » s’est construit à partir de deux approches

complémentaires et parallèles.

2.1.1 - Une approche théorique

Nous nous sommes, dans un premier temps, référés aux travaux d’Yvonne Bernard29 pour

appréhender ces notions. Trois regards ont été retenus pour prendre quelques repères.

L’approche éthologique et la dimension territoriale

Elle amène à poser le regard sur la dimension territoriale. Elle indique qu’être chez soi désigne la

situation dans laquelle l’homme exerce un contrôle sur un espace. Ce comportement territorial

s’inscrit dans un mécanisme de régulation des relations à autrui, il renvoie à la notion d’intimité qui

se réfère à la fois à :

- Un besoin : la nécessité de disposer d’un espace privé,

- Une conduite : la mise en œuvre de moyens permettant à l’individu d’établir une

séparation physique ou psychologique du monde existant (besoin fondamental de

l’homme), la recherche d’un équilibre entre le besoin de communiquer avec les autres et

le besoin de se protéger des autres.

L’approche psychologique et la dimension du sujet.

Elle indique qu’avoir un chez soi c’est s’accepter comme quelqu’un, maintenir ou renforcer son

identité, s’approprier un lieu, non pas dans le sens d’en avoir la propriété mais d’en faire sa chose, y

mettre son empreinte. Il s’agit de l’appropriation d’un ensemble de pratiques qui permettent à un

individu ou à un groupe de structurer ou maîtriser un espace en lui donnant sens.

L’approche psychosociale et la dimension du lien social

Elle valorise la dimension des réseaux sociaux qui est présentée comme l’une des clés pour

comprendre la manière dont l’habitat peut être utilisé dans le cadre d’une présentation de soi.

29 SEGAUD Marion, BONVALET Catherine, BRUN Jacques, Yvonne Bernard, Logement et habitat, l’étatdes savoirs

Page 37: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

36

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Face à ces notions complexes, nous avons construit notre travail de connaissance dans un

mouvement alliant théorie et observations, celles-ci nous aidant à illustrer et à élaborer notre propos.

2.1.2 – Une observation de terrain

Les dossiers adressés au Service Logement pour une mesure d’accompagnement social lié au

logement ont servi de support à cette démarche.

Toute demande d’accompagnement est instruite par un travailleur social, il renseigne sur un dossier

des données sociales, économiques concernant le ménage. Un paragraphe permet au demandeur

d’exprimer sa motivation. C’est ce matériau qui a été utilisé pour les 93 dossiers reçus en 1998.

Le recueil des données : ses limites

Le contexte et la situation d'écriture (pendant la rédaction du dossier d’instruction) ont certainement

une influence sur les personnes. Dans une situation difficile, souvent qualifiée d'urgente ou vécue

comme telle, face à un travailleur social auprès de qui est effectuée la demande d'aide, les écrits

sont parfois : laconiques (expression partielle de la situation) ou "normalisés" (j'écris ce que je

pense que l'on attend de moi) ou banalisés (je n'exprime que des faits qui ne me mettront pas en

danger).

L'acte même d'écriture a certainement limité la capacité ou le désir de dire, certains ont dicté leurs

motivations au travailleur social qui les a retranscrites.

Pour autant, malgré ces limites, voire ces difficultés, presque toutes les personnes ont écrit et

nommé des éléments, des événements les concernant.

Ces regards : approche théorique et observations de terrain, ont fait évoluer notre travail de réflexion

et de reconstruction de nos pratiques. Ils ont permis, tout en étant acteur, d’engager un processus

de théorisation.

Les citations en italique sont extraites des écrits des personnes. Elles viennent illustrer l’approche

théorique. C’est aussi une manière de redonner la parole, de faire exister les personnes concernées

par notre propos.

2.2 – Se loger : c’est vivre dans un lieu .

Ce lieu est appelé « logement » si l’on se réfère à l’unité d’habitation, appartement ou maison,

abritant un ou plusieurs individus. C’est un bien matériel présentant un certain nombre de

caractéristiques techniques, en même temps, il s’inscrit dans un espace précis. Il est appelé

« habitat » quand cette dimension « logement - environnement » est prise en compte.

Page 38: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

37

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

La notion d’habitat est une notion plus large que celle du logement, elle intègre l’ensemble des

éléments matériels et humains qui qualifient le mode de résidence des hommes.

Marion Segaud, Catherine Bonvalet, Jacques Brun 30 précisent :

« La valeur économique, affective, symbolique du logement dépend de salocalisation et de son environnement. A ce stade la notion de logement ne suffitpas à rendre compte de la complexité des phénomènes ; le recours au termed’habitat permet d’y remédier »

Accéder à un logement, c’est accéder à un espace privé, inscrit dans un environnement spécifique.

Le logement situe vis à vis de soi et vis à vis des autres, c’est cette double perspective qu’il faut

interroger.

2.2.1 - Le logement situe socialement

Il existe une relation sensible entre les individus et leur environnement social et matériel, cet

environnement va renvoyer une image de soi et permettre de se positionner vis à vis des autres

d’une manière valorisée ou dévalorisée. Pour comprendre les éléments sur lesquels s’accrochent

ces représentations, nous avons travaillé sur trois registres :

- Le logement en tant qu’espace de domiciliation

- Le logement en tant qu’espace de reconnaissance sociale

- Le logement en tant qu’espace de citoyenneté :

2.2.1.1 - Le logement, espace de domiciliation : la référence administrative

C’est une première dimension, d’ordre juridique, administrative qui renvoie aux notions d’identité,

d’état civil. Avoir un logement, c’est tout d’abord avoir une adresse qui témoigne que l’on est quelque

part, que l’on a prise sur un espace et donc que l’on est quelqu’un.

L’absence de logement ne permet plus aux personnes d’être contactées et les inscrit hors des

circuits sociaux, par extension, hors du social. Des dispositifs de « domiciliation » sont proposés

pour suppléer à ce manque, ils restent stigmatisants pour les personnes. Des solutions individuelles

sont trouvées pour échapper à cette domiciliation administrative :

« Depuis mon divorce, je suis revenu dans la région, l’adresse de mes parents me sert pour faciliter mes démarches administratives et mes

demandes d’emploi ».

Il s’agit bien ici d’une domiciliation, la personne n’habite pas chez ses parents puisqu’elle précise :

« Au bout de 2 ans, je suis fatigué de loger chez les uns et les autres ».

30 SEGAUD Marion, Logement et habitat, l’état des savoirs.

Page 39: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

38

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

« Depuis la séparation avec mon épouse, je vis à droite à gauche chez divers copains, ma mère m’a prêté son adresse pour faciliter mes démarches ».

Dans le langage commun l’expression « donner son adresse » est souvent utilisée ici, « O », nous

précise que sa mère lui a « prêté son adresse » celle-ci n’est que provisoire, administrative, elle ne

lui appartient pas et ne peut en aucun cas être investie sur la durée, renforçant ainsi le caractère

précaire de sa situation.

Si l’adresse permet d’être identifié par les autres, toutes les adresses n’ont pas la même valeur,

chacune renvoie à un territoire, à un environnement particulier, qui présentent des caractéristiques,

et des images différentes.

2.2.1.2 – Le logement, espace de reconnaissance sociale : la référence au statut social

L’environnement dans lequel s’inscrit le logement est une donnée importante. Cette assimilation

« espace social et appartenance » est un fait social surdéterminé depuis la fin du XVIII ème siècle.

Bonetti 31indique :

« L’habitat est le support d’identités sociales, de l’identification à une classe sociale ou à un groupe culturel Au Moyen Age, les membres de différentes

classes sociales pouvaient cohabiter dans les mêmes quartiers, la bourgeoisietriomphante s’est empressée de projeter dans l’espace la stratification de lasociété ».

La valeur sociale attachée aux espaces change, ils sont plus ou moins attractifs, plus ou moins

valorisés. Selon les périodes, des mouvements peuvent être observés, du centre vers la périphérie,

de la campagne vers la ville… Ces mouvements sont le produit d’un ensemble de facteurs d’ordre

économique, social, institutionnel, écologique, culturel, qui organisent les espaces, les qualifient et

dans le même temps, les hiérarchisent.

« Le logement situe socialement », une traduction plus familière peut être proposée : « dis-moi où tu

habites, je te dirai qui tu es ».

Un certain nombre de personnes rencontrées dans le cadre des mesures d’accompagnement

tentent de s’opposer à ce marquage social. Cet effort de résistance se manifeste par des

revendications de plusieurs natures:

31 BONETTI Michel, Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace

Page 40: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

39

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

- Le rejet des quartiers d’habitat social

Ce sont aujourd’hui les quartiers d’habitat collectif de type HLM qui sont identifiés comme des

espaces socialement dévalorisés, ils sont assimilés à de mauvais objets et sont à ce titre rejetés.

Plusieurs ménages disent :

« je ne supporterai pas d’aller en HLM »« Je ne veux pas aller en HLM »« il est impensable que mes enfants et moi vivions en HLM »« J’ai peur du quartier avec mes enfants donc ma fille ne sort pas »

La reconquête d’une image sociale reconnue passe par la reconquête de nouveaux territoires

socialement valorisés. S’inscrire sur un territoire choisi, ne pas être assigné à résidence, est un

enjeu fondamental pour les personnes en situation précaire ou disqualifiée. C’est pourquoi elles

revendiquent le fait de quitter les quartiers, les cités qui symbolisent cet état de disqualification

sociale.

Pour autant, ce processus se met difficilement en place. Les relogements des ménages à l’issue

d’une mesure d’accompagnement social se sont effectués pour 57% d’entre eux, dans le parc

public, c’est à dire sur un quartier d’habitat collectif.

- L’attraction des centres, villes ou bourgs.

Les réinvestissements des centres villes dans le cadre d’Opérations Programmées d’Amélioration de

l’Habitat (en particulier les Programmes Sociaux Thématiques) 32 permettent aux catégories les plus

défavorisées d’accéder à d’autres territoires que ceux de l’habitat social collectif (les quartiers). Pour

les ménages en difficultés le « centre », le centre ville en particulier, reste encore synonyme de

« réussite », de quartier favorisé. Il présente l’avantage d’offrir un ensemble de services :

commerces, administrations, lieux de rencontre …

« Comme je ne me plais pas à M., je suis loin de tout… »« Le logement que j’occupe actuellement est loin de tous commerces »« Je ne voulais pas rester chez mes parents avec mes deux enfants car c’est retiré de la ville »

L’éloignement des centres est vécu ici comme une mise à l’écart du social. Cette association est de

l’ordre des représentations puisque dans le même temps, les « centres » sont désinvestis par les

classes moyennes. L’on y trouve souvent un habitat ancien accessible financièrement mais dégradé,

les administrations se décentrent, les commerces de proximité sont chers…

32 Les Programmes Sociaux Thématiques, dispositifs décrits en page 28

Page 41: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

40

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

D’autres espaces sont valorisés : la périphérie des villes, parfois la campagne, mais c’est surtout le

type d’habitat qui prévaut. Ces territoires deviennent attractifs par le fait qu’ils offrent la possibilité

d’être logé dans « une maison », « un pavillon » qui restent toujours les symboles de la promotion

sociale en référence aux parcours ascensionnels des périodes précédentes.

La valorisation de l’habitat individuel

Lorsque les personnes accompagnées indiquent le logement souhaité, elles précisent souvent :

« Une maison, pas un appartement », cette demande est posée au regard des enfants, comme s’ils

justifiaient à eux seuls, ce choix d’habitat.

« Mon logement actuel étant trop petit, des petits conflits fraternels parasitent la vie familiale et sociale de mes enfants. Il est donc indispensable pour leur bien être de vivre dans un logement où chacun trouverait une place bien à lui avec un espace

pour jouer (jardin)"« Un logement assez grand pour ma famille, avec garage et cour assez grande pour qu’on puisse s’amuser et le calme »

Les animaux sont également évoqués pour expliquer la demande d’une maison individuelle :

« Nous recherchons une maison avec jardin, cour, dépendances, car chiens, je bricolebeaucoup…aux environs de N ».« J’ai un gros chien et ne veux pas aller en HLM, tout cela fait que j’ai beaucoup dedifficultés à trouver un logement dont le loyer ne serait pas trop cher, je recherche donc unemaison avec cour ou jardin »

Le pavillon offre toujours une image de liberté, il reste le symbole de la réussite sociale. Ce qui

frappe dans les propos rapportés, c’est que ce choix n’est pas posé en terme de qualité de vie pour

soi. Les références aux enfants, aux animaux, apparaissent comme des prétextes, comme s’il fallait

justifier « l’injustifiable » à savoir le désir de vivre comme « tout le monde » et d’accéder aux mêmes

objets, aux mêmes signes, bien que l’on se trouve dans une position sociale, économique, difficile.

La demande telle qu’elle est présentée devient légitime, donc indiscutable. Qui oserait en effet

remettre en question le fait qu’il est préférable d’avoir un espace extérieur, pour que les enfants

puissent jouer, et les animaux, courir ?

Si l’implantation du logement et son type sont des données importantes qui positionnent l’individu

sur l’échiquier social, ses caractéristiques techniques sont également un signe d’appartenance

sociale et culturelle.

Les qualités techniques d’un logement renvoient, là encore, selon leurs caractéristiques, une image

de soi valorisée ou dévalorisée.

