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Si le sélectionneur des Bleus Didier Deschamps peut décider de laisser sur le banc l’un de ses attaquants pour un match, son homologue du Millénium Rémy Chanson peut également déci- der d’écarter l’un de ses hommes pour une compétition s’il le juge trop fébrile. « Il y a des raisons budgétaires à prendre en comp- te. Si par exemple un joueur veut faire une compétition en Suède, je vais regarder s’il a des chances de s’imposer », explique le responsable de 35 ans. Ces paramètres financiers sont en partie liés aux sponsors, acteurs majeurs du sport électronique moderne. En fournissant du ma- tériel informatique ou de l’argent à une équipe de renom, les mar- Damien C. et Tristan B-P D imanche 19 octobre 2014, environ 40 000 personnes attendent au petit matin devant le Seoul World Cup Stadium pour obtenir les meilleures places. Ce n’est pas pour applaudir la ve- dette nationale Psy (le fameux créateur du Gangnam Style), mais bien pour assister à la finale des championnats du monde de Lea- gue of Legends. Les adeptes de ce jeu vidéo en ligne sont venus du monde entier pour encourager les finalistes. La scène peut sembler surréaliste. Deux équipes de cinq joueurs rivés sur leur ordinateur s’affrontent devant des fans aus- si survoltés les uns que les au- tres. Drapeaux aux couleurs de leur équipe préférée en main, les plus passionnés applaudissent, huent, sautillent et pleurent de joie comme de tristesse selon les actions de leurs idoles. A l’image d’une finale de Coupe du Monde de football, les organisateurs de l’événement ont prévu d’en met- tre plein la vue aux spectateurs. Feux d’artifices, jeux de lumières et même concerts de rock: la finale est avant tout un spectacle excep- tionnel. Sur internet, plus de de 27 millions de spectateurs suivent l’évènement en direct. Ce jour-là, l’équipe coréenne Samsung Whi- D.T. Gaming LUNDI 13 AVRIL 2015 | Numéro 1 | ENQUÊTE E-SPORT | Prix: 5,65€ L’ e-sport, ce nouveau business très lucratif Importé de Corée du sud, le sport électronique se professionnalise dans l’Hexagone. te remporte la partie face aux Chinois de SH Royal Club. Les vainqueurs se sont partagés la somme d’un million d’euros. Cet- te professionnalisation du sport électronique fait rêver plus d’un geek. En effet, cette nouvelle ac- tivité parfois rémunérée est sur le point d’être considérée en France comme un véritable sport de haut niveau, autour duquel gravite un environnement économique puis- sant. Né dans les années 1980, le phénomène connu sous le nom de e-sport, captive de plus en plus de jeunes âgés de moins de 30 ans. Face à une salle remplie à craquer ou dans un modeste cybercafé, les gamers, seuls ou en équipe, s’activent sur internet à travers des jeux de stratégie, de rôle, de guerre ou de combat. Le but de chaque partie est souvent le même : neutraliser les adversaires en éliminant tous leurs personna- ges. Starcraft, League of Legends, Hearthstone, Dota, Counter- Strike, Call of Duty : chaque jeu donne lieu à des tournois plus ou moins vénérés selon l’enjeu et le talent des participants. A l’instar de la sphère football, le e-sport s’est doté de ses ve- dettes interplanétaires, de ses commentateurs, de son modèle économique ainsi que de ses pas- sionnés les plus fidèles. « Tous nos joueurs sont des profession- nels. Dans notre équipe Starcraft II, on a même recruté un joueur coréen », explique Rémy Chan- son, responsable de la section e- sport à Millénium. Cette organi- sation basée à Marseille fait partie des trois plus grandes structures en Europe. Ses équipes formées en fonction des différents jeux vi- déo accèdent très régulièrement aux podiums internationaux, ce qui permet à Millénium de faire la cour aux meilleurs gamers du monde. « Nous avons un vrai centre où les joueurs peuvent s’entraîner à fond et être héber- gés », explique Rémy Chanson, chargé de gérer les équipes. Pour atteindre l’excellence, l’exercice quotidien est primordial. Avant la Gamers Assembly 2015, l’un des plus grands rassemblements de joueurs de jeux vidéo en Fran- ce organisée à Poitiers du 3 au 6 avril, les professionnels de la con- sole et de l’ordinateur se sont tous retrouvés à Marseille pour réali- ser une semaine d’entraînement intensif. Le but : s’entraider pour ajuster les stratégies de chacun en vue du Jour J. “Il y a des raisons budgétaires à prendre en compte” Rémy Chanson, Millenium. Paris Games Week 2013 | © James Cao “Nous avons un vrai centre où les joueurs peuvent s’entraîner à fond et être hébergés” Rémy Chanson, Millenium. Paris Games Week 2013 | © James Cao

