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L es retables qui ornent les autels dans les églises trouvent leur origine première dans les devants d’autels ou antependia qui étaient des éléments décoratifs en toile, en cuir ou en brocart. À la fin du XI e siècle on plaçait également parfois des parois surélevées et historiées, renfermant éventuellement des reliques, derrière les autels latéraux. L’évolution des pratiques eucharistiques qui voit le clergé célébrer devant le maître d’autel permet alors d'habiller aussi l’arrière de l’autel principal avec des retables qui deviennent les supports iconographiques privilégiés pour transmettre des messages aux fidèles. Ils servent à honorer essentiellement la Vierge, le Christ, les ordres principaux (franciscains, dominicains). L’un des premiers retables datés est la Vierge en majesté de Duccio commandée pour le maître-autel de la cathédrale de Sienne (1308-1311). À partir de l’époque moderne le retable devient de plus en plus souvent monumental. Il se détache de l’autel et gagne l’espace disponible du fond de la nef ou des chapelles : il n’est plus un accessoire de la table sacrée mais un véritable élément d’architecture. Après les guerres de Religion de la seconde moitié du XVI e siècle l’Église catholique cherche à se reconstruire ma- tériellement et spirituellement. Le retable revêt une fonc- tion didactique enseignant la doctrine fixée par le Concile de Trente qui confirme, entres autres, le culte des saints et la transsubstantiation. Le retable est désormais conçu comme une véritable façade architecturale qui se lie au mo- nument dans lequel il est érigé et à ses saints patrons. C’est au XVII e siècle que commence la grande vague de construction de retables en Limousin, comme dans toute la France, qui se poursuit jusqu’à la fin du XIX e siècle. La plupart des structures conservées sont l’œuvre d’ateliers locaux, qu’il s’agisse de huchiers, de charpentiers, de 100 Retables Châtelus-Malvaleix (23) Lagraulière (19) Limoges (87)

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Les retables qui ornent les autels dans les églises trouvent leur origine première dans les devants d’autels ou antependia qui étaient des éléments
décoratifs en toile, en cuir ou en brocart. À la fin du XIe
siècle on plaçait également parfois des parois surélevées et historiées, renfermant éventuellement des reliques, derrière les autels latéraux. L’évolution des pratiques eucharistiques qui voit le clergé célébrer devant le maître d’autel permet alors d'habiller aussi l’arrière de l’autel principal avec des retables qui deviennent les supports iconographiques privilégiés pour transmettre des messages aux fidèles. Ils servent à honorer essentiellement la Vierge, le Christ, les ordres principaux (franciscains, dominicains). L’un des premiers retables datés est la Vierge en majesté de Duccio commandée pour le maître-autel de la cathédrale de Sienne (1308-1311).
À partir de l’époque moderne le retable devient de plus en plus souvent monumental. Il se détache de l’autel et gagne l’espace disponible du fond de la nef ou des chapelles : il n’est plus un accessoire de la table sacrée mais un véritable élément d’architecture. Après les guerres de Religion de la seconde moitié du XVIe
siècle l’Église catholique cherche à se reconstruire ma- tériellement et spirituellement. Le retable revêt une fonc- tion didactique enseignant la doctrine fixée par le Concile de Trente qui confirme, entres autres, le culte des saints et la transsubstantiation. Le retable est désormais conçu comme une véritable façade architecturale qui se lie au mo- nument dans lequel il est érigé et à ses saints patrons. C’est au XVIIe siècle que commence la grande vague de construction de retables en Limousin, comme dans toute la France, qui se poursuit jusqu’à la fin du XIXe siècle.
La plupart des structures conservées sont l’œuvre d’ateliers locaux, qu’il s’agisse de huchiers, de charpentiers, de
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retables Châtelus-Malvaleix (23) Lagraulière (19) Limoges (87)
sculpteurs ou de peintres, dont l’orga- nisation des ateliers est aujourd’hui peu connue. On conserve également des œuvres qui proviennent de commandes d’importation, comme le retable de Châtelus-Malvaleix. Parfois encore, la commande est confiée à des artistes connus, comme à Lagraulière dont le retable est commandé à Pierre Duhamel, sculpteur tullois, ou encore à l’église Sainte-Marie de Limoges dont la commande du retable est documentée.
