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N° 47 JUIN 2017 SOMMAIRE DRRCI / DIVISION DE LA RECHERCHE ET DES ETUDES / SERVICE DE LA DOCUMENTATION L’impact macroéconomique des investissements publics : Enjeux et perspectives pour les acteurs publics locaux ---------------------------------------------------------------50 Le FMI satisfait de la politique économique du Maroc ---------------------------------------------65 L’argent public--------------------------------------------------------------------------------------67 De l’art de la contorsion fiscale ----------------------------------------------------------------70 Regroupements d’entités dans le référentiel comptable international pour le secteur public-----------------------------------------------------------------------------75 Comment le Bitcoin et autres cryptomonnaies ont commencé à impacter l’économie réelle -------------------------------------------------------------------80 Berrada n’a pas peur des tabous---------------------------------------------------------------84 Avril 2007 – avril 2017 : de l’illusion au désordre------------------------------------------86 Royaume- Uni : la fin du « laissez faire » ? --------------------------------------------------92 Les voies de la prospérité : le salaire, la rente ou la concurrence ? -------------------95 Déconcentration et décentralisation : la fin de l’Histoire ? ---------------------------102 Substance économique et abus de droit : le réalisme fiscal à tout prix ? ---------107 REPERES Revue électronique du centre de documentation de la Trésorerie Générale du Royaume FOCUS TRESOR PUBLIC FINANCES PUBLIQUES POLITIQUE ECONOMIQUE BANQUE NTIIC – GRH CHRONIQUE Paradise Papers - Les paradis fiscaux : un problème systémique ----------------------5 La gouvernance fiscale, un enjeu stratégique pour les entreprises--------------------9 Comment imposer l'activité des particuliers sur internet ?-----------------------------17 Commande publique et technologie blockChain : Un avenir, mais quel avenir ?------------------------------------------------------------------- 23 La refonte du code des juridictions financières-------------------------------------------- 35 La séparation ordonnateur-comptable public : Archaïsme ou faux problème ? ----------------------------------------------------------------42 La réforme du régime de change -------------------------------------------------------------- 2 Comment la fièvre du bitcoin s’est emparée du Maroc--------------------------------116 Établissements de paiement au Maroc : l’émergence d’un nouvel Écosystème financier en Afrique ? ---------------------------------------------------------- 118 Management public des données et souveraineté numérique---------------------- 122 Investir dans l’humain : un levier essentiel de création d’emplois------------------ 128 Le rôle des directions qualité dans le pilotage de la relation client----------------- 133 La gouvernance par les nombres------------------------------------------------------------ 138 Quelques heures dans la vie d’une trésorerie principale "Si l’Administration était au courant de ce qui se passe chez elle…"-------------------------------------------147

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N° 47 – JUIN 2017 SOMMAIRE

DRRCI / DIVISION DE LA RECHERCHE ET DES ETUDES / SERVICE DE LA DOCUMENTATION

L’impact macroéconomique des investissements publics : Enjeux et perspectivespour les acteurs publics locaux ---------------------------------------------------------------50

Le FMI satisfait de la politique économique du Maroc ---------------------------------------------65 L’argent public--------------------------------------------------------------------------------------67 De l’art de la contorsion fiscale ----------------------------------------------------------------70 Regroupements d’entités dans le référentiel comptable international

pour le secteur public-----------------------------------------------------------------------------75

Comment le Bitcoin et autres cryptomonnaies ont commencéà impacter l’économie réelle -------------------------------------------------------------------80

Berrada n’a pas peur des tabous---------------------------------------------------------------84 Avril 2007 – avril 2017 : de l’illusion au désordre------------------------------------------86 Royaume- Uni : la fin du « laissez faire » ? --------------------------------------------------92 Les voies de la prospérité : le salaire, la rente ou la concurrence ? -------------------95 Déconcentration et décentralisation : la fin de l’Histoire ? ---------------------------102 Substance économique et abus de droit : le réalisme fiscal à tout prix ? ---------107

REPERESRevue électronique du centre de documentation de laTrésorerie Générale du Royaume

FOCUS

TRESOR PUBLIC

FINANCESPUBLIQUES

POLITIQUEECONOMIQUE

BANQUE

NTIIC – GRH

CHRONIQUE

Paradise Papers - Les paradis fiscaux : un problème systémique ----------------------5 La gouvernance fiscale, un enjeu stratégique pour les entreprises--------------------9 Comment imposer l'activité des particuliers sur internet ?-----------------------------17 Commande publique et technologie blockChain :

Un avenir, mais quel avenir ?-------------------------------------------------------------------23 La refonte du code des juridictions financières--------------------------------------------35 La séparation ordonnateur-comptable public :

Archaïsme ou faux problème ? ----------------------------------------------------------------42

La réforme du régime de change -------------------------------------------------------------- 2

Comment la fièvre du bitcoin s’est emparée du Maroc--------------------------------116 Établissements de paiement au Maroc : l’émergence d’un nouvel

Écosystème financier en Afrique ? ----------------------------------------------------------118

Management public des données et souveraineté numérique---------------------- 122 Investir dans l’humain : un levier essentiel de création d’emplois------------------ 128 Le rôle des directions qualité dans le pilotage de la relation client----------------- 133 La gouvernance par les nombres------------------------------------------------------------ 138

Les hauts fonctionnaires et la 3e carrière P 163

Quelques heures dans la vie d’une trésorerie principale "Si l’Administrationétait au courant de ce qui se passe chez elle…"-------------------------------------------147

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FOCUS

La réforme du régime de change

MAP 16.01.2018

Le 15 janvier 2018, le Maroc a adopté unnouveau régime de change prévoyant unenouvelle bande de fluctuation du dirhamlimitée à ±2,5%, contre ±0,3%auparavant, « décision souveraine » émanant de la volonté des autorités, etélaborée en coordination avec le ministèrede l’Économie et des Finances et Bank Al-Maghrib, selon les propos de M. AbdellatifJouahri, Wali de Bank Al-Maghrib dans lebut de conférer de manière graduelle etprogressive plus de flexibilité à la monnaienationale, de renforcer la résilience del’économie nationale aux chocs exogènes,soutenir sa compétitivité et améliorer sonniveau de croissance.

Mais en quoi consiste cette réforme,quelles en sont les motivations et lesrépercussions tant sur l’économie que surles citoyens ?

Selon Idriss El Abbassi, enseignant àl’Université Mohammed V de Rabat, etexpert en politique monétaire, cetteréforme est devenue nécessaire pouraccompagner la dynamique économiquedu Maroc car, a-t-il expliqué, un régime dechange évolue, par essence, en fonction dudéveloppement du pays, de son ouverturesur le reste du monde."Plus un pays est ouvert, plus il estdéveloppé, plus il tend vers une

détermination de la valeur de sa monnaiepar le marché (principe de l’offre et de lademande)", a-t-il ajouté.M. El Abbassi a fait savoir que nombred’études ont conclu à la nécessité de cetteréforme, eu égard aux contraintesqu'engendre l’ancien régime de changetant pour la compétitivité des entreprisesque pour l’ensemble de l’économienationale.Cependant, a-t-il précisé, il ne faut pass’attendre à un changement radical de lasituation en bon ou en mauvais dès la miseen œuvre de cette réforme. La flexibilité durégime de change n’est pas la "solutionmiracle" aux problèmes économiques duMaroc. C’est un élément parmi unensemble de réformes, a-t-il estimé.

De son côté, l'expert en Finances Omar ElKettani a évoqué dans un point de presse lavulnérabilité aux risques sur le marchéinternational et "l'incapacité à l'heureactuelle de l'économie marocaine àdéfendre la monnaie nationale par uneindustrie forte". Le régime de change fixe apermis pendant plus de 20 ans depréserver la valeur du dirham en raison del’ancrage de celui-ci par rapport à un panierde devises constitué principalement del'euro et du dollar, et les fortes relationscommerciales du Maroc avec les pays quis'appuient dans leurs échanges

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économiques sur ces deux devises, a ajoutéM. El Kettani, notant que pour se prémunirdes incidences du régime de changeflexible sur l'économie, il est impératif dedisposer d'un important stock de liquiditéspour sauvegarder les équilibresmacroéconomiques.Il est également nécessaire d'accompagnercette réforme par des mesures dedéveloppement social, a-t-il dit, expliquantque toute dépréciation de la valeur dudirham conjuguée à une hausse del'inflation impactera le pouvoir d'achat desconsommateurs.

A signaler que le ministre de l'Economie etdes finances, Mohamed Boussaid, a assurémercredi que les conditions économiquesactuelles du royaume sont convenablespour initier cette réforme, eu égard à lasolidité du secteur financier national et à lavigueur des indicateursmacroéconomiques, en particulier leniveau approprié des réserves de change etle contrôle continu de l'inflation.

Le Wali de Bank Al-Maghrib a indiqué queBAM a pris le temps nécessaire pourréaliser les études et analyses nécessaires,s'informer des expériences de référenceset évaluer l'impact de cette réforme surl'économie et le pouvoir d'achat descitoyens et ce en coordination avec leministère de l'Économie et des Finances,faisant savoir que tous les acteursconcernés ont été impliqués en toutetransparence pour assurer la réussite decette réforme. Il a précisé également qu’iln'y aura pas de dévaluation de la valeur du

dirham et que ce nouveau régime n'est paslié au flottement du dirham.

Evoquant les motivations de cette réforme,M. Jouahri a expliqué que les dix dernièresannées ont enregistré une amélioration detous les indicateurs macro-économiques,avec le maintien du taux d'inflation à moinsde 2%, du déficit budgétaire (- 3,6%) et dudéficit du compte courant (- 4,3%),l'enregistrement d'un niveau élevé desréserves de change à l'équivalent de 5 moiset 27 jours d'importations en moyenne,ainsi que la capacité du secteur bancaire àfaire face aux crises qui a été confirmée parle Programme d'évaluation du secteurfinancier de 2015 combinés au choix duRoyaume d’intégrer le circuit de lamondialisation avec la conclusion de 56Accords de libre-échange outre la flexibilitéde la loi de change au profit des résidents.

Au niveau national, plusieurs raisons ontmotivé la décision de cette réforme,notamment, le développement depolitiques sectorielles à long terme offrantune vision claire aux investisseursmarocains et étrangers, le renforcement del'attractivité du pays ainsi que la nouvellestratégie adoptée par l'Office Chérifien desPhosphates pour renforcer sa présence surle marché international en plus de lanouvelle politique du Royaume qui s'inscritdans le cadre de la reconstruction desrelations Sud-Sud sur la base departenariats gagnant-gagnant.

Au niveau international, M. Jouahri aévoqué la crise financière de 2007, qui a eudes répercussions "qui se poursuivent

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jusqu’à présent", la volatilité accrue desmarchés, les politiques de changecompétitives et la formation degroupements et de zones économiques,entre autres, soulignant que face à ceschangements, il a été plus appropriéd'adopter un système de change plusadapté à ces évolutions.

Le passage vers un système de changeflexible est un levier de compétitivité pourrenforcer l'économie nationale et soutenirpar la même les politiques structurellesmenées par le gouvernement, a soutenu leWali de Bank Al-Maghrib, soulignant quecette réforme renforcerait la capacité del'économie marocaine à faire face auxcrises monétaires internationales.

Le suivi de la mise en œuvre de cetteréforme, en particulier avec les banques, sepoursuivra a-t-il dit, notant que lesbanques vont soumettre à la Banquecentrale au quotidien toutes lesinformations relatives aux opérations endevises étrangères, en particulierl'émission de celles prises pour le comptedes petites et moyennes entreprises etcelles des particuliers.

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TRESOR PUBLICParadise PapersLes paradis fiscaux : un problème systémique

Christian ChavagneuxAlternatives économiques /6.11.2017

Révélations après révélations, les paradisfiscaux apparaissent pour ce qu’ils sont :une infrastructure clé du capitalismecontemporain. C’est ce que viennentdémontrer, encore une fois, les ParadisePapers, une nouvelle enquête réalisée parle Consortium international desjournalistes d’investigation (ICIJ). Au-delàdes riches et célèbres, la mondialisationne pourrait pas fonctionner sans cesterritoires, c’est ce que montre cettenouvelle exploration des circuits mondiauxd’opacité.

Une nouvelle enquêteinternationaleFace à la finance mondialisée, lejournalisme d’investigation sait mettre sesressources en commun (96 médias dans67 pays mobilisés) pour nous fournir unenouvelle enquête sur les pratiques fiscalesdouteuses des particuliers et desentreprises. Cette fois, c’est parl’intermédiaire d’une analyse descomportements du cabinet d’expertsAppleby, fournisseur international deservices fiscaux depuis plus d’un siècle. S’yajoutent des données issues d’un pluspetit cabinet singapourien, Asiaciti trust,ainsi que des registres confidentiels

d’immatriculation des sociétés dans unevingtaine de paradis fiscaux.Symbole de l’opacité offerte à ses clients,les enquêteurs du journal Le Monde ontdu mal à localiser le siège social ducabinet, perdu entre les Bermudes, Jerseyet l’île de Man ! Les premiers élémentsrévélés de l’enquête mettent en évidencedes comportements de dissimulation denombreuses personnalités liées auxPrésidents américains et russes, auPremier ministre canadien (et à d’ancienspoliticiens de ce pays) ainsi qu’à desdirigeants politiques dans de nombreuxpays émergents (Brésil, Mexique, Inde,Indonésie…).Symbole de l’opacité offerte à ses clients,le siège social du cabinet Applebyest perdu entre les Bermudes, Jersey etl’île de Man !En attendant d’autres informations sur lesentreprises : Le Monde promet des chosessur des multinationales françaises, l’ICIJévoque de grandes banques (Barclays,Goldman Sachs, BNP Paribas) parmi lesclients d’Appleby et met en avant lesnoms de Nike ou du trader de matièrespremières Glencore parmi les utilisateursdes compétences du cabinet. Ainsi que dela firme Apple, ce qui intéresserasûrement la Commission européenne dans

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son combat contre l’optimisation fiscaleagressive mise en œuvre par cette société.Le décryptage des 13,6 millions dedocuments récupérés ne nous apprendrien de nouveau sur le fonctionnementdu monde des paradis fiscaux. Mais ilpermet, encore une fois, de confirmertrois résultats importants.

Un phénomène de grande ampleurL’ampleur des informations recueillies,après celles des fuites précédentes,souligne que la production d’opacités’effectue à une échelle industrielle. Lesparadis fiscaux ne sont pas aux servicesd’une très petite minorité d’ultra-riches etd’une poignée de multinationales : unepartie importante de la circulationinternationale des capitaux passe par lesparadis fiscaux.Concernant les particuliers, les estimationsdu Tax Justice Network, la grande ONGinternationale basée à Londres qui fédèrel’ensemble des mouvements mondiauxqui s’occupent de ces sujets, indiquent unmontant de 26 000 milliards de dollarsdétenus dans les paradis fiscaux quandd’autres estimations indiquent plutôt10 000 à 12 000 milliards.Des montants quoi qu’il en soitimportants. Et des comportements quivont bien au-delà des milliardaires. On apu le constater avec l’affaire Swissleaks,les Panama Papers et les Paradise Papers.Parmi les clients, on retrouve des patronsde PME partant à la retraite, des cadressupérieurs de grandes multinationales,des petits commerçants, des professionslibérales, des consultants… et mêmequelques évêques (un religieux mexicain

dans les Paradise Papers) qui ont trouvé laporte du paradis un peu plus rapidement !Des personnes à revenus très élevés, maispas forcément des milliardaires. Pour quelcoût ?Les montants situés dans les paradisfiscaux et les recettes fiscales perduessont très importantsLes estimations sont par naturesubjectives. Le Monde cite celle del’économiste français Gabriel Zucman :350 milliards de recettes fiscales perduesdans le monde chaque année(120 milliards dans l’Union européenne,20 milliards en France) du fait despratiques des particuliers et desentreprises. L’universitaire, à juste titresoucieux de ne pas en rajouter, indiquesouvent que ses estimations sontprudentes et correspondent plutôt à unefourchette basse.L’OCDE a fourni une estimation enoctobre 2015 des pertes de recettesd’impôt sur les sociétés dans le monde,soit entre 100 et 240 milliards de dollars(entre 4 et 10 % du total). Mais PascalSaint-Amans, le négociateur en chef surces sujets, soulignait « un choixd’hypothèses très conservatrices », uneestimation officieuse de l’institutionindiquant quelques mois auparavant unmontant plus proche de 500 à600 milliards, un quart de l’impôt sur lessociétés. Une étude récente des Nationsunies est venue confirmer cet ordre degrandeur de l’ordre de 500 milliards dedollars, rien que pour les entreprises.

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Une infrastructure clé de lamondialisationSurtout, toutes les données convergentpour souligner combien les paradis fiscauxse trouvent au cœur des stratégies desfirmes. En attendant les révélations àvenir, on peut rappeler par exemple queles trois premiers pays de destination dustock des investissements à l’étranger desmultinationales américaines sont les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Luxembourg.Les paradis fiscaux multiplient lestransactions fictives entre multinationaleset entre leurs propres filialesUn tiers desprofits internationaux des banquesfrançaises sont logés dans les paradisfiscaux. Et, selon les données de la Banquede France, une fois enlevées lestransactions fictives liées aux paradisfiscaux, le stock des investissementsétrangers en France est inférieur d’un tiersaux données habituellement commentées,tandis que le stock des investissements àl’étranger des entreprises françaises estinférieur d’un quart.Les paradis fiscaux multiplient lestransactions fictives entre multinationaleset entre leurs propres filiales, ce qui a troisconséquences : ils contribuent à unesurestimation de la mondialisation ; ilsdressent une géographie erronée des fluxd’investissements étrangers ; ils servent àcontourner les lois (fiscales etréglementaires).

Le rôle clé des intermédiairesAprès Mossack Fonseca, un autre cabinetd’avocats se retrouve au cœur desnouvelles révélations. Sans cesintermédiaires entre clients et paradis

fiscaux, ces derniers ne pourraient pasfonctionner.Ces intermédiaires servent en effet à troischoses : faire disparaître l’argent, ne pasêtre pris, faire fructifier l’argent. Pour lefaire disparaître, ils réunissent pour leursclients les compétences de comptables, definanciers, de fiscalistes. Pour ne pas êtrepris, ils multiplient les couches d’opacité,d’où leur présence dans un grand nombrede paradis fiscaux. Enfin, l’argent«dissimulé» dans les paradis fiscaux n’yest pas : il est investi sur les grandsmarchés financiers internationaux pourqu’il puisse rapporter.Ces intermédiaires servent en effet à troischoses : faire disparaître l’argent, ne pasêtre pris, faire fructifier l’argentPrenons l’exemple d’Apple. Bloombergestime qu’entre 2012 et 2016, legouvernement des Etats-Unis a versé600 millions d’intérêts à Apple dont 22 %du matelas financier offshore est placé entitres de dette publique américaine.L’agence d’information américaine aégalement mis au jour le fait qu’avec 58 %de son trésor de guerre placé dans lesobligations d’entreprises, BlaeburnCapital, la filiale financière de la société,est aujourd’hui le premier investisseurobligataire mondial !On comprend bien à travers ce cas quelorsque l’on dit que l’argent est caché dansles paradis fiscaux, c’est que celui-ci y estofficiellement enregistré mais il n’y restepas : il est placé sur les grands marchés dedette publique et privé internationaux,grâce aux services rendus par les expertsdu droit et du chiffre.

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Apple est le premier investisseurobligataire mondial !Ces pratiques sont-elles légales ? Ellespeuvent l’être. Mais si ces intermédiairessont devenus des spécialistes de l’opacité,et si leurs clients paient pour leur service,c’est bien pour dissimiler des revenus etéchapper à des contraintes fiscales etréglementaires.Bien souvent, la légalité des dispositifs n’apas été testée devant un tribunal. LaCommission européenne a montré dansplusieurs cas – Apple, Amazon, etc. – qu’ilsne l’étaient pas au regard des traitéseuropéens. Dirigeant une commissiond’enquête sur le sujet, la députéebritannique Margaret Hodge indiquait en2013 que PricewaterhouseCooperspropose ses produits d’optimisation fiscaledès qu’ils ont 25 % de chances d’êtreacceptés par le fisc en cas de contrôle ou,dit dans l’autre sens, alors qu’il reste 75 %de chances qu’ils soient déclarés nonrespectueux de la loi !Les paradis fiscaux ne sont pas la faced’ombre, ni l’envers de la mondialisation.Ils en sont une partie intégrante. Auservice des inégalités – entre particulierset entre entreprises – et descomportements élitaires anti-démocratiques : il faut dénoncer leurspratiques sans relâche. Et suivre la suitedes Paradise Papers.

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TRESOR PUBLICLa gouvernance fiscale, un enjeu stratégique pour lesentreprises

Nathalie CORDIER-DELTOUR, avocate associée, FidalFrançois WARCOLLIER, responsable de mission, FIdalCharlotte DELSOL, avocate, Fidal

Revue de droit fiscal - 13 Juillet 2017

1 - Les réglementations enmatière de gouvernance se sont multi-pliées dans les années 2000 enrépercussion aux scandales financiers(affaire Enron, affaire Worldcom) et àla crise financière de 2008. Ainsi, lesinitiatives locales ont abondé, de SOX404 aux États-Unis en passant par la loide sécurité financière en France oule Code Tabaksblat aux Pays-Bas .

Le thème de la gouvernance trouveaujourd'hui un écho grandissant enfiscalité. La gouvernance fiscale, quel'on peut définir comme la" gouvernanced'entreprise appliquée à la fiscalité » ,intéresse non seulement lesadministrations fiscales, qui y voientun moyen de concentrer les contrôlesfiscaux sur certains contribuables «à risques » et ainsi mieux gérer leursressources, mais également lesentreprises multinationales, qui par cebiais bénéficient d'une plus grandesécurité juridique et peuvent mieuxgérer leurs enjeux financiers etréputationnels.

Ce thème s'inscrit en outre dans uncadre plus large, celui de la« responsabilité sociale des

entreprises» (RSE). D'abord liée auxquestions sociales et environnementales,la notion de RSE tend à intégrer de façoncroissante les volets finance et fiscalité.

Nous nous limiterons toutefois, dans lecadre de cette étude, au seul sujet, déjàvaste, de la gouvernance fiscale.

2 - Développée dans certainsÉtats comme J' Australie, les Pays- Bas,le Royaume-Uni dans les années1990-2000 sous différentes formes,puis consolidée par l'OCDE, dès la findes années 2000, la gouvernance fiscales'implante peu à peu dans le paysagejuridique et fiscal des entreprises. Elleprocède d'abord d'une évolution de larelation entre l'administration fiscaleet le contribuable dans certains Étatsvers un modèle fondé sur la coopérationvolontaire (coopérative compliance).

La notion de cadre de gouvernancefiscale ( tax control Framework), héritéedes travaux de l'OCDE et des Étatsprécurseurs en matière de gouvernancefiscale, concrétise la coopérationvolontaire en définissant les règles etprocessus à suivre pour parvenir àune meilleure gestion des risques fiscaux

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au sein de l'entreprise et à un respectoptimal des normes et formalitésfiscales. Le rapport de l'OCDE de mai2016 sur la coopération volontairedéveloppe ainsi différents blocs quiformalisent le cadre de gouvernancefiscale, outil pour les administrationsfiscales qui souhaitent mettre en place cetype de coopération volontaire.

De nombreux États reprennentaujourd'hui tout ou partie des principesdéveloppés par l'OCDE (Australie,Royaume-Uni, Espagne, Italie, Allemagne,etc.). Pour les entreprises multinationalesfrançaises, la gouvernance fiscale devientun enjeu stratégique majeur en raison dela nécessité de se conformer aux cadreslocaux dans leurs pays d'implantationsmais également parce qu'elles souhaitentmaîtriser au mieux leurs risques fiscaux,financiers et réputationnels.

1. L'évolution progressive de larelation entre l'administrationfiscale et le contribuable

3 - L'évolution progressive de larelation entre l'administration fiscale et lecontribuable que l'on observe danscertains États dès les années 2000(Australie, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas,Royaume-Uni, etc.) procède avant toutd'un constat, fondé sur l'inefficacité de larelation traditionnelle « verticale »entrel'administration fiscale et le contribuable.

Cette relation verticale, qui se caractérisepar l'évaluation et le contrôle a posterioride!' information - limitée - fournie par lecontribuable, ne permet pas auxadministrations fiscales de faire face aux

défis croissants de la mondialisation et dela numérisation des économies, ainsiqu'aux techniques toujours plussophistiquées d'optimisation fiscale desentreprises multinationales.

Le volume et la qualité de l'informationdont dispose l'administration fiscale pourévaluer la situation du contribuable est eneffet au cœur de son action. Or, du fait deces évolutions, cette information échappesouvent à l'administration fiscale, àmoins qu'elle ne mette énormément deressources et d'efforts pour reconstituerles tenants et aboutissants des opérationsdes contribuables.

On remarquera que ce sont ces mêmesenjeux qui motivent la mise en place, dansle cadre du projet BEPS (Base Erosion andProfit Shifting) de l'OCDE, de cadres dedivulgation d'informations (not. actions12 et 13 du projet BEPS, qui viennentcompléter les mécanismes d'échangesd'informations existants (CommonReporting Standard, échanged'information sur demande, etc.).

La communication d'informations enamont par le contribuable permet plus detransparence et facilite le travail del'administration fiscale. Il s'agit toutefoisd'une communication d'informations ci-blées, et donc parcellaire. En outre, cesont des obligations supplémentaires à lacharge du contribuable sans contrepartieaucune pour ce dernier.

La relation verticale pèche également parson manque de fiabilité pour lecontribuable. L'administration fiscaleintervenant après les faits, la remise encause d'une opération ou d'une

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transaction se traduit par unréajustement des bases imposables ducontribuable sans que celui-ci puissemodifier rétroactivement soncomportement pour le rendre conformeaux normes fiscales.

Le système de rescrits fiscaux tout commeles procédures d'accords préalables enmatière de prix de transfert visent àcompenser ces lacunes sans toutefoisparvenir tout à fait à donner unemeilleure sécurité juridique globale pourle contribuable, ces procédures ciblantuniquement des transactions ouopérations particulières et concernanten général le seul impôt sur les sociétés.

L'évolution de la relation entrel'administration fiscale et le contribuablecontient également une dimensionculturelle. Elle fut permise par la capacitéde certains États à mettre en place unerelation basée sur la confiance avec lecontribuable. Cela a impliqué pour cesÉtats de sortir d'une approcheantagoniste vis-à-vis du contribuable(adversarial approach) et donc deconsidérer le contribuable comme unclient (client approach) plutôt que commeun adversaire 8.

Sur ces bases, on assiste au passage, à lafin des années 2000, dans plusieurs États(Australie, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas,Royaume- Uni, etc.), à la constructiond'une relation « horizontale » avec lecontribuable, fondée sur la coopérationvolontaire (coopérative compliance). Cemodèle repose sur la transparence et lacommunication d'un grand nombred'informations sur sa situation fiscale par

le contribuable. Il suppose uneconfiance mutuelle entre le contribuableet l'administration fiscale, confiance quin'est pas absolue puisque les mécanismespropres à la relation verticale (contrôledes déclarations, vérification decomptabilité) subsistent. La coopérationvolontaire permet à l'administrationfiscale de mieux gérer ses ressources etfournit au contribuable une plus grandesécurité juridique par rapport à sasituation fiscale et à ses transactions.

4 - La tendance vers une plusgrande coopération entre administrationsfiscales et contribuables s'est développéedans les années 2000 dans plusieurs Étatsqui ont, sans aucune concertation, poséles bases d'une gouvernance fiscaleaujourd'hui omniprésente. A noter queces modèles connurent des évolutionsrécentes conformes aux grandestendances synthétisées par les travaux del'OCDE qui feront l'objet dedéveloppements ci-dessous. Nousétudions ci-après la naissance de troismodèles distincts de coopérationvolontaire.

A. - Australie

5 - Comme dans beaucoup d'États,le modèle australien a débuté avec unprogramme pilote lancé en 2006 et gérépar l'administration fiscale australienneimpliquant un certain nombre decontribuables ciblés provenant dedifférents secteurs d'activité, dont larelation avec l'administration fiscale a étédéfinie en amont selon deux principes :

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- le contribuable doit avoir un solideprocessus de gestion interne des risques ;

- le contribuable doit dévoiler en amontet de façon continue son exposition auxrisques fiscaux.

En échange, l’administration fiscale opèreun contrôle continu des risques ducontribuable basé sur un dialogueconstant avec le contribuable. Une revueannuelle permet de définir le plan d'actionpour le futur. Ce système aboutit à unecatégorisation des contribuables selonleur degré de risque. Les contribuablesprésentant un faible risque sont peucontrôlés. Les contribuables présentantun risque élevé font l'objet de contrôlesréguliers.

L'administration fiscale australienne aprogressivement perfectionné sonsystème de coopération volontaire. Il restetoutefois fondé sur un principe d'auto-évaluation (self-assessment) ducontribuable supervisé par!'administration fiscale.

B. - Pays-Bas

6 - Le modèle néerlandais a étéintroduit en 2005 sous la forme d'unesupervision horizontale (horizontalmonitoring). Ce modèle repose sur lavolonté du contribuable de travailler enétroite coopération avec l'administrationfiscale néerlandaise et sur la mise en placeen interne d'un cadre de gouvernancefiscale (le terme tax contrai Framework,que l'on retrouve par la suite dans Jecadre des travaux de l'OCDE, est d'ailleursapparu dans le vocabulaire néerlandaisdès

2006).

Une fois la situation du contribuableanalysée et la solidité de son cadre degouvernance vérifiée, l'administrationfiscale néerlandaise signe un accord avecJe contribuable. Cet accord, qui n'a pas devaleur juridique obligatoire, fixe larelation entre l'administration fiscale etle contribuable. Ce dernier se voitattribuer un interlocuteur dédié au seinde l'administration fiscale. Cela permetau contribuable de connaître sonexposition aux risques fiscaux en tempsréel et en continu.

C. - Grande-Bretagne

7 -La coopération volontaire enGrande-Bretagne prend une formecomposite. Elle est constituée de plusieurséléments, qui pris ensemble, traduisentun modèle de relation particulier avecle contribuable :

-assignation, au sein de!' administrationfiscale britannique, d'un gestionnaire dela relation client avec certains groscontribuables( Customer RelationshipManager ) ;

- programme pour les entreprisesprésentant un risque élevé (High RiskCorporate Programme) ayant pourobjectifs de résoudre les litiges desgrandes entreprises en matière defiscalité, de réduire les risques pour lefutur et d'améliorer la relation entre!'administration fiscale britannique et lesgrandes entreprises ;

- loi relative au Senior Accounting Officer(SAO) : introduite en 2009, la loi SAO

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prévoit la responsabilité personnelle d'unindividu désigné à cet effet dans!'entreprise, qui doit certifier que lesprocessus en place sont adéquats pourla déclaration des impôts dus parl'entreprise.

D. - Bilan

8 - Les approches de lacoopération volontaire décrites ci-dessusont été choisies à dessein pour leursdifférences. Elles présentent toutefoiscertains traits communs qui forment lescomposantes de la coopérationvolontaire.

Dans la plupart des cas, la coopérationvolontaire élaborée dans ces pays ne sefonde pas sur un cadre légal strict. Ellerepose sur un accord avec le contribuableou sur des lignes directrices ouorientations générales fournies parl'administration fiscale. Elle procèdeavant tout d'une relation basée sur laconfiance et la transparence entre lecontribuable et l'administration fiscale. Ils'agit aussi d'une relation réciproque, d'uncôté, le contribuable met « cartes surtable » en fournissant un nombreimportant d'informations sur sesopérations, de l'autre côté,l'administration fiscale accepte d'évaluerouvertement la situation du contribuableet de réduire ses contrôles fiscaux si lecontribuable ne présente pas de risqueparticulier.

L'OCDE a capitalisé sur cette évolution, ens'inspirant plus particulièrement dumodèle australien et du modèlenéerlandais. En formalisant la notion decoopération volontaire, l'OCDE a donné

corps à la gouvernance fiscale telle qu'elleexiste aujourd'hui. De nombreux États ontdepuis repris tout ou partie de ceséléments de gouvernance fiscale.

3. L'OCDE et la structuration dela gouvernance fiscale

9 - L'OCDE a progressivementdéfini et formalisé la notion degouvernance fiscale en s'inspirant descadres développés en matière decoopération volontaire dans certainsÉtats, notamment!' Australie et les Pays-Bas.

Dès 2008, dans un rapport sur le rôle desintermédiaires en fiscalité, l'OCDE aaffirmé la nécessité de fonder la relationentre l'administration fiscale et lecontribuable sur la coopération et laconfiance. La formule « relation améliorée« (enhanced relation ship) fait sonapparition. En 2013, la France a ainsi misen place un modèle baptisé «relation deconfiance» entre la DGFiP et une poignéed'entreprises volontaires visant àaccompagner en amont ces entreprisesdans leurs processus déclaratifs. Cetteinitiative, qui devait constituer un« contrat entre [ces] deux parties »(l'entreprise devant « travailler à livresouverts » pour en contrepartie obtenirrapidement une prise de position del’Administration qui puisse véritablementla sécuriser durablement) n'a pasrencontré le succès escompté. La Francedoit donc encore trouver le modèleapproprié de relation entre I'administration fiscale et ses grandesentreprises.

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10 - En 2013, dans un rapportbasé sur des enquêtes auprès de 21 paysmembres du bureau de l'OCDE et desconsultations avec les acteurs dumarché, l'OCDE remplace la formuleenhanced relation ship par le termecoopérative compliance et précise sonapproche de la coopération volontaire.Celle-ci reprend la démarche fondée sur latransparence et la communicationd'informations par le contribuable,démarche que sous-tend un cadre degouvernance fiscale (Tax ContraiFramework) dont les six composantes ontété définies par l'OCDE dans unepublication de mai 2016. Ces sixcomposantes sont les suivantes :

- le cadre de gouvernance fiscale passed'abord par une stratégie fiscaleclairement définie et documentée établiesous la responsabilité des organesexécutifs ;

- ce cadre doit être appliqué dans tous lesaspects de la vie de l'entreprise, ce quicomprend la gestion opérationnellequotidienne ;

-les responsabilités au sein de l’entreprisedoivent être clairement réparties et laresponsabilité du département fiscalreconnue et soute- nue par des moyensappropriés ;

- un système de règles et de suivi doit êtremis en place pour garantir le respect desnormes fiscales existantes etl'identification des risques de non-conformité ; ce processus doit êtredocumenté de façon complète etadéquate, et des ressources doivent yêtre attribuées ;

- le respect des normes et procéduresdoit être vérifié et contrôlérégulièrement ;

- enfin, l'assurance doit être donnée auxparties prenantes, y comprisl'administration fiscale, que les contrôlesinstaurés couvrent efficacement lesrisques fiscaux.

11- L'OCDE a fait aujourd'hui dela gouvernance fiscale un de ses thèmesmajeurs. Ainsi, dans le rapport OCDE/FMI du 1er mars 2017 sur la sécuritéfiscale, l'accent a été mis sur lesprogrammes de coopération volontairecomme vecteurs de sécurité juridiquepour les acteurs économiques.

Le projet BEPS, qui engendre une plusgrande transparence et une meilleurecoordination entre administrationsfiscales, complexifie égalementl'environnement fiscal des entreprisesmultinationales. Il rend ainsi plus quejamais nécessaire, selon l'OCDE, l'adoptionde cadres de gouvernance fiscale parles administrations et les contribuables.

De nombreux États introduisentaujourd'hui des éléments de gouvernancefiscale dans leur législation.

4. L'introduction croissanted'éléments de gouvernancefiscale dans les États

12- L'Australie, pays pionnier dansla mise en place d'une coopé- rationvolontaire entre l'administration fiscaleet le contribuable, a mis à jour ses lignesdirectrices en janvier 2017. Ces lignesdirectrices posent des principes clairs deresponsabilité et de gestion du risque au

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niveau des organes de direction et auniveau des organes opérationnels telsque la mise en place d'un cadre degouvernance fiscale, la répartitionprécise des rôles et fonctions,l'identification des opérationssignificatives, etc. Le modèle australien,dont s'est inspiré l'OCDE, reprendlargement les principes posés parl'OCDE dans son rapport de mai 2016.

13 - Le Royaume-Uni arécemment introduit une obligation pourles entités situées au Royaume-Uni dont lechiffre d'affaires est supé- rieur à 200millions de livres sterlings ou dont l’actifbrut est supérieur à 2 milliards de livressterlings de publier chaque année leurstratégie fiscale. En présence de groupesde sociétés, ces seuils s'appliquent auniveau du groupe. En outre, les sociétésqui rentrent dans le champ des obligationsen matière de déclarations pays par pays,c'est-à-dire les sociétés dont le chiffred'affaires global est supérieur à 750millions d'euros, sont visées par cetteobligation de publication. Les filiales ouétablissements stables britanniques desociétés étrangères sont égalementconcernées.

La première publication aura lieu en 2017pour les exercices ouverts à compter du15 septembre 2016. Si les pénalitésapplicables en cas de manquement àl'obligation de publication sont assez peusignificatives 19, la portée du dispositifn'est pas seulement symbolique. En effet,le défaut de publication ou la négligencedans la définition de sa stratégie nemanquera pas d'attirer l'attention de

l'administration fiscale britannique etpourrait déboucher sur un contrôle.

14 -L'Allemagne poursuitégalement de tels objectifs, par le biais dela mise en place d'un Tax ComplianceManagement System. Ce cadre degouvernance fiscale fait écho à la volontédu ministre allemand des Finances, et fitl'objet de recommandations en relationavec la conformité fiscale de la part ducomité des experts comptables 20. L'idéesous-jacente est de vérifier au sein desorganisations si la prise en compte de lafiscalité est cohérente à un niveau global,ceci afin de permettre ou non d'écarterdes présomptions de responsabilitépesant sur les représentants légaux

15 - L'Espagne a égalementadopté en 2015 des éléments degouvernance fiscale, plus spécifiquementen matière de responsabilité au sein dessociétés cotées. La législation espagnoleprévoit désormais que le Conseild'administration des sociétés cotées doitnécessaire- ment définir la stratégie fiscaleainsi que la politique de contrôle et degestion des risques, y compris fiscaux, dela société. De son côté, la Commission desrisques doit superviser l'efficacité ducontrôle in- terne de la société et dessystèmes de gestion des risques, y comprisles risques fiscaux.

16- L'ltalie a introduit récemmentun régime de coopération volontaireglobal, impliquant notammentl'instauration d'un cadre de gouvernancefiscale ainsi qu'une relation detransparence et de confiance avecl'administration fiscale italienne. Ce

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régime a toutefois une portée limitée,dans la mesure où il ne concerne que lestrès gros contribuables résidents ou non-résidents -dont le chiffre d'affaires estsupérieur à 10 milliards d'euros (1milliard d'euros si les sociétés ontparticipé au programme pilote de 2013).

Contrairement à ce que l'on pourraitpenser intuitivement, et l'exemplefrançais de la « relation de confiance»n'est pas vraiment représentatif à cetégard, les entreprises multinationalessont séduites par le modèle decoopération volontaire, du moins lorsqu'ilest insti- tué dans sa globalité. Ce modèleleur confère en effet une plus grandesécurité par rapport à leur situationfiscale et à leurs opérations et donc, infine, leur permet de réduire leurs coûts etde mieux gérer leur risque réputationnel.

En tout état de cause, la gouvernancefiscale devient, en raison de sonexpansion, un enjeu incontournable pourl'ensemble des entre- prisesmultinationales, y compris Françaises, enraison de la nécessité de se conformer auxcadres locaux existant dans leursdifférents pays d'implantation.

Conclusion

17 - La généralisation du modèlede coopération volontaire peut amener àpenser que la France adoptera à court ouà moyen terme tout ou partie desaspects de gouvernance fiscale proposéspar l'OCDE. Les initiatives prises dans lesdifférents pays montrent que laresponsabilité individuelle des dirigeantsest un point de sensibilisation très fortdans la mise en place d'un tel système. De

même, les obligations de divulgationd'informations sont un relais efficace quientretient la proactivité des contribuables.

La mise en place d'un cadre degouvernance fiscale présente une certainecomplexité en ce qu'il conduit à exigerdes acteurs économiques une maîtrise desprocessus, qu'ils soient humains, informa-tiques ou techniques. Il constituetoutefois un outil permettant un degré delecture et de sécurité incomparable pourles contribuables et les administrationsfiscales. Reste à savoir si !'administrationfiscale française se saisira de cetteopportunité pour mettre en place desstandards de gouvernance normaliséspermettant de faire face auxproblématiques internationales et auxdéfis de l'ère numérique.

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TRESOR PUBLIC

Comment imposer l'activité des particuliers sur internet ?

Olivier SIVIEUDE : Ancien chef du service du contrôle fiscal à la DGFIPGestion Finances Publiques/ Numéro 3- Mai-Juin 2017

Un grand nombre de particuliers vendent desbiens ou proposent des services via internet. Ils’agit de ventes de biens usagés et parfois debiens neufs ou de services de toutes sortes :locations de logements, transports depersonnes, fournitures de repas, coursparticuliers, travaux de bricolage ou dejardinage, baby-sitting, etc.Ces activités s'exercent le plus souvent parl'intermédiaire de sites spécialisés quipermettent aux particuliers de trouver desclients.C'est aujourd'hui, pour beaucoup depersonnes, une source substantielle derevenus. C'est par ailleurs une activitésalutaire sur le plan économique. Les sitesspécialisés créent des emplois. L'offre deservices des particuliers via internet complètel'offre de services des professionnels et peutlui faire une saine concurrence. Ainsi, parexemple, le développement des locations delogements meublés contribue-t-ilfavorablement au tourisme. L'apparition d'unmode de transport alternatif aux taxis pousseà l'amélioration du service. D'une façongénérale cette nouvelle économie crée unealternative au commerce traditionnel qui estfavorable au consommateur.Mais, encore faut-il que cette concurrence soitloyale. Qu'elle ne s'affranchisse pas des règles.En particulier que cette nouvelle activité soitfiscalisée comme le sont les activitéstraditionnelles. Ce point est fondamental. " Ils'agit d'éviter des pertes de recettes fiscalespour l'État mais aussi de ne pas mettre à malde façon déloyale le commerce traditionnel et

de ne pas pousser certains de ses opérateurs àfrauder ou à refuser l'impôt.Mais, faire en sorte que cette nouvelle activitésoit effectivement fiscalisée est plus facile àdire qu'à faire pour les raisons suivantes:La multiplicité des opérateurs: les sites d'e-commerce sont très nombreux et il s'en créesans cesse de nouveaux. Le nombre departiculiers qui utilisent ces sites pour vendreou offrir des services est considérable. Lerepérage d'une activité rémunérée exercée viainternet n'est donc pas aisé d'autant quecertains sites sont établis au-delà de nosfrontières et que les particuliers peuventutiliser plusieurs sites à la fois où dissimulerleur identité.La diversité des opérateurs: pour certainsparticuliers l'activité exercée via internetconstitue leur seule source de revenu. Pourd'autres il s'agit d'une activité d'appoint.Certains s'inscrivent même dans une logiquede troc ou d'échanges de services sanschercher à réaliser un gain financier. Le terme« d'économie collaborative » est d'ailleurssouvent utilisé pour désigner les activitésréalisées par les particuliers via internet. Mais,il recouvre des situations très diverses. Entreceux qui exercent une activité professionnelleparfaitement lucrative, et c'est leur droit, etceux qui de façon ponctuelle rendent unservice en demandant une simpleparticipation aux frais, l'écart est grand.Définir un régime fiscal pour cet ensemblehétéroclite n'est donc pas chose facile.Les caractéristiques des opérateurs: il s'agit departiculiers qui pour la plupart ne bénéficient

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pas d'un expert-comptable ou d'un conseillercomme c'est le cas pour une activitéprofessionnelle traditionnelle. Ils doiventchercher eux-mêmes l'information sur lerégime fiscal qui leur est applicable etprocéder eux-mêmes aux démarchesdéclaratives nécessaires. Il faut donc prévoirun mode d'information adapté et un dispositifdéclaratif non complexe si on veut que lafiscalité applicable soit réellement appliquée!Le défi est donc de taille et les enjeuxsubstantiels. Mais plusieurs mesures ont étéprises ces deux dernières années pourprogresser sur ce sujet majeur. Ellespermettent aujourd'hui d'apporter desréponses aux deux questions principales qui seposent: les règles fiscales sont-elles adaptéeset accessibles et le contrôle de leur bonneapplication est-il possible?1. Les règles fiscales applicables sont-ellesadaptées et accessibles ?

1.1. La question des modalitésd'imposition et de déclarationLe dispositif idéal serait le suivant: un régimefiscal qui ne crée pas de concurrence déloyalevis-à-vis des entreprises traditionnelles maisqui ne décourage pas les initiatives et nepousse pas les opérateurs à ne pas déclarerles gains réalisés.Dans cet esprit, la Commission des finances duSénat, dans un rapport du 17 septembre 2015,intitulé « proposition pour une fiscalité simple,juste et efficace », a proposé d'instituer unefranchise unique de 5 000 € par an pourl'ensemble de l'économie collaborative. Lesrevenus inférieurs à 5 000 € par an ne seraientpas imposables. Les revenus supérieurs à ceseuil seraient imposés dans les conditions dedroit de commun au-delà de ce seuil.Mais cette proposition n'a pas été retenuenotamment parce qu'elle pose un problèmede rupture d'égalité devant l'impôt. Commentjustifier que la même activité soit exonérée sielle est exercée via internet ou taxée si elle esteffectuée selon un mode traditionnel?

Elle posait également un problème d'équité.Comment expliquer qu'une activité exercéevia internet ne soit pas imposable jusqu'à5000 € de revenus alors que tous les autresrevenus accessoires perçus par les particuliers(honoraires, commissions, droits d'auteur,courtages, loyers, activités commercialesannexes, etc.) sont imposables au premiereuro?Les revenus réalisés par des particuliers viainternet sont donc, en application de l'article12 du code général des impôts, imposablesselon les règles de droit commun. Cela signifiequ'ils sont en principe imposables dès lepremier euro. Cette solution qui consiste à nepas traiter les revenus perçus via internetselon un mode plus favorable que les autresformes de revenus est celle qui a été retenuedans quasiment tous les États comparables aunôtre.Pour autant quelques dispositions empreintesde pragmatisme, préexistantes ou nouvelles,permettent d'exonérer certaines activitésoccasionnelles réalisées par internet. Demême, on va voir que les contraintes quipèsent sur les personnes qui réalisent desactivités de faible montant sont assez légères,les obligations déclaratives déjà applicablesdans notre système fiscal étant trèssimplifiées.En principe, les revenus retirés d'une vente oud'un service effectué par un particulier, mêmeà titre occasionnel, sont imposables aupremier euro. Toutefois quelques mesures quis'appliquent aux opérations réalisées parinternet ou non, permettent d'atténuer danscertains cas ce principe:

• Les locations saisonnièresd'une ou plusieurs pièces de sa résidenceprincipale qui n'excèdent pas 760 € par ansont exonérées (CGI, article 35 bis). Rien n'estalors à déclarer.

• Les ventes de biens utilisésprécédemment pour un usage personnel(poussettes, disques, téléviseur, etc.) ne sontpas imposables si elles ne dépassent pas 5 000

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€ (montant qui peut être dépassé pourl'électroménager, les meubles et lesautomobiles). Les ventes de métaux précieuxet d'objets d'art, sauf pour ces derniers si ellesne dépassent pas 5000 €, sont soumises quantà elles à la taxe forfaitaire sur les objetsprécieux.

• Certains services rendus avecun partage des frais peuvent être exonérés. Eneffet, le 30 août 2016, l'administration fiscalea publié au BOFIP une instruction qui permetd'exonérer les revenus tirés du partage defrais dans le cadre du covoiturage, des sortiesde plaisance en mer et de l'organisation derepas (ou « Co-cooking ») qu'ils soientréalisées ou non par l'intermédiaire de plates-formes internet.Pour les sorties de plaisance en mer avecd'autres particuliers, il faut que la sommedemandée à chaque participant corresponde àune participation aux seuls frais directementoccasionnés par l'expédition (carburant,nourriture, amarrage, etc.).Pour le « Co-cooking », les revenus sontexonérés s'ils correspondent à l'organisationd'un repas par un particulier dont il partageles seuls frais de nourriture et de boissons àl'exclusion de toute autre rémunération.Quant au covoiturage, les sommes perçuesn'ont pas à être déclarées si chacune des troisconditions suivantes sont remplies (le BOFIPdonne un exemple chiffré très pédagogique) :- je pratique le covoiturage dans le cadre d'undéplacement que j'effectue pour mon proprecompte; -le tarif complet n'excède pas lebarème kilométrique. Il est divisé par lenombre de voyageurs; - je garde à ma chargeune quote-part de frais de carburant et depéage occasionnés par ce déplacement.Hormis dans les cas exposés ci-dessus, lesrevenus perçus à raison d'activités effectuéesvia internet doivent être intégralementdéclarés.Le régime déclaratif des personnes physiques

qui exercent une activité individuelle

n'excédant pas une certaine limite de revenusest de fait très allégé.Ces personnes peuvent en effet bénéficier durégime dit « micro BIC» ou du régime dit «micro BNC » qui sont bien adaptés auxactivités occasionnelles.Le régime du micro BIC est défini par l'article50-0,1 du CG! Pour en bénéficier il faut que lesrecettes annuelles soient inférieures à 82200 €pour les ventes ou à 329000 € pour lesprestations de services à caractèrecommercial (transport de passagers, locationsmeublées, locations de matériels, travaux dejardinage, de bricolage, coiffure à domicile,garde d'animaux, etc.). Dans les deux cas leparticulier n'a pas de TVA à payer et il portedirectement ses recettes sur la déclarationcomplémentaire d'impôt sur le revenu n° 2042C pro. Pour les ventes, le particulier estimposable sur à l'impôt sur le revenu après unabattement pour frais automatique de 71 % etpour les prestations de services après unabattement automatique de 50 %. Cesabattements ne peuvent être inférieurs à 305€. Si les recettes sont inférieures à 305 €aucun impôt n'est donc dû.Quant au micro BNC défini à l'article 102 ter, 1du CGI, il s'applique aux services noncommerciaux c'est-à-dire aux servicesconsistant en l'exercice d'une science ou d'unart (soutien scolaire, coaching sportif, cours deguitare, etc.), Pour en bénéficier, il faut queles recettes annuelles soient inférieures à32900 €. Le particulier n'a alors pas de TVA àpayer et il porte ses recettes sur la déclarationcomplémentaire d'impôt sur le revenu n° 2042C pro. Il est imposable à l'impôt sur le revenuaprès un abattement pour frais automatiquede 34 % avec un minimum de 305 €.Au-delà de ces limites, les particuliers sontimposables obligatoirement selon le régimedit du « réel ». Ils doivent alors souscrire unedéclaration professionnelle n° 2031-S-S0 etindiquer le montant de leurs recettes. Ilspeuvent alors déduire le montant de leurscharges pour leur montant exact. Ils doivent

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aussi déclarer et payer la TVA sur un imprimén° 3517-S-S0. Il faut donc facturer la TVA maison peut déduire la TVA payée sur les achats etles frais.Enfin, l'opérateur qui a des revenus inférieursaux limites des régimes micro peut opter pourle régime du réel. Cette option peut êtreintéressante lorsque des dépenses élevées ontété réalisées. Le « réel» permet en effet leurdéduction. Mais attention car on peut passerdu micro au réel mais l'inverse n'est paspossible.Ce dispositif est très pragmatique puisque lesrègles fiscales s'appliquent sans qu'il soitnécessaire de distinguer si l'activité estexercée à titre professionnel ou non. Seul leniveau des recettes réalisées influe sur lerégime d'imposition.

