Metaphore Et Metamorphose en Archit

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  • 7/26/2019 Metaphore Et Metamorphose en Archit

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    Mtaphores et mtamorphoses en architecture*

    partienne J. Gaboury

    Winnipeg (Manitoba)

    RSUMDans cet article, lauteur aborde trois grandsthmes: la qute de lespace indicible ou de la transcen-dance de la matire, lexpression rgionale et lenjeu de lamtaphore dans larchitecture. Selon lui, lespace dfinipar la lumire est la matire essentielle larchitecture. Ilest structur pour rpondre aux besoins humains, autantpsychologiques que physiques. Ainsi, la qualit duneoeuvre se mesure par le degr de sublimation ou detranscendance de la matire, des matriaux et desfonctions. De faon abstraite, lvolution vers latranscendance est un processus morphologique o laforme extrinsque reflte et clbre la forme intrinsquequi, en termes prosaques, se rsume au programmearchitectural. Lauteur veut galement soulignerlimportance et linfluence que le milieu devrait avoir surle dveloppement de la forme. En effet, les milieux socialet physique devraient tre des dterminants majeurs dansla mtaphore architecturale. En outre, larchitecture est unreflet des valeurs socio-culturelles dune communaut etdune poque. cause de son ubiquit, elle sinsinue dansnos vies, faonnant notre comportement et affectantdirectement notre bien-tre. son plus haut degr dersolution et dabstraction, elle nous touche par lespirituel et le symbolique et devient mtaphore. Pourillustrer ces diffrents thmes, lauteur prsente, endernire partie, quelques-unes de ses ralisationsarchitecturales.

    ABSTRACTThe author broaches three main themes in thisarticle: the quest for indescribable space or transcendanceof matter, regional expression, and the implications ofmetaphor in architecture. The author maintains that thesubstance of architecture is space defined by light. Space

    CAHIERS FRANCO-CANADIENS DE L'OUESTVOL. 3, N 2, AUTOMNE 1991, p. 179-215

    * Texte dune causerie prsente au Collge universitaire de Saint-Boniface, dans le cadre des activits culturelles, le 7 novembre 1990.

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    is structured to meet both the psychological and physicalneeds of humans. The quality of an architectural work isaccordingly measured by the degree of sublimation or

    transcendance of matter, materials and functions. Inabstract terms, the course towards transcendance is amorphological process in which the outer form reflectsand celebrates the inner form; this, in more prosaic terms,can be summed up as the architectural program. Theauthor also stresses the importance and influence thatsetting should have on form development. The social andphysical setting should in fact be major factors in thearchitectural metaphor. Moreover, architecture is areflection of the socio-cultural values of a community or

    time. In that it is omnipresent, architecture is an intimatepart of our lives, shaping our behaviour and directlyaffecting our well-being. At its highest level of resolutionand abstraction, it moves us spiritually and symbolicallyand becomes metaphor. At the end of the article, theauthor presents a number of his own architectural worksto illustrate these themes.

    Prsenter ses oeuvres pose infailliblement un dilemme.Doit-on se concentrer sur les oeuvres elles-mmes ou plutt surla pense qui les a prcdes et gnres? Il nous sembleimportant de rvler un peu lorigine des ides qui animent lesarchitectes. Dans une premire partie, tout en analysant lescomposantes de larchitecture, nous tenterons den donner unedfinition gnrale. Ensuite, nous analyserons quelques idesmatresses ou thmes majeurs qui ont guid notre travail,

    notamment le dveloppement de la forme et limportance dumilieu. Pour illustrer nos rflexions, nous terminerons par laprsentation de quelques-unes de nos ralisations archi-tecturales.

    Dfinition et composantes de larchitecture

    Il y a eu, travers les ges, maintes dfinitions delarchitecture. Ce serait donc un geste de grande tmrit, sinon

    dinsolence ou de navet, que de prtendre que toute dfinitionantrieure aurait t, en quelque sorte, dfectueuse et que nousprsenterions ici la dfinition dfinitive de larchitecture.

    Ce nest donc pas dans le but de chercher une nouvelle oumeilleure dfinition que nous nous sommes hasard sur cesterrains marcageux. Cest plutt le besoin, que nous avonsressenti depuis nos premires annes lcole darchitecture,

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    dapprivoiser, comme le Petit Prince, le sujet ou encore de ledissquer, notre faon, pour mieux le comprendre.

    Comme plusieurs tudiants, nous avons t intrigu par lemystre de la cration architecturale et, par consquent, anxieuxde mettre le doigt sur ce qui transforme un btiment ordinaireen une oeuvre darchitecture magistrale. Comment expliquercette mtamorphose qui change la valeur mme de lobjet sansncessairement changer la qualit ou la valeur des matriauxqui le constituent?

    Aprs avoir reu un premier diplme darchitecture, nous

    naurions su, au-del des formules toutes cuites quon nousavait enseignes, comment distinguer loeuvre ordinaire duchef-doeuvre.

    Lors dun stage dun an lcole nationale suprieure desbeaux-arts Paris, nous avons eu loccasion de visiter plusieursgrandes oeuvres architecturales, notamment des cathdrales,des chteaux et dautres grands monuments dEurope. Qui neserait pas intimid par la force du gnie humain manifest dans

    ces oeuvres? Ce qui nous branla peut-tre plus que la beautdes cathdrales gothiques, ctaient les merveilles technolo-giques, le raffinement du travail des maons qui les avaientconstruites. En effet, nous tions plus sduit par la technologie,par la pierre transforme en votes, en arcs-boutants, en gar-gouilles, que par la puissance et la rsolution de larchitecture.Nous confondions les matriaux pour la vraie matire delarchitecture.

    Notre chemin de Damas a eu lieu lors dune visite de lachapelle de Notre-Dame-du-Haut Ronchamp (Franche-Comt)conue par Le Corbusier (fig. 1). Cette petite chapelle de quelquecent places tait dmunie de tout point de repre, de toutemesure, de toute chelle. Les ordres traditionnels de larchi-tecture, le plan rationnel, lintgrit structurale, ne figuraientplus. Ctait comme si les rgles mmes de la compositionarchitecturale avaient t jetes au rancart.