Page 42: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

41

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

La revendication d’un bâti de qualité

De nombreux ménages ont, dans leur motivation pour une demande d’accompagnement social, fait

état d’un logement vétuste, insalubre, dégradé, non isolé, avec des fuites d’eau, du salpêtre, une

absence de chauffage…

« Le chauffage électrique que nous avons nous ruine, car la maison n’a rien de conformemalgré tous nos efforts pour payer moins cher »« Ma maison n’est pas habitable, elle est considérée insalubre »« Facture d’EDF trop élevée, problème d’isolation, problème de toiture »

« Ayant un logement inconfortable : sortir dehors pour douche et WC…cuisineinexistante… »

Face à des problèmes d’ordre technique, les bailleurs ont parfois été sollicités pour des réparations

qui n’ont, souvent, pas été exécutées.

« Je souhaite être aidé par rapport à l’isolation du logement, pour une négociation avec lepropriétaire (remplacement de la porte d’entrée) »« Manque de chauffage dû à la panne de la chaudière que la propriétaire refuse de changer »

Bonetti indique 33:

« Pour les locataires, ces dysfonctionnement non réparés, sont perçus comme l’expressiondu manque de considération, voire du mépris que témoigne la société à leur égard, àtravers le manque d’attention des organismes HLM, envers leurs demandes.

Ce qui est nommé en référence aux HLM, est vrai de la même manière pour les bailleurs privés. Au-

delà l’inconfort généré par ces dysfonctionnements, c’est donc l’image de soi qui est en jeu.

Cette dimension « caractéristiques du bâti et image de soi » peut être un facteur d’explication de

certaines réactions de locataires face à leur bailleur au moment de la demande de travaux ou encore

expliquer les exigences posées lors de la recherche d’un nouveau logement. Si celles-ci semblent

parfois démesurées, grandioses, elles témoignent pour ces personnes de l’importance d’être

reconnues.

La qualité du logement, des lieux collectifs, des bâtiments, des espaces extérieurs, la localisation

urbaine, la densité des services, les caractéristiques de la population… sont autant d’éléments qui

composent la valeur sociale d’un espace

Les analyses montrent que les populations démunies socialement, précarisées économiquement,

vivent sur des territoires socialement disqualifiés, dans des logements plus ou moins dégradés. Ce

33 BONETTI Michel, Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace

Page 43: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

42

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

sont des publics « captifs » c’est à dire qu’ils se trouvent, au vu de leur situation et du marché, dans

l’impossibilité d’accéder à d’autres territoires, à une autre offre.

Cette observation renvoie à l’analyse proposée par René Ballain, rapportée dans la première partie

de cette étude, à propos des itinéraires résidentiels circulaires. Il existe bien un mouvement, des

changements de logement mais sur un même territoire, dans une même catégorie du parc, un

même segment de marché.

Espace social et image sociale se renforcent mutuellement, vivre dans un espace socialement

dévalorisé renvoie une image de soi négative, l’espace social disqualifié fait écho à sa propre

disqualification sociale.

Bonetti 34rappelle :

« La relégation apparaît dès lors comme la transcription spatiale de la précarité et

de l’exclusion ».

Ce sentiment de non-reconnaissance est, pour un certain nombre de ménages, renforcé par l’image

renvoyée par les bailleurs dans leur refus de louer, et ajoute à leur sentiment d’exclusion, les inscrit

en dehors du droit, ici le droit au logement.

2.2.1.3 – Le logement, espace de citoyenneté : la référence au droit.La notion de citoyenneté peut se définir comme : la reconnaissance des individus dans leur droit, et

de leur capacité à exercer leurs droits et obligations. En un mot, leur capacité à participer à la vie

politique de la cité.

« Etant donné que je suis bénéficiaire du RMI, il est difficile de pouvoir se loger dans debonnes conditions, c’est pour cela que je désire être suivie »

« J’habite actuellement un logement insalubre et trop petit. Je demande une aide pourm’aider à trouver un appartement correct et adapté à mes ressources. Je suis étranger et auRMI, c’est pour cela que j’ai du mal à trouver un logement tout seul ».

« Vivant maritalement avec mon amie au chômage et moi au RMI, j’ai fait des demandes àl’OPAC pour une maison sociale…j’ai écrit en espérant une réponse, rien il a fallutéléphoner et on m’a répondu que j’étais pas retenu… »

« j’ai contacté une agence pour une maison, nous sommes allés en visiter une elle nousplaisait beaucoup…mercredi soir, le téléphone a sonné l’agence m’a dit que le propriétairen’était pas d’accord pour louer car nous sommes au chômage »

34 BONETTI Jacques, Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace

Page 44: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

43

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Ces propos témoignent du sentiment de rejet et d’exclusion vécu par les ménages. Il est d’autant

plus fort que ni le bâti, ni le territoire sont concernés mais eux-mêmes, en tant qu’individus, assimilés

à des sans statut, à des sans droit.

Certains tentent de renverser ce rapport en revendiquant le droit aux aides, et en les valorisant :

« J’ai dit au propriétaire qu’il avait des avantages fiscaux mais c’est encore loupé pournous »

D’autres revendiquent leur « aptitude » à assumer leurs obligations :

« SDF, je recherche depuis ma sortie de prison un logement convenable avant l’hiver(urgent) je suis prêt pour les engagements nécessaires »

L’absence de reconnaissance des individus se pose de manière souvent brutale de la part des

bailleurs privés, mais aussi des bailleurs sociaux. Elle se pose également à partir des dispositifs mis

en œuvre dans le cadre de la loi Besson et gérés par le secteur associatif, pour exemple : « les

logements d’insertion », la « location, sous-location », tels qu’ils ont été présentés en première

partie de l’étude.

Les statuts des occupants : hébergé, sous-locataire, sont des « sous-statuts » au regard du droit, ils

ne sont pas garantis par la loi. Ils sont liés à un projet d’insertion, ils s’inscrivent dans des rapports

subjectifs et non dans un droit créance, opposable.

Un statut d’occupation précaire peut renforcer le sentiment de sa propre précarité et devenir source

de stress, il n’incite pas la personne à « s’investir » dans le logement.

Une absence de reconnaissance, un éloignement de plus en plus important du « droit commun »,

(celui qui prévaut pour l’ensemble des citoyens d’un même territoire) avec le développement de

statuts dérogatoires, posent la question de la citoyenneté.

La loi Besson, en réaffirmant l’importance du « droit au logement pour les personnes les plus

démunies », n’a pas encore permis de faire valoir le « droit à un logement » et le « droit dans le

logement ».

Robert Lafore 35 évoque le « retour en force des droits fondamentaux », il rappelle que le droit à la

santé ne donne pas la santé tout comme le droit au logement, un logement. La réaffirmation de ces

droits fait référence à l’obligation faite à la collectivité de développer des dispositifs pour mettre en

œuvre ces droits. Elle se traduit pour les personnes en terme de droit d’accès aux dispositifs publics.

35 LAFORE Robert, L’ordre consensuel, le droit des politiques sociales, le Nouveau Mascaret n° 37 –septembre 95.

Page 45: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

44

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

« L’apparition des droits fondamentaux dans les textes organisant les interventionscontemporaines en matière de politique sociale doit être à l’évidence reliée aux doutes quantaux possibilités des dispositifs de protection sociale hérités de faire face aux phénomènesd’exclusion qui apparaissent comme nouveaux tant du point de vue quantitatif que du pointde vue qualitatif. C’est là ce que l’on appelle communément « la crise de l’Etat-providence ».

2.2.2 - Se loger : un enjeu d’insertion et de cohésion sociale

Le logement se caractérise comme un enjeu fondamental de reconnaissance sociale, tant du point

de vue de l’implantation du logement, de son type, de ses caractéristiques techniques que du statut

qu’il procure.

Il apparaît que les personnes en situation de précarité vivent sur des territoires disqualifiés

socialement, économiquement, dans un habitat collectif dévalorisé, dans un logement dégradé et

sont inscrites dans des statuts d’exception, non référés au droit commun.

Tous les stigmates de la disqualification sont présents, ils renforcent le sentiment d’exclusion, de

non reconnaissance :

« Le logement renforce la honte s’il est précaire ou au contraire permet de reconquérir sadignité ».

La compréhension de la relation « personne-logement » ne peut être appréhendée du seul point de

vue de « se loger » tel que nous venons de le décrire, c’est à dire sur le registre de l’inscription

sociale. Pour être complète, cette approche doit intégrer la dimension du sujet. Celui-ci doit être en

mesure d’investir son espace de vie sur les registres de l’intime, du lien social et du territoire. Cette

nouvelle dimension fait référence à la notion de « l’habiter » ou encore du « chez soi ». Bonetti la

caractérise de la manière suivante :

« L’habitat intègre les rapports multiples et complexes du logement avec l’ensemble deséléments qui composent l’environnement dans lequel il s’insère et qui confère tout son sensà l’espace habité proprement dit, à cette unité close nommée « chez soi ».

La dimension de « l’habiter », du « chez soi », permet de comprendre le rapport entretenu par la

personne à son logement en tant qu’espace privé, de repérer ce qui se joue dans cette relation

intime.

Page 46: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

45

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

2.3 – Habiter, c’est s’approprier le logement »

« L’habiter » renvoie à la notion d’investissement, il introduit le rapport de soi à soi et de soi à l’autre

et identifie un espace du dedans et du dehors. Bernard Salignon 36 invite à réfléchir sur ce qui

pourrait n’être qu’un jeu de mots mais se révèle être l’un des fondements de « l’habiter » :

« Habiter chez soi c’est habiter son moi ».

Cette approche de l’habiter se réfère à la dimension du sujet. Le chez soi est l’espace du privé, de

l’intime, de la relation, il renvoie à l’histoire singulière de la personne, à ses expériences affectives,

ses expériences de vie, il est de ce fait à l’interface du psychologique et du social. Bonetti 37:

« Le chez soi est le lieu privilégié de l’expression de l’affectivité, des interactions familiales,des relations sociales en territoire connu, lieu du confort et de l’intimité physique ».

2.3.1 – Le chez soi et l’investissement du sujet

Le chez soi crée une distance entre soi et autrui, il permet la maîtrise d’une portion d’espace, il

délimite le dedans du dehors, en cela il est espace de protection,.

Elian Djaoui 38 fait l’analyse du chez soi comme étant la restauration d’un espace de l’enfance, elle

distingue deux postures : la personne a vécu dans un lieu familial gratifiant, elle va chercher la

restauration de ce lieu, a contrario, si elle a vécu dans un lieu familial défaillant, elle va chercher la

compensation, c’est à dire la construction de ce qui d’une manière réelle ou imaginaire a fait défaut

autrefois.

Le chez soi se présente donc comme un espace d’investissement affectif et spatial. Ces deux

dimensions vont être analysées en référence aux motivations écrites par les personnes dans le

cadre du dossier de demande d’accompagnement social, pour comprendre comment « ils habitent ».

- 2.3.1.1 – Le chez soi, espace de relations affectives

Le chez soi est le point d’ancrage des relations familiales et affectives, être bien chez soi, c’est être

bien avec soi même et être bien avec ceux avec qui l’on vit. C’est se sentir inscrit dans un

environnement humain, affectif sécurisant.

Deux pratiques ont été identifiées à partir des écrits des personnes, elles se présentent comme

opposées :

36 SALIGNON Bernard, Qu’est ce qu’habiter ?37 BONETTI Jacques, Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace38 DJAOUI Eliane, Le chez soi, Informations sociales n°23

Page 47: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

46

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

- Le repli sur soi

Le logement est pensé comme un espace de protection de soi. Ce repli sur soi n’est, le plus

souvent, pas choisi. Il s’impose à la personne qui vit le dehors comme menaçant. Il est le signe

d’une impossibilité à entrer en relation avec l’autre, symptôme d’un mal être profond. Le logement

est investi en tant que lieu refuge, il n’apporte pas nécessairement pour autant un sentiment de

sécurité, cet isolement parfois total est souvent source d’angoisse.

« Je suis toute seule, je ne connais personne, toute seule c’est difficile ».« Depuis plusieurs mois, dans l’appartement, je ne connais personne »

- Des pratiques « d’hébergement »

Le logement est investi voire « envahi », c’est un lieu où l’on reçoit beaucoup mais de manière

indifférenciée, à partir d’un double sentiment : le désir d’aider des personnes inscrites dans une

situation très précaire (vie dans la rue, un squat…) situation qui fait écho à ce que vivait la personne

avant qu’elle n’accède à un logement. C’est aussi une manière de remplir l’espace pour fuir la peur

du vide, combler la solitude, éviter de se retrouver face à soi même. Ces pratiques peuvent

conduire à un débordement.

« Une ou plusieurs personnes que je connais est à la rue, je lui dis de venir chezmoi, puis le temps passe et après ces personnes là deviennent, envahissantes etje ne suis pas capable de dire qu’ils me laissent tranquille et de s’en allerailleurs ».

D’autres pratiques sont observées dans le cadre du suivi des personnes mais n’ont pas été

nommées par elles :

- le repli sur la cellule familiale

Le logement est alors pensé, vécu, organisé autour de la famille, très souvent il s’agit de la famille

nucléaire, il y a peu de pratiques de réception. Là encore l’extérieur est souvent vécu comme

menaçant. Ce sont les enfants qui occupent, investissent, l’espace, par leurs jouets, par leurs

comportements.

Certains ménages fonctionnent dans le cadre de la famille élargie. Dès lors, un grand nombre de

personnes occupe le logement, les visites sont permanentes. La famille se présente comme un

« bloc », un « clan », elle s’ouvre peu sur l’extérieur.

Page 48: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

47

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Le chez soi, un espace faiblement investi affectivement par les personnes

accompagnées.

Les ménages pris en charge dans le cadre d’une mesure d’accompagnement social présentent une

caractéristique commune : ils ont peu de liens familiaux, les relations amicales, les pratiques

d’accueil sont peu développées voire absentes.

