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Photo de couverture : © Regina Wamba Traduit de …ekladata.com/J05e6Bfr9-m0SfRFbN3JJ5TDjEA/Callie-et... · Il pousse un soupir en me tapotant la main. — Tu sais quoi ? Je vais

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Photodecouverture:©ReginaWamba

Traduitdel’anglais(États-Unis)parCharlotteFaraday

L’éditionoriginaledecetouvrageaparuenlangueanglaisechezForever,animprintofGrandCentralPublishing,

sousletitre:THEREDEMPTIONOFCALLIEANDKAYDEN

©2014byJessicaSorensen.

©HachetteLivre,2015,pourlatraductionfrançaise.HachetteLivre,58rueJeanBleuzen,92170Vanves.

ISBN:978-2-01-203899-8

Àtousceuxquiontsurvécu.

Ungrandmerciàmonagent,EricaSilverman,etàmonéditrice,SelinaMcLemore,pourleursoutienetleursconseils.

Merciinfinimentàtousceuxquilirontcelivre.

Callie

Jeveuxrespirer.Jeveuxvivre.Jenesupportepluscettesouffrance.J’aimeraisquemavieredeviennecommeavant.J’entends chaque bruit, chaque rire, chaque pleur. Je n’arrive pas à détourner le regard de la porte

vitrée.Dehors,unorageaéclaté.Lapluies’abatsurlegoudronetsurlesfeuillesmortesécraséessurletrottoir. Les ambulances se garent à l’abri. Leurs lumières clignotantes se reflètent dans les flaques.Rougescommelesang.LesangdeKayden.Kayden,étalésurlecarrelage.Tellementdesang…J’aileventrenoué.Lecœurbrisé.Jesuisparalysée.—Callie.Callie,regarde-moi.JetournelatêteversSeth.Ilal’airinquiet.—Quoi?Ilprendmamaindanslasienne.Sapeauestchaude.Réconfortante.—Ilvas’ensortir.J’ensuissûr.Jeledévisageenretenantmeslarmes.Ilfautquejesoisforte.—Situledis.Ilpousseunsoupirenmetapotantlamain.—Tusaisquoi?Jevaisleurdemandersionpeutluirendrevisite.Ilestlàdepuisdeuxjours.Jene

comprendspaspourquoionnousfaitattendre.Sethselève,traverselasalled’attentebondéeetsedirigeversl’accueil.Ilvas’ensortir.Illefaut.

Au fond, je sais que Kayden ne s’en remettra jamais. Les plaies et les os guériront, mais pas lesblessuresinvisibles,cellesqu’ilcacheauplusprofonddelui.Jemedemandes’ilseralemêmequandjelereverrai.Sethposeunequestionàlaréceptionniste,maisellel’écouteàpeine.Ellejongleentreletéléphoneet

l’ordinateur. Peu importe. Je sais déjà ce qu’elle va lui répondre. Lamême chose qu’hier : seule safamillealedroitdeluirendrevisite.Safamille.Lesgensquiluiontfaitdumal.Iln’apasbesoindesafamille…—Callie?LavoixdeMaciOwensm’arrachedematranse.Jeclignedesyeux.LamèredeKaydenmedévisage

enfronçantlessourcils.Elleporteunejupedroiteàrayures.Ellealesonglesfraîchementmanucurésetelleaattachésescheveuxenchignon.—Qu’est-cequetufaislà,mapuce?J’aienviedeluirenvoyerlaquestion.Jemeredressedansmonfauteuil.—JesuisvenuevoirKayden.—Callie…Kaydennereçoitpasdevisites.Jetel’aidéjàdit.Ellemeparlecommeàunepetitefille.Jem’agrippeauxaccoudoirs.—C’estbientôtlarentrée.Jeveuxlevoiravantmondépart.Elles’assoitdanslefauteuilàcôtédemoietcroiselesjambes.—Cen’estpaspossible.—Pourquoi?dis-jeenhaussantleton.Ellebalaielasalleduregard,craignantquejen’attirel’attentionsurnous.—Calme-toi,mapuce…—Jeveuxjustesavoircommentilva!J’aibesoindecomprendrecequis’estpassé.Jen’arrivepasàcontenirmacolère.Jen’aijamaisétéaussifurieusequ’aujourd’hui.Maciselève.Jemelèveàmontour.—Kaydenestmalade,Callie.—Qu’est-cequevousentendezpar«malade»?Ellepenchelatêtesurlecôtéetmeregarded’unairtriste.Cettefemmealaissésonmaribattresonfils

pendanttoutescesannéessansleverlepetitdoigt.Jeneluifaispasconfiance.—Jenesaispascommenttel’annoncer…maisKaydens’estfaitdumal.Ils’estinfligésesblessures.—Non.C’estimpossible.Elleprendunairgrave.Elleressembleàunepoupéeenplastique,aveclesyeuxvitreuxetlesourire

malpeint.—Kaydensemutiledepuislongtemps,mapuce.Jepensaisqu’ilallaitmieux…J’aieutort.—Menteuse!Ellereculed’unpas.Jesuischoquéeparlaportéedemavoix.—Etjem’appelleCallie.Jenesuislapucedepersonne!Sethseprécipitesurmoi.

—Qu’est-cequisepasse?Lasalled’attenteestplongéedanslesilence.Toutlemondealesyeuxrivéssurnous.—Je…Jenesaispascequim’arrive.Jeleurtourneledosetjefonceverslasortie.Laportecoulissantenes’ouvrepasassezviteetjeme

cognelescoudescontreleverre.Jecoursjusqu’auxhaiesquilongentl’hôpital,jetombeàgenouxetjevomisdansl’herbeboueuse.J’ailesépaulesquitremblentetlesyeuxbrûlésparleslarmes.Jem’assoissurlestalons,souslapluie.JerefusedecroirequeKaydensesoitblessétoutseul.Pourtant,jen’arrêtepasdepenseràtoutesles

cicatricesquiparsèmentsoncorps…Etsic’étaitvrai?

Kayden

J’ouvrelesyeux.Lalumièrem’éblouitetdéformecequim’entoure.Jenesaispasoùjesuis.Nicequis’est passé. Puis j’entends des voix, des cliquetis, les bips d’une machine. Ils s’accordent avec lesbattementsdemoncœur.Lentsetirréguliers.Jesuisgelé.Engourdi,commeàl’intérieur.—Kayden?Tum’entends?Jereconnaislavoixdemamère,maisjenelavoispas.—KaydenOwens.Regarde-moi.Jeclignedesyeuxetlalumièresetransformeenpoints,puisenvisagesquejeneconnaispas.Tous

sontdéformésparlapeur.Moi,iln’yaqu’uneseulepersonnequim’intéresse.Etellen’estpaslà.J’entrouvreleslèvres.—Callie…Levisagedemamèreflotteau-dessusdemoi.Ellemelanceunregardnoir.—Est-cequetuterendscomptedecequetuasfaitsubirànotrefamille?Qu’est-cequit’apris?Tu

necroisplusentaproprevie?Jejetteunœilverslesmédecinsetlesinfirmièresautourdemonlit.J’aieutort.Ilsn’ontpaspeur.Ils

ontpitiédemoi.—Qu’est-ceque…J’ailagorgesèchecommedusable.Jedéglutisavecdifficulté.—Qu’est-cequis’estpassé?Debribesde souvenirsdéfilentdevantmesyeux : le sang, les coups, ladouleur… l’envieque tout

s’arrête.Mamèreposelesmainsdechaquecôtédematête.—Jepensaisqu’onenavaitfiniavecceproblème,Kayden.Jepensaisquetuavaisarrêté.J’inspectemonbras.Onm’abandélepoignet.Uneperfusionestattachéeaudosdemamainetj’aiune

pinceauboutdudoigt.Çayest.Jemesouviensdetout.—Oùestpapa?

—Envoyaged’affaires.Mensonge.Jesaisquemamèren’ajamaisessayédemeprotéger,maisjepensaisqu’unévénementde

cetteampleurlaréveilleraitenfin.Qu’ellearrêteraitdefairesemblantetdeprendreladéfensedemonpère.—Envoyaged’affaires?Unhommeenblouseblancheseplanteàcôtédemamère.Ilalescheveuxgrisetportedeslunettes.Il

luimurmurequelquechoseàl’oreilleetsortdelachambreavecsonbloc-notes.Uneinfirmièreexaminelamachinequibipeàcôtédulitetinscritdeschosessurunpapier.Mamèrecollesonvisageaumien.Sonombres’étalesurmoi.—Lesmédecins saventque tu t’escoupé.Lavilleentière saitque tu t’esbattuavecCaleb.Tuvas

avoirdegrosennuis,Kayden.Ettuenaurasdavantagesituessaiesdemêlertonpèreàcettehistoire.Elle a les pupilles dilatées. Il n’y a quasiment plus de couleur dans ses yeux.On dirait qu’elle est

possédéeparlediable…ouparmonpère.Ilssontpourtantsemblables,elleetlui.—Aucunorganen’aététouché,maistuasperdubeaucoupdesang.Ilst’ontfaitunetransfusion.Jeprendsappuisurlematelaspouressayerdem’asseoir.Moncorpsesttroplourdetmesbrassont

tropfaibles.—Jesuislàdepuiscombiendetemps?—Deux jours.Tuasperduconnaissance.Lesdocteursdisentquec’estnormal.Cequi les inquiète,

c’estquetutesoisfaitdumal.Ellemebordecommesij’étaisunpetitgarçon.J’aienviedehurler.Hurlerquecen’estpasmafaute.

Quec’estmonpèrequim’adétruit.Maistoutlemondes’enfiche.Jesuisseul.Jemesuiscoupé,lacéré.J’auraispréférémourir. J’aurais aiméquecette souffrance, cetteviolence et cette colèredisparaissentenfin,aprèsdix-neufansdetorture.Mamèremetapotelajambe.—Àdemain,Kayden.Jenerépondspas.Jefermelesyeuxet jesombredans les ténèbresdesquellesonvientdemetirer.

Pourl’instant,jem’ysensmieuxquedanslalumière.

Callie

Il est tard et je n’arrive pas àm’endormir. Demainmatin, je repars à l’université. Je ne veux pasabandonnerKayden.Jenepeuxpasvivresanslui.Toutlemondemeditqu’illefaut,commesic’étaitaussisimplequedechoisirunerobe.Jedétestelesrobes.Jesuischezmesparents,danslachambreau-dessusdugarage,avecpourseulecompagniemonstyloet

moncarnet.Jepassebeaucoupdetempsàécrire.C’estunesortedethérapie.Jelaissemamainsedéplacersurlepapier.

Chaque foisque je ferme lesyeux, jerevoisKaydenallongépar terredansunemaredesang.Le

liquide rouge s’infiltredans les fissuresdes carreaux.Kaydenest brisé.Certainsdirontqu’il n’yaplusd’espoir.Jenesuispasd’accordaveceux.Onm’a détruite,moi aussi,mais je commence enfin à guérir.Dumoins, c’est ce que je croyais.

Quandj’aivuKaydendanscetétat,unepartiedemoiavoléenéclats.Et, lorsquesamèrem’aditqu’ils’étaitinfligésesblessures,j’aiperdupied.Jerefused’ycroire.Jenepeuxpasycroire.Jenepeuxpas.

Jelâchelestylo.C’esttoutcedontj’avaisbesoin.Jem’allongesurlelitetjeregardelaluneenme

demandantcommentallerdel’avantsansKaydenàmescôtés.

*

Sethetmoitraversonslacourducampusbrasdessus,brasdessous.Letempss’accordeparfaitementavecmonhumeur.Ilfaitfroid,lecielestlourd,ilpleutetletrottoirestparsemédeflaques.Unerivièredévalelestoitsdesvieuxbâtiments.L’herbes’enfoncesousmesbaskets.Lesélèvescourentd’uneclasseàl’autre.J’aienviedeleurhurlerderalentir,deprendreleurtemps.—Arrêtedefairecettetête.—Désolée.Setharaison.Jefaistoujourslamêmetête,cellequimesuitdepuisquej’airetrouvéKaydendanssa

cuisine,ilyamaintenantdeuxsemaines.C’estmafaute.C’estmoiquiaiparlédeCalebàKayden.Quandilm’aposélaquestion,j’aiàpeinerésisté.Aufond,jevoulaisqu’illesache.—Arrêtedetefairedusouci,Callie.Jesaisquec’estdifficile,maiscen’estpaslasolution.Jene

veuxpasqueturedeviennestristecommeavant.Jem’arrête dans une flaque.L’eau froide traversemes chaussures etmes chaussettes. J’enlèvemon

brasdusienetj’enfouismesmainsdanslespochesdemonmanteau.—C’estplusfortquemoi.Jen’arrêtepasdepenseràlui…etaumomentoùjel’aitrouvé.C’estancré

dansmonesprit.JenevoulaispasquitterAfton.C’estmamèrequim’afaitduchantage:ellem’interditderentreràla

maisonàNoëlsijeratemonsemestre.Jen’aipaseulechoix.Jen’ainullepartoùaller.—Ilmemanque,Seth.Jem’enveuxdel’avoirabandonnéavecsafamille.—Mêmesi tuétais restée, ilsne t’auraientpas laissée l’approcher.Jesaisquec’est insupportable,

maistun’aspasledroitdecraquer.Lapluieestdeplusenplusdense.Nouscouronsnousmettreàl’abrisouslesarbres.Jerepousseles

cheveuxbrunsquimecollentauvisageetauxoreilles.—Jenecraquepas.Jepensejusteàlui.Etjenecroispasunmotdecequem’aracontésamère.Sethtiresurlesmanchesretrousséesdesavestepourrecouvrirsesavant-bras.—Etsic’étaitvrai,Callie?JesaisquelepèredeKaydenestviolent,maislesmédecinsdisentpeut-

êtrelavérité.S’ilsl’ontenvoyédanscecentre,c’estqu’ilsavaientdebonnesraisons.—Peuimporte.Toutlemondeasessecrets.Jen’aipasledroitdejugerKayden.Ceseraithypocrite.— Et puis, ils ne l’y ont pas envoyé. L’hôpital l’a transféré là-bas pour qu’il guérisse sous

surveillance.C’esttout.Iln’estpasobligéd’yrester.Sethm’offreunsourirepleindecompassion.Ilsepencheversmoietm’embrassesurlajoue.—Jesais,dit-ilenmetendantsoncoude.Allez,onvaêtreenretardencours.Jepasseunbrassouslesienetnousmarchons,souslapluie,jusqu’aubâtimentprincipal.Sethouvrela

porteetlalaisseserefermerderrièrenous.Ilsecouesaveste,envoyantdel’eaupartout.—Etsionallaitaucinéma,cesoir?Tumouraisd’enviedevoircefilm…Jenemerappelleplusson

titre.Tuenparlaistoutletempsavantlesvacances.Jehausselesépaulesenessorantmaqueue-de-cheval.

—Jen’aipasenvied’alleraucinéma.—Arrêtedebouder,Callie.—Jeneboudepas!dis-jeenmecomprimantlapoitrine.J’ailecœurbrisé,c’esttout.—Callie…Jelèveunemainpourlefairetaire.—Jesaisquetuveuxm’aider,Seth.Jeteremerciemais,parfois,souffrirfaitpartiedelavie.Surtout

quandquelqu’unqu’onaim…qu’onappréciesouffreaussi.Mondérapagelesurprendautantquemoi.—Commetuveux.Jeluiemboîtelepas.Meshabitsmecollentàlapeauetj’ailespiedstrempés.Çamerappelleundes

plusbeauxmomentsquej’aivécus,unmomentpleindebaisers,depluieetdemagie.Ilfautquejem’yaccroche.Pourl’instant,c’esttoutcequej’ai.

*

Lesjourspassentets’allongent.LesvacancesdeNoëlapprochentetcelafaituneheurequejefixemonlivre d’anglais. J’ai les yeux qui piquent. Lesmots n’ont plus aucun sens. Jeme frotte les paupières.Violet,macolocataire,estendormiesursonlit.Ellen’apasbougédepuisplusdedixheures.Sielleneparlaitpasdanssonsommeil,jelacroiraismorte.Enplusderéviserpourmonexamend’anglais, jesuiscenséeperfectionnermaplume.Jefaispartie

d’unatelierd’écritureet jedois rendre troisprojetsd’icià la finde l’annéescolaire :unpoème,unenouvelleetunessainonromanesque.J’aidécidédecommencerparl’essai.C’estceluiquej’appréhendele plus. J’adore écrire,mais j’ai peur de coucher la vérité sur le papier… surtout en sachant que lesautresme liront. J’aipeurdeme laisseraller,et jen’aipasenviedephilosophersur laviealorsqueKaydenestentraindesouffrirdanssoncoin.Pourl’instant,jen’aiécritqueletitre:Oùs’envolentlesfeuilles,parCallieLawrence.Jenesaispasencoreoùjeveuxenvenir.Lapluies’esttransforméeenneige.Lesfloconsflottentdanslecielgrisetuntapisdeglacerecouvre

lecampus.S’ilneigeici,chezmoiçadoitêtrelatempête.Lavoituredemamèreestsûrementbloquéedansl’allée.J’imaginelechasse-neigeentrainderemonterlesruesetmonpères’échauffantàlasalledegymparcequ’ilfaittropfroidpours’entraînerdehors.JepenseàKayden,quiesttoujoursinternéparcequ’ilspensentqu’ilaessayédesetuer.Mon portable est posé sur le lit, à côté de mes fiches de révisions et d’un tas de marqueurs

multicolores.J’appelleKaydenpourécoutersaboîtevocale.«Salut,c’estKayden.Jesuistropoccupépourvousrépondre.Laissez-moiunmessageet,avecunpeu

dechance,jevousrappellerai.»Ilyaunetouchedesarcasmedanssavoix,commes’ilétaitfierdesablague.Jesouris.Ilmemanque

trop.Çamebriselecœur.Jel’écouteencoreetencore,jusqu’àcequej’entendeladouleurderrièrel’humour.Jeraccrocheetje

m’allongesurlelit.Jen’auraisjamaisdûavoueràKaydenquec’estCalebquim’aviolée.Toutestmafaute.Violet se redresse et clignedesyeux. Ils sont injectésde sang.Elle secoue la tête et rassemble ses

cheveuxnoirsméchésderouge.Elleregardelaneigeparlafenêtre.—J’aidormicombiendetemps?—Dixheures.Ellejetteunœilàsamontreaubraceletdecuir,puissoulèvelacouvertureetbondithorsdulit.—Merde!J’airatémoncoursdechimie.—Tuprendsdescoursdechimie?Jesuissurprise.Violetetmoipartageonslamêmechambredepuistroismois,etellesemblepréférer

lesfêtesetlesgarçonsauxétudes.Ellemelanceunregardnoirenenfilantsavesteencuir.—Quoi?Tucroisquejenesuispascapabledem’amuseretd’êtreintelligente?—Non,cen’estpascequejevoulaisdire.C’estjuste…—Jesais,Callie. Je saisceque tupensesdemoi. Je saisceque tout lemondepensedemoi.Un

conseil:arrêtedejugerlesautressurleurapparence.Jem’enveuxaussitôt.Elles’emparedesonsacetreniflesachemise.Jem’assoissurlelit.—Jenetejugepas,Violet.Jesuisdésolée.Elleramassesonportablesurlebureauetlejettedanssonsacensedirigeantverslaporte.—Siunmecquis’appelleJessevientici,dis-luiquetunem’aspasvuedelajournée.—Pourquoi?—Parcequejeneveuxpasqu’ilsachequej’étaislà.Elleouvrelaporteetmeregardepar-dessussonépaule.—Tun’aspasl’airdanstonassiette,Callie.—Jesais,dis-jeenbaissantlesyeux.J’aivécudessemainesdifficiles.Ellem’examinedelatêteauxpieds.Ellesemblemalàl’aise.—Est-ceque…Est-cequeçava?Je hoche le menton et un semblant d’émotion se dessine sur son visage. De la douleur ou de la

compassion.Toutàcoup,jemedemandesiVioletvabien.Jen’aipasletempsdeleluidemander.Ellehausselesépaulesetsortdelachambreenclaquantlaporte.Jepousseunsoupirdesoulagementetjemerallongesurlelit.J’aienvied’enfoncerundoigtdansmagorgeetdelibérerlasouffrancequipèsedansmonventre.J’ai

besoind’enparleràquelqu’un.J’attrapemonportableetj’appellemonpsyetmeilleurami:Seth.Ilrépondauboutdetroissonneries.—Salut,Callie.J’espèrequec’estimportant,parcequejesuissurlepointdeconclure.Jerougisaussitôt.—Excuse-moi.Jevoulaisjustesavoiroùtuétais.Jesuisdésolée,Seth.Jetelaissetranquille…—Non!Jet’écoute.C’esttoimapriorité.Tulesais.

—Est-cequetuesavecGreyson?—Biensûr.Tumeprendspourqui?Jenesuispasunmangeurd’hommes!Unrirem’échappe.Sethaledondetoujoursmeremonterlemoral.—Qu’est-cequisepasse,Callie?—Rien.Toutvabien.Jem’ennuyaisetjecherchaisunmoyend’échapperàmesrévisions.—Tuenessûre?Jepoussemonlivred’anglaisetjem’allongesurleventre.—Sûreetcertaine.Vat’amuser.—J’enaibienl’intention.J’éclatederire.C’estplusfortquemoi.—Et,situneveuxpasrestertouteseule,appelleLuke.Voustraversezlamêmechose,touslesdeux.

Kaydenvousmanque,etLukeseposelesmêmesquestionsquetoi.Jemerongeunongle. J’aidéjàpassédu tempsavecLuke,mais jenemesens toujourspasà l’aise

aveclesgarçons.Dumoins,àl’exceptiondeSeth.EtLukeetmoin’avonspasencorediscutédecequeKaydenasubichezlui.—Jevaisyréfléchir.—Super.Situlevois,dis-luideteracontercequis’estpasséhieraucoursdeM.McGellon.—Pourquoi?Qu’est-cequis’estpassé?—Ilteracontera.—OK.Jenesuispascertainedevouloirl’entendre.SiSethpensequec’estdrôle,ilyadegrandeschances

pourqueçamegêne.—Amuse-toibienavecGreyson.—Àplustard,mabelle.JeraccrocheetjechercheLukedansmescontacts.Mondoigtplaneau-dessusdubouton,maisjefinis

parmedégonfler.Jeposeleportablesurmonlit,jemelèveetj’enfilemesConverse–cellesquisonttachéesdepeintureverte –parcequ’ellesme rappellent desbons souvenirs. J’enfilemonmanteau, jeglissemonportabledansmapoche,j’attrapemesclésetmoncarnetetjesorsdelarésidence.Jemarchesansbutprécis.Jetraverselecampusdésertetjem’assoissurunbancglacé.Unarbreme

protègedelaneige.J’ouvremoncarnet,jeremontemoncolsurmonnezetj’écris,laissantmoncœuretmonâmenoircirlespages.

Jemesouviensdemonseizièmeanniversairecommesic’étaithier.Ilestàl’abridansuncoinde

matêteet jeleressorsquandj’enaibesoin.Cejour-là, j’aiapprisàconduire.Mamèreatoujoursrefuséquemon frère etmoi approchionsd’un volant avant d’enavoir l’âge.Elle disait que c’étaitpour nous protéger.Nous protéger ? Jeme rappelle avoir trouvé ça étrange.Mon frère fumait desjointsdepuisqu’ilavaitquatorzeans.Calebm’avioléedansmachambrequandj’enavaisdouze.Jesavais qu’elle n’était pas responsable,mais une questionme taraudait : où était notremère quandnousavionsbesoind’elle?

Àseizeans,j’étaisdoncsurlepointdeconduirepourlapremièrefois.J’étaisterrifiée.J’avaislesmainstellementmoitesqu’ellesglissaientsurlevolant.Lequatre-quatredemonpèreétaitsurélevéetjevoyaisàpeinepar-dessusletableaudebord.—Etsijeconduisaislavoituredemaman?ai-jesuggéréàmonpère.—Non,Callie.Apprendsàconduiresurcelle-là.Après,conduirelesautresseraunjeud’enfant.Nousavonsattachénosceinturesetjemesuisessuyélesmainssurmonjean.Ilm’asourietm’a

tapotél’épaule.—Jesaisquetuaspeur.C’estnormal.Maistuenescapable.Sinon,jenetelaisseraispasfaire.J’ai failli éclater en sanglots et lui raconter ce qui m’était arrivé le jour de mon douzième

anniversaire. J’ai failli lui direquenon, je n’en étais pas capable.Que je n’étais capablede rien.Maislapeuraeuraisondemoietj’aiappuyésurlapédale.J’ai fini par foncer dans la boîte aux lettres des voisins.Mes parentsm’ont interdit de conduire

pendant trois mois. J’étais ravie. Conduire était synonyme de grandir, et je n’étais pas prête. Jevoulaisredeveniruneenfant.Jevoulaisavoirdenouveaudouzeans,avecl’excitationdelavieetdesgarçonsetdesbaisersdevantmoi.

—Disdonc,ilfaitsuper-froid!LavoixdeLukemefaitsursauter.Jelèvelatêteetfermemoncarnet.Ilalesmainsenfouiesdansles

pochesdesonjeanetlacapuchedesavestebleueremontéesurlatête.Jeglissemonstylodanslaspiraleducarnet.—Qu’est-cequetufaislà?Ilhausselesépaulesets’assoitàcôtédemoi.Ilétendlesjambesetcroiseleschevilles.—C’estSethquim’aappelé.Ilm’aditquetun’avaispaslemoral.Jebalaielecampusduregard.—C’estincroyable.Parfois,jemedemandes’iln’apasinstallédescaméraspartout.Ilesttoujoursau

courantdetout.Lesfloconsjaillissentducieletnossoufflesformentdesnuagesdevapeur.JemedemandesiLukeest

seulementlàparcequeSethl’aappelé.Ildécroiseseschevilles.—Est-cequetuveuxallerfaireuntour?Jeprendraisbienl’air,loindelafac.—OK.Ma réactionme surprend. Je n’ai même pas hésité. Est-ce que je commence à faire confiance aux

gens?Lukemesouritetmetransperceduregard.Avant,ilm’intimidait.Aujourd’hui,jesaisqueçafaitpartiedelui.Jepensequ’ilcachedeschosesderrièresesairsdevoyou:peur,solitudeousouffrance.Jeglissemoncarnetsousmonbrasetjemelève.Ensilence,noustraversonslacouretnousdirigeons

versl’inconnu.

Kayden

Chaquefoisquejefermelesyeux,jevoisCallie.Callie.Callie.Callie.Jesensladouceurdesapeau,son goût, l’odeur de son shampoing. Ellememanque tellement que j’ai dumal à respirer. J’aimeraism’endormiràjamaispourêtreàsescôtés,laseuleetuniquepersonnequimerendeheureux.Maisjefinistoujoursparouvrirlesyeuxetparaffronterlaréalitéquejemesuisimposée.Latorture.Lasouffrance.Toutcequirestedemavie.JeneméritepasdepenseràCallie.Pasaprèscequej’aifait.Pasaprèsqu’ellem’aretrouvédanscet

état.Désormais,elleconnaîtmonsecretleplussombre,celuiquejecachedepuistantd’années,celuiquifaitpartiedemoi.Lepire,c’estqu’ellenel’aitpasentendudemabouche,maisdecelledemamère.C’est pour lemieux.Callie peut enfin vivre sa vie sans supportermes problèmes.Quant àmoi, je

resterailà,lesyeuxfermés,àm’agripperàmessouvenirs.Sijerespireencore,cen’estquegrâceàelle.

*

Je n’ai jamais eu peur de mourir. Mon père a commencé à me frapper quand j’étais petit, et j’aitoujourspenséquejemourraisjeune.PuisCallieestentréedansmavieet,depuis,lamortmeterrifie.Jem’ensuisrenducomptecejour-là.Jemerappelleavoirregardélesangcoulersurlecarrelageet

surlalameducouteau.Unevaguededoutem’asubmergé,maisilétaittroptard.Toutcequejevoyais,c’était le visage de Callie quand on lui apprendrait ma mort. Après mon départ, il n’y aurait pluspersonnepourlaprotéger.Etelleavaitbesoindeprotection.Elleleméritaitplusquequiconque.

Deuxsemainesaprèsl’incident,onm’atransféréaucentreBrayman.Ilestsituéenborduredelaville,entreladéchargeetunvieuxterraindecaravaning.Machambreestvide,avecdesmursblancsetunlinotaché.L’odeurdedésinfectantestmoinsfortequ’àl’hôpital,maisleseffluvesdeladéchargesefaufilentparfoisjusquedansmachambre.Jesuislàdepuisseulementquelquesjours.Jenesaispasquandjeseraiprêtàpartir.Envérité,jene

saisplusgrand-chose.Jesuisallongésurlelit–monpasse-tempsfavori–etjeregardeparlafenêtreenmedemandant ce queCallie est en train de faire en cemoment. J’espère qu’elle s’amuse, qu’elle estheureuseetqu’ellesourit.C’estbientôtl’heuredemonbilandesanté.Jem’assoislentementetjeposeunemainsurlecôté,làoù

onm’arecousu.Lecouteaun’atouchéaucunorganevital.J’aieudelachance.Dumoins,c’estcequetoutlemondemedit.J’ailachancedenepasavoirtouchédeveineenmetailladantlespoignets.J’ailachanced’avoirsurvécu.Chance.Chance.Chance.Cemotestrépétéàl’infini,commepourmerappelerquemavieestprécieuse.Jenecroispasenlachance.Survivren’estpasunechance.Pendantmonséjouràl’hôpital,ilm’estarrivédevouloirraconterlavérité,maisj’étaistropgroggy.

Quandlebrouillards’estdissipé,j’airegardélasituationenface.J’avaisfrappéCalebetj’étaiscouvertdecicatricesquejem’étaismoi-mêmeinfligées.Voilàcequelesgensvoyaient.Sij’essayaisdemenerunebataillecontremonpère,jeperdrais.Inutilederacontercequis’estpassé.Personnenemecroirait.L’infirmièreentredansmachambreavecmondossieràlamainetunsourireplaquésurlevisage.Elle

alescheveuxblondsaveclesracinesbrunes,etelleatoujoursdestracesderougeàlèvressurlesdents.—Commentvas-tu,Kayden?Elles’adresseàmoicommeàunenfant.Touslesmédecinsmeparlentsurceton.Poureux,jesuisle

pauvregarçonquis’estcoupélesveinesets’estpoignardéavecuncouteaudecuisine.—Çava.J’accepte lespetitscomprimésblancsqu’ellemetend.Cesontdescalmants.Chaquefoisqueje les

avale,jem’endors.Ladouleurs’estompe.Parfait.C’esttoutcequejedemande.Dixminutesplustard,jesuisentraindem’assoupirquandleseffluvesfamiliersd’unparfumdeluxe

mebrûlentlesnarines.Jen’ouvrepaslesyeux.Jen’aipasenviedeluiparleretdefairecommesitoutallaitbien.Commesimonpèrenem’avaitpaspoignardé.J’enaimarredesoncinéma.—Kayden?Tudors?Mamèreparlecommeunrobot.Elleasûrementbu.Elleposeunemainsurmonbras.Sesonglesme

fontmal.J’aimeraisqu’ellemegriffejusqu’ausang,qu’ellem’ouvrelapeauetfassedisparaîtretoutescesémotionsquimetorturent.—KaydenOwens.Ressaisis-toi.Sorsdecelit.Faisuneffort.Prouveauxmédecinsquetuesprêtà

rentreràlamaison.Jeneréagispas.Jemeconcentresurlesbattementsdemoncœur.Boum.Boum.Boum.—Jenetelaisseraipasdétruirel’imagedenotrefamille.C’estàtoideréparerlesdégâts.Lève-toi,

vavoirtonpsyetmontre-luiquetun’espasundangerpourtoi-même!Ellesoulèvemacouverture.J’ouvrelesyeux.Mamèreaunesale tête.Elleadescernesnoirset elle s’est tartinéedemaquillageenespérant les

cacher. Elle porte une robe rouge, des bijoux et un manteau en fourrure : une façade élaborée pourcamouflerlavérité.

—Etpapa?Iln’estpasdangereux,lui?—Tonpèren’arienfaitdemal.Ilétaitsimplementencolère.—Àcausedecequej’aifaitàCaleb,dis-jeenappuyantlesmainssurlematelas.Jem’assoisetj’appuieledoscontrelatêtedelit.Ellemelanceunregardnoir.—Exactement.Cen’estpasacceptable,Kayden.Heureusementpour toi,Calebs’enest tiré. Ilveut

porterplainte,maistonpèreestentraindenégocieraveclui.—Négocier?Pourquoi?J’ail’impressionquedesmilliersd’aiguillessesontglisséessousmapeau.—Parcequ’onnelaisserapastesdécisionsminablesternirlaréputationdenotrefamille.Onespère

étoufferlescandaleaussivitequepossible.—EnsoudoyantCaleb,dis-jeenserrantlesdents.J’aienviede taperdansquelquechose,d’enfoncermonpoingdansunmurenmétal,dem’ouvrir la

peauetderegardermesmainssaigner.Jerefusequemonpèresemêledecettehistoire.Sinon,ilmeleferapayertoutemavie.—Oui,Kayden.Tonpèrevaproposerdel’argentàCalebenéchangedesonsilence.Del’argentque

tonpèreagagnéhonnêtement.Tudevraisluienêtrereconnaissant.—Laissez-leporterplainte.Jem’enfous.Jeneveuxpasquepapas’enmêle.C’est la vérité. Jem’en fiche. Je suis quasimentmort, et la dernière partie demoi encore vivante

n’attendqu’uneseulechose:laprochaineentaille.Mamèresortunpoudrierdesonsac.Elleregardesonreflet,arronditleslèvres,puissedirigeversla

porteenlerefermant.Sestalonsclaquentsurlelino.—Tuesun fils ingrat,Kayden.Tues l’enfant leplus frustrantde la famille.Tes frèresnenousont

jamaisposéproblème,eux.Parcequ’ilsontfuipendantl’orage.Ilsn’étaientpaslàquandlatornadeestarrivée.—Jenesuispasunenfant.Jen’aijamaisétéunenfant.Sestalonss’arrêtent…puiss’éloignentdanslecouloir.Jefermelesyeux.Jelaisselescalmantsfaire

leurtravail,m’entraînerdanslesténèbres.Ladernièrechosequejevoisavantdem’endormir,c’estunefilleauxyeuxbleusetauxcheveuxbruns.Laseulefillequej’aieaimée.Jem’accrocheàcetteimagedetoutesmesforces.Sanselle,àquoibonrespirer?

Callie

Lukeetmoisommesàlapatinoire.C’estnotrepremièrefoisàtouslesdeux.Quelquescouplesglissentavecgrâceensetenantlamain,etunepetitefilleapprendàpatineravecunemonitrice.Jemepencheenavantpournouermeslacets.—Qu’est-cequis’estpasséaucoursdeM.McGellon?Lukepasseunemaindanssescheveuxcourts.—Setht’enaparlé?

—Ilm’aditdeteposerlaquestion.Illèvelesyeuxauciel.—Ettuveuxvraimentsavoir?J’hésite,maisjedécidedeprendrelerisque.—Oui.Ils’aventuresurlaglaceetyenfoncelapointed’unelame.—Onm’asurprisentraindefaire…quelquechose.Avecunefille.Jem’endoutais.Sethadorememettremalàl’aise,etilsaitquecegenredesujetmedérange.—Parleprof?—Non.ParSeth.Aucentredelapiste,unefillefaitdespirouettesaveclesmainsenl’air.Lukelongelabarrièreetjele

suisenm’yagrippant.Ilesttempsdechangerdesujet.Sinon,mesjouesvontprendrefeu.—Alors,commeça,ilyadesgensquiviennenticipours’amuser?—C’estcequ’ondit.Il perd l’équilibre et s’accroche à la barrière. Nous nous arrêtons pour laisser passer les autres

patineurs.Lukemesouritendessinantuncercledanslaglace.—Lasemainedernière, j’aipassé lanuitavecune fille.Le lendemain,elleavoulume traînerà la

patinoire.Cettefois,j’essaiedenepasrougir.—Pourquoias-turefusé?Iléclatederire.—Jen’enavaispasenvie.Franchement,jepréfèreveniriciavectoi.C’estplussympa.Il essaie de patiner en arrière, mais il trébuche et s’écrase contre la barrière. Je ne peux pas

m’empêcherdesourire.—Tutrouvesçadrôle?—Jepensaisquelesjoueursdefootétaientbiencoordonnés.Ilmefaitunclind’œil.—Surl’herbe,Callie.Ladansesurglace,cen’estpaspournous.— J’ai pourtant entendu dire qu’il vous arrivait de vous échauffer comme des danseurs… pour la

souplesse.Jefaisexprèsdeletaquiner.Illèvelesyeuxauciel.—Kaydenaraison.Tuasdelarépartie,quandtut’ymets.Sonvisagesedécompose.Monventresenoue.Nousrestonsimmobiles,aveclefantômedeKayden

entrenous.Jemeretourneverslesgradins.—Jefaisunepause.J’aimalauxpieds.—Moiaussi.Noslamesclaquentcontrelesolencaoutchouc.Ils’assoitàcôtédemoietétendlesjambes.

Nousregardonslesautrespatineursfairedestoursdepiste,rire,sourire,tomber.Ilsontl’airdepasserunbonmoment,etjelesenvie.J’aimeraism’amuser,moiaussi,maisavecKayden.J’aimeraisqu’ilsoitlà,contremoi…—Tuasdesnouvelles?medemandeLukeenfixantlaglace.—Dequi?DeKayden?Ilhochelatêtesanscroisermonregard.Monsoupirformeunnuagedevapeur.Lapatinoireabeauêtre

couverte,ilfaitaussifroidquedehors.Jeporteunmanteau,desgants,unecapuche,maisjen’arrivepasàmeréchauffer.Latournurequ’aprisenotreconversationnem’aidepasàmesentirmieux.Jemeconcentresurunjeunecouplequisetientpar lamain.Ilsont l’airheureux.Jeremplaceleurs

visagesparlemienetceluideKayden.—Riendenouveau,àpartlesrumeursdontm’aparlémamère.Lukesepenchepourresserrerunlacet.—Quellesrumeurs?Jedéglutisenespérantdénouerlabouledansmagorge.—IlparaîtqueKaydenaétéplacésoussurveillancedansuncentrespécialisé.Illèvelatêteversmoi.—Parcequ’ilspensentqu’ils’estblessétoutseul?LukeestaucourantquelepèredeKaydenestunmonstrecapabledepoignardersonproprefils.J’ai

essayéd’endiscuteravecmamère,maisellem’aditquecelanenousregardaitpas.ElleestencolèrecontrelesOwensparcequeKaydenafrappéCaleb.J’auraisdûluiexpliquerpourquoiilenétaitarrivélà…J’enaieuenviemais,parfois,l’envienesuffitpas.Un jour, j’ai décidé de tout lui raconter. C’était quelques heures aprèsma rencontre avecMaci, à

l’hôpital.Mamère était assise à la table de la cuisine, en train demanger des céréales et de lire lejournal.Jetremblaiscommeunefeuille.—Ilfautquejet’avouequelquechose,maman.Ellealevélenezdesonjournal,lacuillèresuspendueau-dessusdesonbol.—Sic’estàproposdeKayden,jesuisdéjàaucourant.Jemesuisassiseenfaced’elle.—Cen’estpasluiquis’estblessé.Ellearemuésescéréalessansmequitterdesyeux.—Dequoituparles,Callie?—Jeparle…JeparledecequiestarrivéàKayden.Delaraisonpourlaquelleilestàl’hôpital.J’aicroisélesbrassurlatableetserrélespoings.Elleafroncélessourcils.—Peuimporte.Moi,jeparlaisdumalqu’ilafaitàCaleb.Lesimplefaitd’entendresonnomm’anouéleventre.J’aieuenviedehurlersurmamère,dejeterses

céréalesparterre.—Cen’estpassafaute,maman.Elles’estlevéeetadéposésonboldansl’évier.

—Jesaisquetul’aimesbeaucoup,Callie,maiscegarçonesttrèsencolère.Jeteconseilledeprendretesdistancesaveclui.Frustréeetenragée,jemesuislevéeenmanquantderenversermachaise.—Non!Ellem’a lancé un regard noir. Voilà pourquoi je n’ai jamais osé lui confiermes problèmes. Parce

qu’ellenevoitpasplusloinqueleboutdesonnez.—CallieLawrence!Jet’interdisdemeparlersurceton.—Jeteparleraisurcetontantquetudirasn’importequoi.Jemesuisagrippéeàlapoignéedelaporte.Jamaisjeneluiavaisparléainsi.Elleenapresqueperdu

sesmots.—Je…Jenetereconnaisplus,Callie.JepensequeKaydenaunemauvaiseinfluencesurtoi.—Ilyaquelquessemaines,tuétaisraviedenousvoirensemble.—C’étaitavantquejesachedequoiilétaitcapable.Jet’interdisdelerevoir.Etjeterappelleque

c’estCalebquetudevraissoutenir.Aprèstout,ilfaitpartiedelafamille.Unevaguedecolères’estemparéedemoi.Incontrôlableetdestructrice.— Tu ne sais pas de quoi tu parles ! Tu ne connais pas la vérité ! Tu ne cherches même pas à

l’entendre!Je ne savais plus à quoi je faisais référence. Peu importe. J’ai ouvert la porte et je suis partie en

courant.Ellen’apasessayédemesuivre.Jen’enattendaispasmoinsdesapart.—Callie?Lukepasseunemaindevantmonvisage.—Tuasentenducequej’aidit?ParrapportàKayden?—Oui…Excuse-moi.Jemepenchepourdétachermeslacets.Lukeenlèvesespatinsetremuelesorteils.—Tucroisqu’ilsdisentlavérité?QueKaydens’estvraimentfaitdumal?Unepartiedemoiycroit.Après tout, le soiroùKaydenetmoiavons fait l’amour, ilavait lesbras

couvertsdecoupures.Maiscelaneveutpasdirequ’ilestalléjusqu’àsepoignarder.—Jepensequec’estsonpère.Ledireàvoixhauterendleschosesréelles.Nonseulement lepèredeKaydenapoignardésonfils,

maisKaydenn’en a parlé à personne.Son silencemebrise le cœur. Je sais à quel point ce genre desecretestlourdàporter.Lukecroiselesbrasets’appuiecontreledossierdubanc.—Quandj’étaispetit,Kaydendormaittoutletempsàlamaison.Jetrouvaisbizarrequ’ilpréfèreêtre

chezmoiplutôtquechezlui.Jevivaisdansuntaudisetmamèreétaitàmoitiéfolle.Lapremièrefoisquej’aipasséunenuitchezlesOwens,j’aicompris.JeneconnaispasbienLukenisamère,etj’aimeraisluiposerdesquestionssursonenfance…maisla

tensiondanssamâchoiremefaittaire.—Qu’est-cequis’estpassé?

Ilenlèvesesgantsetlesglissedanslapochedesaveste.—J’aicasséunetasse.Jenel’aipasfaitexprès,maislatasseétaitcasséeetc’esttoutcequicomptait.

Kaydenapaniqué.Onavaitdixans.Jenevoyaispaspourquoiilsemettaitdansunétatpareil.Cen’étaitqu’unetasse.Ilpousseunsoupir.Ilalesmainsquitremblent.— Kayden m’a dit d’aller chercher le balai sous l’escalier, dans le couloir. Pendant que je le

cherchais,j’aientendudescris…Ilmarqueunepause.J’ailesmainsquitremblent,moiaussi,etlecœurquibattropvite.—Jesuisretournédanslacuisine.Kaydenétaitparterre,entrainderamperparmileséclatsdetasse.

Sonpèreétaitlà,avecunmorceauàlamain.Kaydenavaitdusangsurlesmainsetuneentailleauvisage.Ilm’ajuréquesonpèren’yétaitpourrien.Jenel’aipascru.J’étaisjeune,maispasidiot.J’inspireparlenezpourmecalmer.J’aileslarmesauxyeux.—Est-cequ’ilafinipartedirelavérité?—Pascejour-là.Mais,quelquesmoisplustard,sonpèrel’afrappédevantmoi.Cettefois,iln’apas

pulenier.J’enlèvemespatinsetjefermelesyeux.—Est-cequeturegrettesdenepasenavoirparléàquelqu’un?Lorsquej’ouvrelesyeux,ilplongesonregarddanslemien.—Biensûr.Etjem’enveuxencore.Pendantuncourtinstant,Lukeetmoisommesliésparunfilténuetcassant.Ilselève,attrapesespatins

par les lacets et sedirigevers les casiers pour récupérer ses chaussures. Je lui emboîte le pas.Nousenfilonsnoschaussuresetmarchonsensilence jusqu’à savoiture.Laculpabilité rongenoscorpsdéjàglacés. Il démarre le vieuxquatre-quatre et allume le chauffage. J’attachema ceinture tandis quenoussortonsduparking.—Ondevraitluirendrevisite,Callie.Ilmeresteunderniercoursavantlesvacances,maisjepeuxle

sécher.L’examenestdéjàpassé.—Lesvisitessontréservéesàlafamille.Enfin,c’estcequeMaciaracontéàmamère.Kaydenn’a

mêmepasledroitdetoucherautéléphone.Lukes’arrêteaustopettournelatêteversmoi.—Est-cequetulacrois?—Jenesaispas.PourquoiMacimentirait-elleàcesujet-là?—Pourcacherlavérité.Ils’engagedansl’avenueprincipale.Ilesttard,lecielestgrisetleslampadairescapturentlesflocons

dansleursfaisceaux.Larouteestrecouvertedeneige.J’aienviedeluidireoui:prenonsl’autoroutepourAftonetrendonsvisiteàKayden.Lasonneriede

monportablemecoupedansmonélan:HateMedeBlueOctober.Jefroncelessourcils.—C’estmamère.J’hésiteàlalaissertombersurmamessagerie–oùellepourrainsulterKaydenetadulerCalebautant

qu’ellelevoudra–maisjeneveuxpasluifaireceplaisir.Jedécrocheetjecolleleportableàmonoreille.—Allô?—Bonsoir,machérie.Commentvas-tu?Jemeconcentresurlarouteetj’ignoreleregardinterrogateurdeLuke.—Bien.—Tuenessûre?Tuasl’airdéprimée.Jepensaisquelafact’avaitguérie.—Jenesuispasdéprimée,maman.Ellepousseunsoupirdefrustration.—Écoute…Jet’appellepourtedirequeCalebadécidédeporterplaintecontreKayden.—Quoi?Lukesursauteetlavoiturefaituneembardée.—C’estuneblague?—CallieLawrence,jet’interdisdemeparlersurceton!—Désolée.C’estjusteque…jenecomprendspaspourquoi.—Kaydenl’afrappésansraison,chérie.—Non!Ill’afrappéàcausedemoi.Jem’étouffesurlederniermot.—Qu’est-cequeturacontes?—Laissetomber,maman.Jesuisencolère.Jedisn’importequoi.Ellemarqueunelonguepause.—Callie…Est-cequetumecachesquelquechose?—Non,maman.—Trèsbien.Ellesembledéçue,commesiellesentaitquej’étaissurlepointdepartagermonsecret,celuiquejelui

cachedepuissixans.CeluidontseulKaydenalaclé.—C’est tout ce que j’avais à dire, Callie. Je voulais t’en parler avant que tu ne l’entendes de la

bouched’unautre.Jesaisquesonmeilleuramiestàl’universitéavectoi,etlesrumeursvontvite.—Tuaseuraison.—Àplustard.—Aurevoir,maman.Jeraccrocheet j’empoignemonportable,commepourl’étouffer.J’ai lesmainsmoiteset jen’arrête

pasdepenseràKayden.C’estmafaute.Toutestmafaute.Ilfautquejelesauve.Jeglissemonportabledanslapochedemonjean.—OK,dis-jeàLuke.AllonsàAfton.Iltournelatêteversmoi.—Tuessérieuse?