    Mais cette minuscule chapelle avait la puissance deChartres! Plus que sa forme insolite et incommensurable, lavraie merveille de Ronchamp, cest lineffable qualit despace etde lumire ou, plus correctement, de lespace cr par lalumire. Le Corbusier nous a donn la clef de Ronchamp et, enmme temps, de toute son oeuvre lorsquil dit que larchitecture,cest la recherche de lespace indicible.

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    Cest partir de cette exprience et depuis que nous avonsconstat que lespace est le propre de larchitecture, sa matireessentielle, que nous avons commenc rflchir sur ladfinition de larchitecture. Le besoin sest fait sentir dexpli-quer, de dfinir larchitecture afin den connatre ses ingrdientset de trouver la clef, la potion magique, de la compositionarchitecturale. Nous en sommes donc arriv, clopin-clopant, une dfinition qui pourrait se rsumer ainsi: larchitecture, cestlespace structur aux besoins des humains.

    Lespace architectural pourrait se dfinir par le vidersiduel entre des lments fixes ou des objets: par exemple,murs, colonnes, plafonds, escaliers, etc. Vu que lespace est unesubstance thre, ou le vide, et ne peut donc pas tre apprci

    ou identifi comme tel, nous ne pouvons dcouvrir ou connatrelespace architectural que par les surfaces claires desmatriaux. Ce nest donc que par le truchement de la lumiresur la structure les murs, les plafonds, les faades quon peutfaire lexprience de lespace architectural.

    Est-ce de la dialectique ou un tour de passe-passeintellectuel?

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    PHOTO: TIENNE GABOURY

    Figure 1 La chapelle Notre-Dame-du-Haut Ronchamp,

    oeuvre de Le Corbusier.

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    un certain point de vue, oui, ce nest quune autre faonde voir la ralit, mais cette nouvelle perspective est essentielle

    pour comprendre le phnomne de cette mtamorphose. Il estvrai que larchitecture est vue dabord comme du solide: il noussuffit de penser lancienne architecture perse, gyptienne oumexicaine. Nous avons dj postul que lespace architecturalde lavenir pourrait tre structur par la lumire seulement enutilisant diffrentes techniques de projection, dont lholo-gramme, mais cest tout un autre monde quon pourradcouvrir une autre occasion.

    Bien que la surface claire soit indispensable lexpriencearchitecturale, cette constatation naffaiblit aucunementlhypothse voulant que lespace soit la matire essentielle larchitecture. Cest justement parce que larchitecture nestperue que par les surfaces claires quon a naturellementtendance ne voir que cette ralit et tre souvent sduit par la

    beaut des surfaces plutt que par la beaut des espaces.

    Faisant le parallle avec la posie, on prfrerait alors la

    beaut du graphisme du texte plutt que la beaut du messagerel ou symbolique. Les deux ralits sont valables, mais luneest demble plus importante que lautre.

    Cest le pige que tend larchitecture: on est facilementsduit par la beaut des matriaux, des agencements, dessurfaces, des couleurs, mais la qualit spatiale peut nouschapper, et pourtant, cest elle qui importe.

    Lorsque nous parlons despace structur, le meilleurexemple serait celui du rgime de bulles dair greffes unepipe de savon. Observez attentivement la merveille de cettecomposition cumulative qui rsulte de la pression de lair captpar la membrane de savon. Ce jeu enchanteur de volumes, cettecomposition la fois ordonne et capricieuse, la structureparfaitement rsolue et quilibre par la membrane,reprsentent, notre avis, un exemple sublime de lespace

    architectural structur.Si on accepte la prmisse que lexprience de larchitecture

    se fait surtout par lclairage des surfaces, il sensuit quelclairage est dune importance primordiale en architecture.Nous ne pouvons malheureusement pas nous attarder sur cesujet, bien quil soit fondamental larchitecture; il mriteraitplus de considration que nous ne pourrions lui en accorder

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    dans le prsent article. Cependant, nous voudrions nanmoinssouligner la dimension spciale quapporte lclairage naturel

    la qualit de lespace architectural. Comme le bois, la lumire dusoleil a une qualit inhrente quelle insuffle lespace qui est delordre spirituel. Un rayon de soleil est un rayon de vie. Unespace sculpt par ces rayons acquiert une vitalit qui ne peuttre atteinte par un clairage artificiel. Il y a l, dj, le souffle dela transcendance.

    Permettez que nous revenions notre dfinition delarchitecture. Elle sous-entend une polarit entre lespace et

    lhumain. En effet, si lespace est la matire essentielle larchitecture, les humains en sont son objet et sa raison dtre.Larchitecture est ncessairement anthropocentrique.

    Constatation trop vidente, direz-vous, mais si elle est sividente, comment expliquer le manque dhumanisme dans nos

    btisses et nos villes contemporaines? Cest que, depuis lreindustrielle, depuis lassaut effrn de lingnierie surlenvironnement, la technologie prime sur lhumanisme,limpratif conomique sur les prrogatives socio-culturelles. Ladimension vraiment humaine est non seulement nglige, elleest constamment redfinie.

    Le terme structurer dans notre dfinition, a, dessein,une double connotation: il reprsente la fois la compositionordonne de lespace et la structure qui dfinirait cet espace.Laccent doit tre plac sur la premire interprtation bien que la

    structure (charpente) soit souvent inhrente la structuration delespace, et ne peut tre dissocie de celle-ci.

    Structurer lespace comprend donc lassemblage dematriaux et de moyens techniques pour crer des espaces, maisil comprend davantage: il entend la composition intelligente etheureuse des espaces eux-mmes pour crer un milieu quicomble les besoins ou rpond aux aspirations dordre psy-chique. Autrement dit, les besoins vraiment humains sont

    autant psychologiques que physiologiques. La faon dont ceux-ci sont dfinis et interprts dterminera incontestablementlagencement et la qualit de lespace architectural.

    Le fonctionnalisme en architecture est relativement rcent;il est le nourrisson de la Rvolution industrielle qui naquitofficiellement lcole du Bauhaus1 dans les annes trente. Cettecole prnait le fonctionnalisme en raction la dcadence et

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    lclectisme de larchitecture du XIXe sicle. Cette idologie, quinous semble toujours foncirement valable, veut que

    larchitecture soit conue partir des besoins fonctionnels etquelle reflte ceux-ci honntement, sans artifices. Cetteidologie stend mme la technologie; on cherche lhonntetdans lexpression de la structure, des matriaux et des dtails.Cest une philosophie de dpouillement qui, il fallait syattendre, a produit une architecture souvent svre et austre.Cest une idologie qui contenait les gnes du brutalisme o, enplus de lossature, toutes les tripes architecturales sontexposes et clbres. Le Centre national dart et de cultureGeorges-Pompidou (Centre Beaubourg) Paris en est lexemplele mieux connu (fig. 2).

