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Photodecouverture:©ReginaWamba
Traduitdel’anglais(États-Unis)parCharlotteFaraday
L’éditionoriginaledecetouvrageaparuenlangueanglaisechezForever,animprintofGrandCentralPublishing,
sousletitre:THEREDEMPTIONOFCALLIEANDKAYDEN
©2014byJessicaSorensen.
©HachetteLivre,2015,pourlatraductionfrançaise.HachetteLivre,58rueJeanBleuzen,92170Vanves.
ISBN:978-2-01-203899-8
Àtousceuxquiontsurvécu.
Ungrandmerciàmonagent,EricaSilverman,etàmonéditrice,SelinaMcLemore,pourleursoutienetleursconseils.
Merciinfinimentàtousceuxquilirontcelivre.
Callie
Jeveuxrespirer.Jeveuxvivre.Jenesupportepluscettesouffrance.J’aimeraisquemavieredeviennecommeavant.J’entends chaque bruit, chaque rire, chaque pleur. Je n’arrive pas à détourner le regard de la porte
vitrée.Dehors,unorageaéclaté.Lapluies’abatsurlegoudronetsurlesfeuillesmortesécraséessurletrottoir. Les ambulances se garent à l’abri. Leurs lumières clignotantes se reflètent dans les flaques.Rougescommelesang.LesangdeKayden.Kayden,étalésurlecarrelage.Tellementdesang…J’aileventrenoué.Lecœurbrisé.Jesuisparalysée.—Callie.Callie,regarde-moi.JetournelatêteversSeth.Ilal’airinquiet.—Quoi?Ilprendmamaindanslasienne.Sapeauestchaude.Réconfortante.—Ilvas’ensortir.J’ensuissûr.Jeledévisageenretenantmeslarmes.Ilfautquejesoisforte.—Situledis.Ilpousseunsoupirenmetapotantlamain.—Tusaisquoi?Jevaisleurdemandersionpeutluirendrevisite.Ilestlàdepuisdeuxjours.Jene
comprendspaspourquoionnousfaitattendre.Sethselève,traverselasalled’attentebondéeetsedirigeversl’accueil.Ilvas’ensortir.Illefaut.
Au fond, je sais que Kayden ne s’en remettra jamais. Les plaies et les os guériront, mais pas lesblessuresinvisibles,cellesqu’ilcacheauplusprofonddelui.Jemedemandes’ilseralemêmequandjelereverrai.Sethposeunequestionàlaréceptionniste,maisellel’écouteàpeine.Ellejongleentreletéléphoneet
l’ordinateur. Peu importe. Je sais déjà ce qu’elle va lui répondre. Lamême chose qu’hier : seule safamillealedroitdeluirendrevisite.Safamille.Lesgensquiluiontfaitdumal.Iln’apasbesoindesafamille…—Callie?LavoixdeMaciOwensm’arrachedematranse.Jeclignedesyeux.LamèredeKaydenmedévisage
enfronçantlessourcils.Elleporteunejupedroiteàrayures.Ellealesonglesfraîchementmanucurésetelleaattachésescheveuxenchignon.—Qu’est-cequetufaislà,mapuce?J’aienviedeluirenvoyerlaquestion.Jemeredressedansmonfauteuil.—JesuisvenuevoirKayden.—Callie…Kaydennereçoitpasdevisites.Jetel’aidéjàdit.Ellemeparlecommeàunepetitefille.Jem’agrippeauxaccoudoirs.—C’estbientôtlarentrée.Jeveuxlevoiravantmondépart.Elles’assoitdanslefauteuilàcôtédemoietcroiselesjambes.—Cen’estpaspossible.—Pourquoi?dis-jeenhaussantleton.Ellebalaielasalleduregard,craignantquejen’attirel’attentionsurnous.—Calme-toi,mapuce…—Jeveuxjustesavoircommentilva!J’aibesoindecomprendrecequis’estpassé.Jen’arrivepasàcontenirmacolère.Jen’aijamaisétéaussifurieusequ’aujourd’hui.Maciselève.Jemelèveàmontour.—Kaydenestmalade,Callie.—Qu’est-cequevousentendezpar«malade»?Ellepenchelatêtesurlecôtéetmeregarded’unairtriste.Cettefemmealaissésonmaribattresonfils
pendanttoutescesannéessansleverlepetitdoigt.Jeneluifaispasconfiance.—Jenesaispascommenttel’annoncer…maisKaydens’estfaitdumal.Ils’estinfligésesblessures.—Non.C’estimpossible.Elleprendunairgrave.Elleressembleàunepoupéeenplastique,aveclesyeuxvitreuxetlesourire
malpeint.—Kaydensemutiledepuislongtemps,mapuce.Jepensaisqu’ilallaitmieux…J’aieutort.—Menteuse!Ellereculed’unpas.Jesuischoquéeparlaportéedemavoix.—Etjem’appelleCallie.Jenesuislapucedepersonne!Sethseprécipitesurmoi.
—Qu’est-cequisepasse?Lasalled’attenteestplongéedanslesilence.Toutlemondealesyeuxrivéssurnous.—Je…Jenesaispascequim’arrive.Jeleurtourneledosetjefonceverslasortie.Laportecoulissantenes’ouvrepasassezviteetjeme
cognelescoudescontreleverre.Jecoursjusqu’auxhaiesquilongentl’hôpital,jetombeàgenouxetjevomisdansl’herbeboueuse.J’ailesépaulesquitremblentetlesyeuxbrûlésparleslarmes.Jem’assoissurlestalons,souslapluie.JerefusedecroirequeKaydensesoitblessétoutseul.Pourtant,jen’arrêtepasdepenseràtoutesles
cicatricesquiparsèmentsoncorps…Etsic’étaitvrai?
Kayden
J’ouvrelesyeux.Lalumièrem’éblouitetdéformecequim’entoure.Jenesaispasoùjesuis.Nicequis’est passé. Puis j’entends des voix, des cliquetis, les bips d’une machine. Ils s’accordent avec lesbattementsdemoncœur.Lentsetirréguliers.Jesuisgelé.Engourdi,commeàl’intérieur.—Kayden?Tum’entends?Jereconnaislavoixdemamère,maisjenelavoispas.—KaydenOwens.Regarde-moi.Jeclignedesyeuxetlalumièresetransformeenpoints,puisenvisagesquejeneconnaispas.Tous
sontdéformésparlapeur.Moi,iln’yaqu’uneseulepersonnequim’intéresse.Etellen’estpaslà.J’entrouvreleslèvres.—Callie…Levisagedemamèreflotteau-dessusdemoi.Ellemelanceunregardnoir.—Est-cequetuterendscomptedecequetuasfaitsubirànotrefamille?Qu’est-cequit’apris?Tu
necroisplusentaproprevie?Jejetteunœilverslesmédecinsetlesinfirmièresautourdemonlit.J’aieutort.Ilsn’ontpaspeur.Ils
ontpitiédemoi.—Qu’est-ceque…J’ailagorgesèchecommedusable.Jedéglutisavecdifficulté.—Qu’est-cequis’estpassé?Debribesde souvenirsdéfilentdevantmesyeux : le sang, les coups, ladouleur… l’envieque tout
s’arrête.Mamèreposelesmainsdechaquecôtédematête.—Jepensaisqu’onenavaitfiniavecceproblème,Kayden.Jepensaisquetuavaisarrêté.J’inspectemonbras.Onm’abandélepoignet.Uneperfusionestattachéeaudosdemamainetj’aiune
pinceauboutdudoigt.Çayest.Jemesouviensdetout.—Oùestpapa?
—Envoyaged’affaires.Mensonge.Jesaisquemamèren’ajamaisessayédemeprotéger,maisjepensaisqu’unévénementde
cetteampleurlaréveilleraitenfin.Qu’ellearrêteraitdefairesemblantetdeprendreladéfensedemonpère.—Envoyaged’affaires?Unhommeenblouseblancheseplanteàcôtédemamère.Ilalescheveuxgrisetportedeslunettes.Il
luimurmurequelquechoseàl’oreilleetsortdelachambreavecsonbloc-notes.Uneinfirmièreexaminelamachinequibipeàcôtédulitetinscritdeschosessurunpapier.Mamèrecollesonvisageaumien.Sonombres’étalesurmoi.—Lesmédecins saventque tu t’escoupé.Lavilleentière saitque tu t’esbattuavecCaleb.Tuvas
avoirdegrosennuis,Kayden.Ettuenaurasdavantagesituessaiesdemêlertonpèreàcettehistoire.Elle a les pupilles dilatées. Il n’y a quasiment plus de couleur dans ses yeux.On dirait qu’elle est
possédéeparlediable…ouparmonpère.Ilssontpourtantsemblables,elleetlui.—Aucunorganen’aététouché,maistuasperdubeaucoupdesang.Ilst’ontfaitunetransfusion.Jeprendsappuisurlematelaspouressayerdem’asseoir.Moncorpsesttroplourdetmesbrassont
tropfaibles.—Jesuislàdepuiscombiendetemps?—Deux jours.Tuasperduconnaissance.Lesdocteursdisentquec’estnormal.Cequi les inquiète,
c’estquetutesoisfaitdumal.Ellemebordecommesij’étaisunpetitgarçon.J’aienviedehurler.Hurlerquecen’estpasmafaute.
Quec’estmonpèrequim’adétruit.Maistoutlemondes’enfiche.Jesuisseul.Jemesuiscoupé,lacéré.J’auraispréférémourir. J’aurais aiméquecette souffrance, cetteviolence et cette colèredisparaissentenfin,aprèsdix-neufansdetorture.Mamèremetapotelajambe.—Àdemain,Kayden.Jenerépondspas.Jefermelesyeuxet jesombredans les ténèbresdesquellesonvientdemetirer.
Pourl’instant,jem’ysensmieuxquedanslalumière.
Callie
Il est tard et je n’arrive pas àm’endormir. Demainmatin, je repars à l’université. Je ne veux pasabandonnerKayden.Jenepeuxpasvivresanslui.Toutlemondemeditqu’illefaut,commesic’étaitaussisimplequedechoisirunerobe.Jedétestelesrobes.Jesuischezmesparents,danslachambreau-dessusdugarage,avecpourseulecompagniemonstyloet
moncarnet.Jepassebeaucoupdetempsàécrire.C’estunesortedethérapie.Jelaissemamainsedéplacersurlepapier.
Chaque foisque je ferme lesyeux, jerevoisKaydenallongépar terredansunemaredesang.Le
liquide rouge s’infiltredans les fissuresdes carreaux.Kaydenest brisé.Certainsdirontqu’il n’yaplusd’espoir.Jenesuispasd’accordaveceux.Onm’a détruite,moi aussi,mais je commence enfin à guérir.Dumoins, c’est ce que je croyais.
Quandj’aivuKaydendanscetétat,unepartiedemoiavoléenéclats.Et, lorsquesamèrem’aditqu’ils’étaitinfligésesblessures,j’aiperdupied.Jerefused’ycroire.Jenepeuxpasycroire.Jenepeuxpas.
Jelâchelestylo.C’esttoutcedontj’avaisbesoin.Jem’allongesurlelitetjeregardelaluneenme
demandantcommentallerdel’avantsansKaydenàmescôtés.
*
Sethetmoitraversonslacourducampusbrasdessus,brasdessous.Letempss’accordeparfaitementavecmonhumeur.Ilfaitfroid,lecielestlourd,ilpleutetletrottoirestparsemédeflaques.Unerivièredévalelestoitsdesvieuxbâtiments.L’herbes’enfoncesousmesbaskets.Lesélèvescourentd’uneclasseàl’autre.J’aienviedeleurhurlerderalentir,deprendreleurtemps.—Arrêtedefairecettetête.—Désolée.Setharaison.Jefaistoujourslamêmetête,cellequimesuitdepuisquej’airetrouvéKaydendanssa
cuisine,ilyamaintenantdeuxsemaines.C’estmafaute.C’estmoiquiaiparlédeCalebàKayden.Quandilm’aposélaquestion,j’aiàpeinerésisté.Aufond,jevoulaisqu’illesache.—Arrêtedetefairedusouci,Callie.Jesaisquec’estdifficile,maiscen’estpaslasolution.Jene
veuxpasqueturedeviennestristecommeavant.Jem’arrête dans une flaque.L’eau froide traversemes chaussures etmes chaussettes. J’enlèvemon
brasdusienetj’enfouismesmainsdanslespochesdemonmanteau.—C’estplusfortquemoi.Jen’arrêtepasdepenseràlui…etaumomentoùjel’aitrouvé.C’estancré
dansmonesprit.JenevoulaispasquitterAfton.C’estmamèrequim’afaitduchantage:ellem’interditderentreràla
maisonàNoëlsijeratemonsemestre.Jen’aipaseulechoix.Jen’ainullepartoùaller.—Ilmemanque,Seth.Jem’enveuxdel’avoirabandonnéavecsafamille.—Mêmesi tuétais restée, ilsne t’auraientpas laissée l’approcher.Jesaisquec’est insupportable,
maistun’aspasledroitdecraquer.Lapluieestdeplusenplusdense.Nouscouronsnousmettreàl’abrisouslesarbres.Jerepousseles
cheveuxbrunsquimecollentauvisageetauxoreilles.—Jenecraquepas.Jepensejusteàlui.Etjenecroispasunmotdecequem’aracontésamère.Sethtiresurlesmanchesretrousséesdesavestepourrecouvrirsesavant-bras.—Etsic’étaitvrai,Callie?JesaisquelepèredeKaydenestviolent,maislesmédecinsdisentpeut-
êtrelavérité.S’ilsl’ontenvoyédanscecentre,c’estqu’ilsavaientdebonnesraisons.—Peuimporte.Toutlemondeasessecrets.Jen’aipasledroitdejugerKayden.Ceseraithypocrite.— Et puis, ils ne l’y ont pas envoyé. L’hôpital l’a transféré là-bas pour qu’il guérisse sous
surveillance.C’esttout.Iln’estpasobligéd’yrester.Sethm’offreunsourirepleindecompassion.Ilsepencheversmoietm’embrassesurlajoue.—Jesais,dit-ilenmetendantsoncoude.Allez,onvaêtreenretardencours.Jepasseunbrassouslesienetnousmarchons,souslapluie,jusqu’aubâtimentprincipal.Sethouvrela
porteetlalaisseserefermerderrièrenous.Ilsecouesaveste,envoyantdel’eaupartout.—Etsionallaitaucinéma,cesoir?Tumouraisd’enviedevoircefilm…Jenemerappelleplusson
titre.Tuenparlaistoutletempsavantlesvacances.Jehausselesépaulesenessorantmaqueue-de-cheval.
—Jen’aipasenvied’alleraucinéma.—Arrêtedebouder,Callie.—Jeneboudepas!dis-jeenmecomprimantlapoitrine.J’ailecœurbrisé,c’esttout.—Callie…Jelèveunemainpourlefairetaire.—Jesaisquetuveuxm’aider,Seth.Jeteremerciemais,parfois,souffrirfaitpartiedelavie.Surtout
quandquelqu’unqu’onaim…qu’onappréciesouffreaussi.Mondérapagelesurprendautantquemoi.—Commetuveux.Jeluiemboîtelepas.Meshabitsmecollentàlapeauetj’ailespiedstrempés.Çamerappelleundes
plusbeauxmomentsquej’aivécus,unmomentpleindebaisers,depluieetdemagie.Ilfautquejem’yaccroche.Pourl’instant,c’esttoutcequej’ai.
*
Lesjourspassentets’allongent.LesvacancesdeNoëlapprochentetcelafaituneheurequejefixemonlivre d’anglais. J’ai les yeux qui piquent. Lesmots n’ont plus aucun sens. Jeme frotte les paupières.Violet,macolocataire,estendormiesursonlit.Ellen’apasbougédepuisplusdedixheures.Sielleneparlaitpasdanssonsommeil,jelacroiraismorte.Enplusderéviserpourmonexamend’anglais, jesuiscenséeperfectionnermaplume.Jefaispartie
d’unatelierd’écritureet jedois rendre troisprojetsd’icià la finde l’annéescolaire :unpoème,unenouvelleetunessainonromanesque.J’aidécidédecommencerparl’essai.C’estceluiquej’appréhendele plus. J’adore écrire,mais j’ai peur de coucher la vérité sur le papier… surtout en sachant que lesautresme liront. J’aipeurdeme laisseraller,et jen’aipasenviedephilosophersur laviealorsqueKaydenestentraindesouffrirdanssoncoin.Pourl’instant,jen’aiécritqueletitre:Oùs’envolentlesfeuilles,parCallieLawrence.Jenesaispasencoreoùjeveuxenvenir.Lapluies’esttransforméeenneige.Lesfloconsflottentdanslecielgrisetuntapisdeglacerecouvre
lecampus.S’ilneigeici,chezmoiçadoitêtrelatempête.Lavoituredemamèreestsûrementbloquéedansl’allée.J’imaginelechasse-neigeentrainderemonterlesruesetmonpères’échauffantàlasalledegymparcequ’ilfaittropfroidpours’entraînerdehors.JepenseàKayden,quiesttoujoursinternéparcequ’ilspensentqu’ilaessayédesetuer.Mon portable est posé sur le lit, à côté de mes fiches de révisions et d’un tas de marqueurs
multicolores.J’appelleKaydenpourécoutersaboîtevocale.«Salut,c’estKayden.Jesuistropoccupépourvousrépondre.Laissez-moiunmessageet,avecunpeu
dechance,jevousrappellerai.»Ilyaunetouchedesarcasmedanssavoix,commes’ilétaitfierdesablague.Jesouris.Ilmemanque
trop.Çamebriselecœur.Jel’écouteencoreetencore,jusqu’àcequej’entendeladouleurderrièrel’humour.Jeraccrocheetje
m’allongesurlelit.Jen’auraisjamaisdûavoueràKaydenquec’estCalebquim’aviolée.Toutestmafaute.Violet se redresse et clignedesyeux. Ils sont injectésde sang.Elle secoue la tête et rassemble ses
cheveuxnoirsméchésderouge.Elleregardelaneigeparlafenêtre.—J’aidormicombiendetemps?—Dixheures.Ellejetteunœilàsamontreaubraceletdecuir,puissoulèvelacouvertureetbondithorsdulit.—Merde!J’airatémoncoursdechimie.—Tuprendsdescoursdechimie?Jesuissurprise.Violetetmoipartageonslamêmechambredepuistroismois,etellesemblepréférer
lesfêtesetlesgarçonsauxétudes.Ellemelanceunregardnoirenenfilantsavesteencuir.—Quoi?Tucroisquejenesuispascapabledem’amuseretd’êtreintelligente?—Non,cen’estpascequejevoulaisdire.C’estjuste…—Jesais,Callie. Je saisceque tupensesdemoi. Je saisceque tout lemondepensedemoi.Un
conseil:arrêtedejugerlesautressurleurapparence.Jem’enveuxaussitôt.Elles’emparedesonsacetreniflesachemise.Jem’assoissurlelit.—Jenetejugepas,Violet.Jesuisdésolée.Elleramassesonportablesurlebureauetlejettedanssonsacensedirigeantverslaporte.—Siunmecquis’appelleJessevientici,dis-luiquetunem’aspasvuedelajournée.—Pourquoi?—Parcequejeneveuxpasqu’ilsachequej’étaislà.Elleouvrelaporteetmeregardepar-dessussonépaule.—Tun’aspasl’airdanstonassiette,Callie.—Jesais,dis-jeenbaissantlesyeux.J’aivécudessemainesdifficiles.Ellem’examinedelatêteauxpieds.Ellesemblemalàl’aise.—Est-ceque…Est-cequeçava?Je hoche le menton et un semblant d’émotion se dessine sur son visage. De la douleur ou de la
compassion.Toutàcoup,jemedemandesiVioletvabien.Jen’aipasletempsdeleluidemander.Ellehausselesépaulesetsortdelachambreenclaquantlaporte.Jepousseunsoupirdesoulagementetjemerallongesurlelit.J’aienvied’enfoncerundoigtdansmagorgeetdelibérerlasouffrancequipèsedansmonventre.J’ai
besoind’enparleràquelqu’un.J’attrapemonportableetj’appellemonpsyetmeilleurami:Seth.Ilrépondauboutdetroissonneries.—Salut,Callie.J’espèrequec’estimportant,parcequejesuissurlepointdeconclure.Jerougisaussitôt.—Excuse-moi.Jevoulaisjustesavoiroùtuétais.Jesuisdésolée,Seth.Jetelaissetranquille…—Non!Jet’écoute.C’esttoimapriorité.Tulesais.
—Est-cequetuesavecGreyson?—Biensûr.Tumeprendspourqui?Jenesuispasunmangeurd’hommes!Unrirem’échappe.Sethaledondetoujoursmeremonterlemoral.—Qu’est-cequisepasse,Callie?—Rien.Toutvabien.Jem’ennuyaisetjecherchaisunmoyend’échapperàmesrévisions.—Tuenessûre?Jepoussemonlivred’anglaisetjem’allongesurleventre.—Sûreetcertaine.Vat’amuser.—J’enaibienl’intention.J’éclatederire.C’estplusfortquemoi.—Et,situneveuxpasrestertouteseule,appelleLuke.Voustraversezlamêmechose,touslesdeux.
Kaydenvousmanque,etLukeseposelesmêmesquestionsquetoi.Jemerongeunongle. J’aidéjàpassédu tempsavecLuke,mais jenemesens toujourspasà l’aise
aveclesgarçons.Dumoins,àl’exceptiondeSeth.EtLukeetmoin’avonspasencorediscutédecequeKaydenasubichezlui.—Jevaisyréfléchir.—Super.Situlevois,dis-luideteracontercequis’estpasséhieraucoursdeM.McGellon.—Pourquoi?Qu’est-cequis’estpassé?—Ilteracontera.—OK.Jenesuispascertainedevouloirl’entendre.SiSethpensequec’estdrôle,ilyadegrandeschances
pourqueçamegêne.—Amuse-toibienavecGreyson.—Àplustard,mabelle.JeraccrocheetjechercheLukedansmescontacts.Mondoigtplaneau-dessusdubouton,maisjefinis
parmedégonfler.Jeposeleportablesurmonlit,jemelèveetj’enfilemesConverse–cellesquisonttachéesdepeintureverte –parcequ’ellesme rappellent desbons souvenirs. J’enfilemonmanteau, jeglissemonportabledansmapoche,j’attrapemesclésetmoncarnetetjesorsdelarésidence.Jemarchesansbutprécis.Jetraverselecampusdésertetjem’assoissurunbancglacé.Unarbreme
protègedelaneige.J’ouvremoncarnet,jeremontemoncolsurmonnezetj’écris,laissantmoncœuretmonâmenoircirlespages.
Jemesouviensdemonseizièmeanniversairecommesic’étaithier.Ilestàl’abridansuncoinde
matêteet jeleressorsquandj’enaibesoin.Cejour-là, j’aiapprisàconduire.Mamèreatoujoursrefuséquemon frère etmoi approchionsd’un volant avant d’enavoir l’âge.Elle disait que c’étaitpour nous protéger.Nous protéger ? Jeme rappelle avoir trouvé ça étrange.Mon frère fumait desjointsdepuisqu’ilavaitquatorzeans.Calebm’avioléedansmachambrequandj’enavaisdouze.Jesavais qu’elle n’était pas responsable,mais une questionme taraudait : où était notremère quandnousavionsbesoind’elle?
Àseizeans,j’étaisdoncsurlepointdeconduirepourlapremièrefois.J’étaisterrifiée.J’avaislesmainstellementmoitesqu’ellesglissaientsurlevolant.Lequatre-quatredemonpèreétaitsurélevéetjevoyaisàpeinepar-dessusletableaudebord.—Etsijeconduisaislavoituredemaman?ai-jesuggéréàmonpère.—Non,Callie.Apprendsàconduiresurcelle-là.Après,conduirelesautresseraunjeud’enfant.Nousavonsattachénosceinturesetjemesuisessuyélesmainssurmonjean.Ilm’asourietm’a
tapotél’épaule.—Jesaisquetuaspeur.C’estnormal.Maistuenescapable.Sinon,jenetelaisseraispasfaire.J’ai failli éclater en sanglots et lui raconter ce qui m’était arrivé le jour de mon douzième
anniversaire. J’ai failli lui direquenon, je n’en étais pas capable.Que je n’étais capablede rien.Maislapeuraeuraisondemoietj’aiappuyésurlapédale.J’ai fini par foncer dans la boîte aux lettres des voisins.Mes parentsm’ont interdit de conduire
pendant trois mois. J’étais ravie. Conduire était synonyme de grandir, et je n’étais pas prête. Jevoulaisredeveniruneenfant.Jevoulaisavoirdenouveaudouzeans,avecl’excitationdelavieetdesgarçonsetdesbaisersdevantmoi.
—Disdonc,ilfaitsuper-froid!LavoixdeLukemefaitsursauter.Jelèvelatêteetfermemoncarnet.Ilalesmainsenfouiesdansles
pochesdesonjeanetlacapuchedesavestebleueremontéesurlatête.Jeglissemonstylodanslaspiraleducarnet.—Qu’est-cequetufaislà?Ilhausselesépaulesets’assoitàcôtédemoi.Ilétendlesjambesetcroiseleschevilles.—C’estSethquim’aappelé.Ilm’aditquetun’avaispaslemoral.Jebalaielecampusduregard.—C’estincroyable.Parfois,jemedemandes’iln’apasinstallédescaméraspartout.Ilesttoujoursau
courantdetout.Lesfloconsjaillissentducieletnossoufflesformentdesnuagesdevapeur.JemedemandesiLukeest
seulementlàparcequeSethl’aappelé.Ildécroiseseschevilles.—Est-cequetuveuxallerfaireuntour?Jeprendraisbienl’air,loindelafac.—OK.Ma réactionme surprend. Je n’ai même pas hésité. Est-ce que je commence à faire confiance aux
gens?Lukemesouritetmetransperceduregard.Avant,ilm’intimidait.Aujourd’hui,jesaisqueçafaitpartiedelui.Jepensequ’ilcachedeschosesderrièresesairsdevoyou:peur,solitudeousouffrance.Jeglissemoncarnetsousmonbrasetjemelève.Ensilence,noustraversonslacouretnousdirigeons
versl’inconnu.
Kayden
Chaquefoisquejefermelesyeux,jevoisCallie.Callie.Callie.Callie.Jesensladouceurdesapeau,son goût, l’odeur de son shampoing. Ellememanque tellement que j’ai dumal à respirer. J’aimeraism’endormiràjamaispourêtreàsescôtés,laseuleetuniquepersonnequimerendeheureux.Maisjefinistoujoursparouvrirlesyeuxetparaffronterlaréalitéquejemesuisimposée.Latorture.Lasouffrance.Toutcequirestedemavie.JeneméritepasdepenseràCallie.Pasaprèscequej’aifait.Pasaprèsqu’ellem’aretrouvédanscet
état.Désormais,elleconnaîtmonsecretleplussombre,celuiquejecachedepuistantd’années,celuiquifaitpartiedemoi.Lepire,c’estqu’ellenel’aitpasentendudemabouche,maisdecelledemamère.C’est pour lemieux.Callie peut enfin vivre sa vie sans supportermes problèmes.Quant àmoi, je
resterailà,lesyeuxfermés,àm’agripperàmessouvenirs.Sijerespireencore,cen’estquegrâceàelle.
*
Je n’ai jamais eu peur de mourir. Mon père a commencé à me frapper quand j’étais petit, et j’aitoujourspenséquejemourraisjeune.PuisCallieestentréedansmavieet,depuis,lamortmeterrifie.Jem’ensuisrenducomptecejour-là.Jemerappelleavoirregardélesangcoulersurlecarrelageet
surlalameducouteau.Unevaguededoutem’asubmergé,maisilétaittroptard.Toutcequejevoyais,c’était le visage de Callie quand on lui apprendrait ma mort. Après mon départ, il n’y aurait pluspersonnepourlaprotéger.Etelleavaitbesoindeprotection.Elleleméritaitplusquequiconque.
Deuxsemainesaprèsl’incident,onm’atransféréaucentreBrayman.Ilestsituéenborduredelaville,entreladéchargeetunvieuxterraindecaravaning.Machambreestvide,avecdesmursblancsetunlinotaché.L’odeurdedésinfectantestmoinsfortequ’àl’hôpital,maisleseffluvesdeladéchargesefaufilentparfoisjusquedansmachambre.Jesuislàdepuisseulementquelquesjours.Jenesaispasquandjeseraiprêtàpartir.Envérité,jene
saisplusgrand-chose.Jesuisallongésurlelit–monpasse-tempsfavori–etjeregardeparlafenêtreenmedemandant ce queCallie est en train de faire en cemoment. J’espère qu’elle s’amuse, qu’elle estheureuseetqu’ellesourit.C’estbientôtl’heuredemonbilandesanté.Jem’assoislentementetjeposeunemainsurlecôté,làoù
onm’arecousu.Lecouteaun’atouchéaucunorganevital.J’aieudelachance.Dumoins,c’estcequetoutlemondemedit.J’ailachancedenepasavoirtouchédeveineenmetailladantlespoignets.J’ailachanced’avoirsurvécu.Chance.Chance.Chance.Cemotestrépétéàl’infini,commepourmerappelerquemavieestprécieuse.Jenecroispasenlachance.Survivren’estpasunechance.Pendantmonséjouràl’hôpital,ilm’estarrivédevouloirraconterlavérité,maisj’étaistropgroggy.
Quandlebrouillards’estdissipé,j’airegardélasituationenface.J’avaisfrappéCalebetj’étaiscouvertdecicatricesquejem’étaismoi-mêmeinfligées.Voilàcequelesgensvoyaient.Sij’essayaisdemenerunebataillecontremonpère,jeperdrais.Inutilederacontercequis’estpassé.Personnenemecroirait.L’infirmièreentredansmachambreavecmondossieràlamainetunsourireplaquésurlevisage.Elle
alescheveuxblondsaveclesracinesbrunes,etelleatoujoursdestracesderougeàlèvressurlesdents.—Commentvas-tu,Kayden?Elles’adresseàmoicommeàunenfant.Touslesmédecinsmeparlentsurceton.Poureux,jesuisle
pauvregarçonquis’estcoupélesveinesets’estpoignardéavecuncouteaudecuisine.—Çava.J’accepte lespetitscomprimésblancsqu’ellemetend.Cesontdescalmants.Chaquefoisqueje les
avale,jem’endors.Ladouleurs’estompe.Parfait.C’esttoutcequejedemande.Dixminutesplustard,jesuisentraindem’assoupirquandleseffluvesfamiliersd’unparfumdeluxe
mebrûlentlesnarines.Jen’ouvrepaslesyeux.Jen’aipasenviedeluiparleretdefairecommesitoutallaitbien.Commesimonpèrenem’avaitpaspoignardé.J’enaimarredesoncinéma.—Kayden?Tudors?Mamèreparlecommeunrobot.Elleasûrementbu.Elleposeunemainsurmonbras.Sesonglesme
fontmal.J’aimeraisqu’ellemegriffejusqu’ausang,qu’ellem’ouvrelapeauetfassedisparaîtretoutescesémotionsquimetorturent.—KaydenOwens.Ressaisis-toi.Sorsdecelit.Faisuneffort.Prouveauxmédecinsquetuesprêtà
rentreràlamaison.Jeneréagispas.Jemeconcentresurlesbattementsdemoncœur.Boum.Boum.Boum.—Jenetelaisseraipasdétruirel’imagedenotrefamille.C’estàtoideréparerlesdégâts.Lève-toi,
vavoirtonpsyetmontre-luiquetun’espasundangerpourtoi-même!Ellesoulèvemacouverture.J’ouvrelesyeux.Mamèreaunesale tête.Elleadescernesnoirset elle s’est tartinéedemaquillageenespérant les
cacher. Elle porte une robe rouge, des bijoux et un manteau en fourrure : une façade élaborée pourcamouflerlavérité.
—Etpapa?Iln’estpasdangereux,lui?—Tonpèren’arienfaitdemal.Ilétaitsimplementencolère.—Àcausedecequej’aifaitàCaleb,dis-jeenappuyantlesmainssurlematelas.Jem’assoisetj’appuieledoscontrelatêtedelit.Ellemelanceunregardnoir.—Exactement.Cen’estpasacceptable,Kayden.Heureusementpour toi,Calebs’enest tiré. Ilveut
porterplainte,maistonpèreestentraindenégocieraveclui.—Négocier?Pourquoi?J’ail’impressionquedesmilliersd’aiguillessesontglisséessousmapeau.—Parcequ’onnelaisserapastesdécisionsminablesternirlaréputationdenotrefamille.Onespère
étoufferlescandaleaussivitequepossible.—EnsoudoyantCaleb,dis-jeenserrantlesdents.J’aienviede taperdansquelquechose,d’enfoncermonpoingdansunmurenmétal,dem’ouvrir la
peauetderegardermesmainssaigner.Jerefusequemonpèresemêledecettehistoire.Sinon,ilmeleferapayertoutemavie.—Oui,Kayden.Tonpèrevaproposerdel’argentàCalebenéchangedesonsilence.Del’argentque
tonpèreagagnéhonnêtement.Tudevraisluienêtrereconnaissant.—Laissez-leporterplainte.Jem’enfous.Jeneveuxpasquepapas’enmêle.C’est la vérité. Jem’en fiche. Je suis quasimentmort, et la dernière partie demoi encore vivante
n’attendqu’uneseulechose:laprochaineentaille.Mamèresortunpoudrierdesonsac.Elleregardesonreflet,arronditleslèvres,puissedirigeversla
porteenlerefermant.Sestalonsclaquentsurlelino.—Tuesun fils ingrat,Kayden.Tues l’enfant leplus frustrantde la famille.Tes frèresnenousont
jamaisposéproblème,eux.Parcequ’ilsontfuipendantl’orage.Ilsn’étaientpaslàquandlatornadeestarrivée.—Jenesuispasunenfant.Jen’aijamaisétéunenfant.Sestalonss’arrêtent…puiss’éloignentdanslecouloir.Jefermelesyeux.Jelaisselescalmantsfaire
leurtravail,m’entraînerdanslesténèbres.Ladernièrechosequejevoisavantdem’endormir,c’estunefilleauxyeuxbleusetauxcheveuxbruns.Laseulefillequej’aieaimée.Jem’accrocheàcetteimagedetoutesmesforces.Sanselle,àquoibonrespirer?
Callie
Lukeetmoisommesàlapatinoire.C’estnotrepremièrefoisàtouslesdeux.Quelquescouplesglissentavecgrâceensetenantlamain,etunepetitefilleapprendàpatineravecunemonitrice.Jemepencheenavantpournouermeslacets.—Qu’est-cequis’estpasséaucoursdeM.McGellon?Lukepasseunemaindanssescheveuxcourts.—Setht’enaparlé?
—Ilm’aditdeteposerlaquestion.Illèvelesyeuxauciel.—Ettuveuxvraimentsavoir?J’hésite,maisjedécidedeprendrelerisque.—Oui.Ils’aventuresurlaglaceetyenfoncelapointed’unelame.—Onm’asurprisentraindefaire…quelquechose.Avecunefille.Jem’endoutais.Sethadorememettremalàl’aise,etilsaitquecegenredesujetmedérange.—Parleprof?—Non.ParSeth.Aucentredelapiste,unefillefaitdespirouettesaveclesmainsenl’air.Lukelongelabarrièreetjele
suisenm’yagrippant.Ilesttempsdechangerdesujet.Sinon,mesjouesvontprendrefeu.—Alors,commeça,ilyadesgensquiviennenticipours’amuser?—C’estcequ’ondit.Il perd l’équilibre et s’accroche à la barrière. Nous nous arrêtons pour laisser passer les autres
patineurs.Lukemesouritendessinantuncercledanslaglace.—Lasemainedernière, j’aipassé lanuitavecune fille.Le lendemain,elleavoulume traînerà la
patinoire.Cettefois,j’essaiedenepasrougir.—Pourquoias-turefusé?Iléclatederire.—Jen’enavaispasenvie.Franchement,jepréfèreveniriciavectoi.C’estplussympa.Il essaie de patiner en arrière, mais il trébuche et s’écrase contre la barrière. Je ne peux pas
m’empêcherdesourire.—Tutrouvesçadrôle?—Jepensaisquelesjoueursdefootétaientbiencoordonnés.Ilmefaitunclind’œil.—Surl’herbe,Callie.Ladansesurglace,cen’estpaspournous.— J’ai pourtant entendu dire qu’il vous arrivait de vous échauffer comme des danseurs… pour la
souplesse.Jefaisexprèsdeletaquiner.Illèvelesyeuxauciel.—Kaydenaraison.Tuasdelarépartie,quandtut’ymets.Sonvisagesedécompose.Monventresenoue.Nousrestonsimmobiles,aveclefantômedeKayden
entrenous.Jemeretourneverslesgradins.—Jefaisunepause.J’aimalauxpieds.—Moiaussi.Noslamesclaquentcontrelesolencaoutchouc.Ils’assoitàcôtédemoietétendlesjambes.
Nousregardonslesautrespatineursfairedestoursdepiste,rire,sourire,tomber.Ilsontl’airdepasserunbonmoment,etjelesenvie.J’aimeraism’amuser,moiaussi,maisavecKayden.J’aimeraisqu’ilsoitlà,contremoi…—Tuasdesnouvelles?medemandeLukeenfixantlaglace.—Dequi?DeKayden?Ilhochelatêtesanscroisermonregard.Monsoupirformeunnuagedevapeur.Lapatinoireabeauêtre
couverte,ilfaitaussifroidquedehors.Jeporteunmanteau,desgants,unecapuche,maisjen’arrivepasàmeréchauffer.Latournurequ’aprisenotreconversationnem’aidepasàmesentirmieux.Jemeconcentresurunjeunecouplequisetientpar lamain.Ilsont l’airheureux.Jeremplaceleurs
visagesparlemienetceluideKayden.—Riendenouveau,àpartlesrumeursdontm’aparlémamère.Lukesepenchepourresserrerunlacet.—Quellesrumeurs?Jedéglutisenespérantdénouerlabouledansmagorge.—IlparaîtqueKaydenaétéplacésoussurveillancedansuncentrespécialisé.Illèvelatêteversmoi.—Parcequ’ilspensentqu’ils’estblessétoutseul?LukeestaucourantquelepèredeKaydenestunmonstrecapabledepoignardersonproprefils.J’ai
essayéd’endiscuteravecmamère,maisellem’aditquecelanenousregardaitpas.ElleestencolèrecontrelesOwensparcequeKaydenafrappéCaleb.J’auraisdûluiexpliquerpourquoiilenétaitarrivélà…J’enaieuenviemais,parfois,l’envienesuffitpas.Un jour, j’ai décidé de tout lui raconter. C’était quelques heures aprèsma rencontre avecMaci, à
l’hôpital.Mamère était assise à la table de la cuisine, en train demanger des céréales et de lire lejournal.Jetremblaiscommeunefeuille.—Ilfautquejet’avouequelquechose,maman.Ellealevélenezdesonjournal,lacuillèresuspendueau-dessusdesonbol.—Sic’estàproposdeKayden,jesuisdéjàaucourant.Jemesuisassiseenfaced’elle.—Cen’estpasluiquis’estblessé.Ellearemuésescéréalessansmequitterdesyeux.—Dequoituparles,Callie?—Jeparle…JeparledecequiestarrivéàKayden.Delaraisonpourlaquelleilestàl’hôpital.J’aicroisélesbrassurlatableetserrélespoings.Elleafroncélessourcils.—Peuimporte.Moi,jeparlaisdumalqu’ilafaitàCaleb.Lesimplefaitd’entendresonnomm’anouéleventre.J’aieuenviedehurlersurmamère,dejeterses
céréalesparterre.—Cen’estpassafaute,maman.Elles’estlevéeetadéposésonboldansl’évier.
—Jesaisquetul’aimesbeaucoup,Callie,maiscegarçonesttrèsencolère.Jeteconseilledeprendretesdistancesaveclui.Frustréeetenragée,jemesuislevéeenmanquantderenversermachaise.—Non!Ellem’a lancé un regard noir. Voilà pourquoi je n’ai jamais osé lui confiermes problèmes. Parce
qu’ellenevoitpasplusloinqueleboutdesonnez.—CallieLawrence!Jet’interdisdemeparlersurceton.—Jeteparleraisurcetontantquetudirasn’importequoi.Jemesuisagrippéeàlapoignéedelaporte.Jamaisjeneluiavaisparléainsi.Elleenapresqueperdu
sesmots.—Je…Jenetereconnaisplus,Callie.JepensequeKaydenaunemauvaiseinfluencesurtoi.—Ilyaquelquessemaines,tuétaisraviedenousvoirensemble.—C’étaitavantquejesachedequoiilétaitcapable.Jet’interdisdelerevoir.Etjeterappelleque
c’estCalebquetudevraissoutenir.Aprèstout,ilfaitpartiedelafamille.Unevaguedecolères’estemparéedemoi.Incontrôlableetdestructrice.— Tu ne sais pas de quoi tu parles ! Tu ne connais pas la vérité ! Tu ne cherches même pas à
l’entendre!Je ne savais plus à quoi je faisais référence. Peu importe. J’ai ouvert la porte et je suis partie en
courant.Ellen’apasessayédemesuivre.Jen’enattendaispasmoinsdesapart.—Callie?Lukepasseunemaindevantmonvisage.—Tuasentenducequej’aidit?ParrapportàKayden?—Oui…Excuse-moi.Jemepenchepourdétachermeslacets.Lukeenlèvesespatinsetremuelesorteils.—Tucroisqu’ilsdisentlavérité?QueKaydens’estvraimentfaitdumal?Unepartiedemoiycroit.Après tout, le soiroùKaydenetmoiavons fait l’amour, ilavait lesbras
couvertsdecoupures.Maiscelaneveutpasdirequ’ilestalléjusqu’àsepoignarder.—Jepensequec’estsonpère.Ledireàvoixhauterendleschosesréelles.Nonseulement lepèredeKaydenapoignardésonfils,
maisKaydenn’en a parlé à personne.Son silencemebrise le cœur. Je sais à quel point ce genre desecretestlourdàporter.Lukecroiselesbrasets’appuiecontreledossierdubanc.—Quandj’étaispetit,Kaydendormaittoutletempsàlamaison.Jetrouvaisbizarrequ’ilpréfèreêtre
chezmoiplutôtquechezlui.Jevivaisdansuntaudisetmamèreétaitàmoitiéfolle.Lapremièrefoisquej’aipasséunenuitchezlesOwens,j’aicompris.JeneconnaispasbienLukenisamère,etj’aimeraisluiposerdesquestionssursonenfance…maisla
tensiondanssamâchoiremefaittaire.—Qu’est-cequis’estpassé?
Ilenlèvesesgantsetlesglissedanslapochedesaveste.—J’aicasséunetasse.Jenel’aipasfaitexprès,maislatasseétaitcasséeetc’esttoutcequicomptait.
Kaydenapaniqué.Onavaitdixans.Jenevoyaispaspourquoiilsemettaitdansunétatpareil.Cen’étaitqu’unetasse.Ilpousseunsoupir.Ilalesmainsquitremblent.— Kayden m’a dit d’aller chercher le balai sous l’escalier, dans le couloir. Pendant que je le
cherchais,j’aientendudescris…Ilmarqueunepause.J’ailesmainsquitremblent,moiaussi,etlecœurquibattropvite.—Jesuisretournédanslacuisine.Kaydenétaitparterre,entrainderamperparmileséclatsdetasse.
Sonpèreétaitlà,avecunmorceauàlamain.Kaydenavaitdusangsurlesmainsetuneentailleauvisage.Ilm’ajuréquesonpèren’yétaitpourrien.Jenel’aipascru.J’étaisjeune,maispasidiot.J’inspireparlenezpourmecalmer.J’aileslarmesauxyeux.—Est-cequ’ilafinipartedirelavérité?—Pascejour-là.Mais,quelquesmoisplustard,sonpèrel’afrappédevantmoi.Cettefois,iln’apas
pulenier.J’enlèvemespatinsetjefermelesyeux.—Est-cequeturegrettesdenepasenavoirparléàquelqu’un?Lorsquej’ouvrelesyeux,ilplongesonregarddanslemien.—Biensûr.Etjem’enveuxencore.Pendantuncourtinstant,Lukeetmoisommesliésparunfilténuetcassant.Ilselève,attrapesespatins
par les lacets et sedirigevers les casiers pour récupérer ses chaussures. Je lui emboîte le pas.Nousenfilonsnoschaussuresetmarchonsensilence jusqu’à savoiture.Laculpabilité rongenoscorpsdéjàglacés. Il démarre le vieuxquatre-quatre et allume le chauffage. J’attachema ceinture tandis quenoussortonsduparking.—Ondevraitluirendrevisite,Callie.Ilmeresteunderniercoursavantlesvacances,maisjepeuxle
sécher.L’examenestdéjàpassé.—Lesvisitessontréservéesàlafamille.Enfin,c’estcequeMaciaracontéàmamère.Kaydenn’a
mêmepasledroitdetoucherautéléphone.Lukes’arrêteaustopettournelatêteversmoi.—Est-cequetulacrois?—Jenesaispas.PourquoiMacimentirait-elleàcesujet-là?—Pourcacherlavérité.Ils’engagedansl’avenueprincipale.Ilesttard,lecielestgrisetleslampadairescapturentlesflocons
dansleursfaisceaux.Larouteestrecouvertedeneige.J’aienviedeluidireoui:prenonsl’autoroutepourAftonetrendonsvisiteàKayden.Lasonneriede
monportablemecoupedansmonélan:HateMedeBlueOctober.Jefroncelessourcils.—C’estmamère.J’hésiteàlalaissertombersurmamessagerie–oùellepourrainsulterKaydenetadulerCalebautant
qu’ellelevoudra–maisjeneveuxpasluifaireceplaisir.Jedécrocheetjecolleleportableàmonoreille.—Allô?—Bonsoir,machérie.Commentvas-tu?Jemeconcentresurlarouteetj’ignoreleregardinterrogateurdeLuke.—Bien.—Tuenessûre?Tuasl’airdéprimée.Jepensaisquelafact’avaitguérie.—Jenesuispasdéprimée,maman.Ellepousseunsoupirdefrustration.—Écoute…Jet’appellepourtedirequeCalebadécidédeporterplaintecontreKayden.—Quoi?Lukesursauteetlavoiturefaituneembardée.—C’estuneblague?—CallieLawrence,jet’interdisdemeparlersurceton!—Désolée.C’estjusteque…jenecomprendspaspourquoi.—Kaydenl’afrappésansraison,chérie.—Non!Ill’afrappéàcausedemoi.Jem’étouffesurlederniermot.—Qu’est-cequeturacontes?—Laissetomber,maman.Jesuisencolère.Jedisn’importequoi.Ellemarqueunelonguepause.—Callie…Est-cequetumecachesquelquechose?—Non,maman.—Trèsbien.Ellesembledéçue,commesiellesentaitquej’étaissurlepointdepartagermonsecret,celuiquejelui
cachedepuissixans.CeluidontseulKaydenalaclé.—C’est tout ce que j’avais à dire, Callie. Je voulais t’en parler avant que tu ne l’entendes de la
bouched’unautre.Jesaisquesonmeilleuramiestàl’universitéavectoi,etlesrumeursvontvite.—Tuaseuraison.—Àplustard.—Aurevoir,maman.Jeraccrocheet j’empoignemonportable,commepourl’étouffer.J’ai lesmainsmoiteset jen’arrête
pasdepenseràKayden.C’estmafaute.Toutestmafaute.Ilfautquejelesauve.Jeglissemonportabledanslapochedemonjean.—OK,dis-jeàLuke.AllonsàAfton.Iltournelatêteversmoi.—Tuessérieuse?
