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1 Outils d’analyse filmique liés à la prise de vues par Frédéric Mocellin Ce document définit les notions de profondeur de champ, de perspective, de place de caméra et de hauteur de caméra. Ces notions font intervenir des paramètres tels que l’objectif de la caméra, l’ouverture de diaphragme et la mise au point. Ces éléments sont importants pour analyser les caractéristiques photographiques d’un film comme « La soif du mal » d’Orson Welles dont le style visuel est très recherché (comme dans tous ses autres films d’ailleurs). Outre leur efficacité dans la narration, certaines figures de style sont très caractéristiques de ce réalisateur. On peut parler de signature visuelle pour ce film et pour ce réalisateur comme on parlerait du style d’un livre ou d’un écrivain. N.B. : la prise de vues n’est pas le seul élément nécessaire à définir un style de réalisation ou à raconter une histoire. Le son et le montage y participent tout autant mais nous nous limiterons ici à la partie image. Si vous avez des questions, vous pouvez me contacter à l’e-mail : [email protected]. PROFONDEUR DE CHAMP Définition La profondeur de champ correspond à l’espace net dans l'image filmée. Le reste de l’action sera flou, à l’avant plan et à l’arrière plan de cette zone de netteté. Elle est la zone d’intérêt immédiate de la scène pour le spectateur (bien qu’il puisse se passer des choses dans la zone floue, par exemple une menace imminente …). L'étendue de cette zone dépend de nombreux paramètres : Choix de l’objectif _ ouverture du diaphragme _ distance de mise au point

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Outils d’analyse filmique liés à la prisede vues par Frédéric Mocellin

Ce document définit les notions de profondeur de champ, de perspective, deplace de caméra et de hauteur de caméra.

Ces notions font intervenir des paramètres tels que l’objectif de la caméra,l’ouverture de diaphragme et la mise au point.

Ces éléments sont importants pour analyser les caractéristiques photographiquesd’un film comme « La soif du mal » d’Orson Welles dont le style visuel est trèsrecherché (comme dans tous ses autres films d’ailleurs).Outre leur efficacité dans la narration, certaines figures de style sont trèscaractéristiques de ce réalisateur. On peut parler de signature visuelle pour ce film etpour ce réalisateur comme on parlerait du style d’un livre ou d’un écrivain.

N.B. : la prise de vues n’est pas le seul élément nécessaire à définir un style deréalisation ou à raconter une histoire. Le son et le montage y participent tout autantmais nous nous limiterons ici à la partie image.

Si vous avez des questions, vous pouvez me contacter à l’e-mail : [email protected].

PROFONDEUR DE CHAMP

Définition

La profondeur de champ correspond à l’espace net dans l'image filmée. Le reste del’action sera flou, à l’avant plan et à l’arrière plan de cette zone de netteté.

Elle est la zone d’intérêt immédiate de la scène pour le spectateur (bien qu’il puissese passer des choses dans la zone floue, par exemple une menace imminente …).

L'étendue de cette zone dépend de nombreux paramètres :

Choix de l’objectif _ ouverture du diaphragme _ distance de mise au point

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Les choix du chef opérateur (aussi appelé directeur de la photographie)

Pour filmer une action, l’opérateur a plusieurs choix à faire.

Ces choix ne sont pas arbitraires, ils correspondent à un style photographique précis,choisi par l’opérateur en accord avec le réalisateur pour raconter au mieux l’histoireet lui donner un style.

L’opérateur choisit une place et une hauteur pour sa caméra (par rapport au sujetfilmé)

_

L’opérateur choisit un objectif à mettre sur la caméra

_

L’opérateur choisit une ouverture de diaphragme (pour cet objectif)

_

L’opérateur décide de la mise au point (pour ce même objectif)

__

IMPACT VISUEL SUR LE SPECTATEUR

Zone de netteté = étenduede la profondeur de champ

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A quoi ressemble un objectif de cinéma ?

Fig. 1 : l’opérateur, ayant chargé de la pellicule dans la caméra, met sur la monturel’objectif le plus approprié pour le plan tourné

(Rappel : un plan est une unité d’action tournée sans interruption de la caméra ; unescène, qui décrit une action continue et cohérente dans un même décor à unmoment donné, est habituellement composée de plusieurs plans).

