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POLITIQUE DE L’EDUCATION AU MALI DE 1884 à 2012:
ENTRE RUPTURE ET ADAPTATION
ADAMA COULIBALY
JUILLET 2013
INTRODUCTION
L’engagement des Etats à développer leur système éducatif répond
essentiellement à des considérations politiques et économiques : recherche
de la cohésion nationale, transmission des valeurs laïques, intégration des
immigrants, création d’un sentiment national, formation des producteurs et
compétitivité, etc. D’ou le rôle majeur de la politique éducative c’est-à-dire, la
prise en charge par l'État de la façon plus ou moins complète et systémique
des questions relatives à l'éducation.
Au Mali, la volonté politique a eu une grande influence sur la mise en place
et le développement du système éducatif. Depuis l’Indépendance, la question
de la politique éducative est concernée par les enjeux d’ordre politique,
économique, social et culturel. Elle demeure une préoccupation majeure des
gouvernements, pour des raisons différentes. La preuve de cet intérêt se
trouve dans le fait que tous les régimes, depuis l’indépendance, ont chacun
organisé leurs états généraux, forum national, grand débat national,
conférence nationale, séminaire national autour de la question de
l’éducation.
Ainsi, dès les premières années de notre accession à la souveraineté
nationale et internationale, la politique de l’éducation se développe au cœur
d'un système d'enjeux politiques, économiques et socioculturels, souvent
antagoniques qui se renforcent et s'exacerbent tout au long de l’histoire du
Mali et de l’évolution de son système éducatif. Le système éducatif devient,
par là-même, en fonction des différentes politiques et des différents régimes,
un espace qui se structure peu à peu dans un triple mouvement qui est à la
fois rupture, rénovation et adaptation.
Les politiques éducatives qui se succèdent dans leur historicité constituent
un objet d’étude qui est susceptible d’éclairer les orientations et les pratiques
éducatives actuelles. Cette étude permet également de mesurer le poids du
passé (l’héritage) sur l’état présent de la politique éducative, malgré des
ruptures plus ou moins importantes, et une meilleure compréhension du
processus d’évolution de l’action publique dans le domaine de
l’Education.1La politique éducative est ainsi le produit de l’évolution de
contextes historiques.2
L’histoire des politiques éducatives ne commencent pas avec la Réforme de
1962. Celle-ci n’a fait que la cristalliser :
« Après la liberté et la nourriture, l’instruction est le premier besoin et le plus
grand bien d’un peuple. Pour les peuples qui ont connu la domination 1 Voir à ce sujet P. Laborier & D. Trom (Dir) Historicités de l’action publique, CURAPP, PUF, 2003.
2 P. Laborier & D. Trom (Dir),
coloniale, ce bien a été compromis, ce besoin dénaturé et rendu difficile à
satisfaire. A l’heure de la libération, l’une des premières tâches qui
s’imposent aux nouveaux Etats indépendants est la restauration de la
dignité de l’homme par une révision complète du système d’éducation hérité
au régime colonial. »
« Pour la République du Mali, au lendemain de son option
fondamentale du 22 Septembre 1960, il devient anachronique de maintenir,
dans sa structure et dans ses finalités, l’enseignement légué par les
colonisateurs. Une Réforme s’impose car une révolution politique,
économique et sociale ne peut être pleinement efficace que si elle va de paire
avec une politique conforme de l’enseignement. Cette nécessité a été
comprise par tous les Etats qui ont subi la sujétion coloniale et qui ont
renversé l’édifice politique et administratif de l’ancien régime. »
« Le Mali, comme le reste de l’Afrique, vit l’ère de la décolonisation. La vraie
décolonisation est à la fois politique, économique et culturelle. On peut
changer rapidement les structures politiques et administratives d’un pays
que les manières de penser, de sentir et d’agir de ses habitants. C’est la
tâche de l’Enseignement d’effectuer cette reconversion souvent difficile des
esprits.
Or l’enseignement a été un des instruments essentiels de la domination
coloniale dont le but suprême était l’assimilation morale et intellectuelle des
peuples. »3
La première réforme de l’enseignement au Mali avait pour but fondamental
de faire un enseignement qui décolonise les esprits.
Les débats sur la gouvernance en général et la gouvernance éducative en
particulier ont suscité de nombreuses publications au cours des deux
décennies écoulées.
Certains auteurs définissent la gouvernance comme la capacité des
gouvernements à répondre aux requêtes sociales de leurs citoyens et à la
disposition de ces derniers à accepter les ordres donnés visant à les
gouverner.
Mais plus généralement, la gouvernance désigne désormais un mode de
gestion des affaires associant les « parties prenantes » que sont les pouvoirs
publics et les représentants de la « société civile »,
L’analyse fondée sur le concept de gouvernance nous permet de mettre en
évidence les transformations dans le fonctionnement du système éducatif,
dans ses modes d’administration et de gestion, depuis une vingtaine
d’années. Ces transformations s’accompagnent de l’apparition de nouveaux
3 CONTACT 1973
acteurs institutionnels et non institutionnels, privés, associatifs, publics,
dans l’espace public.
L’éducation est très concernée par la question de la gouvernance en raison
des énormes ressources qui y sont investies. Avec la santé, l’éducation est le
secteur d’activité le plus important pour le gouvernement du Mali. En 2011,
la part de l’éducation dans les charges récurrentes de l’Etat atteignait les
35,6%
En 2012, le secteur de l’éducation, du préscolaire à l’enseignement
supérieur, représente des effectifs de 49.404 enseignants.
L’éducation mobilise donc beaucoup de ressources et intéresse quasiment
tous les citoyens et singulièrement les acteurs politiques.
C’est un grand secteur d’une importance stratégique pour la culture,
l’économie et la politique, et qui a subi des compressions budgétaires
importantes et une stagnation au cours des années 1980. C’est aussi un
secteur fortement syndiqué et politisé.
Depuis la réforme de 1962, la démocratisation de l’accès à l’éducation
(enseignement de masse, instruction pour tous, éducation de base pour
tous,) a été le principal axe de développement du système éducatif, le moyen
par excellence d’assurer l’égalité des chances pour tous les enfants maliens
et le développement économique national.
Dans le contexte de la mondialisation, la démocratisation de l’accès à la
scolarisation, l’amélioration de la qualité des apprentissages et de la réussite
éducative, deviennent un défi majeur. La croissance économique nationale
est désormais liée à la réussite scolaire du plus grand nombre d’enfants
jusqu’au plus haut niveau possible du cursus scolaire et à l’acquisition de
compétences réelles reconnues.
Par conséquent, aujourd’hui plus que jamais, les gouvernements comme les
partis politiques et les entreprises ont intérêt à s’investir davantage dans le
développement du système éducatif.
Les politiques de l’éducation et la gouvernance de ce secteur sont donc au
cœur des responsabilités importantes qui incombent à chaque
gouvernement. Voilà pourquoi les partis politiques doivent y accorder
beaucoup d’importance dans leurs plateformes électorales.
L’objet de l’étude présentée ici est donc l’analyse des politiques éducatives du
Mali, depuis la réforme de 1962, leur genèse et leur évolution et les modes de
gouvernance qui y correspondent.
Les problèmes actuels de l’éducation au Mali trouvent leurs sources dans les
politiques mises en place dans un passé plus ou moins récent. Rappelons
que quatre moments importants sont venus marquer l’histoire récente du
développement de l’éducation du Mali : la Réforme de 1962, le deuxième
Séminaire sur l’Education en 1978, la Loi d’Orientation sur l’Education de
1999 et le Forum National sur l’Education d’octobre 2008.
Toutefois, la politique éducative et la gouvernance n’ont pas la faveur des
chercheurs maliens malgré les changements profonds de ces vingt dernières
années. Malgré leur importance, les chercheurs maliens en sciences de
l’éducation leur préfèrent les thèmes comme les innovations pédagogiques et
éducatives, les réformes de l’institution scolaire ou les apprentissages
didactiques.
D’un côté, le processus de décentralisation/déconcentration a transféré
certaines compétences aux collectivités territoriales et fait émerger des
politiques éducatives locales, notamment le plan de développement éducatif
de la commune ou PDCOM. De l’autre, la mondialisation s’est accompagnée
d’une montée en puissance des organismes internationaux (Banque
Mondiale, Union Européenne, UNICEF, UNESCO) dans la définition de
normes sociales et politiques. L’intérêt croissant qu’ils manifestent à l’égard
des questions d’éducation et de formation ne peut plus être ignoré.
C’est pour combler ce vide que nous nous sommes lancés dans cette
entreprise que nous situons dans le cadre d’une recherche en science de
l’éducation. Il s’agit, pour nous, de permettre à la jeune génération de mieux
comprendre ce "continent noir" de l'éducation et de la formation pour les
politologues, comme le dit Hélène Buisson-Fenet4, et les défis actuels de
l’éducation au Mali.
4 BUISSON-FENET Hélène, LEST-CNRS, « Ce que la science politique fait aux politiques éducatives et à leur
comparaison »...
CHAPITRE I.
L’EVOLUTION DES POLITIQUES D’EDUCATION
NOTE INTRODUCTIVE
La politique de l’éducation
Aristote est certainement l’un des premiers à avoir montré la nécessité pour
l’Etat de prendre en main l’éducation des citoyens :
§ 1. On ne saurait donc nier que l'éducation des
enfants ne doive être un des objets principaux
des soins du législateur. Partout où l'éducation
a été négligée, l'État en a reçu une atteinte
funeste. C'est que les lois doivent toujours être
en rapport avec le principe de la constitution, et
que les mœurs particulières de chaque cité
assurent le maintien de l'État, de même qu'elles
en ont seules déterminé la forme première. Des
mœurs démocratiques conservent la démocratie
; oligarchiques, elles conservent l'oligarchie ; et
plus les mœurs sont pures, plus l'État est
affermi.5
Comme principe fondateur de tout Etat, les philosophes se sont, en général,
intéressés particulièrement à l’éducation. Nous citerons John Locke, Jean
Jacques Rousseau, Emmanuel Kant.
Anne Van Haecht (1998) montre, dans une formule éclatante, que « les
politiques éducatives constituent bien une figure exemplaire des politiques
publiques analysées aujourd'hui dans une perspective de plus en plus
sociologique par un nombre significatif de politicologues. »
Avec Les politiques de l'éducation (1988), Louis Legrand nous offre un éclairci
du concept de politique de l'éducation. En effet, il nous montre que tout un
chacun parle aujourd'hui de politique éducative alors qu'il ne s'agit, souvent,
que d'un projet ou d'une réalisation ponctuels et partiels. On ne peut à bon
droit se saisir du terme de politique éducative que s'il y a définition de
5 POLITIQUE, LIVRE V, DE L'ÉDUCATION DANS LA CITÉ PARFAITE.
finalités, d'objectifs opérationnels, planification de l'atteinte de ces objectifs
et des moyens financiers qu'ils nécessitent en des lieux délimités.6
Selon lui, ˮl'éducation est un domaine politique parce qu'il est question
d'une organisation collective réglée par des statuts et des lois et matérialisée
par des institutions et des règles, des décrets, des règlements, des
programmes et des instructions qui les régissent. Parce qu'il y a projet
consciemment et explicitement défini avec anticipation et projection dans le
temps. Parce qu'il y a liaison avec un pouvoir…ʺ.
Il nous fait remarquer également que « l'essentiel d'une politique éducative
réside dans un projet qui implique nécessairement la durée, « la
détermination de fins lointaines » car « il faut au minimum plus de dix ans
pour mener un enfant de six ans au terme de ses études » et « la
détermination d'objectifs opérationnels à moyen terme ».
Mais, du même coup, cette temporalité implique des difficultés et des aléas,
le pouvoir politique étant « fondamentalement temporaire surtout dans nos
démocraties fondées sur le jeu de l'alternance ».
« Le poids de la durée dans le domaine de l'éducation est fondamental. C'est
probablement la raison pour laquelle la plupart des projets de réformes
éducatives ne parviennent pas à leur terme et subissent, en cours de route,
les transformations profondes qui les dénaturent ou même les font
disparaître. » La réforme de 1962, après 1970, et le PRODEC après 2002, ont
connu un sort identique, celui de la dénaturation de leurs objectifs et
stratégies.
Caroli Eve (1994) montre comment, au XIXème siècle, dans la plupart des
grands pays occidentaux, l'État a pris en charge les questions relatives à
l'éducation et que la politique éducative mise en œuvre sous l'égide ou avec
le concours de l'État a joué un rôle important dans le développement des
systèmes éducatifs.
En ce qui concerne l’élaboration de la politique éducative, au Mali,
l’expérience nous montre que la politique Nationale d’éducation est initiée
par un parti au pouvoir (USRDA, UDPM, ADEMA) en fonction de sa vision
politique (Socialisme pour l’USRDA, Démocratie Nationale pour l’UDPM,
Démocratie à tendance libérale et Décentralisation pour l’DEMA) et des
contraintes nationales et internationales. Mais, dans tous les cas, le travail
d’élaboration a toujours été soumis à une équipe « d’experts », plus ou moins
politisée. Ce fut le cas de la Réforme de 1962, des Etats Généraux de
l’Education de 1989, de l’équipe du PRODEC et du Comité d’Organisation du
Forum National sur l’Education de 2008.
6 Les extraits ci-dessus sont tirés de Patrick ROBO, avril 1996,
http://probo.free.fr/ecrits_divers/ecrits_divers.htm,
Dans bien de cas, les politiques éducatives empruntent les bonnes pratiques
à des institutions éducatives internationales ou à des systèmes scolaires
étrangers. C’est ce que nous montrent Hugues Draelants et Christian Maroy
(2007) en abordant le problème du mimétisme ou de l’emprunt.
La Réforme de 1962 reconnaît clairement qu’elle s’est inspirée du modèle
socialiste:
« La Réforme que nous entreprenons aujourd’hui est inspiré des expériences
de pays socialistes ou d’Etats qui ont connu, comme nous, le régime colonial
et ses méfaits, et opéré une transformation radicale, aussi bien dans les
structures que dans les finalités, de leur système d’éducation : Guinée,
Maroc, Tunisie, Tchécoslovaquie, Chine Populaire, Viêt-Nam, Union
Soviétique… »
Avec la diffusion à grande échelle de certaines orientations éducatives, le
processus de mimétisme institutionnel est fortement encouragée par certains
organismes internationaux (l’UNESCO, l’UNICEF, l’Union Européenne, la
Banque Mondiale, le FMI, le CAMES, etc.) et alimentée par la diffusion des
évaluations comparatives entre systèmes éducatifs nationaux. C’est, par
exemple, le cas du Programme d'analyse des systèmes éducatifs de la
CONFEMEN ou PASEC.
Mais, le danger encouru est l’extraversion du système d’autant plus grande
que ces orientations sont souvent dictées, imposées à travers les
programmes d’aide.
Car la politique éducative, surtout dans le Tiers-Monde, est caractérisée par
sa situation de dépendance, une dépendance de même nature que celle de
l’économie. Ainsi, la production de la politique éducative est une production
extravertie. Les orientations de politiques éducatives sont validées par les
organismes internationaux d’aide au développement (Banque Mondiale, FMI,
UE) et doivent donc prendre en compte les attentes et les exigences de ceux-
ci. Dans ce cadre, la politique éducative est largement financée par
l’extérieur, à travers diverses formes d’aides extérieures généralement
conditionnées (par exemple, mettre fin aux mutilations génitales féminines et
au travail des enfants, mettre fin au redoublement et à l’exclusion, réviser le
code de la famille...). Le PRODEC n’a pas échappé à cette contrainte.
Ainsi, comme le font remarquer Draelants et Christian Maroy (2007), « la
politique nationale prend ainsi inévitablement la forme d’un bricolage
continuel : il s’agit d’emprunter et de copier des fragments et des parties
d’idées généralement nées ailleurs (apparaissant parfois comme des
tendances ou des modes), en se basant et en modifiant des approches
essayées et testées localement… ».
L’un des aspects les plus importants et parfois le plus méconnu du public
dans l’élaboration de la politique éducative est le rôle joué par les experts en
éducation : planificateurs, économistes, pédagogues, politologues,
sociologues et anthropologues.
Mamadou Ndoye (2005) et Guy Lapostolle (2006) ont abordé cette
problématique dans l’élaboration, le suivi et l’évaluation des politiques
éducatives.
Selon Ndoye, « En Afrique, l’observation la plus courante souligne l’écart qui
sépare la recherche du processus de formulation et de mise en œuvre des
politiques éducatives tout comme les relations problématiques ou le manque
d’interactions entre chercheurs et décideurs politiques dans le secteur de
l’éducation. Pourquoi cette distance existe-t-elle ? Quelles en sont les
conséquences dans la définition et la conduite des politiques ?
A l’occasion du 10e
Congrès mondial d’éducation comparée organisée du 12
au 17 juillet 1998 au Cap (Afrique du Sud), la Commission sur la recherche
en politique éducative en Afrique a tenté d’avancer quelques explications de
cet écart. Du côté de la recherche :
1) Les chercheurs auraient tendance à fragmenter les problèmes que
rencontrent les décideurs engagés dans une vision socio-politique
plus globale de telle sorte que ceux-ci ne se reconnaissent pas dans
les problématiques atomisées de recherche ;
2) La recherche en politiques éducatives demeure pauvre et les
capacités sont faibles dans ce domaine en Afrique ;
3) La critique des politiques faite par les chercheurs est rarement
accompagnée de recommandations articulées et réalistes au regard
des situations auxquelles sont confrontées les gouvernements ;
4) Les recherches faites ne sont pas fondées sur le dialogue avec les
décideurs politiques et obéissent plus souvent à des préoccupations
académiques ou à celles de bailleurs de fonds extérieurs ;
5) Les chercheurs ne s’engagent pas souvent dans le suivi de la
recherche.
Mais l’écart ne relève pas de la seule responsabilité des chercheurs. Du
côté des décideurs, la Commission note que :
1) Le type directif et centralisé de formulation des politiques éducatives
du Sommet vers la base ne favorise guère l’implication des
chercheurs et d’autres acteurs dans le processus ;
2) Les décideurs politiques ne lisent pas les rapports de recherche et
n’apprécient pas à leur juste mesure les efforts et le mérite des
chercheurs, ainsi que l’a magistralement démontré l’Etude du
ROCARE « Négligée et sous-estimée : la recherche en éducation en
Afrique Occidentale et Centrale » (5) ;
3) Les politiques n’utilisent pas à bon escient la recherche et les
chercheurs, soit parce qu’ils n’y recourent que pour légitimer à
posteriori leurs décisions, soit parce qu’ils ne font appel aux
chercheurs qu’en cas de crise ;
4) Les déficits démocratiques et la faiblesse institutionnelle dans la
gestion des politiques entretiennent la méfiance des décideurs et
découragent l’implication des chercheurs ;
Les experts (Guy Lapostolle 2006) sont des acteurs qui participent à la
construction des décisions politiques relatives à l'école. Ils permettent aux
politiques de s'approprier les connaissances scientifiques susceptibles de
guider leurs actions. Ils contribuent aussi, par les débats qu'ils organisent
avec un public nombreux et divers, à une certaine forme de validation des
connaissances scientifiques, tout en « complétant » le processus
démocratique qui conduit à la décision. Néanmoins, leurs recommandations,
de même que celles des scientifiques, sont peu prises en considération.
Vraisemblablement parce que les politiques sont plus soucieux de l'impact
médiatique des décisions qu'ils prennent que de l'efficacité qu'elles peuvent
avoir.
L'expert sert « de médiateur entre la science et la politique (entre la
connaissance et l'action) ». Il permet également au public de « s'informer et
de participer de manière un peu plus savante aux débats concernant
l'école ».
Il n'empêche que les recommandations des experts semblent, bien souvent,
ne pas tenir assez compte du souci des autorités centrales de ne pas générer
ou attiser des conflits sociaux. Une décision peut être techniquement
justifiée mais socialement et politiquement improbable. C’est le cas, par
exemple, de la non orientation de certains admis du DEF pour des raisons
de régulation de flux.