    Mais le problme du fonctionnalisme ne rside pas danscette puration dexpression; il rside plutt dans la dfinitionde fonction. Parce que cette idologie est lie la Rvolutionindustrielle, elle devient, en quelque sorte, victime de tout cetengrenage matrialiste. Larchitecture qui mane de cette

    idologie devient donc de plus en plus axe sur lefficacit, surles besoins technologiques et soi-disant pratiques, sur lerendement conomique au dtriment du vrai bien-tre humain.We house the body but not the soul!2

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    PHOTO: TIENNE GABOURY

    Figure 2 Le Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou Paris.

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    La construction, videmment, est chose tout faitmatrielle, et les aspects pratiques du bon fonctionnement et de

    lefficacit en sont essentiels. Cest, en effet, la conditionpralable larchitecture, son point de dpart, mais non son butultime. Comme lorthographe en franais, cest la notion de

    base, le premier chelon franchir dans les gradins de lacomposition. Larchitecture nest vraiment valorise quelorsquelle incorpore, dabord dans sa programmation etensuite, dans sa composition, la composante mtaphysique de laspiritualit humaine.

    Ainsi, lorsque nous parlons de lespace structur pour lesbesoins des humains, nous nous rfrons lorganisation desespaces pour satisfaire toutes les exigences humaines:psychologiques, motives et spirituelles, autant sinon plus queles exigences physiologiques et matrielles.

    La forme en architecture

    Ayant brod librement sur notre dfinition de

    larchitecture, il serait utile de nous attarder un peu sur lephnomne de la mtamorphose, cest--dire sur le processusdu dveloppement de la forme en architecture.

    Forme est un terme qui porte quivoque. Il peut signifiersoit la forme intrinsque dun objet, son essence ou sa naturemme, ou il peut se rfrer la forme extrinsque dun objet, sa forme extrieure, son apparence. On peut dire, par exemple,quun objet a une belle forme ou quil a la forme dun poisson.La premire expression dfinit les caractristiques apparentes; laseconde, un principe de vie et une espce. La forme poisson, unanimal qui vit dans leau, peut se revtir de milliers decaractristiques en demeurant toujours poisson. Cest finalementla programmation gntique du poisson et son milieu qui vontdterminer sa forme extrinsque. Larchitecture est semblable cela.

    Si on cherche lessence dune cole, dun hpital ou duneglise, on dcouvre la forme intrinsque, lessence de cesconstructions humaines. Or, une cole nexiste que dans leconcret; elle a une forme extrinsque qui mane de sonprogramme et de son milieu.

    Dans la nature, la forme extrinsque est toujoursparfaitement rsolue et correspond toujours exactement au

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    programme que lorganisme sest donn ou a gnr traversles temps. La nature ne badine pas. La truite, comme la baleine

    ou le homard, a la forme extrinsque qui lui convient,parfaitement volue pour ce quelle est et ce quelle doit faire etparfaitement adapte son milieu. Toutes les caractristiques desa forme ne sont pas absolues ou inchangeables cependant, caron souponne que la nature saccorde une certaine latitudedinterprtation o certains aspects de sa forme varient sansnuire son bon fonctionnement. Au contraire, cest le propre dela nature de se rserver une marge de spontanit. Lescaractristiques de la truite ou du homard sont la foisessentielles et facultatives. Ce qui demeure immuable, cest leprincipe de vie, les organes vitaux et la structure organique.Mais partir de ces lments essentiels, la nature se plat nousprsenter un ventail extraordinaire dexpressions. Il suffit deregarder le genre humain pour apprcier combien sa formeextrinsque, le corps, peut varier partir de sa formeintrinsque, lespce humaine.

    La morphologie architecturale se compare-t-elle lamorphologie animale ou vgtale? Ou encore, est-ce possibleque larchitecture, comme la ruche dabeilles ou la toiledaraigne, soit inne ltre humain, et la libert dagir, dedcider, de choisir soit plus entrave ou moins consciente quonne le souponne?

    Quoi quil en soit, le processus de design suit la mta-morphose de la forme intrinsque la forme extrinsque, et ce

    processus dtermine le caractre et la validit de larchitecture.Cest au moyen de lexpression, tel que discut plus haut, que laforme extrinsque se rvle de faon significative et singulire;ce nest pas, comme certains le soutiennent, seulement par uneutilisation rationnelle, honnte et minimale des matriaux et desstructures. Less is more, pour reprendre une expressionclbre de larchitecte Mies van der Rohe3, est un traves-tissement de la ralit. Plus que la rationalit, lexpression

    sous-entend lintelligence, lintuition et la valorisation motiveainsi que la spontanit et la gratuit.

    En rsum, et au niveau le plus rudimentaire,larchitecture, cest le processus par lequel la forme intrinsquevolue vers une forme extrinsque par le truchement delexpression. Ce processus comprend des tapes dont lacomplexit est progressive.

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    La premire tape, qui est maintenant bien connue dans laprofession, cest la dfinition du programme architectural; en

    dautres mots, la dfinition comprhensive, exhaustive etprofonde des besoins fonctionnels. En somme, cest ladcouverte de la forme intrinsque de lobjet raliser. Cetteprogrammation, pour quelle soit vraiment valable etproductive, doit dfinir tous les besoins fonctionnels et lesexigences techniques; mais elle doit faire davantage, elle doitdterminer la hirarchie des relations fonctionnelles et lesgrands principes vhiculer. Si larchitecte assume toute saresponsabilit, il devra poser des questions fondamentales:quest-ce quune cole? quel est le rle de cette cole dans cecontexte? quels sont les principes pdagogiques? qui dessert-on?et enfin, quel message veut-on transmettre? La programmationcomprend aussi lanalyse des milieux physique et social danslesquels loeuvre doit tre ralise. Nous accordons uneimportance norme limpact que le milieu doit avoir surlarchitecture. Cest un sujet qui nous est cher; dailleurs nous yreviendrons plus loin.