Retable de l’église Saint-Pierre-ès-Liens Châtelus-Malvaleix (23)
À partir du XIVe siècle et jusqu’à la fin du XVIe siècle des ateliers anglais de sculpture en albâtre se développent et exportent leurs productions dans toute l’Europe occidentale. Ces « albâtres de Nottingham » sont des sculptures majoritairement destinées à la fabrication de retables. L’albâtre utilisé était exploité dans les carrières du centre de l’Angleterre. Il s’agit d’une pierre plus tendre et facile à travailler que le marbre. C’est également un matériau idéal pour la production de masse en raison de son faible coût. Le retable de l’église de Châtelus- Malvaleix, daté du XVe siècle, est l’une de ces productions en série. Il constitue le témoignage d’une imagerie religieuse traditionnelle des ateliers anglais de l’époque. Les retables anglais sont constitués de plusieurs petits panneaux de dimensions égales, à l’exception du panneau central qui est plus haut. La composition de ces retables par
l’assemblage de plusieurs plaques, réalisées de façon indépendante, permet de répondre facilement à des commandes diverses. Ce retable compte sept panneaux en albâtre polychromé qui sont présentés dans une hucherie en bois réalisée au XIXe siècle.
Comme la majorité de ces productions anglaises le retable de Châtelus- Malvaleix reproduit les scènes de la vie de Jésus : de gauche à droite, on peut observer saint Jacques le Majeur en habits de pèlerin de Compostelle, le baiser de Judas, la flagellation du Christ, la Binité (la représentation de Dieu le Père et de Jésus-Christ, sans la présence du Saint-Esprit), la mise au tombeau, la résurrection du Christ et saint Pierre tenant une clef. La partie supérieure des panneaux forme un dais à fenes- trage gothique. Ce retable peut se comparer à celui de Saint-Léonard-de-Noblat, qui est également une production anglaise du XVe siècle. Il se compose aussi de sept panneaux dont celui du milieu
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avant restauration
présente la même iconographie qu’à Châtelus-Malvaleix : on peut y voir la scène de la Crucifixion de Jésus, avec Dieu le Père bénissant derrière la croix. Malgré une production en série rela- tivement importante, on ne répertorie en France qu’une quarantaine de ces retables en albâtre. Les retables de Saint-Léonard-de-Noblat et de Châtelus-Malvaleix sont les deux seuls conservés en Limousin, c’est pour cela qu’ils ont été classés au titre des monuments historiques respectivement en 1859 et en 1904.
En 2009 celui de Châtelus- Malvaleix est restauré. Il avait perdu une grande partie de son décor peint, dont les vestiges ont été consolidés. Les couleurs sont vives, avec du bleu et du rouge pour les robes. Les cheveux et les accessoires tels que les sceptres et couronnes sont dorés. L’ensemble formant le retable, la hucherie et les éléments de décor en bois, a été nettoyé et consolidé. Les éléments des scènes ayant subi des restitutions en bois ou en plâtre au cours du XIXe ou du XXe siècle ont été conservés, pour ne pas laisser d’espaces vides mais également comme témoins d’une technique ancienne de restauration.
Retable de l’église Saint-Marcel Lagraulière (19)
Le retable de Lagraulière, daté de 1686, fait partie du corpus des frères Duhamel, dont l’atelier demeure le mieux connu du Limousin à l’époque moderne. Ces sculpteurs sont célèbres dans la région notamment pour avoir réalisé le retable de Naves. Ce dernier est considéré comme étant l’œuvre d’un véritable artiste tant par sa qualité que par sa complexité ico - nographique et la cohérence de sa composition d’ensemble. Un tel retable nécessite des années de travail. La plupart des retables était ensuite po- lychromé mais le retable de Naves, probablement faute de moyens, est resté en bois non peint. Le cas de celui de Lagraulière montre une conception radicalement diffé- rente par rapport au retable de Naves. En effet il a sans doute été réalisé avec des chutes d’atelier et monté de façon très approximative et peu soigneuse : de fait, le retable est conçu en moins d’un an pour une somme modeste. Les défauts de l’assemblage
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Scène centrale après nettoyage
ont été dissimulés par une riche polychromie retrouvée intacte sous le badigeon couleur faux bois du XIXe siècle. L’inspiration baroque de ce retable se retrouve dans les éléments tels que les deux colonnes torses peintes en faux marbre rouge encadrant le tableau central. Le retable se carac- térise également par l’opulence de son décor  : les ailerons du fronton sont décorés de deux séraphins retenant une chute de fruits,  qui entourent la niche de saint Marcel – saint patron de l’église –, elle-même surmontée d’un pot à fruits et de vases de fleurs. Les travées latérales sont également sculptées d’anges priant émergeant d’un décor de feuilles, encadrant les statues laté-
rales représentant saint Pierre et saint Paul. Le soubassement est décoré de feuilles d’acanthe et de volutes sculptées autour d’un cœur. La commande du retable de Lagrau- lière prévoyait aussi la réalisation d’un crucifix qui devait occuper le centre du retable. Bien que réalisé en 1687, ce crucifix est remplacé à la fin XVIIe ou au début du XVIIIe siècle par le tableau représentant la lapidation de saint Étienne. Le saint est agenouillé à l’extérieur des murs de Jérusalem et contemple deux anges peints en haut du tableau. Au premier plan, les deux bourreaux semblent dialoguer avec un enfant presque nu, assimilé à Saül, le futur saint Paul. En 1991 l’ensemble du retable est classé au titre des monuments
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Retable de l’église de Lagraulière
historiques pour son iconographie caractéristique des retables du XVIIe siècle. Dix ans plus tard, il subit une importante restauration. Celle-ci permet de redonner au retable sa structure d’origine  : les différents éléments du couronnement retrouvent leur place ainsi que les balustrades, déposées dans les années 1970. De plus, la restauration du tableau ancien a permis de découvrir, sous une toile du XIXe siècle clouée, le tableau de la lapidation de saint Étienne. Elle a également permis de mettre au jour la polychromie d’ori- gine du retable : il faut souligner la qualité des faux marbres rouges des colonnes et de l’entablement, ainsi que les vestiges de dorure, en parti- culier sur les tuniques de saint Paul et de saint Pierre.