Par ailleurs, l’expert n’est souvent que « l’œil de Moscou » des institutions
internationales dont ils relaient les discours. Il est également souvent «
instrumentalisé » par l’Administration qui utilise ses travaux pour conférer
une caution scientifique à des décisions arbitraires ou impopulaires.
Paul Bélanger et Paolo Federighi (2000) étudient, sous l’angle de l’éducation
des adultes le processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques
d’éducation. Mais ce qu’ils montrent est également valable pour les autres
secteurs de l’éducation.
Selon eux, « les politiques modernes de l’éducation (des adultes) prennent un
caractère de plus en plus complexe en raison de la pluralité d’acteurs qui
participent à leur formulation et de la multiplicité des problèmes qu’elles
sont appelées à affronter ». Mais les politiques d’éducation lorsqu’elles ne
sont pas partagées par les acteurs impliqués, peuvent provoquer des
phénomènes de rejet ou de résistance. Cette attitude de refus ou de la
résistance qu’ils évoquent nous aide à mieux comprendre les échecs des
programmes d’éducation.
Le refus de certaines populations de s’intégrer dans des programmes
d’alphabétisation doit être considéré comme une première forme historique
d’expression d’une volonté d’imposition/résistance à l’égard des politiques
d’éducation des adultes.
« … les politiques qui n’incluent pas dans leur processus d’élaboration
l’ensemble des sujets concernés voient par la suite leur réalisation bloquée et
leur impact limité. Les politiques de développement des ressources
humaines qui oublient derrière les ressources les sujets actifs ou résistants
sont vouées à se heurter à la dure réalité des rapports sociaux... »
Dans le cas du Mali, ces résistances peuvent provenir des enseignants (refus
des innovations), des élites sociales (rejet de l’enseignement en langue
nationale), des administrateurs scolaires et universitaires (résistance aux
nouveaux modes de gestion), etc.
La mise en œuvre de la politique éducative se traduit par un dispositif
complexe comprenant des textes législatifs (exemple des lois portant
organisation de l’enseignement ou de la Loi d’Orientation sur l’Education) et
règlementaires (décrets et arrêtés), des ressources humaines qualifiées, des
moyens matériels, financiers, mais également par des actions de formation
pour les personnels, des projets ou programmes, des textes pédagogiques,
des innovations pédagogiques, etc. Ce dispositif change généralement avec
les changements de régime.
De la Réforme de 1962 au Forum National sur l’Education, le système
éducatif du Mali a connu des cycles de grandes transformations : passage de
la gouvernance centralisée à la gouvernance décentralisée, de l’Etat
monopole au partenariat public privé, de la démocratisation de l’accès à la
démocratisation de la réussite éducative, d’une pédagogie de l’apprentissage
des connaissances au développement des compétences (Apprentissages par
les compétences/APC), etc.
Par ailleurs, à partir de 1980, l’Education est placée sous ajustement
structurel et les réformes suivent des tendances de la mondialisation, c’est à
dire, l’ensemble des réformes éducatives qui se sont répandues dans le
monde pour répondre aux exigences de libéralisme, d’ouverture sur le monde
et de volonté de rendre le système éducatif plus performant et efficace, et
moins dépendants des courants idéologiques des partis politiques.
La rétrospective qui suit nous permet de comprendre le comment et le
pourquoi des changements opérés dans le système éducatif de 1884, date de
création de la première école moderne, à nos jours.
I. L’ENSEIGNEMENT COLONIAL
1.1. Origine et caractéristiques générales
Le passé colonial fait partie de notre histoire. C’est lui qui peut nous aider à
mieux comprendre les décisions qui ont été prises avec les indépendances,
en matière d’éducation.
L’école moderne, telle que nous la connaissons aujourd’hui, a été introduite
par la colonisation française. Avant l’arrivée du colonisateur, il existait bien
dans nos sociétés, un système d’enseignement fondé sur les traditions
proprement africaines et transmises de génération à génération suivant des
méthodes d'instruction propres : sociétés initiatiques et écoles coraniques.
Cette forme d’éducation dite traditionnelle est toujours vivace malgré les
coups de boutoir du modernisme.
L’occupation coloniale, avant tout préoccupée d’exploitation des ressources
des territoires sous domination, s’est aussi investie dans la mise en place
d’une politique d’enseignement fondée sur des principes propres à l’idéologie
coloniale.
Quelle était cette éducation coloniale? De quelle école s'agissait-il au juste ?
Quel contenu précis prétendait-elle fixer à l'enseignement qu'elle entendait
dispenser ? À l'attention de quels publics scolaires et avec quelles finalités ?
Quelles étaient, en somme, la nature exacte et les ambitions du projet
scolaire défendu par ces tenants d'un certain progressisme colonial ?
Il est généralement admis que le système d’enseignement colonial avait
comme objectif capital la création des possibilités et des environnements
favorables aux intérêts économiques et politiques de la bourgeoisie
européenne. Le système scolaire mis en place devait fournir une classe
subalterne qui était censée servir d’intermédiaire entre le colonisateur et les
populations indigènes et présenter, aux peuples africains, la colonisation
comme le seul moyen disponible pour sortir de leur arriération scientifique et
technique.
Selon les propres dires de Georges Hardy, inspecteur de l’Enseignement de
l’Afrique Occidentale Française, idéologue de l’enseignement colonial en
Afrique Occidentale, l’école n’est rien qu’un instrument que le colonisateur
devrait utiliser afin de façonner l’indigène colonisé pour servir son maître et
bienfaiteur, le colonisateur:
Nous imposons à l’école d’étroites obligations. … Nous nous
efforçons de l’apparenter de plus en plus étroitement aux
intentions essentielles de notre œuvre coloniale, de l’enraciner
en pleine terre de réalité, de faire de son enseignement tout
entier une préparation aux modes d’existence qui nous
paraissent désirables pour les indigènes (Conquête morale…
350).
Amadou CAMARA (2009) fait remarquer que la pacification des espaces
conquis et l’organisation des territoires participent d’une politique de
formatage identitaire visant à ancrer dans la conscience collective des
indigènes une certaine idée de la France. C’est le paradigme de «
l’assimilation du plus grand nombre d’indigènes » comme finalité du projet
colonial français dont l’école fut un des piliers. Quoi de plus efficace pour
faire émerger une nouvelle identité que d’inventer pour les peuples colonisés
de nouveaux repères spatio-temporels centrés sur la France ? Logique
d’assimilation qui a perduré dans l’espace OCAM7 après les indépendances à
travers la coopération française8.
Marie-Christine Deleigne (2009) le dit également : « Comme dans l’ensemble
des colonies françaises, le développement de l’enseignement colonial à
Madagascar a eu pour objectif officiel d’œuvrer dans le sens de la « mission
civilisatrice » invoquée pour légitimer la mise sous domination française de la
population malgache. Par le développement d’un enseignement spécialement
conçu pour les « indigènes », principalement du 1er degré, il s’agissait de «
civiliser » des populations considérées comme « arriérées », de les amener à «
l’âge adulte » en leur inculquant des notions dites élémentaires telles que la
lecture, l’écriture, le calcul, quelques éléments d’histoire et de langue
française utiles à la reconnaissance de la France comme « mère patrie »,
mais aussi d’hygiène et d’agriculture9.
En conclusion, l’enseignement a été un des instruments essentiels de la
domination coloniale dont le but suprême était l’assimilation morale et
intellectuelle des peuples. Et malgré les apparences et les compromis, malgré
les prétendus adaptations et les replâtrages, l’enseignement ne visait autre
chose que la dépersonnalisation de notre peuple.
« Si les indigènes, se disaient la plupart des coloniaux français, se montrent
réfractaires aux bienfaits de la civilisation que nous leur apportons, c’est que
leurs préjugés ne leur ont pas encore permis de comprendre les avantages
qu’ils pourront en retirer. Ces préjugés sont entretenus chez eux par les
vestiges de leurs anciens Etats, par leur croyance, par leurs institutions et
par leurs langues. Supprimons ces restes d’un passé révolu. S’ils sont trop
7 L'Organisation Commune Africaine et Malgache est une organisation
intergouvernementale regroupant des États africains principalement francophones et ayant pour but la
coopération économique, culturelle et sociale entre ses membres.
8 « Les espaces de références des programmes d’histoire et de géographie, de l’Afrique Occidentale
Française (AOF) à l’Organisation Commune Africaine et Malgache (OCAM), la permanence d’une
logique d’assimilation », In Enseignement et colonisation dans l’Empire français. 2009.
9 Les paradoxes de la mission « civilisatrice » et de l’adaptation de l’enseignement colonial à
Madagascar : le cas de l’Androy (1920-1951.
invétérés dans la génération actuelle, adressons nous par l’éducation aux
générations futures… Enseignons aux enfants notre langue, inculquons leur
nos idées, et la France comptera bientôt par millions, sinon de nouveaux
citoyens, du moins des sujets fidèles et reconnaissants » (Ferdinand de
Saussure – Psychologie de la colonisation française 1898 cité dans le
Contact 1973).
1.2. Evolution du système éducatif colonial
Denise Bouche retrace dans les détails, les débuts de l’enseignement colonial
au Soudan dans un ouvrage paru en 1966.10
Les écoles de poste
Les écoles coloniales ont été, au début, des émanations de l’armée coloniale.
Elles sont l’œuvre des militaires et les ont suivis au fur et à mesure de l’avancée des troupes coloniales à l’intérieur du pays et de l’organisation des
territoires conquis. Les premières écoles sont, de ce fait, créées au niveau des postes militaires d’occupation.
La première école a été fondée à Kita dès 1884, trois ans après la fondation
du poste par Borgnis-Desbordes. A cette date, l’occupation française se limitait à quelques postes fortifiés entre Kayes et Bamako.
Motifs de l’ouverture d’écoles
Selon Denise Bouche (1966), si les premières écoles ont donc été fondées bien avant que des services administratifs réguliers aient pu être installés au
Soudan, c’est qu’elles répondaient à un besoin urgent : communiquer avec les populations conquises.
En effet, les Français avaient le plus grand mal à entrer en communication
avec les populations autochtones et à recruter les auxiliaires dont ils avaient besoin. Les interprètes surtout faisaient défaut.
Le besoin en interprètes a ainsi rendu nécessaire, dès les premières années de la conquête, l’ouverture d’écoles. Les divers services des cercles, du télégraphe, du chemin de fer etc. vinrent accroître la demande en auxiliaires
ayant au moins un rudiment d’instruction en Français.
Mais, très vite aussi, le but assigné à l’école dépassa ce souci immédiat et
pratique pour devenir une pièce essentielle d’une philosophie de la colonisation.
Les instructions du Lieutenant-Colonel Humbert (1891) recommandent aux
commandants de cercle d’encourager les écoles :
« L’avenir au Soudan Français, au point de vue de sa mise en œuvre, dépend en grande partie de la façon plus ou moins heureuse dont nous aurons
10
L’essentiel de nos informations est tiré de Bouche Denise, « Les écoles françaises au Soudan à
l'époque de la conquête. 1884-1900. » In: Cahiers d'études africaines. Vol. 6. N°22. 1966. pp. 228-
267.
façonné les populations qui le peuplent. Or l’assimilation morale et
matérielle à notre civilisation repose presque entièrement sur l’éducation et l’instruction que nous saurons inculquer aux jeunes générations
indigènes. »11
Avec l’arrivée de Louis Edgard Trentinian Lieutenant-Gouverneur du Soudan de 1895 1899, des écoles sont de nouveaux ouvertes afin de former les
cadres subalternes de l’administration (interprètes et commis) et les employés de commerce. Les principes édictés en 1897 par le Colonel de Trentinian, vont dans ce sens :
« La question des écoles est une des plus importantes pour l’expansion de l’influence française au Soudan »
Trentinian expose ainsi sa doctrine de l’école :
« Au Soudan nous sommes en présence d’une population dont après la conquête militaire la conquête intellectuelle et morales est notre objectif. Il
faut donc tenter de la rapprocher de nous, de la modeler successivement, de nous emparer de son esprit, de lui imposer notre marque notre empreinte
particulières. L’instrument obligatoire de transformation est naturellement le langage. Il faut apprendre notre langue aux indigènes ».
La publication en 1899 d’un Livre de lecture et instruction à l’usage des
élèves des écoles du Soudan français composé par le directeur de l’école des Fils de Chefs de Kayes Louis Blanc est on ne peut plus explicite :
« Nous n’avons pas à instruire des jeunes noirs. Nous avons surtout à créer
des Français ».
Les premiers instituteurs sont tirés du cadre de la troupe, des sous-officiers
et soldats. Programmes et méthodes enseignement étaient abandonnés à ces pédagogues d’occasion dont le but essentiel était d’arriver à faire lire et écrire leurs élèves.
On faisait recours à l’interprète pour résoudre les difficultés de communication entre le maître et ses élèves comme cela se faisait entre le
Commandant et ses populations administrées.
À partir de 1887, pour des raisons budgétaires, on note la disparition momentanée de la plupart des écoles de poste tandis que les missionnaires
installaient leurs premiers établissements.
En 1888, sur le territoire de l’actuel République du Mali, il devait y avoir six
écoles : à Kayes, Bafoulabé, Badumbé, Kita, Kondou et Bamako.
Les écoles de Bafoulabé, Badumbé, Kondou, furent supprimées dès la fin de 1889 ; celles de Bamako, le 19 février 1890. Seules subsistaient les écoles de
Kayes et de Kita. L’école de Kayes fut transformée en école des otages puis en école des fils de chefs.
11 (Instructions provisoires concernant les attributions des commandants de cercle par
le Lieutenant-Colonel HUMBERT, 1891, titre I, chapitre V, paragraphe 7, Dakar 15 G 87.)
En mars 1889, l’école de Kita est confiée aux Pères du Saint-Esprit qui
venaient de s’installer à Kita.
Reprise de la politique scolaire
L’établissement d’un impôt de capitation à partir de 1888, en alimentant un
budget local, allait permettre au Soudan de dégager de nouveaux crédits
pour l’enseignement. Les premiers instituteurs européens arrivent au
Soudan (Kayes) en 1893.
Sur un plan pédagogique, cinq matières seulement figuraient au
programme : langue française, lecture et écriture, calcul et système
métrique, leçons de choses et dessin.
Les instructions disent que la leçon de choses, pour être profitable, doit se
faire en dehors de l’école, dans des jardins expérimentaux.
Cet enseignement était donc concret et utilisait des méthodes empiriques,
une sorte de préfiguration des méthodes actives, pour la simple raison que
les maîtres n’avaient pas une formation générale d’instituteur mais étaient
des hommes de terrain qui se débrouillaient tant bien que mal.
Denis Bouche (1966) nous montre qu’en même temps qu’un enseignement
général surtout destiné aux fils des notables, Trentinian organisa un
enseignement professionnel qui devait recruter des enfants que leur
situation sociale n’éloigne pas des professions manuelles, c’est-à-dire, des
enfants provenant de familles liées à la terre et aux métiers.
Les écoles professionnelles étaient celle de Kayes créée par l’Arrêté 319 du 4
août 1896 et celle de Koulikoro créée par un Arrêté de janvier 1897. Un
sous-officier européen et un moniteur indigène leur donnaient des leçons de
français, de calcul et de dessin, tandis que l’instruction professionnelle
devait avoir lieu, à Kayes, dans les ateliers de la Direction de Artillerie et du
Génie, à Koulikoro, dans les ateliers de réparation de la flottille du Niger. Un
enseignement professionnel était également donné par les Pères du Saint-
Esprit dans leurs fermes-écoles de Kita et de Dinguira (43 km de Kita).
Les écoles professionnelles furent réorganisées par Arrêté du 21 février 1899
sous le nom d’écoles manuelles d’apprentissage.
Les écoles missionnaires12
Là où était installée une mission, l’administration militaire a toujours préféré
la subventionner et lui confier l’école. Les Pères présentaient sur les sous-
officiers d’incontestables avantages de compétence, de continuité et de
régularité. L’administration approuvait, en outre, leur constant souci de
12
Denise Bouche (1966).
donner à leurs élèves une formation pratique en même temps qu’ils leur
apprenaient le français, la lecture et l’écriture.
Des instructions du Gouverneur concernant les attributions des
Commandants de Cercle de 1891 demandent aux Commandants de poste
d’aider les missionnaires, par tous les moyens dont ils peuvent disposer,
dans leur tâche d’éducateurs et d’instructeurs des indigènes.
Mais le but réel des missionnaires était non d’éducation mais
d’évangélisation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils s’attachaient de
préférence à l’éducation de petits esclaves rachetés beaucoup plus
malléables que des enfants libres continuant à dépendre de leur famille.
Le souci de l’évangélisation se révèle dans la recherche de méthodes
pédagogiques adaptées. Les missionnaires font recours à l’enseignement en
langue locale au moyen d’un alphabet phonétique qu’ils ont mis au point.
C’est à partir de l’année 1903 (14 novembre) qu’une véritable organisation de
l’enseignement au Soudan est mise en application par le Gouverneur
Général Roume13. Un décret de cette année là fixe les objectifs à atteindre
pour chaque territoire de l’AOF. Je cite : « De même qu’il nous faut des
interprètes pour nous faire comprendre des indigènes, de même il nous faut
des intermédiaires, appartenant aux milieux indigènes par leurs origines et
au milieu européen par leur éducation, pour faire comprendre aux gens du
pays et pour leur faire adopter cette civilisation étrangère pour laquelle ils
manifestent, sans qu’on leur en puisse tenir rigueur, un misonéisme bien
difficile à vaincre » (in Bulletin de l’AOF n°33).
Des écoles préparatoires (2 ans), des écoles élémentaires de 4 ans et des
écoles régionales de 6 ans sont créées selon l’importance démographique et
économique des territoires. Les premiers maîtres sont recrutés sur le tas
parmi les indigènes sachant parler, lire et écrire le Français.
On note également la création des médersas de Djenné et Tombouctou en
1906 sur le modèle algérien mais tous fermées en tant qu’écoles publiques
en 1913 et 1918. L’administration coloniale soutenait ces médersas dans
l’espoir que celles-ci formeraient des marabouts favorables à la politique
culturelle coloniale française et qui contrecarreraient les écoles coraniques
opposées aux « innovations européennes ».
De 1924 à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, c’est la période de
l’affermissement du système éducatif colonial. Après la victoire sur
13
Arrêté du Gouverneur général, n° 806, 24 novembre 1903, organisant le service de l’enseignement
dans les colonies et territoires de l’AOF, Bulletin administratif du Sénégal 1903.
Arrêtés du Gouverneur général, 24 novembre 1903, n° 806, portant organisation du personnel de
l’enseignement dans les colonies et territoires de l’AOF, et n° 806 bis portant organisation du cadre
indigène du personnel enseignant, Bulletin administratif du Sénégal, 1903,
l’Allemagne aidée en cela par les tirailleurs sénégalais, la France va s’efforcer
de s’attacher davantage les populations africaines. La scolarisation, bien que
sélective, s’étend, en plus des fils de chefs, aux fils des notables, des
auxiliaires de l’administration coloniale et des employés de commerce, des
tirailleurs sénégalais et enfin de quelques paysans fortunés travaillant avec
les comptoirs de commerce spécialisés dans la commercialisation des
produits agricoles (arachide) et de cueillette (karité, gomme arabique).
L’esprit de l’enseignement reste toutefois le même : créer une classe de
lettrés dociles, produire des personnels subalternes nécessaires au bon
fonctionnement de l’administration coloniale.
Selon Gamble (2010)14, Jules Brévié, gouverneur général de l’AOF à partir de
1930, annonce son intention de faire de la réforme scolaire une priorité.
