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PAROLES D’ÉCRITS Khaïma philo MAURIT ANI E L’Art « Cela s’est passé. Je sais aujourd’hui saluer la beauté. » Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer Anthologie d’images et de textes philosophiques sélectionnés par Florent Bouzouane.

PAROLES D’ÉCRITS - Les actus Khaima philo... · n’est pas due au hasard comme le ... Mais la difficulté n’est pas de comprendre que l’art grec et l’épopée sont liées

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PAROLES D’ÉCRITSKhaïma philo

MAURIT ANI E

L’Art

« Cela s’est passé. Je sais aujourd’hui saluer la beauté. »Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer

Anthologie d’images et de textes philosophiques sélectionnés par Florent Bouzouane.

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a philoA mesure qu’on passe des pithécanthropes à l’homme de Neandertal puis à nous, les témoignages fournis par l’outillage montrent la maturation progressive de l’intelligence technique (probablement parallèle à celle du langage). La prise sur ce que nous considérons comme religieux a du suivre la même voie ; les symboles ont formulé dans les mots et les opérations le double sentiment de crainte et de maîtrise qui marque la conscience religieuse. Le comportement religieux, sur un autre plan, est aussi pratique que le comportement technique, il assure comme celui-ci l’intégration de l’homme dans un monde qui le surpasse et avec lequel il négocie physiquement et métaphysiquement.

Les religions de la préhistoire

André Leroi-Gourhan, 1964

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La forme belle, qu’elle soit un arbre ou un fleuve, les seins d’une femme ou ses flancs, les épaules ou les bras d’un homme ou le crâne d’un dieu, le forme belle c’est la forme qui s’adapte à sa fonction. L’idée n’a pas d’autre rôle que de nous la définir. L’idée, c’est l’aspect supérieur et l’extension infinie dans le monde et l’avenir du plus impérieux de nos instincts qu’elle résume et dénonce comme la fleur et le fruit résume la plante, la prolongent et la perpétuent.

Histoire de l’art - L’art antique

Elie Faure, 1909André Leroi-Gourhan, 1964

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a philoMessiaen a raison de dire que beaucoup d’oiseaux sont non seulement virtuoses, mais artistes, et le sont d’abord par leurs chants territoriaux (si un voleur « veut occuper indûment un endroit qui ne lui appartient pas, le véritable propriétaire chante, chante si bien que l’autre s’en va (…) Si le propriétaire chante mieux, le propriétaire lui cède la place »).(...) Non seulement l’art n’attend pas l’homme pour commencer, mais on peut se demander si l’art apparaît chez l’homme, sauf dans des conditions tardives et artificielles.

Mille plateaux - Chap. De la ritournelle

Gille Deleuze - Félix Guattari, 1980

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Gille Deleuze - Félix Guattari, 1980Métaphysique - Livre Δ.

Aristote (384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.)

Puissance se dit du principe de mouvement ou de changement qui est dans autre chose ou, dans la même, en tant qu’autre, par exemple l’art de construire est une puissance qui ne se trouve pas dans ce qui est en construction, mais l’art de soigner qui est une puissance peut se trouver dans ce qui est soigné, mais non en tant qu’il est soigné

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Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre d’art. En tant que tels, ils se distinguent d’une part des produits de consommation, dont la durée au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d’autre part, des produits de l’action, comme les événements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires qu’ils survivraient à peine à l’heure et au jour où ils apparaissent au monde, s’ils n’étaient conservés d’abord par la mémoire de l’homme, qui les tisse en récits, et puis par ses facultés de fabrication. Du point de vue de la durée pure, les œuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres choses; comme elles durent le plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre, elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n’avoir aucune fonction dans le processus vital de la société ; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va et vient des générations. Non seulement, elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d’usage : mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d’utilisation, et isolées de la sphère des nécessités de la vie humaine.

La Crise de la culture

Hannah Arendt, 1961

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Rapport sur l’établissement d’un conservatoire des arts et métiers

Abbé Henri Grégoire, Séance du 8 vendémiaire an III

Néanmoins le degré d’utilité doit être partout la mesure de notre estime ; et certes, celui qui le premier réunit les douves d’un tonneau, ou qui forma la première voûte ; celui qui trouva le van, ou qui rendit le pain plus digestif par le moyen du levain (si toutefois cette dernière découverte n’est pas due au hasard comme le prétend Goguet), ceux–là, dis-je, méritèrent mieux de l’humanité, que celui qui, soixante siècles après, écrivit la Henriade

Sa dépouille est au Panthéon. On lui doit cette pensée : « Il serait plus aisé de blanchir des nègres que de convertir l’orgueil et la cupidité des blancs ».