    Aprs avoir dfini le programme qui est, en fin de compte,lembryon de loeuvre, les tapes successives deviennent de plusen plus complexes et subtiles car, contrairement limpressionquon peut avoir du travail de larchitecte, tracer les plans, dansle sens de juxtaposer les salles, cest ce quil y a de plus facile;imposer un ordre, structurer les espaces afin de leur donner uneexpression valable, cest autre chose.

    La crativit prend vraiment ses ailes lorsque ce nest plusseulement un amalgame de salles, de matriaux et detechniques, mais lorsque lobjet assume une ralit nouvelle, queles espaces voquent une motion, que les matriaux eux-mmes sont transcends. Larchitecture valable, comme tout art,revendique le domaine mtaphysique par lexprienceintellectuelle, motive, voire spirituelle, quelle doit nous fairevivre et le message quelle doit nous laisser.

    La visite de grands monuments du pass, tels que lestemples gyptiens, les grandes cathdrales, les pyramidesgyptiennes et mexicaines, les chteaux de la Loire ou les jardinsde Chine, nous a fait comprendre jusqu quel point larchitec-ture est symbolique ou mtaphysique. Le symbolisme et lamtaphore en architecture reprsentent certainement laspect leplus complexe et peut-tre mme la fonction ultime delarchitecture.

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    La transcendance de la fonction rejoindrait celle desmatriaux et de lespace. Qui pourrait questionner, par exemple,

    la porte socio-culturelle, thologique et politique du grandcomplexe de Teotihuacn (fig. 3), ou celui de Gizeh? Quellemtaphore la thocratie de lpoque! Et que dire desmtaphores multiples des cathdrales gothiques! Il nous sembletrs rvlateur que les manifestations architecturales primitives,dont Callanish (Hbrides) et Stonehenge (fig. 4), avaient un rlesymbolique plutt que pratique. La mtaphore est doncprpondrante en architecture, mme si, quelquefois, elle est niconsciente ni ncessairement heureuse.

    Nous avons mentionn, plus tt, que le fonctionnalismeen architecture tait une des retombes de la Rvolutionindustrielle. Limpact de cette idologie, prconise partout parles disciples du Bauhaus, a t norme et, certains points devue, nfaste. Toute dynamique et conomiquement bienfaisanteque fut la Rvolution industrielle, elle a mouss le matrialismeet lthique de la consommation. Ainsi, le fonctionnalisme

    architectural issu de lre industrielle, est ax sur le rendement,lefficacit et la production maximale. On cherche unearchitecture utilitaire, dpouille, pratique, rduite lessentiel.On parle aussi dhonntet; les matriaux, les structures et lestechniques doivent tre exprims clairement, sans subterfuge.

    Contrastant vivement avec la philosophie architecturaledcadente du sicle prcdent, cette nouvelle doctrine stimula

    vigoureusement larchitecture contemporaine et lui donna unefracheur nouvelle. Cependant, pour rpondre aux exigencesfonctionnelles et techniques mergentes, elle se revt dunemante de probit et dintgrit, dissimulant ainsi les vraiesforces en jeu. Car, si les prceptes defficacit et du bottom linesont appliqus rigoureusement larchitecture, il en dcouleinvraisemblablement que lon accorde la priorit aux seulesfonctions qui assurent un rendement maximal sur lesinvestissements au dtriment du vrai bien-tre humain. Il nefaudrait donc pas stonner que larchitecture contemporaine aitsubi un rtrcissement dans son champ dexpression et que largle de less is more soit exalte. Un fonctionnalisme matrialiste outrance peut tre drlement payant!

    Est-ce que notre architecture nest pas aussi un reflet denotre socit dmocratique?

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    Figure 3 La pyramide du Soleil Teotihuacn.

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    Figure 4 Les mgalithes de Stonehenge.

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    La technologie nous permet de produire en srie, enmodules rptitifs, dont les avantages vidents seraient de

    rendre nos constructions accessibles un plus grand nombre et un prix abordable. Mais le corollaire de ceci, cest que lesunits dhabitation ou despace sont rduites au commun dno-minateur et rptes ad infinitum. Cela se voit notamment dansles HLM et les maisons unifamiliales; mais cela se voit surtoutdans la construction des gratte-ciel. Ces tours synthtisent, pourainsi dire, le fonctionnalisme, le matrialisme et la dmocratie.

    Impossible dimaginer un immeuble plus brutalement

    fonctionnel quun gratte-ciel. Il reprsente aussi le summum delefficacit tant au point de vue de lutilisation du sol que dansles dispositions du plancher. Tout est mesur au compte-gouttes: la hauteur des plafonds, lclairage, laration, lacharpente, la fenestration et lespace de travail. Offrant desespaces rptitifs, uniformes et ouverts, limmeuble-tour reflte,dans bien des sens, les valeurs postindustrielles. Le gratte-cielest le produit dune idologie et dune technologie industrielle

    avance, mais il est aussi le reflet des valeurs prdominantesdune socit et dune poque (fig. 5). Ces immeubles, ditsfonctionnels, nintgrent pas les qualits humaines et spirituellesmentionnes prcdemment; en ralit, ils incorporent tout justeles besoins physiologiques.

    Que dire des malaises, tant physiologiques quepsychologiques, que ces milieux trop durs font subir leurs

    habitants! Le syndrome des immeubles malades (sick buildingsyndrome) en dit long sur la dcadence de cette idologiearchitecturale. Tout en tant un reflet de nos moeurs et valeurs,elle est aussi un des petits mfaits de la dmocratie, o, enprincipe au moins, tout le monde est gal. Le gratte-ciel par sarptition cellulaire, par sa conformit ou luniformit de seslments, par ses murs ajours, est un organisme foncirementgalitaire.

    La morphologie de limmeuble-tour devenu gratte-cielsexplique autant par les forces symboliques quconomiques.Ces gratte-ciel sont les cathdrales et les pyramides de notretemps, nos temples lindustrie et au commerce, nos icnes lagressivit et la comptition et, enfin, de petites chardesdans la chair tendre de lhumanisme.

