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1/27 Quelles énergies pour les transports au XXI e siècle ? par Pierre-René Bauquis Professeur associé à l'Ecole Nationale Supérieure du Pétrole et des Moteurs (IFP School) Ancien Directeur Stratégie et Planification du Groupe TOTAL Email: [email protected] A James Lovelock. Des dangers de la prospective : "Dangereuse, puante, inconfortable, ridicule assurément, vouée à l'oubli rapide, telle est la voiture automobile qu'en Allemagne MM. Benz et Daimler viennent de présenter au Kaiser Guillaume" (G. Clémenceau, La Justice, 1882, cité par Rougemont). Introduction La révolution industrielle des XIX e et XX e siècles a été marquée par une modification radicale des transports. Le XX e siècle en particulier a vu l'extraordinaire développement de l'automobile et de l'aviation, modes de transport reposant presque exclusivement sur l'utilisation de carburants pétroliers. Il en résulte qu'à l'échelle mondiale, les consommations énergétiques du secteur des transports représentaient en l'an 2000 1,9 Gtep (1,9 milliards de tonnes équivalent pétrole), soit environ 20 % des consommations énergétiques mondiales (9.3 Gtep d'énergies commerciales produites et consommées en l’an 2000). Plus de 95 % des consommations d'énergie du secteur des transports sont assurées par le pétrole, pour environ 1.8 Gtep (sur un total de 3.7 Gtep de production mondiale d’hydrocarbures liquides en 2000). Les transports, dont la consommation de produits pétroliers représentait environ un tiers de la production mondiale de pétrole au moment du premier choc pétrolier (1973) en représentent donc désormais environ la moitié (47 à 51 % selon les sources et les modes de calculs utilisés). A eux seuls, les transports terrestres représentent plus de 75 % des consommations mondiales d’énergie liées au secteur des transports. Lorsqu'on tente d'analyser ce que pourrait être l'avenir des transports au cours du XXI e siècle, et en particulier des transports terrestres, on voit émerger deux questions essentielles : Comment assurer les besoins en énergie de ce secteur face au futur déclin des productions pétrolières, (qu'elles soient dites conventionnelles ou non conventionnelles) ? * L’état actuel de ce problème dit du « pic » de la production mondiale est résumé dans l’illustration n° 1 (voir Nota). * Nota : L’auteur a publié en 1999 un article consacré en partie au sujet du pic puis du déclin de la production pétrolière mondiale, intitulé “Quelles énergies pour le moyen terme (2020) et le long terme (2050) ?”. Cette publicitation se trouve dans la Revue de l’Energie (numéro spécial 50 e anniversaire N° 509 – Septembre 1999). Le présent article est un prolongement des réflexions présentées dans cet article de 1999.

Quelles énergies pour les transports - ASPO France - …aspofrance.viabloga.com/files/facteur4_contrib_bauquis1_1999_1.pdf · Professeur associé à l'Ecole Nationale Supérieure

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Quelles énergies pour les transportsau XXIe siècle ?

par Pierre-René Bauquis

Professeur associé à l'Ecole Nationale Supérieure du Pétrole et des Moteurs (IFP School)Ancien Directeur Stratégie et Planification du Groupe TOTAL

Email: [email protected]

A James Lovelock.

Des dangers de la prospective :

"Dangereuse, puante, inconfortable, ridicule assurément, vouée à l'oubli rapide, telle est lavoiture automobile qu'en Allemagne MM. Benz et Daimler viennent de présenter au KaiserGuillaume" (G. Clémenceau, La Justice, 1882, cité par Rougemont).

Introduction

La révolution industrielle des XIXe et XXe

siècles a été marquée par une modificationradicale des transports. Le XXe siècle enparticulier a vu l'extraordinaire développementde l'automobile et de l'aviation, modes detransport reposant presque exclusivementsur l'utilisation de carburants pétroliers.

Il en résulte qu'à l'échelle mondiale, lesconsommations énergétiques du secteurdes transports représentaient en l'an 20001,9 Gtep (1,9 milliards de tonnes équivalentpétrole), soit environ 20 % desconsommations énergétiques mondiales(9.3 Gtep d'énergies commercialesproduites et consommées en l’an 2000).

Plus de 95 % des consommations d'énergiedu secteur des transports sont assurées parle pétrole, pour environ 1.8 Gtep (sur untotal de 3.7 Gtep de production mondialed’hydrocarbures liquides en 2000). Lestransports, dont la consommation deproduits pétroliers représentait environ untiers de la production mondiale de pétrole aumoment du premier choc pétrolier (1973) enreprésentent donc désormais environ lamoitié (47 à 51 % selon les sources et lesmodes de calculs utilisés).

A eux seuls, les transports terrestresreprésentent plus de 75 % des

consommations mondiales d’énergie liéesau secteur des transports.

Lorsqu'on tente d'analyser ce que pourraitêtre l'avenir des transports au cours du XXIe

siècle, et en particulier des transportsterrestres, on voit émerger deux questionsessentielles :

• Comment assurer les besoins enénergie de ce secteur face au futurdéclin des productions pétrolières,(qu'elles soient dites conventionnellesou non conventionnelles) ?

* L’état actuelde ce problème dit du « pic » de laproduction mondiale est résumé dansl’illustration n° 1 (voir Nota).

* Nota : L’auteur a publié en 1999 unarticle consacré en partie au sujet dupic puis du déclin de la productionpétrolière mondiale, intitulé “Quellesénergies pour le moyen terme (2020)et le long terme (2050) ?”.Cette publicitation se trouve dans laRevue de l’Energie (numéro spécial50e anniversaire N° 509 – Septembre1999).Le présent article est un prolongementdes réflexions présentées dans cetarticle de 1999.

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Illustration n° 1

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1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050

Modèle Hubbert (liq. conv.)Réelle (tout liq.)Réelle (liq. conv.)ASPO (tout liq.)ASPO (liq. conv.)Shell 2000P. R. Bauquis 1999AIE 2002

Gb/aDifférents Scénarii de Prévision de la Production Mondiale de Pétrole

Source : ASPO Uppsala 2002 press release - USGS mean estimates 2000 (Shell) - Auteur* Meilleure adéquation d'une courbe de Hubbert basée sur les estimations actuelles des réserves. PRB/VL

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• Comment assurer une maîtriseprogressive des émissions de gaz à effetde serre, et en particulier du CO2, par lesecteur des transports au cours du XXIe

siècle ?

L'objet du présent article est de répondreessentiellement à la première de cesquestions, mais cette réponse ne peut êtredissociée d’une analyse portant sur laquestion des émissions de gaz à effet deserre.

La question de l’avenir des transportsterrestres présente d’autres aspectsimportants, tel l’aménagement des espacesurbains, le rôle des transports collectifs ou laquestion des accidents automobiles. Cesquestions ne seront pas traitées dans leprésent article. La question des « besoins detransports », sous-jacente à la question desbesoins en énergie pour les transports, est laplus délicate : le danger de la prospective estde tomber dans les ornières de l’utopiesociale ou de l’utopie technologique.

Une multiplicité de congrès, conférences,articles sont consacrés à la question destransports du futur, et en particulier au futur del'automobile. La plupart de ces articles ouconférences se limitent à un horizon de tempsrelativement court, et peu s’intéressent à lapériode postérieure à 2020. Il s'en dégageactuellement un message dominant : lesproblèmes du futur des transports terrestresseraient résolus par un nouveau "couplemagique", celui de l'hydrogène marié aux pilesà combustibles (PAC).

Avant de tenter d'explorer si l'avenir à longterme (2020-2050) et à très long terme (2050-2100) devrait conduire à l'émergencedominatrice de ce nouveau couple magique, ilest bon de se repencher sur le passé pourmieux comprendre pourquoi et comment s'estimposé le "couple magique" actuel destransports terrestres : celui des moteurs àcombustion interne et des carburantspétroliers (essence et diesel).

Un peu d'histoire

Pendant des millénaires, les hommes ontdéveloppé les transports reposant sur la forcemusculaire animale. Ils ont en particulieramélioré simultanément les caractéristiquesdes chevaux et de leurs modes d'attelage aucours des derniers 40 ou 50 siècles.

Dès les premiers balbutiements de la machineà vapeur, le rêve de son utilisation pour lestransports terrestres se fit jour. Ce rêve seconcrétisa dans la première révolution destransports, celle des chemins de fer à vapeur.Cette longue évolution est jalonnée par lamachine de Denis Papin (1698), puis celle deCugnot (1769) suivies de celles de JamesWatt et de Murdoch (toutes deux vers 1780).La suprématie en matière de machines àvapeur revint finalement aux Anglais. C'estprobablement pour cela que les trains roulentà gauche dans la majorité des pays.