L’une des nombreuses réformes lancées par Brévié s’avère particulièrement
décisive : l’invention des « écoles rurales ». Les écoles rurales étaient aussi
communément appelées écoles populaires . Brévié établit les grandes lignes
de ces écoles dès 1930 :
« Cette école indigène, qu’il faudra voir un jour dans chaque groupe de
villages, c’est l’école rurale affranchie des programmes ambitieux et
scolaires, c’est une ferme et un atelier, un dispensaire et un champ
d’expériences […] c’est aux faits pratiques qu’il faudra s’attacher, à
l’amélioration de la vie indigène sur place. Pour que l’indigène aille à l’école,
il faut que l’école aille à l’indigène ».
Selon Momar Diop (1996), en mai 1924, intervient une importante réforme
du système éducatif colonial15. Trois données nouvelles se dégagent :
Premièrement, il est dispensé un enseignement primaire supérieur à l’école
primaire supérieure établie désormais au chef-lieu de chaque colonie, Les
élèves y sont choisis parmi les candidats du cours moyen des écoles
régionales et urbaines, titulaires du certificat d’études élémentaires. Ils sont
alors répartis dans trois sections : une réservée aux fils de chefs dont la
scolarité est rendue obligatoire ; une préparant les élèves aux écoles
fédérales (Normale William Ponty, Africaine de médecine) ; et une 3ème
formant les agents des cadres locaux nécessaires aux besoins de
l’administration de la colonie.
Deuxièmement un enseignement technique et professionnel est assuré,
notamment, à l’institut Zootechnique de Bamako pour les vétérinaires ; à
l’école Africaine de Médecine, pour les médecins, pharmaciens et sages-
14
Harry Gamble « La crise de l'enseignement en Afrique occidentale française (1944-1950) », Histoire de l’éducation 4/2010 (n° 128), p. 129-162. URL : www.cairn.info/revue-histoire-de-l-education-2010-4-page-129.htm 15
Papa Momar Diop 1996, Répertoire numérique de la série O - Enseignement de l’AOF, 1895-1958
femmes auxiliaires ; et à l’École Normale William Ponty pour les instituteurs
indigènes et les candidats à l’École africaine de Médecine.
Troisièmement, des enseignements spéciaux sont donnés dans les
orphelinats de métis « moralement et matériellement abandonnés » ; des
médersas et des établissements d’enseignement secondaire à programmes
métropolitains à l’instar du lycée Faidherbe de Saint-Louis ; les études
secondaires sont sanctionnées au plus haut niveau par le Brevet de capacité
colonial crée par décret du 28 mars 1924 et correspondant au baccalauréat
métropolitain.
Cette réorganisation de 1924 est la dernière grande et générale réforme de
l’enseignement dans la fédération de l’AOF avant la création en 1950 de
l’Académie d’AOF et de l’Institut des Hautes Études auquel sont rattachées
des écoles supérieures des Sciences, de médecine, de droit et de lettres. Les
changements intervenus entre temps ne sont que sectoriels et ne bousculent
pas les grands traits des politiques de l’enseignement de l’AOF.
En ce qui concerne l’organisation du service de l’enseignement, un chef de
service soumis à l’autorité du Gouverneur contrôle, au début, le
fonctionnement de l’Enseignement dans la colonie. Le service est organisé de
la façon suivante :
1) L’Ecole Elémentaire d’une durée de 4 ans dont les deux premières ont
lieu dans les gros villages reconnus comme tels et les deux autres au
chef lieu de la subdivision ;
2) L’Ecole Régionale : la durée des études est de 6 ans. Elle est
sanctionnée par le Certificat d’Etudes primaires Indigènes (CEPI).
Chaque chef lieu de cercle possède son école régionale (Kayes, Kita,
Nioro, Bamako, Koulikoro, Bougouni, Sikasso, Koutiala, Ségou, etc…) ;
3) L’Ecole Primaire Supérieure Terrasson de Fougères (devenue plus tard
Lycée Terrasson de Fougères puis Lycée Askia Mohamed) créé en
1931, d’une durée d’études de 3 à 4 ans, conduit à un diplôme
donnant accès aux emplois administratifs. Cet établissement prépare
également au concours d’entrée dans les Ecoles du Gouvernement
Générale (l’Ecole Normale William Ponty, Ecole de Médecin et de
Pharmacie, Ecole Normale Rurale de Dabou, Ecole Normale de Jeunes
Filles de Rufisque, Ecole Technique Supérieure de Bamako, Ecole
Vétérinaire de Bamako) pour l’ensemble des territoires de l’AOF.
A partir de 1946, la nouvelle classe politique africaine (Lamine Guèye,
Léopold Senghor, Yacine Diallo, Jean Silvandre et Ousmane Socé) dénonce
les écoles coloniales et exige la création rapide d’écoles sur le modèle
métropolitain (Gamble 2010). Elle exige d’intégrer l’enseignement dans les
colonies dans le système éducatif français. Le service de l’Education devait
donc être enlevé de la tutelle de l’administration coloniale et être confié
directement au Ministère de l’Education Nationale de la France. A la fin des
années 1940 (1946), dans chaque territoire de l’AOF, les services de
l’enseignement sont placés désormais sous l’autorité d’un inspecteur
d’académie habilité par l’Éducation Nationale (Gamble 2010) mais placé sous
l’autorité de l’Inspecteur Général de l'Enseignement siégeant à Dakar
capitale de l’AOF. Des Inspecteurs de l’enseignement primaire sont nommés
à Bamako, Bafoulabé, Mopti et Gao.
1.3. Bilan de l’enseignement colonial16
Ce bilan a été établi à l’occasion de la Réforme de 1962. Nous le reprenons
pour l’essentiel.
« Pour les assimilateurs, la transformation des peuples indigènes est
accomplie lorsque la substitution de la langue et des institutions civilisées
est réalisée. Aussi un des buts de l’Enseignement était la diffusion de la
langue française sans se préoccuper de la formation rationnelle des cadres,
de la conservation de nos valeurs spitituelles et morales.
Sur le plan culturel, notre passé nous était jalousement caché ou nous était
enseigné totalement déformé, nos héros prenaient figure de bourreaux
toujours prêts à tuer, à piller, à trahir et violer des accords qu’ils ont signés ;
inconsciemment, nous nous méprisions nous-mêmes, notre conception de la
liberté était déformée ou faussée.
Nous n’avions d’yeux que pour voir et copier ce qui se passe en France au
détriment de nos plus nobles traditions…Nous ne connaissions d’autre
patrie que notre ancienne métropole, d’autre hymne que la Marseillaise,
d’aute emblème que les trois couleurs de la République Française...
Ce dirigisme, que l’on déclarait volontiers désintéressé et bienfaiteur, n’était,
en réalité, qu’un asservissement de l’esprit, moyen puissant pour tuer en
nous toutes formes de nationalisme.
Par ailleurs, les programmes et les diplômes étaient inadaptés à nos réalités.
L’enseignement technique était volontairement ravalé à un plan
secondaire[…] Les raisons de ceci se conçoivent aisément : développer la
technique et ses applications en Afrique c’est réer des concurents aux agents
et aux produits français ; c’était aussi violer le pacte colonial et créer les
conditions de notre libération économique.
Après un siècle de colonisation le bilan de l’enseignement est bien maigre :
neuf Maliens sur dix ne savent ni lire, ni écrire, 88 enfants sur cent ne vont
pas à l’école, les cadres techniques et moyens manquent dans tous les
domaines, les cadres supérieurs sont insignifiants, presque inexistants :
trois docteurs vétérinaires, une dizaine de professeurs, huit à dix docteurs
16
Référence : Contacts Spécial 1973
en médecine, trois pharmaciens, une dizaine d’hommes de Droit, quelques
rares ingénieurs, pour une masse de quatre millions trois cent mille
citoyens.
Le Mali, à l’heure de l’indépendance, n’avait qu’un médecin pour 60 000
habitants environ (contre 1 pour 900 en France).
Un aspect mérite d’être signalé : celui de la négligence volontaire de
l’éducation des filles. La différence de niveau et de conception des droits et
devoirs ainsi crée constitue aune cause permanente de déséquilibre dans
beaucoup de ménages et un frein de l’évolution nationale dans son
ensemble. »
Ce sombre tableau dressé par les réformateurs de 1962 doit cependant être
nuancé. Cinquante années après les indépendances, il convient maintenant
d’être plus objectif dans notre jugement sur l’enseignement colonial.
Le bilan scolaire colonial apparaît dérisoire mesuré seulement à partir des
éléments statistiques. Mais, il faut apprécier ce bilan moins en termes
d’effectifs scolaires et de cadres formés, qu’en termes de transformations
sociales et idéologiques.
Cependant, il est indéniable que le système de l’enseignement colonial,
malgré son caractère assimilationniste, discriminatoire et foncièrement
élitiste, a pu créer les bases d’un système d’éducation cohérent et reposant
sur des principes légaux. Ainsi, sans entrer dans la polémique sur « les
bienfaits de la colonisation », nous convenons que le système colonial,
malgré la volonté réelle du colonisateur, si l’on veut, a permis l’émergence
d’une élite moderniste et nationaliste formée dans des institutions comme
William Ponty ou l’Ecole Normale de Katibougou, la constitution d’une
infrastructure scolaire et d’un système d’enseignement organisé (
enseignement primaire, enseignement secondaire, enseignement normal,
enseignement professionnel), la constitution d’une infrastructure
règlementaire en ce qui concerne, l’organisation générale de l’enseignement
et son fonctionnement, l’organisation pédagogique, l’organisation des
examens et concours, l’organisation du personnel de l’enseignement. Ce sont
autant d’éléments qui feront dire aux réformateurs de 1962 que la réforme
n’est pas un rejet systématique de tout ce qui existe.
II. L’ECOLE MALIENNE SOUS LA PREMIERE REPUBLIQUE (1960-
1968)
2.1. Les années 1960 : construction des principes, mise en place
des fondements politiques et administratifs.
Le début des années 1960 est encore marqué par une continuité du système
scolaire colonial. Mais l’inadaptation du système scolaire hérité de l’époque
coloniale à l’évolution politique devait vite amener les nouvelles autorités du
Mali indépendant à envisager une rupture radicale.
« Pour la République du Mali, au lendemain de son option fondamentale du
22 septembre 1960, il devient anachronique de maintenir, dans sa structure
et dans ses finalités, l’enseignement légué par les colonisateurs. Une réforme
s’impose car une révolution politique, économique et sociale ne peut être
pleinement efficace que si elle va de paire avec une politique conforme de
l’enseignement. »
Mais avant de parler de cette réforme, nous évoquerons un évènement
important passé dans les oubliettes : la Conférence des Etats africains sur le
développement de l'éducation en Afrique (MINEDAF I), organisée par
l'UNESCO en collaboration avec la Commission Economique des Nations
Unies pour l'Afrique, à Addis Abeba, Ethiopie, du 15 au 25 mai 1961.17 Cette
conférence a fait plusieurs recommandations aux Etats africains
nouvellement indépendants concernant : les investissements dans
l’enseignement, les objectifs de l’éducation, le financement de l’éducation, la
planification de l’enseignement, la reforme du contenu de l’éducation, la
coopération des pays africains dans le domaine de l’éducation, etc. On
retrouve une bonne partie du contenu de ces recommandations dans la
Réforme de l’Enseignement de 1962. Nous prenons cet exemple très
significatif de l’esprit de la Réforme de 1962 :
« Etant donné que le contenu actuel de l’éducation ne correspond ni à la
réalité africaine, ni à l’hypothèse de l’indépendance politique, ni aux
caractéristiques d’un siècle essentiellement technique, ni aux exigences d’un
développement économique équilibré comportant une industrialisation
rapide, mais qu’il fait appel à des références à un milieu non africain et ne
permet pas à l’intelligence, à l’esprit d’observation et à l’imagination créatrice
de l’enfant de s’exercer librement, et de l’aider à se situer dans le monde,-
que les autorités chargées de l’éducation dans les pays africains révisent le
contenu de l’enseignement en ce qui concerne les programmes, les manuels
scolaires et les méthodes, en tenant compte du milieu africain, du
développement de l’enfant, de son patrimoine culturel et des exigences du
17
Le Mali était représenté par Amadou Tidjani Diallo, Inspecteur d’Académie adjoint, Djimé Diallo,
Inspecteur de l’Enseignement Primaire, Cantara Sissoko, Ministère de l’Economie et du Plan.
progrès technique et du développement économique, notamment de
l’industrialisation ; »
La Conférence d’Etats africains sur le développement de l’éducation en
Afrique donne une idée de l’ampleur des besoins des pays africains en
matière de scolarisation : « dans l’ensemble de l’Afrique, le taux de
scolarisation ne dépasse pas aujourd’hui 16 % pour l’ensemble des enfants
en âge de fréquenter l’école primaire ou l’école secondaire »
2.1.1. La Réforme de l’Enseignement de 1962
La Réforme de 1962 est l’œuvre de l’USRDA. Les travaux d’élaboration sont
placés sous la tutelle politique du parti de l’Indépendance. Toutefois, un
comité spécifique chargé du pilotage des travaux d’élaboration avait été mise
en place : le Comité de Direction Culturelle et Sociale. Il était composé
des représentants :
- du parti USRDA,
- du Gouvernement et des départements ministériels,
- des organisations démocratiques des femmes et des jeunes,
- de l’UNTM,
- des milieux économiques et professionnels,
- des communautés religieuses,
- des cadres techniques de l’Education.
Le Comité de Direction Culturelle et Sociale était présidé par Mamadou
Madeira Kéita, secrétaire politique du parti. Les travaux du comité étaient
répartis entre des commissions spécialisées sous la tutelle technique du
Ministère de l’Education Nationale.
A. But de la réforme
1. un enseignement tout à la fois de masse et de qualité.
2. un enseignement qui puisse fournir avec une économie maximum de
temps et d’argent, tous les cadres dont le pays a besoin pour ses
divers plans de développement.
3. un enseignement qui garantisse un niveau culturel permettant
l’établissement des équivalences des diplômes avec les autres Etats
modernes.
4. un enseignement dont le contenu sera basé non seulement sur les
valeurs spécifiquement africaines et maliennes, mais aussi sur les
valeurs universelles.
5. un enseignement qui décolonise les esprits.
a) Un enseignement tout à la fois de masse et de qualité.
Plus tard en 1964, une précision importante sera ajoutée : faire un
enseignement tout à la fois de masse et de qualité, adapté aux besoins et
aux réalités du Mali.
Il s’agit, d’une part, de mettre les institutions éducatives, propriété de l’Etat,
à la disposition de tous les citoyens pour leur permettre d’accéder au plein
épanouissement de leur personnalité et participer ainsi à la construction
nationale :
« Le droit à l’enseignement ne sera plus une faveur pour une catégorie
déterminée de citoyens ; l’école n’aura plus pour objectif unique de former des
cadres destinés à l’Administration Coloniale, elle constituera un droit
inaliénable et gratuit pour chacun de sortir des brumes de l’analphabétisme et
de recevoir une formation générale et technique élémentaire, moyenne et
supérieure. »
Mais, d’autre part, un enseignement adapté :
« Tout enseignement sera un enseignement technique et professionnel ; cela
veut dire qu’à sa sortie de l’école, le jeune malien sera apte, immédiatement à
exercer telle profession à laquelle il aura été techniquement et
intellectuellement préparé. »
Le diplôme sera un certificat d’aptitude à exercer une profession précise. Il
s’agit donc d’un enseignement concret étroitement lié à la vie et aux réalités
maliennes et africaines et aux impératifs du monde moderne.
Il s’agit également :
- d’anéantir les barrières entre le travail manuel et le travail
intellectuel : « Le technicien de l’acier n’aura aucun complexe face au
technicien du droit.. »
- d’universaliser l’instruction : « Afin que notre école accomplisse sa
vocation d’enseignement de masse, l’instruction ne sera pas seulement
dispensée aux enfants scolarisables ; elle concernera aussi les adultes
et la grande majorité des adolescents n’ayant pas été scolarisés ; les
uns et les autres devront recevoir une éducation sanitaire, agricole ou
artisanale, civique et politique, facilitée par une campagne rationnelle
d’alphabétisation. »
Ne trouve-t-on pas là les éléments d’une éducation pour tous, le fondement
des CED et centres d’apprentissage des femmes, la formation dans les
compétences de vie ?
b) Un enseignement qui puisse fournir avec une économie maximum
de temps et d’argent, tous les cadres dont le pays a besoin pour
ses divers plans de développement.
Les mesures qui ont été prises dans ce sens :
La réduction de la durée de cycles
La création d’un enseignement fondamental qui réduit de 1 an la durée des
études bases. Dans le système colonial, il y avait le cycle primaire qui durait
6 ans et un cycle secondaire à deux niveaux, niveau collège (4 ans) et niveau
lycée (3 ans).
La création d’un enseignement supérieur dont le rôle essentiel est de :
- Assurer la formation générale et technique des cadres supérieurs
du Mali ;
- Promouvoir la recherche scientifique ;
- Adapter l’enseignement public au progrès scientifique et technique
et aux transformations de la vie sociale.
La réforme de l’enseignement technique et professionnel doit permettre
la formation des cadres à tous les niveaux en fonction des besoins
nationaux dans le minimum de temps.
La Formation des enseignants dans les centres pédagogiques régionaux
en 1 an.
c) Un enseignement qui garantisse un niveau culturel permettant
l’établissement des équivalences des diplômes avec les autres
Etats modernes.
Nous constatons, déjà, le souci des comparaisons internationales. Dans le
rapport de 1964, plusieurs références sont faites au contexte international.
La révision des programmes pour aller à l’essentiel et le resserrement de
durée des cycles de formation, ne devaient pas aboutir à un abaissement du
niveau de qualification des cadres formés.
Il s’agit, en outre, de spécialiser au maximum les cadres, car un technicien
spécialisé se forme en un temps relativement court permettant de lui
apprendre sa technique à fond mais rien qu’une technique déterminée.
Tandis que le cadre polyvalent demande une durée de formation plus longue
et plus couteuse. Il ne faut donc pas craindre le risque de former des cadres
au rabais.
d) Un enseignement dont le contenu sera basé non seulement sur les
valeurs spécifiquement africaines et maliennes, mais aussi sur
les valeurs universelles.
L’Education sera nationale, c’est-à-dire axée sur notre culture, nos
traditions, nos langues. L’enfant malien connaîtra d’abord son milieu, son
village, son quartier, la géographie et l’histoire de son pays. Mais, la politique
éducative du Mali intègrera tout ce que l’humanité a réalisé de merveilleux
pour l’homme dans le domaine du savoir, de la technique et valeurs de
civilisation. Elle accepte et assimile volontairement toutes valeurs pouvant
faire progresser la société malienne.
e) Un enseignement qui décolonise les esprits.
Le Mali, comme le reste du monde, vit l’ère de la décolonisation. La vraie
décolonisation est à la fois politique, économique et culturelle. On peut
changer plus rapidement les structures politiques et administratives d’un
pays que les manières de penser, de sentir et d’agir de ses habitants. C’est la
tâche de l’Enseignement d’effectuer cette reconversion souvent difficile des
esprits.
B. Les grandes innovations de la réforme de 1962
Mais c’est au niveau du schéma structurel et institutionnel que la Réforme a
surtout innové.
La création de l’Enseignement Fondamental de 9 ans réduit la durée des
études qui passe de 10 ans à 9 ans.
L’Ecole Fondamentale est créée pour scolariser le plus grand nombre
d’enfants et rapprocher l’école des familles. Au niveau national,
l’Enseignement Fondamental est dirigé par le Directeur Général qui a sous
ses ordres des inspecteurs de l’Enseignement Fondamental.
Le 1er cycle qui comprend 5 années d’études et constitue en quelque sorte
l’école populaire de base dont le développement doit être assuré le plus
rapidement et le plus largement possible.
Le second cycle dont les études sont réparties sur 4 ans constitue le cycle
d’orientation. Il permet de diriger les élèves soit vers l’enseignement
secondaire général soit vers les secteurs d’activité économique.
Les études fondamentales sont sanctionnées par le DEF.
