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la revue socialiste 58
sommaire
édito
- Alain Bergounioux La démocratie sociale, évidemment ............................................................................................................................................................................................ p. 03
le dossier
- Henri RouilleaultLa démocratie sociale, aujourd’hui ............................................................................................................................................................................................... p. 07
- Patrick PierronLa négociation, socle du dialogue social à la française ? ....................................................................................................................................... p. 27
- Etienne BoyerLe dialogue social dans l’entreprise, réalités, difficultés, potentialités ..................................................................................................... p. 35
- Michel OfferléPatrons, patronat(s), Patronat : Combien de divisions ? ......................................................................................................................................... p. 41
- Guy GrouxLa CGT ou le règne des incertitudes .............................................................................................................................................................................................. p. 51
- Frank GeorgiLes métamorphoses de la CFDT : « s’adapter » pour « transformer » (1964-2014) .................................................................... p . 59
- Jean-Pierre YonnetL’UNSA, une trajectoire autonome ................................................................................................................................................................................................ p. 69
- Dominique AndolfattoForce ouvrière vs « démocratie sociale » ................................................................................................................................................................................ p. 77
- Ismael FerhatOù en est le syndicalisme enseignant français ? ............................................................................................................................................................ p. 89
- Philippe Pochet et Christophe DegryseDialogue social européen : la dernière chance ? ............................................................................................................................................................. p. 95
- Florent Le BotLe travail n’est pas une marchandise - Les chaussures Jallatte dans la mondialisation ................................................. p. 105
- Michel WieviorkaReverrons-nous des mouvements sociaux ? .................................................................................................................................................................. p. 115
grand texte
- Albert GazierTémoignage sur les grèves de 1936 .......................................................................................................................................................................................... p. 123
le débat
- Benjamin StoraUnité et diversité françaises ............................................................................................................................................................................................................... p. 131
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à propos de… Michel Eltchaninoff, Dans la tête de Vladimir Poutine , 2015
- Hélène FontanaudVoyage au pays des influences culturelles de Vladimir Poutine ................................................................................................................ p. 147
- Philippine BrygoGéopolitique de la Russie ..................................................................................................................................................................................................................... p. 151
actualités internationales
- Jacques Huntzinger Géopolitique de la Méditerranée .................................................................................................................................................................................................. p. 157
- Arthur Quesnay« Ces situations s’expliquent par la faiblesse des Etats après plusieurs décennies de dictatures » ... .... .... .... .... .... .... .... .... .. p. 181
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la revue socialiste 58
éditoAlain Bergounioux
Directeur de La Revue socialiste.
Et, encore, actuellement, l’échec de la
négociation interprofessionnelle sur la
modernisation du dialogue social a
amené le ministère du Travail à présen-
ter un projet de loi pour établir uncompromis que les syndicats et le patro-
nat n’ont pas trouvé… D’un autre côté, la
négociation est une réalité dans les
branches professionnelles et les entre-
prises. En 2014, le bilan des accords
signés en montre un peu plus de 900,
pour les premières, et 36 000, pour
les secondes. Cette dualité ne date pasd’hier. L’histoire, avec les réalités du
syndicalisme français et du monde
patronal, a fait qu’à quelques exceptions
près, les relations professionnelles ont
toujours été un jeu triangulaire où l’Etat
a été, plus ou moins fortement, présent.
Cela différencie la scène sociale française
des pays de culture social-démocrate où
les compromis sociaux résultent, le plus
souvent, d’une négociation directe entre
patronat et syndicats.
C’est un fait. Et cela ne changera guère
dans les temps à venir. Car il faudrait,
pour cela, qu’il y ait une unité dans les
représentations des salariés et des
patrons. Or, les syndicats n’ont pas la
même vision des évolutions à mener
pour maintenir le modèle social français,et un « pôle réformiste » s’oppose à un
« pôle contestataire ». Mais, les divisions
patronales ne sont pas moindres entre
organisations : le MEDEF, la CGPME et
l’UPA et, au sein de chaque organisation.
Le rôle de l’Etat, inévitable, contribue à
D
émocratie sociale ? Nous avons mis ce point d’interrogation au titre de la Revue, non
pour faire un effet journalistique – ce n’est pas le style de la revue… - mais, pour mar-
quer un paradoxe. Nous constatons d’abord un fait, la difficulté du dialogue social
national. Chaque gouvernement socialiste l’a éprouvé, depuis 1981.
La démocratie sociale, évidemment
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donner une importance réelle à la
dimension politique des questions encause. Cela explique le contraste qui
existe entre la politique sociale nationale
et les réalités d’entreprises où les sections
des « syndicats contestataires » ne sont
pas les moins nombreuses à négocier et
à conclure des accords. Le dossier de
cette revue étudie les différentes facettes
de la situation actuelle. Il le fait en établis-
sant également un cadre d’interprétation
général. Car, le syndicalisme s’inscrit
dans un état de la société où il éprouve
les mêmes difficultés que les partis poli-
tiques, dans une société fragmentée et
travaillée par les effets, à la fois, de la
globalisation et de l’individualisation.
L’article de Michel Wieviorka, de ce point
de vue, présente des réflexions éclai-
rantes, en analysant la nature actuelle du
« mouvement social ».
Les interrogations du présent ne doivent
pas nous faire oublier la nécessité de
continuer à rechercher les voies et les
moyens de conforter la démocratie
sociale. Les réformes réussies, en effet,
ont besoin de s’enraciner dans la société.
Le socialisme, originellement, a été une
pensée du social qui ne se satisfaisait pas
de la seule démocratie politique. Toute
une partie de la gauche syndicale – et
politique – a nourri l’ambition de recons-truire une société, à partir des réalités
locales. « L’atelier sera un jour le gouver-
nement », disaient les proudhoniens. Et,
plus près de nous, l’autogestion a porté
des espérances fortes. Mais, en même
temps, depuis que le socialisme a été une
force parlementaire, puis, plus encore, un
parti de gouvernement, l’idée que l’Etatest l’instrument majeur pour réformer la
société, l’a emporté dans les pratiques
gouvernementales.
L’équilibre entre le changement par la loi
et par la négociation a donc toujours été
4
Alain Bergounioux - La démocratie sociale, évidemment
Le syndicalisme s’inscrit
dans un état de la société où
il éprouve les mêmes difficultés
que les partis politiques, dans
une société fragmentée
et travaillée par les effets,
à la fois, de la globalisationet de l’individualisation.
« L’atelier sera un jour
le gouvernement », disaientles proudhoniens. Et, plus près
de nous, l’autogestion a porté
des espérances fortes.
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la revue socialiste 58
édito
une préoccupation. Chaque moment de
gouvernement par la gauche a été mar-qué par une volonté de faire progresser
la démocratie sociale. Les lois Auroux,
en 1982, ont été, de ce point de vue,
emblématiques, avec l’espoir qu’une
« obligation de négocier » s’imposerait
dans les entreprises. La réalité des rap-
ports de force politiques et sociaux ne l’a
pas permis, comme il était espéré. Mais,
cette ambition est reprise régulièrement.
Depuis 2012, nos gouvernements recher-
chent, le plus possible, la conclusion
d’accords majoritaires. Les grands
accords interprofessionnels de 2013 ont
été retranscrits, pour l’essentiel, dans la
loi. Le projet de loi « relatif au dialoguesocial et à l’emploi », débattu ce prin-
temps, crée, pour la première fois, une
instance régionale représentative pour
les salariés des entreprises de moins de
11 personnes – jusque-là, un désert syn-
dical. Cela peut paraître modeste, mais
c’est un pas de plus pour donner davan-
tage de moyens à la démocratie sociale.La droite, elle, indique sa volonté de s’af-
franchir, pour l’avenir, des règles du
dialogue social.
Nous pensons exactement le contraire.
Non pas seulement parce que nous
serions attachés à une histoire déjà
longue, mais parce qu’une économie effi-cace, dès aujourd’hui, et plus encore
demain, a plus besoin de coopération
entre ces différents acteurs de l’économie
que d’affrontements, par principe. Les
valeurs et les pratiques de la social-
démocratie, loin d’être obsolètes, comme
le répètent les néo-libéraux, sont particu-
lièrement adaptées à l’économie de la
« troisième révolution industrielle » qui
demande un réel partenariat dans le tra-
vail. Nous sommes convaincus que la
démocratie politique et la démocratie
sociale ont besoin l’une de l’autre et queles problèmes actuels de la société fran-
çaise doivent se résoudre, en prenant en
compte ces deux dimensions.
Nous sommes convaincus
que la démocratie politique
et la démocratie sociale ont
besoin l’une de l’autre et que
les problèmes actuels
de la société française doivent
se résoudre, en prenant
en compte ces deux dimensions.
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La légitimité des partenaires sociaux a été
renforcée par la loi Larcher, en 2007, la
réforme de la représentativité syndicale, en
2008, puis, de la représentativité patronale,en 2014. La relation tripartite entre l’Etat,
les organisations patronales et les confédé-
rations syndicales reste néanmoins fragile,
alors que notre pays traverse une grave
crise depuis 2008 : triple déficit d’emploi,
d’offre compétitive et des finances pu-
bliques, insuffisance de la demande en
Europe, montée de la défiance à l’égard despolitiques et, plus généralement, de toutes
les institutions. On passe ici en revue
les évolutions intervenues en matière de
démocratie sociale sous la présidence de
Nicolas Sarkozy, sous la première partie
du quinquennat de François Hollande,
et les chantiers en cours.