—Oui.CalebveutporterplaintecontreKayden.—Tudéconnes?—Non,etc’estàmoideréglercettehistoire.C’estàcausedemoiquetoutacommencé.Jemedemandes’ilsaitpourquoiKaydenafrappéCaleb,cesoir-là.Je fermemonmanteauet j’enfilemesgants.Lukesegaresur leparkingen facedema résidence. Il

éteintlemoteuretlaisselaradioallumée.LarésidenceMcIntyreestlaplushautedel’université.Elleal’airisolée,surplombanttouteslesautres.Lukeattrapesonpaquetdecigarettessurletableaudebord.—Est-cequetupréfèrespartircesoiroudemainmatin?—Demainmatin.J’aimeraisqueSethnousaccompagne.—OK.Ilfaudrajusteseserrerdanscetasdeferraille.LavoituredeSethnenousemmènerajamais

jusqu’àAftonaveccetteneige.Jeposeunemainsurlapoignéeetj’ouvrelaportière.Lukesembleinquiet.—Jemefaisdusoucipourlui,Callie.Est-cequ’ilestpossibled’empêcherCalebdeporterplainte?

Siçatournemal,Kaydenvaêtreexcludel’équipe,etpeut-êtremêmedelafac.Ilrisquelaprison,ouuneamende qu’il n’aura jamais les moyens de payer sans l’aide de son père. J’espère que ça va aller.Parfois,quandlesgenstouchentlefond,ilsfinissentparbaisserlesbras…Commemasœur.Lagravitédelasituationpèsesurmapoitrine.Jedescendsdelavoituresansriendire.Jesavaisque

Lukeavaitunesœur,maisilnem’ajamaisditdequoielleestmorte.J’enconclusqu’elles’estsuicidée.—Jevaisfairedemonmieux.Ontrouveraunesolution,Luke.Jetelepromets.Lasolution,jelaconnaisdéjà.Maisensuis-jecapable?Suis-jecapabledepartagermonhistoireavec

mafamille?Meferont-ilssuffisammentconfiance?Suis-jeassezfortepouraffronterCaleb?Jesaisqu’ilfaudrarépondreàcesquestionsunjouroul’autre.Ilesttempsdefairefaceausecretqui

mehantedepuistantd’années.Ilesttempsd’arrêterd’avoirpeur.

Kayden

Ça fait seulement six joursque je suis arrivé ici. J’ai l’impressionqueça faitunmois. Jeviensdedéjeuneretjesuisenpleineséanceavecmonpsy.Jelespréfèreauxséancesdegroupe,lorsdesquellesjeneparlepas.Noussommesdansmachambre.Jesuisassissurunechaiseenmétalinconfortable.J’aimallàoùle

couteaum’a transpercéet jenepeuxpasm’empêcherde tripoter lesplaiescachéessous lebandageàmon poignet. Dehors, le ciel est noir. Le tonnerre gronde et les éclairs illuminent la pièce d’éclatsargentés.—Commenttesens-tu,Kayden?C’estlaquestionpréféréedemonpsy.Jeluidonnetoujourslamêmeréponse:—Bien.Jetiresurl’élastiqueàmonpoignet.Onmel’adonnépourm’aideràmecalmer.Commesitirersurun

élastiquepouvaitremplaceruneviedecoupsetdesouffrance.MonpsyestleDrMontergrey.Ilm’ademandédel’appelerDoug.Iltrouvequesonnomdefamillele

vieillit.Ilalasoixantaine,lescheveuxgrisetdesridesautourdesyeux.Doug ajuste ses lunettes en relisant ses notes. J’imagine les termes qu’il utilise pour me décrire :

dangereux,colérique,irrationnel,peucoopératif.Illèvelatêteversmoi.—Jesaisàquelpointilestdifficiledeparlerdesesémotions,Kayden.Surtoutquandonaautantde

rageensoi.Maiscelat’aideraiténormément.Crois-moi.Jetiresurl’élastique.Ilclaquecontremapeauetsebriseavantdes’écraserparterre.Jemefrottele

poignetdroit, celuiqui est encorebandé.L’autre commenceàguérir.Bientôt, il n’y auraplusquedescicatrices.Encoredescicatrices.Àcerythme,jevaisfinirparmetransformerenunecicatricegéante.

Dougglisseunemaindanslapochedesavesteetensortunautreélastique.Celui-làestrougeetplusépais.Jel’enfileautourdemonpoignet.Dougnotequelquechosedanssoncarnet.—Ilstegarderonticitantqueturésisteras,Kayden.C’estvraimentcequetuveux?Jecroiselesbrasetj’étendslesjambesdevantmoi.—Peut-être.Jemesensamer.Perdu.Jeneméritepasd’êtrelà.Jeserrelespoingsetj’enfoncelesonglesdansmes

paumes.—J’aimeraissortird’icimais…maisc’esttropdifficile.—Qu’est-cequiestdifficile?—Mavie.Sessourcilsgrisplongentsoussamonture.—Qu’est-cequiestleplusdur,danstavie?—Detoutsentir.Ilreculedanssachaiseetenlèveseslunettes.—Tesémotions?Tasouffrance?—Lesdeux.Ilnettoieses lunettesavec lebasdesachemiseet les reposesursonnez.Quelqu’unpleuredans le

couloir.Lapluies’abatcontrelescarreaux.Demainmatin,lesolserarecouvertdeneigesaleetfondue.—Es-tuàl’écoutedetesémotions,Kayden?—Jenesaispas.Non…Pasvraiment.—Pourquoi?Je repense aux coups, aux cris, aumoment où j’ai commencé à tout occulter, àme replier surmoi-

même.—Parcequec’estinsupportable.C’estsimple,maisvrai.C’estétranged’enparleràvoixhaute.Laseulepersonneàquij’airacontéma

vie,c’estCallie,etj’aitoujoursembellileschosespourlaprotéger.Dougajoutequelquechosedanssoncarnet.—Etquefais-tuquandtesémotionsprennentledessus?Jeglisseundoigtsousl’élastiqueetjetiredessus.Unefois,deuxfois,deplusenplusfort.Ilsecasse

àsontour.Jel’attrapeavantqu’ilnetombe.—Voussaveztrèsbiencequejefais.C’estpourçaquejecassetousvosélastiques.Ilm’observeenmordillantleboutdesonstylo.—Parle-moidusoiroùtut’esbattuavecCaleb.—Jevousl’airacontémillefois…—Tum’asdécritcequis’estpassé,maistunem’asjamaisditcommenttutesentais,cesoir-là.Les

émotionscontrôlentsouventnosactes,Kayden.—Jen’aimepaslesémotions.

—Jesais.Etj’aimeraiscomprendrepourquoi.—Personneneveutcomprendre.Croyez-moi.Jemegriffelamainpourmecalmer.Ilposelestylosursoncarnet.—Pourquoipenses-tuunechosepareille?—Parcequec’estvrai.Cequiestfaitestfait.J’aidix-neufans.Ilesttroptard.Paslapeined’essayer

demesauver.—Jen’essaiepasdetesauver.J’essaiedet’aideràguérir.Jepasseundoigtsurlacicatricequitraversemapaume.Elledatedujouroùmonpèrem’acoupéavec

unmorceaudeverre.—Guérirquoi?Cescicatrices?Ellesneguérirontjamais.—Jeneparlepasdecequiestvisible,Kayden.Jeparledecequisecacheentoi.Danstatêteetdans

toncœur.C’estlegenredesituationquejefuiscommelapeste.Jedétesteparlerdemesémotions.Après,jesuis

obligédemefairedumal.Ici,c’estimpossible.Ilsm’interdisenttoutobjettranchant.Jenemesuispasrasédepuisunesemaine.Mamâchoireetmonmentonmedémangent.—Jeneveuxpasenparler.Jesuissurlepointdemelever.Ilmefaitsignedemerasseoir.—Jeneteforceraipas,Kayden.Ilyajusteunequestionàlaquellej’aimeraisqueturépondes.—Toutdépenddelaquestion.—Pourquoies-tualléàcettefête?—Vousmel’avezdéjàposée.—Parcequ’elleestimportante.Jesuisterrifié.Jen’aipasledroitdeluirépondre.C’estunsecret.—J’ysuisallépourfrapperCalebMiller.—Pourquoi?—Jeviensdevousledire!Jesuisénervé,frustré,etlaragesefaufiledansmesveinescommeunserpent.—Pourquoil’as-tufrappé?Moncœurtambourinecontremescôtes.Jen’aiqu’uneenvie:qu’ilsetaiseetqu’ilmedonnequelque

chosedecoupant.Jebalaielachambreduregard.Elleestvide.Jenepeuxpas.Jen’yarriveraipas.—Parcequ’ilafaitdumalàquelqu’un.J’ailavoixquitremble.J’ail’airfaible.Pathétique.—Quelqu’unquetuapprécies?—Évidemment.Illèvelessourcils.—Quelqu’unquetuaimes?Jesensmonpoulsmartelersouschaqueblessureetchaquecicatrice.Est-cequej’aimeCallie?Est-ce

quejesuiscapabled’aimer?—Jeneconnaispasl’amour.Ilmeregarded’unairpensif.—Est-cequejepeuxteposerunedernièrequestion?—Sivousvoulez.—Penses-tumériterd’êtreaimé?—Jevousl’aidéjàdit.Jeneconnaispasl’amour.Jenesaispascequec’est.Qu’est-cequ’ilveut?Que je luidisequemonpèremebat?Quemamèreestune toxicomane,une

alcoolique?Ilnoteunedernièrephrasedanssoncarnet,puisillefermeetrangelestylodanssapoche.Ilselève

enjetantunœilàsamontre.—Onabienavancé,aujourd’hui.Continuecommeça,ettuauraspeut-êtredroitàdesvisiteurs.Ilrécupèresonmanteausurledossierdesachaise.Jem’enfoncedanslamienne.—Jeneveuxpasdevisiteurs.Il fait mine de ne pasm’avoir entendu. Il s’arrête devant la porte, enfile sonmanteau, resserre sa

ceintureetenfouitlesmainsdanssespoches.—Continueàutilisertesélastiques,Kayden.Peuimportecombientuencasses.Ilm’enlanceunnouveauetjel’attrapedupremiercoup.Pendantuncourtinstant,jesuisderetoursur

leterrain,unballonàlamain,délivrédufardeaudelavie.J’aimeraisêtreloind’ici,guéri,commeneuf.J’aimeraisêtreaussiremplaçablequemesélastiques.

Callie

—Tun’aspasdelecteurdeCD?s’indigneSeth.NidebranchementMP3?Noussommessurlabanquetteavantduquatre-quatredeLuke.Sethmontelevolumedelaradio.—Sérieux,mec.Onsecroiraitàl’époquedescheveuxlongsetdespantalonsenlycra!Lukerelèvesacapuchesursatête.—Turemontesunpeutroploin,Seth.Ça,c’estl’époquedeshuit-pistes.Ilporteunbraceletencuiravecunmotgravédessus:«rédemption».Jemedemandes’ilycroit.Je fermemonmanteau jusqu’aumenton. Ilsn’arrêtentpasdebaisser lesvitrespour fumer, et il fait

aussifroiddanslavoiturequedehors.Luketendlebrasdevantmoipourouvrirlaboîteàgants.Ilyaquelquetemps,cegestem’auraitmisemalàl’aise.Aujourd’hui,beaucoupmoins.Ilesttôt,lesoleilbrillesurlaterregeléeetl’autorouteestglissanteaprèslatempêtedeneigedela

veille.Lukeconduitlentement.Auborddelaroute,desvoituressontempêtréesdansdesmonticulesdeneige.Lesgenssesontgaréssur lesvoiesd’accélérationparpeurdereprendrelevolant.Lukeetmoiavonsl’habitudedecegenredeconditions.Nousavonsgrandidansunerégionoùilneigetoutletemps.SethdonneunetapesurlamaindeLuke,quicroisemonregard,l’airfaussementchoqué.—Lesgensécoutaientencoreleshuit-pistesdanslesannéesquatre-vingt,insisteSeth.

—Audébut,peut-être.Pasàlafin.J’éclatederire.C’estplusfortquemoi.—Vousvousdisputezcommeunvieuxcouple.J’espère queLukene le prendra pasmal. Je tourne la tête vers lui. Il n’a pas l’air gêné du tout. Il

hausselesépaulesetplongelamaindanslaboîteàgantspourensortirunecassette.Illaglissedanslelecteur.—Tantquej’ailerôledumec,çameva.Sethlèvelesyeuxauciel.—Tuparles.Tuseraismachienne,Luke.Tulesais.—Seth!Jen’enpeuxplus.Jemecouvrelabouched’unemain.J’enpleurederire.—Quoi?C’estvrai.Sethdittoujourscequ’ilpense.C’estcequej’aimechezlui.J’essuiemeslarmesetjel’embrassesur

lajoue.—Mercidem’avoirfaitrire.—Avecplaisir,chérie.Lukealesourireauxlèvres.Jel’appréciedeplusenplus.Ilnejugepersonneetilesttrèsouvert.J’ai

presqueenviedeleprendredansmesbras.C’estbizarre,venantdemapart.ComeonEileendesDexy’sMidnightRunnerss’échappedeshaut-parleurs.Sethtapedanssesmainset

balancelatêteetleshanches.—Allez,Callie!Danseavecmoi!—Nonmerci.Lukeentrouvresavitreetallumeunecigarette.Uncourantd’airfroidsefaufiledanslavoiture.Seth

attrapesonpaquetdanslapochedesonsweat.Ducoindel’œil,jevoisLukebalancerlatêteenaspirantsa cigarette. Il avale une grosse bouffée et recrache la fumée blanche. Seth allume la sienne en sedéhanchant. Le papier blanc s’embrase. La fuméeme brûle les poumons et j’ai la chair de poule. Jedécidedevivrelemomentàfondetjeprendsexemplesureux:jedanseetjerebondissurlabanquette,enrythmeaveclamusique.Sethmefaitungrandsourire.—Queldéhanché,Callie!Ilcracheunnuagedefuméeetnousinventonsunechorégraphieavecnosmains.Lukeéclatederireet

montelevolume.Pendantuninstant,jesuismétamorphosée.Jesuislibre.Quandlerefrainreprend,noushurlons les paroles. Je lève les bras en l’air et je ferme les yeux. Tout va bien se passer. Tout vas’arranger.Parcequejesuisvivante.Parcequejedanseetparcequejeris,assiseentredeuxgarçons.Parceque,

sic’estpossible,toutestpossible.

Kayden

Depuiscematin,j’ailedroitd’accueillirdesvisiteursautresquemafamilleetdepasserunoudeux

coupsdefildanslajournée.QuandDougmelaisseseulavecletéléphone,jemesenspiégé.J’aienvied’appelerCallie,maisjeneluiaipasparlédepuisl’incidentetjenesaispassielleestprêteàentendremavoix après tout cequi s’est passé. J’ai peurde sa réaction.Et puis, si je veux laprotéger, il vautmieuxquejegardemesdistances.Ellen’apasbesoind’unmeccommemoidanssavie.Je m’assois sur le lit et je compose le numéro de Luke. Je regarde le ciel gris par la fenêtre en

attendantqu’ildécroche.—Allô?—Salut,mec.C’estKayden.Ilmetquelques secondes à réagir. Il y adubruit et de lamusiquederrière lui. J’entendsquelqu’un

chanterfort…etfaux.—TuesavecSeth?—Heu…oui.Commentvas-tu,Kayden?Jetiresurmonélastique.Ilclaquecontremonpoignetetladouleurmeremontedanslebras.—Çava.Qu’est-cequetufabriquesavecSeth?—Onestdansmavoiture.OnestenroutepourAfton.Pourterendrevisite.Jetiredenouveausurl’élastique,maiscelanecalmepaslavagued’inquiétudequimesubmerge.—Quandtudison,tuveuxdire…—Seth,moiet…etCallie.Lamusiqueetlebruits’arrêtent.—Quoi?Àquituparles?Le simple fait d’entendre sa voixme coupe le souffle. Je m’agrippe au cordon du téléphone et je

l’enrouleautourdemonpoignet.Jemeconcentresurlaneigequirecouvreleparkingdésert.—Tupeuxluidire,mec.—OK.C’estKayden.—C’estvrai?s’étonneCallie.Est-ceque…Est-cequejepeuxluiparler?—Tuveuxquejetelapasse?—Je…Jen’aipasletempsdeprendreunedécision.Commetoujours,mamèreentreaumauvaismoment.Elle

porteunsacentoilesurl’épauleetellelèvelementond’unairhautain.—Ilfautqu’onparle,Kayden.Toutdesuite.—Ilfautquej’yaille.Désolé,mec.Jeraccroche,jedéroulelecordonetjem’allongesurlelit.Jeporteunbasdepyjamaàcarreauxetun

vieuxtee-shirttroué:lamêmetenuedepuiscinqjours.Jecommenceàenavoirmarre.Mamèrejettelesacaupieddulitetposelesmainssurseshanches.—Regarde-toi!Ilestvraimenttempsquetusortesd’ici.Faisuneffort,Kayden!Tudétruisl’imagede

lafamille!Jemeredresselentement.Lemouvementtiresurmablessure.—Lesmédecinsnesontpasd’accord.Ilspensentquerestericim’aideraàguérir.

—Jemefousdecequepensentlesmédecins,marmonne-t-elleenouvrantlesac.Cequicompte,c’estque tu enfiles des vêtements propres, que tu fasses croire à tout lemonde que tu vasmieux et que turentresàlamaisonpourqu’oncommenceenfinàréfléchiràcequ’onferasiCalebporteplainte.—Onpourraitplaider lafolie,dis-jepour laprovoquer.Commeça, ilsmegarderont iciau lieude

m’envoyerenprison.Mamèredevienttouterouge.—Tutrouvesçadrôle?Jeferaismieuxdet’envoyertonpère.Ilsauraittefairechangerd’avis,lui.Jemefrottelevisagepoureffacerlesimagesquidéfilentdevantmesyeux.Lesang,lecarrelage, le

couteau…—Jevaisvoircequejepeuxfaire.Ellesourit,unsourirediaboliquequin’apassaplaceici.Ellem’embrassesurlajoue.Elleempestele

vin.—Oups!Jet’ailaisséunetracederougeàlèvres.Ellemefrottelajoue.—Allez,Kayden.Ilesttempsdesortird’ici.Elleme tapote la jambe et sort de la chambre. Je l’entends dire quelque chose à unmédecin.Une

infirmièrefermelaportederrièreelle.Jeme lève et sors un tee-shirt àmanches longues du sac. Il est rempli de jeans, de chemises et de

chaussettes.Jesuisprêtàenfilermoncostumeetàmentiraumondeentier.Commejel’aifaittoutemavie.

Callie

Ilest tard lorsquenousarrivonsàAfton.Lecielestnoiret la luneestgigantesque.SiSethnenousavaitpas ralentis,nous serionsarrivésbeaucoupplus tôt.Àmidi, il a insistépourquenousmangionschezMcDonald’s.Aprèslerepas,nousavonsjouédansl’airedejeuxréservéeauxenfants.Nousavionsbesoindenousdéfouler,debriserlatension…etpeut-êtrederepousserl’échéance.C’estlemanagerquinousaforcésàpartir.Sethetmoimontonsdansmachambre,au-dessusdugarage,sanspasserparlamaison.Jeneveuxpas

croisermamère.Épuiséspar la route,nousenfilonsnospyjamasetnousblottissonsdansmon lit.Cetendroitestremplidesouvenirs.JerepenseausoiroùKaydenm’atouchée,embrassée,oùilestdevenuunepartiedemoi.—Jesuisdéçu,ditSethenfaisantlamoue.Ilmetardaitderencontrertamère.Jeluipincelebras.—Menteur!Iléclatederireetroulesurlecôté.—C’estàcausedetoi!Tun’arrêtespasdedirequ’onnes’entendrapas.Jem’attachelescheveuxetjememordslalèvreenpensantàdemain.Ànosretrouvailles.Sethmeregardedetravers.—Àquoitupenses?—JemedemandecommentKaydenréagiraen…enmevoyant.Ilglisseunemèchedecheveuxderrièremonoreille.—Il réagiracomme toi le jouroù j’aiosé t’approcherpour lapremière fois.Compare-leàunchat

sauvage.Situdisunmotdetravers,ilrisquedepaniquer.—Tum’ascomparéeàunchat?

—Unchaton,blague-t-ilenmefaisantunclind’œil.J’aieupeurquetunesortestesgriffes.Sethdétachesamontreetlaposeàcôtédulit.Jetapotemonoreilleretjeglisseunemaindessous.—Ets’ils’énerve?—Ilnes’énerverapas.—Pourquoi?—Parcequetuleconnaismieuxquepersonne,Callie.Tusaiscommentluiparler.Soistoi-même,et

toutirabien.—J’espèrequetuasraison.—J’aitoujoursraison,Callie.Toutvabiensepasser.J’ensuiscertain.J’éteinslalampe.Leradiateurd’appointvrombitdanslecoin.Lalueurblanchedelalunetraversele

rideau.Sethserremamaindanslasienne.Jefermelesyeuxetjem’endorsenpensantàKayden.Ilmetardede

lerevoirvivant,etpasdansunemaredesang.Ilesttempsdefairedisparaîtrecetteaffreuseimagedematête.

Kayden

LesvacancesdeNoëlontcommencé.Entempsnormal,jeseraissurlarouteavecCallieetLuke.Aulieudeça,jesuiscoincéici.J’aidumalàcroirequeCalliesoitdanslamêmevillequemoi.Procheetlointaineàlafois.Je collectionne les élastiques. J’en ai cinq au poignet.Doug ne le sait pas. Je fais semblant de les

casserpourqu’illesremplace.Quandjetiredessusetqu’ilsfouettentmapeau,ladouleurmecalme.Cesoir,j’enaiparticulièrementbesoin:mamèreestlàdepuisuneheure.ElleessaiedeconvaincreDougetlemédecindemelibérer.Ilsdiscutentsurlepasdelaporte,parlantdemoicommesijen’étaispaslà.Jelesattends,assisseul

dans le réfectoire. Les murs sont en brique, beaucoup plus réconfortants que les murs blancs de machambre.Certainsdéjeunenticitouslesjours.Moi,j’aichoisidemangerdansmachambre.Jenesupporteplus

lesbagarres,lescrisetlespleurs.—Jevousprometsquejegarderaiunœilsurlui,insistemamère.Elle s’exprimebeaucoup avec lesmains.Ellemanquede crever l’œil dumédecin avec sesongles.

Dougtournelespagesjaunesdesoncarnetpourreliresesnotes.—MadameOwens, je sais que cette situation ne vous convient pas,maisKayden n’est pas prêt à

quitterlecentre.Elleleregardecommeuninsectequ’elleaimeraitécraser.Ellecroiselesbrassursapoitrineetsemet

àtaperdupied.—Jerefused’écouterlesconseilsd’unpetitpsydecampagne.—JesuisdiplômédeBerkeley.Ellelèvelessourcils.

—Ahbon?Alors…qu’est-cequevousfaitesici?—Jevousrenvoielaquestion.Pour la première fois depuismon arrivée, j’ai envie de prendreDoug dansmes bras. Je souris en

jouantavecmesélastiques.Mamère,elle,n’estpasdemonavis.—Qu’est-cequevousinsinuez?—J’essaiedecomprendrepourquoivousêtesaussipresséedefairesortirvotrefilsalorsqueKayden

n’estclairementpasstabilisé.J’inspectemesbrasetmespoignets.Jen’arrêtepasdetripotermesplaies,etellesontdumalàguérir.

C’estplusfortquemoi.—Kaydenvatrèsbien,continuemamère.Etjevousrappellequec’estmadécision.C’estmoiqui

l’aiinscritici.C’estmoiquil’ensortirai.Jen’encroispasmesoreilles.Jemelèveenfaisantgrincermachaise.—Quoi?Cen’estpasl’hôpitalquim’aenvoyéici?Elletournelatêteversmoi,l’airexaspérée.—C’étaitpourtonbien,Kayden.Tuavaisbesoindecalme.—Jeneveuxpasrentreràlamaison,dis-jeentraversantlapièce.Jeveuxretourneràlafac.—Impossible.Lesvacancesviennentdecommencer.—Danscecas,jeresteicijusqu’àlarentrée.Jerevienssurmespasetmerassoissurmachaise.Jeposemesdoigtssurmestempes.Jenesaispas

cequejeveux.J’enaimarred’êtreenferméici,maisjenemesenspasprêtàaffronterlemonde,monpère,Callie…—Kaydenaledroitderesteravecnousaussilongtempsqu’ilenaenvie,déclareDoug.Mamèreattrapesesclésdevoituredanssonsac.— Peu importe. Je refuse de payer un centime de plus. Je le désinscrirai demain matin. S’il veut

prolongersonséjour,c’estàluidepayer.Elles’envasansseretourner,emportantavecellelepeud’espoirquimerestait.Jenecomprendspas

pourquoielleestaussiimpatientequejesortealorsquec’estellequim’amisdanscecentre.Jeneveuxpasrentrerchezmoi.J’aipeurquemonpèren’achèvecequ’ilacommencé.Dougmerejointenglissantsonstylodanssapoche.—Jesuisdésolé,Kayden.C’estpluscompliquéqueprévu.—Avecmamère,toutestcompliqué.Paslapeinedelutter.Ellefinittoujourspargagner.Ils’empared’unechaiseets’installeenfacedemoi.—Mêmefaceàtonpère?—Monpère?Ilcroiselesjambes.Sonpantalonremonteau-dessusdeseschevilles.Seschaussettessontparsemées

desmileys.—Est-cequetesparentssedisputentsouvent?—Non.Pasvraiment.

Ilfroncelessourcils.—Décris-moitonpère,Kayden.Jeserrelespoingspourmecalmer.—Jenesaispasquoivousdire…C’estunmeccommelesautres.—Est-ceque tu t’entendsbienavec lui? J’ai remarquéqu’ilne t’avaitpas renduvisitedepuis ton

arrivée.—Ons’entendtrèsbien.Ilestsouventabsent…àcausedesontravail.J’ailagorgequicollecommedugoudron.Dougécritquelquechosedanssoncarnet.—Kayden,est-cequetonpèreadéjàlevélamainsurunmembredetafamille?C’estlemomentoujamaisdetoutluiavouer:lescoups,mavie,masouffrance.Mais,maintenantque

je suis face aumur, j’ai peur de trahirmon père.Mon propre bourreau. Je suis samarionnette.C’estterrifiant.Déroutant.—Je…Jenesaispas.—Ahbon?Tuenessûr?Jefixelesol.Ilyaunetacherosesurlelinocraquelé.—Oui.Ilmeregardeensilence,puismetendsacarte.—Rendez-vous lundimatindansmonbureau.Tuasmonadresseetmonnuméro.Si tuasbesoinde

parler,appelle-moi.N’importequand.J’hésite.J’aipeurdem’engageraveclui.Peurd’ouvrirlesportesquej’aiferméesilyatantd’années.

Peur d’affrontermes démons. Si je continue à le voir, je finirai un jour ou l’autre par lui raconter lavérité.Etaprès?Qu’arrivera-t-ilàmafamille?Àmesparents?Jenesaispas.Jenesaisplus.Jesuiscomplètementperdu.J’acceptesacarte.Dougselèveetremetlachaiseàsaplace.Ilsedirigeverslaporteavecsoncarnet

souslebras.—J’aimerais tevoirplusieurs foispendant lesvacances.Ensuite,on te trouveraunpsyàLaramie,

pourtonretouràl’université.Jeplielacarteentremesdoigts.Lebordenpapiermecoupel’index.Ladouleurcalmelacolèrequi

bouillonneenmoi.—Etsijeneveuxpas?Ilm’offreungrandsourire.—Tuenasenvie,Kayden.Sinon,tuauraisdéjàditnon.Jen’airienàajouter.C’estdécidé.JeverraiunpsyàLaramie.Dumoins,sijeretourneunjouràla

fac.Jerepenseàtoutcequim’attendraàmasortie.Monpère,maisaussiCaleb.Commentvais-jemetirer

decettehistoire?Enlaissantmonpèrelesoudoyer?Jeneveuxpasluiêtreredevabledequoiquecesoit.Jeneveuxpasporterlessecretsdenotrefamillesurledosjusqu’àmamort.Doug sort de la pièce etme laisse seul surma chaise. Je passe unemain dansmes cheveux et tire

dessus de toutes mes forces. J’aimerais que les choses soient plus simples. J’aimerais me calmer.

Respirer.Maiscequejeveuxpar-dessustout,c’estCallie.

Callie

Le lendemain, j’ouvre les yeux avant que le soleil se soit levé par-dessus lesmontagnes. J’aimaldormi. J’ai fait des cauchemars toute la nuit. Dans l’un d’eux, j’étais de nouveau dans la cuisine deKayden.Lesolétaitrecouvertdesangetdecouteaux,maisKaydenn’étaitpaslà.Jelecherchaispartout.Lamaisonétaitrempliedetasdefeuillesmortes.Àunmoment,jemesuisréveilléeensueuretjesuisalléevomirdanslasalledebains.Seth dort paisiblement. Je l’écoute ronfler pendant quelques minutes. Je ne tiens plus en place.

J’attrapemoncarnetdanslesacetjem’assoissurlereborddelafenêtrequidonnesurl’allée.Lavoituredemamèreestrecouvertedeneige.Monpèreainstalléleschaînessurlespneusdesonquatre-quatre.Jeposemoncarnetsurmesgenouxetj’appuielaminedemonstylosurlapageblanche.

J’ai rêvé du jour demon douzième anniversaire. Dansmon rêve, Caleb n’était pas là et j’étais

contentequemesparentsm’offrentlegâteau.Ensoufflantlesbougies,j’aifaitunvœu.J’aisouhaitépasserunanniversaireinoubliable.Monvœus’estexaucé.Calebn’estpasvenuetj’aijouéàcache-cacheavecmesamis.J’aiouvertmescadeauxenriant.Plustarddansmonrêve,aulieudefaireunvœupourmoi,j’enaifaitunpourKayden.J’aisouhaité

qu’il neme rencontre jamais et qu’il n’apprenne pasmon secret. J’ai souhaité qu’il ne frappe pasCalebetqu’ilnefinissepasensangsurlecarrelagedesacuisine.Je nous ai souhaité du bonheur dans ce monde de tristesse. J’aimerais que notre douleur

disparaisseàjamais.Hélas,danslavie,leschosesnesontpasaussisimples.Dansmonrêve,j’étaisprêteàaccepterlasouffrancedemonenfanceenéchangedesonbonheurà

lui.Jemedemandecequecelasignifie.

Jejetteunœildehors.Mamèretraverselacourenneigéeendirectiondugarage.Jetournelatêtevers

Seth, qui dort toujours dansmon lit. Je lâchemon stylo etmon carnet, j’attrapemonmanteau etmonportableetjesorsentrombedelachambre.Jefermelaportejusteàtemps:mamèreestdéjàenhautdel’escalierextérieur.—Callie!Jemedemandaissituétaisréveillée.—J’étaissurlepointdedescendre.Lalumièrem’éblouitetlesfloconsdeneigetourbillonnentautourdenous.J’enfilemonmanteauetje

merecoiffe.Lecielestroseau-dessusdesmontagnes.Leleverdusoleilsereflètedanssesyeuxet labrisefaitdansersescheveuxbruns.Celanefaitqu’unmoisquejen’aipasvumamère,maisjetrouvequ’elleavieilli.Elleestenpyjama,malcoifféeetn’estpasencoremaquillée.—Ilesttôt.Tun’espasdugenreàteleverauxaurores.Jehausselesépaulesetjeremontelacapuchesurmatête.—J’aidormidanslavoiture.Jen’étaispasfatiguée.

Ellemeregarded’unairperplexe.—Quit’aramenéeàlamaison?—Luke.—Lukequi?—LukePrice.Elletiresurlecordondesonpeignoir.—L’amideKayden?—Oui.Sesépaulesseraidissentetsesmâchoiressecrispent.Ellejetteunœilderrièremoi,essayantdevoirà

traverslecarreaugivré.—Callie,jeneveuxpasqueturevoiesKayden.Leventselève.J’ailesdentsquiclaquentetjetremblecommeunefeuille.—Pourquoi?—Parce qu’il est dangereux.Ton pèrem’a dit qu’il semettait souvent en colère, à l’époque où il

l’entraînait.—N’importequoi.PapaatoujoursadoréKayden.J’enfouislesmainsdansmespochesetlementondanslecoldemonmanteau.Letissudemonpyjama

esttropfin.—Est-cequ’onpeutcontinuercetteconversationàl’intérieur?Ilfaitfroid.Ellejetteundernierregardàlaportederrièremoi.—Est-cequetonamiestlà?Celuiqui…Celuiquiaimelesgarçons?Jepousseunsoupiretlacontournesansrépondre.Ellemesuitensilence.Nousdescendonsl’escalier,

longeonslamaisonetentronsdanslacuisine.JerepenseausoiroùJacksonétaitassisàcettetable,entraindemangerunepartdetarte,pendantqueCalebmetourmentaitavecnotresecret.LesoiroùKaydenadécouvertlavéritéetm’alaisséepleurerdanssesbras.Lederniersoirquenousavonspasséensemble.J’attrapeunboletunpaquetdecéréalesdansleplacard.Mamèrefermelaportederrièreelle,enlève

sesbottesetmerejointdanslacuisine.Elleouvreleplacardau-dessusdufour,celuioùellerangelespoêles.—Jevaistepréparerunbonpetit-déjeuner.Jeverselescéréalesdansmonbol.—Net’embêtepas.Jen’aipasvraimentfaim.Ellebalaiemoncorpsduregard.—Tuasencoreperdudupoids.—C’estàcausedustress.—Qu’est-cequitestresse?Lesétudes?Oucequiestarrivéàtonami?Cettefois,c’enesttrop.—Monami?C’estcommeçaque tu l’appelles,maintenant?À l’époqueoù tuasdécouvertqu’on

étaitensemble,tut’esfaitunplaisird’allerlecriersurtouslestoits.Lavilleentièreétaitaucourant!

Elleserrelenœuddesonpeignoir.—Nemeparlepassurceton!Jesuischezmoi,Callie.Et,tantquetuserassousmontoit,tuobéirasà

mesrègles.Ellemetourneledosetsedirigeversleplacardoùsetrouventsesmédicaments.Furieuse,jefermele

paquetdecéréales.—J’aidix-huitansetj’ailedroitd’êtreamieavecquijeveux.Elleattrapeungrosflacondecomprimésetseretourneversmoi,lamainposéesurlecouvercle.—Mêmeavecquelqu’unquiafaillituerlemeilleuramidetonfrère?J’enfoncemesonglesdansleplandetravail.Lasouffrancedecessixdernièresannéesm’oppresseet

m’étouffe.—C’esttoutcequicomptepourtoi?Caleb?Sonnommebrûlelabouche.—Calebfaitpartiedelafamille.Tusaisqu’ilabeaucoupsouffert.Sesparentsneluiadressentplusla

parole…—Tais-toi!Jeneveuxplusentendreparlerdelui!Criermelibère.Jemesensmieux.Beaucoupmieux.Jelâchelemeubleetjeredresselesépaules.—JevaismangerenvilleavecSeth.Elleouvrelabouchepourprotester,maisjelafaistaired’unregard.—Commetuveux.Amusez-vousbien.Ellesoulèvelecouvercleetversedeuxcomprimésdanslecreuxdesamain.Jevidemonboldansle

paquetdecéréales, je rangecelui-ciet jepose leboldans l’évier.Jesorsen trombede lamaison.Jetraversel’alléeenneigée,jemontel’escalierdugarageetj’entredansmachambre.Sethestassisauborddulit.Ilporteuntee-shirtrougeetunjeannoir.—Tuesdéjàlevé?Jefermelaportederrièremoi.J’ôtemonmanteauetjelejettesurlelit.Sethpasseunemaindansses

cheveux.—Tuessortiedelachambrecommeunefurie.Qu’est-cequis’estpassé?—J’aivumamèreparlafenêtre.Jenevoulaispasqu’elleteréveille.Ilattachesamontreetrécupèreseschaussuresaupieddulit.—Callie,jesaisqu’onplaisantesouventàcesujet,maisjesuiscapabled’affrontertamère.Crois-

moi.Etpuis,jedoutequ’ellesoitpirequelamienne.Ilenfileunechaussure.Jem’assoisàcôtédeluienfronçantlessourcils.—Tamèrenet’apasadressélaparoledepuisquetuluiasparlédeGreyson.Ilhausselesépaulesennouantsonlacet.—Jesais.Elles’enremettra.Elleabesoindetemps.Ellearéagidelamêmemanièrequandjeluiai

annoncéquej’étaishomo.Jem’allongeetj’étaleunbrassurmonfront.—Jecommenceàmedemanders’ilfautvraimenttoutdireàsesparents.

Ilsoulèvemonbrasetmeregardedroitdanslesyeux.—SituparlesdeCaleb,laréponseestoui.Ilfautquetuleurracontescequis’estpassé,Callie.C’est

important.—Jenesaispascommentréagiramamère.Etsiellesemettaitencolère?J’aipeurqu’ellenes’en

veuilleautantque…quejem’enveux,moi.Jemanqued’air.Jemecomprimelapoitrine.Sethdécollemafrangedemonfront.—Peuimporte,Callie.Cen’estpastamèrequicompte.Tueschargéedecefardeaudepuissixans.Il

esttempsquequelqu’unlepartageavectoi.—Jenesaispassi j’ensuiscapable.J’aipeurde leurdire lavérité.J’aipeurqueçanerendeles

chosesplus…plusréelles.—Ellessontdéjàréelles,Callie.Cequit’estarrivéestvrai.Jejetteunœilparlafenêtre.Lesoleililluminelesmaisonsdel’autrecôtédelarue.Ilfaitrarement

soleilàAfton,maislalumièreexiste,mêmedanslesendroitslesplussombres.Jemelèveetjemarchejusqu’àmonsac,quej’aiposésurlachaiseplianteàcôtédelaporte.—Allonsprendrenotrepetit-déjeunerenville.Ilyauncaféquisertlesmeilleurescrêpesdumonde.Sethestentraind’écrireuntexto.—Jepensequ’ondevraitd’abordrendrevisiteàKayden.—Iln’apasdroitauxvisites.Jechoisisunhautvioletetunjeanetjemedirigeverslasalledebains.Sethposesonportablesurses

genoux.—Lukem’aenvoyéunmessage.Kaydenadroitauxvisitesdepuishieretilsortducentreaujourd’hui.Jem’arrêteaumilieudelachambre.Mêmesijenel’aipasadmisàvoixhaute,aufonddemoijeme

demandaissijereverraisKaydenunjour.Ilm’estmêmearrivédemedemanders’ilexistaitvraiment,sijenel’avaispasinventédetoutespièces.—Vousvoulezquandmêmeallerlevoir?dis-jeenfixantlaportedelasalledebains.Sethselèveetseplantedevantmoi.—Lukeveutqu’onpasselechercheravantsamèreetqu’onl’embarqueavecnous.Jeredresselementon.—Ilveutlekidnapper?Sethéclatederire.—Kaydenadix-neufans,Callie.S’ilneveutpasveniravecnous,onneleforcerapas.—Mais…ilparaîtqu’ildoitrestersoussurveillance.—Chezsesparents?Chezsonpère?Tucroisvraimentquec’estcequ’illuifaut?Jepousseunsoupir.—Jeneveuxpasqu’onempirelasituation.C’esttout.Sethposelesmainssurmesépaulesetplongesonregarddanslemien.—Moi,jepensequetuaspeur.—Peurdequoi?

—D’entendresonhistoire.Dedécouvrircequis’estpassécesoir-là.Tuaspeurdelavérité.—Quellevérité?Ilmesouritetmesecouelesépaules.—C’estàtoideledécouvrir!Kaydenabesoindetoi,Callie.Ilaraison.J’aipeurd’entendrecequiestarrivéàKaydencesoir-là.PeurqueKaydenn’aitvraiment

essayédese tuer.Peurqu’ilneme laisseseuledanscemondealorsque j’aibesoinde luipourvivrecommej’aibesoind’airpourrespirer.—Qu’est-cequevousavezprévu?Mamèrenevoudrajamaisdeluiici.Unsourireilluminesonvisage.—Jem’encharge.Fais-moiconfiance.Toutcequiteresteàfaire,c’estpréparertonsacetdireàta

mèrequetut’absentespendantdeuxjours.—Deuxjours?Dis-moiaumoinsoùonva!Ilposelesmainssurseshanches.—C’estunesurprise,Callie.—Cen’estpasraisonnable.—Je sais.Etc’est justementcegenrededécisionsqui rend lavie intéressante.Onn’aqu’unevie.

Autantenprofiter.Jesouriset,pourlapremièrefoisdepuislongtemps,jen’aipasl’impressiondefairesemblant.—Seth,tueslapersonnelaplussageetfollequejeconnaisse.Ilmeprenddanssesbras.Jelaissetombermeshabitsparterreetjemeblottiscontrelui.AvecSeth,je

mesenschezmoi.J’espèrequejeressentiraiunjourlamêmechoseavecKayden.Jeramassemeshabitsetj’entredanslasalledebains.—OK,Seth.AllonssauverKayden.Çavaêtredifficile.Jelesais.Aprèstout,ilestrarederetrouverquelquechosequel’onaperdu.Jen’aiaucuneidéedecequim’attend.

Kayden

Commepromis,mamèrevientmechercherlelendemainmatin.Onaarrêtédemedonnerdescalmants.Jesuisépuisé,àfleurdepeau,commesideséclatsdeverrecoulaientdansmesveines.—Prêtàrentreràlamaison?—Oui.—Parfait.Sa voixme dérange.On dirait qu’ellemanigance quelque chose. Pour la première fois depuismon

arrivée,j’aienvied’appelerDougpourluiracontercequis’estpassé.Leproblème,c’estquejenemesenspasprêtàrevivrechaquecoupdepoing,chaquecoupdepied, touscessouvenirsquimehantent.Sanscompterquejen’aurainicouteaunirasoirpourétouffermesémotions.Mamèrediscuteavecl’infirmièrependantquejerassemblemesaffaires.Elleaccepteavecunairde

dédainlespapiersqu’onluidonne.Onm’aenlevélespointsdesuture,mais j’ai toujoursmallàoùlecouteau m’a transpercé. Les médecins m’ont dit que la plaie guérirait vite et que je pourrais mêmereprendrelefootàlasaisonprochaine.Moi,jen’arrivepasàmeprojeteraussiloin.Aprèstout,qu’est-cequim’attend?Letribunal?Monpère?Lafac?Callie?Peut-êtrerien.Jefermemonsacetglisselabandoulièresurmonépaule.Cen’estpaslemomentdepenseràl’avenir.

Ilfautdéjàquej’arriveàpassercetteporteetàmarcherjusqu’àlavoiture.Mamèreetl’infirmièreontdisparu.Jesuisàmi-cheminentrelelitetlaportequandelleentredansma

chambre.Unejoliecréatureauxyeuxbleusetauxcheveuxbruns.Elleal’airpluspetitequeladernièrefoisquejel’aivue.Elleaperdudupoidsetelleadescernessouslesyeux.—Callie?Jelaissetombermonsacparterre.Sonregardseposesurlebandageàmonpoignet.Elleal’airtriste.—Salut,Kayden.

Elles’estattachélescheveuxetquelquesmèchesencadrentsonvisage.J’aienviedesourire,maisjen’yarrivepas.—Qu’est-cequetufaislà?Ellesemblechoquéeparmaréaction.—On…Onestvenustechercher.JecroyaisqueLuket’avaitprévenu.—Oui,maistoi?Tun’asrienàfaireici,Callie.C’estcommesijeluiavaisdonnéunegifle.Jesaisquec’estméchant,maisc’estplusfortquemoi.Je

nepensaispasqu’elleviendrait.Jeneveuxpasqu’ellemevoiedanscetétat.Elleavanced’unpas.Jeserrelespoingspourmeretenirdelatoucher,depasserunemaindansses

cheveux,del’embrasser…—LukeetSethveulentqu’onparteenweek-end.—Enweek-end?Callieneméritepasd’êtreici,devantunmecquis’esttailladélespoignetsetquiafaillilaisserson

pèreletuer.Jeramassemonsacetjeleremetssurmonépaule.—Écoute,Callie…Jenepeuxpaspartirenweek-endavectoi.Jesensmonpoulssouslebandageetjemeconcentrelà-dessus,plutôtquesurleslarmesquimenacent

decouler.—Jenepeuxrienfaireavectoipourl’instant,d’accord?Onenreparleraplustard.C’estlachoselaplusstupidequej’aiejamaisdite,maisc’étaitnécessaire.Callieméritemieuxquemoi.

Callie

J’attendsdevantsachambre.LamèredeKaydennousadevancés.J’entendssavoixdel’autrecôtédelaporte.Jerefused’entrertantqu’elleestlà.J’aipassédesjoursàimaginernosretrouvailles.Jemedemandesijesuiscapabledeparler.Jenesais

mêmepasquoiluidire.Contentequetuaillesbien?Désolée?Merci?Lecouloirestbondé.Levacarmeetl’agitationambiantsnem’aidentpasàmecalmer.—Tuveuxunseau?medemandeSeth.Ondiraitquetuvasvomir.IlattendàcôtédeLuke,lesbrascroisésetleregardinquiet.—Nonmerci.Etjenepensepasqu’ilyaitbeaucoupdeseauxdanslecoin.Celalefaitsourire.—Arrêtedetefairedusouci,Callie.Kaydenn’apaschangé.Etilabesoindetoi.—Jesais.Moiaussi,jecroiselesbrassurmapoitrinemaisjelesdécroiseaussitôt,incapabledetenirenplace.

Sethmeprendparlesépaulespourmeréconforter.—Respireungrandcoup.Çavaaller.

J’inspireparlenezetj’expireparlabouche.Laportes’ouvreetMaciOwenssurgitdanslecouloir.Ondiraitqu’elles’apprêteàsortiraurestaurant:eye-liner,rougeàlèvres,chignon.Elleporteunerobebleumarineetdestalonsnoirs.Elleasonportableàlamainetunepairedegantsdansl’autre.Ellen’al’airnigênéenitriste.Ellefaitminedenepasm’avoirvue.Sestalonsclaquentsur le linoetuneinfirmièreluiemboîte le

pas.Jelessuisduregardjusqu’àcequ’ellesdisparaissentauboutducouloir.Sethmedonneuncoupdecoudeetmemontrelaportedudoigt.—Qu’est-cequetuattends?J’hésite.JetournelatêteversLuke.—Vas-yenpremier.—Non.C’esttoiqu’ilaenviedevoir.Je ne sais pas s’il a raison,mais j’obéis. Je retiensmon souffle en poussant la porte. Je balaie la

chambreduregard.Lesmurssontblancsetlesolestdansunsaleétat.Kaydenestplantédevantmoiavecunsacsurl’épaule.Jem’attendaisàlevoirallongédanssonlit,faibleetvulnérable.Ilestplusgrandquedansmessouvenirs,etjedoisleverlatêtepourleregarderdanslesyeux.Ilestmalcoifféetmalrasé.Ses cheveux recouvrent sesoreilles et cachent sesbeauxyeuxverts. Il aunenouvelle cicatrice sur lajoue,unbandageetdesélastiquesaupoignet.—Callie?Illaissetombersonsacparterre.Ilsembleàlafoissurprisettristedemevoir.—Salut,Kayden.C’estridicule,maisc’estlapremièrechosequimevient.Ilesquisseunsourirequidisparaîtaussivite

qu’ilestarrivé.Jemedemandemêmesijenel’aipasinventé.—Qu’est-cequetufaislà?Jenesaispasquoirépondre.Ilmebriselecœur.Jeluiparledel’idéedeSethetdeLuke.Ilrépond

qu’ilnepeutpasvenir.Puisils’envasanscroisermonregard.Jemeretrouveseuledanssachambre,incapabledebougerouderespirer.Seth finit par me rejoindre. Il approche de moi avec prudence. Je jette un œil à mes ongles, me

demandants’ilapeurquejenelegriffe,commelapremièrefoisqu’ilaessayédem’approcher.Ilenfouitlesmainsdanssespoches.—Prêteàmangerdescrêpes?Il neme pose pas d’autre question, et je lui en suis reconnaissante. Il passe un bras autour demes

épaulesetmeguidejusqu’àlavoiture.