—Oui.CalebveutporterplaintecontreKayden.—Tudéconnes?—Non,etc’estàmoideréglercettehistoire.C’estàcausedemoiquetoutacommencé.Jemedemandes’ilsaitpourquoiKaydenafrappéCaleb,cesoir-là.Je fermemonmanteauet j’enfilemesgants.Lukesegaresur leparkingen facedema résidence. Il
éteintlemoteuretlaisselaradioallumée.LarésidenceMcIntyreestlaplushautedel’université.Elleal’airisolée,surplombanttouteslesautres.Lukeattrapesonpaquetdecigarettessurletableaudebord.—Est-cequetupréfèrespartircesoiroudemainmatin?—Demainmatin.J’aimeraisqueSethnousaccompagne.—OK.Ilfaudrajusteseserrerdanscetasdeferraille.LavoituredeSethnenousemmènerajamais
jusqu’àAftonaveccetteneige.Jeposeunemainsurlapoignéeetj’ouvrelaportière.Lukesembleinquiet.—Jemefaisdusoucipourlui,Callie.Est-cequ’ilestpossibled’empêcherCalebdeporterplainte?
Siçatournemal,Kaydenvaêtreexcludel’équipe,etpeut-êtremêmedelafac.Ilrisquelaprison,ouuneamende qu’il n’aura jamais les moyens de payer sans l’aide de son père. J’espère que ça va aller.Parfois,quandlesgenstouchentlefond,ilsfinissentparbaisserlesbras…Commemasœur.Lagravitédelasituationpèsesurmapoitrine.Jedescendsdelavoituresansriendire.Jesavaisque
Lukeavaitunesœur,maisilnem’ajamaisditdequoielleestmorte.J’enconclusqu’elles’estsuicidée.—Jevaisfairedemonmieux.Ontrouveraunesolution,Luke.Jetelepromets.Lasolution,jelaconnaisdéjà.Maisensuis-jecapable?Suis-jecapabledepartagermonhistoireavec
mafamille?Meferont-ilssuffisammentconfiance?Suis-jeassezfortepouraffronterCaleb?Jesaisqu’ilfaudrarépondreàcesquestionsunjouroul’autre.Ilesttempsdefairefaceausecretqui
mehantedepuistantd’années.Ilesttempsd’arrêterd’avoirpeur.
Kayden
Ça fait seulement six joursque je suis arrivé ici. J’ai l’impressionqueça faitunmois. Jeviensdedéjeuneretjesuisenpleineséanceavecmonpsy.Jelespréfèreauxséancesdegroupe,lorsdesquellesjeneparlepas.Noussommesdansmachambre.Jesuisassissurunechaiseenmétalinconfortable.J’aimallàoùle
couteaum’a transpercéet jenepeuxpasm’empêcherde tripoter lesplaiescachéessous lebandageàmon poignet. Dehors, le ciel est noir. Le tonnerre gronde et les éclairs illuminent la pièce d’éclatsargentés.—Commenttesens-tu,Kayden?C’estlaquestionpréféréedemonpsy.Jeluidonnetoujourslamêmeréponse:—Bien.Jetiresurl’élastiqueàmonpoignet.Onmel’adonnépourm’aideràmecalmer.Commesitirersurun
élastiquepouvaitremplaceruneviedecoupsetdesouffrance.MonpsyestleDrMontergrey.Ilm’ademandédel’appelerDoug.Iltrouvequesonnomdefamillele
vieillit.Ilalasoixantaine,lescheveuxgrisetdesridesautourdesyeux.Doug ajuste ses lunettes en relisant ses notes. J’imagine les termes qu’il utilise pour me décrire :
dangereux,colérique,irrationnel,peucoopératif.Illèvelatêteversmoi.—Jesaisàquelpointilestdifficiledeparlerdesesémotions,Kayden.Surtoutquandonaautantde
rageensoi.Maiscelat’aideraiténormément.Crois-moi.Jetiresurl’élastique.Ilclaquecontremapeauetsebriseavantdes’écraserparterre.Jemefrottele
poignetdroit, celuiqui est encorebandé.L’autre commenceàguérir.Bientôt, il n’y auraplusquedescicatrices.Encoredescicatrices.Àcerythme,jevaisfinirparmetransformerenunecicatricegéante.
Dougglisseunemaindanslapochedesavesteetensortunautreélastique.Celui-làestrougeetplusépais.Jel’enfileautourdemonpoignet.Dougnotequelquechosedanssoncarnet.—Ilstegarderonticitantqueturésisteras,Kayden.C’estvraimentcequetuveux?Jecroiselesbrasetj’étendslesjambesdevantmoi.—Peut-être.Jemesensamer.Perdu.Jeneméritepasd’êtrelà.Jeserrelespoingsetj’enfoncelesonglesdansmes
paumes.—J’aimeraissortird’icimais…maisc’esttropdifficile.—Qu’est-cequiestdifficile?—Mavie.Sessourcilsgrisplongentsoussamonture.—Qu’est-cequiestleplusdur,danstavie?—Detoutsentir.Ilreculedanssachaiseetenlèveseslunettes.—Tesémotions?Tasouffrance?—Lesdeux.Ilnettoieses lunettesavec lebasdesachemiseet les reposesursonnez.Quelqu’unpleuredans le
couloir.Lapluies’abatcontrelescarreaux.Demainmatin,lesolserarecouvertdeneigesaleetfondue.—Es-tuàl’écoutedetesémotions,Kayden?—Jenesaispas.Non…Pasvraiment.—Pourquoi?Je repense aux coups, aux cris, aumoment où j’ai commencé à tout occulter, àme replier surmoi-
même.—Parcequec’estinsupportable.C’estsimple,maisvrai.C’estétranged’enparleràvoixhaute.Laseulepersonneàquij’airacontéma
vie,c’estCallie,etj’aitoujoursembellileschosespourlaprotéger.Dougajoutequelquechosedanssoncarnet.—Etquefais-tuquandtesémotionsprennentledessus?Jeglisseundoigtsousl’élastiqueetjetiredessus.Unefois,deuxfois,deplusenplusfort.Ilsecasse
àsontour.Jel’attrapeavantqu’ilnetombe.—Voussaveztrèsbiencequejefais.C’estpourçaquejecassetousvosélastiques.Ilm’observeenmordillantleboutdesonstylo.—Parle-moidusoiroùtut’esbattuavecCaleb.—Jevousl’airacontémillefois…—Tum’asdécritcequis’estpassé,maistunem’asjamaisditcommenttutesentais,cesoir-là.Les
émotionscontrôlentsouventnosactes,Kayden.—Jen’aimepaslesémotions.
—Jesais.Etj’aimeraiscomprendrepourquoi.—Personneneveutcomprendre.Croyez-moi.Jemegriffelamainpourmecalmer.Ilposelestylosursoncarnet.—Pourquoipenses-tuunechosepareille?—Parcequec’estvrai.Cequiestfaitestfait.J’aidix-neufans.Ilesttroptard.Paslapeined’essayer
demesauver.—Jen’essaiepasdetesauver.J’essaiedet’aideràguérir.Jepasseundoigtsurlacicatricequitraversemapaume.Elledatedujouroùmonpèrem’acoupéavec
unmorceaudeverre.—Guérirquoi?Cescicatrices?Ellesneguérirontjamais.—Jeneparlepasdecequiestvisible,Kayden.Jeparledecequisecacheentoi.Danstatêteetdans
toncœur.C’estlegenredesituationquejefuiscommelapeste.Jedétesteparlerdemesémotions.Après,jesuis
obligédemefairedumal.Ici,c’estimpossible.Ilsm’interdisenttoutobjettranchant.Jenemesuispasrasédepuisunesemaine.Mamâchoireetmonmentonmedémangent.—Jeneveuxpasenparler.Jesuissurlepointdemelever.Ilmefaitsignedemerasseoir.—Jeneteforceraipas,Kayden.Ilyajusteunequestionàlaquellej’aimeraisqueturépondes.—Toutdépenddelaquestion.—Pourquoies-tualléàcettefête?—Vousmel’avezdéjàposée.—Parcequ’elleestimportante.Jesuisterrifié.Jen’aipasledroitdeluirépondre.C’estunsecret.—J’ysuisallépourfrapperCalebMiller.—Pourquoi?—Jeviensdevousledire!Jesuisénervé,frustré,etlaragesefaufiledansmesveinescommeunserpent.—Pourquoil’as-tufrappé?Moncœurtambourinecontremescôtes.Jen’aiqu’uneenvie:qu’ilsetaiseetqu’ilmedonnequelque
chosedecoupant.Jebalaielachambreduregard.Elleestvide.Jenepeuxpas.Jen’yarriveraipas.—Parcequ’ilafaitdumalàquelqu’un.J’ailavoixquitremble.J’ail’airfaible.Pathétique.—Quelqu’unquetuapprécies?—Évidemment.Illèvelessourcils.—Quelqu’unquetuaimes?Jesensmonpoulsmartelersouschaqueblessureetchaquecicatrice.Est-cequej’aimeCallie?Est-ce
quejesuiscapabled’aimer?—Jeneconnaispasl’amour.Ilmeregarded’unairpensif.—Est-cequejepeuxteposerunedernièrequestion?—Sivousvoulez.—Penses-tumériterd’êtreaimé?—Jevousl’aidéjàdit.Jeneconnaispasl’amour.Jenesaispascequec’est.Qu’est-cequ’ilveut?Que je luidisequemonpèremebat?Quemamèreestune toxicomane,une
alcoolique?Ilnoteunedernièrephrasedanssoncarnet,puisillefermeetrangelestylodanssapoche.Ilselève
enjetantunœilàsamontre.—Onabienavancé,aujourd’hui.Continuecommeça,ettuauraspeut-êtredroitàdesvisiteurs.Ilrécupèresonmanteausurledossierdesachaise.Jem’enfoncedanslamienne.—Jeneveuxpasdevisiteurs.Il fait mine de ne pasm’avoir entendu. Il s’arrête devant la porte, enfile sonmanteau, resserre sa
ceintureetenfouitlesmainsdanssespoches.—Continueàutilisertesélastiques,Kayden.Peuimportecombientuencasses.Ilm’enlanceunnouveauetjel’attrapedupremiercoup.Pendantuncourtinstant,jesuisderetoursur
leterrain,unballonàlamain,délivrédufardeaudelavie.J’aimeraisêtreloind’ici,guéri,commeneuf.J’aimeraisêtreaussiremplaçablequemesélastiques.
Callie
—Tun’aspasdelecteurdeCD?s’indigneSeth.NidebranchementMP3?Noussommessurlabanquetteavantduquatre-quatredeLuke.Sethmontelevolumedelaradio.—Sérieux,mec.Onsecroiraitàl’époquedescheveuxlongsetdespantalonsenlycra!Lukerelèvesacapuchesursatête.—Turemontesunpeutroploin,Seth.Ça,c’estl’époquedeshuit-pistes.Ilporteunbraceletencuiravecunmotgravédessus:«rédemption».Jemedemandes’ilycroit.Je fermemonmanteau jusqu’aumenton. Ilsn’arrêtentpasdebaisser lesvitrespour fumer, et il fait
aussifroiddanslavoiturequedehors.Luketendlebrasdevantmoipourouvrirlaboîteàgants.Ilyaquelquetemps,cegestem’auraitmisemalàl’aise.Aujourd’hui,beaucoupmoins.Ilesttôt,lesoleilbrillesurlaterregeléeetl’autorouteestglissanteaprèslatempêtedeneigedela
veille.Lukeconduitlentement.Auborddelaroute,desvoituressontempêtréesdansdesmonticulesdeneige.Lesgenssesontgaréssur lesvoiesd’accélérationparpeurdereprendrelevolant.Lukeetmoiavonsl’habitudedecegenredeconditions.Nousavonsgrandidansunerégionoùilneigetoutletemps.SethdonneunetapesurlamaindeLuke,quicroisemonregard,l’airfaussementchoqué.—Lesgensécoutaientencoreleshuit-pistesdanslesannéesquatre-vingt,insisteSeth.
—Audébut,peut-être.Pasàlafin.J’éclatederire.C’estplusfortquemoi.—Vousvousdisputezcommeunvieuxcouple.J’espère queLukene le prendra pasmal. Je tourne la tête vers lui. Il n’a pas l’air gêné du tout. Il
hausselesépaulesetplongelamaindanslaboîteàgantspourensortirunecassette.Illaglissedanslelecteur.—Tantquej’ailerôledumec,çameva.Sethlèvelesyeuxauciel.—Tuparles.Tuseraismachienne,Luke.Tulesais.—Seth!Jen’enpeuxplus.Jemecouvrelabouched’unemain.J’enpleurederire.—Quoi?C’estvrai.Sethdittoujourscequ’ilpense.C’estcequej’aimechezlui.J’essuiemeslarmesetjel’embrassesur
lajoue.—Mercidem’avoirfaitrire.—Avecplaisir,chérie.Lukealesourireauxlèvres.Jel’appréciedeplusenplus.Ilnejugepersonneetilesttrèsouvert.J’ai
presqueenviedeleprendredansmesbras.C’estbizarre,venantdemapart.ComeonEileendesDexy’sMidnightRunnerss’échappedeshaut-parleurs.Sethtapedanssesmainset
balancelatêteetleshanches.—Allez,Callie!Danseavecmoi!—Nonmerci.Lukeentrouvresavitreetallumeunecigarette.Uncourantd’airfroidsefaufiledanslavoiture.Seth
attrapesonpaquetdanslapochedesonsweat.Ducoindel’œil,jevoisLukebalancerlatêteenaspirantsa cigarette. Il avale une grosse bouffée et recrache la fumée blanche. Seth allume la sienne en sedéhanchant. Le papier blanc s’embrase. La fuméeme brûle les poumons et j’ai la chair de poule. Jedécidedevivrelemomentàfondetjeprendsexemplesureux:jedanseetjerebondissurlabanquette,enrythmeaveclamusique.Sethmefaitungrandsourire.—Queldéhanché,Callie!Ilcracheunnuagedefuméeetnousinventonsunechorégraphieavecnosmains.Lukeéclatederireet
montelevolume.Pendantuninstant,jesuismétamorphosée.Jesuislibre.Quandlerefrainreprend,noushurlons les paroles. Je lève les bras en l’air et je ferme les yeux. Tout va bien se passer. Tout vas’arranger.Parcequejesuisvivante.Parcequejedanseetparcequejeris,assiseentredeuxgarçons.Parceque,
sic’estpossible,toutestpossible.
Kayden
Depuiscematin,j’ailedroitd’accueillirdesvisiteursautresquemafamilleetdepasserunoudeux
coupsdefildanslajournée.QuandDougmelaisseseulavecletéléphone,jemesenspiégé.J’aienvied’appelerCallie,maisjeneluiaipasparlédepuisl’incidentetjenesaispassielleestprêteàentendremavoix après tout cequi s’est passé. J’ai peurde sa réaction.Et puis, si je veux laprotéger, il vautmieuxquejegardemesdistances.Ellen’apasbesoind’unmeccommemoidanssavie.Je m’assois sur le lit et je compose le numéro de Luke. Je regarde le ciel gris par la fenêtre en
attendantqu’ildécroche.—Allô?—Salut,mec.C’estKayden.Ilmetquelques secondes à réagir. Il y adubruit et de lamusiquederrière lui. J’entendsquelqu’un
chanterfort…etfaux.—TuesavecSeth?—Heu…oui.Commentvas-tu,Kayden?Jetiresurmonélastique.Ilclaquecontremonpoignetetladouleurmeremontedanslebras.—Çava.Qu’est-cequetufabriquesavecSeth?—Onestdansmavoiture.OnestenroutepourAfton.Pourterendrevisite.Jetiredenouveausurl’élastique,maiscelanecalmepaslavagued’inquiétudequimesubmerge.—Quandtudison,tuveuxdire…—Seth,moiet…etCallie.Lamusiqueetlebruits’arrêtent.—Quoi?Àquituparles?Le simple fait d’entendre sa voixme coupe le souffle. Je m’agrippe au cordon du téléphone et je
l’enrouleautourdemonpoignet.Jemeconcentresurlaneigequirecouvreleparkingdésert.—Tupeuxluidire,mec.—OK.C’estKayden.—C’estvrai?s’étonneCallie.Est-ceque…Est-cequejepeuxluiparler?—Tuveuxquejetelapasse?—Je…Jen’aipasletempsdeprendreunedécision.Commetoujours,mamèreentreaumauvaismoment.Elle
porteunsacentoilesurl’épauleetellelèvelementond’unairhautain.—Ilfautqu’onparle,Kayden.Toutdesuite.—Ilfautquej’yaille.Désolé,mec.Jeraccroche,jedéroulelecordonetjem’allongesurlelit.Jeporteunbasdepyjamaàcarreauxetun
vieuxtee-shirttroué:lamêmetenuedepuiscinqjours.Jecommenceàenavoirmarre.Mamèrejettelesacaupieddulitetposelesmainssurseshanches.—Regarde-toi!Ilestvraimenttempsquetusortesd’ici.Faisuneffort,Kayden!Tudétruisl’imagede
lafamille!Jemeredresselentement.Lemouvementtiresurmablessure.—Lesmédecinsnesontpasd’accord.Ilspensentquerestericim’aideraàguérir.
—Jemefousdecequepensentlesmédecins,marmonne-t-elleenouvrantlesac.Cequicompte,c’estque tu enfiles des vêtements propres, que tu fasses croire à tout lemonde que tu vasmieux et que turentresàlamaisonpourqu’oncommenceenfinàréfléchiràcequ’onferasiCalebporteplainte.—Onpourraitplaider lafolie,dis-jepour laprovoquer.Commeça, ilsmegarderont iciau lieude
m’envoyerenprison.Mamèredevienttouterouge.—Tutrouvesçadrôle?Jeferaismieuxdet’envoyertonpère.Ilsauraittefairechangerd’avis,lui.Jemefrottelevisagepoureffacerlesimagesquidéfilentdevantmesyeux.Lesang,lecarrelage, le
couteau…—Jevaisvoircequejepeuxfaire.Ellesourit,unsourirediaboliquequin’apassaplaceici.Ellem’embrassesurlajoue.Elleempestele
vin.—Oups!Jet’ailaisséunetracederougeàlèvres.Ellemefrottelajoue.—Allez,Kayden.Ilesttempsdesortird’ici.Elleme tapote la jambe et sort de la chambre. Je l’entends dire quelque chose à unmédecin.Une
infirmièrefermelaportederrièreelle.Jeme lève et sors un tee-shirt àmanches longues du sac. Il est rempli de jeans, de chemises et de
chaussettes.Jesuisprêtàenfilermoncostumeetàmentiraumondeentier.Commejel’aifaittoutemavie.
Callie
Ilest tard lorsquenousarrivonsàAfton.Lecielestnoiret la luneestgigantesque.SiSethnenousavaitpas ralentis,nous serionsarrivésbeaucoupplus tôt.Àmidi, il a insistépourquenousmangionschezMcDonald’s.Aprèslerepas,nousavonsjouédansl’airedejeuxréservéeauxenfants.Nousavionsbesoindenousdéfouler,debriserlatension…etpeut-êtrederepousserl’échéance.C’estlemanagerquinousaforcésàpartir.Sethetmoimontonsdansmachambre,au-dessusdugarage,sanspasserparlamaison.Jeneveuxpas
croisermamère.Épuiséspar la route,nousenfilonsnospyjamasetnousblottissonsdansmon lit.Cetendroitestremplidesouvenirs.JerepenseausoiroùKaydenm’atouchée,embrassée,oùilestdevenuunepartiedemoi.—Jesuisdéçu,ditSethenfaisantlamoue.Ilmetardaitderencontrertamère.Jeluipincelebras.—Menteur!Iléclatederireetroulesurlecôté.—C’estàcausedetoi!Tun’arrêtespasdedirequ’onnes’entendrapas.Jem’attachelescheveuxetjememordslalèvreenpensantàdemain.Ànosretrouvailles.Sethmeregardedetravers.—Àquoitupenses?—JemedemandecommentKaydenréagiraen…enmevoyant.Ilglisseunemèchedecheveuxderrièremonoreille.—Il réagiracomme toi le jouroù j’aiosé t’approcherpour lapremière fois.Compare-leàunchat
sauvage.Situdisunmotdetravers,ilrisquedepaniquer.—Tum’ascomparéeàunchat?
—Unchaton,blague-t-ilenmefaisantunclind’œil.J’aieupeurquetunesortestesgriffes.Sethdétachesamontreetlaposeàcôtédulit.Jetapotemonoreilleretjeglisseunemaindessous.—Ets’ils’énerve?—Ilnes’énerverapas.—Pourquoi?—Parcequetuleconnaismieuxquepersonne,Callie.Tusaiscommentluiparler.Soistoi-même,et
toutirabien.—J’espèrequetuasraison.—J’aitoujoursraison,Callie.Toutvabiensepasser.J’ensuiscertain.J’éteinslalampe.Leradiateurd’appointvrombitdanslecoin.Lalueurblanchedelalunetraversele
rideau.Sethserremamaindanslasienne.Jefermelesyeuxetjem’endorsenpensantàKayden.Ilmetardede
lerevoirvivant,etpasdansunemaredesang.Ilesttempsdefairedisparaîtrecetteaffreuseimagedematête.
Kayden
LesvacancesdeNoëlontcommencé.Entempsnormal,jeseraissurlarouteavecCallieetLuke.Aulieudeça,jesuiscoincéici.J’aidumalàcroirequeCalliesoitdanslamêmevillequemoi.Procheetlointaineàlafois.Je collectionne les élastiques. J’en ai cinq au poignet.Doug ne le sait pas. Je fais semblant de les
casserpourqu’illesremplace.Quandjetiredessusetqu’ilsfouettentmapeau,ladouleurmecalme.Cesoir,j’enaiparticulièrementbesoin:mamèreestlàdepuisuneheure.ElleessaiedeconvaincreDougetlemédecindemelibérer.Ilsdiscutentsurlepasdelaporte,parlantdemoicommesijen’étaispaslà.Jelesattends,assisseul
dans le réfectoire. Les murs sont en brique, beaucoup plus réconfortants que les murs blancs de machambre.Certainsdéjeunenticitouslesjours.Moi,j’aichoisidemangerdansmachambre.Jenesupporteplus
lesbagarres,lescrisetlespleurs.—Jevousprometsquejegarderaiunœilsurlui,insistemamère.Elle s’exprimebeaucoup avec lesmains.Ellemanquede crever l’œil dumédecin avec sesongles.
Dougtournelespagesjaunesdesoncarnetpourreliresesnotes.—MadameOwens, je sais que cette situation ne vous convient pas,maisKayden n’est pas prêt à
quitterlecentre.Elleleregardecommeuninsectequ’elleaimeraitécraser.Ellecroiselesbrassursapoitrineetsemet
àtaperdupied.—Jerefused’écouterlesconseilsd’unpetitpsydecampagne.—JesuisdiplômédeBerkeley.Ellelèvelessourcils.
—Ahbon?Alors…qu’est-cequevousfaitesici?—Jevousrenvoielaquestion.Pour la première fois depuismon arrivée, j’ai envie de prendreDoug dansmes bras. Je souris en
jouantavecmesélastiques.Mamère,elle,n’estpasdemonavis.—Qu’est-cequevousinsinuez?—J’essaiedecomprendrepourquoivousêtesaussipresséedefairesortirvotrefilsalorsqueKayden
n’estclairementpasstabilisé.J’inspectemesbrasetmespoignets.Jen’arrêtepasdetripotermesplaies,etellesontdumalàguérir.
C’estplusfortquemoi.—Kaydenvatrèsbien,continuemamère.Etjevousrappellequec’estmadécision.C’estmoiqui
l’aiinscritici.C’estmoiquil’ensortirai.Jen’encroispasmesoreilles.Jemelèveenfaisantgrincermachaise.—Quoi?Cen’estpasl’hôpitalquim’aenvoyéici?Elletournelatêteversmoi,l’airexaspérée.—C’étaitpourtonbien,Kayden.Tuavaisbesoindecalme.—Jeneveuxpasrentreràlamaison,dis-jeentraversantlapièce.Jeveuxretourneràlafac.—Impossible.Lesvacancesviennentdecommencer.—Danscecas,jeresteicijusqu’àlarentrée.Jerevienssurmespasetmerassoissurmachaise.Jeposemesdoigtssurmestempes.Jenesaispas
cequejeveux.J’enaimarred’êtreenferméici,maisjenemesenspasprêtàaffronterlemonde,monpère,Callie…—Kaydenaledroitderesteravecnousaussilongtempsqu’ilenaenvie,déclareDoug.Mamèreattrapesesclésdevoituredanssonsac.— Peu importe. Je refuse de payer un centime de plus. Je le désinscrirai demain matin. S’il veut
prolongersonséjour,c’estàluidepayer.Elles’envasansseretourner,emportantavecellelepeud’espoirquimerestait.Jenecomprendspas
pourquoielleestaussiimpatientequejesortealorsquec’estellequim’amisdanscecentre.Jeneveuxpasrentrerchezmoi.J’aipeurquemonpèren’achèvecequ’ilacommencé.Dougmerejointenglissantsonstylodanssapoche.—Jesuisdésolé,Kayden.C’estpluscompliquéqueprévu.—Avecmamère,toutestcompliqué.Paslapeinedelutter.Ellefinittoujourspargagner.Ils’empared’unechaiseets’installeenfacedemoi.—Mêmefaceàtonpère?—Monpère?Ilcroiselesjambes.Sonpantalonremonteau-dessusdeseschevilles.Seschaussettessontparsemées
desmileys.—Est-cequetesparentssedisputentsouvent?—Non.Pasvraiment.
Ilfroncelessourcils.—Décris-moitonpère,Kayden.Jeserrelespoingspourmecalmer.—Jenesaispasquoivousdire…C’estunmeccommelesautres.—Est-ceque tu t’entendsbienavec lui? J’ai remarquéqu’ilne t’avaitpas renduvisitedepuis ton
arrivée.—Ons’entendtrèsbien.Ilestsouventabsent…àcausedesontravail.J’ailagorgequicollecommedugoudron.Dougécritquelquechosedanssoncarnet.—Kayden,est-cequetonpèreadéjàlevélamainsurunmembredetafamille?C’estlemomentoujamaisdetoutluiavouer:lescoups,mavie,masouffrance.Mais,maintenantque
je suis face aumur, j’ai peur de trahirmon père.Mon propre bourreau. Je suis samarionnette.C’estterrifiant.Déroutant.—Je…Jenesaispas.—Ahbon?Tuenessûr?Jefixelesol.Ilyaunetacherosesurlelinocraquelé.—Oui.Ilmeregardeensilence,puismetendsacarte.—Rendez-vous lundimatindansmonbureau.Tuasmonadresseetmonnuméro.Si tuasbesoinde
parler,appelle-moi.N’importequand.J’hésite.J’aipeurdem’engageraveclui.Peurd’ouvrirlesportesquej’aiferméesilyatantd’années.
Peur d’affrontermes démons. Si je continue à le voir, je finirai un jour ou l’autre par lui raconter lavérité.Etaprès?Qu’arrivera-t-ilàmafamille?Àmesparents?Jenesaispas.Jenesaisplus.Jesuiscomplètementperdu.J’acceptesacarte.Dougselèveetremetlachaiseàsaplace.Ilsedirigeverslaporteavecsoncarnet
souslebras.—J’aimerais tevoirplusieurs foispendant lesvacances.Ensuite,on te trouveraunpsyàLaramie,
pourtonretouràl’université.Jeplielacarteentremesdoigts.Lebordenpapiermecoupel’index.Ladouleurcalmelacolèrequi
bouillonneenmoi.—Etsijeneveuxpas?Ilm’offreungrandsourire.—Tuenasenvie,Kayden.Sinon,tuauraisdéjàditnon.Jen’airienàajouter.C’estdécidé.JeverraiunpsyàLaramie.Dumoins,sijeretourneunjouràla
fac.Jerepenseàtoutcequim’attendraàmasortie.Monpère,maisaussiCaleb.Commentvais-jemetirer
decettehistoire?Enlaissantmonpèrelesoudoyer?Jeneveuxpasluiêtreredevabledequoiquecesoit.Jeneveuxpasporterlessecretsdenotrefamillesurledosjusqu’àmamort.Doug sort de la pièce etme laisse seul surma chaise. Je passe unemain dansmes cheveux et tire
dessus de toutes mes forces. J’aimerais que les choses soient plus simples. J’aimerais me calmer.
Respirer.Maiscequejeveuxpar-dessustout,c’estCallie.
Callie
Le lendemain, j’ouvre les yeux avant que le soleil se soit levé par-dessus lesmontagnes. J’aimaldormi. J’ai fait des cauchemars toute la nuit. Dans l’un d’eux, j’étais de nouveau dans la cuisine deKayden.Lesolétaitrecouvertdesangetdecouteaux,maisKaydenn’étaitpaslà.Jelecherchaispartout.Lamaisonétaitrempliedetasdefeuillesmortes.Àunmoment,jemesuisréveilléeensueuretjesuisalléevomirdanslasalledebains.Seth dort paisiblement. Je l’écoute ronfler pendant quelques minutes. Je ne tiens plus en place.
J’attrapemoncarnetdanslesacetjem’assoissurlereborddelafenêtrequidonnesurl’allée.Lavoituredemamèreestrecouvertedeneige.Monpèreainstalléleschaînessurlespneusdesonquatre-quatre.Jeposemoncarnetsurmesgenouxetj’appuielaminedemonstylosurlapageblanche.
J’ai rêvé du jour demon douzième anniversaire. Dansmon rêve, Caleb n’était pas là et j’étais
contentequemesparentsm’offrentlegâteau.Ensoufflantlesbougies,j’aifaitunvœu.J’aisouhaitépasserunanniversaireinoubliable.Monvœus’estexaucé.Calebn’estpasvenuetj’aijouéàcache-cacheavecmesamis.J’aiouvertmescadeauxenriant.Plustarddansmonrêve,aulieudefaireunvœupourmoi,j’enaifaitunpourKayden.J’aisouhaité
qu’il neme rencontre jamais et qu’il n’apprenne pasmon secret. J’ai souhaité qu’il ne frappe pasCalebetqu’ilnefinissepasensangsurlecarrelagedesacuisine.Je nous ai souhaité du bonheur dans ce monde de tristesse. J’aimerais que notre douleur
disparaisseàjamais.Hélas,danslavie,leschosesnesontpasaussisimples.Dansmonrêve,j’étaisprêteàaccepterlasouffrancedemonenfanceenéchangedesonbonheurà
lui.Jemedemandecequecelasignifie.
Jejetteunœildehors.Mamèretraverselacourenneigéeendirectiondugarage.Jetournelatêtevers
Seth, qui dort toujours dansmon lit. Je lâchemon stylo etmon carnet, j’attrapemonmanteau etmonportableetjesorsentrombedelachambre.Jefermelaportejusteàtemps:mamèreestdéjàenhautdel’escalierextérieur.—Callie!Jemedemandaissituétaisréveillée.—J’étaissurlepointdedescendre.Lalumièrem’éblouitetlesfloconsdeneigetourbillonnentautourdenous.J’enfilemonmanteauetje
merecoiffe.Lecielestroseau-dessusdesmontagnes.Leleverdusoleilsereflètedanssesyeuxet labrisefaitdansersescheveuxbruns.Celanefaitqu’unmoisquejen’aipasvumamère,maisjetrouvequ’elleavieilli.Elleestenpyjama,malcoifféeetn’estpasencoremaquillée.—Ilesttôt.Tun’espasdugenreàteleverauxaurores.Jehausselesépaulesetjeremontelacapuchesurmatête.—J’aidormidanslavoiture.Jen’étaispasfatiguée.
Ellemeregarded’unairperplexe.—Quit’aramenéeàlamaison?—Luke.—Lukequi?—LukePrice.Elletiresurlecordondesonpeignoir.—L’amideKayden?—Oui.Sesépaulesseraidissentetsesmâchoiressecrispent.Ellejetteunœilderrièremoi,essayantdevoirà
traverslecarreaugivré.—Callie,jeneveuxpasqueturevoiesKayden.Leventselève.J’ailesdentsquiclaquentetjetremblecommeunefeuille.—Pourquoi?—Parce qu’il est dangereux.Ton pèrem’a dit qu’il semettait souvent en colère, à l’époque où il
l’entraînait.—N’importequoi.PapaatoujoursadoréKayden.J’enfouislesmainsdansmespochesetlementondanslecoldemonmanteau.Letissudemonpyjama
esttropfin.—Est-cequ’onpeutcontinuercetteconversationàl’intérieur?Ilfaitfroid.Ellejetteundernierregardàlaportederrièremoi.—Est-cequetonamiestlà?Celuiqui…Celuiquiaimelesgarçons?Jepousseunsoupiretlacontournesansrépondre.Ellemesuitensilence.Nousdescendonsl’escalier,
longeonslamaisonetentronsdanslacuisine.JerepenseausoiroùJacksonétaitassisàcettetable,entraindemangerunepartdetarte,pendantqueCalebmetourmentaitavecnotresecret.LesoiroùKaydenadécouvertlavéritéetm’alaisséepleurerdanssesbras.Lederniersoirquenousavonspasséensemble.J’attrapeunboletunpaquetdecéréalesdansleplacard.Mamèrefermelaportederrièreelle,enlève
sesbottesetmerejointdanslacuisine.Elleouvreleplacardau-dessusdufour,celuioùellerangelespoêles.—Jevaistepréparerunbonpetit-déjeuner.Jeverselescéréalesdansmonbol.—Net’embêtepas.Jen’aipasvraimentfaim.Ellebalaiemoncorpsduregard.—Tuasencoreperdudupoids.—C’estàcausedustress.—Qu’est-cequitestresse?Lesétudes?Oucequiestarrivéàtonami?Cettefois,c’enesttrop.—Monami?C’estcommeçaque tu l’appelles,maintenant?À l’époqueoù tuasdécouvertqu’on
étaitensemble,tut’esfaitunplaisird’allerlecriersurtouslestoits.Lavilleentièreétaitaucourant!
Elleserrelenœuddesonpeignoir.—Nemeparlepassurceton!Jesuischezmoi,Callie.Et,tantquetuserassousmontoit,tuobéirasà
mesrègles.Ellemetourneledosetsedirigeversleplacardoùsetrouventsesmédicaments.Furieuse,jefermele
paquetdecéréales.—J’aidix-huitansetj’ailedroitd’êtreamieavecquijeveux.Elleattrapeungrosflacondecomprimésetseretourneversmoi,lamainposéesurlecouvercle.—Mêmeavecquelqu’unquiafaillituerlemeilleuramidetonfrère?J’enfoncemesonglesdansleplandetravail.Lasouffrancedecessixdernièresannéesm’oppresseet
m’étouffe.—C’esttoutcequicomptepourtoi?Caleb?Sonnommebrûlelabouche.—Calebfaitpartiedelafamille.Tusaisqu’ilabeaucoupsouffert.Sesparentsneluiadressentplusla
parole…—Tais-toi!Jeneveuxplusentendreparlerdelui!Criermelibère.Jemesensmieux.Beaucoupmieux.Jelâchelemeubleetjeredresselesépaules.—JevaismangerenvilleavecSeth.Elleouvrelabouchepourprotester,maisjelafaistaired’unregard.—Commetuveux.Amusez-vousbien.Ellesoulèvelecouvercleetversedeuxcomprimésdanslecreuxdesamain.Jevidemonboldansle
paquetdecéréales, je rangecelui-ciet jepose leboldans l’évier.Jesorsen trombede lamaison.Jetraversel’alléeenneigée,jemontel’escalierdugarageetj’entredansmachambre.Sethestassisauborddulit.Ilporteuntee-shirtrougeetunjeannoir.—Tuesdéjàlevé?Jefermelaportederrièremoi.J’ôtemonmanteauetjelejettesurlelit.Sethpasseunemaindansses
cheveux.—Tuessortiedelachambrecommeunefurie.Qu’est-cequis’estpassé?—J’aivumamèreparlafenêtre.Jenevoulaispasqu’elleteréveille.Ilattachesamontreetrécupèreseschaussuresaupieddulit.—Callie,jesaisqu’onplaisantesouventàcesujet,maisjesuiscapabled’affrontertamère.Crois-
moi.Etpuis,jedoutequ’ellesoitpirequelamienne.Ilenfileunechaussure.Jem’assoisàcôtédeluienfronçantlessourcils.—Tamèrenet’apasadressélaparoledepuisquetuluiasparlédeGreyson.Ilhausselesépaulesennouantsonlacet.—Jesais.Elles’enremettra.Elleabesoindetemps.Ellearéagidelamêmemanièrequandjeluiai
annoncéquej’étaishomo.Jem’allongeetj’étaleunbrassurmonfront.—Jecommenceàmedemanders’ilfautvraimenttoutdireàsesparents.
Ilsoulèvemonbrasetmeregardedroitdanslesyeux.—SituparlesdeCaleb,laréponseestoui.Ilfautquetuleurracontescequis’estpassé,Callie.C’est
important.—Jenesaispascommentréagiramamère.Etsiellesemettaitencolère?J’aipeurqu’ellenes’en
veuilleautantque…quejem’enveux,moi.Jemanqued’air.Jemecomprimelapoitrine.Sethdécollemafrangedemonfront.—Peuimporte,Callie.Cen’estpastamèrequicompte.Tueschargéedecefardeaudepuissixans.Il
esttempsquequelqu’unlepartageavectoi.—Jenesaispassi j’ensuiscapable.J’aipeurde leurdire lavérité.J’aipeurqueçanerendeles
chosesplus…plusréelles.—Ellessontdéjàréelles,Callie.Cequit’estarrivéestvrai.Jejetteunœilparlafenêtre.Lesoleililluminelesmaisonsdel’autrecôtédelarue.Ilfaitrarement
soleilàAfton,maislalumièreexiste,mêmedanslesendroitslesplussombres.Jemelèveetjemarchejusqu’àmonsac,quej’aiposésurlachaiseplianteàcôtédelaporte.—Allonsprendrenotrepetit-déjeunerenville.Ilyauncaféquisertlesmeilleurescrêpesdumonde.Sethestentraind’écrireuntexto.—Jepensequ’ondevraitd’abordrendrevisiteàKayden.—Iln’apasdroitauxvisites.Jechoisisunhautvioletetunjeanetjemedirigeverslasalledebains.Sethposesonportablesurses
genoux.—Lukem’aenvoyéunmessage.Kaydenadroitauxvisitesdepuishieretilsortducentreaujourd’hui.Jem’arrêteaumilieudelachambre.Mêmesijenel’aipasadmisàvoixhaute,aufonddemoijeme
demandaissijereverraisKaydenunjour.Ilm’estmêmearrivédemedemanders’ilexistaitvraiment,sijenel’avaispasinventédetoutespièces.—Vousvoulezquandmêmeallerlevoir?dis-jeenfixantlaportedelasalledebains.Sethselèveetseplantedevantmoi.—Lukeveutqu’onpasselechercheravantsamèreetqu’onl’embarqueavecnous.Jeredresselementon.—Ilveutlekidnapper?Sethéclatederire.—Kaydenadix-neufans,Callie.S’ilneveutpasveniravecnous,onneleforcerapas.—Mais…ilparaîtqu’ildoitrestersoussurveillance.—Chezsesparents?Chezsonpère?Tucroisvraimentquec’estcequ’illuifaut?Jepousseunsoupir.—Jeneveuxpasqu’onempirelasituation.C’esttout.Sethposelesmainssurmesépaulesetplongesonregarddanslemien.—Moi,jepensequetuaspeur.—Peurdequoi?
—D’entendresonhistoire.Dedécouvrircequis’estpassécesoir-là.Tuaspeurdelavérité.—Quellevérité?Ilmesouritetmesecouelesépaules.—C’estàtoideledécouvrir!Kaydenabesoindetoi,Callie.Ilaraison.J’aipeurd’entendrecequiestarrivéàKaydencesoir-là.PeurqueKaydenn’aitvraiment
essayédese tuer.Peurqu’ilneme laisseseuledanscemondealorsque j’aibesoinde luipourvivrecommej’aibesoind’airpourrespirer.—Qu’est-cequevousavezprévu?Mamèrenevoudrajamaisdeluiici.Unsourireilluminesonvisage.—Jem’encharge.Fais-moiconfiance.Toutcequiteresteàfaire,c’estpréparertonsacetdireàta
mèrequetut’absentespendantdeuxjours.—Deuxjours?Dis-moiaumoinsoùonva!Ilposelesmainssurseshanches.—C’estunesurprise,Callie.—Cen’estpasraisonnable.—Je sais.Etc’est justementcegenrededécisionsqui rend lavie intéressante.Onn’aqu’unevie.
Autantenprofiter.Jesouriset,pourlapremièrefoisdepuislongtemps,jen’aipasl’impressiondefairesemblant.—Seth,tueslapersonnelaplussageetfollequejeconnaisse.Ilmeprenddanssesbras.Jelaissetombermeshabitsparterreetjemeblottiscontrelui.AvecSeth,je
mesenschezmoi.J’espèrequejeressentiraiunjourlamêmechoseavecKayden.Jeramassemeshabitsetj’entredanslasalledebains.—OK,Seth.AllonssauverKayden.Çavaêtredifficile.Jelesais.Aprèstout,ilestrarederetrouverquelquechosequel’onaperdu.Jen’aiaucuneidéedecequim’attend.
Kayden
Commepromis,mamèrevientmechercherlelendemainmatin.Onaarrêtédemedonnerdescalmants.Jesuisépuisé,àfleurdepeau,commesideséclatsdeverrecoulaientdansmesveines.—Prêtàrentreràlamaison?—Oui.—Parfait.Sa voixme dérange.On dirait qu’ellemanigance quelque chose. Pour la première fois depuismon
arrivée,j’aienvied’appelerDougpourluiracontercequis’estpassé.Leproblème,c’estquejenemesenspasprêtàrevivrechaquecoupdepoing,chaquecoupdepied, touscessouvenirsquimehantent.Sanscompterquejen’aurainicouteaunirasoirpourétouffermesémotions.Mamèrediscuteavecl’infirmièrependantquejerassemblemesaffaires.Elleaccepteavecunairde
dédainlespapiersqu’onluidonne.Onm’aenlevélespointsdesuture,mais j’ai toujoursmallàoùlecouteau m’a transpercé. Les médecins m’ont dit que la plaie guérirait vite et que je pourrais mêmereprendrelefootàlasaisonprochaine.Moi,jen’arrivepasàmeprojeteraussiloin.Aprèstout,qu’est-cequim’attend?Letribunal?Monpère?Lafac?Callie?Peut-êtrerien.Jefermemonsacetglisselabandoulièresurmonépaule.Cen’estpaslemomentdepenseràl’avenir.
Ilfautdéjàquej’arriveàpassercetteporteetàmarcherjusqu’àlavoiture.Mamèreetl’infirmièreontdisparu.Jesuisàmi-cheminentrelelitetlaportequandelleentredansma
chambre.Unejoliecréatureauxyeuxbleusetauxcheveuxbruns.Elleal’airpluspetitequeladernièrefoisquejel’aivue.Elleaperdudupoidsetelleadescernessouslesyeux.—Callie?Jelaissetombermonsacparterre.Sonregardseposesurlebandageàmonpoignet.Elleal’airtriste.—Salut,Kayden.
Elles’estattachélescheveuxetquelquesmèchesencadrentsonvisage.J’aienviedesourire,maisjen’yarrivepas.—Qu’est-cequetufaislà?Ellesemblechoquéeparmaréaction.—On…Onestvenustechercher.JecroyaisqueLuket’avaitprévenu.—Oui,maistoi?Tun’asrienàfaireici,Callie.C’estcommesijeluiavaisdonnéunegifle.Jesaisquec’estméchant,maisc’estplusfortquemoi.Je
nepensaispasqu’elleviendrait.Jeneveuxpasqu’ellemevoiedanscetétat.Elleavanced’unpas.Jeserrelespoingspourmeretenirdelatoucher,depasserunemaindansses
cheveux,del’embrasser…—LukeetSethveulentqu’onparteenweek-end.—Enweek-end?Callieneméritepasd’êtreici,devantunmecquis’esttailladélespoignetsetquiafaillilaisserson
pèreletuer.Jeramassemonsacetjeleremetssurmonépaule.—Écoute,Callie…Jenepeuxpaspartirenweek-endavectoi.Jesensmonpoulssouslebandageetjemeconcentrelà-dessus,plutôtquesurleslarmesquimenacent
decouler.—Jenepeuxrienfaireavectoipourl’instant,d’accord?Onenreparleraplustard.C’estlachoselaplusstupidequej’aiejamaisdite,maisc’étaitnécessaire.Callieméritemieuxquemoi.
Callie
J’attendsdevantsachambre.LamèredeKaydennousadevancés.J’entendssavoixdel’autrecôtédelaporte.Jerefused’entrertantqu’elleestlà.J’aipassédesjoursàimaginernosretrouvailles.Jemedemandesijesuiscapabledeparler.Jenesais
mêmepasquoiluidire.Contentequetuaillesbien?Désolée?Merci?Lecouloirestbondé.Levacarmeetl’agitationambiantsnem’aidentpasàmecalmer.—Tuveuxunseau?medemandeSeth.Ondiraitquetuvasvomir.IlattendàcôtédeLuke,lesbrascroisésetleregardinquiet.—Nonmerci.Etjenepensepasqu’ilyaitbeaucoupdeseauxdanslecoin.Celalefaitsourire.—Arrêtedetefairedusouci,Callie.Kaydenn’apaschangé.Etilabesoindetoi.—Jesais.Moiaussi,jecroiselesbrassurmapoitrinemaisjelesdécroiseaussitôt,incapabledetenirenplace.
Sethmeprendparlesépaulespourmeréconforter.—Respireungrandcoup.Çavaaller.
J’inspireparlenezetj’expireparlabouche.Laportes’ouvreetMaciOwenssurgitdanslecouloir.Ondiraitqu’elles’apprêteàsortiraurestaurant:eye-liner,rougeàlèvres,chignon.Elleporteunerobebleumarineetdestalonsnoirs.Elleasonportableàlamainetunepairedegantsdansl’autre.Ellen’al’airnigênéenitriste.Ellefaitminedenepasm’avoirvue.Sestalonsclaquentsur le linoetuneinfirmièreluiemboîte le
pas.Jelessuisduregardjusqu’àcequ’ellesdisparaissentauboutducouloir.Sethmedonneuncoupdecoudeetmemontrelaportedudoigt.—Qu’est-cequetuattends?J’hésite.JetournelatêteversLuke.—Vas-yenpremier.—Non.C’esttoiqu’ilaenviedevoir.Je ne sais pas s’il a raison,mais j’obéis. Je retiensmon souffle en poussant la porte. Je balaie la
chambreduregard.Lesmurssontblancsetlesolestdansunsaleétat.Kaydenestplantédevantmoiavecunsacsurl’épaule.Jem’attendaisàlevoirallongédanssonlit,faibleetvulnérable.Ilestplusgrandquedansmessouvenirs,etjedoisleverlatêtepourleregarderdanslesyeux.Ilestmalcoifféetmalrasé.Ses cheveux recouvrent sesoreilles et cachent sesbeauxyeuxverts. Il aunenouvelle cicatrice sur lajoue,unbandageetdesélastiquesaupoignet.—Callie?Illaissetombersonsacparterre.Ilsembleàlafoissurprisettristedemevoir.—Salut,Kayden.C’estridicule,maisc’estlapremièrechosequimevient.Ilesquisseunsourirequidisparaîtaussivite
qu’ilestarrivé.Jemedemandemêmesijenel’aipasinventé.—Qu’est-cequetufaislà?Jenesaispasquoirépondre.Ilmebriselecœur.Jeluiparledel’idéedeSethetdeLuke.Ilrépond
qu’ilnepeutpasvenir.Puisils’envasanscroisermonregard.Jemeretrouveseuledanssachambre,incapabledebougerouderespirer.Seth finit par me rejoindre. Il approche de moi avec prudence. Je jette un œil à mes ongles, me
demandants’ilapeurquejenelegriffe,commelapremièrefoisqu’ilaessayédem’approcher.Ilenfouitlesmainsdanssespoches.—Prêteàmangerdescrêpes?Il neme pose pas d’autre question, et je lui en suis reconnaissante. Il passe un bras autour demes
épaulesetmeguidejusqu’àlavoiture.
