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1 La science-fiction « La seule façon de découvrir les limites du possible, c’est de s’aventurer un peu au -delà, dans l’impossible. » Arthur C. Clarke Introduction : La science-fiction (SF) est généralement peu appréciée et touche peu de lecteurs (environ dix fois moins que le roman policier). En simplifiant un peu, le public la connaît surtout par le biais du cinéma et notamment, par la saga Star Wars. Malheureusement, il en donne une vision erronée. Avant tout, la SF est un genre littéraire. Il est véritablement né en Occident avec la société industrielle au XIXème siècle. Pourtant, son état d'esprit était présent dans la littérature dès l’Antiquité. En constante évolution depuis ses débuts, très diversifié, il concerne plusieurs domaines de la création : la littérature, le cinéma, la BD, la TV, l’architecture, la publ icité et même la haute couture. On l’a souvent désignée par ce qu’elle met en scène : des fusées, des robots, des ET, ou encore par ses thèmes : le voyage dans le temps et l’espace, les univers parallèles, l’homme modifié, les mondes virtuels. Mais ce genre est assez difficile à définir car protéiforme. On l’a souvent confondu avec d’autres qui n’ont que des rapports vagues avec lui : l’anticipation, l’utopie, l’uchronie, le fantastique et la fantasy. Qu’est -ce exactement la Science-fiction ? Seulement des histoires de voyages dans l’espace ? Des histoires de méchants ou gentils extraterrestres venant visiter des humains sous-développés ? Des récits de robots humanoïdes ? Quels grands thèmes a-t-elle surtout développés ? Au-delà d’une littérature simplement divertissante et populaire, la SF n’est -elle pas un moyen efficace pour interroger le présent et alerter sur l’état de nos sociétés industrielles ? I. Genres voisins et thèmes de la SF 1. Le terme de science-fiction. Il importe d’abord de connaître l’origine du terme science -fiction. Il fut forgé par un Américain d’origine Luxembourgeoise, Hugo Gernsback, passionné par le devenir des sciences et techniques au début du XXe siècle. Inventeur dans le domaine de l’électricité, il avait commencé une carrière à la radio. Il fonda en 1908, un magazine scientifique, Modern Electric, dans lequel il se mit à publier des articles sur « les merveilles de la science ». Il passa vite de la vulgari sation à l’anticipation en imaginant vers quel futur pourrait conduire le développement des sciences et techniques en utilisant la fiction (notamment des nouvelles) pour spéculer sur l’avenir. Pour désigner ces textes, il utilisa le terme de scientific fiction. Plus tard, en 1924, il conçut un autre magazine intitulé Scientifiction qui ne vit le jour qu’en 1926 sous un autre titre : Amazing Stories. Le mot science-fiction était donc forgé, il apparut finalement dans l’éditorial du n°1 de Science Wonder Stories, un autre magazine créé par lui en juin 1929. Le terme s’imposa pour désigner ce nouveau pan de la littérature, qu’Hugo Gernsback contribua largement, en tant qu’éditeur, à populariser, grâce au succès de ses différentes revues spécialisées. Mais, il désignait un état d’esprit qui exist ait depuis longtemps. 2. Une esquisse de définition. L’association de ces deux mots un peu antagonistes n’est pas aisée à définir tant les territoires de la SF sont devenus très vastes au fil des décennies. En 1950, tout lecteur pouvait, de façon sommaire, la définir comme l’ensemble des récits où l’on parle de fusées interplanétaires. Aujourd’hui, une telle définition ne recouvre que très partiellement ses territoires car le genre a beaucoup muté et il a même connu de véritables « révolutions ». C’est pourquoi, au risque de décevoir, il n’y a pas de définition pleinement convaincante. En voici quelques unes cependant qui sont assez déroutantes. Elles évacuent le problème de façon radicale. Norman Spinrad (auteur atypique de romans de SF) avance que « La S-F, c’est tout ce qui se publie

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    La science-fiction

    La seule faon de dcouvrir les limites du possible, cest de saventurer un peu au-del, dans limpossible.

    Arthur C. Clarke

    Introduction :

    La science-fiction (SF) est gnralement peu apprcie et touche peu de lecteurs (environ dix fois

    moins que le roman policier). En simplifiant un peu, le public la connat surtout par le biais du cinma et

    notamment, par la saga Star Wars. Malheureusement, il en donne une vision errone.

    Avant tout, la SF est un genre littraire. Il est vritablement n en Occident avec la socit industrielle

    au XIXme sicle. Pourtant, son tat d'esprit tait prsent dans la littrature ds lAntiquit. En constante

    volution depuis ses dbuts, trs diversifi, il concerne plusieurs domaines de la cration : la littrature, le

    cinma, la BD, la TV, larchitecture, la publicit et mme la haute couture. On la souvent dsigne par ce

    quelle met en scne : des fuses, des robots, des ET, ou encore par ses thmes : le voyage dans le temps et

    lespace, les univers parallles, lhomme modifi, les mondes virtuels. Mais ce genre est assez difficile

    dfinir car protiforme.

    On la souvent confondu avec dautres qui nont que des rapports vagues avec lui : lanticipation,

    lutopie, luchronie, le fantastique et la fantasy. Quest-ce exactement la Science-fiction ? Seulement des

    histoires de voyages dans lespace ? Des histoires de mchants ou gentils extraterrestres venant visiter des

    humains sous-dvelopps ? Des rcits de robots humanodes ? Quels grands thmes a-t-elle surtout

    dvelopps ?

    Au-del dune littrature simplement divertissante et populaire, la SF nest-elle pas un moyen efficace

    pour interroger le prsent et alerter sur ltat de nos socits industrielles ?

    I. Genres voisins et thmes de la SF

    1. Le terme de science-fiction.

    Il importe dabord de connatre lorigine du terme science-fiction. Il fut forg par un Amricain dorigine

    Luxembourgeoise, Hugo Gernsback, passionn par le devenir des sciences et techniques au dbut du XXe

    sicle. Inventeur dans le domaine de llectricit, il avait commenc une carrire la radio. Il fonda en 1908,

    un magazine scientifique, Modern Electric, dans lequel il se mit publier des articles sur les merveilles de la

    science . Il passa vite de la vulgarisation lanticipation en imaginant vers quel futur pourrait conduire le

    dveloppement des sciences et techniques en utilisant la fiction (notamment des nouvelles) pour spculer sur

    lavenir. Pour dsigner ces textes, il utilisa le terme de scientific fiction. Plus tard, en 1924, il conut un autre

    magazine intitul Scientifiction qui ne vit le jour quen 1926 sous un autre titre : Amazing Stories.

    Le mot science-fiction tait donc forg, il apparut finalement dans lditorial du n1 de Science Wonder

    Stories, un autre magazine cr par lui en juin 1929. Le terme simposa pour dsigner ce nouveau pan de la

    littrature, quHugo Gernsback contribua largement, en tant quditeur, populariser, grce au succs de ses

    diffrentes revues spcialises. Mais, il dsignait un tat desprit qui existait depuis longtemps.

    2. Une esquisse de dfinition.

    Lassociation de ces deux mots un peu antagonistes nest pas aise dfinir tant les territoires de la SF

    sont devenus trs vastes au fil des dcennies. En 1950, tout lecteur pouvait, de faon sommaire, la dfinir

    comme lensemble des rcits o lon parle de fuses interplantaires. Aujourdhui, une telle dfinition ne

    recouvre que trs partiellement ses territoires car le genre a beaucoup mut et il a mme connu de vritables

    rvolutions . Cest pourquoi, au risque de dcevoir, il ny a pas de dfinition pleinement convaincante.

    En voici quelques unes cependant qui sont assez droutantes. Elles vacuent le problme de faon

    radicale. Norman Spinrad (auteur atypique de romans de SF) avance que La S-F, cest tout ce qui se publie

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    sous ltiquette science-fiction . Dautres, comme Jacques Van Herp, prtendent que La S-F nexiste pas,

    seules existent les uvres de S-F ! .

    Toutefois, celle de Thodore Sturgeon est assez efficace pour la dfinir : Une histoire de science-fiction

    est une histoire construite autour dtres humains, avec un problme et une solution humaine, et qui naurait

    pu se produire sans son contexte scientifique.

    3. La S-F : une littrature de limaginaire.

    Le dcor des littratures du rel se rduit la sphre terrestre, il nest quune rplique fidle du monde

    dans lequel nous vivons, cest la fiction traditionnelle, avec ses rgles scientifiques et humaines. La

    vraisemblance y est respecte mme si les histoires racontes sont imaginaires et passes. La S-F appartient

    aux littratures de limaginaire dont la particularit est denrichir notre univers de cratures, de civilisations,

    dinventions, de mondes qui nexistent que dans limagination de leurs auteurs. Ainsi, la S-F sest mancipe

    du monde physique dans lequel nous sommes habitus vivre. Elle voisine donc avec le fantastique et le

    merveilleux. Elle sen diffrencie pourtant, car elle appartient bien aux conjectures romanesques rat ionnelles.

    Fantastique et merveilleux nont pas se justifier de lintrusion du surnaturel, de lirrationnel, de lincroyable

    dans le rel, puisque cest cette intrusion qui les dfinie. Au contraire, la S-F doit sappuyer sur une base

    rationnelle, scientifique ou pseudo scientifique, avant de dvelopper ses extrapolations.

    Le lecteur confond souvent ces quatre genres appartenant bien aux fictions irrationnelles peut-tre

    cause du cinma daujourdhui qui se fait un malin plaisir les mlanger. Pourtant, bien distinct, chacun

    possde sa panoplie et ses rgles propres :

    Le merveilleux : cest le domaine du conte et de lenchantement. On parle dirrationnel accept. Le lecteur

    nest pas heurt par ses invraisemblances, il les accepte sans exiger dexplication. Le dbut est connu : Il

    tait une fois . Ce genre se perd dans la nuit des temps. Par exemple, dans ces rcits de lAntiquit LIliade

    et LOdysse, les dieux interviennent, ce qui parat naturel au lecteur, tout comme le pouvoir des sirnes.

    Plus tard, Lewis Carol avec Alice au pays des merveilles (1876) fait intervenir la magie sans que le lecteur

    soit interloqu. Sur le plan spatio-temporel, le merveilleux se droule soit dans un ternel ou un pseudo

    Moyen ge, soit hors du temps. Dans ces univers, les animaux et les objets parlent, des tres dots de

    pouvoirs extraordinaires existent. Sa panoplie est connue : baguettes magiques, dragons, fes, sorciers.