*

Le café est bondé, rempli de clients qui dégustent leur petit-déjeuner en famille ou entre amis.Destintements de couverts et des effluves de café s’échappent de la cuisine. Luke est au bar, en train dedragueruneserveuse.Jemedemandes’il lefaitexprès,poursechanger les idées.Après ledépartdeKayden, ilaessayédelerattraper,mais ilestrevenuencolère.Ilnenousapasracontécequis’était

passé.Sethpointesafourchetteversmoi.—Ilfautajouterçaàlaliste,Callie.Jeregardemonassietteàlaquellej’aiàpeinetouché.—Quoi?Mangerdescrêpes?—Non.Segaverdecrêpes.Jeversedusiropàlafraisesurlesmiennes.—Çaneméritepasuneplacedansnotreliste.—Biensûrquesi!Ondevrait toussegaverdecrêpesaumoinsunefoisdansnotrevie.C’est trop

bon.Ilavaleunebouchéeetfermelesyeuxensoupirantdeplaisir.—Jepensequejeviensd’avoirunorgasme.J’éclatederire.Ilmefaitunclind’œil.Ilal’airfierdem’avoirfaitréagir.C’estlapremièrefoisque

jesourisdepuisledépartdeKayden.Sethattrapeuneservietteenboutdetable.Ilaspireunegorgéedelaitavecsapaille,reposeleverre,

s’essuielaboucheets’enfoncedanslabanquette.Ilmeregarded’unairsérieuxtandisquejemâcheunmorceaudecrêpe.—Qu’est-cequ’ilya?Ilhausselesépaules.—Tuneveuxpasdiscuterdecequis’estpassé?—AvecKayden?Ilhochelatête.Jetendslamainversl’assiettedebeurreposéeentrelepaingrilléetlebolremplide

barquettesdeconfiture.—Iln’yarienàdire.Jen’aipassum’yprendre.C’esttout.—Tu avais les larmes aux yeux,Callie. EtKayden était triste en sortant. Il est quasiment parti en

courant.J’étalelebeurresurmescrêpes.Ilfondetsemélangeaveclesiroprose.—Jesuisalléetropvite.Jeluiaiparlédevotreidéedeweek-end.Ilapaniqué.Sethposesescoudessurlatable.—Jenecomprendspasqu’ilpréfèrerentrerchezsesparents.Tunetrouvespasçabizarre,toi?—Iln’estpeut-êtrepasencoreprêtàm’avouerlavérité.—Tuparlesdeluioudetoi?—Jenesaisplus.J’écrasemescrêpesavecmafourchette.Jemedemandecequiluiestpasséparlatête.Jecomprends

queKaydenaitpeurdesonpère,maispasdemoi.—Ilavaitdesélastiquesaupoignet.Est-cequetusaisàquoiilsservent?Sethn’apas le tempsde répondre.La serveusenous apporte l’addition.Elle est blonde et porte le

même uniforme rose que ses collègues : robe rose et chaussures roses. Elle enroule une mèche de

cheveuxautourdesonindexenmâchantsonchewing-gum.Sethattrapesonportefeuilledanssapoche.Elleluifaitungrandsourireetparlecommeunrobot:—J’espèrequelerepasvousapluetquevousreviendreznousrendrevisite.—Voscrêpessontdélicieuses,maisjenepensepasquejereviendrai.Jen’habitepasdanslecoin.C’estsamanièreà luideluifairecomprendrequ’iln’estpas intéressé.Ellegrimaceenattrapantsa

cartebancaire.—Dommage.Ellemelanceunregardnoiretrepartendirectiondubar.Sethposesonportefeuillesurlatable.—Jenecomprendspaslesfilles.Ellescherchenttoutesl’amouraumauvaisendroit.Jefinismonjusd’orange.—Jeterappellequejesuisunefille,moiaussi.Illèvelesyeuxauciel.—Jesais,maiscen’estpaspareil.Kaydenettoi,vousêtesfaitsl’unpourl’autre.Ilfautjustequetu

apprennesàl’apprivoiser.D’ailleurs,c’estquoi,cettehistoired’élastiques?—Kaydenenavaitplusieursaupoignet,ducôtédesonbandage.Sethfroncelessourcilsenattrapantsonportable.—Qu’est-cequetufais?—Donne-moideuxminutes.Jedéposeunpourboiresurlatable.Notreserveuseestentraindediscuteravecsacollèguederrièrele

bar.Ellesmefusillentduregard.Jem’enfoncedanslabanquette.—Laserveusecroitqu’onestensemble.Sethjetteunœilverselle,hausselesépaulesetretourneàsonécran.—Sic’estlecas,ellen’auraitpasdûmedraguer.—Tuasraison.Jetournelatêteverslafenêtre.Leparkingestrecouvertd’unmanteaublanc.Laneigescintille,pureet

innocente sous le soleil.Envérité, elle estmeurtrière : chaque année, les routes enneigées volent desvies.Sethdonneuncoupdepoingsurlatableetmetiredemarêverie.—Jesavaisquej’avaisdéjàentenduçaquelquepart!s’écrie-t-ilenrangeantsonportable.Jesaisà

quoiserventlesélastiques.—Dis-moi.Ilprendmamaindanslasienne.—C’estuntraitementpouraiderlesgensquis’automutilent.MêmesijecommençaisàmedouterqueKaydensefaisaitdumal,laréalitémechoque.Ellemecoupe

lesouffle.Jeretiremamaindelasienneetjecroiselesbras.—Jenemesenspasbien.—Calme-toi,Callie.Çavaaller.—Ilfautquej’ailleauxtoilettes.

Jemelèveetjetraverselecaféencourant.Jebousculeuneserveuse.Ellerenversesonplateau,maisjen’aipasletempsdem’excuser.Lukemeregardepasserdevantlebar.—Callie?Qu’est-cequisepasse?Jenerépondspas.Ilfautquejesorted’ici.Toutdesuite.J’aibesoindemedébarrasserdesémotions

quimebrûlentl’estomac.Jepousselaportedestoilettesetjemeprécipitedanslacabinelaplusproche.Justeavantd’enfoncer

ledoigtdansmagorge,jerepenseàKayden.Jelerevoisallongéparterre.Seul.Kaydenabesoind’aide.Ilabesoindequelqu’unàsescôtés.Toutàcoup,jecomprendscequejedois

faire.C’estaussiviolentqu’unegifle.Pourl’aider,ilfautquejedévoilemonsecretàmafamille.Ilfautquejesoisforte.J’enlèveledoigtde

mabouche.Jetrembleetjesuisensueur.Jem’assoisparterreetj’appuielatêtecontrelemur.Jenemesenspasmieux,maisc’estpournotrebienàtouslesdeux.

Callie

Mamère porte un tablier blanc sur une robe fleurie. Elle s’affaire dans la cuisine, entre la pâte àcrêpesetlesœufsauplat.Lapiècesentbonlacannelle.Onsecroiraitdanslesannéessoixante.C’estlapremièrefoisqu’ellerencontreSeth.Elleluitendlamain,qu’ilserreavecpolitesse.—Raviedeterencontrer,Seth.—Moiaussi.Jesuistrèsimpressionnéparladécoration.IlmontredudoigtlesguirlandesquipendentauplafondetlesfigurinesderennesetdePèresNoëlqui

recouvrentlesétagères.Mamèreretournelesœufsdanslapoêle.—J’adoreNoël.Ettoi?—Pasvraiment.J’ignoreleurconversation.Jem’assoisàcôtédeSethenrépondantàunmessagedeLuke.

Luke:Tuasdesnouvelles?Moi:Non…ettoi?Luke:Non,maisjesuispasséchezlui.Moi:Et…?Luke:C’estsonfrèrequim’aouvert.Ilm’aditqu’ilnel’avaitpasvu.Jepensequ’ilétaitbourré.Moi:Ilnerépondpasàmesmessages.Luke:Jesuissûrqu’ilvabien.Ilajustebesoindetempspourréglersesproblèmes.

Réglersesproblèmestoutseul,danscettemaison?Impossible.—Callie?Tum’écoutes?Jelèvelenezdemonportable.MamèreetSethont lesyeuxrivéssurmoi.Sethfroncelessourcils

derrièreseslunettescarrées–iln’apasbesoindelunettes,illesportepourlestyle.—Toutvabien?—Oui.—Àquiécris-tu?medemandemamère.—Àpersonne.Jeverrouille l’écranetpose leportable sur la table.Mamère lâche le fouet sur leplande travail,

l’éclaboussantdepâteàcrêpes.—Nemedispasquetuétaisentraind’écrireàKayden!Combiendefoisfaut-ilqueje te ledise,

Callie?Jet’interdisderesterencontactaveclui.Pasaprèscequ’ilafaitsubiràCaleb.Sethmeregarded’unairahuri.Jehausselesépaulesetmeretiensdepleurer.—Cen’étaitpasKayden,maman.—EtCallieestassezgrandepourparleràquielleveut.Votrefillesaitcequ’ellefait,elle.C’estofficiel:mamèreetSethnes’entendrontjamais.Ellen’apascompriscequ’ilsous-entendait,

maisletonqu’ilaemployéasuffiàlasecouer.Mamèreadécidéqu’ellenel’aimaitpas,etellem’enfaitpartcinqminutesplustard,quandelledemandeàmeparlerseuleàseule.—Quelgarçonmalélevé!Est-cequ’ilparlecommeçaàsamère?—Ilneparlepasàsamère.Voilàquiclôtlaconversation.Désormais,jeferaitoutpourqueSethetmamèreneseretrouventpas

dans la même pièce. Seth ne pourra pas s’empêcher de la rembarrer si elle dit n’importe quoi. Leproblème,c’estquemamèredittoutletempsn’importequoi.

*

CelafaitunesemainequenoussommesarrivésàAfton.Sethetmoipassonsnosmatinéesaucafé,nonseulementparcequeSethveutmangerdescrêpestouslesjours,maisaussipourévitermamère.Letempss’écouleauralenti.Lesheuresetlesjournéesmesemblentinterminables.Noëlapprocheet

mamèremeforceàpasserdutempsavecelledanslesmagasinsetàemballerlescadeaux.Chaquefoisqu’elleparledeCaleb,jem’envais.Unjour,jel’aiabandonnéeaucentrecommercialetilafalluqueLukeviennemechercher.Jeversedusiropsurlamontagnedecrêpesquimefaitface.—Jen’aipasfaim,Seth.Jepensequejefaisuneoverdosedecrêpes.Ilbeurreses tartineset lesrecouvredeconfituredefraises. Ilporteunhautbleuet ila lescheveux

humides.Ilaprisunedouchejusteavantdepartir.—Tun’étaispasobligéedecommanderdescrêpes,dit-ilenposantsoncouteausurlatable.—C’esttoiquilesascommandéespendantquej’étaisauxtoilettes.

J’attrapeunsachetdesucre.Ilcroquedanssatartine.Desmiettesluitombentdessus.Illesflanqueparterred’unreversdelamain.—Ondevraitmangerdescrêpestouslesjoursjusqu’àlarentrée.Jegrimaceenregardantlesmiennes.Ellessenoientdansuneflaquedesirop.—Tuenessûr?—Quandjedisquelquechoseàvoixhaute,c’estquej’ensuissûr.Ilpose la tartinesursonassiette.J’aienviederireparcequeSethn’est jamaissûrderien.Comme

moi.Commetoutlemonde.—OK,Seth.J’accepteledéfi.Maistuasintérêtàt’occuperdemoisijefaisunecrisedefoie.—Promis.Nouséclatonsderireet,pendantuncourtinstant,c’estcommesiSethetmoiétionsseulsaumonde.Jusqu’àcequelaportes’ouvre.Kayden entre dans le café. Il porte sonmanteau, un vieux jean troué et ses bottes noires. Il a des

floconsdeneigedanslescheveux.Lesguirlandesquiclignotentsurlavitrinesereflètentdanssesyeux.Ilnemevoitpas.Ilmarchejusqu’aubar,oùlaserveuselaplusâgéel’accueille.Ellealescheveuxgris,remontés sous un filet.Quelques clients le regardent de travers.Des rumeurs terribles circulent à sonsujet.J’aienviedeleurhurlerlavérité.Sethmedévisaged’unairinquiet.—Qu’est-cequ’ilya,Callie?Ilsuitmonregard.—Ah…Moncorpsnem’appartientplus.Jemelève.Kaydentournelatêteversmoi.Ilcroiselesbrassurson

torse.Laserveuseluitendunsacàemporter.J’aibesoindeluiparler.—Jereviens.Sethmerattrapeparlamanche.—Faisattention.Jehochelatête,maisjenesaispass’ilparledeKaydenoudemoi.Jemefaufileparmilestablesen

serrant les coudes.Kayden a payé la serveuse. Il glisse sonportefeuille dans la pochede son jean etattrapedesserviettesàcôtédelacaisseenévitantmonregard.—Salut,Kayden.—Salut.Ilenfoncelesserviettesdanslesacenplastique.Jerespirelentementpourmecalmer.—Je…Commentvas-tu?—Bien.—Tantmieux.Magorgeseserre.Jemanqued’air.Jenesaispasquoiluidire.Ilsedirigeverslaporte.—Kayden…Attends!

Ilnem’écoutepas.Jesaisquejedevraislelaissertranquille,maisc’estplusfortquemoi.Jeluicoursaprèsàtraversleparking.IlouvrelaportièredelaMercedesnoiredesamère.—Est-cequetuveuxenparler?Ilmeregardepar-dessusletoit.—Ilfautquej’yaille,Callie.J’aidestrucsàfaire.Jecontourne lavoitureenpiétinantdans laneigeet lesflaques.Jesuisen tee-shirtet l’eautraverse

meschaussures.Jetrembledefroid.—Tuesderetourcheztesparents?Iljettelesaccôtépassager.—Oui.Oùvoulais-tuquej’aille?—Chezmoi.—Tuplaisantes?Tamèren’accepteraitjamais…—Jemefichedecequepensemamère.—Jenepeuxpas,Callie.Pasaprèscequis’estpassé.Ilsepenchepours’installerderrièrelevolant.—Non…Net’envapas!Jefaisletourdelavoitureetj’ouvrelaportièrecôtépassager.Jeveuxl’aider.Ilfautquejetrouveune

solution.Jepousselesac,jem’assoisetjefermelaportière.LeparfumdeKaydenembaumelavoiture.Ils’installeetplongesonregarddanslemien.Sesyeuxsontdénuésd’émotion.Vides.—Neretournepascheztesparents.S’ilteplaît.—Jenesuisjamaisvraimentparti,Callie.Etpuis,monpèren’estpaslà.—Ahbon?Ilmetlemoteurenmarcheetsemordlalèvreenfixantl’entrepôtdel’autrecôtéduparking.—Ilestenvoyaged’affaires.J’aimeraissavoirsisonpèreestcoupable.J’hésiteàluiposerlaquestion.—Est-cequec’estluiqui…—Ilfautquej’yaille,Callie.Ilmelanceunregardnoir.J’aienviedepleurer.—Kayden…Parle-moi.S’ilteplaît.Ils’agrippeauvolant.Sarespirationestsaccadée.J’entendspresquelesbattementsdesoncœur.Jeposeuncoudesurletableaudebordetunemainsursajoue.Iltressaillemaisnemequittepasdes

yeux.Jenesaispascommentm’yprendre.J’aimeraisjustel’atteindre,d’unemanièreoud’uneautre.—Tupeuxtoutmedire,Kayden.Tulesais.Jecomprendrai.Jeluicaresselajoue.Ilnes’esttoujourspasrasé.—S’ilteplaît…—Je…Jenepeuxpas.—Biensûrquesi.Jepeuxt’aider.

Commetum’asaidée.Sonsoufflechatouillemajoue.—Callie,je…Ilapprochesonvisageetécraseseslèvressurlesmiennes.J’ouvrelaboucheetlaissesalangues’y

glisser.Jem’accrocheàsontee-shirtetilposeunemainsurmanuque,m’attirantverslui,m’embrassantavecpassioneturgence,explorantmaboucheavecsalangue.J’aimeraisquecebaiserduredesheures.Jeneveuxpasqu’ilm’échappe.J’aibesoindelui.Ils’écartedemoiencrispantlesmâchoires.Ondiraitqu’ilestsurlepointdepleurer.—Va-t’en,Callie.Jesuisdésolé.Jenepeuxpasêtreavectoi.Son rejet est brutal. Jeme revois au lycée, à l’époque où jeme sentais transparente, rongée par la

honte.«Personneneveutdetoi!»ahurléDaisyMcMillianenmecroisantdanslecouloir.Jesuispartieencourant,montasdelivresserrécontremoi.Jemesuiscachéesouslestribunesdu

terraindefoot,àl’abridesregards.J’aienfoncéundoigtdansmagorgeetvomimondéjeuner.Jemesuis assise par terre et j’ai regardé l’entraînement de foot sous les gradins, rêvant de rester là, àl’abri,pourlerestantdemesjours.Jesorsdelavoitureetclaquelaportièrederrièremoi.Kaydensedirigeverslasortie.J’aienviedele

suivre,maisjeluitourneledosetj’entredanslecafé,épaulescourbéesettêtebaissée.

Kayden

Jem’en veux plus que jamais. J’ai osé repousser la fille la plus triste et la plus généreuse que jeconnaisse.Jejetteunœildansmonrétroviseur.Ellemeregardesortirduparking,souslaneigeetdanslefroid.C’estpoursonbien.Voilàcequ’ilfautquejemerépète.Unjour,elleserasoulagéedeneplusm’avoir

danssavie.Deneplusavoiràportermonfardeauetmesproblèmes.Je remonte l’avenue.Laneige fondue éclabousse le pare-brise.Moncœurbat tropvite.L’odeurde

Calliemecolleàlapeau.J’avaisoubliéàquelpointellesentaitbon.Jen’auraisjamaisdûsortirdelamaison,maismamèreatropbuetelleavaitenviedecrêpes.J’ai

refusédelalaisserconduiredanscetétatetj’ysuisalléàsaplace.Mauvaiseidée.Lavilleentièreestcontremoi.EtCalliequiessaiedem’aider…J’aipresqueenviedefairedemi-tour.Jen’aipasledroitdelaissersortirmesémotions.Jen’aiaucun

moyendelesfairetaire.Jenemesenspascapabledelesaffronter.Mesyeuxs’emplissentdelarmesetj’aidumalàvoirlaroute.Toutestblancetglissant.Ilfautquejedéfasselenœuddansmapoitrine.Jetendslamainverslaboîteàgants,espérantquema

mèreyaura laisséquelquechosede tranchant. Jegardeunœil sur la route touten fouillantparmi sesaffaires.Untasdepapiers,untubederougeàlèvresetdudésodorisant.Riend’autre.—Merde!Je donne un coup de poing sur le tableau de bord. Enme redressant, j’aperçois une voiture bleue

arrêtéeaumilieudelaroute.Unnuagedefuméenoires’échappedesonpot.

J’appuie sur le frein.Les pneus dérapent sur la neige. Je perds le contrôle de laMercedes, et elles’arrêteàmoinsd’unmètreduvéhiculeenpanne.Jeposemonfrontsurlevolant.Jenemaîtriseplusmesémotions.Ellesvontfinirparmetuer.Jenesaispassicetteidéemefaitpeuroumesoulage.

Kayden

Je suis énervé, triste, frustré, et je ressens tout un tas d’émotionsque je suis incapable d’identifier.Callieaessayédem’appeleretdem’envoyerdesmessages,maisjenerépondspas.Jemesenspiégédanscettemaison.C’estdéprimant.Hier,c’étaitNoël.Cheznous,c’estunejournéecommeuneautre.Mamèreacachétouslescouteauxetlesrasoirs.Jenesaispassic’estpourmeprotégermoioupour

protégermonpère.Tyler,mongrandfrère,aperdusonboulotetsamaison.Ildortdanslesous-sol,làoùnousnouscachionsquandnousétionsgamins.Ilboitautantquemamère.J’entredanslacuisineetjemedirigeversleplacard.Mamèreestàtable,entraindeboireuncafé.Il

esttôtmaiselleestdéjàcoiffée,habilléeetmaquillée.Ilyaunmagazineetunebouteilledevinàmoitiévidedevantelle.—J’aiunebonnenouvelle,Kayden.—Ahbon?—Calebettonpèresesontmisd’accord.TonpèreluiapromisdixmilledollarsetCalebaaccepté

denepasporterplainte.—C’estlégal?—Peuimporte.J’ouvreleplacardetj’attrapeunpaquetdePop-Tarts.—Qu’est-cequivousditqu’ilneporterapasplainteunefoisquevousl’aurezpayé?— Arrête de chercher la petite bête, Kayden. Ton père s’en charge. Tu devrais lui en être

reconnaissant.—Reconnaissant?Jemontremablessuredudoigt.Mamèregrimaceenapprochantsatassedecafédesabouche.—C’esttoiquit’esblessé,Kayden.Arrêtederejeterlafautesurlesautres.

Jeclaquelaporteduplacard.Mamèresursaute.—Tusaisquec’estfaux!Tuconnaislavérité!Elleposesatasseetfeuillettesonmagazine.—Toutcequejesais,c’estquetut’eslacérélesbrasetquetonpèreétaitabsentcesoir-là.—Arrêtedediredesconneries,maman.Elledonneuncoupdepoingsurlatable.—KaydenOwens!Jerefused’avoircetteconversationavectoi!Cequiestfaitestfait.Maintenant,il

esttempsdepasseràautrechose.Jem’appuiecontrelemeubleetjem’agrippeaurebord.—Jenecomprendspaspourquoituprendssadéfense.Cesonttesenfantsquetudevraisprotéger.Pas

lui.Elleselève,attrapesonmagazineetsoncaféetsedirigeverslaporte.—Tusaiscequeçafait,degrandirtellementpauvrequetamèredoitfaireletapinpourtepayerune

vieillepairedechaussures?C’estlapremièrefoisquemamèremeparledesonenfance.Jenem’yattendaispas.—Non,maisjepréfèreporterdesvieilleschaussuresquedemefairetabassertouslesjours.Ellemejettelatasseàlafigure.Jel’esquiveàtempsetelles’écrasecontrelemur.—Tuneterendspascomptedelachancequetuas!Je ne l’ai jamais vue dans un état pareil. Elle tremble de colère. Nous regardons les éclats de

porcelainequirecouvrentlecarrelage.Lafureurdanssesyeuxsedissipepeuàpeu.Ellepasseunemaindanssescheveux,sortdelacuisineetmelaissenettoyerderrièreelle.Jerécupèrelebalaidanslecagibi,jepousselesdébrisdanslapelleetjelesjetteàlapoubelle.Un

guidedeParisetunguidedePortoRicotraînentaumilieudesdéchets.Jemedemandesic’estlà-basquemonpèreestparti.Sic’estlecas,celaressembledavantageàdesvacancesqu’àunvoyaged’affaires.Enrangeantlebalai,jerepenseàlaviolencedecesoir-là.J’aipeurdel’inconnu.Commentreprendre

unevienormaleaprèsavoirfrôlélamort?Etpuis,mamèreabeaupenserqueCalebsetaira,j’aidesdoutes.Jeneseraispassurprisqu’ilporteplaintemalgréleuraccord.J’aibesoindecalme.Jedescendsausous-sol,jem’installedansunfauteuiletjesorsmonportablede

ma poche. J’ai envie d’appeler Callie. Je sais qu’elle est capable de m’aider, de m’apporter desréponses,demeredonnerl’enviedevivre.—Salut,mec.Tylerentredanslapièceetfaitclaquerlaportederrièrelui.Ilaunsacenpapieràlamain.Ilensort

unebouteilledevodka,boitunegorgéeets’essuielaboucheavecsamanche.Ilmelatend.Jerefuse.Jerangemonportable,prenantsonarrivéecommeunsignepournepasappelerCallie.Ils’affaledanslecanapéencuirenfacedemoi.Tylerfaitvingtansdeplusquesonâge.Seshabits

sontsalesetusés.Illuimanqueunedent,qu’ilditavoirperduedansunebagarre.Ilalescheveuxcourtsetdégarnisetilempestelacigaretteetl’alcool.Jemedemandes’ilsedrogue.Ilposelespiedssurlatable.Unedeseschaussuresesttrouée.—Tucomptesrestericilongtemps?

—Aucuneidée,dis-jeenallumantlatélé.ToutdépenddeCaleb.Ilboitunegorgéedevodkaetposelabouteillesurlatable.—Qu’est-cequit’apris,mec?Jepassed’unechaîneàuneautre.Jen’aipasenviedediscuteravecluiquandilestbourré.Jesais

qu’ilnesesouviendraderien.Jeluienveuxdem’avoirabandonnéavecnosparentsetdeseretrouverdansunétatpareil.—C’estlavie.Iléclatederire.—Casserlagueuleàquelqu’un?C’estça,lavie?Jefaiscraquermesdoigts.Jemeretiensd’écrasermonpoingsurlatable.—C’étaitlanôtre,Tyler.Etjeluiaicassélenezetquelquesdents.Riendeplus.—Qu’est-cequ’ilt’afait?Jepensaisquec’étaitunmecbien.—Calebestunmecminable.Ilméritelaprison.Jen’aiplusenvied’enparler.JemelèveetTylermesuitduregard.Sesyeuxsontinjectésdesang.—Ilparaîtqu’ilaperduconnaissance.C’estvrai?—Non.Ilafaitsemblant.Sonvisageétaitbleucommeunemyrtille,maisilétaitconscientquandlapolicem’aembarqué.Après

mondépart,Calebajouélacomédie.Jesorsdelamaison.Jen’aipasdemanteausurmoi,seulementmonsweatshirt,maislefroidmefait

dubien.Jetraverselacourgelée.Lesdeuxvoituresontdisparudel’allée,maislamotoesttoujoursdanslegarage,aveclaclédessus.Jepasseunemainsurlesiègeencuiretjerepenseàladernièrefoisquejel’aiconduite.Ce jour-là, j’aiessayédesauterd’unecolline.Je l’aibienamochée.Ellen’estpas faitepourcegenredecascade,maisjevoulaisfrimerdevantdesfilles.J’aidérapéetjemesuiséraflétoutlecôté.Jemonte sur lamoto, je tourne laclédans lecontactet je fais ronfler lemoteur.Elleprendvieet,

pendantuninstant,moiaussi.Jelâchelefreinetjesorsdugarage.Larouteestdégagée.J’ignorelefroid.J’aibesoindevoirautrechose.D’allerailleurs.N’importeoùsaufici.

Callie

Je n’arrête pas d’envoyer desmessages àKayden. J’aimême essayé de l’appeler,mais j’éclate ensanglots chaque fois que je tombe sur samessagerie. Je repense à son regard, à sa colère. Seth lui aenvoyédestextos,maisilneluirépondpasnonplus.Jenesupportepasdelesavoirdanscettemaison,avecsafamille,rongéparlesilence.Jenesupportepluslesilence.J’aimeraisqueKaydenetmoisoyonsenfincapablesdedirelavérité.Denouslibérerdespoidsquenoustraînonsdepuistantd’années.Sethetmoipassonsnotretempsloindelamaison,surlarouteouaucafé.N’importequoipouréviter

mamère.Ellen’estpasméchante,maisellenepeutpass’empêcherdemeparlerdeCalebetdemonfrère.Hier,lejourdeNoël,ellenousaforcésàresteràlamaison.Toutsepassaitbienjusqu’àcequ’ellesemetteàcritiquerSethdanssondos.

—Jen’aimepassonattitude,Callie.Jeletrouveinsolent.—Jenet’aijamaisdemandédel’aimer,maman.C’estmonmeilleurami.Pasletien.Ellel’amalprisetelles’estmiseàmefairelaleçon,àmereprocherd’avoirchangé,deneplusêtre

lapetitefillesagequ’elleaimaittant…—Àquoitupenses?medemandeSeth.Noussommesdansmachambre.Sethestallongésurlelit,entraindefeuilleterunmagazine,pendant

quejemedéfoulesurunpunching-ball.Monpèrel’amontédansmachambreilyaquelquesjours.MamèreleluiaoffertàNoëlpourqu’il«seremetteenforme».Jejetteunœilparlafenêtre.Ilfaitbeau,lesoleilfaitfondrelaneigeetsereflètedanslesolverglacé.

C’estjolimaisjesaisque,dèsquejemettrailepieddehors,lefroidetlaneigeperdrontleurattrait.—Tufaisunetêtebizarre…Ondiraitquetuasenviedetuerquelqu’un.—Jeréfléchis.—Àquoi?—Àlamétéo.Jedonneuncoupdepoingdanslepunching-ball.Ilremueàpeine.Desgouttesdesueurdévalentmon

dos.Desmèchess’échappentdemaqueue-de-cheval.Sethlèvelenezdesonmagazine.—Àlamétéo?Jedonneunderniercoupdepieddanslepunching-ball.Àboutdesouffle,jelerejoinssurlelit.—Oui.J’aimefairelelienentrelamétéoetnosvies.—Tuesbizarre.Jeglissemespiedssouslacouverture.—Onmel’adéjàdit.Il me dévisage en soupirant. Je suis encore en pyjama, je ne suis pas maquillée et je sens la

transpiration.—Est-cequetuasl’intentionderestercommeçatoutelajournée?J’aienviedesortir,moi.—Sortiroù?—N’importeoù.Loind’ici.—Tuenasmarred’Afton.Ilsecouelatêteetretourneàsonmagazine.—Non,maisj’enaimarredecettechambre,etj’enaimarredetevoirdanscetétat.C’estdéprimant.

Tun’espluslamêmedepuisquetuasvuKaydenaucafé.Illèvelatêteversmoi.Unemèchedecheveuxluitombedevantlesyeux,maisilneprendpaslapeine

del’écarter.Ondiraitqu’ilattendquelquechose.Jecroiselesbras.—Qu’est-cequ’ilya?—Tumecachesquelquechose,Callie.Jelesais.Tunem’aspastoutraconté.—N’importequoi…

Lavérité,c’estquej’aipeurdeluidécrirecequis’estpasséetcequejeressens.PeurdecequeSethenconclura.—Menteuse!Avouequetuneveuxpasm’enparler.Monvisagesedécompose.—Excuse-moi.C’esttropdur.Iljetteunœilverslereborddelafenêtre,oùj’ailaissémoncarnetetmonstylo.—Est-cequetuasessayédel’écrire?J’essuiemonfrontdureversdelamain.—Non,etjen’enaipasl’intention.Ilsemetàgenouxdevantmoi.—Tudevrais.Ça te feraitdubien.Tupourraismêmeécrireune lettreàKayden, luidireceque tu

ressens.—Jenepeuxpas.J’aipeurdecequisortira…etdesaréaction.Jem’allongesurledosetjefixeleplafond.Ilprendmamaindanslasienne.—Callie, s’il y a bien une chose qu’on a apprise tous les deux, c’est qu’il ne faut pas se laisser

dominerparlapeur.Ellenousempêchedevivre.—Jesais…—Ilfautquetumettesdesmotssurtesémotions.C’estplussainquedelesrefouler.Jemeconcentresurlebourdonnementduradiateur.—Seth,tueslapersonnelaplussenséequejeconnaisse.—Jesais.Jesourismalgrémoi.Peuimportecequiressortdeceque j’écrirai, j’auraiSethàmescôtés.Jene

seraipasseule.Pascommeavant.Je récupèremon carnet et jem’assois sur le lit,mon stylo à lamain, prête à noircir les pages des

sentimentsquej’aienfouisaufonddemoi.

*

Uneheureplus tard, jemesensbeaucoupmieux.Sethavait raison.JepassemontempsàécriredeschosessurKayden,maisjeneluiaijamaisécritdirectement.Unjour,sij’enailecourage,jelesluiferailire.Jesorsdugarageetjeremontel’allée,oùLukenousattenddanssonquatre-quatre.Sethm’adevancée.

Jel’entendsrirelorsqu’ilmontedanslavoiture.Lecielestbasetlevents’estlevé.Jesuisàmi-cheminentrelegarageetlevéhiculequandmonfrère

sortentrombedelamaison.Ilalescheveuxmouillés.Ilporteunmanteauvert,unjeanetdeschaussuresmontantesqu’iln’apaseuletempsdefermer.Seslacetstraînentdanslaneige.—Callie!Ilfautqu’onparle.

Jel’attendsenbasdesmarches.Jeremontemacapuchesurmatêteetj’enfouismesmainsdansmespoches.Leventmebrûlelesjoues.—Parlerdequoi?—Tun’aspashontedetrahirnotrefamille?—Jenetrahispersonne.Ilmontredudoigtlequatre-quatredeLuke.—Regardeavecquitutraînes.—Luke?—Oui.LemeilleuramideKayden.Jeluitourneledos,maisilmetireparlebrasetenfoncesesonglesdansmonmanteau.—LukeétaitavecluilesoiroùilatabasséCaleb.Iln’amêmepasessayédel’enempêcher!Jemedébatspouréchapperàsonemprise.—Lâche-moi,Jackson!Tumefaismal.Sonregardestaussifroidquelaneigesousmespieds.Ilmerelâcheensoupirantdefrustration.—Calebestmonmeilleurami,Callie.—Jeneveuxpasenparler.Jereculelelongdel’allée.Furieux,ilremontel’escalier.—Tuneveuxjamaisparlerderien!Tuestoutletempsdanstonmonde…—Parcequejen’aipaslechoix!Jecoursjusqu’àlavoiture.Jemesensmieuxdansmonmondequedanscettemaison.Ellecachedes

souvenirsquimedétruisentchaquefoisquejeposeunpiedàl’intérieur.Jerejoinslesgarçonsdanslequatre-quatre.J’enjambelesgenouxdeSeth,quin’aimepass’asseoirau

milieude labanquette. Jem’installe, j’attachemaceintureetLukefaitmarchearrière.Monfrèrenousregardepartir,lesmainsdanslespoches.—C’estquoi,sonproblème?medemandeSeth.—Rien.Ilestencolère.Jebaisselatête,j’inspireparlenezetjeretiensmeslarmes.Lachaleurduchauffagemecalme.Luke

roulesurlacongèreauboutdel’alléeets’engagedanslarueenneigée.Laradioestalluméeetlemoteurfaitdesbruitsbizarres.Lorsquenousarrivonsdanslecentre-ville,SethetLukesortentleurscigarettesetbaissentlesvitres.Ilfaitfroid,l’airestenfuméetjemesensmal.J’aimeraisêtrecapabledetoutavoueràmafamille.J’aimeraisentrerdanslamaisonlorsqu’ilssont

tousàtableetleurracontermonhistoire.J’aimeraisqu’ilsmeprennentdansleursbras,meconsolentetmerassurent.Maiscen’estqu’unrêve.C’estarrivéilyasixans,etchaquejourpassédansl’ombreetlesilencea

ajoutéunpoidssurmesépaules.Plusletempspasse,plusilseradifficiled’enparler,etpluslesgensaurontdumalàmecroire.Lukesegaredevantchez luiet jettesescendrespar lavitrebaissée.Uncoupdevent les renvoieà

l’intérieur.Elles s’étalent surmonmanteau. J’avaisdéjàvu samaison,mais jen’y suis jamais entrée.Elleestminuscule,avecuncrépivertquimériteraitd’êtrerefait.Lacourestrecouverted’unmètrede

neige.Ilyaunarbreaumilieuetunealléedégagéeetsaléequimèneàlaported’entrée.Aufond,jeneconnaisriendesavie.Jesaisjustequesesparentsontdivorcéquandilétaitpetitet

qu’ilaperdusasœur.Iléteintlemoteur,tiresurlacléetlaglissedanssapoche.—Mamèren’estpaslà.Dépêchons-nousavantqu’ellerevienne.—Qu’est-cequ’onfaitici?luidemandeSeth.Nousdétachonsnosceintures.Lukepasseunemaindanssescheveux.—Ons’organise.Sethetmoiéchangeonsunregard.—C’est-à-dire?—Onpartenvacances,répond-ilenouvrantsaportière.—Oùça?—N’importeoù.Loind’Afton.J’enaimarred’êtreici.C’estdéprimant.Lesgarçonssortentdelavoiture.Je jetteunœilendirectiondelamaisonet jemedemandeceque

Lukeaenviedefuir.Sethmetendlamain.Jel’accepte,maisjedérapesurlesolverglacé.Ilmeretientparlebras.—Est-cequetuasuneidéeentête?dis-jeàLuke.—J’espèrequec’estunendroitpascher,ajouteSeth.Jenesaispasvous,maislescadeauxdeNoël

m’ontruiné.—Menteur!dis-jeenclaquantlaportièrederrièremoi.Sethaachetésescadeauxàlasupérettedel’université.Jetripotelebraceletentocqu’ilm’aoffertet

labreloqueenformed’oursquiyestattachée.Ilm’aditquec’étaitpourmerappelerla«belleépoque».IlfaisaitréférenceàlafêteforaineoùKaydenetmoinoussommesembrasséspourlapremièrefois.Ilavaitgagnéunoursenpelucheetnousl’avionsdéguisépourluitrouverunefamilled’adoption.—Allez,Callie!Avouequetuadoresmoncadeau.IlmesouritetnoussuivonsLukejusquechezlui,brasdessus,brasdessous.Ilouvrelaporteetnous

laisseentrerenpremier.Àl’intérieur,delourdsrideauxrayésbloquentlalumière.Ilfaitnoirethumide.Danslesalon,lecanapéàcarreauxetletapissontrecouvertsdebâchesenplastique.Surlesétagères,des figurinesd’animauxsont rangéesparespèces.Desplantesdécorent les rebordsdes fenêtres.Ellessontorganiséespartailles,maisellessonttoutesmortes.Ilfaitaussifroidquedehors.Monsouffleformeunnuagequisemêleàlapoussière.—Pourquoitoutceplastique?s’étonneSeth.—Parcequemamèreestfolle.NoussortonsdusalonetremontonslecouloirderrièreLuke.Lesmurssontnus:pasdephotosnide

peintures. L’air est poussiéreux et j’ai dumal à respirer. Je ne me sens pas en sécurité. Au bout ducouloir,Lukeouvreuneporteetnousentronsdansunepièceaéréeetlumineuse.—Voilàmachambre.Jusqu’àaujourd’hui,Kaydenétaitleseulàyavoirmislespieds.Désolé.C’est

unvraitaudis.Jebalaielapièceduregard.Lelitestsoigneusementbordé.Ilyadesaffichescolléesauxmursetun

vieilordinateursurunbureau.Toutestpropreetrangé.Celan’arienàvoiraveclerestedelamaison.—Cen’estpasuntaudis.Elleesttrèsjolie.—C’estgentil,Callie.Iltapotelapocheavantdesavesteetensortsonpaquetdecigarettes.Illegardedanslamain,comme

pour se rassurer. Il retrousse sesmanches et allume l’ordinateur. Seth s’assoit sur le lit et croise lesjambes.Lematelasgrincesoussonpoids.—Ont’écoute.Dis-nouscequetumanigances.Lukene répondpas. Ilouvreunmoteurde rechercheet semetà flâner sur internet.Sethhausse les

épaulesetattrapesonportablepourécrireuntexto.J’examinelesaffichesetlesphotosaccrochéesauxmurs.Jeneconnaisnisamèrenisasœur,maisjelesdevinesurcertainsportraits.Jem’arrêtesurunephotodeluietKayden.Ilssontdeboutdevantunemotonoire.Ilsontl’airheureux.Pourtant,lamotoestamochéeetKaydenalebrasensang.—Pauvremoto!plaisanteLuke.J’aicruqu’ellefiniraitàlacasse.Jetournelatêteverslui.Ilestentraindem’observer,assissursachaise.—Jem’ensouviens,dis-jeenreportantmonattentionsurlaphoto.C’estl’annéeoùilaarrêtédejouer

pendantdessemainesàcausedesonbras.—Exact.Onaperdutroismatchsd’affilée.—Monpèreétaitfurieux.Ilenparlaitàtouslesrepas.—Çanem’étonnepas,dit-ilensouriant.ParlerdeKaydenmebriselecœur.—Ondevraitluirendrevisite.—C’estprévu,répondLukeenallumantl’imprimante.Ilfautjustequej’organisesonenlèvement.Sethetmoiréagissonsauquartdetour.—Sonenlèvement?crions-nousàl’unisson.Sethéclatederire.—J’aivraimentunemauvaiseinfluencesurtoi.Jefroncelessourcils.—Pourquoi?—Plusletempspasse,plustumeressembles.—Etalors?C’estuncompliment,venantdetapart.J’aimeraisêtredavantagecommetoi.Ilselève,rangesonportabledanssapocheetmeprenddanssesbrascommesij’étaislapersonnela

plusimportantedumonde.—Nechangejamais,CallieLawrence.Promets-le-moi.J’enroulemesbrasautourdesontorseetjeposelementonsursonépaule.—Promis.Lukeseraclelagorge.—Désolédevousinterrompre,maisj’aiuntrucàvousmontrer.Ilnoustendunefeuillequivientdesortirdel’imprimante.C’estunephotod’unepetitemaisonbleue

quidonnesurl’océan.Lesoleilsereflètedansl’eau.Sethexaminelaphoto.—Tuveuxnousemmeneràlaplage?Lukerassemblelerestedesespapiers.—MonpèreaunemaisondevacancesenCalifornie.Ilnel’utilisejamaisetj’aiundoubledesclés.—Tuveuxconduirejusqu’enCalifornie?Iléteintl’ordinateuretsedirigeverssonarmoire.—C’estseulementàdixheuresderoute.—Seulementdixheures?—Jenesuisjamaisalléeàlaplage.SethetLukemeregardentcommesij’étaisfolle.—C’estvrai.Mafamillen’ajamaisaimévoyager.Mesgrands-parentsviventenFloride.Chaquefois

qu’onleurrendaitvisite,mamèrerefusaitdevisiterlarégionetmonpèrepréféraitregarderlesportàlatélé.Lukesortdeschemisesdel’armoire.Ilenfaittombersurlamoquette,maisneprendpaslapeinede

lesramasser.—Raisondepluspouryaller.Iljettesesvêtementsdansungrandsacbleuqu’ilarécupérésurl’étagèreduhaut.Ilyajouteunshort

rayéetdessandalesavantdeleposersursonlit.—Combiendetemps?Ilfermesonsacenhaussantlesépaules.—Jusqu’àlarentrée.Inquiète,jetournelatêteversSeth.—Onn’ariendemieuxàfaire,Callie.Et,pourêtrehonnête,jenesupporteplustamère.—Jamaisellenemelaisserapartir.Elleveutquejesoisàlamaisonpourlenouvelan.—Danscecas,envoie-luiuntextoquandtuserassurlaroute.—Bonneidée.Ilmemontredudoigtensouriant.—Tuvois?J’aiunemauvaiseinfluencesurtoi,etj’ensuisfier.Lukemet son sac sur l’épaule,plie lespapiers enquatre et lesglissedans lapochede son jean. Il

attrapesescléssurlebureau.—Prêts?Allonscherchervosaffaires.—TupensesvraimentqueKaydenvoudraveniravecnous?Ladernièrefoisquejel’aivu,ilarefusé

demeparler.—Peuimporte.Ilfautlesortirdecettemaison.Etpuis,onvat’apprendreàêtreplus…convaincante.—On?—Sethetmoi.

Sethsouritetmefaitunclind’œil.Jelèvelesyeuxauciel.—J’aijustepeurdecompliquerlasituation.—Callie,jeconnaisKaydendepuisqu’onestgamins.Crois-moi,cettemaisonluifaitplusdemalque

debien.Ilseramieuxàlaplage,avecsesamis.—Situledis.Lavérité,c’estquej’aipeurdediren’importequoi,deluifairedumalsanslevouloir.Lukesortde lachambreetnous lesuivonsdans lecouloirpoussiéreux.Àpeineavons-nousposé le

piedsurlamoquettemarronquelaported’entrées’ouvre.Unevoixchantantebriselesilence:—Luke?—Merde…—Qu’est-cequ’ilya?Lukenemerépondpas. Il reste immobile,commepétrifié.Labandoulièredesonsacglissesurson

épaule.Ilseretourneetnousfaitsignedelesuivre.Nousrebroussonscheminjusqu’àsachambre.—Ilfautqu’onsorteparlafenêtre,murmure-t-ilenl’ouvrant.Uncourantd’airfroidpénètredanslachambre.Leventfaitdansermescheveuxetmepiquelesjoues.

Sethjetteunœildehors.Noussommesaurez-de-chaussée,maisunmonticuledeneigemontejusqu’àlafenêtre.—Tuesfou!Onvarestercoincés.LukerécupèresoniPodsurlebureau.—Çavaaller.Cen’estquedelaneige.—Luke!répètelamêmevoix.Jesaisquetueslà!Sorsdetacachette.Lukeal’air terrifié.Ilnoussupplieduregard.Jeconnaiscetteexpression.Jel’aidéjàvudansmon

proprereflet,etdanslesyeuxdeKayden.Sanshésiter,jepasseunejambepar-dessuslerebord.Sethmeretientparlebras.—Arrête,Callie.Tuvastefairemal!Je me débats et, avant qu’il n’ait le temps de me rattraper, je passe l’autre jambe et je saute. Je

m’enfoncedanslaneigejusqu’àlataille.Elletraversemeschaussuresetmonjean.Quelquessecondesplus tard,Luke atterrit à côtédemoi. Il dévale lemonticule en roulantpour éviter de s’y enfoncer. Illâchesonsacetmetendlamain.Iltiredetoutessesforcespourmedécoinceretjedescendslapentesurleventre.Monmanteauremonteetlaneigemebrûlelapeau.JeroulesurledosetjelèvelatêteversSeth,quin’apasencoresauté.Iljetteunœilderrièrelui.—Etlafenêtre?Lukeramassesonsac.—Laisse-laouverte.Ons’enfout.Sethpousseunsoupiretsaute.Ils’enfoncedanslaneige,luiaussi,maisilarriveàs’enextirper.Ilsort

unejambe,puisl’autre,etselaisseglisserjusqu’enbas.Il se relèveàcôtédemoi,àboutdesouffle.Lukedisparaîtaucoinde lamaisonens’allumantune

cigarette.—Qu’est-cequiluiapris?dis-jeenjetantunœilpar-dessusmonépaule.

—Jenesaispas.Jepensequec’étaitsamère.IlmeprendparlamainetnoustraversonslejardinenneigépourrejoindreLuke.Nousneluiposons

pasdequestion.Sethetmoiavonsl’habitudedessecrets.Quandilauraenvied’enparler,illefera.Nousnousdirigeonsverslavoiture,maisjem’arrêteaumilieudel’alléeverglacéeetlâchelamainde

Seth.Jen’encroispasmesyeux.Kaydenestlà.Devantlamotoquej’aivuesurlaphoto.—Kayden?Ilaleslèvresbleuesetilneportequ’unsweatshirt.Sescheveuxpartentdanstouslessensetilales

joues rouges. Jecours jusqu’à lui,oubliantque le solestglissant.Deuxmètresplus loin, jedérapeetperdsl’équilibre.Sethessaiedemerattraper,maisiln’estpasassezrapideetjem’écrasesurledos.Matêteheurtelaglace.J’hésiteàmerelever,maispasàcausedeladouleur.J’aipeurqueKaydennem’échappeànouveau.