Enfin, la réduction d’un an de la durée des études de base aura pour
conséquence :
- d’alléger les programmes ;
- de fixer les petites vacances à 15 jours en dehors des fêtes et des
vacances ;
- de fixer les horaires hebdomadaires de travail à 32 heures et demie
au lieu de 30 heures.
La suppression du Certificat d’Etudes Primaires : « le passage de l’élève d’une
classe à l’autre ou d’un cycle à l’autre est conditionné par l’ensemble de son
travail et non par le hasard d’un examen ou d’un concours. » La suppression
de l’examen de fin d’études du 1er cycle aboutit, en fait, à l’institution d’un
bloc unique de 9 ans.
Le rattachement du 1er cycle du secondaire à l’enseignement fondamental : ce
1er cycle du secondaire devient le second cycle de l’Enseignement
Fondamental.
La création d’un Enseignement Secondaire Général d’une durée de trois
années d’études qui reçoit les élèves admis au DEF âgés de moins de 18 ans.
Les lycées d’enseignement général préparent au baccalauréat et ne
comprennent désormais que trois classes, dixième, onzième et terminales
avec quatre séries, Lettres modernes, Lettres classiques, Sciences
biologiques et Sciences exactes.
La mise en place d’un enseignement technique et professionnel dispensé à
plusieurs niveaux : cycle CAP à partir des premières années du
Fondamental, cycle des techniciens à partir du DEF.
« La présente réforme se propose également d’aboutir à un organigramme
cohérent qui ne reconnaît pas le distinguo aussi subtil qu’artificiel qui était
fait entre l’enseignement technique et professionnel. Elle n’admet pas que
l’enseignement professionnel s’adresse uniquement aux travailleurs
subalternes, tandis que l’enseignement technique ne visera que les cadres de
direction et de conception. »
Ce qui signifie la fusion de l’enseignement technique et de l’enseignement
professionnel.
La création d’un Enseignement Supérieur chargé essentiellement de former
les cadres, à partir des grandes écoles comme l’ENSUP et l’ENA qui devait
constituer un embryon de la future Université du Mali.
Une Direction de l’Alphabétisation qui a servi de modèles pour beaucoup de
pays.
L’Institut Pédagogique National qui a pour vocation la recherche pédagogique
et la formation des maîtres.
La création de l’Enseignement Normal avec les Centres Pédagogiques
Régionaux chargés de former les maîtres du 1er cycle de l’Enseignement
Fondamental, et les Ecoles Normales Maliennes qui forment les maîtres du
second cycle de l’Enseignement Fondamental.
Les médersas sont mieux intégrées dans le système scolaire avec l’adoption
de l’Arrêté N° 442/MEN du 20 mai 1963 portant création et organisation des
médersas en République du Mali. Les médersas deviennent des écoles
fondamentales dans lesquelles la langue étrangère enseignée dès la 1ère
année est l’Arabe.
Ces premières actions spécifiques constituent, pour une part, les
fondements actuels des institutions et des politiques actuelles d’éducation.
2.1.2. Le recadrage de 1964
Sans abandonner les principes, le Premier Séminaire National sur
l’Education apporte quelques rectificatifs sur le dogme et les innovations.
Le séminaire recommande le rattachement de la 5ème année au 1er cycle de
l’Enseignement Fondamental. Ainsi, la nouvelle structure de l’Enseignement
Fondamental se présentera comme suit :
- un 1er cycle de 5 ans,
- un 2ème cycle de 4 ans.18
Les deux cycles peuvent être liés dans une même école, ou implantés selon
les circonstances et les conditions géographiques en des lieux différents.
Dans ce cas, les écoles ne comportant que le 1er cycle, envoient leurs enfants
dans les écoles du second cycle prévues à cet effet…
La réorientation des élèves en difficultés :
Le droit à l’éducation ne signifie pas que tous les enfants seront maintenus
en classe quelque soit leur performance. Ce qui est absolument
indispensable, c’est de ne jamais abandonner à la rue un enfant défaillant
dans un cycle d’études, sans le réorienter vers une formation qui le prépare
à s’insérer dans la vie active.
La nécessité d’une planification et de l’orientation en tenant compte des
besoins du pays qui est évoquée en ces termes :
Il est indispensable de rappeler une fois de plus, que la présente réforme pour
être efficace, doit se soumettre aux impératifs de la planification. Il n’est pas
possible de respecter les habitudes prises par les parents d’élèves, de pousser
les enfants dans leurs études sans se préoccuper, a priori, de la carrière sur
laquelle ces études doivent déboucher.
Il appartient désormais à l’Etat d’orienter les élèves en fonction des nécessités
des divers secteurs de l’activité nationale, étant entendu que les aptitudes
particulières des enfants et leur vocation jouer dans un large éventail de
carrière.
18
Le Décret N°25/PG-RM du 17 février 1965 portant modificatif au décret N° 235 portant organisation de
l’Enseignement Fondamental entérine cette résolution.
Le problème de l’internat :
La République du Mali, ceci constitue une des surprises pour qui vient de
l’extérieur, est l’un des rares pays du monde où l’on dispense tant de
largesses et de facilités aux élèves.
Et la multiplication des internats a été la plaie de notre enseignement
secondaire et technique : le taux élevé des bourses, les difficultés de disposer
des locaux suffisants, l’équipement mobilier et matériel coûteux, etc…ont été
des obstacles sérieux à l’extension de nos établissements secondaires et
techniques.
Ces internats n’ont été supprimés qu’en 1981. En effet, profitant d’une grève
sévèrement réprimée, le Gouvernement décida la fermeture des internats
dans les établissements d’enseignement secondaire excepté l’enseignement
normal. Ce fut une mesure de rétorsion en même temps qu’une mesure prise
dans le cadre de l’ajustement structurel.
Le Séminaire prône également le réalisme concernant les stratégies de mise
en œuvre de la Réforme. C’est ainsi que :
- La scolarisation de masse est limitée en fonction des possibilités
matérielles et financières ;
- Les enfants ayant fait la preuve qu’ils ne peuvent supporter le rythme
normal de la scolarité ne sont pas maintenus indéfiniment ;
- Le réalisme qui consiste à ne pas fixer à l’avance un délai précis pour
la scolarisation totale des enfants du Mali, mais établir un système
d’accroissement que les moyens permettent de respecter…
- Des économies qui doivent ainsi être réalisées au niveau de tous les
ordres d’enseignement…
- la formation des cadres en tenant compte des stricts besoins de la
production. Donc pas de gaspillages sous prétexte de promouvoir la
scolarisation universelle.
L’expérience des deux années d’application de la réforme montre également
que beaucoup d’élèves accèdent au second cycle du Fondamental créant
ainsi un problème de gestion de flux : engorgement des classes, recrutement
toujours croissant de maîtres en sacrifiant parfois à la qualité, risque de
formation de diplômés excédant les besoins, etc. Il fallait donc corriger la
pyramide scolaire en faisant en sorte, par exemple, que seulement le tiers
des effectifs du premier cycle puisse passer dans le second cycle et que les
deux autres tiers soient orientés vers la formation professionnelle.
Le Premier Séminaire s’est penché également sur le développement de
l’enseignement professionnel. Pour éviter les inconvénients d’une formation
professionnelle disparate, le Séminaire préconise la mise en place effective de
la Direction de l’Enseignement Technique Professionnel chargée de rétablir
les relations étroites et nécessaires avec les divers ministères intéressés par
cet ordre ou type d’enseignement.
Le Séminaire entérine la création du corps des inspecteurs généraux de
l’enseignement qui doivent assurer le contrôle permanent du respect intégral
des programmes et textes d’application et aider à la promotion de la
pédagogie malienne.
En matière d’alphabétisation, le séminaire recommande l’alphabétisation
dans les langues nationales chaque fois que cela sera possible.
2.1.3. Les succès de la Réforme de 1962
La couverture scolaire s’est nettement améliorée. La création de
l’Enseignement Fondamental provoque une forte augmentation de la
demande éducative bien qu’elle soit entravée par l’insuffisance de l’offre et le
manque de moyens. En 1964, le TBS avoisine les 20%. Il était de 10,8% en
1962, soit une augmentation de 54, 5%. Pour encadrer tous ces enfants, des
Centres Pédagogiques Régionaux (CPR) sont créées dans toutes les régions.
L’enseignement dans les médersas est mieux intégré dans le système scolaire
officiel.
L’Enseignement Secondaire Général se développe avec la création des lycées
régionaux à Sévaré, Markala, Banankoro, du Lycée de Badalabougou à
Bamako, qui viennent s’ajouter au Lycée Askia Mohamed et au lycée des
Jeunes Filles.
Au niveau du Supérieur, les grandes écoles, ENSUP, ENI, ENA, Ecole de
Médecine, sont créées.
Dans l’enseignement professionnel, le CFP de Bamako forme les travailleurs
qualifiés pour l’ensemble des sociétés et entreprises d’Etat, notamment, les
Chemins de Fer, les Mines, le Bâtiment, les industries, le commerce, etc.
Les dépenses courantes d’éducation sont passées de 1454 en 1961 à 4665
en 1968/1969 (valeur absolue en million de francs maliens).
2.1.4. Coût et financement de la Réforme
Le Mali indépendant avait rompu avec son ancienne métropole, la France.
C’est donc sur les pays socialistes avec lesquels il partageait la même
idéologie révolutionnaire, qu’il se tourne pour obtenir de l’aide d’autant plus
que la coopération africaine faisait défaut.
Mais la réforme sera butée très vite aux difficultés matérielles et financières.
La mise en œuvre de l’objectif de massification de l’enseignement scolaire, la
démocratisation de l’enseignement secondaire et la réforme de
l’enseignement technique et professionnel coûtent chers. Bien que les
inscriptions budgétaires en faveur de l’éducation aient notoirement
augmenté, elles ne suffisent pas à couvrir tous les besoins nouveaux.
Le tableau ci-dessous donne l’évolution du montant des inscriptions
budgétaires et du pourcentage de scolarisation depuis la mise en application
de la Réforme. Les inscriptions tiennent compte de la participation des
budgets régionaux, des aides extérieures et d’une évaluation chiffrée des
chantiers d’honneur, entre 200 et 250 millions de francs maliens.
ANNEE FONCTIONNEMENT EQUIPEMENT TBS
1957-1958 7,7
1961-1962 10,8%
1961-1962 1 420 274 000,
soit 9%
237 900 000,
soit 2,9%
12%
1962-1963 2 102 116 975,
soit 21%
751 754 000,
soit 4,2%
14%
1963-1964 2 180 975 000,
soit 16,6%
1 227 708 600,
soit 7%
19,8%
Malgré les économies réalisées avec la réduction de la durée des formations,
les moyens dont dispose le pays ne peuvent couvrir tous les besoins :
scolariser tous les enfants, former et recruter des enseignants de qualité,
créer des lycées dans chaque région, ouvrir des centres de formation
professionnelle élémentaire partout dans le pays, développer l’enseignement
supérieur, alphabétiser tous les adultes et adolescents analphabètes, faire
fonctionner les nouvelles structures créées par la Réforme, etc. En 1964,
seulement 124 000 enfants ont pu être scolarisés sur les 600 000
postulants.
Il fallait envisager des solutions alternatives, faire preuve d’imagination en
réduisant au strict minimum les frais des infrastructures scolaires, utiliser
les matériaux locaux pour la construction des salles de classe et la
confection des mobiliers scolaires, recourir à la Librairie Populaire, société
d’Etat pour les fournitures scolaires adaptées et peu couteuses.
Les années 60 peuvent être résumées par deux mots : rupture et
rénovation.
III. LECOLE MALIENNE SOUS LE REGIME DU CMLN ET LA DEUXIEME
REPUBLIQUE :
3.1. La conférence des cadres de 1968
Elle intervient quelques semaines seulement après le coup d’Etat du 18
novembre, du 5 au 9 décembre 1968. Cette conférence a réuni les
responsables de l’enseignement (directeurs nationaux, inspecteurs, chefs
d’établissements, enseignants) pour résoudre les problèmes importants dans
la conjoncture économique et politique que connaissait le pays.
La conférence réaffirme son attachement aux principes de la Réforme de
1962. « Le système éducatif mis en place constitue un acquis du peuple
malien ».
Mais elle engage une reformulation du 1er but de la Réforme :
« 1°/ Réaliser une éducation de masse par une scolarisation à généraliser
suivant les moyens de l’Etat et par l’égalisation des chances offertes à
chaque enfant pour concrétiser ses droits à la culture, au travail, au
développement harmonieux de sa personnalité.
2°/ Réaliser une éducation de qualité afin que :
a) chaque enfant puisse s’épanouir en recevant un enseignement de
qualité, comte tenu de la nécessaire promotion des meilleurs
éléments ;
b) un enseignement fonctionnel ayant un niveau de culture élevé, adapté
à la vie et aux besoins sociaux du pays qui puisse permettre une
exploitation rationnelle des richesses nationales…
3°/ Eduquer civilement les élèves et les étudiants afin qu’ils acquièrent des
habitudes de vie démocratique et qu’ils se préparent à exercer leurs responsabilités de citoyens. »19
Parmi les urgences retenues on peut citer, en ce qui concerne le cadre légal :
Enseignement supérieur :
- la réduction du taux horaire des professeurs de l’enseignement
Supérieur de 12 heures à 8 heures par semaine ;
- la suppression du cycle B de l’ENA pour en faire un établissement
supérieur à cycle unique de 4 ans ;
- la révision du statut du personnel enseignant de l’enseignement
supérieur ;
- la suppression du 1er cycle de l’ENI et la formation des ingénieurs du
1er degré en 3 ans ;
19
On retrouvera ces formulations dans la Loi d’Orientation sur l’Education de décembre 1999.
- la création de ce qui sera l’ECICA qui est en fait une fusion du cycle B
de l’ENA, du 1er cycle de l’ENI et de la filière de techniciens du
commerce et de l’administration du Lycée Technique.
Enseignement secondaire
- Que la formation technique et professionnelle soit placée sous le
contrôle unique de l’Education Nationale ;
Enseignement fondamental :
- La réorganisation des études dans l’Enseignement Fondamental : la
durée de la scolarité au niveau du 1er cycle est porté à 6 ans ;
- L’âge de la scolarisation est porté à 6, 7 et 8 ans révolus en lieu et
place des 10 ans ;
- L’effectif maximum autorisé dans les classes d’initiation est fixé à 70
élèves ;
- L’institution de l’examen du CFEPCEF appelé concours d’entrée en
7ème ;
- L’institution d’une seule session du DEF avec la suppression de l’oral
de contrôle ;
- La durée des études dans les CPR est portée de 1 à 2 ans ;
- La durée des études à l’Ecole Normale est portée de 3 à 4 ans ;
- Dans le cadre de l’obligation scolaire, la mise en œuvre effective de
mesures coercitives pour mettre fin à la pratique de retirer de l’école
les filles dans le but de les marier.
Le sous secteur de l’alphabétisation et des langues nationales a également
été exploré et les recommandations suivantes ont été faites par la
conférence :
- L’apprentissage des alphabets nationaux par les maîtres de
l’enseignement fondamental aux fins d’utilisation ultérieure dans leurs
activités d’éducateurs ;
- L’insertion dans les programmes des établissements secondaires,
supérieurs et techniques de l’initiation aux alphabets et à la
transcription de nos langues20 ;
- L’édition d’un numéro spécial de l’Essor consacré à la diffusion des
transcriptions des langues nationales.
Mais cette conférence sonnait en fait le glas de l’éducation au Mali. Malgré la
bonne volonté des cadres techniques de l’éducation, la répression féroce et
humiliante des mouvements syndicaux enseignants et la réduction
progressive des dépenses éducatives aboutissent à la dénaturation des
principes de la Réforme de 1962.
Le CMLN qui n’a pas de politique éducative se contente de réprimer les
mouvements de contestation organisés par les enseignants et les étudiants
20
Il s’agissait des langues Bamanan, SonghoI, Peul et Tamasheq
de l’UNEEM. Les principes de la Réforme de 1962 sont abandonnés dans les
faits, notamment la scolarisation de masse et une politique de promotion du
statut social des enseignants et de la qualité de leur formation.
Les principaux cadres de l’Education tiennent cependant à perpétuer l’esprit
de la Réforme de 1962. C’est ainsi que Baba Akib Haïdara, bien que
Directeur Général des Enseignements Supérieurs et de la Recherche
Scientifique, salue en 1972, l’esprit de la grande Réforme de
l’Enseignement.21Les participants au 2ème Séminaire National sur l’Education
de 1978 entérinent également leur adhésion aux principes de 1962.
La période qui va de 1973 à 1995 est marquée par une floraison de projets
éducatifs financés par l’extérieur et qui tiennent lieu de politique éducative :
les projets éducation de la Banque Mondiale, de la Banque Africaine de
Développent (BAD), du PNUD-UNESCO, de la France, du FED, de l’ACDI.
Les années 1970 et 1980 peuvent également être appelées les années de braise à cause de la violente répression qui s’abat sur le monde de l’éducation.
3.2. De la Conférence des cadres de l’éducation au 2ème Séminaire
National sur l’Education
Les faits marquants de ce début des années 1970 sont :
- la création du Conseil Supérieur de l’Education et de la Culture
(Décret N°180/PG-RM du 30/7/70 ;
- la règlementation de l’enseignement privé en République du Mali
(Décret N°118/PG-RM du 20/9/71 ;
- l’institution du Certificat de Fin d’Etudes du Premier Cycle de
l’Enseignement Fondamental (Arrêté N°385 MENJS-DGEFA du
24/4/70 ;
- les débuts de la ruralisation dans l’enseignement.
Après le coup d’Etat de novembre 1968 qui mit fin au régime de l’USRDA, les
nouvelles autorités organisées au sein du CMLN, adoptent en 1970
l’Ordonnance N°20/CMLN du 20/4/70 réorganisant l’Enseignement en
République du Mali. Cette ordonnance abroge la Loi N° 62-74/AN-RM et
apporte les changements suivants :
- l’enseignement dans les cours du soir et par correspondance n’est
plus mentionné ;
- la durée du premier cycle de Enseignement Fondamental passe de 5 à
6 ans et celle du second cycle de 4 à 3 ans ;
- l’âge de recrutement dans l’Enseignement Fondamental passe de 6-10
ans à 6-8 ans ;
21
Contact spécial 1973, Discours lors de la cérémonie de remise de diplômes de Doctorat de spécialité du
Centre Pédagogique Supérieur.
- le Certificat de Fin de Premier Cycle de l’Enseignement Fondamental
est réintroduite ;
- la gratuité et l’obligation scolaire sont limitées à l’Enseignement
Fondamental ;
- la référence à l’éducation morale, politique et patriotique dans les
finalités de l’Enseignement Fondamental (Article 4 de la Loi 62-74) est
supprimée.
Le Décret N° 57/PG du 20 avril 1970 modifiant le Décret N° 235/PG-RM du
04 octobre 1962 portant organisation de l’Enseignement Fondamental en
République du Mali, consolide ces changements mais, surtout, intronise les
associations de parents d’élèves (APE) dans l’espace scolaire.
L’Ordonnance N°11/CMLN modifiera la Loi N°67-12/AN du 13 avril 1967
fixe la liste des Directions Nationales.
Dans la Loi N°67-12/AN du 13 avril 1967 la liste des Directions Nationales
étaient fixées comme suit :
- la Direction Nationale de l’Enseignement Fondamental,
- la Direction Nationale l’Enseignement Général Secondaire et
Supérieur ;
- la Direction Nationale l’Enseignement Technique et Professionnel
- l’Institut Pédagogique National,
Les nouvelles directions sont :
1. la Direction Nationale l’Enseignement Supérieur et de la
Recherche Scientifique,
2. la Direction Nationale l’Enseignement Secondaire Général
3. la Direction Nationale de l’Enseignement Fondamental et de
l’Alphabétisation,
4. la Direction Nationale l’Enseignement Technique et
Professionnel
5. l’Institut Pédagogique National
6. l’Inspection Générale de la Jeunesse et des Sports
L’Enseignement Supérieur devient donc une institution à part entière.
