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Paracha Bechalah 5778 par le Rabbin Jonas Jacquelin Au début de notre paracha, les Enfants d’Israël peuvent enfin quitter le pays d’Egypte, le pays de l’esclavage. En deviennent-ils pour autant des hommes libres ? La fin du joug de Pharaon rime-t-elle nécessairement avec l’idée de liberté ? Rien n’est moins sûr. Un grand nombre de passages bibliques consacrés à l’apprentissage de la liberté nous enseigneront qu’être libre, ce n’est pas ne pas être esclave, loin de là. Être libre, c'est avoir appris la liberté après un long cheminement fait d'expériences, de tâtonnements et de doutes. Finalement, c'est au terme d'une errance de quarante ans que les Israélites pourront faire leur entrée dans le pays de Canaan. Bien évidemment, le chemin physique qui va de l'Egypte à la Terre d'Israël ne met pas quarante ans à traverser, mais le chemin moral qui mène de la servitude à la liberté ne saurait se franchir en moins d'une génération. “Un moment pour tout” enseigne l’Ecclésiaste (Qohélet III:1). Et au moment de leur sortie d'Egypte, les Hébreux n'étaient manifestement pas encore prêts pour une vie libre sur leur terre. En effet, la paracha s’ouvre avec le départ d'Egypte et le refus divin de laisser les Enfants d'Israël se rendre directement vers la terre qui leur a été promise. Dieu fait plutôt dévier le peuple vers le désert et la mer des joncs. Il craint qu'autrement, ces derniers puissent être tentés de retourner en Egypte au moment où les premières difficultés se feraient ressentir. A plusieurs reprises, dans les moments de conflit ou de ceux où la nourriture vient à manquer, les Enfant d'Israël regrettent à haute voix le confort de la servitude, la sécurité garantie malgré l’oppression ou du fait de cette dernière. Leur attitude illustre bien combien difficile est la liberté (pour reprendre le titre d'un recueil d'Emmanuel Levinas). Il est souvent plus facile de s'enfermer dans un mode de vie ou un système de pensée plutôt que de se placer face à soi-même, face à ses choix et à ses responsabilités. Il y a toujours un danger dans la pleine liberté. Et c'est pourquoi l'homme peut, souvent, avoir tendance à se laisser aller à une certaine "servitude volontaire". Cette problématique émerge clairement dans le texte biblique. C'est pourquoi, afin d'être effective, la liberté nécessite une propédeutique. Elle a toujours un coût, mais celui-ci mérite certainement d'être payé. Chabbat Chalom, Rabbin Jonas Jacquelin

Paracha Bechalah 5778 (pour reprendre le titre d'un recueil d'Emmanuel Levinas). Il est souvent plus facile de s'enfermer dans un mode de vie ou un système de pensée plutôt que

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Paracha Bechalah 5778 par le Rabbin Jonas Jacquelin

Au début de notre paracha, les Enfants d’Israël peuvent enfin quitter le pays d’Egypte, le pays de l’esclavage. En deviennent-ils pour autant des hommes libres ? La fin du joug de Pharaon rime-t-elle nécessairement avec l’idée de liberté ? Rien n’est moins sûr.

Un grand nombre de passages bibliques consacrés à l’apprentissage de la liberté nous enseigneront qu’être libre, ce n’est pas ne pas être esclave, loin de là. Être libre, c'est avoir appris la liberté après un long cheminement fait d'expériences, de tâtonnements et de doutes.

Finalement, c'est au terme d'une errance de quarante ans que les Israélites pourront faire leur entrée dans le pays de Canaan. Bien évidemment, le chemin physique qui va de l'Egypte à la Terre d'Israël ne met pas quarante ans à traverser, mais le chemin moral qui mène de la servitude à la liberté ne saurait se franchir en moins d'une génération.

“Un moment pour tout” enseigne l’Ecclésiaste (Qohélet III:1). Et au moment de leur sortie d'Egypte, les Hébreux n'étaient manifestement pas encore prêts pour une vie libre sur leur terre.

En effet, la paracha s’ouvre avec le départ d'Egypte et le refus divin de laisser les Enfants d'Israël se rendre directement vers la terre qui leur a été promise. Dieu fait plutôt dévier le peuple vers le désert et la mer des joncs. Il craint qu'autrement, ces derniers puissent être tentés de retourner en Egypte au moment où les premières difficultés se feraient ressentir.

A plusieurs reprises, dans les moments de conflit ou de ceux où la nourriture vient à manquer, les Enfant d'Israël regrettent à haute voix le confort de la servitude, la sécurité garantie malgré l’oppression ou du fait de cette dernière. Leur attitude illustre bien combien difficile est la liberté (pour reprendre le titre d'un recueil d'Emmanuel Levinas).

Il est souvent plus facile de s'enfermer dans un mode de vie ou un système de pensée plutôt que de se placer face à soi-même, face à ses choix et à ses responsabilités. Il y a toujours un danger dans la pleine liberté. Et c'est pourquoi l'homme peut, souvent, avoir tendance à se laisser aller à une certaine "servitude volontaire". Cette problématique émerge clairement dans le texte biblique. C'est pourquoi, afin d'être effective, la liberté nécessite une propédeutique. Elle a toujours un coût, mais celui-ci mérite certainement d'être payé.

Chabbat Chalom,

Rabbin Jonas Jacquelin