DE LA LOI LARCHERÀ LA DÉNONCIATION
DES CORPS INTERMÉDIAIRESPAR NICOLAS SARKOZY
La loi Larcher de janvier 2007 a posé un
cadre procédural pour la démocratie
sociale, inspiré de ce qui existe pour l’éla-
boration des directives européennes, enmatière sociale : la concertation avec les
partenaires sociaux, avant toute réforme
envisagée du droit du travail, et l’option,
pour ceux-ci, de la négociation préalable.
La démocratie sociale, aujourd’hui
la revue socialiste 58
le dossier Henri Rouilleault
Conseiller de Michel Rocard pour le travail et l’emploi (1989-91),
Directeur général de l’ANACT (1991-2006),auteur de « Où va la démocratie sociale ? » (2010).
L’articulation de la démocratie politique et de la démocratie sociale n’a jamaisété simple, en France1. Son enjeu est, en effet, de concilier deux légitimités : celledu Parlement, à qui il revient de « définir les principes fondamentaux du droit
du travail » (article 34 de la Constitution) et celle des représentants des salariés etdes employeurs qui, en vertu de l’alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, « parti- cipent » à cette définition par le dialogue social sous ses différentes formes.
1. Sur l’histoire tourmentée des relations entre l’Etat, le patronat et les syndicats, voir Henri Rouilleault, « Où va la démo-cratie sociale ? » (2010), Editions de l’Atelier.
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Ces dispositions faisaient suite à la crise
du CPE : nommé deux ans avant la pré-
sidentielle, pressé d’obtenir des résultats,
et croyant faire ainsi baisser rapidement
le chômage, Dominique de Villepin avait
imposé, pour les chômeurs de longuedurée (CNE), puis, pour les jeunes (CPE),
la possibilité de ne pas motiver un licen-
ciement pendant deux ans. Il échoua sur
le CPE face à la mobilisation des jeunes
et des salariés. Un an plus tard, la France
fut condamnée sur le CNE par l’Organi-
sation internationale du travail (OIT),
la période d’essai pendant laquellel’employeur peut licencier sans motiver
sa décision doit être « d’une durée
raisonnable »2.
Le processus prévu par la loi Larcher, qui
a été placé en tête du Code du travail lorsde sa recodification, est à l’expérience
triplement exigeant pour les pouvoirs
publics. En premier lieu, pour fonctionner
dans la durée, ce processus suppose im-
plicitement qu’en cas d’Accord national
interprofessionnel entre organisations
professionnelles et confédérations syndi-
cales, le gouvernement et le Parlement« s’autolimitent ». Le projet de loi gouver-
nemental et les amendements parlemen-
taires peuvent compléter, en tant que de
besoin, la transposition des dispositions
de l’ANI, lever ses ambiguïtés, veiller à la
conformité aux normes internationales
de droit du travail, mais doivent respecter l’équilibre trouvé par la négociation. Aller
au-delà, tentation permanente des majo-
rités parlementaires successives, comme
des organisations syndicales et profes-
sionnelles non signataires et parfois si-
gnataires, remet en cause la loyauté de la
négociation paritaire et altère la qualité de
la relation tripartite pendant la législature.En cas d’échec de la négociation, gouver-
nement et Parlement sont, en revanche,
moins contraints, mais ils doivent tenir
8
Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
On revient plus loin sur la proposition récente de Pierre Gattaz de dénoncer la convention n° 158 de l’OIT, qui vise àcontourner cette condamnation.
La loi Larcher de janvier 2007a posé un cadre procédural pour la démocratie sociale,inspiré de ce qui existe pour l’élaboration des directiveseuropéennes, en matière sociale :la concertation avec les partenaires sociaux, avant touteréforme envisagée du droit dutravail, et l’option, pour ceux-ci,
de la négociation préalable.
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la revue socialiste 58
le dossier
compte des positions exprimées dans la
négociation et des convergences par-tielles intervenues.
En deuxième lieu, le processus de la
négociation paritaire préalable des par-
tenaires sociaux ne peut fonctionner
quand la négociation comporte des en-
jeux financiers importants pour l’Etat ou
la Sécurité sociale3. Sauf à provoquer une
crise grave comme Alain Juppé, à l’au-
tomne 1995, une concertation préalable
entre l’Etat et les partenaires sociaux doitimpérativement avoir lieu à la fois sur le
diagnostic et sur différents scénarios
d’évolution. L’insatisfaction engendréede façon récurrente par la seule concer-
tation bilatérale et multilatérale, invite à
envisager, à l’instar de ce qui se pratique
chez plusieurs de nos partenaires euro-
péens, la négociation et la signature
d’accords tripartites, ce qui constituerait,
en France, une novation majeure.
En troisième lieu, l’attribution d’un rôle
prénormatif aux organisations profes-
sionnelles et aux confédérations syndi-
cales pose la question de la représenta-
tivité des organisations professionnelles
et syndicales et de la légitimité des
accords entre eux, dans un pays où pré-vaut le pluralisme patronal, le pluralisme
syndical, une double représentation élue
et désignée des salariés, et où, jusqu’à
2008, la signature d’une seule organisa-
tion syndicale suffisait à assurer la vali-
dité d’un accord.
Quant à la relation entre l’Etat et les par-tenaires sociaux, objet de cet article, le
3. La gestion paritaire de l’Assurance-chômage et des caisses de retraites complémentaires fait exception, les conventionspluriannuelles étant négociées entre les partenaires sociaux et leurs effets étendus, par agréement de l’Etat. Une concer-tation globale quadripartite (intégrant les collectivités territoriales) est néanmoins souhaitable sur la couverture desdemandeurs d’emploi, respectivement par l’assurance-chômage, l’allocation de solidarité pour les fins de droits, le rSa,et les mesures jeunes, ou sur le taux de remplacement global du dernier salaire (en additionnant retraite de base etcomplémentaire). De même, l’ouverture des droits doit être coordonnée en matière de retraites et de formation profes-sionnelle.
L’insatisfaction engendréede façon récurrente parla seule concertation bilatéraleet multilatérale, invite àenvisager, à l’instar de ce quise pratique chez plusieursde nos partenaires européens,la négociation et la signature
d’accords tripartites, ce qui constituerait, en France,une novation majeure.
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Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
4. Pour le reste, du Fouquet’s au paquet fiscal, ce quinquennat avait commencé de façon catastrophique.5. Voir infra sur cette question qui revient périodiquement dans l’actualité.6. Cette réforme laissait provisoirement de côté la question de la représentativité patronale et celle du financement des orga-
nisations patronales et syndicales, revues à l’occasion de la loi de mai 2014. Plusieurs aspects de la représentativité syndicalerestent à préciser : représentation des salariés des TPE, représentativité générale des salariés totalisant secteur privé et fonc-tion publique, représentativité dans les territoires, représentation dans les organismes paritaires ou multipartites.
7. CGT et CFDT avaient accepté que la durée effective du travail dans les entreprises puisse être modifiée par accord majo-ritaire d’entreprise.
8. La France a toutefois moins eu recours à l’activité réduite de longue durée que l’Allemagne, qui a connu un recul duPIB plus important, sans recul de l’emploi contrairement à la France.
quinquennat de Nicolas Sarkozy a plutôt
bien commencé et très mal fini4
. L’équilibrede l’ANI sur la modernisation du marché
du travail de janvier 2008 a été respecté par
la loi de juin 2008, au prix de l’abandon de
la promesse électorale du « contrat unique
de travail », fusionnant CDD et CDI, rejeté à
la fois par les organisations patronales et
syndicales5. La réforme de la représentati-
vité syndicale, par la loi d’août 2008, a trans-posé la position commune du Medef, de la
CGPME, la CFDT et la CGT d’avril 2008, fai-
sant légitimement de la mesure d’au-
dience, par les élections professionnelles,
un des critères de la représentativité syndi-
cale et de la validité des accords avec le
double seuil d’un minimum de 30 % pour les syndicats signataires et de moins de
50 % pour les syndicats faisant opposition6.
Un dérapage significatif est toutefois inter-
venu alors : la réécriture complète du volet
temps de travail, en dépit des avancées
intervenues dans la négociation, sur
ce point7 et d’une démarche conjointe
auprès du Parlement de Laurence Parisot,
François Chérèque et Bernard Thibaultpour demander le respect du compromis
négocié à la majorité de l’époque. Puis,
pendant la crise économique et financière
de 2009, un réel dialogue tripartite, national
et territorial, a permis d’éviter une partie des
licenciements, en poussant les entreprises
à conserver les compétences de leurs
salariés et à développer le chômage partielet la formation8.