Trois innovations importantes méritent encore d’être signalées :
- la prise en charge de la Recherche Scientifique considérée comme une
composante essentielle de l’Enseignement Supérieur ;
- la prise en charge de l’Alphabétisation dans l’enseignement de base ;
- la création d’une Inspection Générale de la Jeunesse et des Sports. La
jeunesse et les sports restent partie intégrante de l’Education
Nationale.
C’est en septembre 1970 que le Centre Pédagogique Supérieur recrute ses
premiers étudiants. Le Centre Pédagogique Supérieur est une structure
nouvelle de formation et de recherche, mise en place au sein de l’ENSUP et
destinée à assurer un enseignement postuniversitaire de haute qualité.
L’organisation de l’Enseignement Secondaire Général sera également
modifiée en 1973 avec la création d’un tronc commun en 10ème en lieu et
place des quatre séries, Lettres classiques, Lettres modernes, Sciences
Biologiques et Sciences Exactes.
Les années 1970 seront marquées également par l’irruption des APE dans la
gestion scolaire,22 les débuts de l’introduction des langues nationales dans
l’enseignement formel et de la ruralisation de l’enseignement notamment,
dans la région de Sikasso.
Le Séminaire National sur la Ruralisation de l’Enseignement se tient à
Sikasso en 1976.
La ruralisation23, c’est-à-dire l’introduction des activités pratiques à l’école,
est une idée de la Réforme de 1962. Elle en constitue le principe de base.
Mais elle n’a reçu d’application pratique qu’à partir des années 1970,
principalement dans la région de Sikasso (école fondamentale de
Lobougoula).
Du 31 octobre au 4 novembre 1972, sont organisées à Sikasso, sous l’égide
de l’IPN, les premières journées d’études sur la Ruralisation de
l’Enseignement. C’est la première initiative officielle du Ministère de
l’Education dans le cadre de la conceptualisation de la ruralisation et de
l’élaboration d’une stratégie nationale.
Le 1er Séminaire National sur la ruralisation de l’enseignement tenu en
décembre 1976 à Sikasso fixe le contenu et les orientations fondamentales
de la Ruralisation.
Le 2ème Séminaire National sur l’Education se tient en décembre 1978.
Un triple souci anime le Séminaire de 1978 :
1) La démocratisation de l’enseignement ;
2) L’ouverture du système éducatif sur la vie ;
3) Le renforcement du rôle et de la place des acteurs impliqués dans les
activités d’éducation dans le développement économique et social du
pays.
Le Séminaire souscrit aux principes de la Réforme de 1962 mais regrette les
faiblesses enregistrées dans son application.
22
L’APE est introduite par le Décret N° 57/PG-RM du 20 avril 1970 portant organisation de l’Enseignement
Fondamental qui stipule en son Article 27 : « Sur toute l’étendue du territoire, les parents d’élèves peuvent se
regrouper et former des associations officielles». 23
Qu’il ne faut pas confondre avec les écoles rurales de l’époque coloniale.
Pour ouvrir l’école sur la vie, l’accent est mis :
au plan de la finalité du système éducatif, sur la nécessité de dispenser
une éducation en harmonie avec les valeurs morales et culturelles du
pays, une éducation conférant aux différents degrés de l’enseignement,
l’aptitude effective à participer au développement du pays.
au plan des contenus, la référence au milieu et la fonctionnalité des
programmes d’enseignement ont été jugées comme prioritaires.
enfin, au plan des stratégies, la nécessité de faire des langues
nationales des véhicules de l’instruction et de l’éducation dans le cadre
du système scolaire, a été reconnue.
Par ailleurs, le séminaire a exprimé la nécessité de faire de la ruralisation de
l’enseignement une réalité concrète.
Parmi les résolutions fortes du Séminaire, on note principalement24 :
Au plan de la doctrine et de l’orientation, l’adhésion au choix de société
préconisé par les organisations démocratiques (UNTM, UNFM, UNJM) à
savoir, une société progressiste de type non capitaliste tournée vers la
satisfaction des besoins des masses laborieuses. (On note là un relent de
rhétorique révolutionnaire, une référence nostalgique au passé). Le
Séminaire se prononce sans équivoque pour le maintien de la Réforme de
1962.
Au plan des structures, le séminaire retient :
- le rattachement de l’enseignement préscolaire et de l’Enseignement
Spécial au Ministère de l’Education Nationale,
- la création du CNRST,
- la création d’un centre national des examens et concours,
- la création des directions régionales de l’éducation pour une
meilleure coordination des activités des IEF,
- la formation des encadreurs du préscolaire dans les IPEG,
- la révision des sections dans les écoles normales,
- la révision des programmes à tous les niveaux,
- la nécessité de la création des filières de formation des professeurs
pour l’ETP et l’obligation pour les employeurs à participer à la
formation des élèves de l’ETP.
Sur le plan de l’Alphabétisation et de l’introduction des langues nationales
dans l’enseignement,
Le Séminaire soutient l’alphabétisation dans nos langues nationales et se
prononce, sans équivoque, pour l’introduction immédiate des langues
nationales dans l’enseignement ; il recommande de même, que tous les
24
Source : l’Essor du mercredi 27 décembre 1978.
enseignants et les cadres, les élèves et les étudiants, soient alphabétisés
avant la rentrée d’octobre 1979.
Sur le plan des cantines,
- Le Séminaire se prononce pour le maintien des cantines scolaires et
leur extension au secondaire et au supérieur (sous forme de
campus et de restaurants) ;
- La scolarisation en milieu nomade étant un impératif, le Séminaire
insiste sur la nécessité de mettre à la disposition des cantines des
crédits réels et suffisants.
Sur le plan de la valorisation de la fonction enseignante, nous avons retenu
deux revendications qui constitueront la trame des revendications futures
des syndicats enseignants :
- Le décrochage du statut particulier de l’enseignement du statut
général de la Fonction Publique ;
- Le rétablissement du droit au logement gratuit ou, à défaut, l’octroi
de l’allocation compensatrice ;
Le Séminaire demande également la suppression du concours d’entrée à la
Fonction Publique pour les enseignants et une bonne planification de la
formation des enseignants en vue de l’adéquation formation et emploi. La
suppression du tronc commun en 10ème de l’Enseignement Secondaire
Général, figure aussi parmi ces recommandations fortes.
Toutefois, deux principales résolutions sont adoptées par le Séminaire de
1978 :
la généralisation de la Ruralisation de l’Enseignement ;
l’utilisation des langues nationales dans l’enseignement formel.
L’utilisation des langues nationales dans l’enseignement formel est une autre
idée de la Réforme de 1962. Déjà, le Décret n° 235/PG-RM du 04 octobre
1962 portant organisation de l’Enseignement Fondamental, énonce, en son
Article 4, la possibilité de l’utilisation des langues nationales dans
l’Enseignement Fondamental.
La conférence de décembre 1968 se fondant sur les principes de 1962,
recommandait :
- l’apprentissage des alphabets nationaux par les maîtres de
l’enseignement fondamental aux fins d’utilisation ultérieure dans leurs
activités d’éducateurs ;
- l’insertion dans les programmes des établissements secondaires,
supérieurs et techniques de l’initiation aux alphabets et à la
transcription de nos langues25 ;
Mais ce fut le 2ème Séminaire National sur l’Education qui prit une résolution
demandant aux services techniques compétents de préparer et de réaliser
l’introduction des langues nationales dans l’enseignement formel à un
niveau expérimental. En octobre 1979 furent ouvertes quatre écoles
expérimentales en bamanankan : 2 dans la région de Koulikoro (Kossa et
N’Difing) et 2 dans la région de Ségou (Banankoroni et Zanabougou)26.
Nous constatons donc que les années 1970 ne dérogent pas globalement aux
principes de la Réforme de 1962 en ce qui concerne l’organisation
d’ensemble de l’enseignement et certaines politiques comme la formation des
maîtres et le caractère fonctionnel de l’enseignement.
Vers la fin des années 1970, nous remarquons une volonté de rationaliser le
système et d'en améliorer les performances notamment grâce à la
ruralisation.
Mais l’évènement marquant de ces années là est politique : c’est la création
de l’UDPM le parti unique, en mars 1979. L’UDPM ne rompt pas
théoriquement avec la Réforme de 1962 jugée toutefois trop idéalisée. Il
importait donc, à ses yeux, de la réadapter au nouveau contexte politique et
économique du pays en la débarrassant de toute référence au socialisme.
L’UDPM est vite confrontée à une situation éducative désastreuse. Le taux
brut de scolarisation plafonne à 25%. Depuis 1979, les effectifs scolarisés
connaissent un ralentissement dans leur évolution tandis que la population
d’âge scolarisable s’accroît de 2,8% environ par an. A partir de février 1977,
les manifestations organisées par l’Union Nationale des Elèves et Etudiants
du Mali (UNEEM) pour soutenir ses revendications créent un climat délétère
dans l’espace éducatif. Des professeurs sont arrêtés et torturés par le
pouvoir à la suite du décès en détention du Président Modibo Kéita, en mai
1977.
L’année 1979 se termine dans une situation quasi insurrectionnelle.
L’UNEEM décrète une grève générale dans tout le pays pour la satisfaction
de ses revendications, au mois de novembre. Une marche sur le Ministère de
l'Éducation Nationale à Bamako est organisée et des milliers d'élèves
envahissent la cour du ministère et prennent le ministre en otage pour
l'obliger à lire les revendications.
L’UNEEM qui refuse de s’inféoder à l’UNJM, est dissoute en janvier 1980.
Cette dissolution entraînera une longue période de léthargie du mouvement
25
Il s’agissait des langues Bamanan, Songhoï, Peul et Tamasheq 26
Cercles de Dioila et Ségou
estudiantin, ses principaux leaders s’étant d’ailleurs exilés pour échapper
aux persécutions.
Lorsqu’interviennent les Etats Généraux de l’Education de 1989, la roue de
l’histoire avait déjà tourné ; 1990 est le début des révoltes pour plus de
démocratie.
3.3. Les débuts de l’ajustement structurel dans le secteur de
l’Education
Les années 1980 débutent avec la répression du mouvement estudiantin et
la mort du leader de l’UNEEM, Abdoul Karim Camara dit Cabral. En juin, les
leaders d’un mouvement de protestation des enseignants sont arrêtés. Ils
seront jugés et condamnés en septembre. En octobre, le Gouvernement
décrète la fermeture des établissements du secondaire et du supérieur pour
une période de 1 an. Les salaires des enseignants grévistes sont retenus
durant 4 mois. Une partie de ces salaires non payés ne leur sera remboursée
que bien plus tard en 1993.
En ce qui concerne l’organisation du système éducatif, on note un recul de
l’Etat. Après l'instauration d'un service public d’éducation avec la réforme de
1962, symbole de la politique éducative des années 1960 qui s'est perpétuée
dans le début des années 1970, un net changement intervient dans les
années 1980 marquées par les PAS.
Devant la dégradation de la situation économique et un endettement très
élevé, le Mali s'engage avec le FMI et la Banque Mondiale dans des
programmes de stabilisation et d'ajustement structurel, dès 1981, pour
obtenir des prêts et rétablir les grands équilibres macro-économiques.
Pendant une décennie, le CMLN et son Gouvernement s’appliquent à mener
une politique de libéralisation des prix et du commerce, de réforme du
marché du travail, du système bancaire, de la fiscalité, de baisse des taxes à
l’importation, de privatisations. Le FMI et l’IDA27 font pression sur le Mali
pour limiter le recrutement d’agents à la Fonction Publique donc
d’enseignants.
Notons que la Banque Mondiale avait déjà joué un rôle important dans le
financement du développement de l’éducation dès le début de la dictature
militaire de Moussa Traoré.
Les conséquences du PAS sont désastreuses sur le système éducatif d’un
pays comme le Mali qui connaissait déjà l’un des taux de scolarisation les plus bas au monde (25%) :
27
L’Association internationale de développement (AID) fait partie du Groupe de la Banque mondiale,
basé à Washington, D.C
- Blocage des recrutements dans la Fonction Publique, pénalisant
particulièrement les jeunes diplômés des IPEG à la recherche d'un emploi ;
- Arrêt des recrutements d’enseignants : de 1984 à 1994 il n’y a pas quasiment eu de recrutement ;
- Encouragement des enseignants fonctionnaires les plus expérimentés au départ à la retraite avec pour conséquence la dégradation de la qualité de l’enseignement. Les premiers départs à la retraite ont eu
lieu en 1989 et le mouvement s’est accéléré à partir de 1991. Entre 1991 et 1993, on enregistre près de 1000 partants au lieu des 340 initialement prévus ;
- Recul de la scolarisation puisqu’il n’y avait plus d’enseignants pour tenir les classes ;
- Recul du financement dans le second cycle de l’Enseignement Fondamental, le Secondaire Général et Technique et le Supérieur ; les prêteurs préfèrent financer la formation professionnelle élémentaire dans le secteur agricole (CAA) et l’alphabétisation fonctionnelle ;
- Chômage des enseignants formés dans les IPEG et à l’ENSUP ;
- Limitation du rôle de l’Etat dans l’enseignement, ce qui défavorise les régions les plus pauvres du Mali (Sahel et Sahara) ;
Par ailleurs, l’adhésion du Mali à l’UMOA en 1984 réduit considérablement
le pouvoir d’achat des travailleurs y compris les enseignants : les salaires
sont divisés par deux. L’effet immédiat est que plusieurs enseignants dont
des universitaires s’exilent dans d’autres pays africains de l’Ouest et du
Centre
3.4. Les Etats Généraux de l’Education, mars 1989 : une réforme
avortée
Organisés par le parti unique UDPM, les Etats Généraux de l’Education
avaient pour objet la réflexion sur le système éducatif du Mali en vue de
l’adapter au contexte socioéconomique actuel et d’en améliorer les
rendements tant internes qu’externes.
Dans son rapport introductif, le Secrétaire aux Affaires Culturelles du Parti,
précise cependant que le Parti n’a pas convoqué les Etats Généraux de
l’Education pour détruire un système en place (la Réforme de 1962), mais pour
en corriger les imperfections et lui donner de nouvelles dimensions.
Il est question alors de correction et d’adaptation. En vérité, le pouvoir se
trouvait en face de certains défis qu’il avait du mal à relever. Il s’agissait :
- recul de la scolarisation de masse et de qualité ;
- faiblesse des rendements internes et externes ;
- faiblesse de l’encadrement pédagogique : enseignants mal formés et en
quantité largement insuffisante ; fermeture de 3 IPEG sur 6 ;
- démotivation des personnels enseignants qui s’exilent en masse ;
- faiblesse du financement du système : régression de la part de
l’éducation dans le Budget National, de 24,40% en 1984 à 18,53 en
1987.
C’est pourquoi, les recommandations issues de ces Etats Généraux de
l’Education ont porté essentiellement sur :
- le relèvement du taux de scolarisation par la multiplication des écoles
privées, des médersas, la promotion des écoles de village et des écoles
coopératives (concept primitif des écoles communautaires),
- l’amélioration du rendement interne grâce notamment à l’introduction
des langues nationales dans l’enseignement formel,
- l’amélioration du rendement externe grâce à la Ruralisation,
- le rehaussement du budget alloué à l’Education pour atteindre 25% au
moins,
- l’octroi de 30% au moins de la TDRL aux APE pour leur permettre de
participer effectivement au développement du système scolaire.
Malgré le ton optimiste, l’éducation allait être le terreau des grands
mouvements politiques entre 1990 et 1992. La politique d’ajustement a
contribué grandement aux émeutes et au renversement du régime de
l’UDPM. En effet, ce furent bien les enseignants et les étudiants qui
constituèrent la grande majorité des militants du mouvement démocratique
qui aboutit au renversement du régime de l’UDPM et de son Président le
Général Moussa Traoré, le 26 mars 1991. Ils étaient les grandes victimes de
la répression du régime militaire, entre 1968 et 1980, et des tentatives de
redressement imposées par les programmes d’ajustement structurel.
IV. LA TROISIEME REPUBLIQUE
4.1. Le début des années 90 : Débat National et Table Ronde
L'objectif du PASED 1989 - 1994 (Programme d'Ajustement Structurel du
Secteur de l'Education) était de rentabiliser les investissements sectoriels,
notamment ceux prévus dans le cadre d'un Projet de Consolidation de
l'Education soumis au financement de l'Association Internationale de
Développement.
Pour permettre d'atteindre l'objectif visé par le programme, les mesures
draconiennes suivantes sont adoptées pour la période 1989 - 1994 :
- institutionnalisation du concours d'entrée dans les écoles de formation
de maîtres,
- recrutement au niveau du baccalauréat pour l'entrée dans les IPEG
pour 2 ans de formation pédagogique,
- regroupement des élèves-maîtres et réduction du nombre
d'établissements (de 6 à 3 IPEG),
- plafonnement du nombre de nouveaux admis au secondaire général à
2500 par an,
- plafonnement du nombre de nouveaux admis au supérieur (Grandes
écoles et boursiers maliens à l'extérieur) à 1500 par an,
- orientation parallèlement d'une proportion croissante d'élèves vers les
filières professionnelles et techniques,
- expérimentation de la double vacation dans les classes à effectifs
d'élèves importants (5 classes par région et par an),
- extension de la division multiple (double division) à au moins 250
écoles,
- mobilisation des financements privés par la création du Fonds d'Appui
à l'Enseignement Fondamental (FAEF) afin d'élargir la base,
- réduction des bourses de l'Enseignement Supérieur de 10% pendant
chacune des 2 premières années du programme et de 5% pendant
chacune des 2 dernières années suivantes,
- la part du matériel passera de 4 à 12% en y incluant la transformation
des bourses du Secondaire en matériels pédagogiques.
Ces programmes d’ajustement ont été au demeurant largement critiqués par
la Conférence Nationale organisée du 29 juillet au 12 août 1991. Ils sont, en
partie, une des causes de la contestation ayant abouti aux évènements de
mars 1991. Pourtant, le Gouvernement du Mali signe avec la Banque
Mondiale, en janvier 1995, un nouveau crédit d’ajustement du secteur de
l’éducation pour un montant de 50 millions de Dollar US. Le Mali avait
réaffirmé son engagement à réformer le secteur. Dans le cadre de la
réalisation des objectifs de ce projet, des mesures politiques d’ajustement
devaient être appliquées. Il s’agit de :
- la séparation du premier et du second cycle de l’Enseignement
Fondamental en introduisant en même temps un système sélectif
d’accès au 2ème cycle basé sur des critères académiques et sur la
capacité d’accueil ;
- la conception et la mise en œuvre de critères d’admission au
secondaire et au supérieur, basés sur les possibilités d’accueil et sur
les performances académiques au DEF ou au Bac ;
- la limitation du budget des bourses et l’octroi de la bourse sur la base
de critères de performance et d’équité ;
- le redéploiement dans les classes d’enseignants occupant des emplois
administratifs ;
- le recrutement d’enseignants sur une base contractuelle afin de
diminuer le coût du financement des enseignants ;
- l’extension de la double vacation ;
- la location d’écoles publiques à des agents privés et communautaires,
etc.
Mais l’opposition des syndicats enseignants et de l’AEEM, le climat politique
incertain voire très délétère, auxquels s’ajoutent l’absence d’une vision
globale du développement du système et un déficit de communication auprès
des acteurs, ont limité la capacité du Gouvernement à mettre en œuvre des
réformes qui n’ont pas été validées par les principaux acteurs de l’éducation
donc sujettes à caution.
4.2. Le Débat National
La Table Ronde pour l’EPT organisée à Bamako du 3 au 7 septembre 1991,
qui fait suite à la Conférence Mondiale sur l’EPT de Jomtiem, a formulé des
analyses et recommandations dans le domaine de l’éducation de base. La
Table Ronde ébauche une politique malienne d’éducation de base pour tous
visant un rehaussement rapide du taux de scolarisation (30% en 1991) et du
taux d’alphabétisation des jeunes et des adultes (17% en 1991).