    Le fantastique : les invraisemblances rencontres nont pas dexplication logique, cest le domaine de

    lirrationnel inacceptable. Le roman fantastique se caractrise par lirruption brutale du surnaturel dans le

    monde rel. Cette contradiction de lordre des choses met le lecteur et les personnages face linexplicable

    et linadmissible. La raison est contredite, elle ouvre une porte sur la folie. Contemporain des textes de

    Jules Verne et H.G. Wells, Le Horla (1887) de Maupassant illustre ce fonctionnement. Le narrateur, hant

    par une crature invisible, le Horla , cherche comprendre jusqu la fin du roman sil est rellement

    victime dun tre surnaturel ou sil est en train de sombrer dans la folie. Lauteur ne donne pas de solution, le

    lecteur doit dcider seul. Cest l le ressort du fantastique : jouer sur lambigut, suggrer sans jamais

    affirmer. Le fantastique flirte avec lau-del, littrature de linquitude, elle exploite les peurs trs anciennes

    prsentes en chacun. Spectres, vampires, loups-garous et autres monstres, ce sont nos doubles ngatifs qui

    symbolisent nos pulsions refoules et les mouvements de linconscient. Par consquent, le fantastique

    privilgie une rflexion sur lindividu (lintime, le moi, sur ce que lon est). Sur le plan spatio-temporel, il est

    ancr dans le rel et le quotidien, un dcor oblig qui rendra plus effrayante lirruption de linacceptable et

    fera vaciller la raison. En une phrase, on peut rsumer ainsi ce genre : cest lirruption de lirrel dans le rel,

    soit lirruption dun phnomne inexpliqu dans le quotidien.

    La science-fiction : Linvention est de mise. On parle ici dirrationnel acceptable. Elle stend aux structures

    mmes du texte : un monde invent, parfois trs diffrent du monde rel ou trs proche. Le postulat de tout

    rcit de SF est une situation en contradiction avec ce que nous savons du monde et des lois physiques qui le

    gouvernent. Il ny a pourtant rien dtrange ou dincohrent pour ceux qui lhabitent. Par exemple, la

    fabrication des tres humains du docteur Frankenstein, les martiens dH.G.Wells, la tlportation et les

    vaisseaux spatiaux se dplaant des vitesses hyperluminiques dans Star-trek, la machine enfermer

    les dissidents politiques dans le temps ( lre prcambrienne) chez Silverberg, les personnages voluent

    dans un monde qui leur est familier. Cest au lecteur daccepter les prmices du texte, comme il le fait, par

    exemple, pour le conte merveilleux. Cette acceptation de faits stupfiants passe par la justification

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    scientifique ou pseudo-scientifique : si lon est sur une autre plante dans un autre systme solaire, cest que

    des procds ont t mis au point pour y parvenir. En ltat actuel des connaissances physiques que nous

    avons du monde, cela est strictement impossible et relve seulement de la science-fiction. En effet les

    distances dans lespace sont telles que nous resterons srement trs longtemps au voisinage de notre toile

    avant de faire le grand voyage . Ensuite, si les robots sont intelligents, cest grce aux progrs fulgurants

    de linformatique. Si les lois, dans lhistoire de S.F., sont diffrentes, cest que laction se situe dans le futur

    ou bien parce quun vnement grave a modifi lordre du monde. Mais lirrationnel accept, et presque

    justifi, dun rcit de S.F. na rien voir avec lirrationnel accept et illogique du merveilleux : dans le

    merveilleux, on sait quon joue avec le faux tandis que dans la S.F., on joue avec le plausible des progrs de

    la science (lapproche est toujours raisonne, logique) : ces technologies, ces socits du futur, on se

    demande si un jour elles ne pourraient pas exister, ce qui nest pas le cas des dragons et des fes. Donc

    toutes les extrapolations de la S.F. sappuient sur une base rationnelle, scientifique ou dapparence

    scientifique.

    Pour illustrer la diffrence entre science-fiction et fantastique, il suffit de prendre lexemple dune

    grande figure du fantastique classique : le vampire. Ce monstre nocturne des superstitions de lEurope

    centrale, Richard Matheson la transform en un personnage de pure science-fiction. Dans Je suis une

    lgende, une pidmie virale a entran une transformation radicale du rgime alimentaire de lespce

    humaine et la rduite au vampirisme. Cette explication scientifique (ou pseudo-scientifique) suffit faire

    basculer le roman dun genre lautre, changer la nature du texte.

    La fantasy : ce genre littraire purement imaginaire est dj ancien. Il est aujourdhui en concurrence frontale

    avec la SF. Entre les deux, il y a une diffrence essentielle : la magie occupe dans la fantasy le mme rle

    que la science dans la SF. Ainsi, on peut rapprocher la fantasy du merveilleux concernant lutilisation du

    surnaturel (les pouvoirs, la magie) mais pas du fantastique o lirrationnel vient perturber les rgles du

    monde habituel et quotidien. Le lecteur y accepte lirrationnel sans demander dexplication. Ses traits

    caractristiques sont : une socit moyengeuse o une caste possde des pouvoirs magiques ; les

    personnages sont issus du folklore, des contes de fes ou de la mythologie (elfes, licornes, dragons) ; le

    thme structurant de la qute qui en fait une littrature du priple pique ; la lutte manichenne entre Le Mal

    et le Bien, entre magie noire et magie blanche (La trilogie du Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien est un

    des livres les plus lu au monde). Elle comprend une multitude de sous-genre dont le plus connu est lheroic

    fantasy, lintrigue se concentrant plutt sur des hros solitaires (Conan le barbare de Robert E. Howard).

    Ensuite existe la marge de la SF, un courant hybride entre la SF et la fantasy : la science fantasy. Ce sous-

    genre littraire de la SF se mle des lments de fantasy, il intgre souvent la technologie moderne dans

    un univers mdival et antique. Par exemple, la bande dessine, Lanfeust des toiles, montre un hros

    typique de fantasy projet dans un univers space opera. Finalement, la fantasy est une pure littrature de

    lvasion tandis que la SF est toujours en prise, mme dans ses projections les plus loignes, avec le rel.

    Lune procde dun retour la pense magique, elle est donc rgressive, on parle de fiction passiste ;

    lautre sappuie sur les consquences de lintelligence et du savoir, cest une fiction futuriste. Aujourdhui la

    fantasy a davantage de succs que la SF, aussi bien du ct des auteurs que des lecteurs, il n y a qu voir

    les prsentoirs des librairies o lon trouve principalement de la fantasy.

    4. Les grandes thmatiques dveloppes dans la SF et les liens possibles avec le programme.

    Sil est vrai que la SF exprime des thmes universels communs toute littrature, elle le fait avec une

    thmatique qui nappartient qu elle, o se mlent sciences exactes et mondes imaginaires.

    Lespace : le voyage dans lespace, la colonisation de lespace, la terraformation, les ocans

    cosmiques et leur mythologie, les extraterrestres, les civilisations extraterrestres, linvasion

    extraterrestre, les histoires du futur.

    Le temps : le voyage dans lavenir, le voyage dans le pass, dautres coulements du temps,

    luchronie, les immortels, les fins du monde, les socits postcataclysmiques.

    Les machines : les robots, cerveaux lectroniques et intelligences artificielles.

    Dautres mondes, dautres dimensions : la quatrime dimension et les autres, les mondes parallles,

    les mondes microscopiques.

    Lhomme transform : les mutants, les clones, les hybrides homme-machine (cyborg).

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    Les machines et lhomme transform semblent tre les thmes les plus appropris au programme de

    bacpro 3 ans. En effet, rflchir sur le dpassement des limites de ltre humain et sur le virtuel ne peut

    senvisager quavec les possibilits offertes dans les domaines de linformatique et des biotechnologies.

    Ensuite, il est parfaitement possible de travailler avec les lves sur le thme de lespace que lhumanit a

    commenc coloniser au XXe sicle. Mme si aujourdhui les grands programmes spatiaux de dcouvertes,

    notamment amricains, connaissent un flchissement, lespace reste et restera longtemps la frontire

    franchir.

    Il semble difficile de travailler le programme avec les thmes du temps, des autres mondes et dautres

    dimensions.

    II. Historique du genre / sous-genres / uvres et auteurs phares.

    1. La littrature d'imagination scientifique avant Hugo Gernsback

    Ce qui deviendra la science-fiction s'est dvelopp au sicle dernier au sein de la culture occidentale rcente

    et s'inscrit dans un horizon culturel et rpond des attentes implicites.

    Il ne se construit pas ex nihilo, mais partir de donnes culturelles antrieures, mme si ces dernires n'ont

    parfois que peu de choses en commun avec le genre cr. Les imaginaires voluent en effet avec les

    productions des diffrentes cultures et selon les tapes du dveloppement des socits.

    ll existe donc un enchanement des textes et des thmes qui, partir de l'imaginaire des mythes, des contes,

    des voyages, des utopies, et en tenant compte du changement intervenu la Renaissance dans les rapports

    de l'homme au monde, ont permis de donner sa singularit l'imaginaire scientifique et, partir des textes qui

    en manent, de faire merger un domaine original.

    a. Depuis la Renaissance

    L'invention d'un modle social diffrent et bien argument demeure isole en Occident avant que Thomas

    More publie l'Utopie (1516). On connat la postrit de ce texte, dont le titre devint un nom gnrique,

    autorisant lire les anciens textes de Platon dans la perspective utopique.

    T. More prsente une socit alternative . Bien qu'argument, le texte se veut narratif. Il se compose de

    deux parties en miroir. L'une dcrit la ralit de l'Angleterre contemporaine de l'auteur, dans laquelle une

    grande partie de la population subsiste difficilement, alors que les seigneurs se gobergent. L'autre met en

    scne un Sage utopien qui explique la ncessit de l'idal galitaire atteint par les lois utopiennes, axes sur

    la collectivit et visant au bien de tous.

    Mais cette utopie de l're prindustrielle est crite sur le mode ironique, ne serait-ce que par son nom. Alors

    qu'il nous dcrit le meilleur des tats, l'ouvrage rappelle par son titre mme ( utopie signifie

    tymologiquement lieu inexistant et le meilleur des lieux ) le caractre illusoire de ce dernier. More

    signifiait ainsi que cet idal, qui installerait pour toujours une socit heureuse pour un peuple vertueux

    tait, pour son poque, un leurre. Les utopies ont ensuite fleuri au XVIIme sicle mais une seule innove

    vritablement : dans La Nouvelle Atlantide (1627), F. Bacon s'intresse moins l'organisation d'une socit,

    certes prsente comme idale, qu' une possible rforme de la science, dans l'ide que les progrs

    scientifiques actuels et futurs sont susceptibles d'apporter des modifications et permettent donc d'envisager

    une volution relle de la socit.

    La Renaissance invente aussi un autre rameau de l'arbre des imaginaires, issu du dveloppement scientifique

    et technique, qui engendrera plus tard la science-fiction.

    La science occidentale moderne nat en effet avec Galile et Johannes Kepler. Tous deux apportent la preuve

    que la connaissance mathmatique est ncessaire la comprhension des phnomnes du monde matriel

    aussi bien sur terre que dans les cieux.

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    b. L'poque du merveilleux nouveau

    Avec L'An 2440 (Mercier, 1740), le XVIIIme sicle inaugure le dplacement du lieu et du sens de l'utopie. Au

    lieu de la situer, comme More, dans un non-lieu imaginaire, L.-S. Mercier imagine qu'elle peut investir le

    futur. Il ouvre donc la voie de futurs mondes possibles , qui seront exploits par les auteurs de rcits

    imaginaires du XIXme sicle en relation avec la notion de progrs technique. L'ge d'or n'est plus alors un

    pass inaccessible par dfinition, mais un avenir possible : l'Occident entame ainsi avec l'Histoire des rapports

    nouveaux et problmatiques.

    Le XIXe s. prend en compte les rsultats de la premire rvolution industrielle, exploitant ainsi, sur le plan

    narratif, la dimension mythique du progrs, relie souvent de manire unilatrale au dveloppement technico-

    scientifique.