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Si le sélectionneur des Bleus Didier Deschamps peut décider de laisser sur le banc l’un de ses attaquants pour un match, son homologue du Millénium Rémy Chanson peut également déci-der d’écarter l’un de ses hommes pour une compétition s’il le juge trop fébrile. « Il y a des raisons budgétaires à prendre en comp-te. Si par exemple un joueur veut faire une compétition en Suède, je vais regarder s’il a des chances de s’imposer », explique le responsable de 35 ans. Ces paramètres financiers sont en partie liés aux sponsors, acteurs majeurs du sport électronique moderne. En fournissant du ma-tériel informatique ou de l’argent à une équipe de renom, les mar-

Damien C. et Tristan B-P

Dimanche 19 octobre 2014, environ 40 000 personnes

attendent au petit matin devant le Seoul World Cup Stadium pour obtenir les meilleures places. Ce n’est pas pour applaudir la ve-dette nationale Psy (le fameux créateur du Gangnam Style), mais bien pour assister à la finale des championnats du monde de Lea-gue of Legends. Les adeptes de ce jeu vidéo en ligne sont venus du monde entier pour encourager les finalistes. La scène peut sembler surréaliste. Deux équipes de cinq joueurs rivés sur leur ordinateur s’affrontent devant des fans aus-si survoltés les uns que les au-tres. Drapeaux aux couleurs de leur équipe préférée en main, les plus passionnés applaudissent, huent, sautillent et pleurent de joie comme de tristesse selon les actions de leurs idoles. A l’image d’une finale de Coupe du Monde de football, les organisateurs de l’événement ont prévu d’en met-tre plein la vue aux spectateurs. Feux d’artifices, jeux de lumières et même concerts de rock: la finale est avant tout un spectacle excep-tionnel. Sur internet, plus de de 27 millions de spectateurs suivent l’évènement en direct. Ce jour-là, l’équipe coréenne Samsung Whi-

D.T. GamingLUNDI 13 AVRIL 2015 | Numéro 1 | ENQUÊTE E-SPORT | Prix: 5,65€

L’ e-sport, ce nouveau business très lucratif

Importé de Corée du sud, le sport électronique se professionnalise dans l’Hexagone.

te remporte la partie face aux Chinois de SH Royal Club. Les vainqueurs se sont partagés la somme d’un million d’euros. Cet-te professionnalisation du sport électronique fait rêver plus d’un geek. En effet, cette nouvelle ac-tivité parfois rémunérée est sur le point d’être considérée en France comme un véritable sport de haut niveau, autour duquel gravite un environnement économique puis-sant.

Né dans les années 1980, le phénomène connu sous le nom de e-sport, captive de plus en plus de jeunes âgés de moins de 30 ans. Face à une salle remplie à craquer ou dans un modeste cybercafé,

les gamers, seuls ou en équipe, s’activent sur internet à travers des jeux de stratégie, de rôle, de guerre ou de combat. Le but de chaque partie est souvent le

même : neutraliser les adversaires en éliminant tous leurs personna-ges. Starcraft, League of Legends, Hearthstone, Dota, Counter-Strike, Call of Duty : chaque jeu donne lieu à des tournois plus ou moins vénérés selon l’enjeu et le talent des participants.