Le Débat National s’est tenu du 16 au 21 septembre 1991. Il a dégagé des
orientations de politique éducative parmi lesquelles on peut retenir
significativement la démocratisation du système éducatif et l'élargissement
de la base.
L'objet du Débat National était de jeter un regard critique sur le système
éducatif malien en vue de trouver les solutions à ses maux et handicaps
pour l'adapter au contexte socio-politico-économique actuel et améliorer son
rendement interne et externe. Le Débat National a fait plusieurs
recommandations dans ce sens dont nous retenons :
a) Par rapport au rendement dans le système éducatif
- Construction de nouvelles salles de classe et création de nouvelles
écoles et leur équipement en matériels didactiques,
- Recyclage systématique des maîtres en fonction ainsi que des
inspecteurs,
- Ouverture d'une filière de formation des inspecteurs de l'Enseignement
Fondamental à l'Ecole Normale Supérieure et la création du corps des
Inspecteurs et d'une Direction Nationale de l'Evaluation de l'Action
Educative,
- Réduction de la taille des circonscriptions scolaires (IEF) et la mise à la
disposition des Inspecteurs des moyens logistiques indispensables à
leurs activités,
- Adoption du concept d'Activités Pratiques et Dirigées en remplacement
de la "ruralisation",
- Création d'un Fonds National pour la Recherche Scientifique,
b) Par rapport à la démocratisation du système éducatif et à l'élargissement
de la base :
- Information et sensibilisation des populations sur l'importance de
l'éducation préscolaire,
- Multiplication des centres d'alphabétisation, leur dotation en
personnel compétent et matériels didactiques suffisants et adéquats,
- Multiplication des structures d'accueil (écoles publiques, écoles
coopératives de base, écoles privées, medersas),
- Création et renforcement des cantines scolaires,
- Maintien de la pratique de la double division comme moyen
d'élargissement de la base,
- Formation conséquente des enseignants,
- Collaboration des enseignants avec tous les détenteurs de
connaissance de nos sociétés, en vue d'intégrer leurs savoirs dans
l'éducation,
- Multiplication et équipement des centres de formation professionnelle,
- Ouverture de l'internat comme moyen d'offrir aux enfants de
meilleures conditions de réussite (une revendication de l’AEEM),
- Aménagement de passerelles permettant aux élèves des medersas de
s'insérer dans le système de l'enseignement classique,
- Clarification des textes réglementaires régissant les écoles de base,
- Transparence, choix judicieux et démocratique aux postes de
responsabilités,
- Sensibilisation des parents, des autorités politiques, administratives et
scolaires à la scolarisation des filles,
- Autonomie de l'Association des Parents d'Elèves (APE) vis-à-vis des
pouvoirs publics,
- Recouvrement des ressources de l'APE et leur gestion seront exécutés
par un comité de gestion comprenant la DRE, l'IEF, les représentants
des syndicats d'enseignants, les représentants des élèves,
- Participation financière et matérielle des opérateurs économiques et
industriels au financement de la recherche,
- Amélioration et renforcement des structures d'accueil d'enseignement
supérieur et leur équipement
c) Par rapport à l'adéquation formation emploi :
- Aucune exclusion au premier cycle de l'enseignement fondamental
avant l'âge de 16 ans pour épuisement de scolarité,
- Inscription des recalés dans le cycle inférieur correspondant selon des
modalités à définir,
- Adoption d'une politique réelle de l'informatique dans nos cursus de
formation,
- Institutionnalisation du stage pratique en entreprise.
d) Par rapport au financement et à la gestion :
- Gratuité de l'enseignement pour tous les citoyens en accordant la
priorité à l'enseignement fondamental et à l'alphabétisation,
- Sensibilisation et mobilisation par l'Etat de toutes les sources de
financement (services économiques et financiers de l'Etat, Opérations
de Développement Rural, Sociétés et Entreprises, Opérateurs
économiques, Associations villageoises et Tons villageois, ONG, Pays
amis, Institutions Internationales…),
- Extension du Fonds d'Appui à l'Enseignement Fondamental (FAEF) à
toutes les régions du pays,
- Octroi de terrains et de subventions aux créateurs d'écoles de base,
- Retour aux APE des taxes séparées de la TDRL.
Comme on peut le constater, la plupart de ces recommandations
répondaient à des soucis réels des acteurs : l’amélioration de l’accès à la
scolarisation, l’amélioration de la qualité de l’encadrement, l’adaptation de
l’enseignement aux réalités socioculturelles, l’intégration des autres types
d’enseignement (medersas, préscolaire), l’implication d’autres acteurs (APE,
privé, associations villageoises), la gratuité de l'enseignement et l’obligation
scolaire jusqu’à l’âge de 16 ans, etc. Elles n’ont pas cependant bénéficié d’un
climat politique et social serein pour leur réalisation.
Le 03 novembre 1992, des centaines de bacheliers candidats libres occupent
les locaux du MEN. Ils exigent de percevoir une bourse d’étude comme les
bacheliers réguliers. Certains d’entre eux rejettent la mesure consistant à
orienter les bacheliers dans les IPEG. Le 12 novembre ce fut au tour des
élèves des médersas d’assiéger le MEN. Organisés au sein de l’AEEM, elles
réclament l’application des recommandations du Débat National, à savoir
leur intégration dans le système classique. En décembre 1992, un
mouvement des élèves des écoles secondaires réclamant l’octroi de bourses
et d’indemnités de stage (entre autres) paralyse le système durant plus de 3
mois. A la mi-février les étudiants de l’IPR de Katibougou commettent des
actes de vandalisme dans l’IPR même et à Koulikoro. Le mouvement de
contestation gagne tout le pays et culmine avec la crise du 5 avril 1993 au
cours de laquelle les étudiants et des scolaires, sous la houlette de l’AEEM,
incendient l’Assemblée Nationale et de nombreux autres édifices publics. Ces
évènements d’une extrême gravité entraînent la démission du Gouvernement
de Younoussi Touré le 9 avril 1993.
En 1994, suite à des émeutes estudiantines, les établissements du
Secondaire et du Supérieur furent fermés durant une année entière (année
blanche). Les leaders de l’AEEM furent écroués. La contestation estudiantine
avait pris des allures insurrectionnelles affaiblissant ainsi dangereusement
les assises de la démocratie naissante en même temps qu’elle rendait
impossible toute tentative de réforme pourtant indispensable vu l’état de
déliquescence dans lequel se trouvait l’école malienne.
Dans ce contexte là, la reprise énergique en main de la gestion de la crise
scolaire opérée par le gouvernement d’IBK devenait salutaire, sans nul
doute. Au demeurant, les syndicats de l’Education ont cautionné cette
fermeté retrouvée du Gouvernement.
Par ailleurs, l’instauration du pluralisme syndical à partir de l’année 1993
avec la naissance du SNESUP puis du SYNTES, du SYLDEF, du SYNTEC et
de la FEN, complique les négociations syndicales et rend quasiment
impossible la mise en œuvre de certaines réformes prévues dans le PASSE.
C’est ainsi, par exemple, que le SYLDEF et le SNEC rejettent l’extension de la
double vacation et la contractualisation de l’enseignement.
4.3. La session extraordinaire du Conseil Supérieur de l’Education
C’est dans un climat de crise que se tient une session extraordinaire du
Conseil Supérieur de l’Education le 21 août 1992. Cette session
extraordinaire recommande au Gouvernement :
- d’élaborer une nouvelle politique éducative centrée sur le
développement de l’éducation de base ;
- de créer, dès la rentrée 1993-1994, l’Université du Mali ;
- de réorganiser l’organigramme du département de l’Education.
Se fondant sur les recommandations du Conseil Supérieur de l’Education, le
Ministère de l’Education de Base engage une refondation de l’Enseignement
Fondamentale : la Nouvelle Ecole Fondamentale (NEF). Les principes de cette
refondation portaient sur la création d’une école fondamentale unique (EFU)
de 8 ans, le curriculum de l’enseignement fondamental intégrant
l’enseignement dans les langues nationales, une formation continue des
maîtres centrée sur l’école et l’Inspecteur de l’Enseignement Fondamental
qui deviendrait désormais un manager de l’éducation.
Les documents de la NEF serviront de documents de travail à l’équipe du
PRODEC.
Deux autres innovations du Ministère de l’Education de Base au cours de
cette période qui va de juin 1994 à décembre 1996 méritent d’être signalées :
le centre d’éducation pour le développement (CED) et les écoles
communautaires. Ces deux innovations seront intégrées dans les
orientations et les stratégies du PRODEC.
4.4. La Loi N°94-010/portant réorganisation de l’enseignement en
République du Mali
L’Ordonnance N° 20/CMLN du 20 avril 1970 réorganisant l’enseignement en
République du Mali est abrogée et remplacée par la Loi N°94-010.
Cette nouvelle loi apporte quelques changements dans l’organisation de
l’Enseignement en République du Mali : l’éducation préscolaire, l’éducation
spéciale sont désormais partie intégrante du système éducatif ; la notion
d’éducation non formelle (en remplacement de celle d’alphabétisation) fait
son apparition, ce qui n’était pas le cas dans les précédents textes.
4.5. Le pluralisme syndical
Après la révolution de mars 1991, l'Ordonnance N°2/CTSP du 5 Avril 1991
instaure le pluralisme politique et favorise indirectement le pluralisme
syndical. Dans le domaine de l’Education, le SNEC, créé en 1963 et défendu
par l’UNTM, doit accepter, malgré lui, la fin du monolithisme syndical en
vigueur depuis l’indépendance. Les mouvements contestataires de 1979-
1980 et 1988 qui n’avaient pas réussi à transformer le syndicat enseignant
de l’intérieur, profitèrent du nouveau contexte politique pour constituer des
syndicats libres et indépendants dès avril-mai 1991. On se souvient, par
exemple, que la section III du SNEC défendait une ligne syndicale marquée à
gauche et proche de certains grands contestataires comme feu Ibrahima LY.
Ses principaux leaders (Youssouf Ganaba, Modibo Diarra, Issa NDiaye)
furent exclus de la Fonction Publique et d’autres mutés arbitrairement, en
1988.
Les enseignants du supérieur furent les premiers à se détacher du SNEC
avec la création du Syndicat National de l’Enseignement Supérieur
(SNESUP). Ils furent suivis par les enseignants du secondaire et ceux de
l’enseignement Fondamental.
C’est ainsi que cinq (5) syndicats indépendants dans le domaine de l’éducation, organisés, au début, par ordre d’enseignement ou selon le
statut, ont vu le jour. Il s’agit du :
1. Syndicat National de l’Enseignement Supérieur (SNESUP),
2. Syndicat National des Travailleurs de l’Enseignement Secondaire
(SYNTES),
3. Syndicat Libre et Démocratique de l’Enseignement Fondamental
(SYLDEF),
4. Syndicat de l’Enseignement Privé au Mali (SEPMA),
5. Syndicat National des Travailleurs de l’Enseignement Privé Catholique
(SYNTEC),
Mais, dès janvier 1992, ces syndicats vont se fédérer dans la Fédération de
l’Education Nationale (FEN). Le paysage syndical du monde de l’éducation
sera ainsi le premier à connaître une profonde modification qui aura des
conséquences sur la gestion du système éducatif, les nouveaux syndicats se
voulant ouvertement révolutionnaires et revendicatifs.
Certains milieux politiques proches de l’opposition politique, après la victoire
de l’ADEMA et d’Alpha Oumar Konaré lors des consultations électorales de
1992, estimaient que les syndicats libres étaient inféodés au parti au pouvoir
qui aurait soutenu voire inspiré leur création. Mais on comprend mal qu’une
pareille chose puisse arriver en avril 1991 alors même que le mouvement
démocratique n’avait pas encore volé en éclat, que les partis politiques
n’étaient même pas encore créés et qu’aucun observateur prudent ne
pouvait augurer de qui va gagner les élections de 1992. Par ailleurs,
plusieurs dirigeants du SNEC ont été eux-mêmes parmi les premiers
militants de l’ADEMA association.
La vérité est que tous les partis politiques ont tenté, par la suite, de
noyauter, avec plus ou moins de réussite, les milieux enseignants et
estudiantins. Les bureaux du SYNTES et de la FEN, dont nous étions
membres sans jamais avoir milité dans l’ADEMA, comprenaient des militants
qui appartenaient aussi bien à l’ADEMA, qu’à l’USDRA, au CNID, au PSP et
au PMRD. L’éclatement du mouvement démocratique n’a eu aucun impact
négatif sur la cohésion des syndicats libres. Les problèmes commenceront
avec la multiplicité des statuts, l’introduction de nouvelles politiques de
gestion des personnels enseignants aboutissant à une défonctionnarisation
de la profession enseignante, à une montée de l’opportunisme de droite dans
le mouvement syndical comme réponse à l’opportunisme et la corruption des
autorités politiques.
4.6. Le Programme Décennal de Développement de l’Education
Le PRODEC devait consolider et renforcer le PASSE. En tout cas, c’est ce
qu’on retrouve dans le Rapport d’Achèvement Final (RAF) du Projet de
Consolidation du secteur de l’Education.
Le PRODEC est une initiative du Président Alpha Oumar Konaré, mise en
œuvre par les deux départements de l’Education, le MEB (Adama
Samassékou) et le MESSRS (Moustapha Dicko, Younous Hamèye Dicko).
Une équipe chargée de l’élaboration du programme était mise en place en
mars 1996. Elle comprenait :
- Lala Ben Barka, chef de l’équipe,
- Barthélémy Togo, représentant du MEB,
- Abou Diarra, représentant du MEB,
- Alpha Aboubacrine, représentant du MESSRS,
- Samba Doucouré, représentant du MESSRS,
- Youba Bah, représentant du Ministère des Finances,
- Noël Diarra représentant du Ministère de l’Administration Territoriale.
L’équipe commença immédiatement ses travaux de prospection sur le terrain
par des concertations à la base, dans toutes les régions, auprès de toutes les
couches de la population et en décembre 1996 procéda à la restitution dans
toutes les régions. En septembre 1999 fut validé le document sur les grandes
orientations de la politique éducative et en décembre de la même année,
l’Assemblée Nationale adopte la Loi d’Orientation sur l’Education qui
consacre le PRODEC comme politique nationale d’éducation pour une
période de 10 ans.
L’équipe du PRODEC dont le mandat était officiellement terminé en 1998,
allait organiser par la suite les ateliers régionaux d’opérationnalisation du
PRODEC en septembre 2000 et élaborer les documents du PISE I. Ses
activités cessèrent avec l’intégration de tous ses membres dans les services
centraux du Ministère de l’Education.28
4.7. Les grandes orientations de la politique éducative
Le PRODEC s'inscrit dans la politique de décentralisation du Mali. La
politique éducative s’articule autour de 11 axes prioritaires :
1. une éducation de base de qualité pour tous ;
2. un enseignement professionnel adapté aux besoins de l’économie ;
3. un enseignement secondaire général et technique rénové et
performant ;
4. un enseignement supérieur de qualité adapté aux besoins prioritaires
et aux coûts maîtrisés ;
5. une utilisation des langues maternelles dans l’enseignement formel
concomitamment avec le français ;
6. une politique du livre et du matériel didactique opérationnelle ;
7. une politique soutenue de formation des enseignants ;
28
Lala Ben Barka avait rejoint auparavant l’ADEA.
8. un partenariat véritable autour de l’école ;
9. une restructuration et un ajustement institutionnel nécessaire à la
refondation du système éducatif ;
10. une politique de communication centrée sur le dialogue et la
concertation avec tous les partenaires ;
11. une politique de financement soutenue, rééquilibrée, rationnelle et
s’inscrivant dans la décentralisation.
Au niveau de chaque axe prioritaire est dressé un état des lieux et sont fixés
des orientations et des objectifs quantitatifs et qualitatifs. Ainsi :
Axe 1 :Une éducation de base de qualité pour tous29
Le PRODEC s’inscrit dans le cadre de l’EPT. Il se fixe cependant comme
objectif d’atteindre un taux brut de scolarisation de 75 % (révisé à 95% sur
insistance du Président Alpha Oumar Konaré) au premier cycle de
l’enseignement fondamental à l’horizon 2010. Pour atteindre cet objectif, le
Programme prévoit la création, dans chaque village, d’une école de 1er cycle
ou d’un CED, conformément aux instructions du Président de la République
qui a proclamé dans son discours de lancement du PRODEC, « Un village,
une école et ou un CED », comme axe référentiel N°1 de la nouvelle politique
éducative.
En effet, partant du constat que l’école fondamentale classique, telle que
issue de la Réforme de 1962, ne pouvait suffire pour l’atteinte des objectifs
de l’EPT, le Président affirmait que le CED devait être, non pas une stratégie
alternative de scolarisation, mais le second pied de la politique de
démocratisation de l’éducation scolaire.
Les options fondamentales retenues sont :
- Le développement d’une éducation préscolaire avec une forte
implication des collectivités, des communautés et des privés ;
- La restructuration de l’Enseignement Fondamental en un bloc unique
de neuf ans. Ce bloc unique comporte 2 classes d’initiation (1ère et 2ème
année), 2 classes d’aptitude (3ème et 4ème année), 2 classes de
consolidation (5ème et 6ème année) et 3 classes d’orientation (7ème, 8ème
et 9ème année) ;
- La généralisation des CED.
Les objectifs :
- Porter le taux de préscolarisation de 1,5 en 1996 à 10% à la fin du
programme ;
29
L’éducation de base comprend : l’éducation préscolaire, l’enseignement fondamental, l’enseignement normal,
l’éducation non formelle c’est-à-dire, l’alphabétisation, les CED et centre d’apprentissage féminin.
- Atteindre un TBS de 95% dont 85 % pour les filles ;
- Permettre à au moins 50% des jeunes déscolarisés et non scolarisés
âgés de 9 à 15 ans d’accéder à un apprentissage minimum ;
- Porter le taux d’alphabétisation des adultes à au moins 50% dont 40%
pour les femmes ;
- Construire et équiper 6 instituts de formation de maîtres (IFM) à
l’horizon 2003 ;
- Recruter 2500 enseignants contractuels par an.
L’objectif qualitatif majeur porte sur la mise en ouvre du curriculum de
l’enseignement fondamental.
Axe 2 : Un enseignement professionnel adapté aux besoins de
l’économie
Les options fondamentales :
La politique nationale en matière d’enseignement professionnel est
d’offrir une formation de qualité adaptée aux besoins de l’économie à
travers une forte implication du secteur privé.
Les objectifs :
Quantitatifs :
- Accroître les effectifs de l’enseignement professionnel de 13 078 à
environ 80 000 à l’an 2008 ;
- Orienter dans l’ETP 56% des élèves réguliers admis du DEF et
autorisés à s’inscrire au niveau secondaire ;
- Créer 16 nouvelles structures de formation,
- Recruter 3070 formateurs contractuels qualifiés.
Qualitatifs :
- Redéfinir les filières, les programmes de formation et diversifier les
cycles de formation en fonction des besoins de l’économie ;
- Etablir un partenariat entre les structures de formation et les
entreprises.
Axe 3 : Un enseignement secondaire général et technique rénové et
performant
Les options fondamentales :
Initialement, le PRODEC liait l’enseignement technique (lycée technique) à
l’Enseignement Secondaire Général. Il s’agissait d’ouvrir dans chaque lycée
d’enseignement général, des séries techniques ou technologiques. D’où la
nouvelle appellation d’enseignement secondaire général et technique. On
retrouve cette appellation dans la Loi d’Orientation sur l’Education.
L’option principale est d’assigner à l’enseignement secondaire général et
technique, en plus de la préparation aux études supérieures, une mission de
préparation à l’insertion dans la vie active grâce à l’acquisition de certaines
compétences pratiques.