La fin du quinquennat, en 2011-2012, a été
marquée par une dénonciation frontale
du « conservatisme des corps intermé-
diaires »par Nicolas Sarkozy, au prétexte
du refus des syndicats de faire des « ac-
cords compétitivité emploi » une solutiongénérale et de la volonté de l’ensemble des
partenaires sociaux de contrôler le mon-
tant et l’usage de la part du financement
de la formation des salariés allant aux
demandeurs d’emploi pour répondre aux
difficultés de recrutement et sécuriser les
parcours professionnels.
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la revue socialiste 58
le dossier
AVEC FRANÇOIS HOLLANDE,
DE LINTENTION DE MISER SURLE DIALOGUE SOCIAL AUX ACTES
François Hollande, lors de sa candidature
à la primaire socialiste de 2011, a rappelé
« qu’une réforme est mieux acceptée
quand elle est négociée », et fait part de
sa volonté de « laisser une plus grande
place aux partenaires sociaux dans
l’élaboration des normes sociales », « clarifier les responsabilités de chacun,
respecter les acteurs sociaux, promouvoir
une culture de la négociation et du com-
promis »9. Il a, dans ce cadre, annoncé une
modification de la Constitution pour
garantir une véritable autonomie aux
partenaires sociaux, sur un périmètre àdéfinir et par accord majoritaire.
Après son élection, un projet de loi
constitutionnel a été présenté, en mars
2013, par Jean-Marc Ayrault et Michel
Sapin. Il porte sur le « dialogue social
préalable à la loi » et élargit aux proposi-
tions de loi d’origine parlementaire et aux
ordonnances l’option de la négociation
préalable posée par la loi Larcher pour
les projets de loi (d’origine gouvernemen-
tale). Il maintient l’exception d’urgence10
.Il ne reprend pas l’idée, peu praticable,
d’une « répartition des tâches entre la loi
et la démocratie sociale »11. Examiné
en commission des Affaires sociales de
l’Assemblée nationale, ce texte n’a, à ce
jour, pas été soumis au Parlement. Son
examen souhaitable, dans le cadre ou
non d’une réforme constitutionnelle plus
François Hollande, lors de sacandidature à la primaire
socialiste de 2011, a rappelé « qu’une réforme est mieux
acceptée quand elle est
négociée », et fait part de savolonté de « laisser une plus
grande place aux partenaires
sociaux dans l’élaboration des
normes sociales », « clarifier les
responsabilités de chacun,respecter les acteurs sociaux,
promouvoir une culture de la
négociation et du compromis ».
9. Le Monde, 14 juin 2011.10. Malgré le risque de dérives, comme en 2006, pour le CPE.11. La définition d’un périmètre normatif de la compétence exclusive des partenaires sociaux, revendication du Medef,
au début des années 2000, lors de la « refondation sociale », que François Hollande avait repris dans l’article duMonde précité, supposerait de revenir sur le fait que, constitutionnellement, la loi définit « les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la sécurité sociale ». Il est possible, en revanche, d’une part, d’ouvrir un rôle prénormatif aux partenaires sociaux, d’autre part, de recentrer la loi sur les principes fondamentaux, et derenvoyer davantage leur mise en œuvre à la négociation, en recourant, en tant que de besoin, à la technique des «décrets supplétifs ». Voir infra.
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large, conduirait les parlementaires à dé-
battre d’un sujet sensible, mais essentiel :la nécessité de respecter l’équilibre trouvé
par un accord majoritaire des parte-
naires sociaux. Michel Sapin résume bien
les termes du débat dans son livre-bilan :
« Dans la démocratie française, rien n’est
supérieur à la loi… Le dialogue social à la
française suppose le respect du contenu
de l’accord… Confier une partie de ses res- ponsabilités à la démocratie sociale pose
problème à la démocratie politique »12.
A défaut que le principe du respect de
l’équilibre de l’accord soit encore re-
connu, il a prévalu dans la réalité. Les
pouvoirs publics lors des « Conférencessociales » annuelles de 2012 et 2013 ont
incité à la négociation interprofession-
nelle sur l’emploi, puis, sur la formation
professionnelle. Celle-ci a débouché sur
des accords innovants et majoritaires
qui, après débat, ont été loyalement
transposés. L’ANI sur la sécurisation de
l’emploi de janvier 2013, transposé par laloi de juin 2013 13, crée les droits rechar-
geables à l’assurance-chômage et une
sur-cotisation pour les CDD, développe le
dialogue social sur la stratégie de l’entre-prise et, en cas de plan social, complète
l’obligation de consulter le CE par celle de
négocier avec les syndicats. De même,
l’ANI de décembre 2013, transposé par la
loi de mars 2014, crée le compte person-
nel formation, renforce les moyens de la
formation des chômeurs, et passe de
l’obligation de consulter à celle de négo-cier sur les orientations de formation de
l’entreprise, en lien avec la gestion prévi-
sionnelle des emplois et des compé-
tences. Ces nouvelles règles contribuent
à modifier les comportements des
acteurs et auront des effets positifs,
à moyen terme.
La concertation sur les choix de politique
économique du gouvernement a été et
est plus problématique, entre suren-
chères patronales et opposition frontale
de la CGT et de FO. Pendant la campagne
électorale, l’accent avait davantage été
mis sur le chômage et sur le déficit et l’en-dettement public que sur l’affaiblisse-
ment de notre industrie et le recul de
12
Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
12. Michel Sapin (2014), Chronique d’un ministre du travail par gros temps, Flammarion.13. L’Assemblée nationale, fort opportunément, n’a pas transposé la qualification, par l’ANI, de « licenciement non éco-
nomique » le refus de suivre un accord majoritaire de mobilité, cette disposition étant contraire à la convention OITsur le licenciement.
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la revue socialiste 58
le dossier
notre commerce extérieur, qui, équilibré
en 2002, était devenu déficitaire de 3,5points de PIB, dix ans plus tard. Face au
recul de la compétitivité, des marges et
de l’investissement des entreprises, lespouvoirs publics ont répondu, avec le
CICE, fin 2012, puis, le « pacte de respon-
sabilité », en janvier 2014, par un effort
sans précédent en faveur des entreprises
(41 Md€ au total). Il s’agit d’un tournant
majeur de politique économique pour
la gauche qui, par tradition, souligne
davantage les facteurs hors coût de lacompétitivité - innovation, qualité, forma-
tion et mobilité - que ses facteurs coûts
(dont le coût du travail). Si, a priori,
les profits d’aujourd’hui favorisent les
investissements de demain et les em-
plois d’après-demain, ce processus n’arien d’automatique, contrairement à ce
qu’affirme le « théorème de Schmidt » 14.
Des contreparties sont nécessaires au
plan macroéconomique pour que le fi-
nancement par la baisse des dépenses
publiques des aides aux entreprises ne
pèse pas à l’excès sur la croissance, et
pour éviter que l’accroissement desmarges aille aux dividendes plutôt qu’à
l’investissement. La différentiation souvent
promise de l’impôt sur les sociétés, selon
que les bénéfices sont ou non réinvestis,
serait, à cet égard, un excellent signal. D‘au-
tres contreparties sont nécessaires au plan
des branches et des entreprises pour favo-riser l’investissement, la formation et l’em-
ploi, en fonction de la diversité des
situations. Chez la plupart de nos parte-
naires européens, un effort aussi massif
aurait conduit à la négociation et à la
signature d’un accord tripartite gouver-
nement, patronat, syndicats, mettant en
place un processus de négociations décen-tralisées. Si le relevé de conclusions inter-
professionnel de mars 2014, signé côté
syndical par la CFDT, la CFTC et la CGC, a
permis de premiers accords de branche, le
14. “Théorème” énoncé par le Chancelier allemand, en novembre 1974, lors de la crise consécutive au premier choc pétrolier.
Des contreparties sontnécessaires au planmacroéconomique pour quele financement par la baissedes dépenses publiques des
aides aux entreprises ne pèse pas à l’excès sur la croissance,et pour éviter que l’accroissement des marges aille aux dividendes plutôt qu’à l’investissement.
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gouvernement est légitime à demander
des contreparties. L’absence d’accord tri-partitenégocié et signé autorise les sur-
enchères permanentes du patronat, en
matière fiscale comme sociale. Le gouver-
nement, après avoir programmé un effort
sans précédent en faveur des entreprises
(2 points de PIB), est alors conduit à criti-
quer « le patronat qui ne joue pas le jeu »,
voire à affirmer maladroitement « qu’il y aun problème Gattaz » 15. La mise en œuvre
du CICE, puis, du « pacte de responsabilité
», aurait du être consolidée par la négocia-
tion d’un pacte tripartite, conditionnant à la
négociation de branche et d’entreprise les
crédits d’impôt et baisses de cotisations an-
noncées. A deux ans de la fin du quinquen-nat, et après l’échec de la négociation sur la
modernisation du dialogue social, une telle
négociation est devenue difficilement pra-
ticable. Réduire l’effort annoncé en faveur
des entreprises de 40 à 20 Md€, comme
parfois proposé, serait, en revanche, une er-
reur qui conduirait à une situation de blo-
cage avec le patronat et accroîtrait notreproblème de compétitivité.