A l’instar de la sphère football, le e-sport s’est doté de ses ve-dettes interplanétaires, de ses commentateurs, de son modèle économique ainsi que de ses pas-sionnés les plus fidèles. « Tous nos joueurs sont des profession-nels. Dans notre équipe Starcraft II, on a même recruté un joueur coréen », explique Rémy Chan-son, responsable de la section e-sport à Millénium. Cette organi-sation basée à Marseille fait partie des trois plus grandes structures en Europe. Ses équipes formées en fonction des différents jeux vi-déo accèdent très régulièrement aux podiums internationaux, ce qui permet à Millénium de faire la cour aux meilleurs gamers du monde. « Nous avons un vrai centre où les joueurs peuvent s’entraîner à fond et être héber-gés », explique Rémy Chanson, chargé de gérer les équipes. Pour atteindre l’excellence, l’exercice quotidien est primordial. Avant la Gamers Assembly 2015, l’un des plus grands rassemblements

de joueurs de jeux vidéo en Fran-ce organisée à Poitiers du 3 au 6 avril, les professionnels de la con-sole et de l’ordinateur se sont tous retrouvés à Marseille pour réali-ser une semaine d’entraînement intensif. Le but : s’entraider pour ajuster les stratégies de chacun en vue du Jour J.

“Il y a des raisons budgétaires à

prendre en compte” Rémy Chanson,

Millenium.

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“Nous avons un vrai centre où les joueurs peuvent

s’entraîner à fond et être hébergés” Rémy

Chanson, Millenium.

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Les gamers français de l’équipe Millenium gagnent au moins le Smic. © Maxime Fort

D.T. GAMING, LUNDI 13 AVRIL 20152

Le e-sport en FranceENQUÊTE

en place des rendez-vous autour de ses jeux Starcraft et Hearths-tone. Avec des moyens financiers et techniques colossaux, ils éla-borent des tournois gigantesques et ont poussé à la professionnali-sation des joueurs à travers les sommes d’argent que récoltent les vainqueurs. Ces pactoles, ap-pelés cash prizes se divisent par-mi les joueurs les plus doués de la compétition et peut comporter jusqu’à six zéros. En juillet der-nier, cinq pro-gamers de l’équipe chinoise NewBee sont devenus millionaires en s’imposant en finale de l’International IV, le plus grand tournoi de Dota2. Ces énormes dotations ont été obtenues en grande partie par le financement participatif et proposaient 5 millions d’euros à

l’équipe gagnante. En matière de sponsoring,

Melty, associé au groupe Bouy-gues, a décidé d’être audacieux et de casser les codes. Le groupe de médias est à l’origine de la création d’une équipe de sport électronique féminin. Comme dans l’univers du ballon rond, l’e-sport est un secteur où les hommes sont majoritairement représentés. « Pendant des an-nées et des années, les manettes et claviers ont été massivement utilisés par les garçons. Mais dans les jeux plus récents, com-me League of Legends, la popu-lation féminine est plus impor-tante », analyse Rémy Chanson, précisant que les anciens jeux compétitifs étaient plus axés sur les aspirations des hommes. Il

est vrai que les jeux de guerre et leurs personnages aux muscles saillants ont davantage attiré les

garçons que les filles. Pourtant, Déborah Teissonnière, alias Torka, joue à Counter Strike de-puis une dizaine d’années. Elle est devenue l’une des meilleures

« gameuses » de France. Elle aussi est passée par Millenium avant d’accepter un contrat plus intéressant au sein de l’équipe Melty. « C’est une question de personnalité. Mais nous som-mes toutes assez féminines dans mon équipe. Jouer à Counter Strike ne nous empêche pas d’aller faire du shopping », ex-plique la jeune femme. Encoura-ger la création d’équipes fémini-nes est une chose, mais étendre l’e-sport aux non-initiés en est une autre. Car si les femmes sont minoritaires dans ce monde viril, il faut avouer que les non-initiés assez éloignés de la culture geek le sont encore plus.