Cependant c'est un Français, Amédée Bollée,qui porta à leur apogée les essais detransposition de la traction à vapeur auxvéhicules automobiles. Le 9 octobre 1875, ilrelia Le Mans à Paris avec son "Obéissante"après avoir obtenu le premier "permis decirculer sur route". Malgré ce permis, il récolta75 contraventions sur son chemin, que lePréfet de Police, inconscient du dangereuxprécédent, fera "sauter" deux jours aprèsl'arrivée à Paris de l'"Obéissante".

J'ai cité un peu longuement cette anecdotecar elle illustre le fait que les succès ou lesmodes d'un moment ne sont pas les ressortsdu long terme. Ceux-ci dépendent en fait des"potentiels de performances technico-économiques", concept un peu abstrait, maispoint de passage obligé pour qui veuts'astreindre à une prospective ne reposantpas uniquement sur la boule de cristal ou surles modes du moment (les versionspolitiquement correctes ou médiatiquementséduisantes).

Ainsi, si 1875 marquait à la fois l'apogée et lafin prochaine de l'automobile à vapeur, c'estparce qu'un concurrent très discret venaitd'apparaître. En effet, le 16 janvier 1861,Beau de Rochas déposait le brevet du

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premier moteur à explosion à quatre temps.En même temps, Pierre Michaux mettait aupoint le premier "vélocipède à pédales". Unphilosophe des transports pourrait voir danscette coïncidence plus qu'un hasard, les deuxinventions ayant en commun de transformeren mouvement rotatif continu des pousséesalternatives de haut en bas !

Dans les vingt années qui suivirent,l'automobile telle que nous la connaissons, oupresque, était née. De cette période fasteémergent quelques grands noms auxquels ondoit les premiers véhicules de série : GottliebDaimler et Carl Benz en 1886, Panhard etPeugeot en 1891, Rudolf Diesel en 1897,Louis Renault en 1898…

Mais la suprématie du moteur à explosion nefut pas immédiatement établie. En effet,durant les vingt dernières années du XIXe

siècle, on allait assister à une lutte au coude àcoude entre ces premières "voitures à pétrole"et les voitures électriques.

Il ne faut pas oublier que la première voiture àatteindre les 100 km/heure était électrique (la"Jamais Contente" de Camille Jenatzy àAchères, près de Paris, en 1898). Il ne fautpas oublier non plus qu'à la veille de perdrecette lutte, tout comme la voiture à vapeur en1875, la voiture électrique semblait devoirl'emporter. Au "concours des voitures 2places" organisé en 1898 par le tout jeuneAutomobile Club de France, c'est la voitureélectrique qui domina largement. Ceci nousvaudra un article à méditer du meilleurchroniqueur scientifique de l'époque, H.E.Hospitalier, dans "La Nature" du 9 juillet 1898(ancêtre de la presse écologique). Dans cetarticle il est écrit qu « ’il est désormais acquisque le fiacre à moteur à essence ne sauraitconstituer un système d'exploitation devoitures publiques dans une grande ville ». Làencore, l'événement immédiat occultait lacompréhension des tendances fondamentales.Ce journaliste sembla avoir raison durantquelques brèves années, puisqu'en 1901 une"Krieger" électrique parcourut 307 km (Paris-Châtellerault) sans recharge. Puis, toutcomme les véhicules automobiles à vapeur,les véhicules électriques disparurent ou

presque, ne conservant que quelquesmicroniches dans la vaste arborescenceévolutive des transports terrestres.

Durant le XIXe siècle, ingénieurs et inventeursavaient exploré presque toutes les méthodespossibles de propulsion automobile : lesvéhicules à gaz comprimé (David Gordon1825, Samuel W. Wright 1828), à air souspression (Carl Hoppe 1862) et même àammoniac (Charles Tellier 1867). Le plussurprenant est que le premier brevet demoteur à explosion (dû au Suisse Isaac deRivaz), datant de 1805, est relatif à un moteurfonctionnant à l'hydrogène.

Il convient également de rappeler que lespremiers véhicules hybrides "essence-électricité" furent étudiés de 1901 à 1906 parChamprobert. Ces lointains ancêtres del'actuelle Toyota Prius furent abandonnés àcause de leur complexité et de leur fragilité,mais le concept était bien le mêmequ'aujourd'hui. En effet la "voiture mixte" de 6chevaux conçue par Champrobert était dotéed'un moteur à essence qui maintenait encharge des batteries électriques, et cesbatteries actionnaient une motorisationélectrique qui entraînait les roues. L'objectifétait déjà de permettre au moteur à explosionde fonctionner à un régime continu ou quasicontinu, afin d'en optimiser le rendement.

De cet immense bouillonnement intellectuel ettechnique des origines de l'automobile, nousgarderons en mémoire quatre avancéessymboliques par le fait qu'elles sont, de nosjours, toujours au centre des réflexions quantaux énergies qui propulseront les véhiculesroutiers dans le futur (cf. Illustration n° 2).

Ce rappel historique illustre en effet lesprincipales réponses possibles aux questionsqui se posent pour les automobiles de demainet d'après-demain : quelles énergies, pourquelles motorisations ?

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Quels besoins d'énergies pour lestransports de demain ?

Une tentative de réflexion sur les véhicules dedemain (2020-2050) et d'après-demain (2050-2100) repose sur diverses approchespossibles : faut-il partir des technologies,c'est-à-dire de ce que nous savons pouvoirréaliser aujourd'hui et de ce que nouspouvons espérer mettre au point demaincomme solutions "économiquementacceptables" ? Faut-il partir des ressourcesénergétiques à notre disposition aujourd'hui etdemain ? Faut-il partir des contraintesenvironnementales (locales comme globales)et de leur poids toujours croissant ?

En fait la prospective oblige à une approchecombinant ces trois aspects fondamentaux,afin d'essayer de dégager une ou plusieursvisions plausibles.

Mais auparavant, nous rappellerons ce quesont aujourd’hui les automobiles, leurs parcsactuels et leurs grandes caractéristiquesd'utilisation, caractéristiques dont résultentleurs besoins énergétiques.

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L ’automobile d’hier et de demain :

quelques dates clés

Hydrogène Charbon Electricité Biocarburants

1805 1892 1899 1903

Le premier moteur à explosion

fonctionnait à l ’hydrogène:

Isaac de Rivaz(Suisse)

Le premier moteurDiesel fonctionnait

au charbon pulvérisé

Brevet de RudolfDiesel

(Allemand)

La premièrevoiture à dépasserles 100 km/h était

électrique la « jamais contente »de Camille Jenatzy

(Français)

Le record mondial de vitesse est obtenu

par une Gobron-Brillié à éthanol agricole

(177 km/h)(Français)

Les technologies automobiles du futur ont presque toutes une longue histoire...

Illustration n° 2

Le secteur des transports en l'an 2000

(*) Valeurs arrondies(pour des valeurs précises et détaillées, on se rapporteraau World Energy Outlook 2000 de l'AIE).

MTEP % MTEP %

Transports routiers 1 500 80 40 76

Transports aériens 200 10 6 12

Transports maritimes 100 5 3 6

Transports autres 100 5 3 6

1 900 100 52 100

Consommation énergétique totale

Transports en % du total

Le secteur des transportsdans le monde (*)

Le secteur des transportsen France (*)

9 300 200

20% 25%

Illustration n° 3

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L'illustration n° 3 montre que la Francepossède une structure des consommationsénergétiques en matière de transportssimilaire à la structure mondiale.

Si l’on veut porter un regard prospectif sur lelong terme (2050) et le très long terme(2100) des transports, un second élémentde "cadrage" apparaît nécessaire : c’estcelui des hypothèses retenues en matièrede population, de consommationsénergétiques globales et de développementéconomique à ces mêmes horizons. Ceséléments sont résumés dans l’illustrationn° 4. Pour le passé, les données sont lesstatistiques AIE ou OCDE arrondies auxchiffres significatifs ; pour le futur, ce sontcelles de l'auteur. Ces données de cadragefont ressortir deux grands phénomènes quidevraient marquer le XXIe siècle :

§ Le très fort ralentissement de lacroissance démographique mondiale.Certains auteurs prévoient même unedécroissance de la population mondialeaprès 2050.

§ Le relatif ralentissement de lacroissance économique mais surtout la"dématérialisation" de celle-ci et la fortebaisse de son "énergivoracité", c’est-à-dire du montant des quantitésd’énergies consommées par quantitésde richesses ou d’unités de PNBmondial.