1.2. La question de l'information despersonnes concernéesUn dossier très clair décrivant les obligationsfiscales et sociales des « revenus tirés desplateformes en ligne ou d'activités nonsalariées : Que faut-il déclarer? Comment? » aété mis en ligne le 2 février 2017 sur le site dela DGFIP www.impôts.gouv.fr et sur le site dela sécurité sociale www.securite-sociale.fr.En outre, pour les utilisateurs de plateformesen ligne, la loi a prévu à leur intention undispositif d'information quasi systématique.Ce dispositif original est fixé par l'article 242bis du CGI.Ainsi, les plateformes de mises en relation parvoie électronique, même si elles sont situées àl'étranger, ont désormais deux obligations:Elles doivent à chaque transaction réalisée enFrance indiquer les liens hypertexte vers lessites de l'administration fiscale et lesorganismes sociaux.Elles doivent adresser chaque année à leursutilisateurs un document récapitulant lemontant brut des transactions dont elles ontconnaissance et qu'ils ont perçu par leurintermédiaire au cours de l'année précédente.Ce document doit être adressé en janvier de

chaque année sauf pour 2017 pour laquelle ledélai est fixé au 31 mars.Un nouveau rapport du Sénat

Un groupe de travail de la Commission desfinances du Sénat a présenté le 29 mars 2017son rapport intitulé « La fiscalité del'économie collaborative : un besoin desimplicité, d'unité et d'équité ». Il proposenotamment un régime unique fiscal et social,une exonération générale au-dessous de 3 000€ de revenus et une déclaration automatique.Le respect de ces obligations doit faire l'objetchaque année avant le 15 mars d'un certificatdélivré par un commissaire aux comptes ou uncabinet d'audit ou toute entité respectant uneméthode d'audit assurant un examenimpartial et exhaustif. Pour 2017 le délai estfixé au 15 mai. Le défaut de production ducertificat est sanctionné par une amende de10000:Avec ce dispositif les opérateurs ne pourrontpas prétendre qu'ils n'avaient pasconnaissance de leurs obligations fiscales etsociales.2. Le contrôle de la bonne application de cesrègles est-il possible ?L’activité réalisée par des particuliers viainternet pose un problème nouveau enmatière de contrôle fiscal compte tenu de sescaractéristiques : un très grand nombred'opérateurs qui perçoivent majoritairementdes revenus peu élevés avec un système demise en relation avec le client «dématérialisé» beaucoup plus difficile àrepérer que le commerce traditionnel.Avec les méthodes classiques de contrôle, ilfaudrait que des agents de la DGFIP recensent,en scrutant les écrans d'ordinateurs, lesopérations réalisées sur internet, qu'ilsvérifient si les revenus perçus par lesopérateurs ont été déclarés et dans lanégative qu'ils procèdent à des rectifications.Ce serait un travail de fourmi totalementdisproportionné par rapport aux enjeux.Fort de ce constat, la Commission des financesdu Sénat a proposé, dans un rapport du 17

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septembre 2015, un dispositif de TVA payée àla source. Concrètement lorsque l'acheteurpaie en ligne, sa banque prélèveraitautomatiquement 20 % du montant,correspondant au taux normal de la TVA.Cette TVA serait reversée automatiquementsur un compte du Trésor.L’objectif recherché est fort louable cardestiné à assurer les rentrées de TVA sansqu'un contrôle trop coûteux soit nécessaire.Mais cette solution pose de nombreusesquestions: quid des revenus situés sous leseuil de la franchise de TVA, quid desopérations non soumises au taux de 20 %,quid de l'utilisation de plusieurs sites, quid sile paiement se fait hors la vue de laplateforme, quid des droits à déduction, quiddes retours de marchandises et desremboursements, etc.En tout état de cause, cette solution dérogesur de nombreux points à la directive qui fixeles règles de TVA au plan communautaire. Ellenécessiterait donc pour être mise en œuvre,voire pour être simplement expérimentée, unaccord unanime des États.C'est pourquoi par pragmatisme, deuxmesures de nature différente ont été prisespour mettre en place un dispositif dedétection rationnel et efficace de cetteactivité et en faciliter ainsi son contrôle.

2.1. La possibilité de détecter lesopérateurs grâce à un droit decommunication non nominatifL’administration fiscale dispose depuis fortlongtemps d'un droit de communication c'est-à-dire du droit d'interroger par écrit toutepersonne pour obtenir des informations utilessur un contribuable (article L 81 et suivants dulivre des procédures fiscales). Ce droit decommunication s'exerce principalement avantun contrôle. Il permet de recueillir certainséléments en interrogeant par exemple labanque, les fournisseurs, les clients, etc.Mais ce droit de communication est nominatif,c'est-à-dire que le renseignement demandéconcerne une personne désignée dans la

demande. Il ne peut donc pas être utilisé dansles cas où l'administration souhaite obtenirdes informations qui concernent plusieurspersonnes dont elle ne connait pas l'identité.Or, s'agissant des opérateurs via internet,l'administration a besoin de connaîtrel'identité des personnes qui ont procédé à desopérations et, dans la mesure du possible, lemontant des revenus qu'elles ont perçus.Le droit de communication a donc fait l'objetd'une réforme législative majeure, entrée envigueur après un décret en Conseil d'État(décret n° 2015-1091 du 28 août 2015) et avisde la CNIL, en septembre 2015. Désormaisl'administration fiscale peut procéder à undroit de communication qui consiste àrechercher des informations concernant despersonnes non préalablement identifiées. Ilest par exemple possible de demander à unfournisseur la liste de ses clients, ou à l'inverseà un client la liste de ses fournisseurs.Ce dispositif est particulièrement bien adaptépour la recherche d'activités non déclarées viainternet. L’administration peut interroger lessites et leur demander de fournir la liste despersonnes qui ont effectué des opérations etle montant des revenus perçus. Cettedemande peut porter sur la période des 18mois antérieurs. L’information est sollicitée etobtenue sous forme dématérialisée. Le refusde répondre est sanctionné par des amendesdissuasives. À partir des listes d'opérateursainsi obtenues, l'administration peut vérifierque ceux-ci ont bien déclaré leur activité.La seule limite tient au fait que ce droit decommunication ne peut pas être exercéauprès des sociétés et donc des plateformesen ligne qui n'ont pas un établissement stableen France.Mais, il s'agit là d'un moyen de détection trèsefficace d'activités non déclarées et on peutpenser que l'administration l'utilisepleinement.

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2.2. Une étape d'ores et déjàprogrammée : le montant des revenus perçuspar chaque opérateur sera fourniautomatiquement à l'administrationL’idéal en termes d'efficacité pour uneadministration fiscale, est d'obtenir de façonautomatique les informations dont elle abesoin comme c'est le cas par exemple pourles revenus déclarés par les tiers payant et quisont ensuite portés directement sur lesdéclarations d'impôt sur le revenu descontribuables.C'est une démarche analogue qui est suiviesur le plan international avec l'échangeautomatique d'informations qui sera mis enœuvre à partir de cette année. Chaque Étatsignataire fournira aux autres de façonautomatique les informations utiles sur lescomptes bancaires et les comptesd'assurance-vie détenus par les ressortissantsdes États tiers.Dans cette logique, l'article 24 de la loi definances rectificative pour 2016 a institué uneobligation déclarative à la charge desplateformes en ligne situées en France ou àl'étranger. Elles devront chaque annéeadresser à l'administration de façonautomatique le montant du revenu brut perçupar chaque personne utilisatrice de laplateforme et la catégorie à laquelle serattache ces revenus.Cette déclaration vise à permettre àl'administration fiscale d'alimenter ladéclaration pré remplie des contribuables et àcalculer l'impôt dû en fonction des règlesapplicables à chaque catégorie de revenu.Mais, pour laisser le temps nécessaire à lamise en place de ce dispositif qui sera précisépar décret, il ne s'appliquera qu'aux revenusperçus à compter du 1er janvier 2019.La participation des plateformes a égalementété sollicitée pour la collecte de la taxe deséjour. La loi de finances pour 2015 a ainsiouvert la possibilité de confier la collecte de lataxe de séjour, au profit des communes, aux

plateformes de réservation par internet pourle compte des propriétaires.L’activité déployée par les particuliers viainternet ne doit pas être une zone de nondroit. " était donc notamment nécessaire depréciser les règles fiscales applicables et deveiller à ce qu'elles soient pragmatiques,justes et non créatrices de distorsions deconcurrence. Il était également indispensablede donner à l'administration fiscale lesmoyens de vérifier que ces règles sontrespectées sans que les moyens à mettre enœuvre pour cela soient disproportionnés auregard des enjeux. Aujourd'hui, il semble queces objectifs soient atteints.

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Commande publique et technologie blockchain : un avenir,mais quel avenir ?

Julien MORNOUX avocat à la Cour, Simmons & Simmons LLPRevue du Gestionnaire Public n° 3/ août 2017

Le droit public et, plusparticulièrement, le droit de lacommande publique, serait-il techno etdigitalo-compatible ? Tel semble être leconstat résultant des réformes récentesdu droit public, par la loi Lemaire oupar les ordonnances relatives auxmarchés publics et aux contrats deconcession. Les nouveautés apportées àces matières juridiques témoignentde leur mutabilité et de leur adaptabilitéaux évolutions de la société, enparticulier dans les domaines de latechnologie et du digital, que l'avènementde la technologie blockchain pourraitbouleverser.

Comme souvent dans ces domaines,leurs évolutions s'accompagnent desigles et expressions issus del'anglais, n'en déplaise aux défenseursdes clauses dites « Molière », enattendant une traductionsatisfaisante. Pour les besoins de laprésente étude, nous évoquerons ainsila « blockchain », les « smart contracts», le « building information modeling »,siglé « BIM » et traduit par « bâtimentet informations modélisés » ou encorel'« open-data».

La blockchain (Littéralement, «chaîne deblocs», les blocs étant constitués dedonnées et d'opérations encryptées),est née avec le Bitcoin, crypte-monnaiequi s'est développée depuis 2009 surInternet. Définie en des termesgénéraux, elle « est une technologie destockage et de transmissiond’informations, transparente, sécurisée,et fonctionnant sans organe central decontrôle ». Il s'agit d'un grand registrenumérique sur lequel sont inscritestoutes les opérations (transactions)entre les personnes d’un même réseau.C'est une technologie sans autorité decontrôle, sans tiers de confiance,permettant de faciliter une transaction,tout comme l'internet avait facilité lacirculation de l'information.

Les smart contracts (littéralement, «contrats intelligents »), constituent l’undes éléments liés à l'utilisation d’uneblockchain.

Ce sont des programmesinformatiques qui s'exécutentautomatiquement selon un mécanisme« si ». Puis alors : « si » leprogramme constate la réalisationd'une condition préprogrammée, « alors

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» il exécute les termes du contrat (ex.paiement, transfert de propriété, etc.).

Ainsi définie, une blockchain peutavoir deux utilisations pratiquesprincipales :

- un rôle passif, pour conserver uneinformation et en assurer le suivi dansle temps ;

- un rôle actif, pour, notamment,réaliser une transaction (financière ounon) ou permettre à plusieurs tiersd'accéder à la blockchain et de lamodifier, tout en garantissant uneinformation précise, continue etauthentique des autres utilisateurs de lamême blockchain.

Les principaux intérêts de la blockchainsont :

• qu'elle peut améliorer la prestationde services. L’automatisation,l'immutabilité (des blocs de donnéescomposant la blockchain) et les rapportsen temps quasi-réel autorisés par lessmart contracts permettent de réduiredrastiquement les processus gérésmanuellement, en particulier dans lesdomaines où une preuve d'identificationest requise;

• qu’elle est entièrement transparente,avec des données qui peuvent êtreconsultées par un accès autorisé ou sansautorisation (selon la définition desdroits d'accès, qui peut être adaptéecomme on le verra ci-après et conduire àdistinguer blockchain publique ou privée).Cette transparence, doublée d’une facilitéd’accès (une connexion à internet suffit)permet une vision holistique des données

et de l'information concentrées sur uneblockchain.

Si l'on identifie sans peine ce queces caractéristiques pourraient apporteraux transactions financières ouimmobilières, bien que les défisjuridiques soient encore nombreux", ilne faut pas occulter l'intérêt qu'ellesreprésentent pour l'action des personnespubliques où, précisément, l'accès auxdonnées, la transparence et l'efficiencesont au centre des préoccupations.

Sur la base de ce constat, le Royaume-Uni a récemment attribué à la Société« CREDITS » un accord-cadre pour mettreen place sur la plateforme digitaleofficielle du Gouvernement britannique(«Digital/ MarketPlace» ), un servicedédié exclusivement au secteur public etreposant sur la technologie Platform-as-a-Service (PaaS) basée sur la blockchain. Ilpermet aux organismes du secteur publicde rechercher et d'acheter des servicesdigitaux (logiciels, solutions de stockageen ligne, etc.) sur la Digita/MarketPlace.En France, la blockchain pourraitégalement trouver un terrain privilégiéd'application dans un contexte fort dedématérialisation et de transparence desdonnées relatives aux contrats decommande publique et d'utilisationaccrue des procédés digitaux dans lesmarchés publics avec, en particulier, leBIM et l'approche collaborative qu'ilpermet .

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1. Blockchain, open data, donnéesd'intérêt général et données essentiellesdes marchés publics

L'ouverture au public de données, qu'ils'agisse de données «de référence» ou «d'intérêt général», liées à l'exploitationde services publics (A) ou encore desdonnées « essentielles » des marchéspublics et des concessions (B) pourraitêtre réalisée efficacement par le recours àla blockchain.

A. - Service public et donnéesd'intérêt général

Mouvement de digitalisation. - Dans uncontexte de fortes contraintes,notamment financières, la digitalisation del'action des personnes publiques s’imposeprogressivement comme une solutionmais également comme un défi.

Parmi les défis accompagnant cemouvement général de digitalisation,certains ont déjà été abordés dans cescolonnes :

•l'acquisition et le développement denouvelles compétences notammentcelles de la maîtrise et de la valorisationdes données ;

•le développement de servicesnumériques performants ;

•la protection des données à caractèrepersonnel collectées et conservées par lesadministrations.

Ainsi, la loi Lemaire du 7 octobre 2016 aouvert un terrain d'application possible dela blockchain (de données) en créant unservice public de mise à disposition des «

données de référence » et en promouvantl'ouverture des « données d'intérêtgénéral».

L'article L. 321-4 du Code des relationsentre le public et l'administration (CRPA),créé par l'article 14 de la loi Lemaire,prévoit donc la mise à disposition des «données de référence »en tant quemission de service public relevant del'État, à laquelle toutes les administrationsmentionnées à l'article L. 300-2 duCRPA7 doivent concourir.

Ces «données de références», listées àl'article R. 321-5 du Code des relationsentre le public et l'administration,constituent une référence commune pournommer ou identifier des produits, desservices, des territoires ou des personnes,elles sont réutilisées fréquemment par despersonnes publiques ou privées (le caséchéant, chargées d’une mission deservices public) autres quel'Administration qui les détient etprésentent un haut niveau de qualité(CRPA, art. L. 321-4).

En parallèle, l'ordonnance relative auxcontrats de concession a été modifiéepar l'article 17 de la loi Lemaire quiconsacre une nouvelle catégorie dedonnées publiques, dites données «d'intérêt général ». Dans l'hypothèsed’un service public délégué, leconcessionnaire doit fournir à l'autoritéconcédante les données et les bases dedonnées collectées ou produites àl'occasion de l'exploitation du servicepublic et qui sont indispensables à sonexécution.

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L'objectif de cette disposition est, commeelle le précise, de permettre à l'autoritéconcédante d' «extraire et exploiterlibrement tout ou partie de cesdonnées et bases de données,notamment en vue de leur mise àdisposition à titre gratuit à des fins deréutilisation à titre gratuit ou onéreux »,étant précisé que, compte tenu ducaractère sensible de ces données, leconcessionnaire peut être exempté parl'autorité concédante de tout ou partiedes obligations susvisées.

La collecte (par toutes les administrationsconcernées), le stockage puis laconsultation ou la mise à disposition desdonnées susvisées représente ainsi unsystème à « double entrée », basé surla confiance dans l'intégrité etl'exhaustivité des données qu'ilcontient.

Intérêt de la blockchain : En ce sens,les opérations de stockage, d'archivageet de mise à disposition ou deconsultation des données de référenceet des données d'intérêt généralpourraient sans doute être utilementenregistrées et conservées dans uneblockchain dédiée, à l'image de ce qui arécemment été annoncé à Dubaïconcernant la gestion des visas parl'Administration .

En dépit de cet intérêt évident, on nepeut que s'associer à ce constat que «si l'on voit émerger de plus en plus deprojets de numérisation des documentsadministratifs, y compris en France, raressont encore les projets qui indiquentvouloir archiver ces documents dans la

blockchain». Certes, une premièreréflexion consisterait, dans un tel projet,à trouver un intérêt limité à lablockchain car elle rejoint alors l'idéed'une base de données sécurisée,comme il en existe déjà (notamment viades solutions de stockage dans le cloud).Toutefois, la blockchain permettraitd'instaurer le dispositif à double entréedécrit ci-avant et basé sur la confiance,en lecture seule par le public et enécriture par les administrationsconcernées, le cas échéant, sous l'égided'un service spécialisé, tel que la DINSIC.

Par ailleurs, cette technologiefavoriserait la confiance du public dansl'intégrité des données stockées sur lablockchain par les administrations aumoyen du concept, décrit par LaurentLeloup, de « blockchain des données». Il«permet d'embarquer dans tout fichier, dequasiment tout format, des preuvesd'intégrité, clés publiques, signaturesnumériques, liens cryptographiques versd'autres documents ou toutes autresmétadonnées » librement accessiblespour l’utilisateur.

C'est précisément l'une destechniques d'ores et déjàdéveloppées par la start-up françaiseKeeeX, qui pourrait inspirer le secteurpublic.

Ainsi, s'agissant de « données d'intérêtgénéral » résultant de l'exploitation d'unservice public, la garantie de l'intégritéde ces données apportée par lablockchain serait, notamment pour lapersonne publique, un élément devalorisation important en cas de mise à

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disposition à des fins de réutilisation àtitre onéreux.

B. - Marchés publics, concessions etdonnées essentielles

Notion. - L'article 107 du décret du 25mars 2016 relatif aux marchés publics "prévoit qu'au plus tard le 1er octobre2018, l'acheteur offre, sur son profild'acheteur, un accès libre, direct etcomplet aux « données essentielles desmarchés publics répondant à un besoindont la valeur est égale ou supérieure à25 000 euros HT ». L'objectif est de rendreaccessibles « sous un format ouvert etlibrement réutilisable les donnéesessentielles du marché public ».

Une disposition comparable existe endroit des concessions.

Le « profil d'acheteur» est la plateformede dématérialisation permettantnotamment aux acheteurs de mettreles documents de la consultation àdisposition des opérateurs économiquespar voie électronique et deréceptionner par voie électronique lesdocuments transmis par les candidats etles soumissionnaires.

Deux arrêtés du 14 avril 2017 relatifs aux« données essentielles dans la commandepublique » et « aux fonctionnalités etexigences minimales des profilsd'acheteurs » fixent, respectivement,les formats, normes et nomenclaturesselon lesquels ces données (qu'ilslistent précisément) doivent êtrepubliées ainsi que les modalités deleur publication et les« fonctionnalités » devant être offertes

aux acheteurs et aux opérateurséconomiques par les profils d'acheteurs.

De façon tout à fait singulière, lesarrêtés précités semblent ouvrir la voieà une blockchain administrative enprévoyant, notamment, que lesfonctionnalités qu'ils définissent ne fontpas obstacle à ce que les profilsd'acheteurs en proposent d'autres, maissurtout, qu'au-dessus du seuil de 25000 € susvisé, les obligations pesantsur les collectivités peuvent êtresatisfaites par chaque collectivitéindividuellement, ou « par le moyende solutions mutualisées ». L'un de cesarrêtés prévoit en outre l'obligation pourl'acheteur de déterminer unelicence de réutilisation pour les donnéesessentielles qu'il publie.

Intérêt de la blockchain. - Dans cettehypothèse, l'utilisation de la blockchainpermettrait ainsi une alimentation «verticale» de la blockchain(schématiquement, chaque blocpourrait correspondre à un profild'acheteur) par plusieurs administrationsde niveaux différents (État, Régions,Départements, Communes etregroupements) et, corrélativement, unaccès « horizontal» et la mise à ladisposition du public des donnéesessentielles. Ce qui impliquerait sansdoute une blockchain dite« permissioned », avec une gestion desdroits (en écriture, en accès) qui permettede garantir à l'ensemble des utilisateurs:

• un accès et alimentation endonnées pour les administrations, avec lagarantie que lorsqu'une donnée est

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admise et validée sur la blockchain, ellene sera pas altérée sans que l'ensembledes utilisateurs (y compris, le caséchéant, le public mais cela sembledifficile en pratique) en soit averti;

• un accès « simple» pour le public, quipourra ainsi consulter l'ensemble desdonnées collectées et mises à dispositionpar les administrations.

2. Blockchain et digitalisationprogressive du droit des marchés publicsDans le droit des marchés publics, larévolution numérique permet dès àprésent d'envisager de « loger » desopérations, simples ou complexes, dans lablockchain. Tant le développement desprocédés digitaux, tel que le BIM (A), quela dématérialisation des marchés publics(B) sont concernés.

A. - Blockchain, BIM et travailcollaboratif dans les marchéspublics

Le BIM n’est pas une simple maquettenumérique d'un bâtiment à construire,mais bien davantage. Il implique, tout àla fois, l'utilisation de logiciels demodélisation et le partaged'informations dans un cadrecollaboratif, afin d'alimenter la maquettenumérique tout au long du cycle de viedes ouvrages, tout en portantattention à la propriétéintellectuelle et notamment au droitmoral de l'architecte.

Présentation. - À ce titre, le Groupe detravail « Droit du numérique &bâtiment », dans son rapport auPrésident du Plan de Transition

Numérique dans le Bâtiment (PTNB)et au Président du Conseil Supérieurde la Construction et de !'EfficacitéÉnergétique, a proposé les définitionssuivantes ? :

• « Une maquette numérique désigneune base de données pouvant permettrela représentation graphique de laconstruction. La maquette numérique avocation à accueillir plusieurscontributions dans le cadre de laconstruction ;

• Le BIM (Building InformationModeling) désigne à la fois un processusmétier et un logiciel d'intégration, degénération et d'exploitation de donnéespermettant de concevoir, construire etexploiter (entretien, réparation,modification) un bâtiment lors de soncycle de vie».

Intérêt de la blockchain - L'usage du BIMs’inscrit donc dans la durée. À cet égard,la conservation fidèle de la maquettenumérique et, surtout, la traçabilité desmodifications qui peuvent lui êtreapportées tout au long du processusde conception, puis sa mise en œuvreconcrète dans le cadre des opérations deconstruction, sont autant d'élémentsque l'utilisation d'une blockchainpermettrait de sécuriser sur le longterme.

Sur le plan pratique, l'un des objetsdu BIM est, par un outil logiciel unique,de limiter, voire d'éliminer les erreursde conception et de construction quegénère la multiplicité de documentstechniques et d'intervenants. Or, cetobjectif du BIM serait sans doute renforcé

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par la traçabilité des opérations réaliséesdans la blockchain, qui permettrait unerépartition très claire desresponsabilités entre le maître d'œuvreet le constructeur et, le cas échéant, unrenversement des présomptionsposées par les articles 1792 et suivantsdu Code civil concernant laresponsabilité du constructeur lié aumaître d'ouvrage par un contrat delouage d'ouvrage".

Limites pratiques. - Pour que cesapplications soient envisageables etque la mise en place d'une blockchain sejustifie, un usage important du BIM parl'ensemble des acteurs concernés estnécessaire.

À l' égard des marchés privés, la tendanceest à la généralisation de l'emploi du BIM,tant et si bien que dans le cadre duPTNB, un appel à projets a été lancéen avril 2017 pour favoriser «l’accompagnement d'entreprises dubâtiment pour l'utilisation du BIM et de lamaquette numérique sur chantier».

En droit des marchés publics, les débutsdu BIM sont plus timides mais luipromettent sans conteste un bel avenir.Ainsi, l'article 42 du décret du 25 mars2016 prévoit que « L’acheteur peut, sinécessaire, exiger l'utilisation d'outils etde dispositifs qui ne sont pascommunément disponibles, tels que desoutils de modélisation électronique desdonnées du bâtiment des outils similaires», à la condition d'offrir aux candidats«d’autres moyens d'accès si ces outils nesont pas communément disponibles,

laissant entendre que le BIM ne serait pasencore « communément disponible ».

Son utilisation dans le cadre d'unmarché public de travaux ou de maîtrised'œuvre, restreinte aux cas de nécessité,laquelle n'est pas définie par lesdispositions précitées, traduit le choix dupouvoir règlementaire pour uneutilisation progressive et non contraintedu BIM, à l'initiative des acheteurs. Onpeut penser que la généralisation durecours au BIM, notamment en dehorsdes marchés publics, devrait contribuerà un assouplissement de cette conditionde nécessité, qui s'effacerait devantl'intérêt pratique qu'il représente tantpour les acheteurs que pour lesconstructeurs et les maîtres d'œuvre(notamment : réduction des délais, outilde suivi de l'ouvrage).

Défis juridiques. - Les défis juridiques nedoivent pas être occultés. Ainsi, bien qu'ilsn'empêchent pas le recours au BIM ou àla blockchain, les CCAG et la loi « MOP »,élaborés lorsque ces outils numériquesn'existaient pas encore, apparaissent, àtout le moins, inadaptés à leurutilisation, La question d'uneautorégulation (à défaut derèglementation spécifique) de ces outilspourrait donc être posée. Dans le domainede la construction, un tel le choix, certeslibéral, signifierait que les règlesapplicables au BIM et à la blockchainseraient alors celles développées par lesutilisateurs, ce qui pourrait s'avérercontre-productif compte-tenu del'hétérogénéité des pratiques qui enrésulterait. A minima, l'idée d'unerèglementation la plus souple possible

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et à caractère expérimental, à l'imagede la technique du « bac-à-sable »règlementaire (sandbox) mise en placeau Royaume- Uni pour les Fintechs,pourrait être envisagée. Elle permettraitd’alléger la règlementation existante aucas-par-cas afin de tester de nouvellessolutions. On peut cependants'interroger sur la validité et surl'opportunité d'une telle règlementationà géométrie variable, adaptée à un paysde Common Law comme le Royaume -Uni, mais peut-être inadaptée à latradition juridique française.

La sandbox ne semble pas être l'approchede la Direction des affaires juridiques deBercy qui a déjà proposé, en 2015 dansson projet de plan national dedématérialisation des marchés publics, lamise en place d'un CCAG électroniqueunique (fusionnant les cinq CCAGactuels), comportant des modulesspécifiques pour certains types demarchés et qui tiendrait sans doutecompte des spécificités liées à l'utilisationd'outils digitaux.

B.- Smart contacts, passation etexécution des marchés publicsLes smart contracts sont des logicielspermettant de contrôler l'exécution desobligations contractuelles entre deuxpersonnes ou plus, utilisant uneblockchain. Il ne s’agit pas (encore) d'uncontrat au sens juridique du terme. Surcette base, le cadre juridique, ainsi queles limites, de l'utilisation de smartcontracts pour sécuriser le suivi desrelations contractuelles dans unmarché public pourraient êtreenvisagés, tout spécialement dans le

contexte de l'objectif de dématérialisationtotale de la passation des marchéspublics à compter du 1er octobre 2018.

Les applications possibles seraientmultiples et conduiraient à unrenforcement du lien de confiance entrel'acheteur et son cocontractant et àune diminution du risque contentieux.En revanche, ce qui bénéficierait à lasécurité juridique réduirait la souplessecontractuelle dont bénéficient enprincipe les parties. Voici quelquesillustrations de ces applications.

EXEMPLE

- L'utilisation d'un smart contract dans lecadre d'un marché public permettraitune désintermédiation dans lesprocessus d'exécution du contrat,fondée sur des termes (réalisationd'une condition telle que l'atteinte d'unniveau de commandes, récurrencetemporelle, etc.) convenus entre lesparties.

Si des délais précis sont prévus par lemarché, ce qui est généralement le cas,le smart contract les intègrerait alorsdans la blockchain. Un retard dansl’exécution de la prestation déclencheraitautomatiquement l'application despénalités de retard, le cas échéantprélevées directement sur le comptebancaire du cocontractant de!'Administration.

De même, dès l'enregistrement d'unefacture (le cas échéant, électronique) dansla blockchain, le délai de paiements'imposant à la personne publique seraitdéclenché et le paiement réalisé

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automatiquement à bonne date ou encoretout retard de paiement par la personnepublique entraînerait l'applicationautomatique effective des intérêtsmoratoires.

Dans un marché public global deperformance, dont l'exécution reposenotamment sur le respect par sontitulaire, d'objectifs chiffrés et mesurablesde performance, le déclenchement de larémunération des prestationsd'exploitation ou de maintenance pourraitainsi être automatisé dès l'atteinte desobjectifs de performance via un smartcontract. Cela permettrait de limiter trèsfortement le risque de différend entrel'acheteur et son cocontractant sur lesmodalités de mesure ou de constat del'atteinte des objectifs de performance.

Un autre terrain d'application du smartcontract serait celui de la résiliation ducontrat et du déclenchement del'indemnité correspondante .Ainsi, parexemple, dans le cadre d'un marché departenariat (mais la même approchepourrait être adoptée en matière decontrats de concession), l'article 89 del'ordonnance du 23 juillet 2016 prévoitqu'« en cas d'annulation, de résolution oude résiliation du contrat par le juge,faisant suite au recours d'un tiers, letitulaire du marché de partenariat peutprétendre à l'indemnisation desdépenses qu'il a engagéesconformément au contrat dès lorsqu'elles ont été utiles à l'acheteur » etque, dans l'hypothèse où une « clause dumarché de partenariat fixe les modalitésd'indemnisation du titulaire en casd'annulation, de résolution ou de

résiliation du contrat par le juge, elle estréputée divisible des autres stipulationsdu contrat».

Cette garantie de divisibilité de laclause indemnitaire, y compris en cas dedisparition du contrat décidée par le jugeadministratif, combinée à l'efficacitéd'utilisation permise par le smartcontract, permettrait d'assurer au titulairedu contrat, mais surtout à ses prêteurs,que la clause d'indemnisation prendraiteffet automatiquement à compter de ladécision du juge (ou ultérieurement si lejuge décide de différer la prise d'effet dela décision qu'il prononce à l'encontre ducontrat).Cette automaticité viendrait ainsiconfirmer le supplément de sécuritéjuridique apporté par cette dispositionet rendrait moins pertinente la pratiquecontractuelle des « accords autonomes» conclus en marge de contrats publicsimpliquant un financement externe.

Limites. - La principale limite du smartcontract est inhérente à l'outil. Il s'agit dufacteur humain, susceptible de conduire àune erreur de programmation. En effet,le « smart contract est écrit par undéveloppeur et exécuté par des machine(l'ensemble des nœuds de la blockchain)». Une erreur de programmation dusmart contract peut donc conduire àune exécution contractuelle non souhaitéepar les parties. Or, le principe de lablockchain est d'interdire tout retour enarrière (pas de « réversibilité"), même encas d'erreur. Cela s'est déjà produitrécemment sur la blockchain Ethereumavec une plateforme décentraliséed’investissement intitulée « The DAO ».Une clause du smart contract n'était pas

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conforme à l'objet de l'engagementsouhaité par les parties et a permis à unepersonne ayant identifié cette faille d'enprofiter en siphonnant » l'équivalent enethers de plusieurs dizaines de millions dedollars au profit d'un autre contrat dontelle avait le contrôle.

Bien entendu, l'incidence d'une erreurde ce type dans un smart contract lié àl'exécution d'un marché public seraitprobablement limitée, dans le cadre del'utilisation d'une blockchain privée (ex.gérée par l'État pour tous les marchéspassés par des personnes publiques ouprivées chargées d'une mission de servicepublic), uniquement accessible auxparties audit marché (ou à toute partieintéressée autorisée, comme parexemple les prêteurs du titulaire dumarché). De plus, contrairement àl'exemple de The DAO, le code du smartcontract ne serait pas accessible au publicmais resterait fermé.

Cet épisode pose cependant, entreautres, la question des vices duconsentement ou, plus exactement, dela mutabilité du consentement en casd'erreur dans la programmation d'unsmart contract. Ainsi, à la suite du piratagede The DAO, une forte majorité desutilisateurs de la blockchain Ethereum acréé un fork (littéralement, une« fourchette», une duplication avecmodification de la blockchain). Maisd'autres utilisateurs ont poursuivil'utilisation de la blockchain originale,arguant notamment que la création dufork remet en question l'immutabilité dela chaîne et, par suite, de l'entier systèmequi en découle.

Du point de vue juridique, leconsentement au smart contract deThe DAO, qui était celui de 100% desutilisateurs de la blockchain avant lefork, c'est-à-dire lors de la mise en placeinitiale du smart contract, s'est donctrouvé substantiellement altéré aprèscet évènement qui a révélé une formed'erreur d'une majorité d'utilisateursde la blockchain sur les qualitésessentielles de la transaction objet dusmart contract. Le code de ce dernierétant public, le caractère (in)excusablede cette erreur pourrait être débattu,selon que l'un ou l'autre utilisateur de lablockchain était (ou non) capable decomprendre ce code informatique et leserreurs qu'il comportait et était donc àmême (ou non) de le signaler.

En droit des marchés publics, une tellesituation pourrait très certainemententraîner un litige entre les parties surla validité de leur contrat ou, plusprécisément, de l'exécution erronéerésultant du smart contract, à laquelleelles n'ont pas consenti. Tout cela estprospectif, mais ce litige inter partespourrait alors se résoudre sur la base dela jurisprudence Béziers du Conseild'État et, compte tenu de ce vice duconsentement, conduire le jugeadministratif à écarter le marché pourrégler le litige sur le terrain quasi-délictuel.

Dans la blockchain, sans réversibilité,cela n'entraînera pas nécessairementla remise des parties dans l’état antérieurà l'erreur d'exécution du smartcontract, en permettant le

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remboursement de sommes indûmentversées, par exemple.

Tout l'enjeu serait alors, de lier ab initiol'exécution du smart contract à celle ducontrat fiat, qui vise le contrat au sensjuridique du terme (donc, par exemple, lemarché public lui-même), afin qu'il reflèteen transparence les obligationscontractuelles contenues dans cedernier, ce qui nécessitera « de le fairerédiger, auditer et valider par unepersonne en capacité de le faire »,notamment un professionnel du droitet un développeur travaillant de concert(dans le jargon de la blockchain, ces tiersde confiance sont alors qualifiés d'«oracles »), mais également« depermettre la réversibilité des actionsexécutées à la suite de ce contrat ».

En périphérie de l'épisode The DAO, c'estaussi la question de la répartition desresponsabilités qui se pose : celle dudéveloppeur ayant fait!' erreur deprogrammation, de l'utilisateur qui aidentifié cette erreur et l'a exploitée, desautres utilisateurs connaissant cetteerreur mais qui n'ont pas empêché sonexploitation, bien que dans le cas de TheDAO, l'identification d'un préjudice enlien de causalité avec cette erreurapparaisse difficile.

Conclusion. - Les défis « juridiques »de la technologie blockchain dans lecadre de la commande publiqueparaissent surmontables, le cadrejuridique existant n'étant pas réfractaireaux applications que permet cettetechnologie, au contraire. Bien entendu,cela n'enlève pas toute nécessité

d'adapter le droit, notamment pourassurer ]'opposabilité de la blockchain,des informations qu'elle contient et desopérations qu'elle représente, aux tiers(pour les contrats) et au public (pourles données essentielles et les donnéesd'intérêt général des marchés publics etdes concessions) ou encore s'agissantde la répartition des responsabilités.

Ainsi, blockchain et commande publiquesemblent partager un avenir commun,qui devrait amener l’ensemble desacteurs concernés (juristes,développeurs, collectivités territoriales,banques, etc.) à engager sans tarder uneréflexion d’ensemble, notamment sur lesoffres de services, communes ou non,qui pourraient être identifiées à cet égard.

Les défis pourraient davantage s'avérerde nature énergétique car la blockchainest énergivore, ou idéologique,s'agissant d'une technologie nouvelle,peu connue et/ou mal comprise parles acheteurs publics et les praticiensdu droit, qui n'en appréhendent pasencore totalement la portée et l'intérêt.

D'un point de vue prospectif, lablockchain pourrait-elle servir desupport à un mode de financementalternatif, par exemple dans les marchésde partenariats ? Dans un contexte definancements publics devenus rares,on assiste à une diversification desmodes de (re) financement (avecnotamment la montée en puissance dufinancement obligataire). Il pourrait doncêtre imaginé que les investissementsrequis au titre d'un marché departenariat soient, en partie, financés ou

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que la dette correspondante soitrefinancée, par l'émission et le transfertde titres (ex. mini-bons) dans le cadred'une blockchain. Enerfip.fr, plateformede financement participatif grandpublic spécialisée dans les projetsd'énergies renouvelables, a déjà testél'émission de mini-bons, inscrits dans lablockchain Bitcoin.

Pour l'heure, la Caisse des Dépôts etConsignations a annoncé, le 29 mai 2017,avoir conclu un partenariat avecl'association Financement ParticipatifFrance afin de mettre en place uneplateforme expérimentale blockchainpour la gestion des mini - bons dédiée àla gestion de prêts aux PME via lefinancement participatif.

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TRESOR PUBLIC

La refonte du Code des juridictions financières

DENIS LARRIBAU, procureur financier CRC Auvergne, Rhône-AlpesMARC LARUE, procureur financier CRC PACARevue du Gestionnaire Public N° 3 / AOUT 2017

De nombreuses nouveautés et précisionssont introduites. Elles concernent bienentendu l’exercice même descompétences des juridictions financières,notamment en matière de contrôle descomptes et de la gestion, d'une part, et dejugement des comptes, d'autre part, maisaussi d'autres dispositions qui ont traitplus spécifiquement au contrôle desdélégations de services publics, au droit decommunication, au rôle des formationscommunes à plusieurs juridictionsfinancières, aux auditions, à l'assurancequalité des comptes publics, ou à la Courde discipline budgétaire et financière.Dans le cadre de cette habilitation, leGouvernement a adopté le 13 octobre2016 l'ordonnance n°2016-1360 modifiantla partie législative du code desjuridictions financières (JO 14 oct. 2016. -V. à ce sujet, H. Pauliat, Actualisation etclarification du Code des juridictionsfinancières : JCP A 2016, act. 8(2)). Afind'assurer un lien entre cette réformelégislative du CJF par voie d'ordonnance etcelle engagée concomitamment au niveaude sa partie réglementaire, l'article 52 del'ordonnance prévoit que ses dispositionsentreront, en vigueur le lendemain de lapublication au journal officiel de laRépublique Française du décret en Conseild'Etat relatif à la partie réglementaire duCode des juridictions financière, et au plus

tard le 1er juillet 2017. La publication dudécret n° 2017-671 du 24 avril 2017modifiant la partie réglementaire du CJF adonc eu pour conséquence l'entrée envigueur du nouveau CJF dans sonensemble.

Cette réécriture profonde du CJF a pourobjectif principal, en dehors de ses aspectsstatutaires qui ne seront pas traités ici, de« moderniser » le code des juridictionsfinancières, afin d'en supprimer lesdisposions devenues obsolètes,redondantes ou de les clarifier », commele spécifie l'habilitation législative au point3 de l'article. Elle a aussi, plusglobalement, pour but d'opérer uneclarification générale de la structure ducode et de son contenu pour le rendreplus accessible et lisible, ainsi qued'harmoniser aussi largement que possibleles dispositions concernant la Cour descomptes, d'une part, et les chambresrégionales des comptes (CRC), d'autrepart.

Dans ce cadre, certaines dispositions del'ancien CjF disparaissent complètement,d'autres, totalement nouvelles, sontcréées. Enfin, certains articles changent denumérotation, mais avec parfois, aupassage, une réécriture partielle.

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Il faudra donc à l'utilisateurhabituel du CJF un certain tempsd'adaptation malgré la plus grande facilitéd'accès du nouveau code, pour passer del'ancien au nouveau; il conviendra, à cetégard, qu'il use avec précautiond'éventuelles tables de correspondancesdifficiles à bâtir lorsqu'il s'agit d'articlesdont le numéro a changé mais qui ontaussi subi, à cette occasion, desmodifications de rédaction parfoisdifficiles à détecter.

La présente chronique a donc pour objetde donner un coup de projecteur sur unepartie des modifications et nouveautésintroduites par cette refonte du CjF, endistinguant celles qui concernentl'exercice des compétences même desjuridictions financières, en matière decontrôle des comptes et de la gestion etde jugement des comptes", d'autres, plusponctuelles, mais qui revêtent néanmoinsune portée importante.

1. Les modifications concernantl'exercice des compétences

A. - En matière de contrôle del'ordonnateur

Le code parle désormais aussi bien dansson livre 1 consacré à la Cour des comptesque dans le II dévolu au CRTC de «contrôle des comptes et de la gestion ».Cette nouvelle terminologie prend acte dela pratique de contrôles simultanés,fondés dans l'ancien code sur deux articlesdistincts. Le nouvel article L. 211-3reprend ainsi pour les CRTC, dans sesalinéas 2 et 3, les définitions de l'examende la gestion de l'ancien article L 211-8,alinéa 2 et du contrôle des comptes del'ancien article L 211-3.

Remarque

Rappelons qu'il s'agit du contrôlequi vise l'ordonnateur ou lesdirigeants d'organismes de droitprivé satellites (pour lescollectivités locales : associationssubventionnées, SEM, SPL, voire SAdiverses ou SCI, OPH et GIP àcomptabilité privée) et quidébouche dans les CRC sur desrapports d'observations définitivespublics qui sont débattus au seindes assemblées délibérantes desstructures concernées.

S'agissant de l'exercice de cettecompétence les principales nouveautésconcernent, pour ce qui est des CRC:

•l'entretien de fin de contrôle (CJF,art. L. 243-1) qui n'est plus qualifié de «préalable » formulation qui semait ledoute sur son objet réel et sa place dans laprocédure ;

•la concrétisation de la faculté déjàmise en œuvre en pratique d'émettre desrecommandations (CJF, art. L. 243-3) quise retrouve également dans d'autresarticles nouveaux ou réécrits ;

•l'extension, par l'article R. 243-2, duchamp des avis de compétence devantêtre sollicités auprès du ministère publicavant de déclencher certains contrôles, àceux prévus à l'article L. 211-7 concernantles établissements et services sociaux etmédico-sociaux et les établissements desanté de droit privé;

- l'invariabilité de la formation de délibéréet le fait que les rapporteurs ne disposentque d'une seule voix lorsqu'ils sontplusieurs (CJF, art. R. 243-3).

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Plus globalement, les différentes étapesdu déroulement de ce contrôle sont mieuxdéfinies pour les CRC au sein du chapitrequi regroupe les articles L. 243-1 à L. 243-10 et de celui qui regroupe les articles R.243-1 à R. 243-21 avec l'introduction desections qui facilitent l'appréhension ducontenu des articles qui sont ainsiregroupés.

B. - En matière de jugement descomptes du comptable

Le nouveau CJF emploie alternativementles expressions de « jugement descomptes » qu'il situe au sein des« activités juridictionnelles ». Encore plusque dans le cas précédent, la principaleinnovation consiste, aussi bien dans leLivre consacré à la Cour des comptes quedans celui qui traite des CRTC, en uneréécriture importante des différentsarticles de manière à mieux détailler ledéroulement de la procédure (articles L.142-1 à L. 142-1- 3 pour la Cour descomptes et L. 242-1 à 8 pour les CRC),notamment en découpant en plusieursarticles, ceux qui comportaient plusieursalinéas.

Sur un plan plus ponctuel on relèvera :

- l’introduction au niveauréglementaire de l'invariabilité de laformation délibérante (R. 242-12 pour lesCRC) ;

• une légère réécriture pour lesCRC de l'article qui traite de la forme et ducontenu des jugements (nouvel article R.242-13 qui réécrit l'ancien article R. 242-10).

2. Focus sur plusieursinnovations substantielles

La refonte du Code des juridictionsfinancières procède à une extension tantdes compétences de contrôle que desdroits des personnes contrôlées ainsi qu'àune sécurisation de certaines procédures.

A. - Le contrôle des comptes desdélégataires de service public endehors d'un contrôle des comptes etde la gestion du délégant

L'article L. 111-11, qui est une création,déclare que « La Cour des comptes peutcontrôler les comptes que les délégatairesde service public ont produits auxautorités délégantes». Cette évolutiontrouve son penchant dans l'article L. 211-10 relatif aux chambres régionales descomptes qui supprime la condition poséepar l'ancien article L. 211-8, alinéa 3, decontrôle concomitant des comptes del'autorité délégante.

Les contrôles d'évaluation des délégationsde service public en seront facilitéspuisqu'il ne sera plus nécessaire de passerpar le contrôle, beaucoup plus lourd, descomptes et de la gestion de l'autoritédélégante.

B. - L'extension du droit decommunication

1- L'accès aux données numériques

Le droit de communication est étendu etadapté à la numérisation des données. Lesarticles L. 141-5 et L. 241-5, qui sesubstituent aux anciens articles L. 141-1 etL. 241- 1, ouvrent à la Cour des comptes etaux CRC un accès direct et non plusseulement un droit à communication. Cetaccès porte aussi sur les données ettraitements et non plus sur les seulsdocuments, Les éléments accessibles et

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communicables sont ceux relatifs à lagestion des organismes contrôlés maiségalement ceux nécessaires à l'exercicepar les juridictions de leurs attributions.

Enfin, les modalités techniques d'accèscontinu à certains systèmes d'informationou bases de données peuvent faire l'objetd'une convention conclue, selon les cas,par la Cour des comptes ou la CRC avecl'administration ou l'organisme contrôlé(CJF, art. R. 141-4 et R, 241-6).

2-Les autorités administrativesindépendantes

L'article L. 241-9 donne directement ledroit aux magistrats et rapporteurs deschambres régionales des comptes, sansrecourir à un renvoi aux dispositionsrelatives à la Cour des comptes commeantérieurement (anciennement, l'article L.241-2 rendait notamment applicablel'article L. 141-3-1), de demander « auxautorités administratives indépendanteset aux autorités de contrôle et derégulation tous renseignements utiles àl'exercice de leurs attributions, sans qu'unsecret protégé par la loi puisse leur êtreopposé ». Il n'est pas inutile ici de préciserà cette occasion que, indépendamment dece qui résulte de la refonte du Code desjuridictions financières, mais dans lemême mouvement de renforcement deleurs moyens d'investigations, lesrapporteurs bénéficient, via le ministèrepublic, d'un accès aux informationsdétenues, notamment, par l'autoritéjudiciaire, les services fiscaux, FranceDomaine, Tracfin et la Haute autorité pourla transparence de la vie publique.

3- Les dossiers et autres documentsdétenus par les commissaires auxcomptes

Les dispositions des anciens articles L. 141-3 et L. 141-5 relatives aux commissairesaux comptes, qui étaient égalementapplicables aux CRC par renvoi de l'articleL. 241- 2, sont remplacées par celles, plusexplicites, des articles L. 141-10 et L. 241-12 qui prévoient la communication par lescommissaires aux comptes, y compris auxapports et à la fusion, « de tousrenseignements sur les organismes,sociétés et comptes qu'ils contrôlent ».

Cette rédaction correspond à celleretenue, sous l'empire des anciennesdispositions du CJF, par le Haut conseil ducommissariat aux comptes dans son avisrendu le 23 janvier 2017 qui constataitl'existence « d'un droit de communicationgénéral sur les documents », dossiers detravail inclus, « de tout commissaire auxcomptes intervenant auprès d'organismescontrôlés par la Cour des comptes sansdistinguer si ce professionnel intervientdans le cadre d'une mission decertification ou de toute autre missionrelative à la gestion des services etorganismes soumis au contrôle de la Courdes comptes »,

Il s'ensuit que la communication par lecommissaire aux comptes au magistratfinancier instructeur de tout élément en sadétention est de droit, quelle que soit lamission au titre de laquelle ce magistratintervient et l'organisme ou le comptecontrôlé.

Par ailleurs, le Code des juridictionsfinancières ne mentionnait, dans unedisposition issue d'une loi du 22 juin 1967non actualisée, que les sociétés, parmi lesorganismes susceptibles de faire J'objet dela communication d'informations par uncommissaire aux comptes, ignorant ainsi

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notamment les associations, les sociétésciviles immobilières, les offices publics del'habitat à comptabilité privée, lesuniversités ou les établissementshospitaliers. L'expression contenue dansces nouveaux articles (« organismes,sociétés et comptes ») englobe désormaisclairement l’ensemble.

Ces nouvelles dispositions lèvent donc lesincertitudes concernant la communicationde documents et de dossiers de contrôlesdans le cadre d'enquêtes associantplusieurs juridictions financières ou depièces détenues par un commissaire auxcomptes au titre d'une autre mission quela certification des comptes ou encorecelles concernant un organisme autrequ'une société.

C - La reconnaissance des formationscommunes coordonnant une enquêteou un contrôle associant plusieursjuridictions financières

Lorsqu'une enquête ou un contrôle relèveà la fois de la compétence de la Cour descomptes et des chambres régionales outerritoriales des comptes, une formationcommune peut être créée par arrêté dupremier président de la Cour des comptes.En vertu de dispositions issues deJ'ordonnance n° 2005-647 du 6 juin 2005(JO 7 juin 2005, p. 10001), qui étaientcodifiées dans l'ancien CJF à l'article L.111- 9-1, cette formation statue sur lesorientations des travaux, les conduit,délibère sur leurs résultats, en adopte lasynthèse et décide des suites à donner.