*
Le café est bondé, rempli de clients qui dégustent leur petit-déjeuner en famille ou entre amis.Destintements de couverts et des effluves de café s’échappent de la cuisine. Luke est au bar, en train dedragueruneserveuse.Jemedemandes’il lefaitexprès,poursechanger les idées.Après ledépartdeKayden, ilaessayédelerattraper,mais ilestrevenuencolère.Ilnenousapasracontécequis’était
passé.Sethpointesafourchetteversmoi.—Ilfautajouterçaàlaliste,Callie.Jeregardemonassietteàlaquellej’aiàpeinetouché.—Quoi?Mangerdescrêpes?—Non.Segaverdecrêpes.Jeversedusiropàlafraisesurlesmiennes.—Çaneméritepasuneplacedansnotreliste.—Biensûrquesi!Ondevrait toussegaverdecrêpesaumoinsunefoisdansnotrevie.C’est trop
bon.Ilavaleunebouchéeetfermelesyeuxensoupirantdeplaisir.—Jepensequejeviensd’avoirunorgasme.J’éclatederire.Ilmefaitunclind’œil.Ilal’airfierdem’avoirfaitréagir.C’estlapremièrefoisque
jesourisdepuisledépartdeKayden.Sethattrapeuneservietteenboutdetable.Ilaspireunegorgéedelaitavecsapaille,reposeleverre,
s’essuielaboucheets’enfoncedanslabanquette.Ilmeregarded’unairsérieuxtandisquejemâcheunmorceaudecrêpe.—Qu’est-cequ’ilya?Ilhausselesépaules.—Tuneveuxpasdiscuterdecequis’estpassé?—AvecKayden?Ilhochelatête.Jetendslamainversl’assiettedebeurreposéeentrelepaingrilléetlebolremplide
barquettesdeconfiture.—Iln’yarienàdire.Jen’aipassum’yprendre.C’esttout.—Tu avais les larmes aux yeux,Callie. EtKayden était triste en sortant. Il est quasiment parti en
courant.J’étalelebeurresurmescrêpes.Ilfondetsemélangeaveclesiroprose.—Jesuisalléetropvite.Jeluiaiparlédevotreidéedeweek-end.Ilapaniqué.Sethposesescoudessurlatable.—Jenecomprendspasqu’ilpréfèrerentrerchezsesparents.Tunetrouvespasçabizarre,toi?—Iln’estpeut-êtrepasencoreprêtàm’avouerlavérité.—Tuparlesdeluioudetoi?—Jenesaisplus.J’écrasemescrêpesavecmafourchette.Jemedemandecequiluiestpasséparlatête.Jecomprends
queKaydenaitpeurdesonpère,maispasdemoi.—Ilavaitdesélastiquesaupoignet.Est-cequetusaisàquoiilsservent?Sethn’apas le tempsde répondre.La serveusenous apporte l’addition.Elle est blonde et porte le
même uniforme rose que ses collègues : robe rose et chaussures roses. Elle enroule une mèche de
cheveuxautourdesonindexenmâchantsonchewing-gum.Sethattrapesonportefeuilledanssapoche.Elleluifaitungrandsourireetparlecommeunrobot:—J’espèrequelerepasvousapluetquevousreviendreznousrendrevisite.—Voscrêpessontdélicieuses,maisjenepensepasquejereviendrai.Jen’habitepasdanslecoin.C’estsamanièreà luideluifairecomprendrequ’iln’estpas intéressé.Ellegrimaceenattrapantsa
cartebancaire.—Dommage.Ellemelanceunregardnoiretrepartendirectiondubar.Sethposesonportefeuillesurlatable.—Jenecomprendspaslesfilles.Ellescherchenttoutesl’amouraumauvaisendroit.Jefinismonjusd’orange.—Jeterappellequejesuisunefille,moiaussi.Illèvelesyeuxauciel.—Jesais,maiscen’estpaspareil.Kaydenettoi,vousêtesfaitsl’unpourl’autre.Ilfautjustequetu
apprennesàl’apprivoiser.D’ailleurs,c’estquoi,cettehistoired’élastiques?—Kaydenenavaitplusieursaupoignet,ducôtédesonbandage.Sethfroncelessourcilsenattrapantsonportable.—Qu’est-cequetufais?—Donne-moideuxminutes.Jedéposeunpourboiresurlatable.Notreserveuseestentraindediscuteravecsacollèguederrièrele
bar.Ellesmefusillentduregard.Jem’enfoncedanslabanquette.—Laserveusecroitqu’onestensemble.Sethjetteunœilverselle,hausselesépaulesetretourneàsonécran.—Sic’estlecas,ellen’auraitpasdûmedraguer.—Tuasraison.Jetournelatêteverslafenêtre.Leparkingestrecouvertd’unmanteaublanc.Laneigescintille,pureet
innocente sous le soleil.Envérité, elle estmeurtrière : chaque année, les routes enneigées volent desvies.Sethdonneuncoupdepoingsurlatableetmetiredemarêverie.—Jesavaisquej’avaisdéjàentenduçaquelquepart!s’écrie-t-ilenrangeantsonportable.Jesaisà
quoiserventlesélastiques.—Dis-moi.Ilprendmamaindanslasienne.—C’estuntraitementpouraiderlesgensquis’automutilent.MêmesijecommençaisàmedouterqueKaydensefaisaitdumal,laréalitémechoque.Ellemecoupe
lesouffle.Jeretiremamaindelasienneetjecroiselesbras.—Jenemesenspasbien.—Calme-toi,Callie.Çavaaller.—Ilfautquej’ailleauxtoilettes.
Jemelèveetjetraverselecaféencourant.Jebousculeuneserveuse.Ellerenversesonplateau,maisjen’aipasletempsdem’excuser.Lukemeregardepasserdevantlebar.—Callie?Qu’est-cequisepasse?Jenerépondspas.Ilfautquejesorted’ici.Toutdesuite.J’aibesoindemedébarrasserdesémotions
quimebrûlentl’estomac.Jepousselaportedestoilettesetjemeprécipitedanslacabinelaplusproche.Justeavantd’enfoncer
ledoigtdansmagorge,jerepenseàKayden.Jelerevoisallongéparterre.Seul.Kaydenabesoind’aide.Ilabesoindequelqu’unàsescôtés.Toutàcoup,jecomprendscequejedois
faire.C’estaussiviolentqu’unegifle.Pourl’aider,ilfautquejedévoilemonsecretàmafamille.Ilfautquejesoisforte.J’enlèveledoigtde
mabouche.Jetrembleetjesuisensueur.Jem’assoisparterreetj’appuielatêtecontrelemur.Jenemesenspasmieux,maisc’estpournotrebienàtouslesdeux.
Callie
Mamère porte un tablier blanc sur une robe fleurie. Elle s’affaire dans la cuisine, entre la pâte àcrêpesetlesœufsauplat.Lapiècesentbonlacannelle.Onsecroiraitdanslesannéessoixante.C’estlapremièrefoisqu’ellerencontreSeth.Elleluitendlamain,qu’ilserreavecpolitesse.—Raviedeterencontrer,Seth.—Moiaussi.Jesuistrèsimpressionnéparladécoration.IlmontredudoigtlesguirlandesquipendentauplafondetlesfigurinesderennesetdePèresNoëlqui
recouvrentlesétagères.Mamèreretournelesœufsdanslapoêle.—J’adoreNoël.Ettoi?—Pasvraiment.J’ignoreleurconversation.Jem’assoisàcôtédeSethenrépondantàunmessagedeLuke.
Luke:Tuasdesnouvelles?Moi:Non…ettoi?Luke:Non,maisjesuispasséchezlui.Moi:Et…?Luke:C’estsonfrèrequim’aouvert.Ilm’aditqu’ilnel’avaitpasvu.Jepensequ’ilétaitbourré.Moi:Ilnerépondpasàmesmessages.Luke:Jesuissûrqu’ilvabien.Ilajustebesoindetempspourréglersesproblèmes.
Réglersesproblèmestoutseul,danscettemaison?Impossible.—Callie?Tum’écoutes?Jelèvelenezdemonportable.MamèreetSethont lesyeuxrivéssurmoi.Sethfroncelessourcils
derrièreseslunettescarrées–iln’apasbesoindelunettes,illesportepourlestyle.—Toutvabien?—Oui.—Àquiécris-tu?medemandemamère.—Àpersonne.Jeverrouille l’écranetpose leportable sur la table.Mamère lâche le fouet sur leplande travail,
l’éclaboussantdepâteàcrêpes.—Nemedispasquetuétaisentraind’écrireàKayden!Combiendefoisfaut-ilqueje te ledise,
Callie?Jet’interdisderesterencontactaveclui.Pasaprèscequ’ilafaitsubiràCaleb.Sethmeregarded’unairahuri.Jehausselesépaulesetmeretiensdepleurer.—Cen’étaitpasKayden,maman.—EtCallieestassezgrandepourparleràquielleveut.Votrefillesaitcequ’ellefait,elle.C’estofficiel:mamèreetSethnes’entendrontjamais.Ellen’apascompriscequ’ilsous-entendait,
maisletonqu’ilaemployéasuffiàlasecouer.Mamèreadécidéqu’ellenel’aimaitpas,etellem’enfaitpartcinqminutesplustard,quandelledemandeàmeparlerseuleàseule.—Quelgarçonmalélevé!Est-cequ’ilparlecommeçaàsamère?—Ilneparlepasàsamère.Voilàquiclôtlaconversation.Désormais,jeferaitoutpourqueSethetmamèreneseretrouventpas
dans la même pièce. Seth ne pourra pas s’empêcher de la rembarrer si elle dit n’importe quoi. Leproblème,c’estquemamèredittoutletempsn’importequoi.
*
CelafaitunesemainequenoussommesarrivésàAfton.Sethetmoipassonsnosmatinéesaucafé,nonseulementparcequeSethveutmangerdescrêpestouslesjours,maisaussipourévitermamère.Letempss’écouleauralenti.Lesheuresetlesjournéesmesemblentinterminables.Noëlapprocheet
mamèremeforceàpasserdutempsavecelledanslesmagasinsetàemballerlescadeaux.Chaquefoisqu’elleparledeCaleb,jem’envais.Unjour,jel’aiabandonnéeaucentrecommercialetilafalluqueLukeviennemechercher.Jeversedusiropsurlamontagnedecrêpesquimefaitface.—Jen’aipasfaim,Seth.Jepensequejefaisuneoverdosedecrêpes.Ilbeurreses tartineset lesrecouvredeconfituredefraises. Ilporteunhautbleuet ila lescheveux
humides.Ilaprisunedouchejusteavantdepartir.—Tun’étaispasobligéedecommanderdescrêpes,dit-ilenposantsoncouteausurlatable.—C’esttoiquilesascommandéespendantquej’étaisauxtoilettes.
J’attrapeunsachetdesucre.Ilcroquedanssatartine.Desmiettesluitombentdessus.Illesflanqueparterred’unreversdelamain.—Ondevraitmangerdescrêpestouslesjoursjusqu’àlarentrée.Jegrimaceenregardantlesmiennes.Ellessenoientdansuneflaquedesirop.—Tuenessûr?—Quandjedisquelquechoseàvoixhaute,c’estquej’ensuissûr.Ilpose la tartinesursonassiette.J’aienviederireparcequeSethn’est jamaissûrderien.Comme
moi.Commetoutlemonde.—OK,Seth.J’accepteledéfi.Maistuasintérêtàt’occuperdemoisijefaisunecrisedefoie.—Promis.Nouséclatonsderireet,pendantuncourtinstant,c’estcommesiSethetmoiétionsseulsaumonde.Jusqu’àcequelaportes’ouvre.Kayden entre dans le café. Il porte sonmanteau, un vieux jean troué et ses bottes noires. Il a des
floconsdeneigedanslescheveux.Lesguirlandesquiclignotentsurlavitrinesereflètentdanssesyeux.Ilnemevoitpas.Ilmarchejusqu’aubar,oùlaserveuselaplusâgéel’accueille.Ellealescheveuxgris,remontés sous un filet.Quelques clients le regardent de travers.Des rumeurs terribles circulent à sonsujet.J’aienviedeleurhurlerlavérité.Sethmedévisaged’unairinquiet.—Qu’est-cequ’ilya,Callie?Ilsuitmonregard.—Ah…Moncorpsnem’appartientplus.Jemelève.Kaydentournelatêteversmoi.Ilcroiselesbrassurson
torse.Laserveuseluitendunsacàemporter.J’aibesoindeluiparler.—Jereviens.Sethmerattrapeparlamanche.—Faisattention.Jehochelatête,maisjenesaispass’ilparledeKaydenoudemoi.Jemefaufileparmilestablesen
serrant les coudes.Kayden a payé la serveuse. Il glisse sonportefeuille dans la pochede son jean etattrapedesserviettesàcôtédelacaisseenévitantmonregard.—Salut,Kayden.—Salut.Ilenfoncelesserviettesdanslesacenplastique.Jerespirelentementpourmecalmer.—Je…Commentvas-tu?—Bien.—Tantmieux.Magorgeseserre.Jemanqued’air.Jenesaispasquoiluidire.Ilsedirigeverslaporte.—Kayden…Attends!
Ilnem’écoutepas.Jesaisquejedevraislelaissertranquille,maisc’estplusfortquemoi.Jeluicoursaprèsàtraversleparking.IlouvrelaportièredelaMercedesnoiredesamère.—Est-cequetuveuxenparler?Ilmeregardepar-dessusletoit.—Ilfautquej’yaille,Callie.J’aidestrucsàfaire.Jecontourne lavoitureenpiétinantdans laneigeet lesflaques.Jesuisen tee-shirtet l’eautraverse
meschaussures.Jetrembledefroid.—Tuesderetourcheztesparents?Iljettelesaccôtépassager.—Oui.Oùvoulais-tuquej’aille?—Chezmoi.—Tuplaisantes?Tamèren’accepteraitjamais…—Jemefichedecequepensemamère.—Jenepeuxpas,Callie.Pasaprèscequis’estpassé.Ilsepenchepours’installerderrièrelevolant.—Non…Net’envapas!Jefaisletourdelavoitureetj’ouvrelaportièrecôtépassager.Jeveuxl’aider.Ilfautquejetrouveune
solution.Jepousselesac,jem’assoisetjefermelaportière.LeparfumdeKaydenembaumelavoiture.Ils’installeetplongesonregarddanslemien.Sesyeuxsontdénuésd’émotion.Vides.—Neretournepascheztesparents.S’ilteplaît.—Jenesuisjamaisvraimentparti,Callie.Etpuis,monpèren’estpaslà.—Ahbon?Ilmetlemoteurenmarcheetsemordlalèvreenfixantl’entrepôtdel’autrecôtéduparking.—Ilestenvoyaged’affaires.J’aimeraissavoirsisonpèreestcoupable.J’hésiteàluiposerlaquestion.—Est-cequec’estluiqui…—Ilfautquej’yaille,Callie.Ilmelanceunregardnoir.J’aienviedepleurer.—Kayden…Parle-moi.S’ilteplaît.Ils’agrippeauvolant.Sarespirationestsaccadée.J’entendspresquelesbattementsdesoncœur.Jeposeuncoudesurletableaudebordetunemainsursajoue.Iltressaillemaisnemequittepasdes
yeux.Jenesaispascommentm’yprendre.J’aimeraisjustel’atteindre,d’unemanièreoud’uneautre.—Tupeuxtoutmedire,Kayden.Tulesais.Jecomprendrai.Jeluicaresselajoue.Ilnes’esttoujourspasrasé.—S’ilteplaît…—Je…Jenepeuxpas.—Biensûrquesi.Jepeuxt’aider.
Commetum’asaidée.Sonsoufflechatouillemajoue.—Callie,je…Ilapprochesonvisageetécraseseslèvressurlesmiennes.J’ouvrelaboucheetlaissesalangues’y
glisser.Jem’accrocheàsontee-shirtetilposeunemainsurmanuque,m’attirantverslui,m’embrassantavecpassioneturgence,explorantmaboucheavecsalangue.J’aimeraisquecebaiserduredesheures.Jeneveuxpasqu’ilm’échappe.J’aibesoindelui.Ils’écartedemoiencrispantlesmâchoires.Ondiraitqu’ilestsurlepointdepleurer.—Va-t’en,Callie.Jesuisdésolé.Jenepeuxpasêtreavectoi.Son rejet est brutal. Jeme revois au lycée, à l’époque où jeme sentais transparente, rongée par la
honte.«Personneneveutdetoi!»ahurléDaisyMcMillianenmecroisantdanslecouloir.Jesuispartieencourant,montasdelivresserrécontremoi.Jemesuiscachéesouslestribunesdu
terraindefoot,àl’abridesregards.J’aienfoncéundoigtdansmagorgeetvomimondéjeuner.Jemesuis assise par terre et j’ai regardé l’entraînement de foot sous les gradins, rêvant de rester là, àl’abri,pourlerestantdemesjours.Jesorsdelavoitureetclaquelaportièrederrièremoi.Kaydensedirigeverslasortie.J’aienviedele
suivre,maisjeluitourneledosetj’entredanslecafé,épaulescourbéesettêtebaissée.
Kayden
Jem’en veux plus que jamais. J’ai osé repousser la fille la plus triste et la plus généreuse que jeconnaisse.Jejetteunœildansmonrétroviseur.Ellemeregardesortirduparking,souslaneigeetdanslefroid.C’estpoursonbien.Voilàcequ’ilfautquejemerépète.Unjour,elleserasoulagéedeneplusm’avoir
danssavie.Deneplusavoiràportermonfardeauetmesproblèmes.Je remonte l’avenue.Laneige fondue éclabousse le pare-brise.Moncœurbat tropvite.L’odeurde
Calliemecolleàlapeau.J’avaisoubliéàquelpointellesentaitbon.Jen’auraisjamaisdûsortirdelamaison,maismamèreatropbuetelleavaitenviedecrêpes.J’ai
refusédelalaisserconduiredanscetétatetj’ysuisalléàsaplace.Mauvaiseidée.Lavilleentièreestcontremoi.EtCalliequiessaiedem’aider…J’aipresqueenviedefairedemi-tour.Jen’aipasledroitdelaissersortirmesémotions.Jen’aiaucun
moyendelesfairetaire.Jenemesenspascapabledelesaffronter.Mesyeuxs’emplissentdelarmesetj’aidumalàvoirlaroute.Toutestblancetglissant.Ilfautquejedéfasselenœuddansmapoitrine.Jetendslamainverslaboîteàgants,espérantquema
mèreyaura laisséquelquechosede tranchant. Jegardeunœil sur la route touten fouillantparmi sesaffaires.Untasdepapiers,untubederougeàlèvresetdudésodorisant.Riend’autre.—Merde!Je donne un coup de poing sur le tableau de bord. Enme redressant, j’aperçois une voiture bleue
arrêtéeaumilieudelaroute.Unnuagedefuméenoires’échappedesonpot.
J’appuie sur le frein.Les pneus dérapent sur la neige. Je perds le contrôle de laMercedes, et elles’arrêteàmoinsd’unmètreduvéhiculeenpanne.Jeposemonfrontsurlevolant.Jenemaîtriseplusmesémotions.Ellesvontfinirparmetuer.Jenesaispassicetteidéemefaitpeuroumesoulage.
Kayden
Je suis énervé, triste, frustré, et je ressens tout un tas d’émotionsque je suis incapable d’identifier.Callieaessayédem’appeleretdem’envoyerdesmessages,maisjenerépondspas.Jemesenspiégédanscettemaison.C’estdéprimant.Hier,c’étaitNoël.Cheznous,c’estunejournéecommeuneautre.Mamèreacachétouslescouteauxetlesrasoirs.Jenesaispassic’estpourmeprotégermoioupour
protégermonpère.Tyler,mongrandfrère,aperdusonboulotetsamaison.Ildortdanslesous-sol,làoùnousnouscachionsquandnousétionsgamins.Ilboitautantquemamère.J’entredanslacuisineetjemedirigeversleplacard.Mamèreestàtable,entraindeboireuncafé.Il
esttôtmaiselleestdéjàcoiffée,habilléeetmaquillée.Ilyaunmagazineetunebouteilledevinàmoitiévidedevantelle.—J’aiunebonnenouvelle,Kayden.—Ahbon?—Calebettonpèresesontmisd’accord.TonpèreluiapromisdixmilledollarsetCalebaaccepté
denepasporterplainte.—C’estlégal?—Peuimporte.J’ouvreleplacardetj’attrapeunpaquetdePop-Tarts.—Qu’est-cequivousditqu’ilneporterapasplainteunefoisquevousl’aurezpayé?— Arrête de chercher la petite bête, Kayden. Ton père s’en charge. Tu devrais lui en être
reconnaissant.—Reconnaissant?Jemontremablessuredudoigt.Mamèregrimaceenapprochantsatassedecafédesabouche.—C’esttoiquit’esblessé,Kayden.Arrêtederejeterlafautesurlesautres.
Jeclaquelaporteduplacard.Mamèresursaute.—Tusaisquec’estfaux!Tuconnaislavérité!Elleposesatasseetfeuillettesonmagazine.—Toutcequejesais,c’estquetut’eslacérélesbrasetquetonpèreétaitabsentcesoir-là.—Arrêtedediredesconneries,maman.Elledonneuncoupdepoingsurlatable.—KaydenOwens!Jerefused’avoircetteconversationavectoi!Cequiestfaitestfait.Maintenant,il
esttempsdepasseràautrechose.Jem’appuiecontrelemeubleetjem’agrippeaurebord.—Jenecomprendspaspourquoituprendssadéfense.Cesonttesenfantsquetudevraisprotéger.Pas
lui.Elleselève,attrapesonmagazineetsoncaféetsedirigeverslaporte.—Tusaiscequeçafait,degrandirtellementpauvrequetamèredoitfaireletapinpourtepayerune
vieillepairedechaussures?C’estlapremièrefoisquemamèremeparledesonenfance.Jenem’yattendaispas.—Non,maisjepréfèreporterdesvieilleschaussuresquedemefairetabassertouslesjours.Ellemejettelatasseàlafigure.Jel’esquiveàtempsetelles’écrasecontrelemur.—Tuneterendspascomptedelachancequetuas!Je ne l’ai jamais vue dans un état pareil. Elle tremble de colère. Nous regardons les éclats de
porcelainequirecouvrentlecarrelage.Lafureurdanssesyeuxsedissipepeuàpeu.Ellepasseunemaindanssescheveux,sortdelacuisineetmelaissenettoyerderrièreelle.Jerécupèrelebalaidanslecagibi,jepousselesdébrisdanslapelleetjelesjetteàlapoubelle.Un
guidedeParisetunguidedePortoRicotraînentaumilieudesdéchets.Jemedemandesic’estlà-basquemonpèreestparti.Sic’estlecas,celaressembledavantageàdesvacancesqu’àunvoyaged’affaires.Enrangeantlebalai,jerepenseàlaviolencedecesoir-là.J’aipeurdel’inconnu.Commentreprendre
unevienormaleaprèsavoirfrôlélamort?Etpuis,mamèreabeaupenserqueCalebsetaira,j’aidesdoutes.Jeneseraispassurprisqu’ilporteplaintemalgréleuraccord.J’aibesoindecalme.Jedescendsausous-sol,jem’installedansunfauteuiletjesorsmonportablede
ma poche. J’ai envie d’appeler Callie. Je sais qu’elle est capable de m’aider, de m’apporter desréponses,demeredonnerl’enviedevivre.—Salut,mec.Tylerentredanslapièceetfaitclaquerlaportederrièrelui.Ilaunsacenpapieràlamain.Ilensort
unebouteilledevodka,boitunegorgéeets’essuielaboucheavecsamanche.Ilmelatend.Jerefuse.Jerangemonportable,prenantsonarrivéecommeunsignepournepasappelerCallie.Ils’affaledanslecanapéencuirenfacedemoi.Tylerfaitvingtansdeplusquesonâge.Seshabits
sontsalesetusés.Illuimanqueunedent,qu’ilditavoirperduedansunebagarre.Ilalescheveuxcourtsetdégarnisetilempestelacigaretteetl’alcool.Jemedemandes’ilsedrogue.Ilposelespiedssurlatable.Unedeseschaussuresesttrouée.—Tucomptesrestericilongtemps?
—Aucuneidée,dis-jeenallumantlatélé.ToutdépenddeCaleb.Ilboitunegorgéedevodkaetposelabouteillesurlatable.—Qu’est-cequit’apris,mec?Jepassed’unechaîneàuneautre.Jen’aipasenviedediscuteravecluiquandilestbourré.Jesais
qu’ilnesesouviendraderien.Jeluienveuxdem’avoirabandonnéavecnosparentsetdeseretrouverdansunétatpareil.—C’estlavie.Iléclatederire.—Casserlagueuleàquelqu’un?C’estça,lavie?Jefaiscraquermesdoigts.Jemeretiensd’écrasermonpoingsurlatable.—C’étaitlanôtre,Tyler.Etjeluiaicassélenezetquelquesdents.Riendeplus.—Qu’est-cequ’ilt’afait?Jepensaisquec’étaitunmecbien.—Calebestunmecminable.Ilméritelaprison.Jen’aiplusenvied’enparler.JemelèveetTylermesuitduregard.Sesyeuxsontinjectésdesang.—Ilparaîtqu’ilaperduconnaissance.C’estvrai?—Non.Ilafaitsemblant.Sonvisageétaitbleucommeunemyrtille,maisilétaitconscientquandlapolicem’aembarqué.Après
mondépart,Calebajouélacomédie.Jesorsdelamaison.Jen’aipasdemanteausurmoi,seulementmonsweatshirt,maislefroidmefait
dubien.Jetraverselacourgelée.Lesdeuxvoituresontdisparudel’allée,maislamotoesttoujoursdanslegarage,aveclaclédessus.Jepasseunemainsurlesiègeencuiretjerepenseàladernièrefoisquejel’aiconduite.Ce jour-là, j’aiessayédesauterd’unecolline.Je l’aibienamochée.Ellen’estpas faitepourcegenredecascade,maisjevoulaisfrimerdevantdesfilles.J’aidérapéetjemesuiséraflétoutlecôté.Jemonte sur lamoto, je tourne laclédans lecontactet je fais ronfler lemoteur.Elleprendvieet,
pendantuninstant,moiaussi.Jelâchelefreinetjesorsdugarage.Larouteestdégagée.J’ignorelefroid.J’aibesoindevoirautrechose.D’allerailleurs.N’importeoùsaufici.
Callie
Je n’arrête pas d’envoyer desmessages àKayden. J’aimême essayé de l’appeler,mais j’éclate ensanglots chaque fois que je tombe sur samessagerie. Je repense à son regard, à sa colère. Seth lui aenvoyédestextos,maisilneluirépondpasnonplus.Jenesupportepasdelesavoirdanscettemaison,avecsafamille,rongéparlesilence.Jenesupportepluslesilence.J’aimeraisqueKaydenetmoisoyonsenfincapablesdedirelavérité.Denouslibérerdespoidsquenoustraînonsdepuistantd’années.Sethetmoipassonsnotretempsloindelamaison,surlarouteouaucafé.N’importequoipouréviter
mamère.Ellen’estpasméchante,maisellenepeutpass’empêcherdemeparlerdeCalebetdemonfrère.Hier,lejourdeNoël,ellenousaforcésàresteràlamaison.Toutsepassaitbienjusqu’àcequ’ellesemetteàcritiquerSethdanssondos.
—Jen’aimepassonattitude,Callie.Jeletrouveinsolent.—Jenet’aijamaisdemandédel’aimer,maman.C’estmonmeilleurami.Pasletien.Ellel’amalprisetelles’estmiseàmefairelaleçon,àmereprocherd’avoirchangé,deneplusêtre
lapetitefillesagequ’elleaimaittant…—Àquoitupenses?medemandeSeth.Noussommesdansmachambre.Sethestallongésurlelit,entraindefeuilleterunmagazine,pendant
quejemedéfoulesurunpunching-ball.Monpèrel’amontédansmachambreilyaquelquesjours.MamèreleluiaoffertàNoëlpourqu’il«seremetteenforme».Jejetteunœilparlafenêtre.Ilfaitbeau,lesoleilfaitfondrelaneigeetsereflètedanslesolverglacé.
C’estjolimaisjesaisque,dèsquejemettrailepieddehors,lefroidetlaneigeperdrontleurattrait.—Tufaisunetêtebizarre…Ondiraitquetuasenviedetuerquelqu’un.—Jeréfléchis.—Àquoi?—Àlamétéo.Jedonneuncoupdepoingdanslepunching-ball.Ilremueàpeine.Desgouttesdesueurdévalentmon
dos.Desmèchess’échappentdemaqueue-de-cheval.Sethlèvelenezdesonmagazine.—Àlamétéo?Jedonneunderniercoupdepieddanslepunching-ball.Àboutdesouffle,jelerejoinssurlelit.—Oui.J’aimefairelelienentrelamétéoetnosvies.—Tuesbizarre.Jeglissemespiedssouslacouverture.—Onmel’adéjàdit.Il me dévisage en soupirant. Je suis encore en pyjama, je ne suis pas maquillée et je sens la
transpiration.—Est-cequetuasl’intentionderestercommeçatoutelajournée?J’aienviedesortir,moi.—Sortiroù?—N’importeoù.Loind’ici.—Tuenasmarred’Afton.Ilsecouelatêteetretourneàsonmagazine.—Non,maisj’enaimarredecettechambre,etj’enaimarredetevoirdanscetétat.C’estdéprimant.
Tun’espluslamêmedepuisquetuasvuKaydenaucafé.Illèvelatêteversmoi.Unemèchedecheveuxluitombedevantlesyeux,maisilneprendpaslapeine
del’écarter.Ondiraitqu’ilattendquelquechose.Jecroiselesbras.—Qu’est-cequ’ilya?—Tumecachesquelquechose,Callie.Jelesais.Tunem’aspastoutraconté.—N’importequoi…
Lavérité,c’estquej’aipeurdeluidécrirecequis’estpasséetcequejeressens.PeurdecequeSethenconclura.—Menteuse!Avouequetuneveuxpasm’enparler.Monvisagesedécompose.—Excuse-moi.C’esttropdur.Iljetteunœilverslereborddelafenêtre,oùj’ailaissémoncarnetetmonstylo.—Est-cequetuasessayédel’écrire?J’essuiemonfrontdureversdelamain.—Non,etjen’enaipasl’intention.Ilsemetàgenouxdevantmoi.—Tudevrais.Ça te feraitdubien.Tupourraismêmeécrireune lettreàKayden, luidireceque tu
ressens.—Jenepeuxpas.J’aipeurdecequisortira…etdesaréaction.Jem’allongesurledosetjefixeleplafond.Ilprendmamaindanslasienne.—Callie, s’il y a bien une chose qu’on a apprise tous les deux, c’est qu’il ne faut pas se laisser
dominerparlapeur.Ellenousempêchedevivre.—Jesais…—Ilfautquetumettesdesmotssurtesémotions.C’estplussainquedelesrefouler.Jemeconcentresurlebourdonnementduradiateur.—Seth,tueslapersonnelaplussenséequejeconnaisse.—Jesais.Jesourismalgrémoi.Peuimportecequiressortdeceque j’écrirai, j’auraiSethàmescôtés.Jene
seraipasseule.Pascommeavant.Je récupèremon carnet et jem’assois sur le lit,mon stylo à lamain, prête à noircir les pages des
sentimentsquej’aienfouisaufonddemoi.
*
Uneheureplus tard, jemesensbeaucoupmieux.Sethavait raison.JepassemontempsàécriredeschosessurKayden,maisjeneluiaijamaisécritdirectement.Unjour,sij’enailecourage,jelesluiferailire.Jesorsdugarageetjeremontel’allée,oùLukenousattenddanssonquatre-quatre.Sethm’adevancée.
Jel’entendsrirelorsqu’ilmontedanslavoiture.Lecielestbasetlevents’estlevé.Jesuisàmi-cheminentrelegarageetlevéhiculequandmonfrère
sortentrombedelamaison.Ilalescheveuxmouillés.Ilporteunmanteauvert,unjeanetdeschaussuresmontantesqu’iln’apaseuletempsdefermer.Seslacetstraînentdanslaneige.—Callie!Ilfautqu’onparle.
Jel’attendsenbasdesmarches.Jeremontemacapuchesurmatêteetj’enfouismesmainsdansmespoches.Leventmebrûlelesjoues.—Parlerdequoi?—Tun’aspashontedetrahirnotrefamille?—Jenetrahispersonne.Ilmontredudoigtlequatre-quatredeLuke.—Regardeavecquitutraînes.—Luke?—Oui.LemeilleuramideKayden.Jeluitourneledos,maisilmetireparlebrasetenfoncesesonglesdansmonmanteau.—LukeétaitavecluilesoiroùilatabasséCaleb.Iln’amêmepasessayédel’enempêcher!Jemedébatspouréchapperàsonemprise.—Lâche-moi,Jackson!Tumefaismal.Sonregardestaussifroidquelaneigesousmespieds.Ilmerelâcheensoupirantdefrustration.—Calebestmonmeilleurami,Callie.—Jeneveuxpasenparler.Jereculelelongdel’allée.Furieux,ilremontel’escalier.—Tuneveuxjamaisparlerderien!Tuestoutletempsdanstonmonde…—Parcequejen’aipaslechoix!Jecoursjusqu’àlavoiture.Jemesensmieuxdansmonmondequedanscettemaison.Ellecachedes
souvenirsquimedétruisentchaquefoisquejeposeunpiedàl’intérieur.Jerejoinslesgarçonsdanslequatre-quatre.J’enjambelesgenouxdeSeth,quin’aimepass’asseoirau
milieude labanquette. Jem’installe, j’attachemaceintureetLukefaitmarchearrière.Monfrèrenousregardepartir,lesmainsdanslespoches.—C’estquoi,sonproblème?medemandeSeth.—Rien.Ilestencolère.Jebaisselatête,j’inspireparlenezetjeretiensmeslarmes.Lachaleurduchauffagemecalme.Luke
roulesurlacongèreauboutdel’alléeets’engagedanslarueenneigée.Laradioestalluméeetlemoteurfaitdesbruitsbizarres.Lorsquenousarrivonsdanslecentre-ville,SethetLukesortentleurscigarettesetbaissentlesvitres.Ilfaitfroid,l’airestenfuméetjemesensmal.J’aimeraisêtrecapabledetoutavoueràmafamille.J’aimeraisentrerdanslamaisonlorsqu’ilssont
tousàtableetleurracontermonhistoire.J’aimeraisqu’ilsmeprennentdansleursbras,meconsolentetmerassurent.Maiscen’estqu’unrêve.C’estarrivéilyasixans,etchaquejourpassédansl’ombreetlesilencea
ajoutéunpoidssurmesépaules.Plusletempspasse,plusilseradifficiled’enparler,etpluslesgensaurontdumalàmecroire.Lukesegaredevantchez luiet jettesescendrespar lavitrebaissée.Uncoupdevent les renvoieà
l’intérieur.Elles s’étalent surmonmanteau. J’avaisdéjàvu samaison,mais jen’y suis jamais entrée.Elleestminuscule,avecuncrépivertquimériteraitd’êtrerefait.Lacourestrecouverted’unmètrede
neige.Ilyaunarbreaumilieuetunealléedégagéeetsaléequimèneàlaported’entrée.Aufond,jeneconnaisriendesavie.Jesaisjustequesesparentsontdivorcéquandilétaitpetitet
qu’ilaperdusasœur.Iléteintlemoteur,tiresurlacléetlaglissedanssapoche.—Mamèren’estpaslà.Dépêchons-nousavantqu’ellerevienne.—Qu’est-cequ’onfaitici?luidemandeSeth.Nousdétachonsnosceintures.Lukepasseunemaindanssescheveux.—Ons’organise.Sethetmoiéchangeonsunregard.—C’est-à-dire?—Onpartenvacances,répond-ilenouvrantsaportière.—Oùça?—N’importeoù.Loind’Afton.J’enaimarred’êtreici.C’estdéprimant.Lesgarçonssortentdelavoiture.Je jetteunœilendirectiondelamaisonet jemedemandeceque
Lukeaenviedefuir.Sethmetendlamain.Jel’accepte,maisjedérapesurlesolverglacé.Ilmeretientparlebras.—Est-cequetuasuneidéeentête?dis-jeàLuke.—J’espèrequec’estunendroitpascher,ajouteSeth.Jenesaispasvous,maislescadeauxdeNoël
m’ontruiné.—Menteur!dis-jeenclaquantlaportièrederrièremoi.Sethaachetésescadeauxàlasupérettedel’université.Jetripotelebraceletentocqu’ilm’aoffertet
labreloqueenformed’oursquiyestattachée.Ilm’aditquec’étaitpourmerappelerla«belleépoque».IlfaisaitréférenceàlafêteforaineoùKaydenetmoinoussommesembrasséspourlapremièrefois.Ilavaitgagnéunoursenpelucheetnousl’avionsdéguisépourluitrouverunefamilled’adoption.—Allez,Callie!Avouequetuadoresmoncadeau.IlmesouritetnoussuivonsLukejusquechezlui,brasdessus,brasdessous.Ilouvrelaporteetnous
laisseentrerenpremier.Àl’intérieur,delourdsrideauxrayésbloquentlalumière.Ilfaitnoirethumide.Danslesalon,lecanapéàcarreauxetletapissontrecouvertsdebâchesenplastique.Surlesétagères,des figurinesd’animauxsont rangéesparespèces.Desplantesdécorent les rebordsdes fenêtres.Ellessontorganiséespartailles,maisellessonttoutesmortes.Ilfaitaussifroidquedehors.Monsouffleformeunnuagequisemêleàlapoussière.—Pourquoitoutceplastique?s’étonneSeth.—Parcequemamèreestfolle.NoussortonsdusalonetremontonslecouloirderrièreLuke.Lesmurssontnus:pasdephotosnide
peintures. L’air est poussiéreux et j’ai dumal à respirer. Je ne me sens pas en sécurité. Au bout ducouloir,Lukeouvreuneporteetnousentronsdansunepièceaéréeetlumineuse.—Voilàmachambre.Jusqu’àaujourd’hui,Kaydenétaitleseulàyavoirmislespieds.Désolé.C’est
unvraitaudis.Jebalaielapièceduregard.Lelitestsoigneusementbordé.Ilyadesaffichescolléesauxmursetun
vieilordinateursurunbureau.Toutestpropreetrangé.Celan’arienàvoiraveclerestedelamaison.—Cen’estpasuntaudis.Elleesttrèsjolie.—C’estgentil,Callie.Iltapotelapocheavantdesavesteetensortsonpaquetdecigarettes.Illegardedanslamain,comme
pour se rassurer. Il retrousse sesmanches et allume l’ordinateur. Seth s’assoit sur le lit et croise lesjambes.Lematelasgrincesoussonpoids.—Ont’écoute.Dis-nouscequetumanigances.Lukene répondpas. Ilouvreunmoteurde rechercheet semetà flâner sur internet.Sethhausse les
épaulesetattrapesonportablepourécrireuntexto.J’examinelesaffichesetlesphotosaccrochéesauxmurs.Jeneconnaisnisamèrenisasœur,maisjelesdevinesurcertainsportraits.Jem’arrêtesurunephotodeluietKayden.Ilssontdeboutdevantunemotonoire.Ilsontl’airheureux.Pourtant,lamotoestamochéeetKaydenalebrasensang.—Pauvremoto!plaisanteLuke.J’aicruqu’ellefiniraitàlacasse.Jetournelatêteverslui.Ilestentraindem’observer,assissursachaise.—Jem’ensouviens,dis-jeenreportantmonattentionsurlaphoto.C’estl’annéeoùilaarrêtédejouer
pendantdessemainesàcausedesonbras.—Exact.Onaperdutroismatchsd’affilée.—Monpèreétaitfurieux.Ilenparlaitàtouslesrepas.—Çanem’étonnepas,dit-ilensouriant.ParlerdeKaydenmebriselecœur.—Ondevraitluirendrevisite.—C’estprévu,répondLukeenallumantl’imprimante.Ilfautjustequej’organisesonenlèvement.Sethetmoiréagissonsauquartdetour.—Sonenlèvement?crions-nousàl’unisson.Sethéclatederire.—J’aivraimentunemauvaiseinfluencesurtoi.Jefroncelessourcils.—Pourquoi?—Plusletempspasse,plustumeressembles.—Etalors?C’estuncompliment,venantdetapart.J’aimeraisêtredavantagecommetoi.Ilselève,rangesonportabledanssapocheetmeprenddanssesbrascommesij’étaislapersonnela
plusimportantedumonde.—Nechangejamais,CallieLawrence.Promets-le-moi.J’enroulemesbrasautourdesontorseetjeposelementonsursonépaule.—Promis.Lukeseraclelagorge.—Désolédevousinterrompre,maisj’aiuntrucàvousmontrer.Ilnoustendunefeuillequivientdesortirdel’imprimante.C’estunephotod’unepetitemaisonbleue
quidonnesurl’océan.Lesoleilsereflètedansl’eau.Sethexaminelaphoto.—Tuveuxnousemmeneràlaplage?Lukerassemblelerestedesespapiers.—MonpèreaunemaisondevacancesenCalifornie.Ilnel’utilisejamaisetj’aiundoubledesclés.—Tuveuxconduirejusqu’enCalifornie?Iléteintl’ordinateuretsedirigeverssonarmoire.—C’estseulementàdixheuresderoute.—Seulementdixheures?—Jenesuisjamaisalléeàlaplage.SethetLukemeregardentcommesij’étaisfolle.—C’estvrai.Mafamillen’ajamaisaimévoyager.Mesgrands-parentsviventenFloride.Chaquefois
qu’onleurrendaitvisite,mamèrerefusaitdevisiterlarégionetmonpèrepréféraitregarderlesportàlatélé.Lukesortdeschemisesdel’armoire.Ilenfaittombersurlamoquette,maisneprendpaslapeinede
lesramasser.—Raisondepluspouryaller.Iljettesesvêtementsdansungrandsacbleuqu’ilarécupérésurl’étagèreduhaut.Ilyajouteunshort
rayéetdessandalesavantdeleposersursonlit.—Combiendetemps?Ilfermesonsacenhaussantlesépaules.—Jusqu’àlarentrée.Inquiète,jetournelatêteversSeth.—Onn’ariendemieuxàfaire,Callie.Et,pourêtrehonnête,jenesupporteplustamère.—Jamaisellenemelaisserapartir.Elleveutquejesoisàlamaisonpourlenouvelan.—Danscecas,envoie-luiuntextoquandtuserassurlaroute.—Bonneidée.Ilmemontredudoigtensouriant.—Tuvois?J’aiunemauvaiseinfluencesurtoi,etj’ensuisfier.Lukemet son sac sur l’épaule,plie lespapiers enquatre et lesglissedans lapochede son jean. Il
attrapesescléssurlebureau.—Prêts?Allonscherchervosaffaires.—TupensesvraimentqueKaydenvoudraveniravecnous?Ladernièrefoisquejel’aivu,ilarefusé
demeparler.—Peuimporte.Ilfautlesortirdecettemaison.Etpuis,onvat’apprendreàêtreplus…convaincante.—On?—Sethetmoi.
Sethsouritetmefaitunclind’œil.Jelèvelesyeuxauciel.—J’aijustepeurdecompliquerlasituation.—Callie,jeconnaisKaydendepuisqu’onestgamins.Crois-moi,cettemaisonluifaitplusdemalque
debien.Ilseramieuxàlaplage,avecsesamis.—Situledis.Lavérité,c’estquej’aipeurdediren’importequoi,deluifairedumalsanslevouloir.Lukesortde lachambreetnous lesuivonsdans lecouloirpoussiéreux.Àpeineavons-nousposé le
piedsurlamoquettemarronquelaported’entrées’ouvre.Unevoixchantantebriselesilence:—Luke?—Merde…—Qu’est-cequ’ilya?Lukenemerépondpas. Il reste immobile,commepétrifié.Labandoulièredesonsacglissesurson
épaule.Ilseretourneetnousfaitsignedelesuivre.Nousrebroussonscheminjusqu’àsachambre.—Ilfautqu’onsorteparlafenêtre,murmure-t-ilenl’ouvrant.Uncourantd’airfroidpénètredanslachambre.Leventfaitdansermescheveuxetmepiquelesjoues.
Sethjetteunœildehors.Noussommesaurez-de-chaussée,maisunmonticuledeneigemontejusqu’àlafenêtre.—Tuesfou!Onvarestercoincés.LukerécupèresoniPodsurlebureau.—Çavaaller.Cen’estquedelaneige.—Luke!répètelamêmevoix.Jesaisquetueslà!Sorsdetacachette.Lukeal’air terrifié.Ilnoussupplieduregard.Jeconnaiscetteexpression.Jel’aidéjàvudansmon
proprereflet,etdanslesyeuxdeKayden.Sanshésiter,jepasseunejambepar-dessuslerebord.Sethmeretientparlebras.—Arrête,Callie.Tuvastefairemal!Je me débats et, avant qu’il n’ait le temps de me rattraper, je passe l’autre jambe et je saute. Je
m’enfoncedanslaneigejusqu’àlataille.Elletraversemeschaussuresetmonjean.Quelquessecondesplus tard,Luke atterrit à côtédemoi. Il dévale lemonticule en roulantpour éviter de s’y enfoncer. Illâchesonsacetmetendlamain.Iltiredetoutessesforcespourmedécoinceretjedescendslapentesurleventre.Monmanteauremonteetlaneigemebrûlelapeau.JeroulesurledosetjelèvelatêteversSeth,quin’apasencoresauté.Iljetteunœilderrièrelui.—Etlafenêtre?Lukeramassesonsac.—Laisse-laouverte.Ons’enfout.Sethpousseunsoupiretsaute.Ils’enfoncedanslaneige,luiaussi,maisilarriveàs’enextirper.Ilsort
unejambe,puisl’autre,etselaisseglisserjusqu’enbas.Il se relèveàcôtédemoi,àboutdesouffle.Lukedisparaîtaucoinde lamaisonens’allumantune
cigarette.—Qu’est-cequiluiapris?dis-jeenjetantunœilpar-dessusmonépaule.
—Jenesaispas.Jepensequec’étaitsamère.IlmeprendparlamainetnoustraversonslejardinenneigépourrejoindreLuke.Nousneluiposons
pasdequestion.Sethetmoiavonsl’habitudedessecrets.Quandilauraenvied’enparler,illefera.Nousnousdirigeonsverslavoiture,maisjem’arrêteaumilieudel’alléeverglacéeetlâchelamainde
Seth.Jen’encroispasmesyeux.Kaydenestlà.Devantlamotoquej’aivuesurlaphoto.—Kayden?Ilaleslèvresbleuesetilneportequ’unsweatshirt.Sescheveuxpartentdanstouslessensetilales
joues rouges. Jecours jusqu’à lui,oubliantque le solestglissant.Deuxmètresplus loin, jedérapeetperdsl’équilibre.Sethessaiedemerattraper,maisiln’estpasassezrapideetjem’écrasesurledos.Matêteheurtelaglace.J’hésiteàmerelever,maispasàcausedeladouleur.J’aipeurqueKaydennem’échappeànouveau.