On pourrait naturellement discuter à l'infinices grandes hypothèses et balayer demultiples scénarios, mais au prix d'unpaysage obscurci ou même illisible en cequi concerne l'avenir du secteur destransports. L'avantage d'une vision centralesimpliste mais unique, aussi discutable soit-elle – à condition de n'être pas absurde –est de pouvoir être utilisée pour tenterd'analyser le futur. Ce cadrage de ladémographie, de l'énergie et de l'économieaux horizons 2050 et 2100 permet d'établirune vision globale des besoins énergétiquesdu secteur des transports, résumée dansl'illustration n° 5 :

§ Nous avons tout d'abord supposé queles transports terrestres restentdominants en matière de besoinsénergétiques tout au long du XXIe

siècle, représentant les trois quarts dutotal en 2100… tout comme aujourd'hui.Ceci reflète le maintien de l'appétit demobilité individuelle couplé à lacroissance économique des paysémergents ou "non OCDE".

§ Nous avons par ailleurs supposé unralentissement des croissances desconsommations. Ceci résulte de troisphénomènes étroitement liés : leprogrès technique, l'interventionsupposée croissante des législateurs etdes régulateurs dans les performanceset les utilisations des véhicules, etl'accroissement des coûts descarburants pétroliers lié au déclin de laproduction pétrolière mondiale à partirde 2020 environ (ou 2030-2040 si defortes hausses de prix préalables au picde la production pétrolière mondialevenaient à repousser et à étaler ce pic).

Nous allons, dans le prochain paragraphe,essayer de montrer que les chiffres retenussont compatibles avec certaines hypothèsesd’évolution des parcs automobiles (VP –voitures particulières – et VU – véhiculesutilitaires) mondiaux et des consommationsunitaires, prévues en forte diminution.

§ Rappelons enfin que notre vision dulong terme des productions pétrolières(voir illustration n° 1) est celle d'undébut de déclin vers 2020, ou plutôtlorsque productions cumulées aurontatteint 1500 Gbbl (contre 800 milliardsde barils cumulés en 2000). Dans unetelle vision, la question centrale seracelle des sources d'énergies capablesd'assurer les 3.4 Gtep en 2050 et lesquelques 4 Gtep vers 2100 nécessairesaux besoins du secteur des transports,tels que nous les avons imaginés à ceshorizons (voir illustration n° 5).

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Démographie, Economie et Energie:1960 2100

1960 1980 2000 2020 2050 2100

§ Population Mondiale Ghab

§ PIB Mondial (Base PPA) 1012 $1990

§ Consommation d’énergiescommerciales (Gtep)

§ PNB/Tête (en $/90)

§ Energie/Tête (en Tep/hab)

3.0

8.0

3.8

2670

1.3

4.5

20

6.4

4.440

1.4

6.0

35

9.5

5830

1.6

7.5

70

14.0

9.330

1.9

8.0

150

18.0

18.750

2.3

10.0

300

23.0

30 000

2.3

Nombre de TEP consomméespar 1000 $ 1990 de PIB mondial 0.47 0.32 0.27 0.20 0.12 0.08

Nombre de $ 1990 de PIBmondial pour chaque Tepconsommée.

2100 3125 3680 5.000 8330 10.000

Passé: Statistiques « valeurs arrondies » Futur: Estimations de l ’auteur

Illustration n° 4

Les consommations énergétiquesdu secteur des transports

1980 2100

Sources : AIE Auteur

C o n s o m m a t i o n s

m o n d i a l e s

e n m i l l i a r d s d e T e p

T r a n s p o r t s t e r r e s t r e s 2 . 5 2 . 0

T r a n s p o r t s a é r i e n s 0 . 5 0 . 4

T r a n s p o r t s m a r i t i m e s 0 . 1 0 . 2

T r a n s p o r t s a u t r e s 0 . 1 0 . 1

T O T A L 3 . 2 2 . 7

2 1 0 0

0 . 9 1 . 5 2 . 5 3 . 0

1 9 8 0 2 0 0 0 2 0 2 0 2 0 5 0

0 . 1

1 . 2

0 . 2

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1 . 9

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0 . 1

0 . 5

0 . 2

0 . 2

3 . 4

0 . 6

0 . 3

0 . 2

4 . 1

Illustration n° 5

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L’hypothèse économique sous-jacente estcelle d’un important changement du niveaudes prix de l’ensemble des énergies, lié à laquestion du pic, puis du déclin de laproduction pétrolière mondiale. Le pétrolejoue en effet depuis plus de cinquante ansle rôle de prix directeur de l’ensemble desénergies, et son prix a été multiplié en grospar quatre en termes réels depuis lesannées 1970, du fait des chocs pétroliers de1973 à 1979, malgré le ou les contre-chocs(prix 1998-2003 de 25$ par baril comparés àceux de 1968-1972 de 6$ par baril enmonnaie réelle, c’est-à-dire en dollarsconstants de l’année 2000). Cette premièreet forte hausse en termes réels a cassé lerythme de la croissance de la demandepétrolière (en gros de 6 % par an entre 1950et 1973 à 1,5 % par an depuis : voirillustration n° 1). Un second choc seranécessaire, quelque part entre aujourd’huiet 2020, amenant à s’adapter à l’arrêt detoute croissance de la productiond’hydrocarbures liquides naturels. Ce chocaura plusieurs conséquences :

1. Il permettra de développer à grandeéchelle les économies de consommationd’énergies sous toutes leurs formes.

2. Il permettra de développer au maximumde leur potentiel les énergiesrenouvelables.

3. il permettra une forte réduction desconsommations unitaire des automobiles

4. il stimulera la production à grandeéchelle d’hydrocarbures liquides desynthèse.

5. il stimulera la production d’hydrogène àdes coûts compétitifs à partir dunucléaire ou des énergies renouvelables,

6. Et il stimulera enfin un redémarrage àgrande échelle de l’énergie nucléaire auplan mondial, avec de nouvelles filières(voir génération IV à partir de 2020environ.

L’ampleur du choc nécessaire tellequ’estimée par l’auteur est du même ordred’importance que celle du choc des années1970, c’est-à-dire de l’ordre d’un nouveau

quadruplement du prix du brut (passaged’une époque 1998-2003 à 25$/bbl à uneépoque 2015-2025 à 100$/bbl en dollarsconstants 2000).

La façon dont ce second choc pourraitsurvenir n’a pas grande importance. Pourprendre une image géologique, on pourraitdire que nous sommes en face d’unproblème de tectonique : les évolutions àvenir doivent faire cesser l’accumulation descontraintes. En tectonique, ceci peut se fairepar un décrochement brutal d’une faillemajeure ou par le jeu de failles multiples defaibles rejets individuels. De même lerééquilibrage de l’ensemble du systèmeénergétique mondial peut se faire par unévénement brutal sur le prix du pétrole brutcomme en 1973 (même si celui-ci fut suivide diverses secousses secondaires), ou parune série d’ajustements successifs.

Une fois ce rééquilibrage réalisé, on peuts’interroger quant au relais du rôle joué parle pétrole en matière de prix directeur del’ensemble des autres énergies. Nouspensons que ce sera le pétrole qui jouera cerôle, pendant longtemps encore, mais lui-même verra son prix très fortement lié auxcoûts des diverses formes d’hydrocarburesliquides de synthèse, qui joueront donc dansle système un rôle de « prix directeursinvisibles ».

Dans ce nouveau contexte, une régulationpolitique des prix (par l’OPEC ou d’autresacteurs) ne sera plus nécessaire.

Cette nouvelle situation ne sera pasdépourvue de risques. Par exemple, en cequi concerne les biocarburants, lesnouveaux niveaux de prix des énergiesrisquent de rendre la « concurrence pour lesterres arables et pour l’eau » impitoyable,acculant certaines régions à sacrifier leursproductions de ressources vivrières. Demême, cette évolution des prix engendrera

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des tentations de « fuite en avant » enmatière de biotechnologies, OGM ou autre,pour accroître les rendements desproductions de biomasses à finalitéénergétique.

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Energie et Transports 2000 2100

Source : Passé : Statistiques AIE arroundies - Futur : Estimations de l'auteur

Energ ie Monde (en Gtep) 2 0 0 0 2 0 2 0 2 0 5 0 2 1 0 0

Dont :

Pétrole 3 .7 5 .0 3 .5 1 .5

G a z 2 .1 4 .0 4 .5 2 .0

Charbon 2 .2 3 .0 4 .5 4 .5

Nucléaire 0 .6 1 .0 4 .0 12 .0

Renouvelables 0 .7 1 .0 1 .5 3 .0

Consommation totale d'énergie 9 .5 14 .0 18 .0 23 .0

(Gtep)

Dont :

Energies consommées pour les

t ranspor ts - G tep 1 .9 2 .7 3 .4 4 .1

Pourcentage des consommations

énergét iques assurant les 20% 19% 19% 18%

besoins des transports

Illustration n° 6

Nota : la quasi constance et même le léger déclin de la part de l’énergie mondiale consommée par lesecteur des transports (20 % en 2000 versus 18 % en 2100) est contraire à certaines prévisions quivoient la part des transports augmenter fortement (jusqu’à 50 % et plus !).