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    Comme toute autre forme dart, larchitecture est la foisun miroir dune socit et un tamis discret de la pense, desmoeurs et des valeurs socio-culturelles. Parce que larchitecturenous entoure, parce quelle est toujours prsente, son pouvoir deconditionnement est pntrant et affecte notre bien-tre aussi

    bien que notre comportement. Si elle est svre, ferme et

    dprimante, elle nous disposera la dpression ou lagres-sivit, la dgnration physique et mentale. Si, par ailleurs, elleest dgage, claire, vivante et sereine, elle facilitera notrepanouissement et assurera notre bien-tre. Mais pour assurer le

    bien-tre psychique, la matire doit tre transcende. Et pouratteindre cette transcendance, le concept du fonctionnalismedoit tre largi pour inclure les exigences psychologiques etspirituelles.

    Limportance du milieu ou lexpression rgionale

    Nous avons mentionn, plus tt, limportance du milieupour le dveloppement de la forme et de lexpressionarchitecturales. Il est difficile, nous semble-t-il, dimaginer que lemilieu ne dtermine pas la morphologie de larchitecture. Est-ilpossible que deux immeubles de fonction identique aient unearchitecture semblable en Afrique et au Yukon?

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    Figure 5 Un exemple d'immeuble-tour au centre-ville deChicago.

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    Les adhrents du Style international4 voudront peut-tredfendre cette position, car ils prconisent une architecture sans

    frontires et refusent toute expression organique. Il est vrai quela technologie moderne qui transgresse les frontires nationalesnous pousse vers le conformisme et donc, vers luniversalit.Mais la technologie, si avance soit-elle, est un moyen et non un

    but. Elle doit toujours demeurer soumise au grand ordre spatial, la fonction et lcologie du milieu.

    Labri contre les lments demeure rudimentaire, ethistoriquement, lenvironnement a eu une influence incontes-

    table sur le vocabulaire architectural. Dabord, les matriauxlocaux engendrent une technologie locale qui peut voluer versune expression vernaculaire authentique. De plus, le climat peutimposer des conditions si svres et contraignantes que lesformes et les technologies sont forcment adaptes.

    Forme organique par excellence, liglou est lexemple leplus limpide dune morphologie architecturale parfaitementrsolue (fig. 6). On ne pourrait inventer une forme plus efficaceet approprie au climat et aux matriaux. La tente, charpentemerveilleusement adapte la vie nomade des Amrindiens,reprsente le mme niveau de rsolution pour un milieu trsdiffrent (fig. 7).

    Harcel par un environnement aussi svre, vari etenvotant que le ntre, il nous est difficile de ne pas en tre unpeu obsd. Les grands jeux de la nature nous emportent;

    dailleurs, nous ne pouvons lignorer qu notre pril. Tt outard, elle nous rejoint et revendique notre raccord sondiapason.

    Il nous semble important, aussi, de se raccrocher auxchoses lmentaires, aux grandes ralits de notre pays,tellement banales quelles finissent par seffacer de notreconscience: un soleil dominant, audacieux et gnreux, lt;faible, toujours persistant, mais coll lhorizon, lhiver; faisantfidlement sa navette quotidienne de lest louest; des ventsfougueux du Nord-Ouest qui grattent nos prairies; des neigespoudreuses avec dimmenses congres, tellement blanchesquelles sont presque bleues; des saisons et des tempratures sicontrastantes quelles ne cessent de nous choquer et, enfin, cetteplaine dsertique, cette grande nappe givre dargent ou cepiqu de duvet verdtre aux nuances infinies. Comme nos

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    Figure 6 Un iglou, l'exemple le plus limpide d'une morpho-logie architecturale parfaitement rsolue.

    PHOTO: TIENNE GABOURY

    Figure 7 Une tente de la tribu Dakota, une charpente mer-veilleusement adapte la vie nomade.

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    merles des champs, comme le huard de nos grands lacs, nosbtisses devraient chanter laire de ce pays.

    Il n'est pas ncessaire de chercher trs loin pour dnicherles mystres dune architecture rgionale; il suffit de redcouvrirla sagesse de nos grands-parents. La ferme paternelle taitimbue de cette sagesse (fig. 8). Ax sur le soleil et sur les ventsdu Nord-Ouest, et trac partir des sections de terre, qui, vuesdes airs, font comme une couverture quadrille, son plan est uneleon lmentaire durbanisme rgional. Les flancs nord et ouestde la ferme sont bords de ranges de peupliers, dormes et

    dpinettes, coupe-vent aussi efficaces que beaux. Le peuplierpousse rapidement mais ne dure pas; lorme est lent, mais il estmajestueux; lpinette a la permanence dun vert profond etoffre un abri au ras le sol. Tout est mesur: lesthtique et lepratique. Ltable, les granges, la maison, le garage, le jardin, leverger taient tous agencs selon leurs fonctions relatives, maiscdant toujours lorientation, au terrain et au paysage. Lamaison familiale tait comme un microcosme de la ferme;

    faades nord et ouest aussi fermes que possible; au sud-est,grandes fentres et vranda pour les dimanches aprs-midi tropchauds des mois de juillet et daot.

    Pour nous, une architecture des prairies, cest unearchitecture qui se veut fire, hautaine, hliocentrique. Elle serafortement axe et ne connatra la symtrie que sur laxe nord-sud. Et si, comme nous lavons soutenu, la lumire naturelle est

    la composante essentielle la transcendance de lespace, ilsensuit que le jeu de la fenestration sera crucial.

    Lvolution de la forme ne peut se faire que par laconnaissance en profondeur du milieu socio-culturel. Autant lemilieu physique peut affecter la morphologie de larchitecture,autant le milieu social et culturel dune communaut luidonnera son me. Les mythes, les traditions et coutumes, lesvaleurs culturelles sont des composantes intgrales llucidation de la forme.

    Lanalyse du programme doit se faire au niveau le plusextensif de la socit aussi bien quau niveau plus concentr desutilisateurs attitrs de limmeuble. Il faut donc identifier lesvrais besoins, dans toute leur complexit, et la vraie fonction denos immeubles.

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    Le rgionalisme que nous prconisons nest pas exclusifau paysage naturel, il sapplique galement au contexte urbain.