Les ruptures successives : famille, couple, ont coupé les personnes de leur réseau familial, les

pertes d’emploi les ont exclues des cercles de relations professionnelles, les déplacements

géographiques (souvent pour fuir) les ont amenées à ne plus être inscrites dans un réseau de

proximité en référence à leur histoire. Elles se retrouvent isolées, une situation plus subie que

choisie.

Qu’elles se traduisent par un chez soi « perméable » ou « imperméable », ces deux pratiques

renvoient à la difficulté d’investir l’autre, les autres, dans une relation construite, qui engage,

implique, c’est la difficulté à s’investir soi-même qui est présente.

Cette difficulté à s’investir et à investir les lieux s’observe également à partir des demandes d’aide

pour aménager l’espace de vie.

2.3.1.2 – Le chez soi, espace de l’intime et du privé

L’aménagement du logement est directement lié à l’image que la personne a d’elle-même, en

fonction de son expérience, de son histoire de vie. Il s’agit toujours d’un investissement privé même

s’il existe une connotation sociale forte39.

« La personnalisation est un instrument de communication sociale l’espace domestique devient la vitrine de l’identité sociale…Le sujet envoie des messages à

lui-même et aux autres… »

L’aménagement d’un logement est une question très sensible, une forte demande d’aide apparaît

dans le cadre de l’accompagnement :

« Avoir des conseils pour m’aider à mieux vivre, m’occuper de mon logement, l’aménagement de mes meubles et de la décoration »« Je viens de rentrer dans mon logement et je souhaite être aidée pour être bien »« Nous voudrions être aidés et conseillés pour faire des peintures dans la maison

qui est très sale et aussi pour aménager des chambres pour les enfants »« Je souhaite être aidée pour tout ce qui est lié à l’emménagement de monlogement, car le logement est très différent que celui que j’ai actuellement. »

39 BONETTI Jacques, Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace

Page 49: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

48

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Ces formulations montrent qu’il ne s’agit pas seulement de problèmes techniques, les personnes

n’attendent ni techniciens, ni décorateurs, elles demandent à être aidées pour s’approprier leur

logement, se projeter, s’investir dans cet espace, comme dans la vie. Une demande pour se

retrouver soi même, savoir ce dont on a envie, ce que l’on aime…

La réponse proposée doit tenir compte à chaque fois de la personne, ne pas devenir stigmatisante.

Plusieurs pratiques sont développées :

- l’achat de meubles avec l’aide de prêts sociaux, ou prêts privés, au risque de renforcer

les difficultés financières

- le prêt de mobilier pour que les personnes puissent progressivement investir selon leur

choix et leurs possibilités

- le recours à des associations caritatives pour des dons de mobilier, cette procédure va

produire différents effets selon les personnes :

- favoriser la démarche d’investissement du logement : ce sont des meubles

anciens, ils ont déjà une histoire, ils peuvent permettre d’éviter la sensation de

froid, d’impersonnel que peut représenter tout un équipement neuf.

- Freiner, voire empêcher tout investissement : ce sont des meubles d’occasion

vendus ou donnés qui peut encore renvoyer une image dévalorisante. Ce qui

devient bon pour eux c’est ce qui est devenu obsolète pour d’autres, ce sont

familièrement les restes, les rebuts.

- Le chez soi, un espace peu investi par les personnes en difficultés

Les observations établies à partir des écrits des personnes font apparaître qu’il existe un repli sur soi

important, sur un moi qui ne permet pas d’investissement affectif, ni spatial, il ne s’agit pas d’une

dynamique de ressourcement mais, d’enfermement.

Elian Djaoui 40 qualifie ce rapport au chez soi sur le mode du « chez soi défaillant », elle indique :

« Quand le chez soi est défaillant, l’individu peut être déstructuré, la personne exprimealors : « je ne me sens pas chez moi », les domiciles sont dévalorisés voire rejetés ».

Parallèlement, un moi déstructuré ne permet pas cette démarche d’appropriation, plusieurs éléments

peuvent empêcher qu’un véritable sentiment du « chez soi existe » :

40 DJAOUI Eliane, Le chez soi, Informations sociales n°23

Page 50: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

49

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

- Les conflits familiaux

- L’environnement social du domicile

- Les qualités objectives du bâti

- Des situations sociales où le chez soi est violé.

Plusieurs personnes prises en charge dans le cadre des mesures d’accompagnement social ont

vécu ou vivent encore ces événements identifiés comme producteurs « d’un chez soi défaillant ».

Cette problématique face aux chez soi est à mettre en relation avec la période sociale actuelle qui se

caractérise par la création d’une personnalité narcissique, un processus de repli sur soi, une

difficulté à entrer en relation avec l’autre.

Bernard salignon 41rappelle:

« Si le dehors est hostile, l’homme est dans l’impossible d’avoir une vie agréable

et il se replie définitivement au-dedans. Mais un dedans sans respiration et

échange venant du dehors n’est autre qu’une prison ».

« L’habiter » renvoie à la question du sujet, non seulement à l’investissement de l’espace intime et

aux relations privées, affectives, mais également aux jeux de relations sociales entretenues par la

personne autour du logement.

2.3.1.3 – Le chez soi, enjeu de relations sociales

Le logement défini comme le lieu de l’intimité domestique est aussi le nœud des relations sociales.

L’approche du chez soi par le lien social permet de repérer les différents systèmes et réseaux de

relations qui se nouent entre la personne et la société.

Le lien social est ce qui fonde la co-appartenance des individus dans un même espace social,

compris entre le pôle des appartenances au sens le plus restrictif (l’appartenance familiale par

exemple) et le pôle le plus macro social , c’est à dire, l’Etat Nation. C’est ce qui fait tenir ensemble

les individus.

Le dictionnaire « critique d’action sociale » 42 propose une définition du lien social :

« La notion de lien social désigne l’existence réelle, supposée ou possible d’une cohésionforte et d’un ordonnancement cohérent selon lesquels de multiples individus différentscoexistent, agencent leurs rapports sociaux et s’assemblent en dépassant lessegmentations culturelles, les stratifications sociales pour former une unité, un tout, qui soitautre chose qu’une simple juxtaposition d’individus ».

41 SALIGNON Bernard, Qu’est ce qu’habiter ?42 BARREYRE Jean Yves, BOUQUET Brigitte, CHANTREAU André, LASSUS Pierre. Dictionnairecritique d’action sociale

Page 51: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

50

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Les liens sociaux établis à partir du logement sont de plusieurs natures, nous retiendrons : les

relations de voisinage et les relations au quartier, à la ville.

- Les relations de voisinageElles s’inscrivent dans des relations de logement à logement, dans le rapport aux parties communes

des immeubles. Concernant les personnes accompagnées, ces relations sont souvent absentes ou

alors conflictuelles. Peu de rapports normalisés sont observés.

« Ici, il y a des problèmes de voisinage »« Mal entente avec les voisins »« Nous ne voulons plus avoir de problèmes avec les voisins comme la semaine dernièreoù le service d’hygiène est venu chercher les chiens pour les emmener au refuge »

Le partage d’un même espace social résidentiel est porteur d’enjeux qui se cristallisent sur différents

objets : les nuisances sonores, la définition du propre et du sale, les pratiques éducatives, les

manières de se comporter dans les espaces publics. Il génère des clivages, des conflits, des

connivences, des alliances, des compromis.

Les qualités techniques du bâti sont essentielles dans ce système de relations de voisinage. Les

demandes d’isolation acoustique, thermique dépassent les raisons économiques et/ou techniques. Il

existe un réel besoin de rechercher un espace protégé, une « bulle protectrice ». Si la frontière entre

les espaces privés disparaît, s’il y a porosité, chacun se sent atteint, vulnérable. L’extérieur, l’autre,

vécus comme menaçants, deviennent source de conflits permanents, provoqués ou subis.

« Je ne supporte plus les nuisances sonores de mes voisins, je suis très fatiguée nerveusement »« Je vous fais la demande d’un nouveau logement, le pourquoi, c’est à cause des voisins du même immeuble et la faute d’entendre du bruit et de se faire agresser »

A partir du logement, d’autres relations sociales s’établissent, en particulier au quartier et parextension, à la ville.

- Les relations au quartier, à la ville

Bonetti 43 indique que ces relations dépendent fortement du niveau d’insertion des personnes.

« La société contemporaine a modifié la relation au milieu urbain qui est aujourd’hui sous lesigne de la mobilité. Les migrations, les changements de domicile, les déplacementsquotidiens imposés par la spécialisation spatiale des activités conduit à une diversificationdes appartenances et des cercles de relation. »

43 BONETTI Jacques. Habiter, bricolage imaginaire de l’espace.

Page 52: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

51

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Plus la personne est intégrée, plus elle devient mobile. Son espace relationnel est large. A contrario,

moins elle est intégrée plus elle est dépendante, attachée, recluse, assignée à résidence, ou alors

dans ce que l’on pourrait identifier comme une « hyper mobilité » mais qui s’assimile à un

désengagement, une non-appartenance.

Les personnes accompagnées sont peu mobiles ou bien dans un processus d’errance. La question

de la mobilité n’est pas une question technique renvoyant à l’existence ou non d’un moyen de

locomotion, individuel ou collectif. Pour se déplacer, il faut qu’il y ait un intérêt. Les personnes

disqualifiées socialement, ne trouvent plus souvent le désir, l’énergie, les raisons de se déplacer.

Leur espace de vie se restreint progressivement, tout comme leurs réseaux relationnels.

La question du lien social est une question fondamentale pour l’individu, Michel Autès 44 rappelle :

« Il n’y a d’existence sociale qu’à l’intérieur de relations sociales »

Les personnes observées ont peu de relations affectives, peu de relations sociales, une faible

mobilité, elles se protègent de l’extérieur vécu comme hostile Yves Grafmeyer 45 renforce cette

observation, il précise :

« D’une manière générale, les français reçoivent de plus en plus. La fréquence des réceptions varie cependant en fonction du statut social. Elle atteint son niveau le plus élevé dans les groupes sociaux les mieux dotés en ressources culturelles, il en va de même pour les pratiques d’hébergement…Les relations de voisinage suivent à peu près les hiérarchies culturelles observées pour l’ensemble des sociabilités . »

Comme par réaction , les personnes tentent de reprendre « pied dans le social » en cherchant un

territoire leur permettant de trouver ou de retrouver des racines. Ce thème des racines est très

présent dans la notion de « l’habiter ». Il nous ramène à l’espace, au territoire, aux relations, non

plus dans une dimension sociale mais dans une dimension subjective, affective, en référence à

l’histoire personnelle.

- 2.3.1.4 - Le chez soi et l’inscription dans un lieu, sur un territoire

Certains lieux condensent des significations relatives à toute une période de la vie. D’une manière

symbolique ils permettent à chacun de se rattacher à des évènements passés et surtout de

maintenir un lien avec les personnes qui en étaient les acteurs, rétablissant ainsi de manière

imaginaire ces relations.

44 AUTES, Michel. Travail social et pauvreté, Syros alternatives, 1992.45 GRAFMEYER, Yves. in Logement et habitat, l’état des savoirs

Page 53: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

52

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

« Nous avons toujours vécu dans le marais, nous sommes par cas de force majeure

venus habiter sur N. mais la maison est inadaptée à notre style de vie, nous ne sommes pas

habitués à la ville ».

D’autres lieux peuvent présenter une charge symbolique négative, en référence au vécu d’une

enfance malheureuse, d’échecs affectifs, qui les rend à proprement parler inhabitables et conduit les

personnes à fuir le logement, le territoire, pour recréer de nouvelles racines, dans un ailleurs perçu,

investi idéalement comme meilleur.

La fuite s’impose aux personnes comme une condition incontournable dans la reconstruction de soi.

« Suite à des problèmes personnels et familiaux que je n’arrivais plus à gérer sur B., il m’asemblé que la solution à mes problèmes était de changer d’environnement… »

Une troisième logique est à l’œuvre, celle de la sédentarisation. Elle est présente pour un certain

nombre de familles appartenant aux gens du voyage mais aussi pour des personnes qui ont un

passé d’errance, d’instabilité.

« Je souhaite me sédentariser, je ne souhaite plus voyager, les enfants sont scolarisés… »« J’en ai marre de zoner … »« Je souhaite m’installer »

Les lieux habités au cours d’une vie deviennent ainsi des repères qui marquent les différentes

périodes, chacun ayant une valeur particulière en fonction de la signification des événements qui s’y

sont déroulés.

La durée d’habitation dans un même logement, n’est pas un critère de référence pour savoir si un

lieu a été investi, a été important dans l’histoire.

Une très grande mobilité n’est pas toujours synonyme de non investissement ou d’errance. Les

déplacements peuvent être liés à un projet professionnel, familial. A contrario, l’inscription dans un

même lieu sur une longue durée ne signifie pas nécessairement appropriation d’un lieu et stabilité.

Cette situation peut être révélatrice de ce qui est appelé : l’assignation à résidence.

2.3.2 – « Habiter » : un enjeu de reconquête de son histoire, de son devenir

Le chez soi renvoie à la notion particulière qu’une personne entretient avec son cadre de vie,

associé à la satisfaction des besoins fondamentaux : recherche de sécurité, maintien de l’identité,

protection de l’intimité.