Bague de zoom Bague de mise au point

Bague de diaphragme

Fig. 2 : ici, un objectif particulier, le zoom. Les autres objectifs (dit à focale fixe – voirle chapitre focale) ne comporte que deux bagues : mise au point et diaphragme. Lalongueur focale ne varie pas comme pour le zoom (voir paragraphe suivant).

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Objectif choisi

On désigne couramment l’objectif par sa longueur focale ou focale (ex : « je vaismettre un 20mm sur la caméra »).

Le choix d’un objectif dépend de l’endroit où l’opérateur a placé sa caméra parrapport la scène. C’est la place de la caméra.

1) Focale ou longueur focale

La focale est un nombre en mm (déterminé par la nature et la position des lentillesdans l’objectif, notion qui ne sera pas développée ici).

Plus ce nombre est petit, plus la focale est dite «courte».Plus ce nombre est grand, plus la focale est dite «longue».

2) Classification des objectifs

• focale normale : environ 32mmC'est l'objectif standard de la caméra 35mm. L’opérateur a l’impression quel’image qu’il observe avec l’œil à l’œilleton de la caméra a la même échelleque ce qu’il voit à l’œil nu. Le champ de vision est limité par les bords ducadre de l’image. C’est une vision « neutre »

• grand-angulaire : toute longueur focale inférieure à la normale(ex. : 25mm, 8mm « fish-eye »). Les objets dans l’image ont l’air plus éloignéset donc plus petits qu’à l’œil nu mais l’angle de vision est plus large etenglobe plus d’espace dans le cadre que la focale normale.

(On appelle « fish-eye » un objectif de très courte focale en référence à l’œil du poisson, situé sur les côtés deson corps, qui couvre un angle de vision de 180° environ pour voir ses proies et ses prédateurs)

• téléobjectif : toute longueur focale supérieure à la normale(ex. : 50mm jusqu’au 1000mm voire plus…).Les objets dans l’image ont l’air plus proches qu’à l’œil nu, le champ de visiondans le cadre est plus réduit que celui de la focale normale. On a l’impression,depuis la place de caméra, de se concentrer sur un détail.

• un zoom est un objectif dont la focale est variable (un zoom 11 - 110mm parexemple permet de passer dans le même plan d’une très courte focale à unelongue focale)

Attention : les focales du cinéma en 35mm ne sont pas les mêmes que celles de la photo, de lavidéo, etc. … Par exemple, pour la photo, en 24x36, la focale normale est plutôt de 50mm.

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Conséquences : pour l’opérateur à l’œilleton de la caméra qui voit l’imagecadrée de même que pour le spectateur dans la salle qui voit l’écran dans sonensemble:

- une focale normale donne l’impression que la scène est regardée d’un point devue neutre et objectif, « sans effets ».

- une courte focale donne l’impression d’un ensemble (sujet filmé et sonenvironnement) plus que celle du sujet uniquement.On peut aussi l’utiliser quand on filme dans un endroit exigu où la caméra est tropproche du sujet pour gagner un peu de champ (d’espace) autour du sujet filmé.La courte focale entraîne des déformations dans l’image. Par exemple, si unpersonnage pointe un pistolet vers un objectif court, le pistolet paraîtradémesurément grand par rapport au corps du personnage (effet de distorsionsouvent utilisé dans les films d’action).

- une focale longue donne l’impression que l’on se concentre sur un objet précis, undétail, en délaissant le reste hors du cadre. On peut aussi s’en servir si la caméra nepeut pas trop s’approcher du sujet, comme des jumelles.Le spectateur a la sensation d’observer quelqu’un à son insu, la vision se fait plus« subjective », plus intentionnelle.

Dans les exemples proposés ici, la vue du 28mm correspond à peu près à la vision neutre vue de la place de la caméra (lesobjets paraissent de même dimensions qu’à l’œil nu, le champ de vision est le même dans les limites du cadre).

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Ouverture du diaphragme

L’ouverture de diaphragme, aussi appelée par raccourci « diaphragme » ou« diaph », correspond à l’ouverture de l’iris de l’objectif.

L’iris est un élément mécanique de l’objectif qui s’apparente à une valve qui s’ouvreplus ou moins.

Plus l’iris est fermé, moins il entre de lumière pour impressionner le négatif. Plus l’irisest ouvert plus il entre de lumière.