    Le XIXe sicle voit galement l'invention de thories nouvelles, comme celles que prsente Louis de Saint-

    Simon dans Le Systme industriel (1820-1822). Ce penseur envisage de donner le pouvoir de guider la

    socit aux industriels et ingnieurs, dans une bauche de technocratie. Il inspire des philosophes, comme

    Auguste Comte, qui invente une science nouvelle, la sociologie, prenant pour but l'lude des socits, perues

    comme des objets culturels.

    Ces ides et ces images nourrissent enfin des textes qui, comme ceux de Jules Verne, magnifient le progrs

    technique et le pouvoir des ingnieurs - cf. par ex. De la Terre la Lune (1865) - ou la fascination du savoir,

    comme dans Voyage au centre de la Terre (1864).

    En contrepartie de cette attitude optimiste face aux consquences du progrs technique, ce sicle invente

    aussi la dystopie, ou contre-utopie, avec en particulier Le Monde tel qu'il sera (1856) d'Emile Souvestre, qui

    ouvre un rameau narratif neuf l'imaginaire des futurs.

    Le XIXe sicle voit aussi l'invention du type du savant fou (de Robur le conqurant au docteur Folamour) qui,

    dpass par les consquences de ses crations se voit, comme l'apprenti sorcier, conduit la mort,

    provoquant des catastrophes de tout ordre. Cette thmatique moderne est ouverte par Mary Shelley avec

    Frankenstein ou le nouveau Promthe (1818). Ce roman prsente la science et la qute de savoir sous un

    angle tragique et ironique la fois. Il y est question d'une double qute : la premire aboutit, pour le docteur

    Frankenstein, l'veil de la crature, qui marque le succs de ses travaux. Mais cette russite est subvertie

    dans un second temps par la recherche du sens de sa vie par le monstre, vaine qute qui le conduit la

    vengeance et aux assassinats. La ralisation technique a cr une crature difforme, que son crateur ne

    reconnat ni n'assume. Cette crature est monstrueuse non seulement par son aspect, mais surtout parce

    qu'elle demeure innomme et donc non hominise . Ce qui implique, sur le plan idologique, la ncessit

    de sa destruction.

    Tout comme la crature de Frankenstein, les merveilleuses inventions verniennes seront presque toujours

    dtruites, parce qu'il est impossible pour Verne d'intgrer, dans ses rcits extraordinaires , les

    consquences sociales des miracles techniques qu'il invente. Il faudra attendre H.G. Wells pour voir les

    consquences sociales de thories scientifiques ou d'inventions techniques exploites comme thmes

    principaux de romans, avec une ventuelle mise en cause des normes sociales de l'poque, comme dans La

    Machine explorer le temps (1895).

    On voit galement apparatre au XIXs. le rameau imaginaire de luchronie avec le texte ponyme de Charles

    Renouvier (1876). L'uchronie aborde un irrel du passe, en posant la question : Que se serait-il pass si...

    ? .

    On assiste encore, la fin du XIXe sicle, l'apparition de plusieurs thmes importants, dont celui - terrifiant -

    des fins de monde, de l'invasion de la Terre par des aliens , que l'on peut observer dans la nouvelle de

    Rosny An intitule Les Xipehuz (1887), qui met en scne des aliens totalement non-humains , des

    marsiens la silhouette de calmars gants, au comportement de vampire et aux armes terrifiantes, que

    Wells met en scne dans La Guerre des mondes (1898).

    Le mme Wells invente un engin, en forme de bicyclette, permettant de voyager dans le temps (La Machine

    explorer le temps). Il existait dj depuis Mercier des rcits de voyageurs qui, en rve, visitaient le futur,

  • 6

    comme Les Nouvelles de nulle part de William Morris (1891). Mais Wells est le premier imaginer une

    machine pour effectuer ce voyage et vivre en cours de route des aventures qui conduisent rflchir sur la

    fragilit de nos propres systmes sociaux. Wells extrapole, sous la forme d'exprience de pense , les

    consquences fantasmatiques de la thorie de Charles Darwin, qui envisage des modifications possibles du

    genre humain (La Descendance de l'homme, 1871). Wells imagine le dveloppement de la socit anglaise

    partir de l'hypothse darwinienne d'une slection naturelle animale. Il imagine ainsi que la classe des

    proltaires anglais et celle des gentlemen, qu' l'poque victorienne tout spare, deviennent deux races

    trangres et poursuivent dans le futur un antagonisme radical dj vident dans le prsent.

    c. Les origines altermondialistes

    - Les origines utopistes

    La piste la plus fconde est celle de l'utopie qui, au XIXe sicle, a fourni des expriences concrtes

    d'alternative l'conomie de march et la dmocratie reprsentative. Les ides et les uvres de Robert

    Owen (1771-1858) ou d'Etienne Cabet (1788-1856) sont trs proches de certaines thses dvelopp es

    aujourd'hui par les altermondialistes, notamment am ricains (Alternatives to Economic Globalization, A Better

    World is Possible, A Report of the International Forum on Globalization, San Francisco, 2002).

    R. Owen, parti de rien, est, vingt-huit ans, propritaire d'une importante manufacture de coton New Lanark

    (Ecosse), dont il fait une usine modle sur le plan social. Cet homme riche et influent milite ds lors, et jusqu'

    la fin de sa vie, la fois pour l'amlioration de la condition ouvrire et pour une refonte radicale des rapports

    sociaux et conomiques. Il propose, en 1817, d'riger des villages de coop ration pour les pauvres par

    alternative la socit de comptition individuelle et capitaliste. Selon lui, ces communaut s autonomes de

    travailleurs (groupant de cinq cents deux mille personnes) apporteront une rponse satisfaisante la

    question sociale et inaugureront un nouvel ordre mondial partir d'une mise en r seau de ces communauts

    (Book of the New Moral World, 1834-1845).

    Les tentatives de raliser de manire concrte ce projet utopique en Amrique (la communaut de New

    Harmony en 1824, la tentative d'une colonisation sur le mode communautaire au Mexique) sont autant

    d'checs. R. Owen organise galement des regroupements de travailleurs (l'Association de toutes les classes

    de toutes les nations, par exemple) et essaie de convaincre les gouvernements du bien fond de ses vues.

    Dans les annes 1840, ce sont des milliers d'ouvriers et d'artisans qui esprent la mise en place, par

    propagation, toute la plante du modle communautaire, d'un monde galitaire, fraternel, d gag de

    l'oppression faite aux femmes et aux enfants et de l'ingalit engendr e par la proprit prive.

    Owen influence beaucoup son contemporain, le Franais Etienne Cabet. Ce dernier publie, en 1840, un

    ouvrage appel un grand succs, Voyage en Icarie, dans lequel il dveloppe, aprs bien d'autres, l'ide

    que l'galit et la fraternit pos es par la Rvolution franaise appellent terme la communaut des biens,

    le communisme, pour raliser l'galit sociale, chacun recevant selon ses besoins dans un systme sans

    proprit ni commerce, o l'Etat assure la juste r partition des richesses cres par l'industrie et le progrs

    technique. La tentative aprs 1848 de fonder sur terre une Nouvelle Icarie, d'abord au Texas puis en Illinois

    Nauvoo, n'est gure concluante. Mais, pour Cabet, ces expriences de communaut s partielles servent

    surtout de laboratoire un systme social nouveau, fond sur la dmocratie, l'ordre public, l'ducation et le

    travail, et capable de donner l'homme dignit et bonheur. Il considre en effet que le communisme,

    application des modes communautaires la socit tout entire, est la ralisation la plus complte et la

    plus parfaite de la dmocratie (Histoire populaire de la Rvolution franaise de 1789 1830).

    Le courant anarchiste, qui se dveloppe au cours du XIX' sicle, imagine galement un monde constitu de

    communaut s dmocratiques fdres en un vaste ensemble qui ignore les frontires des Etats et des

    nations. Il se diffrencie du courant communiste par une mfiance envers tout pouvoir central dont lautorit,

    ses yeux, menace toujours les droits et les liberts des hommes. Cette mouvance libertaire, qui reste trs

    active dans le monde au cours du XXe sicle, entre en rsistance contre toutes les formes d'oppression aussi

    bien avant qu'aprs la Seconde Guerre, contre les totalitarismes, contre le stalinisme, mais aussi contre le

    capitalisme. C'est l'un d'entre eux, Eugne Pottier (1816-1887), qui compose en juin 1871, Paris, le texte de

  • 7

    l'Internationale, vritable hymne anarchiste. Ils sont nombreux participer activement ct d'autres

    socialistes la Seconde Internationale fonde Paris en 1889, dont les positions pacifistes et anticapitalistes

    mobilisent des millions de travailleurs dans le monde avant 1914. A l'cart par idologie de tous les appareils

    de pouvoir et d'Etat, le courant anarchiste est le lien le plus net entre les idaux utopistes du XIXe sicle et la

    contestation actuelle de la mondialisation.

    - Les racines humanistes

    Les plus modr s des altermondialistes peuvent rejoindre les humanistes sur le terrain des droits de 'homme

    et de la dfense des liberts. Leur source d'inspiration a de nombreuses affinits avec le courant humaniste,

    dont une des expressions publiques, le Congrs de la paix, s'est r uni pour la premire fois Paris le 21 aot

    1849 sous la prsidence de Victor Hugo et la vice-prsidence de Richard Cobden. Le discours que prononce

    cette occasion le pote illustre trs clairement la similitude des thmatiques entre les convictions de cet

    homme pris de libert et de progrs social et ceux qui dnoncent aujourd'hui les consquences ngatives

    sur le plan social et politique de la mondialisation.

    Ce mouvement considre que le progrs technique et l'avnement du march mondial sont des facteurs de

    paix, sources de prosprit et de bonheur, condition qu'un pouvoir politique, l'chelle des continents puis

    du monde, vienne en arbitrer et en rguler les forces. Le Congrs pour la paix a continu inspirer un courant

    politique qui a su rallier des hommes de diffrents pays et de diffrentes tendances autour de thses

    pacifistes, d'entente et de coop ration internationale, que d tendent galement le christianisme social d'un

    Marc Sangnier (1873-1950) ou les solides convictions d'un Jean Monnet (1888-1979).

    d. La Grande Guerre, et l'aprs-guerre

    La fin du XIXe s. a vu le monde changer rapidement, la fois sur le plan industriel et sur le plan politique. On

    assiste l'agonie des anciens rgimes, ainsi qu'au difficile avnement des dmocraties bourgeoises. Les

    distances se raccourcissent, l'information circule grande vitesse, on imagine un progrs sans fin. C'est la

    Belle poque.

    Cette passion pour le progrs technique, qui explique en grande partie le succs de Jules Verne, va se trouver

    confronte une ralit horrifiante. Celle de l'utilisation du progrs technique au service de la guerre de 1914-

    1918. Les fabuleux engins verniens sont devenus de solides chars d'assaut, ses ballons voyageurs des

    saucisses d'observation. Les premiers avions mitraillent, les normes canons comme la fameuse Bertha

    n'envoient pas des hommes vers la Lune, mais des obus monstrueux sur les villes et les populations terrifies.