Kayden
Je traverse la ville jusqu’à ce quemes doigts soient aussi engourdis quemon cerveau. Je conduisjusquechezLukepournepasavoiràrentreràlamaison.J’hésiteàpasserchezCallie,àl’autreboutdelaville,maisjepréfèrenepasprendrelerisque:sesparentsadorentCalebetdoiventmedétesteraprèscequejeluiaifait.Etpuis,ilfautquejelaisseCallietranquille.C’estpoursonbien.Ravidevoir lequatre-quatredeLuke, jemegare contre le trottoir.Mon soulagement est de courte
durée:laCadillacdesamèreestgaréeàcôté.Jen’aienviedeparleràpersonne,surtoutpasàelle.Jel’aitoujourstrouvéebizarre.Ellevameharcelerdequestions,surtoutaveclesrumeursquicirculentàmonsujet.Je décollemes doigts du guidon et je descends de lamoto. J’hésite. Je n’ai pas discuté avecLuke
depuisl’incident.Jenesaispascommentilvaréagir.Jesuissur lepointderepartirquandilapparaîtaucoinde lamaison,unsacsur l’épaule.Callieet
Seth sontderrière lui. Ils se tiennentpar lamainetCallie adumal àmarcher sur laglace.Elle resteconcentréesursespieds,jusqu’àcequesesyeuxbleusseposentsurmoi.EllelâchelamaindeSethetsemetàcourirdansmadirection,maiselleglisseettombesurledos.Jemeprécipiteverselle.Ellealeteintpâlecommelaneige.Elleclignedesyeux,poseunemainsur
satêteetgrognededouleur:—Aïe.Ellefait lamoue.C’estadorable.Jemepencheverselleetcelamerappellelejouroùjeluiaifait
l’amour.Laconfiancequ’ellem’aaccordée.Entendantunbraspourl’aideràserelever,j’aperçoislescicatricessurmonpoignet.Toutàcoup,jesuisderetoursurlecarrelage,avecmonpèreetsoncouteau.J’aifroidetjemesensvulnérable.Callieattrapemamain,etunevaguedechaleurmesubmerge.Elleserelèveetjeglisseunbrasautour
desataillepourl’empêcherdetomber.Lesimplefaitdelasentircontremoimedonneenviedepleurer.—Salut,Kayden.—Salut.Jepasseunemaindanssescheveuxpourenleverlaneigequ’ilsretiennent.
—Çava?s’inquiète-t-elle.Tuasl’airgelé.Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Tuviensdetecognerlatêtecontrelaglace,ettutedemandessijevaisbien?Ellehausselesépaules.—Tuasconduitsansmanteau?—Oui.Ellegrimace.—Tudoisavoirfroid.—Pasvraiment.Lukenousinterromptenseraclantlagorge.JemetourneversluisanslâcherCallie.—Quoi?Ilmontrelamaisondudoigt.Samèreestentraindenousobserverparlafenêtre.—Est-cequ’onpeutendiscuterailleurs?J’aimeraismecasserd’ici.—Biensûr.Jem’écartedeCallie,maiselleentremêlesesdoigtsetlesmiens.—Jemonteavectoi.—Non,Callie.Tuvasmourirdefroid.—Jem’enfiche.Elleredresselesépaulesetmedéfieduregard.JemetourneversSeth.—Dis-lui,toi.Seth ne m’est d’aucune aide : il enlève sonmanteau et le lance à Callie avec un clin d’œil. Elle
l’attrapeensouriantetl’enfilepar-dessuslesien.Jepousseunsoupirdefrustration.—Ilfaittropfroidpourelle!Sethlèvelessourcilsetsetourneverslequatre-quatre.—Ellesurvivra,Kayden.Callieestplusfortequetunelecrois.Elle rassemble ses cheveux contre sa nuque et remonte la capuche sur sa tête. Son assurance me
trouble.D’habitude,Callieestfragile,vulnérable.—Tuessûredevouloirmesuivre?Jetepréviens,c’estl’enfer.Ellemesourit.—Sûreetcertaine.Etpuis,ilfaitchaudenenfer.Ellesedirigeverslamoto.Jelasuisenmeretenantdesourire.Laneigem’arrivejusqu’auxmollets.—Kayden?Jemeretournemalgrémoi.Lukes’apprêteàmonterdanssavoiture.—Faisattention,OK?Ilm’adresseunclind’œiletmelanceunmanteau,celuiqu’ilgardesoussonsiègeencasdepanne.
Pendantuncourtinstant,Lukeredevientmonami,iln’estpluslemecquim’avubaignerdansmonpropre
sang.Mêmesi lefroidmecalme, j’enfile lemanteauet jeremonte lacapuchesurmatête.Callieestdéjà
assisesurlamoto.Elleinspectelesbossesetlesrayures.—C’esttoiquil’asabîmée?J’ailagorgenouée.Jemeursd’enviedel’embrasser.—Oui…Ilyalongtemps.Jevaisroulerdoucement,promis.Jamaisjeneteferaidemal,Callie.Jem’enveux aussitôt, parceque je lui ai faitmalplusd’une fois.Elledevrait être avecquelqu’un
d’autre,untypecapabledelarendreheureuse.Ellemeregarded’unairsérieux.—Jesais.J’aiconfianceentoi,Kayden.Mêmesiturefusesdel’admettre.Ellea tortdemefaireconfiance,mais jen’insistepas.Jemontedevantelleet jemets lemoteuren
marche. Elle enroule ses bras autour de ma taille et se colle à mon dos. C’est la première fois quequelqu’unmetouchedepuis l’incident.J’aimeraismourirmaintenant,avecCalliecontremoi.Unemortpaisible.Jeveuxqu’ellesoitàmescôtésquandjerendraimonderniersouffle.L’idéemecalmeetme terrifie. J’arrêtede réfléchir, je lâche le freinetnousnousenvolonsdans le
vent,Callieetmoi.
Callie
Celafaisait longtempsque jenem’étaispassentieaussi légère.Larouteestglissanteet j’aiunpeupeurmais,blottiecontreKayden,jemesensàl’abri.L’airfroidmefouettelevisage.Ilyadumondesurlestrottoirsetdevantlesmagasinsquibordentl’avenueprincipale.Lesgensnousregardentdetravers,maisjem’enfiche.Jefermelesyeuxetjelesoublie,aspirantsonodeuretserrantlesbrasautourdesataille.Kayden se gare devant le café oùSeth etmoimangeons nos crêpes tous lesmatins. Les guirlandes
vertesetrougesclignotentderrièrelavitrine.L’odeurdesaucisseetdecafém’ouvrel’appétit.—Est-cequeçava?medemande-t-ilenjetantunœilpar-dessussonépaule.Je hoche la tête,mais je ne bouge pas. J’ai peur queKayden nem’échappe, qu’il ne disparaisse à
nouveau.—Callie?Çava?Jeretirelesbrasdesataille.—Oui,toutvabien.—Tuasl’airgelée.Je touchemes joues.Elles sont aussi engourdies quemes doigts.Kaydendescendde lamoto.Mon
portablevibredansmapoche.
Seth:Onarrive.Ons’estarrêtésausupermarché.Moi:Pourquoifaire?Seth:Destrucs.Moi:Toutvabien?
Seth:Oui.Onvoulaitjustevouslaissertranquillesdeuxminutes.Moi:Vousenavezpourcombiendetemps?Seth:Paslongtemps,Callie.Etsouviens-toiduchatsauvage.
—Quelchatsauvage?Kaydenestentraindeliremesmessagespar-dessusmonépaule.Jerangeleportabledansmapoche.—Cen’estrien.Sethditn’importequoi.—Sethdittoujoursn’importequoi.Ilm’aideàdescendredelamoto.—Jesais.C’estpourçaquejel’adore.Je lui tends lamain. Ilhésiteun instant,puisentremêlesesdoigtset lesmiens.Nousnousdirigeons
versl’entréeducafé.UnstickerenformedePèreNoëlestcolléàlavitre.Lorsquelaporteserefermederrièrenous,jeréaliseàquelpointj’avaisfroid.Nouschoisissonsunebanquetteisolée,àl’abridesregardsindiscrets.DeschantsdeNoëls’échappent
deshaut-parleursetdesbougiesblanchesetargentéesornentchaquetable.C’estl’époquedel’annéeoùlesgenssontheureuxetsaupoudrentleurviedemagie.Parfois,j’aimeraisqu’ilsenpartagentunpeuavecnous.Jem’assoisetj’enlèvelemanteaudeSethetlemien.JesuisdéçuequeKaydens’installeenfacede
moi et pas à côté,mais jeme rappelle ce quem’a dit Seth : Kayden est un chat sauvage.Àmoi del’apprivoiser.Ilattrapelasalièreetlafaittournerdanssamain.Jenesaispasquoidire.J’attrapeunmenuàcôtédu
tasdeserviettesetjefaissemblantdelelire.C’estJenna,laserveusequiadraguéSeth,quiprendnotrecommande.Ellemelanceunregardnoir.
Elledoitpenserque jecollectionne lesmecs.Elleétaitau lycéeavecmoi.C’étaituneamiedeDaisyMcMillian.—Salut,Kayden.Illèvelatêteetlâchelasalière.—Salut,Jenna.Elleposeunemainsursonbras.—Commentvas-tu?Ilparaîtquetuaseuunaccidentdevoiture.Kaydenlèvelesyeuxauciel.—Ilparaît,oui.Ilattrapeunmenuetjedétaillelalistedesboissonspendantqu’ilsdiscutentdulycée.Elleluiditque
lesmatchsetlesfêtesnesontpluslesmêmesdepuisqu’ilestparti.Kaydensouritdetempsentempsetcelamebriselecœur,parcequ’ilm’aàpeineadressélaparoledepuistoutàl’heure.Jennamordilleleboutdesonstylo.—Tuluimanquesbeaucoup,tusais.Ellefaitunebulleroseavecsonchewing-gumenmejaugeantducoindel’œil.Kaydenal’airconfus.
—Dequituparles?—DeDaisy.Jem’enfoncedanslabanquette.J’aimeraisêtreinvisible.Kayden,lui,seconcentresursonmenu.—Jevaisprendredescrêpes,s’ilteplaît.—Moiaussi,dis-jeenmeredressant.Avecuncafé.Ellegrimaceenprenantmacommande,puiselleoffreungrandsourireàKayden.—Tuveuxboirequelquechose?—Lamêmechose.Ilfermelemenu.Ellesedirigeverslebarenmefusillantduregard.JemefocalisesurKayden.Jenna
etDaisyn’ontpasd’importance.—Ilfautqu’onparle,Callie.Maisjenesaispascommentm’yprendre.—Pourquoi?Ilpasseunemaindanssescheveux.—Parcequec’est toiquim’asretrouvédanslacuisine.Jenevoulaispasquetumevoiesdanscet
état.Jeprendsmontempsavantderépondre.Jesaisqu’ilfautquejechoisissemesmotsavecprudence:—Jamaisjenetejugerai.Jetel’aidéjàditmillefois,etjelepensevraiment.Ilmelanceunregardtriste.—Jeneparlepasdemoi,Callie.Jeparledetoi.Tuméritesmieuxqueça.Mieuxquemoi.Ilretroussesesmanchesetpasseundoigtlelongdesonavant-bras.—Jenesuispasd’accord.Toietmoi,onseressemble.—Non.Toi, tuesbelle,unique,ettusouffresàcausedequelqu’und’autre.Moi,jemefaissouffrir
toutseul…—Non,Kayden!C’esttonpèrequit’afaitdumal.Ilfixelatable.—Jemesuiscoupé,cesoir-là.Toutescescicatrices…cesontlesmiennes.—Toutes?Tuenessûr?Ilnerépondpas.Sesmâchoiressecrispent.Jeglisseunemainsurlatable,lentement,pournepaslui
fairepeur,etjerecouvrelasienne.—Cen’estpastafaute.C’estlamienne.Toutacommencéàcausedemoi.—Tuastort,Callie.Tun’escoupablederien.Etjamaisjeneregretteraicequej’aifaitàCaleb.Est-
cequetum’enveuxdel’avoirfrappé?—Non…J’auraisjusteaiméquecesoitquelqu’und’autrequis’encharge.J’aileslarmesauxyeux,maisjelesretiensparcequecen’estnil’endroitnilemomentdepleurer.—Jesuisdésolée,Kayden.Désoléedet’avoirentraînédanscettegalère.—Tun’aspasàt’excuser.C’estmoiquisuisdésolé.Je…Jen’imaginemêmepascequetuasressenti
quandtum’asvudanscetétat.
—Je…J’aicruquetuétaismort.Ondiraitqu’ilestsurlepointd’éclaterensanglots,etjen’ensuispasloinnonplus.J’aienviedele
prendredansmesbras.J’aienviequ’ilmeprennedanslessiens.Ennousaccrochantl’unàl’autre,nousnousensortironspeut-être.Ilselèved’uncoup,etjenesaispasquoidireniquoifaire.—Ilfautquej’yaille,Callie.C’estmieuxpourtoi.Jeneteméritepas.Àpeineest-il ànouveauentrédansmaviequ’il endisparaîtdéjà. Je le suisdu regard tandisqu’il
slalome entre les tables. Il sort du café et me laisse toute seule. J’aimerais qu’il sache que je lecomprends,etqu’ilmérited’êtreheureux.Jemelèveetjetraverselecaféencourant.Toutlemondemeregardecommesij’étaisfolle,maisjem’enfiche.Jepousselaporteetjeluicoursaprèsdanslaneige.Ilestsurlepointdemontersursamoto.—Attends,Kayden!Ilfautquejetedisequelquechose.—Quoi?—Parfois,je…jemefaisvomir.Pasparcequejemetrouvegrosse,maisparcequej’aibesoindeme
viderdesémotionsquimerongentdel’intérieur.Jevoismon reflet dans sesyeuxverts. Jepensequ’il comprend. Il comprendquenous sommes les
mêmes,touslesdeux.Deuxpersonnesblessées,brisées.Deuxpersonnesquiessaientdesurvivremalgréleurstraumatismes.Je sens la chaleur qui émane de son corps. Jememets sur la pointe des pieds, j’enroulemes bras
autourdesoncouetjel’attirecontremoi,enpriantpourqu’ilmeserrecontrelui.Sontorsesegonfleetsedégonfle.Sesbraspendentlelongdesoncorps.Jesuissurlepointd’éclater
ensanglotsquandillespasseautourdemataille.Ils’agrippeàmoietmeredonneespoir.Ilenfouitsonvisagedansmescheveux. Il semet àneiger.Nous sommes figésdansunmomentqueni luinimoinevoulonsbriser.—Depuisquand?Sonsoufflemeréchauffelajoue.Jefermelesyeux.—DepuisCaleb.—Jesuisdésolé,Callie.—Cen’estpastafaute.Jeluicaresseledos.—Ettoi?—J’aicommencéquandj’avaisdouzeans.Jeme blottis contre lui.Avec un peu d’efforts, nous ne deviendrons qu’un et nous partagerons nos
douleursaulieudelesporterchacundenotrecôté.
Kayden
Je suis choqué par sa confession. Au départ, je ne comprends pas. Elle se fait vomir. Puis ellem’expliquepourquoiet jecomprends tout.Noussommesfaits l’unpour l’autre,maisc’està la foisunbienetunmal.Quinoussauveraquandniellenimoin’enauronslaforce?
J’aimeraisresterlàtoutemavie,avecCalliedansmesbras,maisjemeursdefroid.Jeluiproposederetournerauchaud.Ellelèvelatête.Sescheveuxtombentenarrière.Jeglisseunemèchederrièresonoreille.—Jepréfèreallerailleurs,répond-elle.—Commetuveux.Jevaisrécupérertesmanteaux.AppelleSeth.Jeneveuxpasqueturemontessur
cettemoto.—Ettoi?—Jemettrailamotoàl’arrièreduquatre-quatreetonirafaireuntourensemble.—Où?Ellemesourit.Jecaressesalèvreduboutdudoigt.—Oùtuveux,Callie.Ellesemetsurlapointedespiedsetdéposeunbaisersurmajoue.—Etsionallaitàlaplage?—Àlaplage?Ellemeprendparlamain.—Jet’expliqueraiquandSethetLukeserontlà.Jenesaispascequ’ellemanigance,maisellemefaitunpeupeur.J’avaisl’intentiondeprendremes
distances,maisCallieestlà,enfacedemoi,etellemecomprendmieuxquequiconque.Jenesuispasprêtàluitournerledos.Pasencore.—OK.Jereviens.Ellesortsonportabledesapocheetjeretournedanslecafé.J’aimeraisdisparaîtreloind’ici,loinde
laneige,loindecetteville,loindemesparents,loindemavie.Jerécupèrelesmanteauxetj’ignoreJennaenmedirigeantverslasortie.Jesuissoulagéquandlaporte
serefermederrièremoi.JennaestuneamiedeDaisy,et jeneveuxpasqu’ellesachequejesuisavecCallie.Jemarchejusqu’àlamoto.Callieessaiedelapousserpourlamettreàl’abridelaneige.Elleales
mainsposéessurleguidonetellen’arrivepasàlafairebouger.C’estplusfortquemoi:j’éclatederire.Jen’aipasridepuistroplongtemps.Jemeplantederrièreelleetposelesmainssurlessiennes.—Qu’est-cequetufabriques?Tuvastefairemal.—J’ailuquelquepartquelesmotosn’aimaientpaslaneige.Jeposeleslèvressursonfrontetjerestelàunlongmoment,savourantlecontactdemapeaucontrela
sienne.—Oùest-cequetuasluuntrucpareil?—Jenesaisplus.Dansunmagazine.JeluitendssonmanteauetceluideSeth.Elleenfilelesienetgardel’autresursonavant-bras.J’aimal
àlabouche.Jen’aiplusl’habitudedesourire.Jeposemesmainssursataillepourl’attirercontremoi.Jene laquittepasdesyeuxen remontant la fermetureéclair jusqu’àsonmenton.Sonsouffle formeunnuagedevapeur.Jefermelesyeuxetj’inhalesonodeur.Ellem’atellementmanqué…J’ail’impressiond’êtredansunrêve.
—SethetLukesontenroute,murmure-t-ellecontremoncou.Jedevraisfuiravantqu’ilnesoittroptard.Unjouroul’autre,ilfaudraquejelaquitte.Jenesensplus
mes doigts, nimes bras, ni les battements demon cœur. Je suis désarmé, impuissant. Je faismine detremblerdefroidmais,envérité,c’estledésespoirquimeronge.
Callie
JesensqueKaydenaenviedemeprendredanssesbras,maisj’ail’impressionqu’ilseretientdemetoucher. Il faut vraiment que nous prenions le temps de discuter. J’ai besoin de comprendre ce qui sepassedanssatête,cequ’ilveut,etilfautqu’ilsachecequejeveuxmoi.Quelquesheuresplus tard,nous sommes tous serrés sur labanquetteavantde lavoituredeLuke. Il
s’estgarésurleparkingdusupermarchéetillaisselemoteurtournerpourquenousn’ayonspasfroid.Lanuitestentraindetomber.Lesfloconsdansentàlalueurdeslampadaires.Lesmaisonssontdécoréesdeguirlandes,desucresd’orgegéantsetdecouronnesdeNoël.Jesuisassisesur lesgenouxdeKayden, ledosappuyécontrelaportière.SethetLukeviennenttout
justedeluiproposerdenousaccompagnerenCalifornie.—QuandCalliem’aparlédeplage,jepensaisqu’elleplaisantait.Sethtendunbraspourjeterlescendresdesacigaretteparlavitreentrouverte.—Nemeditespasquejesuisleseulàêtreexcitéàl’idéedepartirausoleil?Ilneigetoutletemps,
ici.Çan’apasarrêtédepuisnotrearrivée.—Jet’avaisprévenu,Seth.Ici,ilneigededécembreàavril.Kaydenpasseunemaindansmescheveux.Jefermelesyeuxetsoupiredeplaisir.—Est-cequetuveuxveniravecnous?—ÀSanDiego?—Oui.Ilal’airhésitant.—Jenepeuxpas,Callie.—Pourquoi?
—J’aidestrucsàfaire.—Tun’asqu’àlesfaireàlaplage,insisteSeth.Aveccettejoliefilleàtescôtés.—J’aiunrendez-vouslundimatin.C’estimportant.—Onpeutrevenirdimanche,luiditLukeendésembuantlepare-brise.Quatrejoursdevacances,c’est
déjàbien.Je croise le regard deKayden et j’y vois quelque chose qui neme plaît pas. Il y a un truc qui le
tracasse.Jelesens.—Tun’espasobligé,Kayden.Ilpasseundoigtsurmeslèvres.—Est-cequetuveuxyaller,toi?—Seulementsituenasenvie.Tuasledroitdeprendredesvacances,Kayden.Riennipersonnenete
l’interdit.—Tuasraison.Allons-y.Lukepousseunsoupirdesoulagement.Sethadumalàcontenirsonexcitation.Ilfrappedanssesmains
ettapedupiedparterre.—Super!Lukeactionnelesessuie-glaces,etlaneigequis’estamasséesurlepare-brisedisparaîtpeuàpeu.—Ilfautqu’onaillecherchernosaffaires.—Pasmoi,ditKayden.Jem’achèteraidesfringueslà-bas.Personnenelecontredit.Noussavonstousqu’ilneveutpasretournerchezsesparents.Lukejetteun
œilverslamotoqu’ilsontmiseàl’arrière.Elleestrecouverted’unduvetdeneige.—Ettamoto?Qu’est-cequ’onenfait?Kaydenhausselesépaules.—Onpeutl’embarqueravecnous,oulagarerquelquepartjusqu’ànotreretour.Ilposeunemainsurmahancheetcaresse lapeauentremon jeanetmon tee-shirt.Lukedesserre le
freinàmain,passelapremièreetsortduparking.—Onl’embarque,décide-t-ilàlaplacedeKayden.Etvous?Vousêtescertainsdevouloirrécupérer
vosaffaires?—Biensûr!répondSeth.Jenevaisnullepartsansmonsac.Luke lève lesyeuxauciel.Jeregarde lesmaisonsdéfilerderrière lavitre.J’espèreque j’aipris la
bonnedécisionetquecevoyageaideraKayden.Toutcequimeresteàfaire,c’estprierpourquetoutsepassebien.Ilfautquejegardeespoir.
*
Lukesegaredevantchezmoi.J’angoissedèsl’instantoùSethetmoisortonsdelavoiture.Ilyaquatre
personnesdanslacuisine.Jelesvoisparlafenêtre:mamère,monpère,JacksonetCaleb.Mamèreestentraindelesservir,monpèreparleavecsesmainsetCalebetmonfrèresemoquentdelui.J’accélèrelepasenremontantl’allée.C’estlecalmeavantlatempête.Jelesens.Commel’odeurdela
pluieavantuneaversed’été.—Qu’est-cequ’ilya?s’inquièteSeth.Je l’attrape par le bras et je le traîne jusqu’au garage. Nous montons l’escalier, entrons dans ma
chambre,etjeclaquelaportederrièremoi.—Ilfautqu’ons’enaille.Toutdesuite.Seth récupère sesaffairesdans la salledebains. Jemeprécipite surmonsacet j’enfoncemes tee-
shirtsetmesjeanssansprendrelapeinedelesplier.—Qu’est-cequit’arrive,Callie?—Rien.Jen’arrivemêmepasàparler.Sethsortdelasalledebainsenfermantsatroussedetoilette.Illapose
surlelit.—Dis-moicequisepasse.—Ilyaquelqu’undanslamaison.—Jesais.J’aivutesparents.Jejettemonsacsurmonépauleetj’ouvrelaporte.Sethmeregardecommesij’étaisfolle.—Est-cequetuasprévuunshortetdessandales?Ilvafairechaud,là-bas.Etilyauradusable.—Jem’enfiche.Dépêche-toi,Seth.Illèvelesyeuxauciel.—OK,maistumedoisdesexplications.Ilsortdelachambre.J’éteinslalumière,jefermelaporteetjelesuisdansl’escalierentraînantmon
sac.Ilesttroplourd.J’auraisdûlaisserunepartiedemesaffaires,maisjen’aipaseuletempsdelestrier.J’aipeurqueCaleb,monfrèreoumamèresortentdelamaison.Jemarcheàtoutevitesseenlongeantlemurdusalon,maisSethmerattrapeparlecoude.Nousnous
arrêtonsdevantlaportevitrée.—Tuneprévienspastamère?—Non.—Tuenessûre?Ellevasefairedusoucipourtoi.—Peuimporte.Jejetteunœilparlafenêtre.Calebselèvedetableetsortdelacuisine.Jemesensaussifragileque
lesfloconsquitombentduciel.—Qu’est-cequ’ilya,Callie?Pourquoitutrembles?Laportes’ouvre.Lalumièredusaloninondelapénombreets’éteintcommeuneflammelorsqueCaleb
ensort,unsac-poubelleàlamain.Ilessaiesûrementdeséduiremamèreenluirendantservice.Pourquoiest-elleaussiaveugle?Il n’a pas l’air surpris de me voir. Il ferme la porte derrière lui pour s’assurer que ma famille
n’entendrapascequ’ilaàmedire.Sespiedss’enfoncentdanslaneige.—Qu’est-cequetufouslà?IltournelatêteversSeth.—Tu as déjà changé demec ?C’est bien. Il était temps que tu plaques l’enfoiré quim’a cassé la
gueule.Seth écarquille les yeux. Il comprend enfin de qui il s’agit. Il serre les doigts autour demon bras.
Calebsecontentedesourire.Ilalesyeuxnoirscommelecharbonetlevisagecachésousl’ombredesacapuche.Jemedemandecommentilfaitpourvivresansremords.J’ail’impressionqu’ilprendplaisiràmetorturer.Ilavanced’unpasversmoi.—Tupourraisaumoinsmeleprésenter…—Nelatouchepas!hurleSeth.Ilmetireparlebrasetj’essaiedelesuivre.Mesjambessedérobentsousmonpoids.Jen’arrêtepas
detrébucher.Calebnoussuitduregardensouriant.J’aimeraisavoirlaforceetlecouragedel’insulter,decrier,deluimettremonpoingdanslafigure,maisrienn’yfait:quandCalebestlà,jeredeviensunepetitefille.Cellequ’iladétruite.Nous remontons l’allée en direction du quatre-quatre. Des larmes dévalent mes joues. Je me sens
faible.J’aimeraism’écraserdanslaneigeetfondreaveclesflocons.—Callie.LavoixdeKaydenmeramèneàlaréalité.J’aidesproblèmesplusurgents,plusimportantsàrégler.Il
fautque je l’éloignedeCaleb. Il fautque j’évite lepire.Sethmerelâche.Kaydenestplantédevant lavoiture,lesbrascroisés.Cen’estpasmoiqu’ilregarde,c’estCaleb.Jecoursjusqu’àlui,maisilm’esquiveetsedirigeverslamaisond’unpasdéterminé.Jelâchemonsac
et jemejettesur luipour leretenir,enenroulantmesbrasautourdesoncou.Touslesmusclesdesoncorpssecontractent.Jeserrelesjambesautourdesatailleetjem’accrocheàluicommeunesangsue.Ilfautquejel’empêchedecommettrel’irréparable.—Lâche-moi,Callie.—Non!Retournedanslavoiture.S’ilteplaît.Ilsecouelatête.Sescheveuxcaressentmesjoues.—Callie…Jenepeuxpas.—Si,tupeux.Pourmoi,Kayden.Fais-lepourmoi.Jeblottismonvisagecontresoncou.J’aitrouvélesmotsmagiques.Ilfaitdemi-tour.Trèslentement.
Jusqu’àcequelavoixdeCalebsurgissedel’obscurité:—Tuestoujourslà,toi?Tumedéçois,Callie.Maisjemedoutaisquetun’étaisqu’unesalope.JesenslarageémanerdeKayden.—Non!S’ilteplaît…Laisse-leparler.J’aibesoindetoi.J’aibesoindetoi,Kayden.Jefermelesyeux.Uneportièregrince.C’estlavoixdeLukequej’entendsenpremier:—Dégage,Caleb!Dégageavantqu’ontemetteuneraclée.Calebéclatederire.
—Encoredesmenaces!Voussavezquoi?J’aichangéd’avis.J’aidécidédeporterplainte.Tuvasfinirenprison,Kayden.C’esttoutcequetumérites.JesenslapoitrinedeKaydensegonfleretsedégonfler.Laported’entrées’ouvreetmamèresortdela
maison.—Callie!Reviensicitoutdesuite.Tudevraisêtreavectafamille,pasaveclui!Savoixrésonnedanstoutlequartier.Unchiensemetàaboyer.Ce quemamère ne comprend pas, c’est que je suis déjàavecma famille. Je lâche les épaules de
Kaydenetjeleregardedroitdanslesyeux.—Emmène-moiloind’ici.S’ilteplaît.Jen’yarriveraipassanstoi.Lacolères’estompedanssonregard.Noscœursbattentàl’unisson.C’esttoutcequicompte.Luiet
moi, à l’abri des coups et des insultes. Il recule vers la voiture et ouvre la portière. Ilmonte sur labanquettesansmequitterdesyeux.Jem’installesursesgenoux.SethetLukenousrejoignentàl’intérieur.Les cris les suivent jusquedans la voiture,mais le bruit du chauffage et de la radio les étouffe.Lukedémarreetfaitmarchearrièredansl’allée.Tout à coup, je réalise que je ne suis pas toute seule. J’ai trois personnes qui m’aiment et me
soutiennent.Unjour,jelesprendraitousdansmesbraspourlesremercier.Kaydenmecaresselescheveux.Jesenssoncœurbattrecontremoi.Ilm’embrassesurlefrontetme
répètequetoutvas’arranger.Jenesaispassic’estmoiqu’ilessaiedeconvaincre,oului-même.Luke fait demi-tour dans la rue et je jette unœil derrière nous.Mamère est plantée aumilieu de
l’allée,souslaneige,sansmanteaunichaussures.Monpèreestdeboutsurlesmarches.Ilporteunjeanetsonpullpréféré.QuantàCaleb,iladisparu.J’aimeraisqu’ildisparaissepourdebon.
Kayden
Calliesefaitdusoucipourmoi.Elleapeurdecevoyage.Ellepensequejevaiscraquer.Cequ’elleignore,c’estque lesseulsmomentsoù jenemesenspascomplètementbrisé,c’estquand jesuisavecelle.Luke et moi attendons que Callie et Seth sortent du garage. Luke allume une cigarette. Il aspire et
crachelafuméeparlavitreentrouverte.—J’aiunequestionàteposer,Kayden.Jefixelegarageetl’alléeenneigéedevantnous.—Jet’enprie.Iljettesonpaquetdecigarettessurletableaudebordets’enfoncedanssonsiège.—Est-cequeçaenvalaitlapeine?—DefrapperCaleb?—Oui.La lumière est allumée dans la chambre deCallie. Je les vois remplir leurs sacs par la fenêtre. Je
repenseàcequeCallieetmoiavonsvéculadernièrefoisquenousétionsdanssachambre,etàcequej’airessentiquandj’étaisenelle.
—Oui,çaenvalaitlapeine.Lukeaspireuneboufféedecigarette.Lescendresgrisesdeviennentorange.—Commenttutesens,mec?—Bien.—Situasbesoindeparler,jesuislà.—Jesais.Jetejurequeçava.C’est laconversationlaplusprofondequenousayonseuedepuislesuicided’Amy,sagrandesœur.
Peudetempsaprès,Lukeaéclatéensanglotsdevantmoi.Ilpensaitqu’elleétaitmorteàcausedelui.Jepensequ’ils’enveutencore.CallieetSethsortentenfindugarage,maismonsoulagementestdecourtedurée : laportedusalon
s’ouvre…etc’estCalebquiapparaît.—Qu’est-cequ’ilfoutlà?murmureLuke.Jesorsdelavoiture.Lesémotionsdecettenuit-làmeconsumentànouveau.Jeserrelespoings,prêtà
ledétruirepourdebon.Caleb tourne la têteversmoi. Ilmedéfieduregard.Jecommenceà remonterl’alléequandCalliesejettesurmoi.Ellemesuppliedele laisser tranquille.Pourelle.MaisCaleblatraitedesalope,etj’aienviedeletuer.Jelesens.Jesuiscommepossédé.Calliemeregardedroitdanslesyeuxetprononcedesmotsquejen’oublieraijamais:—Jen’yarriveraipassanstoi.Ellemeserrecontreellecommesi savieendépendait.Et jecomprends. Jen’aipas ledroitde le
toucherparcequejeferaisdumalàCallie,peut-êtremêmeplusàellequ’àCaleb.Jefaisdemi-touretmontedanslequatre-quatre,m’agrippantàellepournepassombrerdanslesténèbres.
*
Pendant le trajet, tout lemonde est silencieux. Callie a blotti sa tête contremon épaule et ellemecaresselepoignet,lelongdemescicatrices.Celamemetmalàl’aise,maisjelalaissefaire.Sielleabesoindemetoucher,qu’ellemetouche.Sonportablen’arrêtepasde sonner :HateMe deBlueOctober.Elle finit par l’éteindre.Quelques
minutesplustard,elles’endortcontremoi.Lukeconduit lamoitiédelanuit. Ilestpresséd’arriver.Je luiproposedeprendrelerelais,mais il
refuse. Une chanson de Chevelle passe à la radio. Plus nous approchons de l’océan, plus les nuagesdisparaissentetpluslesétoilessontvisibles.J’aimeraisdevenirquelqu’und’autre.Quelqu’unquine semutilepas, quipréfère les émotions à la
douleur,quimérited’avoirCalliedanssesbras.Elleaunemainsurmongenouetl’autresursapoitrine.Sescheveuxrecouvrentsonvisage.Jesaisqu’ilesttempsdetoutluiavouer,deluiracontercequis’estpassé ce soir-là,mais je ne sais pas comment elle réagira. Elle-même a eu dumal àme confier sonsecret,etc’estcequim’apousséàfrapperCaleb.Maisjeneregretterien.Jamaisjeneleregretterai.
*
—Debout,beauté!Quelquechosemecogne la tête. Jesursauteet j’ouvre lesyeux.Lesoleilm’éblouit.Laportièreest
ouverteetLukeestàcôtédemoi,lesourirejusqu’auxoreilles.—J’aicruquetuneteréveilleraisjamais.Jeregardelesacqu’ilm’ajetédessus,puisl’étenduedesableetd’eaudevantmoi.Cen’estpaslapremièrefoisquejevoisl’océan.Ilarrivaitàmesparentsdenousemmeneràlaplage
àl’époqueoùilsavaientencoreenviedejoueràlafamilleparfaite.Tousnosséjourssesontmalpassés,etnousrentrionstoujoursplustôtqueprévu.Jesorsduquatre-quatreenbâillantetenm’étirant.—Onestarrivésdepuislongtemps?—Seulementdixminutes.Calliem’aditdetelaisserdormir.J’airefusé.Ilattrapesonsacet ferme laportière. Je suiscontentqu’ilme traitecommeavantetpascommeun
malade.—Merci,mec.Illèvelessourcilsenfaisantletourdelavoiture.—Derien.LamaisonappartientaupèredeLuke.C’est toutceque jesais.Ceque j’ignore,c’estcommentson
pèreapul’acheteralorsqu’iln’ajamaiseulesmoyensdepayerlesfraisdescolaritédesonfils.J’aidéjàposélaquestionàLuke.Ilm’aréponduparunhaussementd’épaules.Iln’ajamaisaiméparlerdesonpère,mêmeavantledivorcedesesparents.Jenel’airencontréqu’unefois,quandj’avaissixans.Ilétaitbizarre.Ilnesavaitpascomments’yprendreavecLuke.Unesemaineplustard,ilafaitsavaliseetilestparti.Jemarchejusqu’àl’entréedelamaison.Lebruitdesvaguessemêleàlamusiquequis’échappedu
salonetauriredeCallie.Lukeouvrelamoustiquaireetpousselaporte.— Seth et Callie se sont déjà installés dans une des deux chambres. Ne compte pas surmoi pour
partagerl’autreavectoi.Iln’yaqu’unlit.—Jedormiraisurlecanapé.—Cool.Aufond,j’aimeraisdormiravecCallie,passerlanuitdanssesbras,maisjesaisqueniellenimoine
sommesprêts.Luketraverselacuisineetdisparaîtdanslecouloir,sonsacsurl’épaule.Unbarséparelacuisinedu
salon.Jem’assoissuruntabouretetjeregardel’océanparlafenêtre.Quandj’étaispetit,j’étaisfascinéparlamer,parlemouvementdesvaguesetlesempreintesqu’elleslaissaientsurlesable.J’aimaislessentirs’écrasercontremespieds.Unpasenavantetellesm’emporteraientavecelles,loindetout…—Kayden?LavoixdeCalliemetiredemarêverie.Jesenssachaleurcontremondos.Elleposeunemainsurmon
épaule.Ellealesdoigtsquitremblent.
—Çava?Jeme souviens du jour où je l’ai embrassée pour la première fois.C’était à une fête foraine. Elle
tremblaitd’excitationetj’avaisressentiunmélangedeplaisiretdefrustration.Elleéveillaitenmoidesémotionsquejen’étaispasencoreprêtàaffronter.Jemetourneverselleenmeforçantàsourire.Jemelèveetjeprendssamaindanslamienne.—Excuse-moi.J’avaislatêteailleurs.—Est-cequeturepensaisàcequis’estpasséhiersoir?Avec…Ellen’arrivepasàprononcersonnom.Ellepenchelatêtesurlecôtéetunemèchebrunetombedevant
sesyeux.Jelaglissederrièresonoreilleeneffleurantsajoue.—Non.Jemerappelaisladernièrefoisquej’aivul’océan.—Quelâgeavais-tu?—Douzeans.J’écartemamaindesonvisage.—Qu’est-cequetuaimeraisfaire,aujourd’hui?Jesaisquemaquestionestridicule,maisCalliemesouritetentredansmonjeu.—Onpensaitsepromenerenville.Ilfauttetrouverdeshabits.S’ilyabienunechosequinemetentepas,c’estdefairedushopping.Jepousseunsoupir.—OK,Callie.Allonsenville.
Callie
Nous remontons une rue animée deSanDiego, bordée d’immeubles et de boutiques aux devanturesmulticolores.Toutlemondeportedesvêtementsd’été.Jenemesenspasàmaplaceavecmachemisebleue, mon jean et mes Converse. Elles ne sont pas faites pour marcher dans le sable ni pour cettechaleur,etjeregrettedenepasavoiremportédessandales.Sethavaitraison.Jeregardeparterreenslalomantsurletrottoirbondé.Jenesuisjamaisàl’aisedanslafoule.J’aibeau
esquiverlesgens,onfinittoujoursparmecogneretmetoucher.Àforcederecevoirdescoupsd’épauleetdecoude,jedécouvrequecelamedérangemoinsqu’avant.—Jet’avaisprévenue,murmureSethàmonoreille.Jelèvelatêteverslui.Ilmesourit.Sesyeuxsontcachésderrièreseslunettesdesoleilargentées.Il
porteuntee-shirtrouge,unjeanetdessandales.—Dequoituparles?—Jesavaisqueturegretteraisdenepasavoiremportédesandales.Nousmarchonsbrasdessus,brasdessous,commedeuxamisnormauxquisepromènentenville.Sauf
quenousn’avonsriendenormal,etilmelerappellebienassezvite.—Est-cequetuveuxqu’ondiscutedecequis’estpassé?—Non.Jeregardelesvitrinespourmechangerlesidées.J’essaiedenepaspenseràCaleb,auxchosesqu’il
m’adites,àcequej’airessenti.J’essaied’oublierquemamèrem’aappeléeetm’aenvoyédescentaines
demessages.Jerefusedelesécouteretdeleslire.—Jevaisbien,Seth.Lesoleilmeremontelemoral.Ilmefaitungrandsourire.—Tantmieux.Mais,situasbesoindeparler…—Jeviendraitevoir.Promis.Sonportablesonneetill’éteintsansprendrelapeinederegarderl’écran.Nousesquivonsunhomme
déguiséentacoquidistribuedestractsroses.KaydenetLukemarchentdevantnous.Lukematetouteslesfillesqu’ilcroise,s’attardantsurcellesquiportentdesrobesmoulantes.—Jenecomprendspascommentlesfillesosentsortircommeça,dis-jeengrimaçant.—Commequoi?—Commeça.Regarde-les!Sethéclatederire.—Tudevraisprendreexemplesurelles.J’inspectelesfillesautourdemoi.Ellesnesontninuesnienmaillotdebain,maisellesportenttoutes
desrobescourtes.Ellesmemettentmalàl’aise.JerepenseàCaleb,quim’atraitéedesalope.Jesaisquecelanedevraitpasmetoucher,maisc’estplusfortquemoi.—Jamaisjenemettraiderobes.—Biensûrquesi,Callie.Unjour,tutesentirasbiendanstapeau.Crois-moi.—Çam’étonnerait.Ilbalaielafouleduregardetmontredudoigtunegrandeblondequiporteuneroberoseetblanc.Ses
longscheveuxdansentdanslevent.—Qu’est-cequetupensesdecelle-ci?Jesecouelatêteetjemeconcentresurl’odeurdel’océanpourmecalmer.—Jamaisdelavie.—Pourquoipas?—Ladernièrefoisquej’aiportéunerobe,j’avais…j’avaisdouzeans.Unevaguedehontemesubmerge.Jebaisselatête.Marobeétaitroseavecdesfleurs.—Jesuisdésolé,Callie.Jen’yavaispaspensé.Ilposeundoigtsousmonmentonpourmeforceràleregarderdanslesyeux.—Cen’estpasgrave.Tunepouvaispaslesavoir.Noustraversonsunpetitpontenarche.Sethneditrienpendantquelquesminutes.—Etsituessayaisd’enporterune?—Unerobe?Ilmedéfieduregard.Sesmèchesblondesscintillentausoleil.—J’aimeraisquetuaillesdel’avant,Callie.—C’estcequejesuisentraindefaire,dis-jeenmontrantlaruedudoigt.—Arrêtedeplaisanter!Tusaistrèsbienoùjeveuxenvenir.
Jepousseunsoupirdefrustration.—Detoutefaçon,jen’aipasderobe.Ilsemetàsautillerdejoie.—Raisondeplus!Jevaist’enoffrirune.Je jetteunœil vers lesvitrines rempliesdemannequins àmoitiénus.Nous croisonsunhommequi
porteunshorthawaïen,unmarceletunbonnetdePèreNoël.Ildiscuteavecunefemmeenrobecourte.—Jenepeuxpas.Jen’ensuispascapable.Sethmedonneuncoupdecoude.—Allez,Callie.Çanecoûteriend’essayer.Ilmetireparlebrasetnoustraversonslarue.Nousnousdirigeonsversuneboutiqueroseavecdes
margueritespeintessurlavitrineetunportantsurletrottoir.—Onenchoisituneensemble.Commeça,situt’ensensunjourcapable,iltesuffiradel’enfiler.—Etsiçan’arrivejamais?—Tantpis.Onauraeuleplaisirdet’acheterunerobe.KaydenetLukesesontarrêtésdel’autrecôtédelarue.—Qu’est-cequevousfaites?hurleLuke.Kaydennousregarded’unairinquiet,commes’ilpensaitquec’estluiquenousfuyons.Ilporteunjean
etuntee-shirtnoirmoulant.Safrangeluitombedevantlesyeuxetsescheveuxrebiquentsursesoreillesetsoncou.Ilnes’esttoujourspasrasé.—Allez-y!dis-jeenleurfaisantsignedelamain.Onvousrejointplustard.Lukea l’airsurpris,mais il repartavecKaydenderrière lui.Je trébuchesur le trottoirensabléet je
m’agrippeàSethpournepastomber.—Onvaenprofiterpourt’acheterdessandales.—Bonneidée.Nous inspectons les robesaccrochéesauportant,mais aucuneneplaît àSeth.Nousentronsdans la
boutique.Lavendeuseestentraindelireunmagazinederrièrelacaisse.Ellelèvelatêteuninstantavantdereprendresalecture.Seths’évented’unemain.—Ilfaittropchaud,ici.—Tudisçaparcequ’onvientdequitterlarégionlaplusfroidedumonde.—Dumonde?Tuexagères…—D’accord.Dupays.Il éclate de rire et se jette sur un portant.Chaque fois que Sethmemontre une robe, je décline sa
proposition.Ellesnesontpasmoches.Jen’aijustepasenviedelesporter.Jeveuxgardermesvêtements,restercouvertede la têteauxchevilles.J’aipeurdeporterunerobeparceque je refusederevenirenarrière,derevivrecejour-là.Jemedirigeverslerayondessandalesetj’enchoisisunepairevioletteavecdesstrass.Jevérifiela
pointure.C’estmataille.Sethseplantedevantmoi,lesmainscroiséesdansledos.Ilaunesucettedans
labouche.Jemedemanded’oùillasort.—Jepensequej’aitrouvélarobequ’iltefaut.Avantquejetelamontre,ilvafalloirquetulibères
tonesprit.—Monesprit?Ilenlèvelasucettedesabouche.Seslèvresetsesdentssonttachéesderouge.—Fermelesyeuxetfaislevide,Callie.Oublietespréjugésettesémotions.Tuvasl’adorer.Jetele
promets.Laboutiqueestvide,à l’exceptionde lavendeusequiest toujoursabsorbéeparsonmagazine.Tant
mieux.Sinon,jemesentiraisridicule.Jefermelesyeux,j’inspireparlenezetj’expirelonguementparlabouche.—OK.J’essaiedefairelevide.Sethmepincelebras.—N’essaiepas.Faislevide.PenseàKayden.J’ouvreunœil.—Cen’estpasçaquivam’aider.Ilremetsasucettedanslabouche.—Jet’assurequesi.J’imagineKaydenetsesbeauxyeuxverts.Sonsourire.Seslèvres.Cesontseslèvresquejepréfère.Setharaison.Celafonctionne.—OK,jepenseàlui.—Maintenant,rappelle-toiàquelpointtuluifaisconfiance.—D’accord.Jepenseausoiroùj’étaisallongéesoussonpoids,vulnérablemaislibretandisqu’ilmeserraitcontre
lui,m’embrassait, et que nos corps s’emmêlaient. Ilm’a fait voyager et ressentir des émotions que jem’étaisjusque-làinterdites.—Kaydenseratoujourslàpourteprotéger,Callie.EttupeuxaussicomptersurLukeetsurmoi.Tuas
troismecsàtadisposition.Tun’espasseuleettun’asplusbesoindetecacher.Jecomprendscequ’ilmeditetcelam’émeutplusquetout.Pendantsixans,jemesuissentieseuleau
monde.Aujourd’hui, j’aiKayden,SethetmêmeLuke.Jenesuisplusseule.Les larmesmepiquent lesyeuxetdévalentmesjoues.—Tueslemeilleuramidumonde,dis-jeensoulevantlespaupières.Jelepensevraiment.—Jesais,Callie.Ilmesouritetmemontrelarobequ’ilachoisie.—Tada!C’estunerobeviolette,avecdesbretellesfinesetdeladentellequibordelecoletl’ourlet.Ellen’est
pasdécolletéeetelledoitm’arriverauxgenoux.Jepasseunemainsurletissuetjevérifielataillesurl’étiquette.—Est-cequetucroisquec’estlarobemagique?Cellequimeguérira?