    Le caractre dune ville, dun quartier, dun pt urbain, lacouleur et la texture des matriaux des immeubles adjacents,sont autant de facteurs qui devraient dterminer la compositiondune oeuvre. Une architecture rsolue tablit toujours unrapport symbiotique entre limmeuble et son milieu, que celui-cisoit naturel ou construit.

    Prsentation de quelques oeuvres

    Ces quelques rflexions devraient servir de toile de fondpour vous situer dans la prsentation de quelques-unes de nosralisations architecturales. Nous ne voudrions surtout paslaisser limpression que chaque projet qui sera prsentsynthtise ou incorpore parfaitement tous les prceptes etprincipes labors plus haut et que ces projets ont tous desmtaphores clatantes et limpides. Nous vous les prsentons,tout simplement, pour illustrer les trois grands thmes que nous

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    DESSIN: TIENNE GABOURY

    Figure 8 Ferme de Napolon Gaboury Swan Lake (Manitoba).a. maison; b. garage; c. table; d. granges; e. forge;f. jardin; g. route.

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    venons daborder: la qute de lespace indicible ou de latranscendance de la matire, lexpression rgionale et lenjeu de

    la mtaphore dans larchitecture.

    1. Rsidence familiale (90, River Road) Winnipeg (fig. 9-12)

    Conue pour six personnes (parents et quatre enfants),cette premire rsidence est axe sur la famille traditionnelle etcontemporaine avec toutes les complexits que ceci implique:corrlation despaces ouverts et dgags pour la famille;chambres intimes, prives et personnelles pour chaque enfant.

    Elle est btie sur la rive droite de la rivire Rouge, sur un terrainbois dun demi-hectare. Son trac sinspire des lvateurs grains, archtypes des prairies. La maison est moule pour crerdes chappes de volumes qui rendent hommage au soleil, lesprit de la lumire et aux activits de la famille.

    Les espaces sont hirarchiques, cest--dire que limpor-tance de lactivit familiale dtermine la qualit de lespace. Les

    agapes tant lactivit de famille la plus imbue de symbolisme etdinteractions sociales, la salle dner est donc lespace le plusexubrant. Mais le coeur de la maison, cest la salle de familleouverte sur la cuisine, qui est une reprise de la grande cuisinecanadienne-franaise traditionnelle.

    partir de la tour de lentre principale, qui est le pivotcentral de la maison, chaque pice a une concordance avec lemouvement du soleil de sorte que les chambres coucher sont

    lest; la salle de famille, au sud; la salle dner, louest, et lesjour, ouvrant directement sur la rivire, est au nord.

    De plus, chaque fentre joue un double rle. Dabord ellescaptent et contrlent la lumire du soleil; ensuite, elles refltent,par leur composition, limportance de la salle ou lactivitquelles illuminent. Ainsi, lclat de lumire rougetre de lafentre centrale, avec son vitrail soleil, configure en trou de

    serrure, se projette sur la salle de famille et le sjour. Les hautesfentres de la salle dner et du studio reprennent le mmemotif, mais en mineure, pour ainsi dire.

    En contraste avec lintrieur fluide et ouvert, lextrieurrugueux et rectangulaire est cabr comme un ours, dfiantltendue de la plaine. Le choix des matriaux de constructionest rduit lessentiel: le bois, le verre et lenduit.

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    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 9 Rsidence familiale: faade nord vue de la rivire

    Rouge.

    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 10 Rsidence familiale: faade sud vue de la rue.

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    PHOTO: HENRY KALENFigure 11 Rsidence familiale: dtails de la fenestration.

    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 12 Rsidence familiale: le salon et le studio vus de lasalle dner.

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    Tout est laiss au naturel; le bois de lintrieur conservedonc sa vitalit et ses teintes chaudes tandis qu lextrieur, il

    vieillit noblement et devient patin des couleurs de terre.Ce que nous avons voulu atteindre par le jeu de ces

    volumes, ctait une complexit nigmatique dans un espacefcond et serein. Les joies connues dans ces espaces nouslaissent croire que lexercice tait valable.

    2. Lglise du Prcieux-Sang Winnipeg (fig. 13-15)

    De la mme priode que la maison, cette glise est desouche symbolique plus profonde et audacieuse. Cest un rappeldes formes ancestrales des prairies et lexpression dune religioneffervescente. La forme nest pas gratuite; elle est la rsultantede trois pousses distinctes mais convergentes: la nouvelleliturgie postconciliaire, les exigences structurales et les vestigesdune culture primordiale.

    Seul le plan en colimaon pouvait rsoudre le conflit entreune disposition liturgique la fois fonctionnelle et symbolique.Alors que traditionnellement les fonds baptismaux taientplacs lentre ou dans le narthex de lglise, la nouvelleliturgie exigeait que lassemble puisse participer toutes lesfonctions sacramentelles. Le plan en colimaon offrait unesolution simple en inversant le plan traditionnel de lglise et en

    plaant les fonds baptismaux dans le sanctuaire et celui-ci prsde lentre principale.

    Trouver une charpente pour ce plan a t difficile, mmeangoissant, jusqu ce que lide dune charpente poutreschevauches, semblables la tente amrindienne, nousparvienne. Comme par miracle, cette charpente miroitait le plan,crait une volumtrie qui correspondait la liturgie et

    permettait des chappes dans la coquille pour lentreprincipale et le puits de lumire de la coupole.

    Les matriaux de construction ont t rduits auminimum: la brique dans la dalle du plancher et les murs, le

    bois pour la charpente et le toit et, enfin, le verre.

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    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 13 L'glise du Prcieux-Sang: entre principale.

    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 14 L'glise du Prcieux-Sang: nef et sanctuaire.

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    3. Lhtel de la monnaie Winnipeg (fig. 16-18)

    Ce projet a t ralis cinq ans aprs lglise du Prcieux-Sang. Architecte concepteur et non matre doeuvre pour ceprojet, nous rclamons donc le concept et lexpressionarchitecturale, mais non certains dtails, surtout de lintrieur.

    De grands terrains lintersection de deux grandes routesavaient t rservs pour cet immeuble dans le but de luidonner une prsence digne de sa fonction. Il avait t convenu,en effet, que lhtel de la monnaie serait plus quune simpleusine pour la frappe et lentreposage de la monnaie; elle serait

    un symbole de ltat.Les fonctions dun htel de la monnaie sont multiples et

    complexes mais elles peuvent se rsumer quatre lmentsessentiels: lusine de frappe, le stockage des matriaux et desmonnaies, ladministration gnrale, qui inclut la conception etla vente des pices, et lexposition au public. Cest donc partirde ces donnes de base que le concept a t dvelopp.