Avant d’espérer un jour être diffusé sur une grande chaîne de télévision, l’e-sport apprend à

-ques s’assurent une publicité à grande échelle. Avec le dévelop-pement du e-sport, il est désor-mais bien plus facile de conclure des partenariats avec les publici-taires. « La démocratisation de cette pratique fait que certaines entreprises s’intéressent à nous, même si elles n’ont aucun rap-port avec le jeu vidéo. Je pense à des banques ou des marques de café, par exemple », explique Rémy Chanson. Grâce à ce méca-nisme, les équipes s’autorisent à payer les frais de déplacement, les hôtels ainsi que les salaires des joueurs. Chaque mois, la part du sponsoring versée à un pro-gamer varie en moyenne entre 300 et 1500 euros.

Puis, une poule aux œufs d’or s’occupe du reste de leur salaire mensuel. Il s’agit des Web TV. En plus de posséder des équipes d’e-sport, Millénium est à la tête de plusieurs télévisions en ligne permettant de retransmettre les entraînements de ses joueurs en direct. Dailymotion, Youtube et Twitch, hébergent les Web TV et permettent ainsi aux joueurs de monétiser leurs séances grâ-ce aux streams. Cet anglicisme désigne en fait un flux vidéo permettant le visionnage des parties en cours. Selon le nom-bre d’internautes connectés, les revenus publicitaires générés se-ront plus ou moins juteux. « Si on additionne les sponsors et les re-venus des streams, on arrive au minimum à un Smic », explique le chargé de la section e-sport de la structure marseillaise.

Des dotations colossalesTrois grands éditeurs de jeux vi-déo ont élaboré une politique de communication bien plus habi-le que le simple sponsoring ou la publicité à la télévision. Riot Games et Valve organisent des compétitions pour mettre leurs jeux League of Legends et Dota2 sur le devant de la scène. Blizzard

“Jouer à Counter Strike ne nous

empêche pas d’aller faire du shopping”, Déborah Teissonière, pro-

gameuse

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D.T. GAMING, LUNDI 13 AVRIL 2015 3

se démocratiser en France. Pour Déborah Teissonnière, c’est ce qui différencie la France des nations les plus réputées. « En Corée du Sud, c’est dans leur culture et ça ne choque person-ne. Les matchs sont diffusés en prime-time sur des chaînes na-tionales. Vous imaginez TF1 re-transmettre une finale d’e-sport à 21h ? ». Pour l’instant, le sport électronique se concentre donc presque exclusivement sur la toile, où l’on retrouve une mul-titude de Web TV et de parties en streaming. Les trois plus cé-lèbres sont les Web TV de Mille-nium, d’Eclypsia et d’O’Gaming. Cette dernière, après avoir vu le jour sur Youtube, est devenue un site internet à part entière en 2011. Alexandre Noci, Hadrien Noci, Fabien Culié et Charles Lapassat, plus connus sous les noms de Pomf, Thud, Chips et Noi, en sont à l’origine. Cho-se rare en France, ils arrivent à gagner leur vie avec le shout-cast. Fonctionnant en binôme, ils ont conquis un très large public en commentant pour les internautes français des parties de Starcraft et de League of Le-gends diffusées en streaming. À titre d’exemple, les vidéos de Pomf et Thud ont été vues plus de 45 millions de fois sur le Web. À l’instar de Thierry Ro-land et de Jean-Michel Larqué,

les plus célèbres commentateurs de football en France, leurs voix sont directement associées au sport électronique.