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Le parc automobile mondial2000 2100

Source pour les prévisions : auteur

Parc automobile mondial 2000 2020 2050 2100

(m i l l i e r s de véh i cu les )

V P 5 0 0 9 0 0 1 2 0 0 2 0 0 0

V U 3 5 0 4 0 0 5 0 0 7 0 0

TOTAL 850 1 3 0 0 1 7 0 0 2 7 0 0

V P p a r t O C D E 7 5 % 6 6 % 5 0 % 3 3 %

V U p a r t O C D E 5 0 % 4 5 % 4 0 % 3 0 %

Illustration n° 7

* Dans ce tableau on suppose la « géographie » de l’OCDE figée dans sa configuration en l’an 2000.

Ce tableau n’est pas le résultat d’une étude (qui devrait incorporer l’évolution des modes detransports collectifs, de l’urbanisation, des kilométrages annuels parcourus, etc.). Il n’est qu’uneestimation fournie pour permettre de vérifier une cohérence d’ensemble des chiffres avancés parl’auteur en matière de consommations d’énergies du secteur des transports.

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Bilans énergétiques des transports routiers: valeursdes consommations relatives 2000 2050

2000 VP+VU

2050 VP+VU àpuissances moyennes inchangées

2050 VP+VU àpuissances moyennes

abaissées de 50% (*)1 2 3

100 75 50Consommation unitaire moyenne

Base

Pétrole Autres Pétrole PétroleAutres Autres

98 2 50 25 30 20GNV 1.0Electricité 0.5Biomasse 0.5

GNV 3Electricité 20Biomasse 2

GNV 2.5Electricité 15Biomasse 2.5

(*) L ’écart moyen actuel des puissances entre les versions les plus motorisées et les moins motorisés des mêmes modèles est de l ’ordre de 100%. Ces écarts se traduisentpar des différences entre les moyennes de consommations de l’ordre de 30%.

Illustration n° 8

Ecarts de puissance pour un même modèleautomobile (Août 2002)

Un écart moyen de puissances du simple au double pour les mêmes modèles.Un écart moyen de puissances du simple au double pour les mêmes modèles.Des écarts de consommation de l ’ordre de 30%.Des écarts de consommation de l ’ordre de 30%.

Modèle le Modèle lemoins puissant plus puissant

Renault Clio 60 CV 172 CV Vel Satis 165 CV 245 CV

PSA Peugeot 206 60 CV 137 CV Peugeot 307 75 CV 138 CV Peugeot 607 160 CV 210 CV

Citroën Citroën C3 60 CV 110 CV Citroën Xsara 75 CV 167 CV Citroën C5 117 CV 210 CV

Ford Fiesta 68 CV 100 CV Focus 75 CV 170 CV

Volkswagen PoloPPolo

55 CV 100 CV Lupo 60 CV 125 CV Golf 75 CV 204 CV

Honda Civic 90 CV 200 CV

Fiat Punto 90 CV 130 CV

Toyota Corolla 97 CV 192 CV

Illustration n° 9

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Quelles sources d’énergies pour lestransports en 2050 et 2100 ?

Les contraintes physiques sur lesressources en hydrocarbures liquides etgazeux et les contraintes d'émissions degaz à effet de serre, tant pour leshydrocarbures que pour le charbon,paraissent conduire à une forte réduction durôle relatif des énergies fossiles au planmondial au cours du XXIe siècle.L'illustration n° 6 résume ce second"cadrage" dans lequel doit s'inscrire notreréflexion sur la problématique à long termede la satisfaction en énergie des besoins detransports.

Une question s’impose lorsque l'onconsidère la fin du XXIe siècle : la productionpétrolière mondiale serait, selon nous, del'ordre de 1,5 Gtep par an à l’horizon 2100,alors que les seuls transports nécessiterontenviron 4 Gtep d'énergie. Il ne peut doncêtre question d'une simple continuité dessources d'énergies actuelles, avec enparticulier l’ensemble du secteur destransports reposant à plus de 95 % sur lepétrole. Il n'y a aucun problème à extrapolerjusqu'en 2020 les modes de transportsactuels et les consommations d'énergies quileur sont liées. Mais dès avant 2050 on voitse dessiner un basculement : à cette date,on disposerait d'une production pétrolièremondiale de 3.5 Gtep (du même ordre degrandeur que la production actuelle) alorsque les seuls transports en demanderaientpresque autant. Il est clair que le pétrole nepeut être réservé à 100 % de sa productionaux seuls transports : Du fait de sa valeuréconomique en tant que matière première(pétrochimie, solvants, cires et paraffines,bitumes, etc..), ou en tant que sourced’énergie calorifique pour lesconsommateurs isolés (usines, plantations,habitations, etc…) le secteur des transportsne devrait pouvoir compter au mieux quesur environ 60 % de la production totale àl'horizon 2050, soient quelques 2.5 Gtep etun pourcentage logiquement moindre audelà. Nous supposerons, ce qui estprobablement optimiste, que les

hydrocarbures naturels pourraient encorefournir 1 Gtep d’énergie au secteur destransports à l’horizon 2100. Déjà en 2050,un "déficit" de 1 Gtep pour le secteur destransports serait donc à combler pard'autres sources d'énergies, sachant quenous avons déjà intégré dans nos prévisionsun fort impact du progrès technique et deslégislations visant aux réductions desconsommations des véhicules. Cet impactreprésente dans nos hypothèses unediminution de 50 % des consommationsunitaires moyennes sur les parcs VP + VUentre 2000 et 2050. (voir illlustrations n° 7, 8et 9).

Le problème est donc, en gros, de savoirquelles énergies pourraient fournir ausecteur des transports les 1 Gtepmanquants en 2050 et les 3 Gtepmanquants en 2100 que les productionsd'hydrocarbures liquides naturels nepourraient pas satisfaire.

Il existe deux types possibles de réponses àcette question, qui d’ailleurs pourraient secombiner.

La première réponse possible est laproduction d'hydrocarbures de synthèse (oucomposés chimiques carburants équivalents: alcools, esters, etc..) pour suppléer lesdéficits. La seconde réponse possible estl'introduction massive de nouvelles sourcesou vecteurs d'énergie dans le secteur destransports, l'hydrogène et l'électricité faisanta priori figure de favoris … Rappelons queleur utilisation dans le domaine destransports terrestres a été envisagée (pourl'hydrogène) ou mise en œuvre (pourl'électricité) depuis plus d'un siècle (voirillustration n° 2).

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§§ Les hydrocarbures de synthèse

Ceux-ci se rangent en trois familles, dontdeux ont déjà une longue histoire : ceuxproduits à partir de biomasse (éthanol,méthanol, huiles végétales, EMC, ETBE,etc..) et ceux produits à partir d'autresénergies fossiles, filières GTL (gas toliquids) ou CTL (coal to liquids), variantes duprocédé Fischer Tropsch ou parl’hydrogénation directe (variantes duprocédé Bergius). Ces deux premièresfamilles de procédés sont bien connues etleur potentiel régulièrement réévalué.Cependant, tant les carburants ex-biomasseque ceux obtenus par synthèse FischerTropsch semblent devoir connaître deslimitations quant à leur potentiel quantitatif.Compte tenu des ordres de grandeur encause, ces hydrocarbures synthétiques quenous savons déjà produire nouspermettraient peut-être de résoudre laquestion posée jusque vers 2050, mais trèsprobablement pas à un horizon plus lointain.En revanche, nous n’évoquerons pas lesrecherches portant sur des filières deproduction d’hydrocarbures liquidessynthétiques par des voies plus exotiques,dont les probabilités de succès au planéconomique restent actuellement trèsfaibles (polymérisation ou « homologation »du méthane, bioprocédés à partir decultures de divers unicellulaires ou autres).Nous n’évoquerons qu’une seule filière« exotique » car elle nous semble avoir unréel potentiel : celle de la productiond’hydrocarbures à partir d’hydrogène produitsoit à partir d’énergies renouvelables, soitplus probablement à partir d’énergienucléaire. C’est ce que l’on pourrait appelerla « carbonisation de l’hydrogène ».