    Cette guerre mondiale joue dans l'imaginaire occidental un rle de rvlateur. Le dveloppement de

    l'imaginaire en est fortement influenc, mais cela se traduit diffremment en Europe et aux tats-Unis.

    e. Vers la cration du genre

    Depuis Platon et jusqu' Wells, ont exist des rcits relevant de l'imaginaire au sens large, mais qui n'taient

    pas perus comme un genre littraire. De lUtopie de More aux rcits de Verne, de Mercier Wells, de Cyrano

    Shelley, on peut de nos jours tablir une filiation. Mais rien si ce n'est la mmoire de certains lecteurs, ne

    reliait ces textes entre eux avant l'invention du terme science fiction . Cependant, une fois ce terme pos,

    ces textes antrieurs se sont retrouvs perus comme des prcurseurs (involontaires) de ce qui se prsente

    alors comme un genre.

    Cette obligation de gnricit a t impose par des le biais des diteurs, notamment J. Hetzel puis H.

    Gernsback et J. Campbell, en accompagnement du dveloppement des pulps d'abord, des magazines

    ensuite, puis des romans.

    En France, paralllement au modle vernien, des auteurs comme A. Robida, J.-H. Rosny An, H.G. Wells, J.

    de la Hire, P. d'Ivoi, G. Le Rouge, ou M. Renard exploitent de faon personnelle, et parfois avec une

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    extravagance folle, cet imaginaire moderne. M. Renard (1909) est mme l'un des premiers rflchir, partir

    des textes de Rosny, une dfinition du merveilleux scientifique ,qu'il relie au progrs, et qu'il voit comme

    un rameau mergent de la littrature. Ajoutons que les ouvrages qui relevaient de cette branche de

    l'imaginaire bnficiaient de comptes rendus dans les meilleures revues. Aussi bien Rosny que Wells et bien

    d'autres publiaient leurs textes touchant l'imaginaire dans les revues populaires et gnralistes comme

    Le Journal des voyages (1877-1928), Lectures pour tous (1898-1940), Je sais tout (1905-1921), Sciences et

    Voyages (1919-1935).

    2. mergence du genre aux tats-Unis aprs la Grande Guerre .

    Le conflit de 1914 1918 va mettre violemment bas les valeurs optimistes : la science devient soudain

    synonyme doutil de guerre. La science, cest le gaz moutarde, les obus et laviation. Avant guerre,

    lanticipation scientifique, avec ses outrances et son imaginaire dcomplex est au cur de la littrature

    populaire : en France, en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne. Aprs 1918, toute une gnration, dans

    cette Europe exsangue et dchire (des crivains sont morts au front comme le reste de la population

    masculine) se dtourne de lide de progrs scientifique. Cest aux tats-Unis, dans ce grand pays neuf,

    pargns par la guerre et fondant son identit sur lidologie du progrs, que limagerie de la science

    triomphante et bienfaisante va se dvelopper. Ainsi, les tats-Unis vont structurer le genre.

    Dans ce contexte florissant, Gernsback lance en avril 1926 Amazing Stories, la premire revue

    entirement consacre ce quil baptise alors la scientifiction. Loptimisme est de rigueur et Gernsback lutte

    pour lavnement dun avenir grandiose, du bonheur pour tous grce aux progrs de la science et des

    avances de la technologie. Le premier numro dAmazing Stories sintitule un nouveau genre de

    magazine , cest le premier pulp entirement consacr la SF. Loin de sadresser la grande masse

    cause de son tiquette populaire, la SF naissante est plus particulirement destine une catgorie de

    techniciens, de chercheurs ou de jeunes curieux des nouvelles dcouvertes. Les couvertures sont assez

    criardes, elles dvoilent souvent les charmes dune malheureuse demi dvtue, hurlant de terreur car

    prisonnire dun abominable B.E.M. (Bug-Eyed Monster), le monstre aux yeux pdonculs qui symbolise, ds

    cette poque, lextraterrestre belliqueux. Les pulps sont un phnomne ditorial typiquement nord-amricain,

    ce sont des magazines fort tirage, bon march, parfois jusqu 500 000 exemplaires, au format particulier,

    17,5 X 25 centimtres, et imprims sur du papier de mauvaise qualit, fabriqu partir de pulpe de bois.

    Depuis au moins 20 ans existaient aux tats-Unis des pulps gnralistes, y tait apparu le Tarzan (1912)

    dEdgar Rice Burroughs. partir de 1915, des pulps plus spcialiss apparaissent : western, policier, aviation,

    amour.

    Gernsback publie dans Amazing Stories de jeunes auteurs aussi bien que des romans de H.G.Wells et de

    J. Verne. En 1926, lanne mme o Amazing Stories voit le jour, Fritz Lang en Europe ralise le film

    Mtropolis (Arte, vendredi 12 fvrier 2010), sa vision terrifiante dun futur dshumanis o lhomme nest quun

    rouage dune machine totalitaire est diamtralement oppose celle de Gernsback. Ainsi lAncien Monde est

    pessimiste et le nouveau monde trs optimiste.

    Face au succs dAmazing Stories, un diteur concurrent lance Astounding Science Fiction en janvier

    1930. Ce nouveau pulp va rapidement supplanter ses rivaux et dominer la SF amricaine pendant 20 ans. En

    1938, il y a dj cinq revues de SF aux Etats-Unis, treize en 1939 et vingt-deux en 1942.

    Un sous genre se dveloppe alors dans les pulps : le space opra. Ce terme dsigne de faon un peu

    pjorative (il imite le terme soap opra : feuilletons radio rallonge pour les mnagres et sponsoriss par des

    marques de lessive) un type dhistoires de SF qui prit son essor dans les annes 1930. Ce sont des rcits

    daventure et daction endiabls se droulant dans lespace interstellaire et comportant une invitable intrigue

    amoureuse sur fond de guerre avec des races extraterrestres, des armadas de vaisseaux se dplaant plus

    vite que la lumire et saffrontant coups de rayons de la mort pour contrler des plantes peuples dentits

    impensables. Ces premiers space opra assez belliqueux ont parfois des relents racistes et sont

    expansionnistes et colonialistes. La recette est toujours la mme : un gros zeste de pplum, un peu de

    western, de cape et dpe, et de littrature coloniale. Cinquante ans plus tard, la recette na pas chang, le

    nouveau cocktail alors sappellera Star War (1977), sans oublier le soupon de mysticisme.

    Les auteurs les plus remarquables de space opra et qui leur donnrent quelques lettres de noblesse sont :

  • 9

    Edward E. Smith (1890-1965), un authentique scientifique qui a crit deux sagas galactiques : Skylark

    et Lensman. Le hros est la fois un scientifique de haut rang, aventurier intrpide et bagarreur. Le

    modle fut copi souvent, le dernier en date est Indiana Jones.

    John W. Campbell (1910-1970), cet homme, scientifique diplm du clbre MIT, va tre pendant 40

    ans une des grandes influences de la SF amricaine. Il connat dabord le succs en tant qucrivain

    sous le pseudonyme de Don A. Stuart puis comme diteur. Cest un matre du space opra et

    principal rival de Smith. En France, est connu un unique roman, La Machine suprme (1934). Il publie

    une poigne de nouvelles poustouflantes, certaines runies dans le recueil, Le ciel est mort (1934-

    1938). Ses deux nouvelles les plus mmorables sont : Crpuscule (1934), un voyageur temporel des

    derniers jours de lhumanit sur Terre, voit un monde domin par les machines. La Bte dun autre

    monde, paru dans Astounding SF en 1938, une expdition scientifique dans lAntarctique dcouvre le

    corps dune crature inconnue, conserve dans la glace. Ramene la vie, elle est capable de se

    rgnrer toute allure, de se multiplier par scission, de prendre nimporte quelle apparence humaine

    ou animale. Cette horreur lche sur le monde, cest la fin de lhumanit, une lutte mort sengage

    alors. Cette longue nouvelle est devenue un classique, elle fut adapte deux fois au cinma, la plus

    connue tant celle de John Carpenter en 1982 : The Thing.

    Mais la SF de lpoque ne se rduit pas au space opra. Certains auteurs traitent de thmes plus srieux, plus

    adultes et annoncent dj la premire rvolution de la SF amricaine. Par exemple, dans Lodysse

    martienne, lauteur fait la description dun martien dou dintelligence mais dont la culture est inintelligible pour

    lhomme.

    Les annes 20 et 30 sont celles de lmergence de la SF dans dautres domaines que la littrature :

    Au cinma, un des premiers films mmorables du genre reste Aelita, une production sovitique

    ralise en 1924 par Protazano, daprs un roman de Tolsto. Deux cosmonautes sovitiques

    atteignent Mars et y dcouvrent un rgime oppressif. Ils y apportent donc la bonne parole et

    dclenchent une rvolution (film avec de lhumour qui vaut le dtour rien que pour les costumes trs

    Art dco). Frankenstein (1931) avec Boris Karloff, Lhomme invisible (1933), King Kong (1933) qui

    restera un des films les plus clbres de toute lhistoire du cinma, surtout pour les effets spciaux

    lpoque trs russis.

    La premire bande dessine de SF apparat en 1929 : Buck Rogers dont lhistoire se passe au

    XXVme sicle. Ensuite, Armageddon 2419 AD et Flash Gordon (Guy lclair en version franaise),

    graphiquement une uvre remarquable adapte la radio ds 1935 et en roman en 1936. Ces BD

    relvent du plus pur space opra.

    la fin des annes trente, lge dor de la SF amricaine commence.

    3. Le premier ge dor : du dbut des annes 40 au dbut des annes 60.

    John W. Campbell prend la rdaction dAstounding SF en 1937. Il va mettre en place une nouvelle

    politique ditoriale et dclencher une vritable rvolution dans la SF. Il veut une SF dingnieur, pour lui un

    bon texte doit sarticuler autour dides et de spculation sur les sciences exactes : la SF devient hard SF (La

    hard science fiction met laccent sur la crdibilit scientifique du rcit, en privilgiant lments rationnels et

    sciences exactes. Elle repose gnralement sur la mise en pratique imaginaire de vritables concepts ou de

    technologies sinon matrises, du moins faisant lobjet de recherches avances). Pour lui, la SF na rien dune

    littrature populaire de divertissement, ni dun moyen amusant de vulgarisation. Elle a sa propre validit, elle

    est lincarnation de la science, principale source de connaissances de lunivers. Outil pour influencer le

    monde, la SF ce sont aussi des rves qui pouvaient devenir vrais. Il exige une littrature en prise avec son

    poque, qui aborde des thmes plus sociaux ou politiques mais ancre sur des bases scientifiques. En 1933,

    Astounding SF avait publi une nouvelle antiraciste et antinazie qui montrait dj lapproche progressiste de

    ce pulp attentif lintrt humain. Il demande ses auteurs une qualit dcriture suprieure tout en faisant

    une place notable lhumain quand il est confront linconnu. Souvent, il proposait des suggestions ses

    auteurs afin quils retravaillent leur texte. Lun dentre eux, Cleve Cartmill, dans une nouvelle intitule Deadline

    publie en mars 1944 dans Astounding, prdisait la fission nuclaire et la mise au point de la bombe A. Ce

    rve devient vrai en juillet 1945 quand les tats-Unis testent la premire explosion atomique de lhistoire

    humaine.