Kayden

Je traverse la ville jusqu’à ce quemes doigts soient aussi engourdis quemon cerveau. Je conduisjusquechezLukepournepasavoiràrentreràlamaison.J’hésiteàpasserchezCallie,àl’autreboutdelaville,maisjepréfèrenepasprendrelerisque:sesparentsadorentCalebetdoiventmedétesteraprèscequejeluiaifait.Etpuis,ilfautquejelaisseCallietranquille.C’estpoursonbien.Ravidevoir lequatre-quatredeLuke, jemegare contre le trottoir.Mon soulagement est de courte

durée:laCadillacdesamèreestgaréeàcôté.Jen’aienviedeparleràpersonne,surtoutpasàelle.Jel’aitoujourstrouvéebizarre.Ellevameharcelerdequestions,surtoutaveclesrumeursquicirculentàmonsujet.Je décollemes doigts du guidon et je descends de lamoto. J’hésite. Je n’ai pas discuté avecLuke

depuisl’incident.Jenesaispascommentilvaréagir.Jesuissur lepointderepartirquandilapparaîtaucoinde lamaison,unsacsur l’épaule.Callieet

Seth sontderrière lui. Ils se tiennentpar lamainetCallie adumal àmarcher sur laglace.Elle resteconcentréesursespieds,jusqu’àcequesesyeuxbleusseposentsurmoi.EllelâchelamaindeSethetsemetàcourirdansmadirection,maiselleglisseettombesurledos.Jemeprécipiteverselle.Ellealeteintpâlecommelaneige.Elleclignedesyeux,poseunemainsur

satêteetgrognededouleur:—Aïe.Ellefait lamoue.C’estadorable.Jemepencheverselleetcelamerappellelejouroùjeluiaifait

l’amour.Laconfiancequ’ellem’aaccordée.Entendantunbraspourl’aideràserelever,j’aperçoislescicatricessurmonpoignet.Toutàcoup,jesuisderetoursurlecarrelage,avecmonpèreetsoncouteau.J’aifroidetjemesensvulnérable.Callieattrapemamain,etunevaguedechaleurmesubmerge.Elleserelèveetjeglisseunbrasautour

desataillepourl’empêcherdetomber.Lesimplefaitdelasentircontremoimedonneenviedepleurer.—Salut,Kayden.—Salut.Jepasseunemaindanssescheveuxpourenleverlaneigequ’ilsretiennent.

—Çava?s’inquiète-t-elle.Tuasl’airgelé.Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Tuviensdetecognerlatêtecontrelaglace,ettutedemandessijevaisbien?Ellehausselesépaules.—Tuasconduitsansmanteau?—Oui.Ellegrimace.—Tudoisavoirfroid.—Pasvraiment.Lukenousinterromptenseraclantlagorge.JemetourneversluisanslâcherCallie.—Quoi?Ilmontrelamaisondudoigt.Samèreestentraindenousobserverparlafenêtre.—Est-cequ’onpeutendiscuterailleurs?J’aimeraismecasserd’ici.—Biensûr.Jem’écartedeCallie,maiselleentremêlesesdoigtsetlesmiens.—Jemonteavectoi.—Non,Callie.Tuvasmourirdefroid.—Jem’enfiche.Elleredresselesépaulesetmedéfieduregard.JemetourneversSeth.—Dis-lui,toi.Seth ne m’est d’aucune aide : il enlève sonmanteau et le lance à Callie avec un clin d’œil. Elle

l’attrapeensouriantetl’enfilepar-dessuslesien.Jepousseunsoupirdefrustration.—Ilfaittropfroidpourelle!Sethlèvelessourcilsetsetourneverslequatre-quatre.—Ellesurvivra,Kayden.Callieestplusfortequetunelecrois.Elle rassemble ses cheveux contre sa nuque et remonte la capuche sur sa tête. Son assurance me

trouble.D’habitude,Callieestfragile,vulnérable.—Tuessûredevouloirmesuivre?Jetepréviens,c’estl’enfer.Ellemesourit.—Sûreetcertaine.Etpuis,ilfaitchaudenenfer.Ellesedirigeverslamoto.Jelasuisenmeretenantdesourire.Laneigem’arrivejusqu’auxmollets.—Kayden?Jemeretournemalgrémoi.Lukes’apprêteàmonterdanssavoiture.—Faisattention,OK?Ilm’adresseunclind’œiletmelanceunmanteau,celuiqu’ilgardesoussonsiègeencasdepanne.

Pendantuncourtinstant,Lukeredevientmonami,iln’estpluslemecquim’avubaignerdansmonpropre

sang.Mêmesi lefroidmecalme, j’enfile lemanteauet jeremonte lacapuchesurmatête.Callieestdéjà

assisesurlamoto.Elleinspectelesbossesetlesrayures.—C’esttoiquil’asabîmée?J’ailagorgenouée.Jemeursd’enviedel’embrasser.—Oui…Ilyalongtemps.Jevaisroulerdoucement,promis.Jamaisjeneteferaidemal,Callie.Jem’enveux aussitôt, parceque je lui ai faitmalplusd’une fois.Elledevrait être avecquelqu’un

d’autre,untypecapabledelarendreheureuse.Ellemeregarded’unairsérieux.—Jesais.J’aiconfianceentoi,Kayden.Mêmesiturefusesdel’admettre.Ellea tortdemefaireconfiance,mais jen’insistepas.Jemontedevantelleet jemets lemoteuren

marche. Elle enroule ses bras autour de ma taille et se colle à mon dos. C’est la première fois quequelqu’unmetouchedepuis l’incident.J’aimeraismourirmaintenant,avecCalliecontremoi.Unemortpaisible.Jeveuxqu’ellesoitàmescôtésquandjerendraimonderniersouffle.L’idéemecalmeetme terrifie. J’arrêtede réfléchir, je lâche le freinetnousnousenvolonsdans le

vent,Callieetmoi.

Callie

Celafaisait longtempsque jenem’étaispassentieaussi légère.Larouteestglissanteet j’aiunpeupeurmais,blottiecontreKayden,jemesensàl’abri.L’airfroidmefouettelevisage.Ilyadumondesurlestrottoirsetdevantlesmagasinsquibordentl’avenueprincipale.Lesgensnousregardentdetravers,maisjem’enfiche.Jefermelesyeuxetjelesoublie,aspirantsonodeuretserrantlesbrasautourdesataille.Kayden se gare devant le café oùSeth etmoimangeons nos crêpes tous lesmatins. Les guirlandes

vertesetrougesclignotentderrièrelavitrine.L’odeurdesaucisseetdecafém’ouvrel’appétit.—Est-cequeçava?medemande-t-ilenjetantunœilpar-dessussonépaule.Je hoche la tête,mais je ne bouge pas. J’ai peur queKayden nem’échappe, qu’il ne disparaisse à

nouveau.—Callie?Çava?Jeretirelesbrasdesataille.—Oui,toutvabien.—Tuasl’airgelée.Je touchemes joues.Elles sont aussi engourdies quemes doigts.Kaydendescendde lamoto.Mon

portablevibredansmapoche.

Seth:Onarrive.Ons’estarrêtésausupermarché.Moi:Pourquoifaire?Seth:Destrucs.Moi:Toutvabien?

Seth:Oui.Onvoulaitjustevouslaissertranquillesdeuxminutes.Moi:Vousenavezpourcombiendetemps?Seth:Paslongtemps,Callie.Etsouviens-toiduchatsauvage.

—Quelchatsauvage?Kaydenestentraindeliremesmessagespar-dessusmonépaule.Jerangeleportabledansmapoche.—Cen’estrien.Sethditn’importequoi.—Sethdittoujoursn’importequoi.Ilm’aideàdescendredelamoto.—Jesais.C’estpourçaquejel’adore.Je lui tends lamain. Ilhésiteun instant,puisentremêlesesdoigtset lesmiens.Nousnousdirigeons

versl’entréeducafé.UnstickerenformedePèreNoëlestcolléàlavitre.Lorsquelaporteserefermederrièrenous,jeréaliseàquelpointj’avaisfroid.Nouschoisissonsunebanquetteisolée,àl’abridesregardsindiscrets.DeschantsdeNoëls’échappent

deshaut-parleursetdesbougiesblanchesetargentéesornentchaquetable.C’estl’époquedel’annéeoùlesgenssontheureuxetsaupoudrentleurviedemagie.Parfois,j’aimeraisqu’ilsenpartagentunpeuavecnous.Jem’assoisetj’enlèvelemanteaudeSethetlemien.JesuisdéçuequeKaydens’installeenfacede

moi et pas à côté,mais jeme rappelle ce quem’a dit Seth : Kayden est un chat sauvage.Àmoi del’apprivoiser.Ilattrapelasalièreetlafaittournerdanssamain.Jenesaispasquoidire.J’attrapeunmenuàcôtédu

tasdeserviettesetjefaissemblantdelelire.C’estJenna,laserveusequiadraguéSeth,quiprendnotrecommande.Ellemelanceunregardnoir.

Elledoitpenserque jecollectionne lesmecs.Elleétaitau lycéeavecmoi.C’étaituneamiedeDaisyMcMillian.—Salut,Kayden.Illèvelatêteetlâchelasalière.—Salut,Jenna.Elleposeunemainsursonbras.—Commentvas-tu?Ilparaîtquetuaseuunaccidentdevoiture.Kaydenlèvelesyeuxauciel.—Ilparaît,oui.Ilattrapeunmenuetjedétaillelalistedesboissonspendantqu’ilsdiscutentdulycée.Elleluiditque

lesmatchsetlesfêtesnesontpluslesmêmesdepuisqu’ilestparti.Kaydensouritdetempsentempsetcelamebriselecœur,parcequ’ilm’aàpeineadressélaparoledepuistoutàl’heure.Jennamordilleleboutdesonstylo.—Tuluimanquesbeaucoup,tusais.Ellefaitunebulleroseavecsonchewing-gumenmejaugeantducoindel’œil.Kaydenal’airconfus.

—Dequituparles?—DeDaisy.Jem’enfoncedanslabanquette.J’aimeraisêtreinvisible.Kayden,lui,seconcentresursonmenu.—Jevaisprendredescrêpes,s’ilteplaît.—Moiaussi,dis-jeenmeredressant.Avecuncafé.Ellegrimaceenprenantmacommande,puiselleoffreungrandsourireàKayden.—Tuveuxboirequelquechose?—Lamêmechose.Ilfermelemenu.Ellesedirigeverslebarenmefusillantduregard.JemefocalisesurKayden.Jenna

etDaisyn’ontpasd’importance.—Ilfautqu’onparle,Callie.Maisjenesaispascommentm’yprendre.—Pourquoi?Ilpasseunemaindanssescheveux.—Parcequec’est toiquim’asretrouvédanslacuisine.Jenevoulaispasquetumevoiesdanscet

état.Jeprendsmontempsavantderépondre.Jesaisqu’ilfautquejechoisissemesmotsavecprudence:—Jamaisjenetejugerai.Jetel’aidéjàditmillefois,etjelepensevraiment.Ilmelanceunregardtriste.—Jeneparlepasdemoi,Callie.Jeparledetoi.Tuméritesmieuxqueça.Mieuxquemoi.Ilretroussesesmanchesetpasseundoigtlelongdesonavant-bras.—Jenesuispasd’accord.Toietmoi,onseressemble.—Non.Toi, tuesbelle,unique,ettusouffresàcausedequelqu’und’autre.Moi,jemefaissouffrir

toutseul…—Non,Kayden!C’esttonpèrequit’afaitdumal.Ilfixelatable.—Jemesuiscoupé,cesoir-là.Toutescescicatrices…cesontlesmiennes.—Toutes?Tuenessûr?Ilnerépondpas.Sesmâchoiressecrispent.Jeglisseunemainsurlatable,lentement,pournepaslui

fairepeur,etjerecouvrelasienne.—Cen’estpastafaute.C’estlamienne.Toutacommencéàcausedemoi.—Tuastort,Callie.Tun’escoupablederien.Etjamaisjeneregretteraicequej’aifaitàCaleb.Est-

cequetum’enveuxdel’avoirfrappé?—Non…J’auraisjusteaiméquecesoitquelqu’und’autrequis’encharge.J’aileslarmesauxyeux,maisjelesretiensparcequecen’estnil’endroitnilemomentdepleurer.—Jesuisdésolée,Kayden.Désoléedet’avoirentraînédanscettegalère.—Tun’aspasàt’excuser.C’estmoiquisuisdésolé.Je…Jen’imaginemêmepascequetuasressenti

quandtum’asvudanscetétat.

—Je…J’aicruquetuétaismort.Ondiraitqu’ilestsurlepointd’éclaterensanglots,etjen’ensuispasloinnonplus.J’aienviedele

prendredansmesbras.J’aienviequ’ilmeprennedanslessiens.Ennousaccrochantl’unàl’autre,nousnousensortironspeut-être.Ilselèved’uncoup,etjenesaispasquoidireniquoifaire.—Ilfautquej’yaille,Callie.C’estmieuxpourtoi.Jeneteméritepas.Àpeineest-il ànouveauentrédansmaviequ’il endisparaîtdéjà. Je le suisdu regard tandisqu’il

slalome entre les tables. Il sort du café et me laisse toute seule. J’aimerais qu’il sache que je lecomprends,etqu’ilmérited’êtreheureux.Jemelèveetjetraverselecaféencourant.Toutlemondemeregardecommesij’étaisfolle,maisjem’enfiche.Jepousselaporteetjeluicoursaprèsdanslaneige.Ilestsurlepointdemontersursamoto.—Attends,Kayden!Ilfautquejetedisequelquechose.—Quoi?—Parfois,je…jemefaisvomir.Pasparcequejemetrouvegrosse,maisparcequej’aibesoindeme

viderdesémotionsquimerongentdel’intérieur.Jevoismon reflet dans sesyeuxverts. Jepensequ’il comprend. Il comprendquenous sommes les

mêmes,touslesdeux.Deuxpersonnesblessées,brisées.Deuxpersonnesquiessaientdesurvivremalgréleurstraumatismes.Je sens la chaleur qui émane de son corps. Jememets sur la pointe des pieds, j’enroulemes bras

autourdesoncouetjel’attirecontremoi,enpriantpourqu’ilmeserrecontrelui.Sontorsesegonfleetsedégonfle.Sesbraspendentlelongdesoncorps.Jesuissurlepointd’éclater

ensanglotsquandillespasseautourdemataille.Ils’agrippeàmoietmeredonneespoir.Ilenfouitsonvisagedansmescheveux. Il semet àneiger.Nous sommes figésdansunmomentqueni luinimoinevoulonsbriser.—Depuisquand?Sonsoufflemeréchauffelajoue.Jefermelesyeux.—DepuisCaleb.—Jesuisdésolé,Callie.—Cen’estpastafaute.Jeluicaresseledos.—Ettoi?—J’aicommencéquandj’avaisdouzeans.Jeme blottis contre lui.Avec un peu d’efforts, nous ne deviendrons qu’un et nous partagerons nos

douleursaulieudelesporterchacundenotrecôté.

Kayden

Je suis choqué par sa confession. Au départ, je ne comprends pas. Elle se fait vomir. Puis ellem’expliquepourquoiet jecomprends tout.Noussommesfaits l’unpour l’autre,maisc’està la foisunbienetunmal.Quinoussauveraquandniellenimoin’enauronslaforce?

J’aimeraisresterlàtoutemavie,avecCalliedansmesbras,maisjemeursdefroid.Jeluiproposederetournerauchaud.Ellelèvelatête.Sescheveuxtombentenarrière.Jeglisseunemèchederrièresonoreille.—Jepréfèreallerailleurs,répond-elle.—Commetuveux.Jevaisrécupérertesmanteaux.AppelleSeth.Jeneveuxpasqueturemontessur

cettemoto.—Ettoi?—Jemettrailamotoàl’arrièreduquatre-quatreetonirafaireuntourensemble.—Où?Ellemesourit.Jecaressesalèvreduboutdudoigt.—Oùtuveux,Callie.Ellesemetsurlapointedespiedsetdéposeunbaisersurmajoue.—Etsionallaitàlaplage?—Àlaplage?Ellemeprendparlamain.—Jet’expliqueraiquandSethetLukeserontlà.Jenesaispascequ’ellemanigance,maisellemefaitunpeupeur.J’avaisl’intentiondeprendremes

distances,maisCallieestlà,enfacedemoi,etellemecomprendmieuxquequiconque.Jenesuispasprêtàluitournerledos.Pasencore.—OK.Jereviens.Ellesortsonportabledesapocheetjeretournedanslecafé.J’aimeraisdisparaîtreloind’ici,loinde

laneige,loindecetteville,loindemesparents,loindemavie.Jerécupèrelesmanteauxetj’ignoreJennaenmedirigeantverslasortie.Jesuissoulagéquandlaporte

serefermederrièremoi.JennaestuneamiedeDaisy,et jeneveuxpasqu’ellesachequejesuisavecCallie.Jemarchejusqu’àlamoto.Callieessaiedelapousserpourlamettreàl’abridelaneige.Elleales

mainsposéessurleguidonetellen’arrivepasàlafairebouger.C’estplusfortquemoi:j’éclatederire.Jen’aipasridepuistroplongtemps.Jemeplantederrièreelleetposelesmainssurlessiennes.—Qu’est-cequetufabriques?Tuvastefairemal.—J’ailuquelquepartquelesmotosn’aimaientpaslaneige.Jeposeleslèvressursonfrontetjerestelàunlongmoment,savourantlecontactdemapeaucontrela

sienne.—Oùest-cequetuasluuntrucpareil?—Jenesaisplus.Dansunmagazine.JeluitendssonmanteauetceluideSeth.Elleenfilelesienetgardel’autresursonavant-bras.J’aimal

àlabouche.Jen’aiplusl’habitudedesourire.Jeposemesmainssursataillepourl’attirercontremoi.Jene laquittepasdesyeuxen remontant la fermetureéclair jusqu’àsonmenton.Sonsouffle formeunnuagedevapeur.Jefermelesyeuxetj’inhalesonodeur.Ellem’atellementmanqué…J’ail’impressiond’êtredansunrêve.

—SethetLukesontenroute,murmure-t-ellecontremoncou.Jedevraisfuiravantqu’ilnesoittroptard.Unjouroul’autre,ilfaudraquejelaquitte.Jenesensplus

mes doigts, nimes bras, ni les battements demon cœur. Je suis désarmé, impuissant. Je faismine detremblerdefroidmais,envérité,c’estledésespoirquimeronge.

Callie

JesensqueKaydenaenviedemeprendredanssesbras,maisj’ail’impressionqu’ilseretientdemetoucher. Il faut vraiment que nous prenions le temps de discuter. J’ai besoin de comprendre ce qui sepassedanssatête,cequ’ilveut,etilfautqu’ilsachecequejeveuxmoi.Quelquesheuresplus tard,nous sommes tous serrés sur labanquetteavantde lavoituredeLuke. Il

s’estgarésurleparkingdusupermarchéetillaisselemoteurtournerpourquenousn’ayonspasfroid.Lanuitestentraindetomber.Lesfloconsdansentàlalueurdeslampadaires.Lesmaisonssontdécoréesdeguirlandes,desucresd’orgegéantsetdecouronnesdeNoël.Jesuisassisesur lesgenouxdeKayden, ledosappuyécontrelaportière.SethetLukeviennenttout

justedeluiproposerdenousaccompagnerenCalifornie.—QuandCalliem’aparlédeplage,jepensaisqu’elleplaisantait.Sethtendunbraspourjeterlescendresdesacigaretteparlavitreentrouverte.—Nemeditespasquejesuisleseulàêtreexcitéàl’idéedepartirausoleil?Ilneigetoutletemps,

ici.Çan’apasarrêtédepuisnotrearrivée.—Jet’avaisprévenu,Seth.Ici,ilneigededécembreàavril.Kaydenpasseunemaindansmescheveux.Jefermelesyeuxetsoupiredeplaisir.—Est-cequetuveuxveniravecnous?—ÀSanDiego?—Oui.Ilal’airhésitant.—Jenepeuxpas,Callie.—Pourquoi?

—J’aidestrucsàfaire.—Tun’asqu’àlesfaireàlaplage,insisteSeth.Aveccettejoliefilleàtescôtés.—J’aiunrendez-vouslundimatin.C’estimportant.—Onpeutrevenirdimanche,luiditLukeendésembuantlepare-brise.Quatrejoursdevacances,c’est

déjàbien.Je croise le regard deKayden et j’y vois quelque chose qui neme plaît pas. Il y a un truc qui le

tracasse.Jelesens.—Tun’espasobligé,Kayden.Ilpasseundoigtsurmeslèvres.—Est-cequetuveuxyaller,toi?—Seulementsituenasenvie.Tuasledroitdeprendredesvacances,Kayden.Riennipersonnenete

l’interdit.—Tuasraison.Allons-y.Lukepousseunsoupirdesoulagement.Sethadumalàcontenirsonexcitation.Ilfrappedanssesmains

ettapedupiedparterre.—Super!Lukeactionnelesessuie-glaces,etlaneigequis’estamasséesurlepare-brisedisparaîtpeuàpeu.—Ilfautqu’onaillecherchernosaffaires.—Pasmoi,ditKayden.Jem’achèteraidesfringueslà-bas.Personnenelecontredit.Noussavonstousqu’ilneveutpasretournerchezsesparents.Lukejetteun

œilverslamotoqu’ilsontmiseàl’arrière.Elleestrecouverted’unduvetdeneige.—Ettamoto?Qu’est-cequ’onenfait?Kaydenhausselesépaules.—Onpeutl’embarqueravecnous,oulagarerquelquepartjusqu’ànotreretour.Ilposeunemainsurmahancheetcaresse lapeauentremon jeanetmon tee-shirt.Lukedesserre le

freinàmain,passelapremièreetsortduparking.—Onl’embarque,décide-t-ilàlaplacedeKayden.Etvous?Vousêtescertainsdevouloirrécupérer

vosaffaires?—Biensûr!répondSeth.Jenevaisnullepartsansmonsac.Luke lève lesyeuxauciel.Jeregarde lesmaisonsdéfilerderrière lavitre.J’espèreque j’aipris la

bonnedécisionetquecevoyageaideraKayden.Toutcequimeresteàfaire,c’estprierpourquetoutsepassebien.Ilfautquejegardeespoir.

*

Lukesegaredevantchezmoi.J’angoissedèsl’instantoùSethetmoisortonsdelavoiture.Ilyaquatre

personnesdanslacuisine.Jelesvoisparlafenêtre:mamère,monpère,JacksonetCaleb.Mamèreestentraindelesservir,monpèreparleavecsesmainsetCalebetmonfrèresemoquentdelui.J’accélèrelepasenremontantl’allée.C’estlecalmeavantlatempête.Jelesens.Commel’odeurdela

pluieavantuneaversed’été.—Qu’est-cequ’ilya?s’inquièteSeth.Je l’attrape par le bras et je le traîne jusqu’au garage. Nous montons l’escalier, entrons dans ma

chambre,etjeclaquelaportederrièremoi.—Ilfautqu’ons’enaille.Toutdesuite.Seth récupère sesaffairesdans la salledebains. Jemeprécipite surmonsacet j’enfoncemes tee-

shirtsetmesjeanssansprendrelapeinedelesplier.—Qu’est-cequit’arrive,Callie?—Rien.Jen’arrivemêmepasàparler.Sethsortdelasalledebainsenfermantsatroussedetoilette.Illapose

surlelit.—Dis-moicequisepasse.—Ilyaquelqu’undanslamaison.—Jesais.J’aivutesparents.Jejettemonsacsurmonépauleetj’ouvrelaporte.Sethmeregardecommesij’étaisfolle.—Est-cequetuasprévuunshortetdessandales?Ilvafairechaud,là-bas.Etilyauradusable.—Jem’enfiche.Dépêche-toi,Seth.Illèvelesyeuxauciel.—OK,maistumedoisdesexplications.Ilsortdelachambre.J’éteinslalumière,jefermelaporteetjelesuisdansl’escalierentraînantmon

sac.Ilesttroplourd.J’auraisdûlaisserunepartiedemesaffaires,maisjen’aipaseuletempsdelestrier.J’aipeurqueCaleb,monfrèreoumamèresortentdelamaison.Jemarcheàtoutevitesseenlongeantlemurdusalon,maisSethmerattrapeparlecoude.Nousnous

arrêtonsdevantlaportevitrée.—Tuneprévienspastamère?—Non.—Tuenessûre?Ellevasefairedusoucipourtoi.—Peuimporte.Jejetteunœilparlafenêtre.Calebselèvedetableetsortdelacuisine.Jemesensaussifragileque

lesfloconsquitombentduciel.—Qu’est-cequ’ilya,Callie?Pourquoitutrembles?Laportes’ouvre.Lalumièredusaloninondelapénombreets’éteintcommeuneflammelorsqueCaleb

ensort,unsac-poubelleàlamain.Ilessaiesûrementdeséduiremamèreenluirendantservice.Pourquoiest-elleaussiaveugle?Il n’a pas l’air surpris de me voir. Il ferme la porte derrière lui pour s’assurer que ma famille

n’entendrapascequ’ilaàmedire.Sespiedss’enfoncentdanslaneige.—Qu’est-cequetufouslà?IltournelatêteversSeth.—Tu as déjà changé demec ?C’est bien. Il était temps que tu plaques l’enfoiré quim’a cassé la

gueule.Seth écarquille les yeux. Il comprend enfin de qui il s’agit. Il serre les doigts autour demon bras.

Calebsecontentedesourire.Ilalesyeuxnoirscommelecharbonetlevisagecachésousl’ombredesacapuche.Jemedemandecommentilfaitpourvivresansremords.J’ail’impressionqu’ilprendplaisiràmetorturer.Ilavanced’unpasversmoi.—Tupourraisaumoinsmeleprésenter…—Nelatouchepas!hurleSeth.Ilmetireparlebrasetj’essaiedelesuivre.Mesjambessedérobentsousmonpoids.Jen’arrêtepas

detrébucher.Calebnoussuitduregardensouriant.J’aimeraisavoirlaforceetlecouragedel’insulter,decrier,deluimettremonpoingdanslafigure,maisrienn’yfait:quandCalebestlà,jeredeviensunepetitefille.Cellequ’iladétruite.Nous remontons l’allée en direction du quatre-quatre. Des larmes dévalent mes joues. Je me sens

faible.J’aimeraism’écraserdanslaneigeetfondreaveclesflocons.—Callie.LavoixdeKaydenmeramèneàlaréalité.J’aidesproblèmesplusurgents,plusimportantsàrégler.Il

fautque je l’éloignedeCaleb. Il fautque j’évite lepire.Sethmerelâche.Kaydenestplantédevant lavoiture,lesbrascroisés.Cen’estpasmoiqu’ilregarde,c’estCaleb.Jecoursjusqu’àlui,maisilm’esquiveetsedirigeverslamaisond’unpasdéterminé.Jelâchemonsac

et jemejettesur luipour leretenir,enenroulantmesbrasautourdesoncou.Touslesmusclesdesoncorpssecontractent.Jeserrelesjambesautourdesatailleetjem’accrocheàluicommeunesangsue.Ilfautquejel’empêchedecommettrel’irréparable.—Lâche-moi,Callie.—Non!Retournedanslavoiture.S’ilteplaît.Ilsecouelatête.Sescheveuxcaressentmesjoues.—Callie…Jenepeuxpas.—Si,tupeux.Pourmoi,Kayden.Fais-lepourmoi.Jeblottismonvisagecontresoncou.J’aitrouvélesmotsmagiques.Ilfaitdemi-tour.Trèslentement.

Jusqu’àcequelavoixdeCalebsurgissedel’obscurité:—Tuestoujourslà,toi?Tumedéçois,Callie.Maisjemedoutaisquetun’étaisqu’unesalope.JesenslarageémanerdeKayden.—Non!S’ilteplaît…Laisse-leparler.J’aibesoindetoi.J’aibesoindetoi,Kayden.Jefermelesyeux.Uneportièregrince.C’estlavoixdeLukequej’entendsenpremier:—Dégage,Caleb!Dégageavantqu’ontemetteuneraclée.Calebéclatederire.

—Encoredesmenaces!Voussavezquoi?J’aichangéd’avis.J’aidécidédeporterplainte.Tuvasfinirenprison,Kayden.C’esttoutcequetumérites.JesenslapoitrinedeKaydensegonfleretsedégonfler.Laported’entrées’ouvreetmamèresortdela

maison.—Callie!Reviensicitoutdesuite.Tudevraisêtreavectafamille,pasaveclui!Savoixrésonnedanstoutlequartier.Unchiensemetàaboyer.Ce quemamère ne comprend pas, c’est que je suis déjàavecma famille. Je lâche les épaules de

Kaydenetjeleregardedroitdanslesyeux.—Emmène-moiloind’ici.S’ilteplaît.Jen’yarriveraipassanstoi.Lacolères’estompedanssonregard.Noscœursbattentàl’unisson.C’esttoutcequicompte.Luiet

moi, à l’abri des coups et des insultes. Il recule vers la voiture et ouvre la portière. Ilmonte sur labanquettesansmequitterdesyeux.Jem’installesursesgenoux.SethetLukenousrejoignentàl’intérieur.Les cris les suivent jusquedans la voiture,mais le bruit du chauffage et de la radio les étouffe.Lukedémarreetfaitmarchearrièredansl’allée.Tout à coup, je réalise que je ne suis pas toute seule. J’ai trois personnes qui m’aiment et me

soutiennent.Unjour,jelesprendraitousdansmesbraspourlesremercier.Kaydenmecaresselescheveux.Jesenssoncœurbattrecontremoi.Ilm’embrassesurlefrontetme

répètequetoutvas’arranger.Jenesaispassic’estmoiqu’ilessaiedeconvaincre,oului-même.Luke fait demi-tour dans la rue et je jette unœil derrière nous.Mamère est plantée aumilieu de

l’allée,souslaneige,sansmanteaunichaussures.Monpèreestdeboutsurlesmarches.Ilporteunjeanetsonpullpréféré.QuantàCaleb,iladisparu.J’aimeraisqu’ildisparaissepourdebon.

Kayden

Calliesefaitdusoucipourmoi.Elleapeurdecevoyage.Ellepensequejevaiscraquer.Cequ’elleignore,c’estque lesseulsmomentsoù jenemesenspascomplètementbrisé,c’estquand jesuisavecelle.Luke et moi attendons que Callie et Seth sortent du garage. Luke allume une cigarette. Il aspire et

crachelafuméeparlavitreentrouverte.—J’aiunequestionàteposer,Kayden.Jefixelegarageetl’alléeenneigéedevantnous.—Jet’enprie.Iljettesonpaquetdecigarettessurletableaudebordets’enfoncedanssonsiège.—Est-cequeçaenvalaitlapeine?—DefrapperCaleb?—Oui.La lumière est allumée dans la chambre deCallie. Je les vois remplir leurs sacs par la fenêtre. Je

repenseàcequeCallieetmoiavonsvéculadernièrefoisquenousétionsdanssachambre,etàcequej’airessentiquandj’étaisenelle.

—Oui,çaenvalaitlapeine.Lukeaspireuneboufféedecigarette.Lescendresgrisesdeviennentorange.—Commenttutesens,mec?—Bien.—Situasbesoindeparler,jesuislà.—Jesais.Jetejurequeçava.C’est laconversationlaplusprofondequenousayonseuedepuislesuicided’Amy,sagrandesœur.

Peudetempsaprès,Lukeaéclatéensanglotsdevantmoi.Ilpensaitqu’elleétaitmorteàcausedelui.Jepensequ’ils’enveutencore.CallieetSethsortentenfindugarage,maismonsoulagementestdecourtedurée : laportedusalon

s’ouvre…etc’estCalebquiapparaît.—Qu’est-cequ’ilfoutlà?murmureLuke.Jesorsdelavoiture.Lesémotionsdecettenuit-làmeconsumentànouveau.Jeserrelespoings,prêtà

ledétruirepourdebon.Caleb tourne la têteversmoi. Ilmedéfieduregard.Jecommenceà remonterl’alléequandCalliesejettesurmoi.Ellemesuppliedele laisser tranquille.Pourelle.MaisCaleblatraitedesalope,etj’aienviedeletuer.Jelesens.Jesuiscommepossédé.Calliemeregardedroitdanslesyeuxetprononcedesmotsquejen’oublieraijamais:—Jen’yarriveraipassanstoi.Ellemeserrecontreellecommesi savieendépendait.Et jecomprends. Jen’aipas ledroitde le

toucherparcequejeferaisdumalàCallie,peut-êtremêmeplusàellequ’àCaleb.Jefaisdemi-touretmontedanslequatre-quatre,m’agrippantàellepournepassombrerdanslesténèbres.

*

Pendant le trajet, tout lemonde est silencieux. Callie a blotti sa tête contremon épaule et ellemecaresselepoignet,lelongdemescicatrices.Celamemetmalàl’aise,maisjelalaissefaire.Sielleabesoindemetoucher,qu’ellemetouche.Sonportablen’arrêtepasde sonner :HateMe deBlueOctober.Elle finit par l’éteindre.Quelques

minutesplustard,elles’endortcontremoi.Lukeconduit lamoitiédelanuit. Ilestpresséd’arriver.Je luiproposedeprendrelerelais,mais il

refuse. Une chanson de Chevelle passe à la radio. Plus nous approchons de l’océan, plus les nuagesdisparaissentetpluslesétoilessontvisibles.J’aimeraisdevenirquelqu’und’autre.Quelqu’unquine semutilepas, quipréfère les émotions à la

douleur,quimérited’avoirCalliedanssesbras.Elleaunemainsurmongenouetl’autresursapoitrine.Sescheveuxrecouvrentsonvisage.Jesaisqu’ilesttempsdetoutluiavouer,deluiracontercequis’estpassé ce soir-là,mais je ne sais pas comment elle réagira. Elle-même a eu dumal àme confier sonsecret,etc’estcequim’apousséàfrapperCaleb.Maisjeneregretterien.Jamaisjeneleregretterai.

*

—Debout,beauté!Quelquechosemecogne la tête. Jesursauteet j’ouvre lesyeux.Lesoleilm’éblouit.Laportièreest

ouverteetLukeestàcôtédemoi,lesourirejusqu’auxoreilles.—J’aicruquetuneteréveilleraisjamais.Jeregardelesacqu’ilm’ajetédessus,puisl’étenduedesableetd’eaudevantmoi.Cen’estpaslapremièrefoisquejevoisl’océan.Ilarrivaitàmesparentsdenousemmeneràlaplage

àl’époqueoùilsavaientencoreenviedejoueràlafamilleparfaite.Tousnosséjourssesontmalpassés,etnousrentrionstoujoursplustôtqueprévu.Jesorsduquatre-quatreenbâillantetenm’étirant.—Onestarrivésdepuislongtemps?—Seulementdixminutes.Calliem’aditdetelaisserdormir.J’airefusé.Ilattrapesonsacet ferme laportière. Je suiscontentqu’ilme traitecommeavantetpascommeun

malade.—Merci,mec.Illèvelessourcilsenfaisantletourdelavoiture.—Derien.LamaisonappartientaupèredeLuke.C’est toutceque jesais.Ceque j’ignore,c’estcommentson

pèreapul’acheteralorsqu’iln’ajamaiseulesmoyensdepayerlesfraisdescolaritédesonfils.J’aidéjàposélaquestionàLuke.Ilm’aréponduparunhaussementd’épaules.Iln’ajamaisaiméparlerdesonpère,mêmeavantledivorcedesesparents.Jenel’airencontréqu’unefois,quandj’avaissixans.Ilétaitbizarre.Ilnesavaitpascomments’yprendreavecLuke.Unesemaineplustard,ilafaitsavaliseetilestparti.Jemarchejusqu’àl’entréedelamaison.Lebruitdesvaguessemêleàlamusiquequis’échappedu

salonetauriredeCallie.Lukeouvrelamoustiquaireetpousselaporte.— Seth et Callie se sont déjà installés dans une des deux chambres. Ne compte pas surmoi pour

partagerl’autreavectoi.Iln’yaqu’unlit.—Jedormiraisurlecanapé.—Cool.Aufond,j’aimeraisdormiravecCallie,passerlanuitdanssesbras,maisjesaisqueniellenimoine

sommesprêts.Luketraverselacuisineetdisparaîtdanslecouloir,sonsacsurl’épaule.Unbarséparelacuisinedu

salon.Jem’assoissuruntabouretetjeregardel’océanparlafenêtre.Quandj’étaispetit,j’étaisfascinéparlamer,parlemouvementdesvaguesetlesempreintesqu’elleslaissaientsurlesable.J’aimaislessentirs’écrasercontremespieds.Unpasenavantetellesm’emporteraientavecelles,loindetout…—Kayden?LavoixdeCalliemetiredemarêverie.Jesenssachaleurcontremondos.Elleposeunemainsurmon

épaule.Ellealesdoigtsquitremblent.

—Çava?Jeme souviens du jour où je l’ai embrassée pour la première fois.C’était à une fête foraine. Elle

tremblaitd’excitationetj’avaisressentiunmélangedeplaisiretdefrustration.Elleéveillaitenmoidesémotionsquejen’étaispasencoreprêtàaffronter.Jemetourneverselleenmeforçantàsourire.Jemelèveetjeprendssamaindanslamienne.—Excuse-moi.J’avaislatêteailleurs.—Est-cequeturepensaisàcequis’estpasséhiersoir?Avec…Ellen’arrivepasàprononcersonnom.Ellepenchelatêtesurlecôtéetunemèchebrunetombedevant

sesyeux.Jelaglissederrièresonoreilleeneffleurantsajoue.—Non.Jemerappelaisladernièrefoisquej’aivul’océan.—Quelâgeavais-tu?—Douzeans.J’écartemamaindesonvisage.—Qu’est-cequetuaimeraisfaire,aujourd’hui?Jesaisquemaquestionestridicule,maisCalliemesouritetentredansmonjeu.—Onpensaitsepromenerenville.Ilfauttetrouverdeshabits.S’ilyabienunechosequinemetentepas,c’estdefairedushopping.Jepousseunsoupir.—OK,Callie.Allonsenville.

Callie

Nous remontons une rue animée deSanDiego, bordée d’immeubles et de boutiques aux devanturesmulticolores.Toutlemondeportedesvêtementsd’été.Jenemesenspasàmaplaceavecmachemisebleue, mon jean et mes Converse. Elles ne sont pas faites pour marcher dans le sable ni pour cettechaleur,etjeregrettedenepasavoiremportédessandales.Sethavaitraison.Jeregardeparterreenslalomantsurletrottoirbondé.Jenesuisjamaisàl’aisedanslafoule.J’aibeau

esquiverlesgens,onfinittoujoursparmecogneretmetoucher.Àforcederecevoirdescoupsd’épauleetdecoude,jedécouvrequecelamedérangemoinsqu’avant.—Jet’avaisprévenue,murmureSethàmonoreille.Jelèvelatêteverslui.Ilmesourit.Sesyeuxsontcachésderrièreseslunettesdesoleilargentées.Il

porteuntee-shirtrouge,unjeanetdessandales.—Dequoituparles?—Jesavaisqueturegretteraisdenepasavoiremportédesandales.Nousmarchonsbrasdessus,brasdessous,commedeuxamisnormauxquisepromènentenville.Sauf

quenousn’avonsriendenormal,etilmelerappellebienassezvite.—Est-cequetuveuxqu’ondiscutedecequis’estpassé?—Non.Jeregardelesvitrinespourmechangerlesidées.J’essaiedenepaspenseràCaleb,auxchosesqu’il

m’adites,àcequej’airessenti.J’essaied’oublierquemamèrem’aappeléeetm’aenvoyédescentaines

demessages.Jerefusedelesécouteretdeleslire.—Jevaisbien,Seth.Lesoleilmeremontelemoral.Ilmefaitungrandsourire.—Tantmieux.Mais,situasbesoindeparler…—Jeviendraitevoir.Promis.Sonportablesonneetill’éteintsansprendrelapeinederegarderl’écran.Nousesquivonsunhomme

déguiséentacoquidistribuedestractsroses.KaydenetLukemarchentdevantnous.Lukematetouteslesfillesqu’ilcroise,s’attardantsurcellesquiportentdesrobesmoulantes.—Jenecomprendspascommentlesfillesosentsortircommeça,dis-jeengrimaçant.—Commequoi?—Commeça.Regarde-les!Sethéclatederire.—Tudevraisprendreexemplesurelles.J’inspectelesfillesautourdemoi.Ellesnesontninuesnienmaillotdebain,maisellesportenttoutes

desrobescourtes.Ellesmemettentmalàl’aise.JerepenseàCaleb,quim’atraitéedesalope.Jesaisquecelanedevraitpasmetoucher,maisc’estplusfortquemoi.—Jamaisjenemettraiderobes.—Biensûrquesi,Callie.Unjour,tutesentirasbiendanstapeau.Crois-moi.—Çam’étonnerait.Ilbalaielafouleduregardetmontredudoigtunegrandeblondequiporteuneroberoseetblanc.Ses

longscheveuxdansentdanslevent.—Qu’est-cequetupensesdecelle-ci?Jesecouelatêteetjemeconcentresurl’odeurdel’océanpourmecalmer.—Jamaisdelavie.—Pourquoipas?—Ladernièrefoisquej’aiportéunerobe,j’avais…j’avaisdouzeans.Unevaguedehontemesubmerge.Jebaisselatête.Marobeétaitroseavecdesfleurs.—Jesuisdésolé,Callie.Jen’yavaispaspensé.Ilposeundoigtsousmonmentonpourmeforceràleregarderdanslesyeux.—Cen’estpasgrave.Tunepouvaispaslesavoir.Noustraversonsunpetitpontenarche.Sethneditrienpendantquelquesminutes.—Etsituessayaisd’enporterune?—Unerobe?Ilmedéfieduregard.Sesmèchesblondesscintillentausoleil.—J’aimeraisquetuaillesdel’avant,Callie.—C’estcequejesuisentraindefaire,dis-jeenmontrantlaruedudoigt.—Arrêtedeplaisanter!Tusaistrèsbienoùjeveuxenvenir.

Jepousseunsoupirdefrustration.—Detoutefaçon,jen’aipasderobe.Ilsemetàsautillerdejoie.—Raisondeplus!Jevaist’enoffrirune.Je jetteunœil vers lesvitrines rempliesdemannequins àmoitiénus.Nous croisonsunhommequi

porteunshorthawaïen,unmarceletunbonnetdePèreNoël.Ildiscuteavecunefemmeenrobecourte.—Jenepeuxpas.Jen’ensuispascapable.Sethmedonneuncoupdecoude.—Allez,Callie.Çanecoûteriend’essayer.Ilmetireparlebrasetnoustraversonslarue.Nousnousdirigeonsversuneboutiqueroseavecdes

margueritespeintessurlavitrineetunportantsurletrottoir.—Onenchoisituneensemble.Commeça,situt’ensensunjourcapable,iltesuffiradel’enfiler.—Etsiçan’arrivejamais?—Tantpis.Onauraeuleplaisirdet’acheterunerobe.KaydenetLukesesontarrêtésdel’autrecôtédelarue.—Qu’est-cequevousfaites?hurleLuke.Kaydennousregarded’unairinquiet,commes’ilpensaitquec’estluiquenousfuyons.Ilporteunjean

etuntee-shirtnoirmoulant.Safrangeluitombedevantlesyeuxetsescheveuxrebiquentsursesoreillesetsoncou.Ilnes’esttoujourspasrasé.—Allez-y!dis-jeenleurfaisantsignedelamain.Onvousrejointplustard.Lukea l’airsurpris,mais il repartavecKaydenderrière lui.Je trébuchesur le trottoirensabléet je

m’agrippeàSethpournepastomber.—Onvaenprofiterpourt’acheterdessandales.—Bonneidée.Nous inspectons les robesaccrochéesauportant,mais aucuneneplaît àSeth.Nousentronsdans la

boutique.Lavendeuseestentraindelireunmagazinederrièrelacaisse.Ellelèvelatêteuninstantavantdereprendresalecture.Seths’évented’unemain.—Ilfaittropchaud,ici.—Tudisçaparcequ’onvientdequitterlarégionlaplusfroidedumonde.—Dumonde?Tuexagères…—D’accord.Dupays.Il éclate de rire et se jette sur un portant.Chaque fois que Sethmemontre une robe, je décline sa

proposition.Ellesnesontpasmoches.Jen’aijustepasenviedelesporter.Jeveuxgardermesvêtements,restercouvertede la têteauxchevilles.J’aipeurdeporterunerobeparceque je refusederevenirenarrière,derevivrecejour-là.Jemedirigeverslerayondessandalesetj’enchoisisunepairevioletteavecdesstrass.Jevérifiela

pointure.C’estmataille.Sethseplantedevantmoi,lesmainscroiséesdansledos.Ilaunesucettedans

labouche.Jemedemanded’oùillasort.—Jepensequej’aitrouvélarobequ’iltefaut.Avantquejetelamontre,ilvafalloirquetulibères

tonesprit.—Monesprit?Ilenlèvelasucettedesabouche.Seslèvresetsesdentssonttachéesderouge.—Fermelesyeuxetfaislevide,Callie.Oublietespréjugésettesémotions.Tuvasl’adorer.Jetele

promets.Laboutiqueestvide,à l’exceptionde lavendeusequiest toujoursabsorbéeparsonmagazine.Tant

mieux.Sinon,jemesentiraisridicule.Jefermelesyeux,j’inspireparlenezetj’expirelonguementparlabouche.—OK.J’essaiedefairelevide.Sethmepincelebras.—N’essaiepas.Faislevide.PenseàKayden.J’ouvreunœil.—Cen’estpasçaquivam’aider.Ilremetsasucettedanslabouche.—Jet’assurequesi.J’imagineKaydenetsesbeauxyeuxverts.Sonsourire.Seslèvres.Cesontseslèvresquejepréfère.Setharaison.Celafonctionne.—OK,jepenseàlui.—Maintenant,rappelle-toiàquelpointtuluifaisconfiance.—D’accord.Jepenseausoiroùj’étaisallongéesoussonpoids,vulnérablemaislibretandisqu’ilmeserraitcontre

lui,m’embrassait, et que nos corps s’emmêlaient. Ilm’a fait voyager et ressentir des émotions que jem’étaisjusque-làinterdites.—Kaydenseratoujourslàpourteprotéger,Callie.EttupeuxaussicomptersurLukeetsurmoi.Tuas

troismecsàtadisposition.Tun’espasseuleettun’asplusbesoindetecacher.Jecomprendscequ’ilmeditetcelam’émeutplusquetout.Pendantsixans,jemesuissentieseuleau

monde.Aujourd’hui, j’aiKayden,SethetmêmeLuke.Jenesuisplusseule.Les larmesmepiquent lesyeuxetdévalentmesjoues.—Tueslemeilleuramidumonde,dis-jeensoulevantlespaupières.Jelepensevraiment.—Jesais,Callie.Ilmesouritetmemontrelarobequ’ilachoisie.—Tada!C’estunerobeviolette,avecdesbretellesfinesetdeladentellequibordelecoletl’ourlet.Ellen’est

pasdécolletéeetelledoitm’arriverauxgenoux.Jepasseunemainsurletissuetjevérifielataillesurl’étiquette.—Est-cequetucroisquec’estlarobemagique?Cellequimeguérira?