Pourtant, il reste très difficile pour eux de séduire au-delà des initiés, la faute à un langage très particulier. “GG”, “drop”, “line-up” ou “metagame”, autant dire que les élèves ayant séché les cours d’anglais partent avec un lourd handicap lorsqu’ils se lancent dans les jeux en réseau. « Pour les non-gamers, c’est incompréhensible » confirme Noi, le commentateur. « C’est le problème du e-sport. C’est inac-cessible si on ne fait pas l’effort d’apprendre le lexique. Un peu comme lorsque l’on regarde du football américain. On a ten-dance à le vulgariser de plus en plus, notamment en suppri-mant les anglicismes, mais il reste une barrière à franchir. » Une barrière qui pourrait faire passer l’e-sport dans une dimen-sion plus populaire, et donc plus intéressante d’un point de vue médiatique.

Lorsqu’ils ne commentent pas de streams, les deux binô-mes organisent leurs propres tournois ou interviennent lors des grandes manifestations. L’année dernière, le All Star Game du jeu League of Legends s’est déroulé au Zénith de Paris. Et ce sont Chips et Noi qui ont été choisis par le développeur et organisateur du tournoi Riot Games comme commentateurs officiels des parties. Pour cet

événement, 6000 spectateurs se sont déplacés sur 4 jours, et plus de 450 000 spectateurs l’ont suivi dans le monde grâce au streaming. Et en 2013, 32 mi-llions de fans ont suivi ces mê-

mes championnats du monde sur internet. Pas étonnant que les grandes marques se bous-culent aujourd’hui au portillon pour sponsoriser des équipes ou des évènements.

Si vous n’avez pas envie de re-garder les compétitions depuis chez vous, il est également pos-sible de se rendre dans un Bar-craft, un de ces établissements où l’on peut jouer à la console tout en dégustant une bonne bière entre amis. En France, Sophia Metz est une pionnière dans le genre. Avec des amis, elle a co-fondé le Meltdown pour réunir la communauté des gamers de Paris. Le concept a fait fureur, et se décline main-tenant en province comme à l’étranger. « Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une communauté énorme et qu’il n’y avait pas de lieu pour montrer qu’ils ne sont pas tout seul de-vant leur écran d’ordinateur». Des tournois sont organisés, et l’ambiance se rapproche sou-vent des soirs de matchs dans le « Pub » du coin. Des dizaines de personnes regardent fixement le même écran et s’exclament vo-lontiers lorsqu’un joueur réalise une bonne action, le tout dans une ambiance conviviale. Par-fois, il arrive que des stars du e-sport viennent boire un verre dans ce lieu de passage incon-tournable pour tout amateur de jeux vidéo.

Dans ces endroits, il est éga-lement courant de croiser des journalistes, micros en main, ve-nus prendre le pouls de la scène e-sport parisienne. Ils suivent les actualités du sport électro-nique au jour le jour. Transferts de joueurs, création de nouvelles

équipes, arrivées de sponsors ou résultats de tournoi: tout est pas-sé au peigne fin. Mais il est pour l’instant difficile de gagner sa vie et de faire “se faire un nom” dans la profession. Pour Adrien Auxent, jeune français parti ten-ter sa chance comme journaliste e-sport au Brésil, c’est avant tout le fonctionnement du monde du sport électronique qui pose pro-blème. « Ce sont les grandes marques ou les développeurs des jeux vidéo qui organisent les tournois et rémunèrent les

ENQUÊTE Le e-sport en France

“Nous nous sommes rendus compte

qu’il y avait une communauté

énorme” Sophia Metz,

Meltdown.

“C’est inaccesible si on ne fait pas

l’effort d’apprendre le lexique” Noi,

commentateur

professionnel

gagnants. Le problème, c’est qu’ils ne veulent pas de journa-lisme sérieux et critique, analy-se-t-il. En haut, ils n’aiment pas qu’on remue la merde (sic). tout des pressions indirectes du style “tel ou tel journaliste, vous ne lui donnez plus d’interview” un peu comme dans les autres sports finalement.»