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    Par rapport Amazing Stories, Astounding propose une vision moins caricaturale de la science, cest

    un vritable bond en avant pour un type de littrature qui na pas encore dpass le niveau populaire le plus

    primaire. La SF campbellienne davant guerre a encore une vision positiviste de la science et des idaux

    technologiques optimistes, elle est profondment scientiste.

    Linfluence de Campbell sur la SF amricaine fut considrable, vritable gourou de lge dor, il a rvl de

    nouveaux auteurs qui lon doit les premiers chefs duvres de la SF amricaine. Ces trois crivains

    incarnent le mieux cette cole dAstounding :

    Alfred E. Van Vogt : entre 1939 et 1950, il mne une carrire dcrivain des plus brillantes. Il publie dans

    Astounding SF 35 rcits (romans et nouvelles), la plupart devenus des classiques. Sa vision de la

    littrature est mcaniste, pour lui une histoire se construit davantage quelle ne scrit. Il a renouvel

    compltement le space opera en lui donnant une dimension mtaphysique. Des artistes de premier plan,

    comme Boris Vian, seront conquis par loriginalit et la dmesure de ces rcits : empires galactiques en

    dcadence, paradoxes temporels, cratures extraterrestres trs tranges au comportement parfois

    incomprhensible, voire irrductible lesprit humain. la diffrence de ses prdcesseurs, il propose des

    entits puissantes et dangereuses, comme cette crature dans La Faune de lespace qui servira de

    modle celle du film Alien.

    Robert Heinlein : ancien militaire dans la Marine ayant fait des tudes suprieures, il publie sa premire

    nouvelle, Ligne de vie , en 1939 dans Astounding SF. Il en devient le collaborateur le plus brillant et le

    mieux pay. Avant guerre, il avait commenc crire son Histoire du futur, une fresque immense dans la

    droite ligne du souci dexactitude scientifique et de confiance au progrs cher Campbell. Il y envisage les

    consquences des avances technologiques en accordant une place importante la dimension

    psychologique, il examine avec minutie les rpercussions du progrs scientifiques sur la vie quotidienne

    des gens. Ce grand projet est abandonn aprs 1950, et limage dune grande partie des auteurs de SF,

    sa foi en la science et en un avenir radieux sont en effet remis en question par lutilisation des deux

    bombes atomiques sur le Japon, un complet bouleversement des valeurs sopre alors chez lui. Il se terre

    dans une petite ville perdue de la campagne amricaine, persuad de limminence dun conflit atomique

    mondial. Il sarme mme, car pour lui, dans le monde post-cataclysmique seules les armes feront la

    diffrence pour la survie humaine. Cest dans ce contexte quil publie un chef duvre de la SF

    paranoaque du dbut des annes 50 : Marionnettes humaines (1951). Pour lanecdote, la petite ville lue

    par Robert Heinlein pour sloigner des grands centres urbains cibles de la guerre nuclaire, devient

    quelques annes plus tard un centre stratgique de larme amricaine, autre cible parfaite dans

    lventualit dun conflit. Aprs la guerre, il se lance dans la littrature pour la jeunesse, sa douzaine de

    romans connat un succs considrable. Dans les annes 70, la plupart des tnors de la Nasa dclareront

    avoir choisi une carrire scientifique la suite de la lecture de ces romans : Rocket Ship Galileo (1947),

    Lenfant tomb, Le vagabond de lespace, partir des annes 60, il accumule les prix littraires pour

    des romans quil veut provocateurs (peu apprcis par la critique qui ne parvient pas dcrypter leur

    complexit), lauteur se fait un malin plaisir apparatre l o on ne lattend pas. Par exemple, toile,

    garde--vous ! (1959), est voulu par lauteur comme un violent rquisitoire anti militariste, il est peru

    comme une propagande militariste et xnophobe. En terre trangre (1961) devient lune des bibles du

    mouvement hippie et Rvolte sur la Lune (1966) fait figure de manuel pratique de la Rvolution anarchiste.

    Son apport majeur la SF rside dans sa gestion trs efficace de linformation. Heinlein proscrit les

    longues scnes de descriptions et dexplications qui alourdissent et ralentissent la plupart des rcits. Chez

    lui, tout se passe par les personnages qui sont constamment en action, tout ce que le lecteur doit

    connatre passe par le filtre des personnages : relations entre eux, relations entre eux et lunivers dans

    lequel ils sinscrivent. Le rsultat est une littrature trs dynamique. Cet auteur a profondment boulevers

    le genre et il sest impos comme une rfrence suivre.

    Isaac Asimov : cet crivain, scientifique de formation (docteur en chimie) est un des gants du genre. Il

    incarne lesprit de lcole dAstounding SF et lge dor de la SF. Boulimique de lcriture, il a rdig plus

    de 400 livres. Deux cycles romanesques majeurs sont retenir :

    La trilogie Fondation, runie en trois recueils de 1951 1953, taient lorigine une poigne de

    nouvelles crites et publies dans Astounding SF. Aprs 1940, le space opra est plus humaniste

    (celui des annes 30 tait davantage caricatural et simpliste), il fait lobjet dun traitement plus

  • 11

    complexe. Ainsi, Asimov va lui donner une ambition intellectuelle, riche et potique. Fondation est

    une vaste fresque spculative, conue comme une raction au space opra divertissant des

    annes 30 et une rponse optimiste la sombre ambiance provoque par le dbut de lre

    atomique. Cette uvre matresse dAsimov sinspire de lHistoire du dclin et de la chute de

    lEmpire romain (1776 1788) de lhistorien anglais Edward Gibbon (1737 1794), cet ouvrage

    tait une rfrence majeure du monde anglo-saxon pendant tout le XIXme sicle, il postulait

    linluctable fin des empires coloniaux. Asimov applique les postulats de Gibbon lempire

    galactique de Trantor qui recouvre 25 millions de mondes habits. Dans le futur, lhumanit a quitt

    son berceau la Terre, elle sest rpandue dans toute la galaxie (la Voie Lacte), peu peu un

    colossal empire sest constitu dont la capitale est Trantor. Mais lempire est gangren par la

    corruption et menace de se dsagrger. Un scientifique Hari Seldon, inventeur de la psychohistoire

    (tude scientifique du comportement des individus permettant de prvoir long terme les

    volutions de la socit afin dinfluer le cours des vnements) avec dautres scientifiques, refuse

    ce qui apparat inluctable : le retour de la barbarie. Seldon planifie alors lhistoire future sur

    plusieurs milliers dannes, en esprant rduire lge barbare 1000 ans, ce plan devra en thorie

    permettre une rsurgence de la civilisation aprs cette priode. Ce futur envisag par Asimov est

    une mditation sur lhistoire (sa vision en est ultra dterministe), sur le devenir de lhumanit et sur

    le rle et les enjeux des sciences appliqus lchelle dune civilisation galactique. Mais ce cycle

    nest jamais ennuyeux. Expurge de tout extraterrestre, la galaxie de cet empire de Trantor

    ressemble en fait une vision densemble de lhistoire terrienne. Afin que lempire de Trantor

    renaisse, Asimov fait utiliser ses personnages deux outils : la religion et le commerce

    ( idal libre-changiste). Il ne fait que rsumer lextrme le sens de lhistoire occidentale pour

    tmoigner de son poque (celle dune Amrique alors considre comme la nation la plus

    dveloppe). Dun point de vue idologique, Fondation est au final une transposition du monde

    partag au dbut des annes 50 : il y a la civilisation (lempire de Trantor = les tats-Unis et le

    reste du monde occidental) incarnant lordre, et la barbarie (les mondes barbares = lU.R.S.S. et

    son re dinfluence) symbolisant le chaos. Cette opposition binaire sexprime par la question de

    lnergie atomique : lempire est bien sr rput pour son usage clair de latome la diffrence

    des barbares auxquels il faut interdire laccs cette connaissance.

    Ce cycle de psychohistoire se prolongera avec succs dans Fondation et empire (1952) puis

    Seconde fondation (1953) et suivi bien plus tard par une suite de 4 volumes dun intrt mineur,

    entre 1982 et 1992.

    Cette trilogie est un des chefs duvre de la SF, dailleurs en 1966, les Amricains lont lue

    meilleure srie de SF de tous les temps.

    Le cycle des Robots (1940 1964) : Le Livre des robots ( lorigine au moins 17 nouvelles, ensuite

    runies dans deux recueils : les Robots et Un dfil de robot) est construit autour des trois Lois de

    la Robotique. Ces trois lois de la Robotique constituent le code thique qui rgit le comportement

    des robots envers lhomme.

    Loi n1 : Un robot ne peut blesser un tre humain ou, par son inaction, permettre quun tre humain

    soit bless.

    Loi n2 : Un robot doit obir aux ordres qui lui sont donns par des tres humains, sauf quand de tels

    ordres sopposent la Premire Loi.

    Loi n3 : Un robot doit protger sa propre existence aussi longtemps quune telle protection ne

    soppose pas la Premire Loi ou la Deuxime Loi.

    Ce cycle tmoigne dune poque (entres les annes 50 et 70) o lon croyait quils ne

    supplantent les hommes. Ce thme de la SF na plus tellement la cte, cest pourquoi aujourdhui

    linformatique et ses perspectives dintelligences artificielles lapparence moins humaine ont pris

    le relais des robots qui apparaissent bien difficiles techniquement mettre au point. Asimov y

    imagine des situations afin de piger ses fameux robots positroniques en jouant sur la

    complexit de lme humaine et les difficults comprendre les motivations dautrui (notamment

  • 12

    pour un robot qui nobit qu la logique) ou sur les contradiction entre les trois lois, censes

    assurer un comportement parfait en thorie aux robots (incapables en thorie de se retourner

    contre leur crateur).

    La Seconde Guerre mondiale et lconomie de pnurie aux tats-Unis vont tuer les pulps. En effet,

    ils ne vont pas survivre au rationnement de papier. Ils sont remplacs par des digests, magazines peine plus

    grands quun livre de poche. Ils reprennent la formule des pulps, y sont publis des nouvelles, des romans en

    pisodes, le courrier des fans.

    Astounding SF est la premire revue populaire passer en poche en 1943. Campbell en est satisfait car sa

    revue devient plus srieuse et prend ses distances avec les pulps populaires.

    Dans ce contexte, deux nouvelles revues sont crs en format poche :

    The Magazine of Fantasy and SF (1949) : cette revue saffirme rapidement comme un support dont

    le niveau est purement littraire, donc diffrent de la tradition populaire des pulps. Cest une revue

    ouverte qui publie un large spectre de nouvelles relevant de limaginaire en gnral : SF, mais

    aussi fantasy, fantastique, trange, insolite.

    Galaxy (1950) : revue qui se situe entre la SF pure et dure dAstounding SF (hard SF) et la

    sophistication intellectuelle de The Magazine of Fantasy and SF. Elle propose une SF plus satirique

    avec un net penchant pour lhumour, plus tourne vers lhomme et la socit, plus psychologique.