Le réglage de cetteouverture d’iris dépendde la lumièredisponible sur leplateau de cinéma (enstudio avec desprojecteurs ou enextérieurs/intérieursdéjà existants avecl’apport éventuel deprojecteurs) et de lasensibilité de lapellicule.

- on a une pellicule très sensible (ex : 500 asa)

_ on tourne en extérieur jour brumeux : on a assez de lumière pour pouvoirfermer l’iris si on le désire

_ on tourne en studio ou de nuit : pour pouvoir fermer l’iris, on peut éclaireravec peu de lumière donc utiliser peu de projecteurs (N.B. : les projecteurspeuvent être encombrants donc gêner les déplacements de la caméra, créerdes reflets sur l’objectifs. Ils peuvent limiter les possibilités de cadrer car ils nedoivent pas être filmés.)

- on a une pellicule peu sensible (ex : 50-100 asa pour « Citizen Kane »d’O.W.)

_ on tourne en extérieur jour ensoleillé : on a beaucoup de lumière, assezpour fermer l’iris

_ on tourne en studio ou de nuit : pour pouvoir fermer l’iris, on doit éclaireravec beaucoup de lumière, donc prévoir de la place pour placer de grosprojecteurs.

EXEMPLES :

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Or l’iris a une limite d’ouverture qui est la pleine ouverture, autre valeurcaractéristique de l’objectif en plus de la focale (ex : un 50mm-f/1,4 ou un 20mm-f/4 –voir schéma précédent).

Fig. : un objectif photo 55mm, ouverture maximale f/4.5

Si à pleine ouverture, on n’a toujours pas assez de lumière sur le plateau pour filmer,l’opérateur est contraint d’ajouter de la lumière grâce aux projecteurs d’éclairage, etd’autant plus de lumière qu’il veut pouvoir fermer son iris.

Quel est l’intérêt d’avoir un iris fermé ou ouvert ?

Cette ouverture permet, pour un objectif donné et à une place caméra donnée,d’augmenter ou de diminuer la profondeur de champ.

Plus l’iris (le diaph) est fermé, plus la profondeur de champ augmente.

Contrôle de l’éclairage : l’opérateur est très préoccupé par la lumière dont ildispose. S’il peut la contrôler avec des projecteurs, il est assuré de pouvoir obtenirl’ouverture de diaph qu’il désire.Il connaît donc exactement la profondeur de champ et s’en sert comme d’un outil demise en scène.

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Mise au Point

La zone de profondeur de champ est aussi définie comme la zone de netteté quis’étend en avant et en arrière du plan de mise au point (distance réglée sur la baguede mise au point de l’objectif).

La photo suivante favorisel’avant-plan (ex : distanceaffichée sur l’objectif« 2m » ce qui signifie quel’homme bâillonné etSigourney Weaver qu’onveut nets sont à 2m de lacaméra) ...

… tandis que pour cetteprise, la distance affichéeest de 4,5m (distanceentre le personnage dufond et la caméra).

Images extraites de « Lajeune fille et la mort » deRoman Polanski

Les deux vues sont réalisées avec la même focale et la même ouverture de diaphragme (cf. plus baspour l’influence de ces paramètres).

La décision de mettre en valeur un plan de mise au point est un choix délibéré del’opérateur de prise de vues (pour attirer l’attention sur un détail, isoler unpersonnages par rapport aux autres flous, etc …).

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Influence des paramètres sur la profondeur de champ

La profondeur de champ est liée à ces trois paramètres :

_ la focale de l’objectif

_ l’ouverture du diaphragme

_ la distance de mise au point

1) La focale varie

Pour une même ouverture de diaphragme, une même mise au point :

la profondeur de champ est plus importante pour un grand angulaire (courte focale)que pour un téléobjectif (longue focale).

_ 20mm _ 75mm

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Evidemment, le champ couvert par l’image (la caméra n’a pas bougé, seul l’objectif achangé) varie avec la focale.

2) Le diaph varie

Pour un objectif donné et une mise au point fixée :

- plus le diaphragme est fermé, plus la profondeur de champ est importante.

- plus le diaphragme est ouvert plus la profondeur de champ est faible.

L’image suivante (grande ouverture) détermine une faible zone nette de part etd’autre du plan de mise au point (celui des fleurs du milieu de l’image).