Récemment, le journaliste Richard Lewis s’est par exemple mis à dos l’éditeur de jeux Riot Games pour des propos criti-ques. Par conséquent, la majori-

té des articles sur le e-sport pro-viennent de rédactions affiliées aux équipes. Pour se développer encore plus, et notamment en France, le sport électronique va devoir faire des concessions. L’acceptation de la critique et l’ouverture au grand public sont des conditions sine qua non au développement de cette culture. Car malgré une croissance expo-nentielle et de nombreux points communs avec des sports histo-riques, le e-sport cherche encore sa place en France.

En dépit de quelques appari-tions sur Eurosport ou Canal+, les grands médias restent mé-fiants et frileux concernant cet-te discipline. Mais compte tenu du nombre croissant de joueurs et de spectateurs, nul doute qu’elles devraient bientôt réviser leur jugement. Si le sport élec-tronique arrive à se rendre plus accessible, il pourrait devenir un vecteur d’audience potentiel, ce qui le rendrait plus lucratif pour les chaînes de télévision. n

“ En haut, ils n’aiment pas qu’on

remue la merde (sic)” Adrien Auxent,

journaliste e-sport

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Au pays du Matin Calme, le Baseball est une religion.

Mais depuis une vingtaine d’années, la Corée du Sud s’est découvert une nouvelle passion, le jeu-vidéo. En 1997, l’industrie coréenne subit de plein fouet la crise asiatique. Dans le même temps, presque par accident, le pays va voir naître un phénomè-ne qui deviendra mondial : le sport électronique.

Pour faire face à la crise, les gamers coréens qui n’ont plus les moyens de s’équiper pour s’adonner à leur passion se re-trouvent dans des salles qui louent leur matériel et une connexion internet. Ces « Pc-bangs» deviennent tellement fréquentés qu’il s’en crée près de 20 000 en deux ans. Malgré l’embargo du gouvernement sur

les consoles japonaises, la ven-te de jeux-vidéo explose. Grâce en partie à un titre qui arrive à accéder au marché sud-coréen, Starcraft. Une communauté de passionnés se forme autour de ce jeu et en 2000, le gouverne-ment se voit presque contraint

de fonder la KeSPA (Korean e-Sport Association).

Un an plus tard, le dévelop-peur Blizzard vend deux mi-llions d’exemplaires de son titre “phare”. Quinze années se sont écoulées, et la Corée du Sud reste le pays qui fournit les mei-lleurs joueurs professionnels de sport électronique. En 2013, 17 des 20 meilleurs joueurs mon-diaux du jeu Starcraft II étaient coréens.

Les équipes sont sponsorisées par de grandes marques, et les parties sont regardées en direct par des centaines de milliers de spectateurs. Le gouvernement a même débloqué près de 200 millions d’euros pour soutenir l’industrie du e-Sport, en atten-dant la construction d’un stade à Séoul pour accueillir les grandes compétitions. La finale mondia-le du célèbre jeu League of Le-

gends a déjà attiré l’an dernier près de 40 000 spectateurs dans une enceinte construite pour la Coupe du monde de football en 2002. « En Corée du Sud, ils vivent avec des claviers. Nous, avec des ballons au pied » con-firme Christopher Labbé, jeune gamer professionnel.

Une prise de conscienceSi les plus jeunes vouent un cul-te sans faille à ce type de prati-ques, le gouvernement émet tout de mêmes quelques réserves, et tente de lutter contre l’addiction des plus jeunes. Depuis 2011, la loi « Shutdown » (surnommée « loi Cendrillon » par ses détrac-teurs) interdit les Coréens de moins de 16 ans de jouer en lig-ne entre minuit et 6h du matin, avec la mise en place d’un enre-

gistrement par carte d’identité. Mais le système est facilement contournable, et les entreprises ne voient pas d’un bon œil cette limitation. En 2013, un nouveau projet de loi « anti-addiction » a dû être suspendu.Malgré l’inquiétude des an-ciennes générations, le sport électronique est toujours plus populaire en Corée du Sud, et s’est développé dans le monde entier en réunissant des dizai-nes de millions de joueurs. De-puis 2015, il est même recon-nu comme un sport de second niveau par le Comité National Olympique Coréen. Si la prés-ence de cette discipline aux Jeux Olympiques reste pour l’instant utopique, c’est une avancée non-négligeable dans la quête de légitimité de l’e-sport. n