    De ces deux revues sont sortis des grands classiques de la SF, comme Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. De

    grands auteurs y ont commenc : Arthur C. Clarke, Frank Herbert, Philip K. Dick.

    lapoge du space opra va correspondre aussi une priode de prise de conscience sceptique

    lgard des merveilles de la science. partir des annes 50, la littrature de SF se fait rattraper par les

    horreurs technologiques de lhistoire (lampleur dramatique des explosions de la bombe fission sur

    Hiroshima et Nagasaki, la mise au point de la bombe fusion, beaucoup plus puissante, en 1952 par les

    tats-Unis), le dveloppement antagoniste des deux blocs idologiques Est/Ouest (la course aux armements),

    succdent aux horreurs nazies.

    Des courants pessimistes et dystopiques fleurissent, ils posent les enjeux de la socit moderne en

    constante volution, envisagent le devenir de lhomme. Mme les campbelliens les plus enthousiastes sont

    hants par la menace palpable et abstraite de la destruction de la civilisation dautant plus que les tats-Unis

    dans les annes 50 sont marqus par la peur. En effet, cest lpoque de la chasse aux sorcires . La peur

    et la psychose du complot communiste entranent une vritable croisade contre les lments subversifs

    mene par McCarthy (1950 1954). Le terrain de chasse est le Dpartement dtat, les universits, les

    milieux intellectuels, les milieux scientifiques et artistiques.

    Au cinma, cette paranoa se rsume par le slogan du martien = rouge . Ces martiens, venus de la

    plante rouge (Mars), cristallisent toutes les peurs, notamment celle du communisme. Ladaptation

    cinmatographique du roman dH.G. Wells, La guerre des mondes par Bayron Haskin en 1954, est un

    exemple parfait dinvasion extraterrestre derrire laquelle il faut voir celle du communisme.

    Lhystrie culmine avec le thme de linvasion, mais sournoise elle traduit la paranoa de lespion. Dans

    le roman LInvasion des profanateurs (1955) de Jack Finney (adapt au cinma sous le titre LInvasion des

    profanateurs de spulture en 1956 par Don Siegel) langoisse est son comble : des cosses vgtales

    dorigine extraterrestre se substituent peu peu aux tres humains sans quon puisse dceler leur vritable

    nature. Dans Les Coucous de Midwich (1957) de John Wyndham, des enfants surdous et tlpathes sont

    mystrieusement conus. Diffrents, ils sont dangereux et en pleine paranoa maccarthyste, les enfants,

    expression de notre avenir, sont prts nous remplacer, voire nous menacer. De ce roman, deux films

    seront tirs, dont Le Village des damns de John Carpenter en 1994.

    Preuve que la SF se fait rattraper par les horreurs de lhistoire, la veine catastrophique se dchane

    aussi en Angleterre et en France. En Angleterre, le roman Les Triffides (1951) de John Wyndham raconte une

    humanit dcime par des plantes mutantes ; en France, deux auteurs vont transposer dans lespace les

    guerres et leurs horreurs dans La Plaie (1964), un space opra trs tnbreux aux images fortes.

    La mise au point des bombes A (1945) et H (1952) et la course aux armements font natre et se

    multiplier des fins du monde thermonuclaires et des renaissances post-atomiques. Dans la littrature de SF

    plthore de romans sont parus sur le sujet. Celui de Walter Miller retient lattention : Un cantique pour

  • 13

    Leibowitz (1961) est une synthse ingale des visions pessimistes engendres par la peur atomique des

    annes 50. Six sicles aprs le cataclysme nuclaire, des moines copistes conservent les dernires bribes du

    savoir dans un monde retourn au Moyen-ge. Ce roman post-apocalyptique retrace une nouvelle histoire de

    lhumanit ramene au stade barbare. Pour reconqurir le savoir, elle doit repasser par les trois poques cls

    de lhistoire humaine : Moyen-ge, Renaissance et Temps modernes. Mais comme par fatalit, le nouveau

    monde se civilise tout en conservant la violence culturelle hrite de sa gense : lapocalypse atomique. Les

    consquences de cette guerre se perptuent dans les squelles physiques de certaines lignes de

    descendants, tel un avertissement pour les gnrations futures. Mais lauteur opte pour une fable de lternel

    recommencement. En effet, si le savoir a pu de nouveau rpandre, la civilisation humaine ne tiendra pas

    compte des leons du pass et sempressera de reproduire un autre holocauste nuclaire. Sans doute dfinitif

    celui-l. Lauteur nest toutefois pas nihiliste, sa conclusion est nette et sans appel : le dpart dune arche

    spatiale en direction dAlpha du Centaure, ltoile la plus proche de notre propre toile seulement 45 000

    milliards de kilomtres. Ainsi, la seule porte de sortie pour lhomme tient lvidence dans la fuite vers les

    toiles. Un an plus tard, en octobre 1962, la crise de Cuba entre les deux grands marque le paroxysme de la

    peur nuclaire avec la crainte de la confrontation directe.

    De mme, le franais Pierre Boule avec La plante des singes (1963) exprime ses doutes envers la

    science et sinterroge sur la dfinition de lhumanit. Ce roman a connu de nombreuses adaptations

    tlvisuelles et cinmatographiques (les mises en images sont pertinentes, surtout celle de 1968, mais assez

    loignes du roman) de 1968 2001 qui ont permis lauteur de connatre une renomme mondiale

    notamment aux tats-Unis.

    Limpact psychologique de la bombe se retrouve aussi au cinma, support privilgi pour mettre en

    image lapocalypse nuclaire. Beaucoup de films ont trait du sujet, un retient lattention : Docteur Folamour

    (1963) de Stanley Kubrick. Ce film brillant dlaisse le drame pour lhumour noir, Kubrick dune manire ose et

    jouissive exorcise le cauchemar de la bombe.

    Paralllement cette SF qui traduit les horreurs technologiques, des auteurs abordent des questions

    dordre social, la SF commence muter, elle sintresse davantage aux grands problmes du temps. Dans

    Plante Gogos (1953), Frederik Phol pingle le monde capitaliste et lunivers des mdias dans une vision du

    devenir dun monde soumis la toute-puissante publicit. Lhistoire se passe au XXIe sicle, le mode de vie

    lamricaine sest impos sur toute la plante, dans sa version la plus radicale. Lhomme est rduit au

    simple statut de consommateur, il est constamment assailli par des messages publicitaires auxquels il est

    impossible dchapper. Le monde, pollu et surpeupl par une humanit abrutie, est devenu un immense

    temple la gloire du dieu consommation. Mais un groupe dcologistes lutte contre la toute-puissance des

    agences de pub. Malheureusement ce roman est dune grande lucidit prdictive. Typique de ltat desprit

    contestataire qui rgnait dans les pages de la revue Galaxy SF au cours des annes 50, cette uvre tranche

    avec les auteurs de Campbell plutt conservateurs ct.

    Rflchir sur les questions de la libert, du bonheur et du sens de la vie devient lun des enjeux de la

    SF. Des auteurs comme Ray Bradbury dans les Chroniques martiennes (1951), font preuve de psychologie

    avec beaucoup de finesse, ils sinterrogent sur lessence de la nature humaine et envisagent les nouvelles

    difficults auxquelles la socit confronte lindividu. Il y raconte lhistoire du peuple raffin et incompris des

    Martiens qui disparat inexplicablement dans lindiffrence gnrale. Elle peut se lire comme une parabole des

    ravages de limplantation europenne sur le continent amricain.

    Vers la fin de lge dor, les romans proposent dsormais plus systmatiquement au lecteur une

    rflexion sur ltat de la civilisation occidentale (peur du prsent, perte de confiance en lavenir et en la

    science, remise en question radicale), le temps de lmerveillement de la science, propre Campbell et son

    curie dauteurs avant guerre est rvolu, dsormais la SF traduit davantage les nouvelles angoisses de la

    civilisation consciente de ses difficults concilier science et socit. En plus, les annes 60 voient les

    naissances dune prise de conscience des ravages de la pollution et des idaux cologistes. Le thme des

    dsquilibres naturels remplacera le cataclysme nuclaire.

  • 14

    4. Des annes 60 aujourdhui : une SF mutante ?

    a) Une rvolution ditoriale.

    Dans les annes 60, la SF connat une vritable rvolution, surtout ditoriale. Cette dcennie constitue

    pour elle une priode charnire, de grande mutation. En effet, depuis la cration dAmazing Stories en 1926,

    les revues spcialises ont reprsent le support quasi unique de lexpression littraire du genre. Au dbut

    des annes 60, le march des revues reste domin par celle de J.W. Campbell, rebaptise Analog. Galaxy SF

    et The Magazine of Fantasy and Science-Fiction demeurent toujours prsentes et dune assez bonne tenue

    littraire. Mais, quand on les feuillette, la SF amricaine des revues touche sa fin, la dcennie prcdente a

    connu de tels sommets que les annes 60 semblent manquer souvent dambition et doriginalit.

    Avant guerre, les uvres de SF paraissant en librairie taient trs rares. Pendant longtemps, les

    revues ont t le vecteur privilgi de la SF et ce jusquau dbut des annes 60. Quelques amoureux du

    genre avaient cr des structures ditoriales spcialises pour sauver de loubli les meilleurs textes (les pulps

    taient un support trs prissable et mpris par les diteurs, les critiques et les bibliothcaires). Il sagissait

    douvrages relis sous jaquette, souvent trs beaux et solides, mais faible tirage donc assez chers. Ils

    taient raliss par des passionns pour des passionns. Pourtant ce fut un vritable succs et les diteurs

    gnralistes commencrent publier de la SF en ditions relies. En mme temps, survient la rvolution du

    livre de poche. Les diteurs font de la SF, une composante majeure de leurs catalogues et elle rejoint le polar

    dans le circuit de la grande distribution. Les uvres bnficient dune meilleure exposition et le lectorat du

    genre slargit. Dans un premier temps, les collections de poche se contentent de rditer des romans dj

    publis en revues, puis ils publient de lindit.

    Jusque-l, la SF tait pour lessentiel une littrature de la forme courte (les uvres longues

    paraissaient en feuilleton dans les revues). Dans ce nouveau contexte ditorial, le roman va devenir

    rapidement le mode dexpression dominant. Les consquences de ce renversement sont lourdes et prsent

    encore aujourdhui sur la SF. Les diteurs commandent alors aux auteurs des romans devant paratre

    directement en volume.

    b) Entre folie et fiction : Philip K. Dick (1928-1982).

    Cet auteur est emblmatique de cette nouvelle SF des annes 60 qui tourne le dos celle de

    Campbell et de sa foi en la science toute puissante. Il est rest secondaire aux tats-Unis et a vcu de ses

    droits de romans en Europe. Certains le considrent comme lcrivain de SF le plus brillant du monde. Il y a

    un avant et un aprs K. Dick, et particulirement en France. Cet auteur, qui avait des problmes avec la

    drogue nen tait pas moins un crivain gnial. Tortur en outre par ses propres nvroses, il a crit une SF

    dsespre, centre sur le caractre factice du rel et lexploration pige des univers intrieurs de ses

    hros. Les romans qua publis K. Dick entre 1962 et 1969 ont ouvert la SF de nouveaux territoires, ceux du

    vertige, de la perte des repres sensibles, de la dglingue, de langoisse. Dj en 1955, il crivit un article

    intitul Le pessimisme en science-fiction : Se proccupant de lavenir de la socit humaine, la science-

    fiction est finalement le thtre des soubresauts conscutifs la perte de confiance dans la science et dans le

    progrs scientifique quon observe aujourdhui de par le monde, la perte de cette foi que nous inspirait

    nagure lide mme de progrs et de lendemains qui chantent. En refltant cette sensation de catastrophe

    imminente, lcrivain de science-fiction ne fait quadopter la dmarche de tout auteur responsable. Cet

    auteur ainsi trs pessimiste a ses thmes de prdilection :

    La tyrannie politique qui alimente ses romans cataclysmiques. En effet, les consquences de la guerre

    nuclaire permettent de modifier des socits dans lesquelles le capitalisme survit et prospre : Docteur

    Bloodmoney (1965), Blade Runner (1968).