Page 54: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

53

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Le chez soi reste toujours une notion subjective qui se réfère aux individus, leur personnalité, leurs

biographies affectives ; en corrélation avec les contextes sociaux : milieu culturel, classe sociale,

revenus…

Les extraits des motivations écrites par les personnes sont à ce titre très éloquents. Ils rendent

compte de l’ensemble des enjeux inscrits dans ce rapport à « l’habiter » et viennent illustrer les

propos de Bernard Salignon inscrits en introduction de ce chapitre :« Habiter chez soi, c’est habiter

son moi » :

« j’ai besoin d’un chez moi pour me soigner correctement et j’ai envie de travailler »

« Je voudrais trouver une autre maison à la campagne, j’ai des problèmes de santé car je

vais très mal, j’ai besoin de lunettes »

« je recherche un hébergement pour d’une part obtenir un emploi et d’autre part mon

indépendance »

« Avant tout je suis sans domicile et j’aimerais recevoir ma fille »

« De plus, j’espère obtenir la garde de mon fils lors du jugement qui aura lieu en mars »

« je viens de débuter un travail… cette nouvelle voie professionnelle me pousse aujourd’hui

à rechercher un confort relatif »

« J’ai envie de relever la tête »

Pour conclure, nous retiendrons cette dernière expression :

« Dans le sens de la vie, il faut apprendre à grandir, alors il me semble nécessaire voire vital

d’agrandir son lieu de vie. De plus, ma situation affective change et m’amène à me projeter

dans le futur »

2.4 – « « Se loger » et « habiter » pour les personnes en situation de précarité : proposition

d’une interface dynamique

L’analyse du rapport des individus à l’habitat se caractérise par une extrême diversité des modes

d’investissement de l’espace et des significations qui y sont associées. Bonetti 46en propose une

synthèse :

« L’objet habitat a un statut particulier qui ne permet pas de le traiter comme un produitbanal ni même comme un produit tout court. C’est à la fois un support d’investissementaffectif et esthétique, il sert aux relations familiales et amoureuses, autour de lui senouent des relations sociales multiples, c’est l’enjeu de conflits économiques parfoisviolents et le résultat de plusieurs siècles d’innovation techniques, sa compréhensionnécessite de faire intervenir une multiplicité de registres, ce qui en fait par excellence un« objet social total » tel que le définit Mauss (1950) ».

46 BONETTI Jacques. Habiter, bricolage imaginaire de l’espace.

Page 55: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

54

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Face à un « chez-soi défaillant » c’est à dire à l’impossibilité de se projeter, de s’investir, de

s’approprier l’espace, la demande de logement renvoie à une demande « totale » si l’on se réfère au

logement en tant « qu’objet total » dont parle Mauss .

Cette approche théorique des notions « se loger » et « habiter » permet d’avoir une nouvelle lecture

des pratiques développées par le Service Logement pour répondre à l’accès au logement dans une

perspective d’insertion.

Les pratiques d’accompagnement social centrées sur les personnes peuvent venir soutenir les

personnes désinsérées, dans la mesure où elles vont intégrer un travail sur le « chez soi » vécu sur

un mode défaillant : repli sur soi, rupture de liens sociaux, difficultés à se projeter, à investir les

autres, le logement, l’environnement, à soutenir les processus d’insertion, à s’engager dans une

démarche de projet.

Dans cette perspective, il paraît important de réfléchir à la formation des personnels pour un travail

sur les histoires de vie, puisque le rapport au logement, à « l’habiter », est référé à ce parcours de

vie. L’appropriation de l’espace « logement » passe par un réinvestissement de soi, il implique une

réconciliation de l’individu avec lui-même, avec les autres, un désir de réinscription dans le social.

Ce travail d’accompagnement social lié au logement se heurte à ce qu’Elian Djaoui 47a identifié

comme le « chez-soi pathologique ». Nous avons pu en observer certaines manifestations :

appartement poubelle, relations de voisinage très problématiques relevant d’un sentiment de

persécution, logements laissés à l’investissement sans limite d’animaux ou de volatiles….

Ces comportements « déviants », relèvent de la maladie mentale, ils ne peuvent être appréhendés

dans le cadre d’une mesure d’accompagnement social, ils relèvent d’une intervention de santé

mentale.

D’autre part, l’ accompagnement social, en tant qu’intervention centrée sur la personne, ne joue ni

sur l’offre de logement, ni sur les conditions d’accès, il n’a en conséquence aucun rôle, aucune

influence sur le logement en tant qu’espace de reconnaissance sociale.

Le projet d’action proposé s’adresse aux personnes en situation de précarité, il vise à favoriser

l’accès à logement de qualité, c’est à dire un logement permettant la reconnaissance sociale de la

personne, répondant au plus près de ses besoins pour qu’il être investi et support de remobilisation.

Cette perspective nous amène à passer d’une pratique de médiation centrée sur les personnes,

définie comme une intervention destinée à amener un accord, à concilier des parties en opposition,

en tension, voire en conflit, à une pratique d’interface.

47 DJAOUI Eliane. Le chez soi. Informations sociales n°23

Page 56: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

55

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

L’interface est la limite commune à deux systèmes permettant des échanges entre ceux-ci. Elle

renvoie à l ‘idée de jonction, de création d’un lien, d’un entre deux qui doit devenir lui-même un

nouveau système.

Conclusion

Réinventer de nouveaux modes de régulation des systèmes « offre de logements » et « demande de

logements », dans une perspective d’insertion des personnes, nous oblige à inventer de nouvelles

pratiques empruntant aux champs : de l’immobilier, de l’action sociale et du développement local.

C’est à dire à des pratiques référencées au droit, à la personne, au territoire.

Ce projet d’action se concrétise sous la forme d’une agence immobilière à vocation sociale, il est

l’occasion d’un changement culturel profond, d’un changement de référentiel, dans le champ des

pratiques sociales.

médiation interface

Page 57: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

56

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Chapitre III – Une posture à l’interface du marché et de l’accompagnement

social : la création d’une agence immobilière à vocation sociale.

3.1 – Une posture d’interface ou la création d’un nouveau référentiel

L’offre de logements telle qu’elle est décrite est organisée dans le cadre d’un marché qui exclut de

plus en plus de personnes en situation de précarité. Dans ce contexte, l’Etat légifère et fixe un

certain nombre de règles pour que le logement puisse devenir un bien accessible à tous. Il joue sur :

les prix, par le financement de logements sociaux, la défiscalisation du logement privé, sur le pouvoir

d’achat des ménages par l’octroi d’aides financières, sur les modes d’accès, en imposant des

critères d’attribution en fonction des revenus, en faisant référence au principe de mixité sociale.

Notre projet vise un travail sur les interactions entre les trois sous systèmes que sont : le marché,

l’Etat et la société civile. C’est une posture d’interface que nous allons retenir. L’action que nous

allons conduire ne relève en conséquence, ni de l’action sociale traditionnelle, ni d’une intervention

immobilière de nature patrimoniale, elle conjugue ces deux approches et participe de ce fait à la

construction d’un nouveau champ professionnel.

Cette nouvelle posture que nous allons adopter a comme cible privilégiée la société civile

représentée pour nous par l’ensemble des ménages en situation précaire, afin qu’ils restent toujours

dans le jeu social. En effet, la perte du logement et le « mal logement » sont le résultat d’un

ensemble d’autres pertes, de ruptures, de décrochages successifs, et marquent souvent un

processus irréversible sur la voie de l’exclusion sociale.

L’offre de logements à laquelle les ménages en situation de précarité ont accès présente, d’une

manière générale, les caractéristiques suivantes : une implantation sur un territoire disqualifié, un

habitat collectif, un habitat dégradé. Nous l’avons caractérisée d’offre disqualifiée qui disqualifie.

A contrario, l’accès à un logement « adapté », de qualité, permet de réinscrire les personnes en tant

que : sujet, individu social et citoyen. Dès lors, l’accès au logement se présente comme un enjeu :

d’insertion des personnes et de cohésion sociale.

Une offre de logement de qualité doit présenter un certain nombre de caractéristiques :

- S’inscrire sur des territoires reconnus socialement, présentant une diversité urbaine et

sociale

- Présenter des caractéristiques qualitatives répondant aux normes d’habitabilité actuelles

- Etre accessible au regard des ressources

- Faire référence au droit commun pour ne pas être stigmatisante et favoriser la

dimension citoyenne

- Tenir compte des spécificités des ménages et de leurs difficultés

Page 58: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

57

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

La mise en œuvre de ces orientations renvoie à de multiples actions : prospection, transaction,

programmation, attribution, gestion. Un certain nombre de ces actes en particulier, la transaction, la

prospection et la gestion, sont des actes immobiliers réglementés par la loi Hoguet du 2 Janvier

1970. Ils ne peuvent s’exercer en dehors de ce cadre sous peine de poursuite pour exercice illégal

d’une profession.

Compte tenu de ces éléments, il est impossible de contourner ces obligations. Aussi, la mise en

place de notre projet d’action oblige à la création d’une structure nouvelle, indépendante de toute

autre organisation, à savoir : une agence immobilière.

Pour autant, il ne s’agit pas de n’importe quelle d’agence. Elle se présente comme une Agence

Immobilière à Vocation Sociale, "AIVS", en référence à la marque déposée par la FAPIL en avril

1994 auprès de l'INPI (Institut National de la Propriété industrielle) 48. Aujourd’hui il existe environ 20

agences sur le territoire national, c’est à dire 20 structures qui portent toutes un projet spécifique en

fonction de leur contexte de création, leur territoire d’implantation. En conséquence, nous

proposons non pas de décrire le profil type d’une AIVS, il n’existe pas de modèle, mais de construire

un projet d’action spécifique au territoire sur lequel nous sommes implantés, le Niortais, et aux

populations observées.

La création d’une nouvelle association porteuse de ce projet d’agence va avoir plusieurs incidences

sur l’association Service Logement :

- Le transfert du parc locatif qu’elle détient en gestion

- Le transfert des salariés rattachés au secteur locatif

Le Service Logement va se recentrer sur ses fonctions d’accueil et d’accompagnement des

personnes, renforcer sa mission sociale et entretiendra des relations partenariales avec cette

nouvelle structure pour proposer aux personnes le logement adapté.

Notre action va cibler principalement l’offre de logements privée.

Cinq grands principes président à la création de l’agence immobilière, pour favoriser l’accès au

logement des personnes en situation de précarité, en intégrant les enjeux apparus à partir de notre

approche des notions « se loger et habiter » :

- La recherche d’adéquation entre offre et demande

- La reconnaissance des personnes dans leurs droits

- La garantie de l’accès et du maintien dans le logement

- La gestion sociale du rapport locatif

- La reconnaissance sociale des personnes

48 Les conditions d’utilisation de la marque AIVS : document joint en annexe.

Page 59: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

58

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Chacun de ces principes renvoie à la mise en œuvre d’actions nécessaires pour favoriser l’insertion

des personnes et la cohésion sociale.

3.1.1 - Une mission de prospection et de gestion de logements autour d’un projet individuel :

rechercher l’adéquation entre l’offre et la demande.

L’AIVS recherche des logements dans le parc privé pour répondre aux demandes de logements non

satisfaites en raison du refus des bailleurs, (publics ou privés), au vu des situations des personnes

ou par absence d ‘offre adaptée.

La prospection doit se faire sur le principe suivant : une demande - une recherche, afin qu’à chaque

fois le projet de la personne soit réellement pris en compte 49.

La prise en gestion d’un logement dans le cadre d’un mandat de gestion 50 ne doit intervenir que

lorsqu’un bailleur ne veut ou ne peut pas assurer seul la relation locative ou encore, si le locataire a

besoin d’une aide particulière. A chaque fois que la relation pourra s’établir en direct, cette solution

prévaudra. Ce projet d’agence ne vise pas la gestion d’un stock de logements, selon la logique de

toute autre agence, mais la gestion d’un flux. Cette dynamique est importante, elle permet d’éviter

qu’à un moment donné, se perde la notion « d’attribution » qui vise à mettre en rapport une offre et

une demande au profit d’une logique de « remplissage » pour éviter la vacance, phénomène qui

générerait la perte du sens.

3.1.2 – La gestion de logements dans un cadre réglementaire : reconnaître les individus dans

leurs droits.

La reconnaissance des individus dans leurs droits est fondamentale quand l’objectif poursuivi vise

l’inscription dans un processus de requalification sociale. La référence au droit modifie le regard

porté sur les personnes.

La gestion d’une offre de logements par l’AIVS, permet de resituer les personnes dans le droit

commun, celui qui vaut pour tous, à savoir le statut de locataire.

Ce rapport, bailleur – locataire, s’inscrit dans le cadre d’une relation réglementaire, directe et

permanente, elle s’oppose au principe de location, sous-location qui relève d’un droit tutélaire. Un

Schéma permet de visualiser ces rapports.

49 Matrice : prospection de logement, jointe en annexe.50 Mandat de gestion : acte immobilier, réglementé par la loi Hoguet, par lequel une agence immobilière gèreun logement pour le compte du bailleur.

Page 60: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

59

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Sous location

Bailleur Association occupantContrat de bail Convention de location sous location

Mandat de gestion

Bailleur locataire

Mandataire

Chacun de ces liens est défini juridiquement, le mandataire agit pour le compte du bailleur mais il ne

se substitue à aucune des parties. En cas de manquement aux obligations, chaque partie a un droit

de recours garanti par la justice.

La pratique de gestion immobilière dans le cadre du mandat de gestion, en maintenant la relation

entre le bailleur et le locataire, permet de réintroduire un rapport au social, un rapport au réel, pour

les ménages en situation précaire, qui ne se trouvent la plupart du temps, que face à des

professionnels du travail social, des figures de substitution.

Cette rencontre entre bailleur et locataire, en réintroduisant les rapports sociaux évite le risque

d’assistance. Cette confrontation nécessaire participe à la recréation du lien social.