L’insuffisance de la concertation et de
la négociation tripartite sur la politique
économique et son impact sur la compé-
titivité, l’investissement et l’emploi a,par ailleurs, montré les limites de la for-
mule des grandes conférences sociales
annuelles. CGT et FO se sont abstenues de
participer à celle de juillet 2014, et d’autres
formes sont désormais mises en œuvre
pour définir l’agenda social tripartite
et concerter, de façon tripartite, thème
par thème.
LÉCHEC DE LA NÉGOCIATIONSUR LA MODERNISATION
DU DIALOGUE SOCIAL
La négociation sur la « modernisation
du dialogue social », ouverte à la suite
de la Conférence sociale de 2014, vientd’échouer, en janvier 2015. Cette négocia-
tion avait mal commencé. En proposant
de remonter, voire de supprimer, les seuils
sociaux, les organisations patronales
donnent à tort à croire que le dialogue
social est un obstacle à l’emploi. Beaucoup
d’employeurs et de syndicalistes savent
d’expérience qu’un dialogue social efficaceest facteur de compétitivité. Tous convien-
nent que le dialogue social ne peut pren-
dre la même forme dans les très petites
entreprises, les moyennes entreprises et
14
Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
15. Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, 30 novembre 2014.
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la revue socialiste 58
le dossier
les grands groupes. Et les interlocuteurs
sociaux savent qu’il existe des seuilssociaux dans tous les pays développés,
parfois inférieurs aux nôtres, comme en
Allemagne (5 salariés pour un CE) ouen Suède (5 pour un CHSCT). Deux sujets
principaux ont, cependant, été identifiés
pour améliorer, par la négociation, l’effec-
tivité et l’efficacité du dialogue social : la de-
mande des organisations syndicales
d’une représentation effective des salariés
des petites entreprises16, et la demande
patronale d’une réduction du mille-feuilledes instances représentatives par la mise
en place d’une instance unique. Le constat
est souvent fait que trop de formalismeconduit à privilégier le respect des formes,
pour éviter les contentieux, sur la re-
cherche d’un diagnostic partagé et d’un
compromis entre les intérêts.
A l’initiative du gouvernement, la négo-
ciation interprofessionnelle s’est enga-
gée sur ces sujets sensibles, amenant àrevisiter, par la négociation directe, entre
les partenaires sociaux, des modes de
représentation des lois intervenus res-
pectivement, en 1936, pour les délégués
du personnel, 1945, pour les comités
d’entreprise, 1968, pour les délégués syn-
dicaux, et l’alternance de 1981, pour leslois Auroux sur les CHSCT et la négocia-
tion obligatoire… Les syndicats ont
abordé cette négociation en ordre dis-
persé, FO avec la même hostilité qu’aux
lois Auroux et à la réforme de la repré-
sentativité, la CFDT cherchant de réelles
avancées sociales, et la CGT étant fragili-
sée par ses clivages politiques et la suc-cession de Bernard Thibault17.
16. A ce jour, dans les entreprises de 10 salariés et moins et dans les trois quarts des cas entre 10 et 20 salariés, un salariéne peut voter pour un représentant et ne peut voter que pour désigner un juge prud’hommes !
17. Après avoir réussi à maintenir la CGT comme première organisation syndicale dans le privé, dans les entreprisespubliques et la fonction publique, au moment où le Parti communiste s’effondrait, Bernard Thibault a raté sa suc-cession. Situation fréquente chez les dirigeants syndicaux, comme chez les dirigeants politiques et les dirigeantspatronaux.
En proposant de remonter, voirede supprimer, les seuils sociaux,les organisations patronalesdonnent à tort à croire quele dialogue social est un
obstacle à l’emploi. Beaucoupd’employeurs et de syndicalistessavent d’expérience qu’undialogue social efficaceest facteur de compétitivité.
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La négociation sur la représentation des
salariés des TPE, a pris du temps à dé-marrer, du fait de l’opposition de la
CGPME et d’une partie du Medef à toute
interférence syndicale avec le dialogue
direct entre le chef d’entreprise et ses sa-
lariés. Cette hostilité avait été patente lors
des sept années de bataille juridique du
Medef et de la CGPME contre l’accord de
2001, entre l’UPA et les confédérations
syndicales mettant en place, dans l’arti-
sanat, un financement du dialogue social
par une cotisation de 0,15 % et des com-
missions paritaires territoriales au ni-veau régional. Elle a fait également
échouer, en 2009, la négociation sur la
représentativité syndicale dans les entre-
prises de 10 salariés et moins, les élec-
tions de représentativité pour les salariés
concernés se déroulant, de ce fait, en2012 sur sigle et pas sur liste nominative.
On maintenait, ainsi, un archaïsme, l’ab-
sence de représentation des salariés des
TPE, alors que leur droit à la représenta-
tion est posé par le préambule de la
Constitution pour tous les salariés. La né-
gociation s’est ensuite enfin engagée sur
la base d’un texte rédigé par le Medef etl’UPA, mais sans la CGPME. Celui-ci pro-
posait de distinguer trois cas, celui des
branches ayant déjà mis en place des ins-
tances paritaires territoriales de représen-
tation, comme l’artisanat et l’agriculture,
celui des branches qui parviendraient,
prochainement, à un accord sur le sujet,et « en voiture balai » pour les autres des
commissions interprofessionnelles régio-
nales18 pour les salariés des TPE. Au mo-
ment où la négociation s’est arrêtée, à la
demande des employeurs, plusieurs pro-
blèmes restaient pendants ; la désigna-
tion de représentants élus, eux-mêmes
salariés des TPE, restait une simple option ;l’accès à l’entreprise leur était, a priori re-
fusé, même en cas d’accord de l’em-
ployeur ; le lien avec les élections de
représentativité n’était pas explicité.
16
Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
18. Périmètre trop large, notamment, au moment où l ’on passe de 22 à 13 régions, en Métropole.
La négociation surla représentation des salariésdes TPE, a pris du tempsà démarrer, du fait del’opposition de la CGPME et
d’une partie du MEDEF à touteinterférence syndicale avecle dialogue direct entre le chef d’entreprise et ses salariés.
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le dossier
La négociation sur la simplification du
millefeuille des instances représentativesdu personnel, a également avancé sans
parvenir à un point d’équilibre. L’exis-
tence légitime, dans les grandes et
moyennes entreprises, de trois niveaux
de dialogue social, l’entreprise, ses éta-
blissements et son groupe d’apparte-
nance, combinée aux seuils de 50
salariés, pour les CE et les CHSCT et de 11pour les DP, et au fréquent cumul des
mandats, conduit trop souvent à un dia-
logue formel et répétitif pour éviter tout
risque de délit d’entrave. Un dialogue so-
cial moins formel, plus stratégique, est
souhaitable pour mieux parvenir à l’équi-
libre des intérêts. A l’initiative du Centredes jeunes dirigeants (CJD) existe, depuis
1993, et s’étend, progressivement, la for-
mule optionnelle de la Délégation unique
du personnel fusionnant DP et CE en-
deçà de 200 salariés. Le Medef, reprenant
une proposition de l’Association natio-
nale des DRH, a proposé la mise en place
d’une instance unique baptisée « conseild’entreprise », qui fusionnerait CE, DP et
CHSCT, sauf accord d’entreprise choisis-
sant un autre mode d’organisation du
dialogue social. Par ailleurs, le fait que les
délégués syndicaux, élus ou non, soient
membres du conseil d’entreprise19
, per-mettrait de mieux articuler information,
consultation et négociation, ce qui est
souhaitable, car il n’y a pas de consulta-
tion sérieuse du CE si rien ne peut bouger
dans les propositions patronales, et pas
de bonne négociation sans partage préa-
lable de l’information avec les délégués
syndicaux. Avec l’intégration du CHSCTau sein du « conseil d’entreprise »,
le risque était, en revanche, de réduire la
place du dialogue social sur les condi-
tions de réalisation du travail et l’impact
des projets de changement, risque para-
doxal quand monte, dans beaucoup
d’entreprises, le débat sur les risquespsychosociaux au travail. Au moment
où la négociation s’est arrêtée, dans les
dernières propositions patronales, une
commission HSCT du conseil d’entreprise
était prévue au-delà de 300 salariés,
mais elle n’était qu’optionnelle entre 50 et
300, sans même que soient prévues des
réunions dédiées en présence, commeactuellement au CHSCT, du médecin du
travail et, en tant que de besoin, des re-
présentants de la CARSAT et de l’inspec-
tion du travail. Les positions étaient, dès
19. Ce qui entrainera, comme souhaitable, la fusion des rôles de délégué syndical et de représentant syndical au CE.
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lors, trop éloignées entre patronat et syn-
dicats pour qu’on parvienne à un accordmajoritaire, d’autant que CGC, CFTC et
CFDT, qui représentent 51 % des salariés
du privé, n’avaient pas harmonisé leurs
points de vue sur la façon de combiner
dialogue social stratégique et dialogue
social de proximité.