Régulation des flux : 65% des élèves réguliers admis au DEF seront orientés.
Les objectifs quantitatifs :
- Limiter les effectifs à 89000 à l’horizon 2008/2010 ;
- Multiplier les établissements privés,
- Recruter 1683 enseignants contractuels,
- Construire un lycée dans chaque cercle.
L’objectif qualitatif majeur est la redéfinition des séries et la relecture des
programmes en tenant compte de la mission de préparation à l’entrée dans
la vie active.
Axe 4 : Un enseignement supérieur de qualité adapté aux besoins
prioritaires et aux coûts maîtrisés
L’objectif principal était de réguler les flux et réduire l’impact des bourses
sur le financement de l’Enseignement Supérieur.
Les options fondamentales portent sur le développement de filières courtes
de formation (Bac+2) dans les domaines industrielles et agricoles et la
création de pôles universitaires dans les régions en fonction de leurs
potentialités. Les pôles universitaires s’ajouteront aux trois facultés de
l’Université (FLASH, FAST, FMPOST), aux trois grandes écoles (ENSUP, ENI,
IPR/IFRA) et l’Institut Universitaire de Gestion (IUG).
Ainsi, il était prévu de créer les pôles universitaires régionaux suivants :
- Kayes : pôle universitaire autour des métiers des Mines et de la
Géologie
- Sikasso : pôle universitaire autour de l’Agro-alimentaire
- Ségou : pôle universitaire autour de l’Industrie textile (ESITEX) et la
Maintenance,
- Mopti : pôle universitaire autour de l’Elevage, la Pêche et le Tourisme
- Tombouctou : pôle universitaire autour de l’Institut des Hautes Etudes
et de Recherche Islamiques/Ahmed Baba
- Gao : pôle universitaire autour de l’Architecture et l’Aménagement du
territoire
- Kidal : pôle universitaire autour des civilisations nomades, de la
Préhistoire, de la Paléontologie.
Les objectifs qualitatifs portaient essentiellement sur la formation des
encadreurs, l’équipement des laboratoires et la promotion de la recherche
universitaire.
Axe5 : Une utilisation des langues maternelles dans
l’enseignement formel concomitamment avec le français
La politique d’utilisation concomitante des langues maternelles et du
français sera basée sur un multilinguisme fonctionnel comprenant la langue
dominante du milieu et la langue officielle, le Français.
L’objectif du PRODEC est d’étendre progressivement dans l’Enseignement
Fondamental, l’utilisation des langues nationales comme médium
d’enseignement.
Axe6 : Une politique du livre et du matériel didactique opérationnelle
L’option fondamentale porte sur l’adoption d’une politique du livre et du
matériel didactique basée essentiellement sur la privatisation des activités de
rédaction et de production des manuels et livres scolaires. L’Institut
Pédagogique National devenu Centre National de l’Education se voit ainsi
dessaisir de ces activités là.
Axe7 : Une politique soutenue de formation des enseignants
La formation initiale et continue des enseignants constitue un axe majeur
du PRODEC. L’Etat reste le seul responsable de la formation initiale. La
nouvelle politique d’encadrement des enseignants fait du directeur d’école le
point focal de la formation continue et du conseiller pédagogique son
artificier.
Les structures d’encadrement pédagogique sont les écoles et les Centres
d’Animation Pédagogique. Les formations initiales se font dans les IFM, à
l’Université. Le PRODEC avait prévu également la création d’un institut
chargé de la formation initiale des encadreurs de l’enseignement
professionnel dénommé Institut de Formation des Formateurs de
l’Enseignement Technique et Professionnel.
Sur le plan des objectifs quantitatifs, le PRODEC a envisagé la création de 21
IFM dans toutes les aires sociolinguistique du Mali. A la fin du cycle de
formation l’enseignant devait maîtriser la pédagogie de l’enseignement
bilingue. Il était prévu également la création de 118 CAP.
Axe8 : Un partenariat véritable autour de l’école
La création d’un espace de concertation et de dialogue de tous les acteurs
concernés par le développement de l’école est un axe très important du
PRODEC d’autant plus justifié que le système éducatif connaissait, depuis
1990, de multiples crises qui n’ont pas manqué d’avoir des répercussions
politiques.
Le PRODEC ébauche une définition du rôle de chaque partenaire : l’Etat, les
collectivités territoriales, les APE, les communautés…
Axe9 : Une restructuration et un ajustement institutionnel nécessaire
à la refondation du système éducatif
L’option fondamentale est de redéfinir le schéma institutionnel en se fondant
sur la décentralisation et la déconcentration. Ainsi le nouveau schéma
institutionnel prévu se présente comme suit :
- L’école est la structure de base et le centre de la communauté
éducative ;
- Le CAP, service déconcentré chargé, au niveau local ou subrégional de
mettre en œuvre la politique éducative. Il est chargé de la supervision
des écoles fondamentales ;
- L’Académie d’Enseignement est l’instance régionale chargé de la mise
en œuvre de la politique éducative et des instructions du ministère et
des services centraux. L’Académie d’Enseignement supervise, au
niveau régional, toutes les activités d’éducation y compris
l’Alphabétisation. Les établissements d’enseignement secondaire,
lycées et établissements d’enseignement technique et professionnels
sont placés désormais sous le contrôle de l’Académie ;
- Les services centraux qui coordonnent et contrôlent les activités des
Académies.
En ce qui concerne le niveau central, le PRODEC a prévu les changements
institutionnels suivants :
- La création de la Direction Nationale de l’Education de Base qui
regroupent les ancienne directions de l’Enseignement Fondamental, de
l’Education Préscolaire et Spéciale et la Direction Nationale de
l’Alphabétisation et de la Linguistique Appliquée ;
- La transformation de l’IPN en Centre national d’Education avec des
missions nouvelles, notamment la politique du livre ;
- Le Centre National des Examens et Concours.
Il est important de signaler ici l’adoption de la Loi N°95-034 du 27 janvier
1995 portant code de collectivités territoriales qui transfère certaines
compétences éducatives aux différentes collectivités de commune, cercle et
région. Il s’agit de :
- Niveau commune : la politique de création et de gestion des
équipements collectifs, notamment dans l’enseignement préscolaire,
l’alphabétisation et le premier cycle de l’enseignement fondamental ;
- Niveau cercle : la politique de création et de gestion des équipements
collectifs d’intérêt du cercle notamment dans le second cycle de
l’enseignement fondamental ;
- Niveau région : la politique de création et de gestion des équipements
collectifs d’intérêt régional notamment dans l’enseignement
secondaire, général, technique et professionnel, et l’éducation
spécialisée.
Axe10 : Une politique de communication centrée sur le dialogue et la
concertation avec tous les partenaires
La politique de communication est la suite logique de l’axe N° 8, le
Partenariat. Elle part du postulat qu’une communication ouverte et
permanente est la condition de réussite du PRODEC. Quelques stratégies
sont envisagées pour
- instaurer le dialogue permanent avec et entre les partenaires,
- contribuer à la réussite du programme,
- informer tous les partenaires avant la mise en œuvre du programme,
- assurer la mobilisation sociale tout au long du programme, etc.
Axe11 : Une politique de financement soutenue, rééquilibrée,
rationnelle et s’inscrivant dans la décentralisation
Les options fondamentales portent sur :
- l’accroissement de la part du Budget d’Etat alloué à l’éducation
pour atteindre 27% en 2008 ;
- l’allocation d’au moins 20% des budgets des collectivités
territoriales à l’éducation pour faire face aux charges récurrentes et
aux dépenses d’investissement,
- la mobilisation accrue des communautés et des privés, etc.
Les objectifs portent sur :
- l’équilibrage des charges récurrentes entre les différents ordres
d’enseignement en accroissant les dépenses allouées à l’éducation
de base de 57% en 1996 à 59% en 2008 ;
- la gestion rationnelle des bourses avec, notamment, la suppression
de la bourse au niveau du secondaire excepté dans les IFM et la
redéfinition des critères d’attribution de la bourse au supérieur ;
- le recrutement d’enseignants contractuels au Fondamental (2000
enseignants au public) ;
- l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants.
Le PRODEC est approuvé par les PTF au cours de l’année 1999. En
Décembre 1999, l’Assemblée Nationale le consacre comme politique
nationale en matière d’éducation pour la période allant de 1998 à 2008 avec
l’adoption de la Loi N° 99/046/ du 28 décembre 1999 portant Loi
d’Orientation sur l’Education. L’année suivante, en septembre 2000, le
Ministère de l’Education organise les ateliers d’opérationnalisation du
Programme dans toutes les régions du Mali.
Mais que peut-on penser d’un programme conçu et préparer par un pouvoir
en fin de mandat ? La vérité est que les autorités maliennes ont du batailler
ferme, pendant 4 ans, avec les PTF pour leur faire accepter de financer un
programme de longue durée qui pouvait rappeler de surcroit les plans
quinquennaux de l’ère soviétique. L’histoire ne devait pas donner tort aux
sceptiques puisque dès l’avènement du régime ATT, les nouvelles autorités
de l’éducation, hier dans l’opposition, exprimèrent leur hostilité à un
programme qu’elles avaient combattu. Le PRODEC ne bénéficia pas ainsi du
soutien politique indispensable à sa bonne réalisation.
En outre, les cadres qui ont participé à l’élaboration du programme ou à ses
débuts d’exécution furent, soit limogés, soit marginalisés. Donc, à défaut de
se débarrasser du PRODEC, on le vida de sa quintessence et on le priva
d’hommes et de femmes dont les compétences et l’expérience étaient avérées.
Ce fut le curriculum de l’enseignement fondamental qui pâtit le plus de cette
situation puisque la quasi-totalité des DCAP et des DAE qui avaient reçu les
formations et participé à la mise à l’essai n’étaient plus à leur poste en 2004.
Mais, il semble juste d’affirmer que le PRODEC est venu un peu en retard,
c’es-à-dire, 8 ans après l’arrivée d’Alpha Oumar Konaré et son parti au
pouvoir. Le Régime de l’UDPM a commis le même atermoiement. Il n’a fallu à
l’USRDA que 2 ans de gouvernement pour faire adopter une réforme de
l’éducation. Il est vrai que le régime de Modibo Kéita était plus autonome de
ses choix que ne l’ont été ceux qui l’ont suivi.
4.8. Les Journées Nationales de réflexion sur l’Education
Les Journées Nationales de réflexion sur l’Education se sont tenues les 15,
16 et 17 août 2001 à Bamako. Elles sont, en fait, une synthèse nationale des
journées régionales de réflexion sur l’Education organisées au début de ce
même mois d’août.
Les Journées de réflexion sur l’Education ont été organisées dans le but de
trouver une solution aux multiples crises que connaissait l’école malienne
(nombreuses sorties souvent violentes des scolaires et des étudiants, grèves
illimitées et parfois politisées des syndicats) depuis l’avènement de la
démocratie en 1991. Leur but principal était d’aboutir à l’adoption d’une
charte consensuelle sur la gestion de l’école. Y furent discutées : les causes
et les conséquences de la crise scolaire, la détermination des rôles et
responsabilités des différents acteurs, la gestion des flux et des bourses du
secondaire et du supérieur, la gestion de l’école, le recrutement
d’enseignants contractuels, le financement de l’éducation et un projet de
charte pour la gestion de l’école. L’une de ses résolutions phares est la
suppression de la bourse (pension alimentaire) au secondaire excepté
l’Enseignement Normal.
Les conclusions des Journées Nationales de Réflexion sur l’Education ont
servi de documents de travail au Forum National sur la Gestion de l’école en
mode décentralisé. Mais elles ont surtout permis d’instaurer un apaisement,
certes précaire, dans les établissements d’enseignement avant la tenue des
consultations électorales de 2002.
4.9. Le Forum National sur la Gestion de l’Ecole en mode
décentralisé-2003
En février 2003(18 et 19), se tient à Bamako, le Forum National sur la
Gestion de l’école en mode décentralisé. La toute première recommandation
de ce Forum porte sur l’adoption d’« un modèle consensuel de structure de
gestion de l’école en mode décentralisé, le Comité de Gestion Scolaire »30.
Dans un passé encore récent, le système éducatif malien était très
centralisé. Les écoles et établissements d’enseignement ne bénéficiaient
d’aucune autonomie fonctionnelle. Ainsi, ils étaient directement rattachés
aux Directions Nationales comme on peut le constater dans les textes de
1993, portant création de la DNESG et de la DNETP. Le cas le plus
significatif est illustré par le décret N° 90-200/P-RM du 17 mai 1990 qui
énonce, en son article 20 que “ Les services rattachés à la Direction
Nationale de l’Enseignement Fondamental sont : les écoles fondamentales de
1er cycle et les écoles fondamentales de 2ème cycle”.
Le Forum National sur la Gestion de l’école en mode décentralisé a été
organisé pour mettre en application les principes de décentralisation de
l’Education posés par la Loi N°95-034 du 27 janvier 1995 portant code de
collectivités territoriales et par la politique éducative du PRODEC. En effet, le
Code des collectivités territoriales stipule que la politique de création et de
gestion des écoles fondamentales et des établissements d’enseignement de
niveau secondaire est l’une des compétences désormais dévolues aux
différentes collectivités territoriales de commune, cercle et région.
A la suite de cette loi, fut adopté le Décret Nº02-313/PRM du 4 Juin 2002
fixant les détails des compétences transférées de l’Etat aux collectivités
territoriales en matière d’éducation. Parmi les compétences transférées on
peut retenir :
l’élaboration et la mise en œuvre du plan de développement en matière
d’éducation,
le recrutement et la gestion du personnel enseignant,
la construction, l’équipement, l’entretien et la gestion des écoles et
établissements d’enseignement,
l’organisation et la prise en charge des examens, etc.
30
MEN-CADDE, « Résultats du Forum National sur la Gestion de l’Ecole en mode décentralisé » page 7 ;
Mais, on constate aussi que ce Forum National s’est tenu 10 ans après
l’adoption du code de collectivités territoriales et 1 an après celle du Décret
Nº02-313, les deux textes législatifs et règlementaires qui introduisent et
organisent la décentralisation de l’éducation. Le forum n’a donc fait
qu’entériner une décision politique. En principe, les textes devraient être la
résultante du Forum, du choix des acteurs de l’Education. Sous la pression
des PTF, le Gouvernement a décidé de quel contenu il fallait donner à cette
décentralisation. Ce qui explique le refus voire l’opposition systématique des
syndicats enseignants et des associations des parents d’élèves.
4.10. Le Forum National sur l’Education-2008
Le nouveau régime issu des élections de 2002 reconnaît le PRODEC. Le
Président de la République dans sa lettre de cadrage (N° 0875/PRM Bamako
du 23 Octobre 2002) demande au Premier Ministre de poursuivre la mise en
œuvre du PRODEC : « … le défi majeur est l'école : une école pour tous, qui
ouvrira pour chacun une voie, sa voie. Il est donc essentiel, dans le cadre du
Programme Décennal pour l'Education (PRODEC), d'accroître les
investissements publics en faveur de l'éducation de base et de la formation
professionnelle comme un moyen d'améliorer les compétences techniques et
scientifiques de la population ».
Malgré cette reconnaissance, les nouvelles autorités de l’éducation n’arrivent
pas à maintenir le cap. Les règlements de compte politiques et le gaspillage
de ressources font que les programmes comme le PISE prennent du retard.
Les revendications catégorielles des enseignants et des étudiants, très mal
négociées, entraînent le système éducatif dans un marasme profond.
Six ans après 2002, tous les publics déplorent la situation dramatique dans
laquelle se trouve l’école malienne qui connaît, depuis quelques années, une
régression et une dégradation constantes et inquiétantes. Sa qualité est de
plus en plus mauvaise et constitue un des handicaps les plus sérieux pour
le développement du pays.
Devant l’insatisfaction des populations sur la qualité de leur école et le mal
vivre des enseignants qui ne partagent plus les mêmes vues que les
autorités sur les priorités éducatives et certaines innovations, le
Gouvernement décide d’aller à l’écoute des citoyens pour les entendre sur ce
qu’ils voudraient que soit leur école. C’est la raison du Forum National sur
l’Education organisé du 30 octobre au 2 novembre 2008.
A qui revient la paternité du Forum ?
Le rapport du Comité d’Organisation du Forum National sur l’Education
(COFNE) souligne que l’idée et l’esprit du Forum découlent d’une promesse
du candidat ATT aux élections présidentielles de 2007, faite aux intellectuels
maliens de la diaspora en rappelant que « s’il était élu Président de la
République, il organiserait un Forum sur l’Education » et qu’il ne s’agissait
pas « d’une banale promesse électorale, oubliée aussitôt après les élections
passées ». Par contre, le MSAS (Symposium Malien sur les Sciences
Appliquées) estime que le candidat ATT n’a fait que s’approprier une idée
dont il a la paternité.
Mais cette idée d’organiser un Forum a surtout pris forme avec la lettre de
mission du Premier Ministre Modibo Sidibé qui demande au Président du
COFNE d’organiser les concertations régionales et les ateliers afin de
permettre à chaque acteur et partenaire d’apporter sa contribution à
l’édification d’un système éducatif national répondant à nos besoins. « Pour
cela, chacun des acteurs de l’école a son mot à dire et un rôle à jouer dans la
concertation la plus large possible : enseignants de l’intérieur et de
l’extérieur, élèves et étudiants, parents, pouvoirs publics, élus, classe
politique, syndicats et organisations de la société civile et du secteur privé ».
Le Comité d’Organisation31 du Forum National sur l’Education a établi le
diagnostic suivant :
« Les causes de la crise sont situées à trois niveaux :
– une première cause qui est conjoncturelle et qui tient au contexte
général de crise que connaît le pays et qui est consécutif aux
conséquences des changements intervenus et de la légitimité que les uns
et les autres, notamment les scolaires, estiment détenir de la date
emblématique du 26 mars 1991. Le point de départ se situe dans
l’implication des élèves et étudiants dans la gestion de l’Etat, ensuite la
politisation de l’école : le débat politique et ses contradictions se sont
déplacés vers l’espace scolaire qui est alors devenu un enjeu pour tous les
partis politiques ;
– une deuxième raison qui tient à la structure et à la gestion du
système éducatif. Les nombreuses réformes (les changements
intempestifs de méthodes d’apprentissage des approches pédagogiques
inadaptées), la baisse du niveau des enseignants, les effectifs pléthoriques
dans les classes, le vacatariat et le volontariat (qui mettent dans le
système du personnel sans compétences pédagogiques et sans conviction
réelle pour le métier), les doubles vacations et doubles divisions, la course
effrénée vers un taux de scolarisation au détriment de la qualité,
l’allégement à l’extrême des programmes d’examen qui est un des
éléments qui concourent à la dégradation du niveau des élèves et en
définitive des cadres, les grèves intempestives, la dévalorisation de la
31
Le comité d’organisation dénommé COFNE est mis en place par le Décret N°08-262/PM-RM du 09 Mai
2008 portant création et organisation du Comité d’Organisation du Forum National sur l’Education.
fonction enseignante, le financement du système éducatif par l’étranger
sont dénoncés comme autant de limites à toute politique cohérente de
l’éducation ;
– enfin, une crise plus profonde qui est une crise de société. Au niveau
social, il y a un déficit dans l’éducation, un changement fondamental est
en train de s’opérer dans l’éducation traditionnelle, “aujourd’hui l’enfant
est seulement l’enfant de ses parents et non plus celui de la société”, un
bouleversement total dans les rapports entre enseignants et apprenants
et entre enseignants et parents et une dégradation des valeurs morales. »
Les principales recommandations du Forum et le processus de mise en
œuvre
490 recommandations furent adoptées par le Forum : 111 recommandations
au titre de l’éthique et de la déontologie ; 132 pour l’éducation de base, 95
concernant l’enseignement secondaire général, technique et professionnel, et
152 relatives à l’enseignement supérieur et la recherche scientifique.