D’une manière générale, il est souvent fait référence aux obligations du locataire sans évoquer les

obligations du bailleur. Cette notion de contrepartie est essentielle pour que puisse s’établir une

relation équilibrée.

Les obligations d’un bailleur sont : la location d’un bien en bon état d’usage répondant aux normes

de sécurité et la somme demandée en relation directe avec le bien loué.

Aujourd’hui il n’existe pas de système de contrôle des logements loués. En l’absence de

réglementation notre rôle est d’intervenir systématiquement auprès des bailleurs peu scrupuleux,

dès que nous en avons connaissance, pour les amener à remettre leur logement aux normes

d’habitabilité et de sécurité. L’information des instances qui financent les aides au logement (Caisse

d’Allocation familiales, Fonds Solidarité Logement) doit également être effectuée. Il s’agit d’une

question de principe car elles n’ont juridiquement pas de pouvoir de sanction. Une réflexion est

menée au sein de la FAPIL sur le « permis de louer », en référence à l’expérience belge. C’est un

« contrôle technique » du logement assimilé à celui des voitures, pour assainir et moraliser le

marché privé.

Contrat de bail

Mandat de gestion Relation opérationnelle

Relation juridiqueRelation conventionnelleRelation opérationnelle

Page 61: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

60

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Reconnaître les individus dans leurs droits, c’est aussi leur reconnaître le droit de choisir.

Toute personne, même en situation de précarité, a le droit d’accepter ou de refuser un logement qui

lui est proposé. Cette dimension du choix des personnes souvent absente des pratiques est pourtant

essentielle.

Tous les logements ne sont pas semblables, ils ne renvoient pas les mêmes images, non seulement

en terme de réalité (équipement, type de logement), mais aussi en terme d’imaginaire, en référence

à l’histoire singulière du sujet. Faire valoir le droit au choix, c’est favoriser l’investissement du

logement par la personne, lui permettre de se projeter et d’habiter.

Offrir une possibilité de choix suppose qu’il y ait plusieurs propositions de logements, c’est pourquoi

la fonction de prospection est importante, c’est à dire la recherche de logements repérés comme

accessibles et supposés capables de répondre aux demandes, aux attentes.

3.1.3 - La sécurisation du rapport locatif : garantir l’accès et le maintien dans le logement

Le principe de sécurisation a longtemps été pensé du seul point de vue du bailleur, il devait être

assuré au regard des risques qu’il encourait : impayés et dégradation de son patrimoine. Il nous

paraît aujourd’hui plus pertinent de parler de la sécurisation du rapport locatif, ceci impose de

considérer les droits mais aussi les obligations de chacune des parties engagées dans ce rapport

locatif. Si le bailleur doit être assuré de son paiement, le locataire doit également être assuré de

pourvoir conserver son logement.

Ce processus de sécurisation est étudié selon deux points de vue.

3.1.3.1 - Une approche préventive : la gestion sociale du rapport locatif

- La prise en compte de la situation des locataires et de leurs projets

Nous caractérisons la gestion sociale de « gestion locative adaptée ».Celle-ci peut se définir comme

l’exercice des actes de gestion locative «classiques », adaptés aux personnes en difficultés sociales

ou économiques, c’est à dire prenant en compte leurs spécificités, leurs difficultés, leurs attentes.

Les actes locatifs dans le cadre d’un mandat de gestion sont de plusieurs ordres : rédaction du Bail,

état des lieux (entrée, sortie), quittancement, encaissement des loyers.

Les mêmes actes sont établis dans le cadre de la gestion locative adaptée mais, la personne est au

centre de la relation. Elle va pouvoir trouver : une écoute sociale, une aide pour une information, un

conseil, un soutien dans sa démarche d’apprentissage. C’est à dire un ensemble d’attentions

particulières qui vont venir socialiser les pratiques immobilières inscrites autrement dans un cadre

formel : juridique et économique. Les actes vont se décliner de la manière suivante :

Page 62: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

61

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

- L’élaboration d’un diagnostic avec la personne et ses référents sociaux pour valider le

projet logement et le produit ciblé

- Un travail de prospection sur le principe : une demande, une recherche

- La préparation administrative de l'entrée dans le logement pour organiser la

solvabilité du ménage, mobiliser le cas échéant une mesure d’accompagnement social

lié au logement

- L’explication de l'environnement contractuel nécessaire pour l'entrée dans le

logement : bail, état des lieux...

- L’apprentissage de l'usage du logement : explication des fluides, ouverture des

compteurs et présentation de l'environnement du logement

Au cours de la location, le travail se poursuit sur d’autres registres :

- Le suivi du locataire dans son logement : quittancement mensuel, visites dans le

logement, gestion des contentieux...

- L’aide à l’appropriation du logement (aménagement, emménagement), conseils face

à des problèmes techniques

- La relation avec les référents sociaux.

Ce travail tel qu’il est décrit permet de repérer en quoi la gestion sociale du rapport locatif emprunte

aux champs de l’immobilier et du social. La mise en parallèle des deux démarches :

accompagnement social et gestion locative adaptée permet d’éclairer ce rapport.

L'accompagnement social se définit comme une action éducative générale centrée sur la personne

et la Gestion locative adaptée comme une action spécialisée centrée sur le logement.

Si des personnes logées ou à la recherche d’un logement se trouvent face à des situations sociales,

personnelles, complexes, le référent social chargé du suivi global de la personne, qu’il soit : tuteur,

instructeur RMI, éducateur de rue, assistant social…doit prendre ces problèmes en charge et /ou

solliciter une mesure d’ accompagnement social lié au logement.

Une nouvelle fois, la gestion sociale du rapport locatif ne peut pas s’inscrire exclusivement en

direction des locataires. Afin de toujours tenir cette posture d’interface il paraît important que toute

action en direction d’une partie des acteurs ou d’un système trouve sa contrepartie pour ne pas

reproduire les mécanismes d’assistance. L’intérêt pour chacun des acteurs est de ne pas s’oppose

et d’établir un rapport équilibré. C’est pourquoi il est important d’associer les bailleurs à la gestion de

leur logement et de développer une mission de formation et d’information en leur direction.

Page 63: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

62

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Une mission d’information, et de formation en direction des bailleurs privés, sociaux.

Tout comme il paraît nécessaire de soutenir parfois le locataire pour exercer ses obligations, il en est

de même pour le bailleur. La malveillance et la mauvaise foi ne sont pas toujours les sources des

défaillances et des conflits mais souvent la méconnaissance des droits ou la difficulté à percevoir la

manière de les assumer.

Jusqu’à présent, la catégorie des bailleurs n’a pas été caractérisée alors qu’il ne composent pas un

groupe homogène. Il paraît important de les identifier pour adapter les pratiques, de la même

manière que pour les locataires. Nous les avons classés en trois catégories :

- Les investisseurs institutionnels. Ils ont une démarche patrimoniale qui vise la

recherche de rentabilité immédiate. Ce sont des investisseurs à court terme, ils tirent leurs

ressources de la gestion de leur patrimoine, ce sont des professionnels.

- Les investisseurs à moyen terme, il s’agit le plus souvent de professions artisanales ou

libérales, des professionnels du bâtiment. Le patrimoine est pensé et investi comme une sécurité sur

l'avenir, un complément de retraite. Nous pouvons noter dans cette catégorie deux types de

propriétaires : ceux qui développent une offre de logements à partir de leurs propres revenus et ceux

qui bénéficient des aides financières de l’Etat, des collectivités, de l’ANAH, dans le cadre des

Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat, des programmes sociaux thématiques…Ils

sont prêts à s’engager sur des locations à caractère social s’ils ont toutes les garanties.

- Les héritiers , ils ne sont pas dans une logique de constitution de patrimoine, la plupart du

temps, ils subissent cette situation plus qu’ils ne la désirent. Ils ont hérité de leur(s) logement(s) et

ne les ont pas vendus en raison de leur valeur sentimentale, ou de différends familiaux. On observe

souvent des parcs qui se dégradent par manque de moyens pour les entretenir ou par absence de

choix. Il s’agit le plus souvent d’un logement voire d’un immeuble qui représente plus une charge

qu’un intérêt. Ils expriment une demande très forte d’aide et de conseil.

Cette action de formation et d’information va cibler prioritairement ces deux dernières catégories de

bailleurs.

En relation avec l’ADIL, Association Départementale d’Information sur le Logement, il s’agit de

proposer ces actions de formation et d’information à des groupes de bailleurs. Ce type d’intervention

existe aujourd’hui, mais de manière individuelle lorsqu’un bailleur rencontre une difficulté spécifique.

Le principe est de quitter cette relation duelle et de proposer (3 ou 4 fois par an) des thèmes

d’information et de débat aux bailleurs pour : les former à la gestion de leur parc , les sensibiliser à

l’évolution des besoins, les informer de leurs nouveaux droits et obligations, échanger sur les

nouveaux dispositifs et les politiques publiques.

D’autre part, il s’agit de traiter de situations problématiques rencontrées par les bailleurs et de

rechercher collectivement les moyens d’y faire face et /ou d’y remédier.

Page 64: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

63

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

La dimension du groupe doit permettre une certaine émulation et inscrire dans le champ du social

cette relation toute particulière que le bailleur entretient à son bien et à un locataire dans la mesure

où il s’agit d’un bien privé. C’est un travail de conscientisation sur le rôle que joue, en tant que

bailleur social, le bailleur privé. C’est une nouvelle fois, la possibilité de faire se rencontrer les deux

parties impliquées dans la relation locative, de favoriser les échanges entre locataires et

propriétaires, de créer du lien au sein de chacun des groupes et entre les groupes.

Malgré ces principes mettant en jeu une démarche préventive, certaines situations ne trouveront pas

de réponses satisfaisantes. La gestion locative de proximité et l’implication des bailleurs n’éviteront

pas tous les dérapages, ne lèveront pas toutes les difficultés. Les risques identifiés en terme

d’impayés et de dégradations doivent toujours être pris en compte pour qu’il puisse y avoir des

réponses au moment où ils surviennent.

3.1.3.2 – Une approche réparatrice : assurer la solvabilité des ménages

Il existe des dispositifs légaux (FSL), des aides facultatives (CCAS)51 ou caritatives qui interviennent

sur les impayés de loyer. Pour autant, certaines dettes ne sont pas prises en charge, pour exemple :

les départs sans préavis des personnes, des personnes bénéficiant de ressources n’entrant pas

dans les critères retenus...

Il existe des assurances d’impayés de loyer mais les ménages ciblés par notre action ne remplissent

aucune des conditions pour qu’un bailleur puisse souscrire ce type d’assurance. En effet, la garantie

ne fonctionne que pour des locataires qui ont pu au moment de l’entrée dans les lieux présenter des

fiches de salaire, un contrat de travail. Les caractéristiques des publics auprès desquels nous

travaillons montrent qu’ils sont tous éloignés de ce profil.

Plusieurs démarches peuvent être envisagées :

- Evaluer les fonds existants et faire en sorte qu’ils puissent intégrer le plus de situations

possibles

- Expérimenter la mise en œuvre de fonds spéciaux intervenant sur les défaillances

notoires des fonds existants.

La mise en place de ces fonds relais doit être conjoncturelle, elle a une fonction démonstrative,

exemplaire. Ces fonds doivent être abondés partiellement par les bailleurs. Même si la participation

reste faible il est important qu’elle existe, toujours pour s’inscrire dans le principe de contrepartie.

Les pratiques d’assistance ne sauraient se déplacer du locataire vers le bailleur.

Si la gestion sociale d’une offre existante dans le cadre du droit commun permet de proposer des

éléments de réponse aux problèmes d’accès au logement rencontrés par les ménages, ce travail

reste insuffisant : un nouvel enjeu est de renforcer l’offre de logement social dans le parc privé.

51 CCAS : Conseil Communal d’Action Sociale

Page 65: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

64

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

3.1.4 Le développement d’une offre de « qualité » : répondre aux enjeux de reconnaissance

sociale.

Au delà des principes énoncés qui précisent que l’offre de logement doit faire référence au droit

commun, favoriser la dimension citoyenne, cette offre doit présenter un certain nombre de

caractéristiques définies en ces termes :

- S’inscrire sur des territoires reconnus socialement, présentant une diversité urbaine et

sociale

- Présenter des caractéristiques qualitatives répondant aux normes d’habitabilité actuelles

- Etre accessible financièrement aux ménages à faibles ressources

Deux types d’action paraissent importants pour favoriser le développement d’une telle offre.

3.1.4.1 - Une inscription dans les dispositifs chargés de la programmation des

logements sociaux (privés et publics) et de leur attribution.

Ces dispositifs sont de différentes natures, trois d’entre eux paraissent importants :

- Le Programme Local de l’Habitat (PLH), loi du 7 janvier 198352 . C’est un outil de

programmation qui permet d’articuler, dans le cadre des agglomérations, les politiques

d’aménagement urbain et de l’habitat.

- Le Plan Départemental d’Action pour le Logement des Personnes Défavorisées

(PDALPD), loi Besson du 31 mai 1990. Il définit les besoins et les moyens nécessaires

pour accroître l’offre de logements pour les ménages démunis.

- La conférence intercommunale du logement, loi du 14 novembre 1996, relative à la mise

en œuvre du pacte de relance pour la ville. Elle élabore la charte communale qui définit

la stratégie générale d’attribution des logements sociaux sur le territoire de la commune.