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    Figure 15 L'glise du Prcieux-Sang: plan du rez-de-chausse.a. fonts baptismaux; b. autel; c. chaire; d. sige du

    clbrant; e. tabernacle; f. confessionnaux;g. bnitier; h. nef; i. sacristie; j. sacristie des enfantsde choeur; k. sacristie de service; l. toilettes;m. concierge; n. croix; o. presbytre.

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    PHOTO: TIENNE GABOURY

    Figure 16 L'htel de la monnaie vu du nord-est l'intersectiondu boulevard Lagimodire et de la route trans-canadienne.

    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 17 L'htel de la monnaie vu du stationnement.

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    Pour simplifier lexpression, deux lments ont tcontrasts: le caractre forteresse de lusine-vote et laspectouvert, dgag et avenant de la section administrative etpublique.

    linstar dun chteau mdival, lide initiale, qui a t

    malheureusement abandonne, proposait une douve autour delhtel avec un pont-levis lentre principale. La fontaine etltang au-devant de ldifice sont les rsidus de cette ide. Ceque nous cherchions, ctait la juxtaposition ou le jeu de ralitscontrastantes, contradictoires ou conflictuelles: lhtel protge lamonnaie contre et pour la socit; lhtel appartient unesocit dmocratique: elle doit tre ouverte, accessible etaccueillante, mais elle est aussi une vote, donc une forteresse

    impntrable; la monnaie est un symbole de ltat, mais elle estaussi un symbole du matrialisme. Est-ce quune usine dargentdevrait tre clbre ou cache?

    Ainsi, la tour pyramidale et cristalline est en contrasteavec les murs de pierre solides de la vote-usine et nous invite y pntrer. (La douve avec le pont-levis devait symboliserlaccs conditionnel!) Cette tour est une place publique avec

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    Figure 18 L'htel de la monnaie: jardin intrieur.

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    jardin intrieur, centrale tout ldifice et desservant lesouvriers aussi bien que les touristes; cest le point de dpart et

    darrive des tournes organises.Cet immeuble aurait pu demeurer une simple usine

    impersonnelle; nous avons prfr la haute voie, the high road;un bruit fort dans le calme de cette plaine dsertique.

    4. Lambassade du Canada Mexico (fig. 19-23)

    Une ambassade, cest une anomalie: un immeuble-pays lintrieur dun autre pays. Est-ce que larchitecture dune

    ambassade doit reflter le pays quelle reprsente ou le pays quiest hte? notre avis, tous les deux.

    Au Mexique, o le climat, le milieu socio-culturel et lepatrimoine architectural sont aussi riches quils sont particuliers,il nous semble invraisemblable dignorer ce contexte ou dyimposer un style architectural nordique. Loption la plusvalable, et que nous avons dailleurs choisie, cest celle qui

    respecte dabord le milieu dans lequel lambassade estconstruite et ensuite rejoint les traditions des deux pays.

    Lambassade du Canada Mexico est donc fortementinfluence par larchitecture prcolombienne, maya et aztque,que nous considrons la plus inspirante et authentique.Lextrieur est donc trs mexicain avec quelques bribescanadiennes, et lintrieur est un reflet du Canada avec despetits rappels de larchitecture mexicaine, particulirement de

    lre baroque. Les faades reprennent des thmatiques duquadrilatre des Nonnes Uxmal: la pierre diagonale envannerie, des perces fortes, un portail dentre en angles avecporte--faux ingnieux, des bandes horizontales liant le tout. Ladiagonale est aussi un rappel de larmature dacier en diagonalequi stabilise les murs contre les secousses telluriques.

    Les fentres et la grande porte dentre sont empruntesdes glises et des maisons du style baroque qui abondent

    Mexico. La grande porte pivotante est une reprise de la porte decathdrale: une petite porte lchelle de lhomme lintrieurdune grande porte lchelle de la cathdrale et de la rue. Letout symbolise le portail dentre au Canada; elle souvre lematin et se ferme le soir.

    Le vitrail, au haut de la porte, conu en mme temps queldifice, sinspire du calendrier aztque et reprsente des

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    PHOTO: TIENNE GABOURY

    Figure 19 Un dtail du quadrilatre des Nonnes Uxmal.

    PHOTO: JOHN FULKER

    Figure 20 L'ambassade du Canada Mexico: entre principale.

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    images et des symboles canadiens. Dans la tradition des grandesmaisons mexicaines, lambassade encercle une cour centrale qui

    est une synthse du Canada: frache, ouverte, rserve, auxlignes claires et franches. Les plafonds baroques sont compossdangles droits et de diagonales; celui de la cour intrieurereflte une technologie avance du Canada. La cour centrale estune salle polyvalente pouvant servir de salle de rception, desalle dexposition ou de jardin intrieur.

    Sauf pour les lments hautement technologiques, tels queles plafonds, les partitions amovibles et les systmes de scurit

    et de contrle, les matriaux et produits sont presque tousmexicains. Les murs extrieurs sont en pierre locale, AmericanaRoja, et le plancher de la cour intrieure est en marbre blancmexicain.

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    PHOTO: JOHN FULKER

    Figure 21 Vitrail au-dessus de la porte d'entre del'ambassade du Canada Mexico.

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    PHOTO: JOHN FULKER

    Figure 22 L'ambassade du Canada Mexico: cour intrieure.

    PHOTO: JOHN FULKER

    Figure 23 L'ambassade du Canada Mexico: entre du bureaude l'ambassadeur au 3e tage.

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    5. Le lyce de formation professionnelle Abidjan (fig. 24-26)

    LAfrique est diamtralement loppos du Canada, tant

    au point de vue culturel que climatique. Abidjan (Cte-dIvoire)est 5 au nord de lquateur; il y a une saison des pluies et unesaison sche; la temprature est relativement constante, variantentre 20 et 40 C. Les gens peuvent vivre dehors lannelongue et ils ont seulement besoin de se protger dun soleil tropintense ou des pluies torrentielles. Leurs maisons traditionnelleset leurs marchs sont essentiellement des parapluies ou desparasols; et leurs sjours sont plutt des jardins intrieurs que

    des salons. Ils ont un sens trs dvelopp de la communaut etde la grande famille.