Toutefois, l'habitude avait été conservéede laisser parfois les chambres régionalesconduire localement les travauxconcernant les organismes de leur ressort,conformément aux orientations définies

par la formation commune et d'enrenvoyer les résultats à cette formation.Cette pratique offre l'avantage, dans uncontexte de moyens contraints, depouvoir conduire, dans le même temps,un contrôle organique classique et uncontrôle d'enquête faisant l'objet d'uneappropriation locale. Elle est désormaisentérinée par l'article L. 141-13 qui prévoitque la formation commune conduit « ou (,..) Coordonne» les travaux qui relèvent desa compétence.

D - Les auditions à la demande descontrôlés ou mis en cause, à lademande de la chambre et lesauditions de personnes expertes

Les auditions réalisées dans le cadre d'uncontrôle de la gestion avant l'adoptiond'observations définitives, que cesauditions aient lieu à la demande despersonnes contrôlées ou mises en cause(nouvel article L. 143-0-2 qui réécritl'ancien L. 143-4 ct nouvel article L 243-3qui réécrit l'ancien article L. 243-6 ;nouveaux articles R 143-9 et R. 243-8) oubien à la demande de la chambre(nouveaux articles R. 143-8 et R. 243-7)sont désormais distinguées de l'auditionde personnes expertes susceptiblesd'éclairer la formation délibérante qui faitdésormais l'objet de dispositionsréglementaires (CfF, art. R. 143-6 et R.243-4). Ces dernières auditions, utiliséesdans les faits par la Cour des comptes plussouvent que par les chambres régionaleset qui permettent d'éclairer un sujet pardes personnes qualifiées qui ne sont niordonnateurs, ni mises en cause par uncontrôle, sont désormais intégrées dans ledroit positif comme une nouvelleopportunité dont il sera intéressant devoir si les CRC se saisissent.

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Par ailleurs, le nouveau CJF prévoit que legreffe tient un registre des auditions(articles R. 143-10 et R. 243-9) quimentionne la liste des personnesentendues, la date des auditions et quipermet, à la diligence du président de laformation de délibéré, de prendre « notedu déroulement de l'audience et desdéclarations des personnes entendues »,nouvelle possibilité intéressante dont ilconviendra également de suivre l'usagecar elle est définie de manière assezvague.

E - L'homogénéité des dispositionsrelatives à l'assurance de la qualitédes comptes

L'ensemble des missions de certificationdes comptes par la Cour des comptes oude compte-rendu de la qualité descomptes des administrations certifiées pardes tiers, prévues à l'article L. 111-14 dunouveau CJE fait l'objet d'une procédureréglementaire unifiée aux articles R 143-19 à 23 du nouveau CJE

F. - La procédure devant la Cour dediscipline budgétaire et financière(CDBF)

La procédure devant la CDBF, qui pouvaità bien des égards être considérée commepartiellement obsolète, estsubstantiellement remaniée.

La liste des autorités ayant qualité pourdéférer, mentionnée à l'article L. 314-1,est étendue aux procureurs de laRépublique. Les actes interruptifs de laprescription sont expressémentmentionnés et détaillés à l'article L. 314-2: enregistrement du déféré au ministèrepublic, réquisitoires introductif ousupplétif (dont l'article L. 314-8 précise

qu'il peut intervenir jusqu'au jour del'audience), procès-verbal d'audition,dépôt du rapport d'instruction, etdécisions de poursuite et de renvoi.

Il est également précisé à l'article L. 314-3que les personnes ayant participé à undélibéré à l'origine du déféré d'une affairene peuvent ni l'instruire ni en juger et, àl'article L. 314- 5, que les personnes misesen cause ont accès au dossier à toutmoment ct ont droit à être entendues parle rapporteur. En revanche, il n'est plusprévu que Je ministère public soit tenuinformé par le rapporteur du déroulementde l'instruction mais, en tant que partie, ildispose d'un accès permanent au dossier.La principale novation tient dans le faitque le rapporteur ne prend plus part àl'audience, dont le déroulement est fixé àl'article L. 314- 12, lequel précise les droitsde chaque catégorie de partie à poser desquestions. La voix du président n'est plusprépondérante, ce qui n'est pas sansconséquence puisque la Cour continue àsiéger en parité, l'article L. 311- 2 qui enfixe la composition n'ayant pas étémodifié. L'obligation posée par l'ancienarticle L.314-19 de poursuitesdisciplinaires par les ministres à la suite derapports relevant une faute ayant entraînéun dépassement de crédits ou unpréjudice, mais non sanctionnée par laCour, est supprimée.

La publication des arrêts, qui était de droitau Journal officiel lorsqu'une sanctionétait prononcée, mais qui ne pouvait enrevanche intervenir en l'absence desanction, même si une infraction avait étéconstatée, est désormais, avecl'introduction d'un article 1.313- 15,laissée à la diligence de la Cour qui enarrête les modalités.

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Les dispositions réglementaires sont pourleur part sensiblement complétées. Sontintroduites les conditions de récusation durapporteur (CJF, art. R. 314-1) ou d'un juge(CJF, art. R. 314-8), de désignation despersonnes qualifiées dont l'assistance estdemandée par le rapporteur (CJF, art. R.314-2), de notification du classement duprocureur général (CJF, art. R. 314-3), de

demande d'un complément d'instructionpar le ministère public (CJF, art. R. 314-4)ou par la Cour (CJF, art. R. 314-10), decircularisassions des pièces après laclôture de l'instruction (CJF, art. R. 314- 5),de jugement d'une personne absente àl'audience (CJF, art. R. 314-7) et de reportd’audience (CJF, art. R. 314-9).

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TRESOR PUBLIC

La séparation ordonnateur - comptable public : archaïsmeou faux problème ?

Jean-Christophe Savineau, ingénieur de Recherche, Université François Rabelais de ToursRevue Française de Comptabilité N° 510/Juin 2017

Ironique, désobligeante voire cruelle cetteimage du comptable reste actuelle mêmepartiellement. Nombreux sont ceux qui luireconnaissent des compétences techniques,des qualités de conseil mais les imagesvéhiculées par la littérature, le cinéma, voire lachanson mais aussi et surtout par la complexitéde la matière et par la rigueur inhérente il laprofession, laissent persister ce portrait parfoispeu flatteur. Le centralisme français a de plusimposé un principe de séparation del'ordonnateur et du comptable qui affirme laspécificité du comptable public et sonindépendance vis-à-vis du décideur public,mais qui renforce aussi les jugements sévèressur leur rôle et leur positionnement dans lagestion publique. Pourtant, les comptablespublics lors de leur prestation de sermentdevant les juges des comptes, jurent des'acquitter de leurs fonctions avec probité etfidélité et de se conformer exactement aux loiset règlements qui ont pour objet d'assurerl'inviolabilité et le bon emploi des fondspublics. Ils ont un rôle spécifique mais clair queleur octroient la réglementation et lalégislation française depuis plus de deuxsiècles.

Origine du principe de séparationordonnateur/comptable

Le premier texte qui énonce une séparationentre l'ordonnateur et le comptable ne porteque sur les recettes. Il est l'œuvre de la

Convention qui doit faire face alors à unesituation économique difficile, à l'envoi detroupes sur l'ensemble de ses frontières et àdes Insurrections sur le sol national. Pour lasurvie de la République, il devient nécessairede contrôler, à la fois le recouvrement etl'enregistrement des recettes et d'éviter lacollusion et les détournements. Le décret du 7décembre 1794 impose que les parents etalliés, jusqu'au degré de cousin germaininclusivement, ne peuvent être, en mêmetemps, l'un receveur de district et l'autreadministrateur du Directoire ou agent nationaldu même district. Puis, la méfiance desparlementaires va être dirigée vers ceux quisont amenés à gérer les fonds publics et plusparticulièrement les ministres. Pour apaiser lepouvoir législatif, sous la premièreRestauration, le ministre des finances, Joseph-Dominique Louis déclare aux députés : « laresponsabilité des ministres est pour larégularité des fonds dont ils sont lesordonnateurs, une garantie faite pour vousrassurer ». L'ordonnance du 14 septembre1822 relative à la comptabilité et la Justificationdes dépenses publiques, présenté par lePrésident du conseil des ministres et ministredes finances Joseph de Villèle refonde lecontrôle de la dépense publique par leParlement et dans son article 17, pose ilnouveau l'Incompatibilité des fonctionsd'administrateur et d'ordonnateur avec cellede comptable. Le premier règlement de lacomptabilité publique du 31 mai 1838 reprend

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dans son article 67 cette séparation dans lesmêmes termes. Il rappelle les fonctions decomptable: « tout agent chargé d'unmaniement de deniers appartenant au TrésorPublic est constitué comptable I. . .] ; aucunemanutention de ces deniers ne peut êtreexercée, aucune caisse publique ne peut êtregérée que par un agent placé sous les ordres duministre des finances, nommé par lui,responsable envers lui de sa gestion etjusticiable de la Cour des comptes », Laséparation des fonctions et la responsabilité ducomptable décharge ce dernier de tout devoird'obéissance hiérarchique vis-à-vis del'ordonnateur et le place sous la seule autorité,soit d'un comptable supérieur, soit du ministredes finances. Cette séparation est imposée parla volonté d'empêcher les ordonnateurs dedépenser au-delà de l'autorisation qui leur estdonnée par le pouvoir législatif. L'article 14 del'ordonnance de 1838 impose que « lesministres ne peuvent, sous leur responsabilité,dépenser au-delà des crédits ouverts à chacund'eux" », mais les place aussi sous le contrôledu ministère des finances. La séparation entrel'ordonnateur et le comptable n'a donc pourobjet, au départ, que de contenir des déficitsissus d'un dépassement de crédit et d'encadrersous le contrôle du ministre des finances lagestion des ministères dépensiers. Lesrèglements sur la comptabilité publiquesuivants 9 vont reprendre systématiquement lamême disposition jusqu'au décret du 7novembre 2012.

Cette règle issue de l'histoire des financespubliques, héritée de la Révolution et desmutations législatives et politiques du XIX"siècle a évolué pour signifier désormais unespécialisation et une séparation des tâches,adossée aux responsabilités particulières dechacun des acteurs. Une responsabilité quisemble néanmoins plus prégnante pour lecomptable. L'article 60 de la loi du 23 février1963 a codifié les obligations du comptable, sa

responsabilité personnelle et pécuniaire pourgarantir son indépendance vis-à-vis del'ordonnateur et homogénéiser l'exercice de lafonction. Si le but recherché du maintien duprincipe de séparation n'est plus d'éviter ledépassement des autorisations budgétaires, ilreste un moyen de contrôle de la gestionpublique par le ministère des finances autravers du réseau des comptables publics.

La spécificité du système français unique enson genre permet une unité de la doctrinecomptable applicable à l'ensemble desorganismes relevant de la comptabilitépublique. Il permet aussi de fournir à cesmêmes organismes des moyens humains,formés et aux compétences reconnues et desmoyens matériels. L'assurance d'uneexactitude des comptes, la responsabilitépécuniaire qui pèse sur le comptable dans sesopérations de caissier, de payeur et derecouvrement garantissent à l'ordonnateur lamaitrise d'une part importante de l'activitéfinancière et comptable de l'organisme qu'ildirige.

La séparation des fonctions et lesresponsabilités particulières de chacun desacteurs, sécurise la gestion des fonds publics.La répartition fonctionnelle des tâches octroieà l'ordonnateur un rôle de décideur, à lui lechoix et l'évaluation de l'opportunité del'engagement de la dépense et durecouvrement des recettes et au comptable,celui de contrôleur, mais uniquement de larégularité des décaissements et desencaissements. L'intervention du comptablepublic, contrôleur de la régularité, peut parfoisêtre considérée comme une mise sous tutelledes choix qui sont déterminés, sous saresponsabilité, par l'ordonnateur. Unrapprochement des systèmes privés et publicsoù le comptable serait un agent de l'organismepublic placé sous l'autorité hiérarchique del'ordonnateur pourrait permettre de gommercette mise sous tutelle. Un contrôle externe, a

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posteriori, assurerait une certification descomptes présentés aux assembléesdélibérantes. Plusieurs problématiquesdevraient être au préalable résolues. Qui seraitresponsable devant la Cour des Comptes, sicette dernière juge toujours les comptes desorganismes publics? L'ordonnateur souhaite t'ilassumer avec la responsabilité budgétaire celledes comptes ? Est-on en capacité de recruter,former des comptables pour chacun desorganismes et en particulier pour lescollectivités locales? Cependant et avant tout,les principaux intéressés, ordonnateurs etcomptables publics veulent-ils ou considèrent-ils comme souhaitable que cette règledisparaisse?

Résultats d'une enquête réaliséeauprès des ordonnateurs et descomptables

En juin 2016, une enquête a été lancée auprèsdes ordonnateurs et des comptables desétablissements publics nationaux à laquelle ontpu répondre d'autres acteurs du secteur public.

172 réponses ont été enregistrées répartiesselon les fonctions suivantes :

• 45 ordonnateurs principaux oudélégués,

• 62 comptables,

• 10 fonctionnaires appartenant à uncorps de contrôle,

• 22 fonctionnaires ayant des fonctionsliées aux finances et à la comptabilité, 20fonctionnaires exerçant d'autres fonctions,

• 13 non-fonctionnaires.

Le biais principal de cette étude, compte-tenude la part importante des comptables, serait autravers de leurs réponses, une défense de leurfonction et une préservation de la séparation

ordonnateur-comptable. Les réponses desautres fonctionnaires sur qui la séparation destâches a un impact, plus ou moins grand enfonction de leur activité, pourra permettre dedifférencier, y compris pour les ordonnateurs,ce qui relève des attentes particulières d'uncorps de ce qui peut permettre une évolutionde la gestion publique.

Comment se caractérise le rôledes ordonnateurs et descomptables?

Le maintien du principe de séparationordonnateur-comptable s'appuie sur unedivision des tâches et une sécurisation des fluxfinanciers et comptables. Les deux acteursdoivent donc avoir une ou des spécificités quipermettent d'assurer la cohérence du principe,L'image peu flatteuse du comptable a été miseen exergue au début de cet article. Commentce dernier, mais aussi l'ordonnateur, sont-ilsperçus par eux-mêmes et par les autresacteurs? Quels termes définissent les fonctionsde l'ordonnateur et du comptable pourl'ensemble des répondants? Trois termesdéfinissent l'ordonnateur avec pour les deuxtiers des répondants le mot responsabilité(69,7 %) comme épithète premier de lafonction. Un terme que l'on retrouve aussi pourle comptable (70,3 %). Ces deux fonctions ontdonc pour point commun la responsabilité dela gestion publique. C'est le seul. La séparationpeut se distinguer par un partage desresponsabilités allié à un contrôle commun oul'inverse, un partage des contrôles et uneresponsabilité partagée. Il est toutefoispossible de rencontrer des modes de gestionqui vont privilégier le partage, à la fois desresponsabilités et des contrôles ou unecogestion intégrale où les contrôles et lesresponsabilités seront communs. Ces quatrepropositions détermineront un mode degestion différencié au sein des organismes.

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La régularité des opérations (87,2 %),assurance d'une sécurité financière (63,9 %) etcomptable de l'organisme s'appuyant sur descompétences techniques (66,3 %), caractérisela fonction. Alliée au contrôle (87,2 %), ilsforment l'image traditionnelle du comptable.

Nous observons une distinction pourl'ordonnateur par la mise en avant des motsmanagement (51,7 %) et performance (50 %)qui relèvent de l'administration, au sens de lagestion et des impératifs posés par la LOLFL'ordonnateur est un manager garant de laperformance des activités et des missionsassignée à l'organisme.

Trois termes ne sont pas retenusmajoritairement par les répondants pour lesdeux fonctions, la transparence, l'exemplaritéet l'équité qui n'apparaissent donc pas commeune caractéristique essentielle, associée auxdeux fonctions. Deux autres expressions,résultat et économie, diptyque de l'efficiencesont proches de la majorité pourl'ordonnateur, mais s'efface au profit de laperformance qui synthétise la philosophieinhérente à la nouvelle gestion publique sansmettre en avant des éléments généralementperçus de manière négative.

Les résultats précédents s'appuient surl'ensemble des réponses, mais comment lesdeux acteurs voient-ils l'autre fonction etcomment se voient-ils eux-mêmes?

Les deux acteurs sont d'accord pour s'octroyer,eux-mêmes, le terme de responsabilité, maisseul le comptable l'accorde à l'ordonnateur :56,4 %). Il est symptomatique que ce terme surlequel s'appuie le principe de séparation ne soitpas reconnu comme inhérent à la fonction jecomptable par une majorité d'ordonnateurs.Est-ce une remise en cause d'uneresponsabilité exorbitante du comptable, point: la tension entre les deux acteurs?

-L'ordonnateur caractérise lui-même safonction comme nécessitant transparence 62,2%), performance (55,5 %) et résultat : 55,5 %)auxquels sont liés une responsabilité (82,2 %)et un rôle de management 55,5 %), enconformité avec les attentes de la LOLF. Lecomptable reprend, pour l'ordonnateur, lestermes de responsabilité 56,4 %), demanagement (61,3 %) et de la performance (50%) et rajoute contrairement à l’ordonnateur,celui d'exemplarité (50 %).

-Le comptable dépeint sa fonction sous lesaspects traditionnels que lui accorde aussil'ordonnateur. Les termes de contrôle (93,5 %),sécurité (79 %), technicité (72,6 %) et régularitédes opérations (93,5 %) sont majoritairementreprésentés. Le comptable octroie aussi ceuxde transparence (59,7 %) et de responsabilité(95,2 %).

Les douze mots caractérisent chacune des deuxfonctions. Ils en sont les attributs. Maisqu'attend-on principalement d'un ordonnateuret d'un comptable ? A partir de huit nouvellesaffirmations, les répondants devaient faire lechoix de trois propositions. Pour l'ordonnateur,l'attente première est cIaire, Il est avant tout,pour l'ensemble des répondants le garant de labonne utilisation des fonds publics (62,8 %). Ilse doit, ensuite, d'être un manager (48,8 %). Etil est, mais avec les autres instances oufonctions décisionnaires de l'organisme, un etnon l'unique responsable des décisions prises(41,3 %). Sa participation au pilotage commeunique pilote (15,7 %) ou membre du comitéde pilotage (36,6 %) n'apparait pas commeprioritaire.

Pour le comptable, l'attente principale estidentique à celle de l'ordonnateur et partageavec lui la responsabilité de garantir la bonneutilisation des fonds publics (69,2%). Sil'ordonnateur doit être un manager, lecomptable doit être un technicien (55,8 %). S'iln'est pas un des responsables des décisions

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financières (32,5 %), il reste un des pilotes desactivités financières (48,8 %). Ce que doit êtrele comptable est plus tranché pour lesrépondants que ne le sont les obligations liéesaux fonctions d'ordonnateur.

Leur fonction et leur rôle sont néanmoinsrelativement clairs et distincts, en particuliersur l'obligation de garantir la bonne utilisationdes fonds publics qu'ils partagent. Ilsapparaissent comme complémentaires au seindes organismes avec une séparation des tâchesqui a des buts différents: la régularité, lecontrôle technicien pour le comptable et lemanagement au service de la performance del'organisme pour l'ordonnateur.

Doit-on supprimer le principe deséparation ordonnateur-comptable?

Si leur rôle est complémentaire, lefonctionnement actuel doit-il être modifié etdans l'affirmative, de quelle manière? A laquestion: « la séparation ordonnateur-comptable est-elle toujours nécessaire? », il aété répondu par l'affirmative pour 59,3 % desparticipants. Le groupe des fonctionnaires(hors ordonnateurs et comptables) y estpartisan pour 63,4 %, celui des nonfonctionnaires pour 53,8 %. Les comptables(58,1 %) et les ordonnateurs (57,7 %) se situententre ces deux groupes. Les résultats del'enquête ne montrent pas un plébiscite enfaveur du maintien et il faut constater que lescomptables n'y sont pas plus favorables que lesordonnateurs. Il n'y a pas de remise enquestion nette du principe, mais il semblenécessaire d'analyser les modificationséventuelles que les différents groupespourraient envisager pour garantir l'efficacitéde la gestion publique.

Sur une répartition différente desresponsabilités, 39,5 % des participantsprônent une modification et non une

suppression du principe qui donnerait plus deresponsabilités aux ordonnateurs. Plus deresponsabilités au comptable ou unesuppression du principe qui attribuerait laresponsabilité unique de l'activité financière àl'un ou à l'autre des acteurs recueillent moinsde 10 % d'avis favorables. L'accroissement dela responsabilité de l'ordonnateur, demandépar 37,7 % des ordonnateurs, par 43,5 % descomptables et 36,9 % des personnes des autresgroupes est le seul élément tangible même s'ilreste minoritaire qui, dans l'enquête, donneune piste d'évolution.

En cas de suppression du principe, laresponsabilité du comptable pour laprésentation des comptes, le paiement desfactures, le recouvrement des recettes ou lesuivi de la trésorerie ne seraient pas transférésà l'ordonnateur (moins de 15 % des réponsesfavorables), mais plutôt à un organismeextérieur, tel un commissaire aux comptes(39%).

L'enquête avait pris le parti que lesordonnateurs seraient les plus favorables à lasuppression du principe, ce qui, compte-tenudes résultats précédents, se révèle erroné.Certains aspects actuels restent néanmoinsprimordiaux pour l'ensemble des participantset pour les ordonnateurs.

A la question: « pourquoi les ordonnateurspourraient ne pas vouloir la suppression duprincipe? », la sécurité financière (61,1 % del'ensemble des répondants et 66,6 % desordonnateurs) et la sécurisation des fluxfinanciers (51,7 % / 62,2 %) sont les motifspremiers du maintien du principe ou tout aumoins du maintien du comptable public. Lecontrôle sur la gestion (53,5 % / 48,8 %) resteaussi une préoccupation, dans l'intérêt del'organisme et de l'ordonnateur.

Le comptable est cependant un collaborateurparmi d'autres (61,6% / 73,4 %). Il faut nuancer

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cette affirmation qui dépend de la taille del'organisme et des compétences financièresdont l'ordonnateur dispose. Le comptable n'estpas seulement un teneur de livres, mais untechnicien de la comptabilité qui préserve lesintérêts financiers de l'organisme. Sonindépendance et sa responsabilité personnelleet pécuniaire sont-elles nécessaires pourgarantir cette sécurité financière? Sonpositionnement actuel peut-il influer sur lavolonté de l'ordonnateur de souhaiter lasuppression du principe de séparation? Si onanalyse les réponses aux questions quiportaient sur les buts recherchés par lesordonnateurs pour la suppression du principe,nous pouvons relever des points qui doiventpermettre de répondre en partie à cesquestions et distinguer des améliorations dansle partage des tâches et les relations entrel'ordonnateur et le comptable.

Les hypothèses sont différentes et montrentune certaine incompréhension entre lesacteurs. Si l'ordonnateur souhaite en prioritéun allègement des chaines financières (64,4 %)et la possibilité de choisir son comptable(33,3%), ce dernier envisage plutôt quel'ordonnateur souhaiterait une suppressiondes contrôles par un acteur indépendant (69,4%) et de la tutelle du ministère des financesdont il dépend (56,5 %). Néanmoinsl'ordonnateur ne demande pas la suppressiondes contrôles du comptable indépendant (13,3%), mais de la souplesse, de la rapidité et peutêtre moins de formalisme dans les fluxfinanciers courants. Pour certains processus, ilpeut souhaiter que disparaisse la redondancedes contrôles effectués par ses servicesgestionnaires et ceux du comptable. Lecontrôle hiérarchisé et surtout le contrôleallégé en partenariat confortés par le décretGBCP de 2012 peuvent favoriser un allègementdes chaines financières et une évolution vers lecontrôle a posteriori des contrôles aujourd'huia priori, du comptable. La mise en place d'un

contrôle interne comptable et budgétaire, d'unvéritable audit interne financier doiventpermettre d'assurer une maitrise des risques,de partager la gestion financière et comptabledes organismes et surtout de déciderconjointement des modalités defonctionnement des flux. Cetteincompréhension entre les acteurs que faitressortir l'enquête n'émane-t-elle pas d'unmanque de dialogue? La séparation desfonctions et des tâches n'empêche pas unecoopération constructive qui préservel'indépendance des différentes parties. Il existedes outils auxquels le décret GBCP a donné uneassise règlementaire dans la continuité desévolutions permises par la LOLF. Lesorganismes et donc les ordonnateurs et lescomptables se sont-ils emparés des outils qu'ilsont à disposition?

La suppression de la séparation n'est pasdemandée par la majorité des acteurs, desévolutions sont néanmoins nécessaires quipassent par un assouplissement des flux et desprocédures et la mise en place d'outils qui neseront efficaces que si une coopérationconstructive est décidée par les deuxintervenants. La préservation de la séparationest primordiale pour sécuriser l'emploi desdeniers publics (65,1 % des répondants), car lesrisques financiers d'une suppression sontconsidérés comme importants par unemajorité des participants à l'enquête (58,1 %).Une appréhension qui apparait toutefois moinsprégnante chez les ordonnateurs (48,8 %) quechez les comptables (56,4 %) et les autresparticipants (66,2 %).

Pistes de réflexion données parles participants

Alain Lambert, père fondateur de la LOLF, aadressé un avis lors de la diffusion duquestionnaire: « Voilà un sujet à traiter demanière sereine et positive. Cette séparationn'a plus de sens. Il faut aller vers un vrai

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contrôle interne et un contrôle externe revisitéen conséquence, notamment en tenantcompte de la certification ». Sur la premièrepartie du commentaire relative au traitementserein et positif du sujet, cela va à l'encontre decertains commentaires qui considèrent que laséparation repose sur la défiance entre lesacteurs et sur le contrôle. Cette défiance existemais peut s'effacer, comme dans de nombreuxorganismes qui ont privilégié la coopérationconstructive et le dialogue. Dans ce cadre, ellea encore un sens en redéfinissant comme lepropose la LOLF et le décret GBCP, lesfonctions, les responsabilités et les outils àdisposition des acteurs. Elle n'en a pas si l'onreste sur des fonctionnements désuets.

• Certification par desorganismes extérieurs

Des commentaires considèrent que le coûtinduit par le maintien du principe estimportant. La disparition du comptable publicne serait pas sans conséquences pour lesorganismes. Outre la montée en compétencedes pôles financiers actuels sur les techniquescomptables et le contrôle interne, il estprobable que la certification par desorganismes extérieurs devienne inéluctable.

Les organismes publics ont une doublecomptabilité, budgétaire et générale, quiimpose des compétences budgétaires etcomptables, contrairement aux organismesprivés. Il n'est pas certain que tous lesorganismes aient les moyens humains etfinanciers pour sécuriser l'ensemble dupérimètre qui est sous la responsabilitéactuelle des deux acteurs.

• Mise en place d'un contrôleinterne

Le contrôle interne est l'une des pistesprivilégiées par les participants pour faireévoluer les pratiques. Les flux financiers sont

interdépendants et non juxtaposés, il est doncindispensable que le contrôle soit menéconcomitamment et le plan de contrôle établide concert. Les deux acteurs devront aller au-delà d'un fonctionnement cloisonné. Tant quele contrôle interne et l'audit interne, adaptés àla taille des organismes, ne seront pas mis enplace de façon réellement effective etconcertée, la séparation ordonnateur-comptable continuera de produire desincompréhensions entre les intervenants.Comme le montre l'enquête, la réquisition(11,1 %) et la modification de décisions suite àl'intervention du comptable (24,4 %) ne sontpas une problématique forte pourl'ordonnateur. Au contraire, ce dernierprivilégie avant tout au travers du comptable,la sécurisation de ses flux financiers etcomptables. La séparation ordonnateur-comptable n'est pas un obstacle à unemodernisation de la gestion publique. C'est parcontre la volonté de coopération, la mise enplace d'outils et de procédures conformes auxspécificités de la gestion publique amenantsouplesse et flexibilité, sans remettre en causela bonne utilisation des fonds publics, quiamélioreront le fonctionnement financier desorganismes.

D'autres pistes pour rénover la gestionfinancière publique passent par unrapprochement des responsabilités financièresdes deux acteurs, communes pour l'ensembledes risques devant les représentants élus et lejuge des comptes, une évolution du métier decomptable public, chef des services financierset comptable en fonction de la taille desorganismes ou encore l'intervention d'unecertification externe revisitée comme lepropose Alain Lambert mais qui ne serait pasune répétition quasi identique du contrôlemené par la Cour des Comptes.

La séparation ordonnateur-comptable ne doitpas cristalliser la réflexion sur les évolutionspermettant de moderniser la gestion publique.

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Caricatural, comme l'est l'image du comptablebrossé en introduction, l'affrontement entrel'ordonnateur et le comptable dont on rendcoupable le principe de séparation n'estsouvent qu'un jeu de dupes dans lequell'organisme public ressort généralementperdant. L'enquête montre que si une certaineméfiance peut exister entre les deux acteursprincipaux, la séparation n'est pas le problèmecentral. Sans la supprimer, il est toutefoisnécessaire de faire évoluer les pratiques,d'intégrer une certaine souplesse et uneflexibilité dans les processus, de coopérerétroitement sur l'ensemble des flux pour enmaitriser les risques et les adapter auximpératifs de chacun.

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FINANCES PUBLIQUES

L’impact macroéconomique des investissements publics :Enjeux et perspectives pour les acteurs publics locaux

Amélie BARBIER- GAUCHARD, Clément MONTAGNERevue Française de Finances Publiques / 01.02.2017

INTRODUCTION

À l’heure où les deniers publics se font deplus en plus rares, la question del’efficacité de la dépense publique se poseavec une acuité toute particulière,notamment lorsqu’il s’agit desinvestissements publics. Lesinvestissements publics sont définis parl’OCDE comme des dépenses en capitalqui financent des « investissements eninfrastructure physique (route, immeubleadministratif…) ou immatérielle(développement capital humain, soutien àl’innovation, recherche etdéveloppement…) ayant un usageproductif sur plusieurs années ».Généralement, la Formation Brute deCapital Fixe publique (FBCF) est utiliséecomme proxy, bien qu’imparfait, desinvestissements publics. Toutefois, lafaçon dont l’investissement public estmesuré à travers les pays varie. Bien qu’ilexiste un débat sur le périmètre àconsidérer, c’est cette définition qui seraretenue par la suite.

Il faut en effet distinguer les dépensespubliques d’investissement des dépensespubliques courantes ou defonctionnement (masse salariale,prestations sociales, subventions, intérêtsde la dette…). De façon équivalente, il estégalement courant de distinguer lesdépenses publiques « productives » (dansle sens où elles entrent dans la fonction deproduction des entreprises du secteur

privé directement ou non) des dépensespubliques « non productives ».

Dans ce contexte, les acteurs publicslocaux jouent un rôle majeur en termesd’investissement public. En effet, d’aprèsMizell & Allain-Dupré (2013),l’investissement public local représenteprès de 65 % de l’investissement publictotal au sein des pays de l’OCDE en 2011et plus de 80 % pour la France. Dans lemême temps, les finances localesn’échappent pas à cette tendance deraréfaction des ressources publiquescomme le souligne la Banque Postale(2014). Comme le rappelle également laCour des comptes (2015a), les restrictionsbudgétaires obligent les collectivités àmieux appréhender leurs dépenses. Enoutre, l’effet des baisses de dotation auxcollectivités locales est loin d’êtrenégligeable. À partir d’une approcheéconométrique couvrant la période 2001-2013, la Caisse des dépôts etconsignations (2015) estime l’impactpassé des variations de dotations sur lesniveaux d’investissement public local.Cette étude montre notamment qu’unebaisse de 1 % des dotations de l’Étatentraîne, la première année, touteschoses égales par ailleurs, une contractionde l’investissement des collectivitéslocales comprise entre 0,1 % et 0,4 %. Enappliquant ces élasticités constatées dansle passé aux baisses de dotationsprogrammées dans la loi de finance àl’horizon 2017, l’investissement se

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contracterait de 10 à 13 % selon lesniveaux de collectivités.

Parmi les diverses façons d’évaluerl’efficacité des dépenses publiques, lamesure de l’impact économique desinvestissements publics permet d’évaluerl’effet sur l’activité économique etl’emploi d’un territoire (pays, région,commune…) d’un investissement publicdonné. Depuis plus de 40 ans, leséconomistes s’affrontent sur cettequestion. Bien que, théoriquement, lesmodèles de croissance endogèneidentifient sans ambiguïté un effet positifdepuis les contributions pionnières deBarro (1990) ou encore Lucas (1990), lesévaluations empiriques sont loin deconverger. Depuis les travaux de Mera(1973) ou encore Aschauer (1989b), lestechniques de modélisation etd’estimation se sont perfectionnées sansqu’aucun consensus ne puisse être trouvé.

Si, au niveau national, l’impact positif del’investissement public est prouvé, leureffet au niveau local (régional,départemental ou communal) reste peuexploité. En effet, de nombreux travaux sesont intéressés à l’impactmacroéconomique des investissementspublics nationaux sur la croissance (voirnotamment Pereira & Andraz (2013),Commission européenne (2014), Bom &Ligthart (2014b) ou encore Abiad,Almansour, Furceri, Granados & Topalova(2014) pour une revue de littératuredétaillée) qui s’avèrent particulièrementintéressants pour définir uneméthodologie qui puisse s’appliquer aucas des investissements publics locaux. Enoutre, quelques travaux se sont intéressésà l’impact macroéconomique de certainesdépenses publiques locales bienspécifiques dont la méthodologie peut

également inspirer les travaux sur l’impactmacroéconomique des investissementspublics locaux. Notre attention se porte iciuniquement sur l’impact sur la croissanceéconomique des investissements publics.

De façon générale, l’analyse de l’impactmacroéconomique des investissementspublics nécessite tout d’abord d’opérer uncertain nombre de choix méthodologiquescomme le précise la section I. Il convienten effet de s’interroger sur l’acteurinitiateur de l’investissement public, sur lanature de l’investissement public, lesmodalités de son financement, les acteurséconomiques concernés par cetinvestissement public et surtout lesmécanismes par lesquels l’investissementpublic affecte l’économie réelle.Différentes approches sont ensuitedisponibles pour évaluer l’impactmacroéconomique comme le détaille lasection II.

I– QUELLES SONT LESSPÉCIFICITÉS DES INVESTISSEMENTSPUBLICS ?

Pour analyser l’impact macroéconomiquedes investissements publics, il convient des’interroger sur l’acteur public concerné,la nature de l’investissement publicconsidéré ainsi que sur les modalités deson financement. En fonction de cescaractéristiques, il sera possibled’identifier les canaux de transmission del’investissement public à l’économieréelle. En d’autres termes, il sera possiblede mettre en lumière les mécanismes parlesquels l’investissement public affectel’économie.

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I.1 Le niveau subnational,un acteur clé del’investissement public

Afin d’identifier les acteurs à l’origine desinvestissements publics dans un pays, ilconvient de distinguer le gouvernementcentral des gouvernements subnationaux.Les décisions publiques sont en effetgénéralement prises dans un cadre multi-niveaux qui implique donc différentsacteurs publics. Le gouvernement centralfait référence au gouvernement nationalou fédéral en fonction des pays. Lesgouvernements subnationaux (ou niveauinfranational ou local par la suite) seréfère à tous les niveaux de gouvernementau-dessous du niveau du gouvernementcentral (régional, communal…).

Comme le soulignent Hulbert & Vammalle(2014), les gouvernements subnationauxsont responsables de près des 2/3 del’investissement public dans les pays del’OCDE. Les gouvernements infranationauxsont en effet des acteurs majeurs del’investissement public dans les pays del’OCDE, et représentent en moyenne 65 %de l’investissement public total.Cependant, cette moyenne cached’importantes disparités : cetteproportion est beaucoup plus élevée dansles pays très décentralisés comme leCanada ou la Belgique (autour de 80 %) et,au contraire, est plus faible dans les payshistoriquement centralisés ou dans lespetits pays (inférieur à 40 % en Grève ouen Estonie par exemple) comme l’illustrela figure 1. Le cas des États-Unis sembleatypique de ce point de vue. En effet, bienque très centralisé, ce pays délègue plusde 80 % des investissements publics auxgouvernements subnationaux. Uneanalyse rétrospective révèle toutefois quel’investissement public des

gouvernements locaux a eu tendance àdiminuer ces dernières années dans laplupart des pays de l’UE, à l’exception decertains pays d’Europe Centrale etOrientale et de la Grèce comme le révèlela figure 2.

En France, le rôle des collectivitésterritoriales s’est accru à partir de 1982 etles lois Defferre, dites « Acte I » de ladécentralisation. Ces textes furentcomplétés par les lois de 1983 déléguantdes compétences aux collectivités et parles « Actes de décentralisation » de 2003et 2010. La réforme de 2003 a introduit lanotion de « chef-de-filat » afin d’éviter lescompétences partagées comme l’expliquenotamment Verpeaux (2013).

Le niveau de base, la commune, disposede compétences afférentes aux exigencesde sa proximité avec les citoyens(urbanisme, gestion des écolesmaternelles et élémentaires, entretien dela voirie communale et mise en place del’action sociale facultative…). Ledépartement dispose également decompétences en matière d’aménagement,c’est à lui que revient la gestion des ports,aérodromes et la gestion du réseauroutier départemental. La région estcompétente en matière de planification,de programmation des investissements etd’aménagement du territoire. C’est ainsiqu’elle gère les aides directes et indirectesaux entreprises, élabore et exécute lapartie régionale du contrat de plan. Ellecontribue aux transports régionaux via laparticipation aux financements desinfrastructures (e.g. ligne TGV). Ainsidepuis la réforme de 2003 la région a le «chef-de-filat» en matière de« développement économique,d’intermodalité, de complément detransport, d’énergie et transition

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énergétique, d’innovation etl’internationalisation des entreprises ». Lapromulgation de la loi portant NouvelleOrganisation du Territoire de République,dite loi notre, en août 2015 supprime laclause de compétence générale pour lesdépartements et les régions et renforcepar la même occasion le rôle des régionsen matière de transport car ellesrécupèrent le pilotage des transportsinterurbains qui était jusqu’alors duressort des départements.

De part la répartition légale descompétences entre les collectivités localesnotamment en France, l’investissementpublic est mis en place à plusieurs niveauxde collectivité. Il fait intervenir un grandnombre d’acteurs publics à différentsniveaux de décision ce qui n’est pas sansposer de nombreux problèmes.

En effet, les effets d’un investissement misen place par la commune ne seront pas lesmêmes qu’un investissement mené parune région, et il convient d’être en mesured’identifier les canaux de transmissionspécifiques de l’investissement public liésà tel ou tel niveau de décision public.

En outre, Allain-Dupré (2011) montre, ens’appuyant sur l’exemple des politiquesd’investissement menées suite à la crisede 2008, le manque de coordination entreles niveaux de décision et l’existenced’écarts de gouvernance d’un niveau dedécision à l’autre. Par exemple, le manquede politique fiscale coordonnée peut faireapparaitre des comportementsantagonistes, où l’État central mène unepolitique expansionniste, quand, à caused’une règle budgétaire, les pouvoirslocaux mènent des politiques d’austéritépour maintenir l’équilibre.

Par ailleurs, dans ce cadre apparaissentdes « effets de débordement ». Celasignifie que les politiques mises en placepar une collectivité auront desrépercussions sur les collectivités voisines.Si ces effets se produisent au niveaunational également, ils sont encore plusmarqués lorsqu’il s’agit desgouvernements infranationaux. En effet,la forte mobilité des facteurs, capital ettravail, entre les collectivités d’un mêmepays entraine un accroissement de ceseffets par rapport au niveau national oueuropéen. Ces effets peuvent affecteraussi bien les recettes fiscales, l’offre detravail ou encore la productivité desindustries.

Enfin, l’étude du niveau local poseproblème en termes d’accès aux données.Si le niveau européen ou national est dotéd’agences et d’institutions spécialiséespour la collecte et le traitement desdonnées, ce n’est pas le cas denombreuses collectivités locales,notamment les intercommunalités et lescommunes. L’analyse des politiqueséconomiques à cette échelle peut êtrecompromise par cette sporadicité desdonnées.

Dans l’esprit de la théorie du fédéralismebudgétaire, un certain nombre de travauxs’est d’ailleurs interrogé sur le niveau dedécision publique optimal pour engagerl’investissement public. En d’autrestermes, la question posée est la suivante :quel est le niveau de décision publique(national ou infranational) le pluspertinent pour réaliser tel ou telinvestissement public ? Des facteurscomme les effets de débordement, lamobilité des facteurs de production ouencore l’existence d’économies d’échellepeuvent venir affecter dans un sens ou

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dans l’autre la réponse à cette question.Aux États-Unis, Ram & Ramsey (1989)montrent notamment que le capital publiccrée au niveau des États américains a unimpact significatif sur la productioncontrairement au stock de capital issu duniveau fédéral. Ces résultats doiventtoutefois être interprétés avec précautionen raison de l’effet statistique. En effet,les dépenses en investissement nonmilitaire étant près de deux fois plusélevées au niveau fédéral qu’au niveaulocal.

I.2 Des investissements publicssubnationaux centrés sur ledéveloppement économique

L’OCDE (2014) distingue neuf typesd’investissement public (voir la figure 3).Les investissements en transport,communication, énergie, construction,éducation peuvent se ranger dans lesinvestissements qualifiés de « productifs »alors que les dépenses de protectionsociale, de santé ou encore de servicespublics généraux correspondent plutôtaux investissements caractérisés de « non-productifs ».

La plupart des investissements publicsinfranationaux se concentre dans desdomaines d’importance stratégique pourla croissance économique future, ledéveloppement durable et le bien-êtredes citoyens Ainsi, près des 2/3 desinvestissements publics infranationauxrelève donc des investissements qualifiésde « productifs ». En effet, 37 % desinvestissements publics desgouvernements sous-nationaux sontalloué aux affaires économiques(transports, communications,développement économique, énergie,construction, etc.). Environ 23 % est utilisépour l’éducation, ce qui permet de

déterminer la qualité de la main-d’œuvrefuture. Enfin, 11 % est consacré aulogement et aux équipements collectifs. Lereste des investissements publicsinfranationaux se répartit pour l’essentielentre les services publics généraux, lesloisirs, la culture et le culte, la santé et laprotection sociale.

En France, la Cour des comptes (2015)considère que les investissements publicsdes collectivités locales se traduisent par «la réalisation ou la modernisationd’équipements publics visant à améliorerla qualité des services offerts à lapopulation, renforcer l’attractivité desterritoires, répondre aux évolutionsdémographiques et assurer lerenouvellement du patrimoine ou laconformité à des normes techniquesnationales ». Cette définition nous permetde voir l’étendue des investissements descollectivités locales. Ces investissementspeuvent aller des parcs, aux écoles enpassant par les autoroutes. En outre, il nes’agit pas forcément de construction denouvelles infrastructures mais égalementde dépenses d’entretien et demaintenance.

Les travaux fondateurs en théorie de lacroissance endogène distinguentégalement les dépenses publiques «productives » lorsqu’elles entrent commeargument dans la fonction de productiondes firmes (dépenses en éducation ou entransport par exemple) des dépenses «non-productives » (dépenses de sécuritésociale notamment). Dans ces modèles,les politiques publiques peuventinfluencer le taux de croissance del’économie à long terme (on nomme «état stationnaire » cette situationéconomique à très long terme) et non plus

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seulement durant le processus detransition vers cet « état stationnaire ».

Dans ce cadre, Kneller, Bleaney &Gemmell (1999) montrent notammentqu’une hausse des dépenses productivesexerce un effet positif sur le niveau deproduction avec un coefficient de 0,27.Kneller, Bleaney & Gemmell (1999)distinguent toutefois les effets en fonctiondu type d’infrastructure considéré. Quantaux dépenses non-productives, elles nesemblent avoir aucun effet sur laproduction. Ces résultats sont cohérentsavec la littérature et notamment ceux deBarro (1990) qui obtient un coefficient dezéro pour les dépenses non-productives.

Ces dernières années, la plupart destravaux qui se sont intéressés à l’impactmacroéconomique des investissementspublics nationaux se sont focalisés sur lesinfrastructures de transport (routes,autoroutes, aéroports, ports, rails…),d’énergie ou de communication. Commele souligne Deng (2013), lesinvestissements en infrastructures detransport peuvent améliorer laperformance économique globale d’unpays par la réduction des coûts detransport et la plus grande accessibilité auterritoire qui vient réduire les coûts deproduction des firmes, accroître lesinvestissements privés, stimuler leséchanges commerciaux, créer des emploiset ainsi indirectement accroître laproductivité du travail. De la même façon,les investissements en infrastructuresd’énergie ou de communication viennentaméliorer la productivité des facteurs deproduction de la firme. En outre, unecaractéristique supplémentaire desinfrastructures de communication résidedans l’existence de fortes externalitéspositives de réseau entre utilisateurs

comme le soulignent Pradhan, Arvin,Norman & Bele (2014). Un nouveau typed’infrastructure est apparu à la fin desannées 2000, en lien avec l’essor desnouvelles technologies. Les Infrastructuresde Données Géographiques (IDG) définiescomme « l’ensemble de servicesdisponibles sur Internet, sur les sites webdes différents acteurs concernés, etpermettant la diffusion et le partaged’informations géographiques ». Lesétudes réalisées en Australie, en Nouvelle-Zélande ou encore au Royaume-Uni parACIL Tasman (2008) ainsi qu’en Catalognepar Almirall, Bergadà & Ros (2008)considèrent cette innovation comme unchoc de productivité positif pour lesentreprises (car service de meilleurequalité, avec des temps de réponsesmoins long) et tentent de mesurerl’impact sur l’économie du territoire de cetype d’investissement public particulier.

Il convient toutefois de s’interroger sur lesens de la causalité entre croissanceéconomique et investissement public. À cetitre, Pradhan, Samadhan & Pandey (2013)s’intéressent aux infrastructures detransport et de communication. Ilsmontrent notamment que la causalitéentre les investissements eninfrastructures de transport et lacroissance est double. En effet lacroissance économique, accroit lademande en réseaux de communication,qui suscite à son tour une hausse desinvestissements en infrastructures detransport. Ces investissements amènent àun regroupement de l’économie,autrement dit une agglomération et unespécialisation de l’économie, qui mène àla croissance économique et àl’amélioration des échanges. Ces deuxpoints entrainant une hausse de lademande en réseaux de communication et

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ainsi de suite. Il apparaît ainsi qu’enmoyenne sur les 34 pays de l’OCDE, uneaugmentation d’1 % des investissementsen transport conduit à une hausse de 0,60% de la croissance économique.

Mais cette double causalité où lesinfrastructures publiques tirent lacroissance et réciproquement, faitémerger la question du stockd’infrastructure optimal. En effet équiperde routes une région qui en était jusque làdépourvue semble avoir plus d’effet quede construire des autoroutes à deux foisquatre voies dans une région déjà sur-équipée. C’est cette question du niveauoptimal du stock d’infrastructure et de sesconséquences sur l’efficacité del’investissement public que certainsauteurs ont cherché à expliquer.

Dans le cas des États-Unis, Evans & Karras(1994), étudient les effets du stock decapital public et des dépenses courantessur la production privée. Les résultatsmontrent que seules les dépenses enéducation ont un impact positif (quelleque soit la méthode utilisée) et que lesautres investissements publics n’ont pasd’effet sur la production privée. Cerésultat est interprété comme la preuveque ce pays est en situation desurinvestissement et donc quel’accroissement du capital public n’a plusd’effets significatif sur la productionprivée. Pour l’UE, la Commissioneuropéenne (2014) étudie l’impact desinfrastructures de transport etd’électricité sur la croissance à long terme.Les politiques de promotion des dépensesen infrastructures de transport etd’électricité peuvent conduire à desimpacts positifs sur la croissance àcondition qu’il n’y ait pas de sur-prestation des infrastructures. Dans le cas

de l’électricité, les résultats montrent enoutre que la croissance, grâce à uneconsommation accrue d’électricité, peutse traduire par une infrastructuresupplémentaire qui, à son tour, soutient lacroissance économique. Ainsi laCommission montre qu’une hausse de 1 %des investissements en infrastructuresélectriques contribue à une augmentationdu PIB de 0,25 %, alors que dans le mêmetemps une hausse de 1 % desinfrastructures de transport génère unehausse de 0,19 % du PIB. On notera ici ladifférence avec les résultats de Pradhan,Samadhan & Pandey (2013) et ceux de laCommission. L’effet du PIB sur lesinfrastructures électriques s’élève quant àlui à hauteur 0,99 %, c’est-à-dire qu’unehausse d’1 % du PIB entraînera une haussequasi proportionnelle du niveau eninfrastructures électriques. Des travauxsimilaires ont été menés sur les régionsfrançaises notamment par Charlot, Piguet& Schmitt (2003). Ils montrent que desinvestissements publics opérés dans desrégions avec un stock initiald’infrastructures élevé n’a aucun impactproductif en raison d’un phénomèned’encombrement. Au contraire, il existeune efficacité productive élevée du capitalpublic pour les régions moyennementdotée ou peu dotée.

I.3 Le poids de la dette pourfinancer l’investissement public

Afin de mieux appréhender lesinvestissements publics locaux, la questionde leur financement se doit d’êtreétudiée. Hulbert & Vammalle (2014)soulignent que la nature de leurfinancement a beaucoup évolué cesdernières années comme en témoigne lafigure 4. Plus précisément, la part desinvestissements publics locaux financés

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par dette publique a presque doublédepuis le début de la crise financièremondiale. En 2007, juste avant la crise, 54% des investissements a été autofinancéet 40 % a été financé par des transferts encapital (subventions d’investissement),l’emprunt ne représentait que 6 % dufinancement. En 2011, seulement 36 %des investissements publics locaux a étéautofinancé et 38 % par des transferts encapital, l’emprunt représentant 14 % dufinancement.

En France notamment, la question desmodalités de financement del’investissement public local s’inscrit dansun cadre législatif différent du niveaunational. En effet les collectivités localessont soumises à une obligation de voterdes budgets équilibrés mais également àl’obligation de présenter un budget defonctionnement à l’équilibre et si possibleen excédent donc sans avoir recours àl’emprunt. Cette contrainte fait quel’emprunt ne peut être utiliséqu’exclusivement pour financer desprojets d’investissement public. Toutefois,la situation budgétaire des collectivités lespousse désormais à réduire leursdépenses publiques mais aussi à revoirleurs modes de financement. Lacontrainte budgétaire propre auxcollectivités locales les oblige à adapterleurs comportements d’investissementface aux évolutions de leurs comptes. Siplus de 90 % des investissements sonttoujours financés par des ressourcespropres (épargne à hauteur de 77 % etsubventions en investissement pour 22 %),la Banque Postale (2015) rappelle que lapression à la baisse exercée sur ces deuxsources de financement explique en partiela baisse des investissements publicslocaux. En effet, l’érosion des capacitésd’autofinancement et la baisse des

dotations ne sont pas compensées par unrecours massif à l’endettement.