Notre rôle, au sein de ces instances, est de faire valoir les besoins tels que nous pouvons les

observer et les comprendre. L’agence travaillant dans une relation de proximité avec les personnes

en situation de précarité doit être en capacité de les dire et de les faire prendre en compte. Il est

important de faire reconnaître cette capacité de diagnostic, d’expertise, tout comme il est essentiel

d’avoir une vision globale de l’offre de logements, publique et privée.

52 Relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat.

Page 66: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

65

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

3.1.4.2 – Une capacité d’expertise

Cette capacité d’expertise, de diagnostic, se décline sur trois registres :

- Capacité à qualifier les besoins.

Des projets de création d’observatoires de la demande de logements sociaux sont en cours d’étude

sur le département des Deux-Sèvres. L’agence doit articuler son travail à celui des observatoires en

faisant part de sa connaissance de situations spécifiques, de demandes singulières observées dans

le cadre de son travail au quotidien. Il s’agit, plus précisément, d’une approche qualitative de la

demande qui s’articule à l’évaluation quantitative. Ces deux approches ne s’opposent pas, au

contraire, elles se renforcent, s’enrichissent mutuellement.

- Capacité à observer les territoires du point de vue de leur possibilité d’insertion

Tous les territoires n’ont pas la même valeur sociale. L’objectif est de porter un regard sur les

territoires pour évaluer leur capacité d’insertion, celle-ci se caractérise à partir de la présence de

services de proximité, de commerces, d’écoles, de l’activité économique, des transports

collectifs…autant d’éléments à prendre en compte pour qualifier les territoires, mais ce n’est pas

encore suffisant, il faut regarder s’ils sont reconnus socialement pour comprendre s’ils vont ainsi

participer à un processus de qualification ou de disqualification des personnes.

Cette approche du territoire est essentielle, lorsqu’il s’agit de valider ou non le financement de la

réhabilitation d’un logement privé par l’ANAH, pour en faire un logement social. En effet, beaucoup

de propriétaires sollicitent des subventions trouvant là, une manière de valoriser leur patrimoine,

sans avoir le souci de la finalité sociale de ce parc 53.

Capacité à évaluer l’habitabilité du logement

Il ne s’agit pas de se substituer aux architectes et techniciens, mais d’étudier l’agencement des

logements qui vont être construits ou réhabilités, les matériaux utilisés, afin de faire en sorte que les

logements soient de qualité et habitables, dans le sens d’un aménagement et d’un investissement

possible.

Les logements privés, rachetés par des organismes publics ou des propriétaires privés pour être

réhabilités, présentent souvent un certain nombre de contraintes architecturales, de nuisances liées

à l’environnement (route, usine…). Ceci explique qu’ils n’ont pas été loués ni vendus dans le cadre

du marché privé, en loyer libre, les laissant disponibles et accessibles financièrement pour une

opération sociale.

53 Fiche diagnostic social avant implantation de logements sociaux privés, jointe en annexe

Page 67: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

66

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

La participation aux commissions d’attribution est également importante pour veiller à l’équilibre des

territoires, éviter que ne se créent ou se renforcent, des zones de « nantis » et des zones d’exclus.

C’est l’enjeu de la diversité des territoires qui est ici posée, nous retiendrons plutôt ce terme de

diversité qui inscrit la pluralité, reconnaît la différence, prend en compte les personnes mais aussi

l’organisation de l’espace dans toutes ses dimensions, plutôt que le terme de mixité qui selon les

propos de Paul Louis Marty 54 suggère une volonté d’intégration, d’homogénéisation, basée sur une

utopie.

Il apparaît dès lors, qu’au-delà du processus d’insertion des personnes et de reconnaissance sociale

qui est posé lorsque l’on parle de la qualité de l’offre telle que nous l’avons définie, c’est aussi un

enjeu de cohésion sociale qui est présent. Cette dimension nous renvoie à l’obligation de nous situer

dans une intervention territoriale.

3.1.5 – Une intervention territoriale : favoriser l’insertion des personnes et la cohésion sociale

Il est important de ne pas penser l’agence seulement en tant qu’outil de gestion d’une offre

immobilière, c’est aussi un outil de développement immobilier sur un territoire par rapport à des

besoins repérés en mettant en synergie un ensemble d’acteurs sociaux, politiques, économiques,

immobiliers.

La référence au territoire se situe en rupture avec l’approche clinique des inadaptations, elle pose la

question de l’accès au logement en tant que question sociale et non plus en terme d’inadaptation

des personnes. Prendre en compte cette dimension territoriale, c’est s’intéresser à l’ensemble des

mécanismes de socialisation que constituent : la famille, les divers groupes d’appartenance, les

institutions par lesquelles se construit l’intégration sociale. C’est intégrer le fait que tous les acteurs,

toutes les forces présentes sur un territoire donné sont identifiables et mobilisables pour proposer un

changement. La question de l’accès au logement dans une perspective d’insertion et de

reconnaissance sociale des individus est totalement référé à l’espace social.

C’est encore, dans notre perspective d’interface, trouver de nouveaux modes de relation et de

régulation entre les différents acteurs .C’est favoriser l’émergence d’actions redonnant une place

active aux personnes, soutenir les échanges, les liens entre les groupes. Les actions de formation

projetées en direction des bailleurs, les rencontres envisagées avec des groupe de locataires,

s’inscrivent dans cette perspective. On peut également penser qu’elles puissent être ouvertes à

d’autres acteurs, en particulier aux acteurs politiques, aux urbanistes….

Ce projet d’action se référant à des pratiques immobilières nous conduit à la création d’une structure

particulière et originale : une Agence Immobilière à Vocation Sociale.

54 Paul Louis Marty, Informations sociales, n° 77 – 1999

Page 68: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

67

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

3.2 - La création d’une agence immobilière à vocation sociale (AIVS®) : la production d’un

projet partagé

Le projet de création d’une agence immobilière à vocation sociale a été initié par l’association

Service Logement, sur mon impulsion, en tant que directrice. J’ai reçu mandat du conseil

d’administration du Service Logement pour travailler à sa mise en œuvre. Ce principe de délégation,

reconnu par l’ensemble des partenaires, m’a donc amenée à définir une méthode de travail

permettant à chacun de s’engager sur le projet. L’agence ne doit pas être perçue comme un simple

outil, voire un outil de plus, mais doit réellement devenir un projet partagé. Cela suppose que chacun

des partenaires ait à tout moment une vision globale du projet et accède à l’ensemble des

informations, pour participer à la prise de décision. Participation, formation – information, clarté et

transparence, sont les principes qui organisent cette démarche.

3.2.1 – Les principes d’animation et de construction du projet

3.2.1.1 - Le principe de participation :

Il s’appuie sur l’organisation d’un travail en grand groupe et en sous-groupes. Ces derniers se sont

constitués autour de trois thèmes :

- L’analyse de la demande de logements

- L’analyse de l’offre de logements

- La dimension juridique, administrative et financière du projet

Tous les partenaires associés au projet doivent avoir un rôle dans l’une ou l’autre de ces

commissions afin que chacun s’approprie les enjeux, se sente engagé et devienne acteur du projet.

3.2.1.2 - Les principes de clarté et de transparence

Ils sont conduits grâce à une organisation méthodique rigoureuse :

- Construction de la « colonne vertébrale » du projet 55 afin

d’avoir en permanence la vision de toutes les questions à traiter

- Elaboration de dossiers regroupant des fiches techniques sur chaque thème à aborder.

Réactualisation des fiches au fur et à mesure de l’avancée des travaux.

- Présentation des différentes hypothèses de travail et de leurs conséquences sous forme

de tableaux synthétiques pour aider à la prise de décision.

55 Colonne vertébrale du projet : document joint en annexe.

Page 69: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

68

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

3.2.1.3 - Les principes de formation et d’information des acteurs :

Ils visent à croiser les cultures, les approches, les connaissances de chacun. Le travail d’interface

suppose que chacun des acteurs puisse avoir une compréhension des cultures sociales et

immobilières. L’organisation de deux journées d’étude participe de ce travail de connaissance :

- Une approche théorique de la question du droit au logement et de ses enjeux,

animation par René Ballain, chercheur au CNRS de Grenoble, spécialiste de la question

du logement, chargé de la coordination des groupes de chercheurs travaillant à

l’évaluation de la loi Besson.

- Une réflexion sur l’outil AIVS, animation par un représentant de la Caisse des Dépôts et

Consignations 56 et le référent AIVS au sein de la FAPIL.

Le projet d’agence immobilière à vocation sociale, tel que nous l’avons présenté conduit le directeur

à jouer un rôle de porteur de projet mais aussi d’animateur. Cette fonction d’assembleur suppose

d’identifier tous les acteurs devant être sollicités.

3.2.1.4 - Une pluralité d’acteurs

Plusieurs groupes d’acteurs sont sollicités appartenant à différents champs :

- Les acteurs politiques : Etat, Département, Communes

- Les financeurs du logement social : Caisse des Dépôts et Consignations, collecteurs

du 1% logement

- Les bailleurs : sociaux et privés (personnes physiques mais aussi structures

représentatives, pour exemple : la FNAIM 57 )

- Les structures spécialisées dans le domaine du logement : technique (le PACT),

juridique (L’ADIL)

- Les acteurs sociaux : Les services sociaux : Etat 58, Département, Communes ; Les

administrations sociales (Caisse d’Allocations Familiales, Mutuelle Sociale Agricole),

Les institutions sociales et de rééducation, les structures d’hébergement (FJT,

résidences sociales)..

- Les structures d’accueil, d’information et d’orientation : Service Logement, Mission

Locale, Centre d’Accueil et d’Orientation.

56 Action proposée dans le cadre d’une convention passée entre la FAPIL et la CDC57 FNAIM : Fédération Nationale des Agences Immobilières.58 Etat : représenté par la Direction Départementale de l’Equipement (DDE), la Direction Départementale desAffaires Sanitaires et Sociales (DDASS) et la Direction Départementale du Travail, de l’Emploi et de laFormation Professionnelle (DDTEFP) pour que les toutes les dimensions du projet soient représentées.

Page 70: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

69

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Le principe est d’établir le tour de table le plus large possible pour que tous les points de vue soient

présents tout au long de la démarche, que chaque aspect soit traité sous les différents angles. Il

s’agit à la fois de produire du débat mais aussi, faire en sorte que chaque partenaire puisse

questionner ses pratiques pour les faire évoluer et les adapter aux besoins tels qu’ils apparaissent.

La notion d’interface suppose que tous les acteurs invités à cette réflexion s’engagent dans une

démarche de changement.

3.2.1.5 – Une structuration territorialisée : le département des Deux-Sèvres

Le projet de création d’une AIVS, bien que porté dans un premier temps par l’association Service

Logement dont le territoire d’intervention se situe sur le bassin d’habitat niortais, a été

immédiatement pensé à l’échelle du département des Deux-sèvres.

La zone d’influence du projet, a été pensée en référence à la notion de « territoire pertinent », c’est à

dire le territoire qui va mettre en cohérence et en cohésion les actions projetées. Dans cette

perspective, l’échelle départementale s’est imposée. La compétence logement est départementale

depuis les lois de décentralisation de 1982. La loi Besson en mai 1990 a renforcé cette compétence

en posant l’obligation de définir une politique du logement traduite dans le cadre d’un plan

départemental pour le logement des démunis.

Si le département apparaît comme le territoire pertinent pour positionner le projet, il est nécessaire

de penser des relais pour l’action.

Le travail de prospection, de gestion de logement, de suivi des personnes tel que nous l’avons

défini, est un travail de proximité qui demande à ce que les acteurs connaissent parfaitement leur

territoire d’intervention en terme : de ressources, de faiblesses, de jeu d’acteurs d’histoire, d’usages,

mais aussi : la structure de l’offre de logements, la nature de la demande, les capacités d’insertion

du territoire …Tout est important, c’est pourquoi un réseau de référents territoriaux doit être mis en

place pour intervenir sur des territoires qui pourront être les bassins d’habitat 59 ou encore : les

communautés de communes, les communautés d’agglomérations, les districts…c’est à dire des

territoires cohérents pour l’action, des espaces privilégiés où peuvent se nouer le lien social, se

développer la solidarité et s’exercer la citoyenneté.

- La construction d’un réseau de référents territoriaux.

La notion de réseau suppose que l’on va mailler des associations pour qu’elles deviennent, sur un

territoire donné, les relais de la structure centrale, chargées localement de la mise en œuvre des

actions engagées. Il ne s'agit en aucune manière "d'implanter" des antennes sur des territoires, a

priori, ni que la structure centrale embauche des personnels et les « parachute » sur les sites, sans

59 Carte du département des Deux-Sèvres avec la représentation des bassins d’habitat est jointe en annexe.

Page 71: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

70

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

inscription, sans ancrage dans le tissu local. La notion de référents territoriaux suppose de trouver

des structures et des acteurs avec lesquels l’agence passera des conventions 60.

Un partenaire existe déjà sur Parthenay et la Gâtine : l'Association "un toit en Gâtine". La couverture

des autres territoires reste à construire en fonction des besoins, des structures et opérateurs locaux

ayant la capacité à devenir «référents territoriaux ».

3.2.1.6 - L’inscription du projet dans le cadre des politiques publiques

Le projet d’agence doit s’inscrire dans les différentes instances charges du logement et de

l’insertion. L’adossement aux politiques publiques est essentiel pour plusieurs raisons :

- La question de l’accès au logement est une question politique, elle dépasse le cadre de

la structure. Le projet se présente comme la mise en œuvre locale d’une politique

publique, il doit donc nécessairement y être référé.

- Le principe de représentation de la structure au sein des différentes instances chargées

du logement et de l’insertion est important pour faire valoir les besoins des personnes

au sein des différents dispositifs.