— Non, Callie. C’est toi qui te guériras toute seule. Cette robe est juste jolie, et elle s’accordeparfaitementavectesnouvelleschaussures.—C’estvraiqu’ellesvontbienensemble.Ilattendquejem’enempare.J’hésiteuninstant,puisjelaluiarrachedesmainsetjemedirigeversla

caisse.—Tunel’essaiespas?—Non.Pasavantd’êtreàlamaison.Illèvelesyeuxaucieletdisparaîtaurayondesshorts.Jeposemesaffairesdevantlavendeuse.Elle

semetdeboutetfaitunpasenavantenbâillant.Letéléphonesonneetlacoupedanssonélan.—J’enaipouruneminute,mepromet-elle.J’attends,unbrasposésurlecomptoiretunemainsurmafuturerobe.Quandj’étaispetite,jeportais

desrobestouslesjours.Jecouraisetjouaisavec,etjefinissaistoujoursparm’éraflerlesgenoux.Mamèremelereprochaittoutletemps.Jerêvaisd’êtreàlafoisuneprincesseetuneathlète.Jetraversaisleterrainde football encourant, laissantmespetites jambesmeporter tandisquemescheveuxdansaientdanslevent.J’étaisheureuse,insouciante.Lacaissièreéclatederireautéléphone.—Arrête!Tuplaisantes?Ilt’avraimentditça?Sethécraseunepiledevêtementssur lecomptoir.Elle le regardede traversenenroulant lecordon

autourdesonindex.EllenoustourneledosetSethluitirelalangue.—Onn’estpasprèsdesortir,dis-jeenexaminantleprésentoirdecolliersposédevantlacaisse.—Net’inquiètepas.Siçaduretroplongtemps,j’appellesonsupérieur.J’examineleshortenjeanqueSethaposésurlapile.—Tuasl’intentiondeporterça?—Non,Callie.Ilestpourtoi.Ilmemontreaussiundébardeuretmemetentre lesmainsuneculotteendentellenoire. Je la lâche

commesiellem’avaitmordue.—Tuplaisantes?—Pasdutout.C’estaucasoù.Jerougisaussitôt.Fierdelui,Sethmefaitungrandsourire.Nousendiscuteronsàlamaison,àl’abri

desregardsindiscrets.—J’accepte,maisàuneseulecondition.Tudoismepromettredeporter…ceshort!Jemontredudoigtunhommequitraverselarueavecunmini-shortrose.Sethsuitmonregard.—OK,maisjel’achèteenbleu.Lerosenes’accordepasavecmonteint.J’imagineSethdanssonmini-shortbleuetj’éclatederire.Nousrionstouslesdeuxjusqu’àcequela

caissièreraccroche.Je sors de la boutique avec un sac à lamain. Seth porte les autres. Tout à coup, jeme sensmal,

coupableettriste.Parceque,pendantquejem’amuseavecSeth,Kaydensouffreensilence.

Kayden

Ilfaitchaud.Tropchaud.J’aidumalàsupporter lesoleil.Jenesaispassic’estparcequej’aiétéenfermépendantdessemainesouparcequ’ilfaitsinoirenmoi.J’essaiedenepastropypenser.Jeneveuxpaspenseràladouleur.Jeneveuxpaslasentir.Jenesuispasprêt.Jenesaispassijeleseraiunjour.Lukeetmoinouspromenonsdanslarue.Nousavonsachetéquelquesvêtements,etj’aimêmetrouvéun

cadeaupourCallie.Jenesaispasencoresijeleluioffrirai,maisc’étaittropparfaitpourpasseràcôté.Unjour,peut-être.Nousdécidonsd’alleràlaplageenattendantCallieetSeth.Lukematetouteslesfillesqu’ilcroise.En

général,ilfaitcelaquandilnevapasbien.—Çava,mec?Ilmeregardedetravers.—Trèsbien.Ettoi?—Bien.Unpeufatigué.J’esquiveunefemmequiparletropfortavecsonportablecolléàl’oreille.Lukepenchelatêtepour

matersesfessesjusqu’àcequ’elledisparaisseaucoindelarue.Nousnousarrêtonsàunpassagepiéton.Iln’yapasdevoitures,maisnousrestonsplantéslà,faceà

l’étenduedesablequidonnesur l’océan.Lesoleilsereflètedansl’eau.Ilm’éblouit.Entraversant, jegardemesdistancesaveclesautrespiétons.Jen’aienviedevoirpersonne.J’aienvied’êtreseul,danslenoir.J’ail’impressionquetoutlemondesaitquijesuis.Lebandageetlesélastiquesàmonpoignetmetrahissent.Cequej’aiessayédecacherpendanttoutescesannéesestdésormaisvisible.Lukelesait.Lesgensquisebaignentetbronzentsurlaplagelesavent.Callielesait.Nousmarchonsjusqu’àl’océan,oùlesvaguescaressentlesableeteffacentnostracesdepas.

—Jenesaispascequ’ilyaàfairedanslecoin,m’avoueLuke.Jehausselesépaules.—Moinonplus.C’esttonpèrequivitici,pasmoi.Sesmâchoiressecrispent.—Jesais.Jeconnaiscettevilleaussimalquejeleconnaislui.—C’estluiquit’adonnélaclédesamaison?—Jen’aipaslaclé.—Tun’aspaslaclé?—Non.Super.Jerisquedéjàd’allerautribunalsiCalebrefusel’argentdemonpère.Ilnemanqueraitplusque

lepèredeLukeapprennequ’onestentréspareffractionchezlui,etmavieestfichue.Cematin,j’aireçuuntextodemamère.Ellem’aditqueCalebnerépondaitplusàsesappels.D’un

côté,j’aimeraisqu’ilrefuseleuroffre.Jeveuxquemonpèremelaissetranquille.Enrepensantàlui,unevague de colèreme submerge. Je l’étouffe aussitôt. Je ne suis toujours pas capable demaîtrisermesémotionssansmefairedumal.—C’estrisqué,dis-jeendécollantpuisrecollantmonbandage.—Non.Mon père ne vient jamais ici. Et, s’il débarquait à l’improviste, il s’en ficherait. Il serait

mêmecontentdemevoir.Jen’insistepasparceque jesensquecetteconversation lemetmalà l’aise.Jeposemessacset je

m’assoissurlesable.Lukes’installeàcôtédemoi,etnouslaissonslesilencecaressernosmauxcommel’eaucaresselesable.Jeseraisrestélàtoutelajournéesimonportablenes’étaitpasmisàsonner.

Callie:Vousêtesoù?Moi:Àlaplage.Etvous?Callie:Aucentrecommercial.Moi:Onvousattend.Onestauborddel’eau,faceàlapremièreentrée.Callie:OK.

Jerangemonportabledansmapoche.—Ilsarrivent.Lukefixel’horizon.—Qu’est-cequ’onfait,cesoir?Jen’aipasenviedepasserlasoiréesurlecanapé.Jesuisvenuici

pourmechangerlesidées.J’étendslesjambessurlesablechaud.—Commetuveux.Moi,jepréfèreresteràlamaison.Jen’aipaslatêteàsortir.Lukesetourneversmoienplissantlesyeux.

—Kayden…Jesaisquetuastraverséunepériodedifficile,maisjenepensepasqueresterseulavectesidéesnoiressoitlameilleureidéedumonde.CallieetSethnousrejoignentàcemoment-là.Elleporteunsacavecunefleurviolettedessus,etSeth

ported’autressacs.Je lèvela têteverselle.Lesoleilsereflètedanssesgrandsyeuxbleus.Elles’estattaché les cheveux et elle a la peau qui brille. Seth regarde l’océan comme s’il le voyait pour lapremièrefois.Jememetsdeboutensouriant.—Qu’est-cequevousavezacheté?Calliefroncelessourcils,jetteunœilverssonsac,puisversmoi.Elleneveutpasmerépondre.Jeme

demandecequ’ellemecache.J’essaiedeleluiarracherdesmainspourlataquiner.—Montre-moi!—Non!Elledevienttouterouge.JemetourneversSeth,quisecontentedehausserlesépaules.—Tantpis.Etsionallaitmangeruntruc?Lukeselèveengrognant.—OK,maispasdesushis,pasdecrabeetpasdefruitsdemer.Compris?Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Jepensequ’ons’estmisd’accordlapremièrefoisqu’onamangéensemble.Aucundenousn’aime

lesfruitsdemer.Sethlèveunemain.—Pardon!Jevousaiditquej’adoraislessushis!—C’estvrai,confirmeCallie.C’estKaydenetmoiquin’aimonspasça.—Jem’ensouvienscommesic’étaithier.Callieplongesonregarddanslemien.Cettefilleestaussibellededansquedehors.Ellepossèdemon

âme.Dumoins, ce qu’il en reste. J’ai beaume sentir au bout du rouleau, il suffit qu’ellem’offre unsourirepourqueladouleurs’efface.J’aibesoind’elle.Commeavant.J’aibesoind’ellemaintenant.Sinon,jevaisdevenirfou.Jelaprendsparlamain,j’ignorelesregardsconsternésdeSethetdeLukeetjetraverselaplageen

entraînantCallie.Seschaussuresaccrochentdanslesable.—Qu’est-cequiteprend?Ilfautquejetrouveunendroitisolé,àl’abridesregards.Jeremarqueunepetitealléesituéeentredeux

boutiques,l’unejauneetl’autrebleue,commelesoleiletleciel.Jenousfraieuncheminparmilafoule.—Suis-moi.Noustraversonslarueetnousnousengouffronsdansl’alléeétroite.Ilyaunebenneàorduresdansun

coinetdevieillespalettesparterre.Cen’estpasl’endroitidéal,maisjem’enfiche.Callieestàboutdesouffle.—Est-cequeçava?Jenenouslaissepasletempsderéagir.J’enrouleunbrasautourdesatailleetjel’attirecontremoi.Je

plaquemabouchecontrelasiennetoutensachantquejeleregretteraiplustard.J’enaibesoin.Toutdesuite.Quandnoslèvress’unissent,jerespireànouveau.J’ail’impressiondem’êtrenoyépendantunmoiset

d’enfinremonteràlasurface.Mespoumonsétaientsurlepointd’exploser.Sonbaiserm’asauvé.Elles’agrippeàmontee-shirt.—Kayden…Elleentrouvre les lèvres. Jeglissema languedans sabouche. Je ladévore. J’étais affamé, et jene

m’en rendais même pas compte. Je la plaque contre le mur. Mon cœur s’emballe. Nos jambess’emmêlent.Sonsactombeparterre.Jeposeunemainàcôtédesatête.Lesplanchesenboism’éraflentlapeauetj’apprécielasensationdeséchardescontremamain.JeglisselamainsursanuqueetCalliegémitdeplaisir.Ellemerendfou.Jel’exploreetlagoûteavec

malangue.Notrebaiserestdeplusenplusintense.J’aimeraisêtrecapabled’ymettrefin,maisjenemecontrôleplus.Jeposelesmainsàl’arrièredesescuissesetjelasoulève.Elleenroulesesjambesautourdemoi.Ellealeslèvresquitremblent.Jesuisleseulàquiellefasseconfiance,leseulquiaitledroitdelatoucher.Jesavouremachance.

Callie est la personne la plus belle, la plus incroyable, la plus gentille et la plus généreuse que jeconnaisse.

Callie

J’avaisoubliéàquelpointj’aimeêtredanssesbras.Audébut,jen’airiencomprisàcequisepassait.Nousétionsentraindeparlerdesushisquandilm’aattrapéeparlamainetentraînéeloindelaplage.Jelui ai demandé pourquoi, mais il m’a fait taire en posant sa bouche contre la mienne. Toutes mesinquiétudessesontenvolées.Ilm’embrasseavecpassionetj’aienfinl’impressionquenousavançonsdanslamêmedirection.Ila

ungoûtdementheetdedésir.Ilglissesalanguedansmabouche.Sabarbemepiquelevisage.J’aimeraisqu’ilmetouchepartoutetjesuisterrifiéeàl’idéequ’ilreparte.Jeresteraiscolléeàluitoutemaviesijelepouvais,pourm’assurerqu’ilvabien.Quenousallonsbien.Ilmeserrefortcontrelui,mesoulèveetmeplaquecontrelemurenbois.Mesjambessontcommedes

aimants contre sondos. Il grognedeplaisir et je suis choquéepar les imagesqui défilent devantmesyeux : l’envie d’être avec lui comme la dernière fois, dansma chambre. Je veuxme sentir à nouveauvivante.Ilexplorelesmoindresrecoinsdemaboucheavecsalangue.Ilmemordlalèvre.—Kayden…J’enroulemes bras autour de son cou. Sesmains se promènent le long demon corps brûlant. Nos

languess’entremêlent.Unevagued’extaseexploseentremesjambesquandjesenssonsexecontremoi.Ilposeunemainsurmonseinetj’oublietout.J’oubliequijesuis,oùjesuis.J’oubliemesproblèmes.JeveuxKayden.Jeveuxqu’ilmegardecontreluipourtoujours.Monbonheurestdecourtedurée:ilécartesabouchedelamienneetmereposeaussivitequ’ilm’a

soulevée.Nous sommes revenus au point de départ et j’essaie de ne pas éclater en sanglots. J’ai leslèvresgonfléesetjesuisàboutdesouffle.J’aienvied’allerplusloinaveclui.

Sesyeuxvertssontvoilés.Ildétourneleregardetfixelaplage,del’autrecôtédelarue.—Excuse-moi,Callie.Jen’auraispasdû…Jeposeunemainsursajoue.—Kayden.Regarde-moi.Ilclignedesyeuxavantdelesplongerdanslesmiens.—Jenepeuxpas.Ilfaut…Ilfautqu’onresteamis.—Amis?Jefroncelessourcils.Jeneveuxpasêtresonamie,maispeuimporte.Cequicompte,c’estcedontila

besoin.Ilhochelatêteenserrantlesmâchoires.—Pourl’instant.C’estmieuxcommeça.Etcen’estpastafaute.Jetelepromets.C’estmoi…Il regarde par-dessus son épaule et enfouit lesmains dans ses poches. Lesmuscles de ses bras se

contractent.—Commetuveux,Kayden.Jeseraitoujourslàpourtoi.Tupeuxtoutmedire.Jecroisvoiruneétincelledanssesyeux,commeunéclatd’espoir.—Jesais.Jeluisourisetglisseunemaindanslasienne.—AllonsmangeravantqueSethnefasseunscandale.Ilseplaintdepuisuneheure.—OK.Ilalamainquitremble.Jelacaresseduboutdesdoigts.Ilseforceàsourire.Jedétestequandilfait

semblant.J’aimeraisqu’ilmefasseconfianceautantquejeluifaisconfiance.Jeluidoisbiencela.Jeluidoistout.

*

Uneheureplustard,noussommesassisàlaterrassed’unrestaurant,auborddelaplage.Labrisemecaresselesjouesetfaitdansermescheveux.Lesoleilsecoucheetlachaleurdevientenfinsupportable.Nouslisonsnosmenusensilence.Kaydenestassisàcôtédemoi,avecungenoucontrelemien.Jene

saispass’illefaitexprès,alorsjen’osepasbouger,depeurqu’ilnemettedeladistanceentrenous.Unefoisdeplus.Sethessaiededénouerlatension:—Etsioncommandaitdessushisetducrabe?Lescrevettesontl’airdélicieuses.Lukelèvelesyeuxauciel.—Jevaisprendreunhamburger.Kaydensemordlalèvreenlisantsonmenu.Iln’arrêtepasdetirersurlesélastiquesàsonpoignet.Je

n’osepasl’enempêcher.Sic’estcedontilabesoin,jepréfèrelelaisserfaire.—Moiaussi.

Il ferme lemenu et le replace au centre de la table, entre le ketchup et lamoutarde. Seth semet àenvoyer des textos. Luke tourne la tête vers l’océan. Le serveur prend la commande et nous sert nosboissons.Nousbuvonsavecnospailles.Personneneparle.Sethbriselesilenceenfrappantdupoingsurlatable.Kayden,Lukeetmoisursautonssurnoschaises.

LukefusilleSethduregard.—Laprochainefois,préviens-nous.Sethportesapailleàsabouche.—Désolé,maisjenesupportepluscetteambiance.Ondevraits’amuseraulieudedéprimertoutela

soirée!Ilposesonverresurlatableets’essuielaboucheavecsamanche.Kaydentiresursesélastiques.—Nonmerci.Moi,jeveuxjusterentreràlamaison.Setharrachel’emballageenpapierdesapaille.—Jenesuispasvenuicipourm’enfermerdansmachambre.—Seth,jenepensepas…Ilm’interromptenjetantlesmorceauxdepapieraumilieudelatable.—Non,Callie!Onatousnosproblèmes,etonatousbesoindesechangerlesidées.Aprèsmanger,

onsort.Qu’est-cequevousendites?—Où?demandeLuke.Enboîte?Jelesregarded’unairsuppliant.—Pasenboîte…S’ilvousplaît.Sethtournelatêteversmoi.—Onenadéjàparlé,Callie.Sortirenboîte,c’estchouette.EtKaydenestlàpourteprotéger.Kaydenprendmamaindanslasienne.Ilsepencheversmoietmurmureàmonoreille:—Situveuxsortir,jetesuis.Sonsoufflecaressemajoue.—Jenesaispas…Commetuveux.Nousn’arriveronsjamaisàprendreunedécision.Sethlesaitaussibienquenous.—C’estdécidé!Cesoir,onsorttousensemble.Onvas’éclater.Promis.JeluienveuxparcequejesaisqueKaydenn’enapasenvie.Lukeposesonverresurlatableenle

regardantducoindel’œil.Jenesuisvisiblementpaslaseuleàmefairedusoucipourlui.Kaydenserremamaindanslasienneetdéposeunbaiserhumidesurmajoue.—Çavaaller,Callie.Jetelepromets.Ilfautquetuarrêtesdet’inquiéterpourmoi.Jepousseunsoupirdefrustration.Jeneveuxpassortir.Jepréféreraispasserlasoiréeaveclui.Nous

n’avonspasencorediscutédecequiluiestarrivé,etillefaut.Parcequejen’ycomprendsrien.Toutcequejeveux,c’estluiposerlesquestionsquimetaraudentdepuisdessemaines.Sethlèvesonverre.—Etsionprofitaitdelavie,pourunefois?LukecognesonverrecontreceluideSeth.

—Tantqu’onnerestepasàlamaison,jesuispartant.Kaydengardeunemainsurlamienneetsesertdel’autrepourtrinquer.—Moiaussi.Ilsattendentmaréaction.J’hésite,puisjelèvemonverreàmontour.—D’accord,maispasdebêtises.Sethéclatederire.—Tumeconnais,chérie.Sagecommeuneimage.CelafaitsourireLukeetKayden,maispasmoi.J’ai l’impressionquenousfuyonsnosproblèmesau

lieudelesaffronter,etjesaisd’expériencequecen’estpaslecheminàsuivre.—Àlavie,déclareSeth.—Àlavie,murmurons-noustouslestrois.Nos verres s’entrechoquent, scellant une promesse que nous ne tiendrons pas. J’aimerais que ces

quelquesjourssoientemplisderireetdesoleilmais,aufonddemoi,jesensqu’unorageapproche.

Callie

Jeregardemonrefletdanslemiroir.Larobeabeaumedescendrejusqu’auxgenoux,jemesensnue.Lesbretellessont tropfines.Celafaitsixansque jen’aipasdévoiléautantdepeau.Matenuemetenavantmestachesderousseur,mesclaviculessaillantesetmapoitrineplate.Lessandalesàmespiedsmedonnent l’impression de ne rien porter et j’ai détaché mes cheveux, ce qui me rend encore plusvulnérable.—J’ail’airbizarre.JetiresurlebasdemarobependantqueSethm’examine.Ilacoiffésescheveuxsurlecôté.Ilporteun

shortmarronetunechemisegriseaveclesmanchesretroussées.—Tuessuperbe,Callie.Jecroiselesbrassurmapoitrine.—Jen’ensuispascapable.—Biensûrquesi.—Jenecomprendspaspourquoituinsistes.Ilglisseunemaindanssescheveuxens’attardantsurmonreflet.—J’insisteparcequ’ilesttempsdepasseràautrechose.Jesaisquec’estdifficile,maisilfautquetu

avances,Callie.Etmoiaussi.Ilfautqu’ontourneledosànotrepassé.—Moi,j’aiplutôtl’impressionquetufuiesquelquechose.Ilfermeledernierboutondesachemise.—Tuastort.J’aiarrêtédefuirmesproblèmeslejouroùj’airencontréGreyson.Ilm’alibérédemes

peurs.—Commentas-tupuoubliercequit’estarrivé?

Ilposelesmainssurmesépaulesensouriantetmeregardedroitdanslesyeux.—Onn’oubliepas,Callie.Onavance.Ondevientenfinnous-mêmes,etonn’estpluslapersonneque

nosmonstresontcréée.Jepousseunsoupir.—Jenesaispascommentséparerlesdeuxpersonnes.Parfois,ellessemélangent.Commecesoir.Je

nemesenspasbiendanscettetenue,maisjenesaispassic’estparcequej’associelarobeàcequis’estpasséousic’estsimplementparcequejen’aimepaslesrobes.Ilm’embrassesurlefront.—Porte-la,ettuaurastaréponse.Ilsedirigeverssonsac.Ilensortsonflacondeparfumets’enasperge.J’attrapemoncarnetetjerelis

lalettrequej’aiécriteàKayden.Ilestpeut-êtretempsdeluifairepartdemessentiments.—Aufait,qu’est-cequetuportessoustarobe?Jememords la lèvre.J’aihonteparceque j’aienfilé laculotteendentellenoirequ’ilm’aforcéeà

acheter.—Rien.—Rien?Super!Ilmelanceunsourirediabolique.—Cen’estpascequejevoulaisdire!—Jesais,Callie.Maisavouequec’étaitdrôle.Ilmefaitunclind’œiletrangeleflacondanssonsac.—Prête?Jejetteundernierregardàmonreflet.Mesyeuxsonténormes.Onnevoitqu’eux.J’aieusuffisamment

confianceenKaydenpourluimontrermoncorps,maisjenesuispascertained’êtreprêteàlemontrerauxautres.Lemondeestterrifiantetchangeant.Onsecroitàl’abriet,d’uneminuteàl’autre,toutpeutchanger.Sethm’ouvre la porte. J’ai les genoux qui tremblent. Nous nous dirigeons vers la cuisine. Luke et

Kaydensontà table,unebouteilledeJackDaniel’sentreeux.Luke tiresurunecigarette.Lapièceestenfumée.Jem’arrêtedanslecouloiretj’observeKayden.Jerepenseàtouscesmomentsquenousavonspassés

ensemble,ceuxquimeredonnentespoirmêmesitoutsemblenoirencemoment.Sethmedonneuncoupd’épauleenentrantdanslacuisine.Jem’arrêtederrièrelebarpourcacherma

tenue.—Vousbuvezdéjà?—Ouais,répondKayden.Onaprisdel’avance.Sesyeuxs’illuminentenmevoyant.Ilyauneheure,ilétaitencoretriste.Maintenant,ilal’airheureux.

Ila tropbu. Il tend labouteilleàSethetse lèveensouriant.Lespiedsde lachaisecrissentcontre lecarrelage.IlfaitletourdelatableetSeths’assoitàsaplace.Kaydenporteuntee-shirtgrisfoncéetunjeanquiluitombesurleshanches.Ils’estcoiffé,maisses

cheveuxrebiquenttoujours.Ilaenfiléquelquesbraceletsencuirpourcachersonbandageetils’estrasé.

J’espèrequ’ilnes’estpasfaitmalavecsonrasoir.—Salut,Callie.—Salut.Jem’appuiecontrelebaretj’inspectesesbras.Pasdenouvellescoupures,bienquejenevoiepasce

quisecachesouslebandage.Kaydenm’étudiedespiedsàlatête,s’attardantsurmapoitrineavantdemeregarderdroitdanslesyeux.—C’estlapremièrefoisquejetevoisenrobe.—Jesais.Je posemes avant-bras sur le bar et j’agrippe le rebord. Son regardmemetmal à l’aise.Malgré

l’alcoolquileconsume,jevoislevraiKayden,celuiquisecacheàl’intérieur.—Tuessublime,Callie.—Merci.Sans prévenir, il écrase ses lèvres sur les miennes. Mes jambes se dérobent sous mon poids. Il

m’attrapeparlatailleetglissesalanguedansmabouche.Ilaungoûtdewhiskyetilsentlacigarette.Noscorpss’entrechoquentetnosjambess’emmêlent.Moncœurs’emballe.Lerebordmerentredansledos,maisjem’enfiche.Toutcequicompte,c’estKayden.Jepasse lesmainsdanssescheveux.Unepetitevoixmeditd’arrêter,qu’ila tropbuetqu’ilnese

contrôlepas.—Kayden…Qu’est-cequetufais?—Je…Jenesaispas.Ilal’airému.Ilm’embrasseànouveau.J’essaieàlafoisdelerepousseretdel’attirercontremoi.Je

suisperdue.Déboussolée.Il presse les doigts surmeshanchespourme soulever et ilm’assoit sur le bar. Il semet entremes

jambesetcaressel’intérieurdemescuisses.Jelesécartedavantagepourlesentircontremoi.LavoixdeSethmerappelleàl’ordre:—Callie?Kayden?Onvousaimebeaucoup,maisonpourraitsepasserduspectacle.Kaydenpose la tête surmonépaule.Nous sommesàboutde souffle.Soncorps se crispe contre le

mien.—Excuse-moi,murmure-t-il.Ils’éloigneetjemesensencoreplusvulnérable.Jeclignedesyeuxetréajustemarobeavantdesauter

dubar.Jepasseunemaindansmescheveuxetjeretiensmeslarmes.Sethlèvelessourcils.—Tuvois?Kaydenadoretarobe.Jepinceleslèvres,parcequec’estdrôleettristeàlafois.Ilmetendlamain.—Allez,Callie.Nefaispaslamoue.Cesoir,ons’amuse.Je le rejoins dans la cuisine. Luke se lève et part retrouverKayden dans le salon. Sethme tend la

bouteilledewhisky.—Tiens.Çateferaitdubien.—Nonmerci.Vousaveztousbu.C’estmoiquiconduis,cesoir.

Sethsouritenpassantunemaindanssescheveux.—C’estcequetuasditladernièrefoisqu’onestsortisensemble.—Jesais.—Jem’ensuischargé,Callie.Untaxiarrivedanscinqminutes.Jenesaispassic’estàcausedelatempératureoudubaiser,maisj’aitrèschaud,toutàcoup.Nous

sortonsdelacuisineetSethsecouelabouteilledevantmoi.—Allez,Callie.Tuasbesoindetedétendre.Ilaraison.Ilfautquejemecalme,quej’oublielefardeauquejeportesurlesépaules,aumoinsle

tempsd’unesoirée.Jeluiarrachelewiskhydesmainsetj’avaleunegrossegorgée.L’alcoolmebrûlelagorge.Jetousseetjelâchelabouteille.Kaydenlarattrapejusteàtempsetmetapoteledos.—Pardon.J’aibutropvite.Ilglisseunemaindansmescheveuxetsurmajoue.Iln’arrêtepasdemetoucher,maisondiraitqu’ille

faitmalgrélui.Jesuisperdue.Toutesttropcompliqué.—Tun’espasobligéedeboiresitun’enaspasenvie,Callie.Illedittellementbasquejesuislaseuleàl’entendre.Jelèvelatêteverslui.—Toinonplus.Ilmedévisageensilence,passe labouteilleàSethet sorten trombede lamaison.Laporteclaque

derrièreluietnousnousretrouvonstouslestroisdanslesalon,perdusetconfus.Jenesaispassijedoislesuivre.Jenecomprendspasdequoiilabesoin.Aufond,jeneleconnaispas.

Kayden

Calliepensequejeluienveux,maiselleatort.Jesuisencolèrecontremoi-même.Jem’enveuxdelesavoirsuivisjusqu’ici.Del’avoirembrassée.Del’avoirtouchée.Jesuistropfaible.Jem’assoisàl’avantdutaxipournepasêtreàcôtéd’elle.J’aibesoindemecalmer.Aufond,jen’ai

qu’uneenvie:arrachersarobeetluifairel’amour.Ilfautquejecessed’ypenseretquej’arrêtedeboire.L’alcoolfaitremonterlesémotionsquej’essaiedegarderenfouiesaufonddemoi.LukeetSethsepassentlabouteilledansledosduchauffeur.Callien’apascroisémonregarddepuis

quenoussommessortisdelamaison.Elleal’airencoreplustristequequandjel’airencontrée.Jenepensaispasquec’étaitpossible.Unechansonà l’eaude rose s’échappedeshaut-parleurs.Unmecparled’amouret j’ai enviede le

fairetaire,dem’ouvrirlapeau.Jeneveuxpaspenseràl’amour.Jeneveuxpenseràrien.JesuissurlepointdedemanderlabouteilleàLukequandletaxisegaredevantungrandimmeubleen

brique.Unefiled’attentelongelemuretonentendlamusiquedepuislavoiture.Lukerèglelacourseauchauffeuretouvrelaportière.—Vouspaierezvotretournée,dit-ilensortant.Sethlesuit,maisCallieresteassisesurlabanquette.Jemeretourneverselle.Ellemeregardedroit

danslesyeux.

—Çava,Callie?—Non.—Qu’est-cequ’ilya?—Je…Jenesaisplusquitues.—Quoi?Ellepousseunsoupirensortantlesjambesdelavoiture.—Jeneteconnaispas,Kayden.Pasvraiment.Etçamebriselecœur.EllesortdutaxietrejointSethetLukesurletrottoir.Jenesaispasquoipenser.Jesorsàmontour,je

fermelaportièreetletaxis’enva.Nous nous dirigeons vers la file d’attente. Callie et Seth se tiennent par le bras. Luke allume une

cigarette.Lesgensdiscutent,rient,s’amusent.Dansmatête,c’estlechaos.Ellenemeconnaîtpas.Ellearaison.Etc’estmafaute.Jeluidoisdesexplications.Ilfautquejeluiexpliquepourquoiellem’aretrouvéparterredansune

maredesang.Nouslongeonslebâtimentetapprochonsenfindel’entrée.Àpeineavons-nouspassélepasdelaporte

que j’étouffe déjà. L’atmosphère est suffocante. Il y a trop de monde et la pièce est trop petite.Heureusement qu’il est interdit de fumer à l’intérieur, sinon ce serait intenable. La musique estassourdissanteetlesolvibresousnospieds.Cegenred’endroitnem’ajamaisposéproblèmemais,toutàcoup,jemesensmal.Callieaussi.Elles’accrocheàlavestedeSethcommesisavieendépendait.Ilmarche devant elle, essayant de se frayer un chemin parmi la foule.Unmec trébuche à côté d’eux etrenverse sabière.Callie bondit en arrièrepour l’éviter.ElleperdSethdevue.Elle essaiedenepaspaniquer.Jelesens.Jemeprécipitesurelleet l’attrapeparlataille.Soncorpsseraidit.Jedéposeunbaisersursatête

pourlarassurer.—C’estmoi.Jelaserrecontremoietnousavançonslentement.Jedonnedescoupsdecoudepourquepersonnene

latouche.NousémergeonsducôtédestablesetpoussonsunsoupirdesoulagementenrejoignantSethetLuke. Ils sont assis à une table. Calliem’offre un sourire hésitant en s’assoyant. Je fais le tour et jem’installeenboutdetable.J’aimeraisnepasêtrelà.—Ilfaitsuper-chaud!s’étonneLuke.Ilpasseunemaindanssescheveux.Sethattrapesonpaquetdecigarettesenobservantlestablesautour

denous.Sonvisagesedécompose.—Attends…Onn’apasledroitdefumer?—Non,répondLuke.Autantcrever,pasvrai?—C’estplutôtlacigarettequitetuera,letaquineCallie.Iléclatederire.

—Heureusementqu’onaledroitdeboire!Ilselèveetsedirigeverslebar.Callieserongeunongle.Sethsortsonportabledesapoche.—Jen’aipaseuGreysondepuishiersoir.Jepensequ’ilm’enveut.Callieposelescoudessurlatable.—Pourquoi?—Parcequejeluiaiditquelquechosequ’ilnefallaitpas.—Qu’est-cequetuluiasdit?—Quejevoulaisfaireunepause.Illaissetombersonportablesurlatable.Calliefroncelessourcils.—Nemeregardepascommeça!Jenelepensaispas.J’étaisfatiguéet…embrouillé.—Est-cequetuluiasditqueturegrettais?—Pasencore.Elleposeunemainsursonbras.—Ilfautquetuluiparles,Seth.Nerefoulepastesémotions.Cen’estpassain.Tulesaisaussibien

quemoi.Ilhausselesépaules,croisemonregardpuistendunemainverselle.—Viensavecmoi.Ilselèveetellelesuitsansmêmeseretourner.Toutcequej’entends,cesontsesparolesquirésonnent

dansmatête.Nerefoulepastesémotions.Cen’estpassain.Jelesensmonterenmoi.Cequejesuis.Cequejeressens.Mavieetlevidequimepossède.Jene

veuxpasrepenseràtoutcequim’estarrivé.Jesorsentrombedelasalleetjemeprécipitedanslestoilettes.Jem’enfermedansunedescabines.

J’inspireparlenezetjeglisseundoigtsousmesélastiques.Jetiredessus,encoreetencore,jusqu’àcequemonpoignetsoitrouge,maiscen’estpassuffisant.Jenemesenspasmieux.J’aibesoindequelquechose–den’importequoi–pouroublier.Jechercheunobjetcoupantdansla

cabine, comme le rebord du distributeur de papier. C’est dangereux. Je pourrais attraper le tétanos.Tandisquej’approchemonpoignetdurebordmétallique,j’aperçoislaboucled’undemesbraceletsencuir.J’hésiteuninstant,puisj’appuiedessusavecmonautrepoignet.Mapeausedéchireetladouleurmeremontedanslebras.Unevaguedecalmemesubmerge.Jem’assoissurlestoilettesetjeregardelesangcoulerparterre,tacherlescarreauxsousmespieds.

Jeprendsmatêteentremesmains.Jemesensàlafoishonteuxetfieretjemedemandecommentj’ensuisarrivélà,commentjesuisdevenucettepersonne.Cettecompulsionacommencéquandj’avaisdouzeans.Cejour-là,monéquipeavaitperduunmatch

debaseball.Àcausedemoi.J’avaisfaitexprèsdemaljouerpourmettremonpèreencolère.Jeme souviens du calme dans la voiture en rentrant à lamaison. J’aurais aimé que le trajet ne se

terminejamais.Monpères’estgarédansl’allée.Lapelousevenaitd’êtretondueetlejardinierétaitentraindefairedestasd’herbecoupée.—Attends-moiàl’intérieur,Kayden.J’aitoutdesuitesuquejedevaismeprépareraupire.Jesuissortidelavoitureavecmabatteetmon

gantdebaseball.J’airemontél’alléetêtebaissée,lesyeuxfixéssurmespieds.Jen’ailevélatêtequepourouvrirlaporte.J’aicommencéàmonterl’escalierenespérantque,pourunefois,monpèremelaisseraittranquille.La

ported’entréeaclaquédansmondos.J’aicontinuéàgravirlesmarches,commesij’étaisinvisible.—Qu’est-cequis’estpassé,Kayden?Ilauraitfalluquejemeretournepourluirépondre,maisj’aipaniquéet j’aiaccélérélepas.C’était

l’erreurànepascommettre.Ilm’acouruaprèsetm’aattrapéparlecol.Ilm’atraînéjusqu’enbas.Labatteetlegantm’ontéchappé.—Tun’esqu’unimbécile!Tuneterendspascomptedelachancequetuas!J’aidérapéetjemesuiscognécontrelemur.—Lachance!Quellechance?D’habitude,jen’osaispasluirépondre.Cejour-là,j’enaitrouvélecourage.Furieux,monpères’est

jetésurmoi.—Qu’est-cequetuasdit?—Cen’estqu’unmatch,papa!Jesaisqu’onaperdu,maiscen’estpaslafindumonde.Lesilencequiasuiviétaitparalysant.Monpèreadesserrélespoingset,pendantquelquessecondes,il

aeul’airhumain.J’aicruquej’avaisréussiàl’émouvoir,maisilaavancéd’unpasversmoi,lesyeuxemplisdehaine.—Tusaiscequemonpèrem’auraitfaitsij’avaisperduunmatchetquejeluiavaisréponducomme

ça?—Non.Jenesaispas.—Ilm’auraithurlédessusdevanttoutlemonde!Ilm’auraithumiliédevanttoutel’école!Parfois,quandilétaitencolère,ilparlaitdesonpère,commepourjustifiersapropreviolence.Jeme

suissouventdemandési jedeviendraisun jourcommelui, si je reproduirais lamêmechoseavecmespropresenfants.Cetteidéemeterrifiait.Jenevoulaispasfairesouffrirlesautres.J’airetenumonsouffleetj’aiattenduqu’ilmefrappe,maislecoupn’estjamaisarrivé.—Tun’esqu’unbonàrien,Kayden.J’aibeaut’apprendre leschoses, tugâches toujours tout.Et tu

osesperdreunmatchethumiliertonproprepère!Tuneméritespasdejouer.Tuneméritesrien.Tun’esqu’unabruti.Unperdant.Tuneméritesmêmepasdevivre.Etilacontinué,mefrappantavecsesmotsaulieudesespoings.Jemesuissentiminuscule.Invisible.

Quandilaeuterminé,ilm’atournéledosetilm’alaisséseuldanslesalon.J’auraispréféréqu’ilmefrappe.J’auraispumemettreenbouledansmonlitetdormir,anesthésiépar

ladouleur.Mais,cettefois,ladouleurétaitenmoi,dansmatête,monsang,moncœur.Ilfallaitqu’ellesorte.Alors,j’aifaitlapremièrechosequim’estvenueàl’esprit.Jesuismontédanslasalledebainsetjemesuisemparédurasoirdemamère.Lalameétaituséeet

recouverted’unebarredegel.Jel’aiposéesurmonavant-brasetj’aiappuyé.Lesangs’estmisàcouler,etjemesuissentimieux.J’aimislebrasau-dessusdulavaboetj’ailaisséladouleurs’envoler…J’ouvrelesyeux.Ilfautquejesorted’ici.IlfautquejequittelaCalifornie.J’essuielesangetréajuste

les élastiques et les bracelets à mon poignet. Je sors des toilettes et je me glisse parmi la foule, endirectiondelasortie.

Jevaisrécupérermesaffairesàlamaisonetrentrerchezmoiàmoto.Chezmoi.Leseulendroitoùj’aimaplace,leseulendroitoùjesuiscapabledesurvivre.J’aperçoisCallieetSethsurlapiste.Ilsdansentl’uncontrel’autre.Ellealeslarmesauxyeux.Jeme

rappelleàquelpointelleestfragileetjejetteunœilàmonpoignet.Ilestvraimenttropfaciledesebrisersoi-même.

Callie

—J’aitoutgâché.C’estlapremièrechosequemeditSethenmetraînantdanslestoilettes.Ilyaungroupedefillesà

l’intérieur,mais elles ne bronchent pas.Soit elles se fichent queSeth soit là, soit elles sont tellementbourréesqu’ellesleprennentpourunefille.Jem’appuiecontreunlavabo.—Qu’est-cequis’estpassé,Seth?—J’aipaniqué.—Pourquoi?—Je…C’estàcausede…notrerelation.—ToietGreyson?—Oui.Quelques filles curieuses tendent l’oreille. Je l’attrape par le bras et nous nous enfermons dans la

cabinepourhandicapés.Sethpasseunemaindanssescheveux.Jen’aipasl’habitudedelevoiraussimalàl’aise.—Dis-moicequinevapas.Tupeuxtoutmeraconter.Tulesais.—C’estunproblème…intime.—Peuimporte.Jet’écoute.—Tuenessûre?—Oui.Jesuistameilleureamie,Seth.Ilpousseunsoupir.—Jen’arrivepasàallerplusloinavecGreyson.Jen’arrêtepasd’avoirdes…desflash-back.

—Àproposdequoi?—Braiden.Braiden est son ex-petit ami, le premier garçon que Seth ait aimé, mais aussi celui qui l’a trahi :

Braidenn’apas eu le couraged’affronter les rumeurs liées à leur relationet, lorsque lesmembresdel’équipedefootballontrouéSethdecoups,ilnel’apasprotégé.Illesalaissésfaire.—Est-cequetul’aimesencore?—Non,maisj’aipeur…J’aipeurqueGreysonnemebriselecœur.J’aitendanceàoublierqueSethadesproblèmes,luiaussi.Ilfautquejesoislàpourlui,commeill’a

toujoursétépourmoi.J’essaiedememettreàsaplace.Jeposeunemainsursonbraspourleréconforter.—Net’inquiètepas,Seth.Greysonn’estpascommelui.Ilpousseunsoupiretrecouvremamainaveclasienne.—Jesais,maisc’estplus fortquemoi.Parfois, jeme revoispar terre,écrasésous leurscoupsde

poing.C’estcommesic’étaithier…Jeleprendsdansmesbras.Jesuissurprisedemesentiraussiàl’aise.—Le seulmoyend’échapper à notre passé, c’est d’aller de l’avant.C’est ceque tumedis tout le

temps.—Jesais.EtjesaisqueGreysonn’estpascommeBraiden.Jesaisqu’ilm’aime.Maisjen’arrêtepas

de penser à cette foutue journée. J’étais tellement heureux, Callie. La vie était belle. Et ils ont tousdébarquéà l’arrièredece fichuquatre-quatre…Jen’arrêtepasdevoir sonvisage.Lahainedanssesyeux,commesic’étaitmafaute,commesic’étaitmoiquil’avaisforcéàlefaire…Ilpleuresurmonépaule.Jeluilaisseletempsdeseressaisir.Ils’écartedemoiens’essuyantlesyeux.—J’aiprispeur,Callie.Jeluiaiditdestrucsquejeregrette.J’arracheunefeuilledepapiertoiletteetjelaluitends.—Demande-luipardon.JesuissûrequeGreysoncomprendra.Ilessuieseslarmesetjettelepapieràlapoubelle.—Peut-êtrepas.—Etpeut-êtrequesi.—Disdonc,tudeviensaussioptimistequemoi!Ilpasseunbrassurmesépaulesetnoussortonsdestoilettesensouriant.Sethmeguidejusqu’ànotre

table. Je me sens de nouveau gênée. J’ai honte de ma robe. Chaque fois que quelqu’un me frôle, jetressaille.Unejolieblondeenrobenoireestassiseàmaplace,enpleinediscussionavecLuke.Ellemejaugede

latêteauxpiedsenmevoyantarriver.Sethattrapedeuxverres sur la table.Sans réfléchir, j’accepteceluiqu’ilme tendet je leboisd’un

trait.L’alcoolmebrûlelagorge.—Beurk!Jen’enavaismêmepasenvie!Iléclatederire,avalelesienetposenosverresvidessurlatable.—Onvadanser?

Il me prend par la main et m’entraîne jusqu’à la piste. J’ai la tête qui tourne et les jambes quiflageolent.—Tuenessûr?Jenemesenspastrèsbien.—Onabesoindesedétendre,Callie.Jeregardelesgensautourdenous,quisefrottentlesunsauxautressurunemusiquelangoureuse.—Tusaisàquelpointçamemetmalàl’aise…—Menteuse!Jet’aivuedanserdanslavoiture,l’autrejour.Tut’eséclatée.Setharaison.Jesourismalgrémoi.Ilposelesmainssurmeshanchesetnousdansonsensilence.Je

repenseàlapremièrefoisoùKaydenetmoiavonsdanséensemble.Depuis,toutachangé.Kaydenrefusede me parler et, quand je le regarde, je le revois allongé sur le carrelage, couvert de sang. J’ai eutellementpeur…Peurqu’ilnemeure.Peurqu’ilnem’abandonne.Sethessuieunelarmequidévalemajoue.—Qu’est-cequit’arrive,Callie?—Jeneveuxpasqu’ilmeure.Jeneveuxpas…—Qui?Kayden?Ilnevapasmourir,Callie.Ils’enestsorti.CequeSethnecomprendpas,c’estquecequiestarrivécesoir-làpourraitsereproduire.Kaydenest

commemoi.Ilenfouit toutauplusprofonddelui, jusqu’àcequ’ilexplose.Et, laprochainefois, jeneseraipeut-êtrepaslàpourlesauver.Jenepeuxpasvivresanslui.Depuisl’incident,jesaiscequedeviendraitmaviesijeleperdais.Il

fautquejenoussauvepourquenoussoyonsenfinheureuxtouslesdeux.

Kayden

JenesupportepasdevoirCalliepleurer.Çamebriselecœur.Jerevienssurmespasenpoussantlesgensquimebloquentlepassage.J’oubliemesproblèmesetjenepenseplusqu’àelle.Quandellemevoitapprocher,elleessuieleslarmessursesjoues.Sethsetourneversmoietenlève

lesmainsdesataille.—Jetelalaisse?Jehochelatête.Ildisparaîtdanslafouleetjeprendssaplace.—Qu’est-cequ’ilya,Callie?—Rien.Jesuisjustefatiguée.—S’ilteplaît…Dis-moicequinevapas.Elleétouffeunsanglot.—C’est…Cen’estrien,Kayden.Ellenepeutplusretenirsespleurs.Elleblottitsonvisagecontremoiets’accrocheàmontee-shirt.Ses

larmestraversentletissu.Toutlemondedanseautourdenous,maisjen’osepasbouger.Jeluicaresseledosetjepasseunemaindanssescheveux.—Chut…Çavaaller…J’aienviedepleurer,moiaussi.Jenesaispaspourquoi,maisjesenssadouleur.Jemeconcentresur

monpoignetetmacoupure,maiscelanesuffitpasàmecalmer.JeserreCalliedansmesbrasetjelasoulève.Elleenroulesesjambesautourdematailleetsesbras

autourdemoncou.Jemaintienssarobeenplaceentraversantlasalle,jesorsdelaboîteetjemedirigeversuntaxigarélelongdutrottoir.Jem’assoissurlabanquettearrièresanslâcherCallie.Lechauffeurjetteunœildanslerétroviseuretnousregardedetravers.Jefermelaportière.—552,avenuedelaPlage.Ildémarreetmetlecompteurenroute.Calliepleuretoujours.Montee-shirtesttrempé.Jegardeune

mainautourdesatailleetjeposel’autresursanuque.Àmi-chemin,tandisquenouslaissonsl’avenuederrière nous,Callie lève la tête et pose sonmenton surmon épaule. Je ne lui demande rien.Elle secontentederegarderleslumièresdéfilerderrièrelavitre.Noussavonsquel’undenousdevratôtoutardbriserlesilence.