    Les univers alternatifs et le jeu sur le rel. Avec Le Temps dsarticul (1959), Dick dveloppe le thme

    du simulacre pour en faire lide matresse de son uvre : Le monde dont nous faisons lexprience

    nest pas le monde rel, mais autre chose, une semi-ralit, un leurre . Il accde au dbut des annes

    60 la reconnaissance avec Le Matre du Haut-Chteau (1962), une tonnante uchronie (sous-genre de

    la SF qui repose sur le principe de la rcriture de lHistoire partir de la modification dun vnement

    du pass.) couronne par un prix Hugo, la rcompense suprme pour les livres de SF en hommage

    Hugo Gernsback. Ce roman est une formidable rflexion sur la notion du rel, car pour lui nous vivons

    tous dans des illusions qui se chevauchent. Dans le monde uchronique quil dpeint de faon trs

  • 15

    raliste les forces de lAxe ont gagn la Seconde Guerre mondiale, elles occupent avec ses allis le

    monde et mme les tats-Unis. Dans ce monde fictif imagin par K. Dick, le Matre du Haut-Chteau

    crit une autre histoire, une autre uchronie : celle des Allis qui ont gagn la guerre contre les dictatures.

    Autrement dit dans Le Matre du Haut Chteau, l'Axe a gagn, et un roman parle avec un ralisme

    bluffant de la victoire des Allis. Dans notre monde, les Allis ont gagn et un roman parle avec un

    ralisme bluffant de la victoire de l'Axe. Simple littrature ? Peut-tre si ce nest quen interrogeant le

    Yi-King (mthode de divination extrme orientale) propos de cette ralit suppose alternative et

    fictionnelle, loracle rvle que ce monde que lon croyait imaginaire est le seul vritable. Le matre du

    Haut-Chteau comme les personnes qui lentourent comprennent ds lors quils ne sont que des leurres,

    voluant dans un univers fictif. Vritable mise en abme, ce livre est davantage quune simple uchronie, il

    constitue une incontestable rflexion sur la notion de rel. En effet, lauteur attentif sapercevra que la

    ralit dcrite dans le roman dans le roman (ce monde o les nazis ont t vaincus et qui est le vrai

    monde ) nest pas tout fait le sien. Donc nous vivions, nous aussi, dans une illusion.

    Le motif de landrode et du simulacre humain avec Blade Runner. Lartificiel et le naturel ont fusionn,

    un test psychologique complexe est ncessaire pour dterminer lidentit humaine ou artificielle dun

    individu.

    Ainsi, Philip K. Dick peut tre considr comme lcrivain du doute pour lequel la ralit nest quune

    illusion. Tous ses personnages sont la recherche dune vrit qui est gnralement ailleurs. Ce conteur

    exceptionnel rompt avec la SF de lge dor. Il a propos des romans dune haute qualit littraire . Ignor par

    le milieu de la science-fiction amricaine et emptr dans de rcurrents problmes dargent et de sant, il a

    connu une gloire tardive, pour ne pas dire posthume. Lanne de sa mort Ridley Scott adapte au cinma son

    roman Blade Runner qui sera un vritable succs.

    c) merge la fin des annes 60, une mouvance littraire davant-garde : la New Wave.

    Au milieu des annes 60, alors que samoraient les mouvements de la contre-culture, puis de la

    contestation politique, notamment de lopposition la guerre du Vietnam, la SF semblait fige, routinire,

    ressassant les mmes thmes, sans ouverture, sans remise en cause. Une poigne de jeunes auteurs

    talentueux entreprend de faire bouger les choses en sinspirant des avant-gardes artistiques et contestataires

    de la fin des annes 60 : Greenwich Village aux tats-Unis ou le Nouveau Roman en France. Il faudra faire un

    dtour par lEurope et tre publi dabord en Angleterre o la revue novatrice et quelque peu provocatrice

    dirige par Mickael Morcoock, New Worlds, accueille les textes les plus exprimentaux, les plus audacieux sur

    le plan thmatique : sexe, violence, politique. Le style de cette revue choquerait la pudibonde Amrique, ses

    textes assez avant-gardistes seraient rejets davance par un lectorat amricain trop conservateur. New

    Worlds rvle de nombreux auteurs britanniques linitiative de ce bouillonnement quon appellera New

    Wave (Nouvelle Vague). Des Amricains novateurs ayant des difficults publier aux Etats-Unis y

    participrent ensuite. La New Wave dlaisse les sciences dites dures au profit de thmatiques sociales,

    psychologiques, voire philosophiques. En effet, lhomme dans sa dimension individuelle ou collective,

    constitue le centre dintrt de cette littrature souvent engage et ouverte aux critures exprimentales. Le

    terme de spculative fiction est prfr celui de science-fiction pour qualifier tous les textes relevant des

    critres de la New Wave. Mordantes, trs labores et directement en prise sur les enjeux de la socit, des

    uvres mmorables et de grande qualit ont ainsi vu le jour :

    Tous Zanzibar (1968) de John Brunner est un puzzle aux techniques littraires complexes. Ce non-

    roman de 700 pages la structure totalement clate se divise en quatre squences rcurrentes, o

    sinterpntrent la fois le rcit et des encarts constitus de coupures de presse, publicits et autres

    extraits tlviss rendant compte du monde en 2010, afin dimmerger le lecteur dans un ailleurs futur. En

    toile de fonds, la plante Terre est englue dans une crise internationale chronique, en proie la

    surpopulation, la violence, la pollution omniprsente, dchire entre des multinationales lemprise

    croissante, monte des idologies messianiques, et un Big Brother lectronique. Quand on compare le

    monde terrifiant de 2010 imagin par Brunner en 1968 et notre quotidien en 2010, force est de constater

    quil a su faire preuve dune certaine clairvoyance : la crise financire et ses implications sur lconomie

    relle, les activits humaines en partie responsables du rchauffement climatique, les multinationales

    toutes puissantes dans le contexte de la mondialisation, la monte en puissance des extrmismes

  • 16

    religieux, et pour finir la firme Google qui nous pie, sans parler de la vidosurveillance. Beaucoup

    considre ce roman comme lapport le plus important de la SF la littrature mondiale au XXe sicle.

    Jack Barron et lternit (1967) de Norman Spinrad. Avec ce roman provocateur qui fit scandale

    lpoque, lauteur avec un langage cru et argotique part en croisade contre les citadelles du pouvoir, de

    largent et de la politique. Refus avec une inquitante unanimit par le march amricain, finalement

    prpubli dans New Worlds, ce texte vaudra cette publication une interdiction de paratre pour cause

    de pornographie. Le contenu sexuellement explicite tranchait singulirement avec la production de

    lpoque.

    Lhistoire : animateur dune mission de tlvision trs populaire o il joue les redresseurs de torts, Jack

    Barron est un jour confront au dilemme de sa carrire : profiter de son impact sur le public pour dmolir

    la Fondation pour limmortalit, dirige par un homme parmi les plus puissants du monde, sil arrive

    cela il se voit offrir la palme de lintgrit, la prsidence dun des principaux partis politiques amricain et

    terme la prsidence du pays. Sil ne dmolit pas la Fondation pour limmortalit et reste silencieux, son

    riche directeur lui offre limmortalit, lui et la femme quil aime. Ce choix cornlien est dautant plus

    difficile que Barron est un grand dfenseur de la veuve et lorphelin, un critique acerbe des institutions

    politiques et un dnonciateur des abus et des injustices de ladministration.

    Sa publication fit scandale, ce roman est une remarquable fable sur laffrontement entre le pouvoir

    politique et celui des mdias. Surtout, ce texte mordant est en prise avec les enjeux de la socit et il

    montre que la New Wave sest efforc de jeter un pont entre littrature dit gnrale et une littrature dite

    de genre et marginale souffrant dun manque de respectabilit.

    La New Wave, bien que difficile daccs et jusqu' en devenir sotrique, a permis avec luvre de

    Philip K. Dick de rveiller une SF qui stait un peu endormie en renouvelant en profondeur ses thmes et son

    style.

    Paralllement la new Wave, les annes 60-70 se caractrisent outre-Atlantique par une grande

    diversit. Des uvres remarquables apparaissent comme le cycle de Dune (1965) de Frank Herbert qui

    devient le plus grand succs ditorial du genre. Ce space opra est une uvre dmesure qui brasse pas

    moins dune centaine de mondes regroups en un immense empire cheval sur plusieurs galaxies. Elle se

    dmarque du reste de la SF par sa richesse, sa complexit, son criture potique. Y sont traits les questions

    de lquilibre des pouvoirs, de lcologie et de la sociologie. Elle nous apparat comme une vaste rflexion sur

    le sens de lhistoire, de lhumain et de la connaissance. Si elle est indiscutablement luvre de SF des annes

    60, quoique Dune a terriblement vieilli, elle nen reste pas moins larchtype de cette littrature commerciale,

    rdige plus qucrite, dans un contexte de monte en puissance du roman. Cest la mode du livre -univers

    rapidement dclin en srie interminable et parfois indigeste. noter, ladaptation de Dune par David Lynch

    en 1984, avec Sting dans un des rles principaux.

    En 1968, a lieu un tournant avec 2001, Lodysse de lespace de Stanley Kubrick. Ce film, ralis en

    troite collaboration avec lcrivain de SF Arthur C. Clarke, changera le cinma de SF pour toujours. Il

    sattache montrer la place infime occupe par lhomme dans lunivers. Il na rien voir avec les grands films

    suspense de la guerre froide, lennemi nest plus dhypothtiques extraterrestres mais une machine cre

    par lhomme lui-mme. Si ce film parat pour certains prtentieux et incomprhensible, il ne laisse pas

    indiffrent. Kubrick a eu le mrite de se dbarrasser de toutes les navets du genre, monstres de lespace,

    combats spatiaux. En ralisant un film de SF adulte lexprience visuelle hors norme lpoque, il voulait

    que chaque spectateur spcule sur ses significations.

    d) Le courant cyberpunk : la dernire esthtique de la SF ?

    Les annes 70 ont vu les progrs fulgurants de linformatique avec la miniaturisation des transistors

    des microprocesseurs. Le premier microprocesseur conu par la socit Intel en 1971 comptait 2800

    transistors sur la surface dun ongle. Aujourdhui il y a presque un milliard de transistors sur la mme surface.

    Les ordinateurs ont ainsi acquis davantage de puissance de calcul permettant de multiples applications qui ont

    rvolutionn lindustrie, la communication, mais aussi lcriture avec lapparition du traitement de texte . cette

    poque, le grand public tait fascin par les possibilits offertes par ces machines. La SF a anticip ces

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    potentialits et cest en ce sens quelle est un formidable outil pour alerter en montrant de quoi demain peut

    tre fait.