Les limitations sont de nature différente pourles biocarburants et pour les carburantsFischer Tropsch. Pour les biocarburants,c'est une question de coût croissant avecles besoins d’une part, et d’autre part, debesoins croissants en terres arables et eneau (cette dernière étant elle-même produiteà l'avenir avec un contenu énergétiquecroissant : pompages de plus en plus

profonds, dessalement à grande échelle,etc.).

Rappelons que le rendement net desbiocarburants est au mieux de l’ordre de1 tep/ha/an, qu’il s’agisse des filières alcoolsou des filières oléagineux… etprobablement du même ordre demain pourles futures filières ligno-cellulosiques. La« concurrence pour la terre » limitera doncle développement des biocarburants àenviron 10 % de nos besoins sur 2050 –2100, utilisant quelques 15 % des terresarables ou forestières. Même une"révolution OGM" ne semble pas pouvoirfaire sauter ces verrous limitatifs, permettantseulement d'en reculer les niveaux et doncles dates d'apparition.

Pour les carburants ex-synthèse FischerTropsch, les limitations sont aussiéconomiques, mais liées au coût futur,logiquement croissant, d’une part desémissions de CO2, et d’autre part des coûtségalement croissants de leurs matièrespremières (gaz ou charbon). Ces procédéssont, en effet, et resteront "énergivoraces".Cette contrainte ne sera peut-être pasencore majeure en 2020 mais le deviendraau-delà, bien avant 2050, dateapproximative à laquelle, par contrainte surles ressources, il faudrait passer du GTL auCTL. Le recours massif au GTL ou au CTLpour produire des carburants de synthèsesupposerait que nous ayons su résoudre àun coût raisonnable la question de laséquestration du CO2 émis dans les usinesde production de ces carburants.

Nous avions dit qu'il y avait trois famillespossibles d'hydrocarbures de synthèse, enayant seulement évoqué la troisième, qu’onpourrait appeler « l'hydrogène carboné ». Ils’agirait de produire de l'hydrogène à partird'énergies renouvelables ou nucléaires, etde le "carboner" à la source afin d'évitertoute la coûteuse logistique du transportmassif de l'hydrogène, de sa distribution etde son stockage à bord des véhicules.

Ce concept de la "carbonisation del’hydrogène" ne semble pas avoir été

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réellement exploré au cours du dernierdemi-siècle, mais il est théoriquementséduisant. On peut mettre en œuvre ceconcept par une voie analogue au FischerTropsch : on produirait de l’oxyde decarbone (par oxydation partielle de charbonou de biomasses), qu’on combinerait avecde l’hydrogène très probablement d’origine« nucléaire ». On peut penser qu’il existerades mises en œuvre plus efficaces au planéconomique, par hydrogénation directe desubstances carbonées (successeurs desprocédés Bergius développés en Allemagneen parallèle du procédé Fischer Tropschdans le contexte de préparation à laseconde guerre mondiale).

Naturellement, l’idéal serait de pouvoirutiliser du CO2 comme source de carbone,combinant alors séquestration du CO2 etcarbonisation de l’hydrogène.

Au total si les carburants de synthèse"classiques" ou nouveaux, commel’hydrogène carboné, venaient à buter surdes limitations technico-économiques, ilnous reste à évoquer les grands challengerspossibles que sont l'hydrogène d'une part etl'électricité d'autre part.

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§§ L'hydrogène

Une vaste littérature nous rappelle depuis1875 (Jules Vernes, l’Île mystérieuse) quel'hydrogène est le carburant de demain, caril est inépuisable et idéalement proprepuisque sa combustion ne produit que del'eau.

Combien d'articles, de livres, de séminairessur ce thème : un article des années 1930mettait les Français en garde contre lafuture armée allemande qui serait dotée decamions à hydrogène ! Les publicitésactuelles de certains groupes industriels depremier plan n'hésitent pas à affirmer unavenir radieux au plus léger des atomesdans le secteur des transports.

Une première constatation s'impose lorsquel'on parcourt la littérature relative àl'hydrogène : la relative discrétion quant à saproduction, qui est le vrai problème, au profitde longs développements sur son stockageet son utilisation dans les moteurs, turbines,ou piles à combustibles. Cesdéveloppements soulignent le caractèrepropre des véhicules à hydrogène,n’émettant localement que de l’eau, maisnégligeant généralement les aspectséconomiques et les émissions de CO2, enamont des cycles hydrogène.

L'hydrogène n'est pas en effet une sourced'énergie mais un vecteur énergétique, etpour le produire, il faut d'abord utiliserd'autres énergies. Après avoir été produitpar électrolyse au début du siècle,l'hydrogène est actuellement produit à 98 %à partir d'hydrocarbures ou de charbon,avec un coût de production allant de deux àcinq fois celui des hydrocarbures utiliséspour le produire. Ce rapport est de l'ordre dedeux lorsqu'on part d'hydrocarbures "chers"– reformage de gaz naturel ou de naphta enEurope par exemple – et de l'ordre de cinqlorsqu'on part d'hydrocarbures "bon marché"– gaz naturel dans un pays producteurexportateur ou résidu lourd de raffineriealimentant une unité d’oxydation partielle(Pox) en Europe ou aux USA –. Ceci estillustré par les schémas 10 et 11. Si laraison pour recourir à l'hydrogène dans les

transports est la raréfaction deshydrocarbures et l'accroissement corrélatifde leur coût, cette méthode d'obtention nepeut donc apporter une réponse durable auproblème posé. De même le recours aucharbon pour produire massivement del’hydrogène sera en fait limité par les coûtsqui seront liés à l’émission du CO2 ou à saségrégation.

Restent les autres méthodes possibles deproduction d’hydrogène. Si théoriquement laproduction d’hydrogène par des procédésbiologiques (bactéries, algues) est possible,on est actuellement loin de disposer deprocédés potentiellement économiques.L’écart actuel varie d’un facteur 100 à 1000selon les études ou les procédés envisagés.En revanche, la production d’hydrogène parélectrolyse (comme au début du XXe siècle)ou par la décomposition thermique de l'eauvia des cycles thermochimiques plus oumoins complexes, est moins éloignée duseuil économique.

Ainsi, en Europe ou aux USA actuellement,avec du courant électrique à 20 ou25 €/MWH, le coût de l’hydrogène obtenu àgrande échelle par électrolyse serait dedeux à trois fois celui de la productiond’hydrogène par reformage ou oxydationpartielle. Si on envisageait un recoursmassif aux voies électrolyse ou cyclesthermochimiques, cela revient à dire que,pour produire massivement de l'hydrogène,il nous faudra disposer massivementd'électricité ou de calories bon marché nonémettrices de CO2. Sauf percéesinattendues du côté des énergiesrenouvelables, c'est donc le nucléaire quidevrait fournir l'hydrogène nécessaire à longterme pour assurer les transports de demain(de même que l'hydrogène qui seraitéventuellement utilisé directement commevecteur énergétique).

Supposons ce problème clef de laproduction de l'hydrogène résolu. Il convientalors de s’interroger si cet hydrogèneconstitue un bon ou un mauvais vecteurénergétique pour assurer la fonctiontransports. Voici notre réponse. Dans notre

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hypothèse économique – quadruplement duprix des hydrocarbures – l’hydrogènenucléaire devient compétitif. Mais pourproduire l’hydrogène à partir du nucléaire, ilfaudra développer des réacteurs adaptés àcette fonction : probablement des réacteursHTR ou autres filières étudiées dans lecadre de la génération IV, combinant bonsrendements énergétiques et utilisationefficace des combustibles fissile.

Cependant l'hydrogène est et restera un trèsmauvais vecteur énergétique en matière detransports terrestres. Il pourrait par contreêtre intéressant en matière de transportsaériens : cette question sera évoquée plusloin. Ces deux affirmations reposent sur uneanalyse des fondamentaux technico-économiques de l'hydrogène, dont lacaractéristique principale est de présenterune très bonne compacité énergétique parunité de masse, mais une très médiocrecompacité énergétique par unité de volume,quelle que soit la forme sous laquelle onassurerait son transport et son stockage.