Callie

Jemeconcentresurlachansonquipasseàlaradio.Lechanteurparledelafillequ’ilaimeetquil’aquitté. Je l’envie parce qu’il ose le crier au monde entier. Moi, je découvre peu à peu que je suisamoureuse de Kayden, et je ne suis même pas capable de le lui dire. Pas seulement par peur d’êtrerejetée,maisparpeurdel’inconnu.C’estlapremièrefoisquejetombeamoureuse.Avant,jenesavaispascequ’étaitl’amour.Aujourd’hui,jecomprends.Je regarde les guirlandes de Noël défiler derrière la vitre. Rouge, vert, blanc. Cela me rappelle

l’époque où j’adorais Noël et où je courais jusqu’au sapin pour ouvrir mes cadeaux. Tout a changél’annéedemesdouzeans.Depuis,lescadeauxdeNoëlmerappellentceuxdemonanniversaire.Jeme souviens duNoël qui a suivi l’incident. Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai fixé le plafond en

espérantentendrelePèreNoëlmarchersurletoit,commequandj’étaispetite,maisl’imaginationetlamagiedemonenfanceavaientdisparu.Toutcequej’aientendu,c’étaientlessecretsenfouisaufonddemoietlesilencedelanuit.Lelendemainmatin,quandmamèreestentréedansmachambre,j’aifaitsemblantdedormir.—Callie?Réveille-toi,machérie.LePèreNoëlt’aapportédescadeaux.J’aiouvertlesyeux.Elleportaitunpeignoirroseetelles’étaittressélescheveux.Ellenes’étaitpas

encoremaquillée.Jelatrouvaisplusbelleaunaturel.Ellem’afaitungrandsourire.—Bonjour,machérie.Prêteàouvrirtescadeaux?—Jeneveuxpasdecadeaux.Jeluiaitournéledos.Elleaposéunemainsurmondosetj’aisursauté,repensantàladernièrefois

quequelqu’unm’avaittouchéedanscelit.—Qu’est-cequit’arrive,Callie?Tuasl’airtristedepuisquelquesmois.

—Jenesuispastriste.J’enaijustemarredefairesemblantdecroireendeschosesquin’existentpas.LePèreNoëln’existepas,maman!Jelesaisdepuisquej’aihuitans.—Biensûr,machérie.MaisilfaitpartiedelamagiedeNoël.C’estjustepours’amuser…—Lamagien’existepas!J’enaimarredejouerlejeu.Jeveuxdormir.Jesuisfatiguée.Elleestrestéeassiseauborddulitpendantquelquessecondes,puiselles’estlevée.—Commetuveux.C’esttoutcequ’elleadit.Elleestsortiedemachambre,etlessouvenirsquimehantaientdepuisdes

mois ont ressurgi. Aujourd’hui encore, je me demande pourquoi elle ne m’a pas posé davantage dequestions.Ellesavaitquequelquechosen’allaitpas.Unjour,j’oseraileluidemander.Illefaut.—Callie?J’ouvrelesyeux.Letaxivientdesegarerdevantlamaison.J’entendsl’océanauloin.Kaydenglisse

unemèchedecheveuxderrièremonoreille.—Tut’étaisendormie.—Désolée.—Tun’aspasàt’excuser.J’aimebient’avoirdansmesbras.Çamecalme.Je retiens les larmesquimenacentdecouler.Kaydensortunbilletde sonportefeuille et le tendau

chauffeur.Jeglissesurlesiègeetilouvrelaportière,montesurletrottoiretmetendlamain.Ilm’aideàsortirdutaxietfermelaportièrederrièremoi.Nousrestonsplantéslà,devantlavoituredeLuke,tandisqueletaxiremontel’alléedegravieretdisparaîtdanslanuit.Kaydentournelatêteversmoi.—Etsionallaitfaireuntour?—Bonneidée.Ilm’offreun sourire timide et entremêle sesdoigts et lesmiens.Nousmarchonsmaindans lamain

jusqu’à laplage. J’aidumalàmarcherdroit.Messandalesn’arrêtentpasdesecoincerdans le sablefroid.Jemepenchepourlesenleveretjelesgardeàlamain.Nousnousengouffronsdanslenoir,avecla

lune pour seul guide. Le fracas régulier des vagues nous berce. Une doucemusique s’échappe d’unemaison.Jesuisattentiveaumoindrebruitetjesavourelafraîcheurdelanuit.—Est-cequetuasfroid?medemandeKaydenlorsquenousapprochonsdel’eau.—Unpeu.Iltournelatêteverslamaison,quiestperchéeenhautd’unepetitedune.—Attends-moilà.Jevaistechercheruneveste.Jeleretiensparlebras.—Non!Resteavecmoi.S’ilteplaît.Ilfaut…Ilfautqu’onparle.Ilal’airperplexe.Méfiant.Ilsefrottelanuqueets’assoitdanslesable.Ilm’attiresursesgenoux.Je

fermelesyeux.Jesuisàl’abridanssesbras.Àmaplace.Kaydenest lapersonneavecqui jemesensleplusà l’aise,et j’espèrequ’ilressent lamêmechose

enversmoi.Maisj’aisurtoutbesoindesavoir.Decomprendrecequiluiestarrivé.—Qu’est-cequis’estpassé,Kayden?

Unequestionsisimple,maissilourdedesens.Jeleregardedroitdanslesyeux.Ilaspireunegrandeboufféed’air.Seslèvress’entrouvrent:—Monpèrem’apoignardé.

Kayden

Jenesaispaspourquoijeluiréponds.Cen’étaitpasprévu.J’avaisl’intentiondegarderlesecrettoutemavie.MaisCallieestlà,dansmesbras.Elleattendlavéritéetjeveuxlaluidonner.Jeveuxtoutluidonner.Elleenalesoufflecoupé.Elleestsurlepointd’éclaterensanglots.J’enrouleunbrasautourd’elleet

jelaserrecontremoi.—Calme-toi.Jevaisbien,Callie.Elle a la peau gelée. Je lui frotte les bras pour la réchauffer. Je commence à regrettermon choix.

Jamaisjen’auraisdûluimettrecefardeausurlesépaules.—Jesuisdésolé.J’aieutortdeteledire.—Non,Kayden.Tuauraisdûm’enparlerplustôt.—Tuastespropresproblèmesàrégler.Tun’aspasbesoindeça…Elleal’airfurieuse.Ondiraitpresquequ’elleveutmegifler.—Kayden…Je…Toutestmafaute.J’ouvrelabouchepourprotester,maisellelarecouvred’unemainpourmefairetaire.—Jen’auraisjamaisdûteparlerdeCaleb.Situnem’avaispasvengéeenlefrappant,riendetoutça

neseraitarrivé.—Non,Callie!Tuaseuraisondemedirelavérité.Ilneméritepassalibertéalorsqu’ilt’avoléla

tienne.Elleenlèvesamaindemaboucheetpousseunsoupirdefrustration.—C’estpourtantcequefaittonpère.Est-cequequelqu’und’autreestaucourant?—Mamère.Elleestaucourantdetout.Elleatoujourssuquenotrepèrenousfrappait.Elles’enfiche.Callietournelatêteversl’océan.—C’estinjuste.Ilfautqu’onenparleàquelqu’un.Elleessaiedeselever,maisjepressemesdoigtssurseshanchespourl’enempêcher.—Çanesertàrien.Etilfautquetuarrêtesdet’inquiéterpourmoi.Ilesttempsdefairefaceàl’inévitable.Ilfautqu’ellecomprennequijesuisvraiment.—J’aifaitn’importequoi,Callie.Jesuiscomplètementbrisé.Jenesaispassij’arriveraiunjourà

arrêterdemefairedumal.Ilfautqueturestesloindemoi.S’ilteplaît…Oublie-moietvistavie.—Non.—C’estpourtonbien…—Jenesuispasaveugle,Kayden!J’avaiscomprisquetutecoupaisavantmêmequetumeledises.Elleglisseundoigtsousundemesélastiques.Ellealeslarmesauxyeux.

—Comment?—Quand on a fait l’amour. J’ai vu les cicatrices sur tes bras, et j’ai pensé…L’idéem’a traversé

l’esprit.Moncœurestcommefripé,froissé,bonàjeteràlapoubelle.—Pourquoinem’enas-tupasparlé?—Quevoulais-tuquejetedise?Commentaurais-turéagisijet’avaisposélaquestion?Etpuis,jene

voulaispasycroire.J’aipréféréignorerquetufaisaisça.—Parcequec’étaittropduràsupporter?—Non,Kayden.Parcequejerefusaisd’accepterquetuportesautantdesouffranceentoi.Jesaisà

quelpointilfautsouffrirpourenarriverlà…àvouloirsefairedumal.C’estunerévélation.Quelqu’unmecomprend.Calliemecomprend.Ellen’apaspeurdemoi,nidece

quejecache.Etc’estellequejeveux.Commentai-jepuvivretoutescesannéesdanslamêmeville,lamêmeécolequ’elle,sanslavoir?—Jesuisperdu,Callie.Jememutile,jelaisselesautresmefairedumaletjen’enparleàpersonne.—Justement.Ilfautqueçachange.Ilfautraconteràquelqu’uncequet’afaitsubirtonpère.—Personnenemecroira.Toutlemondesaitquej’aifrappéCalebetmescicatricesprouventqueje

mecoupe.—Peuimporte.Ilfautessayer.Elleenfoncesesdoigtsdansmesépaulesetjelaregardedroitdanslesyeux.Jelaregardevraiment.

Je ne pensais pas qu’il existait des gens comme elle dans lemonde. Pourtant, elle est bel et bien là,devantmoi,plusmagnifiquequejamaissouslaclartédelalune.—EtCaleb?Tun’enasparléàpersonne,toinonplus.—J’ytravaille.Toietmoi,onvaréglertoutça.Ilesttempsd’arrêterdesefairemarchersurlespieds,

Kayden.Ilesttempsdesebattre.Elle a la voix qui tremble. J’ai l’impression qu’elle essaie de se convaincre autant que de me

convaincre.Ilmetardequ’ellefasseéclaterlavéritéetquecemonstresoitenfinarrêté.—Dis-moicequiteferaitplaisir,Callie.—J’aimeraisque lemondesoitmoins laid.J’aimeraismeréveiller lematinensachantque tout ira

bien.J’aimeraisêtreheureuse.Jehochelatête,parcequec’esttoutcequejeluisouhaite.—Qu’est-cequiterendraitheureuse?—Toi.Deslarmesdévalentsesjoues.Callieachoisilegarçonleplusvideetleplusbriséquiexiste.Jene

saispassi jesuiscapabledeluidonnercequ’ellecherche.J’entrouvreles lèvresmais jen’aiaucuneidéedecequivaensortir.Callieapprochesabouchedelamiennepourmefairetaire.Jetournelatêteetjeposeunemainsursajoue.—Tuneveuxpasdemoi,Callie.Crois-moi.Ellem’embrasseens’agrippantàmesépaules.Elletrembledansmesbrasetjeveuxlaréconforter.Je

l’embrassed’abordavectendresse,puisavecpassion.

Nousnousallongeonssurlesable.Noscorpsetnoslanguess’entremêlent.Lachaleurdesapeaumetranscende.Noussommesseulsaumonde.Jemedisquetoutvas’arranger.QueCalliefaitpartiedemaviepourtoujours.Pendantuncourtinstant,cettepenséenemefaitpluspeur.

Callie

Jecrainsqu’ilnemerejette,maisjem’enfiche.Cesoir,j’aicomprisquelquechose.Kaydennepeutpasm’aimerparcequ’ilneconnaîtpasl’amour.Ilneconnaîtqueladouleuretlafrustration.Àmoideluimontrerdequoiils’agit.Audépart,ilm’embrassedoucementetcaressemalangueaveclasienne.Puisnotrebaisers’enflamme

etnousroulonssurlesable.Ilglisselesmainssurmondosetsousmarobe.Celamerendnerveuse,maisjemerappellequ’ilm’adéjàvuenue.Jemelaisseenvoûterparsescaresses.Ileffleuremaculotteetglisseunemaindessous.Jetrembledefroid,d’excitationetdepeur.Toutescessensationsdisparaissentquandilenfoncesesdoigtsenmoi.Jesoupiredeplaisir.Desgémissementsincontrôlablesm’échappent.Jesuissurlepointd’exploserquandilretiresamainetseredressepourselever.—Kayden?Qu’est-cequ’ilya?Ilmeprenddanssesbrasetj’enroulemesjambesautourdesataille.—Jeteramèneàlamaison.Jen’aimepaslesable.Ças’infiltrepartout.Jerougisaussitôt.Heureusementqu’ilfaitnuit.Kaydenm’embrasseenremontantladuneetl’alléede

gravier. Je frissonne de plaisir. Il contourne le quatre-quatre de Luke et monte l’escalier. La lumièreextérieures’allume.Ilpasseundoigtsurmajoue.—Çam’amanqué,tusais.Tesjouesroses.C’estadorable.À peine sommes-nous entrés qu’il écrase sa bouche contre la mienne. Il traverse la maison en se

cognantcontrelesmurs.LalampeestrestéealluméedanslachambrequejepartageavecSethetlalueurdelalunes’infiltreparlescarreaux.—Ets’ilsreviennent?dis-jedansunsouffle.Kaydenfermelaporteàcléetajustesonbrasderrièremondos.Jesenssonsexecontrelemien.Seuls

sonjeanetmaculottenousséparent.J’aienviequ’ilmefassel’amour.Ilyaencorequelquesmois,cetteidée était inenvisageable. Aujourd’hui, c’est différent.Mon cœur et mon âme ont quitté les ténèbres.Kaydenestmalumièreetj’espèrequ’unjourjeserailasienne.Il m’embrasse avec passion et presse ses mains tièdes contre ma taille. Il m’allonge sur le lit et

recouvremoncorpsaveclesien.J’aimeraismesentiraussiheureuseetaussilibredanslaviequequandjesuisavecKayden.—Callie…J’écartelesjambesetilremonteunemainsousmarobe,jusqu’àmonsoutien-gorge.Pendantuncourt

instant,j’ail’impressiond’étouffer,maisjemerappellequ’ils’agitdeKaydenetquejamaisilnemeferadumal.Ilestprêtàtoutpourmeprotéger.Ilmel’adéjàprouvé.Ilfaufilesesdoigtssousmonsoutien-gorgeetenveloppemonseindesamain.Mestétonsdurcissentet

mes jambes se contractent autour de lui. Je jette la tête en arrière et j’enfonce mes ongles dans sesépaules.Kaydensefrottecontremoi.Chaquemouvementestempreintdepassion.J’oubliequijesuis.Je

n’existequedanscetinstant.Ildescenddu litetm’assoit sur le rebord. Il se lève, saisit l’ourletdemarobeetme l’enlèved’un

coupsec.Mescheveuxtombentsurmesépaulesetmoncœurbonditdansmapoitrine.Jemelèveàmontouretm’agrippeàluipendantqu’ildétachemonsoutien-gorge.Jeglisseunemainsursontorse.Jesenssoncœurbattrecontremapaume.Ensoulevant son tee-shirt, jedécouvre lacicatrice laisséepar sonpère. Je repenseàcequi lui est

arrivéetàcequ’ilatraversé.J’aienviedepleurer.—Callie…Ilposeundoigtsousmonmentonpourmeforceràleregarderdanslesyeux.Ilenrouleunemainautour

demonpoignetetydéposeunbaiser.Sonsoufflecaressemapeau.—Net’inquiètepaspourmoi.Jevaisbien.Jesaisquec’estfaux,maispeuimporte.Ilenlèvesontee-shirtetlejetteparterre.Monregardsepose

sursesnombreusescicatrices.Lapluslonguetraversesontorse.Jelasuisduboutdudoigt.—Jesuistombésurunrâteau…enessayantd’échapperàmonpère.Ilenparlecommesic’étaitnormal.Ilmebriselecœur.—Kayden,je…Ilmefaittaired’unbaiser.Ilmeplaquesurlelitetexplorelesmoindresrecoinsdemabouche.—Jesaisquetuveuxendiscuter,Callie.Jeteprometsqu’onlefera.Maislà,toutdesuite,c’esttoi

quejeveux.Rienquetoi.—D’accord.Ilcaressemajoueetjefermelesyeux.Ilmerendfolle.Ilsouritenenlevantsonjeanetsoncaleçon,

puis il faitdescendremaculotte le longdemes jambes. Ilattrapeunpréservatifdanssonportefeuille,l’enfileetposesesbrasdechaquecôtédematête.—Situveuxqu’onarrête,dis-le-moi.Jet’obéirai.—Jesais.J’ai envie de lui dire que je l’aime. J’en aimarre deme retenir. Il nem’en laisse pas le temps. Il

m’embrasse et s’enfonce enmoi. Je n’ai pas aussimal que la première fois. J’écarte les jambespourl’accueillir.Jenouelesmainsderrièresondosetjevoyageversdenouveauxhorizons,oùKaydenetmoisommeslibres.J’aimeraissaisirl’instant,legarderdansmoncœurpourtoujours,pourquemaviesoitentière,vraieetintense.Pourqu’ellesoitparfaite.

Kayden

Callieme rend fou. Chaque fois qu’elleme regarde, elle vole une partie demon âme. Quand ellem’embrasse, leKaydenvideetblessédisparaît.Ellemepossède,et j’aimerais resterenelle toutemavie. C’est à la fois terrifiant et magnifique. Je ressens des émotions que je ne m’autorise qu’en saprésence.Rienneserajamaiscomparableàcequenousvivonsensemble.Sesyeuxsevoilentetellejettelatêteenarrière.Elleenfoncesesonglesdansmapeau.J’adoreces

sensationsetjem’enveuxaussitôt.Ledésirdesouffranceesttoujourslà,enmoi,mêmeavecCallie.

—Kayden…Ellegémitdeplaisirets’agrippeàmoi,àmapeaumoite.Sonsoufflecaressemajoue.Elledessine

descerclesdansmondos.J’aibesoind’unepause.Jel’embrassesurlajoueetjecommenceàmeretirer,maiselleserrelesjambesautourdemataillepourm’enempêcher.Ellemeregardedroitdanslesyeux.—Neparspas…S’ilteplaît.Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Donne-moideuxminutes,d’accord?Je m’allonge à côté d’elle et je glisse une main sous ma tête. Je fixe le plafond. Je commence à

comprendrequelquechose…Quelquechosequejenesuispascertaindevouloirentendre.J’aibesoindeCallie.Avecelle,jemesensmieux.Vivant.Maisjen’aipasledroitdeluifairesubirmesdouleursetmasouffrance.Callieremonteledrapjusqu’àsonmentonetdécollelescheveuxdemonfront.—Àquoitupenses?Jeroulesurlecôtépourluifaireface.—Tuveuxvraimentsavoir?—Oui.—Jemedisaisquetuferaismieuxdemequitter.Sarespirations’accélère.—Tu…Tuveuxquejetequitte?Jeposeunemainsursahanche.— Je suis bien avec toi, Callie…mais je veux que tu sois heureuse. Et ce n’est pas avec unmec

commemoiquetuyarriveras.Elle réfléchit un instant en semordant la lèvre. Jemeurs d’envie de l’embrasser,mais cela irait à

l’encontredesprincipesquejesuisentraindedéfendre.—Jecomprends,Kayden,maisjenesuispasd’accord.Jemesensbienavectoi.—Ilyapleind’autreshommessurcetteplanète.—Non…C’esttoiquejeveux.—Tuméritesmieuxqueça,Callie.Jecaressesajoueetlatachedenaissancesursatempe.Lavéritémedéchireetmebriselecœur.— Tu es quelqu’un de bien, murmure-t-elle en retenant ses larmes. J’aimerais que tu t’en rendes

compte.—Moi,j’aimeraisquetusoislibre.—Peuimporte.Jeveuxjusteêtre là.Avectoi.Jemefichedetesproblèmes.C’est toiquejeveux,

Kayden.Etj’aimeraisquetusoisheureux.Tumériteslebonheur.Personnenem’ajamaisditunechosepareille.Jesensmoncœurbattresouschacunedemescicatrices,

etilfautquejelefassetaire.Jeposelesmainsderrièresatêteetjel’embrasseavectellementdepassionquej’enoubliemesmaux.

Je l’allonge sur ledos et jeposeunemain sur son sein.Elle écarte les jambesen tremblant. Je luimordslalèvreetjel’embrassesurlamâchoire,lecou,lesépaules.Elleenroulelesjambesautourdemataille.J’aspireetlèchesontétonetellegémitdeplaisirenemmêlantsesdoigtsdansmescheveux.J’aienvied’elle.Jen’enpeuxplus.J’attrapeunautrepréservatifet,quelquessecondesplustard, je

suisenelle.Lalourdeurdumondeetdemavieaencoredisparu.

Callie

Nousfaisonsl’amourtoutelanuit.Aupetitmatin,j’enfileletee-shirtdeKayden,ilremetsoncaleçonetnousnousblottissonsl’uncontrel’autre.LukeetSethrentrentdeboîtequelquesminutesplustard.Sethtiresurlapoignéeetfrappeàlaportedelachambre.—Hé!Callie!Ouvre-moi!—Ouais,Callie!Ouvre-lui!Ilséclatentderireetjecroisentendreunbruitdeverrebrisé.JecroiseleregarddeKayden.Ilsourit

enjouantavecmescheveux.—Ilssontbourrés.JepariequeLukevientdecasserunebouteille.—Est-cequeçaluiarrivesouvent?—Toutletemps.Quandilboit,ilnesaitplusseservirdesesmains.J’éclatederireetildéposeunbaisersurmonfront.—Est-cequejeluiouvre?—Non.Laisse-lessedébrouiller.Sethcontinuedefrapperàlaporte.Ilfinitparlaissertomber,etlamaisonestdenouveauplongéedans

lecalme.Même siKayden etmoi venonsdepasser unbeaumoment, desmilliers dequestions se bousculent

dansmatête.—Àquoitupenses,Callie?Jelèvelatêteversluietj’examinelespetitescicatricessursonvisage.Jesuissurprisequesipeude

genslesremarquent.—Jepensequetudevraisdénoncertonpère.

Illâchelamèchedecheveuxaveclaquelleiljouait.—Jenepeuxpas.Onnemecroirajamais.—Si,Kayden.Ilsuffitdetrouverlabonnepersonne.Ilregardelaluneparlafenêtre.—Jenepeuxpas.—Biensûrquesi.Ettusaispourquoi?Parcequejevaislefaire,moiaussi.—TuveuxdénoncerCaleb?—Oui,maisseulementsitumeprometsdedénoncertonpère.Enthéorie,toutcelaesttrèssimple.Enréalité,c’estuneépreuvedifficile,douloureuse,humiliante…—C’estduchantage.—Jesais,maisc’estpourtonbien.C’estparcequejet’aim…Jefermelabouchejusteàtemps.Ilfaitminedenerienavoirentendu.—Qu’est-cequeçanousapportera?Unelarmedévalemajoueets’écrasesursapeau.—Laliberté.Lemurquej’aibâtiautourdemoiestentraindes’effondrer.J’éclateensanglots.Unefoisdeplus.—D’accord,Callie.Jevaisenparleràquelqu’un.Jeleferaipourtoi.Ilparletellementbasquemessanglotscouvrentsavoix.Jen’aimepassaréponse.Jeneveuxpasqu’il

lefassepourmoi,jeveuxqu’illefassepourlui.Jeveuxqu’ilcomprennequ’ilestungarçonformidable.Ungarçonquiaccepteunefilledonttoutlemondeatoujourseupeur.Ungarçoncapabledebriserdesforteressesindestructibles.Ungarçonquej’aime,toutsimplement.

Kayden

Callieveutquenouspartagionsnossecretsavecquelqu’un.Ensemble.Etelleafaillimedirequ’ellem’aimait.Elles’est rattrapée,mais jesaisqu’elle lepensevraiment.Cen’estpascommeavecDaisy.Nous nous le répétions tout le temps, mais ce n’étaient que des mots, des dialogues d’acteurs. AvecCallie, c’est différent. Si elle dit qu’ellem’aime, c’est qu’elle le ressent. Et je ne sais pas commentréagir.Jeneconnaisrienàl’amouretjen’aimepaslajoiequis’estemparéedemoiquandlemotluiaéchappé.Peuimporte.Cequicompte,c’estcequejeviensdeluipromettre.Jesuisprêtàmettremadouleuret

mahontedecôtépoureffacerlessiennes.Jem’enfonceraisuncouteaudanslecœurpourcettefille.Nousrestonsau litun longmoment,àécouter lebruitde l’océan.Desoiseauxchantentdevantnotre

fenêtreetLukeetSethronflentdanslesalon.Callies’endortdansmesbrasetjelaserrecontremoi.Unetornaded’émotionsmetraverse,plusviolentequelesvagues.J’aibesoindelesfairetaire.Jemepincelepoignetetjem’enfoncelesonglesdanslapeau.JerepenseaurasoirdeLuke,dontjemesuisservihierpourmeraser.J’airésistéàl’enviedemecouperenpensantàCallie.Cettefois, jesuisincapabledemecontrôler.Jemeglissehorsdulitenposantsatêtesurl’oreiller.

Ellemurmuredanssonsommeiletelleroulesurlecôté.J’attendsuninstantpourm’assurerqu’elledort,puisjemarchesurlapointedespiedsjusqu’àlasalledebains.J’allumelalumièreetjefermelaportederrièremoi.LatroussedetoilettedeCallieestposéesurlacommode.Jem’enveuxdefouillerdanssesaffaires,maisj’aibesoind’unrasoir.C’estçaoudonneruncoupdepoingdansunmuroudanslemiroir,maisjerisquedecasserquelquechoseetdelaréveiller.Ilyaunepochetteaufonddesatrousse.Jel’ouvreetjepousseunsoupirdesoulagement.Unrasoirest

cachéparmisonmaquillage.Jem’enempareetjepasseundoigtsurlalamepourletester.Ilressembleautoutpremierrasoirquej’aiutilisé:roseavecunebandedegelaumilieu.Jesoulèvelebandageetjeposelalamecontremonpoignet,àcôtédemacollectiondecicatrices.Je

baisselatêteetjesuisprêtàappuyerquandlaportes’ouvre.Je suispétrifié.Personnenem’a jamais surpris en traindemecouper. Jen’aimêmepasbesoinde

lever les yeux pour savoir qu’il s’agit deCallie. Je reconnais l’odeur de son shampoing et le rythmesaccadédesonsouffle.—Kayden.Savoixestétonnammentcalme.Jerefusededresserlatête.Jeneveuxpasqu’ellevoieàquelpointje

suisfaible.Jen’aijamaiseuàm’arrêtersiprèsdubut.Jenesaispascommentmoncorpsetmonespritréagiront.Calliemarchejusqu’àmoi.Sesjambesetsespiedsnusapparaissentdansmonchampdevision.—Kayden.La lame du rasoir est alignée avec mon poignet, et chaque muscle, chaque veine se noue

d’appréhension.—Sorsd’ici,Callie.Fermelaporte.J’enaipouruneminute.—Non.J’ailesmainsquitremblentetlecœurquis’emballe.Jeneveuxpasmemettreencolèrecontreelle,

maisjepaniqueetmesémotionsprennentledessus.—Sorsdecettesalledebains!Elleavanced’unpas,réduisantl’espaceentrenous.—Non,Kayden.Jelèvelatête.Jesuissurlepointdetoutgâcher,maisc’estplusfortquemoi.—Sorsdecettefoutuesalledebains!—Non!Jenetelaisseraipasfaire.ElleneressemblepasàlaCalliequejeconnais.CetteCallieparaîtforteetconfiante.—Tunecomprendspas…Jen’aipasbesoindetoi!Va-t’en!Elletendlamainetenroulelesdoigtsautourdemonpoignet.—Si,jecomprends.Tuveuxétouffertesémotions.Jetecomprends,etc’estpourçaquejesuislà.Si

tumesurprenaisentrain…entraindemefairevomir,jeréagiraisdelamêmemanière.Jetecomprends,Kayden!Elleessaiedemevoler lerasoir.Pendantuncourt instant,sesmotsm’apaisentet jen’aiplusenvie

d’enfoncerlalamedansmapeau.Maisjepaniqueànouveau.Jel’esquive,prêtàhurlerdeschosesquila

marquerontàvie.Ellegrimaceetretiresamaincommesielles’étaitbrûlée.Sondoigtaeffleurélalameetunegouttedesangcoulesurlecarrelage.Jejettelerasoirdanslelavabo.—Excuse-moi,Callie…Jenevoulaispastefairemal.Encoreune fois, j’ai toutgâché.Elle regarde sondoigtet le sangqui s’échappede lacoupure.Son

visageestdéforméparladouleur.Jemeprépareaupire,àcequ’ellemerejetteetm’insulte.Maiselleneditrien.Elleavanceversmoietsejettedansmesbras.Unevaguedecalmemesubmerge.Calliemefaitentièrementconfiance.Jen’aijamaisvécuunechose

pareille,surtoutenpleinecrise.Jenesaispasquoifaireàpartresterplantélà,mesbrassansviependantlelongdemoncorps.—Callie…Ellem’embrassedanslecou.—Çavaaller,Kayden.Toutvas’arranger.Jetelepromets.Jelasoulèveetlaportejusqu’aulit.Nousnousallongeonsetellecroiselesjambesdansmondospour

m’empêcherdefuir.Tantmieux.Pourlapremièrefoisdemavie,jen’enaipasenvie.

Callie

Jel’aisentiselever.Audébut, jen’aipasréagi.Puisj’aidevinéquequelquechosen’allaitpas.Jel’airejointdanslasalledebains,ensachantquecequejem’apprêtaisàvoirseraitsusceptibledemebriseràjamais,commequandj’avaisdouzeans.Mais,cettefois,c’étaitdifférent.J’aiétéforteetjel’aisauvé,commeilm’asauvéemoi.Lorsquejemeréveille,lesoleilbrilleetlecielestteintéderose.J’aimalaudoigt.Jenel’aimême

pasdésinfecté.Ilyadusangpartout:surmamain,monbras,lesdrapsetletorsedeKayden.Jem’assoiset clignedesyeux. Jeporte encore son tee-shirt. Il est imprégnéde sonparfum. Je le laissedormir etj’entre dans la salle de bains. Mes cheveux sont emmêlés et j’ai des poches sous les yeux. Je suisépuisée.J’ouvrelerobinetetjegrimacequandl’eauchaudecoulesurlaplaie.—Est-cequeçava?Kaydenest sur lepasde laporte.Sescicatrices sont soulignéespar le soleildumatin. Je ferme le

robinetetpresseuneserviettecontremondoigt.—Oui.J’avaisjusteoubliédelenettoyer.Ilentreetposeunemainsurlaserviettepourexaminermacoupure.—Jesuisdésolé.—Cen’estpastafaute,Kayden.C’estlamienne.Etçaenvalaitlapeine.Ildéposeunbaisersurmondoigt,surmamain,puis le longdemonbraset jusqu’àmonépaule.Sa

langueetsonsoufflecaressentmapeauetjefrissonnedeplaisir.—Tuesformidable,murmure-t-ilàmonoreille.—Toiaussi.

Ilposeseslèvressurlesmiennes.Noussommesdansnotrebulle,àl’abridumondeetdenospeurs.Pourl’instant,iln’yaqueluiquicompte.Nouspréféronsnousperdredanslesbrasl’undel’autreplutôtqued’affronternosproblèmes.Unjour,quandnousrepenseronsàcevoyage,nousnousdemanderonscequinousestpasséparlatête.Noussortonsdelasalledebainsetnousécrasonssurlelit.Nosjambess’emmêlentcommedesceps

devigne.Ilmemontedessusetjepasseunemainsursontorsemusclé,sentantlachaleurdesapeauetlesbattementsdesoncœur.Ils’immisceentremesjambes.Montee-shirtremonteetKaydencaresselapeausousmonnombril.Ilbaissemaculotteet la faitglisser le longdemes jambes.J’aiencoreunpeumalaprès lanuitde

foliequenousvenonsdepasser,maisjerefused’arrêter.Leplaisirestplusfortqueladouleur.Quandmaculottearriveauniveaudemesorteils,jedonneuncoupdepiedpourm’endébarrasser.Kaydenenlèvemontee-shirtetlejetteparterre.Je suis nue devant lui. Une fois de plus. Moi. Callie Lawrence. Chaque fois que j’en prends

conscience, j’enai les larmesauxyeux. Ilenlèvesoncaleçonetm’attrapepar la taille. Il s’allongeetm’installeàcalifourchonsurlui.Jen’aipasletempsderéagir:ilplaquesesmainssurmondosetposesabouchesurmonsein.Ilaspireletétonjusqu’àcequejehurledeplaisir.Sondésirmecoupelesouffle.Ildonneuncoupdehanchesetmepénètresansprévenir.Jecherchequelquechoseàquoim’accrocher.

Ilsaisitmamainetlaposesursonépaule.Jem’agrippeàluitandisqu’ils’enfonceenmoi,deplusenplusfortetdeplusenplusvite.Monespritselibère.Jem’envole.Lorsquejeredescendsdemonnuage,jeréfléchisaubonheurquecelaéveilleenmoi.Passeulementle

sexe,maislaconnexion.Lecontact.Lefaitquejesoislà,aveclui.Etquej’aillebien.Plusquebien.Jepensequ’ilesttempsdeleluidire.Deretrouvermaliberté.Jelamérite,toutcommejemérited’êtrelà,danslemomentprésent.

Kayden

Lesoleililluminelachambre.IlestmidipasséetSethetLukenesontpasencoreréveillés.Lamaisonestsilencieuse.Calliealatêteposéesurmonbras,lamainsurmoncœuretunejambesurmonventre.—Situavaisdroitàunvœu,qu’est-cequetusouhaiterais?medemande-t-elle.Jepasseunemaindanssescheveux.—Jedemanderaisàresterdanscettechambretoutemavie.—C’estvrai?—Oui.C’estcalme.Paisible.—Qu’est-cequ’onferaitdenosjournées?—Jenesaispas.Elledevienttouterouge.Elleglisselatêtesurmontorseetydéposeunbaiser.—Moi,jepasseraismontempsdanstesbras.J’éclatederire.—C’esttout?Tun’avaisriend’autreentête?—Non.Jemeposaisjustelaquestion.

Elle plonge ses yeux bleus dans les miens. Je rassemble ses cheveux derrière sa nuque lorsquequelqu’unfrappeàlaporte.—C’estmoi!ditSeth.J’aibesoindemesaffaires.Callieseredresse.J’effleuresontétonentirantsurledrap.Ellesortdulitensouriantetsedirigevers

undes sacsqueSethportait laveille. Jebalaie soncorpsnudu regard.Callie estminuscule,maigre,fragile.Ilfaudraitquenousabordionssonproblème.Cesdernierstemps,nousneparlonsquedemoi.—Allez,Callie!insisteSeth.Ouvre-moi,s’ilteplaît.—J’arrive.Ellechoisitunshortetuntee-shirtetsedirigeverslasalledebains.—Kayden,est-cequetupourrasluiouvrirquandtuserashabillé?—Qu’est-cequetufais?—Jevaisprendreunedouche.J’aiencoredusabledanslescheveux.J’imaginel’eauchaudedévalersoncorps,sescheveux,sesseins.J’aienviedelasuivre.Aujourd’hui,

toutestparfaitetjeveuxfairedurerleplaisiraussilongtempsquepossibleavantd’affronterlaréalité.—Attends-moi.Jemelèveensouriant.Ellemeregarded’unairperplexe.Jelarejoinsetposeunemainsursonbras.—Tuasl’airperdue.Ellebalaiemontorseduregard.—Jenecomprendspas.Tuveuxprendreunedoucheavantmoi?—Non.J’aimeraismedoucheravectoi,Callie.Ellesemblesurprise.J’espèrequejenesuispasallétroploin.—Allez!Çavaêtremarrant.Jelaprendsdansmesbrasetjelaportejusquedanslasalledebains.Elleéclatederire.—Attends!IlfautouvriràSeth.Jerevienssurmespassanslalâcher,jetournelaclé,jecoursjusqu’àlasalledebainsetjefermela

portederrièrenous.—C’estbon,Seth!Tupeuxentrer.Calliecaressemanuqueduboutdesdoigts.Jel’embrasseenriant.—Oùestladouche?Ellemontredudoigtuneportedanslecoin.—Cen’estpasunplacard?—J’espèrequenon.Jeposelesmainssoussesfessesetj’ouvrelaporte.Elledonnesurunetoutepetitepièce.Lemurest

recouvertdevitresdépoliesquidonnentsurl’océanetilyaunebaignoireovaleaumilieu,légèrementsurélevéeetencadréedemarchescarrelées.Calliefroncelessourcils.—Iln’yapasdedouche.Dommage…L’idéecommençaitàmeplaire.

Jemedirigeverslabaignoireetj’ouvrelerobinet.Jeregardel’eaucoulerenvérifiantlatempérature.—Qu’est-cequetufais,Kayden?—Jepréparenotrebain.—Tuveuxqu’onprenneunbainensemble?—Seulementsituenasenvie.—C’estdégoûtant!Jeneveuxpasmebaignerdanstacrasse.Jemontesurlamarche.—Tumeprendspourqui?Jenesuispassale!—Touslesmecssontsales.C’estbienconnu.Je lui pince la cuisse. Elle éclate de rire et je perds l’équilibre. Je pose les deux pieds dans la

baignoire pour ne pas tomber en arrière. Je dérape et j’essaie d’atterrir avec autant de grâce quepossible,maisjemecognelecoudeetjemetsdel’eaupartout.Callie continue de rire. Je m’assois en la gardant dans mes bras.Mes doigts glissent sur sa peau

mouillée. L’eau perle sur son corps et ses cheveux.C’est encoremieux que ce que j’imaginais.Nousrestons quelques minutes dans cette position, à écouter l’eau remplir la baignoire et à attendre quequelqu’unbriselesilence.—Callie,jevoulaisteparlerdecequetum’asconfiél’autrejour.De…detesvomissements.—J’ytravaille,Kayden.—Tuestropmaigre.—Çan’arienàvoiravecmonpoids.Jetel’aidéjàdit.—Jesais,maisjedétestetevoirtefairedumal.C’esthypocritevenantdemapart,maisilfautqu’ellesachecequejeressens.—Jedevraispeut-êtreenparleràquelqu’un,songe-t-elle.—Bonneidée.Je…J’aivuunpsy,quandj’étaisaucentre.Jedétestaiscetendroit,maisj’aimaisbien

cemec.Ilveutqu’oncontinuenosséances.Calliemeregardedroitdanslesyeux.—C’estbien.C’estpeut-êtreàluiquetudevraisparlerdetonpère.—Jenesaispassic’estlabonnepersonne.—Quid’autre?Ellearaison.Àquipourrais-jemeconfier?Mamère?MonfrèreTyler?—Illefaut,Kayden.Etjet’accompagnerai.Jeserailàpourtesoutenir.Elle passe unemain dansmes cheveuxmouillés. J’adore Callie, mais je ne suis pas certain de la

vouloiràmescôtésquandjedéballeraimonhistoire.—Cen’estpasunebonneidée.Jeneveuxpasquetuentendeslesdétails…C’esttropdur.—Jet’aivu,Kayden.Jesaisdéjàcequit’estarrivé.Jesuisprêteàtoutentendre.Saufsituneveux

pasquejesoislà…—C’estpourtonbien.Pourteprotéger.Ellemeprendparlamain.

—Laisse-moit’aider.S’ilteplaît.Ilestimpossibledeluidirenonquandellemeregardeaveccesyeux.—D’accord,maisàuneseulecondition.—Dis-moi.—Jeveuxêtrelàquandturaconterasàtafamillecequet’afaitCaleb.Ellem’embrasseavectendresse.—Entendu.Onvayarriver,Kayden.Onestplusfortsquandonestensemble.Ellearaison.Hiersoir,Calliearéussiàm’empêcherdemecouper.J’aitoujoursdumalàycroire.— Il faut qu’on rentre aujourd’hui. On n’aurait jamais dû venir ici. J’ai l’impression de fuir mes

problèmesetderepousserl’échéance.—C’estvrai.C’étaitunemauvaiseidée.—Pasmauvaise,dis-jeenglissantunemainentre ses jambes.Cequi s’estpasséhier soir, et cette

nuit…C’étaitformidable,Callie.Je l’embrasseet lacaresse jusqu’àcequ’elle jouisseethurlemonnom.Ensuite, je lui fais l’amour

danslabaignoire.Jelaveuxtoutentière.J’aienviedeprofiterdesaprésencejusqu’aubout,aucasoùtoutcelasetermineraitmal.Pourlapremièrefoisdemavie,j’espèrequej’aitort.

Callie

Jen’aijamaisaimélesbaignoires.L’idéedestagnerdanssaproprecrassem’atoujoursécœurée.Lebainquej’aiprisavecKaydenm’afaitchangerd’avis.J’enfileunjean,untee-shirtetmeschaussures,puisjem’attachelescheveux.J’aiunpeupeurdesortir

de lachambre.Depuishiersoir,Kaydenetmoivivonsdansnotrebulle,et jesaisqu’elleéclateradèsl’instantoùlaportes’ouvrira.SurtoutquandnousannonceronsàSethetàLukequenousvoulonsrentrerplustôtqueprévu.Kaydenporteunechemiseàcarreauxetunjean.Ilalescheveuxmouillésetilaenlevésonbandage.

Certainescoupuresn’ontpasencorecicatriséetl’uned’entreellessembleplusrécentequelesautres.Ilcachesonpoignetsoussamanche.—J’yarriverai,Callie.Jetelepromets.—Jesais.Jeneveuxpasteperdre.J’aibesoindetoi,Kayden.Madéclarationlemetmalàl’aise.Peuimporte.Ilfautqu’illesache.Ilenfileunélastiqueautourde

sonpoignetavantdeboutonnersamanche.—Prête?—Sethvanousenvouloir.—Lukeaussi.Tantpis.J’ouvrelaporte.Noustraversonslecouloiretentronsdanslacuisine.SethetLukesontàtable.Elle

estrecouvertedebouteillesdebièrevides,decendresetdemégotsdecigarettes.Ilsontl’airépuisés.Ilsontlesyeuxinjectésdesang,leteintblafardetl’airnauséeux.Sethporteunshortetunpologris.Lukeesttorsenuetporteseulementunbasdepyjama.Celamedéstabilise.JeglisseundoigtautourdelaceinturedeKaydenpourmerassurer.Ilplongesesyeuxvertsdanslesmiens.—Çava?

Lukeselèveetouvrelefrigo.Jedétourneleregard.—Oui.Toutvabien.Kaydenpasseunbrassurmesépaulesetmeserrefortcontreluiavantdeleurannoncerlanouvelle:—Ilfautqu’onreparteaujourd’hui.Lukesortunebouteilledelaitdufrigo.Ildonneuncoupdepieddanslaportepourlafermer.—Tudéconnes?Onestarrivéshier.—Jesais,mais…onadestrucsàrégler.Seths’allumeunecigarette.Iljettelebriquetsurlatableetsoufflelafumée.—Quelgenredetrucs?—Destrucsimportants,dis-jeenlesuppliantduregard.Quinepeuventpasattendre.Ilcomprendaussitôt.Luke,lui,estfurieux.—C’estmoiquiconduis.C’estmoiquidécide.Kaydenpousseunsoupirdefrustration.—Jesaisquetuneveuxpasrentrer,maisc’estimportantpourmoi.Jesuisdésolé.JenesaispassiLukecomprendcequisecachederrièrecesmots.J’ail’impressionqueoui.—OK,mec.—Merci.JefaissigneàSethdemesuivredanslachambre.Ilécrasesacigarettedansuncendrierenformede

feuilleavantdemerejoindre.Ilfermelaportederrièrenousetposelesmainssurseshanches.—Qu’est-cequisepasse,Callie?Jeramasselesvêtementsquitraînentparterre.—Jenepeuxpast’enparler.—Pourquoi?—Parcequejenesuispasprête,etcen’estpasàmoideteledire.C’estàKayden.J’enfoncelesvêtementsdansmonsac.Sethn’insistepas.Ilrassemblesesaffaires.Jenettoiederrière

moiensachantque,unefoissortisdecettemaison,Kaydenetmoiretourneronsàlavraievie.J’espèrequ’ellenousvoudradubien.

Callie

J’aipeurderentreràlamaisonetd’affrontermamère,mêmeavecKaydenàmescôtés.LorsquenousarrivonsàLaramie,jejetteunœilàmonportable.Trente-septmessagesvocauxetcinquante-huittextos.—Onpourraitdormiràl’hôtel,suggèreSeth.Prolongerlesvacancesdequelquesjours.—Bonneidée,répondLuke.Jen’aipasenviederentrerchezmoi.Il est tard et les guirlandes de Noël clignotent dans les arbres du parc. Un Père Noël géant nous

accueilleàl’entréedelaville.Kaydenn’arienditdetoutletrajet.Perdudanssespensées,ilapassésontemps à regarder le paysage défiler derrière la vitre. Il me rend triste. Luke s’est contenté de fumercommeunpompier.QuantàSeth,iln’apasl’aird’avoirlemoral.—Jenesuispasrevenuepourfuirmesproblèmes,dis-je.Ilfautquejerentrechezmoi.Sethsoufflesafuméeetfaittombersescendresparlavitrebaissée.—Callie, tant que tu n’en auras pas parlé à tes parents et que tu-sais-qui traîne toujours chez eux,

gardetesdistances.Ilfautquetuarrêtesdetetorturer.—Jenemetorturepas.—Tuenessûre?Iljettesonmégotetremontelavitre.Lafermeturen’estpasélectriqueetSethlutteaveclamanivelle.

Kaydenmeregardeducoindel’œil.—Jesuisd’accordavecSeth.Je repense à toutes ces fois où j’aurais aimé devenir invisible, disparaître à jamais. Si j’avais osé

confier mon secret à quelqu’un, j’aurais peut-être échappé à toutes ces années d’enfermement et desouffrance.SethetLukeontraison.Jenesuispasobligéederentrerchezmoisijen’enaipasenvie.—OK.Allonsàl’hôtel.J’iraivoirmesparentsquandjeseraiprête.Aprèstout,jesuislibredefairemespropreschoix.J’aile

droitderomprelesliensquim’empoisonnent.J’ensuiscapable.Ilfautjustequejechoisisselemoment.J’ail’impressionderespirerànouveau.JesourisàSeth.Lukemeregardecommesij’avaisperdula

tête.QuantàKayden,ilatoujoursl’airaussitriste.Jenecomprendspaspourquoi.LorsquenousavonsquittéSanDiego,ilallaitbien.Jem’approchedeluipourmurmureràsonoreille:—Est-cequeçava?Ilmeregarded’unairsurpris.—Oui.Pourquoi?—Tun’aspasl’airdanstonassiette.Ilhausselesépaulesettournelatêteverslavitre.Ilmebriselecœur.Jesaisqu’ilmecachequelque

chose,maisjeneveuxpasinsisterdevantLukeetSeth.Dixminutesplus tard,noussommes installésdans lachambred’unmotelavecdeux litsdoubles,un

décor rétroetune subtileodeurdemoisissure.SethetLuke sebattentpour savoirquidortoù, et j’enprofitepourdiscuteravecKayden.Ilestaffalésurunlitettripotelatélécommande.—Tuessûrqueçava?—Oui,Callie.Toutvabien.—Tun’aspasditunmotdepuisqu’onestpartis.—Jesuisjustefatigué.Jelecrois,maisjenepensepasquecesoitlaseuleraison.Ilposelatélécommandesurlatablede

chevetetmetunemainsurmongenou.—Arrêtedet’inquiéterpourmoi,Callie.Jevaisbien.—Situledis.Je le laisse sur le lit et j’entre dans la salle debains. Je ferme la porte à clé et jem’assois sur le

reborddelabaignoire.L’enviedemefairevomirestentrainderessurgir.NotrearrivéeàLaramieetlesilencedeKaydenm’angoissent.J’inspireparlenezetjecomptejusqu’àdix.Ilfautquejesoisforte.Jesuiscapabledevivresansmefairedumal.Cinqminutesplustard,jemesenspluscalme.Jerejoinslesgarçonsdanslachambre.Lukeestallongé

surunlitetSethsurl’autre.Ilsregardentlatélé.—OùestKayden?Ilstournentlatêteversmoi,puisbalaientlachambreduregard.Sethfroncelessourcils.—Jenel’aipasentendupartir.Lukebâilleens’étirant.—Ilestallécherchersonsacdanslavoiture.Unevaguedepaniquemesubmerge.Jecontourneleslitsetouvrelesrideaux.Lepanneaudel’hôtel

illumineleparking.Ilneigeetlequatre-quatredeLukeestdéjàblanc.JenevoispasKayden.Ilestpeut-êtreentraindemonterl’escalier.J’enfilemeschaussuresetjesorsentrombedelachambre.—Callie!hurleSeth.Qu’est-cequetufais?Jenemeretournepas.Jetraverselecouloir,jedévalel’escalieretjecoursjusqu’àlavoiture.Aucun

signedeKayden.Jefaisletourduparking.Unmillierdepenséesmetraversentlatête.Oùest-ilpassé?