- La participation aux instances dans lesquelles s’élaborent localement les orientations

des dispositifs est aussi une manière de les faire évoluer. Nous avons, en tant qu’acteur

de terrain, le devoir de dire, de porter à la connaissance des politiques, des décideurs,

les situations dans leur complexité.

C’est ici que le principe d’interface prend tout son sens. Il s’agit de trouver de nouveaux modes de

régulation entre les sous systèmes que sont : les usagers, les politiques publiques et les acteurs

associatifs.

Plusieurs instances ayant vocation à intervenir dans le cadre du logement sont repérées :

- Le Plan Départemental pour le Logement des démunis (PDALPD) : espace

d’élaboration de la politique du logement à l’échelle du département

- Les Programmes Locaux de l’Habitat : espaces de programmation des logements et des

services à l’échelle d’un bassin d’habitat.

- Les conférences intercommunales du logement : espaces d’attribution au niveau des

communes.

La structure doit également être présente au sein d’instances à vocation sociale, du type de la

cellule locale d’insertion (CLI) ayant en charge la programmation d’actions d’insertion en direction

des bénéficiaires du RMI et des minima sociaux.

60 Un tableau joint en annexe permet de visualiser les liens entre les différents acteurs

Page 72: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

71

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Le projet de création d’une Agence Immobilière à Vocation Sociale présente plusieurs facettes qui

ne sont absolument pas exclusives les unes des autres. Toutes les missions telles que nous les

avons définies : prospection, programmation, gestion, attribution, animation des territoires, doivent

être présentes. L’ensemble de ces actions forment un tout. L’amputation de l’une d'entre elles

viendrait mettre en échec cette cohérence et viderait le projet de son sens.

Le projet d’AIVS à l’ambition de faire se rencontrer et fonctionner deux logiques qui a priori

s’opposent, les intérêts de l’une étant souvent contraires aux intérêts de l’autre, c’est un équilibre

fragile, peut être difficile à tenir, c’est pourquoi tous les éléments du puzzle sont importants.

La mise en œuvre de ce projet, dans la mesure où elle fait référence à des actes immobiliers passe

par la création d’une agence immobilière. Nous proposons une approche synthétique des obligations

faites par la loi Hoguet qui réglemente cette profession.

3.2.2 – Une approche réglementaire : la loi Hoguet du 2 janvier 1970 et décret n°72-678 du 20

juillet 1972

3.2.2.1 – Les obligations légales.

Une carte professionnelle est obligatoire pour exercer les métiers de l’immobilier. Elle est délivrée

par la préfecture, renouvelable chaque année. Il existe deux types de carte professionnelle : la carte

de transaction sur immeubles et fonds de commerce, la carte de gestion immobilière (régie, syndic).

L’obtention de ces cartes est soumise à trois obligations :

- justifier de son aptitude professionnelle

- présenter une garantie financière suffisante,

- être assuré en responsabilité civile professionnelle,

La justification de l'aptitude professionnelle est de deux ordres soit :

- Un diplôme universitaire de niveau BAC plus 3 : études juridiques, économiques,

commerciales

- Une expérience en gestion immobilière

Le titulaire de la carte professionnelle est toujours une personne physique, agissant comme

représentant statutaire ou légal d'une personne morale. Il engage sa responsabilité pénale et civile,

et doit répondre à certaines conditions de moralité. Pour l’association cette obligation influence le

choix du Président, en tant que porteur de carte il doit satisfaire à l’un des deux critères. Il en est de

même pour le choix du directeur s’il bénéficie d’une délégation sur l’ensemble des actes immobiliers

et financiers.

Page 73: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

72

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Tous les autres salariés amenés à exercer un travail de gestion, de prospection et de transaction

doivent également être détenteurs d’une carte professionnelle. La délégation de pouvoir est partielle

en fonction des profils de poste.

La garantie financière et la responsabilité civile professionnelle :

Le principe applicable est le système d’une « garantie suffisante ». Le montant de la garantie

financière n'est pas forfaitaire mais variable selon l'importance des fonds détenus pour le compte de

tiers. Il est révisé tous les ans. Il s'agit de pouvoir couvrir en permanence les fonds détenus pour le

compte de tiers en cas de mauvaise gestion ou de faute. La garantie minimum est de 750 000F pour

la gestion et de 200 000F pour la transaction sans détention de fonds.

La responsabilité civile professionnelle est obligatoire pour chaque activité (gestion et transaction),

elle vise à couvrir l'agent immobilier contre les conséquences pécuniaires qu'il peut encourir du fait

de ses activités.

3.2.2.2 – Les statuts : juridiques et fiscaux

La forme juridique retenue pour créer l’AIVS, sur les Deux-Sèvres est la forme associative.

L’association va entamer les démarches pour que l’activité ne soit pas assujettie à la TVA.

La vie démocratique de l'association et la notion d'intérêt général doivent ressortir. Cette dernière

passe entre autre par l’établissement de conventions avec les collectivités publiques.

Ces obligations ont été développées pour comprendre le cadre très formel et très réglementé dans

lequel s’inscrit le projet de création d’une agence immobilière. Il oblige à de nombreuses démarches

et négociations. Elles sont cependant facilitées grâce au travail effectué par la FAPIL, en particulier

aux contacts établis avec des organismes proposant la garantie financière et l’assurance

responsabilité civile professionnelle.

Ces obligations font prendre conscience qu’un changement de pratiques s’inscrivant dans un

changement de référentiel ne se décrète pas. Cela demande une forte mobilisation des personnes,

un fort engagement, que ce soit au niveau des militants mais aussi des professionnels pour s’ouvrir

à d’autres références sans perdre le sens de l’action.

La gestion immobilière requiert des compétences professionnelles capables de faire face à une

logique d’entreprise en optimisant la logique sociale et la logique économique. Ceci nécessite une

organisation des tâches et une gestion très rigoureuse. C’est l’ensemble de ces enjeux que nous

allons retrouver dans la gestion des ressources humaines

Page 74: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

73

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

3.2.3 – Une approche organisationnelle

3.2.3.1 : Les ressources humaines : la diversité des métiers

La création de cette agence a des incidences sur le fonctionnement du Service Logement par le

transfert de l’activité locative et le départ d’une partie des salariés. Le recentrage sur la mission

sociale rend nécessaire l’implication de l’ensemble des personnels dans le projet de création pour

éviter tout sentiment de perte, d’inquiétude, tout jugement cherchant à valoriser un projet contre

l’autre. Ce principe d’implication sera établi :

- En interne : dans le cadre de réunions de service

- En externe : dans le cadre du travail avec l’ensemble des partenaires

Il sera proposé aux salariés attachés au secteur locatif un transfert de leurs postes sur l’agence.

Trois catégories de personnel sont présentes, sur ce secteur.

- Le personnel administratif : le poste de comptable.

La personne embauchée dans le cadre du Service Logement est " mufti employeurs" il lui sera

proposé un contrat de travail avec l’agence, à temps partiel et à horaires variables. Il n’est pas

nécessaire d’envisager une adaptation à son nouveau poste de travail. Les compétences sont déjà

acquises.

- Le personnel chargé de l’entretien des logements et des immeubles.

Leurs tâches restent identiques. Ils connaissent les immeubles et les logements pour autant, ce sera

l’occasion de rediscuter avec chacun, et collectivement, de leurs attentes, de leurs perspectives de

travail et des formations souhaitées pour marquer un changement et profiter de cette situation pour

les réinvestir dans une dynamique plus collective.

- Le personnel attaché à la gestion locative du Service Logement.

Une formation complémentaire est nécessaire pour les former à la gestion dans le cadre du mandat

de gestion, et à la réalisation de l’ensemble des actes immobiliers.

Le projet d’AIVS est à l’étude depuis plusieurs mois, la dernière embauche réalisée sur le secteur

locatif au sein du Service logement a été, dans un souci d’anticipation, une personne ayant une

formation d’agent immobilier.

Nous proposons d’accompagner le changement culturel que représente le passage d’une activité de

« location, sous-location » à une activité « immobilière sociale » par une démarche de formation

structurée sur deux logiques :

- Une formation individuelle pour la salariée chargée de coordonner le réseau des

référents territoriaux. Une formation de gestion des ressources humaines a été retenue.

- Une formation collective pour tous les salariés amenés à exercer des actes immobiliers.

Cette formation juridique a été pensée avec l’ADIL, partenaire local.

Page 75: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

74

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

La recherche d’une convention collective de référence devra être effectuée pour que chaque emploi

soit positionné. L’association Service Logement se réfère actuellement à la convention collective des

foyers de jeunes travailleurs, de 1969. Celle-ci n’est pas applicable dans le cadre de l’agence, la

nomenclature des emplois étant inadaptée. Les agences immobilières classiques rémunèrent

souvent leur personnel à la commission, cette pratique n’est pas applicable, (ni souhaitable) dans le

secteur associatif. La convention collective des PACT semble pouvoir être une référence possible,

elle propose une nomenclature à partir de laquelle les différentes fonctions pourraient être

positionnées.

3.2.3.2 – Les ressources financières : des financements mixtes

L'analyse des comptes d'exploitation des AIVS met en évidence la cohabitation permanente de

ressources liées au marché et de ressources institutionnelles (subventions).

Les ressources liées au marché :

L’agence facture des frais d’honoraires aux bailleurs quand les logements sont gérés dans le cadre

d’un mandat de gestion ou lorsque des actes immobiliers (états des lieux, contrat de bail) sont

établis. Ces frais facturés représentent un certain pourcentage du montant des loyers. Ceux-ci

devant être peu élevés pour que les logements soient accessibles aux personnes en situation de

précarité, les frais perçus sont faibles et ne peuvent suffire au paiement des charges de

fonctionnement.

Parallèlement, il faut noter que les coûts de gestion d’une AIVS sont plus élevés que ceux d’une

agence privée. Les temps passés à la réalisation des actes sont supérieurs. La prise en compte de

la personne, l’accompagnement dans des démarches, le travail d’apprentissage, la rencontre avec

les référents sociaux…sont autant d’actions que n’effectue pas une agence classique. Le principe de

Gestion Locative Adaptée, tel que nous l’avons défini entraîne un surcoût qui ne peut pas être

imputé aux bailleurs, il relève de financements de la collectivité.

La participation financière des bailleurs, bénéficiaires de l’action mise en place, introduit de

nouveaux rapports entre l’usager et le bailleur et l’opérateur associatif. La relation financière ne doit

pas venir mettre en défaut la relation sociale, la notion de service de qualité au profit de l’ensemble

des parties.

Les ressources liées aux financements institutionnels

Plusieurs sources de financement sont mobilisables. Aucun financement n'est acquis a priori, ils font

tous, l’objet de négociation et de conventions particulières.

Page 76: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

75

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

L’Etat : La loi relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1999, N° 98.657, dans son article

40 a adopté le principe d’un financement des activités de sous-location ou de gestion immobilière

pour les logements destinés à des personnes défavorisées.

Le décret d’application N° 98.1029 du 13.11.98 relatif à cette aide forfaitaire a défini les montants :

3200F / an / logement en Ile de France, 2900F / an / logement sur le reste du territoire.

Les collectivités locales : Départements, Communes. Il n’existe pas de lignes budgétaires

spécifiques pour financer les projets du type de l’AIVS, ce sont des négociations locales qui sont

mises en place. Concernant notre projet, le transfert de l’activité de gestion du programme social

Thématique réalisé par le Service Logement vers l’AIVS est assorti du transfert des financements de

la Ville de Niort. Le Conseil Général s’est prononcé pour une aide sur le budget du Programme

Départemental d’Insertion (PDI) chargé de financer des actions d’insertion en direction des

bénéficiaires du revenu minimum d’insertion et par extension des bénéficiaires des minima sociaux

La participation de fonds spéciaux abondés par plusieurs financeurs : Fonds Solidarité Logement

(FSL) Maîtrise d’Oeuvre Urbaine et Sociale (MOUS)

Les administrations sociales : Caisse d’Allocations Familiales (CAF), Mutuelle Sociale Agricole

(MSA).

Chacun de ces financeurs a des modalités de financement et des logiques différentes.

Tous ces financements sont à négocier, certains se présentent comme une « aide au démarrage »,

comme la Caisse des Dépôts et Consignations, d’autres peuvent s’inscrire dans des conventions

triennales. La multiplicité des sources de financement fait apparaître la nécessité de mobiliser

l’ensemble des partenaires sur le projet. Ils doivent être associés dès le départ de la réflexion.

3.2.4 – La fonction de direction

Le projet d’action, tel que nous venons de le présenter demande au directeur plusieurs

compétences. Elles sont apparues au fur et à mesure du déroulement du projet d’action et de sa

mise en œuvre. Nous proposons ici de les décliner, de manière synthétique en quatre points :

3.2.4.1 – S’inscrire dans une démarche de projet et d’innovation

Le directeur doit concevoir son rôle dans l’articulation « du dedans » et « du dehors ». Il est

nécessaire d’avoir toujours en perspective : le projet, la structure et l’environnement. L’un ne prenant

son sens que par rapport aux autres.

Page 77: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

76

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Le souci de pérenniser les structures est toujours très présent pour les administrateurs et les

salariés. Pour autant, il ne doit pas conduire à ne fonctionner que par rapport à l’acquis. Le directeur

doit être en capacité d’appréhender les systèmes dans leur globalité et leur évolution. Il est

nécessaire de réfléchir de manière régulière au contexte social, économique, aux besoins des

personnes pour ré interroger le projet, les pratiques, les formations. Il faut oser remettre en question

les actions conduites pour les faire évoluer. Sans quoi, c’est la mort annoncée du projet.