DES CHANTIERSPOUR LA SECONDE PARTIE
DU QUINQUENNAT
Au cours de l’année 2014, après la défaite
de la gauche aux municipales et la nomi-
nation de Manuel Valls comme Premier
ministre, la communication gouverne-
mentale change avec le « j’aime l’entre- prise » à l’université d’été du Medef 20. La
gravité de la situation économique du
pays est enfin assumée, après que le pari
inconsidéré de la baisse du chômage, fin
2013, a échoué21. La politique écono-
mique en faveur des entreprises est
confirmée. Le désaccord devient plus
explicite avec le courant, dominant au
sein de l’Union européenne, focalisé à
l’accès sur la réduction des déficits pu-blics. Les enjeux de politique écono-
mique européenne sont désormais le
calendrier de cette réduction, par ailleurs
nécessaire, le financement du plan Juncker de 350 Md€ pour la relance des
investissements, et, plus récemment, la
négociation avec le nouveau gouverne-
ment grec pour mettre fin à une « austé-
rité sans fin » et renégocier la dette de ce
pays, dans des conditions acceptables.
Parfois présentés sous le label confus de
18
Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
20. Ce propos, repris à la City de Londres (« I am pro-business »), sort des ambiguïtés du « mon ennemi, c’est la finance »qui désignait, selon les auditeurs la spéculation financière, les banques, ou les entreprises. Il en introduit d’autres :est-ce un soutien aux seuls chefs d’entreprise ou à tous les acteurs de l’entreprise ? Le discours de Manuel Valls, au50e anniversaire de la CFDT, en novembre 2014, conforte la seconde hypothèse : « En France, pendant longtemps on s’est méfié des syndicats… Nous avons besoin de syndicats forts, de syndicalistes qui s’engagent, les plus lucides desemployeurs le savent bien ».
21. Il faut un minimum de 1,5 % par an de croissance du PIB pour que le chômage baisse.
Parfois présentés sousle label confus de « réformes
structurelles », différentssujets relatifs à la stimulation
de l’activité, au travailet à l’emploi sont discutés,
en France, et pour certains portés ou susceptibles d’être portés à l’agenda tripartite.
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« réformes structurelles »22, différents
sujets relatifs à la stimulation de l’activité,au travail et à l’emploi sont discutés, en
France, et pour certains portés ou sus-
ceptibles d’être portés à l’agenda tripar-
tite : seuils sociaux, travail le dimanche,
contrat de travail, 35 heures, simplifica-
tion du Code du travail, assurance-chô-
mage. Après avoir évoqué les suites de la
négociation sur le dialogue social, onpassera en revue ces différents sujets,
sous l’angle du présent article - l’articula-
tion de la démocratie politique et de la
démocratie sociale -, et en étant conscient
du fait que chaque fin de quinquennat
fait courir, faute de temps pour les poli-
tiques, le risque d’une rupture de mé-thode avec les partenaires sociaux.
Après l’échec de la négociation de l’ANI,
les consultations bilatérales menées
par le ministre du Travail, François
Rebsamen, et une réunion tripartite, à
Matignon, a été adopté, le 22 avril, en
Conseil des ministres, un projet de loi sur la modernisation du dialogue social,
dont l’examen va commencer au Parle-
ment. Deux écueils sont à éviter pour le
gouvernement et sa majorité : se satis-
faire du statu quo ou tenter d’imposer,
sur tous les sujets, un équilibre que lespartenaires sociaux n’ont pas su trouver.
Le projet de loi consolide l’acquis de la
négociation sur la représentation des sa-
lariés des TPE et sur le regroupement des
consultations et négociations obliga-
toires, et étend la Délégation unique du
personnel jusqu’à 300 salariés, en l’élar-
gissant au CHSCT. On pourrait envisager,par amendement parlementaire, que les
partenaires sociaux puissent mettre en
place des commissions territoriales pour
les salariés des TPE sur un périmètre plus
restreint, que la désignation des repré-
sentants syndicaux soit nominative, et
que l’accès à l’entreprise d’un binôme dereprésentants, patronal et syndical, soit
possible, avec l’accord du chef d’entre-
prise23. Quant à la DUP, il est nécessaire
que soit prévu, dès 50 salariés, la mise
en place d’une commission hygiène,
sécurité, conditions de travail ou, à
défaut, des réunions dédiées à ces ques-
tions. La possibilité, au-delà d’expérimen-ter de nouvelles modalités d’organisation
du dialogue social dans les entreprises,
par accord majoritaire, comme le pro-
pose la CFDT, serait, par ailleurs, utile,
22. Il y a des réformes justes et des réformes injustes, des réformes efficaces et des réformes inefficaces…23. Cette formule, expérimentée à la Martinique, permet des médiations qui évitent la formation de contentieux inutiles.
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sous réserve d’une évaluation ultérieure.
La négociation a, d’autre part, confirmé
la nécessité que les partenaires sociaux
modernisent les modalités de négocia-
tion interprofessionnelle : partir des ob- jectifs, choisir un lieu de négociation
neutre, ne pas partir systématiquement
du texte des employeurs, mieux équili-
brer les temps « on » et « off », éviter les
séances de nuit…
Trop souvent réduit médiatiquement au
travail le dimanche, question qui diviseen leur sein à la fois les organisations
patronales, les organisations syndicales
et les partis de droite et de gauche,le volet travail de la loi Macron com-
porte24 39 pages sur 244 - réforme des
prud’hommes, concurrence sociale illé-
gale, ordre des licenciements, champ de
l’obligation de reclassement des licenciés
économiques… Certains sujets auraient
pu faire l’objet de l’option de la négocia-
tion préalable prévue par la loi Larcher,mais il y a eu peu de demandes en ce
sens des partenaires sociaux - à l’excep-
tion de la CFDT sur le travail le dimanche.
La réforme des prud’hommes a été
précédée de la consultation du Conseil
supérieur de la prud’hommie25, les dispo-
sitions emploi de la consultation duCNEFOP et de la CNNC, les évolutions du
travail le dimanche du rapport Bailly,
remis en décembre 2013, et l’ensemble du
volet travail de la loi Macron de concerta-
tions bilatérales au ministère du Travail…
Etendre les dérogations au repos domi-
nical, ce n’est pas « changer de modèle desociété », mais répondre au développe-
20
Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
24. Après adoption du texte, en première lecture, à l’Assemblée nationale, en application de l’article 49-3 engagé par legouvernement, après que l’ancien ministre, Benoit Hamon, a annoncé son intention de voter contre la loi Macron,en dépit de l’important travail parlementaire d’amendement réalisé et la possibilité de poursuivre ce travail enseconde lecture.
25. Où le texte a été rejeté, à l’unanimité, par les partenaires sociaux pour protester contre l’insuffisance de moyens decette juridiction, à l’origine de l’accroissement de ses délais.
La négociation confirmé
la nécessité que les partenairessociaux modernisent lesmodalités de négociationinterprofessionnelle : partirdes objectifs, choisir un lieude négociation neutre,ne pas partir systématiquement du texte des employeurs,mieux équilibrer les temps
« on » et « off », éviterles séances de nuit…
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le dossier
ment de e-commerce, renforcer l’attracti-
vité touristique de la capitale, prendreen compte l’évolution de certains besoins
sociaux26, et simplifier la réglementation
pour mieux en assurer l’effectivité… Le
faire en subordonnant le travail le
dimanche au volontariat et à l’existence
de contreparties - majoration de rémuné-
ration, repos compensateur… - définies
par accord d’entreprise, de branche ou deterritoire27, est un choix social-démocrate,
différent de celui de loi Maillé de 2009
qui n’imposait pas de contreparties, et
conforme à l’engagement de campagne
de François Hollande28. Ce choix, « pas
d’accord, pas d’ouverture », est plus exi-
geant que l’avant-projet de loi gouverne-mental qui prévoyait un seuil légal de
compensation, en l’absence d’accord.
Restait en débat le fait de savoir s’il devait
y avoir un minimum légal à ces contre-
parties, et s’il pouvait être commun
à toutes les exceptions, le doublement
de la rémunération, prévu pour les
« dimanches du maire » et les zones tou-
ristiques internationales, ne pouvant être
généralisé sans dommage pour l’emploiaux commerces de détail ouverts le di-
manche29. Une concertation plus appro-
fondie des partenaires sociaux, sur ce
point, aurait sans doute éclairé le travail
parlementaire. Il en va de même pour
l’article 101 sur la solidarité du groupe en
matière de reclassement des salariés
d’une de ses filiales mise en reclasse-ment ou liquidation judiciaire.
La question du contrat de travail est reve-
nue dans l’actualité, d’une part, après les
déclarations de Pierre Gattaz qui sou-
haite la dénonciation, par la France, de la
convention n° 158 de l’OIT, obligeant àmotiver un licenciement au-delà d’une
période d’essai de durée raisonnable,
d’autre part, à la suite de l’attribution du
prix Nobel d’économie à Jean Tirolle, par-
tisan du contrat unique. Les deux sujets
sont différents. La demande de Pierre
Gattaz est d’une exceptionnelle gravité :
la France, qui joua un rôle-clé dans la
26. En 2011, 29 % des salariés (hors fonctions publiques) ont travaillé le dimanche, régulièrement ou occasionnellement.27. Ce qui renforce la nécessité d’établir la représentativité syndicale également au plan territorial (régions et intercom-
munalités).28. « Il faut trouver un équilibre entre les droits des salariés et le souci des commerçants de répondre à de nouvelles
formes de concurrence », Etats Généraux du Commerce, février 2012.29. À ce jour, la rémunération du travail le dimanche est majorée de 30 %, par accord de branche dans la boulangerie,
mais pas dans d’autres branches.