Pour illustrer la médiocrité de la compacitéénergétique volumique de l'hydrogène,seule déterminante pour les transportsterrestres, quelques chiffres suffisent. Letransport de l'hydrogène par canalisationcoûte et coûtera à l'avenir environ deux foisplus cher que celui du gaz naturel, qui lui-même coûte environ cinq fois plus cher entermes de logistique que celui deshydrocarbures liquides. Il s'agit là decaractéristiques intrinsèques et lathermodynamique ne se modifie pas par leprogrès technique. On peut donc dire dèsaujourd'hui qu'en 2050 comme en 2100 unelogistique hydrogène par canalisations,massives ou capillaires, coûtera environ dixfois plus cher par unité d'énergie transportéequ'une logistique d'hydrocarbures liquides.Ce facteur dix est d’ailleurs un minimumcalculé à partir des seules capacitésénergétiques des canalisations detransports en oubliant tous les autresfacteurs de "surcoûts" liés à la logistiquehydrogène : problèmes spécifiques desécurité et difficulté de le transporter

massivement à terre autrement que souspression dans des canalisations.

Par ailleurs la mise à bord et le stockage del’hydrogène dans un véhicule coûtent del’ordre de cent fois plus cher que ceux d’uncarburant classique, essence, gas-oil oukérosène. Et ceci très probablement resteravrai quels que soient les modes de stockageretenus pour l'hydrogène : réservoirs à trèshaute pression (400 bars ou même 800bars), hydrogène liquide cryogénique (à –253°C), hydrogène chimiquement combiné(hydrures) ou adsorbé (nanotubes decarbone par exemple). Dans tous les cas,sauf celui de l’hydrogène liquéfiécryogénique, la difficulté technico-économique est liée à la faible massed’hydrogène stocké par rapport à la massedu réservoir nécessaire. Par exemple dansle cas de l'hydrogène sous pression, lamasse de l'hydrogène stocké dans celui-cin'est que de l'ordre de 2 ou 3 % de la massedu réservoir dans le cas de réservoirsmétalliques, bien qu’elle puisse atteindre ladizaine de pourcents dans le cas deréservoirs composites à 350 ou 700 bars.

De même, dans le cas des hydrures, il nesemble pas que la masse d’hydrogèneutilisable puisse dépasser en pratique 2 % à3 % de la masse constituée par le réservoiravec ses hydrures.

Sa bonne efficacité énergétique expriméeen termes de contenu énergétique par unitéde masse se voit en fait totalementneutralisée par le fait que l’hydrogène nonliquéfié nécessite un contenant, quelle qu’ensoit la forme, dont la masse est de l’ordre devingt fois celle de l’hydrogène contenu (voirillustration n° 12)

En ce qui concerne la solution del’hydrogène liquéfié cryogénique, leslimitations sont plus liées au volume duréservoir qu’à sa masse. Elles sontégalement liées au nécessaire « boil off »(évaporation du liquide cryogéniquenécessaire pour produire les frigoriespermettant de la maintenir à températureconstante) et à l’importante consommationd’énergie nécessaire à la liquéfaction de

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l’hydrogène (de l’ordre de 25 à 30 % de lacharge).

Une émission d’hydrogène, même faible,n’est évidemment pas tolérable pour desvoitures particulières, qui doivent pouvoirêtre laissées dans des garages ou parkingspour des durées indéterminées.

L'annonce, par un constructeur automobile,au Congrès Mondial du Pétrole de Rio deJaneiro en septembre 2002, de la mise aupoint d'un réservoir cryogénique embarquésur automobile avec "zéro boil off"constituerait une percée majeure. Onconçoit cependant mal sur quels principesphysiques un « zéro boil off » véritablepourrait reposer.

Au total, l’hydrogène apparaît donc biencomme un très médiocre vecteurénergétique en terme de coûts, aux troisstades essentiels de sa mise en œuvre : saproduction, sa logistique tant massive quecapillaire, et son stockage à bord desvéhicules.

La bonne efficacité énergétique de sonutilisation dans des piles à combustibles,même si celles-ci étaient bon marché, nesemble pas pouvoir compenser ceshandicaps économiques majeurs. Le faitqu’il puisse exister dans le monde dessituations exceptionnelles (le cas del’Islande) où les circonstances localespourraient justifier au plan économique lerecours au vecteur hydrogène ne permettentpas d’infirmer ces conclusions.

Il résulte de ces caractéristiques technico-économiques que l'hydrogène mis à borddes véhicules a fort peu de chances des'imposer en matière de transportsterrestres et devrait rester cantonné àquelques niches restreintes (par exempleflottes urbaines de transports en commun àhydrogène liquide ou à haute pression). Cesniches seraient en gros les mêmes quecelles des véhicules "tout électrique" àaccumulateurs. Malgré la quarantaine de« stations service » à hydrogène en activitéou en projet fermes existant actuellement(2003), rien ne permet de présager la

victoire à long terme de l’hydrogène, mêmeà l’intérieur de ces niches d’utilisation.

Par contre, en ce qui concerne lestransports aériens, l'hydrogène pourrait unjour bénéficier de son atout de fort contenuénergétique massique : quasi-sans intérêt àterre, cette caractéristique pourrait devenirintéressante pour le transport aérien à trèslong terme, disons après 2050. Cette idéen'est pas neuve et a déjà donné lieu ànombre de projets et même d'essais(Bombardier B57 modifié en 1957, Tupolev154 modifié rebaptisé 155 en 1988, etc..).

Pour des avions, le problème del'encombrement volumique demanderait deconsacrer 20 ou 30 % du volume dufuselage aux réservoirs d'hydrogènecryogénique, ce qui ne devrait pasconstituer un handicap insurmontable.

En fait, la question de l’utilisation éventuellede l’hydrogène (sous sa seule versionliquéfiée par cryogénie) dans l’aviationmériterait une étude spécifique : nous avonsvu que la question du « boil off » excluaitune pénétration massive de l’hydrogèneliquéfié dans les transports terrestres, alorsque ce n’est pas un obstacle majeur pourles transports aériens par gros porteurs. Parailleurs, le gain de poids a une grandevaleur économique pour les transportsaériens mais pas pour les transportsterrestres. Au total, un bilan H2 liquéfiéversus carburants de synthèse reste à fairepour l’aviation, mais l’hydrogène devrait ymontrer des avantages nettement plusmarqués pour l’aviation que pour lestransports terrestres. Ceci n’exclutcependant pas que d’autres facteurs,comme l’émission d’oxydes d’azote par lesturbines à hydrogène, pourraient venirentraver le développement pratique de ceconcept.

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Illustration n° 12

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§§ L'électricité

Là aussi, comme pour l'hydrogène,l'obstacle depuis plus d'un siècle reste lemême : comment stocker une grandequantité d'électricité dans un véhicule (voirillustration n° 12) et le temps nécessaire àsa « mise en stock ».

On notera ainsi qu’en 70 ans le poids desaccumulateurs au plomb par KwH stocké,utilisés dans les bennes à ordures SITA n’apratiquement pas changé : les progrès ontporté sur leur temps de recharge (divisé pardeux), leur durée de vie (doublée) et leurcompacité volumique (presque doublée).

L’illustration n° 12 permet de comparer lesperformances des différents types d’énergieen matière de stockage à bord desvéhicules automobiles : la suprématie deshydrocarbures liquides y apparaît de façonéclatante.

Nous ne réalisons pas en faisant le plein duréservoir de notre voiture qu'elle fonctionneà l'essence ou au gas-oil que nousremplissons celui-ci au rythme de 100 à 200km d'autonomie par minute, alors qu'unvéhicule électrique ne recharge sesbatteries qu'au rythme d'1 ou 2 kmd'autonomie par minute de charge. Maissurtout le réservoir d'une automobilemoyenne assure une autonomie de plus de500 km (on va vers les 1000 km), tandis queles batteries de la même automobilemoyenne lui assurent une autonomie réelled'une centaine de kilomètres, soit à peinemieux qu'il y a un siècle, pour des véhiculesde poids comparables.

L’histoire des accumulateurs électriques estcelle de progrès très lents tout au long duXXe siècle. De plus, ces progrès passent parle recours à l’utilisation de métaux chers(cadmium, lithium), et polluants, si on necollecte pas soigneusement les batteries.Ceci ne peut permettre un développementmassif à l’échelle des marchésautomobiles : la technologie de productiondes batteries au lithium et de leurchargement est presque aussi sophistiquéeque celles de la fabrication et de la mise enœuvre des piles à combustibles.

Sauf rupture technologique brutale etinattendue, les véhicules "tout électrique"resteront donc eux aussi limités à quelquesniches : véhicules utilitaires urbains tels quebennes à ordures ménagères, mini-véhicules de loisirs (terrains de golf) ouutilitaires (tracteurs dans les gares), etc.…et quelques flottes captives à court rayond'action, par exemple. Ces niches étant plusou moins les mêmes que celles del'hydrogène, liquide ou sous pression, lacompétition entre les deux nous dira quil'emportera pour ces applications trèsspécifiques.