3.2.4.2 – Construire de nouveaux savoirs et savoir – faire

Le projet d’AIVS est à l’interface de plusieurs cultures (sociale, économique, immobilière….). Il est

nécessaire de prendre de la distance avec ses propres références culturelles pour en appréhender

de nouvelles et concevoir des pratiques qui vont emprunter à plusieurs champs. Nous sommes dans

un processus de recomposition des pratiques sociales, l’apprentissage de nouvelles règles du jeu. Il

n’existe pas de vérité, ces nouvelles pratiques sont à produire collectivement.

3.2.4.3 – Promouvoir une démarche collective

Face à la complexité des systèmes, personne ne peut seul penser la question sociale et proposer

des modes d’action. Il est indispensable de favoriser l’émergence de diagnostics partagés. Ils sont la

condition pour impliquer les acteurs politiques sociaux économiques à la réflexion pour dégager des

choix politiques et stratégiques.

Le directeur doit être en capacité de promouvoir cette démarche collective, il a un rôle d’assembleur.

Cela suppose d’identifier les différents groupes d’acteurs ayant vocation à intervenir sur les

questions traitées et de se positionner dans une perspective de développement social local.

3.2.4.4 – Développer une gestion prévisionnelle des ressources humaines

et financières

L’étude a fait apparaître que les financements ne sont ni pré établis, ni acquis a priori. Le principe

du multi-financement prévaut. Une pluralité de partenaires financiers, des négociations

permanentes, supposent de faire valoir à tout moment la pertinence du projet, donc : évaluer les

effets sociaux produits, dérouler les actions mises en œuvre, rendre compte des moyens et des

coûts. Pour le directeur, il est nécessaire d’avoir des outils techniques précis : une comptabilité

analytique, des tableaux de bords.

Page 78: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

77

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Il doit également consolider les dispositifs en négociant des conventions pluriannuelles, observer les

évolutions politiques, les dispositifs et les besoins, et anticiper.

En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, le directeur doit être dans une relation de

proximité, de confiance avec les salariés. L’inscription de la structure dans un processus dynamique

de changement peut devenir source de déstabilisation, d’insécurité. Une attention particulière aux

modes de communication interne est indispensable. Des réunions programmées, techniques,

évaluatives et prospectives, des systèmes de communication clairement identifiés pour une bonne

transmission des informations doivent être mis en place.

La capacité d’anticipation est essentielle pour assurer la fonction de direction. Dans le cadre de la

gestion des ressources humaines, il s’agit de repérer les potentiels des professionnels pour

construire un plan de formation favorisant l’émergence de nouvelles compétences.

3.3 - L’AIVS : un outil immobilier au service d’un projet social, un enjeu d’évaluation

permanente

Les logiques immobilières et sociales renvoient à des pratiques inscrites dans le cadre d’un marché

et à des pratiques sociales. Plusieurs principes sont nécessaires pour qu’une logique ne s’affirme au

détriment de l’autre.

- Inscrire l'AIVS dans le dispositif d'action pour le logement des personnes

défavorisées : agrément par le Préfet et le Président du Conseil Général, dans le cadre

de la loi Besson.

- Construire l'AIVS sur la base d'un partenariat "à vocation sociale"

- Garantir la vocation "non lucrative" de l'AIVS, c'est à dire retenir une forme juridique

du champ de l'Économie Sociale.

- Avoir recours exclusivement au salariat (ou au bénévolat, dans le cadre associatif),

ce qui exclut le système de commission.

Plus la logique économique est prégnante, plus les risques de déviation existent. C'est pourquoi il

faut "tenir" le projet social, décliner ses valeurs fondamentales et en être garant.

Dans ce contexte, le principe de l’évaluation permanente de l’action est essentiel en vue d’éviter

toute dérive, de conserver cette posture d’interface entre immobilier et social.

Page 79: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

78

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

L’association porteuse de l’agence immobilière à vocation sociale a été créée en février 1999. Les

cartes professionnelles sont obtenues pour le Président et moi-même, en tant que directrice de cette

nouvelle structure. Les activités de prospection et de diagnostic ont débuté, elles sont assurées par

une nouvelle salariée ayant une formation en aménagement du territoire. Le transfert du secteur

locatif du Service Logement vers l’AIVS va s’opérer en début d’année 2000, il conduira au transfert

du personnel.

L’association s’appelle SOLEA.

Solea : c’est le seuil en latin. Nous avons retenu cette notion largement définie par Bernard Salignon

comme l’espace d’articulation entre le dedans et le dehors, c’est à dire un point central de

« l’habiter » :

« Le seuil demeure l’essence du rapport de la maison à la ville, de l’habitant au voisin, duproche et du lointain. Le seuil n’est ni du dedans, ni du dehors, il est des deux à la fois, iltient l’ouvert et le fermé dans un enchevêtrement subtil qui permet aux formes sensibles etaux pratiques humaines de s’articuler sans s’empiéter, sans se contrarier ».

Page 80: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

79

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Conclusion

La question de l’accès au logement se pose de manière importante pour de plus en plus de

personnes compte tenu d’un désajustement notoire entre l’offre et la demande de logements. La

compréhension de cette problématique ne peut se faire en dehors de l’analyse des processus

sociaux et économiques de la période. Robert Castel 61 en propose une lecture en terme de

« Déplacement de la question sociale ». D’une fonction de réparation traitant la marginalité, le

handicap, le travail social est confronté à un phénomène de marginalisation de masse lié à

l’effritement de la société salariale. Le décrochage par rapport au travail, la distension des liens

familiaux, affectifs a produit des trajectoires de disqualification sociale, de désaffiliation.

Dans ce contexte, la question du droit au logement devient une question centrale, elle se pose dans

un enjeu d’insertion des personnes et de cohésion sociale.

Cette étude a permis de distinguer ce qui relève, d’une part, des mécanismes d’action sociale qu’il

convient de développer pour favoriser l’accès et le maintien de certains ménages en situation

particulièrement difficile (actions d’accompagnement social) et d’autre part, de l’adaptation du

système de production et de gestion de l’offre de logements.

Parallèlement au travail de médiation, visant la requalification des personnes, la restauration des

liens sociaux, il est nécessaire de proposer une nouvelle posture professionnelle, qualifiée

d’interface. Cette posture invite à agir à l’interaction des systèmes : « demandes en provenance des

mal logés », « marché immobilier » et « Etat », afin de produire de nouvelles pratiques, trouver de

nouveaux modes de régulation, et travailler à la recréation de rapports sociaux.

L’Agence Immobilière à Vocation Sociale « AIVS », est un outil qui nous permet d’atteindre ces

perspectives. L’intervention sur l’offre de logement , se décline dans les formes suivantes :

programmation, attribution et gestion. Ce positionnement professionnel nous a amené à définir un

nouveau métier, que nous appelons : « acteur de l’habitat ».

Toute pratique sociale doit veiller à ce que l’attention particulière portée aux personnes en situation

de précarité, fondée sur le principe d’une discrimination positive, ne devienne stigmatisante et

enfermante. Il faut rester vigilant et ne pas fabriquer le «droit des pauvres » ou un tiers secteur

insertionnel qui ne serait plus relié. Au contraire l’enjeu est de fabriquer du dialogue entre les gens

qui n’échangent plus, du lien social, de la démocratie.

61 CASTEL, Robert. Les métamorphoses de la question sociale.

Page 81: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

80

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Cette approche oblige à penser les systèmes dans leur globalité et leur complexité, à se penser

dans cette globalité. L’Agence Immobilière à Vocation Sociale n’a raison d’être qu’en tant qu’action

collective, articulée à d’autres actions. Seule, elle devient un outil, voire un outil de plus. Plusieurs

conditions sont nécessaires pour que l’action prenne sens :

- Etre le produit d’un travail partenarial : pour travailler sur l’articulation des dispositifs et

leur complémentarité.

- Réunir des acteurs aux cultures professionnelles différentes : pour une lecture plurielle

des situations permettant de les appréhender dans leur complexité

- S’inscrire sur un territoire pertinent : pour prendre en compte les spécificités, les

potentiels du territoire, les réseaux d’acteurs

- Etre articulée à l’ensemble des politiques publiques : pour trouver son sens et apporter

"une pierre à l’édifice".

Sont déclinés ainsi, l’ensemble des principes qui fondent les pratiques de développement social

local, c’est nous semble-t-il une approche incontournable aujourd’hui pour permettre aux personnes,

à toutes les personnes, de "se loger et d’habiter" dans un territoire choisi.

Cette perspective place les associations face à un nouveau rôle et à de nouvelles responsabilités.

L’Etat sollicite le secteur associatif, cherche à l’impliquer dans la mise en œuvre des dispositifs. Il est

important pour les associations, de ne pas se situer seulement en terme d’opérateur, de prestataire

mais de se positionner dans une fonction d’interpellation, une fonction politique.

Notre connaissance du terrain, des besoins est fondamentale pour faire évoluer les politiques

publiques, c’est une responsabilité associative. Nous avons ensemble, militants et professionnels, le

devoir de «faire » mais aussi de « dire ».

Dans ce rôle défini pour les associations, la place du directeur est d’impulser, faire vivre ce

tryptique : action, réflexion, interpellation, de manière dynamique. Il s’agit d’expérimenter, d’innover

et d’évaluer.

Cette démarche a été qualifiée par plusieurs auteurs de « bricolage social ». L’enjeu est de

s’engager dans une démarche, des pratiques ,qui ne sont pas codifiées a priori par des procédures,

c’est faire œuvre d’innovation.

Le défi posé aujourd’hui à l’ensemble des acteurs sociaux, politiques, économiques, porte sur la

capacité collective à produire de nouvelles réponses pour permettre à chacun de retrouver une place

dans la société.

Page 82: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

81

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

OUVRAGES

AUTES, Michel. Travail social et pauvreté. Editions SYROS Alternatives, 1992

BALLAIN, René et BENGUIGUI Laurence. Loger les personnes défavorisée. Paris. LaDocumentation Française, 1995.

BALLAIN, René. Promouvoir le droit au logement. La documentation Française, 1998.

BARREYRE, Jean Yves et BOUQUET Brigitte, CHANTREAU André, LASSUS Pierre.Dictionnaire critique d’action sociale. Collection « travail social », Editions ArmandCOLLIN, 1989.

BONETTI, Michel. Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace. EPI, Collection Hommeset Perspectives, Editions DESCLEE DE BROUWER, 1994.

BORGETTO, Michel et LAFORE Robert. Droit de l’aide et de l’action sociales.Collection Domat Droit public, Editions Montchrestien,1996.

CASTEL, Robert. Les métamorphoses de la question sociale. Editions FAYARD, 1995.

DONZELOT, Jacques et ESTEBE Philippe. L’Etat animateur, essai sur la politique de laville. Collection Ville et société, Editions ESPRIT, 1994.

FOURNIER, Jacques et QUESTIAUX Nicole. Traité du social : Situations, luttes,politiques, institutions. Collection Etudes politiques économiques et sociales, EditionsDALLOZ, 1980.

GAULEJAC, Vincent de. La lutte des places. Collection Hommes et perspectives, EditionsDESCLEE DE BROUWER, 1994.

ION, Jacques. Le travail social à l’épreuve du territoire. Editions PRIVAT, 1990.

LIPIETZ, Alain. La société en sablier. Editions LA DECOUVERTE, 1997

LEGE, Bernard. Le droit au logement en question. Collection Alternatives, EditionsSYROS, 1991.

MERLIN, Pierre. La famille éclate, le logement s’adapte. Collection Alternatives, EditionsSYROS, 1990.

PAUGAM, Serge. La disqualification sociale, essai sur la nouvelle pauvreté. EditionsPUF, 1991.

SALIGNON, Bernard. Qu’est ce qu’habiter ?. Editions Z’EDITIONS.

SEGAUD, Marion et BONVALET Catherine, BRUN Jacques. Logement et habitat, l’étatdes savoirs. Collection textes à l’appui, Editions LA DECOUVERTE, 1998.

SCHWARTZ, Bertrand. L’insertion professionnelle et sociale des jeunes. rapport aupremier ministre, Paris, La Documentation Française, 1981.

UNIOPS, Accompagnement social et insertion, pratiques associatives, SYROS, 1995

Page 83: Se loger et habiter, un enjeu d'interface entre marche et

82

Vivette TIERCELIN - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

REVUES ET DOCUMENTS

Actes de la rencontre nationale du logement (les). Ministère de l’Equipement, desTransports et du logement, 5 juin 1998.

Charte pour « ouvrir la ville ». Habitat Educatif, Cahier n°3, mars 1997.

ESPRIT. A quoi sert le travail social ?. Mars-avril 1998

ESPRIT. Quand la ville se défait. Novembre 1999.

FONDATIONS. Les pouvoir publics et le logement. n°2, septembre 1995.

FONDATIONS. Les enjeux sociaux de l’aménagement du territoire. n°3, mai 1996.

FONDATION ABBE PIERRE. L’état du mal logement en France 1998. rapport annuel1998.

INFORMATIONS SOCIALES. Nouvelle crise du logement. n°77, 1999.

DJAOUI, Eliane. Le chez soi. INFORMATIONS SOCIALES, n°23, 1993

LAFORE, Robert. L’ordre consensuel, le droit des politiques sociales. Le nouveauMascaret, n°37, 1995.

Cinquième RAPPORT du Haut comité pour le logement des personnes défavorisés. Lebesoin de cohérence dans la politique du logement. 1999

RIAC 33. Lien social et politique, 1995