Pourquoiétait-ilaussitriste?Jerevienssurmespas.SethetLukesontentraindedescendrel’escalier.J’aileslarmesauxyeuxetje

suisgelée.—Ilestparti.Lukejetteunœilverssavoiture.—Commentça?—Jel’aicherchépartout.Iladisparu.Jetrembledefroidetdepeur.Sethmeprenddanssesbras.—Jesuissûrqu’ilvabien,Callie.Ilavaitjustebesoindeprendrel’air.—Enpleinenuit?Souslaneige?—Ilyaunestation-serviceàquelquesruesd’ici.Ilestpeut-êtrealléacheteràmanger.Lukerécupèresonportabledanslapochearrièredesonjean.Illecolleàsonoreilleetmarchejusqu’à

sonquatre-quatre,laissantdestracesdepasderrièrelui.Sethmeserrefortcontrelui.Jem’assoissurunemarcheetils’installeàcôtédemoi.—Net’inquiètepaspourKayden.Ilvabien.J’ensuiscertain.—Pasmoi.Jeserrelesgenouxcontremapoitrineetjeposelementondessus.J’attrapemonportableetj’essaiede

l’appeler.Jetombesursamessagerie.Jeraccrocheetjeluienvoieuntexto.

Moi:Oùes-tu?Tuespartisansprévenir.

J’aienviedememettreenbouleetdepleurer.Jesuisterrifiée.Paspourmoi,maispourlui.Lukenous

rejointavecsonportableàlamain.—J’airéussiàlejoindre.Iladitqu’ilavaituntrucàfaire.Untrucquinepouvaitpasattendre.Monportablesonne.Kaydenm’arépondu.

Kayden:Ilfautquejeparleàmonpsy.Jet’expliqueraiplustard.Jevaisbien,Callie.Moi:Jepensaisqu’oniraitensemble?!Etilesttard.Lecabinetestfermé.

Ilnerépondpas.Jemelèveenfrottantmonjean.—Ilfautqu’onaillelechercher.—Non,répondLuke.Ilm’aditqu’ilenavaitpourplusieursheures.Mieuxvautl’attendreici.JetournelatêteversSeth.Ilpousseunsoupiretposeunbrassurmesépaules.—Çavaaller,Callie.Net’enfaispas.Jem’agrippeàluienespérantdetoutmoncœurqu’ilaraison.

Kayden

Pendant le trajet du retour, je n’ai pensé qu’à une seule chose : le besoin urgent de faire éclater lavérité.J’aipassémavieàmetaireet,toutàcoup,j’aieuenviedemelibérerdecepoids.Je savais que je finirais parme dégonfler si j’attendais trop longtemps. J’ai profité dumoment où

Callie était dans la salle de bains pourm’éclipser. Sinon, ellem’aurait regardé avec ses grands yeuxbleusetauraitinsistépourm’accompagner.J’aibeauluiavoirpromisquenousirionsensemble,jesaisaufonddemoiquejedoislefaireseul.Sinon,jemeretiendraisdedirecertaineschoses,etjeveux–non,j’aibesoinde–toutlaissersortir.Ilesttardetl’airfroidmepiquelapeau.JecomposelenumérodeDougetjefaislescentpassurle

trottoirenattendantqu’ilréponde.J’espèrequecetteétapem’aideraàcouperlesliensquim’attachentàcettemaison,àcettefamille,auxsouvenirsquimehantentetaumonstrequienestresponsable.JesuissurlepointdelaissertomberquandDougdécrocheenfin.—Allô?Ilalavoixendormieetilparleàvoixbasse.—Doug?C’estKayden.—Bonsoir,Kayden.Est-cequeçava?—Oui.Enfin…non.Jesaisqu’ilesttard,maisj’aibesoindevousdirecequis’estpassé,cesoir-là.Jemesensoppressé,j’étouffe.J’essaiedemecalmerenfermantlesyeuxetenpensantàCallie.—Lecabinetestfermé,maisjepeuxteretrouverchezLarry’sdansunedemi-heure.—D’accord.Àtoutàl’heure.Jeraccroche.Larry’sestuncaféquiresteouverttoutelanuit.J’inspireparlenez.L’airfroidsoulage

mespoumons.Jesuisenfinprêtàfairelepremierpasversmaguérison.Lecafén’estpasloind’icietjedécided’yalleràpied.J’arriveavantDougetjecommandeuncafé.

Ungroupederoutiersestrassembléautourd’unetable.Jechoisisunebanquetteisolée.Jeneveuxpasqu’ilsentendentcequej’aiàdire.C’estdéjàbienassezdifficiled’enparler.Jetiresurmonélastique.J’aimeraisqueCalliesoitlàpourmetenirlamain,maisjesaisquej’aipris

la bonnedécision.La serveuseme sertmon café.Laporte d’entrée s’ouvre.Doug entre et un courantd’airglacés’engouffreàl’intérieur.Ilporteunjean,unmanteauetunbonnet.J’ail’habitudedelevoirencostume.Jecroiselesbrassurlatableetj’enfoncemesonglesdanslapeaudemesavant-bras.Ils’assoiten facedemoi et enlève sonbonnet et sonmanteau.Ses cheveuxpartent dans tous les sens. Il a l’airépuisé.—Bonsoir,Kayden.—Désolédevousavoirréveillé.J’avaispeurdemedégonfler…sijenevousappelaispascesoir.J’avaleunegorgéedecafé.Ilmebrûlelagorge.—Tuasbienfait.Danscescas-là,ilnefautjamaisattendre.Jemedemandecommentilréagiraquandilapprendralavérité.Jeposematassesurlatable.—Vousaviezraison.—Àquelsujet?Ilsaittrèsbiendequoijeparle.Iljetteunœilàmonbras.Jesaigneàl’endroitoùjemesuisgriffé.

—Àproposdecequim’estarrivé,cesoir-là.Ilcroiselesbrassurlatable.—Jet’écoute.—C’est…C’estmonpère…Pourquoiest-ceaussidifficile?Monpèreestunmonstre. Ilme frappedepuisque je suisgamin. Il

mérited’êtredénoncé.—C’estmonpèrequim’ablessé.Enfin,enpartie…Je n’arrive pas à m’exprimer. J’enfonce mes ongles dans mes paumes. J’ai besoin d’être seul, de

libérerladouleuravecmonsang.J’essaiedemecalmerenpensantàCallie.—IlétaitencolèreparcequejevenaisdefrapperCaleb.C’estluiquiestvenumechercherauposte.

Ilaeuhontedemoi.Ilm’aramenéàlamaisonetils’estmisàmefrapper.Pourlapremièrefoisdemavie,j’airiposté.Çaamaltourné.Ilaattrapéuncouteauet…etilm’apoignardé.Lesmotsjaillissentdemabouche.J’ail’impressionderespirerànouveau.Jemesenslibre.Libéréde

monenfance,demescicatrices,descoups,desrasoirs,deladouleur.Jedesserrelespoingsetj’étalemesdoigtssurlatable.J’attendsqueDougdisequelquechose,maisil

secontented’appelerlaserveuse.Ellealacinquantaine,descheveuxblondsavecunelonguetressedansledos.Elleporteunerobebleueetuntablierblanc.—Qu’est-cequivousferaitplaisir?Douglèvelenezdesonmenu.—Ungrandverredelait,uneassiettedecrêpesetdestartinesavecdelaconfituredeframboises,s’il

vousplaît.Ilm’adresseunsourireencourageant.—Commandecequetuveux,Kayden.Tuasbesoindeforcepourlesheuresquisuivent.—Lesheures?—Oui.Jeveuxquetumeracontestout.—Tout?Vousêtessérieux?Laserveusedoitsedemanderquinoussommesetcequenousfabriquonsici.Jemeledemande,moi

aussi.—Tout,Kayden.Depuisledébut.Ilmetendsonmenu.Jecommandedescrêpes,dubaconetdestartines.Laserveusemesouritavantde

disparaîtreencuisine.Aprèssondépart,jemetais.Jejoueaveclasalièrepourmeretenirdemegriffer.Dougregardelatéléposéedanslecoinderrièremoi.Lesilencedevientinsupportable.—Jenesaispasparoùcommencer.—Etsitumeparlaisdelapremièrefoisquetonpèret’afrappé?—C’étaitilyaquinzeans.Vousvoulezvraimentremonteraussiloin?—Jeveuxtoutsavoir,Kayden.Neteretienspas.Lorsquej’ouvrelabouche,jesaisquemavievachanger.J’espèrejustequeceseraenmieux.

Callie

IlyauneheurequeKaydenestparti.Jen’arrêtepasdepenseràlui.Jemedemandes’ilestvraimententraindeparleràsonpsyet,sic’estlecas,sicelasepassebien.LukeestsortifumerunecigaretteetSethestdanslasalledebains.Jemeglissesouslacouvertureetje

m’allongedanslelit.Sethentredanslachambreensebrossantlesdents.Ilporteunbasdepyjamableuàcarreauxetuntee-shirtblanc.—J’aiappeléGreyson,dit-il,labouchepleinededentifrice.—Qu’est-cequetuluiasdit?Je prie pour que tout se soit arrangé entre eux. Il retourne dans la salle de bains pour cracher son

dentifrice.Ilrincesabrosseàdents,laposesurlelavaboetmerejointdanslelit.Iléteintlatéléetlalampe.—Jeluiaiditquejel’aimais.—C’estvrai?Tul’aimes?—Biensûrquejel’aime!—Qu’est-cequ’ilarépondu?—Ilm’aditqu’ilm’aimaitaussi.Je ne le vois pas dans le noir, mais je sais qu’il sourit. Je l’entends dans sa voix. Cela me rend

heureuse,malgrélescirconstances.Jel’enviepresque.—Jesuiscontentepourtoi.—Jesuiscontentaussi.Quelquesminutesplus tard,Luke revient secoucher.Dormirdans lamêmechambreque luimemet

moinsmalàl’aisequecequejecraignais.Lesheuresdéfilentetjen’arrivepasàdormir.Lecadranduréveilscintilledanslanuit.Lechauffage

ronronneetilyadubruitdanslachambred’àcôté.Sethronfle.Àuneheuredumatin,jedécidequ’ilesttempsd’agir.Jenesaispaspourquoij’enarriveàcettedécision.C’estpeut-êtrelecouragedeSethquim’ainspirée,oulebesoindemelibérerdecepoids.IlesttempsdedireàKaydencequejeressens.Ilméritedesavoirquejel’aime,mêmes’ilnemele

ditpasenretour.J’attrapemonportableetmoncarnetsurlatabledechevetetjemarchesurlapointedespiedsjusqu’àlasalledebains.J’allumelalumière,jefermelaporteàcléetj’ouvremoncarnetàlapagequejeluiaiécrite.Jetombesursamessagerieetjeluilismalettreàvoixhaute,mêmesicelameterrifieplusquetout.Avecunpeudechance,cetteétapem’aideraenfinàembrassermonavenir.

Kayden

Le soleil se lève derrière les montagnes enneigées. La serveuse ferme les rideaux tandis que lespremiers rayons traversent les carreaux.Elleéteint lepanneau fluorescentqui surplombe leparkingetellepréparelecafépourl’arrivéedespremiersclients.Doug etmoi n’avons pas quitté notre banquette de la nuit. Je terminemon histoire en sachant qu’il

faudratôtoutardsortirdececaféetaffronterlavieréelle.Jeneluiaipastoutdit.J’aimisdecôtélespériodeslesplusnoires,cellesauxquellesjeneveuxpasrepenser.Dougmeditquec’estnormal,queceschoses-làprennentdutemps.Jen’aijamaispenséquej’avaisdutempsdevantmoi.J’aitoujoursvécuaujourlejour.Quandjeluiairacontélafoisoùmonpèrem’aétrangléetoùj’aiperduconnaissance,j’aiéclatéen

sanglots.Cejour-là,j’avaisperdulatélécommande.Ilm’ahurlédessus.Jenemesuispasdéfendu,cequil’aénervédavantage.Ils’estjetésurmoi,m’aplaquéausoletanouésesmainsautourdemoncou.Jemesouviensencoredecequej’aipenséàcemoment-là.Tue-moi.Qu’onenfinisse.Quandjemesuisréveillé,jemerappelleavoirétédéçud’êtreencorelà.Dougpaiel’addition.J’essuiemeslarmesavecmesmanches.—Etmaintenant?dis-jeenreniflant.Qu’est-cequejedoisfaire?Ilglissesonportefeuilledanslapochedesonmanteauetempilenosassiettesvides.—C’esttoiquivois,Kayden.—Lepsydontvousm’avezparlé,celuideLaramie…Est-cequ’ilestaussiouvertquevous?—Ilestpeut-êtremêmemeilleur,répondDougensouriant.Maissachequetupeuxm’appelerquandtu

veux.Etn’oubliepasquenousavonsrendez-vouslundi.—Jesais.Jeserailà.NousnouslevonsenmêmetempsetDouglaisseunpourboiresurlatable.—J’aiunedernièrechoseàtedire,Kayden.Àproposdetonpère.Jegrimace.C’estplusfortquemoi.J’aiditbeaucoupdemaldeluipendantcesdernièresheureset,

mêmesij’aimeraisqu’ilensoitautrement,jemesenscoupable.J’ail’impressiondel’avoirtrahi.—Jepensequetudevraisporterplaintecontrelui.Jesecouelatête.—Non…Jenepeuxpas.—Tun’espasobligédelefairetoutdesuite.Onenparleralasemaineprochaine.Situn’espasprêt,

neteforcepas.C’estimportant,Kayden.Chaquechoseensontemps.En vérité, j’enmeurs d’envie. J’aimerais que lemonde entier découvre la vérité,mais la peur est

toujourslà,enmoi.Noussortonsducafé.Jefermemonmanteauetjeremontelacapuchesurmatête.Dougentredanssa

voitureetsortduparking.Jerestesousl’auventetjeregardelesoleilselever.Lecielestroseetorangé.Ilm’éblouit,maisjen’arrivepasàdétournerleregard.JeglisseunemaindansmapochepourappelerLukeetluidemanderdevenirmechercher.Ilfaitvraimenttropfroid.J’allumemon portable. Calliem’a appelé plusieurs fois,m’a envoyé des dizaines de textos etm’a

laisséunmessagevocal.Elleadûsefairedusoucitoutelanuit.J’appellemamessagerieetjeretiensmonsouffle.J’aipeurd’écoutercequ’elleaàmedire.J’aipeur

qu’elleneveuilleenfiniravecmoi.«Kayden…Sethm’aconseilléd’écrirecequejeressensdansmoncarnet.Unjour, je t’aiécritune

lettre.J’aimeraistelalire.C’était…avantnotrevoyageenCalifornie.»Ellemarqueunepause.Ondiraitqu’elleestsurlepointdepleurer.

«CherKayden…Avant notre rencontre, j’étais perdue. Jeme sentais laide, à l’extérieur comme àl’intérieur. Brisée. Honteuse. Parfois, la douleur devenait insupportable. Voilà pourquoi jeme faisaisvomir.Voilàpourquoijemesuiscoupélescheveuxensixième.Voilàpourquoij’aiportédeshabitstropgrandspendanttoutescesannées.Voilàpourquoijenesupportaispaslafoule,niqu’onmetouche.Cettedouleurétaitlàtoutletemps,enmoi.Jen’avaisplusd’espoir.Jecroyaisqu’ellenemequitteraitjamais.Certainsjours,j’auraisaimémourir.J’yaipenséplusd’unefois,maisjenesuisjamaispasséeàl’acte.Tantmieuxcar,malgrécettesouffrance,mavievalaitlapeined’êtrevécue…parcequejet’airencontré,Kayden.Tum’assauvéed’uneviedetristesseetdecolère.Tum’assauvéedemoi-même,demonpassé,del’avenirsolitairequim’attendait.Lorsquejet’airetrouvéparterre,cejour-là…j’aicomprisàquelpoint tusouffrais.J’aicomprisquetuavaisbesoind’êtresauvé, toiaussi.Passeulementdesblessuresphysiques,maisdetoutlemalenferméentoi.Jetecomprends,Kayden.Jesuisprêteàtoutpourt’aider.Ilfautjustequetul’acceptes.Etj’aibesoind’aide,moiaussi.J’aibesoindetoi.Je…Je…»Ellesemetàpleurer.J’enaileslarmesauxyeux.Lesgensentrentetsortentducaféetmevoilà,planté

sousunauvent,entraindepleurercommeunbébé.Peuimporte.Leslarmes,lasouffrance,lepassé…Ilsnecomptentplus.Ilsexistentenmoicommelescicatricessurmesbras.Elless’atténuentavecletempset,mêmesiellesaltèrentl’apparencedemapeau,ellesnem’empêchentpasdevivre.Callierenifleavantdereprendresalecture:«Jen’yarriveraipassanstoi.Je…Jet’aime,Kayden.Netesenspasobligédemeledireenretour.

Tunemedoisrien.Jevoulaisjustequetulesachesparcequetulemérites.Tuméritesd’êtreaimé.»Elle raccroche et ses paroles résonnent dansma tête. Elle sait que personne neme l’a jamais dit.

Personne sauf Daisy, mais ce n’étaient que des mots. Callie, elle, le pense vraiment. Je l’ai entenduderrièreseslarmes.Jeregardelesgenssortirdeleurvoitureetmangerleurpetit-déjeunerauchaud.Jenesaispasceque

jedoisfaire,maisjesaiscequejeveux.Jeveuxétouffertoutescesémotions.Calmerlesbattementsdemoncœur.Jeglisseleportabledansmapocheetjeparsencourant.Leventselèveetlesfloconsvolentautourde

moi.Jenesaispasoùjevais.Parfois,lesmeilleuresdécisionssontlesplusimprévisibles.

Callie

Kaydenn’estpasrentrédelanuit.Jeluiaienvoyéplusieurstextos,maisilnerépondpas.Lukeestallés’acheter un café. Je pense que c’était un prétexte pour partir à sa recherche.Dumoins, c’est ce quej’espère.—Toujourspasderéponse?medemandeSeth.Ilestallongédevantlatélé.Jeposemabrossesurlacommode.—Pasencore.Jemedemandes’ilaécoutémonmessagevocal.J’espèrequ’iln’apaspaniqué.Tantpis.Finis, les

secrets.J’aimeKaydenetilfautqu’illesache.Jesorsdelasalledebainsetjem’allongeàcôtédeSeth.—J’aibesoind’uncafé.Jen’aipasassezdormi.Iljettelatélécommandeauboutdulit.—Normal.Tuaspassélanuitàdéballertavieàuneboîtevocale.—Tum’asentendue?—Oui.Est-cequetuveuxenparler?Ilglisseunemèchedecheveuxderrièremonoreille.—Pasvraiment.Cequiestfaitestfait.Kaydenécouteramonmessageunjouroul’autre.C’esttoutce

quicompte.—Etensuite?—Ilentendracequej’aiàluidire.—Et…?Jesuisd’undoigtlesfleursquirecouvrentledessus-de-lit.

—Etrien,Seth.Jen’attendsrienenretour.Jevoulaisjustequ’ilsachecequejeressens.—Tuluiasditquetul’aimais?—Oui.Ilmeregardeaveccompassion.Ilpensequecelavamalseterminer.—Callie…—Jeteprometsqueçavaaller.Jesensquejesuisentraindechanger,degrandir.Jeneregretterien.

Jesuiscontentedel’avoirfait.Ilmesouritetmecaresselajoue.—Tantmieux.Maisjetepréviens:siKaydenneteditpasqu’ilt’aime,jeluicasselagueule.Jesuis

tonmeilleurami.Monrôleestdeteprotégerdesméchantsgarçonsquiteveulentdumal.J’éclatederire.Ilselèveenserrantlespoings.—Jeneplaisantepas!Jetevengerai,Callie.J’imagineSeth,maigrecommeunclou,entraind’essayerdefrapperKayden.L’imageesthilarante.—C’estgentildetapart.Ilmetardedevoirça.Ilattrapeunoreilleretlejettedansmadirection.Jel’esquiveetilvolepar-dessusmatête.—Tupensesquejen’aiaucunechance,c’estça?Tuastort.Ilretroussesesmanchesetmemontresesbiceps.J’enpleurederire.—Jesuisdésolée,Seth!C’estjuste…C’esttropdrôle!—Ravidet’avoirdivertie.Onfrappeàlaporte.LevisagedeSeths’illumine.—Enfin!Çafaitvingtminutesquej’attendsmonpetit-déjeuner.Ils’emparedesonportefeuille,ouvrelaporteetseretrouvenezànezavecKayden.Ilesttrempédela

têteauxpieds.Ilalesyeuxgonfléscommes’ilavaitpleuréetlesmainsenfouiesdanssespoches.Ilpasseunemaindanssescheveux.Desfloconsdeneigetombentparterre,fondantaussitôt.Ilplonge

sesyeuxvertsdanslesmiens.—Salut,Callie.Nousrestonsimmobiles,silencieux.Jenesaispass’ilaécoutémonmessage.J’espèrequeoui.Sethseraclelagorge.—Bon…Jevaisvoiroùenestmacommande.Il sort dans le couloir et laisse la porte ouverte.Kaydenme regarde d’un air perplexe, comme s’il

hésitaitàentrer.Nousavonstouslesdeuxpeurdebouger,derespirer,deprendrelaparoleenpremier.—Entre.Ilavanced’unpasetfermelaportederrièrelui.—J’aieutonmessage.Magorgesenoue.Jememetsàgenouxsurlelit.—Est-cequetuétaisvraimentavectonpsy?Ilpousseunsoupiretfixelemurderrièremoi.

—Oui.Jesuisdésolé.Jepréféraisêtreseul.—Est-ceque…Est-cequetuluiasparlédetonpère?Jemelèveetmeplantedevantlui.Ilsouritetprendmamaindanslasienne.Elleestglacée.—C’estfait,Callie.Jeluiaitoutraconté.—C’estvrai?Ilhochelatête.—Et…?—Etçam’afaitdubien.J’étudiesonvisage.Sonregardestplusvif.Sesépaulessontmoinstendues.Ilsembleplusléger.On

diraitqu’unepartiedumalqu’ilgardaitenluiadisparu.—Qu’est-cequ’ilt’arépondu?—Ilm’aditdeporterplainte.Enfin…d’yréfléchir.—Est-cequetuvaslefaire?—Réfléchir?—Non,porterplainte.—Jenesaispas.Ilmeregardedroitdanslesyeux.—J’en ai envie,mais c’est difficile. J’ai besoinde temps et de soutien. J’aimerais quemes frères

soientdemoncôté,pournepaspasserpourunmenteur.—Ilsleserontpeut-être,Kayden.Ilsontvéculamêmechosequetoi.Jesuissûrequetadémarcheles

inspirera.—Jenesaispas.TylerestalcooliqueetDylann’apasdonnédenouvellesdepuisqu’ilestparti.—Est-cequetusaisoùilhabite?Jepasseunemainsursesjouesrouges.Ilhausselesépaulesetdéposeunbaisersurmesdoigts.—Jen’aijamaisessayédeleretrouver.Jedevraispeut-êtremerenseigner.J’enroulemesbrasautourdesataille.—Oui,Kayden.C’estunebonneidée.Ilm’embrassesurlefrontetaspireuneboufféedemonodeur.Ildéposeunbaisersurmatempe,surma

joue,puislelongdemamâchoire.Sonsoufflecaressemoncou.Jefrissonnedeplaisir.—Merci,Callie.J’essaiedeleverlatêtepourleregarderdanslesyeux,maisilposeunemainsurmanuqueetblottit

monvisagecontresontorse.—Pourquoi?—Mercipourtonmessage.—C’étaitlavérité,Kayden.Ilfaittomberunedemesbretellesetglisseunemainsousmondébardeur.Sapeauestfroidecontrela

mienne. Ilmesoulèvepar la tailleetm’allongesur le lit. Jemesensvulnérablemaisapaisée. Jesais

qu’ilnemeferapasdemal.Etjesaisqu’ilm’aime,mêmes’iln’estpascapabledemeledire.—Tuessublime.Soncomplimentmefaitrougir.C’estcequeCalebm’aditcejour-là,dansmachambre,maisjebalaie

lesouvenird’unreversdelamain.—Tuexagères.Ilcaresselacourbedemoncou.—Jen’exagèrejamais.Tuesbelle,Callie.—Arrête…—Tuesparfaite.Douce.Généreuse.—Toiaussi.Ils’agenouillesurlelit.—Çaadûêtredifficilepourtoide…demeliretalettre.—Pasaussidifficilequejelepensais.Jevoulaisjustequetusachescequejeressens.Jem’empareducoldesonmanteauet jeplaquemes lèvrescontre lessiennes. Ilpose lesmainsde

chaquecôtédematêteetglissesalanguedansmabouche.Ilaungoûtdesiropd’érableetdecafé.Ilaspirema lèvre inférieureet lamordavec tendresse. Je le sensplus libredans sesgestes etdans sesbaisers.Sonbonheurmerendheureuse.C’esttoutcedontj’avaisbesoin.Ilécartesabouchedelamienneet,avantquejen’aiele tempsdeprotester, ilm’assoitetm’enlève

mondébardeur.Mescheveuxtombentencascadesurmesépaules.Unevaguedechaleurexploseentremes jambes. Il détachemon soutien-gorge. Son poignet est de nouveau recouvert d’élastiques. Je medemandesic’estsonpsyquilesluiadonnés.Ilpasseundoigtsousl’und’eux.—C’estpourm’aideràguérir.—Jesais.Nousnousregardonsunlongmoment,puisilm’embrasseavecpassion,recouvrantmoncorpsavecle

sien.Ilfrotteungenouentremesjambesetmecaressel’intérieurdelacuisse.Jem’agrippeàsesépaulestandisqu’ilmelèchelecou.Jegémisdefrustrationquandils’écartedemoi.—Non,Kayden…Continue…S’ilteplaît.Surpris,ilmeregardedroitdanslesyeux.Jeviensdelesupplier.Jesuismortedehonte.—Désolée.Ilm’attrapepar leshanchesetnousallonge sur le côté. Ilglisseunemain sousmonpantalonetma

culotteetenfoncesesdoigtsenmoi.Quelquessecondesplustard,jejouisenhurlantsonnom.Lorsquejeretrouvemesesprits,jesuisgênéedem’êtreemportée.Jememordslalèvre.—Pardondet’avoirsupplié…etd’avoircrié.Ilsecouelatêteetdesmèchesdecheveuxrebondissentsursonfront.—Arrêtedet’excuser,Callie.Jetedonneraitoutcequetuveux.Tout ce que je veux ? Je le veux en moi. Voilà ce que je veux. Je fais quelque chose qui ne me

ressemblepasetquinouschoquetouslesdeux:j’enlèvemonpantalonetmaculotte.Ilmeregardeme

déshabilleretsonregardbrûlededésir.Jem’allongedevantlui,nue,alorsqu’ilestencorehabillé.Pourmoi,c’estuneétapeénorme,quiprouvequej’aibeaucoupchangé.Kaydenmecaresselajoue,lecou,puislapoitrine.Ileffleuremontétonsansmequitterdesyeux.Il

s’assoitsurmoi,puisenlèvesonmanteauetsachemise.Jepasselesdoigtssursontorsemusclé,etlessienssepromènentlelongdemoncorps.—Dis-moisituveuxquej’arrête.D’accord?—Jetefaisconfiance,Kayden.Ilmecaressel’intérieurdescuisseseteffleuremonentrejambeavecsonpouce.Ilmerendfolle.J’ai

hontedesgémissementsquim’échappentetdel’enviequimepossèdechaquefoisquesesdoigtstouchentmonsexe.Jesuisàboutdesouffle.Jenesaispascequ’ilveutdemoi,maisjen’enpeuxplus.—Kayden…S’ilteplaît…C’estcequ’ilvoulaitentendre.Ilsouritenenlevantsonjeanetsoncaleçon.C’estétrangedelevoir

aussiheureux.Étrange,maisagréable. Il s’allongesurmoietétudiemonvisage. J’aipeurqu’ilnemenoiesousunocéandecompliments,commetoutàl’heure.—C’estgrâceàtoiquejesuislà,Callie.Jecaressesajoueetsamâchoire.—Non.Jen’ysuispourrien.—Biensûrquesi.Tum’assauvétellementdefois…Ettum’asmontréquejeméritaisd’êtreaimé.Ildéposeunbaisersurmamain.—Tun’espasobligéederesteravecmoi,Callie.J’aiencorebeaucoupdechosesàrégler.Jeneveux

pasêtreunfardeaupourtoi…—Jet’aime,Kayden.Jeposeundoigttremblantsursabouchepourqu’ilcomprennequ’iln’estpasobligéderépondre.Ila

leslarmesauxyeux.Moiaussi.C’estincroyablequ’unesimplephraseaitautantdepouvoir.Elleremuelatristesse,ladouleuretlebonheurquenousavonsenfouisdansnoscœurs.Jeleregardedanslesyeuxetjemedemandesic’estledestinquim’aattiréeversluicesoir-là,dans

sonjardin.Peut-êtreétais-jecenséelesauverpourqu’ilmesauveàsontour?Pourquenousarrivionsàunmomentcommecelui-ci,oùnoussommestouslesdeuxheureuxdevivre.Ilm’embrasseet ses larmessemêlentauxmiennes. J’écarte les jambeset il s’enfonce lentementen

moi. Je passe les doigts dans ses cheveux humides puis je les pose sur ses joues, sentant sa barbenaissanteetlescourbesirrégulièresdesamâchoire.Il explore chaque millimètre de mon corps avec ses mains. Je m’accroche à lui, à ses épaules. Il

m’embrasseavecferveur,plongesalanguedansmaboucheetaspirelamienne.Ilmemordleslèvres,lecou,etempoignemonsein.Unfeuardentmeconsumedel’intérieuretjemecambreenhurlant.Jejettematêteenarrièreetj’attendsqu’iljouisseàsontour.Ensuite,jefermelesyeuxetjeprofitedel’instant,tirantuntraitsurunedemespeursetmepréparantàaffronterlaprochaine.Cellequejecrainsleplus.

Kayden

AllongécontreCallie,j’ail’impressionquemonboucliercommenceàsefêler.Pourlapremièrefois

demavie,jemesensentier.J’aienvied’allerdel’avant,demereconstruireetdel’aideràguérir,elleaussi.Je me lève et elle balaie mon corps nu du regard. Elle remonte le drap sur elle. Je ne peux pas

m’empêcherdesourire. J’ouvre le sacque j’ai laissépar terreet je fouilleparmimesvêtements,à larecherchedesoncadeau.Jelarejoinssurlelitetjeluitendslamain.Jenelaquittepasdesyeuxpendantqu’elleétudielecollier.—Jel’aitrouvéàSanDiego,quandjemebaladaisavecLuke.J’aitoutdesuitepenséàtoi.—Pourquoi?Jeluimontrelependentif.C’estuntrèfleàquatrefeuilles.—Parcequetumeporteschance,Callie.Ellefroncelessourcils.—Tuastort.Tuasfaillimouriràcausedemoi.Jemeblottiscontreelle.—Chaquesecondequej’aipasséeavectoienvalaitlapeine,Callie.Avantqu’onserencontre,jene

connaissaisqueladouleuretlevide.Jemefichaisdevivreoudemourir.Jen’existaispas.Jesurvivais.Jeflottaisàlasurface,ninoyénivivant.Quandtuesentréedansmavie,j’airetrouvémonsouffle.Sanstoi,j’auraiscontinuéàmefairedumaletàjoueraveclamort.—Ilnet’estarrivéquedesmalheursdepuisnotrerencontre.— Ils n’avaient aucun rapport avec toi. Ils étaient liés à mes propres choix, à des problèmes qui

existaientdéjàdepuisdesannées.Elleestsurlepointdepleurer.Jelesens.J’approchemabouchedesonoreilleetj’ydéposeunbaiser.—Tum’asouvert lesyeux,Callie.Tum’asapprisàacceptermesémotions, lesbonnescomme les

mauvaises.Maintenant,c’estàmoidetrouverlejusteéquilibre.J’aspirelelobedesonoreilleenrepensantaumessagequ’ellem’alaissé.J’aimeraisluidirelesmots

qu’elleattend,pourqu’ellecomprennequejeressenslamêmechose,maisjen’yarrivepas.Pasencore.—Jeveuxêtreavectoi,Callie.Plusquetout.Elleéclateensanglots.Jelaserrefortcontremoi.J’aibesoind’elle,etjeressensàlafoisdel’amour

etdelacolère.J’aienviedemecouperlapeauetderegarderlesangdévalermesbras,maisjeneveuxpluslafairesouffrir.JeveuxpartagermavieavecCallie.Moncœurestentraindes’ouvrir.Touteslesémotionsquej’avaisemprisonnéessontentraindecouler

dansmesveines:lasolitude,lajoie,ledoute,l’espoir.Etjecomprendsquemavieneselimitepasàcequej’aiconnu.Pourlapremièrefois,jesaisquetoutvas’arranger.

Callie

Mes sanglotsmebercent etm’endorment.Au réveil, jeme sens différente.Kayden est collé àmoi,commesij’étaislapersonnelaplusimportantedumonde.Jeportelecollierqu’ilm’aoffert.Jemesenspluslégère.Pluscourageuse.Jeveuxmelibérerdudernierpoidsquim’empêched’avancer.Jeveuxdirelavéritéàmafamille,passeulementpourlesmettreaucourant,maisaussipoursauverKaydendeCaleb

etdesonpère.Mesparentsserontdemoncôté.IlscomprendrontpourquoiKaydenl’afrappé.Dumoins,c’estceque

j’espère.Aufond, jenesaispascomment ils réagiront. Ilsnemecroirontpeut-êtrepas.Quoiqu’ilensoit,lemomentestvenu.Ilesttempsdeleurfaireface.J’écoutemaboîtevocaleet je raccrocheauboutdecinqmessages.Je jetteunœilaux textosdema

mère.L’und’euxattiremonattention.

Maman:Jenetereconnaisplus,Callie.Pourquoies-tupartieaveccesvoyous?Nimoi,nitonfrère,

ni Caleb ne les laisserons te détruire. Caleb a décidé de porter plainte contreKayden. Il faut que turentresetquetutebattesànoscôtés.

Je posemon portable sur le lit et je me lève. J’enfile un jean, un haut à manches longues et mon

manteau.JelaisseunenoteàKaydensurl’oreiller:

Jesuispartiechezmesparents.J’aidécidéde leurannoncer lavérité touteseule.Jesaisque tu

comprendras.Jereviensbientôt.Promis.Callie

J’enfile mes chaussures et je sors de la chambre sur la pointe des pieds pour ne pas le réveiller.

J’aimerais qu’il vienne avec moi, mais il a passé une nuit difficile et il faut que j’apprenne à medébrouillersanslui.Detoutefaçon,mamèrel’aurait insultéavantmêmequ’ilneposeunpieddanslamaison.Jesorsdumoteletjetraverselavillesouslesnuages,enespérantquelesoleillesperceratôtoutard.

LavoixdeCalebrésonnedansma tête :Toutest ta faute,Callie.Jecontinueàmettreunpieddevantl’autre.N’enparleàpersonne.Sinon, tuaurasaffaireàmoi. J’arrivedevant chezmoi.L’allée a étédéneigée et le quatre-quatre de mon père est garé devant le garage. Les rideaux sont ouverts et lesmarchessontrecouvertesdesel.Jelesmontelentementetjeresteplantéedevantlaportetandisquelessouvenirsdéfilentdevantmesyeux.Viens,Callie…J’aiuncadeaupourtoi.J’ouvrelaporte.Mamèreestdevantl’évier,untorchonsurl’épaule.Elletournelatêteversmoi.Elle

s’estattachélescheveuxenchignonetellen’estpasmaquillée.Elleporteunvieuxpantalonetunpullrose.—CallieLawrence!Oùétais-tupassée?Ellejetteletorchonsurl’évieretposelesmainssurseshanches.Monpèreestassisàtable.Ilporteun

sweatshirtàcapucheaveclelogodulycéeimprimédessus.Ilmangedestartinesetdesœufsbrouillésetilboitunjusd’orange.Monfrèreestassisàcôtédelui,lesyeuxrivéssursonportable.—Ilfautqu’onparle,dis-jeàmonpère.Seuleàseul.Jenesaispaspourquoijelechoisislui.Sûrementparcequenousnousentendonsbienetqu’ilréagira

pluscalmementquemamère.Ilposesafourchettesursonassietteetselèvesansprotester.

—D’accord,chérie.Monfrèremejetteunregardnoir.—Tupourraisaumoinsrépondreàmaman.Elles’estfaitdusoucipourtoi.—Peuimporteoùj’étaispartie.Cequicompte,c’estpourquoijesuisrevenue.Il lève lesyeuxauciel. Jedisparaisdans le salon.Mamère semet àhurler et àmedemanderdes

explications.Jesuissurprisequ’ellenenoussuivepas.Jem’installesurlecanapéetmonpères’assoitenfacedemoi,danssonvieuxfauteuilencuir.Jebalaieduregard lesphotosdisséminéesdans lapièce.Jem’arrêtesurunportraitdemonpèreet

moi.Nousposonsensouriantdevantunstadedefootball.J’avaishuitans.J’étaisheureuse.Jeluimontrelaphotodudoigt.—Ons’estbienamusés,cejour-là.Monpèresouritensuivantmonregard.—Oui.C’étaitunebonnejournée.Iltournelatêteversmoienfronçantlessourcils.—Mapuce,tamèreetmoinoussommesbeaucoupinquiétés.Tuespartieaveccesgarçonsalorsque

tulesconnaisàpeine…—Jelesconnaistrèsbien.Cesontmesamis,papa.Ilsonttoujoursétélàpourmoi.Iltiresurlaficelledesacapuche.—Jesais…Jelesaimebien,moiaussi.KaydenetLukefontpartiedemesmeilleursjoueurs.Cesont

desbonsgars.Ilmesourit et je saisaussitôtque j’ai fait lebonchoix.Monpèreest capabledemettredecôté la

bagarreentreKaydenetCaleb.Contrairementàmamère,ilvoitplusloinqueleboutdesonnez.Jem’éclaircislavoix:—Ilfautquejet’avouequelquechose.Çavaêtredifficileàdire,etdifficileàentendre.—Jet’écoute.Jem’agrippeautrèflequipendàmoncou.Kaydenmedonnelaforcedecontinuer:—Est-cequetutesouviensdemondouzièmeanniversaire?Monpèresembleconfus.—Oui…Onavaitorganiséunefête.—Exact.Ilyavaitbeaucoupdemonde.—Tuconnaistamère,soupire-t-il.Elleinvitetoujourstropdegens.JerevoisCalebentraindemeplaquersurlelit.J’entendssavoix.J’entendslamienne.Va-t’en.S’ilte

plaît.Tumefaismal.Jemeforceàcontinueravantquemapeurneprenneledessus:—Ilm’estarrivéquelquechose,cejour-là.Jetremblecommeunefeuille.Monpèreseredressedanssonfauteuil.Iladéjàl’airencolère.Jene

veuxpasqu’ils’énerve.Jeveuxjustequ’ilm’écoute.—Calme-toi,papa.S’ilteplaît.—Jeneteprometsrien,dit-ilenserrantlespoings.Tumefaispeur,Callie.

Je passe unemain surmon visage. Jeme rappelle ce que j’ai ressenti, ce jour-là. J’aimerais êtreinvisible.J’aimeraisneplusexister.J’aimeraismourir.Lesoleilpercelesnuagesetilluminelesalon.Jeserreletrèfledansmamainetjefermelesyeux.—Onm’aviolée,papa.Etvoilà.C’estdit.C’est commesi je lui avaisarrachéunpansement. Il est impossibledepréparer

quelqu’unàunenouvelleaussichoquante.Mon père me regarde longuement. Une tornade d’émotions déforme son visage : colère, rage,

frustration,douleur.Puisilsemetàpleurer.Ilpleurecommeunpetitgarçon.C’estlapremièrefoisquejelevoisdanscetétat.Jemelève,jem’assoisàcôtédeluietjeleprendsdansmesbras.Moi,j’aitellementpleuréquejen’aiplusdelarmesàverser.

*

Laconversationavecmamèrenesepassepasaussicalmementqu’avecmonpère,surtoutquandjeluiannoncelenomducoupable.—Non,non,non,non…C’estimpossible.Impossible!Pourtant,chaquefoisqu’ellecroisemonregard,ellesaitquec’estvrai.Elleestassisedanslefauteuil

devantlafenêtre.Elleestsûremententraindefouillersamémoireàlarecherched’indices:lejouroùjemesuiscoupélescheveux,lesheuresquej’aipasséesenferméedansmachambre,mesvêtementstroisfoistropgrands.Lemomentoùj’aiarrêtédepleurer.Arrêtédevivre.Monpère est assis à côtédemoi sur le canapé, commepourmeprotéger. Jacksonest parti peude

temps aprèsmon arrivée. Il n’est pas encore au courant et jeme demande comment il réagira. Jemedemandes’ilmecroiramoi,ous’ilcroirasonmeilleurami.Jeregardemamèredroitdanslesyeux.—Tuétaisdanslejardin,entraindejoueràcache-cacheaveclesautresenfants.Calebm’aditqu’il

avaituncadeaupourmoi.Ilm’aattiréedansmachambreet…et…c’estarrivé.Ellesecouelatêteetmonpèreéclateensanglotspourlaénièmefois.—C’estimpossible.—Jesuisdésolée,maisc’estlavérité.J’aimeraisquecesoitfaux,moiaussi.Crois-moi.Ellepasseunemaindanssescheveux.—Je…Jenecomprendspaspourquoitunenousenaspasparlé.—J’avaishonte,maman.Jemesentaiscoupable.Etj’avaispeurdeledireàvoixhaute.Peurdela

réalité.Mamèrenesupportepasd’entendrelesmalheursdesautres.Ellepassesontempsàfairel’autruche.

Etvoilàquesaproprefilleluiapprendqu’unmonstreavécusoussontoit,mangésesplats,luiasourietl’acharméeaprèsavoirviolésafille.Jemeconcentresurlesbattementsdemoncœuretletrèfleenmétalcontremapeau.Monpèredonne

uncoupdepoingdansl’accoudoir.Ilalesyeuxrougesetleteintblafard.

—Jevaisletuer!—Non,papa.Çaneréglerarien.Je pose unemain sur son bras pour le calmer.Des larmes dévalent ses joues et s’écrasent sur ses

genoux.—C’estpourçaqueKaydens’estbattuaveclui?—Oui.Ilselèveetfaitlescentpasaumilieudusalon.Monpèren’estnigrandnigrosmais,toutàcoup,ila

l’airgigantesque.—Calebvapayerpourcequ’ilt’afait,Callie.Jevaisappelerlapolice…Jelerattrapeparlebras.—Çanesertàrien.Ilesttroptard.Mamèresemetàpleurer.Elleenfouitsonvisagedanssesmains.—Cen’estpaspossible!C’estuncauchemar!—Jesuisdésolée,maman.—Commentfais-tupourresteraussicalme?Jenecomprendspas!—Jenesuispascalme.Jesuisprêteàallerdel’avant.C’esttout.Je lâche lebrasdemonpère.Elleattrapesonportabledans lapochedesonpantalon.J’échangeun

regardavecmonpère.Ilessuieseslarmesd’unreversdelamain.—Chérie,cen’estpaslemomentd’envoyerdestextos.—J’écrisàJackson.Jeluidemandederentreràlamaison.—Pourquoi?—Parcequ’ilestimpliquédansce…ce…Jenesaismêmepasquelnomdonneràcettesituation!Leslarmescoulentsursesjouesettachentsonpantalon.—Dis-luidesecalmer,papa.S’ilteplaît.Ilmetapotelebrasetmeregardedroitdanslesyeux.Jemedemandecequ’ilyvoit.—Elleest sous lechoc,Callie.Moiaussi. Jesuis furieux.Quand jepensequ’ilapassé toutesces

annéesici,sousnotretoit…Mamèreselève.Elletraverselapièced’unairdéterminé.—Qu’est-cequetufais?Ellesefrottelesyeuxaveclamanchedesonpull.—Ilfautquejerèglecettehistoire…Jeluibloquelepassage.—Iln’yarienàrégler,maman.Ilesttroptard.Toutcequejetedemande,c’estd’êtrelà.Pourmoi.Ellemeregardeunlongmoment,puiséclateensanglotsetmeprenddanssesbras.Celafaitdesannées

quecen’estpasarrivé.Jenesaispasquoifairedemesmains.Jelarassureenluirépétantquetoutvabiensepasser,quelepireestderrièrenous.Aprèsavoirpleurésurmonépaule,elleretournedanssonfauteuiletrecouvresonvisageavecsesmains.

Celaduretoutelasoirée.Monpèreseremetàhurler,àrépéterqueCalebnes’ensortirapascommeça.Pourtant,iln’yaplusrienàfaire.Calebm’avioléeilyasixans.Sixansdurantlesquelsilavéculibre,commesiderienn’était.Riennepeutchangerça,pasmêmedel’avoirditàvoixhaute.C’estmoiquecelaaaidée.Jemesensenfinlibre.Jacksonnerentrepasàlamaison.Jenesaispaspourquoi.Auboutdequelquesheures,jemedécideà

partir.Mamèreveutquejeresteaveceux.Elleveuttrouverunesolutionetessayerderéglerleschoses,maisjenesuispasnaïve.Jesaisquec’estimpossible.Etpuis, j’aiquelquepartoùaller.Quelqu’unàretrouver.Mamèremesuitjusqu’àlaporte.—Attends,Callie!S’ilteplaît,neparspas.Resteàlamaison.Ilfautqu’onenparle.—J’enaidéjàassezparlé,maman.Jesaisquec’estdifficilepourtoi.Jesuisdésolée.Moi,j’aibesoindeKayden.Toutdesuite.Monpèremeprêtelesclésdesavoitureetmeditqu’ilvaappellerlapolicepourlamettreaucourant.

Ilalesyeuxrougesetgonflésetlesjouessillonnéesdetracesdelarmesséchées.Jelerassure,luiaussi,carilenabesointoutautantquemamère.Ensortantdelamaison,jemedemandesiCaleboserarevenir,s’ilétaitavecJacksonquandmamèreluiaannoncélanouvelle.La porte se ferme derrièremoi et jeme retrouve enfin seule. La lumière du porche s’allume et je

descendslesmarches.Lecielestdégagéetlesétoilesscintillent.Jenesaispascequim’attend,maisjesuisimpatientedeledécouvrir.Pourunefois,jeregardemon

avenir,pasmonpassé,etcettelueurd’espoirsuffitàmefairesourire.

Kayden

Callieagarélequatre-quatredesonpèreauborddulac.Ungroupedejeunesfêtelenouvelansurlariveopposée.Onvoitleurfeudecampàtraverslesarbres.Laluneestpleineetlesétoilesscintillent.Nous sommes assis sur le capot. Il fait froid et la voiture est recouverte de neige,mais nous sommesblottissousunecouvertureetlachaleurdenoscorpsnoussuffit.CelafaitdeuxjoursqueCallies’estconfiéeàsesparents.Depuis,jelasensplusforte,plusconfiante.