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La même image, avec un diaphragme fermé au maximum (imaginons que le ciels’est découvert, illuminant la scène, or on veut que l’exposition du négatif soit lamême que précédemment, d’où la fermeture de l’iris) montre un zone nette partoutde part et d’autre de la mise au point.

2b) L’éclairage varie (même cas que pour 2) expliqué différemment)

Plus l’éclairage est important, plus le diaphragme est fermé (pour que le négatifreçoive la même quantité de lumière et soit exposé pareillement). La profondeur dechamp est alors plus importante.

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Dans les deux vues, la mise au point est faite sur le jeune homme.

La deuxième vue a été réalisée avec un éclairage plus intense, donc pour une mêmeexposition du négatif, on a fermé le diaphragme.

On a plus de profondeur de champ (comme au paragraphe 2) sauf qu’ici l’éclairageest contrôlé par des projecteurs (tournage en décor de cinéma) et ne dépend pasdes aléas de la météo.

3) La mise au point varie (car le sujet filmée ou la caméra se déplacent)

Pour une même ouverture de diaphragme et une même focale :

- La profondeur de champ est plus importante si la distance de mise au point estéloignée.

-Elle est moins grande si la distance de mise au point est proche.

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Récapitulatif

La profondeur de champ augmente par rapport au plan de mise au point

On voit dans cet exemple,qu’avec un mouvement, on peutse rapprocher d’un élément de lascène. L’attention du spectateurse concentre alors sur cetélément tandis que la profondeurde champ se limite à lui (le pointvarie en suivant l’évolution de ladistance caméra-sujet).

Images extraites de «Le voyeur »de Michael Powell

La focalede l’objectifdiminue

Le diaph decet objectif estde plus en plusfermé

Le plan demise au pointest de plusen pluséloigné pourcet objectif

L’opérateur fait varier ces trois paramètres (indépendants l’un del’autre) pour obtenir la profondeur de champ qu’il désire

SI

ALORS

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Applications concrètes

Ce qu’il faut retenir, c’est que le cinéaste doit «jouer» en permanence avec cettenotion du net et du flou afin de donner un sens à la mise en scène.

Citizen Kane (O. Welles)

Profondeur de champ importante: tout est net, du premier plan àl'infini.

Une grande profondeur de champapporte une impression deprofondeur. Le regard peut suivreplusieurs actions en même temps.

Welles se sert de la composition duplan (ex : cadres dans le cadre)pour orienter l’œil du spectateur.Ici, l’encadrement de porte ou lafenêtre sépare les différentscentres d’intérêt.

(typique du cinéma d’Orson Welles)

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Profondeur de champ réduite : lepremier plan est flou. L'opérateur a choisicette fois de privilégier la netteté dansl'arrière plan. Le regard reste attiré par lazone de netteté.

Arrière-plan net

Spider (D. Cronenberg)

Halloween Resurection (R. Rosenthal)

Profondeur de champ réduite : lepremier plan est net, alors quel'arrière plan est flou. Notre attentionse porte sur le personnage, maisreste néanmoins conscient du fond(qui pourrait par exemplereprésenter un danger potentiel – iciun tueur en série masqué).

Avant-plan net

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Focale et perspective

La focale n’influe pas juste sur l’angle de champ couvert par la caméra, elle influe surla perception de la distance des objets entre eux.

Les images suivantes montrent 4 arbres à égale distance l’un de l’autre.On s’intéresse au premier tronc, véritable sujet à filmer.

Choix de la place de caméra : plus la focale est longue, plus on doit éloigner lacaméra pour conserver la même taille de ce tronc dans l’image, car si la camérarestait fixe, notre champ de vision serait plus réduit et on n’obtiendrait plus q’unepetite partie du tronc.

Filmé avec un 16 mm (courte focale)

Filmé avec un 32 mm (focale normale)

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filmé avec une très longue focale (200 mm)

Interprétation

Si on filme un objet (imaginons une personne debout à la place du premier tronc), ona l’impression que l’arrière-plan se tasse à mesure que la focale augmente : il y a« compression » de la perspective. Cette dernière est moins fuyante (les objetsrapetissent moins en s’éloignant), les objets paraissent plus proches les uns desautres.

Applications concrètes

Dans cette séquence de« La Soif du mal », lacaméra est montée sur lecapot de la voiture avec unobjectif de 18,5mm (courtefocale). On a l’impressionque la voiture va très vite.