Alors que les premiers travauxacadémiques ne prennent pas en comptel’impact des modalités de financementdes investissements publics, Kneller,Bleaney & Gemmell (1999) ou encore Bom& Ligthart (2014a) analysent l’effet dutype de financement sur l’impactmacroéconomique des investissementspublics. En effet, négliger les modalités definancement des investissements publicsbiaise largement les résultats obtenusquant à leur impact final sur l’activitééconomique. Il faut également considérerla contrainte budgétaire à laquelle sontconfrontés les décideurs publics. L’impactfinal sur l’activité diffère en effetsensiblement selon que lesinvestissements publics sont financés parendettement public (dans ce cas, le coûtde ce mode de financement est supportépar les générations futures) ou par lafiscalité (dans ce cas, les ressourcesfinancières des agents économiques sontimmédiatement et directement affectées).

Kneller, Bleaney & Gemmell (1999)opèrent une distinction entre la fiscalitédistorsive (impôts sur le revenu et lesbénéfices, cotisations de sécurité sociale,impôts sur le patrimoine…) et la fiscaliténon distorsive (TVA…). Pour les pays del’OCDE sur la période 1970-1995, ilsmontrent que, contrairement aux impôtsnon distorsifs, les impôts distorsifs ont uneffet négatif sur la croissance. Plusprécisément, il apparait que les dépensespubliques ont un impact positif sur lacroissance, mais que la fiscalité distorsivea un impact particulièrement négatif, avecun coefficient de -0,41, sur la productionprivée. Concernant les revenus, lesrevenus distorsifs, ont un effet négatif

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assez important avec un coefficient de0,41. De manière similaire, les revenusnon-distorsifs n’ont pas d’effet sur leniveau de production, de même les autresrevenus (e.g. les taxes de douanes) ont uneffet négatif sur la production.

Bom & Ligthart (2014a) montrent quant àeux qu’il est préférable pour ungouvernement d’emprunter pour investirplutôt que d’accroître la charger fiscaleactuelle qui pèse sur les agentséconomiques. Lever la conditiond’équilibre budgétaire, autrement ditautoriser l’endettement public, permet delimiter les effets négatifs del’investissement public surl’investissement privé, la production etl’emploi. Ainsi, la charge financière liée àcet investissement public est reportée àune période où l’investissement publicaura certainement porté ses fruits encréant de la richesse supplémentaire. Ilfaut également noter que l’endettementpublic permet de rendre positif l’effet del’investissement public sur laconsommation privée.

I.4 Les canaux de transmissiondes investissements publics àl’économie

Afin d’identifier les canaux detransmission des investissements publics àl’économie réelle, il convient tout d’abordd’identifier les acteurs économiquesconcernés. Nous pouvons distinguer lesentreprises, les ménages et le secteurpublic lui-même. Les ménages sontrarement considérés dans l’analyseéconomique. Le plus souvent, ce sont leseffets sur les entreprises et, le caséchéant, sur le secteur public quiretiennent l’attention.

Les canaux de transmission peuvent êtrede nature très diverse et variée enfonction des hypothèses qui sont retenuesquant à la nature des investissementspublics, au mode de financement et auniveau de décision publique considéré. Enne tenant compte que du niveau nationalet en ignorant pour l’instant la nature dufinancement, trois principaux canaux detransmission peuvent être identifiés. Unpremier canal direct est induit par lesupplément de demande généré par lesdépenses d’investissement public. Lesautres canaux sont plus indirects. Ledeuxième canal de transmission transitepar les coûts de production de la firme.Affectant la technologie de production, lesinvestissements publics lui permettentd’être plus productive et donc pluscompétitive à la fois sur le marchénational et sur les marchés internationaux.Le troisième canal de transmission semanifeste par les effets de levier induitsen fournissant des signaux à des secteursclés de l’économie.

La prise en compte du type definancement fait apparaître de nouveauxcanaux de transmission. En cas definancement par endettement public, lathéorie économique nous enseigne,notamment au niveau national, que lecanal du taux d’intérêt joue un rôle crucialdans la mesure où un effet d’éviction de ladépense privée par la dépense publiquepeut apparaître. En cas de financementpar impôts, le canal du revenu joue unrôle crucial. Tout dépend sur quel acteuréconomique pèse la fiscalité.

D’autres canaux de transmission ont étéétudiés. Aschauer (1989a) tentenotamment de montrer les effets directsde l’investissement public financé paremprunt mais aussi indirects via le taux de

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retour su le capital privé non-financier.Basée dans un cadre néoclassique,l’analyse vise à tester l’existence ou nond’un effet d’éviction. Pour se faire, il testeles effets d’une hausse des dépensespubliques sur deux variables, le stock decapital privé non-financier et le taux deretour sur capital privé non-financier, cedernier étant un déterminant du premier,car plus le retour sur capital est importantplus l’individu est incité à investir. À partird’une étude économétrique, il montre quedeux canaux opèrent de manièresimultanée. D’une part, une hausse ducapital public se substitue au capital privédans des proportions de quasiment unpour un. Cela s’explique par le fait que lesecteur privé va accaparer la hausse ducapital public au lieu de lui-même investirdans le capital dont il a besoin. D’autrepart, une hausse du capital public faitaugmenter le taux de retour du capitalprivé ce qui incite le secteur privé àinvestir davantage. Il apparaît alors que lesecond effet l’emporte. Ainsi, une haussedu capital public a tendance à accroitre lestock de capital privé.

La prise en compte du niveau de décisionlocal fait par ailleurs apparaître le canaldes externalités (ou effets dedébordement), aussi bien verticales (entrele niveau national et le niveau local)qu’horizontales (entre les différenteslocalités).

II– QUELLE APPROCHE POURÉVALUER L’IMPACT ÉCONOMIQUEDES INVESTISSEMENTS PUBLICS ?

Comme le souligne Rickman (2010), ilexiste deux principaux types d’approche :des approches économétriques (approchepar la fonction de production, la fonctionde coût ou le modèle VAR pour VectorielsAutorégressifs) et des approches

théoriques avec simulations (modèles EGCpour modèles d’équilibre généralcalculable ou DSGE pour modèlesd’équilibre général inter temporelsstochastiques). Chaque type d’approcheprésente des avantages et desinconvénients et il convient de choisir laméthode la plus adaptée en fonction desobjectifs attendus.

Au début des années 1980, deux types demodélisation se sont progressivementimposés, au moins à un niveauacadémique : les modèles VAR et lesmodèles DSGE. Ces deux approches ontdéveloppé et proposé des outilsquantitatifs originaux permettant derenouveler l’analyse des fluctuations. D’uncôté, l’approche VAR permet de modéliserla dynamique de différentes variableséconomiques agrégées à l’aide d’un faiblenombre de restrictions, la sélection dumodèle ne s’effectuant que sur la base decritères statistiques. D’un autre côté, lesmodèles DSGE offrent une modélisationparcimonieuse et rigoureuse de ladynamique économique et desanticipations.

Pour mesurer l’impact d’une politiquepublique sur l’économie réelle, il fautdistinguer plusieurs niveaux de prise encompte du comportement des agents.Prenons un exemple simple pour lesdifférencier. Dans l’analyse statiquelorsque le gouvernement décided’augmenter de 10 % la taxe portant surun produit générant 100 000 euros derecettes fiscales, la mise en place de lataxe produit une hausse de 10 000 eurosdes recettes fiscales. Ainsi lesconsommateurs peuvent se détourner duproduit taxé pour consommer un substitutmoins taxé et par conséquent diminuer lesrecettes fiscales. Il est en outre possible

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de pousser l’analyse de sorte àcomprendre les interactions entre lesagents, et ce en passant par les prix, c’estce que cherche à faire l’analysedynamique. En effet, en se détournant duproduit taxé l’entreprise qui le produisaitva perdre des revenus, sera contrainte deréduire son personnel, les employés unefois licenciés percevrons une allocationchômage, leurs revenus ayant baissé, ilsconsommeront moins, donc générerontmoins de recettes fiscales et de revenusdans l’économie.

II.1 L’approche par l’estimationde la fonction de production oula fonction de coûtSturm, De Haan & Kuper (1998)s’intéressent aux différentes approchespour évaluer l’impact des investissementspublics sur la croissance économique. Ilsévaluent les avantages et lesinconvénients des deux principales façonsde modéliser la relation entrel’investissement public et la croissanceéconomique :

– l’approche par la fonction de productiondans laquelle le stock de capital public estajouté en tant que facteur de productionsupplémentaire dans une fonction deproduction (qui est alors estimée à unniveau national ou régional) ;

– l’approche par la fonction de coût ou deprofit dans laquelle le stock de capitalpublic influence le prix des facteurs deproduction.L’approche par la fonction deproduction, consiste à intégrerl’investissement public au sein de lafonction de production de l’entreprise. End’autres termes, cette approche vise àconsidérer les investissements publicscomme un facteur de production del’entreprise, à l’instar du capital et du

travail. Que ce soit chez Aschauer (1989b)ou Munnell (1990), la littérature montreque l’investissement public contribue àl’amélioration de la productivité à la foisdu capital et du travail. Ceci s’appuie surles théories supposant que l’interventionpublique permet de pallier lesinsuffisances du marché. En effet, il y ades secteurs d’activité où les firmes neveulent ou ne peuvent pas intervenir.Dans ces situations, l’investissementpublic permet de créer un marché et desgains de productivité. C’est par exemple lecas dans les transports. Le problème posépar cette méthode c’est qu’elle eststatique, il est possible de voir commentl’investissement public influence laproductivité pour reprendre les travauxd’Aschauer mais ni les comportements desentreprises, ni les interactions entre lesagents sont prises en compte.

L’approche par la fonction de coût ou lafonction de profit représente uneapproche alternative. La fonction de coûtdépend de la quantité produite et du coûtdes facteurs de production, alors que lafonction de profit montre la relation entrele profit, le chiffre d’affaires (i.e. le prixmultiplié par la quantité) et le coût desfacteurs. Dans le cas où les facteurs sont letravail et le capital, leurs coûts sontrespectivement le salaire et les tauxd’intérêt. Seitz (1993) montre quel’approche par la fonction de coût se faiten plusieurs temps, montrant commentles agents réagissent. Tout d’abord lafirme introduit le capital public dans safonction de production. Ensuite le capitalpublic se retrouve dans la fonction decoût, indirectement via la production, lecapital public étant supposé gratuit, iln’est pas pris en compte à ce niveau là.Enfin, le cout du capital public est pris encompte via son « shadow price », c’est à

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dire l’économie réalisée dans les coûts deproduction résultant de l’augmentationd’une unité de capital public.

Ces deux approches visent à modéliser lecomportement de la firme. La firme opèreun arbitrage, entre les différents types defacteurs, afin de minimiser ses coûts etdonc maximiser ses profits, elle peut ainsiadapter son comportement à la suite desdécisions de politique publique. Il existetoutefois différentes méthodeséconométriques pour évaluer cesfonctions. Alors que les premièresestimations économétriques se basent surdes techniques simples, l’apparition desmodèles VAR dans les années 1980permet de surmonter les principauxécueils de ces méthodes. En effet, commele rappellent Pereira & Andraz (2013), lespremières estimations, des années 1950 à1980 à partir de fonction de productionCobb Douglas ou translog notamment,souffraient de plusieurs problèmeséconométriques, que les modèles VAR onten partie résolu. Le premier était l’étudede la tendance des variables, la secondeun problème d’omission et enfin laquestion de la causalité.

De part leur structure, les modèles VARsont influencés par la tendance dans letemps suivie par les variableséconomiques étudiées. En effet, cesmodèles se basent sur l’étude desdonnées passés pour expliquer lesrelations présentes entre les variablesretenues pour l’étude. Ainsi, des variablescomme les investissements publics et lacroissance économique ont pu suivre destendances similaires. Ce biais, dis de co-intégration, aura un impact sur l’analysedes résultats. En effet, alors que desauteurs comme Aschauer (1989b) ouMunnell (1990) trouvent des élasticités

comprises entre 0,23 et 0,39, Pereira &Andraz (2013) montrent qu’en prenant encompte ces problèmes de tendance, lalittérature obtient des résultats inférieurs,de l’ordre de 0,09 à 0,16. En outre, un desrisques lorsqu’on spécifie un modèleéconométrique, est l’omission de variablesimportantes. En effet ne pas prendre encompte une variable qui pourraiinfluencer la variable explicativeentrainera des résultats biaisés etinexploitables. Par ailleurs, la question dela causalité est une problématique àconsidérer, car le sens de la causalitépermet une meilleure compréhension desphénomènes. Si les études passées nousmontrent un effet positif del’investissement public sur la production, ilpeut exister une causalité inverse, c’est àdire que la croissance économiqueinfluence à son tour le niveau del’investissement public. Les modèles VARpermettent donc de pallier ces troisproblèmes économétriques rencontréspar les modèles antérieurs. Cependant ilsne sont pas sans reproches. La critique deLucas, soulève leur caractère a-théorique.De plus ces modèles nécessitent des sérieslongues qui ne sont parfois pasdisponibles.

II.2 L’approche par le modèled’équilibre général (calculableou stochastique)

Les modèles d’Équilibre GénéralCalculable (EGC) sont une classe demodèles économiques qui utilisent desdonnées économiques réelles pourestimer comment une économie pourraitréagir à des changements de politique, detechnologie, de ressources, ou d’autresfacteurs externes. Ils ont la particularitéde prendre en compte, de façon plus oumoins détaillée, toutes les composantes

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d’une économie, suivant la théorie del’équilibre général. Ainsi, les modèles EGC,ont deux caractéristiques majeures : unematrice de comptabilité sociale et deséquations comportementales.

Les modèles d’équilibre général sont desmodèles entièrement spécifiés portant surune économie ou une région et incluanttoutes les activités, facteurs et institutionsde production. Par conséquent, lesmodèles sont d’équilibre « général » car ilscomprennent la modélisation de tous lesmarchés (sur lesquels les décisions desagents sont sensibles aux prix et lesmarchés concilient les décisions d’offre etde demande) et des composantesmacroéconomiques, telles que lesinvestissements et l’épargne, la balancedes paiements et le budget dugouvernement. Ces modèles sont dits «d’équilibre » car ils permettent d’obtenirun vecteur de prix permettant d’égaliserl’offre et la demande sur tous les marchésreprésentés par le modèle. On peut direque les modèles d’équilibre général,servent à simuler une politiqueéconomique, dans un cadre économiqueconstruit à partir de modèle théorique.

La matrice de comptabilité sociale estconstruite de sorte à représenterl’économie en secteur, chaque secteurregroupant plusieurs types de biens oud’agents. Ainsi la matrice pourraconsidérer les cadres supérieurs, sansdistinction de sexe, ou bien agréger en unsecteur les bouteilles d’eau gazeuses et laviande hachée. Cette méthodologie al’avantage de combiner en une base dedonnées, des informations sur leséchanges au cours d’une année donnéeentre les différents secteurs del’économie. Les données pouvant provenirde diverses institutions ou d’enquêtes.

Ainsi les entrées le long d’une lignereprésentent les paiements reçus par unsecteur particulier, la somme de la lignemontre l’ensemble des revenus du secteurconsidéré. Les données le long d’unecolonne, montrent les dépenses réaliséespar un secteur particulier, la somme d’unecolonne nous donne le total des dépensesdu secteur étudié. Cependant, plus ledegré de sectorisation est grand, plus lebesoin en données est important et lerisque de données manquantes est élevé.

Les équations dites comportementalesreprésentent quant à elles lecomportement des différents typesd’agents dans l’économie. Ainsi comme lerappelle Suwa (1991), le cadre d’analyseWalrasien prévaut dans les modèles EGC.Les décisions de production desentreprises sont issues de la maximisationde leur profit. Ce cadre d’étude met enavant les effets de retour qui existent dansl’économie. Ainsi les revenus des ménagesdépendent du prix des facteurs qui sonteux même liés aux prix des biens deproduction, on comprend donc aisémentque la demande de biens dépend des prix,directement et via le revenu des ménages.

Lorsqu’on en vient à étudier l’impact despolitiques régionales, et les débordementsentre les régions, il est nécessaire depouvoir prendre en compte la provenancedes biens qui sont consommés par lesagents économiques. Armington (1969),montre que cette intégration de laprovenance des biens dans lecomportement des agents se fait parl’abandon de l’hypothèse desubstituabilité parfaite entre les biensproduits localement et les biens produits àl’extérieur, en introduisant unesubstituabilité imparfaite. On supposedonc que les agents consomment de biens

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composites, composés de biensdomestiques et étrangers, le prix desbiens composites dépend d’une fonctionrelative des prix domestiques par rapportaux prix étrangers.

Les études de Giesecke & Madden (2003),Partridge & Rickman (2010) ou encoreACIL Tasman (2009) utilisent des modèlesd’équilibre général calculable.

Il faut cependant différencier les modèlesd’équilibre général calculable (EGC) desmodèles d’équilibre général dynamiquestochastique (de l’anglais DynamicStochastic General Equilibrium, DSGE).Même si dans leur spécification, c’est-à-dire leur construction et leur résolution,ces modèles sont assez similaires, il existeun point qui les différencie : les modèlesEGC évoluent dans un environnement ditdéterministe alors que les modèles DSGEévoluent dans un cadre stochastique.Dans un environnement déterministe, lesvariables peuvent subir des chocs lesécartant de la tendance mais ellesretourneront toujours à la tendance. C’estle cas d’un bateau qui louvoie mais qui iramalgré les virements de bords à sadestination. Dans un environnementstochastique, les variables ne suivent pasde tendance déterminée. Dans ce cas, lebateau n’a pas de destination ou de cap etse contente de suivre les courants et lesvents.

Les modèles DSGE sont une extension dela théorie d’équilibre général. Ces modèlesjouent notamment un rôle important dansl’évaluation de l’impact macroéconomiquedes politiques économiques menées parles banques centrales et les institutionsinternationales comme le FMI. Laméthode de ces modèles repose sur deuxprincipes : une modélisation des agentséconomiques au niveau microéconomique

(ménages, entreprises, État) et uneutilisation des données passées pourcalibrer un modèle. L’objectif est demodéliser les variablesmacroéconomiques telles que lacroissance, l’inflation, le chômage,l’équilibre extérieur… Les principes restentles mêmes que pour la théorie del’équilibre général, développée par Arrowet Debreu, des agents rationnels : lesménages maximisent leurs utilités et lesentreprises leurs profits. La partiestochastique consiste à introduire desprocessus stochastiques exogènes, ditschocs, modélisant la croissance et/ou lapolitique économique. Dans ces modèles,l’état de l’économie évolue par palierpassant de l’instant t à l’instant t+1, lesmaximisations s’effectuent donc surl’espérance de la somme des utilités oudes profits futurs tout en tenant comptedes contraintes (prix, monnaie…).

L’article de Kydland & Prescott (1982) estconsidéré comme le point de départ decette branche des sciences économiques.Aujourd’hui, deux grandes écoles sedistinguent, la Nouvelle économieclassique (prix libres) et la Nouvelleéconomie keynésienne (rigiditésnominales et réelles). On parle de «modèle dynamique » car au lieu deconsidérer les paramètres du modèlesimple, on considère certains de cesparamètres comme des variablesaléatoires.

CONCLUSION

En définitive, comme nous avons pu leconstater, les investissements publicsjouent un rôle important dans l’économie,et une meilleure prise en compte etévaluation de leur impact s’avèrenécessaire. Si le niveau national est biendocumenté, il existe très peu d’études sur

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l’impact des investissements public auniveau local. En effet, en dehors du casdes États-Unis, la modélisation du niveaurégional n’est peu ou pas étudiée.

Se lancer dans le chantier d’évaluerl’impact des investissements publicslocaux sur l’activité et l’emploi impliquetoutefois d’être en mesure de disposerd’informations précises sur la nature desinvestissements publics réalisés au niveaulocal, sur leurs modalités de financementet aussi sur la nature des relationséconomiques qui lient différentes localitéscontigües en raison des effets dedébordement importants qui peuventexister entre localités.

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FINANCES PUBLIQUESLe FMI satisfait de la politique économique du Maroc

La Tribune Afrique | 15.12.2017

Les réformes impulsées par Bank Al-Maghrib, la Banque centrale marocaine,ont été largement saluées par le FMI.(Crédits : DR) Le Fonds monétaireinternational vient de rendre sa copie surl’économie marocaine. L’institution semontre globalement satisfaite desréformes menées par Rabat, notammentcelles décidées par Bank Al Maghrib.L’économie marocaine devrait clôturer2017 avec 4,4% de croissance et uneinflation de 0,6%.

Les perspectives économiques marocainesà moyen termes sont considéréesfavorables par le Fonds monétaireinternational. L'institution s'attend à ceque le pays atteigne un taux de croissancede 4,5% en 2021, tout en prévenant lesautorités sur les risques qui la guettent,notamment la croissance des pays avancéset émergents, les tensions géopolitiquesdans la sous-région et la volatilité desmarchés financiers mondiaux.

Maintenir les réformes

Pour que Rabat garde le cap, le FMI luirecommande de poursuivre la mise enœuvre des réformes concernantl'efficacité du marché du travail, l'accès aufinancement, la qualité de l'éducation,l'efficacité des dépenses publiques etd'autres améliorations du climat des

affaires. Renforcer la sécurité sociale aégalement été identifié comme unimpératif pour que le Maroc parvienne àune croissance plus inclusive.

Le Conseil exécutif du FMI a par ailleurs,félicité les autorités marocaines pour « lespolitiques macroéconomiques saines et lamise en œuvre des réformes qui ontcontribué à améliorer la résilience del'économie marocaine, à améliorer lescadres de politique budgétaire etfinancière ou encore à accroître ladiversification économique ». Le Fonds apar ailleurs salué la reprise del'assainissement budgétaire par Rabat, quidevrait assurer la viabilité de la dette.

Apporter de la résilience au secteurpublic

Une cure d'austérité qui vise à contrôlerles dépenses publiques notamment, lessalaires, les biens et services, de manière àcréer un espace budgétaire pour lesdépenses prioritaires à moyen terme. Cet« assainissement budgétaire » devraitselon un accord entre le Maroc et le FMIbénéficier d'une approche globale desréformes fiscales, visant à élargir l'assiettefiscale et à promouvoir « une plus grandeéquité et simplicité ».

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Cet effort passe également par une miseen œuvre « prudente » de ladécentralisation fiscale, la réformecomplète de la fonction publique, lerenforcement de la supervision desentreprises publiques ou encore unmeilleur ciblage des dépenses socialespour protéger en priorité les couches lesplus vulnérables de la population. Du côtéde l'inflation, les administrateurss'attendent à ce qu'elle « resteprobablement modérée ».

Bank Al Maghrib, premier de la classe

La politique monétaire « accommodante »menée par la Banque centrale marocainedevrait lui permettre selon le FMI depoursuivre le recouvrement des créances.La décision de Bank Al Maghrib deréformer son régime de taux de change aété saluée par l'institution qui estimequ'un « taux de change plus flexible et unnouveau cadre de politique monétaire, cequi aidera l'économie à absorber les chocsexternes et à rester compétitive ».

Les experts du FMI semblent avoirdécerné le titre de meilleur élève de classeà Bank Al Maghrib. « Les administrateursnotent que le secteur bancaire reste solideet bien capitalisé, mais souligne lanécessité de rester vigilant. Ils se sontfélicités des efforts continus de Bank AlMaghrib pour accroître la capacité desurveillance conformément auxrecommandations du Programmed'évaluation du secteur financier de 2015,notamment une supervision plus axée surles risques et prospective ou encore des

exigences de provisionnement plusstrictes ».

Cette éloge de la Banque centrale s'étendégalement au contrôle bancaire où elleveillerait à la bonne capitalisation desbanques, limitant au passage les risquespour la stabilité financière ou encore enexerçant une étroite surveillance coupléeà un « bon » approvisionnement des prêtsnon performants. Le FMI a égalementsalué les limites réglementaires visant àréduire la concentration du crédit et lacollaboration « renforcée » de la Banqueavec les autorités de surveillancetransfrontalières « pour contenir lesrisques liés à l'expansion des banquesmarocaines en Afrique ».

Pour l'exercice en cours, le FMI table surune croissance de 4,4% justifiée par unrebond significatif de l'activité agricole. Letaux de chômage est pour sa part passé à10,6% au troisième trimestre 2017 (englissement annuel), caractérisé par lahausse du chômage des jeunes quireprésente 29,3%. L'inflation devraits'établir à 0,6% à fin 2017, grâce à labaisse des prix des produits alimentaires.Les bonnes performances de l'exportationde produits alimentaires et de phosphateet dérivés ont permis au Marocd'améliorer son déficit du compte courantqui s'est stabilisé à 3,9% du PIB et àmaintenir ses réserves en dives à près de 6mois d'importations.

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FINANCES PUBLIQUES

L'argent public

Francis CondatEmpan, vol. 82, no. 2, 2011 (Cairn.info)

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L'argent public

Il est une forme tout particulièrement virtuellede l'argent : l'argent public. On sait qu'il existecar les impôts et taxes nous le rappellent, onsait qu'il construit notre environnementmatériel et plus encore social. Mais où est-il ?Quelle est sa nature ?

Deux mandats d'adjoint aux finances m'ontfamiliarisé avec la comptabilité municipale,mais ça ne suffit pas pour répondre à cesquestions, ni même pour en prendreconscience. Les fonctions de maire d'unvillage, a fortiori périurbain, impliquent denombreuses relations avec les habitants(éduqués et exigeants), les associations, lesacteurs économiques, les autres collectivités,les services départementaux de l'État. C'estpour un nouvel élu l'opportunité de découvrirles conceptions, différentes selon les

interlocuteurs, de ce qu'est l'argent public, etde forger la sienne.

Du côté des institutions, on a bien souvent lesentiment de « faire la quête » auxsubventions, même si elles sont encadrées pardes règles strictes, mais parfois mesurées dansce cadre à l'aune des « sensibilités ». Cesfinancements créent quelquefois uneimpression de subordination car, même si lacommune jouit de l'autonomie, elle a besoinde moyens, et l'adage « Qui paie commande »s'applique au moins sous la forme d'influence :nous voulions rénover une bibliothèque, nousavons construit une médiathèque… Mais c'esttant mieux. Quant aux dotations de l'État,elles ne souffrent pas la discussion ! À ceniveau, les relations sont plus techniques quepolitiques.

Du côté des habitants et des organisations etactivités qui les regroupent, les conceptionsvarient sensiblement selon les moments, ycompris pour une même personne quidemandera, en tête à tête, des travauxd'aménagement autour de son domicile, deson commerce, parfois avec virulence, tout enclamant l'inutilité de dépenses faites pourd'autres. Puis qui, lors de la première réunionpublique, se plaindra du niveau insupportabledes impôts locaux ! Il peut en être de mêmedu président d'une association qui réclame,souvent à juste titre, des locaux, deséquipements, des subventions.

Le bon argent public est celui qui apporte deséquipements et des services, autant quepossible « gratuits ». Le mauvais est celui qu'il

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faut débourser au profit de la collectivité quiva, bien entendu, gaspiller.

L'argent, mode d'emploi

Y aurait-il deux natures différentes d'argentpublic ? Quel est leur lien et peut-on le rendrecompréhensible aux citoyens ? Les réponsesse trouvent peut-être à la mairie, premierpoint de rencontre entre le citoyen et lacollectivité.

Une mairie, à l'exception mineure de régiestelles que celle de la cantine scolaire, nedétient pas d'argent : elle gère des écritures.Cela est vrai tant pour le maire lui-même quepour tout citoyen. Pourtant, comme danstoute collectivité, des décisions y sont àprendre qui vont fixer les contributions deshabitants et des acteurs économiques, et, parles services fournis et les investissementsréalisés, contribuer au cadre de la viepersonnelle, sociale et professionnelle dechacun.

La gestion des écritures n'est pas d'unecomplexité insurmontable à qui veut s'yintéresser, mais elle comporte desparticularités non sans conséquences. Elle estannuelle. Or l'emprunt fait aujourd'hui devraêtre remboursé demain, après-demain… etlongtemps après la décision, souvent sous laresponsabilité de nouveaux élus « innocents ».Il est facile d'afficher un budget defonctionnement excédentaire, en empruntantun peu plus que nécessaire pour lesinvestissements : c'est flatteur et discret, maisc'est compromettre l'avenir.

Les ressources municipales étant constituées,pour l'essentiel, des impôts locaux, dedotations de l'État et de la Caisse d'allocationsfamiliales ainsi que de subventions d'originesdiverses pour les investissements, il estdifficile d'isoler les contributions locales, quiseules peuvent faire l'objet de décisionspolitiques. De ce fait, les citoyens, et tropsouvent les élus, ignorent, ou feignent

d'ignorer pour ces derniers, le lien entredépenses et contributions. D'autant qu'ilsdistinguent rarement la part revenant à lacommune dans leurs impôts ; le reste va àd'autres collectivités : intercommunalité,département, région, et peut inclure des taxestelles que la taxe d'ordures ménagères. Pourfixer cette part communale, le conseilmunicipal vote, pour chaque taxe, un taux, quis'appliquera à des bases fournies par l'État…C'est sur ce seul taux que l'on peut appréciersa politique fiscale ; ce n'est pas vraimentsimple.

Ainsi, le caractère immatériel de l'argentpublic, son origine floue, la difficulté àconnaître la ressource disponible et son modede gestion compliqué pour les non-initiéspeuvent conduire les citoyens à une illusion degratuité, qui engendre une exigence de « dû »sans autre limite que celle du désir. Pour lesélus, ces mêmes caractères permettent desatisfaire cette exigence, du moins dans laforme et jusqu'au prochain budget, enclamant la priorité du politique surl'économique, ce qui garantit lesapplaudissements. De plus, la tentation estgrande, en particulier pour un maire, devouloir afficher des réalisationsemblématiques, sinon prestigieuses, celaparfois sous la pression d'habitants prêts à luidire : « Vous ne faites rien. »

Le risque d'une gestion dispendieuse, dans lemoyen terme, est donc loin d'être nul ; lesurendettement en est le symptôme, mais laseule comptabilité annuelle ne permet pas dele prévenir. Trop peu d'élus ont le courage deprésenter les contraintes financières quipèsent sur leur gestion et les liens entredépenses et fiscalité… par crainte de ne pasêtre réélus ? (On a les élus qu'on mérite !)Trop peu de citoyens ont le courage de fairel'effort de compréhension nécessaire. Maislorsqu'ils l'ont fait, ayant acquis la capacitéd'appréhender les réalités, ils ont acquis celled'avoir prise sur ces réalités.

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Une réponse se trouve sans doute dansl'éducation civique et citoyenne qui donne lavolonté de comprendre et d'agir au sein de lacollectivité. C'est la condition nécessaire àune démocratie participative, mais ladémocratie participative, ne serait-ce qu'àl'échelle municipale, est-elle la solution ? Lessimulacres sont aisés à mettre en place et lesécueils sont nombreux, par exemple ladifficulté à éviter l'entrisme, à ne pas entendreseule- ment ceux qui crient le plus fort et,revenons à l'argent public, à déléguer unepart du budget communal à des citoyens nonélus. Les élus conservant, de par la loi, laresponsabilité de l'usage fait de ce budget,peut-on séparer autorité et responsabilité ? Àl'inverse, la démocratie participative peutêtre, pour l'élu, un moyen de faire gérer lapénurie par les citoyens… à leur grandesatisfaction !

Confrontée à une situation financièrecatastrophique, il y a quelques années, lechoix, pour la commune, était entre la misesous tutelle et une hausse si forte des impôtslocaux qu'elle semblait impensable. Unecommission finances ouverte à tous leshabitants, qui vinrent nombreux parce qu'ilsétaient inquiets, aboutit à un consensus surl'analyse de la situation, les options possibles,les conséquences associées, et recommandaau conseil municipal d'augmenter les impôts.Il n'y eut aucune récrimination dans le village,les membres de la commission jouant sansdoute le rôle de « leaders d'opinion ». Avions-nous fait participer ? Gérer la pénurie ? Est-cedissociable dans un cadre budgétaire limité ?La participation citoyenne, même si elle ne vapas jusqu'au pouvoir de décision, peut avoirdonc avoir une grande importance, enapportant des éléments de décision, enfacilitant le consensus. Mais elle peut aussijouer un rôle important en contrôlant l'usagedes fonds publics, ce qui ne peut que conduireà une gestion plus transparente et rigoureuse,mais également à une plus grande confiancedes citoyens dans leurs élus.

En effet, le budget que maîtrise l'élu est unélément important de son pouvoir. Il peut êtretentant d'en abuser, en imposant des choixpersonnels, électoralistes, sinonmégalomaniaques, et de favoriser, (c'est biennaturel !) des proches, des amis, desentreprises amies… La corruption, même sielle est entravée par des règles strictesd'utilisation des fonds publics, combattue parles chambres régionales des comptes et puniepar les tribunaux, reste possible à des degrésdivers. Elle peut être une vraie tentation,excusée par l'apparence de « ne volerpersonne ». Pourtant, l'opprobre général surces élus qui « s'en mettent plein les poches »porte plus sur les indemnités, les traitements,les avantages. Peut-être est-ce parce que, paranalogie avec leur situation personnelle, cesdépenses ne paraissent pas abstraites auxcitoyens. Protestation contre les impôts,récriminations contre les privilèges des élus,exigences de protection, d'éducation, deconfort, d'aide, et au milieu flux de l'argentpublic, virtuel parce qu'invisible, à l'origineincertaine, sans limite affirmée, à la gestionobscure : comment sortir de cette situationpour faire de l'argent public, aux yeux de tous,un moyen de servir les idéaux humaniste etrépublicain ? À l'échelle d'un village, un effortde démocratie participative, dans l'analyse dessituations et la préparation des décisions, peutpermettre des progrès significatifs. Mais dansune plus grande collectivité ?

À défaut de réponse, on peut se consoler enconsidérant que, si l'argent public est unmoyen nécessaire de toute action publique,est-il le seul ? Certainement pas, car nonseulement des choix« politiques » sont à fairequant à son usage, choix qui peuvent êtrecontrôlés et orientés par les citoyens, maisaussi parce que d'autres moyens existent, quipermettent de faire évoluer l'environnementsocial : l'écoute, la communication, latransparence, le niveau de démocratieparticipative, tout simplement l'exemplaritédes élus dans la poursuite de leurs idéaux.

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FINANCES PUBLIQUES

De l'art de la contorsion fiscale

Jean-François Pestureau, Expert-comptable, commissaire aux comptes, expert de Justiceprès la CA de Paris et les CAA de Paris et Versailles

Revue Française de Comptabilité / septembre 2017

Nécessités budgétaires et moralefiscale

La chose n'est pas nouvelle: l'optimisationfiscale qui n'est pas la fraude fiscale ne datepas d'aujourd'hui, mais sous l'influence desdébats publics sur la planification fiscaleagressive, celle des enquêtes menées par desONG ou des journalistes d'investigation, et enliaison avec les débats sur la RSE, on discutede plus en plus de la compatibilité des choixfiscaux des contribuables avec "l'éthique" : enatteste la montée en puissance du concept dename and shame, désigner et blâmer.

Si, jusqu'à peu encore, on s'émouvait, certesde montages faisant échapper à l'impôt unevaste assiette au préjudice des budgetsnationaux, on ne mettait que peu ousporadiquement en œuvre les moyens de lespoursuivre.

Des scandales moteurs

Ce n'est plus le cas. Des exemples commeceux des Gafa 1 ou de grandes banques, larévélation de comportementsentrepreneuriaux ou individuels frauduleuxont fait bouger les lignes. Les progrès dans larépression de la fraude n'ont toutefois pas étéréalisés par subite prise de conscience del'urgence à mettre en place des dispositifsrépressifs, ce que l'État a toujours pu faire, nipar une brutale repentance de contribuablessoudain bien inspirés: les révélations de listesde fraudeurs par des lanceurs d'alerte, anciens

collaborateurs de banques ou de cabinetsd'affaires internationaux, ont quelque peuboosté les mea culpa.

Quant aux groupes internationaux, c'est levaste débat public ouvert dans les médias surleurs prodigieuses économies d'impôts qui aconduit les États depuis 5 ans, à développerdes actions coordonnées contre l'érosion desbases fiscales et les transferts de bénéfices(BEPS 2) hors des frontières. Chaque jour sontpubliées des quantités croissantesd'Informations fiscales et financièresjusqu'alors couvertes par le secret bancaire.La planification fiscale agressiveLes fuites relatives aux placementsextraterritoriaux, dénommées Offshore-Leakspar référence à Wikileaks qui ont conduit,depuis 2013, à la mise au jour de circuitsfinanciers de fraude et de blanchimentd'argent Impliquant des paradis fiscaux, sontle résultat d'investigations menées surplusieurs années par un réseau indépendantde journalistes basé à Washington" etrépercutées par 36 titres de la presseinternationale 4 qui ont eu accès à plus de 2,5millions de documents concernant près de 120000 sociétés off-shore. Cet Offshore-Leaks aété suivi en 2014 du Luxembourg-Leaks, en2015 du SwissLeaks et en avril 2016, desPanama Peoers':

Le débat n'est évidemment pas que politiqueet n'a pas lieu que dans les médias. Il se

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prolonge dans les milieux qui créent et fontvivre la norme fiscale, en intégrant l'évolutiondes mentalités et en mettant en place letraitement approprié de la massed'informations que les révélations procurent.Cela met en jeu de délicates considérations dejustice fiscale, de mesure et de régulation dela planification et de l'évasion fiscales ainsique la question de la juste répartition dufardeau fiscal dans un environnementéconomique et juridique mondialisé. La notiond'État de droit en général, et d'État de droitfiscal en particulier, est au cœur du défi àrelever.Le défi politiquePour se limiter à la dimension internationale,le défi qu'affronte l'État est délicat. Sarésolution exige l'analyse et l'évaluationpertinentes des données existantes dans unesprit indépendant et dépassionné.Stigmatiser des cas individuels qu'on voudraitemblématiques, discréditer "les riches", "lafinance", "le capital" qu'on voudrait livrer envictimes expiatoires à la vindicte publiquenaturellement ignorante de l'extrêmetechnicité des problèmes, cela ne faitqu'attiser les préjugés, exacerber les rancœurset ne contribue pas à une résolution sereine etéquitable des difficultés

La question de savoir qui porte laresponsabilité de l'optimisation fiscale mérited'être posée, Incombe-t-elle seulement auxcontribuables et à leurs conseils avisés 6 quisavent exploiter les lacunes légales? Laresponsabilité du législateur national peutêtre criante : le Luxembourg-Leaks denovembre 2014 a révélé des centaines derescrits fiscaux très avantageux, obtenus dufisc luxembourgeois par des cabinets d'audit,pour le compte de nombre de leurs clientsinternationaux.

Un cas pratique (parmi d'autres) Soit le"double irlandais", ou "sandwich irlandais"servi par un des chefs étoilés de ladéfiscalisation' Google.

Dans un premier temps, Google US tric. 7concède ses droits de propriété intellectuelle(brevets, marques, technologies, systèmes .. .)à une société irlandaise basée aux Bermudes.'Google Ireland Holdings, En contrepartie desdroits qu'elle encaisse, Google IrelandHoldings verse à la société américaine uneredevance « dont le prix est fixé le plus baspossible pour limiter la charge fiscale auxÉtats-Unis »" et qui a été validée parl'administration américaine en 2006,Complaisance étatique?

Passons en Irlande.' de droit irlandais, GoogleIreland Holdings est la maison mère de GoogleIreland Ltd installée à Dublin et qui emploieprès de 2 000 personnes - ce qui est parfaitpour l'emploi, Elle réalise l'ensemble du chiffred'affaires de Google pour l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique, Pour ce faire, sa société-mère Google Ireland Holdings lui concède lesdroits de propriété intellectuelle qu'elledétient (de Google US Inc.) en contrepartied'une redevance chiffrée par le rapport Marinià 4,76 milliards d'euros. « Le paiement de laredevance permet de "renvoyer" le bénéficeréalisé à la mère installée aux Bermudes ».

Retour aux Bermudes.' si Google IrelandHoldings est de droit irlandais, pourquoin'acquitte-t-elle pas d'impôt en Irlande,nonobstant son implantation aux Bermudes?Question judicieuse à laquelle l'État irlandaisoppose son joker.' parce qu'elle a son « centrede management effectif» aux Bermudes,Quant à Google Ireland Ltd, elle passe encharge la redevance versée à sa société-mère,La loi irlandaise ouvre donc délibérément unefenêtre de tir à la défiscalisation agressive.

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Petit détour par les Pays-Bas.' pour rendre lesandwich encore plus goûteux, pour direcomme Sam dans le Seigneur des Anneaux,Google met à profit le droit irlandais.' lesredevances liées à l'exploitation d'un droit depropriété sont totalement exemptées d'impôtsi elles sont transférées à l'intérieur de l'Unioneuropéenne, Un transfert à l'extérieur del'Irlande donnerait lieu à une taxation minime,En conséquence de quoi, le groupe américainintercale entre les deux sociétés irlandaisesune société néerlandaise, Google NetherlandsHoldings BV par laquelle transite le paiementdes redevances, « Au total, près de 99,8 % desbénéfices réalisés à Dublin sont perçus parGoogle Ireland Holdings sise aux Bermudes» 9où il n'y a pas d'impôt sur les résultats,Complaisance étatique?

Retour au Delaware.' ce schéma paradisiaque,si l'on peut dire, laisse un dernier problème àGoogle.' le rapatriement aux États-Unis desbénéfices transférés aux Bermudes donne lieuà une imposition d'environ 35 % qui donne àréfléchir. .. Las! Attendons une nouvelleopportunité! En 2005, l'administrationaméricaine avait décidé de n'imposer qu'à 5 %les bénéfices rapatriés depuis l'étranger. Lesénateur Marini rappelle que cette opérationavait permis de faire revenir 237,2 milliardsd'euros environ de bénéfices, avec à la clé77,56 milliards d'euros de rentrées fiscalespour les États-Unis, Complaisance étatique?

Fin 2074, l'Irlande a annoncé qu'elle allaitmettre fin à la possibilité légale de recourir àce montage, mais que les entreprises qui enbénéficient déjà en bénéficieront encorejusqu'en 2020 et que, de toute façon, ellemettrait en place d'autres dispositifs enmatière de propriété intellectuelle, Sanscommentaire,

Et la France ? L'administration fiscale réclame7,775 milliards d'euros à Google.' Michel Sapina indiqué début 2076 qu'il n'y aurait aucune

négociation; ni aucune transaction. Ce fut lecas en Italie (306 millions d'euros) ou enAngleterre avec une amende pour arriérésd'impôts réduite à 768 millions d'euros, Le 72juillet 2077, le tribunal administratif de Paris ajugé que Google ne devait subir aucunredressement en France, faute d'y avoir unétablissement stable, comme l'avait estimé lerapporteur public qui déplorait toutefois les «carences de la base juridique actuelle »,

Cette situation illustre, outre la vétusté denombreux outils fiscaux, l'impossibilité d'unconsensus fiscal européen, tant que durera unesprit de concurrence dommageable entreÉtats et que prévaudra la règle fiscaleunanimitaire, au sein du Conseil Européen 10.Le renseignementL'information étant un des nerfs de la guerre,les États résolus à lutter ont pris parallèlementla voie de la donnée,

De nombreux États ont déjà convenu dedispositions bilatérales d'échanged'informations fiscales dans leurs conventionsde non double imposition, mais elles divergentgrandement. En plus de ce que prévoient lesconventions, il existe des accords bilatérauxspéciaux pour l'échange d'informations enmatière fiscale et une directive européenne,Le texte de baseLe pivot de l'échange d'informations fiscalesen Europe est la directive européenned'entraide judiciaire 11 de 2004 qui a fixé lesprincipes de base de la coopérationadministrative et l'échange d'informationsentre États membres, afin d'identifier etd'empêcher les différentes formes de fraudeet d'évasion fiscales, ainsi que pour permettreaux États membres d'établir correctementl'impôt. Le champ d'application (IR, IS, ISF,certains droits d'accise, taxes sur les primesd'assurance) doit permettre aux États

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membres de coordonner leurs enquêtes enmatière de fraudes transfrontalières. Ladirective donne notamment la possibilité auxÉtats membres de procéder à des contrôlessimultanés, chacun sur son propre territoire.FATCA/CRSDepuis lors, l'information a été étendue à unéchange automatique sur les comptesfinanciers, conformément à la norme dereporting commune CRS qu'a adoptée unecinquantaine de pays 12 le 29 octobre 2014, àl'initiative de l'OCDE, fortement inspirée dudispositif américain FATCA . Les clientsrésidents fiscaux de tous les pays signatairesde CRS sont visés. En décembre 2016, plus de1300 relations d'échanges bilatéraux ont étéactivées. Au total, 101 pays auront convenud'adopter le processus en 2017 et 201814.L'OCDE a mis en ligne un Automatic ExchangePortaIlS précisant la mise en œuvre pays parpays. Les premiers échanges pour la Francesont prévus au 3e trimestre 2017.

Les groupes non financiers, déjà concernés entant que clients, sont désormais doublementimpliqués car ils ont dû déclarer à leursbanques s'ils sont FFI16 (institution financièreétrangère) ou NFFE17 (entité étrangère nonfinancière). Ils ont donc dû analyser leursentités (pool de trésorerie, holdings, véhiculede refinancement de créances ... ), au regardde la nature de leurs activités et actifs. Ainsi,les centrales de trésorerie et les holdings nesont pas, dans le cadre de CRS, des institutionsfinancières au sens de FATCA. Un groupemultinational n'en est pas moins conduit àexaminer activité par activité et pays par payssa situation, au regard de FATCA/CRS.CBCR/CGIL'accomplissement le plus récent de laprolifération de textes non harmonisés estl'adoption le 25 mai dernier de la directive

2016/881 qui modifie la directive 2011/16relative à l'échange d'informations entre Étatsmembres. Le texte instaure pour les groupesmultinationaux établis dans l'UE dont le CAconsolidé dépasse 750 M€18, une obligationde déclaration pays par pays de certainsagrégats économiques, comptables et fiscauxappelée CBCR 19 Il prévoit aussi un échangeautomatique obligatoire d'informations entreÉtats membres. L'obligation est codifiée enFrance à l'article 223 quinquets C du CGIapplicable aux exercices ouverts à compter du1er janvier 20162°. Les informations servirontà évaluer les risques liés aux prix de transfertet les autres risques d'érosion de la based'imposition. Elles ne pourront pas servir debase à des redressements chez le paysrécepteur d'information, mais en orienterontla procédure de contrôle ...

Et concrètement? Aussi légitime que soitl'échange d'informations entre autoritésfiscales, aussi délicate paraît sa mise enœuvre. Les différentes dispositions desconventions de non double imposition, desaccords internationaux, des directiveseuropéennes ou de l'accord multilatéral surles données financières 21 se superposent engrande partie sans lien les unes envers lesautres. En outre, des préoccupations se fontjour aussi au sujet de la protection de la vieprivée et du secret fiscal. Certes, les accordsinternationaux contiennent souvent desdispositions relatives à la protection desdonnées personnelles, mais la règle veut quele niveau de protection dépende de l'Étatsource, de sorte qu'avec la divulgation derenseignements fiscaux à l'étranger, le niveaude protection peut être plus faible.

Des questions de proportionnalité et delimitation de la Collecte/diffusion de donnéesse posent donc.

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La publication de donnéesd'exploitation et d'affairesSi les règles relatives à l'échange internationald'informations entre autorités soulèventquelque perplexité, cela vaut à plus forteraison pour la publication des donnéeséconomiques, comptables et fiscales. Il sepourrait bien, notamment, que la publicationde données d'exploitation et d'affaires d'uneentreprise soit utilisée non seulement par laconcurrence, mais par d'autres États alorsportés à jouer la concurrence fiscale les unscontre les autres, pour la part des recettesfiscales du groupe multinational qui leurrevient.

Il n'est pas anodin que des États comme lesÉtats-Unis, le Canada-", la Chine ", l'lnde ", leBrésil, le Japon ë la Corée du Sud, la Russie26ou Israël 27, mais aussi des États membres 28de l'UE repoussent leur application de l'accordmultilatéral pour l'échange internationald'informations en matière fiscale, qui neprévoit que l'échange entre autorités fiscales29. Ces pays n'approuveront pas, à coup sûr,un accord international sur la publication detoutes les données d'entreprise essentielles.La Commission européenne persévèrecependant: le 4 juillet, elle a présenté unedirective obligeant à publication lesmultinationales de plus de 750 M€ de CA,mais avec une clause de sauvegarde, si lasociété montre que la publication seraitcontraire à ses intérêts commerciaux.

La lutte contre la fraude fiscale, le transfertinjustifié de profits et l'évasion fiscale sont dejustes combats. Pour répondre aux souhaitsdes nations, les États sont de plus en plusconduits à élargir leurs domainesd'intervention et donc à avoir toujours plusbesoin de moyens humains et financiers. Celane va pas sans dérives, tellesl'instrumentalisation de la fiscalité par lapolitique, la manipulation des opinions

publiques fatalement dépassées par lacomplexité et les enjeux des débats, opinionspubliques qui, de leur côté, ne sont pas enreste d'amalgames au service de leursconvictions ou de leur rancœur. Celas'accompagne aussi d'un coûteuxdéveloppement de bureaucraties tantpubliques qu'entrepreneuriales. Gourmandesd'informations et de financements.Décidément, la voie entre idéal fiscal etréalisme budgétaire n'est pas une promenadede santé publique!

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FINANCES PUBLIQUESRegroupements d'entités dans le référentiel comptableinternational pour le secteur public

Fabienne Cotiqrion, Chargée de mission expérimentée, membre de L’lPSASBoard Consultative Advisory GroupRevue Française de Comptabilité / 10.09.2017

On reprochait à l'International PublicSector Accounting Standards Board(lPSASB) de n'être qu'une pâle copie del'IASB ; voici qu'au terme d'une dizained'années de discussions, le normalisateurcomptable international pour le secteurpublic, a publié en février 2017, la normeIPSAS 40 Regroupements d'entités dansle secteur public. Est-ce le débutd'une ère de réflexions approfondies surles spécificités des opérations du secteurpublic et sur la nécessité d'en adapter leurtraduction comptable ?

UNE GENESE DIFFICILEProjet initialement prévu pour assurer laconvergence avec la norme IFRS 3 sur lesregroupements d'entreprises du secteurprivé ; le sujet a fait l'objet de longuesdiscussions avant de réconcilier desvisions très différentes sur lesregroupements d'entités. C'est ainsi qu'ils'est écoulé près de dix ans avant lapublication d'un document pourconsultation publique qui a constitué lapremière pierre du processus d'édificationd'une norme qui prend finalement assezbien en compte les spécificités du secteurpublic en la matière, Il reste toutefois des

axes d'améliorations et d'investigationscomplémentaires, notamment sur lanotion de contrôle.