— Non, Callie. C’est toi qui te guériras toute seule. Cette robe est juste jolie, et elle s’accordeparfaitementavectesnouvelleschaussures.—C’estvraiqu’ellesvontbienensemble.Ilattendquejem’enempare.J’hésiteuninstant,puisjelaluiarrachedesmainsetjemedirigeversla
caisse.—Tunel’essaiespas?—Non.Pasavantd’êtreàlamaison.Illèvelesyeuxaucieletdisparaîtaurayondesshorts.Jeposemesaffairesdevantlavendeuse.Elle
semetdeboutetfaitunpasenavantenbâillant.Letéléphonesonneetlacoupedanssonélan.—J’enaipouruneminute,mepromet-elle.J’attends,unbrasposésurlecomptoiretunemainsurmafuturerobe.Quandj’étaispetite,jeportais
desrobestouslesjours.Jecouraisetjouaisavec,etjefinissaistoujoursparm’éraflerlesgenoux.Mamèremelereprochaittoutletemps.Jerêvaisd’êtreàlafoisuneprincesseetuneathlète.Jetraversaisleterrainde football encourant, laissantmespetites jambesmeporter tandisquemescheveuxdansaientdanslevent.J’étaisheureuse,insouciante.Lacaissièreéclatederireautéléphone.—Arrête!Tuplaisantes?Ilt’avraimentditça?Sethécraseunepiledevêtementssur lecomptoir.Elle le regardede traversenenroulant lecordon
autourdesonindex.EllenoustourneledosetSethluitirelalangue.—Onn’estpasprèsdesortir,dis-jeenexaminantleprésentoirdecolliersposédevantlacaisse.—Net’inquiètepas.Siçaduretroplongtemps,j’appellesonsupérieur.J’examineleshortenjeanqueSethaposésurlapile.—Tuasl’intentiondeporterça?—Non,Callie.Ilestpourtoi.Ilmemontreaussiundébardeuretmemetentre lesmainsuneculotteendentellenoire. Je la lâche
commesiellem’avaitmordue.—Tuplaisantes?—Pasdutout.C’estaucasoù.Jerougisaussitôt.Fierdelui,Sethmefaitungrandsourire.Nousendiscuteronsàlamaison,àl’abri
desregardsindiscrets.—J’accepte,maisàuneseulecondition.Tudoismepromettredeporter…ceshort!Jemontredudoigtunhommequitraverselarueavecunmini-shortrose.Sethsuitmonregard.—OK,maisjel’achèteenbleu.Lerosenes’accordepasavecmonteint.J’imagineSethdanssonmini-shortbleuetj’éclatederire.Nousrionstouslesdeuxjusqu’àcequela
caissièreraccroche.Je sors de la boutique avec un sac à lamain. Seth porte les autres. Tout à coup, jeme sensmal,
coupableettriste.Parceque,pendantquejem’amuseavecSeth,Kaydensouffreensilence.
Kayden
Ilfaitchaud.Tropchaud.J’aidumalàsupporter lesoleil.Jenesaispassic’estparcequej’aiétéenfermépendantdessemainesouparcequ’ilfaitsinoirenmoi.J’essaiedenepastropypenser.Jeneveuxpaspenseràladouleur.Jeneveuxpaslasentir.Jenesuispasprêt.Jenesaispassijeleseraiunjour.Lukeetmoinouspromenonsdanslarue.Nousavonsachetéquelquesvêtements,etj’aimêmetrouvéun
cadeaupourCallie.Jenesaispasencoresijeleluioffrirai,maisc’étaittropparfaitpourpasseràcôté.Unjour,peut-être.Nousdécidonsd’alleràlaplageenattendantCallieetSeth.Lukematetouteslesfillesqu’ilcroise.En
général,ilfaitcelaquandilnevapasbien.—Çava,mec?Ilmeregardedetravers.—Trèsbien.Ettoi?—Bien.Unpeufatigué.J’esquiveunefemmequiparletropfortavecsonportablecolléàl’oreille.Lukepenchelatêtepour
matersesfessesjusqu’àcequ’elledisparaisseaucoindelarue.Nousnousarrêtonsàunpassagepiéton.Iln’yapasdevoitures,maisnousrestonsplantéslà,faceà
l’étenduedesablequidonnesur l’océan.Lesoleilsereflètedansl’eau.Ilm’éblouit.Entraversant, jegardemesdistancesaveclesautrespiétons.Jen’aienviedevoirpersonne.J’aienvied’êtreseul,danslenoir.J’ail’impressionquetoutlemondesaitquijesuis.Lebandageetlesélastiquesàmonpoignetmetrahissent.Cequej’aiessayédecacherpendanttoutescesannéesestdésormaisvisible.Lukelesait.Lesgensquisebaignentetbronzentsurlaplagelesavent.Callielesait.Nousmarchonsjusqu’àl’océan,oùlesvaguescaressentlesableeteffacentnostracesdepas.
—Jenesaispascequ’ilyaàfairedanslecoin,m’avoueLuke.Jehausselesépaules.—Moinonplus.C’esttonpèrequivitici,pasmoi.Sesmâchoiressecrispent.—Jesais.Jeconnaiscettevilleaussimalquejeleconnaislui.—C’estluiquit’adonnélaclédesamaison?—Jen’aipaslaclé.—Tun’aspaslaclé?—Non.Super.Jerisquedéjàd’allerautribunalsiCalebrefusel’argentdemonpère.Ilnemanqueraitplusque
lepèredeLukeapprennequ’onestentréspareffractionchezlui,etmavieestfichue.Cematin,j’aireçuuntextodemamère.Ellem’aditqueCalebnerépondaitplusàsesappels.D’un
côté,j’aimeraisqu’ilrefuseleuroffre.Jeveuxquemonpèremelaissetranquille.Enrepensantàlui,unevague de colèreme submerge. Je l’étouffe aussitôt. Je ne suis toujours pas capable demaîtrisermesémotionssansmefairedumal.—C’estrisqué,dis-jeendécollantpuisrecollantmonbandage.—Non.Mon père ne vient jamais ici. Et, s’il débarquait à l’improviste, il s’en ficherait. Il serait
mêmecontentdemevoir.Jen’insistepasparceque jesensquecetteconversation lemetmalà l’aise.Jeposemessacset je
m’assoissurlesable.Lukes’installeàcôtédemoi,etnouslaissonslesilencecaressernosmauxcommel’eaucaresselesable.Jeseraisrestélàtoutelajournéesimonportablenes’étaitpasmisàsonner.
Callie:Vousêtesoù?Moi:Àlaplage.Etvous?Callie:Aucentrecommercial.Moi:Onvousattend.Onestauborddel’eau,faceàlapremièreentrée.Callie:OK.
Jerangemonportabledansmapoche.—Ilsarrivent.Lukefixel’horizon.—Qu’est-cequ’onfait,cesoir?Jen’aipasenviedepasserlasoiréesurlecanapé.Jesuisvenuici
pourmechangerlesidées.J’étendslesjambessurlesablechaud.—Commetuveux.Moi,jepréfèreresteràlamaison.Jen’aipaslatêteàsortir.Lukesetourneversmoienplissantlesyeux.
—Kayden…Jesaisquetuastraverséunepériodedifficile,maisjenepensepasqueresterseulavectesidéesnoiressoitlameilleureidéedumonde.CallieetSethnousrejoignentàcemoment-là.Elleporteunsacavecunefleurviolettedessus,etSeth
ported’autressacs.Je lèvela têteverselle.Lesoleilsereflètedanssesgrandsyeuxbleus.Elles’estattaché les cheveux et elle a la peau qui brille. Seth regarde l’océan comme s’il le voyait pour lapremièrefois.Jememetsdeboutensouriant.—Qu’est-cequevousavezacheté?Calliefroncelessourcils,jetteunœilverssonsac,puisversmoi.Elleneveutpasmerépondre.Jeme
demandecequ’ellemecache.J’essaiedeleluiarracherdesmainspourlataquiner.—Montre-moi!—Non!Elledevienttouterouge.JemetourneversSeth,quisecontentedehausserlesépaules.—Tantpis.Etsionallaitmangeruntruc?Lukeselèveengrognant.—OK,maispasdesushis,pasdecrabeetpasdefruitsdemer.Compris?Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Jepensequ’ons’estmisd’accordlapremièrefoisqu’onamangéensemble.Aucundenousn’aime
lesfruitsdemer.Sethlèveunemain.—Pardon!Jevousaiditquej’adoraislessushis!—C’estvrai,confirmeCallie.C’estKaydenetmoiquin’aimonspasça.—Jem’ensouvienscommesic’étaithier.Callieplongesonregarddanslemien.Cettefilleestaussibellededansquedehors.Ellepossèdemon
âme.Dumoins, ce qu’il en reste. J’ai beaume sentir au bout du rouleau, il suffit qu’ellem’offre unsourirepourqueladouleurs’efface.J’aibesoind’elle.Commeavant.J’aibesoind’ellemaintenant.Sinon,jevaisdevenirfou.Jelaprendsparlamain,j’ignorelesregardsconsternésdeSethetdeLukeetjetraverselaplageen
entraînantCallie.Seschaussuresaccrochentdanslesable.—Qu’est-cequiteprend?Ilfautquejetrouveunendroitisolé,àl’abridesregards.Jeremarqueunepetitealléesituéeentredeux
boutiques,l’unejauneetl’autrebleue,commelesoleiletleciel.Jenousfraieuncheminparmilafoule.—Suis-moi.Noustraversonslarueetnousnousengouffronsdansl’alléeétroite.Ilyaunebenneàorduresdansun
coinetdevieillespalettesparterre.Cen’estpasl’endroitidéal,maisjem’enfiche.Callieestàboutdesouffle.—Est-cequeçava?Jenenouslaissepasletempsderéagir.J’enrouleunbrasautourdesatailleetjel’attirecontremoi.Je
plaquemabouchecontrelasiennetoutensachantquejeleregretteraiplustard.J’enaibesoin.Toutdesuite.Quandnoslèvress’unissent,jerespireànouveau.J’ail’impressiondem’êtrenoyépendantunmoiset
d’enfinremonteràlasurface.Mespoumonsétaientsurlepointd’exploser.Sonbaiserm’asauvé.Elles’agrippeàmontee-shirt.—Kayden…Elleentrouvre les lèvres. Jeglissema languedans sabouche. Je ladévore. J’étais affamé, et jene
m’en rendais même pas compte. Je la plaque contre le mur. Mon cœur s’emballe. Nos jambess’emmêlent.Sonsactombeparterre.Jeposeunemainàcôtédesatête.Lesplanchesenboism’éraflentlapeauetj’apprécielasensationdeséchardescontremamain.JeglisselamainsursanuqueetCalliegémitdeplaisir.Ellemerendfou.Jel’exploreetlagoûteavec
malangue.Notrebaiserestdeplusenplusintense.J’aimeraisêtrecapabled’ymettrefin,maisjenemecontrôleplus.Jeposelesmainsàl’arrièredesescuissesetjelasoulève.Elleenroulesesjambesautourdemoi.Ellealeslèvresquitremblent.Jesuisleseulàquiellefasseconfiance,leseulquiaitledroitdelatoucher.Jesavouremachance.
Callie est la personne la plus belle, la plus incroyable, la plus gentille et la plus généreuse que jeconnaisse.
Callie
J’avaisoubliéàquelpointj’aimeêtredanssesbras.Audébut,jen’airiencomprisàcequisepassait.Nousétionsentraindeparlerdesushisquandilm’aattrapéeparlamainetentraînéeloindelaplage.Jelui ai demandé pourquoi, mais il m’a fait taire en posant sa bouche contre la mienne. Toutes mesinquiétudessesontenvolées.Ilm’embrasseavecpassionetj’aienfinl’impressionquenousavançonsdanslamêmedirection.Ila
ungoûtdementheetdedésir.Ilglissesalanguedansmabouche.Sabarbemepiquelevisage.J’aimeraisqu’ilmetouchepartoutetjesuisterrifiéeàl’idéequ’ilreparte.Jeresteraiscolléeàluitoutemaviesijelepouvais,pourm’assurerqu’ilvabien.Quenousallonsbien.Ilmeserrefortcontrelui,mesoulèveetmeplaquecontrelemurenbois.Mesjambessontcommedes
aimants contre sondos. Il grognedeplaisir et je suis choquéepar les imagesqui défilent devantmesyeux : l’envie d’être avec lui comme la dernière fois, dansma chambre. Je veuxme sentir à nouveauvivante.Ilexplorelesmoindresrecoinsdemaboucheavecsalangue.Ilmemordlalèvre.—Kayden…J’enroulemes bras autour de son cou. Sesmains se promènent le long demon corps brûlant. Nos
languess’entremêlent.Unevagued’extaseexploseentremesjambesquandjesenssonsexecontremoi.Ilposeunemainsurmonseinetj’oublietout.J’oubliequijesuis,oùjesuis.J’oubliemesproblèmes.JeveuxKayden.Jeveuxqu’ilmegardecontreluipourtoujours.Monbonheurestdecourtedurée:ilécartesabouchedelamienneetmereposeaussivitequ’ilm’a
soulevée.Nous sommes revenus au point de départ et j’essaie de ne pas éclater en sanglots. J’ai leslèvresgonfléesetjesuisàboutdesouffle.J’aienvied’allerplusloinaveclui.
Sesyeuxvertssontvoilés.Ildétourneleregardetfixelaplage,del’autrecôtédelarue.—Excuse-moi,Callie.Jen’auraispasdû…Jeposeunemainsursajoue.—Kayden.Regarde-moi.Ilclignedesyeuxavantdelesplongerdanslesmiens.—Jenepeuxpas.Ilfaut…Ilfautqu’onresteamis.—Amis?Jefroncelessourcils.Jeneveuxpasêtresonamie,maispeuimporte.Cequicompte,c’estcedontila
besoin.Ilhochelatêteenserrantlesmâchoires.—Pourl’instant.C’estmieuxcommeça.Etcen’estpastafaute.Jetelepromets.C’estmoi…Il regarde par-dessus son épaule et enfouit lesmains dans ses poches. Lesmuscles de ses bras se
contractent.—Commetuveux,Kayden.Jeseraitoujourslàpourtoi.Tupeuxtoutmedire.Jecroisvoiruneétincelledanssesyeux,commeunéclatd’espoir.—Jesais.Jeluisourisetglisseunemaindanslasienne.—AllonsmangeravantqueSethnefasseunscandale.Ilseplaintdepuisuneheure.—OK.Ilalamainquitremble.Jelacaresseduboutdesdoigts.Ilseforceàsourire.Jedétestequandilfait
semblant.J’aimeraisqu’ilmefasseconfianceautantquejeluifaisconfiance.Jeluidoisbiencela.Jeluidoistout.
*
Uneheureplustard,noussommesassisàlaterrassed’unrestaurant,auborddelaplage.Labrisemecaresselesjouesetfaitdansermescheveux.Lesoleilsecoucheetlachaleurdevientenfinsupportable.Nouslisonsnosmenusensilence.Kaydenestassisàcôtédemoi,avecungenoucontrelemien.Jene
saispass’illefaitexprès,alorsjen’osepasbouger,depeurqu’ilnemettedeladistanceentrenous.Unefoisdeplus.Sethessaiededénouerlatension:—Etsioncommandaitdessushisetducrabe?Lescrevettesontl’airdélicieuses.Lukelèvelesyeuxauciel.—Jevaisprendreunhamburger.Kaydensemordlalèvreenlisantsonmenu.Iln’arrêtepasdetirersurlesélastiquesàsonpoignet.Je
n’osepasl’enempêcher.Sic’estcedontilabesoin,jepréfèrelelaisserfaire.—Moiaussi.
Il ferme lemenu et le replace au centre de la table, entre le ketchup et lamoutarde. Seth semet àenvoyer des textos. Luke tourne la tête vers l’océan. Le serveur prend la commande et nous sert nosboissons.Nousbuvonsavecnospailles.Personneneparle.Sethbriselesilenceenfrappantdupoingsurlatable.Kayden,Lukeetmoisursautonssurnoschaises.
LukefusilleSethduregard.—Laprochainefois,préviens-nous.Sethportesapailleàsabouche.—Désolé,maisjenesupportepluscetteambiance.Ondevraits’amuseraulieudedéprimertoutela
soirée!Ilposesonverresurlatableets’essuielaboucheavecsamanche.Kaydentiresursesélastiques.—Nonmerci.Moi,jeveuxjusterentreràlamaison.Setharrachel’emballageenpapierdesapaille.—Jenesuispasvenuicipourm’enfermerdansmachambre.—Seth,jenepensepas…Ilm’interromptenjetantlesmorceauxdepapieraumilieudelatable.—Non,Callie!Onatousnosproblèmes,etonatousbesoindesechangerlesidées.Aprèsmanger,
onsort.Qu’est-cequevousendites?—Où?demandeLuke.Enboîte?Jelesregarded’unairsuppliant.—Pasenboîte…S’ilvousplaît.Sethtournelatêteversmoi.—Onenadéjàparlé,Callie.Sortirenboîte,c’estchouette.EtKaydenestlàpourteprotéger.Kaydenprendmamaindanslasienne.Ilsepencheversmoietmurmureàmonoreille:—Situveuxsortir,jetesuis.Sonsoufflecaressemajoue.—Jenesaispas…Commetuveux.Nousn’arriveronsjamaisàprendreunedécision.Sethlesaitaussibienquenous.—C’estdécidé!Cesoir,onsorttousensemble.Onvas’éclater.Promis.JeluienveuxparcequejesaisqueKaydenn’enapasenvie.Lukeposesonverresurlatableenle
regardantducoindel’œil.Jenesuisvisiblementpaslaseuleàmefairedusoucipourlui.Kaydenserremamaindanslasienneetdéposeunbaiserhumidesurmajoue.—Çavaaller,Callie.Jetelepromets.Ilfautquetuarrêtesdet’inquiéterpourmoi.Jepousseunsoupirdefrustration.Jeneveuxpassortir.Jepréféreraispasserlasoiréeaveclui.Nous
n’avonspasencorediscutédecequiluiestarrivé,etillefaut.Parcequejen’ycomprendsrien.Toutcequejeveux,c’estluiposerlesquestionsquimetaraudentdepuisdessemaines.Sethlèvesonverre.—Etsionprofitaitdelavie,pourunefois?LukecognesonverrecontreceluideSeth.
—Tantqu’onnerestepasàlamaison,jesuispartant.Kaydengardeunemainsurlamienneetsesertdel’autrepourtrinquer.—Moiaussi.Ilsattendentmaréaction.J’hésite,puisjelèvemonverreàmontour.—D’accord,maispasdebêtises.Sethéclatederire.—Tumeconnais,chérie.Sagecommeuneimage.CelafaitsourireLukeetKayden,maispasmoi.J’ai l’impressionquenousfuyonsnosproblèmesau
lieudelesaffronter,etjesaisd’expériencequecen’estpaslecheminàsuivre.—Àlavie,déclareSeth.—Àlavie,murmurons-noustouslestrois.Nos verres s’entrechoquent, scellant une promesse que nous ne tiendrons pas. J’aimerais que ces
quelquesjourssoientemplisderireetdesoleilmais,aufonddemoi,jesensqu’unorageapproche.
Callie
Jeregardemonrefletdanslemiroir.Larobeabeaumedescendrejusqu’auxgenoux,jemesensnue.Lesbretellessont tropfines.Celafaitsixansque jen’aipasdévoiléautantdepeau.Matenuemetenavantmestachesderousseur,mesclaviculessaillantesetmapoitrineplate.Lessandalesàmespiedsmedonnent l’impression de ne rien porter et j’ai détaché mes cheveux, ce qui me rend encore plusvulnérable.—J’ail’airbizarre.JetiresurlebasdemarobependantqueSethm’examine.Ilacoiffésescheveuxsurlecôté.Ilporteun
shortmarronetunechemisegriseaveclesmanchesretroussées.—Tuessuperbe,Callie.Jecroiselesbrassurmapoitrine.—Jen’ensuispascapable.—Biensûrquesi.—Jenecomprendspaspourquoituinsistes.Ilglisseunemaindanssescheveuxens’attardantsurmonreflet.—J’insisteparcequ’ilesttempsdepasseràautrechose.Jesaisquec’estdifficile,maisilfautquetu
avances,Callie.Etmoiaussi.Ilfautqu’ontourneledosànotrepassé.—Moi,j’aiplutôtl’impressionquetufuiesquelquechose.Ilfermeledernierboutondesachemise.—Tuastort.J’aiarrêtédefuirmesproblèmeslejouroùj’airencontréGreyson.Ilm’alibérédemes
peurs.—Commentas-tupuoubliercequit’estarrivé?
Ilposelesmainssurmesépaulesensouriantetmeregardedroitdanslesyeux.—Onn’oubliepas,Callie.Onavance.Ondevientenfinnous-mêmes,etonn’estpluslapersonneque
nosmonstresontcréée.Jepousseunsoupir.—Jenesaispascommentséparerlesdeuxpersonnes.Parfois,ellessemélangent.Commecesoir.Je
nemesenspasbiendanscettetenue,maisjenesaispassic’estparcequej’associelarobeàcequis’estpasséousic’estsimplementparcequejen’aimepaslesrobes.Ilm’embrassesurlefront.—Porte-la,ettuaurastaréponse.Ilsedirigeverssonsac.Ilensortsonflacondeparfumets’enasperge.J’attrapemoncarnetetjerelis
lalettrequej’aiécriteàKayden.Ilestpeut-êtretempsdeluifairepartdemessentiments.—Aufait,qu’est-cequetuportessoustarobe?Jememords la lèvre.J’aihonteparceque j’aienfilé laculotteendentellenoirequ’ilm’aforcéeà
acheter.—Rien.—Rien?Super!Ilmelanceunsourirediabolique.—Cen’estpascequejevoulaisdire!—Jesais,Callie.Maisavouequec’étaitdrôle.Ilmefaitunclind’œiletrangeleflacondanssonsac.—Prête?Jejetteundernierregardàmonreflet.Mesyeuxsonténormes.Onnevoitqu’eux.J’aieusuffisamment
confianceenKaydenpourluimontrermoncorps,maisjenesuispascertained’êtreprêteàlemontrerauxautres.Lemondeestterrifiantetchangeant.Onsecroitàl’abriet,d’uneminuteàl’autre,toutpeutchanger.Sethm’ouvre la porte. J’ai les genoux qui tremblent. Nous nous dirigeons vers la cuisine. Luke et
Kaydensontà table,unebouteilledeJackDaniel’sentreeux.Luke tiresurunecigarette.Lapièceestenfumée.Jem’arrêtedanslecouloiretj’observeKayden.Jerepenseàtouscesmomentsquenousavonspassés
ensemble,ceuxquimeredonnentespoirmêmesitoutsemblenoirencemoment.Sethmedonneuncoupd’épauleenentrantdanslacuisine.Jem’arrêtederrièrelebarpourcacherma
tenue.—Vousbuvezdéjà?—Ouais,répondKayden.Onaprisdel’avance.Sesyeuxs’illuminentenmevoyant.Ilyauneheure,ilétaitencoretriste.Maintenant,ilal’airheureux.
Ila tropbu. Il tend labouteilleàSethetse lèveensouriant.Lespiedsde lachaisecrissentcontre lecarrelage.IlfaitletourdelatableetSeths’assoitàsaplace.Kaydenporteuntee-shirtgrisfoncéetunjeanquiluitombesurleshanches.Ils’estcoiffé,maisses
cheveuxrebiquenttoujours.Ilaenfiléquelquesbraceletsencuirpourcachersonbandageetils’estrasé.
J’espèrequ’ilnes’estpasfaitmalavecsonrasoir.—Salut,Callie.—Salut.Jem’appuiecontrelebaretj’inspectesesbras.Pasdenouvellescoupures,bienquejenevoiepasce
quisecachesouslebandage.Kaydenm’étudiedespiedsàlatête,s’attardantsurmapoitrineavantdemeregarderdroitdanslesyeux.—C’estlapremièrefoisquejetevoisenrobe.—Jesais.Je posemes avant-bras sur le bar et j’agrippe le rebord. Son regardmemetmal à l’aise.Malgré
l’alcoolquileconsume,jevoislevraiKayden,celuiquisecacheàl’intérieur.—Tuessublime,Callie.—Merci.Sans prévenir, il écrase ses lèvres sur les miennes. Mes jambes se dérobent sous mon poids. Il
m’attrapeparlatailleetglissesalanguedansmabouche.Ilaungoûtdewhiskyetilsentlacigarette.Noscorpss’entrechoquentetnosjambess’emmêlent.Moncœurs’emballe.Lerebordmerentredansledos,maisjem’enfiche.Toutcequicompte,c’estKayden.Jepasse lesmainsdanssescheveux.Unepetitevoixmeditd’arrêter,qu’ila tropbuetqu’ilnese
contrôlepas.—Kayden…Qu’est-cequetufais?—Je…Jenesaispas.Ilal’airému.Ilm’embrasseànouveau.J’essaieàlafoisdelerepousseretdel’attirercontremoi.Je
suisperdue.Déboussolée.Il presse les doigts surmeshanchespourme soulever et ilm’assoit sur le bar. Il semet entremes
jambesetcaressel’intérieurdemescuisses.Jelesécartedavantagepourlesentircontremoi.LavoixdeSethmerappelleàl’ordre:—Callie?Kayden?Onvousaimebeaucoup,maisonpourraitsepasserduspectacle.Kaydenpose la tête surmonépaule.Nous sommesàboutde souffle.Soncorps se crispe contre le
mien.—Excuse-moi,murmure-t-il.Ils’éloigneetjemesensencoreplusvulnérable.Jeclignedesyeuxetréajustemarobeavantdesauter
dubar.Jepasseunemaindansmescheveuxetjeretiensmeslarmes.Sethlèvelessourcils.—Tuvois?Kaydenadoretarobe.Jepinceleslèvres,parcequec’estdrôleettristeàlafois.Ilmetendlamain.—Allez,Callie.Nefaispaslamoue.Cesoir,ons’amuse.Je le rejoins dans la cuisine. Luke se lève et part retrouverKayden dans le salon. Sethme tend la
bouteilledewhisky.—Tiens.Çateferaitdubien.—Nonmerci.Vousaveztousbu.C’estmoiquiconduis,cesoir.
Sethsouritenpassantunemaindanssescheveux.—C’estcequetuasditladernièrefoisqu’onestsortisensemble.—Jesais.—Jem’ensuischargé,Callie.Untaxiarrivedanscinqminutes.Jenesaispassic’estàcausedelatempératureoudubaiser,maisj’aitrèschaud,toutàcoup.Nous
sortonsdelacuisineetSethsecouelabouteilledevantmoi.—Allez,Callie.Tuasbesoindetedétendre.Ilaraison.Ilfautquejemecalme,quej’oublielefardeauquejeportesurlesépaules,aumoinsle
tempsd’unesoirée.Jeluiarrachelewiskhydesmainsetj’avaleunegrossegorgée.L’alcoolmebrûlelagorge.Jetousseetjelâchelabouteille.Kaydenlarattrapejusteàtempsetmetapoteledos.—Pardon.J’aibutropvite.Ilglisseunemaindansmescheveuxetsurmajoue.Iln’arrêtepasdemetoucher,maisondiraitqu’ille
faitmalgrélui.Jesuisperdue.Toutesttropcompliqué.—Tun’espasobligéedeboiresitun’enaspasenvie,Callie.Illedittellementbasquejesuislaseuleàl’entendre.Jelèvelatêteverslui.—Toinonplus.Ilmedévisageensilence,passe labouteilleàSethet sorten trombede lamaison.Laporteclaque
derrièreluietnousnousretrouvonstouslestroisdanslesalon,perdusetconfus.Jenesaispassijedoislesuivre.Jenecomprendspasdequoiilabesoin.Aufond,jeneleconnaispas.
Kayden
Calliepensequejeluienveux,maiselleatort.Jesuisencolèrecontremoi-même.Jem’enveuxdelesavoirsuivisjusqu’ici.Del’avoirembrassée.Del’avoirtouchée.Jesuistropfaible.Jem’assoisàl’avantdutaxipournepasêtreàcôtéd’elle.J’aibesoindemecalmer.Aufond,jen’ai
qu’uneenvie:arrachersarobeetluifairel’amour.Ilfautquejecessed’ypenseretquej’arrêtedeboire.L’alcoolfaitremonterlesémotionsquej’essaiedegarderenfouiesaufonddemoi.LukeetSethsepassentlabouteilledansledosduchauffeur.Callien’apascroisémonregarddepuis
quenoussommessortisdelamaison.Elleal’airencoreplustristequequandjel’airencontrée.Jenepensaispasquec’étaitpossible.Unechansonà l’eaude rose s’échappedeshaut-parleurs.Unmecparled’amouret j’ai enviede le
fairetaire,dem’ouvrirlapeau.Jeneveuxpaspenseràl’amour.Jeneveuxpenseràrien.JesuissurlepointdedemanderlabouteilleàLukequandletaxisegaredevantungrandimmeubleen
brique.Unefiled’attentelongelemuretonentendlamusiquedepuislavoiture.Lukerèglelacourseauchauffeuretouvrelaportière.—Vouspaierezvotretournée,dit-ilensortant.Sethlesuit,maisCallieresteassisesurlabanquette.Jemeretourneverselle.Ellemeregardedroit
danslesyeux.
—Çava,Callie?—Non.—Qu’est-cequ’ilya?—Je…Jenesaisplusquitues.—Quoi?Ellepousseunsoupirensortantlesjambesdelavoiture.—Jeneteconnaispas,Kayden.Pasvraiment.Etçamebriselecœur.EllesortdutaxietrejointSethetLukesurletrottoir.Jenesaispasquoipenser.Jesorsàmontour,je
fermelaportièreetletaxis’enva.Nous nous dirigeons vers la file d’attente. Callie et Seth se tiennent par le bras. Luke allume une
cigarette.Lesgensdiscutent,rient,s’amusent.Dansmatête,c’estlechaos.Ellenemeconnaîtpas.Ellearaison.Etc’estmafaute.Jeluidoisdesexplications.Ilfautquejeluiexpliquepourquoiellem’aretrouvéparterredansune
maredesang.Nouslongeonslebâtimentetapprochonsenfindel’entrée.Àpeineavons-nouspassélepasdelaporte
que j’étouffe déjà. L’atmosphère est suffocante. Il y a trop de monde et la pièce est trop petite.Heureusement qu’il est interdit de fumer à l’intérieur, sinon ce serait intenable. La musique estassourdissanteetlesolvibresousnospieds.Cegenred’endroitnem’ajamaisposéproblèmemais,toutàcoup,jemesensmal.Callieaussi.Elles’accrocheàlavestedeSethcommesisavieendépendait.Ilmarche devant elle, essayant de se frayer un chemin parmi la foule.Unmec trébuche à côté d’eux etrenverse sabière.Callie bondit en arrièrepour l’éviter.ElleperdSethdevue.Elle essaiedenepaspaniquer.Jelesens.Jemeprécipitesurelleet l’attrapeparlataille.Soncorpsseraidit.Jedéposeunbaisersursatête
pourlarassurer.—C’estmoi.Jelaserrecontremoietnousavançonslentement.Jedonnedescoupsdecoudepourquepersonnene
latouche.NousémergeonsducôtédestablesetpoussonsunsoupirdesoulagementenrejoignantSethetLuke. Ils sont assis à une table. Calliem’offre un sourire hésitant en s’assoyant. Je fais le tour et jem’installeenboutdetable.J’aimeraisnepasêtrelà.—Ilfaitsuper-chaud!s’étonneLuke.Ilpasseunemaindanssescheveux.Sethattrapesonpaquetdecigarettesenobservantlestablesautour
denous.Sonvisagesedécompose.—Attends…Onn’apasledroitdefumer?—Non,répondLuke.Autantcrever,pasvrai?—C’estplutôtlacigarettequitetuera,letaquineCallie.Iléclatederire.
—Heureusementqu’onaledroitdeboire!Ilselèveetsedirigeverslebar.Callieserongeunongle.Sethsortsonportabledesapoche.—Jen’aipaseuGreysondepuishiersoir.Jepensequ’ilm’enveut.Callieposelescoudessurlatable.—Pourquoi?—Parcequejeluiaiditquelquechosequ’ilnefallaitpas.—Qu’est-cequetuluiasdit?—Quejevoulaisfaireunepause.Illaissetombersonportablesurlatable.Calliefroncelessourcils.—Nemeregardepascommeça!Jenelepensaispas.J’étaisfatiguéet…embrouillé.—Est-cequetuluiasditqueturegrettais?—Pasencore.Elleposeunemainsursonbras.—Ilfautquetuluiparles,Seth.Nerefoulepastesémotions.Cen’estpassain.Tulesaisaussibien
quemoi.Ilhausselesépaules,croisemonregardpuistendunemainverselle.—Viensavecmoi.Ilselèveetellelesuitsansmêmeseretourner.Toutcequej’entends,cesontsesparolesquirésonnent
dansmatête.Nerefoulepastesémotions.Cen’estpassain.Jelesensmonterenmoi.Cequejesuis.Cequejeressens.Mavieetlevidequimepossède.Jene
veuxpasrepenseràtoutcequim’estarrivé.Jesorsentrombedelasalleetjemeprécipitedanslestoilettes.Jem’enfermedansunedescabines.
J’inspireparlenezetjeglisseundoigtsousmesélastiques.Jetiredessus,encoreetencore,jusqu’àcequemonpoignetsoitrouge,maiscen’estpassuffisant.Jenemesenspasmieux.J’aibesoindequelquechose–den’importequoi–pouroublier.Jechercheunobjetcoupantdansla
cabine, comme le rebord du distributeur de papier. C’est dangereux. Je pourrais attraper le tétanos.Tandisquej’approchemonpoignetdurebordmétallique,j’aperçoislaboucled’undemesbraceletsencuir.J’hésiteuninstant,puisj’appuiedessusavecmonautrepoignet.Mapeausedéchireetladouleurmeremontedanslebras.Unevaguedecalmemesubmerge.Jem’assoissurlestoilettesetjeregardelesangcoulerparterre,tacherlescarreauxsousmespieds.
Jeprendsmatêteentremesmains.Jemesensàlafoishonteuxetfieretjemedemandecommentj’ensuisarrivélà,commentjesuisdevenucettepersonne.Cettecompulsionacommencéquandj’avaisdouzeans.Cejour-là,monéquipeavaitperduunmatch
debaseball.Àcausedemoi.J’avaisfaitexprèsdemaljouerpourmettremonpèreencolère.Jeme souviens du calme dans la voiture en rentrant à lamaison. J’aurais aimé que le trajet ne se
terminejamais.Monpères’estgarédansl’allée.Lapelousevenaitd’êtretondueetlejardinierétaitentraindefairedestasd’herbecoupée.—Attends-moiàl’intérieur,Kayden.J’aitoutdesuitesuquejedevaismeprépareraupire.Jesuissortidelavoitureavecmabatteetmon
gantdebaseball.J’airemontél’alléetêtebaissée,lesyeuxfixéssurmespieds.Jen’ailevélatêtequepourouvrirlaporte.J’aicommencéàmonterl’escalierenespérantque,pourunefois,monpèremelaisseraittranquille.La
ported’entréeaclaquédansmondos.J’aicontinuéàgravirlesmarches,commesij’étaisinvisible.—Qu’est-cequis’estpassé,Kayden?Ilauraitfalluquejemeretournepourluirépondre,maisj’aipaniquéet j’aiaccélérélepas.C’était
l’erreurànepascommettre.Ilm’acouruaprèsetm’aattrapéparlecol.Ilm’atraînéjusqu’enbas.Labatteetlegantm’ontéchappé.—Tun’esqu’unimbécile!Tuneterendspascomptedelachancequetuas!J’aidérapéetjemesuiscognécontrelemur.—Lachance!Quellechance?D’habitude,jen’osaispasluirépondre.Cejour-là,j’enaitrouvélecourage.Furieux,monpères’est
jetésurmoi.—Qu’est-cequetuasdit?—Cen’estqu’unmatch,papa!Jesaisqu’onaperdu,maiscen’estpaslafindumonde.Lesilencequiasuiviétaitparalysant.Monpèreadesserrélespoingset,pendantquelquessecondes,il
aeul’airhumain.J’aicruquej’avaisréussiàl’émouvoir,maisilaavancéd’unpasversmoi,lesyeuxemplisdehaine.—Tusaiscequemonpèrem’auraitfaitsij’avaisperduunmatchetquejeluiavaisréponducomme
ça?—Non.Jenesaispas.—Ilm’auraithurlédessusdevanttoutlemonde!Ilm’auraithumiliédevanttoutel’école!Parfois,quandilétaitencolère,ilparlaitdesonpère,commepourjustifiersapropreviolence.Jeme
suissouventdemandési jedeviendraisun jourcommelui, si je reproduirais lamêmechoseavecmespropresenfants.Cetteidéemeterrifiait.Jenevoulaispasfairesouffrirlesautres.J’airetenumonsouffleetj’aiattenduqu’ilmefrappe,maislecoupn’estjamaisarrivé.—Tun’esqu’unbonàrien,Kayden.J’aibeaut’apprendre leschoses, tugâches toujours tout.Et tu
osesperdreunmatchethumiliertonproprepère!Tuneméritespasdejouer.Tuneméritesrien.Tun’esqu’unabruti.Unperdant.Tuneméritesmêmepasdevivre.Etilacontinué,mefrappantavecsesmotsaulieudesespoings.Jemesuissentiminuscule.Invisible.
Quandilaeuterminé,ilm’atournéledosetilm’alaisséseuldanslesalon.J’auraispréféréqu’ilmefrappe.J’auraispumemettreenbouledansmonlitetdormir,anesthésiépar
ladouleur.Mais,cettefois,ladouleurétaitenmoi,dansmatête,monsang,moncœur.Ilfallaitqu’ellesorte.Alors,j’aifaitlapremièrechosequim’estvenueàl’esprit.Jesuismontédanslasalledebainsetjemesuisemparédurasoirdemamère.Lalameétaituséeet
recouverted’unebarredegel.Jel’aiposéesurmonavant-brasetj’aiappuyé.Lesangs’estmisàcouler,etjemesuissentimieux.J’aimislebrasau-dessusdulavaboetj’ailaisséladouleurs’envoler…J’ouvrelesyeux.Ilfautquejesorted’ici.IlfautquejequittelaCalifornie.J’essuielesangetréajuste
les élastiques et les bracelets à mon poignet. Je sors des toilettes et je me glisse parmi la foule, endirectiondelasortie.
Jevaisrécupérermesaffairesàlamaisonetrentrerchezmoiàmoto.Chezmoi.Leseulendroitoùj’aimaplace,leseulendroitoùjesuiscapabledesurvivre.J’aperçoisCallieetSethsurlapiste.Ilsdansentl’uncontrel’autre.Ellealeslarmesauxyeux.Jeme
rappelleàquelpointelleestfragileetjejetteunœilàmonpoignet.Ilestvraimenttropfaciledesebrisersoi-même.
Callie
—J’aitoutgâché.C’estlapremièrechosequemeditSethenmetraînantdanslestoilettes.Ilyaungroupedefillesà
l’intérieur,mais elles ne bronchent pas.Soit elles se fichent queSeth soit là, soit elles sont tellementbourréesqu’ellesleprennentpourunefille.Jem’appuiecontreunlavabo.—Qu’est-cequis’estpassé,Seth?—J’aipaniqué.—Pourquoi?—Je…C’estàcausede…notrerelation.—ToietGreyson?—Oui.Quelques filles curieuses tendent l’oreille. Je l’attrape par le bras et nous nous enfermons dans la
cabinepourhandicapés.Sethpasseunemaindanssescheveux.Jen’aipasl’habitudedelevoiraussimalàl’aise.—Dis-moicequinevapas.Tupeuxtoutmeraconter.Tulesais.—C’estunproblème…intime.—Peuimporte.Jet’écoute.—Tuenessûre?—Oui.Jesuistameilleureamie,Seth.Ilpousseunsoupir.—Jen’arrivepasàallerplusloinavecGreyson.Jen’arrêtepasd’avoirdes…desflash-back.
—Àproposdequoi?—Braiden.Braiden est son ex-petit ami, le premier garçon que Seth ait aimé, mais aussi celui qui l’a trahi :
Braidenn’apas eu le couraged’affronter les rumeurs liées à leur relationet, lorsque lesmembresdel’équipedefootballontrouéSethdecoups,ilnel’apasprotégé.Illesalaissésfaire.—Est-cequetul’aimesencore?—Non,maisj’aipeur…J’aipeurqueGreysonnemebriselecœur.J’aitendanceàoublierqueSethadesproblèmes,luiaussi.Ilfautquejesoislàpourlui,commeill’a
toujoursétépourmoi.J’essaiedememettreàsaplace.Jeposeunemainsursonbraspourleréconforter.—Net’inquiètepas,Seth.Greysonn’estpascommelui.Ilpousseunsoupiretrecouvremamainaveclasienne.—Jesais,maisc’estplus fortquemoi.Parfois, jeme revoispar terre,écrasésous leurscoupsde
poing.C’estcommesic’étaithier…Jeleprendsdansmesbras.Jesuissurprisedemesentiraussiàl’aise.—Le seulmoyend’échapper à notre passé, c’est d’aller de l’avant.C’est ceque tumedis tout le
temps.—Jesais.EtjesaisqueGreysonn’estpascommeBraiden.Jesaisqu’ilm’aime.Maisjen’arrêtepas
de penser à cette foutue journée. J’étais tellement heureux, Callie. La vie était belle. Et ils ont tousdébarquéà l’arrièredece fichuquatre-quatre…Jen’arrêtepasdevoir sonvisage.Lahainedanssesyeux,commesic’étaitmafaute,commesic’étaitmoiquil’avaisforcéàlefaire…Ilpleuresurmonépaule.Jeluilaisseletempsdeseressaisir.Ils’écartedemoiens’essuyantlesyeux.—J’aiprispeur,Callie.Jeluiaiditdestrucsquejeregrette.J’arracheunefeuilledepapiertoiletteetjelaluitends.—Demande-luipardon.JesuissûrequeGreysoncomprendra.Ilessuieseslarmesetjettelepapieràlapoubelle.—Peut-êtrepas.—Etpeut-êtrequesi.—Disdonc,tudeviensaussioptimistequemoi!Ilpasseunbrassurmesépaulesetnoussortonsdestoilettesensouriant.Sethmeguidejusqu’ànotre
table. Je me sens de nouveau gênée. J’ai honte de ma robe. Chaque fois que quelqu’un me frôle, jetressaille.Unejolieblondeenrobenoireestassiseàmaplace,enpleinediscussionavecLuke.Ellemejaugede
latêteauxpiedsenmevoyantarriver.Sethattrapedeuxverres sur la table.Sans réfléchir, j’accepteceluiqu’ilme tendet je leboisd’un
trait.L’alcoolmebrûlelagorge.—Beurk!Jen’enavaismêmepasenvie!Iléclatederire,avalelesienetposenosverresvidessurlatable.—Onvadanser?
Il me prend par la main et m’entraîne jusqu’à la piste. J’ai la tête qui tourne et les jambes quiflageolent.—Tuenessûr?Jenemesenspastrèsbien.—Onabesoindesedétendre,Callie.Jeregardelesgensautourdenous,quisefrottentlesunsauxautressurunemusiquelangoureuse.—Tusaisàquelpointçamemetmalàl’aise…—Menteuse!Jet’aivuedanserdanslavoiture,l’autrejour.Tut’eséclatée.Setharaison.Jesourismalgrémoi.Ilposelesmainssurmeshanchesetnousdansonsensilence.Je
repenseàlapremièrefoisoùKaydenetmoiavonsdanséensemble.Depuis,toutachangé.Kaydenrefusede me parler et, quand je le regarde, je le revois allongé sur le carrelage, couvert de sang. J’ai eutellementpeur…Peurqu’ilnemeure.Peurqu’ilnem’abandonne.Sethessuieunelarmequidévalemajoue.—Qu’est-cequit’arrive,Callie?—Jeneveuxpasqu’ilmeure.Jeneveuxpas…—Qui?Kayden?Ilnevapasmourir,Callie.Ils’enestsorti.CequeSethnecomprendpas,c’estquecequiestarrivécesoir-làpourraitsereproduire.Kaydenest
commemoi.Ilenfouit toutauplusprofonddelui, jusqu’àcequ’ilexplose.Et, laprochainefois, jeneseraipeut-êtrepaslàpourlesauver.Jenepeuxpasvivresanslui.Depuisl’incident,jesaiscequedeviendraitmaviesijeleperdais.Il
fautquejenoussauvepourquenoussoyonsenfinheureuxtouslesdeux.
Kayden
JenesupportepasdevoirCalliepleurer.Çamebriselecœur.Jerevienssurmespasenpoussantlesgensquimebloquentlepassage.J’oubliemesproblèmesetjenepenseplusqu’àelle.Quandellemevoitapprocher,elleessuieleslarmessursesjoues.Sethsetourneversmoietenlève
lesmainsdesataille.—Jetelalaisse?Jehochelatête.Ildisparaîtdanslafouleetjeprendssaplace.—Qu’est-cequ’ilya,Callie?—Rien.Jesuisjustefatiguée.—S’ilteplaît…Dis-moicequinevapas.Elleétouffeunsanglot.—C’est…Cen’estrien,Kayden.Ellenepeutplusretenirsespleurs.Elleblottitsonvisagecontremoiets’accrocheàmontee-shirt.Ses
larmestraversentletissu.Toutlemondedanseautourdenous,maisjen’osepasbouger.Jeluicaresseledosetjepasseunemaindanssescheveux.—Chut…Çavaaller…J’aienviedepleurer,moiaussi.Jenesaispaspourquoi,maisjesenssadouleur.Jemeconcentresur
monpoignetetmacoupure,maiscelanesuffitpasàmecalmer.JeserreCalliedansmesbrasetjelasoulève.Elleenroulesesjambesautourdematailleetsesbras
autourdemoncou.Jemaintienssarobeenplaceentraversantlasalle,jesorsdelaboîteetjemedirigeversuntaxigarélelongdutrottoir.Jem’assoissurlabanquettearrièresanslâcherCallie.Lechauffeurjetteunœildanslerétroviseuretnousregardedetravers.Jefermelaportière.—552,avenuedelaPlage.Ildémarreetmetlecompteurenroute.Calliepleuretoujours.Montee-shirtesttrempé.Jegardeune
mainautourdesatailleetjeposel’autresursanuque.Àmi-chemin,tandisquenouslaissonsl’avenuederrière nous,Callie lève la tête et pose sonmenton surmon épaule. Je ne lui demande rien.Elle secontentederegarderleslumièresdéfilerderrièrelavitre.Noussavonsquel’undenousdevratôtoutardbriserlesilence.