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fondation de l’OIT, après la Première
Guerre mondiale, en assura longtempsla direction, et a toujours milité pour la
ratification, par tous les pays, de ses
conventions, ne peut en venir à faire
comme d’autres du dumping social. La
suppression du CNE, dans l’ANI de 2008,
suite à la condamnation de la France
s’inscrivait dans la démarche inverse.Quant au « contrat unique », c’est une
mauvaise réponse à un vrai problème :
le développement de la précarité, pour
quatre raisons. Juridique. Il est contraire
au droit du travail international et euro-
péen qui distingue CDI et CDD, et stipuleque le premier constitue le droit com-
mun. Sociale. Les syndicats craignent
qu’il se rapproche du CDD et le patronat
du CDI, et ont ensemble convenu, dans
l’ANI de 2008, d’écarter cette piste. Econo-
mique. Le vrai bénéficiaire du contrat
unique serait, après suppression du CDD,
la branche de l’intérim. Pragmatique. Lesindemnités conventionnelles de licencie-
ment sont déjà croissantes, avec l’ancien-
neté. Reste le vrai sujet de la relation
entre l’accord collectif et le contrat de
travail individuel. Spécificité française,
l’accord collectif ne prévaut, en effet, sur
le contrat individuel qu’au cas où cela estexplicitement prévu par la loi, comme
pour les accords RTT de la loi Aubry II.
Le débat sur les 35 heures est récurrent,
depuis les lois Aubry de 1998 et 2000, et
marqué par la confusion fréquente entre
durée légale et durée effective du travail.
Brièvement ré-ouvert par EmmanuelMacron, il a vite été refermé par Manuel
Valls : « Nous ne reviendrons pas sur cette
avancée et sur la durée légale du travail »30.
De quoi parle-t-on, en effet ? La durée
22
Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
30. Manuel Valls au 50e anniversaire de la CFDT, op cit.
La question du contratde travail est revenuedans l’actualité, d’une part,après les déclarations de
Pierre Gattaz qui souhaitela dénonciation, par la France,de la convention n° 158de l’OIT, obligeant à motiverun licenciement au-delàd’une période d’essai de duréeraisonnable, d’autre part,à la suite de l’attributiondu prix Nobel d’économieà Jean Tirolle, partisandu contrat unique.
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le dossier
31. On peut, toutefois, regretter l’absence de négociation d’un relevé de conclusions tripartite, à l’automne 1997, alors que Jean Gandois, président du CNPF, était ouvert à une obligation de négocier sur la RTT dans les branches et les entre-prises et à un suivi tripartite. Cela aurait évité bien des malentendus ultérieurs. Voir « Où va la démocratie sociale ? »,op cit.
32. Comme dans l’automobile, secteur à l’activité particulièrement sensible à la conjoncture.33. Les aides publiques, conditionnées à la négociation d’accords majoritaires, sont ainsi un moyen puissant d’assurer
la tenue des objectifs des pouvoirs publics dans des conditions adaptées aux besoins différenciés des entreprises etdes salariés.
34. En ce qui concerne la fonction publique, où la RTT est intervenue par décret et pas par accord. François Fillon souhaiteun retour à 39 heures de durée effective associé au non remplacement des départs en retraite. Il suffirait, juridique-ment, d’un décret de la droite revenue au pouvoir pour prendre cette mesure.
légale du travail, passée de 39 à 35 heures,
en 2000 - 2002 pour les TPE - n’est que lecompteur à partir duquel l’entreprise
paye des heures supplémentaires. La
durée effective du travail à temps com-
plet des salariés, elle, est propre à chaque
entreprise, et peut être inférieure, égale
ou supérieure à la durée légale. Accroitre
la durée légale du travail reviendrait à
payer moins ceux qui font actuellementdes heures supplémentaires. La réduc-
tion du temps de travail, sous le gouver-
nement Jospin, qui fût à l’origine de la
création d’environ 350 000 emplois,
est intervenue par la négociation décen-
tralisée31. Les aides de l’Etat (20 Md€),
qui constituaient au plan macroécono-mique un à-valoir sur l’amélioration des
comptes publics induite par les créations
d’emploi, étant conditionnées à des
accords majoritaires abaissant la durée
effective, au plus, à 35 heures hebdoma-
daires ou son équivalent annuel. Ces ac-
cords ont porté également, selon les cas,
sur l’embauche des salariés précaires, laréduction du temps partiel contraint, le
décompte en jours des cadres, l’annuali-
sation voire la pluriannualisation32 du
temps de travail33… Le processus s’est
arrêté, en 2003, dans les petites et très
petites entreprises, quand François Fillon
a supprimé la conditionnalité des exoné-
rations de cotisations sociales à la RTT.Accroitre, de façon généralisée, la durée
effective du travail supposerait une
dénonciation des accords, que très peu
d’employeurs souhaitent34 ; à l’inverse,
relancer la baisse de la durée du travail
pour créer des emplois supposerait à
la fois de nouveaux efforts en matièred’organisation du temps de travail, de
nouvelles aides publiques, et de gérer
la hausse induite du SMIC dans les
petites entreprises. Le plus réaliste, à ce
jour, est de ne pas toucher à la durée
légale du travail, et malgré les demandes
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patronales, de réserver les accords de
maintien de l’emploi, comportant unehausse non compensée de la durée du
travail, aux entreprises ou sites en diffi-
culté, sous réserve que ces accords com-
portent des contreparties en termes de
volume d’activité, d’investissement et
d’emploi. Le développement souhaitable
de négociations collectives globales sur
les rémunérations, l’investissement, l’em-ploi, la formation et la durée effective
du travail, comme ceux de Renault et
de PSA, pose toutefois la question de
l’assouplissement de la hiérarchie des
normes, entre la loi, les trois niveaux
de la négociation collective, et le contratde travail.
Comme le soulignait récemment
François Chérèque, l’enjeu, pour dévelop-
per la négociation d’entreprise, n’est pas
la hiérarchie des normes, mais leur
contenu, la loi allant bien souvent très
au-delà de sa vocation constitutionnelleà « définir les principes fondamentaux
du droit du travail ». Un travail tripartite
minutieux serait souhaitable, du type de
celui mené pour la recodification du
Code du travail35, mais avec un enjeu plus
sensible : recentrer la loi sur les principes
fondamentaux et les principales me-sures d’ordre public social, et renvoyer
le reste à des décrets supplétifs, c’est-
à-dire valant, en l’absence d’autres dispo-
sitions issues de la négociation sociale.
C’était une des propositions faite en 2001,
par le rapport du Plan sur l’évaluation du
passage aux 35 heures36. Ce pourrait être
un chantier à ouvrir, sans sous-estimer le temps nécessaire à sa réalisation.
La démocratie sociale étant « la méthode
voulue par le Président de la République »,
24
Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
35. Faisant rétroagir experts et partenaires sociaux.36. Réduction du temps de travail, les leçons de l’observation, Commissariat Général au Plan, Documentation Française.
Le plus réaliste, à ce jour,est de ne pas toucher à la duréelégale du travail, et malgréles demandes patronales,de réserver les accordsde maintien de l’emploi,comportant une hausse noncompensée de la durée du travail,aux entreprises ou sitesen difficulté, sous réserveque ces accords comportentdes contreparties en termesde volume d’activité,d’investissement et d’emploi.
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le dossier
« un marqueur du quinquennat 37, il est
souhaitable, s’agissant de l’assurance-chômage, gérée par les partenaires
sociaux, et dont la nouvelle convention
biannuelle a pris effet pour deux ans,
à partir du 1er juillet 2014, d’en rester au
calendrier de renégociation prévu, mais
d’amorcer l’étude des scénarios d’évolu-
tion. Avec l’emploi en ressources et le
chômage en dépenses, l’assurance-chômage est la plus volatile de toutes
les caisses sociales. Dès lors qu’elle ne fait
pas de réserves quand le chômage
baisse, mais réduit alors les cotisations
patronales, le déficit va de soi quand le
chômage augmente et que ce n’est alors
pas le moment de baisser le montant etla durée d’indemnisation des chômeurs.
L’expérience danoise de flexisécurité, et le
cas, en France, des licenciés écono-
miques en contrat de sécurisation pro-
fessionnelle, invitent, au contraire, dans
un souci d’efficacité à combiner forte
indemnisation, accompagnement à la
mobilité et formation des demandeursd’emploi. En revanche, les questions
classiques du plafond d’indemnisation
(et de cotisation) des cadres et de la
dégressivité38
des allocations se repose-ront pour la prochaine convention.