PRINCIPALES DISPOSITIONSCOMPTABLES DE LA NORMEIPSAS 40L'objectif affiché de la norme est deproposer des dispositions pour classer,comptabiliser et évaluer lesregroupements d'entités dans le secteurpublic Partant du constat que cesopérations ne peuvent pas, dans bien descas, s'analyser au regard des normes pourle secteur privé, l'IPSAS Board a cherché àdévelopper un classement qui permettede traiter les spécificités Identifiées. Eneffet, dans le secteur public, l'objectifprincipal d'un regroupement est deproposer des services et des biens pour lacommunauté, plutôt que de générer desprofits. En outre, les opérations deregroupements se font, le plus souvent,sans rémunération associée (ou encoresans "contrepartie" directe) et ellesrésultent de l'application de la loi ou de laréglementation, plutôt que de la seulevolonté des parties. Les regroupementsd'entités qui entrent dans le champ

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d'application de la norme sont parexemple les nationalisations, lesrestructurations de ministères, lesréorganisations administrativesgéographiques, telles que la réforme desrégions en France, etcLe classement proposé repose fondamen-talement sur la capacité d'une partie auregroupement à obtenir ou non lecontrôle des activités regroupées. Enl'absence de contrôle, le regroupementest une amalgamation. Toutefois, si lecontrôle revient à une partie auregroupement, le classement enacquisition (qui correspond aux regrou-pements dans le secteur privé) n'est pourautant pas acquis. Tout dépend en effetde la substance économique duregroupement qu'il convient dedéterminer en évaluant une séried'indicateurs, liés d'une part à larémunération du regroupement et d'autrepart, au processus de décision mis enœuvre pour piloter le regroupement.Ainsi, en l'absence d'actionnaires àrémunérer ou en cas de regroupementd'entités sous contrôle commun, leregroupement aurait la substanceéconomique d'une amalgamation, Lecontrôle n'est donc pas considéré, danscette norme, comme un concept suffisam-ment robuste en soi, pour conclure à uneacquisition.Quelles sont les conséquences duclassement des regroupements entreamalgamations et acquisitions ? Dans lecas des amalgamations, les actifs et passifsdes activités regroupées sontcomptabilisés à leur valeur nettecomptable à la date du regroupement.

Sans obligation de fournir une informationcomparative. Le traitement comptable desacquisitions suit, quant à lui, celui de lanorme associée pour le secteur privé :justes valeurs des actifs et passifsidentifiés et comptabilisation d'un écartd'acquisition à l'actif, le cas échéant.

PRISE EN COMPTE DESCONSIDERATIONS DU SECTEUR PUBLICComme on vient de le voir, une avancéemajeure est la prise en compte de lanécessité de traiter les regroupementsd'entités qui n'ont pas la substanced'acquisitions au sens des normescomptables Internationales du secteurprivé, pour lesquelles un acquéreur esttoujours identifiable. Ces regroupementssont qualifiés 'amalgamations. Les actifs etpassifs Identifiables dans uneamalgamation sont en effet apportés pourleur valeur nette comptable, tout écartavec le prix éventuellement payé étantImputé sur les capitaux propres. Pourmémoire, dans le cas d'une acquisitiond'entité dans le secteur privé, les actifs etpassifs identifiables font l'objet d'uneévaluation à la juste valeur, l'écart avec larémunération de l'apport des anciensactionnaires constituant un écartd'acquisition (goowwilf) comptabilisé àl'actif et, le cas échéant, soumis àdépréciation. Cet actif est représentatifdes synergies résultant du regroupementet traduit des avantages économiquesfuturs pour les actionnaires du nouvelensemble, avec espoir d'un retour surinvestissement accru. Dans le secteurpublic, les regroupements sont eux aussidictés par une volonté de rationalisation

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des coûts de fonctionnement. Néanmoins,le retour attendu est dans ce cas unebaisse des dépenses de fonctionnementqui ne serait pas mieux appréhendée parun recours à la valorisation de l'actif netapporté en valeur de marché. On retrouveainsi, à travers ce projet, la nécessitéd'adapter l'information financière pourqu'elle soit utile aux lecteurs des comptes.Dans le secteur privé, il s'agit d'illustrerl'espérance de retours futurs surinvestissement pour les actionnaires ;dans le secteur public, l'objectif estd'informer les citoyens sur la diminutiondu coût de fonctionnement et donc, surun moindre recours aux financespubliques.

DES QUESTIONS EN SUSPENSSi les dispositions de la nouvelle normedemeurent conformes à la pratique dansle secteur public en France, IPSAS 40 neprévoit toutefois pas le traitement comp-table de la sortie de l'actif net transférédans les comptes de l'entité apporteuse.Plus exactement, interrogéspécifiquement sur ce point, l'IPSAS Boardestime que les dispositions présentes dansle référentiel suffisent à apporter uneréponse.Si l'on se réfère à ces dispositions, en s'ap-puyant notamment sur la norme IPSAS 35relative aux états financiers consolidés etplus précisément dans la section perte decontrôle d'une activité 4, le traitementcomptable qu'il conviendrait de retenirvient impacter le compte de résultat. Or,s'il est vrai que l'entité apporteuse perd lecontrôle de l'actif net qu'elle transmet etqui doit se traduire par une sortie

effective du bilan, il n'en demeure pasmoins que l'économie globale dutransfert, au sens d'une amalgamation, estl'absence d'enrichissement, du côté del'apporteuse comme de l'entité qui reçoit.De fait, la démarche de l'IPSAS Boardpourrait être considérée commeremettant en question cette analyseéconomique, en niant la réciprocité deseffets du transfert en termesd'information financière.Enfin, un point d'importance dans lecontexte actuel de développement d'unfutur corps de normes européennes etque n'aborde pas clairement la nouvellenorme, est l'impact sur l'entrée dans lepérimètre de consolidation des entitésrésultant d'amalgamations. Laproblématique se pose notamment,lorsque l'entité résultant de l'opérationd'amalgamation, la resulting entity, a lasubstance économique d'une nouvelleentité, créée ex nihilo. En effet, la notionde périmètre de consolidation reposeuniquement sur celle de contrôle; orcomment déterminer qui contrôle laresulting entity, sachant qu'elle résultejustement du regroupement d'opérationssur lesquelles le contrôle n'a pas pu êtredéterminé? IPSAS 40 note d'ailleurs ladistinction avec la notion de contrôle, tellequ'utilisée dans IPSAS 35 : en effet, selonIPSAS 40, le contrôle doit être évalué enamont du regroupement sur la base desentités parties au regroupement, alorsque selon IPSAS 35, le contrôle estdéterminé sur l'entité qui existe après leregroupement 6. Comment réconcilier cesdeux approches ?Ces éléments de réflexion conduisent à

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inciter une fois encore l'IPSAS Board àrevisiter la notion de groupe fondée surle contrôle et, notamment, à identifierd'autres types de liens entre entitéspubliques et à explorer leursconséquences comptables.

REGROUPEMENTS D'ENTITES SOUSCONTROLE COMMUNLa position retenue dans la norme IPSAS40 pour le secteur public s'inscrit dans lecontexte de la recherche par l'IASB, depuisdéjà plusieurs années, de solutions comp-tables pertinentes pour lesregroupements d'entités sous contrôlecommun. Une première norme lAS 22,ancêtre de la norme IFRS 3Regroupements d'entreprises actuel-lement en vigueur, traitait del'impossibilité d'identifier un acquéreur etde l'existence d'un contrôle partagé ; lesactifs et passifs objets du regroupementétaient alors comptabilisés à leur valeurnette comptable. Ce cas n'a pas été reprislors de l'élaboration d'IFRS 3, l'idée étantqu'il doit toujours être possible d'identifierun acquéreur. Un projet de recherche surla traduction comptable du contrôlecommun est en cours depuis lors, à l'IASB.La norme IPSAS 40, bien qu'évoquée untemps, a abandonné la distinction entreles types de regroupements entre entitéspubliques, fondée sur la notion decontrôle commun. Si la norme admet queles regroupements d'entités sous contrôlecommun ont le plus souvent la substanceéconomique d'une amalgamation, elleestime toutefois que le contrôle communn'est qu'un indicateur relevant duprocessus plus général de décision de

l'entité qui décide du regroupement.Ainsi, on le voit là aussi, la notion decontrôle se heurte à des difficultés nonrésolues à ce jour, dans le secteur privé ;tout l'enjeu pour la normalisation dusecteur public consiste à déterminercomment, a fortiori, faire évoluer cettenotion pour l'adapter au contextespécifique de l'expression de l'actionpublique.

VOLONTE DE L'IPSAS BOARD DE SEDEMARQUER DU SECTEUR PRIVEUn exemple qui illustre particulièrementbien la nouvelle démarche de l'IPSASBoard est le projet de future norme sur lesdépenses sociales. Ce projet avait étéengagé suite au lancement du projeteuropéen d'harmonisation desdispositions comptables dans les secteurspublics des Etats membres (projet EPSAS).Un rapport de la Commission européennedu 6 mars 2013 avait identifié dans leréférentiel comptable international pourle secteur public, pris comme point deréférence des travaux, des transactionsqui ne faisaient pas encore l'objet dedispositions comptables et notamment lesujet des dépenses sociales. La nécessitéde refléter au plus près, la réalité dusecteur public avait été soulignée à cetteoccasion. L'IPSAS Board s'est saisi du sujetet, après une première consultationpublique pour tester la préférence dupublic concerné face à plusieursapproches proposées, Le projet de normeest en cours d'élaboration. Alors que ladémarche et les discussions sont Linéairesserait présomptueux, toutefois, enapportant dans les discussions de 11 PSAS

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Board des exemples concrets. Ensoutenant et en expliquant notamment lemodèle français de la répartition. Desavances se dessinent et les approchess'affinent pour mieux refléter la réalité dusecteur public Des alliances se font mêmejour entre membres du Board dont onaurait pu considérer les modes de penséeet les idéologies a priorifondamentalement opposés.Toutefois, les projets de convergencerestent encore très plaignants dans ladémarche normative de l'IPSAS BoardC'est le cas par exemple dans le projet demise à jour des normes sur les instrumentsfinanciers, Il est indéniable que la normeIFRS 9, tout en s'appuyant sur la réalitédes modes de gestion des entreprises enmatière d'Instruments financiers,conceptualise le classement clés actifsfinanciers, et élève ainsi au rang deprincipes les traitements comptablesassociés. Une mise à jour fondée sur IFRS 9constitue clans ce cas, une avancéenormative, à moindre frais efficace.

Néanmoins, des questions subsistent : laréalité des opérations sur les instrumentsfinanciers dans le secteur public est-ellesensiblement représentée par lacomplexité des dispositions retenues dansIFRS 9 ? Au risque d'être taxé d'envisagerle sujet sous l'angle trivial de l'affichage àdes fins de communication, ne serait-il pasplus approprié de proposer une hiérarchiedes dispositions comptables en fonctionde la fréquence des opérationsrencontrées ? Cette démarche aurait ledouble mérite de stigmatiser lesopérations risquées, supposées peu

fréquentes dans le secteur public dont lavocation n'est pas la spéculation, etd'emporter l'adhésion des préparateursde comptes pour lesquels l'accès auxdispositions ne présenterait plus.

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POLITIQUE ECONOMIQUE

Comment le Bitcoin et autres cryptomonnaies ontcommencé à impacter l’économie réelle

Michel Ruimy, professeur affilié à l’ESCPAtlantico – 21/12/2017Pas un jour ne passe sans qu’une annonce,une déclaration soit faite au sujet desmonnaies virtuelles. Le thème du bitcoinest passé d’un sujet exclusivement« geek » à un sujet « grand public ».L’évolution de son cours - il a été multipliépar 15 depuis le début de l’année -constitue un évènement majeur de 2017.Cette bulle, largement alimentée par laspéculation, a été notamment dénoncéepar deux Prix Nobel d’Economie (Stiglitz,Tirole). Mais, au-delà de cette fulgurance,il est essentiel d’envisager le véritableimpact économique de ce développementvertigineux.Alors que le Big Data s’impose dans toutesles sociétés et tous les secteurs, laquestion de la traçabilité des donnéesdevient un enjeu majeur. Face à laprofusion des informations, comments’assurer que les données soient fiables outraitées correctement ? Une réponse setrouve dans une innovationtechnologique : la blockchain. Plus que lescryptomonnaies, la technologie deschaînes de blocs laisse entrevoir unmouvement de transformation historiqued’un grand nombre de secteurs. Lepotentiel étant grand, certains n’hésitentpas à comparer cette mutation à celle quia résulté de l’avènement de l’Internetdans les années 1990.

Car la blockchain est le « royaume de laconfiance ». Elle répond à une lacunefondamentale de l’internet oùl’information sur le Web (images, textes,sons) est véhiculée par des paquets dedonnées qui n’ont de la valeur que pour cequ’ils permettent de faire et non pour leurqualité intrinsèque. Cette technologie, quipermet de « tokeniser » une grandediversité d’actifs, va faire évoluer enprofondeur des domaines à forts enjeuxéconomiques : production énergétique,régulation des systèmes financiers,transports… La blockchain pourrait ainsiremplacer les documents etintermédiaires de confiance dans certainsdomaines avec pour objectifs : uneaccélération et une meilleure sécurisationdes transactions, une baisse des coûts dufait d’importants gains de productivité, desécurité et d’efficacité, une optimisationdes chaînes d’approvisionnement, denouveaux marchés… jusqu’à, parfois, entransformer ou faire disparaître d’autres.Un changement radical des pratiques etdes métiers nous attend ! Mais, entreopportunités de développement etimpacts négatifs sur les ressourceshumaines, les arbitrages ne sont pasbinaires. Il s’agit non pas de savoir s’il fautmettre en œuvre ou pas une blockchainmais plutôt de faire de bons choix. Pour

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cela, il faut avant tout définir précisémentle périmètre à couvrir : A quelle échellefaut-il la déployer ? Qui l’utilisera ?L’utilisation sera-t-elle partielle oucomplète ? Selon quelles modalités ?En Finance, les services financiers àl’ancienne sont devenus des ciblesnaturelles pour les promoteurs de cettetechnologie. Par exemple, pour lesvirements à l’étranger, la blockchainpermet de sécuriser les règlements sanspasser par les intermédiaires traditionnels(sociétés de transfert de fonds) et deréaliser les transactions de manière plusrapide et à moindre coût que les outilstraditionnels. Elle peut contribuer aufinancement des PME et permet aussimême l’échange sécurisé : inviolabilité descontrats, propriété des titres financiers,signature cryptographique associée àl’expéditeur… Elle pourrait être, de ce fait,l’empreinte cryptographique numériquede tout document électronique.

Au plan monétaire, le bitcoin, à la foissystème de paiement, infrastructure etinnovation technologique, interroge sur ledevenir de nos monnaies en altérant lepouvoir des banques centrales et / ou desEtats. En effet, dans une économiemarchande où les échanges monétairessont largement dématérialisés, est-il siincongru d’envisager le bitcoin, etconsœurs, comme la devise du futur ?Le prix du bitcoin, à la merci d’unchangement de mode ou d’une failleinformatique, est aussi soumis à laconfrontation de l’offre et de la demande.La volatilité de son cours l’empêche d’êtreutilisé, de nos jours, comme étalon de

mesure et réserve de valeur d’autant qu’iln’a pas de cours légal et que son prix necorrespond à aucun « sous-jacent ». Cette« devise » pêche, dès lors, par ce qui faitl’attrait principal d’une monnaietraditionnelle : la sécurité et la stabilité.Pour que cette situation change, despossibilités existent. La première seraitque bitcoin soit adopté par un nombresuffisant de commerçants. Tout sitemarchand de quelque importance, s’ilaccepte le paiement en bitcoins, le fera enparallèle avec les autres modes depaiements existants. En l’absenced’obstacles dirimants mis en place par lesautorités, les systèmes de paiement pair àpair seraient multidevises et ceux, qui nele permettraient pas occuperont une placemarginale. Ainsi, l’utilisateur spécifiera,lors de chaque transaction, la monnaiequ’elle doit produire. A l’inverse, chacunpourra demander que les paiements qu’ilreçoit soient automatiquement etinstantanément convertis dans unemonnaie de son choix. L’unité de comptene serait plus un critère de choixconcurrentiel entre systèmes depaiement.Dans cet environnement, une largegamme de systèmes pourrait apparaître,qui visera à satisfaire des besoinsdifférents et des préférences différentes.En revanche, le choix de la ou desmonnaies que chaque agent économique(particulier, entreprise…) choisira deconserver dans ses comptes est unedécision importante qui engage l’avenir.Sa décision tiendra compte de troisfacteurs : les habitudes de sescontreparties dans l’échange, les frais de

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change et le risque de perte de valeur. Lesdeux premières considérations risquent dedominer pour couvrir des dépenses defaible montant et de court terme, latroisième pour des paiements importantset de long terme. La facilité de changeimmédiat met ainsi les monnaies enconcurrence directe dans leur fonction deréserve de valeur, et ce quel que soit lesystème de paiement utilisé.La seconde possibilité serait de réduire letemps de confirmation d’une transaction(près de 10 minutes) qui rend le bitcoininadapté aux paiements en magasin pourlesquels le délai moyen est de quelquessecondes. La blockchain est unetechnologie qui progresse tous les jours.Elle devrait progressivement se stabiliseret arriver à diminuer le temps derésolution des algorithmes.

De surcroît, le bitcoin n’a, par nature,aucune valeur. C’est une simpleinformation transitant entre un émetteur,qui utilise cette monnaie afin de satisfaireun besoin d’achat selon sa propre grille devaleurs d’usage en termes d’aliénation, etun récepteur, qui peut accepter ou pascette offre selon sa propre échelle devaleurs d’usage en termes d’acquisition.Ceci est la finalité de toute monnaie. Or,n’étant ni contrôlé, ni régulé, il rend cettevaleur sous-jacente indispensable pourétablir la confiance, pierre angulaire sanslaquelle une monnaie ne peut fonctionneraujourd’hui.De ce fait, la gageure, pour ces« monnaies » virtuelles, est de substituerla confiance placée dans un systèmemonétaire par une autre, logée dans une

technologie, virtuelle, non certifiée ni auplan technique, ni au plan réglementaire.La confiance serait transférée des Étatsvers des acteurs privés de l’économiealgorithmique. Nous assisterions aupassage à une gouvernance distribuée,une révolution sociétale !Même si déjà certains pays (Japon, Russie,Chine, Estonie et dernièrement leVenezuela) investissent le domaine, ladifficulté pour les Etats réside dans la priseen compte de la puissance, démultipliée,de calcul nécessaire à une volumétrieimportante de transactions, des budgetsliés à la sécurité de ces opérations et de lacouverture financière indispensable à uneadoption massive par le grand public. Onpeut douter que cette orientation soitcelle privilégiée par ces temps de disettebudgétaire. Dès lors, il reste aux autoritésmonétaires à agir sur la régulation dessystèmes de paiement pair à pair quidonnerait à ces cryptomonnaies un cadreleur permettant de concurrencer lesmonnaies officielles. Car cescryptomonnaies sont inscrites dans lepaysage financier et sont là pour durer. Lajeunesse sauvage du bitcoin ne doit pasnous faire perdre de vue ce qu’il pourraitdevenir à terme.De plus, l’impact énergétique de cettemonnaie, et ses conséquences indirectessur le climat, devient préoccupant. Malgréla divergence des estimations, unconsensus s’est établi sur le fait que laconsommation électrique du bitcoin esttrès importante et ne fera que progresser.Aujourd’hui, une part importante de cesordinateurs est située en Chine. Or, prèsdes 2/3 de l’électricité produite par ce

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pays proviennent de centrales de charbon,émettrices de CO2. Selon le sitedigiconomist (www.digiconomist.net), larésolution des algorithmes (mining)mobiliserait près de 30,14 milliards dekilowatts-heure par an, soit l’équivalent dela production électrique de quatrecentrales nucléaires, une consommationen électricité supérieure à celle de 19 payseuropéens, plus de 25 fois la noteélectrique de l'île de Malte, 6 fois celle dela Lettonie et, peu ou prou l'équivalent dela consommation de la Hongrie, pays quicompte une population avoisinant les 10millions d'habitants !En définitive, l’intérêt porté à unetechnologie prouve qu’elle dispose d’unpotentiel permettant le développementd’applications susceptibles d’apporter denouvelles solutions à des problématiquesanciennes. Dans les nombreux domainesd’application de la technologie blockchain,son développement et son adoption sonta priori indépendants de ceux descryptomonnaies et ne reposent que sur lesavantages du système pair à pair. Même sicette adoption modifie profondémentcertains métiers (cf. notaire), lesopposants y seront vraisemblablementmoins nombreux et moins puissants quedans le domaine monétaire.Il n’en demeure pas moins que, pouraccroître tout son potentiel, un lien devraêtre fait, en particulier, entre les secteursindustriel, juridique et celui de laformation (La théorie des jeux et lacryptographie, deux branches desmathématiques, sont au cœur de latechnologie des chaines de blocs, ce quiplace la France, aux filières

mathématiques jusqu’à ce jour reconnuesau plan mondial, en position favorablepour accompagner les entreprises enrecherche d’experts dans ledéveloppement de leurs solutionsblockchain).Le bitcoin ne devrait pas changer lemonde. Il ne supplantera pas les devisesactuelles mais il n’est pas exclu qu’unsystème monétaire rénové et inéditémerge. La blockchain pourrait bien s’encharger … entre fantasme et réalité.

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POLITIQUE ECONOMIQUEBerrada n’a pas peur des tabous !

«Il faut laisser flotter le dirham, sinon onexporte nos emplois»La croissance est devenue faible, demédiocre qualité.L’ancien ministre propose des outilsnouveaux de «sociologie économique»

Avec un CV qui le porte naturellement àl’interdisciplinarité et aux approchesglobales, l’ancien ministre des Finances,Mohamed Berrada n’y va pas par quatrechemins : nous avons été candides surl’ouverture des frontières et peureux surla gestion du dirham. Résultat : nousavons perdu nos emplois et notrecompétitivité.L’Économie comme tout ce qui vit, ahorreur des excès : l’ancien ministre,entrepreneur, diplomate, manager desociétés publiques, professeuruniversitaire dans plusieurs domaines…Mohamed Berrada revient souvent surcette idée. Il exposait ce jeudi 5 octobreses réflexions sur le Maroc d’aujourd’huiet ce, à l’invitation de l’APD, l’Associationpour le progrès des dirigeants (présidéepar Saad Kettani et dirigée par FaridaJirari-Jamil).L’assistance: une trentaine de patrons etcadres de très haut vol, dont certainsavaient assez d’expérience pour avoirconnu et vécu le programme d’ajustementstructurel des années 1983-93. Maiscombien d’entre eux prendront un jour lapeine de partager leurs acquis avec lesgénérations plus jeunes? Berrada, lui, lefait et en plus il soumet ses observations

et raisonnements à la discussion générale.Faut-il souligner que c’est la meilleuremanière qu’a une nation pour accumuleret partager son capital immatériel?Concepts nouveauxBerrada n’en fera pas directementmention, même s’il s’intéresse à cesnouveaux facteurs de richesse pourproposer deux concepts nouveaux en plusdu «capital immatériel», déjà bien connuet qui est essentiellement la somme dessavoirs des habitants d’un pays.Il revient sur le capital humain en luidonnant plus de profondeur que les seulssavoir-faire et expertises professionnels. Ily ajoute un «capital social» qu’il alimenteavec la solidité des respects et réseauxsociaux. Inutile de dire que ce capitalsocial lui cause des soucis: «ce capitalsocial se délite sous la pression desinégalités, sous la pression de la jeunesserejetée sans emploi et mal formée…». Leprofesseur «ne comprend pas pourquoil’érosion du capital social, des lienssociaux ne devient pas une urgencepolitique». Mohamed Berrada proposed’autres outils, à commencer par larénovation d’une vieille méthode «lestableaux d’échanges intersectoriels» (ouinterbranches, selon le besoin).On a jeté ces tableaux en même tempsque la planification, dit-il; il faudrait lesrécupérer, «ne serait-ce que pour biencomprendre les liens entre activités, pourles valoriser». Le Maroc, son économie etsa société, souffrent de la parcellisation,de l’isolement de chaque politique par

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rapport aux autres. L’ancien ministre desFinances revient plusieurs fois surl’exemple du corps humain, complexemais cohérent. Il ajoute que les progrès dela médecine se font sur les liens que lesspécialités arrivent à construire entreelles. «C’est ce qu’il faudrait pour le pays».«On raisonne par morceaux»Or, regrette-t-il, «on raisonne en termespartiels (…) à très court terme (…) avecune croissance volatile, de qualitémédiocre et trop peu inclusive». Il en veutpour preuve les jeunes abandonnés auchômage, d’autant plus abandonnés queleur formation est élevée; il en veut pourpreuve la stagnation de la productivitémarocaine (alors que le reste de la planètegalope), et encore «une croissance par laconsommation» avec deux résultats: ledoublement du standard de vie en unedizaine d’années mais aussi l’explosion desdéficits commerciaux.«La manifestation de la perte decompétitivité est toute entière dans ceratio».Et là l’ancien ministre retrouve son punchiconoclaste, celui qui avait permis auMaroc de changer de paradigme, il y atrente ans. Berrada le dit tout net: «nousavons libéralisé le commerce extérieursans libéraliser le taux de change». Ce qui

fait que le Maroc a exporté ses emploisvers l’Europe, vers la Turquie, la Tunisie…et peut-être même vers les Etats-Unis.Voilà c’est dit: il fallait laisser le dirhamflotter dès la fin des années 1990. Afortiori maintenant.Mode d’emploi… en huit pointsMohamed Berrada inscrit ses réflexionsdans un mode d’emploi en huit points:1- Rénover les modes d’analyses, sanslaisser aux marchés financiers la totalesouveraineté sur le sort des hommes etdes nations;2- Corriger le mécanisme actuel qui faitque la croissance engendre l’inégalité;3- Ne pas se laisser dominer par le courtterme et penser davantage aux réformesstructurelles;4- Inclure l’histoire, la sociologie, les droitsde l’Homme, la démocratie… commecomposantes de l’analyse économique.5- Identifier avec précision les fragilités dumodèle marocain : formation, emplois,exclusion…6- Repenser l’informel pour trier l’utile dunuisible ;7- Voir le Maroc dans un modèle global,où il faut améliorer la qualité de lacroissance (régularité, équilibre etinclusion) ;8- Redresser la productivité des facteurs.

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POLITIQUE ECONOMIQUE

Avril 2007- avril 2017De l’illusion au désordre, la crise dix ans aprèsCatherine Karyotis, Professeur de Finance NEOMA Business School Directrice du Mastèrespécialisé Analyse Financière Internationale Campus de ReimsRevue Banque / 22.03.2017

Le 2 avril 2007, New Century FinancialCorporation faisait faillite ; le mot« subprime » commençait à être connu dugrand public dans le monde entier. C’étaitlà le démarrage d’une crise qui futnaturellement nommée crise des« subprime », crise de contrepartieaméricaine qui aurait pu le rester commed’autres, telle celle des savings & loansdes années 1980.

Une décennie de crise(s)Mais cette crise s’étendit sur le plangéographique et temporel. Elle s’étenditgrâce à – ou plutôt à cause de – latitrisation. Les créances accordées auxménages américains à solvabilité réduitefurent revendues, après découpageou tranching, à d’autres. Ce fut laconsécration du modèle « originate anddistribute » en lieu et place du modèleclassique des banques d’autrefois« originate and hold ». À vouloirmutualiser les risques, on les a disséminés.Si la titrisation, inventée dans les annéessoixante-dix par un collaborateur deSalomon Brothers – banque d’affairesaméricaine ayant au demeurant fait faillitebien avant la crise des subprimes ! – resteun instrument de gestion de bilan utile auxbanques, il convient cependant d’enlimiter ses dérives en maîtrisantl’hybridation possible induite par les

montages d’ingénierie financière. En effet,bien plus qu’une simple titrisation, desmontages ont conduit à découper descréances (tranching) pour ensuite venir lesloger dans des produits de titrisationqualifiables de produits « au carré ou aucube » : des créances saines ont étémélangées à d’autres créances malsainessans qu’il soit possible ensuite deremonter la chaîne de titrisation ; uncadre d’UBS a comparé la technique à despoupées russes. On parla alors de ABS,RMBS, ABCP, CLO, CDO [1] qui ont conduità la crise de défiance née dès 2007 et dontle paroxysme fut atteint quelques joursaprès le tristement fameux 15 septembre2008 – date de la chute de LehmannBrothers, amenant les États à intervenir defaçon drastique face à l’impuissance desbanques centrales dans leur lutte contre lapremière crise systémique à dimensionplanétaire.Les innovations restent vertueuses àcondition toutefois qu’elles nedéresponsabilisent pas les agents. Enreconstituant la chaîne de la titrisation, onretrouve les acteurs suivants : les banquesaméricaines et autres courtiers distribuantdes crédits à tout va au nom de l’AmericanDream; les banques d’affaires américainesprocédant aux montages financiers desCDO et autres produits de titrisationsecondaire ou tertiaire ; les agences de

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rating notant lesdits produits structurés,mises de facto en situation de conflitsd’intérêts alors qu’elles étaientarrangeuses et noteuses, aidées en outrepar les rehausseurs de crédits(monoliners) ; les investisseurs finaux(banques européennes, fondsd’investissement…) achetant les parts deSPV [2] pour satisfaire leur cupidité etrépondre au sacro-saint RoE – Return onEquity, voulu par dogme à 15 % minimum,et son corollaire le court-termisme àoutrance.On connaît la suite : une crise de défiancegénéralisée, des interventions desbanques centrales, interventionsdrastiques (le 9 août 2007, la BCE injectait95 milliards d’euros…) et inédites (le14 mars 2008, la Fed prêtait 29 milliardsde dollars à JP Morgan pour le rachat deBear Stearns ; le 16 septembre 2008, elleprêtait 85 milliards de dollars - suivis dansles semaines suivantes de deux fois35 milliards de dollars, à la compagnied’assurance AIG…). Puis, en octobre 2008,alors que le marché interbancaire avaitdisparu sur toutes les places financières,les États lançaient des plans de sauvetageinédits pour garantir les prêtsinterbancaires, recapitaliser les banques,garantir les dépôts, ou encore racheter lesactifs devenus toxiques pour les placerdans des bad banks.

Des politiques monétaires nonconventionnellesFace à l’échec des politiques classiquesd’injection de liquidités et de baisse destaux directeurs, les banques centralesdémarraient les politiques monétairesdites non conventionnelles dès 2009. La

Bank of England innovait alors en sepositionnant en tant qu’acheteur endernier ressort en décidant de racheter75 milliards de livres de Gilts (montantensuite relevé progressivement). La Feds’engageait dans un programme deQuantitative Easing (QE) ; le premier futlancé le 18 mars 2009 en prévoyant unprogramme d’achats notamment de300 milliards de dollars de T-Bills et de740 milliards de dollars de MortgageBacked Securities Fannie et Freddie ; ledeuxième le fut le 3 novembre 2010, avecdes rachats de 600 milliards de dollarsd’emprunts d’États entre novembre 2010et juin 2011 ; le troisième décida, à partirdu 13 septembre 2013, des rachatsmensuels de 40 milliards de dollars dedettes immobilières jusqu’à ce que lemarché du travail redémarre ; lesautorités mirent au fin au QuantitativeEasing en septembre 2014. La BCE, dontles statuts ne permettaient pas à l’époquele rachat direct de dettes, lança le 7 mai2009 des opérations de refinancement àplus long terme (LTRO – Long termRefinancing operations) à 6 mois puis 12mois, au lieu des 3 mois en temps normal ;puis on a parlé de TLRO – Tsignifiant Targeted - en décembre 2011 etfévrier 2012 pour deux fois 500 milliardsd’euros, en même temps que des achatsde covered bonds sur le marchésecondaire pour 60 milliards d’eurosmaximum. Depuis 2014, elle propose desopérations à 4 ans, alors même qu’unebanque centrale est censée refinancer lesbanques sur le court terme ! En 2012, elles’engageait dans le mécanisme de l’OMT –Outright Monetary Transaction, et du QEpour 80 milliards d’euros de rachats de

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titres souverains chaque mois, réduits àpartir d’avril 2017 à 60 milliards d’eurosmais prévus jusqu’à la fin de l’année aminima… Mieux encore, la BCE aura,entre 2015 et 2016, racheté1 000 milliards d’euros de titres d’États, dela même manière qu’elle aprogressivement racheté, à l’instar desautres grandes banques centrales, destitres adossés à des actifs. Le 8 juin 2016,elle décidait de racheter desobligations corporate. Les banquescentrales ne seraient-elles pas devenuesles prêteurs contraints des États et desentreprises privées ?Dix ans après, leurs bilans ontexplosé passant, pour la Fed, de 800 à4 100 milliards de dollars et, pour la BCE,de 1 100 à 3 500 milliards d’euros. Si lapremière remonte ses tauxprogressivement, la seconde se maintientdans la politique expansionniste. Depuisun an (16 mars 2016), le Refi est à 0 %, letaux de facilité de dépôt est à -0,4 % ; cetaux négatif équivaut à une taxation desliquidités déposées par les banquescommerciales auprès de leur banquecentrale et représenterait un coût de3,5 milliards d’euros par an pour lesbanques de la zone Euro [3]. Si ce chiffreest à relativiser face au total du bilan desbanques concernées (31 700 milliardsd’euros), il montre cependant la limite denos modèles économiques et le besoin deles repenser.

De la crise des dettes privées à une crisedes dettes publiquesLa crise a muté ; elle est passée d’une crisedes dettes privées à une crise des dettespubliques. Lorsqu’en 2008, il était possible

d’envisager une intervention des Étatspour sauver les systèmes économiques etfinanciers, progressivement les mêmesÉtats se sont considérablement endettésau point que certains sont au bord dugouffre. Au-delà de la Grèce en particulierou des PIGS [4] en général, rappelons quela France est endettée à hauteur de 98 %de son PIB ou encore que les USA sontrégulièrement suspendus depuis 2011 àl’autorisation de déplafonnement de ladette. Cette crise de 2008 n’est qu’uneface visible d’une crise plus profonde,voire une multi-crise. Elle est d’abord unecrise structurelle, une crise de modèle,tout particulièrement du modèled’endettement. Depuis 2010, les États sesont retrouvés face à ce qu’il est convenude nommer la crise des dettes souverainesqui n’est rien d’autre que le résultat d’unetransformation de la crise des dettesprivées en une crise des dettes publiques.

Crise ou chaos ?Depuis la chute de la première banquehypothécaire aux États-Unis, où en est-on ?À lire les indices boursiers, tout seraiteffacé. Le Dow Jones a atteint les 20 000points le 3 février 2016, de l’inédit ; unmois plus tard, le CAC dépassait les 5 000points !

Les banques françaises affichent desrecords de bénéfices (23,5 milliardsd’euros en 2016 pour les 6 grands groupesbancaires) ; BNP-Paribas enregistre unrésultat de 7,7 milliards d’euros luipermettant de revenir à des résultatsd’avant-crise.

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Pourtant les banques de la zone Eurodétiendraient encore 1 132 milliardd’euros de créances douteuses, selon laBCE, avec des situations disparates (le tauxde créances douteuses s’élève à 30 % auPortugal et à 47 % en Grèce). Et desmenaces pèsent sur de nombreusesbanques européennes. Citons deuxbanques qui à ce jour concentrent tous lesregards des autorités de tutelles, MontePaschi di Sienna et Deutsche Bank.La première, plus vieille banque du mondeau demeurant, est, suite au stress test,tenue par la BCE de se recapitaliser àhauteur de 8,8 milliards d’euros, alorsmême que les investisseurs se sonttrouvés réticents dans l’augmentation decapital prévue initialement de 5 milliardsd’euros, requérant de facto uneintervention de l’État italien. Enconséquence, une recapitalisationpréventive a été demandée à laquelleparticiperont l’État pour 4,5 milliards et lesobligataires pour le solde.Deutsche Bank, quant à elle, est victimede l’évolution de son business model.Après une perte de 7 milliards d’euros en2015, elle enregistre en 2016 une nouvelleperte de 1,4 milliard. Celle-ci s’expliquenotamment par l’amende record de14 milliards de dollars (réduite in fine à7,2 milliards) que les autorités américaineslui ont fait payer pour son rôle dans lapropagation de la crise financière,l’obligeant à se recapitaliser (uneaugmentation de capital de 8 milliardsd’euros est prévue en avril 2017).Néanmoins, au-delà de ces élémentsconjoncturels, la débâcle de DeutscheBank est liée à son évolution stratégique :de traditionnelle banque partenaire de

l’industrie, elle a muté vers le modèle debanque d’investissement à la recherche dehauts rendements et est aujourd’huiprésente dans plus de 8 000 litigesfinanciers !Qui est responsable ?Nonobstant, l’Europe a fait preuve derésilience, le mécanisme européen destabilité est une réussite qui peut aiderl’euro à se solidifier ; l’Europe bancairepeut servir de modèle même s’ilconviendrait de développer une vraiemutualisation dans cette Europe post-Brexit.Hors zone Euro, Royal Bank of Scotland,sous perfusion financière étatique depuisla crise, est en perte depuis la neuvièmeannée consécutive en 2016, à hauteur de7 milliards de livres. La presquetricentenaire banque cumule 58 milliardsde livres de perte depuis 2008 ! L’exercice2 016 est particulièrement mauvais ets’explique notamment par une provisionpassée pour couvrir les risques juridiquesd’une amende réglementaire que lesautorités américaines devraient luiinfliger, à l’instar de Deutsche Banksusnommée ou encore de Crédit Suisse(5,28 milliards de dollars). Barclays, quantà elle, est poursuivie en justice pour sonrôle dans la crise ; cette poursuite estinédite car les banques américaines ont,elles, préféré payer des amendes (pour40 milliards de dollars) pour éviter lesditespoursuites judiciaires.En tout état de cause, BNP-Paribas (dansle cadre de l’embargo USA-Iran), CréditSuisse, Deutsche Bank, RBS ou encoreBarclays font l’objet de poursuitesjudiciaires de la part de l’administrationaméricaine alors même que les

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« subprime », devenus actifs toxiques,émanent de la déresponsabilisation, voirede l’irresponsabilité, des banquesaméricaines. En conséquence qui faut-ilpunir ? Les prêteurs (américains) trop peuprécautionneux ? Les arrangeurs(américains) des produits toxiques ? Ou lesinvestisseurs certes attirés par le profit,mais dupés par une opacité voulue par lesbanques américaines et cautionnées parles agences de rating tout autantaméricaines ?

Un détricotage de la réglementationPlus encore, les règles que les autorités detutelle financières et bancaires ont du malà mettre en place sont aujourd’huiremises en cause par les mêmesaméricains. La loi Dodd-Frank et autresrègles Volcker sont détricotées, générantune nouvelle vague de dérégulationfinancière et incitant à nouveau lesbanquiers à développer des activités pourcompte propre, même si l’on sait quetoute réglementation est contournable ! Àtitre d’exemple, citons le cas du trader dechez Goldman Sachs qui selon le WallStreet Journal aurait généré un profit de100 millions de dollars en six mois enachetant des titres d’émetteursfraîchement dégradés (nommés « fallenangels ») pour les revendre ensuite. Dèslors, quid du respect des règles Volcker quiinterdisent le trading pour comptepropre…Ce détricotage des réglementations remeten cause, outre les efforts des politiquesau fil des G20, la réorientation de lafinance au service de l’économie réelle etde la société.

Les économies émergentescontaminées ?Dix ans après, parce que les risquesfinanciers ont débordé de la sphèrefinancière, le point d’interrogation est àposer dans un spectre plus large qu’on nepeut occulter. Alors que les tensionsgéopolitiques ressurgissent, d’aucunsparlent de protectionnisme, dedéglobalisation, de démondialisation, etc.Le commerce mondial de marchandises secontracte progressivement depuis 5 ans(en 2016, la croissance des échanges demarchandises a été de 1 %, contre 2 % en2015 et 2,7 % en 2014). En parallèle de cemouvement de fond, les États-Unisdevraient relever les droits de douane faceà la Chine et le Mexique, ou encoreremettre en cause des accords tels quel’Alena. Faisant craindre à certains unretour vers le protectionnisme des annéestrente, lorsque la loi Hawley- Smoot dejuin 1930 renchérissait les droits dedouane de 20 000 produits importés… LeFMI déclarait dans ses perspectives del’économie mondiale du 16 janvier2017 que « parmi les risques deralentissement notables figurentl’adoption de politiques de repli sur soi etde mesures protectionnistes », risquesauxquels il convient de rajouterl’endettement public et privé qui ne peutque limiter la reprise. La dette publiquemondiale atteint encore 58 000 milliardsde dollars, même si elle s’est réduite (elleétait de 60 300 milliards de dollars enmars 2015).Au-delà du surendettement deséconomies occidentales dont les déficitsétaient financés par la Chine, à ce jour lamême Chine est en voie de

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surendettement. Le total de ses dettesprivées et publiques atteindrait 277 % duPIB. En conséquence, la croissancechinoise n’a atteint que 6,7 % en 2016, leplus faible taux de croissance depuis 26ans, même s’il convient de relativiser cettecomparaison, le PIB chinois ayant étémultiplié par 30 en 25 ans ! Le total desemprunts des entreprises non financièresatteint 2 775 milliards de dollars et lescréances douteuses atteindraient392 milliards de dollars.Les économies occidentales auraient-ellescontaminé les économies émergentes ounouvellement émergées quant à lamaladie du surendettement ?L’endettement des ménages marocains(crédits immobiliers et à la consommation)a atteint 300 milliards de dirhams en 2015,soit 30 % du PIB…

Des investisseurs sans boussoleDeux indicateurs semblent démontrer quele monde n’est pas « guéri » de cette criseaux multiples facettes, aux multiplescauses et conséquences. Les spreads surles obligations souveraines européennesaugmentent depuis début 2017,démontrant des doutes sur la santé de lazone euro. Si les tensions politiquespeuvent en partie expliquer lephénomène, l’incertitude demeure chezles investisseurs quant au succès du QE dela BCE certes réduit en avril maispersistant… le spread démontre toutsimplement que la dette allemande resteune valeur refuge pour des investisseurssans boussole. Pis encore, un indice mis aupoint par des universitaires américains,EPU – Global Economic Policy UncertaintyIndex n’a jamais été aussi haut (282 points

en octobre 2016, alors qu’il n’était qu’à201 et 218 respectivement en 2008et 2012), en même qu’on note uneabsence de spread sur les titres corporates’expliquant, selon un analyste de laSociété Générale par l’intervention de laBCE faisant baisser les primes de risques…pure anomalie en période d’incertitude.Alors peut-on craindre une autre crise plusviolente encore ? Endettement publicversus endettement privé ? Et si l’ontenait compte d’une autre dette, la detteécologique ? Rappelons que le Globalovershootday s’est établi en 2016 au8 août ; dit autrement, la terre vit à créditdu 8 août au 31 décembre ; on n’apourtant pas de planète de rechange…

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POLITIQUE ECONOMIQUERoyaume-Uni : la fin du « laissez-faire » ?

Louisa Toubal, Economiste - Responsable Projets et Partenariats

27 novembre 2017

Une petite révolution est-elle en train des’opérer au royaume du libéralisme ?Depuis l’arrivée au pouvoir de laconservatrice Theresa May, le Royaume-Uni s’est doté d’une stratégie économiqueet industrielle qui consiste à intervenir, viades aides publiques, dans quelquessecteurs manufacturiers en croissance.Nouvelle surprise : le gouvernementbritannique souhaite désormais se doterd’outils juridiques pour contrôlerdavantage les investissements étrangersdans les secteurs stratégiques.

Un tournant idéologique majeur : leretour de la politique industrielleDès son arrivée au pouvoir, Theresa May adéfini une stratégie économique etindustrielle qui rompt avec une longuetradition de laisser-faire et de réductiondu rôle de l’État dans l’économie. C’est unvéritable revirement idéologique pour unpays qui n’avait pas eu à proprementparler de politique industrielle depuis lesannées 1960. La sortie de l’Unioneuropéenne explique en grande partie cechangement de paradigme. Le pays a eneffet développé l’une des premièresplaces financières de la planète mais, encontrepartie, s’est rendu très dépendantdu monde extérieur et notamment del’UE, qui lui fournit plus de la moitié de ce

qu’il consomme. Pour l’exécutifbritannique, il est primordial d’anticiperles conséquences du Brexit et, pour cefaire, de rééquilibrer l’économie endéveloppant un appareil industriel fort.C’est le seul moyen de corriger lesdéséquilibres commerciaux,géographiques et sociaux dont souffre lepays. Des mesures ont été prises : d’uncôté, pour aider les industries les plusprometteuses en misant particulièrementsur l’innovation technologique, et, del’autre, pour rendre les anciennes régionssinistrées de nouveau compétitives grâceà un plan d’aménagement du territoire(infrastructures, fonds de croissancerégionale, développement des clusters liésà l’industrie du futur, etc.).

La stratégie industrielle de Theresa Mayvise à rendre au Royaume-Uni sont statutde puissance industrielle de premier planet, une fois sa liberté en matière depolitique commerciale retrouvée, deréorienter les exportations vers lesmarchés en forte croissance afin degarantir une sortie de l’UE par le haut.Les investisseurs étrangers sont au cœurde cette nouvelle politique. En effet, lespôles industriels d’excellence commel’automobile, l’aéronautique, lapharmacie, sont aujourd’hui pilotés par

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S.BENMANSOUR
Texte écrit à la machine
S.BENMANSOUR
Texte écrit à la machine
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des entreprises à capitaux étrangers.Rappelons que, contrairement à notrepays, le Royaume-Uni a laissé acheter trèstôt et sans grande résistance la plupart deses champions industriels nationaux. Denombreuses marques emblématiques sontainsi passées sous le contrôled’entreprises étrangères. Dans l’industrieautomobile par exemple, il n’existequasiment plus de constructeursnationaux : 80 % de la valeur ajoutée dusecteur est aujourd’hui réalisée par desentreprises à capitaux étrangers, commele groupe indien Tata (Jaguar et LandRover), l’asiatique Nissan ou l’allemandBMW (Rolls-Royce).

Le dilemme de Theresa May : entreprotectionnisme et "laissez-faire"Aux incertitudes entourant l’issue desnégociations avec l’UE, s’ajoutent cellesliées à la capacité de Theresa May à porteravec succès cette stratégie industrielle.D’un côté, elle doit démontrer que leRoyaume-Uni reste une économieouverte, avec un faible niveaud’intervention publique, pour attirer desinvestisseurs étrangers. De l’autre, elledoit prendre en compte le sentimentnationaliste parmi ses électeurs et laperception que le rachat d’entreprisesbritanniques par des entreprises àcapitaux étrangers doit davantage êtrecontrôlé. Le rachat de Cadbury par KraftFoods, qui s’est soldé par la fermetured’usines et des pertes d’emploi, a en effetlaissé des traces dans l’opinion publique.Plus tard, le projet d’OPA de l’américainPfizer sur le laboratoire pharmaceutiqueAstra Zeneca a provoqué une levée de

bouclier de la classe politique britannique.Theresa May a dû affirmer sadétermination à protéger les secteursimportants de l’économie de prises decontrôle hostiles par des sociétésétrangères.C’est un changement de cap majeur pourle Royaume-Uni qui s’est longtempstargué d’être l’un des pays les plus ouvertsen matière d’investissements étrangers.Le pays n’a presque aucun outil législatifpour bloquer les prises de contrôle par dessociétés étrangères. La seule exception,commune avec d’autres pays, est définiepar l’Enterprise Act de 2002, permettantun contrôle des concentrations dans lessecteurs affectant les intérêts publics (lasécurité nationale, les marchés financierset les médias).Aujourd’hui, la révision de cette loi est unenjeu crucial. Depuis le vote sur le Brexitet la chute de la livre, les offres de rachatde sociétés britanniques par desentreprises étrangères ont bondi de 26 %selon les données de Bloomberg. Commeses voisins européens, le Royaume-Uni estégalement préoccupé par les rachatsmassifs d’actifs par des sociétés chinoises,dans des secteurs critiques telles que lestélécommunications, les hautestechnologies, l’énergie ou encore lenumérique. On peut citer deux casparticulièrement parlants. Le premierconcerne le projet de construction decentrales nucléaires, connu sous le nomde Hinkley Point, impliquant des entitésdétenues ou appartenant en partie à laFrance et à la Chine. Le second cas estcelui de la société Global Switch, le plusgrand centre de données qui a vendu une

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participation de 49 % à un consortiumchinois.La sortie de l’Union européenne imposeraau pays de clarifier sa législation enmatière de contrôle des investissementspuisqu’il ne sera plus soumis au cadrelégal défini par la Commission. Lesannonces qui seront dévoilées à cetteoccasion permettront ainsi d’y voir plusclair sur la stratégie poursuivie par legouvernement Theresa May.

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POLITIQUE ECONOMIQUE

Les voies de la prospérité : le salaire, La rente ou laconcurrence ?

Frédéric Marty / Université Côte d'Azur, Groupe de recherche en droit, économie etgestion - GREDEG, CNRS

La question des réformes structurelles, durenforcement de la concurrence contre lesrentes, notamment celles appuyées surdes réglementations publiques, n'est pasnouvelle. Elle était présente dès 1960 sousla plume de Louis Armand et de JacquesRueff dans leur Rapport sur les obstacles àl'expansion économique. Il s'agit donc des'interroger sur l'existence de telles renteset leurs impacts sur la prospérité. Troisdomaines seront successivementconsidérés : les professions réglementées,la grande distribution et l'immobilier.

Le décrochage français : unemauvaise allocation desressources ?

Bien que la crise financière de 2008 aitmarqué ne indéniable césure pourl'économie française, l'inflexion de sadynamique vis-à-vis de ses principauxpartenaires européens peut être située aumilieu de la première décennie des années2000. Cette inflexion peut être saisie à lafois au travers du cas du décrochageindustriel et de celui de la dégradation denotre balance des paiements.La part du secteur industrielmanufacturier est passée en France de17,8 % du produit intérieur brut (PIB) en2000 à 12,9 % en 2010 contre un reculseulement de 25,1 à 23,8 % en Allemagne(1). La France est aujourd'hui parmi lespays les moins industrialisés d'Europeoccidentale. Or, la contribution de

l'industrie à la croissance de laproductivité globale représente deux foisson poids relatif dans l'emploi total. Unedésindustrialisation fait ainsi courir lerisque d'une paupérisation relative dans lamesure où la croissance de la productivitédans l'industrie est significativementsupérieure à celle des services ou de laconstruction.

Au-delà du recul global de l'industrie, ilconvient de souligner un positionnementindustriel de moins en moins favorable.Alors que l'Allemagne s'est spécialiséedans des productions où la compétitivitéhors coût est déterminante, lepositionnement industriel de la Frances'est dégradé. Contrairement auxstratégies de montée en gamme menéesdans les années 1980 et 1990, l'industriefrançaise s'est tournée vers desproductions pour lesquelles lacompétitivité-coût est plus importante.Non seulement, la compétitivité-prixinitiale était insuffisante, mais elle s'estindubitablement dégradée sur la période,rendant les exportations très sensibles auxvariations du prix.