    De ces techniques nouvelles au dbut des annes 80 nat un nouveau courant de la SF : le

    mouvement cyberpunk, cyber pour informatique et punk pour voyous. Cette association peut

    surprendre, mais pour bien en saisir toute la porte, il faut se rappeler dabord que le mouvement punk, initi

    dans lAngleterre au milieu des annes 70 par des groupes de rock tels que les Sex Pistols, vhicule une

    idologie pessimiste sur notre socit, il va lencontre des valeurs traditionnelles de la socit quil rejette

    dans son intgralit. Son leitmotiv est le clbre slogan nihiliste No Future , on peut lassocier au

    mouvement alternatif en gnral dans lequel on retrouve la marginalit cibiste et informatique du dbut des

    annes 80. Politiquement, les punks sont rapprocher du courant anarchiste.

    Le cyberpunk dpoussire limaginaire de la SF quil rend mutante en insrant le rcit dans des futurs

    assez proches et pessimistes, violents, touffants et domins par dimmenses multinationales. Le dcor est

    une urbanisation tentaculaire, lintrigue est proche du thriller. Le tout baigne dans une technologie

    omniprsente : informatique et rseaux, gntique, cyberntique, cyberespace, ralit virtuelle. Parfaitement

    intgre la vie courante, elle na pourtant rien de merveilleux.

    Lhumain semble y tre dpass par la machine, la technologie avanant plus vite que la pense.

    Lhomme et la machine y fusionnent pour donner naissance des tre hybrides, constitus de chair et de

    mtal. Les corps sont envahis par des membres artificiels, des circuits imprims, sont utiliss la chirurgie

    esthtique et les modifications gntiques. Directement connects des ordinateurs, numriss pour tourner

    dans une ralit virtuelle, modifis par des neurotoxines, mme les cerveaux nchappent pas la rgle de

    linvasion.

    Les personnages, souvent des antihros cyniques, ont leur corps augments artificiellement grce

    lassociation du naturel et de la technologie dans la ralit. Dans les environnements virtuels, ils se meuvent

    grce un ordinateur branch sur leur cerveau, sous la forme davatars. Ils nont pas pour ambition de

    renverser lordre des choses, il se contente de survivre aux dangers de cette ralit implacable. Ils ne sont

    souvent que des pions manipuls par des organisations qui les dpassent : multinationales gantes, syndicat

    du crime, socits secrtes, gouvernements. On retrouve ainsi dans la littrature cyberpunk le thme du

    complot.

    Toutes ces techniques utilises dans les uvres cyberpunks permettent de rflchir sur la nature de

    lhumanit, qui est aujourdhui un tournant de son volution car elle possde les moyens de raliser les

    avenirs angoissants et plausibles dcrits dans les annes 80. Aujourdhui des personnes trs srieuses

    pensent que le corps est devenu obsolte et que le temps de lhumanit 2.0 est arriv, la fusion de lhomme et

    de la machine nest plus une utopie pour eux. Dans les annes 80 le pressentiment de futurs proches, o des

    univers entirement virtuels et physiquement cohrents pour les personnages existent, ne peut laisser

    indiffrent aujourdhui compte tenu des progrs raliss dans le domaine de la ralit virtuelle : les jeux vido,

    dont les adolescents et les adultes sont friands, se droulent dans des environnements immatriels trs

    ralistes ; et que dire de Second Life, un univers entirement virtuel sur le rseau internet o en toute libert

    des millions de personnes de par le monde vivent une deuxime vie. La SF avec le cyberpunk, depuis

    presque 30 ans dj, avait traduit avec une certaine justesse ces innovations technologiques et scientifiques

    qui bouleversent les fondements de notre socit aujourdhui.

    Le roman qui symbolise ce nouveau courant est Neuromancien de William Gibson publi en 1984.

    Assez difficile daccs, au style droutant, il est cependant considr par certains critiques comme la bible du

    mouvement cyberpunk, il a reu les trois plus grands prix pour une uvre de SF. Gibson a eu lintuition de

    lcrire suite ses observations concernant la fascination naissante des jeux vido. Vaste enqute dans les

    mondes virtuels, ce roman trs innovant et moderne, a t une vritable renaissance pour une littrature de

    SF en panne dides. Mme si Gibson na pas invent la notion de cyberespace, il a cre la manire de le

    ressentir, il a aussi anticip limportance vitale de linformatique et des rseaux sur nos socits, notamment

    celle dInternet. Lenqute est mene par Case, un briseur de code, un hacker, il est aid par Molly, une

    femme mercenaire dont le corps est envahi de gadgets technologiques. Case se sent mal dans sa chair, il na

    quune envie : fuir dans le virtuel, son cerveau directement branch sur la matrice, o il excelle. La socit est

    dstabilise par une technologie informatique omniprsente, ce futur proche est gouverne par des

    puissances virtuelles, des Intelligences Artificielles, des multinationales se livrent une guerre sans merci au

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    nom du profit. Laction se passe dans un environnement urbain immense et souvent dlabr : la conurb qui

    stend sur 3000 kilomtres.

    Lauteur Norman Spinrad a crit propos de Neuromancien : le Neuromancien est un magicien

    daujourdhui, dont la sorcellerie consiste effectuer directement linterface entre son systme nerveux

    protoplasmique et le systme nerveux lectronique de linfosphre, en se servant d images pour la manipuler,

    de la mme faon que les chamans traditionnels se servent dimages pour agir, par la drogue ou la transe,

    dans les espaces mythiques traditionnels .

    Dautres romans cyberpunks anticipent lavnement de la socit numrique engendre par la

    prolifration informatique, en voici quelques-uns :

    Comte Zro (1986) et Mona Lisa sclate (1988), les suites de Neuromancien par le mme

    auteur qui poursuit son exploration du monde de linformation et de lintelligence informatique. Ces

    deux uvres sont beaucoup plus riches et complexes, toutefois elles ne produisent pas le mme

    impact sur le lecteur.

    Cbl de Walter Jon Williams (1986) traduit tout autant les implications informatiques et

    laspiration post-humaine de ses personnages. Cowboy est un ancien pilote de chasse aux yeux

    infrarouges, Sara dispose dun cybercobra lov dans la gorge, Reno est dcd mais vivant dans

    linterface informatique.

    Deux anthologies originales prsentent un choix des meilleures nouvelles cyberpunk et

    assimiles : le manifeste du mouvement, Mozart en verres miroir ; ainsi quune anthologie dorigine

    franaise, Demain les puces, rdite en 1996.

    Samoura virtuel de Neal Stephenson (1992) qui consacre une attention particulire la figure

    du hacker, celui qui manipule les langages et les codes informatiques. Aux tats-Unis, dans ce futur

    proche o linformatique occupe une place prpondrante dans la vie quotidienne, Hiro protagoniste

    agit pour percer les mystres du monde et rvle une cartographie de la ralit aussi surprenante

    que vertigineuse. Dans le rel, cest un looser, dans le mtavers quil a particip programmer un

    hacker trs rput. En menant une enqute pour dcouvrir lorigine dune drogue agissant dans la

    ralit et dans le mtavers, il va dcouvrir que la religion est un virus neurolinguistique utilis depuis

    lAntiquit par des prtres sumriens. On retrouve ici la thorie du complot chre au mouvement

    cyberpunk.

    Finalement le cyberpunk est la partie obscure de la SF. Si ses uvres nont pas la grce et lattrait des

    autres univers de SF, comme le space opera, ce courant nen a pas moins apport une certaine esthtique

    difficilement contestable la SF sans parler dune vision prospective quant lavnement dune socit tout

    numrique. Le mouvement cyberpunk a aussi contamin les autres arts :

    Le cinma : Blade Runner de Ridley Scott en 1982 ; Tron en 1982 ; eXistenz de David Cronenberg

    en 1999 ; et surtout la trilogie Matrix o lhumanit dans un environnement virtuel est rduit

    lesclavage par des machines qui leur font croire quils ont leur libre arbitre. Les frres Andy et Larry

    Wachowski en 1999 se sont directement inspir de Neuromancien, toutefois leur adaptation sen

    loigne et seul le premier volet est retenir, les deux autres ntant quune succession deffets

    spciaux limage de notre temps, superficiels et creux. Le cinma populaire dans son ensemble

    utilise la SF dans un but mercantile, cest pourquoi bien des films sont vides mais visuellement

    attrayants et peu enclin nous bouriffer les neurones.

    Lart performance : lAmricain Mark Pauline travaille sur le lien entre la technologie et son contrle

    ou sa perte de contrle par lhomme. Dans une interview en 2005, il affirmait : J'aime faire des

    machines qui peuvent faire leurs propres spectacles... des machines qui peuvent faire tout ce que

    font celles des livres de science-fiction. Je veux tre l pour raliser ces rves .

    Stelarc, cet artiste performer australien considre que le corps est obsolte. Utilisant son corps

    comme support artistique, il affirme que le temps est venu pour lhomme de se coupler la

    machine. Dans une exprience mene en 1996 Sydney, il exhibe son corps connect Internet,

    ainsi ce nest plus lhomme qui commande lordinateur mais lactivit internet qui stimule ses

    muscles. Sa chorgraphie est alatoire, il veut dmontrer la perte de la matrise du corps soumis

    la dictature du flux dinformations gnr par le web. Sans masochisme, il souhaite prsenter

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    simplement la technologie comme le moyen dacclrer et dtendre les capacits humaines. Mais

    sa dmarche est avant tout esthtique. la manire dun crivain de SF, il anticipe lunivers hyper

    technologique qui pourrait arriver.

    Pourquoi les uvres cyberpunk ont diminu ? Dans les annes 90, les thmes abords par ce

    mouvement se sont plus ou moins concrtiss : lmergence dun rseau mondial dordinateurs qui

    communiquent entre eux (Internet), le terrorisme de masse, la puissance des tats qui diminue face celle

    des multinationales, des ordinateurs de plus en plus petits et puissants permettant lmergence de la ralit

    virtuelle, les prothses et implants, En fait, tout se passe comme si le travail danticipation de la SF diminuait

    l o commence laccomplissement de ses prvisions.

    III. La dystopie : une vision politique pessimiste.

    1. Dfinition.

    Aux cts de la rflexion sur le progrs laquelle convie la SF, un courant se dveloppe dans les

    annes 20 autour des rves de socits nouvelles grce aux progrs scientifiques et techniques. Mais

    lapplication des thories marxistes en Russie et la monte des fascismes en Europe de lOuest entranent

    une lecture amre de lapplication des utopies.

    En effet, la conception totalitaire de la socit, incarne dans le communisme sovitique et le national-

    socialisme de lAllemagne nazie, lusage de la propagande des nations belligrantes de la Premire Guerre

    mondiale dans le culte de la guerre, donnent naissance un courant qui est le contraire de lutopie : la

    dystopie ou contre-utopie. Au lieu de prsenter un monde parfait comme lutopie, elle propose le pire qui soit.

    Dans un rcit de fiction dystopique, lhumanit dans un futur proche na pas dcouvert la socit parfaite, mais

    un tat doppression absolu, organis scientifiquement par un rgime qui crase impitoyablement ses

    occupants.

    Ainsi ce sous-genre de la SF dcrit