Callie
Jemeconcentresurlachansonquipasseàlaradio.Lechanteurparledelafillequ’ilaimeetquil’aquitté. Je l’envie parce qu’il ose le crier au monde entier. Moi, je découvre peu à peu que je suisamoureuse de Kayden, et je ne suis même pas capable de le lui dire. Pas seulement par peur d’êtrerejetée,maisparpeurdel’inconnu.C’estlapremièrefoisquejetombeamoureuse.Avant,jenesavaispascequ’étaitl’amour.Aujourd’hui,jecomprends.Je regarde les guirlandes de Noël défiler derrière la vitre. Rouge, vert, blanc. Cela me rappelle
l’époque où j’adorais Noël et où je courais jusqu’au sapin pour ouvrir mes cadeaux. Tout a changél’annéedemesdouzeans.Depuis,lescadeauxdeNoëlmerappellentceuxdemonanniversaire.Jeme souviens duNoël qui a suivi l’incident. Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai fixé le plafond en
espérantentendrelePèreNoëlmarchersurletoit,commequandj’étaispetite,maisl’imaginationetlamagiedemonenfanceavaientdisparu.Toutcequej’aientendu,c’étaientlessecretsenfouisaufonddemoietlesilencedelanuit.Lelendemainmatin,quandmamèreestentréedansmachambre,j’aifaitsemblantdedormir.—Callie?Réveille-toi,machérie.LePèreNoëlt’aapportédescadeaux.J’aiouvertlesyeux.Elleportaitunpeignoirroseetelles’étaittressélescheveux.Ellenes’étaitpas
encoremaquillée.Jelatrouvaisplusbelleaunaturel.Ellem’afaitungrandsourire.—Bonjour,machérie.Prêteàouvrirtescadeaux?—Jeneveuxpasdecadeaux.Jeluiaitournéledos.Elleaposéunemainsurmondosetj’aisursauté,repensantàladernièrefois
quequelqu’unm’avaittouchéedanscelit.—Qu’est-cequit’arrive,Callie?Tuasl’airtristedepuisquelquesmois.
—Jenesuispastriste.J’enaijustemarredefairesemblantdecroireendeschosesquin’existentpas.LePèreNoëln’existepas,maman!Jelesaisdepuisquej’aihuitans.—Biensûr,machérie.MaisilfaitpartiedelamagiedeNoël.C’estjustepours’amuser…—Lamagien’existepas!J’enaimarredejouerlejeu.Jeveuxdormir.Jesuisfatiguée.Elleestrestéeassiseauborddulitpendantquelquessecondes,puiselles’estlevée.—Commetuveux.C’esttoutcequ’elleadit.Elleestsortiedemachambre,etlessouvenirsquimehantaientdepuisdes
mois ont ressurgi. Aujourd’hui encore, je me demande pourquoi elle ne m’a pas posé davantage dequestions.Ellesavaitquequelquechosen’allaitpas.Unjour,j’oseraileluidemander.Illefaut.—Callie?J’ouvrelesyeux.Letaxivientdesegarerdevantlamaison.J’entendsl’océanauloin.Kaydenglisse
unemèchedecheveuxderrièremonoreille.—Tut’étaisendormie.—Désolée.—Tun’aspasàt’excuser.J’aimebient’avoirdansmesbras.Çamecalme.Je retiens les larmesquimenacentdecouler.Kaydensortunbilletde sonportefeuille et le tendau
chauffeur.Jeglissesurlesiègeetilouvrelaportière,montesurletrottoiretmetendlamain.Ilm’aideàsortirdutaxietfermelaportièrederrièremoi.Nousrestonsplantéslà,devantlavoituredeLuke,tandisqueletaxiremontel’alléedegravieretdisparaîtdanslanuit.Kaydentournelatêteversmoi.—Etsionallaitfaireuntour?—Bonneidée.Ilm’offreun sourire timide et entremêle sesdoigts et lesmiens.Nousmarchonsmaindans lamain
jusqu’à laplage. J’aidumalàmarcherdroit.Messandalesn’arrêtentpasdesecoincerdans le sablefroid.Jemepenchepourlesenleveretjelesgardeàlamain.Nousnousengouffronsdanslenoir,avecla
lune pour seul guide. Le fracas régulier des vagues nous berce. Une doucemusique s’échappe d’unemaison.Jesuisattentiveaumoindrebruitetjesavourelafraîcheurdelanuit.—Est-cequetuasfroid?medemandeKaydenlorsquenousapprochonsdel’eau.—Unpeu.Iltournelatêteverslamaison,quiestperchéeenhautd’unepetitedune.—Attends-moilà.Jevaistechercheruneveste.Jeleretiensparlebras.—Non!Resteavecmoi.S’ilteplaît.Ilfaut…Ilfautqu’onparle.Ilal’airperplexe.Méfiant.Ilsefrottelanuqueets’assoitdanslesable.Ilm’attiresursesgenoux.Je
fermelesyeux.Jesuisàl’abridanssesbras.Àmaplace.Kaydenest lapersonneavecqui jemesensleplusà l’aise,et j’espèrequ’ilressent lamêmechose
enversmoi.Maisj’aisurtoutbesoindesavoir.Decomprendrecequiluiestarrivé.—Qu’est-cequis’estpassé,Kayden?
Unequestionsisimple,maissilourdedesens.Jeleregardedroitdanslesyeux.Ilaspireunegrandeboufféed’air.Seslèvress’entrouvrent:—Monpèrem’apoignardé.
Kayden
Jenesaispaspourquoijeluiréponds.Cen’étaitpasprévu.J’avaisl’intentiondegarderlesecrettoutemavie.MaisCallieestlà,dansmesbras.Elleattendlavéritéetjeveuxlaluidonner.Jeveuxtoutluidonner.Elleenalesoufflecoupé.Elleestsurlepointd’éclaterensanglots.J’enrouleunbrasautourd’elleet
jelaserrecontremoi.—Calme-toi.Jevaisbien,Callie.Elle a la peau gelée. Je lui frotte les bras pour la réchauffer. Je commence à regrettermon choix.
Jamaisjen’auraisdûluimettrecefardeausurlesépaules.—Jesuisdésolé.J’aieutortdeteledire.—Non,Kayden.Tuauraisdûm’enparlerplustôt.—Tuastespropresproblèmesàrégler.Tun’aspasbesoindeça…Elleal’airfurieuse.Ondiraitpresquequ’elleveutmegifler.—Kayden…Je…Toutestmafaute.J’ouvrelabouchepourprotester,maisellelarecouvred’unemainpourmefairetaire.—Jen’auraisjamaisdûteparlerdeCaleb.Situnem’avaispasvengéeenlefrappant,riendetoutça
neseraitarrivé.—Non,Callie!Tuaseuraisondemedirelavérité.Ilneméritepassalibertéalorsqu’ilt’avoléla
tienne.Elleenlèvesamaindemaboucheetpousseunsoupirdefrustration.—C’estpourtantcequefaittonpère.Est-cequequelqu’und’autreestaucourant?—Mamère.Elleestaucourantdetout.Elleatoujourssuquenotrepèrenousfrappait.Elles’enfiche.Callietournelatêteversl’océan.—C’estinjuste.Ilfautqu’onenparleàquelqu’un.Elleessaiedeselever,maisjepressemesdoigtssurseshanchespourl’enempêcher.—Çanesertàrien.Etilfautquetuarrêtesdet’inquiéterpourmoi.Ilesttempsdefairefaceàl’inévitable.Ilfautqu’ellecomprennequijesuisvraiment.—J’aifaitn’importequoi,Callie.Jesuiscomplètementbrisé.Jenesaispassij’arriveraiunjourà
arrêterdemefairedumal.Ilfautqueturestesloindemoi.S’ilteplaît…Oublie-moietvistavie.—Non.—C’estpourtonbien…—Jenesuispasaveugle,Kayden!J’avaiscomprisquetutecoupaisavantmêmequetumeledises.Elleglisseundoigtsousundemesélastiques.Ellealeslarmesauxyeux.
—Comment?—Quand on a fait l’amour. J’ai vu les cicatrices sur tes bras, et j’ai pensé…L’idéem’a traversé
l’esprit.Moncœurestcommefripé,froissé,bonàjeteràlapoubelle.—Pourquoinem’enas-tupasparlé?—Quevoulais-tuquejetedise?Commentaurais-turéagisijet’avaisposélaquestion?Etpuis,jene
voulaispasycroire.J’aipréféréignorerquetufaisaisça.—Parcequec’étaittropduràsupporter?—Non,Kayden.Parcequejerefusaisd’accepterquetuportesautantdesouffranceentoi.Jesaisà
quelpointilfautsouffrirpourenarriverlà…àvouloirsefairedumal.C’estunerévélation.Quelqu’unmecomprend.Calliemecomprend.Ellen’apaspeurdemoi,nidece
quejecache.Etc’estellequejeveux.Commentai-jepuvivretoutescesannéesdanslamêmeville,lamêmeécolequ’elle,sanslavoir?—Jesuisperdu,Callie.Jememutile,jelaisselesautresmefairedumaletjen’enparleàpersonne.—Justement.Ilfautqueçachange.Ilfautraconteràquelqu’uncequet’afaitsubirtonpère.—Personnenemecroira.Toutlemondesaitquej’aifrappéCalebetmescicatricesprouventqueje
mecoupe.—Peuimporte.Ilfautessayer.Elleenfoncesesdoigtsdansmesépaulesetjelaregardedroitdanslesyeux.Jelaregardevraiment.
Je ne pensais pas qu’il existait des gens comme elle dans lemonde. Pourtant, elle est bel et bien là,devantmoi,plusmagnifiquequejamaissouslaclartédelalune.—EtCaleb?Tun’enasparléàpersonne,toinonplus.—J’ytravaille.Toietmoi,onvaréglertoutça.Ilesttempsd’arrêterdesefairemarchersurlespieds,
Kayden.Ilesttempsdesebattre.Elle a la voix qui tremble. J’ai l’impression qu’elle essaie de se convaincre autant que de me
convaincre.Ilmetardequ’ellefasseéclaterlavéritéetquecemonstresoitenfinarrêté.—Dis-moicequiteferaitplaisir,Callie.—J’aimeraisque lemondesoitmoins laid.J’aimeraismeréveiller lematinensachantque tout ira
bien.J’aimeraisêtreheureuse.Jehochelatête,parcequec’esttoutcequejeluisouhaite.—Qu’est-cequiterendraitheureuse?—Toi.Deslarmesdévalentsesjoues.Callieachoisilegarçonleplusvideetleplusbriséquiexiste.Jene
saispassi jesuiscapabledeluidonnercequ’ellecherche.J’entrouvreles lèvresmais jen’aiaucuneidéedecequivaensortir.Callieapprochesabouchedelamiennepourmefairetaire.Jetournelatêteetjeposeunemainsursajoue.—Tuneveuxpasdemoi,Callie.Crois-moi.Ellem’embrasseens’agrippantàmesépaules.Elletrembledansmesbrasetjeveuxlaréconforter.Je
l’embrassed’abordavectendresse,puisavecpassion.
Nousnousallongeonssurlesable.Noscorpsetnoslanguess’entremêlent.Lachaleurdesapeaumetranscende.Noussommesseulsaumonde.Jemedisquetoutvas’arranger.QueCalliefaitpartiedemaviepourtoujours.Pendantuncourtinstant,cettepenséenemefaitpluspeur.
Callie
Jecrainsqu’ilnemerejette,maisjem’enfiche.Cesoir,j’aicomprisquelquechose.Kaydennepeutpasm’aimerparcequ’ilneconnaîtpasl’amour.Ilneconnaîtqueladouleuretlafrustration.Àmoideluimontrerdequoiils’agit.Audépart,ilm’embrassedoucementetcaressemalangueaveclasienne.Puisnotrebaisers’enflamme
etnousroulonssurlesable.Ilglisselesmainssurmondosetsousmarobe.Celamerendnerveuse,maisjemerappellequ’ilm’adéjàvuenue.Jemelaisseenvoûterparsescaresses.Ileffleuremaculotteetglisseunemaindessous.Jetrembledefroid,d’excitationetdepeur.Toutescessensationsdisparaissentquandilenfoncesesdoigtsenmoi.Jesoupiredeplaisir.Desgémissementsincontrôlablesm’échappent.Jesuissurlepointd’exploserquandilretiresamainetseredressepourselever.—Kayden?Qu’est-cequ’ilya?Ilmeprenddanssesbrasetj’enroulemesjambesautourdesataille.—Jeteramèneàlamaison.Jen’aimepaslesable.Ças’infiltrepartout.Jerougisaussitôt.Heureusementqu’ilfaitnuit.Kaydenm’embrasseenremontantladuneetl’alléede
gravier. Je frissonne de plaisir. Il contourne le quatre-quatre de Luke et monte l’escalier. La lumièreextérieures’allume.Ilpasseundoigtsurmajoue.—Çam’amanqué,tusais.Tesjouesroses.C’estadorable.À peine sommes-nous entrés qu’il écrase sa bouche contre la mienne. Il traverse la maison en se
cognantcontrelesmurs.LalampeestrestéealluméedanslachambrequejepartageavecSethetlalueurdelalunes’infiltreparlescarreaux.—Ets’ilsreviennent?dis-jedansunsouffle.Kaydenfermelaporteàcléetajustesonbrasderrièremondos.Jesenssonsexecontrelemien.Seuls
sonjeanetmaculottenousséparent.J’aienviequ’ilmefassel’amour.Ilyaencorequelquesmois,cetteidée était inenvisageable. Aujourd’hui, c’est différent.Mon cœur et mon âme ont quitté les ténèbres.Kaydenestmalumièreetj’espèrequ’unjourjeserailasienne.Il m’embrasse avec passion et presse ses mains tièdes contre ma taille. Il m’allonge sur le lit et
recouvremoncorpsaveclesien.J’aimeraismesentiraussiheureuseetaussilibredanslaviequequandjesuisavecKayden.—Callie…J’écartelesjambesetilremonteunemainsousmarobe,jusqu’àmonsoutien-gorge.Pendantuncourt
instant,j’ail’impressiond’étouffer,maisjemerappellequ’ils’agitdeKaydenetquejamaisilnemeferadumal.Ilestprêtàtoutpourmeprotéger.Ilmel’adéjàprouvé.Ilfaufilesesdoigtssousmonsoutien-gorgeetenveloppemonseindesamain.Mestétonsdurcissentet
mes jambes se contractent autour de lui. Je jette la tête en arrière et j’enfonce mes ongles dans sesépaules.Kaydensefrottecontremoi.Chaquemouvementestempreintdepassion.J’oubliequijesuis.Je
n’existequedanscetinstant.Ildescenddu litetm’assoit sur le rebord. Il se lève, saisit l’ourletdemarobeetme l’enlèved’un
coupsec.Mescheveuxtombentsurmesépaulesetmoncœurbonditdansmapoitrine.Jemelèveàmontouretm’agrippeàluipendantqu’ildétachemonsoutien-gorge.Jeglisseunemainsursontorse.Jesenssoncœurbattrecontremapaume.Ensoulevant son tee-shirt, jedécouvre lacicatrice laisséepar sonpère. Je repenseàcequi lui est
arrivéetàcequ’ilatraversé.J’aienviedepleurer.—Callie…Ilposeundoigtsousmonmentonpourmeforceràleregarderdanslesyeux.Ilenrouleunemainautour
demonpoignetetydéposeunbaiser.Sonsoufflecaressemapeau.—Net’inquiètepaspourmoi.Jevaisbien.Jesaisquec’estfaux,maispeuimporte.Ilenlèvesontee-shirtetlejetteparterre.Monregardsepose
sursesnombreusescicatrices.Lapluslonguetraversesontorse.Jelasuisduboutdudoigt.—Jesuistombésurunrâteau…enessayantd’échapperàmonpère.Ilenparlecommesic’étaitnormal.Ilmebriselecœur.—Kayden,je…Ilmefaittaired’unbaiser.Ilmeplaquesurlelitetexplorelesmoindresrecoinsdemabouche.—Jesaisquetuveuxendiscuter,Callie.Jeteprometsqu’onlefera.Maislà,toutdesuite,c’esttoi
quejeveux.Rienquetoi.—D’accord.Ilcaressemajoueetjefermelesyeux.Ilmerendfolle.Ilsouritenenlevantsonjeanetsoncaleçon,
puis il faitdescendremaculotte le longdemes jambes. Ilattrapeunpréservatifdanssonportefeuille,l’enfileetposesesbrasdechaquecôtédematête.—Situveuxqu’onarrête,dis-le-moi.Jet’obéirai.—Jesais.J’ai envie de lui dire que je l’aime. J’en aimarre deme retenir. Il nem’en laisse pas le temps. Il
m’embrasse et s’enfonce enmoi. Je n’ai pas aussimal que la première fois. J’écarte les jambespourl’accueillir.Jenouelesmainsderrièresondosetjevoyageversdenouveauxhorizons,oùKaydenetmoisommeslibres.J’aimeraissaisirl’instant,legarderdansmoncœurpourtoujours,pourquemaviesoitentière,vraieetintense.Pourqu’ellesoitparfaite.
Kayden
Callieme rend fou. Chaque fois qu’elleme regarde, elle vole une partie demon âme. Quand ellem’embrasse, leKaydenvideetblessédisparaît.Ellemepossède,et j’aimerais resterenelle toutemavie. C’est à la fois terrifiant et magnifique. Je ressens des émotions que je ne m’autorise qu’en saprésence.Rienneserajamaiscomparableàcequenousvivonsensemble.Sesyeuxsevoilentetellejettelatêteenarrière.Elleenfoncesesonglesdansmapeau.J’adoreces
sensationsetjem’enveuxaussitôt.Ledésirdesouffranceesttoujourslà,enmoi,mêmeavecCallie.
—Kayden…Ellegémitdeplaisirets’agrippeàmoi,àmapeaumoite.Sonsoufflecaressemajoue.Elledessine
descerclesdansmondos.J’aibesoind’unepause.Jel’embrassesurlajoueetjecommenceàmeretirer,maiselleserrelesjambesautourdemataillepourm’enempêcher.Ellemeregardedroitdanslesyeux.—Neparspas…S’ilteplaît.Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Donne-moideuxminutes,d’accord?Je m’allonge à côté d’elle et je glisse une main sous ma tête. Je fixe le plafond. Je commence à
comprendrequelquechose…Quelquechosequejenesuispascertaindevouloirentendre.J’aibesoindeCallie.Avecelle,jemesensmieux.Vivant.Maisjen’aipasledroitdeluifairesubirmesdouleursetmasouffrance.Callieremonteledrapjusqu’àsonmentonetdécollelescheveuxdemonfront.—Àquoitupenses?Jeroulesurlecôtépourluifaireface.—Tuveuxvraimentsavoir?—Oui.—Jemedisaisquetuferaismieuxdemequitter.Sarespirations’accélère.—Tu…Tuveuxquejetequitte?Jeposeunemainsursahanche.— Je suis bien avec toi, Callie…mais je veux que tu sois heureuse. Et ce n’est pas avec unmec
commemoiquetuyarriveras.Elle réfléchit un instant en semordant la lèvre. Jemeurs d’envie de l’embrasser,mais cela irait à
l’encontredesprincipesquejesuisentraindedéfendre.—Jecomprends,Kayden,maisjenesuispasd’accord.Jemesensbienavectoi.—Ilyapleind’autreshommessurcetteplanète.—Non…C’esttoiquejeveux.—Tuméritesmieuxqueça,Callie.Jecaressesajoueetlatachedenaissancesursatempe.Lavéritémedéchireetmebriselecœur.— Tu es quelqu’un de bien, murmure-t-elle en retenant ses larmes. J’aimerais que tu t’en rendes
compte.—Moi,j’aimeraisquetusoislibre.—Peuimporte.Jeveuxjusteêtre là.Avectoi.Jemefichedetesproblèmes.C’est toiquejeveux,
Kayden.Etj’aimeraisquetusoisheureux.Tumériteslebonheur.Personnenem’ajamaisditunechosepareille.Jesensmoncœurbattresouschacunedemescicatrices,
etilfautquejelefassetaire.Jeposelesmainsderrièresatêteetjel’embrasseavectellementdepassionquej’enoubliemesmaux.
Je l’allonge sur ledos et jeposeunemain sur son sein.Elle écarte les jambesen tremblant. Je luimordslalèvreetjel’embrassesurlamâchoire,lecou,lesépaules.Elleenroulelesjambesautourdemataille.J’aspireetlèchesontétonetellegémitdeplaisirenemmêlantsesdoigtsdansmescheveux.J’aienvied’elle.Jen’enpeuxplus.J’attrapeunautrepréservatifet,quelquessecondesplustard, je
suisenelle.Lalourdeurdumondeetdemavieaencoredisparu.
Callie
Nousfaisonsl’amourtoutelanuit.Aupetitmatin,j’enfileletee-shirtdeKayden,ilremetsoncaleçonetnousnousblottissonsl’uncontrel’autre.LukeetSethrentrentdeboîtequelquesminutesplustard.Sethtiresurlapoignéeetfrappeàlaportedelachambre.—Hé!Callie!Ouvre-moi!—Ouais,Callie!Ouvre-lui!Ilséclatentderireetjecroisentendreunbruitdeverrebrisé.JecroiseleregarddeKayden.Ilsourit
enjouantavecmescheveux.—Ilssontbourrés.JepariequeLukevientdecasserunebouteille.—Est-cequeçaluiarrivesouvent?—Toutletemps.Quandilboit,ilnesaitplusseservirdesesmains.J’éclatederireetildéposeunbaisersurmonfront.—Est-cequejeluiouvre?—Non.Laisse-lessedébrouiller.Sethcontinuedefrapperàlaporte.Ilfinitparlaissertomber,etlamaisonestdenouveauplongéedans
lecalme.Même siKayden etmoi venonsdepasser unbeaumoment, desmilliers dequestions se bousculent
dansmatête.—Àquoitupenses,Callie?Jelèvelatêteversluietj’examinelespetitescicatricessursonvisage.Jesuissurprisequesipeude
genslesremarquent.—Jepensequetudevraisdénoncertonpère.
Illâchelamèchedecheveuxaveclaquelleiljouait.—Jenepeuxpas.Onnemecroirajamais.—Si,Kayden.Ilsuffitdetrouverlabonnepersonne.Ilregardelaluneparlafenêtre.—Jenepeuxpas.—Biensûrquesi.Ettusaispourquoi?Parcequejevaislefaire,moiaussi.—TuveuxdénoncerCaleb?—Oui,maisseulementsitumeprometsdedénoncertonpère.Enthéorie,toutcelaesttrèssimple.Enréalité,c’estuneépreuvedifficile,douloureuse,humiliante…—C’estduchantage.—Jesais,maisc’estpourtonbien.C’estparcequejet’aim…Jefermelabouchejusteàtemps.Ilfaitminedenerienavoirentendu.—Qu’est-cequeçanousapportera?Unelarmedévalemajoueets’écrasesursapeau.—Laliberté.Lemurquej’aibâtiautourdemoiestentraindes’effondrer.J’éclateensanglots.Unefoisdeplus.—D’accord,Callie.Jevaisenparleràquelqu’un.Jeleferaipourtoi.Ilparletellementbasquemessanglotscouvrentsavoix.Jen’aimepassaréponse.Jeneveuxpasqu’il
lefassepourmoi,jeveuxqu’illefassepourlui.Jeveuxqu’ilcomprennequ’ilestungarçonformidable.Ungarçonquiaccepteunefilledonttoutlemondeatoujourseupeur.Ungarçoncapabledebriserdesforteressesindestructibles.Ungarçonquej’aime,toutsimplement.
Kayden
Callieveutquenouspartagionsnossecretsavecquelqu’un.Ensemble.Etelleafaillimedirequ’ellem’aimait.Elles’est rattrapée,mais jesaisqu’elle lepensevraiment.Cen’estpascommeavecDaisy.Nous nous le répétions tout le temps, mais ce n’étaient que des mots, des dialogues d’acteurs. AvecCallie, c’est différent. Si elle dit qu’ellem’aime, c’est qu’elle le ressent. Et je ne sais pas commentréagir.Jeneconnaisrienàl’amouretjen’aimepaslajoiequis’estemparéedemoiquandlemotluiaéchappé.Peuimporte.Cequicompte,c’estcequejeviensdeluipromettre.Jesuisprêtàmettremadouleuret
mahontedecôtépoureffacerlessiennes.Jem’enfonceraisuncouteaudanslecœurpourcettefille.Nousrestonsau litun longmoment,àécouter lebruitde l’océan.Desoiseauxchantentdevantnotre
fenêtreetLukeetSethronflentdanslesalon.Callies’endortdansmesbrasetjelaserrecontremoi.Unetornaded’émotionsmetraverse,plusviolentequelesvagues.J’aibesoindelesfairetaire.Jemepincelepoignetetjem’enfoncelesonglesdanslapeau.JerepenseaurasoirdeLuke,dontjemesuisservihierpourmeraser.J’airésistéàl’enviedemecouperenpensantàCallie.Cettefois, jesuisincapabledemecontrôler.Jemeglissehorsdulitenposantsatêtesurl’oreiller.
Ellemurmuredanssonsommeiletelleroulesurlecôté.J’attendsuninstantpourm’assurerqu’elledort,puisjemarchesurlapointedespiedsjusqu’àlasalledebains.J’allumelalumièreetjefermelaportederrièremoi.LatroussedetoilettedeCallieestposéesurlacommode.Jem’enveuxdefouillerdanssesaffaires,maisj’aibesoind’unrasoir.C’estçaoudonneruncoupdepoingdansunmuroudanslemiroir,maisjerisquedecasserquelquechoseetdelaréveiller.Ilyaunepochetteaufonddesatrousse.Jel’ouvreetjepousseunsoupirdesoulagement.Unrasoirest
cachéparmisonmaquillage.Jem’enempareetjepasseundoigtsurlalamepourletester.Ilressembleautoutpremierrasoirquej’aiutilisé:roseavecunebandedegelaumilieu.Jesoulèvelebandageetjeposelalamecontremonpoignet,àcôtédemacollectiondecicatrices.Je
baisselatêteetjesuisprêtàappuyerquandlaportes’ouvre.Je suispétrifié.Personnenem’a jamais surpris en traindemecouper. Jen’aimêmepasbesoinde
lever les yeux pour savoir qu’il s’agit deCallie. Je reconnais l’odeur de son shampoing et le rythmesaccadédesonsouffle.—Kayden.Savoixestétonnammentcalme.Jerefusededresserlatête.Jeneveuxpasqu’ellevoieàquelpointje
suisfaible.Jen’aijamaiseuàm’arrêtersiprèsdubut.Jenesaispascommentmoncorpsetmonespritréagiront.Calliemarchejusqu’àmoi.Sesjambesetsespiedsnusapparaissentdansmonchampdevision.—Kayden.La lame du rasoir est alignée avec mon poignet, et chaque muscle, chaque veine se noue
d’appréhension.—Sorsd’ici,Callie.Fermelaporte.J’enaipouruneminute.—Non.J’ailesmainsquitremblentetlecœurquis’emballe.Jeneveuxpasmemettreencolèrecontreelle,
maisjepaniqueetmesémotionsprennentledessus.—Sorsdecettesalledebains!Elleavanced’unpas,réduisantl’espaceentrenous.—Non,Kayden.Jelèvelatête.Jesuissurlepointdetoutgâcher,maisc’estplusfortquemoi.—Sorsdecettefoutuesalledebains!—Non!Jenetelaisseraipasfaire.ElleneressemblepasàlaCalliequejeconnais.CetteCallieparaîtforteetconfiante.—Tunecomprendspas…Jen’aipasbesoindetoi!Va-t’en!Elletendlamainetenroulelesdoigtsautourdemonpoignet.—Si,jecomprends.Tuveuxétouffertesémotions.Jetecomprends,etc’estpourçaquejesuislà.Si
tumesurprenaisentrain…entraindemefairevomir,jeréagiraisdelamêmemanière.Jetecomprends,Kayden!Elleessaiedemevoler lerasoir.Pendantuncourt instant,sesmotsm’apaisentet jen’aiplusenvie
d’enfoncerlalamedansmapeau.Maisjepaniqueànouveau.Jel’esquive,prêtàhurlerdeschosesquila
marquerontàvie.Ellegrimaceetretiresamaincommesielles’étaitbrûlée.Sondoigtaeffleurélalameetunegouttedesangcoulesurlecarrelage.Jejettelerasoirdanslelavabo.—Excuse-moi,Callie…Jenevoulaispastefairemal.Encoreune fois, j’ai toutgâché.Elle regarde sondoigtet le sangqui s’échappede lacoupure.Son
visageestdéforméparladouleur.Jemeprépareaupire,àcequ’ellemerejetteetm’insulte.Maiselleneditrien.Elleavanceversmoietsejettedansmesbras.Unevaguedecalmemesubmerge.Calliemefaitentièrementconfiance.Jen’aijamaisvécuunechose
pareille,surtoutenpleinecrise.Jenesaispasquoifaireàpartresterplantélà,mesbrassansviependantlelongdemoncorps.—Callie…Ellem’embrassedanslecou.—Çavaaller,Kayden.Toutvas’arranger.Jetelepromets.Jelasoulèveetlaportejusqu’aulit.Nousnousallongeonsetellecroiselesjambesdansmondospour
m’empêcherdefuir.Tantmieux.Pourlapremièrefoisdemavie,jen’enaipasenvie.
Callie
Jel’aisentiselever.Audébut, jen’aipasréagi.Puisj’aidevinéquequelquechosen’allaitpas.Jel’airejointdanslasalledebains,ensachantquecequejem’apprêtaisàvoirseraitsusceptibledemebriseràjamais,commequandj’avaisdouzeans.Mais,cettefois,c’étaitdifférent.J’aiétéforteetjel’aisauvé,commeilm’asauvéemoi.Lorsquejemeréveille,lesoleilbrilleetlecielestteintéderose.J’aimalaudoigt.Jenel’aimême
pasdésinfecté.Ilyadusangpartout:surmamain,monbras,lesdrapsetletorsedeKayden.Jem’assoiset clignedesyeux. Jeporte encore son tee-shirt. Il est imprégnéde sonparfum. Je le laissedormir etj’entre dans la salle de bains. Mes cheveux sont emmêlés et j’ai des poches sous les yeux. Je suisépuisée.J’ouvrelerobinetetjegrimacequandl’eauchaudecoulesurlaplaie.—Est-cequeçava?Kaydenest sur lepasde laporte.Sescicatrices sont soulignéespar le soleildumatin. Je ferme le
robinetetpresseuneserviettecontremondoigt.—Oui.J’avaisjusteoubliédelenettoyer.Ilentreetposeunemainsurlaserviettepourexaminermacoupure.—Jesuisdésolé.—Cen’estpastafaute,Kayden.C’estlamienne.Etçaenvalaitlapeine.Ildéposeunbaisersurmondoigt,surmamain,puis le longdemonbraset jusqu’àmonépaule.Sa
langueetsonsoufflecaressentmapeauetjefrissonnedeplaisir.—Tuesformidable,murmure-t-ilàmonoreille.—Toiaussi.
Ilposeseslèvressurlesmiennes.Noussommesdansnotrebulle,àl’abridumondeetdenospeurs.Pourl’instant,iln’yaqueluiquicompte.Nouspréféronsnousperdredanslesbrasl’undel’autreplutôtqued’affronternosproblèmes.Unjour,quandnousrepenseronsàcevoyage,nousnousdemanderonscequinousestpasséparlatête.Noussortonsdelasalledebainsetnousécrasonssurlelit.Nosjambess’emmêlentcommedesceps
devigne.Ilmemontedessusetjepasseunemainsursontorsemusclé,sentantlachaleurdesapeauetlesbattementsdesoncœur.Ils’immisceentremesjambes.Montee-shirtremonteetKaydencaresselapeausousmonnombril.Ilbaissemaculotteet la faitglisser le longdemes jambes.J’aiencoreunpeumalaprès lanuitde
foliequenousvenonsdepasser,maisjerefused’arrêter.Leplaisirestplusfortqueladouleur.Quandmaculottearriveauniveaudemesorteils,jedonneuncoupdepiedpourm’endébarrasser.Kaydenenlèvemontee-shirtetlejetteparterre.Je suis nue devant lui. Une fois de plus. Moi. Callie Lawrence. Chaque fois que j’en prends
conscience, j’enai les larmesauxyeux. Ilenlèvesoncaleçonetm’attrapepar la taille. Il s’allongeetm’installeàcalifourchonsurlui.Jen’aipasletempsderéagir:ilplaquesesmainssurmondosetposesabouchesurmonsein.Ilaspireletétonjusqu’àcequejehurledeplaisir.Sondésirmecoupelesouffle.Ildonneuncoupdehanchesetmepénètresansprévenir.Jecherchequelquechoseàquoim’accrocher.
Ilsaisitmamainetlaposesursonépaule.Jem’agrippeàluitandisqu’ils’enfonceenmoi,deplusenplusfortetdeplusenplusvite.Monespritselibère.Jem’envole.Lorsquejeredescendsdemonnuage,jeréfléchisaubonheurquecelaéveilleenmoi.Passeulementle
sexe,maislaconnexion.Lecontact.Lefaitquejesoislà,aveclui.Etquej’aillebien.Plusquebien.Jepensequ’ilesttempsdeleluidire.Deretrouvermaliberté.Jelamérite,toutcommejemérited’êtrelà,danslemomentprésent.
Kayden
Lesoleililluminelachambre.IlestmidipasséetSethetLukenesontpasencoreréveillés.Lamaisonestsilencieuse.Calliealatêteposéesurmonbras,lamainsurmoncœuretunejambesurmonventre.—Situavaisdroitàunvœu,qu’est-cequetusouhaiterais?medemande-t-elle.Jepasseunemaindanssescheveux.—Jedemanderaisàresterdanscettechambretoutemavie.—C’estvrai?—Oui.C’estcalme.Paisible.—Qu’est-cequ’onferaitdenosjournées?—Jenesaispas.Elledevienttouterouge.Elleglisselatêtesurmontorseetydéposeunbaiser.—Moi,jepasseraismontempsdanstesbras.J’éclatederire.—C’esttout?Tun’avaisriend’autreentête?—Non.Jemeposaisjustelaquestion.
Elle plonge ses yeux bleus dans les miens. Je rassemble ses cheveux derrière sa nuque lorsquequelqu’unfrappeàlaporte.—C’estmoi!ditSeth.J’aibesoindemesaffaires.Callieseredresse.J’effleuresontétonentirantsurledrap.Ellesortdulitensouriantetsedirigevers
undes sacsqueSethportait laveille. Jebalaie soncorpsnudu regard.Callie estminuscule,maigre,fragile.Ilfaudraitquenousabordionssonproblème.Cesdernierstemps,nousneparlonsquedemoi.—Allez,Callie!insisteSeth.Ouvre-moi,s’ilteplaît.—J’arrive.Ellechoisitunshortetuntee-shirtetsedirigeverslasalledebains.—Kayden,est-cequetupourrasluiouvrirquandtuserashabillé?—Qu’est-cequetufais?—Jevaisprendreunedouche.J’aiencoredusabledanslescheveux.J’imaginel’eauchaudedévalersoncorps,sescheveux,sesseins.J’aienviedelasuivre.Aujourd’hui,
toutestparfaitetjeveuxfairedurerleplaisiraussilongtempsquepossibleavantd’affronterlaréalité.—Attends-moi.Jemelèveensouriant.Ellemeregarded’unairperplexe.Jelarejoinsetposeunemainsursonbras.—Tuasl’airperdue.Ellebalaiemontorseduregard.—Jenecomprendspas.Tuveuxprendreunedoucheavantmoi?—Non.J’aimeraismedoucheravectoi,Callie.Ellesemblesurprise.J’espèrequejenesuispasallétroploin.—Allez!Çavaêtremarrant.Jelaprendsdansmesbrasetjelaportejusquedanslasalledebains.Elleéclatederire.—Attends!IlfautouvriràSeth.Jerevienssurmespassanslalâcher,jetournelaclé,jecoursjusqu’àlasalledebainsetjefermela
portederrièrenous.—C’estbon,Seth!Tupeuxentrer.Calliecaressemanuqueduboutdesdoigts.Jel’embrasseenriant.—Oùestladouche?Ellemontredudoigtuneportedanslecoin.—Cen’estpasunplacard?—J’espèrequenon.Jeposelesmainssoussesfessesetj’ouvrelaporte.Elledonnesurunetoutepetitepièce.Lemurest
recouvertdevitresdépoliesquidonnentsurl’océanetilyaunebaignoireovaleaumilieu,légèrementsurélevéeetencadréedemarchescarrelées.Calliefroncelessourcils.—Iln’yapasdedouche.Dommage…L’idéecommençaitàmeplaire.
Jemedirigeverslabaignoireetj’ouvrelerobinet.Jeregardel’eaucoulerenvérifiantlatempérature.—Qu’est-cequetufais,Kayden?—Jepréparenotrebain.—Tuveuxqu’onprenneunbainensemble?—Seulementsituenasenvie.—C’estdégoûtant!Jeneveuxpasmebaignerdanstacrasse.Jemontesurlamarche.—Tumeprendspourqui?Jenesuispassale!—Touslesmecssontsales.C’estbienconnu.Je lui pince la cuisse. Elle éclate de rire et je perds l’équilibre. Je pose les deux pieds dans la
baignoire pour ne pas tomber en arrière. Je dérape et j’essaie d’atterrir avec autant de grâce quepossible,maisjemecognelecoudeetjemetsdel’eaupartout.Callie continue de rire. Je m’assois en la gardant dans mes bras.Mes doigts glissent sur sa peau
mouillée. L’eau perle sur son corps et ses cheveux.C’est encoremieux que ce que j’imaginais.Nousrestons quelques minutes dans cette position, à écouter l’eau remplir la baignoire et à attendre quequelqu’unbriselesilence.—Callie,jevoulaisteparlerdecequetum’asconfiél’autrejour.De…detesvomissements.—J’ytravaille,Kayden.—Tuestropmaigre.—Çan’arienàvoiravecmonpoids.Jetel’aidéjàdit.—Jesais,maisjedétestetevoirtefairedumal.C’esthypocritevenantdemapart,maisilfautqu’ellesachecequejeressens.—Jedevraispeut-êtreenparleràquelqu’un,songe-t-elle.—Bonneidée.Je…J’aivuunpsy,quandj’étaisaucentre.Jedétestaiscetendroit,maisj’aimaisbien
cemec.Ilveutqu’oncontinuenosséances.Calliemeregardedroitdanslesyeux.—C’estbien.C’estpeut-êtreàluiquetudevraisparlerdetonpère.—Jenesaispassic’estlabonnepersonne.—Quid’autre?Ellearaison.Àquipourrais-jemeconfier?Mamère?MonfrèreTyler?—Illefaut,Kayden.Etjet’accompagnerai.Jeserailàpourtesoutenir.Elle passe unemain dansmes cheveuxmouillés. J’adore Callie, mais je ne suis pas certain de la
vouloiràmescôtésquandjedéballeraimonhistoire.—Cen’estpasunebonneidée.Jeneveuxpasquetuentendeslesdétails…C’esttropdur.—Jet’aivu,Kayden.Jesaisdéjàcequit’estarrivé.Jesuisprêteàtoutentendre.Saufsituneveux
pasquejesoislà…—C’estpourtonbien.Pourteprotéger.Ellemeprendparlamain.
—Laisse-moit’aider.S’ilteplaît.Ilestimpossibledeluidirenonquandellemeregardeaveccesyeux.—D’accord,maisàuneseulecondition.—Dis-moi.—Jeveuxêtrelàquandturaconterasàtafamillecequet’afaitCaleb.Ellem’embrasseavectendresse.—Entendu.Onvayarriver,Kayden.Onestplusfortsquandonestensemble.Ellearaison.Hiersoir,Calliearéussiàm’empêcherdemecouper.J’aitoujoursdumalàycroire.— Il faut qu’on rentre aujourd’hui. On n’aurait jamais dû venir ici. J’ai l’impression de fuir mes
problèmesetderepousserl’échéance.—C’estvrai.C’étaitunemauvaiseidée.—Pasmauvaise,dis-jeenglissantunemainentre ses jambes.Cequi s’estpasséhier soir, et cette
nuit…C’étaitformidable,Callie.Je l’embrasseet lacaresse jusqu’àcequ’elle jouisseethurlemonnom.Ensuite, je lui fais l’amour
danslabaignoire.Jelaveuxtoutentière.J’aienviedeprofiterdesaprésencejusqu’aubout,aucasoùtoutcelasetermineraitmal.Pourlapremièrefoisdemavie,j’espèrequej’aitort.
Callie
Jen’aijamaisaimélesbaignoires.L’idéedestagnerdanssaproprecrassem’atoujoursécœurée.Lebainquej’aiprisavecKaydenm’afaitchangerd’avis.J’enfileunjean,untee-shirtetmeschaussures,puisjem’attachelescheveux.J’aiunpeupeurdesortir
de lachambre.Depuishiersoir,Kaydenetmoivivonsdansnotrebulle,et jesaisqu’elleéclateradèsl’instantoùlaportes’ouvrira.SurtoutquandnousannonceronsàSethetàLukequenousvoulonsrentrerplustôtqueprévu.Kaydenporteunechemiseàcarreauxetunjean.Ilalescheveuxmouillésetilaenlevésonbandage.
Certainescoupuresn’ontpasencorecicatriséetl’uned’entreellessembleplusrécentequelesautres.Ilcachesonpoignetsoussamanche.—J’yarriverai,Callie.Jetelepromets.—Jesais.Jeneveuxpasteperdre.J’aibesoindetoi,Kayden.Madéclarationlemetmalàl’aise.Peuimporte.Ilfautqu’illesache.Ilenfileunélastiqueautourde
sonpoignetavantdeboutonnersamanche.—Prête?—Sethvanousenvouloir.—Lukeaussi.Tantpis.J’ouvrelaporte.Noustraversonslecouloiretentronsdanslacuisine.SethetLukesontàtable.Elle
estrecouvertedebouteillesdebièrevides,decendresetdemégotsdecigarettes.Ilsontl’airépuisés.Ilsontlesyeuxinjectésdesang,leteintblafardetl’airnauséeux.Sethporteunshortetunpologris.Lukeesttorsenuetporteseulementunbasdepyjama.Celamedéstabilise.JeglisseundoigtautourdelaceinturedeKaydenpourmerassurer.Ilplongesesyeuxvertsdanslesmiens.—Çava?
Lukeselèveetouvrelefrigo.Jedétourneleregard.—Oui.Toutvabien.Kaydenpasseunbrassurmesépaulesetmeserrefortcontreluiavantdeleurannoncerlanouvelle:—Ilfautqu’onreparteaujourd’hui.Lukesortunebouteilledelaitdufrigo.Ildonneuncoupdepieddanslaportepourlafermer.—Tudéconnes?Onestarrivéshier.—Jesais,mais…onadestrucsàrégler.Seths’allumeunecigarette.Iljettelebriquetsurlatableetsoufflelafumée.—Quelgenredetrucs?—Destrucsimportants,dis-jeenlesuppliantduregard.Quinepeuventpasattendre.Ilcomprendaussitôt.Luke,lui,estfurieux.—C’estmoiquiconduis.C’estmoiquidécide.Kaydenpousseunsoupirdefrustration.—Jesaisquetuneveuxpasrentrer,maisc’estimportantpourmoi.Jesuisdésolé.JenesaispassiLukecomprendcequisecachederrièrecesmots.J’ail’impressionqueoui.—OK,mec.—Merci.JefaissigneàSethdemesuivredanslachambre.Ilécrasesacigarettedansuncendrierenformede
feuilleavantdemerejoindre.Ilfermelaportederrièrenousetposelesmainssurseshanches.—Qu’est-cequisepasse,Callie?Jeramasselesvêtementsquitraînentparterre.—Jenepeuxpast’enparler.—Pourquoi?—Parcequejenesuispasprête,etcen’estpasàmoideteledire.C’estàKayden.J’enfoncelesvêtementsdansmonsac.Sethn’insistepas.Ilrassemblesesaffaires.Jenettoiederrière
moiensachantque,unefoissortisdecettemaison,Kaydenetmoiretourneronsàlavraievie.J’espèrequ’ellenousvoudradubien.
Callie
J’aipeurderentreràlamaisonetd’affrontermamère,mêmeavecKaydenàmescôtés.LorsquenousarrivonsàLaramie,jejetteunœilàmonportable.Trente-septmessagesvocauxetcinquante-huittextos.—Onpourraitdormiràl’hôtel,suggèreSeth.Prolongerlesvacancesdequelquesjours.—Bonneidée,répondLuke.Jen’aipasenviederentrerchezmoi.Il est tard et les guirlandes de Noël clignotent dans les arbres du parc. Un Père Noël géant nous
accueilleàl’entréedelaville.Kaydenn’arienditdetoutletrajet.Perdudanssespensées,ilapassésontemps à regarder le paysage défiler derrière la vitre. Il me rend triste. Luke s’est contenté de fumercommeunpompier.QuantàSeth,iln’apasl’aird’avoirlemoral.—Jenesuispasrevenuepourfuirmesproblèmes,dis-je.Ilfautquejerentrechezmoi.Sethsoufflesafuméeetfaittombersescendresparlavitrebaissée.—Callie, tant que tu n’en auras pas parlé à tes parents et que tu-sais-qui traîne toujours chez eux,
gardetesdistances.Ilfautquetuarrêtesdetetorturer.—Jenemetorturepas.—Tuenessûre?Iljettesonmégotetremontelavitre.Lafermeturen’estpasélectriqueetSethlutteaveclamanivelle.
Kaydenmeregardeducoindel’œil.—Jesuisd’accordavecSeth.Je repense à toutes ces fois où j’aurais aimé devenir invisible, disparaître à jamais. Si j’avais osé
confier mon secret à quelqu’un, j’aurais peut-être échappé à toutes ces années d’enfermement et desouffrance.SethetLukeontraison.Jenesuispasobligéederentrerchezmoisijen’enaipasenvie.—OK.Allonsàl’hôtel.J’iraivoirmesparentsquandjeseraiprête.Aprèstout,jesuislibredefairemespropreschoix.J’aile
droitderomprelesliensquim’empoisonnent.J’ensuiscapable.Ilfautjustequejechoisisselemoment.J’ail’impressionderespirerànouveau.JesourisàSeth.Lukemeregardecommesij’avaisperdula
tête.QuantàKayden,ilatoujoursl’airaussitriste.Jenecomprendspaspourquoi.LorsquenousavonsquittéSanDiego,ilallaitbien.Jem’approchedeluipourmurmureràsonoreille:—Est-cequeçava?Ilmeregarded’unairsurpris.—Oui.Pourquoi?—Tun’aspasl’airdanstonassiette.Ilhausselesépaulesettournelatêteverslavitre.Ilmebriselecœur.Jesaisqu’ilmecachequelque
chose,maisjeneveuxpasinsisterdevantLukeetSeth.Dixminutesplus tard,noussommes installésdans lachambred’unmotelavecdeux litsdoubles,un
décor rétroetune subtileodeurdemoisissure.SethetLuke sebattentpour savoirquidortoù, et j’enprofitepourdiscuteravecKayden.Ilestaffalésurunlitettripotelatélécommande.—Tuessûrqueçava?—Oui,Callie.Toutvabien.—Tun’aspasditunmotdepuisqu’onestpartis.—Jesuisjustefatigué.Jelecrois,maisjenepensepasquecesoitlaseuleraison.Ilposelatélécommandesurlatablede
chevetetmetunemainsurmongenou.—Arrêtedet’inquiéterpourmoi,Callie.Jevaisbien.—Situledis.Je le laisse sur le lit et j’entre dans la salle debains. Je ferme la porte à clé et jem’assois sur le
reborddelabaignoire.L’enviedemefairevomirestentrainderessurgir.NotrearrivéeàLaramieetlesilencedeKaydenm’angoissent.J’inspireparlenezetjecomptejusqu’àdix.Ilfautquejesoisforte.Jesuiscapabledevivresansmefairedumal.Cinqminutesplustard,jemesenspluscalme.Jerejoinslesgarçonsdanslachambre.Lukeestallongé
surunlitetSethsurl’autre.Ilsregardentlatélé.—OùestKayden?Ilstournentlatêteversmoi,puisbalaientlachambreduregard.Sethfroncelessourcils.—Jenel’aipasentendupartir.Lukebâilleens’étirant.—Ilestallécherchersonsacdanslavoiture.Unevaguedepaniquemesubmerge.Jecontourneleslitsetouvrelesrideaux.Lepanneaudel’hôtel
illumineleparking.Ilneigeetlequatre-quatredeLukeestdéjàblanc.JenevoispasKayden.Ilestpeut-êtreentraindemonterl’escalier.J’enfilemeschaussuresetjesorsentrombedelachambre.—Callie!hurleSeth.Qu’est-cequetufais?Jenemeretournepas.Jetraverselecouloir,jedévalel’escalieretjecoursjusqu’àlavoiture.Aucun
signedeKayden.Jefaisletourduparking.Unmillierdepenséesmetraversentlatête.Oùest-ilpassé?