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La sensation de vitesse est produite par la courte focale. Par rapport aux deuxpersonnages fixes dans le cadre, les objets qui s’éloignent de part et d’autre de lavoiture deviennent vite de petite taille. L’éloignement des objets est accentué ; lasensation de vitesse accrue.

Hypothèse : si Welles avait voulu mettre la caméra assez en amont du capot pourobtenir le même avant-plan (2 hommes) avec une longue focale, les bâtiments quidéfilent mettraient plus de temps pour diminuer. Même si la vitesse de la voiture estla même, le spectateur aurait l’impression qu’elle va moins vite

Orson Welles, qui utilise beaucoup la courte focale 18,5mm dans la « Soif du mal »,donne une dynamique à l’action. Lorsqu’on suit ou devance un personnage avec lacaméra, le rythme est assez trépidant.

Hauteur de la caméra

La hauteur de la caméra, surtout avec une courte focale, a un effet visuel marqué.Les lignes de fuites sont plus apparentes. Cela peut créer des compositionsinhabituelles et une dramatisation dans la scène (voir image 1).

Comment reconnaître cette hauteur : si on filme un personnage avec une camérabasse (contre plongée), sa tête est plus petite par rapport au corps (voir image 2). Enposition haute, le corps du personnage semble rapetisser par rapport à la tête mis enavant.

Deux scènes de Citizen Kane 1. 2.

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La caméra est à hauteur des personnages

Citizen Kane La soif du mal

Etre à hauteur des personnages produit une certaine neutralité visuelle. La tensionde la scène provient alors de la situation, du jeu des acteurs.

Exemple dans la « Soif du mal » : alors que l’essentiel du film est tourné en contre-plongée ou en plongée avec un 18,5mm (courte focale), le personnage de la diseusede bonne aventure,Tana, incarné par Marlène Dietrich, est filmé à hauteur duvisage, en focale normale ou légèrement longue, avec un éclairage doux. Lepersonnage incarne un certain cynisme, mais aussi de la bienveillance. Quinlan, lepolicier corrompu, vient chercher auprès d’elle l’apaisement au milieu d’une intriguehautement tourmentée.

Plongée

La plongée sur un personnage a souvent fonction d’observation de ses actions(comme le ferait à l’extrême une caméra de surveillance), de constat d’une situation.Elle peut aussi révéler la fragilité du personnage, sa position d’infériorité.

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Deux moments de la « Soif du mal » : Quinlan est sur le point de mourir, Susan estagressée par le gang de motards

Contre-plongée

La contre-plongée, si elle est accentuée par la courte focale, magnifie lespersonnages en leur donnant une stature imposante : corps massif, regard plusintense (sa direction est accentuée comme une ligne de fuite, on est plus sensible àl’expression et à la psychologie du personnage).

Plan-séquenced’ouverture dumême film :la plongée sur gruepermet d’observer laproximité de lavoiture dynamitée etdu couple principal(suspense)

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Orson Welles dans « La soif du mal », « M.Arkadin », « Citizen Kane »

Orson Welles pratique beaucoup cet usage de la caméra basse, n’hésitant pas à creuser le solcar il trouve ses personnages plus beaux et plus majestueux de cette façon. Il trouve aussil’image plus intéressante car à l’époque où il l’emploie, ce genre d’effet est assez rare. Or,Welles aime l’image que l’on n’a pas l’habitude de voir (comme on l’a vu, il emploie la courtefocale et la forte profondeur de champ qui sont inhabituelles dans le cinéma classique).

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1) 2)

1) Welles filmant au ras du sol en contre-plongée ;

2) la contre-plongée couplée avec la courte focale accentue l’infériorité du personnage deGrandi (en arrière-plan) par rapport au massif et menaçant Quinlan.

Conclusion

Les notions de profondeur de champ, de perspective du plan, de place et de hauteur camérasont des notions fondamentales pour faire l’analyse d’une image.

Elles peuvent s’appliquer aussi bien au cinéma qu’à la photographie.

Bien sûr, il n’est pas nécessaire de connaître ce langage cinématographique pour apprécier unfilm.Par contre, si on est capable de reconnaître ces figures de style, on peut mieux comprendrel’importance et la pertinence du travail de mise en scène qui donne aux séquences leurefficacité.