Au sortir du Forum, le Premier Ministre a mis en place un mécanisme pour
assurer le suivi comprenant : le Comité interministériel de suivi des
recommandations, le Groupe de travail chargé de l’Etude des
recommandations du Forum dont les productions devront alimenter le
Comité interministériel, et les Rencontres périodiques avec les acteurs et
partenaires de l’école.
Le Groupe de Travail chargé de l’étude des recommandations du Forum
National sur l’Education a été mis en place par le Décret N° 09-165/PM-RM
du 17 avril 2009du 2009. Sa mission a été davantage précisée par la lettre
N°0544/PM-CAB du 29 avril 2009, adressée par le Premier Ministre au
Coordonnateur du Groupe de travail. Le mandat du groupe de travail
couvrira une période de six mois.
Il ressort de cette lettre de mission que le Groupe de Travail doit examiner
les recommandations issues du Forum National sur l’Education, en vue :
- d’élaborer une grille de lecture des résultats du Forum suivant des
axes de réforme du système éducatif ;
- de proposer une hiérarchie des priorités dans le traitement des sujets ;
- de proposer un plan d’action opérationnel pour la mise en œuvre des
recommandations retenues en veillant à situer les mesures à appliquer
dans les court, moyen et long termes.
A la suite d’une première analyse, le Groupe de Travail a procédé à
l’élaboration des cadres logiques des recommandations du Forum
concernant les différents sous secteur de l’Education, et des plans d’actions
des recommandations classées en composantes et sous composantes.
Sous la supervision du Premier Ministre, chaque département ministériel
(Education, Enseignement Supérieur, Emploi) exécute, chacun en ce qui le
concerne, ces principales recommandations du Forum. Le Premier Ministre
anime un grand cadre partenarial regroupant des départements ministériels
et les représentants des acteurs de l’Education notamment, les syndicats,
l’APE, l’AEEM, les privés, pour évaluer ou apprécier la mise en œuvre des
recommandations du Forum.
La mise en œuvre des recommandations du Forum National sur l’Education
a abouti à des résultats satisfaisants dans le domaine des réalisations
physiques. A titre d’exemple, de 2009 à 2012, 24 lycées publics
d’enseignement général, 6 IFM et 3 lycées techniques ont été ouverts ;
12 077 enseignants du fondamental et du secondaire ont été recrutés.
Le Forum a permis également de recadrer les revendications des syndicats
dans une logique de partenariat. Mais l’apaisement souhaité et recommandé
par le Forum n’a pas été réellement effectif. Certains syndicats ont profité
des recommandations faites par le Forum pour durcir leurs positions. Les
problèmes du statut dans l’enseignement supérieur et d’intégration à la
Fonction Publique de l’Etat ont largement contribué à la détérioration du
climat dans les établissements scolaires et universitaires.
Sous la pression conjuguée des revendications catégorielles et des exigences
de gestion des flux (l’explosion des effectifs qui dépassent les 85000
étudiants en 2010-2011), le Gouvernement procèdera à une réforme
institutionnelle de l’enseignement supérieur. Au cours de l’année 2010, les
grandes écoles sont érigées en établissements publics à caractère
scientifique, technologique et culturel (EPSTC) et bénéficient ainsi de
l’autonomie de gestion32. En septembre 2011, l’Université de Bamako est
scindée en quatre universités : l’Université des Lettres et des Sciences
Humaines de Bamako, l’Université des Sciences, Techniques et
Technologique de Bamako, l’Université des Sciences Sociales et de Gestion
de Bamako et l’Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako.
L’Université de Ségou avait été créée en mars 201033 et ouvert dans la hâte
en janvier 2012 avec comme seule infrastructure un amphithéâtre.
L’École Normale d’Enseignement Technique et Professionnel (ENEPT) a été
créée par l’Ordonnance N° 10-032/P-RM du 4 août 2010 sous forme
32
Ordonnances n° 027, 028 et 029/P-RM du 4 août 2010 créant respectivement l’ENSUP, l’IPR/IFRA
et l’ENI-ABT, les ont érigés en EPSTC. Les décrets d’application ont été adoptés par le Conseil des
ministres du 21 septembre 2010.
33 La Mission Universitaire a été créé par décret N°09-128/PM-RM du 27 mars 2009. L’Université de
Ségou a été créé par l’Ordonnance N°10-011/P-RM du 1er mars 2010.
d’EPSTC. Cependant, cette importante structure ne possédait pas encore, en
fin 2012, de locaux pédagogiques propres.
Toutefois, ce nouveau schéma institutionnel ne correspond pas au schéma
institutionnel du PRODEC qui prévoyait des pôles universitaires régionaux,
ni même aux recommandations du Forum de 2008 qui demandaient plutôt
« la construction d’écoles supérieures dans les régions pour soutenir la
décentralisation et la déconcentration des actions de développement
économique ».
Dans tous les cas, la mauvaise gouvernance de l’Enseignement Supérieur est
l’une des faiblesses majeures du système éducatif Malien. Le refus
systématique de toute forme de réajustement et la gabegie rendent vain tout
plan de financement. Mais l’Enseignement Supérieur, à travers ses
universités et ses grandes écoles, ne pourra pas faire l’économie d’un
réajustement en profondeur s’il veut réellement régler ses déficits internes,
sa très faible performance et bénéficier des appuis extérieurs. La régulation
des flux demeure le problème le plus important et le plus difficile à résoudre
à cause des atermoiements des différents Gouvernements qui ont préféré la
pléthore et la secondarisation34 de l’enseignement supérieur plutôt que
d’affronter les contestations estudiantines.
4.11. Le Programme d’Investissement du Secteur de l’Education35
Le Programme d’investissement sectoriel de l’éducation (PISE) représente
l’appui financier des partenaires techniques et financiers aux réformes du
PRODEC. Il tient compte de tout appui accordé par tous les partenaires au
développement, y compris le Gouvernement Malien. Les activités du
programme sont présentées sous les grandes rubriques de la qualité, l'accès
et la gestion décentralisée.
Le programme comprend trois phases : 2000-2004, 2004-2007, et 2007-
2010.
Le coût total du PISE I est de 395 milliards de francs CFA de francs CFA ;
Le Cadre des Dépenses à Moyen Terme (CDMT) 2006-2008 de la deuxième
phase se chiffre à 562 milliards FCFA ;
Le Cadre des Dépenses à Moyen Terme 2010-2012 de la troisième phase se
chiffre à 743,546 milliards FCFA.
Afin de réaliser le programme, les différents Gouvernement du Mali ont
mobilisé des ressources nationales accrues en faveur de l’éducation. Les
dépenses publiques courantes d’éducation sont en forte augmentation
34
Le fait que les établissements du supérieur sont organisés et fonctionnent sur le modèle pédagogique de
l’enseignement secondaire. 35
Sources : RESEN 2009, Annuaires CPS, DFM.
depuis 1995 et représentent en 2008 28,7% des dépenses courantes de
l’Etat hors service de la dette (RESEN 2009). En 2011, la part de l’Education
atteignait les 35,6% comme cela avait été recommandé par le Forum
National sur l’Education de 2008. En 2012, le Budget prévoyait d’accorder à
l’Education 36,91 % des charges récurrentes. Cet effort national devait
permettre la mise en place d’un système éducatif performant. Mais les
bouleversements politiques survenus en mars 2012 n’ont pas permis
l’atteinte de cet objectif.
Sur le plan de la scolarisation, les trois phases cumulées du PISE ont permis
une nette amélioration de la couverture scolaire au niveau de tous les ordres
d’enseignement, mais surtout, de façon très remarquable, dans
l’enseignement secondaire général avec la création de 27 lycées publics. Le
RESEN 2009 évalue la progression de la couverture scolaire dans
l’enseignement secondaire général à +14 % par an de 2004 à 2009.
Le TBS est passé de 64,3% (53,7% pour les filles) en 2001/02 à 77,6%
(68,0% pour les filles) en 2006-2007 et 81,5% (74% pour les filles) en
2010/2011. Mais le pays est encore loin des objectifs de l’EPT et de l’objectif
de scolarisation du PRODEC (95%) à l’horizon 2010.
L’accès en 1ère année du Fondamental n’est pas encore universel et les
abandons en cours de cycle demeurent importants à tous les niveaux
d’enseignement. En 2010/2011, le TBS dans le 1er cycle Fondamental est de
81,5%, mais le taux d’achèvement n’est que de 58,3%. La moyenne du taux
d’achèvement des pays d’Afrique subsaharienne étant de 61 %.
On note, par conséquent, une évolution importante mais insuffisante de la couverture scolaire.
Le TBS dans le 1er cycle du Fondamental (81,5%) se situe en dessous de la
moyenne des pays d’Afrique subsaharienne (97%). Le taux de croissance de
la population qui est de 3,6% tend à diminuer l’impact des mesures prises
pour atteindre l’EPT.
En 2010/2011, le taux d’accès est estimé à 74,6%, ce qui signifie que plus
de 25% des enfants n’accèdent toujours pas à l’école (contre 31,3% en
2002/2003).
Par ailleurs, en 2010/2011, 46% des enfants accèdent au second cycle du
fondamental et 36% l’achèvent. Ce qui est très faible.
Mais cette progression des effectifs pose un réel problème de gestion des flux
dans le Secondaire et le Supérieur. Sur la base des tendances de
2009/2010, la Direction Nationale de l’Enseignement Supérieur avait estimé
que les effectifs d’étudiants atteindraient les 110 000 en 2015-2016. Alors
que le PISE II prévoyait un taux de croissance de 10,2 %, déjà en 2005-2006
on constatait un taux de croissance de 23,4 %. Les effectifs de
l’enseignement supérieur ont connu ainsi une croissance exponentielle sans
commune mesure avec les capacités de l’Etat
Par ailleurs, de fortes disparités persistent selon le genre et la zone de
résidence. Malgré l’amélioration de la couverture éducative dans le pays, les
disparités filles/garçons ne se réduisent que très peu.
Les disparités liées au milieu de résidence sont encore plus importantes que
celles liées au genre. Un enfant vivant en milieu rural a 1,7 fois moins de
chance que celui qui vit en milieu urbain d’être inscrit à l’école ; et ces
inégalités s’accroissent également avec le niveau d’études. Un enfant en
milieu urbain a 4 fois plus de chances d’achever le 1er cycle du Fondamental
qu’un enfant en milieu rural.
Cette évolution quantitative s’est-elle accompagnée d’amélioration
qualitative, d’une plus grande efficacité du système ?
Les différentes évaluations du système à tous les niveaux ont montré une
faiblesse notoire en ce qui concerne la qualité des apprentissages ou le
rendement interne. Cette faiblesse se caractérise par :
- les abandons précoces ainsi que les redoublements qui contribuent à
l’altération de l’efficacité interne du système ;
- le nombre assez élevé d’élèves en difficulté d’apprentissage au 1er cycle
du fondamental ;
- une inadéquation entre les formations et le monde du travail ;
- des taux de réussite relativement bas dans les différents examens du
Fondamental et du Secondaire (moins de 20% sans repêchage).
La qualité des apprentissages est encore faible avec beaucoup d’élèves en
difficulté dans le 1er cycle du Fondamental. Selon les résultats de l’évaluation
conduite par le CNE en 2007, plus de la moitié des élèves des 2ème et 4ème
années avaient un niveau inférieur au niveau minimum requis en langue et
communication et en sciences mathématiques et technologiques ; en 6ème
année, ils sont aussi plus de la moitié à avoir un niveau inférieur au niveau
minimum requis dans cette dernière discipline.
L’efficacité interne d’un système éducatif se mesure par sa capacité à retenir
à l’école le plus d’élèves possible qui accèdent à chacun de ses niveaux
d’enseignement et sa qualité par le niveau moyen des acquisitions des élèves
qu’il scolarise. Ainsis sans occulter la question des conditions réelles
(formation des enseignants, tailles de classe, qualité des bâtiments,
équipements et matériels pédagogiques), l’évaluation de la qualité d’une école
doit se faire d’abord sur la base des résultats obtenus par ses élèves.
L’efficacité interne du système s’améliore mais il reste encore trop de
redoublements et d’abandons en cours de cycle. Les abandons en cours de
cycle et les redoublements de classes constituent des dérèglements qu’un
système éducatif doit chercher à réduire au maximum pour améliorer son
efficacité.
Au niveau du 1er cycle du Fondamental, depuis 2004, les abandons stagnent
en moyenne autour de 23 % alors que la proportion des redoublants a
diminué en passant de 19% en 2004 à 14 % en 2008 et à 15,3% en 2011.
Dans le second cycle du Fondamental, la proportion des redoublants a
connu une diminution forte de 2004 à 2008, en passant de 24 % en 2004 à
17 % en 2008 ; mais on note une hausse inexpliquée en 2010-2011 : 27,7% ;
En termes d’efficacité interne, le Mali a donc peu évolué depuis 2005 avec
toutefois dans l’ensemble, une meilleure efficacité dans le 2er cycle du
Fondamental que dans le 1er cycle du Fondamental. Des ressources
mobilisées sont ainsi gaspillées du fait des abandons et des redoublants.
Au niveau du 1er cycle du Fondamental, ce sont les modes d’organisation
pédagogique (double vacation, classe multigrade) et les caractéristiques des
enseignants (contractuels, fonctionnaires, communautaires) qui sont les
principaux facteurs qui agissent (négativement) sur les redoublements et des
abandons scolaires. L’organisation des enseignements en double vacation
contribue, dans les établissements où il est appliqué, à l’augmentation du
redoublement.
Les taux d’encadrement sont trop élevés avec une forte variabilité du statut
du personnel enseignants et de leurs niveaux de rémunération.
Le temps réel d’apprentissage :
Les résultats d’une étude menée par le MEALN en collaboration avec
l’USAID/PHARE sur le temps réel d’apprentissage montrent que les élèves
maliens n’ont bénéficié que de 122 jours d’apprentissage en 2009- 2010, sur
les 172 jours prévus par le Ministère, soit 71%. Un élève du primaire qui ne
bénéficie que de 71% du temps d’apprentissage officiel chaque année ne
dispose que de 4,2 ans pour développer les compétences précisées dans un
programme qui nécessitent 6 ans d’école ;
Sur le plan de l’efficacité externe, on constate une articulation difficile entre les sortants du système éducatif et le marché du travail.
Le marché du travail au Mali est dominé par le secteur agricole qui emploie
plus de 60% de la population active. Le secteur moderne formel est encore
très étroit et emploie moins de 5% de la population active et se limite à
quelques entreprises privées et à l’administration publique. Le reste de la
population active travaille dans le secteur informel non agricole, secteur
d’activité qui est essentiellement urbain et qui est celui dont le nombre
d’emplois augmente le plus.
D’un point de vue d’efficacité économique, il existe un déséquilibre entre
l’offre éducative et les emplois disponibles dans l’économie. Ce déséquilibre
crée des situations de chômage et de sous utilisation des qualifications
disponibles. Il y a, en effet, environ 3 fois plus de jeunes sortants
annuellement de l’enseignement supérieur que d’emplois de cadres offerts
par an et 1,7 fois plus de jeunes sortants de l’enseignement secondaire et du
second cycle du fondamental que de nouveaux emplois d’employés et
d’ouvriers qualifiés par an.
Seuls 41% des sortants du supérieur occupent un poste de cadre dans le
secteur moderne ; les autres étant sans emploi (25% de chômeurs) ou
occupant un emploi qui ne nécessite pas leur niveau de qualification
(situation de sous-emploi). Le taux de chômage des sortants du secondaire
est également élevé (16%) et leur taux d’insertion dans le secteur moderne
faible (16% de cadres et 44% d’employés/ouvriers).
Par ailleurs, le nombre de jeunes actifs qui ne sont jamais allés à l’école (ou
qui n’ont pas achevé le 1er cycle du Fondamental) est à peu près équivalent
au nombre d’emplois agro-pastoral.
Ceci est regrettable d’un point de vue économique dans la mesure où le
secteur agricole a justement besoin d’individus ayant au moins fait le 1er
cycle du Fondamental pour améliorer sa productivité.
C’est sur le plan du financement de l’éducation que le PISE a réalisé de
grands progrès tempérés cependant par la gabegie.
Le contexte macroéconomique a connu une nette amélioration depuis une
décennie avec une croissance réelle du PIB de l’ordre de 5,2% par an entre
1995 et 2000 et de 6,2% par an entre 2000 et 2008. Parallèlement, le
développement du secteur de l’éducation constituait une priorité pour l’Etat
malien puisque les dépenses courantes de l’éducation qui représentaient en
1995 18,9% des dépenses courantes hors dette de l’Etat sont passées à
28,7%1 en 2008. Par rapport au PIB, les dépenses courantes d’éducation ont
presque doublé en passant de 1,8% en 1995 à 3,3% en 2008. Cette dernière
proportion, très encourageante pour le développement du secteur demeure
toutefois inférieure au 3,8% prévalant en moyenne dans les pays les plus
performants en termes de scolarisation primaire universelle.
L’Etat du Mali assume la majorité du financement de l’éducation même si l’on constate une part importante du financement extérieur dans les dépenses éducatives du pays.
L’évolution des dernières années montre une augmentation très notable de
l’aide extérieure dans le financement global du secteur. Les dépenses
financées par l’aide extérieure représentent environ un tiers des dépenses
totales d’éducation entre 2004 et 2008 alors qu’elles ne représentaient que
13% en moyenne entre 2000 et 2003. Ce qui crée une situation de
dépendance dans la mise en œuvre de certains programmes essentiels pour
le développement du secteur, comme par exemple, le curriculum du
Fondamental et l’ETP.
La répartition des dépenses entre niveaux d’enseignement accorde la
priorité au premier cycle du fondamental sans pour autant atteindre le niveau souhaitable pour consolider ce sous secteur. La proportion des
dépenses courantes allouée au premier cycle du fondamental est passée de 27,4% en 1995 à 35% en 2004 puis à 36,5% en 2008. Cela demeure toutefois très inférieur aux 50% observés dans beaucoup d’autres pays
africains36.
Pour conclure cette partie, nous dirons que grâce au PISE, jamais l’Etat
Malien n’a amassé autant d’argent pour le secteur de l’Education. Le
montant cumulé des trois phases devaient s’élever à plus 1700 milliards de
francs CFA. Toutes ces sommes investies n’ont pas cependant permis
d’atteindre tous les objectifs quantitatifs du PRODEC, notamment en matière
de scolarisation universelle, d’alphabétisation et de formation
professionnelle. La qualité et l'efficacité du système éducatif au Mali se sont
peu améliorées puisque les taux d’abandons, de redoublement et d’exclusion
restent assez élevés au Fondamental et au Secondaire. Par ailleurs, le profil
des sortants de l’Enseignement Technique et Professionnel ne répond pas
aux besoins de l’économie et ne favorise pas l’auto emploi, puisque plus de
75% des diplômés sont du tertiaire.
Après presque une décennie de PISE, on est encore loin des espérances
suscitées par le PRODEC.
La vague de libéralisme et d’ajustement structurel des années 1980 a
introduit une nouvelle forme de gouvernance rompant avec une certaine
continuité souhaitée par les enseignants et les familles mais écartée par les
autorités sur l’autel du financement.
Les effets positifs de ces changements imposés par le mouvement de la
gouvernance mondiale en éducation sur l’efficacité de notre système scolaire
restent encore à prouver malgré les énormes sommes englouties.
A SUIVRE…
36
Pays comparateurs : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria,
Madagascar, Malawi, Niger, RCA, Sénégal, Togo.
Adama COULIBALY Chevalier de l’Ordre National Diplômé de l’ENSUP de Bamako département de Philo-psychopédagogie
Diplômé de l’ISFRA en Sciences de l’Education Professeur à l’ENSUP
• Chargé de Mission au MESRS
• Chef de Cabinet
• Directeur de l’Académie d’Enseignement de Koulikoro
• Directeur Régional de la Région de Sikasso
• Directeur Régional de l’Education du District de Bamako
• Conseiller Technique MESRS
Adresse mail : [email protected]