D.T. GAMING, LUNDI 13 AVRIL 20154

La vague e-sportive est partie de Corée du Sud

Damien C. et Tristan B-P. Au Meltdown (Paris)

Mercredi dernier, le Meltdown affichait presque complet. Le lieu de rendez-vous des gamers pa-

risiens organisait comme chaque semaine son tournoi Hearthstone. Par ordinateurs interposés, les compé-titeurs se sont affrontés à travers le jeu de cartes (en anglais DCG, Digital Card Game) dérivé de World of Warcraft, le jeu de rôle aux 10 millions d’abonnés. Da-mien L’Hostis, venu prendre un verre avec ses amis, a fait ses gammes sur “WoW”, avant de passer le plus clair de son temps sur Hearthstone. « En fait je suis un grand fan des jeux développés par Blizzard » assure-t-il. « J’ai débuté il y a quelques années sur World of Warcraft et Diablo, et j’ai décidé de tester mon niveau sur les DCG ». Bien lui en a pris, car il fait désormais partie du top 10 des joueurs européens sur ce titre. S’il ne joue pas ce soir, c’est aussi parce que le niveau ama-teur ne l’intéresse plus.

“Yogg”, comme il se fait appeler, est un pro-gamer. À 25 ans et après avoir obtenu une licence de psychologie à Brest, il a décidé de se consacrer totalement au sport électronique. Recruté par GamersOrigin grâce à ses

résultats, il fait maintenant partie de la deuxième mei-lleure équipe française derrière Millenium, et peut se permettre de vivre de sa passion. Il n’a pas de sponsor, mais grâce au salaire que sa « Team » lui verse et aux résultats qu’il obtient, Damien gagne environ 900 euros par mois. « Pour l’instant, je ne fais que du coaching et

des tournois précise-t-il, dès le mois prochain, je me lance dans le streaming ». Autrement dit, à diffuser ses entraînements en ligne sur Twitch, une plateforme de flux vidéos en direct grâce à laquelle il encaissera entre 600 et 1800 euros supplémentaires suivant le nombre de viewers (téléspectateurs) de ses parties. Son équipe s’est associée avec la chaîne Twitch « Hearthstone Stra-tegy FR » pour produire du contenu. Des parties sont disputées en ligne par les joueurs professionnels de Ga-mersOrigin, et sont commentées en direct par les ani-mateurs de HSFR.

Lors de la dernière édition de la Gamers Assembly qui s’est tenue à Poitiers il y a quelques jours, “Yogg” a fini 3ème sur Hearthstone. Sa dextérité et son intelligence de jeu lui ont permis d’empocher 600 euros, une manne financière non négligeable. En France, le sport électro-nique reste cependant très mal réglementé. Pas de fédé-ration, pas de statut professionnel. Les joueurs restent livrés à eux-mêmes, et il est très rare qu’ils réussissent à vivre de leur passion pendant plusieurs années. En at-tendant une retraite précoce, Yogg continue de cliquer sur sa souris, en espérant bientôt se rapprocher des émoluments des meilleurs mondiaux. n

ENQUÊTE

“ En Corée du Sud, ils vivent avec des

claviers. Nous, avec des ballons au pied” Christopher Labbé, gamer

“Yogg”, l’un des meilleurs gamers de France

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Damien L’Hostis, pro-gamer chez GamersOrigin. © TBP