Pourquoiétait-ilaussitriste?Jerevienssurmespas.SethetLukesontentraindedescendrel’escalier.J’aileslarmesauxyeuxetje
suisgelée.—Ilestparti.Lukejetteunœilverssavoiture.—Commentça?—Jel’aicherchépartout.Iladisparu.Jetrembledefroidetdepeur.Sethmeprenddanssesbras.—Jesuissûrqu’ilvabien,Callie.Ilavaitjustebesoindeprendrel’air.—Enpleinenuit?Souslaneige?—Ilyaunestation-serviceàquelquesruesd’ici.Ilestpeut-êtrealléacheteràmanger.Lukerécupèresonportabledanslapochearrièredesonjean.Illecolleàsonoreilleetmarchejusqu’à
sonquatre-quatre,laissantdestracesdepasderrièrelui.Sethmeserrefortcontrelui.Jem’assoissurunemarcheetils’installeàcôtédemoi.—Net’inquiètepaspourKayden.Ilvabien.J’ensuiscertain.—Pasmoi.Jeserrelesgenouxcontremapoitrineetjeposelementondessus.J’attrapemonportableetj’essaiede
l’appeler.Jetombesursamessagerie.Jeraccrocheetjeluienvoieuntexto.
Moi:Oùes-tu?Tuespartisansprévenir.
J’aienviedememettreenbouleetdepleurer.Jesuisterrifiée.Paspourmoi,maispourlui.Lukenous
rejointavecsonportableàlamain.—J’airéussiàlejoindre.Iladitqu’ilavaituntrucàfaire.Untrucquinepouvaitpasattendre.Monportablesonne.Kaydenm’arépondu.
Kayden:Ilfautquejeparleàmonpsy.Jet’expliqueraiplustard.Jevaisbien,Callie.Moi:Jepensaisqu’oniraitensemble?!Etilesttard.Lecabinetestfermé.
Ilnerépondpas.Jemelèveenfrottantmonjean.—Ilfautqu’onaillelechercher.—Non,répondLuke.Ilm’aditqu’ilenavaitpourplusieursheures.Mieuxvautl’attendreici.JetournelatêteversSeth.Ilpousseunsoupiretposeunbrassurmesépaules.—Çavaaller,Callie.Net’enfaispas.Jem’agrippeàluienespérantdetoutmoncœurqu’ilaraison.
Kayden
Pendant le trajet du retour, je n’ai pensé qu’à une seule chose : le besoin urgent de faire éclater lavérité.J’aipassémavieàmetaireet,toutàcoup,j’aieuenviedemelibérerdecepoids.Je savais que je finirais parme dégonfler si j’attendais trop longtemps. J’ai profité dumoment où
Callie était dans la salle de bains pourm’éclipser. Sinon, ellem’aurait regardé avec ses grands yeuxbleusetauraitinsistépourm’accompagner.J’aibeauluiavoirpromisquenousirionsensemble,jesaisaufonddemoiquejedoislefaireseul.Sinon,jemeretiendraisdedirecertaineschoses,etjeveux–non,j’aibesoinde–toutlaissersortir.Ilesttardetl’airfroidmepiquelapeau.JecomposelenumérodeDougetjefaislescentpassurle
trottoirenattendantqu’ilréponde.J’espèrequecetteétapem’aideraàcouperlesliensquim’attachentàcettemaison,àcettefamille,auxsouvenirsquimehantentetaumonstrequienestresponsable.JesuissurlepointdelaissertomberquandDougdécrocheenfin.—Allô?Ilalavoixendormieetilparleàvoixbasse.—Doug?C’estKayden.—Bonsoir,Kayden.Est-cequeçava?—Oui.Enfin…non.Jesaisqu’ilesttard,maisj’aibesoindevousdirecequis’estpassé,cesoir-là.Jemesensoppressé,j’étouffe.J’essaiedemecalmerenfermantlesyeuxetenpensantàCallie.—Lecabinetestfermé,maisjepeuxteretrouverchezLarry’sdansunedemi-heure.—D’accord.Àtoutàl’heure.Jeraccroche.Larry’sestuncaféquiresteouverttoutelanuit.J’inspireparlenez.L’airfroidsoulage
mespoumons.Jesuisenfinprêtàfairelepremierpasversmaguérison.Lecafén’estpasloind’icietjedécided’yalleràpied.J’arriveavantDougetjecommandeuncafé.
Ungroupederoutiersestrassembléautourd’unetable.Jechoisisunebanquetteisolée.Jeneveuxpasqu’ilsentendentcequej’aiàdire.C’estdéjàbienassezdifficiled’enparler.Jetiresurmonélastique.J’aimeraisqueCalliesoitlàpourmetenirlamain,maisjesaisquej’aipris
la bonnedécision.La serveuseme sertmon café.Laporte d’entrée s’ouvre.Doug entre et un courantd’airglacés’engouffreàl’intérieur.Ilporteunjean,unmanteauetunbonnet.J’ail’habitudedelevoirencostume.Jecroiselesbrassurlatableetj’enfoncemesonglesdanslapeaudemesavant-bras.Ils’assoiten facedemoi et enlève sonbonnet et sonmanteau.Ses cheveuxpartent dans tous les sens. Il a l’airépuisé.—Bonsoir,Kayden.—Désolédevousavoirréveillé.J’avaispeurdemedégonfler…sijenevousappelaispascesoir.J’avaleunegorgéedecafé.Ilmebrûlelagorge.—Tuasbienfait.Danscescas-là,ilnefautjamaisattendre.Jemedemandecommentilréagiraquandilapprendralavérité.Jeposematassesurlatable.—Vousaviezraison.—Àquelsujet?Ilsaittrèsbiendequoijeparle.Iljetteunœilàmonbras.Jesaigneàl’endroitoùjemesuisgriffé.
—Àproposdecequim’estarrivé,cesoir-là.Ilcroiselesbrassurlatable.—Jet’écoute.—C’est…C’estmonpère…Pourquoiest-ceaussidifficile?Monpèreestunmonstre. Ilme frappedepuisque je suisgamin. Il
mérited’êtredénoncé.—C’estmonpèrequim’ablessé.Enfin,enpartie…Je n’arrive pas à m’exprimer. J’enfonce mes ongles dans mes paumes. J’ai besoin d’être seul, de
libérerladouleuravecmonsang.J’essaiedemecalmerenpensantàCallie.—IlétaitencolèreparcequejevenaisdefrapperCaleb.C’estluiquiestvenumechercherauposte.
Ilaeuhontedemoi.Ilm’aramenéàlamaisonetils’estmisàmefrapper.Pourlapremièrefoisdemavie,j’airiposté.Çaamaltourné.Ilaattrapéuncouteauet…etilm’apoignardé.Lesmotsjaillissentdemabouche.J’ail’impressionderespirerànouveau.Jemesenslibre.Libéréde
monenfance,demescicatrices,descoups,desrasoirs,deladouleur.Jedesserrelespoingsetj’étalemesdoigtssurlatable.J’attendsqueDougdisequelquechose,maisil
secontented’appelerlaserveuse.Ellealacinquantaine,descheveuxblondsavecunelonguetressedansledos.Elleporteunerobebleueetuntablierblanc.—Qu’est-cequivousferaitplaisir?Douglèvelenezdesonmenu.—Ungrandverredelait,uneassiettedecrêpesetdestartinesavecdelaconfituredeframboises,s’il
vousplaît.Ilm’adresseunsourireencourageant.—Commandecequetuveux,Kayden.Tuasbesoindeforcepourlesheuresquisuivent.—Lesheures?—Oui.Jeveuxquetumeracontestout.—Tout?Vousêtessérieux?Laserveusedoitsedemanderquinoussommesetcequenousfabriquonsici.Jemeledemande,moi
aussi.—Tout,Kayden.Depuisledébut.Ilmetendsonmenu.Jecommandedescrêpes,dubaconetdestartines.Laserveusemesouritavantde
disparaîtreencuisine.Aprèssondépart,jemetais.Jejoueaveclasalièrepourmeretenirdemegriffer.Dougregardelatéléposéedanslecoinderrièremoi.Lesilencedevientinsupportable.—Jenesaispasparoùcommencer.—Etsitumeparlaisdelapremièrefoisquetonpèret’afrappé?—C’étaitilyaquinzeans.Vousvoulezvraimentremonteraussiloin?—Jeveuxtoutsavoir,Kayden.Neteretienspas.Lorsquej’ouvrelabouche,jesaisquemavievachanger.J’espèrejustequeceseraenmieux.
Callie
IlyauneheurequeKaydenestparti.Jen’arrêtepasdepenseràlui.Jemedemandes’ilestvraimententraindeparleràsonpsyet,sic’estlecas,sicelasepassebien.LukeestsortifumerunecigaretteetSethestdanslasalledebains.Jemeglissesouslacouvertureetje
m’allongedanslelit.Sethentredanslachambreensebrossantlesdents.Ilporteunbasdepyjamableuàcarreauxetuntee-shirtblanc.—J’aiappeléGreyson,dit-il,labouchepleinededentifrice.—Qu’est-cequetuluiasdit?Je prie pour que tout se soit arrangé entre eux. Il retourne dans la salle de bains pour cracher son
dentifrice.Ilrincesabrosseàdents,laposesurlelavaboetmerejointdanslelit.Iléteintlatéléetlalampe.—Jeluiaiditquejel’aimais.—C’estvrai?Tul’aimes?—Biensûrquejel’aime!—Qu’est-cequ’ilarépondu?—Ilm’aditqu’ilm’aimaitaussi.Je ne le vois pas dans le noir, mais je sais qu’il sourit. Je l’entends dans sa voix. Cela me rend
heureuse,malgrélescirconstances.Jel’enviepresque.—Jesuiscontentepourtoi.—Jesuiscontentaussi.Quelquesminutesplus tard,Luke revient secoucher.Dormirdans lamêmechambreque luimemet
moinsmalàl’aisequecequejecraignais.Lesheuresdéfilentetjen’arrivepasàdormir.Lecadranduréveilscintilledanslanuit.Lechauffage
ronronneetilyadubruitdanslachambred’àcôté.Sethronfle.Àuneheuredumatin,jedécidequ’ilesttempsd’agir.Jenesaispaspourquoij’enarriveàcettedécision.C’estpeut-êtrelecouragedeSethquim’ainspirée,oulebesoindemelibérerdecepoids.IlesttempsdedireàKaydencequejeressens.Ilméritedesavoirquejel’aime,mêmes’ilnemele
ditpasenretour.J’attrapemonportableetmoncarnetsurlatabledechevetetjemarchesurlapointedespiedsjusqu’àlasalledebains.J’allumelalumière,jefermelaporteàcléetj’ouvremoncarnetàlapagequejeluiaiécrite.Jetombesursamessagerieetjeluilismalettreàvoixhaute,mêmesicelameterrifieplusquetout.Avecunpeudechance,cetteétapem’aideraenfinàembrassermonavenir.
Kayden
Le soleil se lève derrière les montagnes enneigées. La serveuse ferme les rideaux tandis que lespremiers rayons traversent les carreaux.Elleéteint lepanneau fluorescentqui surplombe leparkingetellepréparelecafépourl’arrivéedespremiersclients.Doug etmoi n’avons pas quitté notre banquette de la nuit. Je terminemon histoire en sachant qu’il
faudratôtoutardsortirdececaféetaffronterlavieréelle.Jeneluiaipastoutdit.J’aimisdecôtélespériodeslesplusnoires,cellesauxquellesjeneveuxpasrepenser.Dougmeditquec’estnormal,queceschoses-làprennentdutemps.Jen’aijamaispenséquej’avaisdutempsdevantmoi.J’aitoujoursvécuaujourlejour.Quandjeluiairacontélafoisoùmonpèrem’aétrangléetoùj’aiperduconnaissance,j’aiéclatéen
sanglots.Cejour-là,j’avaisperdulatélécommande.Ilm’ahurlédessus.Jenemesuispasdéfendu,cequil’aénervédavantage.Ils’estjetésurmoi,m’aplaquéausoletanouésesmainsautourdemoncou.Jemesouviensencoredecequej’aipenséàcemoment-là.Tue-moi.Qu’onenfinisse.Quandjemesuisréveillé,jemerappelleavoirétédéçud’êtreencorelà.Dougpaiel’addition.J’essuiemeslarmesavecmesmanches.—Etmaintenant?dis-jeenreniflant.Qu’est-cequejedoisfaire?Ilglissesonportefeuilledanslapochedesonmanteauetempilenosassiettesvides.—C’esttoiquivois,Kayden.—Lepsydontvousm’avezparlé,celuideLaramie…Est-cequ’ilestaussiouvertquevous?—Ilestpeut-êtremêmemeilleur,répondDougensouriant.Maissachequetupeuxm’appelerquandtu
veux.Etn’oubliepasquenousavonsrendez-vouslundi.—Jesais.Jeserailà.NousnouslevonsenmêmetempsetDouglaisseunpourboiresurlatable.—J’aiunedernièrechoseàtedire,Kayden.Àproposdetonpère.Jegrimace.C’estplusfortquemoi.J’aiditbeaucoupdemaldeluipendantcesdernièresheureset,
mêmesij’aimeraisqu’ilensoitautrement,jemesenscoupable.J’ail’impressiondel’avoirtrahi.—Jepensequetudevraisporterplaintecontrelui.Jesecouelatête.—Non…Jenepeuxpas.—Tun’espasobligédelefairetoutdesuite.Onenparleralasemaineprochaine.Situn’espasprêt,
neteforcepas.C’estimportant,Kayden.Chaquechoseensontemps.En vérité, j’enmeurs d’envie. J’aimerais que lemonde entier découvre la vérité,mais la peur est
toujourslà,enmoi.Noussortonsducafé.Jefermemonmanteauetjeremontelacapuchesurmatête.Dougentredanssa
voitureetsortduparking.Jerestesousl’auventetjeregardelesoleilselever.Lecielestroseetorangé.Ilm’éblouit,maisjen’arrivepasàdétournerleregard.JeglisseunemaindansmapochepourappelerLukeetluidemanderdevenirmechercher.Ilfaitvraimenttropfroid.J’allumemon portable. Calliem’a appelé plusieurs fois,m’a envoyé des dizaines de textos etm’a
laisséunmessagevocal.Elleadûsefairedusoucitoutelanuit.J’appellemamessagerieetjeretiensmonsouffle.J’aipeurd’écoutercequ’elleaàmedire.J’aipeur
qu’elleneveuilleenfiniravecmoi.«Kayden…Sethm’aconseilléd’écrirecequejeressensdansmoncarnet.Unjour, je t’aiécritune
lettre.J’aimeraistelalire.C’était…avantnotrevoyageenCalifornie.»Ellemarqueunepause.Ondiraitqu’elleestsurlepointdepleurer.
«CherKayden…Avant notre rencontre, j’étais perdue. Jeme sentais laide, à l’extérieur comme àl’intérieur. Brisée. Honteuse. Parfois, la douleur devenait insupportable. Voilà pourquoi jeme faisaisvomir.Voilàpourquoijemesuiscoupélescheveuxensixième.Voilàpourquoij’aiportédeshabitstropgrandspendanttoutescesannées.Voilàpourquoijenesupportaispaslafoule,niqu’onmetouche.Cettedouleurétaitlàtoutletemps,enmoi.Jen’avaisplusd’espoir.Jecroyaisqu’ellenemequitteraitjamais.Certainsjours,j’auraisaimémourir.J’yaipenséplusd’unefois,maisjenesuisjamaispasséeàl’acte.Tantmieuxcar,malgrécettesouffrance,mavievalaitlapeined’êtrevécue…parcequejet’airencontré,Kayden.Tum’assauvéed’uneviedetristesseetdecolère.Tum’assauvéedemoi-même,demonpassé,del’avenirsolitairequim’attendait.Lorsquejet’airetrouvéparterre,cejour-là…j’aicomprisàquelpoint tusouffrais.J’aicomprisquetuavaisbesoind’êtresauvé, toiaussi.Passeulementdesblessuresphysiques,maisdetoutlemalenferméentoi.Jetecomprends,Kayden.Jesuisprêteàtoutpourt’aider.Ilfautjustequetul’acceptes.Etj’aibesoind’aide,moiaussi.J’aibesoindetoi.Je…Je…»Ellesemetàpleurer.J’enaileslarmesauxyeux.Lesgensentrentetsortentducaféetmevoilà,planté
sousunauvent,entraindepleurercommeunbébé.Peuimporte.Leslarmes,lasouffrance,lepassé…Ilsnecomptentplus.Ilsexistentenmoicommelescicatricessurmesbras.Elless’atténuentavecletempset,mêmesiellesaltèrentl’apparencedemapeau,ellesnem’empêchentpasdevivre.Callierenifleavantdereprendresalecture:«Jen’yarriveraipassanstoi.Je…Jet’aime,Kayden.Netesenspasobligédemeledireenretour.
Tunemedoisrien.Jevoulaisjustequetulesachesparcequetulemérites.Tuméritesd’êtreaimé.»Elle raccroche et ses paroles résonnent dansma tête. Elle sait que personne neme l’a jamais dit.
Personne sauf Daisy, mais ce n’étaient que des mots. Callie, elle, le pense vraiment. Je l’ai entenduderrièreseslarmes.Jeregardelesgenssortirdeleurvoitureetmangerleurpetit-déjeunerauchaud.Jenesaispasceque
jedoisfaire,maisjesaiscequejeveux.Jeveuxétouffertoutescesémotions.Calmerlesbattementsdemoncœur.Jeglisseleportabledansmapocheetjeparsencourant.Leventselèveetlesfloconsvolentautourde
moi.Jenesaispasoùjevais.Parfois,lesmeilleuresdécisionssontlesplusimprévisibles.
Callie
Kaydenn’estpasrentrédelanuit.Jeluiaienvoyéplusieurstextos,maisilnerépondpas.Lukeestallés’acheter un café. Je pense que c’était un prétexte pour partir à sa recherche.Dumoins, c’est ce quej’espère.—Toujourspasderéponse?medemandeSeth.Ilestallongédevantlatélé.Jeposemabrossesurlacommode.—Pasencore.Jemedemandes’ilaécoutémonmessagevocal.J’espèrequ’iln’apaspaniqué.Tantpis.Finis, les
secrets.J’aimeKaydenetilfautqu’illesache.Jesorsdelasalledebainsetjem’allongeàcôtédeSeth.—J’aibesoind’uncafé.Jen’aipasassezdormi.Iljettelatélécommandeauboutdulit.—Normal.Tuaspassélanuitàdéballertavieàuneboîtevocale.—Tum’asentendue?—Oui.Est-cequetuveuxenparler?Ilglisseunemèchedecheveuxderrièremonoreille.—Pasvraiment.Cequiestfaitestfait.Kaydenécouteramonmessageunjouroul’autre.C’esttoutce
quicompte.—Etensuite?—Ilentendracequej’aiàluidire.—Et…?Jesuisd’undoigtlesfleursquirecouvrentledessus-de-lit.
—Etrien,Seth.Jen’attendsrienenretour.Jevoulaisjustequ’ilsachecequejeressens.—Tuluiasditquetul’aimais?—Oui.Ilmeregardeaveccompassion.Ilpensequecelavamalseterminer.—Callie…—Jeteprometsqueçavaaller.Jesensquejesuisentraindechanger,degrandir.Jeneregretterien.
Jesuiscontentedel’avoirfait.Ilmesouritetmecaresselajoue.—Tantmieux.Maisjetepréviens:siKaydenneteditpasqu’ilt’aime,jeluicasselagueule.Jesuis
tonmeilleurami.Monrôleestdeteprotégerdesméchantsgarçonsquiteveulentdumal.J’éclatederire.Ilselèveenserrantlespoings.—Jeneplaisantepas!Jetevengerai,Callie.J’imagineSeth,maigrecommeunclou,entraind’essayerdefrapperKayden.L’imageesthilarante.—C’estgentildetapart.Ilmetardedevoirça.Ilattrapeunoreilleretlejettedansmadirection.Jel’esquiveetilvolepar-dessusmatête.—Tupensesquejen’aiaucunechance,c’estça?Tuastort.Ilretroussesesmanchesetmemontresesbiceps.J’enpleurederire.—Jesuisdésolée,Seth!C’estjuste…C’esttropdrôle!—Ravidet’avoirdivertie.Onfrappeàlaporte.LevisagedeSeths’illumine.—Enfin!Çafaitvingtminutesquej’attendsmonpetit-déjeuner.Ils’emparedesonportefeuille,ouvrelaporteetseretrouvenezànezavecKayden.Ilesttrempédela
têteauxpieds.Ilalesyeuxgonfléscommes’ilavaitpleuréetlesmainsenfouiesdanssespoches.Ilpasseunemaindanssescheveux.Desfloconsdeneigetombentparterre,fondantaussitôt.Ilplonge
sesyeuxvertsdanslesmiens.—Salut,Callie.Nousrestonsimmobiles,silencieux.Jenesaispass’ilaécoutémonmessage.J’espèrequeoui.Sethseraclelagorge.—Bon…Jevaisvoiroùenestmacommande.Il sort dans le couloir et laisse la porte ouverte.Kaydenme regarde d’un air perplexe, comme s’il
hésitaitàentrer.Nousavonstouslesdeuxpeurdebouger,derespirer,deprendrelaparoleenpremier.—Entre.Ilavanced’unpasetfermelaportederrièrelui.—J’aieutonmessage.Magorgesenoue.Jememetsàgenouxsurlelit.—Est-cequetuétaisvraimentavectonpsy?Ilpousseunsoupiretfixelemurderrièremoi.
—Oui.Jesuisdésolé.Jepréféraisêtreseul.—Est-ceque…Est-cequetuluiasparlédetonpère?Jemelèveetmeplantedevantlui.Ilsouritetprendmamaindanslasienne.Elleestglacée.—C’estfait,Callie.Jeluiaitoutraconté.—C’estvrai?Ilhochelatête.—Et…?—Etçam’afaitdubien.J’étudiesonvisage.Sonregardestplusvif.Sesépaulessontmoinstendues.Ilsembleplusléger.On
diraitqu’unepartiedumalqu’ilgardaitenluiadisparu.—Qu’est-cequ’ilt’arépondu?—Ilm’aditdeporterplainte.Enfin…d’yréfléchir.—Est-cequetuvaslefaire?—Réfléchir?—Non,porterplainte.—Jenesaispas.Ilmeregardedroitdanslesyeux.—J’en ai envie,mais c’est difficile. J’ai besoinde temps et de soutien. J’aimerais quemes frères
soientdemoncôté,pournepaspasserpourunmenteur.—Ilsleserontpeut-être,Kayden.Ilsontvéculamêmechosequetoi.Jesuissûrequetadémarcheles
inspirera.—Jenesaispas.TylerestalcooliqueetDylann’apasdonnédenouvellesdepuisqu’ilestparti.—Est-cequetusaisoùilhabite?Jepasseunemainsursesjouesrouges.Ilhausselesépaulesetdéposeunbaisersurmesdoigts.—Jen’aijamaisessayédeleretrouver.Jedevraispeut-êtremerenseigner.J’enroulemesbrasautourdesataille.—Oui,Kayden.C’estunebonneidée.Ilm’embrassesurlefrontetaspireuneboufféedemonodeur.Ildéposeunbaisersurmatempe,surma
joue,puislelongdemamâchoire.Sonsoufflecaressemoncou.Jefrissonnedeplaisir.—Merci,Callie.J’essaiedeleverlatêtepourleregarderdanslesyeux,maisilposeunemainsurmanuqueetblottit
monvisagecontresontorse.—Pourquoi?—Mercipourtonmessage.—C’étaitlavérité,Kayden.Ilfaittomberunedemesbretellesetglisseunemainsousmondébardeur.Sapeauestfroidecontrela
mienne. Ilmesoulèvepar la tailleetm’allongesur le lit. Jemesensvulnérablemaisapaisée. Jesais
qu’ilnemeferapasdemal.Etjesaisqu’ilm’aime,mêmes’iln’estpascapabledemeledire.—Tuessublime.Soncomplimentmefaitrougir.C’estcequeCalebm’aditcejour-là,dansmachambre,maisjebalaie
lesouvenird’unreversdelamain.—Tuexagères.Ilcaresselacourbedemoncou.—Jen’exagèrejamais.Tuesbelle,Callie.—Arrête…—Tuesparfaite.Douce.Généreuse.—Toiaussi.Ils’agenouillesurlelit.—Çaadûêtredifficilepourtoide…demeliretalettre.—Pasaussidifficilequejelepensais.Jevoulaisjustequetusachescequejeressens.Jem’empareducoldesonmanteauet jeplaquemes lèvrescontre lessiennes. Ilpose lesmainsde
chaquecôtédematêteetglissesalanguedansmabouche.Ilaungoûtdesiropd’érableetdecafé.Ilaspirema lèvre inférieureet lamordavec tendresse. Je le sensplus libredans sesgestes etdans sesbaisers.Sonbonheurmerendheureuse.C’esttoutcedontj’avaisbesoin.Ilécartesabouchedelamienneet,avantquejen’aiele tempsdeprotester, ilm’assoitetm’enlève
mondébardeur.Mescheveuxtombentencascadesurmesépaules.Unevaguedechaleurexploseentremes jambes. Il détachemon soutien-gorge. Son poignet est de nouveau recouvert d’élastiques. Je medemandesic’estsonpsyquilesluiadonnés.Ilpasseundoigtsousl’und’eux.—C’estpourm’aideràguérir.—Jesais.Nousnousregardonsunlongmoment,puisilm’embrasseavecpassion,recouvrantmoncorpsavecle
sien.Ilfrotteungenouentremesjambesetmecaressel’intérieurdelacuisse.Jem’agrippeàsesépaulestandisqu’ilmelèchelecou.Jegémisdefrustrationquandils’écartedemoi.—Non,Kayden…Continue…S’ilteplaît.Surpris,ilmeregardedroitdanslesyeux.Jeviensdelesupplier.Jesuismortedehonte.—Désolée.Ilm’attrapepar leshanchesetnousallonge sur le côté. Ilglisseunemain sousmonpantalonetma
culotteetenfoncesesdoigtsenmoi.Quelquessecondesplustard,jejouisenhurlantsonnom.Lorsquejeretrouvemesesprits,jesuisgênéedem’êtreemportée.Jememordslalèvre.—Pardondet’avoirsupplié…etd’avoircrié.Ilsecouelatêteetdesmèchesdecheveuxrebondissentsursonfront.—Arrêtedet’excuser,Callie.Jetedonneraitoutcequetuveux.Tout ce que je veux ? Je le veux en moi. Voilà ce que je veux. Je fais quelque chose qui ne me
ressemblepasetquinouschoquetouslesdeux:j’enlèvemonpantalonetmaculotte.Ilmeregardeme
déshabilleretsonregardbrûlededésir.Jem’allongedevantlui,nue,alorsqu’ilestencorehabillé.Pourmoi,c’estuneétapeénorme,quiprouvequej’aibeaucoupchangé.Kaydenmecaresselajoue,lecou,puislapoitrine.Ileffleuremontétonsansmequitterdesyeux.Il
s’assoitsurmoi,puisenlèvesonmanteauetsachemise.Jepasselesdoigtssursontorsemusclé,etlessienssepromènentlelongdemoncorps.—Dis-moisituveuxquej’arrête.D’accord?—Jetefaisconfiance,Kayden.Ilmecaressel’intérieurdescuisseseteffleuremonentrejambeavecsonpouce.Ilmerendfolle.J’ai
hontedesgémissementsquim’échappentetdel’enviequimepossèdechaquefoisquesesdoigtstouchentmonsexe.Jesuisàboutdesouffle.Jenesaispascequ’ilveutdemoi,maisjen’enpeuxplus.—Kayden…S’ilteplaît…C’estcequ’ilvoulaitentendre.Ilsouritenenlevantsonjeanetsoncaleçon.C’estétrangedelevoir
aussiheureux.Étrange,maisagréable. Il s’allongesurmoietétudiemonvisage. J’aipeurqu’ilnemenoiesousunocéandecompliments,commetoutàl’heure.—C’estgrâceàtoiquejesuislà,Callie.Jecaressesajoueetsamâchoire.—Non.Jen’ysuispourrien.—Biensûrquesi.Tum’assauvétellementdefois…Ettum’asmontréquejeméritaisd’êtreaimé.Ildéposeunbaisersurmamain.—Tun’espasobligéederesteravecmoi,Callie.J’aiencorebeaucoupdechosesàrégler.Jeneveux
pasêtreunfardeaupourtoi…—Jet’aime,Kayden.Jeposeundoigttremblantsursabouchepourqu’ilcomprennequ’iln’estpasobligéderépondre.Ila
leslarmesauxyeux.Moiaussi.C’estincroyablequ’unesimplephraseaitautantdepouvoir.Elleremuelatristesse,ladouleuretlebonheurquenousavonsenfouisdansnoscœurs.Jeleregardedanslesyeuxetjemedemandesic’estledestinquim’aattiréeversluicesoir-là,dans
sonjardin.Peut-êtreétais-jecenséelesauverpourqu’ilmesauveàsontour?Pourquenousarrivionsàunmomentcommecelui-ci,oùnoussommestouslesdeuxheureuxdevivre.Ilm’embrasseet ses larmessemêlentauxmiennes. J’écarte les jambeset il s’enfonce lentementen
moi. Je passe les doigts dans ses cheveux humides puis je les pose sur ses joues, sentant sa barbenaissanteetlescourbesirrégulièresdesamâchoire.Il explore chaque millimètre de mon corps avec ses mains. Je m’accroche à lui, à ses épaules. Il
m’embrasseavecferveur,plongesalanguedansmaboucheetaspirelamienne.Ilmemordleslèvres,lecou,etempoignemonsein.Unfeuardentmeconsumedel’intérieuretjemecambreenhurlant.Jejettematêteenarrièreetj’attendsqu’iljouisseàsontour.Ensuite,jefermelesyeuxetjeprofitedel’instant,tirantuntraitsurunedemespeursetmepréparantàaffronterlaprochaine.Cellequejecrainsleplus.
Kayden
AllongécontreCallie,j’ail’impressionquemonboucliercommenceàsefêler.Pourlapremièrefois
demavie,jemesensentier.J’aienvied’allerdel’avant,demereconstruireetdel’aideràguérir,elleaussi.Je me lève et elle balaie mon corps nu du regard. Elle remonte le drap sur elle. Je ne peux pas
m’empêcherdesourire. J’ouvre le sacque j’ai laissépar terreet je fouilleparmimesvêtements,à larecherchedesoncadeau.Jelarejoinssurlelitetjeluitendslamain.Jenelaquittepasdesyeuxpendantqu’elleétudielecollier.—Jel’aitrouvéàSanDiego,quandjemebaladaisavecLuke.J’aitoutdesuitepenséàtoi.—Pourquoi?Jeluimontrelependentif.C’estuntrèfleàquatrefeuilles.—Parcequetumeporteschance,Callie.Ellefroncelessourcils.—Tuastort.Tuasfaillimouriràcausedemoi.Jemeblottiscontreelle.—Chaquesecondequej’aipasséeavectoienvalaitlapeine,Callie.Avantqu’onserencontre,jene
connaissaisqueladouleuretlevide.Jemefichaisdevivreoudemourir.Jen’existaispas.Jesurvivais.Jeflottaisàlasurface,ninoyénivivant.Quandtuesentréedansmavie,j’airetrouvémonsouffle.Sanstoi,j’auraiscontinuéàmefairedumaletàjoueraveclamort.—Ilnet’estarrivéquedesmalheursdepuisnotrerencontre.— Ils n’avaient aucun rapport avec toi. Ils étaient liés à mes propres choix, à des problèmes qui
existaientdéjàdepuisdesannées.Elleestsurlepointdepleurer.Jelesens.J’approchemabouchedesonoreilleetj’ydéposeunbaiser.—Tum’asouvert lesyeux,Callie.Tum’asapprisàacceptermesémotions, lesbonnescomme les
mauvaises.Maintenant,c’estàmoidetrouverlejusteéquilibre.J’aspirelelobedesonoreilleenrepensantaumessagequ’ellem’alaissé.J’aimeraisluidirelesmots
qu’elleattend,pourqu’ellecomprennequejeressenslamêmechose,maisjen’yarrivepas.Pasencore.—Jeveuxêtreavectoi,Callie.Plusquetout.Elleéclateensanglots.Jelaserrefortcontremoi.J’aibesoind’elle,etjeressensàlafoisdel’amour
etdelacolère.J’aienviedemecouperlapeauetderegarderlesangdévalermesbras,maisjeneveuxpluslafairesouffrir.JeveuxpartagermavieavecCallie.Moncœurestentraindes’ouvrir.Touteslesémotionsquej’avaisemprisonnéessontentraindecouler
dansmesveines:lasolitude,lajoie,ledoute,l’espoir.Etjecomprendsquemavieneselimitepasàcequej’aiconnu.Pourlapremièrefois,jesaisquetoutvas’arranger.
Callie
Mes sanglotsmebercent etm’endorment.Au réveil, jeme sens différente.Kayden est collé àmoi,commesij’étaislapersonnelaplusimportantedumonde.Jeportelecollierqu’ilm’aoffert.Jemesenspluslégère.Pluscourageuse.Jeveuxmelibérerdudernierpoidsquim’empêched’avancer.Jeveuxdirelavéritéàmafamille,passeulementpourlesmettreaucourant,maisaussipoursauverKaydendeCaleb
etdesonpère.Mesparentsserontdemoncôté.IlscomprendrontpourquoiKaydenl’afrappé.Dumoins,c’estceque
j’espère.Aufond, jenesaispascomment ils réagiront. Ilsnemecroirontpeut-êtrepas.Quoiqu’ilensoit,lemomentestvenu.Ilesttempsdeleurfaireface.J’écoutemaboîtevocaleet je raccrocheauboutdecinqmessages.Je jetteunœilaux textosdema
mère.L’und’euxattiremonattention.
Maman:Jenetereconnaisplus,Callie.Pourquoies-tupartieaveccesvoyous?Nimoi,nitonfrère,
ni Caleb ne les laisserons te détruire. Caleb a décidé de porter plainte contreKayden. Il faut que turentresetquetutebattesànoscôtés.
Je posemon portable sur le lit et je me lève. J’enfile un jean, un haut à manches longues et mon
manteau.JelaisseunenoteàKaydensurl’oreiller:
Jesuispartiechezmesparents.J’aidécidéde leurannoncer lavérité touteseule.Jesaisque tu
comprendras.Jereviensbientôt.Promis.Callie
J’enfile mes chaussures et je sors de la chambre sur la pointe des pieds pour ne pas le réveiller.
J’aimerais qu’il vienne avec moi, mais il a passé une nuit difficile et il faut que j’apprenne à medébrouillersanslui.Detoutefaçon,mamèrel’aurait insultéavantmêmequ’ilneposeunpieddanslamaison.Jesorsdumoteletjetraverselavillesouslesnuages,enespérantquelesoleillesperceratôtoutard.
LavoixdeCalebrésonnedansma tête :Toutest ta faute,Callie.Jecontinueàmettreunpieddevantl’autre.N’enparleàpersonne.Sinon, tuaurasaffaireàmoi. J’arrivedevant chezmoi.L’allée a étédéneigée et le quatre-quatre de mon père est garé devant le garage. Les rideaux sont ouverts et lesmarchessontrecouvertesdesel.Jelesmontelentementetjeresteplantéedevantlaportetandisquelessouvenirsdéfilentdevantmesyeux.Viens,Callie…J’aiuncadeaupourtoi.J’ouvrelaporte.Mamèreestdevantl’évier,untorchonsurl’épaule.Elletournelatêteversmoi.Elle
s’estattachélescheveuxenchignonetellen’estpasmaquillée.Elleporteunvieuxpantalonetunpullrose.—CallieLawrence!Oùétais-tupassée?Ellejetteletorchonsurl’évieretposelesmainssurseshanches.Monpèreestassisàtable.Ilporteun
sweatshirtàcapucheaveclelogodulycéeimprimédessus.Ilmangedestartinesetdesœufsbrouillésetilboitunjusd’orange.Monfrèreestassisàcôtédelui,lesyeuxrivéssursonportable.—Ilfautqu’onparle,dis-jeàmonpère.Seuleàseul.Jenesaispaspourquoijelechoisislui.Sûrementparcequenousnousentendonsbienetqu’ilréagira
pluscalmementquemamère.Ilposesafourchettesursonassietteetselèvesansprotester.
—D’accord,chérie.Monfrèremejetteunregardnoir.—Tupourraisaumoinsrépondreàmaman.Elles’estfaitdusoucipourtoi.—Peuimporteoùj’étaispartie.Cequicompte,c’estpourquoijesuisrevenue.Il lève lesyeuxauciel. Jedisparaisdans le salon.Mamère semet àhurler et àmedemanderdes
explications.Jesuissurprisequ’ellenenoussuivepas.Jem’installesurlecanapéetmonpères’assoitenfacedemoi,danssonvieuxfauteuilencuir.Jebalaieduregard lesphotosdisséminéesdans lapièce.Jem’arrêtesurunportraitdemonpèreet
moi.Nousposonsensouriantdevantunstadedefootball.J’avaishuitans.J’étaisheureuse.Jeluimontrelaphotodudoigt.—Ons’estbienamusés,cejour-là.Monpèresouritensuivantmonregard.—Oui.C’étaitunebonnejournée.Iltournelatêteversmoienfronçantlessourcils.—Mapuce,tamèreetmoinoussommesbeaucoupinquiétés.Tuespartieaveccesgarçonsalorsque
tulesconnaisàpeine…—Jelesconnaistrèsbien.Cesontmesamis,papa.Ilsonttoujoursétélàpourmoi.Iltiresurlaficelledesacapuche.—Jesais…Jelesaimebien,moiaussi.KaydenetLukefontpartiedemesmeilleursjoueurs.Cesont
desbonsgars.Ilmesourit et je saisaussitôtque j’ai fait lebonchoix.Monpèreest capabledemettredecôté la
bagarreentreKaydenetCaleb.Contrairementàmamère,ilvoitplusloinqueleboutdesonnez.Jem’éclaircislavoix:—Ilfautquejet’avouequelquechose.Çavaêtredifficileàdire,etdifficileàentendre.—Jet’écoute.Jem’agrippeautrèflequipendàmoncou.Kaydenmedonnelaforcedecontinuer:—Est-cequetutesouviensdemondouzièmeanniversaire?Monpèresembleconfus.—Oui…Onavaitorganiséunefête.—Exact.Ilyavaitbeaucoupdemonde.—Tuconnaistamère,soupire-t-il.Elleinvitetoujourstropdegens.JerevoisCalebentraindemeplaquersurlelit.J’entendssavoix.J’entendslamienne.Va-t’en.S’ilte
plaît.Tumefaismal.Jemeforceàcontinueravantquemapeurneprenneledessus:—Ilm’estarrivéquelquechose,cejour-là.Jetremblecommeunefeuille.Monpèreseredressedanssonfauteuil.Iladéjàl’airencolère.Jene
veuxpasqu’ils’énerve.Jeveuxjustequ’ilm’écoute.—Calme-toi,papa.S’ilteplaît.—Jeneteprometsrien,dit-ilenserrantlespoings.Tumefaispeur,Callie.
Je passe unemain surmon visage. Jeme rappelle ce que j’ai ressenti, ce jour-là. J’aimerais êtreinvisible.J’aimeraisneplusexister.J’aimeraismourir.Lesoleilpercelesnuagesetilluminelesalon.Jeserreletrèfledansmamainetjefermelesyeux.—Onm’aviolée,papa.Etvoilà.C’estdit.C’est commesi je lui avaisarrachéunpansement. Il est impossibledepréparer
quelqu’unàunenouvelleaussichoquante.Mon père me regarde longuement. Une tornade d’émotions déforme son visage : colère, rage,
frustration,douleur.Puisilsemetàpleurer.Ilpleurecommeunpetitgarçon.C’estlapremièrefoisquejelevoisdanscetétat.Jemelève,jem’assoisàcôtédeluietjeleprendsdansmesbras.Moi,j’aitellementpleuréquejen’aiplusdelarmesàverser.
*
Laconversationavecmamèrenesepassepasaussicalmementqu’avecmonpère,surtoutquandjeluiannoncelenomducoupable.—Non,non,non,non…C’estimpossible.Impossible!Pourtant,chaquefoisqu’ellecroisemonregard,ellesaitquec’estvrai.Elleestassisedanslefauteuil
devantlafenêtre.Elleestsûremententraindefouillersamémoireàlarecherched’indices:lejouroùjemesuiscoupélescheveux,lesheuresquej’aipasséesenferméedansmachambre,mesvêtementstroisfoistropgrands.Lemomentoùj’aiarrêtédepleurer.Arrêtédevivre.Monpère est assis à côtédemoi sur le canapé, commepourmeprotéger. Jacksonest parti peude
temps aprèsmon arrivée. Il n’est pas encore au courant et jeme demande comment il réagira. Jemedemandes’ilmecroiramoi,ous’ilcroirasonmeilleurami.Jeregardemamèredroitdanslesyeux.—Tuétaisdanslejardin,entraindejoueràcache-cacheaveclesautresenfants.Calebm’aditqu’il
avaituncadeaupourmoi.Ilm’aattiréedansmachambreet…et…c’estarrivé.Ellesecouelatêteetmonpèreéclateensanglotspourlaénièmefois.—C’estimpossible.—Jesuisdésolée,maisc’estlavérité.J’aimeraisquecesoitfaux,moiaussi.Crois-moi.Ellepasseunemaindanssescheveux.—Je…Jenecomprendspaspourquoitunenousenaspasparlé.—J’avaishonte,maman.Jemesentaiscoupable.Etj’avaispeurdeledireàvoixhaute.Peurdela
réalité.Mamèrenesupportepasd’entendrelesmalheursdesautres.Ellepassesontempsàfairel’autruche.
Etvoilàquesaproprefilleluiapprendqu’unmonstreavécusoussontoit,mangésesplats,luiasourietl’acharméeaprèsavoirviolésafille.Jemeconcentresurlesbattementsdemoncœuretletrèfleenmétalcontremapeau.Monpèredonne
uncoupdepoingdansl’accoudoir.Ilalesyeuxrougesetleteintblafard.
—Jevaisletuer!—Non,papa.Çaneréglerarien.Je pose unemain sur son bras pour le calmer.Des larmes dévalent ses joues et s’écrasent sur ses
genoux.—C’estpourçaqueKaydens’estbattuaveclui?—Oui.Ilselèveetfaitlescentpasaumilieudusalon.Monpèren’estnigrandnigrosmais,toutàcoup,ila
l’airgigantesque.—Calebvapayerpourcequ’ilt’afait,Callie.Jevaisappelerlapolice…Jelerattrapeparlebras.—Çanesertàrien.Ilesttroptard.Mamèresemetàpleurer.Elleenfouitsonvisagedanssesmains.—Cen’estpaspossible!C’estuncauchemar!—Jesuisdésolée,maman.—Commentfais-tupourresteraussicalme?Jenecomprendspas!—Jenesuispascalme.Jesuisprêteàallerdel’avant.C’esttout.Je lâche lebrasdemonpère.Elleattrapesonportabledans lapochedesonpantalon.J’échangeun
regardavecmonpère.Ilessuieseslarmesd’unreversdelamain.—Chérie,cen’estpaslemomentd’envoyerdestextos.—J’écrisàJackson.Jeluidemandederentreràlamaison.—Pourquoi?—Parcequ’ilestimpliquédansce…ce…Jenesaismêmepasquelnomdonneràcettesituation!Leslarmescoulentsursesjouesettachentsonpantalon.—Dis-luidesecalmer,papa.S’ilteplaît.Ilmetapotelebrasetmeregardedroitdanslesyeux.Jemedemandecequ’ilyvoit.—Elleest sous lechoc,Callie.Moiaussi. Jesuis furieux.Quand jepensequ’ilapassé toutesces
annéesici,sousnotretoit…Mamèreselève.Elletraverselapièced’unairdéterminé.—Qu’est-cequetufais?Ellesefrottelesyeuxaveclamanchedesonpull.—Ilfautquejerèglecettehistoire…Jeluibloquelepassage.—Iln’yarienàrégler,maman.Ilesttroptard.Toutcequejetedemande,c’estd’êtrelà.Pourmoi.Ellemeregardeunlongmoment,puiséclateensanglotsetmeprenddanssesbras.Celafaitdesannées
quecen’estpasarrivé.Jenesaispasquoifairedemesmains.Jelarassureenluirépétantquetoutvabiensepasser,quelepireestderrièrenous.Aprèsavoirpleurésurmonépaule,elleretournedanssonfauteuiletrecouvresonvisageavecsesmains.
Celaduretoutelasoirée.Monpèreseremetàhurler,àrépéterqueCalebnes’ensortirapascommeça.Pourtant,iln’yaplusrienàfaire.Calebm’avioléeilyasixans.Sixansdurantlesquelsilavéculibre,commesiderienn’était.Riennepeutchangerça,pasmêmedel’avoirditàvoixhaute.C’estmoiquecelaaaidée.Jemesensenfinlibre.Jacksonnerentrepasàlamaison.Jenesaispaspourquoi.Auboutdequelquesheures,jemedécideà
partir.Mamèreveutquejeresteaveceux.Elleveuttrouverunesolutionetessayerderéglerleschoses,maisjenesuispasnaïve.Jesaisquec’estimpossible.Etpuis, j’aiquelquepartoùaller.Quelqu’unàretrouver.Mamèremesuitjusqu’àlaporte.—Attends,Callie!S’ilteplaît,neparspas.Resteàlamaison.Ilfautqu’onenparle.—J’enaidéjàassezparlé,maman.Jesaisquec’estdifficilepourtoi.Jesuisdésolée.Moi,j’aibesoindeKayden.Toutdesuite.Monpèremeprêtelesclésdesavoitureetmeditqu’ilvaappellerlapolicepourlamettreaucourant.
Ilalesyeuxrougesetgonflésetlesjouessillonnéesdetracesdelarmesséchées.Jelerassure,luiaussi,carilenabesointoutautantquemamère.Ensortantdelamaison,jemedemandesiCaleboserarevenir,s’ilétaitavecJacksonquandmamèreluiaannoncélanouvelle.La porte se ferme derrièremoi et jeme retrouve enfin seule. La lumière du porche s’allume et je
descendslesmarches.Lecielestdégagéetlesétoilesscintillent.Jenesaispascequim’attend,maisjesuisimpatientedeledécouvrir.Pourunefois,jeregardemon
avenir,pasmonpassé,etcettelueurd’espoirsuffitàmefairesourire.
Kayden
Callieagarélequatre-quatredesonpèreauborddulac.Ungroupedejeunesfêtelenouvelansurlariveopposée.Onvoitleurfeudecampàtraverslesarbres.Laluneestpleineetlesétoilesscintillent.Nous sommes assis sur le capot. Il fait froid et la voiture est recouverte de neige,mais nous sommesblottissousunecouvertureetlachaleurdenoscorpsnoussuffit.CelafaitdeuxjoursqueCallies’estconfiéeàsesparents.Depuis,jelasensplusforte,plusconfiante.