Essai, II, XII

Montaigne, (1572-1592)

Si les atomes ont par sort formé tant de sortes de figures, pour quoy ne se sont-ils jamais rencontrez à faire une maison, un soulier ?

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Système des Beaux-Arts,1,7

Alain, 1920

Il reste à dire en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Toute les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est l’industrie. Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans l’industrie, redresse l’idée en ce sens que l’artisan trouve mieux qu’il n’avait pensé dès qu’il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d’une idée dans une chose, je dis même d’une idée bien définie comme le dessin d’une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu’une machine bien réglée d’abord ferait l’œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu’il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu’il emploiera à l’œuvre qu’il commence ; l’idée lui vient à mesure qu’il fait ; il serait même rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu’il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est là le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s’étonne lui-même. Un beau vers n’est pas d’abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu’il la fait ; et le portrait naît sous son pinceau (...). Ainsi la règle du beau n’apparaît que dans l’œuvre et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut servir jamais, d’aucune manière, à faire une autre œuvre

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Alain, 1920Contribution à la critique de l’économie politique

Karl Marx, 1859

Mais la difficulté n’est pas de comprendre que l’art grec et l’épopée sont liées à certaines formes du développement social. La difficulté réside dans le fait qu’ils nous procurent encore une jouissance esthétique et qu’ils ont encore pour nous à certains égards, la valeur de normes et modèles inaccessibles.Un homme ne peut redevenir enfant, sous peine de tomber dans la puérilité. Mais ne prend-il pas plaisir à la naïveté de l’enfant et ayant accédé à un niveau supérieur, ne doit-il pas aspirer lui-même à reproduire sa vérité ? Dans la nature enfantine, chaque époque ne voit-elle pas revivre son propre caractère dans sa vérité naturelle ? Pourquoi l’enfance historique de l’humanité, là où elle a atteint son plus bel épanouissement, pourquoi ce stade de développement révolu à jamais n’exercerait-il pas un charme éternel ? Il est des enfants mal élevés et des enfants qui prennent des airs de grandes personnes. Nombre de peuples de l’antiquité appartiennent à cette catégorie. Les grecs étaient des enfants normaux. Le charme qu’exerce sur nous leur art n’est pas en contradiction avec le caractère primitif de la société où il a grandi. Il en est bien plutôt le produit et il est au contraire indissolublement lié au fait que les conditions sociales insuffisamment mûres où cet art est né, et où seulement il pouvait naître, ne pourront jamais revenir.

Les Confessions

Augustin, entre 397 et 401

Qu’est-ce donc que ce Dieu ? J’ai interrogé la terre et elle m’a dit : « je ne suis point Dieu. Tout ce qui s’y rencontre m’a fait le même aveu. J’ai interrogé la mer et ses abîmes, les êtres vivants qui s’y meuvent et ils m’ont répondu : « Nous ne sommes pas ton Dieu ; cherche au dessus de nous » (...) J’ai interrogé le ciel, le soleil, la lune et les étoiles : « Nous ne sommes pas davantage le Dieu que tu cherches », m’ont-ils déclaré. Et j’ai dit à tous les êtres qui assaillent les portes de mes sens : entretenez-moi de mon Dieu, puisque vous ne l’êtes point, dites-moi quelque chose de lui. » Ils m’ont crié d’une voix éclatante : « C’est Lui qui nous a crée. » Pour les interroger je n’avais qu’à les contempler, et leur réponse, c’était leur beauté.Alors je me suis tourné vers moi-même et je me suis dit : « Mais toi, qui es-tu ? » Et j’ai répondu : « un homme ».

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a philo Somme théologique, 1, 2, q. 27

Thomas D’Aquin, entre 1266 et 1273

Le beau est identique au bien, il n’en diffère que par le concept. Le bien qui est ce que toute chose désire, est par essence ce en quoi le désir trouve son repos ; mais par essence le beau est tel que c’est dans sa perception ou sa connaissance que le désir trouve le repos. C’est pourquoi les sens les plus réceptifs au beau sont aussi les plus cognitifs, comme la vue et l’ouïe dans leur obédience à la raison. On parle en effet de beaux spectacles et de belles musiques, mais pour les objets des autres sens, il n’est pas question de beauté, on ne dit pas de belles saveurs ou belles odeurs. Il est donc clair que ce que le beau ajoute au bien tient à la faculté de connaître : on appelle bon ce qui plaît simplement au désir, et beau ce qu’on a plaisir à connaître.