Jesuiscontentpourelle,mêmesij’auraisaiméêtrelàpourlasoutenir.Lorsquejemesuisréveilléseuldanslachambreetquej’ailusonmot,j’aipaniqué.Lesimplefaitdel’imaginerseuledevantsesparentsm’abrisélecœur.Mais,aufond,j’aicomprissadécision.Setharaison:elleestplusfortequ’onnelecroit.—Jeregrettedenepasêtrevenuavectoi.—Ilfallaitquejelesaffrontetouteseule,Kayden.Etpuis,cequiestfaitestfait.Jesuisprêteàpasser

àautrechose.J’enroulemesbras autourde sa taille et elle pose la joue contremon torse.Ses cheveux sentent la

fraise.—Commenttutesens?—Légère.Jesouris.

—Moiaussi.C’estvrai.J’airevuDoughieretjemesensencoremieuxqu’aprèsnotrenuitpasséeaucafé.—JemedemandecommentCalebréagiraquandill’apprendra.—Net’inquiètepas,Callie.Jenelelaisseraijamaistefairedumal.—Jesais.Sonsoufflechaudtraversemonmanteau.Ellelèvelatêteversmoi.—Ilfautqu’onretrouvetonfrère,Kayden.Surtoutsitudécidesdeporterplaintecontretonpère.J’aipeurd’enarriverlà.Etsimonpèrevoulaitsevenger?Ets’ilessayaitdemetuer?Jen’aiplus

enviedemourir…—Jenesaispassij’ensuiscapable.—Biensûrquesi.—Etsijen’osepas…Est-cequetum’aimerasquandmême?—Jet’aimeraitoujours,Kayden.Quoiquetufasses.Jesavourelesondesesmotsetdesavoix.J’entrouvremeslèvres,maisrienn’ensort.—J’aimeraisteledire,moiaussi.—Seulementquandtuserasprêt.Quandtulesentirasvraiment.Elleprendmamaindanslasienneetnousnousallongeonssurlepare-brise.Nousrespironsl’airfroid

delanuitetnousécoutonslesbruits,lesriresetlamusiquedelafête.Quelquesminutesplustard,uneexplosiondecouleursillumineleciel.Chaqueannée,lavilleorganiseunfeud’artificeau-dessusdulac.Quandj’étaispetit,jemedemandais

pourquoitoutlemondeadoraitlesfeuxd’artifice.Jen’envoyaispasl’intérêt.Cesoir,avecCalliedansmesbras,jecomprendsenfin.Toutcommenceàavoirunsens.—Bonneannée,Callie.Jelaserrefortcontremoitandisqu’unenuéed’étincellesmulticoloresplongedanslelac.

Callie

—Bonneannée,Kayden.Lesfeuxd’artificeexplosentau-dessusdenos têtesetnoscœursbattentà l’unisson.Jecomptebien

chérircetinstantpourtoujours.—Quelleesttarésolution,cetteannée?Kaydenmecaresseleslèvresenréfléchissantàsaréponse.—Arrêterdepenseraupassé.—Est-cequejepeuxtelavoler?—Jet’enprie.Lefeud’artificesereflètedanssesyeux.Ils’allongesurmoi,poseunbrasdechaquecôtédematête

etapprochesabouchedelamienne.—Etsionfêtaitleréveillonicil’annéeprochaine?Çapourraitdevenirnotretradition.

—D’accord.J’ai des papillons dans le ventre en m’imaginant avec lui une année entière. J’essaie de contenir

l’énergiecrééeparnosdeuxcorps.Jesaisceque jeveuxet jen’aipluspeurde ledire.Je refusedecontinueràvivredanslaterreur.—Mercidem’avoirsauvé,Callie.—Merciàtoiaussi.Ilm’embrasseetlesfuséesexplosentau-dessusdenous,vivesetcoloréesdanslecielnoir.Moi,tout

cequejevois,c’estKayden.Kayden,pourtoujours.

Callie

Deuxsemainess’écoulent.LevoyageenCalifornieetnosconfessionsnousontépuisés.Nouspassonslerestedesvacancesentrelachambredumoteletlecafé,évitantnosmaisonscommelapeste.Mamèrem’appelledeuxfoisparjour.Audébut,j’airefusédeluidireoùjedormais.Aujourd’hui,j’ai

craqué.Jesuisassisesurlelit,enshortettee-shirt,etKaydenestallongéderrièremoi.Ilmecaresseledosetmechatouillelescôtes.J’éclatederire,mêmesimamèren’estclairementpasd’humeur.—Reviensàlamaison,Callie.Ilfautqu’onparledecequis’estpassé.Calebadisparu.Personnene

saitoùilest.Tonfrèrepensequ’ils’estenfui.JemeblottiscontreKayden.Ilesttorsenuetsachaleurmeréconforte.—Çanem’étonnepas,maman.Ellepousseunsoupirdefrustration.J’entendsquelquechoses’écraserparterre.—Merde!J’aicasséunetasse!Jen’aijamaisentendumamèrejurerautantquecesdernièressemaines.—Désolée.—Tun’aspasàt’excuser,machérie.Cen’estqu’unetasse.Jetrouvequ’elleréagitplutôtbienfaceàcettesituation.Aprèssacrisedenerfs,elles’estressaisieet

ellen’apasessayéderejeterlafautesurmoi.Parfois,jerepenseàmondouzièmeanniversaire.Etsijeluiavaistoutavouélejourmême?Est-cequemavieauraitétédifférente?Peuimporte.Jenepeuxpaschangermonpassé,maisjepeuxallerdel’avantetenfincréerlaviequejeveux.Kaydenmecaresselelongdudosetm’embrassedanslecou.Mamèreditquelquechose,maisj’aidu

malàresterconcentréesurnotreconversation.—Callie?Tum’écoutes?—Oui.Heu…Quoi?

Kaydenéclatederire.Jeluipincelebras.—Qu’est-cequetudisais,maman?— Je me demandais si tu comptais prendre rendez-vous avec la psy dont je t’ai parlé, quand tu

rentrerasàlafac?Jepensequeçateferaitdubien.—Jenesaispas…—C’estimportant,Callie.Aprèscequetuasvécu…Tuasbesoind’aide.Tupourraisaussiresteràla

maisonquelquesmois,letempsd’untrimestre.—Non,maman.Jeretourneàlafac.—Danscecas,promets-moid’allerlavoir.J’aibesoindesavoirquetuvasbien.Elleestsurlepointdepleurer.Jel’entendsdanssavoix.—Jevaisdéjàbien,maman.Mais,sic’estcequetuveux,jeleferai.Ellepousseunsoupirdesoulagement.—Merci.Etn’oubliepasdepassernousdireaurevoiravantdepartir.—Biensûr.—Etappelle-moisituasbesoindequoiquecesoit.—D’accord,maman.Kaydenéclatederire.—Quiestlà?—C’estKayden.—Callie,est-ceque…Est-cequetucouchesaveccegarçon?—Quoi?—Jenetejugeraipas.Jeveuxjustesavoirsituteprotèges.Kaydenpleurederire.Jesuismortedehonte.J’ailesjouesaussibrûlantesqueleradiateur.—Oui,maman.—Oui,tucouchesaveclui?Ououi,tuteprotèges?Kaydenenroulesesbrasautourdematailleetmeplaquesurledos.Ils’allongesurmoietsemetàme

chatouiller.—Dis-luiquetuteprotègestouslesjours,Callie.Jemeretiensderire.—Ilfautquej’yaille,maman.Onserappelle.Je raccroche et lâche mon portable. Kayden me bloque les poignets au-dessus de la tête. Pendant

quelquessecondes,jepanique.Jesuisderetourdansmonlit,emprisonnéeparCaleb.Kaydens’enaperçoit.—Excuse-moi.Tuveuxquejeterelâche?—Non.Embrasse-moi,s’ilteplaît.Ilposesabouchecontrelamienne.L’angoisseetlessouvenirss’envolent.Kaydenetmoisommesde

nouveauseulsaumonde.

*

Aujourd’hui, nous partons pour l’université. Seth et moi sommes assis dans le quatre-quatre enattendantLukeetKayden.—Commentvas-tu?medemande-t-ilenattachantsaceinture.—Bien,ettoi?Jenet’aipasvupendantdesjours.Illèvelesyeuxauciel.—Jevoulaisvouslaissertranquilles.—Tun’étaispasobligé.Onn’arienfaitdespécial.—Tuplaisantes?Vousn’êtespassortisdevotrechambredepuislenouvelan!Ondiraitdesjeunes

mariés.Devraislapins.Jetournelatêteverslavitrepourcachermonembarras.Kaydenouvrelaportièreets’apprêteànous

rejoindrequandsonregardseposesurmesjouesrouges.—Qu’est-cequetuluiasencoreraconté?demande-t-ilàSeth.—Rien,répond-ilinnocemment.Kaydenéclatederire.Jemedécalepourluifairedelaplaceetjemontesursesgenoux.Ilattachela

ceintureautourdenous.Sonparfumm’hypnotise.Desfloconsdeneigesontsursescheveux.Jepasseunemaindanssesmèchespourlesfairetomber.Lukejettesonsacàl’arrière,prendplacederrièrelevolantetfermesaportière.Ilmetlemoteuretle

chauffageenmarche.—Prochainarrêt?—Chezmoi,dis-je.Et…chezKayden.Kaydenn’estpaspasséchezluidepuisnotredépartàSanDiego.Jesaisqu’iln’enapasenvie,mais

toutessesaffairessontlà-bas,etj’aimeraisqu’ilparleavecsonfrèreTyler.Luke rejoint l’avenue principale. Lorsqu’il change de vitesse, le moteur ronfle. Seth grimace en

ajustantsaceinture.—Ondiraitqu’ellevaexploser.Luketapoteletableaudebord.—Ellevabien.Elleestjustevieille.Seth lève les yeux au ciel.Wonderwall d’Oasis passe à la radio, puisHandsDown deDashboard

Confessional.Lukesegaredevantchezmoi.Kaydenouvrelaportièreetjesorsdelavoiture.Mespiedss’enfoncent

danslaneige.Ilmerejointetmeprendparlamain.Jenesavaispasqu’ilvoulaitm’accompagner.C’estsûrementsamanièreàluidemeprotéger.Nous remontons l’alléeet j’essaiedenepasme laisser submergerpar lesmauvais souvenirs liésà

cettemaison.Jemeconcentresurlesmeilleurs,ceuxpassésavecKaydenetSeth.Mamèreouvrelaporteennousvoyantarriver.Elleporteuncollierenperles,untabliersurunejupeà

fleursetunechemiseblancheendentelle.Elleauneassiettedecookiesàlamainetlesourirejusqu’auxoreilles.

—Machérie!Jesuiscontentedetevoir.Ellemeprenddanssesbrasengardantl’assietteàlamain,puiselleenlaceKayden.Illuitapoteledos

enmeregardantducoindel’œil.Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.Toutàcoup,j’aimemamère,sescookiesetsarobedesannées

soixante.Ellenoustendl’assietteetj’enchoisisunpourluifaireplaisir.Jeluiaiditquejemefaisaisvomiretjecrainsqu’ellenepasselerestedesavieàmegaverdenourriture.Àl’intérieur,monpèreetKaydensemettentàdiscuterdefootball.Mesparentsneluiposentaucune

questionsurCalebousonpère,mêmesilesrumeursvontbontrain.Cinqminutesplustard,noussommesen traindesortirde lamaisonquandJacksonsegaredans l’allée. J’ai tellement l’habitudede levoircollé à Caleb que j’ai envie de partir en courant. Cette fois, il est seul. Je pousse un soupir desoulagement.—Tuviens?medemandeKayden.Jesuisplantéeaumilieudel’allée,lesyeuxrivéssurmonfrère.—Donne-moiuneminute.—Tuenessûre?—Oui.Ilfautquejeluiparle.JacksonsortdesavoitureetKaydenmontedanslequatre-quatre.Jerevienssurmespasetjem’assois

surunemarche.Laneigetraversemonjean.Jacksonmerejoint,lesmainsenfouiesdanssespoches.Sescheveuxluirecouvrentlesoreilles.Ils’arrêtedevantmoi,l’airgêné.—Je…Jenesaispasquoitedire,Callie.Jesuisdésolé.—Tun’aspasàt’excuser.Cen’estpastafaute.Ils’assoitàcôtédemoi,étendlesjambesetcroiseleschevilles.Ilsentlacigaretteetl’alcool.—Jel’aidénoncé,Callie.J’aidénoncéCaleb.—C’estgentil,maislapolicenepeutrienfaire.Ilesttroptard,etiln’yaaucunepreuve.Ilsefrottelamâchoireenregardantdroitdevantlui.—Jesais.Jel’aidénoncéparcequ’ilcultivedel’herbedanslesous-soldesesparents.J’aimêmedit

àlapoliceoùilcachesonstock.—Est-cequ’ilsl’ontarrêté?—Pasencore.Quandmamanm’araconté…cequit’estarrivé,j’étaisàunefêteaveclui.Ilestparti

encourant.Jen’aipaseu le tempsde luimettremonpoingdans lagueule. Iln’amêmepasessayédenier!Bref,ildealaitdepuislongtemps,etjemesuisditquec’étaitunmoyencommeunautredel’arrêter.S’ilrevientenville,iln’aaucunechancedes’entirer.Enplusdecultiver,ilavaitaumoinsdeuxkilosd’herbecachéssousleplancher.Ilsveulentl’arrêterpourtraficdedrogue.—Commentconnaissais-tusacachette?—Jel’aidevinée.—Lapolicenet’apasposédequestions?—J’aiappeléanonymement.Jemesensàlafoissoulagée,tristeetfrustrée.Deslarmesdévalentmesjoues.Jetournelatêtepour

qu’ilnemevoiepaspleurer.Monfrèreafaitcequ’ilapu,etjeluienserairedevabletoutemavie.J’essuiemeslarmesaveclamanchedemonmanteau.—Merci,Jackson.—Nemeremerciepas.Çaneréparerajamaislemalqu’ilt’afait.—Cen’estpastafaute.—Si,dit-ilenselevant.Papa,mamanetmoi…Onafermélesyeux.Pendanttoutescesannées,jet’en

aivouludenousrendrelavieimpossible.J’aieutort.Jemelèveenfrottantlaneigecolléeàmonjean.—L’erreuresthumaine,Jackson.Ilpasseunemaindanssescheveuxetmeregardedroitdanslesyeux.—Turetournesàlafac?—Lescoursreprennentlundi.Iljetteunœilverslequatre-quatre.—Turentresaveceux?—Oui.—Avectroismecs?—Oui.—Tuenessûre?Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—S’ilyabienunendroitoùjesuisensécurité,c’estdanscettevoiture.—Situledis.Je lui tourne ledos et luidis au revoirde lamain. J’espèrequeCaleb finiraun jour enprison.Le

principal,c’estquej’aieparléettrouvémavoix.Jemesuislibéréedesdémonsquimehantaientdepuissixans.J’aienfintrouvémoncourage.

Kayden

Lamaisonestvide.Lesmeubles, lesphotos, les livres, les couverts etmême lesvoitures…Tout adisparu. Les sols sont nus et les quelques commodes qui restent ont été vidées, y compris celle quicontenaitmesvêtements.Mesparentslesontsûrementemportésaveceuxpourmepunir.Jefaislescentpasdanslesalon.—Jenecomprendspas.Ilsontmêmeenlevélesrideaux.Iln’yapasdepanneau«àvendre».Rien!Calliemerejointdevantlacheminéeenmarbreetglissesamaindanslamienne.—Ilsn’avaientpasl’intentiondedéménager?—Non.Jerepenseauxguidestouristiquesquitraînaientdanslapoubelle.

—Ilssesontenfuis.C’estlaseuleexplication.—EtTyler?Ilsaitpeut-êtreoùilssontpartis.Nous sortons de lamaison et faisons le tour pour entrer dans le sous-sol. Je pose unemain sur la

poignéeetjel’ouvred’uncoup.Lapièceestvide.Ilneresteplusquelecanapéencuir.Lefrigo,latéléetlefutonontdisparu.J’entre

sanslâcherlamaindeCallie.Jeresteplantésurlepasdelaporteetjebalaielapièceduregard,cettepiècedanslaquellejemesuissisouventcachépouréviterlescoups.—Jenecomprendsrien.J’aidumalàrespirer.Unmillierdepenséesmetraversentlatête.Ilyaunefissuredansunmur.Ce

jour-là,monpèreavaitécrasématêtecontrelacloisonenplâtre.J’aifaitunecommotioncérébraleetmamèreaditauxmédecinsquejem’étaiscognépendantunmatchdebaseball.Ilyauntroudanslamoquette.Tyleravaitfaittombersonbriquetparterreens’allumantunjoint.Ill’a

cachéaveclefauteuilpourquemonpèrenes’enaperçoivepas.Oùestpassémonpère?Pourquoiest-ilparti?Aprèstout,mêmesijeportaisplainte,ceneseraitque

maparolecontrelasienne.Ilauraitdeschancesdes’ensortir.JemetourneversCallie.Elles’estattachélescheveuxetquelquesmèchesencadrentsonvisage.Elle

trembledefroid:ilfaitaussiglacialdedansquedehors.—Allons-y.Jen’aiplusrienàfaireici.—Tuenessûr?Onpourraitexplorerlamaison,chercherdesindices…—Onn’estpasdansunfilm,Callie.Iln’yaurapasd’indices,et,mêmes’ilyena,jem’enfiche.Il

fautquejepasseàautrechose.Untrouestentraindeseformerdansmapoitrineetl’enviedemefairedumalressurgitaufondde

moi.—Ilfautquejesorted’ici.Callie me comprend. Elle n’insiste pas. Nous sortons et je ferme la porte derrière nous. Dans la

voiture,elles’installesurmesgenoux.Ilyaencoredel’espoir.Jelesais.Jenesuispasallongésurlecarrelage,ensang,auxportesdela

mort.JesuislàavecCallie,cettefilleincroyablequifaitbattremoncœur.Elleestmaraisondevivre.Ellemedonneenvied’abandonnerladouleuretlatristesse.Avecelle,jesaisquetoutiramieux.

Kayden

Celafaituneheureque jesuisà labibliothèque.J’aibeauchercher, jesuis incapablede trouverunseullivresurledarwinisme.Desguirlandesdecœurspendentauxétagères,auxmursetauplafond.LaSaint-Valentinapprocheetje

ne sais pas encore quoi offrir à Callie. Je veux trouver le cadeau parfait. Quelque chose qui luiressemble.—Kayden!Hé!Kayden!Seth se précipite surmoi enhurlant.Labibliothécaire, une jeune femmeaux lunettes carrées et aux

cheveuxbouclés,lefusilleduregard.—Calme-toi,Seth.Paslapeinedebrailler.Ilagiteunmorceaudepapierdevantmoi.—J’aiunesuper-nouvelle!Jereposelelivrequej’avaisàlamain.—Nemedispasquetul’asdéjàtrouvé.LesilencedeSethletrahit.Ilmetendlepapierensouriant.C’estunarticlequ’ilatrouvésurinternet.

Au-dessusdutexte,unephotodemonfrère:descheveuxbruns,desyeuxvertsetunnezaussitorduqu’àl’époque.C’estmonpèrequileluiacasséenlejetantcontreunmur.Jenepensaispasquecelaarriveraitaussivite.Hier,enrentrantd’unrendez-vouschezmonpsy,j’ai

annoncéàCalliequejevoulaisretrouvermonfrère.Monnouveaupsys’appelleJerry.Ilestassezâgéetilportedeschemiseshawaïennesetdesmocassins.C’estluiquim’aditqu’ilétaittempsdereprendrecontactavecDylan.Jeluiairéponduquejen’étaispasprêt.Jeluiairappeléque,lasemainedernière,j’aidonnéuncoupdepoingdansuneporteaprèsunappeltéléphoniquedupatrondemonpère.Personnenesaitoùsontpassésmesparents,nipourquoiilssontpartis.Toutlemondes’enfiche.Son

patron appelait seulement parce quemonpère avait un truc à lui rendre. Je ne saismêmepas où il atrouvémonnuméro.Cequiestcertain,c’estquececoupdefilm’areplongédansmonpasséetj’aipétélesplombs.J’enaitoutdesuiteparléàmonpsy.EtàCallie.Malgrémesinquiétudes,Jerrym’aassuréquej’étaisprêt.—Toutvabiensepasser,m’a-t-ilpromisengobantunbonbonàlamenthe.Tuasbesoindediscuter

avecquelqu’unquiavéculamêmechosequetoi.Ettonfrèret’aiderapeut-êtreàcomblercettesensationd’abandonquitesuitdepuisledépartdetesparents.—Quelabandon?Jesuiscontentqu’ilssoientpartis!Ilanotéquelquechosedanssoncarnet.—Jesais,Kayden.Maiscesonttesparents,ettutesensencoreliéàeux,mêmes’ilst’ontvouludu

mal.—N’importequoi!Jemesuisenfoncédanslefauteuilencuir.Ilafermésoncarnetetacroisélesmainsdessus.—Commençonsdéjàparlechercher.—Etsionletrouve?—C’esttoiquiprendrasladécision.J’ai accepté. Ensuite, j’ai mangé avec Callie, Seth et Luke, qui ont décidé de m’aider dans mes

recherches.JenepensaispasqueSethletrouveraitaussivite.

—Iln’apasbeaucoupchangé,dis-jeenétudiantlaphoto.—Ilestmarié,m’annonceSeth.Etilestprof.—Prof?C’estvrai?—Çatesurprend?—Jenesaispas.C’esttellement…normal,commemétier.Nousnousdirigeonsverslasortieencontournantlechariotdelivresquibloquelepassage.Dehors,le

soleilbrilleetfaitfondrelaneigesurl’herbeetlestrottoirs.—Qu’est-cequetuvasfaire?medemandeSethendonnantuncoupdepieddansuncaillou.—Jenesaispas.Nous longeons le bâtiment de lettres et nous traversons la pelouse. Des gouttes d’eau tombent des

arbresets’écrasentsurmaveste.—Est-cequetusaisoùestCallie?—Dans sa chambre, répond Seth. Elle bosse sur un texte pour son atelier d’écriture. Ellem’a dit

qu’elleétaiten«panned’inspiration».Jesourisenl’imaginantnuesursonlit,entraind’écriredanssoncarnet.Jecontourneuncoureurqui

faitdesétirementscontreunarbre.—OK.Tuviensavecmoi?Sethenfoncesesmainsdanslespochesdesonjean.—Non,j’aiuntrucàfaire.Àplustard,Kayden.Il se dirige vers le parking en évitant les flaques.Greyson l’attend devant sa voiture avec un gros

nounoursdanslesbras.IlmerappelleCallieetl’oursenpeluchequej’avaisgagnéàlafêteforaine.J’accélèrelepasetjelaisseleventmepousserverslafillequej’aime.

*

Je frappeà laporte jusqu’àcequeViolet, sacolocataire, sedécideàm’ouvrir.Ellemefaitunpeupeuravecsesvestescouvertesdeclousetsespiercings.Desmèchesrougesparsèmentsescheveuxnoirsetelleauntatouageenformededragondanslecou.Ellenes’habillequ’ennoiretelledonnetoujoursl’impressiondechercherlabagarre.Unjour,Violetnousasurprisentraindefairel’amour.Callieétaitmortedehonte.Moi,j’aitrouvéça

drôle. Violet s’est mise en colère et nous a demandé d’accrocher une écharpe à la poignée pour laprévenir.Saréactionm’asurpris.Elleavaitl’airchoquéealorsque,àencroirelesrumeurs,ellecoucheavectoutcequibouge.Violetgardeunemainsurlapoignéeetmedévisageenaspirantsonpiercing.—Encoretoi?Vousnefaitesjamaisdepause,touslesdeux.—Jamais.Ellelèvelesyeuxaucieletreculepourmelaisserentrer.J’essuiemeschaussuressurlepaillasson.

Violetattrapesavesteetsonsacsurlachaiseàcôtédesonlit.

—Jenetechassepas.J’aijusteuntrucàluidire.Elletournelatêteversmoi,puisversCallie,quiestendormiesursonlit.—Jepréfèrevouslaisser.Salut.Ellesortdelachambreetclaquelaportederrièreelle.Letableaublancquiyestaccrochés’écrase

parterre.JeleramasseetlislalistedeCallieetSeth,celledeschosesqu’ilsveulentfaireavantlafindel’année. Mon regard s’attarde sur le numéro quinze : Danser en sous-vêtements. J’éclate de rire enremettantletableauàsaplace,puisjem’assoisauborddulit.Callie est allongée sur le dos avec une main posée sur le ventre. Son tee-shirt remonte et laisse

entrevoirsapeaublanche.Elleportelecollierquejeluiaioffert.Ellenel’enlèvejamais.Soncarnetestouvertàcôtéd’elleetilyauneboîtedechocolatsposéesurlacouverture.Elles’estendormieavecunchocolatàlamain.CallieaprisunpeudepoidsdepuisNoël,etelleal’aird’allermieux.Jepensequec’estgrâceàsa

psy.Elleparaît toujoursplusgaie en sortant de ses rendez-vous. J’ai encoremalquand je pense à cequ’elleasubi,àtoutescesannéesdesolitude.C’estundemesplusgrandsregrets:denepasavoirvuquielleétaitàl’époque.Sijem’étaisintéresséàCallieplustôt,savieauraitpeut-êtreétédifférente.Jenesaispascommentlaréveiller.Ilyatellementdepossibilités:avecmesdoigts,malangue…Il

fautque je fasseattention. Il luiarriveencoredefairedescauchemars,et je risquede l’effrayeren lasurprenantdanssonsommeil.Jememetsàgenouxsurlematelasetjeposel’articleconcernantmonfrèresurlatabledechevet.Jemetsunbrasàcôtédesatêteet,avecmonautremain,jecaressesatempe,celleaveclatachedenaissance,unminusculepointmarronjusteàcôtédesonœil.Ungémissements’échappedesabouche.Monsexeseraiditaussitôt.Jedéposeunbaisersursonfront,

puissursespaupières.Ellefrissonneetécrasesapoitrinecontremoi.—Kayden…J’effleureseslèvresaveclesmiennesetlesécarteavecmalangue.Elleouvrelesyeux.Lalueurdu

joursereflètededans.—Commentes-tuentré?—Violetm’aouvert.Jel’embrasseetellerépondaussitôtàmonbaiser.Ellemelaisseexplorersaboucheavecmalangue.

Elleaungoûtdechocolatetellesentlafraise.Jeglisseunemainsoussontee-shirtetjem’allongecontreelle.Elleremarquelechocolatquiétaitentraindefondreentresesdoigtsetgrimaceenleposantsurlatable. Elle s’essuie la main contre son jean et m’offre un sourire timide enmettant la boîte de côté.J’examineleschocolats,qu’elleacroquésmaispasmangés.—Tulesastousgoûtés?Ellehausselesépaules.—Jen’aimaisqueceuxàlafraise.—Quitelesaofferts?—Ungarçon.Pourquoi?Tuesjaloux?—Oui.Cemecmériteuneraclée.—Pasdeviolence,Kayden.—OK,maisc’estbienparcequec’esttoi.

Ellesouritens’humectantleslèvres.—C’estGreysonquimelesadonnés.—LeGreysondeSeth?—Oui.C’estunmecbien.Jel’aimebeaucoup.Celamerappellelaraisonpourlaquellejesuisvenue.Jereprendsl’articlequeSethm’adonné.Jele

déplieet le tendàCallie.Dylanetmoinousressemblonsbeaucoup:elle le reconnaît toutdesuite.Jem’assoisentailleurenfaced’elle.—C’estSethquil’atrouvé.Ilestallévite.C’estàsedemandersimesparentsontvraimentessayéde

lechercher.Ellesemordlalèvreenlisantl’article.—IlhabiteenVirginie.—Jesais.—Cen’estpaslaporteàcôté.Jepasseundoigtsurlescicatricesàmonpoignet.Callieposel’articlesursesgenoux.—Est-cequetuveuxprendrecontactaveclui?—Jenesaispas.Avant son départ, ma relation avec Dylan était loin d’être idyllique. Il m’a laissé seul avec mes

parents.Ilnes’estjamaissouciédemoi.—Iln’apeut-êtrepasenviedemeparler.Ilarefaitsavie,Callie.Elleposeundoigtsousmonmentonpourmeforceràlaregarderdanslesyeux.—Jesuissûrequ’ilseraitcontentdeterevoir.Cesontvosparentsetvotremaisonqu’ilafuis.Pastoi.

Ilapeut-êtreessayédet’écrireoudet’appeler,ettesparentsl’enontempêché.—Jenesaispas…Simonpsyétait là, ilmediraitque jedoutedemoiplusquedeDylan. Ildiraitque jen’aiaucune

confianceenmoi.Chaquefois,jemesensnuletfaible,cequinefaitquerenforcersonargument.JemesouviensencoredujouroùDylanestparti. Ilvenaitd’avoirsonbacet ilarefuséunebourse

sportivequiluipermettaitd’entreràl’université.Monpèreétaitfurieux.Illuiaditdenejamaisremettrelespiedscheznous.—Jepeuxl’appeleràtaplace,suggèreCallie.—Tuferaisçapourmoi?—Jesuisprêteàtoutpourtoi,Kayden.Parcequejet’aime.—Jesais.Jeneluiaitoujourspasditquejel’aimais.Jenesaispaspourquoi.J’aiessayépleindefois,maisles

motsrefusentdesortirdemabouche.Ellenemelereprochejamais,maisjem’enveuxquandmême.—C’estàmoidel’appeler,Callie.Jeleferaicesoir…maispasavantdem’êtreoccupédetoi.—Demoi?—J’aimeraisbarrerlenuméroquarante-quatredetaliste.Jel’embrassedanslecou.Ellepousseunsoupirtandisquejeluilèchelapeau.

—Quarante…-quatre?—«Segaverdechocolats,fairel’amourtoutelajournée…».Jeglisseunemainsoussonsoutien-gorge.Ellegémitdeplaisir.—Celui-làestréservépourlaSaint-Valentin.—Etalors?Onaledroitdefêterçaenavance.—Commetuveux…J’enrouleunbrasautourdesataille.Ellefermelesyeux.Callienemementpas:elleestvraimentprêteàtoutpourmoi.Elleadévoilésonsecret,bravéses

peurs,etellem’amêmeavouésessentiments.Et,bienquejenesoispasencorecapabledeluirendrelapareille,jelesensauplusprofonddemoi:j’aimecettefilledetoutmoncœur.

Callie

Kaydenetmoiallonsdemieuxenmieux.Nousvoyonsunpsyetjen’aipasvomidepuistroismois.Jesuisheureuse.C’estàlafoisexcitantetterrifiant.Cen’estpastouslesjoursfacile.Jefaisencoredescauchemars.Unjour,Kaydenaeuenvied’essayer

quelquechosedenouveauaulit,etj’aipaniqué.Ilm’aconsoléeetm’aserréedanssesbrasjusqu’àcequejemecalme.Jeparleàmamèreplussouventqu’avant.Désormais,mêmemonpèreetJacksonm’appellent.Caleba

disparuet jecrainsqu’onne le retrouve jamais. Jenesaispasquoienpenser.D’uncôté, jevoudraisqu’ilsouffreetqu’ilfinisseenprison.D’unautre,jesuiscontentequ’ilsoitloindemoi.Kaydenvientdem’annoncerqueSethavaitretrouvésonfrère.Nousendiscutonsunpeu, jusqu’àce

qu’ilmedéshabilleetexploremoncorpsavecsalangue.Jepassemesdoigtsdanssescheveux.J’espèrequeDylanestquelqu’undebien,pascommelerestedesafamille.—Jet’aime,Kayden.—Jesais.Pour l’instant, c’est tout ce qu’il est capable de répondre. Parfois, il ne dit rien du tout. Mais je

continueàleluirépéterparcequ’ilabesoindel’entendre.Nousjouissonsenmêmetemps.Noussommesensueuretnoscœursbattentàtoutrompre.Ilmetune

jouesurmapoitrineetjeluicaresselanuque.Sonregardseposesurmoncarnet,restéenéquilibreauborddulit.—Qu’est-cequetuétaisentraind’écrire?—Rien.Enfin,riend’intéressant.C’estpourmonatelierd’écriture.Ilsejettedessusetjeleluiarrachedesmains.—Tun’aspasledroit!dis-jeenserrantlecarnetcontremapoitrine.Ils’assoitàcôtédemoi.Sescicatricesattirentmonattention.Parfois,jelesregardependantqu’ildort.

C’estuntableaucrueldessouvenirsquinelequitterontjamais.Ilcroiselesbrassursontorse.—Allez,Callie!Laisse-moiaumoinslireunepage.

—Non.C’esttroppersonnel.Jeneveuxpasquetumeprennespourunefolle.—Jeteprendsdéjàpourunefolle.Ilmesouritetsecolleàmoi.—S’ilteplaît…Justeunepage.Ilsesertdesavoixsuavepourm’amadouer.Jepousseunsoupirettournelespagesdemoncarnet.—OK.C’estletextesurlequeljetravailleencemoment,maisiln’estpasterminé.Jenesaismême

pass’ilaunsens.J’ailesmainsquitremblentenluitendantlecarnet.C’estlapremièrefoisquequelqu’unvalireceque

j’yaiécrit.J’ail’impressiondeluidonnerlesclésdemonsubconscient.Ils’éclaircitlavoix:—Oùs’envolentlesfeuilles.Jolititre.Jem’allongesurledosetfixelesfissuresauplafond.—Dépêche-toi,Kayden.Tumestresses.Ilmefaitunclind’œiletreprendsalecture:—Quandj’étaispetite,j’étaisfascinéeparlesfeuillesdesarbres.Elleschangeaienttoutletemps

decouleur:vert,orange, jaune,marron.Puis,quandl’hiverarrivait,ellesdisparaissaient.Ellessedétachaient de leur branche et s’écrasaient par terre. Parfois, le vent les emportait. Fragiles etimpuissantes,ellesétaientdésormaisentrelesmainsdeséléments.Jemesouviensd’unjourenparticulier.J’avaistreizeans.Uneaverseprintanières’estabattuesur

le jardin. J’étais assise devant la fenêtre de ma chambre et je regardais la rue se transformer enrivière,lesfeuillessefaireemporterdanslescaniveaux.Ellesétaientpourtantvertesetvivantes,maislapluieetleventavaienteuraisond’elles.Deuxfeuillessesontcolléesaucarreaudemafenêtre.Leciels’estassombri,lapluiearedoubléde

violenceetlevents’estlevé.Ellessesontaccrochées.J’étaissubjuguéeparleurdétermination.Cesfeuillesn’étaientquedesmorceauxd’arbres,desvégétauxincapablesdepenseretdefairedeschoix.Pourtant,jeleurenviaisleurobstination,leurténacité.Ellesrefusaientqueleurvieetleurmortleursoientdictées.Jemesuisendormiesurmonlit.Àmonréveil, lesoleilétaitrevenu.Lesdeuxfeuillesquej’avais

tantadmiréesavaientdisparu.Jemesuissentietriste,désespérée.Leurcouragem’avaitréconfortée.Leurdépartm’abrisélecœur.Aujourd’hui,jemedemandeoùellessesontenvolées.Cequ’ellessontdevenues.J’aimeimaginer

qu’ellesontreprisleurplacesurleurbrancheetqu’ellesontcontinuéàpousseretprospérer.J’espèrequ’ellesétaientassezfortespourprendreleurdestinenmainetréapprendreàvivre.Kaydenlèvelatête.Jerécupèremoncarnetetjeleserrecontremoi.—Jesais…Cen’estpasvraimentunehistoire,maisc’esttoutcequim’estvenu.Il passe un bras surmes épaules et nous nous allongeons l’un contre l’autre. Je blottismon visage

contreluietj’aspireuneboufféedesonodeur.J’écoutelesbattementsdesoncœuretjefermelesyeux.—Callie?murmure-t-ilaprèsunlongsilence.Jedéposeunbaisersursapeaunue.

—Oui.—Jepensequelesfeuillesontretrouvéleurbranche.

Kayden

J’aimebienlaVirginie.C’esttrèsvert,avecpleind’arbresetd’animauxsauvages.Ilyfaitpluschaudqu’auWyoming.Dumoins,c’estl’impressionqueceladonne.Jenesuisarrivéquedepuisuneheureetj’aipasséplusdetempsàl’aéroportquedehors.Jesuisvenutoutseul.Callieavaitenviedem’accompagner,maisj’airefusé.Jeluiairappeléqueje

nepartaisqu’unesemaineetqu’ilfallaitquejelefasseseul.Elleacomprismadécision.Lesretrouvaillesavecmonfrèresontétranges.Ilmeressemblebeaucoup,enplusvieuxetavecmoins

decheveux.Ilporteunpantalonetunpoloetsavoituresentlafriture.Noussommessurl’autoroutedepuisdixminutes.Nousdiscutonsdelapluieetdubeautemps,jusqu’à

cequejeposelaquestionquimetaraudedepuistantd’années:—Jenecomprendspaspourquoitunem’asjamaisappelé,Dylan.Jem’agrippeàlapoignéeenattendantsaréponse.Ilplongebrièvementsesyeuxvertsdanslesmiens.—J’aiessayé.Papaetmamanontchangédenumérojusteaprèsmondépart.J’aifinipar le trouver

mais,chaquefoisquej’appelais,ilsmeraccrochaientaunez.J’aivoulureprendrecontactavectoiaprèstondépartàlafac,mais…Jenesaispas.Jen’aipasprisletemps.Ilserrelevolantets’éclaircitlavoix:—C’étaitcomment,aprèsmondépart?Jehausselesépaulesenregardantleslumièresd’unentrepôtdéfilerderrièrelavitre.—Peuimporte.Iln’insistepas. Il saitquemonpèrem’apoignardé.Cela luidonneune idéedecequ’aétémavie

pendanttoutescesannées.—Est-cequetuasdesnouvellesdesparents?

—Non.Jemedemandeoùilssontpassés.Ilemprunteunebretelledesortie.—Jepensequ’ilsontpeurquetunelesdénonces.— Justement…C’est ça que je ne comprends pas.Même si je portais plainte et que la policeme

croyait,ceneseraitpaslafindumonde.Papas’ensortiraitenpayantuneamende.—Non,Kayden.Ilt’apoignardé.Ilt’afaitdumal!Onauraitdûledénoncerilyabienlongtemps…—Onavaittroppeur.Nous replongeons tous les deux dans notre enfance.C’est étrange d’en parler avec quelqu’un qui a

véculamêmechosequemoi.—Commentas-tufaitpourt’ensortir,Dylan?Pourchangerdevie?Ils’arrêteàunstop.—Jenem’ensuispassorti.Maischaquejourquimeséparedeluimefaitdubien.Lepouvoirqu’ila

surtoifinirapars’atténuer.Crois-moi.Jeregardelesmaisonsdéfilerdesdeuxcôtésdelarouteenmedemandantàquoiressemblelasienne.

Monfrèreestmariéetn’apasd’enfants.Safemmeestprof,commelui.Savien’arienàvoiraveccelledeTyler.Ilsonttraversélamêmechoseetontpourtantempruntédeuxcheminsdifférents.Ilsegareenbordured’unchamp.Del’autrecôtédelaroutes’étenduneprison,derrièreunelongue

barrièredefilbarbelé.—Qu’est-cequ’onfaitlà?Ilbaisselevolumedelaradioetdétachesaceinture.—Est-cequetutesouviensdecequepapanousdisaitdesonpère?—Oui.Ilparaîtqu’ilétaitviolent.—Tuveuxlavérité?Ilmeregardedroitdanslesyeux.Ondiraitqu’ilestsurlepointdepleurer.—Sonpèreétaitencorepirequelui.Papaavaitunfrère.Leurpère,notregrand-père, l’atué.Il l’a

battuàmort,Kayden.J’enailesoufflecoupé.Jerepenseànotreconfrontationdanslacuisine.Aucouteau.J’aimal,etpas

seulementàcausedemablessure.J’aimalparcequ’ils’agitdemonpère.Etunpèreestcenséprotégersonenfant,pasledétruire.—Ilestlà-dedans,ajoutemonfrèreenmontrantlaprisondudoigt.—Commentlesais-tu?—J’avaisenviedesavoird’oùonvenait.Pourquoionaeuunevieaussidifficile.Jemedemandaissi

onavaitmanquédechanceousic’étaitinévitable.Ilregardelaprisonunedernièrefois,puisappuiesurlapédaleetreprendlaroute.Jenesaispasquoi

fairedecettenouvelleinformation.J’aipeurdedevenircommemonpère.JemedemandesiDylanalesmêmesproblèmesquemoi,s’ilpréfèreladouleurauxémotions.Lesquestionss’empilentetpèsentsurmapoitrine.Toutcedontj’aiessayédemedébarrassercesderniersmoisestentrainderevenir,commeunetempêtequiseprépare.Jemerassureenmedisantquemonpèreauraitpuchanger.Ilauraitpudevenirquelqu’undebien.Et

j’ensuiscapable,moiaussi.Aulieudemejetersurunrasoir,jem’emparedemonportable.J’appelleCallie.C’esttordu,maisj’en

aibesoin.Savoixcalmeral’oragequigrondeenmoi.—Est-cequetoutsepassebien?medemande-t-elleaussitôt.Jemetsquelquessecondesàluirépondre:—Jet’aime,Callie.—Jet’aimeaussi,Kayden.Et,toutàcoup,mavieaunsens.L’oragedisparaîtetlesténèbress’illuminent.Toutmesemblecalme.

Parfait.

Callie

Jereprendsmaplacedanslestribunesensouriant.JemefaisaisdusoucipourKayden.Jenevoulaispasqu’ilparteseulenVirginie.J’avaispeurquesonfrèreneluifassedumalouneledéçoive.Maisilm’aditqu’ilm’aimait!J’endéduisqueleurrencontres’estbienpassée.J’aienviedesauterpartout.J’assiste à un match de basket avec Greyson, Seth et Luke. Les spectateurs hurlent et sifflent. Les

basketsdesjoueurscrissentsurlesol.Legymnasesentlescacahouètes,lespopcornsetlasueur.Jem’assoisàcôtédeSeth.—OùsontLukeetGreyson?Illesmontredudoigt.Ilssontdeboutcontrelabarrière,entraindediscuterdumatch.Greysonesttrès

agitéetparleavecsesmains.Lukesecouelatêteetfroncelessourcils.Sethplongeunemaindanssespopcorns.—Qu’est-cequit’arrive?Tusouriscommeuneidiote.—Kaydenm’aditqu’ilm’aimait.—Quoi?Ilsejettesurmoietmanquedefairetomberlespopcornsenmeserrantdanssesbras.—C’estgénial!Jesuissuper-contentpourtoi,Callie!—Moiaussi.Ils’écartedemoiensouriantetramasselespopcornstombéssursesgenoux.—Tantmieux.Jenevoulaispasenvenirauxmains.J’éclatederire.—Kaydenserasoulagédel’apprendre.UnsupporteursemetàhurlersurLukeetGreyson.—Assoyez-vous!Onn’yvoitrien.Lukeseretourneetluifaitunbrasd’honneur.Ilpassebeaucoupdetempsavecnousdepuisquelques

joursetilsembleàl’aise,àsaplace.JemepencheversSethpourluifairepartd’unedemesthéories:—Parfois,jemedemandesiLuken’estpas…Jemedemandes’ilaimelesgarçons.Sethéclatederire.

—Luken’estpashomo,Callie.—Tuenessûr?Ilapeut-êtrepeurdesortirduplacard…commeBraiden.—Tuveuxsavoircequej’enpense?J’attrapeunepoignéedepopcorns.—Jet’enprie.Partagetonsavoiravecmoi.Ilapprochesabouchedemonoreille:—JepensequeLukeaeuuneviedifficile.C’estcequilerendplusgénéreuxetplussensiblequela

plupart des mecs qu’on connaît. Et je pense que, parfois, les gens interprètent mal ce genre decomportement.Jem’enveuxaussitôt.—Tuasraison.Jesuisdésolée.Ilmedonneuncoupdecoudedanslescôtes.—Tun’aspasàt’excuser,Callie.Etpuis,d’abord,tuescommelui.J’engloutisunepoignéedepopcorns.—Quoi?Généreuseetsensible?—Oui.Tureviensdeloin.Tuasuneautrevisiondelavie.Unjoueurmarqueunpanieretlafoulesemetàhurler,sauteretapplaudirautourdenous.Monportable

sonnedansmapoche.CumbersomedeSevenMaryThree.—C’estmonfrère.Jereviens.Çafaitdeuxheuresqu’ilessaiedemejoindre.Jeme lève et je dévale l’escalier en esquivant un groupe de supporteurs. J’ai beaume sentir plus

confiantequ’avant,lafouleetlesinconnusmerendentencorenerveuse.Cequicompte,c’estquejesoislàetquejenemecacheplus.Jem’éloignedestribunesetjemedirigeverslecoinbuvette.Jem’assoissurunbancetjedécroche.—Allô?—Salut,Callie.Monfrèreatoutletempsl’airdemauvaisehumeur.J’aiapprisànepasleprendrepersonnellement.—Désoléedenepasavoirréponduplustôt.Jesuisàunmatchetilyabeaucoupdebruit.—Cen’estpasgrave.J’aiquelquechoseà tedire,Callie.Mamannevoulaitpasque je t’enparle,

maistuesamieavecLukeetc’estimportantquetusoisaucourant.Unebouleseformedansmagorge.Jedéglutispourlafairedisparaître.—Qu’est-cequisepasse?—Lapoliceafouillé lamaisondeCaleb.Ilsont trouvépleindetrucs…dontses journauxintimes.

Est-cequetutesouviensd’AmyPrice?LasœurdeLuke?Elleavaitdeuxansdeplusquetoi.Elles’estsuicidéequandelleavaitseizeans.Personnen’ajamaissupourquoi.Lesmecsdemaclassedisaientquec’étaitunesalope,qu’elleétaitbizarreetqu’ellefumait tropdejoints,maispersonnenelaconnaissaitvraiment.L’histoired’Amyressembleétrangementàlamienne.—Qu’est-cequ’ilsonttrouvédanscesjournaux?

Jacksonn’arrêtepasdesouffler.Jemedemandes’ilestentraindefumerunecigarette.—Desnotesquivousconcernent,toi,Amyetd’autresfilles.Il…Ilaécritcequ’ilvousafait…Jeresteimmobile,commeunestatuedepierre.—Commentlesais-tu?—Denny,l’amidepapa,estvenumangeràlamaison.Ilfaitpartiedel’enquête.Illuiatoutraconté,

mêmes’iln’enavaitpasledroit.Ilpensaitquepapaméritaitd’êtreaucourant.Ilcontinueàparler,maisjel’entendsàpeine.Jen’entendsquelesbattementsdemoncœur.Jenesais

pascequiestleplusinsupportable:queCalebaitécritcequ’ilm’afaitsubir,qu’ilaitabuséd’autresfillesouquelasœurdeLukesesoitpeut-êtretuéeparsafaute.Aprèstout,jeconnaislepoidsdusilence.Jedisaurevoiràmonfrèreetjeretournedanslestribunes.Jem’assoisàcôtédeSethetjecroisele

regarddeLuke.J’aienviedeleprendredansmesbras.Moi,j’aieudroitàmarédemption.Passasœur.Jeserredansmamainletrèflequipendàmoncouetjepenseàlachancequej’ai.Oui,j’aibeaucoup

souffert.Maisjesuislà,avecdel’airdansmespoumonsetuncœurquibat.Jesuisvivante.Jenesuispasseule.Et,quelquepart,quelqu’unm’aime.