Parmi les facteurs expliquant cedécrochage industriel figure notammentune évolution défavorable du coût horairedu travail dans le secteur manufacturier.Ce coût a crû de 33,8 % en France entre2000 et 2008 alors qu'il n'a augmenté

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dans la même période en Allemagne quede 17,2 %.

Un second facteur explicatif etparticulièrement lourd de conséquencespour l'avenir tient à l'investissement. Leparadoxe de la situation française résidedans le fait que le taux d'investissementdes sociétés non financières est supérieurau taux allemand (19,4 % contre 17,1 % en2012 par exemple). Les évolutionsdivergentes en termes de gains de partsde marché et de rentabilité s'expliquenten grande partie par la composition mêmede cet investissement. Comme lemontrent Cohen et Buigues (2014), laFrance surinvestit en matière deconstructions et sous-investit en matièred'équipements par rapport à l'Allemagne.Or, la productivité des deux secteurs n'estguère la même.

Cela conduit à mettre en exergue unepremière fois le poids particulier dusecteur de la construction. Lesinvestissements dans le secteur étaientcomparables dans les deux pays en 2000.La divergence s'est dessinée ensuite (2). Letaux d'investissement allemand enéquipements dépasse de deux points leniveau français (7,5 % du PIB contre 5,5%). Pour ne reprendre qu'un des chiffrescités par Cohen et Buigues (2014),l'Allemagne a acheté 19 533 robotsindustriels en 2011, 5 091 l'ont été parl'industrie italienne et 3 058 seulementpar l'industrie française. Il semble doncbien que la composition del'investissement compte bien plus que sonniveau en termes absolus.

Par ailleurs, comme le note FranceStratégie, le décrochage franco-allemands'explique également, en France, par unehausse des coûts relatifs liés aux intrantsvenant du secteur protégé de laconcurrence internationale (3). Si, entre1999 et 2004, le solde extérieur françaisétait en moyenne positif de 1,5 % par an, ila été négatif en moyenne de 1,3 % entre2005 et 2012. Rétablir l'équilibre pourraitsupposer de réduire le coût de biens etservices qui entrent dans les processusindustriels, mais qui sont eux-mêmesprotégés de la concurrence étrangère. Lesprix des biens échangés à l'internationalont en effet chuté de 10 % quand dans lemême temps ceux des biens et servicesnon échangeables ont crû de 25 %. Le tauxde change interne (4) s'est donc dégradéde 35 % dans la période. Il s'ensuit nonseulement une dégradation à court termede la compétitivité de notre industrie,mais également des risques demarginalisation à long terme de celle-cidans la mesure où les fluxd'investissements internes se dirigent versle secteur protégé, plus rémunérateur.

En effet, la compétitivité-coût française sedégrade au travers de la hausse dessalaires dans le secteur protégé et autravers de la baisse des marges qui pèsesur l'investissement productif et donc surla compétitivité hors coût. La restaurationde la compétitivité suppose donc unemodération salariale dans les secteursprotégés, mais aussi et surtout unemodernisation de ces derniers. Lerenforcement de la concurrence est eneffet essentiel pour inciter les acteurs àréduire leurs marges et à réaliser des gainsde productivité.

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De la nécessité de réformesstructurelles : trois exemples

Nous considérons ici trois secteurssusceptibles de grever la compétitivitéextérieure de l'économie française endégradant le taux de change interne oupour certains d'entre eux en détournantl'épargne des investissements productifs,à savoir les pro- fessions réglementées, lesecteur de la distribution et enfin lesecteur immobilier.

Le cas des professionsréglementées

L'impact de la réglementation decertaines professions sur la compétitivitéde l'économie française était au cœur dela loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour lacroissance, l'activité et l'égalité deschances économiques, dite loi Macron. Laréglementation dont bénéficientnotamment les professions du droit peuts'expliquer en termes d'économiepublique par la garantie de la qualité duservice rendu à l'usager. Ce dernier nepeut l'évaluer parfaitement, tant ex antequ'ex post. Il s'agit de biens de confiance.La réglementation publique vise dans cecadre à corriger les asymétriesd'informations et à garantir la sécuritéjuridique des contrats. En d'autrestermes, ses effets sont pro-concurrentiels.

Cependant, cette réglementation estparallèlement dénoncée commepréjudiciable en termes d'efficacitééconomique en ce qu'elle aurait pour effetpervers d'accorder une rente aux acteursrégulés. Cette rente tiendrait à lapossibilité d'imposer des tarifs pour les

actes sans rapport avec les coûts. Dans lamesure où ces professions sont protégéespar la réglementation, la concurrence nepeut y remédier. Des barrièresréglementaires à l'entrée, des règles demonopoles professionnels et régionaux,des mesures de numerus claususcréeraient un cadre protecteur audétriment de l'intérêt général. De la mêmefaçon, ces professions seraientsusceptibles de capturer le décideur publicen matière de fixation et d'évolution destarifs ou encore en matière de contrôledes implantations de nouveauxprofessionnels. Cette approche, qui tireune partie de ses racines de la théorie deschoix publics, s'articule néanmoins avecdes critiques formulées par de nombreuxrapports publics à commencer par lerapport Armand-Rueff (1960), et plusrécemment par les rapports Attali (2008)et Gallois (2012).

Dans cette perspective, les professions enquestion bénéficieraient de rentes indueset grèveraient la compétitivité del'économie en lui imposant des coûts detransaction excessifs. La réglementationde certaines professions interdisant descabinets multi-activités ou des prises departicipations par des investisseurspénaliserait les professionnels français parrapport à leurs concurrents étrangers etpriverait les entreprises françaises deservices innovants. Le soutien à lacompétitivité passerait dès lors par desréformes structurelles dans ce domaine,supposant un renforcement de l'aiguillonconcurrentiel. Les avancées de la loiMacron de 2015 et le renforcement desattributions de l'Autorité de laconcurrence pourraient dans cette logique

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être étendues à d'autres professionsréglementées, dans le domaine du chiffreou de la santé.

Le secteur de la distribution

Le diagnostic est dans une certainemesure comparable dans le secteur de ladistribution. La compétitivité françaisesouffre de prix à la consommation parfoisconsidérablement plus élevés que cheznos partenaires, notamment britanniqueset allemands. Si la France compteplusieurs opérateurs majeurs dans ledomaine de la grande distribution, laconcurrence y est pour le moinsperfectible.

Premièrement, un ensemble deréglementations publiques entraventl'accès au marché de nouveaux entrants.Les règles relatives à l'urbanismecommercial peuvent dans une certainemesure jouer le rôle de barrières àl'entrée et donc être le support d'unegestion malthusienne de l'offre en partiemaîtrisée par les concurrents en place. Lerapport Attali (2008) avait déjà dénoncécette situation et cherché à réduire lescapacités de blocage devant lescommissions départementalesd'aménagement commercial. Cependant,les freins aux nouvelles implantations nesont qu'une des dimensions du problèmedes prix de la distribution. En effet,l'analyse de la structure du marché doitêtre mise en perspective avecl'implantation de maxi-dis- compteurs(dont les surfaces permettent de passersous les seuils de la réglementationpublique) ou encore des drives. Elle doitl'être aussi en regard du poids croissant de

la distribution en ligne et de laconvergence qui se dessine entre lemonde des plateformes électroniques etcelui de la distribution.

Deuxièmement, il convient aussi deconsidérer au-delà de la structure en avaldu marché l'effet de sa concentration enamont. L'Autorité de la concurrence a eu àse prononcer sur des rapprochementsentre les centrales d'achat des grandsgroupes de la distribution. Ainsi, suite àtrois accords de coopé- rationsconsécutivement signés à l'automne 2014,la part de marché des quatre plus grandescentrales d'achat était supérieure à 90 %.

Une telle concentration en amont de lapuissance d'achat pose divers problèmessusceptibles de peser sur les prix. Elle peutconduire à une réduction de laconcurrence en amont entre les centraleset donc en aval entre les hypermarchés.Elle peut également rendre plus difficile laconcurrence par changement d'enseigne,malgré l'importance d'une telle mobilitédans un secteur où les capacitésd'installations de nouvelles infrastructurescommerciales sont, comme nous l'avonsvu, difficiles. Elle risque aussi de setraduire par des phénomènes dedépendance économique au détrimentdes fournisseurs en pesant sur leursmoyens d'innovation, de différenciation etdonc potentiellement sur leurcompétitivité future.

Le cas de la distribution illustre donc l'undes paramètres de la compétitivité : leniveau des prix intérieurs. Sur la période2001-2012, ce niveau a baissé de 4,86 %en Allemagne quand il a enregistré dans le

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même temps une hausse de 2,69 % dansla zone euro. L'année 2012 correspond aupoint maximal des divergences entre laFrance et l'Allemagne. Eurostat publiechaque année le niveau des prix comparésde la consommation finale des ménages(en y incorporant les taxes indirectes). Letableau 1 reprend les données disponiblesen juin 2017.

Le déficit de compétitivité de la France liéà ce différentiel peut être visualisé par letableau 1. L'effet de décrochage a étéparticulièrement sensible jusqu'en 2012mais les niveaux de 2005 n'ont toujourspas été retrouvés malgré une croissanceatone qui devrait théoriquement peser surles prix.

Un tel différentiel est particulièrementfavorable à l'économie allemande. Leniveau raisonnable des prix à laconsommation rend plus supportable lamodération salariale et notamment leniveau des bas salaires. Les données dutableau 2 témoignent de ce décrochagequi ne fut que partiellement compenséaprès 2012.

Un second avantage lié au faible niveaudes prix intérieurs allemands tient à laprotection qui en résulte contre lesimportations. Les réformes structurellesapparaissent également comme la clépour réduire le niveau des prix intérieurset donc améliorer la compétitivité del'économie française. Ainsi, malgré laprésence de champions nationaux, lesimperfections de la concurrence sur lemarché intérieur pénalisent lacompétitivité extérieure de notreéconomie.

Le secteur de l'immobilier

Comme nous l'avons vu pour lesentreprises, le poids de l'investissementimmobilier constitue une spécificitéfrançaise par rapport à la situationallemande. Considéré dans son ensemble,il peut être de nature à obérer lacompétitivité de l'économie française dansla mesure où il draine les capacitésd'investissement vers un secteur protégéoù les gains de productivité sont faibles etles prix élevés au détriment del'investissement productif.

Un premier trait saillant tient àl'évolution des prix de l'immobilierrésidentiel en France et en Allemagneentre 1985 et 2012. Le graphique, tiréd'une étude COE-Rexecode (2013), met enévidence la spécificité de l'évolutionfrançaise avec une envolée des prix àpartir de la fin des années 1990 et uneabsence de nette correction avec la crisede 2008.

La hausse des prix de l'immobilier, quicrée une rente et accroît les inégalités,s'explique tant par des facteursdémographiques (taux de croissance de lapopulation et augmentation du nombre deménages) qu'économiques. La baisse destaux suite à la mise en place de la monnaieunique a accru très nettement la capacitéd'emprunt des ménages. Celle-ci a étéaccompagnée par d'autres facteursfavorables tels que la croissance desrevenus (6), les différents soutiens publicset une propension de plus en plus forte àprendre des risques sur la valeur des biensacquis. Ce faisant, la capacité d'achat desménages français s'est accrue de 50 %

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entre 2003 et 2011 (ministère del'Économie, 2012).

La hausse des prix de l'immobilierconstitue également, avec les frais liés auxmutations immobilières, une entrave à lamobilité géographique de la main-d'œuvre. Cet effet est d'autant plussensible qu'une partie élevée dupatrimoine des ménages français estconcentrée sur les actifs immobiliers.Selon l'OCDE (2011), le taux annuel dechangement de résidence était en 2007 de8,6 % en Allemagne contre 5,3 % enFrance. Le prix de l'immobilier, commecelui de la grande distribution, pèsedéfavorablement sur le pouvoir d'achatdes ménages. 22 % du revenu disponiblebrut des ménages français étaientconsacrés au logement en 2012 contreseulement 18 % en 2004 (Trannoy etWasmer, 2013). Le différentiel du poids del'immobilier dans le budget des ménagesrend difficile une modération salariale àl'allemande.

Le niveau des prix de l'immobilier serépercute sur les loyers du secteur privéqui ont évolué, en France, entre 2002 et2010 à un rythme annuel de 3,6 %. Cetteévolution a des effets notamment sur lesménages les plus modestes dans lamesure où ces derniers sont plus souventlocataires et ne peuvent pour beaucoupd'entre eux accéder au parc de logementsocial, caractérisé par une très faiblemobilité de ses bénéficiaires.

Sortir l'économie de l'allocationsous-optimale des capacités definancement

Il est possible de craindre que lesdifférentiels de rentabilité selon lessecteurs puissent se traduire par uneallocation sous-optimale des capacités definancement de l'économie. Lesplacements immobiliers représentent eneffet les deux tiers du patrimoine desménages français. Favoriser uneréorientation des investissements passepar des réformes structurelles, maiségalement par des politiques publiquescanalisant l'épargne vers des secteurssitués à la frontière tec Yologique dans lamesure où ces derniers sont les plusporteurs de gains de productivité (Aghion,2016). Il est dès lors plus question decapital-investissement que d'aides à lapierre.

Les voies de résorption de la spécificitéimmobilière française sont comparables àcelles décrites ci-dessus pour lesprofessions réglementées et le secteur dela distribution. Il s'agit, d'une part, de larefonte de la réglementation publique(avec notamment un volet de correctiondes dispositifs d'aide à la pierre) et, del'autre, d'un renforcement de laconcurrence dans le secteur de laconstruction Deux canaux permettent deréorienter la réglementation publique : lessoutiens fiscaux et les coûts de mutation.En matière de soutiens fiscaux, il s'agit,comme nous l'avons noté, de corriger desdispositifs peu efficaces et ayant poureffet d'entretenir la hausse des prix del'immobilier. Par exemple, entre 1996 et1999, sur 533 000 ménages ayantbénéficié d'un prêt à taux zéro, il a pu êtreestimé que pour seulement 75 000 d'entreeux ce dernier était une condition sine quanon pour l'accession à la propriété

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(Gobillon et Le Blanc, 2005). Un tel effetd'aubaine est particulièrement coûteux entermes de ressources publiques etcontribue à entretenir la hausse des prix.En effet, les vendeurs peuvent (commecela a été analysé pour les aides à lalocation) capturer l'intégralité dusupplément de solvabilité de l'acheteur.En matière de coûts de mutation, il s'agitde faire évoluer la réglementation defaçon à réduire les coûts de transactionliés au secteur de l'immobilier et donc delever une partie des obstacles à la mobilitéde la main-d'œuvre. Les droits demutation à titre onéreux représentent eneffet 5,09 % du montant des transactionsimmobilières (Trannoy et Wasmer, 2013).Un des enjeux de la réforme de laréglementation appliquée aux professionsdu droit se retrouve ici.

À l'instar des conclusions du rapportArmand - Rueff (1960), seule laconcurrence peut contraindre les firmes àgagner en compétitivité et à redistribuerleurs rentes. La concurrence est à cetteaune un vecteur de modernisation de cessecteurs et de baisse de leurs coûtsrelatifs.

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POLITIQUE ECONOMIQUE

Déconcentration et décentralisation : la fin de l’Histoire ?

BERNARD NICOLAIEFF, Enseignant à l'ISMAPPPouvoirs Locaux N° 106 III/20 15

La mise en perspective historique de la notionde déconcentration permet d'appréhendersous un prisme renouvelé la nature de sesrelations avec la décentralisation aujourd’hui.Cette construction duale, jugée naturelle etnécessaire depuis les lois de 1982, laisseapparaître quelques fissures qui permettentde s'interroger sur la pertinence ducompromis territorial français.

Parce que l'ambiguïté n'est pasun projet!

La publication d'une nouvelle charte de ladéconcentration vient de confirmer unprincipe bien établi: à toute « nouvelle étape»de la décentralisation correspond un« approfondissement » de la déconcentration.L'émergence de grandes régions et demétropoles dans un paysage décentralisé parailleurs immuable, a été immédiatementsuivie de l'actualisation du discours de l'Étatsur « l'administration des territoires ». Lareprise du terme de Charte dans le décret dedéconcentration du 7 mai 2015 illustre unevolonté de solenniser un texte qui n'abusepourtant pas de l'audace. À première vue, untel luxe d'attention vis-à-vis de ladéconcentration semble illustrer la pérennitédu compromis territorial français que lesvocables de décentralisation et dedéconcentration, tout à la fois antagonistes etinséparables, sont chargés d'illustrer, mieuxde légitimer depuis trente ans. On se situeraittoujours dans le registre de cette jolieexpression qui figure sur le site de la

Documentation française, au chapitre desgrands principes régissant les collectivitésterritoriales : « Dans la conception française,les processus de déconcentration et dedécentralisation vont ensemble »

Pourtant, le communiqué du Conseil desMinistres, qui l'a adopté le 6 mai, accompagnele nouveau texte de deux assertions quipeuvent interroger. La première énonce: « LeGouvernement fait le choix de réaffirmer quel'organisation de la France est déconcentrée.)Or, depuis la révision de 2003, l'article premierde la Constitution qualifie l'organisation de laRépublique de « décentralisée ». On ne peutmieux illustrer le non-choix entre Étatcentralisé et État décentralisé qui caractérisela vision et la gouvernance des territoiresdepuis la révolution annoncée de 1982. Laseconde mention précise: « Gouvernantdepuis Paris, l'État administre les territoiresdans une relation de proximité avec lesFrançais, pour s'adapter à leur réalité, quin'est pas identique en tout point du pays. »Même si la référence à la proximité s'avère unmoyen désormais classique de réfuter lescraintes du « gouvernement à distance» (R.Epstein), l'appropriation par l'Etat central decette notion et surtout de la différenciationterritoriale représente une forme d'ironiealors même que la dernière étape de ladécentralisation s'est caractérisée parl'uniformité des solutions institutionnelles(mis à part la validation de la métropole deLyon) et la centralisation des choixcartographiques.

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Dualité lexicale

À l'évidence, l'ironie ne suffit plus. « Noussommes à la croisée des chemins.» (H..Pasquier) Les récentes législations (MAPTAM,NOTRE) ont additionné les structuresterritoriales sans en clarifier les relationsfonctionnelles et les objectifs démocratiques.Et la déconcentration, d'autant plus célébréequ'il s'agit d'occulter la perte de substance,générée par la REATE, de pans entiers desservices déconcentrés, s'avère un vocabledésormais appauvri tant il est daté, relatif etsingulier. Le terme n'est d'ailleurs guèretransposable dans les autres Étatsdémocratiques qu'ils soient fédéraux oudécentralisés.

Même l'Italie, dont la philosophieinstitutionnelle est jugée proche de parl'Histoire, qualifie toujours de«décentralisation administrative » ce quenous nommons déconcentration et« d’autonomes » les différentes collectivitésauxquelles une décentralisation politique aattribué notamment le droit de lever l'impôtet de voter les lois. La dualité lexicalepermettant de conceptualiser la gouvernanceterritoriale nous est donc propre (ainsi qu'àcertains pays francophones). Comme tantd'autres, cette exception française ne peutêtre condamnée au seul motif de lasingularité. Mais, le couple déconcentration-décentralisation semble atteindre ses limitesdans le récit pluriséculaire de la réformeterritoriale. Sans empiéter sur les travaux deshistoriens du droit, nous pouvons situerquelques jalons clans l'émergence puis dans laconsécration de ce qui est nommé ladéconcentration et ainsi mieux encomprendre les ambiguïtés croissantes.

Rétroactivité du vocable

Le premier de ces repères historiques renvoieà une évidence parfois oubliée, ladéconcentration est fille de la centralisation etcondition de son efficacité. À la fin de l'Ancien

Régime, le déclin du centralisme monarchiquerésida tout autant dans son manque decourage pour rétablir les finances de J'Étatque dans l'incapacité du régime à mener àbien une réforme territoriale cohérente et àfaire les choix d'organisation« déconcentrée »nécessaires : professionnalisationd'intendances, structuration du recouvrementde l'impôt, clarification des niveaux dedécision. La leçon sera retenue par laRévolution puis par l'Empire et laRestauration. Le préfet, marqueur symboliqueet opérateur principal des politiquesdéconcentrées, fut créé sous le Consulat en1800 (Loi du 28 pluviôse an VIII), comme unefigure finalement très proche du commissairedu Directoire (Constitution de 1795, 5fructidor an III) mais aussi de celle del'intendant de l'Ancien Régime, même si cedernier disposait de pouvoirs financiersthéoriques dont le préfet est dépourvu. Lacélèbre phrase du Premier Consul: « LaFrance date son bonheur de l'établissementdes préfectures » fait écho à celle qu'avaitprononcée John Law sur les intendants « dequi dépend le bonheur ou le malheur desprovinces, leur abondance ou leur stérilité »l.Nombre d'intendants, comme plus tard despréfets, ont favorablement marqué lesterritoires qu'ils administraient au service d'unpouvoir centralisé, que l'on songerespectivement à Turgot qui, durant sesquatorze années en Limousin, créera desmanufactures, expérimentera ses théorieséconomiques, réformera au nom du roi ou àHaussmann qui transforma la capitale entre1853 et 1870 et à Paul Delouvrier, grandaménageur, premier préfet de la régionparisienne. Tous les intendants et tous lespréfets ne purent forcément revendiquer detels bilans, mais les talents et la confiancedont ils jouissaient leur permirent d'occuper,voire de dépasser, le champ de ladéconcentration telle qu'elle est aujourd'huidéfinie.

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Ambiguïté de départ

Le deuxième jalon, qui concerne l'émergencedu vocable de déconcentration au détrimentde celui de décentralisation administrative, estdécisif puisqu'il explique la dualité lexicalepropre à la France. Traditionnellement, lesjuristes situent la création de ladéconcentration en 1869, sous la plume duconseiller d'État Léon Aucoc, Mais le termeavait été avancé dès la IIe République,notamment en 1849 par Auguste Bourguignat,avocat au Conseil d'État". Chez ces juristes,marqués par les événements de 1830 ou de1848 et qui parlaient du « regrettable M. deTocqueville » car apôtre de la libertécommunale, la crainte concernait tout autantla « concentration » excessive des pouvoirsdans un Paris incontrôlable et ouvert auxidées « socialistes », que la dévolution decompétences, notamment financières, « auxmunicipalités, départements ou provinces » Ildont ils appréhendaient la « prodigalité » etredoutaient les tentations« d'indépendance » . La « déconcentration »signifiait d'abord le moyen de lutter contrel'arrogance et l'activisme parisiens: « Noussommes en face du parti rouge qui la redoute,que la déconcentration soit notre arme deguerre. Et puis, partisans du « vrai »centralisme, présenté comme une longueconquête de la royauté confortée par laRévolution et l'Empire, le terme même dedécentralisation, fût-il associé à l'adjectif« administrative » , heurtait leurs convictions;il leur paraissait susceptible, par l'apportd'autres adjectifs, de renforcer au fil du tempsles partisans d'une « décentralisationradicale » au profit de personnalités moralesautre que l'État. Léon Aucoc distinguant parprécaution concentration parisienne etcentralisation des pouvoirs, releva ainsi que ledécret de décentralisation administrative du25 mars 1852 (complété par celui du 13 avril1861), dont l'article 6 demeure en vigueur,devait être qualifié de « texte dedéconcentration ». Il transforma ainsi une

subtilité langagière en concept juridique dontl'adoption par la doctrine s'avéra prudente,voire résistible, jusqu'au XXe siècle, avant derevêtir le caractère de l'évidence.

Discontinuité du concept

Le troisième repère majeur-de l'enracinementde la déconcentration dans le paysagenormatif français se trouve dans ce qu'onappelle les décrets Poincaré de 1926, dont leplus important s'intitule: « Décentralisation etdéconcentration administratives » (l'adjectifétant mis au singulier dans sa version actuellesur Légifrance). En plus d'être un texteessentiel de par sa vision prospective de laréforme territoriale, il prévoit bien entendunombre de mesures de déconcentration, dedécentralisation et de simplification. Il mériteune étude en soi, tant il peut encore éclairercertains débats contemporains. L'on peutnoter qu'il s'agit du premier texte qui intègredans une vision cohérente et novatrice de lagouvernance territoriale des mesuresdestinées aux collectivités locales et auxreprésentants de l'État. Il faudra attendre lapériode post-décentralisation pour retrouverune telle « cohabitation » mais dans uncontexte institutionnel très différent où lestermes prennent un autre sens.

Le quatrième repère, qui se situe en 19B2avec la loi Defferre, est en effet une rupture.L'émergence d'une décentralisation politiquefondée sur le transfert des exécutifs à desélus, change du tout au tout la relation desreprésentants de l'État avec les collectivités etleurs responsables. Dans le décret de 1926, lepréfet assurait en quelque sorte le fil rougeentre des mesures de déconcentration et dedécentralisation conçues dans le même espritde réforme, qu'il serait chargé d'appliquertout à la fois comme agent déconcentré etcomme exécutif des collectivités. Dans lanouvelle donne, les très nombreux textesconjoints ou distincts qui se sont succédédepuis plus de trente ans visaient àconstruire la décentralisation par des

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transferts massifs de compétence vers lescollectivités territoriales, et à en tirer lesconséquences pour les services administratifsconcernés. La déconcentration « recentrée »autour de la figure du préfet demeuredestinée à mettre en scène honorablement ceretrait de l'Etat.

Compromis territorial

Cette brève revue historique met en lumièrele fait que l'invention de la déconcentration,propre aux institutions françaises, areprésenté un compromis, jugé suffisammentutile pour être intégré dans la doctrine, lestextes normatifs et les habitudes de pensée. Ila atteint son point d'équilibre sous la Ille

République. Mais ce compromis a produitaussi des limites que le processus dedécentralisation à l'œuvre depuis trente ansrend de plus en plus visibles.

Plusieurs hypothèses peuvent être avancéespour expliquer le succès et l'utilité de ladualité lexicale qui vient d'être brièvementdécrite, mais aussi ses insuffisances.

• Au plan politique, le coupledécentralisation/déconcentration nonseulement n'exclurait pas la poursuite dedébats catégoriques, mais elle les faciliteraiten réalité. Ici l'on mettra l'accent sur lecentralisme normatif et administratifpersistant, les engagements non tenus parl'État ou les contrôles tatillons du préfet, là onretiendra la gestion dispendieuse descollectivités, le retour des notables ou laparcellisation du territoire national. Loin desjoutes de nature idéologique du XIXe siècle,ces critiques pourront être énoncées avecd'autant plus de symétrie que les acteurss'inscrivent dans un système qui encourage ladiversité des postures au gré des fonctionsoccupées, législative, exécutive, territoriale,publique, privée, universitaire, administrative.La coexistence institutionnelle ainsi organisées'inscrirait donc dans une forme d'invarianthistorique puisque le système politique

français tend à se penser tout à la fois commecentralisé et décentralisé. Mais n'arriverait-onpas au bout du chemin si l'on constatait unjour que la France cumule davantage lesinconvénients que les avantages des deuxsystèmes ?

• Au plan économique, le coupledécentralisation-déconcentration traduiraitune forme de consensus sur la nécessité deconcevoir les politiques publiques au prismede la notion de territoire, dans le contexte del'Union Européenne et de la globalisation. Lavolonté « d'administrer les territoires dansune relation de proximité avec les Français »actualiserait ainsi la « géographie de laliberté » » inventée par Jérôme Monod à laDATAR dans la dernière partie des trenteglorieuses. L'agir localement serait l'un desfacteurs de nouvelles formes dedéveloppement économique et social quel'articulation État-décentralisation permettraitde favoriser dans le cadre de politiquesinnovantes. Mais, à l'heure de la dynamiquedes réseaux et de la transition numérique,cette nouvelle version de l'interventionnismepublic sera-t-elle crédible dans un paysageinstitutionnel qui additionne les structures,redessine des cartes et accumule les normes ?

• Au plan démocratique, enfin, ladécentralisation remplirait d'autant mieux sonobjectif de rapprochement des citoyens quel'État territorial joindrait ses forces pourdévelopper la qualité des services publics et laproximité vis-à-vis de la société civile.L'investissement - relatif d'ailleurs - sur lesmaisons de service public participe de cettehypothèse. Mais, sur ce plan aussi, l'ambiguïtédomine. La nationalisation et lapersonnalisation croissantes des électionslocales, le cumul et l'alternance des mandatsnationaux et locaux, la confusion persistantedes compétences, en particulier aux yeux descitoyens, sont autant de facteurs dedévaluation du discours supposé novateur dela proximité.

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Effets secondaires

L'analyse du statut de la déconcentration dansune République qui se qualifie dedécentralisée permet de déceler, dans uneapproche tocquevillienne, la transformationdes réalités institutionnelles sous lapermanence des mots. La significationrespective des termes de déconcentration etde décentralisation a évolué par l'effet desréformes institutionnelles mais aussi de lastratégie des acteurs. Le premier terme n'aplus le même poids qu'il y a trente ans, lesecond plus la même force. Dans lagouvernance des territoires comme dans ladémocratie locale, l'ambiguïté domine. Elleapparaît même comme une valeur, à tout lemoins comme une convenance.

Un tel diagnostic conduit à conclure sur troisdes effets secondaires de cet état trèslégèrement schizophrénique qui ne cesserad'interpeller dans le futur proche:

1. Le renoncement historique à la notionde « décentralisation administrative» au profitde celle de déconcentration conduit àocculter, plus que jamais, toute réelleclarification de l'objet même de ladécentralisation, de son potentiel mais ausside ses limites. On commence d'ailleurs à voirapparaître des objets hybrides qu'on ne peutclasser ni dans la déconcentration, ni dans ladécentralisation. Comment va-t-on nommer,normer et traduire concrètement larestitution du RSA à l'État. En quoi, le transfertde la gestion des fonds européenss'apparente-t-il à un acte de décentralisation?Quant aux débats utiles sur le pouvoirnormatif des collectivités territoriales,s'appliquent-ils à la notion de décentralisationou plutôt à celle de « dévolution» ?

2. Le « suivisme » déconcentration-décentralisation rend impossible, mêmesocialement, une véritable réforme de l'État etde son rapport au territoire, à l'heure desurcroît des transformations considérables

qu'implique la dématérialisation. Lescontournements de la déconcentration« officielle » se multiplient d'ailleurs depuisquelques années, qui sont pour certainsvalidés (Charte) ou provoqués (RÉATE, LOLF)par les textes.

3. La prolongation des codes de l'avant-décentralisation empêche toute réflexion surla responsabilité politique et la dimensiondémocratique de la décentralisation. Quidécide dans et pour un territoire aux yeux ducitoyen ?

Précisons enfin, en rapport avec le titre de cetarticle, que « la fin de l'histoire » ne signifiepas la disparition prochaine de la relationdéconcentration-décentralisation. Elle ditsimplement que cet affichage emblématiqueva cesser de produire les effetsd'accommodement qu'on en attendait il y atrente ans. Elle exprime la nécessité de penserJ'après. L'ambiguïté n'est pas un projet.

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POLITIQUE ECONOMIQUESubstance économique et abus de droit : le réalisme fiscalà tout prix ?Laurent TASOCAK, élève-avocat, diplômé du Master 2 droit fiscal de l'universitéParis 1 Panthéon-Sorbonne

REVUE DE DROIT FISCAL N° 30-35/ 27 JUILLET 2017

La substance économique devient unenotion centrale dans la lutte contre lafraude et l'évasion fiscales, un consensussemblant avoir été trouvé par les autoritéspour en faire une nouvelle norme deréférence en la matière. Cet article vise àdémontrer en quoi le recours à cettenotion est, au mieux, surabondant, aupire, source d'insécurité pour les acteurséconomiques. Il invite donc le juge etl'administration fiscale à replacer leursréflexions dans les limites posées par leprincipe de sécurité juridique.

Introduction

1 - La lutte contre la fraude et l'évasionfiscales connaît une actualitépassionnante. La situation des financespubliques résultant de la crise financièrede 2008 ainsi que la multiplication desoptimisations fiscales agressives desentreprises multinationales ont convaincules décideurs de passer d'une appréciationjuridique à une appréciation économiquedes situations. Un terme centralise à luiseuil' ensemble des préoccupations : lasubstance économique.

2 - Cette notion constitue la clé devoûte des projets internationaux et

européens de lutte contre la fraude etl'évasion fiscales. Le plan d'action BEPS del'OCDE tend à aligner les règlesd'imposition sur la substance économique,empêchant ainsi le déplacement artificielde bénéfices imposables depuis le pays oùla valeur est créée vers un autre. La notionde substance a une place essentielle ausein de ce projet afin que la fiscalitéintègre de manière plus systématique laréalité économique. Le plan comportedonc six actions qui visent à aligner lesdroits d'imposition sur la substanceéconomique :

- l'action 5 vise à s'assurer que lesbénéfices imposés sous un régimepréférentiel dans un État sont issus d'uneactivité réelle, ce qui implique que lecontribuable se soit effectivement livréaux activités visées dans l'État en questionafin de bénéficier de cet avantage : il s'agitde l'approche « Nexus » ;

- l'action 6 vise à empêcherl'utilisation de sociétés-écrans sansaucune substance économique pouraboutir à une double exonération ;

- l'action 7 conduit à modifier ladéfinition d'un établissement stable demanière à empêcher l'évitement artificieldu statut d'établissement stable dans

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l'optique de l'érosion de la based'imposition et du transfert de bénéfices ;

- enfin, les actions 8, 9 et 10 ont pourobjet de s'assurer que les prix de transfertcalculés entre sociétés liées sontconformes à la création de valeur. Ainsi,l'imposition des bénéfices du groupedevrait être mieux alignée avec lasubstance économique des sociétésmembres, répartissant plus justement lerevenu imposable entre les juridictionsfiscales.

3 - Les États membres de l'Unioneuropéenne, également membres del'OCDE, s'étaient engagés à mettre enœuvre les résultats des travaux sur les 15actions du plan BEPS. Il est donc cohérentque ces États prennent des mesures pourdécourager les pratiques d'évasion fiscaleet pour assurer une fiscalité juste etefficace dans l'Union d'une manière quisoit suffisamment cohérente etcoordonnée. Ces considérations ont étématérialisées par l'adoption de la directiveanti-évasion fiscale du 12 juillet 2016.

4 - L'esprit de cette directive estrésumé par le Conseil qui énonce que «lespriorités politiques actuelles dans ledomaine de la fiscalité internationalemettent en lumière la nécessité de veillerà ce que l'impôt soit payé là où lesbénéfices et la valeur sont générés.».Comme il est de coutume, une clauseanti-abus générale a été insérée dans ladirective. Cette clause renvoieimplicitement à la notion de substanceéconomique en refusant l'application d'unrégime aux montages qui ne sont pas misen place pour des motifs commerciauxvalables reflétant la réalité économique.

Ce qui était innovant dans la propositioninitiale de cette directive est qu'elle seréférait expressément à la notion desubstance économique en indiquant qu'enprésence de montages «la charge fiscaleest calculée sur la base de la substanceéconomique conformément à lalégislation nationale» S, référence quin'apparaît plus dans la version finalementadoptée.

5 - Or, force est de constater que pouressentielle qu'elle soit, cette notion desubstance n'est pas définie clairement. Niles travaux de l'OCDE, qui font pourtant dela substance l'un de leurs piliers, ni lesdirectives européennes n'apportent deprécisions. Partant, les acteurséconomiques peuvent rencontrer desdifficultés à en apprécier les contours,particulièrement pour les sociétésholdings dépourvues d'activitéopérationnelle. Il en découle un sentimentd'insécurité, d'autant plus manifeste quela substance économique, dont l'absenceest lourde de conséquences, irrigue despans entiers du droit fiscal.

1. La bivalence de la notion desubstance économique : le réalisme audétriment de l'unité

6-La notion de substanceéconomique vise principalement à limiterl'application de certains régimes de faveuraux situations dans lesquellesl'implantation d'une société dans un Étatprésente une certaine cohérenceéconomique et opérationnelle.

7 - En droit français, cette notion aété introduite par l'arrêt Pléiade. Les jugesy ont considéré que la prise departicipation d'une société française dansle capital d'une société luxembourgeoise

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ne présentait aucune justificationéconomique et que la société luxem-bourgeoise était dépourvue de toutesubstance. Dans le prolongement de cettedécision, la Haute juridiction a sanctionné,au titre de l'abus de droit, un montagepurement artificiel dépourvu de toutesubstance économique, malgré sa licéité,dans l'affaire Sagal". Si ces deux décisionsont marqué les esprits et sonttraditionnellement reconnues commeétant les arrêts de principe en matière desubstance économique, elles nepermettaient pas de dégager des critèresclairs et précis permettant d'identifier ledéfaut de substance économique. Tout auplus, les décisions Pléiade et Sagal selivraient-elles à une analyse factuelle etavaient comme point commun de seréférer au défaut « de compétence enmatière d'investissements et deplacements financiers» des sociétésholding et à leur caractère transparent,économiquement parlant.

8 - L'arrêt Cadbury Schweppes de laCour de justice de l'Union européenne aprécisé que la substance locale d'unesociété repose sur « des élémentsobjectifs et vérifiables par tiers, relatifs,notamment, au degré d'existencephysique en termes de locaux, de person-nels et d'équipements », Ces critèresobjectifs posés par la Cour de justice del'Union européenne, ont été repris par leConseil d'État à l'occasion de l'affaireAndros. Les lignes directrices, censéescorrespondre à une variété de situation,permettant d'établir la substanceéconomique d'une société reposeraientdonc sur deux piliers, à savoir la réalité del'implantation locale et l'exercice effectif

d'une activité économique. Cependant, ilest toujours aussi malaisé de la définiravec précision, d'autant plus qu'elleévolue en fonction des réglementationsen vigueur et qu'elle suppose uneappréciation au cas par cas. La substanceéconomique s'apprécie sur la base d'unfaisceau d'indices comprenant, parexemple, l'existence de moyens humains,l'autonomie économique et financière, lapolitique de distribution, ou alors lanature des actifs de la société.

9 - Dans le cas d'une société holding,la problématique est plus épineuse pourplusieurs raisons. Au premier abord, ilpeut paraître totalement absurde d'exigerd'une société patrimoniale unequelconque substance économique. Iln'est donc pas envisageable d'attendred'une telle société autant de matérialitéqu'en a une société opérationnelle. Pourautant, si les sociétés holding ontmauvaise réputation 10, il n'en demeurepas moins qu'elles peuvent répondre à denombreuses considérations autres quefiscales 11. Dans ce contexte, le faisceaud'indice évoqué pour l'appréciation de lasubstance économique des sociétésopérationnelles n'a aucun sens.

10 - La difficulté a été surmontée par leConseil d'État, dans une décision SANatixis 12, par laquelle la Haute juridictiona affiné sa position traditionnelle quiconsistait à mettre en évidence l'absencede substance économique d'une sociétéen ne s'attachant qu'à des élémentsobjectifs. Le Conseil d'État va s'attachernon seulement aux critères traditionnels,mais va au-delà en recherchant l'utilité etles motivations économiques justifiant laconstitution de la société, ainsi que

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l'exercice par cette dernière d'une activitééconomique effective. Dès lors, unesociété holding pure, sans activitéopérationnelle, devrait pouvoir êtreconsidérée comme ayant une substanceéconomique si sa création ou sonacquisition répond à un véritable objectiféconomique pour ses actionnaires.

11 - Autrement dit, plutôt qu'unesubstance tangible, c'est la rationalitééconomique de la société holding qui estrecherchée, une telle société n'étant pasréductible à sa consistance humaine,matérielle ou opérationnelle. Sous l'arrêtSA Natixis, le rapporteur public ÉmilieBokdarn - Tognetti rappelle l'importancequ'il y a à distinguer entre l'artificialité dumontage lui-même, relevant d'uneopération de qualification compte tenu dece qu'elle révèle et commande lacaractérisation du but exclusivement fiscalet de l'abus de droit, et le degré desubstance économique d'une société ausein d'un montage, relevant davantaged'une appréciation de fait.

12 - La jurisprudence actuelle duConseil d'État peut paraître surprenanteau premier abord. À ce jour, la substanceéconomique connaît deux définitionsselon que le juge est confronté à unesociété opérationnelle ou une sociétéholding. On comprend aisément que lejuge soit inspiré avant tout par larecherche des motivations descontribuables et que derrière ces deuxdéfinitions se cachent la recherche d'unbut exclusivement (ou principalement)fiscal. Deux options se présentent pourremédier à cette situation. La premièreserait d'abandonner purement etsimplement la référence à la substance

économique pour ne s'en tenir qu'au butexclusivement fiscal. La seconde optionserait de trouver des référentiels clairs encomparaison desquels les contribuablespourraient apprécier le degré de subs-tance économique que doivent revêtir lesstructures. Dans le cadre de l'Unioneuropéenne, le projet ACCIS 14 faisaitréférence à des critères permettant decaractériser la substance économique dessociétés implantées dans différents Étatsmembres : le chiffre d'affaires, la maind'œuvre et la valeur des actifs immobiliséscorporels. Toutefois, il ne s'agit pas ici dedécider si une société a ou non unesubstance mais uniquement de poser descritères quantifiables afin de répartir unebase d'imposition. En fonction du degré desubstance des sociétés, les États membresse verront attribuer un droit d'impositionplus ou moins étendu.

13 - Pour autant, l'utilisation de lasubstance en tant que norme anti-abusgénérale ne peut être réduite à cescritères. Toute la difficulté réside dans lefait que l'appréciation de la substanceéconomique repose pour partie sur sonobjet, le juge va alors rechercher leséléments objectifs et vérifiables par destiers tels qu'exposés dans l'arrêt CadburySchweppes, et pour partie sur son effet, lejuge recherchant la finalité exclusivementfiscale de l'opération. Le juge procède t-ilautrement lorsqu'il caractérisel'artificialité (raisonnement par l'objet) oule but exclusivement fiscal (raisonnementpar l'effet) de certains montages ? Dans cecontexte, ou l'on considère que le mon-tage est totalement dépourvu desubstance et donc artificiel, ou le montageest pourvu d'une certaine substance et,

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dès lors, il ne devrait être sanctionnéqu'en cas de recherche d'un butexclusivement fiscal au sens de l'article L.64 du LPE En réalité, l'utilisation de lanotion de substance procède d'uneréflexion cyclique qui apporte plus decomplexité que de solutions. Si elle estd'ores et déjà sous-jacente dans laréflexion des juges, l'établir en tant quenorme de référence est chose malaisée,d'autant que la sécurité juridique doit êtreun principe essentiel de l'action des jugeslorsqu'ils traitent d'une notion anti-abusqui irrigue des pans entiers du droit fiscal.

2- L'omniprésence de la notion desubstance économique : le réalismeéconomique au service de la fiscalité

14 - Si l'importance de la notion desubstance économique se matérialise avecune acuité toute particulière en matièred'abus de droit et de clauses anti-abus (A),son utilisation est susceptible de dépasserce cadre (B).

A. - De l'abus de droit auxnouvelles clauses anti-abus

15 - La notion de substanceéconomique est étroitement liée à celled'abus de droit. L'Administration l'utiliseinvariablement qu'il s'agisse d'abus dedroit par fictivité ou par fraude à la loi,laquelle suppose que soient réunies deuxconditions à savoir d'une part, un butexclusivement fiscal et, d'autre part,l'application d'un texte à l'encontre desobjectifs poursuivis par son auteur. Or, enmatière de substance économiquel'Administration fait d'une pierre deuxcoups puisque, par définition, une fois sonabsence établi, il est difficile de faire étatd'avantages autres que fiscaux et, plus

encore, de prouver que le montage ne vapas à l'encontre des intentions dulégislateur. Ce dernier n'ayant pu, parprincipe, mettre en place un dispositiffiscal en faveur des sociétés dépourvuesde substance économique, le juge peuts'abstenir d'effectuer une telle recherche,laquelle se révèle parfois périlleuse.L'administration fiscale trouve alors unfort intérêt à recourir à la notion desubstance, lorsqu'elle le peut, poursanctionnerles montages des contribuables et ced'autant plus que le Conseilconstitutionnel a refusé que l'abus dedroit pour fraude à la loi s'applique auxsituations visant « principalement» larecherche d'un avantage fiscal. Précisonsd'ailleurs que cette censure du Conseilconstitutionnel n'avait que peu d'effet car,comme l'a justement rappelé OlivierFouquet, le juge fiscal compare l'avantageéconomique et l'avantage fiscal retirésrespectivement par le contribuable del'opération critiquée. Si l'avantage fiscalest prépondérant par rapport à l'avantageéconomique (réel), il considère que lecontribuable a été inspiré par un motifexclusivement fiscal.16 - Peut-on, pour autant, affirmer que lasubstance économique a vocation àformer une nouvelle branche de l'abus dedroit ? JI est essentiel de comprendre quela substance économique doit êtreappréhendée dans ses deux branches : lasubstance économique des structures et lasubstance économique des opérations, lejuge se référant invariablement à l'une deces deux branches, parfois aux deux. Cesdeux branches sont tellementenchevêtrées avec celles de l'abus de droit

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qu'il est difficile de trouver deshypothèses d'abus de droit dans lesquellesla substance économique des structureset/ou des opérations ne font pas défaut.Autrement, il faudrait admettre que lescontribuables passent des actes fictifs ouqui n'ont aucune justification économiquealors que les structures et les opérationsont, eux, une raison d'être économique,ce qui est absurde. De là à caractériser unabus de droit pour défaut de substanceéconomique sans prendre le soin de seréférer à l'une de ses deux brancheslégales il n'y a qu'un pas, audacieux, qui arécemment été franchi tant par le Comitéde l'abus de droit fiscal que parle Conseild'État.

17 - La prolifération des clausesanti-abus spéciales s'inscrit dans cemouvement visant à renforcer le réalismefiscal. Contrairement à l'article L. 64 duLPF, elles ne font pas référence à un butexclusivement fiscal et se réfèrent, depuispeu, à la substance économique. Parexemple, la clause anti-abus prévue dansla directive mère fille, telle que modifiéepar la directive du 27 janvier 2015, repriseà l'article 119 ter du CGI et, par renvoi, àl'article 145 du CGI, exclut du bénéfice durégime mère-fille les dividendes distribuésdans le cadre d'un «montage ou une sériede montages [qui] n'est pas mis en placepour des motifs commerciaux valables quireflètent la réalité économique ».

18 - Après avoir refusé que lelégislateur assouplisse les conditions del'abus de droit par sa décision du 29décembre 2013, la position du Conseilconstitutionnel sur ces nouvelles clausesanti-abus était attendue. Dans la décisiondu 29 décembre 2015 2°, les juges de la

rue Montpensier ont rejeté les griefsportant sur la rédaction de ces clausesanti-abus aux motifs qu'elles visent desrègles d'assiette et n'ont pas un champpénal contrairement à l'article L. 64 duLPF. On peut dès lors se joindre à OlivierFouquet qui s'étonne de voir les jugesconstitutionnels considérer le terme«principal» comme insuffisamment précispour déterminer l'application de lapénalité de 80 % d'abus de droit alors qu'ilserait davantage précis pour déterminerl'application de la pénalité de 80 % pourmanœuvres frauduleuses mise en œuvreen complément de l'article 119 ter duCGR. Peut être faut -il trouver la raisond'être de cette décision dans la définitionque le juge donne aux termes «principalement» et « essentiellement»fiscal, lesquels semblent viser une seule etmême finalité, à savoir l'intérêtéconomique, patrimonial, familial oufinancier d'une opération.

19 - À ce stade, la substanceéconomique s'est montrée sous ses plusmauvais aspects. Elle assouplit lesconditions d'application de l'abus de droitet influence directement la rédaction desnouvelles clauses anti-abus spéciales.Cependant, si la substance vise à contrerles abus en matière fiscale, elle s'assureque ne soient visés que les abus prouvés,et non supposés. Le Conseilconstitutionnel, par deux décisions du 20janvier 2015 et du 1er mars 2017, a doncremis en cause l'application desprésomptions irréfragables d'évasionfiscale prévues aux articles 209 B et 123bis du CGI. Dans la première de cesdécisions, le Conseil constitutionnel exigeen effet que « le contribuable puisse être

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admis à apporter la preuve de ce que laprise de participation dans une sociétéétablie dans un État ou territoire noncoopératif correspond à des opérationsréelles qui n'ont ni pour objet ni pour effetde permettre, dans un but de fraudefiscale, la localisation de bénéfices dans untel État ou territoire ». Dans la seconde,les juges constitutionnels ont jugé utiled'introduire une référence au «montageartificiel visant à contourner la législationfiscale française». Il ne faut pas, pourautant, attribuer une portée sensiblementdifférente à ces deux décisions qui ont unobjet commun ; exclure qu'uncontribuable réalisant une activitééconomique dans un pays tiers, quel qu'ilsoit, tombe sous le coup d'un dispositifanti-abus. Autrement dit, les sociétés nerelèveront des articles 209 B et 123 bis duCGI qu'à la condition que leurimplantation à l'étranger n'ait aucunerationalité économique, et partant,aucune substance économique.

20 - Initialement utilisée pour faireface à des situations d'abus, la substanceéconomique continue de s'épanouir dansce domaine. Elle est à l'origine denombreuses évolutions qu'il s'agisse del'appréciation de l'abus de droit, de larédaction des clauses anti-abus ou del'élimination des présomptionsirréfragables de fraude. Elle a doncvocation, de facto, à s'étendre à des pansentiers du droit fiscal.

B. - L'hypertrophie de la substanceéconomique

21 - En application des mesuresanti-abus, générales (LPP, art. L. 64) ouspéciales (nouvelles clauses anti-abus), lanotion de substance économique est

susceptible d'irriguer un grand nombre debranches du droit fiscal.

22 - Sans surprise, le droit fiscalinternational est le premier concerné.Outre les considérations précédemmentétudiées, en l'absence de substanceéconomique une société ne pourra passolliciter l'application des dispositionsfavorables des conventions fiscales in-ternationales, dès lors qu'elle ne sera pasconsidérée comme résidente fiscale dansl'État dans lequel elle a été créée.L'Administration pourra même considérerque cette société exerce une activité enFrance par le biais d'un établissementstable. En effet, dans sa décision cieinternationale des wagons-lits et dutourisme, le Conseil d'État a précisé que le«siège de direction (d'une société)s'entend du lieu où les personnes exerçantles fonctions les plus élevées prennent lesdécisions stratégiques qui déterminent laconduite des affaires de cette société dansson ensemble». Or, l'on sait que le siègede direction effective permet, selonl'article 4 du modèle de convention fiscaleOCDE, de déterminer la résidence d'unesociété. L'absence de substance écono-mique d'une société est clairement le casd'école dans lequel l'administration fiscalepourra d'une part, refuser d'accorder lebénéfice d'une convention fiscale à unesociété et, d'autre part, de considérerqu'une société apparemment étrangèredétient en réalité un établissement stableen France.