La pesanteur et la Grâce

Simone Weil, 1947

Le beau est un attrait charnel qui tient à distance et implique une renonciation. Y compris la renonciation la plus intime, celle de l’imagination. On veut manger tous les autres objets du désir. Le beau est ce qu’on désire sans vouloir le manger. Nous désirons que cela soit.

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Thomas D’Aquin, entre 1266 et 1273

Simone Weil, 1947La pesanteur et la Grâce

Simone Weil, 1947

La distance est l’âme du beau.

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Critique de la faculté de juger

Kant, 1790

Le beau est un « plaisir désintéressé ». Le beau est « ce qui plait universellement sans concept ».Le beau est « une finalité sans fin ». Le beau est « ce qui est reconnu sans concept comme objet d’une satisfaction néces-saire ».

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Kant, 1790La République livre 10 ,598 b

Platon (428/427 av. J.-C., 348/347 av. J.-C.)

Quel but se propose la peinture relativement à chaque objet ? Est-ce de représenter ce qui est tel qu’il est ou ce qui paraît tel qu’il paraît ? Est-ce l’imitation de l’apparence ou de la réalité ?- De l’apparence, dit-il.

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Picador et Chulillo

Eugène Delacroix (1798-1863)

Ce qu’il y a de plus réel pour moi, ce sont les illusions que je crée avec ma peinture. Le reste est un sable mouvant.

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Eugène Delacroix (1798-1863)Situations 1, Qu’est-ce que la littérature ?

Sartre, 1947

Il y a le vert, il y a le rouge, c’est tout ; ce sont des choses, elles existent par elles-mêmes. Il est vrai qu’on peut leur conférer par convention la valeur de signes. Ainsi parle-t-on du langage des fleurs. Mais si, après accord, les roses blanches signifient pour moi « fidélité », c’est que j’ai cessé de les voir comme roses : mon regard les traverse pour viser au-delà d’elles cette vertu abstraite; je les oublie, je ne prends pas garde à leur foisonnement mousseux, à leur doux parfum croupi ; je ne les ai pas même perçues. Cela veut dire que je ne me suis pas comporté en artiste. Pour l’artiste, la couleur, le bouquet, le tintement de la cuiller sur la soucoupe sont choses au suprême degré ; il s’arrête à la qualité du son ou de la forme, il y revient sans cesse et s’en enchante ; c’est cette couleur objet qu’il va transporter sur sa toile et la seule modification qu’il lui fera subir c’est qu’il la transformera en objet imaginaire. Il est donc le plus éloigné de considérer les couleurs et les sons comme un langage. Ce qui vaut pour les éléments de la création artistique vaut aussi pour les combinaisons : le peintre ne veut pas tracer des signes sur la toile, il veut créer une chose.

Chemin qui ne mènent nulle part, « Holzwege »

Heidegger, 1950

Nous n’avons rien fait que nous mettre en présence du tableau de Van-Gogh. C’est lui qui a parlé. Dans la proximité de l’œuvre, nous avons soudainement été ailleurs que là ou nous avons coutume d’être. L’œuvre d’art nous a fait savoir ce qu’est en vérité la paire de souliers.

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Les Voix du silence

André Malraux, 1951

Toujours enrobé d’histoire, mais semblable à lui-même depuis Sumer jusqu’à l’école de Paris, l’acte créateur maintient au long des siècles une reconquête aussi vieille que l’homme. Une mosaïque byzantine et un Rubens, un Rembrandt et un Cézanne expriment des maîtrises distinctes, différemment chargées de ce qui fut maîtrisé ; mais elles s’unissent aux peintures magdaléniennes dans le langage immémorial de la conquête, non dans un syncrétisme de ce qui fut conquis. La leçon des Bouddhas de Nara ou celles des danses de mort çivaïtes n’est pas une leçon de bouddhisme ou d’hindouisme ; et le Musée imaginaire est la suggestion d’un vaste possible projeté par le passé, la révélation de fragments perdus de l’obsédante plénitude humaine, unis dans la communauté de leur présence invaincue. Chacun des chefs-d’œuvre est une purification du monde, mais leur leçon commune est celle de leur existence, et la victoire de chaque artiste sur sa servitude rejoint, dans un immense déploiement, celle de l’art sur le destin de l’humanité.L’art est un anti-destin.