La concertation paritaire et tripartite est
à ré-ouvrir sur les différentes formes
d’alternance39 - stages, apprentissage,
contrats de qualification - pour les jeunes
et les demandeurs d’emploi de longue
durée, sur le service civique universel,
et sur l’extension aux jeunes de la fusion
du rSa et de la PPE, prévue dans le projetde loi Rebsamen. Il en va de même de
l’évaluation en cours des ANI sur la
37. Manuel Valls, 50e anniversaire de la CFDT, op cit.38. La dégressivité est forte quand le demandeur d’emploi, en fin de droits, passe à l’allocation forfaitaire de solidarité
spécifique, mais n’intervient plus auparavant.39. En France, l’alternance concerne les moins qualifiés des jeunes et les élèves des grandes écoles, alors que cela devrait
être un droit pour tous.
L’expérience danoisede flexisécurité, et le cas,en France, des licenciés
économiques en contrat desécurisation professionnelle,
invitent dans un souci d’efficacité, à combiner
forte indemnisation,accompagnement à la
mobilité et formation desdemandeurs d’emploi.
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sécurisation de l’emploi40 et la formation
professionnelle, et de l’évaluation, elleaussi en cours de l’impact du CICE et du
pacte de compétitivité.
CONCLUSION
Alors que Nicolas Sarkozy, de retour à la
présidence de l’UMP, réitère sa volonté de
contourner les partenaires sociaux par le
recours au référendum41, il est utile desouligner l’importance, à moyen terme,
des acquis, en matière de sécurisation
de l’emploi et de formation profession-
nelle de la première partie du quinquen-
nat de François Hollande, issus de la
négociation interprofessionnelle et de
la transposition des accords dans la loi.La poursuite de la montée du chômage
a d’autres causes : les politiques macro-
économiques, en Europe, l’état des
comptes publics et la perte de compétiti-
vité de la France, qui limitent les marges
de manœuvre. Il est souhaitable de gar-
der le cap d’une forte articulation entre
démocratie politique et démocratiesociale. Le temps passé à la négociation
paritaire et à la concertation tripartite,
loin d’être du temps perdu, est du temps
gagné, en matière de légitimité et de
durabilité des réformes.
26
Henri Rouilleault - La démocratie sociale, aujourd’hui
40. Plusieurs questions sont à examiner : l’extension, à l’intérim, de la sur-cotisation des CDD à l’assurance-chômagepourrait être relancée par les syndicats, après le succès limité du CDI intérimaires.
41. Discours de Lambersart, 21 septembre 2014.
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la revue socialiste 58
le dossier
En premier lieu il est important de préci-
ser comment et par qui est identifié un
thème de négociation, que ce soit dans
l’entreprise, dans la branche ou au niveau
interprofessionnel. Le mécanisme est peu
ou prou le même. Je vais essentiellementcentrer mon propos à partir de mon ex-
périence de syndicaliste à la CFDT ayant
négocié à tous les niveaux, et l’illustrer
d’exemples concrets.
Tout commence au niveau de l’organisa-
tion syndicale lors de la préparation de
son congrès. Dans ce cadre, et en général
tous les quatre ans, des textes d’orienta-tions sont soumis à discussions, débats
et à la validation de l’ensemble des syn-
dicats. Ces orientations sont précisées,
complétées voire modifiées par le biais
d’amendements. Une fois cette étape
importante passée, les instances de
l’organisation syndicale déclinent les
orientations validées et donc les grands
thèmes qui en découlent, et les intègrent
dans un plan stratégique et dans un plan
d’action avec des priorités d’actions et denégociations. Depuis 2012, une rencontre
annuelle a été initiée par le gouverne-
ment, appelée « conférence sociale ». Elle
regroupe des experts, les organisations
patronales et syndicales pour travailler
sur des thèmes afin d’élaborer une feuille
C
omment se passe une négociation d’entreprise, de branche ou interprofessionnelle ?
Quelle est son efficacité ? Qui négocie ? Quelle analyse peut-on en tirer par retourd’expérience ?
La négociation,socle du dialogue social à la française ?
Patrick PIERRON Ancien secrétaire national de la CFDT.
Depuis 2012, une rencontreannuelle a été initiée par
le gouvernement, appelée« conférence sociale ».
Elle regroupe des experts,les organisations patronales et
syndicales pour travailler sur desthèmes afin d’élaborer une feuille
de route pour les années à venir.
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de route pour les années à venir. Les élé-
ments qui ressortent de la conférence so-ciale annuelle sont pris en compte dans
les discussions entre partenaires sociaux
au moment du rendez-vous pour élabo-
rer l’agenda social.
Ce dernier fixe les sujets à négocier et les
échéances souhaitées. Au niveau interpro-
fessionnel, l’agenda social se construit lors
d’une réunion avec l’ensemble des partiespatronales et syndicales représentatives.
Lors des discussions, chacun exprime ses
souhaits thématiques, et l’organisation
syndicale pousse ses thèmes prioritaires
de la discussion avec le patronat Un arbi-
trage est fait en séance en vue de construire
cet agenda. Bien entendu en amont decette étape, il y a des préparations souvent
sous forme de bilatérales entre les organi-
sations patronales et les organisations syn-
dicales, entre chacun des partenaires
sociaux et le ministère du travail dans le
cadre de la conférence sociale mais aussi
entre chacune des organisations syndi-
cales, comme entre chacune des organi-sations patronales.
Une fois l’agenda validé, chaque organi-
sation partie prenante décide de la com-
position de la délégation qui va négocier
sur chaque thème. En amont, comme
c’est souvent le cas à la CFDT , ou conco-
mitamment, un mandat est élaboré en
interne et validé par les instances de l’or-ganisation. Il constitue la feuille de route
des négociateurs. Ce mandat est construit
en fonction de la déclinaison des orien-
tations de congrès et donne des four-
chettes qui permettent d’atteindre les ob-
jectifs fixés par le congrès et les instances
dirigeantes. Donc il y a des marges de
manœuvres pour les négociateurs quiconnaissent les possibilités et les sou-
plesses, mais aussi les incontournables
et les éléments non négociables pour l’or-
ganisation. On dit souvent que l’on définit
une aire de jeu dans laquelle les acteurs
peuvent évoluer positivement en vue de
trouver un compromis. Afin de gagner en efficacité, en temps et en transparence,
la CFDT rend public son mandat à l’ou-
verture de la négociation. La plupart des
autres organisations syndicales le font
également. Toutefois je dois dire que cela
est plus difficile pour les organisations
patronales : cela impliquerait que le Medef,
la CGPME et l’UPA se mettent d’accord sur un cadre commun et exigerait de cha-
cune d’elles (en particulier du Medef ) une
cohérence de positionnement interne,
c’est-à-dire avec l’ensemble des fédéra-
tions professionnelles qui la composent.
On pourrait illustrer ce propos par la né-
28
Patrick Pierron - La négociation, socle du dialogue social à la française ?
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la revue socialiste 58
le dossier
gociation sur la sécurisation des parcours
professionnels de 2013. Rappelez-vousdes 4 à 5 premières séances de négocia-
tion pour lesquelles où le Medef se pré-
sentait avec des textes très caricaturaux
qui tel le chiffon rouge faisait monter la
pression sur les syndicats qui souhai-
taient avancer. Cette posture patronale
était un prétexte pour gagner du temps
car le négociateur n’arrivait pas à avoir un mandat ni en interne de ses instances
et encore moins des autres organisations
patronales. D’ailleurs, et c’était une pre-
mière, à l’issue de chaque séance, chaque
représentant de chaque organisation
patronale s’exprimait de son côté devant
les médias. Cet élément est révélateur de
la difficulté ; en effet, jusqu’alors seul le
représentant du Medef s’exprimait au
nom de l’ensemble des organisations
patronales. D’ailleurs, le négociateur du
Medef n’a jamais vraiment eu la main et
le mandat. C’est pour cette raison quec’est Laurence Parisot qui, en dernier res-
sort, a imposé cet accord à ses troupes.
Les organisations syndicales ne sont évi-
demment pas à l’abri de ce type de diffi-
cultés, elles qui croisent la plupart du
temps l’approche sectorielle et territoriale
dans les instances dirigeantes. Néanmoins
cela est plus rare, car elles bénéficient mesemble-t-il d’une culture plus prononcée
de la synthèse en interne. Cependant, la
culture de la posture systématique de la
part de certaines parties prenantes de la
négociation pousse à des positionne-
ments bien souvent tactiques avec une
pratique excessive ou exclusive du rapportde force tout au long du processus.
Et puis il y a toujours un fond culturel,
plus ou moins teinté d’idéologie, qui est
fortement ancré chez certaines organisa-
tions dans l’approche de certains sujets
ou dans leur vision de la place de la né-
gociation dans la démocratie sociale. Il
s’agit plus précisément du refus d’uneconstruction de normes sociales qui
pourraient être produites de façon auto-
nome, notamment vis-à-vis du gouver-
nement et du législateur (loi/contrat).
Cette approche participe souvent à la diffi-
culté de négocier dans notre pays.
La culture de la posturesystématique de la partde certaines parties prenantesde la négociation pousseà des positionnements biensouvent tactiques avec une pratique excessive ou exclusivedu rapport de force toutau long du processus.