23 - Cette jurisprudence s'inscrit dansla tendance actuelle, matérialisée par leprojet BEP S, qui vise à faire de lasubstance économique le pivot desmesures visant à bénéficier

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artificiellement des stipulations d'uneconvention fiscale internationale,notamment, par le biais de ce qu'il estconvenu d'appeler le «treaty shopping»,défini comme la pratique visant à tireravantage des dispositions d'un traité pardes individus, sociétés ou autrespersonnes morales n'ayant pas droit auxavantages dudit traité. En effet, lesconventions fiscales internationalesoffrent de nombreux avantages fiscaux(exonérations fiscales et réductions detaux d'impôt), qui vont au-delà del'élimination de la double imposition. Lesentreprises sont donc tentées d'enbénéficier en interposant des sociétéssans substance économique. Récemment,le Comité de l'abus de droit fiscal s'estprononcé en ce sens dans une affaire oùquatre sociétés avaient été créées, dansquatre États différents, en vue d'acquérirpuis de revendre des biens immobilierssitués en France ; les plus-valuesafférentes à ces cessions ayant échappé àl'imposition en France par le jeu desconventions conclues entre la France etl'État d'implantation de ses sociétés. LeComité a ainsi jugé que l'administrationfiscale était fondée à recourir à l'article L.64 du LPF dès lors que les quatre sociétésétrangères ne disposaient d'aucun moyenpropre, n'avaient joué, en réalité, aucunrôle dans les transactions immobilières,hormis la signature des actes authentiqueset ont été dissoutes peu de temps aprèsles opérations litigieuses.

24 - La substance économique trouveaussi un écho en matière de fiscalitéfinancière et notamment à l'article 209, IX,1 du CGI qui soumet la déductibilité descharges financières afférentes à l'acquisi-

tion de titres de participation à la preuveque les décisions relatives à ces titres sonteffectivement prises par la sociétécessionnaire ou une société française lacontrôlant. Dans ce contexte, et toutesconditions étant par ailleurs remplies, ledéfaut de substance économique d'unesociété française détenue par une sociétéétrangère entraînera la réintégrationd'une fraction forfaitaire des chargesfinancières afférentes à l'acquisition deces titres. En matière de financement, leConseil d'État a confirmé l'existence d'unabus de droit dans la décision SAS IngramMicro 30 rendue dans une affaire où unesociété a émis au profit de sa société mèredes obligations remboursables en actionsconcomitantes à une distribution dedividendes. Dans ses conclusions, lerapporteur public Édouard Crépey aconsidéré que l'opération n'avait pas desubstance économique et que« c'est ceque la cour a voulu dire en pointant queles opérations en cause n'avaient pasgénéré le moindre flux de trésorerie». Ilest donc essentiel de traiter avecattention les deux versants de lasubstance économique, à savoir celui desstructures et celui des opérations. Eneffet, au-delà de la substance de lasociété, il faut aussi pouvoir démontrerque les transactions obéissent à unevéritable rationalité économique et nesont pas justifiées par des considérationsprincipalement fiscales.

25 - La substance économiqueinterpelle enfin en matière de droit pénalfiscal: l'interposition d'une sociétédépourvue de substance économiqueconstitue-t-elle un cas grave justifiant lecumul des poursuites pénales et fiscales?

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Depuis les deux décisions rendues par lesjuges de la rue Montpensier le 24 juin2016, les commentateurs ne cessent derappeler l'imprécision de la notion de«gravité» des agissements ducontribuable. Peut-être conscient desécueils de cette notion, le Conseilconstitutionnel a précisé les indicespermettant de caractériser la gravité àsavoir le montant des droits fraudés, lanature des agissements de la personnepoursuivie et les circonstances de leurintervention. Dans ce contexte, on peutraisonnablement penser que le recours àune société sans substance économiqueafin de bénéficier d'avantages fiscauxpourrait être de nature à autoriser lecumul des poursuites pénales et fiscales.

Conclusion

26 - Quel est le degré de substancequ'il faut avoir ? Quels sont les élémentsde preuve à réunir et comment sepréparer à un contrôle fiscal ? Face à larecrudescence des redressements sur cefondement, il est important de traiter avecle plus grand sérieux la substance écono-mique des sociétés et des opérations. Eneffet, lorsque la charge de la preuveincombe à l'Administration en raison de laprocédure suivie, celle-ci peut apportercette preuve par la production de touséléments précis attestant du caractèrefictif des actes en cause ou de l'intentiondu contribuable d'éluder ou d'atténuer sescharges fiscales normales. Dansl'hypothèse où l'Administration s'acquittede cette obligation, il incombera ensuiteau contribuable d'apporter la preuve de laréalité des actes contestés et de ce que

l'opération litigieuse est justifiée par unmotif autre que celui d'éluder oud'atténuer ses charges normales.

27 - Si elle était déjà importante, lanotion de substance économique d'unesociété ou d'une opération est désormaisvitale. Pendant de nombreuses années,cette problématique a été prise à la légèrepar les acteurs économiques. En effet,créer ou maintenir de la substance a uncoût certain et de nombreux groupesn'ont pas souhaité faire cetinvestissement. Mais désormais, lessociétés doivent chercher à avoir unminimum de substance économique pourne pas se voir appliquer les conséquencesnégatives de son absence.

28 - Pour autant, les conséquencesfinancières qui en découlent imposent deplacer le principe de sécurité juridique aucœur de la réflexion, afin de permettreaux contribuables de connaître avec exac-titude l'étendue des obligations qui leursont imposées. Dans ce contexte, il seraitsouhaitable que le législateur,l'administration fiscale et les juridictionss'en tiennent à l'orthodoxie juridiquedécoulant des raisonnements connus enmatière d'abus de droit en maniant lanotion de substance économique avecprécaution et non avec abondance. Leretrait de la notion de «substanceéconomique» entre la proposition dedirective sur la lutte contre les pratiquesd'évasion fiscale et sa version définitivedoit être une source d'inspiration. Fautede quoi les parties prenantes se poserontencore et toujours la substantiellequestion de la substance.

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BANQUE

Comment la fièvre du bitcoin s’est emparée du Maroc

Hayat Gharbaoui / Telquel – 29.12.2017

En 2009, le Bitcoin, une monnaie virtuellenouvellement créée sur la base d’unalgorithme informatique, valait 0,01dollar. Il a fallu plus de trois jours à un deses développeurs pour trouver quelqu’unqui lui vende deux pizzas contre 10 000bitcoins. Huit ans après, la valeur de cettemonnaie virtuelle a dé- passé la barre des6000 dollars. Une performance qui donnele tournis et qui a placé le bitcoin sur lesradars des investisseurs, traders et autreshommes d’affaires. Depuis le début del’année, les cours de cette monnaie ontpar exemple augmenté de 570%... pour unvolume de marché de pas moins de 107,6milliards de dollars. Un phénomènemondial de la finance boosté par le Japonet la Chine essentiellement, mais qui n’apas épargné de petits pays comme leMaroc, où les espérances de rendementde ce placement meublent désormais lesdiscussions des salons d’affaires.

Transactions anonymes

Il est difficile de préciser les montantséchangés par les Marocains, le nombred'utilisateurs et encore moins leuridentité, au regard du caractère anonymedes transactions. Toutefois, nos sourcesestiment les transactions à quelque 200000 dollars par jour, soit l’équivalent de 25bitcoins (à date du 21 novembre, ndlr).“Les Marocains qui utilisaient le Forex(marché financier de la devise, ndlr) se

sont tournés vers le marché de la crypto-monnaie”, nous explique Badr Bellaj,consultant expert en Blockchain. Unconstat que nous confirme un traderautodidacte dans la crypto-monnaie : “AuMaroc, le bitcoin est utilisé dans le tradingou dans l’acquisition d’autres monnaiesvirtuelles. J’ai commencé par investir deuxdollars début 2017 pour me familiariseravec le système, ensuite j’ai misé 17dollars pour acheter Ethereum, une autremonnaie. Mon portefeuille comporteactuellement jusqu’à dix monnaies, dontcinq monnaies constantes.” Un autrejeune entrepreneur, qui a entendu parlerdu bitcoin lors d’un de ses voyages àDubaï, de nous confier : “J’ai investi 100000 euros dans le bitcoin, mais pas au bonmoment, j’ai réussi quand même à faireun bon retour sur investissement.”Comment ont-ils pu investir dans cettemonnaie dont la valeur d’une seule unitédépasse le montant de la dotationtouristique autorisée ? “Les monnaiesnumériques peuvent être acquisesdirectement (sur Internet, transactionbilatérale avec un autre investisseur, achatauprès d’une société de vente de monnaievirtuelle, achat d’options sur Internet,etc.) ou indirectement, notamment via unéchangeur virtuel ou en les empruntant”,nous explique-t-on auprès de Bank Al-Maghrib. Concrètement, l’une de nossources nous explique qu’il suffit de se

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connecter sur une plateforme de vente debitcoins et d’en acheter “comme onachèterait n’importe quel produit del’étranger. Le paiement se fait via uncompte Paypal rechargé en devises”. Cesbitcoins sont alors mis à la disposition del’acquéreur dans un portemonnaieélectronique. De plus en plus deMarocains se tournent vers ces monnaies,bravant le danger de l’absence de cadreréglementaire. Ils misent sur l’anonymatdu système pour échapper à la vigilancedes autorités locales. Certes, les crypto-monnaies ne sont pas illégales enl’absence de loi claire. Néanmoins, laréglementation de changes au Maroc estassez stricte quand il s’agit de sortie dedevises et d’avoirs extérieurs. Avec unbitcoin qui vaut 6000 dollars, le Marocaindoit donc détourner la loi pour réaliser soninvestissement.

Les banquiers réticents

Tout cet enthousiasme de la part de lacommunauté marocaine des traders pourle bitcoin n’est pas vu d’un bon œil par lesautorités financières ni par le systèmebancaire. Pour la banque centrale, lesmonnaies virtuelles pré- sentent uncertain nombre de risques. “Il y a le risquede liquidité lié à leur faible convertibilitédans différentes monnaies ayant courslégal ; le risque financier lié à la volatilitéde leur cours de change ; le risqueopérationnel lié notamment à l’absencede sécurité des “coffres forts” permettantle stockage des unités de la monnaievirtuelle et de garantie financière en casde fraude”, énumère un responsable deBank Al-Maghrib. Et d’ajouter : “Danscertains cas, une monnaie virtuelle peut

avoir été conçue afin de répondre auxbesoins de personnes poursuivant desfinalités illicites. L’utilisation des monnaiesvirtuelles permet de démultiplier la portéede vecteurs classiques de blanchiment etde fraude.” Un son de cloche partagé parIsmail Douiri, directeur générald’Attijariwafa Bank. “La monnaie, c’estsérieux. C’est l’infrastructure de toutel’organisation économique moderne. C’estle privilège exclusif des banques centrales,qui en assurent la confiance, y compris parle contrôle de l’inflation. Les banquescentrales devraient toutes s'aligner surl’interdiction de la création d'unequelconque monnaie sauf par elles”,tranche le banquier. Pour ce dernier, “lebitcoin est très opaque et sert aujourd’huià beaucoup d’opérations illicites. Lamenace est grave pour le bonfonctionnement de l’économie. On peutaccepter la désintermédiation des tiers deconfiance, causée par la technologie sous-jacente au Bitcoin, Blockchain, qui estvraiment révolutionnaire et positive pourl’augmentation de la sécurité et la baissedes coûts dans les échangesd’information, mais pas dans le domainede la monnaie”, conclut-il.

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BANQUE

Établissements de paiement au Maroc : l’émergence d’unnouvel écosystème financier en Afrique ?

Emmanuel Noblanc Responsable marketing produit SABKenza Berrada Responsable Maroc/Afrique, Partner B-part Consulting,

Revue Banque n° 807 / avril 2017

Les circulaires relatives au statutd’établissement de paiement ont étépubliées fin 2016 par la Bank Al-Maghrib(BAM) et précisent les modalités de miseen application de la « loi bancaire » du5 mars 2015 au Maroc. Même si despoints de convergence entre laréglementation marocaine et européenne(DSP 1) apparaissent quant aux principesde fonctionnement d’un compte depaiement et aux exigences portant sur lesétablissements de paiement habilités àl’opérer, la BAM s’est adaptée auxspécificités du marché marocain voireafricain et de ses enjeux dans lesprochaines années.

L’inclusion financièreL’enjeu principal dans le développementdes services financiers en Afrique, etparticulièrement au Maroc, dans lesprochaines années reste l’inclusionfinancière. Malgré les efforts entrepris cesdernières années, le taux de bancarisationau Maroc avoisine tout juste les 68 %.Plusieurs explications peuvent êtreavancées :

un taux d’analphabétisme élevé(un tiers de la population) et une absenced’éducation financière ;

une prédominance du cash dansl’économie (99 % des transactions sontréalisées en espèces) et des paiementsélectroniques qui peinent à décollermalgré un fort équipement en cartes(utilisées uniquement en retrait) ;

des services bancaires traditionnelsdont les prix d’accès restent élevés etexcluent une partie de la population ;

un processus de souscription avecdes démarches administrativescomplexes ;

une inadaptation du canal dedistribution aux services proposés(notamment l’éloignement des agences aumilieu rural).

De nombreux atoutsCependant, le Maroc a un certain nombred’atouts, qui pourraient annoncer un fortdéveloppement dans les prochainesannées des services financiers. En effet, sapopulation est jeune (17 % entre 15 et 24),parmi les plus équipées en mobile (127 %de pénétration ) avec un accès importantà Internet (42,75 % de pénétration) et uneéconomie en croissance régulière (+4,0 %attendu en 2017).Par ailleurs, le gouvernement est très actifet volontaire dans le développement dudigital et des paiements électroniques.

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Des programmes ambitieux comme le planMaroc numérique 2020 et le plan RAWAJont affiché l’ambition de doter le Marocd’infrastructures modernes dans ledomaine du numérique, de moderniserl’économie – avec la création notammentdu statut d’autoentrepreneur – et dedévelopper la transparence et latraçabilité par la généralisation despaiements électroniques (pour lepaiement des péages et de la vignetteautomobile par exemple) en coopérationavec les banques de la Place.Les banques traditionnelles marocainesétaient jusqu’aujourd’hui concentrées surles clients les plus fortunés et dansl’accompagnement des 7 à 8 millions deMarocains résidents étrangers (MRE),mais l’enjeu des prochaines années, biencompris tant par les banques marocainesque par les opérateurs téléphoniques oules organismes de transfertinternationaux, est bien d’accompagnerl’émergence de la « classe moyenne »marocaine déjà consommatrice d’outilsfinanciers (cartes, comptes, transfertsinternationaux) sur son chemin vers labancarisation. Ce segment dit de « LowIncome Banking – LIB » (banques pourfaibles revenus) s’est développégraduellement depuis 2008 autourd’offres basiques (cartes/comptes)s’adressant essentiellement à uneclientèle rurale et non bancarisée à traversleur réseau d’agences (Al-Barid Bank-LaBanque Postale, qui dispose du réseau leplus dense du royaume) ou par la créationde filiales spécialisées comme AttijariwafaBank à travers sa filiale Wafacash, leaderdes transferts d’argent au Maroc.

L’Etablissement de Paiement, uneopportunitéLa création d’un statut d’établissement depaiement au Maroc permet d’apporterune base légale et réglementaire pour lesegment du LIB. Bien qu’elle puisse êtrevécue comme une contrainte, car elleoblige les établissements adressant déjàce segment de clientèle à se conformer àdes normes de conformité, de sécurité, dereporting équivalents à ceux en vigueurdans l’Union européenne, c’est en réalitél’opportunité d’une transformationpermettant aux établissements detransfert d’argent (OTM) de seprofessionnaliser, et d’offrir des servicesfinanciers à leurs clients, proches de ceuxd’une banque, pour un coût bien moindreque pour la création d’une banque deplein droit.

La réglementation détailléeSur le principe de fonctionnement d’uncompte de paiement, trois pointsparaissent devoir être soulignés :

toute ouverture d’un compte depaiement donne lieu à délivrance d’unnuméro de compte, dont lescaractéristiques sont fixées par la banquecentrale et permet de réaliser desopérations de monnaie scripturale ;

le compte de paiement ne peut àaucun moment présenter une positiondébitrice ;

les « opérations de transfert defonds » consistant en la réception auMaroc de fonds en provenance del’étranger et l’envoi de fonds versl’étranger entrent dans le périmètre desservices de paiement et relèvent du

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nouveau statut d’établissement depaiement.Si la réglementation sur les conditionsd’agrément d’un établissement depaiement est identique à celle contenuedans la Directive européenne DSP, unedifférence majeure doit être relevée : cellede la fixation de seuils maximum àl’exercice des activités d’un établissementde paiement. Ainsi, par dérogation àl’obligation de vigilance incombant auxétablissements de paiement, laréglementation marocaine prévoit unemodulation des exigences en matièred’identification du titulaire d’un comptede paiement, selon trois niveaux de soldecréditeur du compte de paiement :

solde créditeur ne devant pasdépasser 200 dirhams (19 euros environ) :la présentation d’un numéro national detéléphonie mobile suffit ;

solde créditeur ne devant pasdépasser 5 000 dirhams (474 eurosenviron) : il faut le renseignement d’unefiche d’ouverture de compte au nom dutitulaire justifié par la copie d’undocument d’identité officiel en cours devalidité, portant la photographie dutitulaire ;

solde créditeur ne devant pasdépasser 20 000 dirhams (1 894 eurosenviron) : à la fiche d’ouverture de comptedont l’identité est justifiée par undocument d’identité officiel vient s’ajouterun justificatif de domicile.Par ailleurs, dans le cas des opérations detransfert de fonds proposé par unétablissement de paiement, le seuilmaximum est fixé à 80 000 dirhams soit7 581 euros environ.

Cette spécificité marocaine rendnécessaire la prise en compte, dans lesparamètres du compte de paiement, desdifférents plafonds instaurés, qui sontfinalement autant de« produits » à offrir par l’établissement depaiement agréé, répondant aux différentscas d’usage.En synthèse, l’établissement de paiementpermet aux clients de disposer d’uncompte avec IBAN et moyens depaiement, en facilitant aux clients, palierpar palier, leur progression vers labancarisation avec des démarchesadministratives allégées. Les limitesmêmes du compte de paiementdeviennent un avantage : étant un comptesans chéquier, qui ne permet pas desolliciter un crédit, ni de souscrire à unlivret d’épargne, mais surtout quin’autorise pas d’être à découvert, lesclients savent qu’ils ne dépenseront quece dont ils disposent réellement sur lecompte.

De nombreuses initiatives à revisiterAu final, de nombreux points deconvergence peuvent être relevés entreles droits marocains et ceux de nombreuxpays européens qui nous conduisent àpenser que l’expérience acquise par lesétablissements de paiement et demonnaie électronique depuis fin 2009 enEurope, dans le contexte de la DSP 1,apparait tout à fait utile au succès desinitiatives qui ne manqueront pas de voirle jour au Maroc dans les prochains mois.La plupart des établissements de transfertau Maroc sont déjà en train d’envisagerleur transformation en établissement depaiement, aussi bien les réseaux

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indépendants que les réseaux dépendantsdes banques. Et gageons que les banquesmarocaines présentes dans toute l’Afriquesub-saharienne, sauront exporter lemodèle de l’établissement de paiementdans l’ensemble des pays où elles sontprésentes. C’est là où les acteursbancaires, ou tout simplement tous lesacteurs qui s’intéressent au domaine dupaiement (grandes enseignes de ladistribution, télécoms, etc.), peuvents’inspirer de la grande richesse et diversitédes établissements qui ont été créés enEurope depuis la mise en place de la DSP1pour les adapter aux spécificités dumarché africain.Il y a de la place au Maroc et en Afriquepour reproduire des succès commeLeetchi / Mangopay en tant que solutionde paiement, de Transferwise dans ledomaine du change, de Compte-Nickel ouN26 pour la bancarisation allégée. Laréussite ne passera pas, bien sûr, par laduplication, mais bien par la réinventionde modèles adaptés aux réalités sociales,techniques et économiques de chaquepays ; mais à nouveau, le cadreréglementaire existe, la technologie estéprouvée, et les portes vers l’Unioneuropéenne et l’Afrique sont ouvertes.

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REPERES N°47 / NTIC - GRH DRRCI/DRE/SD

NTIC - GRHManagement public des donnéeset souveraineté numérique

Analyse rédigée par JEAN-PIERRE JAMBES, Université de Pau et des Pays de l'Adour

REVUE DU GESTIONNAIRE PUBLIC - N° 2 - MAI 2017

Depuis une dizaine d'années, avec ledéveloppement des grandes plateformesd'intermédiation, comme Google ouFacebook, l'Internet s'est profondémenttransformé. Les gestionnaires publicss'avèrent d'ailleurs quotidiennementconfrontés aux effets territoriaux etfiscaux de ces mutations. Ils doivent à lafois trouver les moyens de tirerlocalement profit des nouvellesopportunités qu'elles offrent et de régulerou de s'opposer à des formesgrandissantes de concurrence déloyale.L'article aborde ces problématiques enproposant une méthode expérimentalefondée sur une approche écosystémiqueorganisée autour de 4 leviers : valorisationdes données publiques, maîtrise d'unepartie des infrastructures réseaux,invention d'une subsidiarité numérique etmise au point de nouvelles formes decoopérations entre acteurs publics etprivés. Ce sont ces leviers que le présentarticle propose d'expliquer et de mettreen discussion.Depuis schématiquement une dizained'années, l'Internet s'est profondémenttransformé. Rachat de YouTube parGoogle en 2006, apparition de l'IPhone en

2007, création d'AirBnb et franchissementdes 100 millions de membres Facebook en2008, autant de bouleversements quiillustrent, par exemple pour Th. Friedman«le plus grand tournant pour l'Humanitédepuis Gutenberg». Ce puissant virageouvre la voie vers un Internet dominé parune dizaine d'entreprises mondialesconçues comme des plateformesd'intermédiations et derecommandations, notammentpublicitaires. Il exprime également unemutation du modèle capitaliste mondialdans lequel, fait tout à fait inédit, il n'estplus nécessaire d'être propriétaire desactifs productifs pour produire un service.Google, Apple, Facebook, Amazon ouMicrosoft (GAFAM), par exemple,parviennent à valoriser nos informations,nos publications, nos préférences et, pluslargement, les données que nous leurcédons en échange de services. Lesconséquences de ce virage oligopolistiquede l'Internet se ressentent d'ailleurs deplus en plus par-delà la toile. Marché del'automobile, distribution, santé, presse,formation, sécurité, sports, loisirs ouencore, par exemple tourisme, aucunsecteur n'échappe à ces bouleversements.

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Il en est de même pour les collectivitésterritoriales. Par bien des aspects, il nesemble d'ailleurs plus excessif de sedemander si, par exemple, Facebook nedevient pas progressivement la place duvillage, si Amazon ne préfigure pas de lazone commerciale de la ville de demain ousi AirBnb ne s'impose pas comme l'un despremiers leviers d'évolution immobilièrede nos centralités ? Quels sont les effetslocaux de ces changements? Comment lesgestionnaires publics peuvent-ils lesexploiter, les réguler ou s'y opposer?Comment, plus largement, pourraient-ilsse donner les moyens de maîtriser desressources numériques à la mesure desenjeux à relever ?Les travaux réalisés sur ces sujets,notamment dans le cadre de la ChaireOptima et du Centre de recherche etd'études en gestion de l'université de Pauet des Pays de l'Adour, travaillent cesvastes problématiques selon une méthodeexpérimentale. Il s'agit d'accompagner unpanel d'acteurs publics ou parapublics,dans la mise en œuvre d'une stratégielocale destinée à retrouver des marges demanœuvre numériques. Cesexpérimentations se fondent sur uneapproche écosystémique fondée sur 4leviers: valorisation des donnéespubliques, maîtrise d'une partie desinfrastructures réseaux, invention d'unesubsidiarité numérique et mise au pointde nouvelles formes de coopérationsentre acteurs publics et privés. Ce sont cesleviers que le présent article proposed'expliquer et de mettre en discussion.

1. Les effets territoriaux del'hyper-concentration de l'Internet

Le constat s'avère désormais largementpartagé : l'hyper-concentration del'Internet pose non seulement desquestions de fond, autour de la captationet de la valorisation de donnéespersonnelles par exemple, mais se traduitégalement par des effets territoriauximportants. C'est ce que décrit parexemple Stéphane Grumbach en adoptantun raisonnement de type géographique : «Les plateformes se distinguent par leurcapacité à réaliser l'intermédiation entredeux acteurs sans avoir besoin d'êtreprésentes physiquement dans lesterritoires où se localisent ces acteurs... Enbref, le cœur de la révolution disruptivedes plateformes réside dans le fait qu'elleoffre une intermédiation séparée de laproduction des biens ou services dumonde physique, et présentant uneefficacité supérieure à celle proposée parles intermédiaires traditionnels deterrain».Pour J.L. Biacabe, la question consiste àsavoir si le pouvoir grandissant desplateformes induit un supplément deperformance collective ou s'il s'exerce audétriment du tissu socio-économiquelocal ? Dans les faits, l'économie desgrandes plateformes se traduit en fait à lafois en opportunités et en menaces:AirBnb permet, par exemple, d'enrichirl'offre de séjours touristiques locale maisprovoque de puissants phénomènes de« gentrification-touristification»(Rouveyre,2017) qui se traduisent en hausse desloyers et en raréfaction du nombre de

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logements mis sur le marché résidentiel.Uber propose une alternative detransport et l'accès à des sources derevenus pour des populations souventpériphériques mais selon des conditionscontractuelles de travail d'une très grandeprécarité.Tripadvisor et Booking simplifient laréservation hôtelière mais réduisentsignificativement les marges desentreprises concernées.Google, Facebook ou Amazon, leadersmondiaux de l'intermédiation, s'avèrentrégulièrement mis en cause pour desstratégies d'optimisation fiscales quidiminuent d'autant les revenus de l'impôtnational et local.Comment donc parvenir à exploiter lesopportunités de ces modèlesd'intermédiation tout en se donnant lesmoyens, en cas de besoin, de contrer leurspratiques déloyales ou leurs effetsnégatifs ?

2. Quels leviers et quels rôles pour lapuissance publique ?De plus en plus d'études, de rapports oud'organisations publiques travaillent cetteproblématique. Le rapport de M. Chabanelet al, l'ouvrage de E. Morozov (2014), lesdécisions de la ville de San Francisco pourcontrer AirBnb ou celles de Paris au sujetdu service de livraison d'Amazonconstituent autant d'exemples quiconfirment l'émergence rapide, dans lagrammaire du management public, desquestions liées aux effets des plateformes.Rien d'ailleurs ne laisse à penser que cettetendance pourrait s'inverser sur le courtterme, au contraire.

Dans la plupart des cas toutefois, lesdécisions publiques actuelles dans cesdomaines se limitent encore aujourd'hui àune posture que l'on pourrait qualifier de« réactionnaire». Les manageursréagissent, comme San Francisco ou Paris,face à l'ampleur des effets les plusdestructeurs de valeurs ajoutées locales.Progressivement pourtant, on sentpoindre un virage vers plus d'anticipationet vers une mise en chantier plus globaledes politiques numériques publiques. Lenombre grandissant d'initiatives etd'organisations qui cherchent à se doterde ressources numériques durablementmaîtrisées prouvent que le temps d'unevéritable stratégie numérique publiquesemble venu. Nous avons d'ailleursl'opportunité d'accompagner plusieurs deces organisations dans ce type de projets.C'est même le principal matériel derecherche que nous utilisons depuisquelques années.

3. L'équation data, infrastructures,coopérations = RessourcesS'il fallait résumer en une formule lesprincipes qui animent les travaux engagés,on pourrait utiliser l'équation suivante :Maîtrise et valorisation des Data+ Propriété des Infrastructures réseauxterritoriales+ Invention de nouvelles formes deCoopérations publiques et privées= Ressources numériques maîtrisées.Pour travailler ce que l'on pourraitdésigner sous le terme de souveraineténumérique, l'équation DIC = Rexpérimente par conséquent,essentiellement à l'échelle de la ville ou duquartier, une approche numérique,

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d'initiative publique, écosystémique,ouverte et mutualisée.Dans cette approche, la maîtrise desdonnées locales, produites dans l'espacepublic, constitue un levier déterminant.L'importance de la gestion des donnéesfait d'ailleurs désormais consensus. Elleconditionne en effet la qualité de larelation avec l'usager; elle alimente lesalgorithmes d'intermédiation; elles'impose comme le moteur del'intelligence artificielle. La données'insinue donc de plus en plus au cœur dela révolution numérique. C'est elle quidistribue même en partie le pouvoir:pouvoir d'agir ou pas, pouvoir d'interagirou pas, pouvoir de réguler ou pas. Chacunsait d'ailleurs que les grandes plateformesnumériques mondiales constituent leschampions toutes catégories dans cesdomaines. Elles opérationnalisent desparadigmes déjà anciens comme ceuxissus des théories de l'interactionnismesymbolique.Ces dernières, développées parl'université de Chicago au XXe siècle,interprètent schématiquement lefonctionnement de la société comme lerésultat des interactions entre lesindividus qui la composent. Or, au traversde la maîtrise des données que nouslaissons sur la toile, n’est-ce pas une partiede ces relations que les grandesplateformes globales s'approprient ? Nes'imposent-elles pas progressivementcomme les maîtres du jeu en matièred'interactions, nommées intermédiationsdans le monde numérique? Rien n'incite àrépondre de manière négative. Lesalgorithmes fondés sur la maîtrise du

couple datarelations usagers pourraientdonc bien être interprétés comme uneexpression numérique, d'ailleursparticulièrement réussie, des principes aucœur de l'interactionnisme.On comprend mieux dès lors lesdimensions de plus en plus politiques desprojets des grandes plateformes. GérardMairet, dans son ouvrage sur Le principede souveraineté, en 1997, rappelle que lapolitique est l'activité dont l'objet propreest de constituer et de maintenirensemble les individus d'une communautéhumaine historiquement déterminée. Ilpointe quelques-uns des mécanismespolitiques fondamentaux pour y parveniret permet également ainsi de comprendreune partie de la crise démocratiqueactuelle. La performance dufonctionnement politique s'avère, pour G.Mairet, étroitement dépendante à la foisde la qualité des interactions entrereprésentants et représentés et de lareconnaissance de cette qualité par lescitoyens. Abandonner les datas auxplateformes mondiales reviendrait doncnon seulement à perdre une partie de larelation avec l'usager mais aussi à fairenotre deuil de tout un volet du pouvoirinteractionniste qui tisse les lienspolitiques.L'efficacité des ergonomies, les volumesde données collectées ou encore, parexemple, la puissance des algorithmes desgrandes plateformes en font déjà desacteurs politiques de plus en plusinfluents.EXEMPLE- Facebook ne cache d'ailleurs plus sesintentions dans ces domaines. L'entreprise

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vient de lancer aux États-Unis unenouvelle fonctionnalité permettantd'entrer en contact avec ses élus locaux.Baptisée Town Hall, elle identifie les éluslocaux de l'utilisateur, envoie des rappelspour aller voter, et leur permet de lescontacter directement par email ou partéléphone.La question de la gestion des donnéesrelève donc bien d'un enjeu politique.Mais comment faire pour donner auxdécideurs publics les moyens de maîtriserune partie des données produiteslocalement? Une des pistes proposéesdans l'équation DIC consiste à exploiter lesinfrastructures physiques locales, sanslesquelles l'Internet ne peut fonctionner,pour promouvoir un écosystème deservices, alternatifs à ceux des grandesplateformes, et déployés dans une logiquede mutualisation et d'interopérabilitésynonyme de simplification ou deproximité augmentée pour les usagers.Cette double intervention sur les voletsinfrastructures et services permettrait deretrouver une partie des interactionsperdues avec les usagers. Telle est tout aumoins l'hypothèse que nous travaillons.Réseaux optiques, capteurs Ultra narrowband, wifi pour promouvoir lesplateformes de services locaux, mobiliersurbains connectés, les solutions pourenrichir les interactions avec les usagerss'avèrent en effet nombreuses etfinalement assez facilement contrôlableslocalement. La maîtrise des infrastructuresphysiques réseaux télécom, à l'échelle dela boude locale, de la ville, de la stationtouristique, de la zone d'activités oumême du bâtiment pourrait donc bien

être le premier sésame pour aller vers dessituations numériques moins coloniales enregard de la puissance grandissante desmajors de la Silicon Valley.À condition bien entendu que cettemaîtrise se matérialise pour l'usager parune offre et une simplicité de services à lamesure des standards fonctionnels dumarché. Sans doute est-ce d'ailleurs là l'undes leviers les plus délicats à actionner. Ilsuppose en effet une transition de lasituation actuelle, où le cloisonnementreste la norme, vers un écosystèmerecentré usager dans lequel mutualisationet interopérabilité deviennent lesprincipes communs de la méthodenumérique territoriale.Les preuves de l'éparpillement numériqueactuel restent légions : une multitude deconnecteurs dédiés à l'authentification ;une application pour la ville, une autrepour le département, une troisième pourla région, le tout dans un contexte où lesapplications s'avèrent pourtant de moinsen moins téléchargées ; des échanges dedonnées rares et qui supposent pourl'internaute d'utiliser plusieursplateformes différentes; des réseaux wifipublics qui ne communiquent pas entreeux ; peu ou pas de coopérations entreservices publics et privés. La France, paysdes clochers numériques, ne semble guèrese donner les moyens d'exister dansl'écosystème industriel mondial desplateformes. Peut-on faire autrement?Les développements autour du principed'Etat-plateforme, orchestrés notammentpar la DINSICl, suggèrent une méthodeplus coopérative. Celle-ci se fonde sur unprésupposé au titre duquel c'est

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désormais à l'Administration de réunir lesdifférentes données de l'usager enréponse à ses besoins.EXEMPLE- Pour une demande d'inscription encrèche, l'agent en mairie devrait pouvoirrécupérer simplement, auprès desadministrations compétentes, l'avisd'imposition de l'usager, son justificatif dedomicile ou son livret de famille.Les solutions techniques pour proposer detelles fonctionnalités existent de longuedate. Pour les déployer et leur donner ladimension nécessaire, il manque toutefoisune gouvernance opérationnalisée à lafois dans une logique de subsidiarité et autravers de formes de conventions ou decontrats associant les différents typesd'acteurs publics concernés dans uneplanification numérique qui reste àinventer. Dans cet écosystème, parexemple:

L'Europe et l'État fixeraient un cadreréglementaire général de défense de leursintérêts, veilleraient à ce qu'il soitrespecté et assureraient un dialogue avecles plateformes, un dialogue facilité par lataille des populations d'internautesreprésentées ;

L'État faciliterait et simplifierait leséchanges et la mutualisation par le biaisd'interfaces (bibliothèque d'APF), d'unRéférentiel général d'interopérabilité etde mécanismes d'authentificationpartagés, comme France Connect :

Les collectivités assureraient, selonleurs blocs de compétences, laresponsabilité des services de proximité,

éventuellement d'ailleurs en partageantdes solutions techniques et des lieuxphysiques d'accueil, d'information, deformation ou de conseils du public ; Des entreprises para publiques etprivées devraient être associées dans lerespect des règles de marché public, demise en concurrence et de transparence ;

Les usagers pourraient également ytrouver les solutions développées surl'initiative d'acteurs associatifs, culturels,sportifs, sociaux ou environnementaux ;

On disposerait même ainsi des effetsd'échelles nécessaires pour mutualiser descompétences, des infrastructures ou desachats entre acteurs publics, expérimenterde nouvelles solutions ou soutenir lelancement de champions numériqueseuropéens.Toutefois, si la puissance potentielle d'untel écosystème réglementaire, technique,managérial ou économique paraît réelle,la difficulté pour le lancer reste entière.Cette vision d'un écosystème numériquepublic relève-t-elle donc d'une utopie oud'un souvenir romantique du temps où laplanification publique faisait sens? Est-ilplus efficace de poursuivre dans la voieactuelle qui privilégie le soutien auxstartups et aux initiatives privées? Faut-ilplutôt plaider, en complément, pour lamise en chantier de cette grande loi enfaveur de l'organisation de l'actionpublique numérique qui fait toujourscruellement défaut? On aurait pusouhaiter que ces questions s'inscriventdavantage au centre des débats politiquesdu moment.

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NTIC - GRHInvestir dans l’humain : un levier essentiel de créationd’emplois

Bernard Attali, Président Gouvernance & ValeursGilles Trigano, Professeur École Nationale de Commerce et CFA BessièresRevue Banque /26.05.2017

L’immatériel et le capital humaindeviennent le socle de l’économie, qu’ils’agisse des conseillers clientèle bancairesdéchargés des tâches triviales par desrobots et qui doivent retrouver unecertaine autonomie de gestion, decréativité et de réaction, ou desentreprises comme les start-up, dont lavaleur, en l’absence d’historique defonctionnement et d’outil industrielsignificatif, se fonde essentiellement surles capacités de ses dirigeants.

Avec l’essor des outils d’intelligenceartificielle et de robotique, nous vivonsactuellement une profonde mutation.D’aucuns pensent que de nombreusesentreprises devraient être affectées parcette révolution et parmi elles les réseauxbancaires. Cela va-t-il conduire à dessuppressions massives de postes etprincipalement de chargés de clientèle ?La crainte est réelle, mais une autre voieplus vraisemblable pourrait heureusements’ouvrir. En fait, il ne s’agira plus d’utiliserces outils uniquement dans une optiquede réduction des coûts, mais surtout pourdévelopper l’étendue et la qualité dutravail du conseiller. Au lieu de se limiter àune vision quantitative, on s’orienterait

vers une approche qualitative. Dans cetteperspective, la plupart des emploispourraient être préservés, voire mêmedéveloppés.

Le banquier accompagnateur

Tout d’abord, rappelons qu’un des rôlesimportants des banques est d’accorderdes crédits, terme qui, dans le Larousse,signifie « confiance qu’inspire quelqu’unou quelque chose ». Notons d’embléeque, là où, pendant longtemps, c’était à labanque d’avoir confiance en son client,aujourd’hui, avec les débordementsengendrés par de multiples placementsrisqués, le schéma s’inverse : c’est auclient d’avoir confiance dans son conseillerde clientèle. À un tel point que danscertains pays comme les Pays-Bas, lesbanques demandent à leurs conseillers des’engager sous serment à remplir leursdevoirs avec soin et intégrité.

Face à la montée des fausses informationsou même de la désinformation que l’onconnaît avec l’essor d’internet et desréseaux sociaux, le conseiller pourraitdevenir un tiers de confiance, unaccompagnateur, voire un ami, qui est aux

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côtés de son client et cherche à lecomprendre. L'accompagnateur-ami seralà pour aider le client à se retrouver dansla multitude de produits proposés par labanque. Il sera là aussi pour aider le jeunevoulant créer sa start-up en le mettant enrelation avec d'autres porteurs de projetscomplémentaires et, plus tard, les aider àse regrouper. Il l'assistera dans laconfection de son business plan et larecherche de financements. Ill'accompagnera lors du démarrage de sonactivité dans la construction de sonsystème d'information et de tableaux debord adaptés à son secteur.

L'ensemble des compétences et talentsdont dispose l'agence constitue ainsi unactif immatériel qui sera ainsi mis àdisposition de ses clients.

Le management des émotions

Jusqu’à aujourd’hui, et plusparticulièrement dans les banques, lesalarié se devait de respecter des horairesstricts : il s’agissait de respecter lescontraintes qu’imposait l’entreprisetaylorienne largement fondée sur uneparcellisation des tâches, une mesure destemps et le calcul des coûts. Demain, ils’agira avant tout de prendre en compteles émotions dans un monde où la valeurtalent prendra le relais de la valeur travail.Il ne s’agira plus d’arriver à la bonneheure, mais avec la bonne humeur.

Le conseiller réalisera la majeure partie deson travail technique à domicile avecl’essor du télétravail et complétera lesprocessus mis en œuvre par les robots. Ceque l’on voit apparaître déjà au sein du

groupe BNP Paribas au sein des fonctionscentrales où le Flex-Office se combineavec le télétravail. Il n’y a plus de bureaupersonnel, mais une variété de postes detravail dans des espaces collaboratifs –même si la réflexion concerne encore peu

les agences et les collaborateurs encontact avec les clients. Plus tard, cesystème pourrait s’adapter différemmentau sein des réseaux. La question qui sepose désormais est de savoir commentfaire évoluer le travail du conseiller pourlui laisser un rôle et une utilité essentielle,face à des robots de plus en plus présents.En fait, les robots pourraient conduire àune libération de l’individu. Au lieu deréaliser des tâches répétitives etstandardisées, la plupart des conseillerspourraient être conduits à développerd’autres capacités liées à leurs potentielsen termes de sensibilité et de créativité.

Cette conversion passe par la mise enœuvre de bilans de compétences et detalents adaptés où l’on va aider lapersonne demandeuse à découvrir sestalents cachés. Ceux-ci peuvent résiderdans l’art de la négociation, l’aptitude àanimer des équipes, à organiser desréunions… On pourrait multiplier lesexemples et l’on verrait que la plupartd’entre nous détenons des talents dont ils’agit de prendre conscience et qu’il fautdévelopper.

Libérer les individus

Pour cela, il faut libérer l’individu destâches techniques et répétitives quil’empêchent d’exprimer ses sensations etses émotions.

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C’est sans doute dans cette perspectiveque depuis le mois d’avril 2017, le CréditMutuel a décidé, après une période detest, d’étendre à l’ensemble de son réseaule robot d’intelligence artificielle Watsond’IBM, afin d’assister ses 20 000 chargésde clientèle. Son rôle est de dégager dutemps pour le conseiller en confiant aurobot les tâches automatisables. Ce typed’investissement ne peut être fructueuxque s’il s’associe avec un investissementimmatériel dans l’humain, afin d’utiliserles savoir-faire disponibles et développerceux qui sont nécessaires. Il faut savoirque, dans les réseaux, peu decompétences sont utilisées puisque desprofils Bac+5 peuvent être chargés detâches élémentaires. Pourtant, les profilsde ces grands diplômés, leurs talents entermes d’analyse, de raisonnement et denégociation pourraient être bien mieuxutilisés, par exemple dans le suivid’entreprises comme les start-up quireposent, elles aussi, principalement surun capital immatériel – leurs fondateurs etleurs idées –, qu’il est nécessaire devaloriser et que les conseillers peuventapprécier, bien au-delà d’un dossier deprésentation, avec leurs rencontresrégulières.

C’est pourquoi on est conduit à sedemander comment évaluer le capitalhumain qui résulte de ces talentsdisponibles, aussi bien dans les réseauxbancaires que chez leurs clients. Enutilisant les compétences des conseillersprofessionnels, on peut obtenir des gainsd’opportunité, créateurs de valeur.

Le capital humain immatériel desentreprises

L’évaluation du capital immatériel estdevenue, pour les institutions financièreset les agences de notations, un domaineéminemment stratégique : les méthodesactuellement utilisées par les financiers nesont pas adaptées aux start-up, qui sontdes clients émergents pour les banques dedétail.

Actuellement, les financiers ont recours àla combinaison, souvent par simplemoyenne, de la méthode des DiscountedCash Flows (DCF), fondée sur uneactualisation des flux de trésoreriegénérés par l’investissement, avec cellesdes comparables du groupe des pairs. Lerésultat ne leur sert que d’indication – dite« valeur d’ancrage » –, car ils sont bienavertis que d’autres points clés sont àprendre en considération qui peuventpondérer leur premier chiffrage. Lespoints clés sont habituellement :

l’évolution de la trésorerie et dubesoin en fonds de roulement(BFR) ;

le potentiel accessible desmarchés ;

la valeur anticipée de la sortie.

À ces notions, quasiment objectives, ontété ajoutées, ces dernières années, desconsidérations extra-financières, «lecapital humain immatériel et humain » :

qualité du management (proximitéavec les équipes, structuration engestion de projets) ;

caractère innovant des produits ;

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perspectives de marché à longterme ;

importance des efforts financiersen R&D : protection de la propriétéintellectuelle, brevets maîtres, etc.

Pour donner une évaluation des critèresde la catégorie dite des actifs immatériels,la principale difficulté est qu’ils sontcomptabilisés généralement en charges del’exercice. Les seuls qui peuvent être misen actifs – « activés » en langageprofessionnel, ou « inscrits enimmobilisations, immobilisés » – sont lesfrais de recherche et les frais dedéveloppement stricto sensu, à conditionqu’ils offrent de réelles perspectives decommercialisation (ou de mise en service),de véritables avantages comparatifs etque toutes les incertitudes techniquesaient été levées.

Les normes internationales encoreinsuffisantes

À mesure que les actifs immatérielsprennent de l’importance, la société abesoin d’une organisation davantagestructurée, de management plus fin etd’analyse de marché mieux approfondieauxquels répondent : l’organisation engestion de projet, la connaissance desavantages compétitifs et comparatifs et lamaîtrise du procédé industriel. La sociétéqui fut en un temps un groupe de bonsamis qui tentèrent une aventure, estdevenue une œuvre consciente etprofondément étudiée.

La transposition financière, pour difficilequ’elle soit, n’en est pas moinsindispensable pour attribuer une valeur

juste. De nouvelles normesinternationales, instaurées par lescomptables sur ces analyses à caractèrefinancier, sont maintenant proposées (pasencore totalement imposées) auxentreprises qui désirent être évaluéeshonnêtement selon les standards admis.Les normes IFRS stipulent qu’une dépense,pour être activée, doit appartenir à l’uneou à l’autre des catégories suivantes :capital clients ; capital humain ; capitalconnaissances ; capital de marques ;capital d’organisation ; capitalfournisseurs ; système d’information.

La norme IAS 38 regroupe ces actifsimmatériels (ou immobilisationsincorporelles) par domaine : marketing ;clients ; contrats ; technologies ; actifsartistiques. La valeur peut être fixée sideux conditions sont remplies : contribueraux cash-flows futurs ; le coût ou la valeurse détermine de manière, sinon objectivemais fiable. Dans la pratique, ces deuxconditions qui permettraientd’immobiliser sont rarement réunies, cequi a provoqué d’âpres controverses. Parexemple, Gatten, en 2001, écrivit : «si lesactifs immatériels sont les paramètres clésd’une société, ceci n’implique pascependant que la valeur des actifsincorporels d’une société se traduisedirectement dans la valeur de la société».

Or un actif immatériel est défini commeétant : un actif non monétaire identifiablesans substance physique (IAS 38). Bien quecette définition couvre déjà de nombreuxactifs immatériels convenablementidentifiables : marques, brevets, dépensesde R&D, licences de fabrication, etc., la

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nomenclature devrait être complétée pourpouvoir y inclure les capitaux intellectuels,humains et relationnels ; ce à quoi tendentdorénavant les nouvelles normes IFRS. Enparticulier, la norme IFRS 3, qui estconsacrée au « regroupementd’entreprises », stipule que l’évaluation sefera sur la base de la juste valeur définiecomme étant le montant pour lequel unactif pourrait être échangé ou un passiféteint, entre des parties bien informées etconsentantes, dans le cadre d’unetransaction effectuée dans des conditions(reconnues) normales.

Retour à la valeur d’échange

Finalement, la valeur d’échange est cellequi prévaut, ce qui revient et confirme ceque l’on sait depuis toujours. Il sembleraitque l’on finisse par tourner en rond. Maisbien entendu, cette valeur d’échange aurapu être fortement influencée par lesnégociations prenant en compte le capitalhumain.

De toute façon, elle ne sera pas, dans denombreux cas, prise en compteexclusivement dans un but spéculatif derevente mais beaucoup plus devalorisation. Quand on s’est investihumainement dans une entreprise, on necherche pas uniquement à la revendre etréaliser une plus-value. On veut la voirgrandir et fructifier. Comme un enfant…

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NTIC - GRHLe rôle des directions qualité dans le pilotage de larelation client

Jean Normand Trésorier IBAQ (Institut Banque Assurance pour la qualité) Paris associationSanitaire et social PrésidentMartine Khelifi Membre, responsable Qualité Fédérale IBAQ*Didier Santini Membre, Responsable Mesure et Pilotage de la Satisfaction Client IBAQ*

Revue Banque /22.03.2017

Cet article s’interroge sur lepositionnement des directions qualité etleurs facultés à piloter les démarchesd’amélioration continue et assurer lacohérence des politiques orientéessatisfaction client. Il vise également àmettre en avant quelques propositionspermettant de reconsidérer la place desdirections qualité dans le management dela relation client et en faire un levier deperformance au service de la satisfactionclient.

Par définition, une direction qualité est lavoix du client dans l'entreprise et est àmême de préconiser à la directiongénérale les méthodes et outils les pluspertinents pour atteindre le niveau desatisfaction souhaité.

Une direction qualité dont laresponsabilité est axée sur la maîtrise desinstruments de mesure de la satisfactionclient et qui contribue à évaluer lesprocessus, dispose d’une vision à 360° desatouts et faiblesses de l’entreprise dans leservice aux clients. L’analyse de laconcurrence permet également de fournirun appui aux métiers de l’entreprise pourétablir leur politique de développement.

C’est cette vision globale qui légitime lapromotion des actions d’amélioration et lacontribution à la correction desdysfonctionnements qui ont un impactclient.

Il est attendu d’une direction qualité,qu’elle fasse ressortir le plusobjectivement possible le niveau desatisfaction de la relation client. Il en estainsi du traitement des réclamations,notamment dans les analyses fines pouridentifier les véritables pointsd’amélioration de la qualité de service. Lesuivi de la performance des processus,voire leur contrôle, est un autre moyen demesure.

La qualité est souvent présentée commel'aptitude pour une entreprise à fournirdes produits ou services quicorrespondent aux exigences de sesclients. Ces exigences peuvent êtreexplicites ou implicites mais le client doit yobtenir l'avantage pour lequel il est prêt àrémunérer l'entreprise. C'est pourquoiune démarche qualité se doit d'êtrepragmatique avec le souci de fairepartager au sein des équipes une véritable

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attitude de changement culturel orientéclient.

Les outils de la direction qualité

Les directions qualité se réfèrent à desoutils type référentiels de management.Ces référentiels, supports d'une démarchequalité définissent des normes etpratiques applicables aux organisationspour créer un système cohérent d'analysedes processus, sa vérification et sonpilotage (ISO 9001, modèle EFQM, Leanmanagement, etc.).

La mise en œuvre de contrats de serviceinternes/externes constitue également unbon moyen pour systématiser la notiond'engagement client et mobiliser leséquipes vers la satisfaction client.

La démarche d'excellence opérationnellesous-tend que la performance desprocessus ne peut être atteinte sans unevolonté d'amélioration permanente baséesur la production d'indicateurs clésincontestables.