Cette conclusion pessimiste quant au rôlefutur des véhicules électriques doitcependant laisser place à une évolutionrécente mais qui pourrait jouer un rôlemajeur à l'avenir : l'avènement desvéhicules hybrides. L'idée, nous l'avons vu,n'est pas neuve, mais les progrès del'électronique de puissance, des régulationsautomatiques complexes et la mise au pointdes transmissions et des différentielsélectriques l'ont rendue industriellementpossible, à des coûts certes élevés maisnon prohibitifs. Depuis 1997, la Toyota Priusest commercialisée et on peut s'attendred'ici quelques années à pouvoir disposerd'hybrides qui seraient dotés d'assez decapacités d'accumulateurs pour que ceux-cisoient rechargeables sur le réseau. Celapermettrait que le tiers ou la moitié desconsommations énergétiques, pour lesvéhicules utilisés essentiellement en zonesurbaines et périurbaines, soient prélevés surles réseaux électriques. Or, ces modesd’utilisation concernent désormais lamajeure partie du parc mondial et leurproportion ne cesse de croître (phénomènemondial d’urbanisation et de développementdes banlieues).

Pour atteindre de tels objectifs, il suffirait dedisposer de voitures hybrides ayant uneautonomie électrique de quelques trente àcinquante kilomètres, ce qui ne devrait pasêtre hors d'atteinte d'ici 2010 ou 2020. Bienentendu l'essentiel de ces recharges debatteries s'effectuerait de nuit grâce à unetarification adaptée, permettant aux

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producteurs d'électricité de réaliser leurvieux rêve : comment lisser les variationsdes courbes des demandes journalières ?Dans ce schéma, le lissage se ferait enstockant l'électricité produite aux heurescreuses de la demande dans les batteriesdes automobiles au repos.

On notera que dans un pays comme laFrance, dont la capacité électrique installéeest de l’ordre de 100 Gwatts (c’est-à-direl’équivalent de 100 tranches de 1000 MW),la « capacité installée » sous les capots duparc automobile de voitures particulières estde l’ordre de 2000 Gwatts (30 millions devoitures à 100 CV ou 73 KWatts enmoyenne). Le parc automobile représentedonc vingt fois la puissance du parcélectrique, mais il ne « tourne » en moyenneque moins de 5 % du temps annuel alorsque le parc électrique « tourne » environ50 % du temps. Voilà qui, en matière delissage des courbes de demandeélectriques, serait nettement plus efficaceque les quelques centrales hydroélectriquesde pompage dont on peut disposer.

Dans la perspective, qui est la nôtre, d'unfort redémarrage de l'industrieélectronucléaire après 2020 au planmondial, on conçoit bien la remarquablecomplémentarité qu'apporterait ledéveloppement massif des véhiculeshybrides rechargeables.

La mondialisation de telles solutionshybrides, pour l'essentiel des véhiculesautomobiles à usage urbain, périurbain ousimplement utilisés principalement pourparcourir de courtes distances, permetd'envisager que le tiers ou le quart du bilandes consommations énergétiques dusecteur des transports terrestres soit ainsid'origine électrique, et ceci dès avant 2050pour les pays type OCDE, et peu après pourl'ensemble des parcs automobilesmondiaux. Cette solution paraît devoir selimiter cependant aux voitures particulières(hors professionnels des longs trajets) etaux véhicules utilitaires spécialisés dans lescourts trajets (de 50 à 100 km/jour) àl’exclusion des professionnels grands

routiers. Ces véhicules, pour lesquels lasolution « hybrides rechargeables » paraîtséduisante, représenteraient d’ici 20 ou 30ans environ 70 à 80 % du parc mondial etde l’ordre des deux tiers desconsommations d’énergie.

Synthèse et conclusions

En matière de transports 2020 c'est demain,et 2050 c'est après demain. Ce secteur esten effet marqué, comme l'ensemble desphénomènes liées à l'énergie, par unegrande inertie, et donc une grande lenteurface à des modifications fondamentales.

Ceci est dû d'abord à l'inertie des parcsd'outils de transports : une cinquantained'années pour les modèles d'avions etnavires, une dizaine d'années pour lesvéhicules routiers. Mais il y a surtout l'inertiedes infrastructures de transports. Lesautoroutes, voies ferrées, ports, aéroportsque nous construisons aujourd'hui serontencore utilisés dans cinquante ans, et pourune majorité d'entre eux encore d'ici la findu siècle. Les infrastructures de distributiond'énergie aux divers moyens de transportsreprésentent, elles aussi, de longueschaînes de systèmes logistiques coûteux età durée de vie longue. Dans la vision dufutur que nous avons présentée, ellesn'auraient pas besoin d'être modifiées. Ceciconstitue un avantage économiqueconsidérable par rapport à toute autresolution.

Plus fondamentalement, la vision que nousavons développée correspond à uneconviction selon laquelle les avantages deshydrocarbures liquides sont tels aux planstechnique et économique (facilité d'emploi,sécurité, haute densité énergétique,faiblesse des coûts) qu'ils resterontimbattables. Même si l'hydrogène ou lesvéhicules totalement électriques pourrontoccuper quelques niches, ce sont lesvéhicules à hydrocarbures liquides – qu'ils'agisse d'hydrocarbures naturels ou desynthèse - plus ou moins hybridés, quicontinueraient à remplir 80 ou 90 % des

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besoins de transports routiers au planmondial sur le siècle à venir.

L'inconvénient théorique majeur de cettevision est celui de l'impossibilité deséquestrer les émissions de CO2 au niveaudes véhicules. Mais une évolution desorigines des carburants du type de celle quenous avons envisagée permettrait uneréduction progressive effective de cesémissions. La concentration progressive desémissions de gaz carbonique au profit dusecteur des transports a une logique forte :c'est dans ce secteur que les émissions deCO2 ont la plus forte valeur économique. Ditautrement, ce sont les transports quipourraient payer les prix d'émission les plusélevés, comme ils supportent aujourd’hui lestaxations les plus élevées dans les paysdéveloppés sans que cela entraveréellement le développement des transportsautomobiles.

Par ailleurs, si les coûts d'émission ducarbone devenaient prohibitifs, la"carbonisation" d'hydrogène essentiellementnucléaire à partir de biomasse pourrait offrirune solution à évaluer (besoins enbiomasse probablement assez inférieurs àceux requis par sa conversion directe enbiocarburants par tep de carburantproduite). Cette solution trouve sa logique,d’une part dans le fait que le gaz desynthèse ex biomasse est structurellementpauvre en hydrogène (une partie de celui-cise combinant à l’oxygène de la biomasse),d’autre part dans le fait qu’il devrait exister àl’avenir de fortes contraintes économiques àutiliser pour la production du gaz desynthèse une source de carbone nonémettrice de CO2 en termes de bilansglobaux.

Dans l'évolution que nous avons envisagée,les carburants et les motorisationscontinueront d’évoluer, comme elles l’ont faitau cours des dernières décennies. Ainsi dès2020 ou 2030 les carburants automobilesessence et diesel pourraient converger enréponse à l’éventuelle convergence desmotorisations à allumage commandé et decelles fonctionnant par auto-allumage. Ces

carburants du futur auront éventuellementdes compositions moléculaires prédéfinies,ou pourraient même peut-être devenir"monomolécules".

Au cas où cette dernière solutions'imposerait, la logique serait d'utiliserl'hydrocarbure le moins carboné, ou le plusriche en hydrogène, qui soit un liquidestable aux conditions ordinaires detempérature et de pression et quicorresponde aux besoins des motorisationsdu moment. Ces objectifs poserontnaturellement certains problèmesd’élaboration des carburants, aussi bienpour les différents types de carburants desynthèse que pour ceux qui seraient encoreissus des hydrocarbures liquides naturels :l’industrie du raffinage deviendrait alors unevéritable industrie de synthèse, très prochede la pétrochimie.

En ce qui concerne les carburants desynthèse proprement dits, leur importancerelative serait amenée à évoluer au cours dutemps.

Ainsi dans un premier temps, disons lapremière moitié du XXIe siècle, ce seraientles biocarburants et les carburants Fischer-Tropsch à partir du gaz naturel ou ducharbon qui auraient le rôle dominant enmatière de source de carburants desynthèse. Puis ce serait au tour del'"hydrogène nucléaire carboné à la source",variante écologique du procédé Fischer-Tropsch, de prendre progressivement lerelais et de devenir la source dominante descarburants de synthèse au-delà de 2050.

Enfin l'électricité, grâce à une hybridation dela majorité des véhicules sous formed’hybrides rechargeables, deviendrait, elleaussi, une source d'énergie majeure pourles transports terrestres (hybridation d’unequasi totalité des VP et d’une partie des VU,ceux spécialisés dans les trafics à faiblesdistances).