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André Malraux, 1951 Le Surréalisme et la peinture

André Breton, 1928

Tout ce que j’aime, tout ce que je pense et ressens, m’incline à une philosophie particulière de l’immanence d’après laquelle la surréalité serait contenue dans la réalité même, et ne lui serait ni supérieure ni extérieure. Et réciproquement, car le contenant serait aussi le contenu. Il s’agirait presque d’un vase communiquant entre le contenant et le contenu. C’est dire si je repousse de toutes mes forces les tentatives qui dans l’ordre de la peinture, de la littérature, pourraient avoir étroitement pour conséquence de soustraire la pensée de la vie, aussi bien que de placer la vie sous l’égide de la pensée.

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Discours sur les sciences et les arts

Rousseau, 1750

L’esprit a ses besoins ainsi que le corps. Ceux-ci sont les fondements de la société, les autres en sont l’agrément. Tandis que le gouvernement et les lois pourvoient à la sureté et au bien-être des hommes assemblés, les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissants peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur esclavage et en forment ce qu’on appelle des peuples policés. Le besoin éleva les trônes; les sciences et les arts les ont affermis. Puissance de la terre, aimez les talents, et protégez ceux qui les cultivent. Peuples policés, cultivez-les: heureux esclaves, vous leur devez ce goût délicat et fin dont vous vous piquez; cette douceur de caractère et cette urbanité des mœurs qui rendent parmi vous le commerce si liant et si facile; en un mot ,les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune.

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Rousseau, 1750

La peinture est un art, et l’art dans son ensemble n’est pas une création sans but qui s’écroule dans le vide. C’est une puissance dont le but doit être de développer et d’affiner l’âme humaine (le mouvement du triangle). C’est le seul langage qui parle à l’âme et le seul qu’elle puisse entendre. Elle y trouve, sous l’unique forme qui soit assimilable pour elle, le Pain quotidien dont elle a besoin.Si l’art n’est pas à la hauteur de cette tâche, rien ne peut combler ce vide. Il n’existe pas de puissance qui peut en tenir lieu. C’est toujours aux époques où l’âme humaine vit le plus intensément que l’art devient le plus vivant, parce que l’art et l’âme se compénètrent et se perfectionnent mutuellement. Aux époques où l’âme est comme engourdie par les doctrines matérialistes, par l’incrédulité et par les tendances purement utilitaires qui en sont les conséquences, aux époques où l’âme ne compte plus, on voit se répandre l’opinion que l’art « pur » n’a pas été donné à l’homme pour réaliser tel ou tel but bien défini, mais que l’art est sans but aucun et qu’il n’existe que pour l’art. Ici, le lien qui unit l’art à l’âme est à moitié anesthésié.

Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier

Kandinsky, 1912

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Aurore

Nietzsche, 1881

On assiste aujourd’hui en plusieurs endroits à l’apparition de la culture d’une société dont le commerce constitue l’âme tout autant que la rivalité individuelle chez les anciens Grecs et que la guerre, la victoire et le droit chez les Romains. Celui qui pratique un commerce s’entend à tout taxer sans le fabriquer et, très précisément, à taxer d’après les besoins du consommateur, non d’après ses propres besoins les plus personnels : « Quels gens et combien consomment cela ? », voilà la question des questions. Ce type d’estimation, il l’applique dès lors instinctivement et constamment : à tout, et donc aussi aux productions des arts et des sciences, des penseurs, savants, artistes et homme d’État, des peuples et des partis, des époques tout entières : à propos de tout ce qui se crée, il s’informe de l’offre et de la demande, afin de fixer pour lui-même la valeur d’une chose. Cette attitude érigée en caractère déterminant de toute une culture, élaborée jusqu’à l’illimité comme jusqu’au plus subtil, imposant sa forme à tout vouloir et à tout pouvoir : voilà ce dont vous serez fiers, homme du siècle avenir : si les prophètes de la classe commerçante ont raison de vous en promettre la possession ! Mais, j’ai peu de foi en ces prophètes.

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Nietzsche, 1881