    La Cte-dIvoire est un pays en voie de dveloppementqui importe la plupart de ses produits finis. Ainsi, presque tousles matriaux de construction sont imports: lacier, le bton, leverre, les carrelages, les quipements, etc.

    Comme le Canada, ce pays exporte ses produits bruts,

    particulirement le bois dont labondance et la varit sont trsconsidrables; il y a au-del de deux mille essences darbres.Cependant, cest lironie et la triste ralit que, dans lesprit dece peuple colonis, le bton et lacier reprsentent le progrs,dvaluant ainsi lutilisation du bois. Les Ivoiriens vendent doncleurs riches ressources naturelles pour accder au progrs, quifinit souvent par tre aussi artificiel que rgressif.

    Le lyce de formation professionnelle que nous avonsconu pour Abidjan reprsente une tentative de solution pourexprimer lauthenticit de la culture et du climat ivoiriens etpour utiliser de faon rationnelle les ressources naturelles dupays.

    Sept pavillons en forme de parasols pyramidaux sontregroups pour former une cour intrieure avec jardins et agorapour tudiants et professeurs. Tous les pavillons sont plus ou

    moins ajours, et le pavillon central, qui est une sallepolyvalente, est compltement ouvert. La forme pyramidale sereflte lintrieur, et les plafonds double parois sont isols etventils pour crer une aration maximale. Une coupole sert lafois de lanterneau et de hotte pour le dgagement de lair chaud.La lumire diffuse de ces lanterneaux permet lutilisation dessalles durant le jour, mme sil y a des pannes dlectricit, quisont assez frquentes. Les grands volumes dgags, crs par la

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    DESSIN: TIENNE GABOURY

    Figure 24 Le lyce de formation profesionnelle Abidjan.

    PHOTO: TIENNE GABOURY

    Figure 25 Maisons traditionnelles de la Cte-d'Ivoire.

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    charpente, et la lumire filtre du haut donnent normmentdouverture et une certaine srnit lespace.

    lexception de la toiture et des quipements spcialiss,tous les matriaux et techniques sont locaux. La charpente et lesplafonds sont en bois naturel du pays.

    Dabord rticents devant ce projet trop africain et peut-tre un peu no-colonialiste, les Abidjanais lont ven-tuellement reu favorablement et surnomm le Petit Village.

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    PHOTO: TIENNE GABOURY

    Figure 26 Le lyce de formation professionnelle Abidjan:mezzanine du grand pavillon.

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    6. Lcole et les rsidences des professeurs Nelson House(fig. 27-31)

    Nelson House est une rserve amrindienne de quelque2 500 habitants 800 kilomtres au nord de Winnipeg. Le site delcole et des rsidences attenantes est au coeur de lacommunaut dans un vallon bois qui souvre sur le lacFootprint.

    Deux thmatiques centrales en ont orient le concept: lesmythes et les traditions de la tribu et lharmonisation avec lanature. Le cercle est le symbole central dans la culture

    amrindienne, car il reprsente la mre terre, la rgnration la vie et la continuit. Les lignes droites, les espaces fermes, les

    botes carres sont anathmes pour eux, car ils reprsentent larigidit, la sparation et lexclusion. Plutt que dominer lanature, ils prfrent sy fondre, car, contrairement lhomme

    blanc, les Amrindiens la considrent absolument homogne etne se voient ni suprieurs ni extrieurs elle.

    Un pavillon central en demi-cercle contient la bibliothque

    et les bureaux administratifs; les classes, les laboratoires et legymnase compltent le cercle autour dune cour intrieure,consacre la rcitation des mythes indignes par les ans auxlves de la maternelle. Deux mts avec des voiles en forme depapillon couronnent le pavillon central et servent de carillonvisuel convoquant la communaut. Puisque lcole est construitesur les ruines de lcole prcdente qui a brl, ces mtssuggrent aussi le phnix renaissant de ses cendres, symbole

    dune nouvelle re pleine despoir et de fiert. Relis ces mtset accentuant les points cardinaux connotations religieuses,des murs coupe-feu en forme de tte de huard jaillissent du toit.

    Limmeuble est orient sur laxe nord-sud, et la pente dutoit de laile acadmique souvre vers le soleil et sincline vers lesvents froids du Nord. Une crte de roc au nord-est cre un

    bassin bois qui enveloppe lcole et la protge; toutefois, ellesouvre vers le Sud. Juxtaposes lcole et installes sur les

    bords du vallon pour laccentuer, les rsidences des professeurscrent une enceinte scolaire qui souvre sur les terrains de jeuxamnags en terrasses.

    Ce complexe dpasse donc sa fonction primairedinstitution scolaire; il acquiert une dimension symbolique quitouche toute la communaut et qui lui fait revivre son histoire etclbrer sa culture.

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    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 27 L'cole de Nelson House vue du sud.

    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 28 L'cole de Nelson House: pavillon central et entreprincipale.

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    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 29 L'cole de Nelson House: la cour intrieure.

    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 30 L'cole de Nelson House: rsidences des professeurs.

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    NOTES

    1. Lcole du Bauhaus, qui signifie maison de loeuvre btie, est unecole allemande denseignement artistique fonde par WalterGropuis, Weimar en 1919. Transporte Dessau (1925-1932) et Berlin (1933), elle fut dfinitivement ferme par les nazis. (note dela rdaction)

    2. Extrait dune confrence donne par lauteur en 1967 dans le cadredu Festival of the Arts (University of Arkansas).

    3. Architecte allemand, Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969) futdirecteur de lcole du Bauhaus de 1930 1939 et directeur delcole darchitecture de lIllinois Institute of Technology (Chicago)de 1938 1958. (note de la rdaction)

    4. Se dit de larchitecture fonctionnelle, aux formes cubiquesasymtriques, sans moulurations ni ornements, qui sest rpanduedans de nombreux pays au cours des annes 1925-1935. (note de lardaction)

    (Acceptation dfinitive en octobre 1991)

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    PHOTO: HENRY KALEN

    Figure 31 L'cole de Nelson House: salle de lecture et de repos.