Dans un monde de plus en plusconcurrentiel, la différence se fera moinsdans la qualité des produits et servicesque dans la capacité de l’entreprise àdévelopper son capital immatérielnotamment tout ce qui peut contribuer àl'engagement et la motivation de tous lespersonnels de l'entreprise.

Initier une démarche d’excellence

À ce titre, l'exemple d'une sociétéfinancière française de renom qui a misl'excellence opérationnelle au cœur deson programme de transformation est

intéressant afin de remobiliser les équipeset développer la culture de l'améliorationcontinue. La démarche visait à maximiserl’état d'esprit collaboratif et tirer au mieuxparti de l'expérience des équipes par latenue d’ateliers avec les opérationnels.Pour ce faire, les acteurs concernés ontété formés à la démarche puisaccompagnés par des experts en chargede s’assurer de l’appropriation du principed’amélioration continue.

Les résultats obtenus sont significatifs :

du point de vue des collaborateurs,les gains associés à ce type de démarchese traduisent par une plus granderesponsabilisation, un « sens » retrouvépour le métier, une montée encompétence qui enrichit la qualité dutravail et la satisfaction de voir… les clientssatisfaits ;

du point de vue des clients, lesdélais de traitement sont raccourcis, lestaux d'erreurs réduits, la disponibilité desconseillers améliorée ;

du point de vue de l'entreprise, lecercle vertueux qui fait qu'uncollaborateur « heureux » fait un client« satisfait » est conforté par le fait que denombreux gains quantitatifs apparaissent.Ainsi, le processus d'étude etd’acceptation des dossiers de crédit a étéamélioré. Le taux de conformité aprogressé et le délai de traitement a étéréduit de 10 %.

La recherche de la satisfaction, c’estnotamment l’ouverture vers les autres, lesclients, le sens de l’écoute, l’empathie, lerespect des engagements… Ainsi, undispositif d’excellence de service, basé surdes questionnaires adressés à chaque

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client après un rendez-vous, vise àmesurer de manière objective la relationclient en mettant l'accent sur les attitudeset la qualité relationnelle. L'indicateur cléest non pas la satisfaction en général, maisce qui a été ressenti par le client commeun service excellent, voire exceptionnel, eten tout cas au-delà de ses attentes. Avoirun bon niveau de satisfaction client n'estplus une garantie suffisante pour asseoir lacroissance et performer mieux que sesconcurrents. Dans une économie où êtrebon est devenu courant ou naturel, lafidélité client à l'entreprise doit seconstruire avec des valeurs additionnelles.

Pourquoi initier une démarched’excellence ? Pour être à la hauteur duniveau d'exigence exprimé par les clientsnotamment ceux à fort potentiel, être enphase avec l'objectif majeur de la stratégiede l'entreprise et à l'attribut de la marque,se différencier de la concurrence,mobiliser les équipes sur une ambitionpartagée.

Pour un positionnement central desdirections qualité

Lorsqu'elles ne sont pas rattachées à ladirection générale, les structures qualitésont souvent rapprochées de directionstrès diverses telles la stratégie,l'organisation et / ou la gestion de projets,le marketing, la communication, lesressources humaines, l’activitécommerciale, les opérations, les systèmesd’information. Aujourd'hui, nousconstatons que les directions qualité nesont pas toujours au cœur du pilotage dela relation client dans les banques et lesassurances.

Pourtant l’essence même d'une directionqualité est le client. La fameuse « bouclede la qualité », à travers ses quatre étapes– qualité attendue, prévue, obtenue etperçue –, résume parfaitementl'orientation client des démarchesanimées par les directions du même nom.Parmi les nombreuses grilles de lecture del'entreprise, il en est deux qui s'imposentactuellement au cœur de la fonctionqualité : l'évaluation de l'expérience client(qualité perçue) et la performance desprocessus de l'entreprise (qualitéobtenue) auxquels vont être confrontésles clients. À ce titre, une vision client etune approche processus peuvent êtrevues comme les codes génétiques de laqualité.

Une direction qualité est en mesure dejouer un véritable rôle de conseil etd’alerte. La qualité évalue les parcours desclients qui traversent en permanence lesdifférents « silos » de l'entreprise.

L'évaluation de la qualité obtenue parl'entreprise intervient tout au long descycles de vie des différentes familles declients (prospect, nouveau client, clientconnu et actif/inactif…) et de leurs besoins(épargne, crédit, assurance, services…), cequi donne une vision précise de l'efficacitédu système dans son ensemble. La qualitédoit jouer un rôle de « conseil et d’alerte »au sein de l'entreprise pour permettre depositionner le curseur au bon endroit dansla recherche de l'équilibre délicat entrerentabilité, efficacité, maîtrise des coûts,et relation client durable.

Le pilotage du triptyque « satisfaction-fidélisation-recommandation » constituepour les banques et les assurances, un

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point d'ancrage essentiel dans le pilotagede leurs activités et cette mission nousparaît être pleinement du ressort d'unedirection qualité. Mettre le client au cœurde la stratégie de l'entreprise est unslogan souvent utilisé. La direction qualitéest au carrefour de l'information client etpeut assurer des missions clés tout au longde la chaîne de valeur :

capturer et traiter l'informationdans les outils de mesure de laperformance ;

exploiter ces données pourcontribuer à l’élaboration du planstratégique ;

identifier et assurer le suivi del’efficacité des plans d’actionsopérationnels ;

communiquer en interne et/ou enexterne et former.

Pour ces missions, la direction qualité dansles banques et les assurances doit occuperla place qui lui permet d'agir. Elle doit à lafois être rattachée au plus haut niveau afinde disposer d'un réel pouvoir d'action etavoir un rôle central pour favoriser ladiffusion de la culture client à tous lescollaborateurs de l'entreprise.

Contribuer à la réussite de l'entreprise

La qualité du service rendu au client est unpostulat de base qui détermine la valeurd'une marque. Il est impératif au-delà desslogans, d'administrer la preuve auxclients de l'attention que nous leurportons et ceci à chaque opportunité decontact avec eux. C'est pourquoi unedémarche méthodique et professionnelleest impérative pour prouver aux clientsque les produits et les services vendus

sont fiables, délivrés selon desengagements précis et conformes à leursbesoins et leurs attentes pour un prixjustifié.

De plus, une réelle stratégie qualité del'entreprise est non seulement au servicedu développement commercial, maiscontribue aussi à la maîtrise des processuset des risques. Ainsi les démarches qualitéconsistant à identifier lesdysfonctionnements en vue de leséradiquer sont très proches des diligencesréalisées par une direction des risquescrédits ou opérationnels.

Ces réflexions justifient selon notre pointde vue de reconsidérer le positionnementde la direction qualité dans les banques etles assurances. Son rôle doit être centraldans la stratégie de l'entreprise pourcontribuer à l'amélioration de l'expérienceclient, gage du développement pérennede l’entreprise. En effet, une directionqualité peut contribuer efficacement à laréussite de l'entreprise en proposant desactions reposant sur des critères de choixéquilibrés entre les contrainteséconomiques et la satisfaction desattentes clients.

Il ne s'agit pas à ce stade d'envisager unedirection qualité hégémonique, mais biend'une structure d'animation de la qualité.Cela passe par l'accompagnement desmétiers en mettant à leur disposition, lescompétences et les outils nécessaires à lamise en place et la pérennité desdémarches qualité, le choix desindicateurs pertinents et le suivi global desplans d'action d'amélioration et de leursrésultats.

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Le développement pérenne et durable denos entreprises sera assuré par lamobilisation des équipes en les motivantpour favoriser leur engagement pourl'entreprise, mais aussi en faveur et auservice des clients finaux. Une directionqualité peut contribuer à ces objectifs enpromouvant des indicateurs deperformance basés sur des critèrescomplémentaires aux activitéscommerciales et financières permettantde mettre ainsi en valeur le travail dechacun dans l'entreprise au service desclients.

C'est ainsi que la fonction qualitéparticipera pleinement à la création devaleur sur les axes prioritaires de laperformance : satisfaction clients,satisfaction actionnaires, mobilisation descollaborateurs et peut aussi mieuxrépondre aux exigences sociétales etenvironnementales.

ISO 9001 est une norme qui définit desexigences pour un management dequalité ; EFQM (European Foundation forQuality Management) est un référentielde management fondé sur neuf critères(leadership, stratégie, personnel,partenariats et ressources, procédésproduits et services, résultats clients,résultats personnel, résultats société,résultats commerciaux); le lean est uneméthode de management qui visel’amélioration des performances del’entreprise grâce à l’élimination desactivités sans valeur ajoutée.

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NTIC - GRHLa Gouvernance par les nombres

Alain Supiot /Institut d’études avancées de Nantes - Ed. Fayard – Poids etmesures du monde /2015(Extrait)

Le temps n’est plus où nous pensionspouvoir juger du monde entier à l’aune denos propres manières de penser. La fin dela domination occidentale sur le mondeest une chance de retrouver ce « regardpersan », ce regard de l’autre sur sapropre culture, qui est plus que jamaisindispensable pour accéder à ce qui tientlieu d’objectivité dans la connaissance del’humain. Aucune civilisation ne saurait secomprendre elle-même sans faire ce pasde côté et apprendre à connaître ce qui larapproche et la distingue de toutes lesautres.

Placée sous l’égide de l’Institut d’étudesavancées de Nantes, cette collection estouverte à des auteurs de tous lescontinents, qui ont en commun deconsidérer la diversité des systèmes depensée, non pas comme un rested’irrationalité dans un monde destiné àdevenir uniforme, transparent et gérable,mais comme un support indispensable àl’institution de la raison dans un mondedestiné à demeurer divers et imprévisible.

Introduction

Nos institutions, comme toute œuvrehumaine, donnent à voir les images quiont présidé à leur conception. Le droit,comme la technique, la religion ou les arts,est un fait de culture, qui inscrit dans ladurée les représentations du monde quidominent une époque donnée. Bien sûr,

ces représentations – technique, juridiqueou artistique – possèdent chacune leurpropre système de références. L’avionincorpore dans un objet technique le rêvehumain de s’élever dans les cieux, maisson efficacité dépend du degré de véritédes connaissances scientifiques qui ontprésidé à sa construction. Cet adossementaux vérités scientifiques distingue lesobjets techniques modernes de ceux del’Antiquité, qui n’étaient, selonl’expression de Jean-Pierre Vernant, quedes «pièges tendus aux points où la naturese laisse prendre», c’est-à-dire desrecettes fondées sur l’efficacité. L’œuvred’art est au contraire totalementémancipée de l’impératif de vérité et peutdonc s’évader complètement de lapesanteur du monde tel qu’il est. Mais ellene sera (en principe !) considérée commeune œuvre d’art que si elle a une valeuresthétique et c’est à l’aune de cetteréférence esthétique qu’elle sera jugée.

Le Droit occupe quant à lui une position àmi-chemin entre l’art et la technique. Saréférence ultime n’est ni la vérité, nil’esthétique, mais la justice. De mêmequ’un zeppelin peut se révéler dangereuxet qu’une peinture peut être une croûte,une règle de droit peut être injuste. Maisdire qu’elle est injuste, c’est justement laréférer à ce qu’elle devrait être. Commel’art, le Droit évolue dans un mondefictionnel – par exemple, celui d’uneRépublique où règnent la liberté, l’égalité

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et la fraternité. Mais comme la technique,il vise à agir sur le monde réel et doit doncen tenir compte. Ces différentesreprésentations interagissent, participantchacune de ce que Cornelius Castoriadis aappelé l’institution imaginaire de lasociété. Parler d’institution «imaginaire»ne veut pas dire que nos institutionssoient l’expression de purs fantasmes, dece magma de représentations qui noushabitent de notre vie fœtale à notre mort.Bien au contraire, l’institution sociale del’individu consiste à l’arracher à ce magmapour le faire «accéder au monde social etau monde des significations commemonde de tous et de personne». Cela veutdire que ce monde de significationscommunes, que l’institution impose à lapsyché, est lui-même le fruit d’unimaginaire, mais d’un imaginaire social quidoit, pour que la société survive, êtrecompatible avec ses conditions physiqueset biologiques d’existence.

Participant de cette institution imaginairede la société, l’ordre juridique ne peutdonc être ni séparé des conditionsmatérielles d’existence où il s’inscrit, nidéduit de ces conditions. Il se présente eneffet toujours comme l’une des réponsespossibles aux défis que ces conditionsposent à l’espèce humaine. C’est pourquoiil est aussi vain de vouloir le fonder sur desbases transcendantales que de vouloirl’expliquer par sa base matérielle oul’analyser comme un objet technique videde toute signification. En deçà de ce quiles oppose, le jusnaturalisme, lesdifférents avatars du matérialismejuridique (biologisme, sociologisme etéconomisme) et le positivisme kelsenienprocèdent tous de la dichotomiesujet/objet, c’est-à-dire d’une manièreproprement occidentale de se représenternotre rapport au monde. Nous devonsbeaucoup à cette façon de penser

(notamment l’essor des sciences exactes),cependant elle risque – si nous n’yprenons garde – de nous rendre aveuglesà la singularité foncière de l’être humain :les paroles et les outils de cet animaldénaturé projettent sur le monde lesimages qui l’habitent, mais sa surviedépend de sa capacité à ne pas perdrepied avec les réalités de son écoumène5,c’est-à-dire de son milieu vital.

C’est un même imaginaire industrie qui adonné le jour aux usines électriques, aufilm Metropolis et au droit du travail : unimaginaire dominé par les lois de laphysique classique, qui nous donnent àvoir l’univers comme une vaste horlogeriemue par un jeu implacable de poids et deforces. Poids et forces qui tout à la foiss’imposent aux hommes et peuvent êtremises à son service. Conçu lui-mêmecomme une machine destinée à corrigerles déséquilibres engendrés par le progrèsindustriel, l’État social n’a jamais visé àéradiquer les formes nouvelles dedéshumanisation du travail, mais plutôt àen compenser les effets et à les rendreainsi humainement supportables. Né avecle monde industriel, il ne correspond plusà l’imaginaire cybernétique qui domineaujourd’hui les esprits et porte avec luil’idéal d’une gouvernance par lesnombres. Or, ce n’est pas seulement l’Étatsocial qui se trouve remis en cause parcette nouvelle façon de se représenter lefonctionnement de l’homme et de lasociété. Plus profondément, c’est la figuremême de l’État moderne, de cet Êtretranscendant et immortel inventé par laRévolution grégorienne aux XI-XIIe siècleset dont l’État-providence n’aura été quel’une des manifestations, qui est atteinte.L’hypothèse dont procède ce livre, est quela « crise de l’État-providence» est lerévélateur d’une rupture institutionnellebeaucoup plus profonde, qui affecte cette

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manière proprement occidentale deconcevoir le gouvernement des hommes.C’est pourquoi l’État, la loi ou ladémocratie ne seront pas considérées icicomme des cadres de l’analyse juridique,mais comme des catégories qu’il fautréinterroger pour comprendre lesmutations institutionnelles de grandeampleur à l’œuvre sous couvert de«globalisation».

Pour essayer de démonter les ressorts decette rupture institutionnelle, on partirad’une notion beaucoup pluscompréhensive : celle de «gouvernement»et son avatar contemporain, la«gouvernance». Aborder ainsi le droit etles institutions en terme de gouvernementdes hommes n’a, à vrai dire, rien de neuf.Dans le Traité du gouvernement civil(première édition en 1690) de Locke, lanotion d’État n’apparaît que sous lesformes de State of Nature et de State ofWar, autrement dit pour définir desformes de pouvoir non soumises au règnedu Droit. Pour désigner ce dernier, Lockeparle de Commonwealth (République) etnon de State. Il se démarque ainsi deHobbes qui use de State comme d’unsynonyme de respublica ou deCommonwealth. La généralité etl’évidence que nous sommes enclins àprêter au concept d’État se trouvent ainsidémenties aussitôt traversée la Manche.Beaucoup plus récemment, MichelFoucault a usé de la notion de« gouvernement », ou plus exactement de« gouvernementalité », comme d’unecatégorie compréhensive des formesd’exercice du pouvoir. À l’argument tiré del’autorité de ces grands auteurs s’enajoute un autre, beaucoup plus décisif : lesentreprises transnationales occupent dansle monde institutionnel en train de naîtreune place comparable à celle des États.Or, depuis l’ère industrielle, les modes de

gouvernement des hommes par les Étatset par les entreprises n’ont cessé des’influencer. Recourir à la notion de« gouvernement » permet d’observer cesinfluences réciproques et d’envisager dansleur unité les transformationsinstitutionnelles des temps présents.

Cette prise de recul vis-à-vis du conceptd’État est nécessaire, mais non suffisantepour analyser la dimension juridique de la«globalisation». Les autres notionsjuridiques auxquelles nous recouronsdoivent elles aussi être réinterrogées danscette perspective globale, car elles sont,au même titre que l’État, des produits del’histoire occidentale. Y compris donc cellede gouvernement. Nous sommes en effethabitués à penser que gouverner etexercer le pouvoir sont une seule et mêmechose. Or, rabattre ainsi le gouvernementsur le pouvoir – serait-ce le «biopouvoir»,comme on le voit chez Michel Foucault –est quelque chose qui ne va pas de soi. Ouplus exactement ce raplatissement estassez symptomatique d’une culture etd’une époque – la culture occidentale etl’époque contemporaine –, dont il seraitpuéril de prétendre sortir puisque c’est lanôtre, mais qu’il faut s’efforcer de situerpar rapport à d’autres façons de concevoirl’organisation juridique des sociétéshumaines.

Si la première exigence de méthodeconsiste à faire ainsi retour critique surnos catégories de pensée, ce n’est paspour s’en défaire, mais pour les situer etprendre la mesure de leur enracinementdans l’histoire de la pensée juridiqueoccidentale. Autrement dit, pour s’enservir au lieu de les laisser penser à notreplace. La référence à l’Occident a dans cecontexte un sens précis. Elle renvoie àl’histoire longue de nos institutions et plusprécisément à la matrice juridique

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romaine de notre culture. La division del’Empire romain en deux – ceux d’Orientet d’Occident – n’a pas seulement étéd’ordre politique et religieux, elle a euaussi une importance décisive dansl’histoire du droit. La chute de l’Empired’Occident a ouvert en 476 un videinstitutionnel que l’Église catholique a étéamenée à combler, ouvrant la voie auxmontages romano-canoniques de lapériode médiévale, d’où est sortie notreconcept moderne d’État. L’Empire romaind’Orient a, quant à lui, survécu jusqu’en1453, c’est-à-dire près de mille ans, à lachute de Rome. Une symbiose s’estopérée dans le monde orthodoxe entre lesacerdoce (hiérôsinè) et l’Empire(basileia), donnant naissance à la figured’un monarque qui est aussi un prêtre.L’ignorance abyssale de la spécificitéinstitutionnelle du monde orthodoxe parles gouvernants occidentaux est la sourcede malentendus millénaires, dont lesconditions d’entrée de la Grèce – vue parles pays ouest-européens comme héritièredirecte de la démocratie athénienne –dans l’Union européenne ou leur difficultéd’établir des rapports pacifiés avec laRussie contemporaine ne sont que les plusrécents témoignages.

Le droit dit continental et la common lawsont deux rameaux de cette culturejuridique occidentale, certes rivaux dans leprojet d’occidentalisation du monde, maistous deux confrontés depuis l’entreprisecoloniale à des montages institutionnelsdifférents, avec lesquels ils ont été etdemeurent plus que jamais obligés decomposer. La notion acritique deglobalisation exprime un mot d’ordre,doublé d’une foi naïve dans une inévitableexpansion de la culture occidentale àl’échelle du globe. Au contraire, la notionde mondialisation nous oblige à ne pasperdre de vue la diversité des civilisations,

qui sont autant de façons différentesd’habiter la planète, c’est-à-dire de larendre humainement vivable. Le mondes’oppose en effet à l’immonde, comme lecosmos s’oppose au chaos. Ainsi entendu,le processus de mondialisation impliquenon l’uniformisation du monde sur lemodèle occidental, mais bien au contrairela remise en question de ce modèle pard’autres façons de penser l’institution dela société. Façons de penser qui ont été etcontinuent d’être elles-mêmes bousculéespar la modernité occidentale. Il faut doncrenoncer aussi bien aux illusions d’unessentialisme qui considérerait lescultures juridiques comme des structuresinvariantes persistant dans leur être, qu’àcelles de la fin de l’histoire et du triomphede la culture occidentale sur toutes lesautres.

Ces jeux d’influences réciproques sontparticulièrement puissants dans le cas dudroit social. Dans l’Europe du XIXe siècle,les systèmes de solidarité traditionnellefurent broyés par la dynamique ducapitalisme. Fondés sur des affinitésfamiliales, religieuses, paroissiales ouprofessionnelles, ces solidarités ont étéremises en cause à des degrés divers dèsla première industrialisation, puis avecnon moins de brutalité dans le cadre de lacolonisation et de la traite négrière.Aujourd’hui, ce sont les formes étatiquesde solidarité qui sont à leur tourdéstabilisées, celles qui ont été édifiées àl’échelle nationale précisément pourpallier à cet affaiblissement des solidaritéstraditionnelles. Le projet de globalisationest celui d’un Marché total, peuplé departicules contractantes n’ayant entreelles de relations que fondées sur le calculd’intérêt. Ce calcul, sous l’égide duquel oncontracte, tend ainsi à occuper la placejadis dévolue à la Loi comme référencenormative.

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Cette nouvelle utopie n’a pas plus dechance de prospérer que celles dont elleest l’héritière, qui avaient prétendutrouver dans les lois de la biologie ou del’histoire la Référence fondatrice dupolitique et ont rencontré au xxe siècleleur limite catastrophique avec la défaitedu nazisme et l’effondrement ducommunisme réel. La pression que laglobalisation exerce aujourd’hui sur toutesles civilisations suscite en retour depuissants mouvements deréidentifications religieuse, ethnique,régionaliste ou nationaliste, dont le traitcommun est de chercher ailleurs que dansl’État ou dans la tradition les bases desolidarités nouvelles : solidarités decombat reposant sur l’opposition binaire« ami/ennemi », chère à Carl Schmitt, etdonnant lieu à des relecturesfondamentalistes des corpus dogmatiquessur lesquelles elles cherchent appui.

En quoi et sous quelles conditionsl’analyse juridique peut-elle contribuer àéclairer ces transformations ? Le droitoccupe une place ambiguë dans le champdes connaissances. Pour des raisons quitiennent aux origines médiévales du droitmoderne, les juristes occidentaux sontenclins à l’appréhender comme unsystème clos sur lui-même, qui n’a rien àapprendre des autres domaines du savoiret rien à leur apprendre.

Le droit est l’équivalent séculier dessystèmes de règles impératives qui, end’autres temps ou cultures, ont procédéou procèdent encore de croyances ou derituels religieux. Tout système juridiquerepose ainsi sur ce que la Déclarationd’indépendance des États-Unis appelle des«vérités évidentes pour elles-mêmes»,c’est-à-dire sur une base dogmatique quiconfère un sens à ce système et autoriseson interprétation :

Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous leshommes sont créés égaux ; ils sont douéspar le Créateur de certains droitsinaliénables ; parmi ces droits se trouventla vie, la liberté et la recherche dubonheur. Les gouvernements sont établisparmi les hommes pour garantir cesdroits, et leur juste pouvoir émane duconsentement des gouvernés. Toutes lesfois qu’une forme de gouvernementdevient destructive de ce but, le peuple ale droit de la changer ou de l’abolir etd’établir un nouveau gouvernement en lefondant sur les principes et en l’organisanten la forme qui lui paraîtront les pluspropres à lui donner la sûreté et lebonheur.

Ce texte fondateur est de facture logico-déductive. Il commence par postulerl’existence de droits individuels, dont lanature est explicitement dogmatique.Relevant, à l’instar du Créateur, de vérités« évidentes pour elles-mêmes », ils n’ontpas besoin d’être démontrés, mais doiventêtre affirmés et célébrés. Cette basedogmatique fonde le pouvoir dugouvernement en même temps qu’elle luiassigne une double limite : il doit reposersur le consentement des gouvernés et ildoit être utilisé pour garantir leurs droits.Si le gouvernement manque à cettemission, le peuple dispose du droit – droitcollectif cette fois – de le destituer pouren fonder un autre qui lui assurera lasécurité et le bonheur. Le mot« bonheur » apparaît deux fois dans cetteDéclaration : d’abord comme l’objet d’unerecherche individuelle, que chacun doitpouvoir conduire librement ; ensuitecomme le bonheur du peuple tout entierlorsqu’il est régi par un bongouvernement.

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D’un côté donc, le droit repose sur desaffirmations de type dogmatique, maisd’un autre côté, il se présente comme unetechnique de gouvernement, dont leshommes peuvent user comme bon leursemble. Cette ambivalence explique lefossé qui s’est creusé entre, d’une part, lestenants d’un positivisme juridique, quientendent exclure du champ de la sciencedu droit la prise en considération de sabase axiologique, et, d’autre part, lestenants d’un fondement naturel dessystèmes juridiques, qui entendent aucontraire juger ces systèmes à l’aune d’unordre transcendant ou immanent quis’imposerait à tous et dont le droit positifdevrait se faire l’instrument.

Il n’est en réalité pas d’analyse juridiquesérieuse qui puisse ignorer l’une ou l’autrede ces deux dimensions – technique etaxiologique – du droit. L’analyse juridiquene doit certainement pas viser à dissoudrele texte dans son contexte, comme tend àle faire le sociologisme ou l’économisme,mais elle ne doit pas davantage couper letexte de son contexte historique,anthropologique ou socio-économique.C’est à cette double condition qu’uneanalyse juridique sérieuse peut contribuerà l’intelligibilité de phénomènes dontaucune science ne peut prétendre détenirtoutes les clés. La règle de droit, à ladifférence de la norme biologique ouéconomique, ne procède pasexclusivement de l’observation des faits.Elle ne donne pas à voir le monde tel qu’ilest, mais tel qu’une société pense qu’ildevrait être, et cette représentation estl’un des moteurs de sa transformation.

La tâche propre de l’analyse juridiquen’est donc pas d’appréhender directementle monde des faits, celui de l’être, maiscelui du devoir être. Il ne s’agit pas denégliger la dynamique qui relie dans

l’action des hommes ces deux univers del’être et du devoir être – auquel il faudraitdu reste ajouter celui du pur imaginaire –,mais bien au contraire de dire qu’on nepeut saisir cette dynamique sans identifierles systèmes de représentations quiirriguent le droit dans une société donnée.Beaucoup de choses se jouent en effetdans l’écart entre ces représentationsformelles et l’état réel du monde. Si cetécart est trop grand ou s’élargit, la réalitédisqualifie l’ordre normatif et sape sacrédibilité. C’est ce qui risque d’advenirpar exemple si, derrière la façade d’une loiégale pour tous, règne en fait un systèmede passe-droits et d’allégeancespersonnelles. L’implosion du communismeréel est un cas de cette perte totale decrédit de la chose publique et du triomphedu chacun pour soi et des arrangementsnégociés dictés par le seul calcul d’intérêtindividuel. Mais, inversement, un systèmenormatif peut faire advenir au moinspartiellement dans les faits lareprésentation du monde qu’il promeut. Ilsuffit de lire Tocqueville pour comprendrepar exemple la dynamique du principed’égalité, une fois qu’il a acquis une valeurconstitutionnelle. Il est certain que leprincipe d’égalité des hommes et desfemmes ne donne pas, aujourd’huiencore, une image fidèle de la réalité,encore marquée par de nombreusesinégalités de fait. Un écart subsiste entrefaits et droit. Mais il est non moinsincontestable que cet écart s’est réduit enraison de la force normative du principed’égalité.

Pour être féconde, l’analyse juridique doitdonc prendre acte de la relativitéhistorique et géographique du droit, quin’est pas une donnée intemporelle etuniverselle dans l’organisation dessociétés humaines. Elle doit égalementprendre acte de la centralité de la

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normativité juridique, qui est dans noscultures la seule normativité délibérée etconsciente d’elle-même, la seule aussi ànous obliger tous. Dès lors que l’analysejuridique tient compte de cette relativitéet de cette centralité, elle peut contribuerà mettre en lumière la normativité àl’œuvre dans les disciplines scientifiques.Celles-ci mobilisent, le plus souvent à leurinsu, les catégories du droit tout en leurprêtant une valeur heuristique universelle.De telles catégories, souvent issues dudroit romain – telles que civilisation,contrat, loi, religion – abondent enéconomie et en sociologie, tandis qued’autres – comme le patrimoine oul’hérédité – ont irrigué la biologie.

Saisir le droit comme fait de cultureexpose à deux types de critiques. Cellesdes sciences sociales, qui reprocheront àce type d’analyse de prêter crédit à desconstructions idéologiques au lieu de s’entenir aux faits. Et celles du positivismejuridique, qui lui reprocheront aucontraire de trahir l’intégrité du droit enl’inscrivant dans son milieu. Évalués àcette aune, Montesquieu, Portalis ouCarbonnier n’auraient rien apporté à lascience du droit. Mais c’est précisémenten prenant appui sur cette traditionintellectuelle que l’étude du droit peutnous aider à comprendre lesbouleversements du mondecontemporain.

Ainsi envisagée, l’analyse juridique pose, ilest vrai, de sérieux problèmes deméthode. Les liens complexes qui relienttexte et contexte ne peuvent êtreidentifiés et compris qu’en s’appuyant surdes travaux susceptibles de nourrir leurétude historique et comparative. Laqualité de l’analyse juridique dépend alorsde sources puisées dans d’autres champsde compétences. Le juriste risque ainsi de

se trouver à son corps défendant pris aupiège des controverses qui parcourent cesautres disciplines.

À cette première série de difficultésméthodologiques, liées à la nécessité demettre le texte en contexte, s’en ajouteune seconde, interne au droit. Sonprodigieux essor quantitatif depuis ledébut des Temps modernes, encoreaccéléré dans la période contemporaine,conduit à une spécialisation de plus enplus étroite du travail des juristes,praticiens comme chercheurs. Or, on nepeut aborder les questions de fond, quiaffectent l’évolution du droit dans sonensemble, sans devoir sortir du confortd’une branche du droit déterminée. Il fautdonc pratiquer une « intradisciplinarité »,rendue difficile par la croissanceexponentielle des sources juridiques et ladivision du travail de recherche entre desspécialités de plus en plus étroitementdéfinies.

La division du droit en branches est unproduit relativement récent de ladogmatique juridique, puisqu’elle n’acommencé de s’établir qu’au XVIe siècleavec les juristes humanistes de laRenaissance et les théoriciens du droit dela Réforme. C’est seulement à partir decette époque que le droit fut conçucomme un ensemble ramifié en brancheset sous-branches, distinguées à raison desmatières qu’il s’agit de réglementer. Cettefaçon de penser le droit – qu’on a appelél’usus modernus – participe d’unmouvement intellectuel plus vaste quiaffecte aussi la théologie et la philosophie.Il y a des raisons de penser que la périodealors ouverte est en train de se clore etcertains indices montrent une résurgencedes façons de faire des juristes médiévaux.Pour eux, l’ordre juridique n’était pascomposé de compartiments juxtaposés et

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les opérations de qualification neconsistaient donc pas à ramener un cas àune matière. Ils pouvaient puiser pour lerésoudre dans des principes généraux oudes règles empruntés à des matièresdifférentes.

Cette ramification du droit s’estconsidérablement accrue depuis un siècle,pour des raisons d’ordre plus pratique(l’inflation des sources)qu’épistémologique. L’importanceprofessionnelle de cette ramification estindéniable, mais sa valeur heuristique estfaible et peut-être même de plus en plusfaible. Cette faiblesse est particulièrementgrande dans le cas du droit social, branchehistoriquement récente, à cheval sur ledroit privé et le droit public, dont lediamètre varie d’un pays à l’autre –souvent au gré de l’organisation judiciaire

ou administrative. Une recherche avancéepeut donc difficilement ne pastransgresser cette division, mais elleoblige ainsi à s’aventurer sur des terresmoins familières pour le chercheur quecelles de sa discipline d’origine, avec iciencore une prise de risque nonnégligeable.

Malgré toutes ces difficultés, l’analysejuridique peut aider à s’orienter dans lesmultiples crises qui s’étendent avec laglobalisation et affectent à des degrésdivers tous les continents. Montée despérils écologiques, creusement vertigineuxdes inégalités, paupérisation et migrationsde masse, retour des guerres de religion etdes replis identitaires, effondrement ducrédit, qu’il soit politique ou financier…Nous sommes loin de l’avenir radieuxprophétisé par les chantres de la fin del’Histoire et de la mondialisationheureuse. Toutes ces crisess’enchevêtrent et se nourrissent les unesles autres comme autant de foyers d’un

même incendie. Elles ont un facteur encommun : le délabrement des institutions,qu’elles soient nationales ouinternationales. Les bases institutionnellessur lesquelles avait été édifié un nouvelordre mondial à la fin de la SecondeGuerre mondiale sont profondémentébranlées, qu’il s’agisse des États ou desorganisations internationales. Dès lors, oncherche un garant susceptible derépondre de l’état de la planète, de lavaleur de la monnaie ou de la justice entreles hommes. Dieu et le Marché sontconvoqués à cette fin, et souvent les deuxen même temps, car le monothéisme et lafoi dans le Marché total font bon ménagedans l’esprit des fondamentalistes, dequelque religion qu’ils se réclament. Lamain invisible du Marché n’est-elle pas laversion sécularisée de la divineProvidence ?

Que l’on se réfère ainsi à Dieu ou auMarché pour faire face aux crises qui nousassaillent, on est toujours conduit àassujettir le droit et les institutions à desforces échappant à la délibération deshommes. Autrement dit, à abandonner ouà trahir l’idéal d’une cité régie par des loisqu’elle se donne librement à elle-même.Hérité des Grecs, cet idéal repose sur desbases fragiles et a connu bien desvicissitudes au cours de l’histoire. Mis àmal au xxe siècle par les régimestotalitaires et leur normativité scientiste,cet idéal a été solennellement réaffirméen 1948, dans la Déclaration universelledes droits de l’Homme, dont le Préambuleaffirme qu’« il est essentiel que les droitsde l’Homme soient protégés par unrégime de droit [rule of law] pour quel’homme ne soit pas contraint, ensuprême recours, à la révolte contre latyrannie et l’oppression ». Cet idéaldemeure officiellement le nôtre, et nouscommencerons par en retracer dans la

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première partie de ce livre les multiplesavatars historiques, pour prendre lamesure de la crise profonde qu’il traversedepuis un siècle. Cette mise enperspective est indispensable pourcomprendre comment la promesse d’ungouvernement impersonnel qui était déjàla sienne en est venue à prendreaujourd’hui la forme d’une gouvernancepar les nombres17.

Ayant partie liée avec la souveraineté desÉtats, le règne de la loi est entraîné dansleur déclin. Critiqué par ceux qui y voientune figure archaïque et oppressive, l’Étatse trouve à nouveau relégué au rôleinstrumental que lui avaient dévolu lesrégimes totalitaires. Non plus instrumentd’un parti unique incarnant le sens del’Histoire, mais instrument d’un Marchétotal engageant tous les individus dansune compétition sans fin et réglant tousles aspects de la vie humaine sur le calculéconomique. Dans ce contexte, la loidevient elle-même un objet de calcul, unproduit législatif en compétition sur unmarché mondial des normes. Cetasservissement de la loi au calcul d’utilitéavait été préparé par l’expérience de laplanification soviétique. À la faveur desretrouvailles du communisme et ducapitalisme – dont le point de départfurent les réformes économiqueschinoises engagées par Deng Xiaoping en1979 –, cet asservissement a pris la formed’une gouvernance par les nombres quis’étend à tous les échelons del’organisation de la société, depuis larelation individuelle de travail jusqu’auxmesures d’ajustement structurel promuesau niveau européen ou international.

Le renversement du règne de la loi auprofit de la gouvernance par les nombress’inscrit dans l’histoire longue du rêve del’harmonie par le calcul, dont le dernier

avatar – la révolution numérique – dominel’imaginaire contemporain. Cet imaginairecybernétique conduit à penser lanormativité non plus en termes delégislation mais en termes deprogrammation. On n’attend plus deshommes qu’ils agissent librement dans lecadre des bornes que la loi leur fixe, maisqu’ils réagissent en temps réel auxmultiples signaux qui leur parviennentpour atteindre les objectifs qui leur sontassignés. La façon de penser le travailoccupe une place centrale dans cerenversement et c’est pourquoi une largeplace est faite dans la seconde partie de celivre aux formes nouvelles que prendaujourd’hui le mot d’ordre de« mobilisation totale », apparu sous saforme taylorienne lors de la PremièreGuerre mondiale. La mise en œuvre de cemot d’ordre montre aussi les impassesauxquelles se heurte toute forme denormativité fondée sur la dénégation dece qui spécifie l’être humain : sa capacité àpenser et à agir avec ses propres idées entête. Ceci était vrai hier du taylorisme etne l’est pas moins aujourd’hui de lagouvernance par les nombres. Face audépérissement de l’État et aux formesnouvelles d’aliénation qu’il engendre, unestructure juridique réapparaît, de facturetypiquement féodale : celle des réseauxd’allégeance, au sein desquels chacuncherche la protection de plus fort que soiou le soutien de moins fort que soi.

C’est donc un double mouvement quedécrit ce livre. En premier lieu, celui de laquête d’un pouvoir impersonnel, dont lemodèle serait une machine à gouverner etqui a abouti à la gouvernance par lesnombres. Et en second lieu, celui duretour de l’allégeance personnelle commeréponse aux impasses de cettegouvernance.

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CHRONIQUE

Quelques heures dans la vie d’une Trésorerie Principale"Si l’Administration était au courant de ce qui se passechez elle…"

Olivia Millioz - Fondation IFRAPSociété civile n°21 - janvier 2003

35 personnes. 35 personnes fontofficiellement partie du personnel de cettetrésorerie principale. Tous fonctionnairesmais pas tous présents au poste, certainssont en RTT, d’autres en vacances d’autresencore en arrêt maladie, on compte enrègle générale au maximum une vingtainede personnes présentes pour une chargede travail qui ne devrait de toute façon enoccuper que 10. Alors… Il semble que lejour de notre visite ne déroge pas à larègle. Nous allons passer quelques heuresen compagnie du trésorier principal quidirige cet établissement de 35 personnes.Il ne s’agit pas d’un novice dans le poste, ila plus de trente ans de métier derrière lui ;ce qu’il nous confie n’est pas l’apanage del’établissement où il travaille aujourd’hui.Il a déjà observé les mêmescomportements dans d’autresétablissements.Dès que l’on passe la porte de latrésorerie, on commence à comprendre :peu d’agents présents, peud’empressement. Les congés sontnombreux. Il faut en effet ajouter aux 30jours de congés légaux (6 semaines), les 2jours de fractionnement, les 13 jours de

récupération en raison de la réduction dutemps de travail, mais aussiéventuellement les 2 jours pour enfantmalade, d’autres pour déménagement,préparation aux concours, les 3 à 4 jourspar an de formation, les ponts, voiremême les jours de rattrapage si un jourférié tombe un week-end, etc.Le passage aux 35 heures a demandé unan et demi de négociation entre ladirection de la comptabilité publique quisouhaitait les 35 heures sans création deposte et des syndicats qui n’entendaienten aucun cas revenir sur leurs avantagesacquis. Au final, rien n’a été remis encause.Quand on entre dans le bureau dutrésorier principal, on est surpris par lenombre de lettres en attente quil’entourent. Des piles et des piles ensouffrance s’amoncèlent sur tout ce quipeut les contenir : tables, bureaux, maisaussi par terre, partout. En effet, l’une desactivités principales d’une trésorerie est lerecouvrement. En découle un nombreconséquent de lettres à envoyer. Ceslettres génèrent un travail pas vraimentqualifiant mais nécessaire de pliage,

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étiquetage. Or le trésorier principal netrouve personne pour le faire. Pire, il nepeut exiger de personne de le faire. Lesagents répondent qu’ils n’ont pas étéembauchés pour cela et il n’a aucunmoyen de pression. Il ne les a pasembauchés. Il ne les débauchera paspuisqu’il n’en est pas question dansl’administration, à moins, comme le dit ledicton populaire, d’avoir tué père et mère.Et quel intérêt un agent aurait-il à en faireplus que son voisin ? Même quand il faitbien son travail, il n’y a aucun moyen pourle valoriser.Autrefois le trésorier principals’arrangeait. Etaient accordés 1 ou 2 joursde congés supplémentaires. Aujourd’hui iln’y a plus rien. Maintenant rien ne motivel’agent à faire quelque chose que tousconsidèrent comme en dehors de leurchamp d’attributions, même si celademeure l’une des activités principales dela maison.A la question posée au trésorier principal"quelle est votre autorité sur votrepersonnel ?". La réponse est "nulle,strictement aucune" et il ajoute enboutade "à part l’autorité que me donnemon grand âge". Plutôt désarmant,surtout quand il vous raconte que les 3000lettres de recouvrement précédentes, illes a mises sous pli le week-end avec safemme, alors que toute la semaine lastation des agents devant la machine àcafé ne désemplit pas. Il est même difficileà certains moments de trouver quelqu’unà son bureau. Deux machines sontinstallées aux deux extrémités des locauxet le grand jeu consiste pour chacun à se

rendre à celle qui est la plus éloignée deson poste de travail.La notation des agents n’est pas non plusun moyen que le trésorier peut utiliserpour inciter les agents au travail. Il a déjàfait l’expérience de ne pas mettre la notemaximale à un agent. Par la forcebienveillante des syndicats, ce n’est pasl’agent moins bien noté qui a été inquiété,mais lui, le trésorier, c’est à lui que l’on ademandé des comptes, des justifications àn’en plus finir. Sa politique aujourd’hui :mettre 19 à tout le monde. Pourquoid’ailleurs passer trop de temps à cettenotation puisque la note définitive revientau Trésorier Payeur Général qui lui, neconnaît pas les agents.Sur les 35 personnes, hormis le trésorierprincipal, aucun n’est véritablementcomptable. La dernière recrue est unspécialiste en droit du cinéma. Lesépreuves du concours pour être agent derecouvrement n’ont rien à voir avec lapratique du métier de comptable. Il estdemandé de corriger les fautes dans unedictée, une rédaction, des exercicesd’arithmétique simples, le commentairede tableaux. Aussi vous n’avez aucunepersonne qui ait une pratique ou desconnaissances réelles en comptabilité. "Onleur demande de savoir tenir un stylo",confie le trésorier principal.Il est certains avantages que personne nepenserait à remettre en question. Laformation en est un. Dans cette trésorerie,les agents se servent depuis des années deWindows. Pourtant lorsque le matérielinformatique a été changé, il y a peu detemps, l’administration aautomatiquement proposé à l’ensemble

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du personnel des formations… Windows.Tout le monde a dit oui. Après vérificationdans leurs dossiers, ils en avaient déjàtous fait au moins deux.La trésorerie fait office de mini citadelleimprenable. Une caissière se plaintamèrement d’avoir attendu la veille auguichet de la Poste alors que les troisguichetiers du bureau de Poste discutaientensemble sans se soucier du public qu’ilssont en charge d’accueillir. Sesexplications se prolongent avec trois deses collègues alors que de l’autre côté dela vitre une douzaine de personnesattendent patiemment leur tour. Sonsupérieur arrive et lui fait remarquerqu’elle fait subir à d’autres se dont elle seplaint, et la réponse de cette dernière estaussi surprenante que définitive "Oui,mais nous ce n’est pas pareil !". En quoi ?Mystère.Nous sommes au moment de la pausedéjeuner, la fameuse pause méridienne enlangage administratif. Tout-à-coup, pannede courant. Un agent passe dans lescouloirs en hurlant je n’ai pas pu pointer,je perds du temps". Un autre proteste"Combien de temps cela va-t-il durer ? Onne peut pas faire chauffer le café…".Personne ne se plaint de ne pouvoirtravailler. Sur les 20 agents présents,personne n’est à son bureau, pourtant ilssont tous rentrés de leur pause déjeuneret ont pointé comme étant présents autravail. La pause de 45 minutes setransforme tous les midis en pause dedeux heures soit une interruption de 12heures à 14 heures autour d’un café,d’une cigarette, à se raconter les

anecdotes de la journée. Ce ne sont queles plombs qui ont sauté.Mais s’il n’y avait que cela. Quand cettetrésorerie est passée des imprimantes àpicots aux imprimantes modernes, et celane fait pas très longtemps, ils ont dûmettre à la poubelle un an de fourniturescar les commandes venaient d’êtrepassées, des piles de papier de deuxmètres de haut ont été jetées. Pour lepassage à l’euro, l’informatique de latrésorerie est restée en panne pendant 5jours. Tout porte à la gabegie et lesystème fait que les remèdes sont souventpires que le mal.Le trésorier principal de conclure : "Sil’Administration était au courant de ce quise passe chez elle…"Il faut dire qu’en France, l’administrationfiscale est pléthorique. La directiongénérale des impôts et le trésor publicrassemblent 135.000 agents. Les Etats-Unis n’en comptent que 80.000 pour unpays qui supervise 5 fois plus decontribuables. Nous sommes victimes denotre héritage. Nos monarques n’ontjamais eu confiance en leurs receveursaussi avaient-ils décidé que le calcul del’impôt devait relever d’un servicedifférent de ceux qui sont chargés del’encaissement. Cette distinction a étérenforcée par la Révolution et parNapoléon sans qu’aucun de nos ministresn’y puisse changer quelque chose. Cecimalgré des tentatives menées à grandrenfort de rapports, en particulier lerapport Lépine en 1999, un rapportaccablant pour l’administration fiscalefrançaise, supervisé par Jean-Luc Lépine,inspecteur des finances, corps d’élite de

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Bercy. Il a certes fait la "une" de la pressedécrivant un système à la Courteline, maisqui, trois ans plus tard, est toujours là. LaFrance est de très loin le pays qui a le plusgrand nombre d’unités locales du fisc. Onen compte 65,5 pour 1 million d’habitants,contre 8 en Allemagne, 8,5 en Grande-Bretagne, 5,2 en Espagne, 1,6 aux Pays-Bas, et 0,1 aux Etats-Unis !Le réseau des trésoreries est dense,presque aussi dense que celui des bureauxde poste, et beaucoup s’avèrent inutiles.Thierry Bert, chef du service del’inspection générale des finances,soulignait lors des auditions du rapportd’information sur le recouvrement del’impôt de l’Assemblée Nationale en 2000,la difficulté à supprimer des postes,notamment en milieu rural."Tout ceci est fait simplement pourjustifier un certain nombre de chefs depostes. On me rétorque que disant cela, jesuis méprisant. Non, je suis pour latransparence. Si l’on veut la transparencesur les salaires, appliquons-la. Je gagne721.000 francs. Sachez que le percepteurde Saint-Aubin-d’Aubigné gagne 248.000francs ; que le percepteur de Liffré,encadrant 5 agents reçoit 296.000 francs ;que le percepteur de Châteaugiron qui a 6agents sous ses ordres, reçoit 363.000francs et que le chef du centre des impôtsde Fougères, qui lui, a 32 agents sous sesordres et toute la complexité sur le dos,gagne 278.000 francs. (…)Pourquoi cette situation ? Soyons clairs etnets : parce que le chef de poste, commele trésorier payeur général, vous le savezdepuis le rapport de la Cour des comptes,combine 4 éléments de rémunération :

le premier élément provient de son salaireindiciaire ; le deuxième élément provientde la rémunération qu’il touche sur lesfonds déposés par les notaires et de larémunération qu’il touche sur les fondsparticuliers qu’il gère, c’est-à-dire lescomptes bancaires même si cette dernièreressource est marginale en raison dufaible nombre de comptes ; le troisièmeélément est la partie défiscalisée, c’est-à-dire les frais de gestion, de représentationqui lui sont versés par la Caisse des Dépôtset qui n’étaient pas fiscalisées jusqu’àprésent, mais qui le seront puisque leministre l’a décidé ; à ceci s’ajoute, quandil y a des collectivités locales, desindemnités qui sont versées par lescollectivités locales au titre de ce que l’onappelle les "indemnités de conseil". Et puisil y a le logement de fonction.Tout ceci fait qu’un chef de poste ayant laresponsabilité de 2 ou 3 agents peuttoucher plus que quelqu’un qui assume laresponsabilité de 60 agents dans uncentre des impôts ou de 25 agents dansune trésorerie spécialisée au sein dutrésor public, en centre-ville ; ces deuxgrosses structures, spécialisées dans lesimpôts, ne donnent lieu à aucuneindemnité de conseil et a peu deressources sur l’épargne".Ce problème est de taille ; l’administrationsouffre d’un problème de structure qui aune conséquence directe sur sonrendement. Thierry Bert souligne unaspect lié à l’excédent de personnel enmilieu rural mais le problème est aussiplus global. Le rapport Lépine mentionnaitdes coûts de personnel qui atteignent81,2% des dépenses totales de

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l’Administration fiscale contre 61,9% enmoyenne dans les administrations fiscalesétrangères étudiées qui fait quel’Administration fiscale en France a pris duretard en informatique qu’elle combleaujourd’hui, un retard dû à la faiblesse deses investissements, son budget étantenglouti dans la rémunération de sonpersonnel.Les coûts de gestion donnés par le rapportLépine classe l’Administration fiscalefrançaise dans les moins efficientes. Lecoût de gestion des administrationsreprésente en France 1,6% contre 1% pourle Royaume-Uni, le Canada, l’Espagne,l’Irlande et seulement 0,5% aux Etats-Uniset en Suède. Les coûts de recouvrementen pourcentage des recettes fiscalesnettes encaissées font, eux aussi,apparaitre l’exception française : les coûtsde recouvrement représentent 0,52% desrecettes fiscales en France, contre 0,27%en Allemagne et en Italie, 0,08% aux Etats-Unis, 0,09% en Suède.

Mais l’exception française ne se situe pasqu’en termes de coût. En terme d’accueilet de prise en compte des préoccupationsdes contribuables, la France est loin

derrière. Le pays qui a fait certainement leplus d’efforts en matière de standards dequalité est le Royaume-Uni allant mêmejusqu’à mettre en place la Charte duContribuable ("taxpayer’s charter"),rédigée au début des années 1990.L’évolution du Royaume-Uni se caractérisepar le fait que les gouvernements anglaisont souhaité faire de leur administration"un service au contribuable", et cettefonction est prise très au sérieux. TonyBlair affirmait en mars 1998 "je souhaiteobtenir une disponibilité des servicespublics 24 heures par jour, 7 jours parsemaine, 52 semaines par an".Il est certain que ce sont des objectifsdifficilement conciliables avec la pauseméridienne ou les 35 heures. La mission2003, qui visait à réformer l’administrationsuite au rapport Lépine, verra-t-elle le jourd’ici quelques mois ? Francis Mer a déjàabandonné l’idée de mettre en place lesystème de retenue à la source qui auraitconduit à des simplifications, et à pouvoirmettre à plat le système de recouvrement.Il est à craindre que les comportementsancrés dans cette administration serontlong à changer.

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