Les parts respectives de ces diversessources d'énergies seront, à chaqueépoque, déterminées par l'évolution de leurscoûts respectifs, y compris les coûts liés àleurs émissions en matière de gaz à effet de

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serre ou tous autres coûts qui seraient liés àdes décisions politiques.

Arrivés à ce stade de notre analyse, il esttentant d'essayer de chiffrer l'importancerelative des diverses sources d'énergie quise combineraient à l'horizon de la fin duXXIe siècle pour assurer la fonction demobilité terrestre. C'est bien évidemment unexercice illusoire, tant il y a de paramètresqui pourraient évoluer à l'avenir et déplacerle curseur des grands équilibres technico-économiques : combien d'hydrocarburesliquides naturels réellement disponibles vers2100 ? Quels coûts à long terme pour lesémissions de carbone ? Quels coûts à longterme pour les déchets nucléaires ? Quelscoûts pour la production massive debiomasse ? Quels progrès techniques nonimaginables aujourd'hui ?

Malgré son caractère illusoire, cet exerciceest salutaire, car il permet d'illustrer qu'undéveloppement durable des transportsreposant essentiellement sur leshydrocarbures liquides est possible au coursdu siècle à venir, malgré le déclin prévisiblede la production pétrolière mondiale. Si onaccepte que les chiffres n’ont pour seulevertu que de décrire un futur possible, etqu'ils n'ont pas la prétention de constituerune prévision de ce futur, nous proposerionsune répartition des énergies utilisées vers lafin du XXIe siècle par le secteur destransports en quatre quarts plus ou moinségaux :

(a) un quart de liquides "naturels"(b) un quart de synthétiques conventionnels(c) un quart d'hydrogène carboné(d) un quart d'électricité.

Cette vision est représentée sous forme dedeux graphiques par les illustrations n°s 13et 14.

Le graphique 13 montre quelle pourrait êtrela part de la production pétrolière disponiblepour le secteur des transports.

Le graphique 14 indique commentpourraient se combiner les différentessources d’hydrocarbures synthétiques, ainsique la pénétration de l’électricité dans le

secteur du transport automobile. Cetteprospective simpliste en quatre quartségaux doit naturellement se lire en ajoutantque pour chacun des quatre typesd'énergies considérées, la marge d'erreurdoit être de ± 0.5 Gtep/an et peut être mêmesupérieure pour certains.

On notera que les « réserves ultimes »correspondant aux graphiques ci-dessusreprésenteraient quelques 4000 milliards debarrils (3000 pour les bruts conventionnelset non conventionnels y compris les sablesbitumineux – tar sands -) plus 1000 pour lesschistes bitumineux – oil shales).

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Profil de production mondiale et part des transports

0

5

10

15

20

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35

40

1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050 2060 2070 2080 2090 2100

Réelle (tous liq.)Modèle de Hubbert*P. R. BauquisTransportsTransports (Prévision)

Gb/y Mb/d

Source :

130

115

100

85

65

50

30

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35 %

50 %

60 %

50 %

900 Gb 600 Gb 900 Gb 900 Gb

Croissancepossible sans

le choc

pétrolier

chocpétrolie

r de

1973

Part des hydrocarburesliquides naturels utilisés

dans d'autres secteurs

Hydrocarbures liquidesnaturels utilisés pour les

transports routiers

Illustration n° 13

Quelles énergies pour les transports :1960 - 2000 - 2100

0

5

10

15

20

25

30

35

1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050 2060 2070 2080 2090 2100

Gb/y Mb/d

Source : ASPO data - P.R. Bauquis - Oct. 2002 PRB / VL 2

Croissancepossible sans

le choc

pétrolier

Choc

pétrolier de

1973

900 Gb 600 Gb 900 Gb 900 Gb

115

100

85

65

50

30

15

Part des hydrocarburesliquides naturels utilisés dans

d'autres secteurs

Electricité(véhicules hybrides

rechargeables)

Hydrogène carboné(nouveaux synthétiques)

Hydrocarburessynthétiques conv.(biocarb. + Fischer Tropsch)

Demande totale d'énergiepour les transports

Hydrocarburesliquides naturels

Hydrocarbures liquidesnaturels utilisés pour les

transports routiers

Illustration n° 14

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Une autre lecture de cette vision consisteraità dire que 1.5 Gtep/an viendrait desénergies fossiles : la totalité de (a) et lamoitié de (b), plus de 1.5 Gtep/an viendraitdu nucléaire, la totalité de (d) et plus de lamoitié de (c) � tandis que moins de1 Gtep/an proviendrait des énergiesrenouvelables, la moitié de (b) et moins dela moitié de (c) sous forme de biomasses.

La vision du long terme des énergiesutilisées dans le secteur des transportsressortant de cet article présente uninconvénient que nous avons souligné :l’émission décentralisée, et donc nonséquestrable, de gaz carbonique. Nouspensons que ce handicap exprimé entermes économiques resterait très inférieuraux surcoûts inhérents à des visions du type« tout hydrogène » (avec ou sans PAC).

Enfin, l’enchaînement progressif dessources d’hydrocarbures liquides utiliséesavec des émissions décroissantes en CO2,lorsque l’on passe d’un type de synthétiquesà l’autre et lorsque se fait la pénétration del’électricité (grâce aux hybridesrechargeables), permet au total d’obtenir unsystème durable. En effet, le calcul desémissions globales de CO2 du système destransports terrestres montre un profilcroissant jusque vers 2030-2040, culminantà environ 10 GT de CO2/an, puisdécroissant ensuite pour se stabiliser endessous de 8G tonnes de C02 par an après2060 (cf illustration n° 18).

L’illustration n° 19 montre ce que serait leprofil global des émissions de C02 liées à laconsommation d’énergie de 2000 à 2100(en retenant la vision du futur énergétiquemondial de l’illustration n° 15) et la part quiserait due aux transports terrestres.

Epilogue

Le lecteur sera peut être surpris de ne pasavoir trouvé un paragraphe consacré auxvéhicules à GPL ni aux véhicules à gaznaturel comprimé (CNG), brièvementévoqués dans notre introduction. La raison

est qu'il s'agit là de "niches énergétiques"dont le potentiel de développement resteratrès limité pour une série de raisonstechnico-économiques. En particulier pource qui est des véhicules à gaz comprimé, onobserve, comme pour les véhicules toutélectriques, une extrême lenteur del'évolution technologique et donc del'évolution des caractéristiques desvéhicules. Les réservoirs de gaz comprimédes automobiles Sulzer du début du siècleavaient presque les mêmes caractéristiques(pression, poids, encombrement) que cellesdes réservoirs de gaz dans les véhiculesCNG des années 1980 (ce n’est querécemment que ces réservoirs ont évolué,les réservoirs en matériaux composites à300 bars ou plus venant remplacer lesréservoirs métalliques à 200 bars).

Le lecteur sera peut être encore plus surprisde n’avoir non plus rencontré undéveloppement sur l'avenir des piles àcombustibles (PAC), seulement évoquéesdans l'introduction.

Cette absence reflète un point de vue selonlequel le succès ou l'échec futur des PACdans le domaine de l'automobile ne modifiepas en profondeur la problématique desbesoins et sources d'énergies à long termede ce secteur. Les piles à combustibles nesont que des convertisseurs d'énergie. Lesvéhicules à piles devront être alimentés, soiten hydrocarbures ou produits apparentés(alcools, esters, etc.…) pour produirel'hydrogène à bord des véhicules, soitdirectement en hydrogène.

Les vrais problèmes sont donc bien ceuxque nous avons tenté d'analyser : quellessources d’énergies pour les véhicules dedemain et d'après-demain ?

On voit que la solution durable que nousavons envisagée, durable car elle peut seprolonger bien au-delà de la fin du XXIe

siècle, implique une large symbiose entredeux secteurs de l'énergie aujourd'huiindépendants l'un de l'autre : le secteur del'industrie des hydrocarbures et le secteurde l'industrie nucléaire.

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Voilà la raison pour laquelle nous avonsdédié cet exercice de prospective à JamesLovelock(1) et à la minorité des écologistesqui, comme lui, pensent qu’il n’est pas dedéveloppement durable possible sans unlarge recours à l’énergie nucléaire.

(1) Note de l'auteur : James Lovelock, scientifiquebritannique de réputation mondiale, fut au cours des années1960 l'un des pères fondateurs de l'écologie. Il se distinguede la majorité des écologistes par sa position favorable audéveloppement de l'énergie nucléaire.