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Mais revenons au processus de négocia-
tion…Tout au long d’une négociation, il y a des
étapes qui alternent les plénières où
toutes les parties prenantes sont pré-
sentes et défendent leur point de vue
durant la séance avec les bilatérales entre
organisations, syndicales et patronales,
mais aussi entre des organisations syn-
dicales d’une part ou entre des organisa-tions patronales d’autre part. Ces rencon-
tres servent à identifier des points de
convergence, à cerner les points de diver-
gences afin de trouver des voies de pas-
sage pour construire des accords par
sous thèmes. Il est plus facile de rentrer
dans les détails des sujets lors de ces ren-contres que lors des plénières. Il peut éga-
lement être décidé lors de la plénière de
mettre en place un ou des groupes de
travail pour approfondir des thématiques
afin d’éclairer les négociateurs. C’est sou-
vent le cas lorsqu’il y a besoin de diag-
nostic ou de précisions techniques.
Un des facteurs de réussite pour s’enga-ger sur un compromis en fin de négocia-
tion réside dans la capacité de chaque
organisation à faire le lien avec ses man-
dants tout au long du processus. Ceci est
très important si l’on veut éviter un déca-
lage ou des incompréhensions entre les
négociateurs qui ont « les mains dans le
cambouis » et les structures qui les ontmandatées. Mais cela est aussi crucial
pour valider les étapes et les avancées
obtenues tout au long du processus et
gagner en transparence avec ses équipes,
les adhérents et les salariés. Cela a égale-
ment le mérite de couper court à toutes
les spéculations. Et enfin cela permet
aussi de créer les conditions du rapportde force par la mobilisation des sections
au cours du processus de négociation
pour obtenir des avancées considérées
comme importantes pour les salariés.
A ce titre la communication auprès des
équipes et des adhérents durant toute la
négociation est primordiale : c ’est le gage
d’une implication du plus grand nombredans ce processus. D’autre part, la com-
munication externe, à destination du
grand public doit être également claire
et pédagogique. Elle participe aussi à la
construction d’un plus large rapport de
force et d’une acceptation sociale.
30
Patrick Pierron - La négociation, socle du dialogue social à la française ?
La communication auprès deséquipes et des adhérents durant
toute la négociation est primordiale : c’est le gage d’une
implication du plus grand nombre dans ce processus.
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le dossier
Une fois que les parties prenantes à la
négociation estiment qu’elles ont étéau bout en termes de propositions en
conformité avec leur mandat de départ,
un projet d’accord est acté. Ce projet est
soumis à la validation des instances qui
ont donné le mandat. Un gros travail
de valorisation de ce qui a été obtenu
définitivement commence auprès des sa-
lariés et auprès de l’opinion publique.Lorsque les organisations ont validé et
signé le projet, une autre étape s’ouvre :
il s’agit, et c’est une spécificité française,
d’intégrer les clauses de l’accord dans la
loi, donc dans le code du travail lorsque
le sujet l’impose. C’est bien souvent un
travail de l’ombre, au cours duquel les
cabinets ministériels et les services de
l’Etat concernés rencontrent à leur tour,
souvent en bilatérale, les différentes par-
ties prenantes de la négociation afin de
traduire l’accord en un texte juridique,
tout en conservant l’esprit et la lettre des
négociateurs, mais surtout des signa-taires. Et là c’est une nouvelle aventure
qui commence, moins visible mais ô
combien importante. En effet, la loi et les
décrets d’application qui en découleront
seront les outils d’application du fruit de
la négociation, qui permettront égale-
ment une action en justice en cas de non
estimé d’une partie des protagonistes. Lesdifférences d’interprétation du texte d’un
négociateur à l’autre sont parfois surpre-
nantes, alors même que l’encre n’est pas
encore sèche.
A ce stade, il me semble qu’il est possible
de tirer quelques lignes directrices d’ana-
lyse sur les difficultés rencontrées pour installer la négociation comme un élé-
ment central de la démocratie sociale ba-
sée sur une culture de l’engagement. Pour
réussir ce pari, il est nécessaire de créer
les conditions de la confiance, du respect
et de l’écoute entre les parties qui négo-
cient. Il faut nécessairement des organi-
sations représentatives et structuréesdont la démocratie interne est bien huilée.
Un autre élément réside dans la difficulté
de trouver un cadre de négociation qui
prenne en compte la diversité des entre-
prises en fonction de leur taille ou de leur
secteur, sans pour autant vider le texte
Lorsque les organisations ont validé et signé le projet, uneautre étape s’ouvre : il s’agit,et c’est une spécificité française,d’intégrer les clausesde l’accord dans la loi,donc dans le code du travail lorsque le sujet l’impose.
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négocié de toute ambition. Pour illustrer
ce point, on peut se poser la question desavoir par exemple si les seuils répondent
encore aujourd’hui à cette probléma-
tique, si la branche qui regroupe les
entreprises d’un même secteur d’activité
est le seul lieu pertinent pour décliner les
accords interprofessionnels, ou si la filière
qui intègre l’ensemble des entreprises
tout secteur confondu intervenant dansla même chaîne de valeur ne serait pas
un lieu plus pertinent ou du moins com-
plémentaire en fonction des sujets ?
Ne pourrait-on pas envisager par exem-
ple des mécanismes renforçant la cohé-
sion et la coopération entre les petites,
moyennes et grandes entreprises avecune motivation commune, à savoir que
la contractualisation d’accords soit au
service de la valorisation du savoir-faire
des salariés et de la valeur ajoutée que
chaque entreprise amène dans la pro-
duction d’un produit ou d’un service ? La
négociation territoriale n’est-elle pas unmaillon supplémentaire à examiner au
moment où une nouvelle carte territoriale
est arrêtée et les compétences des terri-
toires redéfinies pour compléter ce pro-
cessus de négociation ? Mieux prendre
en compte la proximité des entreprises
et des salariés et de leur environnement
d’implantation ? Mettre un lieu de pilo-tage de la négociation territoriale et de
dialogue social à la maille des régions ?
Mais pour répondre à ces questions qui
me semblent d’actualité surtout au re-
gard de l’échec de la négociation sur le
dialogue social, il faut avoir une volonté
de créativité, l’envie de lancer des expéri-mentations pour rassurer et démontrer
que l’on peut diversifier les lieux de né-
gociations et réussir à garder une cohé-
rence et une cohésion d’ensemble. Les
difficultés de mise en œuvre du pacte de
responsabilité depuis l’annonce du pré-
sident Hollande, tiennent pour beaucoup
au fait que la méthode traditionnelle denégociation articulée en 3 niveaux (inter-
professionnel/branche/entreprise) a été
choisie. Face au contexte et au caractère
d’urgence que nous connaissons
aujourd’hui, n’aurait-il pas fallu un texte
« cadre » national, négocié au niveau
32
Patrick Pierron - La négociation, socle du dialogue social à la française ?
La négociation territorialen’est-elle pas un maillonsupplémentaire à examinerau moment où une nouvellecarte territoriale est arrêtée
et les compétencesdes territoires redéfinies ?
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le dossier
de l’interprofessionnel, qui définisse à
grands traits les principaux enjeux de lapériode et les attendus de la démarche.
Cette étape pouvait aller vite, 8 à 10 jours.
Ensuite les négociations auraient dû être
renvoyées directement dans les entre-
prises, car c’est là que se trouvent les diffi-
cultés spécifiques aux segments de mar-
ché où l’entreprise officie. C’est aussi là
que les salariés sont et vivent l’entrepriseau quotidien. Cela aurait eu pour consé-
quence d’éviter notamment le blocage
dans de nombreuses branches (dont la
majorité ne fonctionne pas habituelle-
ment). Si l’imagination sociale avait été
au rendez-vous, la réactivité attendue et
exigée face à la situation aurait proba-
blement été à la hauteur.Innover demande de sortir du centra-
lisme qui marque encore trop fortement
notre pays et de dépasser les égoïsmes
pour construire dans un esprit d’intérêt
général. La reconnaissance de l’engage-
ment comme de l’évaluation, de l’effica-
cité de ce que l’on négocie, reste encore à
construire dans notre pays pour asseoir ce pan de la démocratie sociale qu’est le
dialogue social. Alors expérimentons et
évaluons afin de relever les défis de de-
main pour les salariés d’aujourd’hui mais
aussi pour les nouvelles générations qui
arrivent sur le marché du travail.
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le dossier
Le nombre d’accords collectifs signés
dans les entreprises a considérablementaugmenté dans les années 2000. En 2013,
40 000 accords collectifs ont été recensés
par le ministère du Travail, dont 39 000
accords d’entreprise. Ce dernier chiffre est
en augmentation de 300 %, par rapport à
1998.Il est intéressant de noter que cette
augmentation est en grande partie due
au développement de la négociationdans les PME. La connaissance, par les
partenaires sociaux, des réalités de l’en-
treprise, enrichie par l’envie partagée
de trouver des compromis constructifs
permet de faire face aux évolutions
conjoncturelles ou structurelles néces-
saires au développement, parfois à la
survie, des entreprises. C’est le pragma-tisme qui préside à l’élaboration et la
mise en œuvre de ces compromis. Il est
fréquent de voir les partenaires sociaux
réussir à partager la vision de l’entreprise
comme un collectif où se retrouvent,
autour d’obj