Jesuiscontentpourelle,mêmesij’auraisaiméêtrelàpourlasoutenir.Lorsquejemesuisréveilléseuldanslachambreetquej’ailusonmot,j’aipaniqué.Lesimplefaitdel’imaginerseuledevantsesparentsm’abrisélecœur.Mais,aufond,j’aicomprissadécision.Setharaison:elleestplusfortequ’onnelecroit.—Jeregrettedenepasêtrevenuavectoi.—Ilfallaitquejelesaffrontetouteseule,Kayden.Etpuis,cequiestfaitestfait.Jesuisprêteàpasser
àautrechose.J’enroulemesbras autourde sa taille et elle pose la joue contremon torse.Ses cheveux sentent la
fraise.—Commenttutesens?—Légère.Jesouris.
—Moiaussi.C’estvrai.J’airevuDoughieretjemesensencoremieuxqu’aprèsnotrenuitpasséeaucafé.—JemedemandecommentCalebréagiraquandill’apprendra.—Net’inquiètepas,Callie.Jenelelaisseraijamaistefairedumal.—Jesais.Sonsoufflechaudtraversemonmanteau.Ellelèvelatêteversmoi.—Ilfautqu’onretrouvetonfrère,Kayden.Surtoutsitudécidesdeporterplaintecontretonpère.J’aipeurd’enarriverlà.Etsimonpèrevoulaitsevenger?Ets’ilessayaitdemetuer?Jen’aiplus
enviedemourir…—Jenesaispassij’ensuiscapable.—Biensûrquesi.—Etsijen’osepas…Est-cequetum’aimerasquandmême?—Jet’aimeraitoujours,Kayden.Quoiquetufasses.Jesavourelesondesesmotsetdesavoix.J’entrouvremeslèvres,maisrienn’ensort.—J’aimeraisteledire,moiaussi.—Seulementquandtuserasprêt.Quandtulesentirasvraiment.Elleprendmamaindanslasienneetnousnousallongeonssurlepare-brise.Nousrespironsl’airfroid
delanuitetnousécoutonslesbruits,lesriresetlamusiquedelafête.Quelquesminutesplustard,uneexplosiondecouleursillumineleciel.Chaqueannée,lavilleorganiseunfeud’artificeau-dessusdulac.Quandj’étaispetit,jemedemandais
pourquoitoutlemondeadoraitlesfeuxd’artifice.Jen’envoyaispasl’intérêt.Cesoir,avecCalliedansmesbras,jecomprendsenfin.Toutcommenceàavoirunsens.—Bonneannée,Callie.Jelaserrefortcontremoitandisqu’unenuéed’étincellesmulticoloresplongedanslelac.
Callie
—Bonneannée,Kayden.Lesfeuxd’artificeexplosentau-dessusdenos têtesetnoscœursbattentà l’unisson.Jecomptebien
chérircetinstantpourtoujours.—Quelleesttarésolution,cetteannée?Kaydenmecaresseleslèvresenréfléchissantàsaréponse.—Arrêterdepenseraupassé.—Est-cequejepeuxtelavoler?—Jet’enprie.Lefeud’artificesereflètedanssesyeux.Ils’allongesurmoi,poseunbrasdechaquecôtédematête
etapprochesabouchedelamienne.—Etsionfêtaitleréveillonicil’annéeprochaine?Çapourraitdevenirnotretradition.
—D’accord.J’ai des papillons dans le ventre en m’imaginant avec lui une année entière. J’essaie de contenir
l’énergiecrééeparnosdeuxcorps.Jesaisceque jeveuxet jen’aipluspeurde ledire.Je refusedecontinueràvivredanslaterreur.—Mercidem’avoirsauvé,Callie.—Merciàtoiaussi.Ilm’embrasseetlesfuséesexplosentau-dessusdenous,vivesetcoloréesdanslecielnoir.Moi,tout
cequejevois,c’estKayden.Kayden,pourtoujours.
Callie
Deuxsemainess’écoulent.LevoyageenCalifornieetnosconfessionsnousontépuisés.Nouspassonslerestedesvacancesentrelachambredumoteletlecafé,évitantnosmaisonscommelapeste.Mamèrem’appelledeuxfoisparjour.Audébut,j’airefusédeluidireoùjedormais.Aujourd’hui,j’ai
craqué.Jesuisassisesurlelit,enshortettee-shirt,etKaydenestallongéderrièremoi.Ilmecaresseledosetmechatouillelescôtes.J’éclatederire,mêmesimamèren’estclairementpasd’humeur.—Reviensàlamaison,Callie.Ilfautqu’onparledecequis’estpassé.Calebadisparu.Personnene
saitoùilest.Tonfrèrepensequ’ils’estenfui.JemeblottiscontreKayden.Ilesttorsenuetsachaleurmeréconforte.—Çanem’étonnepas,maman.Ellepousseunsoupirdefrustration.J’entendsquelquechoses’écraserparterre.—Merde!J’aicasséunetasse!Jen’aijamaisentendumamèrejurerautantquecesdernièressemaines.—Désolée.—Tun’aspasàt’excuser,machérie.Cen’estqu’unetasse.Jetrouvequ’elleréagitplutôtbienfaceàcettesituation.Aprèssacrisedenerfs,elles’estressaisieet
ellen’apasessayéderejeterlafautesurmoi.Parfois,jerepenseàmondouzièmeanniversaire.Etsijeluiavaistoutavouélejourmême?Est-cequemavieauraitétédifférente?Peuimporte.Jenepeuxpaschangermonpassé,maisjepeuxallerdel’avantetenfincréerlaviequejeveux.Kaydenmecaresselelongdudosetm’embrassedanslecou.Mamèreditquelquechose,maisj’aidu
malàresterconcentréesurnotreconversation.—Callie?Tum’écoutes?—Oui.Heu…Quoi?
Kaydenéclatederire.Jeluipincelebras.—Qu’est-cequetudisais,maman?— Je me demandais si tu comptais prendre rendez-vous avec la psy dont je t’ai parlé, quand tu
rentrerasàlafac?Jepensequeçateferaitdubien.—Jenesaispas…—C’estimportant,Callie.Aprèscequetuasvécu…Tuasbesoind’aide.Tupourraisaussiresteràla
maisonquelquesmois,letempsd’untrimestre.—Non,maman.Jeretourneàlafac.—Danscecas,promets-moid’allerlavoir.J’aibesoindesavoirquetuvasbien.Elleestsurlepointdepleurer.Jel’entendsdanssavoix.—Jevaisdéjàbien,maman.Mais,sic’estcequetuveux,jeleferai.Ellepousseunsoupirdesoulagement.—Merci.Etn’oubliepasdepassernousdireaurevoiravantdepartir.—Biensûr.—Etappelle-moisituasbesoindequoiquecesoit.—D’accord,maman.Kaydenéclatederire.—Quiestlà?—C’estKayden.—Callie,est-ceque…Est-cequetucouchesaveccegarçon?—Quoi?—Jenetejugeraipas.Jeveuxjustesavoirsituteprotèges.Kaydenpleurederire.Jesuismortedehonte.J’ailesjouesaussibrûlantesqueleradiateur.—Oui,maman.—Oui,tucouchesaveclui?Ououi,tuteprotèges?Kaydenenroulesesbrasautourdematailleetmeplaquesurledos.Ils’allongesurmoietsemetàme
chatouiller.—Dis-luiquetuteprotègestouslesjours,Callie.Jemeretiensderire.—Ilfautquej’yaille,maman.Onserappelle.Je raccroche et lâche mon portable. Kayden me bloque les poignets au-dessus de la tête. Pendant
quelquessecondes,jepanique.Jesuisderetourdansmonlit,emprisonnéeparCaleb.Kaydens’enaperçoit.—Excuse-moi.Tuveuxquejeterelâche?—Non.Embrasse-moi,s’ilteplaît.Ilposesabouchecontrelamienne.L’angoisseetlessouvenirss’envolent.Kaydenetmoisommesde
nouveauseulsaumonde.
*
Aujourd’hui, nous partons pour l’université. Seth et moi sommes assis dans le quatre-quatre enattendantLukeetKayden.—Commentvas-tu?medemande-t-ilenattachantsaceinture.—Bien,ettoi?Jenet’aipasvupendantdesjours.Illèvelesyeuxauciel.—Jevoulaisvouslaissertranquilles.—Tun’étaispasobligé.Onn’arienfaitdespécial.—Tuplaisantes?Vousn’êtespassortisdevotrechambredepuislenouvelan!Ondiraitdesjeunes
mariés.Devraislapins.Jetournelatêteverslavitrepourcachermonembarras.Kaydenouvrelaportièreets’apprêteànous
rejoindrequandsonregardseposesurmesjouesrouges.—Qu’est-cequetuluiasencoreraconté?demande-t-ilàSeth.—Rien,répond-ilinnocemment.Kaydenéclatederire.Jemedécalepourluifairedelaplaceetjemontesursesgenoux.Ilattachela
ceintureautourdenous.Sonparfumm’hypnotise.Desfloconsdeneigesontsursescheveux.Jepasseunemaindanssesmèchespourlesfairetomber.Lukejettesonsacàl’arrière,prendplacederrièrelevolantetfermesaportière.Ilmetlemoteuretle
chauffageenmarche.—Prochainarrêt?—Chezmoi,dis-je.Et…chezKayden.Kaydenn’estpaspasséchezluidepuisnotredépartàSanDiego.Jesaisqu’iln’enapasenvie,mais
toutessesaffairessontlà-bas,etj’aimeraisqu’ilparleavecsonfrèreTyler.Luke rejoint l’avenue principale. Lorsqu’il change de vitesse, le moteur ronfle. Seth grimace en
ajustantsaceinture.—Ondiraitqu’ellevaexploser.Luketapoteletableaudebord.—Ellevabien.Elleestjustevieille.Seth lève les yeux au ciel.Wonderwall d’Oasis passe à la radio, puisHandsDown deDashboard
Confessional.Lukesegaredevantchezmoi.Kaydenouvrelaportièreetjesorsdelavoiture.Mespiedss’enfoncent
danslaneige.Ilmerejointetmeprendparlamain.Jenesavaispasqu’ilvoulaitm’accompagner.C’estsûrementsamanièreàluidemeprotéger.Nous remontons l’alléeet j’essaiedenepasme laisser submergerpar lesmauvais souvenirs liésà
cettemaison.Jemeconcentresurlesmeilleurs,ceuxpassésavecKaydenetSeth.Mamèreouvrelaporteennousvoyantarriver.Elleporteuncollierenperles,untabliersurunejupeà
fleursetunechemiseblancheendentelle.Elleauneassiettedecookiesàlamainetlesourirejusqu’auxoreilles.
—Machérie!Jesuiscontentedetevoir.Ellemeprenddanssesbrasengardantl’assietteàlamain,puiselleenlaceKayden.Illuitapoteledos
enmeregardantducoindel’œil.Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.Toutàcoup,j’aimemamère,sescookiesetsarobedesannées
soixante.Ellenoustendl’assietteetj’enchoisisunpourluifaireplaisir.Jeluiaiditquejemefaisaisvomiretjecrainsqu’ellenepasselerestedesavieàmegaverdenourriture.Àl’intérieur,monpèreetKaydensemettentàdiscuterdefootball.Mesparentsneluiposentaucune
questionsurCalebousonpère,mêmesilesrumeursvontbontrain.Cinqminutesplustard,noussommesen traindesortirde lamaisonquandJacksonsegaredans l’allée. J’ai tellement l’habitudede levoircollé à Caleb que j’ai envie de partir en courant. Cette fois, il est seul. Je pousse un soupir desoulagement.—Tuviens?medemandeKayden.Jesuisplantéeaumilieudel’allée,lesyeuxrivéssurmonfrère.—Donne-moiuneminute.—Tuenessûre?—Oui.Ilfautquejeluiparle.JacksonsortdesavoitureetKaydenmontedanslequatre-quatre.Jerevienssurmespasetjem’assois
surunemarche.Laneigetraversemonjean.Jacksonmerejoint,lesmainsenfouiesdanssespoches.Sescheveuxluirecouvrentlesoreilles.Ils’arrêtedevantmoi,l’airgêné.—Je…Jenesaispasquoitedire,Callie.Jesuisdésolé.—Tun’aspasàt’excuser.Cen’estpastafaute.Ils’assoitàcôtédemoi,étendlesjambesetcroiseleschevilles.Ilsentlacigaretteetl’alcool.—Jel’aidénoncé,Callie.J’aidénoncéCaleb.—C’estgentil,maislapolicenepeutrienfaire.Ilesttroptard,etiln’yaaucunepreuve.Ilsefrottelamâchoireenregardantdroitdevantlui.—Jesais.Jel’aidénoncéparcequ’ilcultivedel’herbedanslesous-soldesesparents.J’aimêmedit
àlapoliceoùilcachesonstock.—Est-cequ’ilsl’ontarrêté?—Pasencore.Quandmamanm’araconté…cequit’estarrivé,j’étaisàunefêteaveclui.Ilestparti
encourant.Jen’aipaseu le tempsde luimettremonpoingdans lagueule. Iln’amêmepasessayédenier!Bref,ildealaitdepuislongtemps,etjemesuisditquec’étaitunmoyencommeunautredel’arrêter.S’ilrevientenville,iln’aaucunechancedes’entirer.Enplusdecultiver,ilavaitaumoinsdeuxkilosd’herbecachéssousleplancher.Ilsveulentl’arrêterpourtraficdedrogue.—Commentconnaissais-tusacachette?—Jel’aidevinée.—Lapolicenet’apasposédequestions?—J’aiappeléanonymement.Jemesensàlafoissoulagée,tristeetfrustrée.Deslarmesdévalentmesjoues.Jetournelatêtepour
qu’ilnemevoiepaspleurer.Monfrèreafaitcequ’ilapu,etjeluienserairedevabletoutemavie.J’essuiemeslarmesaveclamanchedemonmanteau.—Merci,Jackson.—Nemeremerciepas.Çaneréparerajamaislemalqu’ilt’afait.—Cen’estpastafaute.—Si,dit-ilenselevant.Papa,mamanetmoi…Onafermélesyeux.Pendanttoutescesannées,jet’en
aivouludenousrendrelavieimpossible.J’aieutort.Jemelèveenfrottantlaneigecolléeàmonjean.—L’erreuresthumaine,Jackson.Ilpasseunemaindanssescheveuxetmeregardedroitdanslesyeux.—Turetournesàlafac?—Lescoursreprennentlundi.Iljetteunœilverslequatre-quatre.—Turentresaveceux?—Oui.—Avectroismecs?—Oui.—Tuenessûre?Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—S’ilyabienunendroitoùjesuisensécurité,c’estdanscettevoiture.—Situledis.Je lui tourne ledos et luidis au revoirde lamain. J’espèrequeCaleb finiraun jour enprison.Le
principal,c’estquej’aieparléettrouvémavoix.Jemesuislibéréedesdémonsquimehantaientdepuissixans.J’aienfintrouvémoncourage.
Kayden
Lamaisonestvide.Lesmeubles, lesphotos, les livres, les couverts etmême lesvoitures…Tout adisparu. Les sols sont nus et les quelques commodes qui restent ont été vidées, y compris celle quicontenaitmesvêtements.Mesparentslesontsûrementemportésaveceuxpourmepunir.Jefaislescentpasdanslesalon.—Jenecomprendspas.Ilsontmêmeenlevélesrideaux.Iln’yapasdepanneau«àvendre».Rien!Calliemerejointdevantlacheminéeenmarbreetglissesamaindanslamienne.—Ilsn’avaientpasl’intentiondedéménager?—Non.Jerepenseauxguidestouristiquesquitraînaientdanslapoubelle.
—Ilssesontenfuis.C’estlaseuleexplication.—EtTyler?Ilsaitpeut-êtreoùilssontpartis.Nous sortons de lamaison et faisons le tour pour entrer dans le sous-sol. Je pose unemain sur la
poignéeetjel’ouvred’uncoup.Lapièceestvide.Ilneresteplusquelecanapéencuir.Lefrigo,latéléetlefutonontdisparu.J’entre
sanslâcherlamaindeCallie.Jeresteplantésurlepasdelaporteetjebalaielapièceduregard,cettepiècedanslaquellejemesuissisouventcachépouréviterlescoups.—Jenecomprendsrien.J’aidumalàrespirer.Unmillierdepenséesmetraversentlatête.Ilyaunefissuredansunmur.Ce
jour-là,monpèreavaitécrasématêtecontrelacloisonenplâtre.J’aifaitunecommotioncérébraleetmamèreaditauxmédecinsquejem’étaiscognépendantunmatchdebaseball.Ilyauntroudanslamoquette.Tyleravaitfaittombersonbriquetparterreens’allumantunjoint.Ill’a
cachéaveclefauteuilpourquemonpèrenes’enaperçoivepas.Oùestpassémonpère?Pourquoiest-ilparti?Aprèstout,mêmesijeportaisplainte,ceneseraitque
maparolecontrelasienne.Ilauraitdeschancesdes’ensortir.JemetourneversCallie.Elles’estattachélescheveuxetquelquesmèchesencadrentsonvisage.Elle
trembledefroid:ilfaitaussiglacialdedansquedehors.—Allons-y.Jen’aiplusrienàfaireici.—Tuenessûr?Onpourraitexplorerlamaison,chercherdesindices…—Onn’estpasdansunfilm,Callie.Iln’yaurapasd’indices,et,mêmes’ilyena,jem’enfiche.Il
fautquejepasseàautrechose.Untrouestentraindeseformerdansmapoitrineetl’enviedemefairedumalressurgitaufondde
moi.—Ilfautquejesorted’ici.Callie me comprend. Elle n’insiste pas. Nous sortons et je ferme la porte derrière nous. Dans la
voiture,elles’installesurmesgenoux.Ilyaencoredel’espoir.Jelesais.Jenesuispasallongésurlecarrelage,ensang,auxportesdela
mort.JesuislàavecCallie,cettefilleincroyablequifaitbattremoncœur.Elleestmaraisondevivre.Ellemedonneenvied’abandonnerladouleuretlatristesse.Avecelle,jesaisquetoutiramieux.
Celafaituneheureque jesuisà labibliothèque.J’aibeauchercher, jesuis incapablede trouverunseullivresurledarwinisme.Desguirlandesdecœurspendentauxétagères,auxmursetauplafond.LaSaint-Valentinapprocheetje
ne sais pas encore quoi offrir à Callie. Je veux trouver le cadeau parfait. Quelque chose qui luiressemble.—Kayden!Hé!Kayden!Seth se précipite surmoi enhurlant.Labibliothécaire, une jeune femmeaux lunettes carrées et aux
cheveuxbouclés,lefusilleduregard.—Calme-toi,Seth.Paslapeinedebrailler.Ilagiteunmorceaudepapierdevantmoi.—J’aiunesuper-nouvelle!Jereposelelivrequej’avaisàlamain.—Nemedispasquetul’asdéjàtrouvé.LesilencedeSethletrahit.Ilmetendlepapierensouriant.C’estunarticlequ’ilatrouvésurinternet.
Au-dessusdutexte,unephotodemonfrère:descheveuxbruns,desyeuxvertsetunnezaussitorduqu’àl’époque.C’estmonpèrequileluiacasséenlejetantcontreunmur.Jenepensaispasquecelaarriveraitaussivite.Hier,enrentrantd’unrendez-vouschezmonpsy,j’ai
annoncéàCalliequejevoulaisretrouvermonfrère.Monnouveaupsys’appelleJerry.Ilestassezâgéetilportedeschemiseshawaïennesetdesmocassins.C’estluiquim’aditqu’ilétaittempsdereprendrecontactavecDylan.Jeluiairéponduquejen’étaispasprêt.Jeluiairappeléque,lasemainedernière,j’aidonnéuncoupdepoingdansuneporteaprèsunappeltéléphoniquedupatrondemonpère.Personnenesaitoùsontpassésmesparents,nipourquoiilssontpartis.Toutlemondes’enfiche.Son
patron appelait seulement parce quemonpère avait un truc à lui rendre. Je ne saismêmepas où il atrouvémonnuméro.Cequiestcertain,c’estquececoupdefilm’areplongédansmonpasséetj’aipétélesplombs.J’enaitoutdesuiteparléàmonpsy.EtàCallie.Malgrémesinquiétudes,Jerrym’aassuréquej’étaisprêt.—Toutvabiensepasser,m’a-t-ilpromisengobantunbonbonàlamenthe.Tuasbesoindediscuter
avecquelqu’unquiavéculamêmechosequetoi.Ettonfrèret’aiderapeut-êtreàcomblercettesensationd’abandonquitesuitdepuisledépartdetesparents.—Quelabandon?Jesuiscontentqu’ilssoientpartis!Ilanotéquelquechosedanssoncarnet.—Jesais,Kayden.Maiscesonttesparents,ettutesensencoreliéàeux,mêmes’ilst’ontvouludu
mal.—N’importequoi!Jemesuisenfoncédanslefauteuilencuir.Ilafermésoncarnetetacroisélesmainsdessus.—Commençonsdéjàparlechercher.—Etsionletrouve?—C’esttoiquiprendrasladécision.J’ai accepté. Ensuite, j’ai mangé avec Callie, Seth et Luke, qui ont décidé de m’aider dans mes
recherches.JenepensaispasqueSethletrouveraitaussivite.
—Iln’apasbeaucoupchangé,dis-jeenétudiantlaphoto.—Ilestmarié,m’annonceSeth.Etilestprof.—Prof?C’estvrai?—Çatesurprend?—Jenesaispas.C’esttellement…normal,commemétier.Nousnousdirigeonsverslasortieencontournantlechariotdelivresquibloquelepassage.Dehors,le
soleilbrilleetfaitfondrelaneigesurl’herbeetlestrottoirs.—Qu’est-cequetuvasfaire?medemandeSethendonnantuncoupdepieddansuncaillou.—Jenesaispas.Nous longeons le bâtiment de lettres et nous traversons la pelouse. Des gouttes d’eau tombent des
arbresets’écrasentsurmaveste.—Est-cequetusaisoùestCallie?—Dans sa chambre, répond Seth. Elle bosse sur un texte pour son atelier d’écriture. Ellem’a dit
qu’elleétaiten«panned’inspiration».Jesourisenl’imaginantnuesursonlit,entraind’écriredanssoncarnet.Jecontourneuncoureurqui
faitdesétirementscontreunarbre.—OK.Tuviensavecmoi?Sethenfoncesesmainsdanslespochesdesonjean.—Non,j’aiuntrucàfaire.Àplustard,Kayden.Il se dirige vers le parking en évitant les flaques.Greyson l’attend devant sa voiture avec un gros
nounoursdanslesbras.IlmerappelleCallieetl’oursenpeluchequej’avaisgagnéàlafêteforaine.J’accélèrelepasetjelaisseleventmepousserverslafillequej’aime.
*
Je frappeà laporte jusqu’àcequeViolet, sacolocataire, sedécideàm’ouvrir.Ellemefaitunpeupeuravecsesvestescouvertesdeclousetsespiercings.Desmèchesrougesparsèmentsescheveuxnoirsetelleauntatouageenformededragondanslecou.Ellenes’habillequ’ennoiretelledonnetoujoursl’impressiondechercherlabagarre.Unjour,Violetnousasurprisentraindefairel’amour.Callieétaitmortedehonte.Moi,j’aitrouvéça
drôle. Violet s’est mise en colère et nous a demandé d’accrocher une écharpe à la poignée pour laprévenir.Saréactionm’asurpris.Elleavaitl’airchoquéealorsque,àencroirelesrumeurs,ellecoucheavectoutcequibouge.Violetgardeunemainsurlapoignéeetmedévisageenaspirantsonpiercing.—Encoretoi?Vousnefaitesjamaisdepause,touslesdeux.—Jamais.Ellelèvelesyeuxaucieletreculepourmelaisserentrer.J’essuiemeschaussuressurlepaillasson.
Violetattrapesavesteetsonsacsurlachaiseàcôtédesonlit.
—Jenetechassepas.J’aijusteuntrucàluidire.Elletournelatêteversmoi,puisversCallie,quiestendormiesursonlit.—Jepréfèrevouslaisser.Salut.Ellesortdelachambreetclaquelaportederrièreelle.Letableaublancquiyestaccrochés’écrase
parterre.JeleramasseetlislalistedeCallieetSeth,celledeschosesqu’ilsveulentfaireavantlafindel’année. Mon regard s’attarde sur le numéro quinze : Danser en sous-vêtements. J’éclate de rire enremettantletableauàsaplace,puisjem’assoisauborddulit.Callie est allongée sur le dos avec une main posée sur le ventre. Son tee-shirt remonte et laisse
entrevoirsapeaublanche.Elleportelecollierquejeluiaioffert.Ellenel’enlèvejamais.Soncarnetestouvertàcôtéd’elleetilyauneboîtedechocolatsposéesurlacouverture.Elles’estendormieavecunchocolatàlamain.CallieaprisunpeudepoidsdepuisNoël,etelleal’aird’allermieux.Jepensequec’estgrâceàsa
psy.Elleparaît toujoursplusgaie en sortant de ses rendez-vous. J’ai encoremalquand je pense à cequ’elleasubi,àtoutescesannéesdesolitude.C’estundemesplusgrandsregrets:denepasavoirvuquielleétaitàl’époque.Sijem’étaisintéresséàCallieplustôt,savieauraitpeut-êtreétédifférente.Jenesaispascommentlaréveiller.Ilyatellementdepossibilités:avecmesdoigts,malangue…Il
fautque je fasseattention. Il luiarriveencoredefairedescauchemars,et je risquede l’effrayeren lasurprenantdanssonsommeil.Jememetsàgenouxsurlematelasetjeposel’articleconcernantmonfrèresurlatabledechevet.Jemetsunbrasàcôtédesatêteet,avecmonautremain,jecaressesatempe,celleaveclatachedenaissance,unminusculepointmarronjusteàcôtédesonœil.Ungémissements’échappedesabouche.Monsexeseraiditaussitôt.Jedéposeunbaisersursonfront,
puissursespaupières.Ellefrissonneetécrasesapoitrinecontremoi.—Kayden…J’effleureseslèvresaveclesmiennesetlesécarteavecmalangue.Elleouvrelesyeux.Lalueurdu
joursereflètededans.—Commentes-tuentré?—Violetm’aouvert.Jel’embrasseetellerépondaussitôtàmonbaiser.Ellemelaisseexplorersaboucheavecmalangue.
Elleaungoûtdechocolatetellesentlafraise.Jeglisseunemainsoussontee-shirtetjem’allongecontreelle.Elleremarquelechocolatquiétaitentraindefondreentresesdoigtsetgrimaceenleposantsurlatable. Elle s’essuie la main contre son jean et m’offre un sourire timide enmettant la boîte de côté.J’examineleschocolats,qu’elleacroquésmaispasmangés.—Tulesastousgoûtés?Ellehausselesépaules.—Jen’aimaisqueceuxàlafraise.—Quitelesaofferts?—Ungarçon.Pourquoi?Tuesjaloux?—Oui.Cemecmériteuneraclée.—Pasdeviolence,Kayden.—OK,maisc’estbienparcequec’esttoi.
Ellesouritens’humectantleslèvres.—C’estGreysonquimelesadonnés.—LeGreysondeSeth?—Oui.C’estunmecbien.Jel’aimebeaucoup.Celamerappellelaraisonpourlaquellejesuisvenue.Jereprendsl’articlequeSethm’adonné.Jele
déplieet le tendàCallie.Dylanetmoinousressemblonsbeaucoup:elle le reconnaît toutdesuite.Jem’assoisentailleurenfaced’elle.—C’estSethquil’atrouvé.Ilestallévite.C’estàsedemandersimesparentsontvraimentessayéde
lechercher.Ellesemordlalèvreenlisantl’article.—IlhabiteenVirginie.—Jesais.—Cen’estpaslaporteàcôté.Jepasseundoigtsurlescicatricesàmonpoignet.Callieposel’articlesursesgenoux.—Est-cequetuveuxprendrecontactaveclui?—Jenesaispas.Avant son départ, ma relation avec Dylan était loin d’être idyllique. Il m’a laissé seul avec mes
parents.Ilnes’estjamaissouciédemoi.—Iln’apeut-êtrepasenviedemeparler.Ilarefaitsavie,Callie.Elleposeundoigtsousmonmentonpourmeforceràlaregarderdanslesyeux.—Jesuissûrequ’ilseraitcontentdeterevoir.Cesontvosparentsetvotremaisonqu’ilafuis.Pastoi.
Ilapeut-êtreessayédet’écrireoudet’appeler,ettesparentsl’enontempêché.—Jenesaispas…Simonpsyétait là, ilmediraitque jedoutedemoiplusquedeDylan. Ildiraitque jen’aiaucune
confianceenmoi.Chaquefois,jemesensnuletfaible,cequinefaitquerenforcersonargument.JemesouviensencoredujouroùDylanestparti. Ilvenaitd’avoirsonbacet ilarefuséunebourse
sportivequiluipermettaitd’entreràl’université.Monpèreétaitfurieux.Illuiaditdenejamaisremettrelespiedscheznous.—Jepeuxl’appeleràtaplace,suggèreCallie.—Tuferaisçapourmoi?—Jesuisprêteàtoutpourtoi,Kayden.Parcequejet’aime.—Jesais.Jeneluiaitoujourspasditquejel’aimais.Jenesaispaspourquoi.J’aiessayépleindefois,maisles
motsrefusentdesortirdemabouche.Ellenemelereprochejamais,maisjem’enveuxquandmême.—C’estàmoidel’appeler,Callie.Jeleferaicesoir…maispasavantdem’êtreoccupédetoi.—Demoi?—J’aimeraisbarrerlenuméroquarante-quatredetaliste.Jel’embrassedanslecou.Ellepousseunsoupirtandisquejeluilèchelapeau.
—Quarante…-quatre?—«Segaverdechocolats,fairel’amourtoutelajournée…».Jeglisseunemainsoussonsoutien-gorge.Ellegémitdeplaisir.—Celui-làestréservépourlaSaint-Valentin.—Etalors?Onaledroitdefêterçaenavance.—Commetuveux…J’enrouleunbrasautourdesataille.Ellefermelesyeux.Callienemementpas:elleestvraimentprêteàtoutpourmoi.Elleadévoilésonsecret,bravéses
peurs,etellem’amêmeavouésessentiments.Et,bienquejenesoispasencorecapabledeluirendrelapareille,jelesensauplusprofonddemoi:j’aimecettefilledetoutmoncœur.
Callie
Kaydenetmoiallonsdemieuxenmieux.Nousvoyonsunpsyetjen’aipasvomidepuistroismois.Jesuisheureuse.C’estàlafoisexcitantetterrifiant.Cen’estpastouslesjoursfacile.Jefaisencoredescauchemars.Unjour,Kaydenaeuenvied’essayer
quelquechosedenouveauaulit,etj’aipaniqué.Ilm’aconsoléeetm’aserréedanssesbrasjusqu’àcequejemecalme.Jeparleàmamèreplussouventqu’avant.Désormais,mêmemonpèreetJacksonm’appellent.Caleba
disparuet jecrainsqu’onne le retrouve jamais. Jenesaispasquoienpenser.D’uncôté, jevoudraisqu’ilsouffreetqu’ilfinisseenprison.D’unautre,jesuiscontentequ’ilsoitloindemoi.Kaydenvientdem’annoncerqueSethavaitretrouvésonfrère.Nousendiscutonsunpeu, jusqu’àce
qu’ilmedéshabilleetexploremoncorpsavecsalangue.Jepassemesdoigtsdanssescheveux.J’espèrequeDylanestquelqu’undebien,pascommelerestedesafamille.—Jet’aime,Kayden.—Jesais.Pour l’instant, c’est tout ce qu’il est capable de répondre. Parfois, il ne dit rien du tout. Mais je
continueàleluirépéterparcequ’ilabesoindel’entendre.Nousjouissonsenmêmetemps.Noussommesensueuretnoscœursbattentàtoutrompre.Ilmetune
jouesurmapoitrineetjeluicaresselanuque.Sonregardseposesurmoncarnet,restéenéquilibreauborddulit.—Qu’est-cequetuétaisentraind’écrire?—Rien.Enfin,riend’intéressant.C’estpourmonatelierd’écriture.Ilsejettedessusetjeleluiarrachedesmains.—Tun’aspasledroit!dis-jeenserrantlecarnetcontremapoitrine.Ils’assoitàcôtédemoi.Sescicatricesattirentmonattention.Parfois,jelesregardependantqu’ildort.
C’estuntableaucrueldessouvenirsquinelequitterontjamais.Ilcroiselesbrassursontorse.—Allez,Callie!Laisse-moiaumoinslireunepage.
—Non.C’esttroppersonnel.Jeneveuxpasquetumeprennespourunefolle.—Jeteprendsdéjàpourunefolle.Ilmesouritetsecolleàmoi.—S’ilteplaît…Justeunepage.Ilsesertdesavoixsuavepourm’amadouer.Jepousseunsoupirettournelespagesdemoncarnet.—OK.C’estletextesurlequeljetravailleencemoment,maisiln’estpasterminé.Jenesaismême
pass’ilaunsens.J’ailesmainsquitremblentenluitendantlecarnet.C’estlapremièrefoisquequelqu’unvalireceque
j’yaiécrit.J’ail’impressiondeluidonnerlesclésdemonsubconscient.Ils’éclaircitlavoix:—Oùs’envolentlesfeuilles.Jolititre.Jem’allongesurledosetfixelesfissuresauplafond.—Dépêche-toi,Kayden.Tumestresses.Ilmefaitunclind’œiletreprendsalecture:—Quandj’étaispetite,j’étaisfascinéeparlesfeuillesdesarbres.Elleschangeaienttoutletemps
decouleur:vert,orange, jaune,marron.Puis,quandl’hiverarrivait,ellesdisparaissaient.Ellessedétachaient de leur branche et s’écrasaient par terre. Parfois, le vent les emportait. Fragiles etimpuissantes,ellesétaientdésormaisentrelesmainsdeséléments.Jemesouviensd’unjourenparticulier.J’avaistreizeans.Uneaverseprintanières’estabattuesur
le jardin. J’étais assise devant la fenêtre de ma chambre et je regardais la rue se transformer enrivière,lesfeuillessefaireemporterdanslescaniveaux.Ellesétaientpourtantvertesetvivantes,maislapluieetleventavaienteuraisond’elles.Deuxfeuillessesontcolléesaucarreaudemafenêtre.Leciels’estassombri,lapluiearedoubléde
violenceetlevents’estlevé.Ellessesontaccrochées.J’étaissubjuguéeparleurdétermination.Cesfeuillesn’étaientquedesmorceauxd’arbres,desvégétauxincapablesdepenseretdefairedeschoix.Pourtant,jeleurenviaisleurobstination,leurténacité.Ellesrefusaientqueleurvieetleurmortleursoientdictées.Jemesuisendormiesurmonlit.Àmonréveil, lesoleilétaitrevenu.Lesdeuxfeuillesquej’avais
tantadmiréesavaientdisparu.Jemesuissentietriste,désespérée.Leurcouragem’avaitréconfortée.Leurdépartm’abrisélecœur.Aujourd’hui,jemedemandeoùellessesontenvolées.Cequ’ellessontdevenues.J’aimeimaginer
qu’ellesontreprisleurplacesurleurbrancheetqu’ellesontcontinuéàpousseretprospérer.J’espèrequ’ellesétaientassezfortespourprendreleurdestinenmainetréapprendreàvivre.Kaydenlèvelatête.Jerécupèremoncarnetetjeleserrecontremoi.—Jesais…Cen’estpasvraimentunehistoire,maisc’esttoutcequim’estvenu.Il passe un bras surmes épaules et nous nous allongeons l’un contre l’autre. Je blottismon visage
contreluietj’aspireuneboufféedesonodeur.J’écoutelesbattementsdesoncœuretjefermelesyeux.—Callie?murmure-t-ilaprèsunlongsilence.Jedéposeunbaisersursapeaunue.
Kayden
J’aimebienlaVirginie.C’esttrèsvert,avecpleind’arbresetd’animauxsauvages.Ilyfaitpluschaudqu’auWyoming.Dumoins,c’estl’impressionqueceladonne.Jenesuisarrivéquedepuisuneheureetj’aipasséplusdetempsàl’aéroportquedehors.Jesuisvenutoutseul.Callieavaitenviedem’accompagner,maisj’airefusé.Jeluiairappeléqueje
nepartaisqu’unesemaineetqu’ilfallaitquejelefasseseul.Elleacomprismadécision.Lesretrouvaillesavecmonfrèresontétranges.Ilmeressemblebeaucoup,enplusvieuxetavecmoins
decheveux.Ilporteunpantalonetunpoloetsavoituresentlafriture.Noussommessurl’autoroutedepuisdixminutes.Nousdiscutonsdelapluieetdubeautemps,jusqu’à
cequejeposelaquestionquimetaraudedepuistantd’années:—Jenecomprendspaspourquoitunem’asjamaisappelé,Dylan.Jem’agrippeàlapoignéeenattendantsaréponse.Ilplongebrièvementsesyeuxvertsdanslesmiens.—J’aiessayé.Papaetmamanontchangédenumérojusteaprèsmondépart.J’aifinipar le trouver
mais,chaquefoisquej’appelais,ilsmeraccrochaientaunez.J’aivoulureprendrecontactavectoiaprèstondépartàlafac,mais…Jenesaispas.Jen’aipasprisletemps.Ilserrelevolantets’éclaircitlavoix:—C’étaitcomment,aprèsmondépart?Jehausselesépaulesenregardantleslumièresd’unentrepôtdéfilerderrièrelavitre.—Peuimporte.Iln’insistepas. Il saitquemonpèrem’apoignardé.Cela luidonneune idéedecequ’aétémavie
pendanttoutescesannées.—Est-cequetuasdesnouvellesdesparents?
—Non.Jemedemandeoùilssontpassés.Ilemprunteunebretelledesortie.—Jepensequ’ilsontpeurquetunelesdénonces.— Justement…C’est ça que je ne comprends pas.Même si je portais plainte et que la policeme
croyait,ceneseraitpaslafindumonde.Papas’ensortiraitenpayantuneamende.—Non,Kayden.Ilt’apoignardé.Ilt’afaitdumal!Onauraitdûledénoncerilyabienlongtemps…—Onavaittroppeur.Nous replongeons tous les deux dans notre enfance.C’est étrange d’en parler avec quelqu’un qui a
véculamêmechosequemoi.—Commentas-tufaitpourt’ensortir,Dylan?Pourchangerdevie?Ils’arrêteàunstop.—Jenem’ensuispassorti.Maischaquejourquimeséparedeluimefaitdubien.Lepouvoirqu’ila
surtoifinirapars’atténuer.Crois-moi.Jeregardelesmaisonsdéfilerdesdeuxcôtésdelarouteenmedemandantàquoiressemblelasienne.
Monfrèreestmariéetn’apasd’enfants.Safemmeestprof,commelui.Savien’arienàvoiraveccelledeTyler.Ilsonttraversélamêmechoseetontpourtantempruntédeuxcheminsdifférents.Ilsegareenbordured’unchamp.Del’autrecôtédelaroutes’étenduneprison,derrièreunelongue
barrièredefilbarbelé.—Qu’est-cequ’onfaitlà?Ilbaisselevolumedelaradioetdétachesaceinture.—Est-cequetutesouviensdecequepapanousdisaitdesonpère?—Oui.Ilparaîtqu’ilétaitviolent.—Tuveuxlavérité?Ilmeregardedroitdanslesyeux.Ondiraitqu’ilestsurlepointdepleurer.—Sonpèreétaitencorepirequelui.Papaavaitunfrère.Leurpère,notregrand-père, l’atué.Il l’a
battuàmort,Kayden.J’enailesoufflecoupé.Jerepenseànotreconfrontationdanslacuisine.Aucouteau.J’aimal,etpas
seulementàcausedemablessure.J’aimalparcequ’ils’agitdemonpère.Etunpèreestcenséprotégersonenfant,pasledétruire.—Ilestlà-dedans,ajoutemonfrèreenmontrantlaprisondudoigt.—Commentlesais-tu?—J’avaisenviedesavoird’oùonvenait.Pourquoionaeuunevieaussidifficile.Jemedemandaissi
onavaitmanquédechanceousic’étaitinévitable.Ilregardelaprisonunedernièrefois,puisappuiesurlapédaleetreprendlaroute.Jenesaispasquoi
fairedecettenouvelleinformation.J’aipeurdedevenircommemonpère.JemedemandesiDylanalesmêmesproblèmesquemoi,s’ilpréfèreladouleurauxémotions.Lesquestionss’empilentetpèsentsurmapoitrine.Toutcedontj’aiessayédemedébarrassercesderniersmoisestentrainderevenir,commeunetempêtequiseprépare.Jemerassureenmedisantquemonpèreauraitpuchanger.Ilauraitpudevenirquelqu’undebien.Et
j’ensuiscapable,moiaussi.Aulieudemejetersurunrasoir,jem’emparedemonportable.J’appelleCallie.C’esttordu,maisj’en
aibesoin.Savoixcalmeral’oragequigrondeenmoi.—Est-cequetoutsepassebien?medemande-t-elleaussitôt.Jemetsquelquessecondesàluirépondre:—Jet’aime,Callie.—Jet’aimeaussi,Kayden.Et,toutàcoup,mavieaunsens.L’oragedisparaîtetlesténèbress’illuminent.Toutmesemblecalme.
Parfait.
Callie
Jereprendsmaplacedanslestribunesensouriant.JemefaisaisdusoucipourKayden.Jenevoulaispasqu’ilparteseulenVirginie.J’avaispeurquesonfrèreneluifassedumalouneledéçoive.Maisilm’aditqu’ilm’aimait!J’endéduisqueleurrencontres’estbienpassée.J’aienviedesauterpartout.J’assiste à un match de basket avec Greyson, Seth et Luke. Les spectateurs hurlent et sifflent. Les
basketsdesjoueurscrissentsurlesol.Legymnasesentlescacahouètes,lespopcornsetlasueur.Jem’assoisàcôtédeSeth.—OùsontLukeetGreyson?Illesmontredudoigt.Ilssontdeboutcontrelabarrière,entraindediscuterdumatch.Greysonesttrès
agitéetparleavecsesmains.Lukesecouelatêteetfroncelessourcils.Sethplongeunemaindanssespopcorns.—Qu’est-cequit’arrive?Tusouriscommeuneidiote.—Kaydenm’aditqu’ilm’aimait.—Quoi?Ilsejettesurmoietmanquedefairetomberlespopcornsenmeserrantdanssesbras.—C’estgénial!Jesuissuper-contentpourtoi,Callie!—Moiaussi.Ils’écartedemoiensouriantetramasselespopcornstombéssursesgenoux.—Tantmieux.Jenevoulaispasenvenirauxmains.J’éclatederire.—Kaydenserasoulagédel’apprendre.UnsupporteursemetàhurlersurLukeetGreyson.—Assoyez-vous!Onn’yvoitrien.Lukeseretourneetluifaitunbrasd’honneur.Ilpassebeaucoupdetempsavecnousdepuisquelques
joursetilsembleàl’aise,àsaplace.JemepencheversSethpourluifairepartd’unedemesthéories:—Parfois,jemedemandesiLuken’estpas…Jemedemandes’ilaimelesgarçons.Sethéclatederire.
—Luken’estpashomo,Callie.—Tuenessûr?Ilapeut-êtrepeurdesortirduplacard…commeBraiden.—Tuveuxsavoircequej’enpense?J’attrapeunepoignéedepopcorns.—Jet’enprie.Partagetonsavoiravecmoi.Ilapprochesabouchedemonoreille:—JepensequeLukeaeuuneviedifficile.C’estcequilerendplusgénéreuxetplussensiblequela
plupart des mecs qu’on connaît. Et je pense que, parfois, les gens interprètent mal ce genre decomportement.Jem’enveuxaussitôt.—Tuasraison.Jesuisdésolée.Ilmedonneuncoupdecoudedanslescôtes.—Tun’aspasàt’excuser,Callie.Etpuis,d’abord,tuescommelui.J’engloutisunepoignéedepopcorns.—Quoi?Généreuseetsensible?—Oui.Tureviensdeloin.Tuasuneautrevisiondelavie.Unjoueurmarqueunpanieretlafoulesemetàhurler,sauteretapplaudirautourdenous.Monportable
sonnedansmapoche.CumbersomedeSevenMaryThree.—C’estmonfrère.Jereviens.Çafaitdeuxheuresqu’ilessaiedemejoindre.Jeme lève et je dévale l’escalier en esquivant un groupe de supporteurs. J’ai beaume sentir plus
confiantequ’avant,lafouleetlesinconnusmerendentencorenerveuse.Cequicompte,c’estquejesoislàetquejenemecacheplus.Jem’éloignedestribunesetjemedirigeverslecoinbuvette.Jem’assoissurunbancetjedécroche.—Allô?—Salut,Callie.Monfrèreatoutletempsl’airdemauvaisehumeur.J’aiapprisànepasleprendrepersonnellement.—Désoléedenepasavoirréponduplustôt.Jesuisàunmatchetilyabeaucoupdebruit.—Cen’estpasgrave.J’aiquelquechoseà tedire,Callie.Mamannevoulaitpasque je t’enparle,
maistuesamieavecLukeetc’estimportantquetusoisaucourant.Unebouleseformedansmagorge.Jedéglutispourlafairedisparaître.—Qu’est-cequisepasse?—Lapoliceafouillé lamaisondeCaleb.Ilsont trouvépleindetrucs…dontses journauxintimes.
Est-cequetutesouviensd’AmyPrice?LasœurdeLuke?Elleavaitdeuxansdeplusquetoi.Elles’estsuicidéequandelleavaitseizeans.Personnen’ajamaissupourquoi.Lesmecsdemaclassedisaientquec’étaitunesalope,qu’elleétaitbizarreetqu’ellefumait tropdejoints,maispersonnenelaconnaissaitvraiment.L’histoired’Amyressembleétrangementàlamienne.—Qu’est-cequ’ilsonttrouvédanscesjournaux?
Jacksonn’arrêtepasdesouffler.Jemedemandes’ilestentraindefumerunecigarette.—Desnotesquivousconcernent,toi,Amyetd’autresfilles.Il…Ilaécritcequ’ilvousafait…Jeresteimmobile,commeunestatuedepierre.—Commentlesais-tu?—Denny,l’amidepapa,estvenumangeràlamaison.Ilfaitpartiedel’enquête.Illuiatoutraconté,
mêmes’iln’enavaitpasledroit.Ilpensaitquepapaméritaitd’êtreaucourant.Ilcontinueàparler,maisjel’entendsàpeine.Jen’entendsquelesbattementsdemoncœur.Jenesais
pascequiestleplusinsupportable:queCalebaitécritcequ’ilm’afaitsubir,qu’ilaitabuséd’autresfillesouquelasœurdeLukesesoitpeut-êtretuéeparsafaute.Aprèstout,jeconnaislepoidsdusilence.Jedisaurevoiràmonfrèreetjeretournedanslestribunes.Jem’assoisàcôtédeSethetjecroisele
regarddeLuke.J’aienviedeleprendredansmesbras.Moi,j’aieudroitàmarédemption.Passasœur.Jeserredansmamainletrèflequipendàmoncouetjepenseàlachancequej’ai.Oui,j’aibeaucoup
souffert.Maisjesuislà,avecdel’airdansmespoumonsetuncœurquibat.Jesuisvivante.Jenesuispasseule.Et,quelquepart,quelqu’unm’aime.