Retable de l’église Sainte-Marie Limoges (87)
Le retable de l’église Sainte-Marie de Limoges est remarquable, à l’image du retable de Lagraulière, parce que l’on a conservé les documents de sa commande, ce qui est très rare, et qu’il est resté à son emplacement d’origine. Ce retable, comme le tabernacle et les deux gradins d’autel, a été commandé aux sculpteurs Bernard Buxeraud et Jacques Mouret et au menuisier Mathieu Galerne en 1682 par Mon- seigneur de Lascaris d’Urfé, évêque de Limoges, pour l’actuelle église Sainte-Marie.
Bien que réalisé dans la même dé- cennie que le retable de Lagraulière, celui de l’église Sainte-Marie s’en différencie par son aspect et sa conception. L’importance architecturale du retable prend ici une dimension plus marquée. Si ces deux retables sont organisés en trois travées, celui de l’église Sainte-Marie habille l’en- semble du chœur, ne se cantonnant plus à l’arrière de l’autel, et se subs- tituant pratiquement à l’architecture. L’aspect architectural se caractérise par l’usage des colonnes, des pilas- tres et des entablements qui struc- turent la composition, comme sur un édifice. Par ailleurs les mouvements de concavité qui lui donnent une ani- mation lui confèrent un aspect ba- roque. De façon traditionnelle, ce retable présente dans les travées latérales des niches pour les statues, ici de saint Martial tenant une croix à double traverse et richement vêtu avec un surplis à dentelle et une grande chape, et de saint Étienne levant la main droite et tenant dans l’autre un pan de sa dalmatique ornée de rinceaux. Les panneaux qui
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Détail du fronton
les entourent sont ornés au centre par les cartouches au chiffre de la Vierge. Sous les panneaux moulurés, quatre panneaux sculptés présentent les Évangélistes et leurs symboles. Ces travées sont surmontées par des profils en buste des saints Pierre et Paul, identifiés grâce aux inscriptions latines peintes dans les médaillons. Ils sont entourés d’ornementations à fleurs et volutes. Le tableau d’autel représente saint Jean l’Évangéliste en train d’écrire l’Apocalypse d’après une œuvre de Charles Le Brun, peintre du roi Louis XIV, Saint Jean dans l’île de Patmos. Le fronton est imposant, un large médaillon circulaire entoure le triangle trinitaire flamboyant. Ce couronnement assez singulier par rapport aux retables conservés en Limousin peut se comparer au retable de l’église de Vicq-sur-Breuilh qui présente un fronton très semblable et qui est daté des années 1720. En 1974 le retable est classé au titre des monuments historiques : il est l’un des seuls retables concaves de la fin du XVIIe siècle.
M.B.
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Sources : Dossier de protection monuments historiques, CRMH, DRAC du Limousin
GENESTE Olivier, Les Duhamel, sculpteurs à Tulle aux XVIIe et XVIIIe
siècles, Pulim, 2002, p. 100-104
LACROCQ Louis, « Le retable de Saint- Léonard », Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin, n°70, 1923, p. 161-163
Collectif, Retables in situ, conservation et restauration, 11èmes journées d’étude de la SFIIC, 24-26 juin 2004, Roubaix
retables, Châtelus-Malvaleix (23), Lagraulière (19), Limoges (87)
Détail du fronton