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1 Faculté de Médecine de Grenoble Université Joseph-Fourier Mémoire Pour le diplôme inter-universitaire « Soins palliatifs et accompagnement » L’instant d’après Isabelle Gaillard Infirmière libérale, Poisat 2011-2013

L’instant d’après - INFIRESSOURCES · Le souffle éteint d’un être cher, dans un dernier adieu. Le souffle court d’un proche, face à l’inacceptable. En un instant, la

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Faculté de Médecine de Grenoble

Université Joseph-Fourier

Mémoire

Pour le diplôme inter-universitaire

« Soins palliatifs et accompagnement »

L’instant d’après

Isabelle Gaillard

Infirmière libérale, Poisat

2011-2013

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L’instant d’après

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Remerciements

Je réserve ces lignes pour dire ma reconnaissance à tous ceux qui ont contribué, de près ou de

loin, à l’élaboration de ce mémoire.

Je tiens à remercier Anne-Marie Labastrou qui a eu la gentillesse d’accepter de me guider

dans chaque étape.

Mille mercis pour ses précieux conseils, son regard plein de bienveillance et sa formidable

passion pour notre métier d’infirmière.

Merci à ma sœur Nathalie qui m’a aidée à mettre en page mon travail, malgré mes

modifications incessantes.

Merci à mes deux filles, Élise et Marie, pour leurs sourires et leur patience durant ces deux

années.

Merci à la vie, aux rencontres, aux expériences et aux épreuves qui m’ont menée jusqu’à cette

recherche et cette réflexion.

Ce mémoire est dédié à ma mère, qui s’est éteinte en 2008, avec qui j’ai eu la chance de

partager un « instant d’après » qui restera dans mon cœur à jamais.

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Sommaire

1/ Introduction

2/ Problématique

3/ Cadre conceptuel

4/ Méthodologie

5/ Questionnaire

6/ Présentation des réponses

7/ Un instant

8/ Discussion

9/ Conclusion

10/ Bibliographie

11/Annexes

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Un foyer comme les autres, quelque part, non loin d’ici. Il fait nuit, nous sommes en automne. Le vent souffle dans les arbres. Un souffle… Le souffle éteint d’un être cher, dans un dernier adieu. Le souffle court d’un proche, face à l’inacceptable. En un instant, la vie, fragile, a basculé. Derrière la vitre, le temps semble suspendu. L’ambiance est lourde, pesante. Un certain flottement, impalpable, est perceptible. Le monde du soin, doucement, va se retirer, laissant place au monde du rituel. Entre-temps, cet instant, « entre deux ». Il est éphémère, intense, intime, difficile sans doute, mais si précieux. Cet instant, je le connais ; il m’interpelle, il me questionne depuis toujours. Je suis infirmière à domicile depuis 14 ans maintenant. Ni débutante, ni ancienne, j’en suis juste là, dans un cheminement qui est le mien. J’approche du perron, marque une pause, hésitante. Je connais bien cette maison et chacun de ceux qui l’habitent. Ce seuil, je l’ai franchi tellement souvent. Ces derniers jours, mes visites étaient si fréquentes et si longues. Avec ce que je sais, ce que j’ignore, Mes connaissances, mais aussi mes doutes, Je vais entrer. Faire ce qui me semble juste, en m’imprégnant de cette situation si singulière. Puis, je rentrerai chez moi, riche d’une expérience nouvelle, pouvant certainement m’enseigner quelque chose. Apprendre de cet instant. Oui, intuitivement, je le pense, cet instant a quelque chose à me dire. Savoir faire, savoir être. Ai-je seulement su? Ce mémoire se propose d’être un parcours : entrer dans ce temps particulier, essayer d’en saisir l’essence, ressentir sa portée. Traverser le vécu des proches, croiser le regard des autres soignants. Un mémoire, une recherche. Tel un voyage intérieur afin de savoir mieux franchir de prochains seuils, en d’autres foyers, en d’autres saisons. Tel est le vœu qui habite ces pages.

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Problématique

L’infirmier libéral est amené à suivre de nombreux patients dans le cadre de soins palliatifs.

Pour certains d’entre eux, le projet est de demeurer au domicile et ce, jusqu’au dernier souffle.

Portés par ce désir, les proches vont s’investir, accompagnés au quotidien par l’équipe

infirmière, jusqu’au terme de la prise en charge, le décès du patient.

Bien qu’attendu, il n’en demeure pas moins brutal, les proches étant parfois désemparés,

perdus, sidérés.

En structure de soins, le moment qui suit le décès répond à une organisation précise et les

proches sont guidés par l’équipe soignante. Celle-ci sera présente auprès d’eux jusqu’au

départ du corps.

À domicile, toutefois, les proches sont seuls, et l’infirmier est souvent le premier appelé suite

au décès.

Des soins au corps du défunt, de l’aide apportée aux proches pour les démarches

administratives, du soutien, de l’écoute, des gestes au choix des mots, les initiatives de

l’infirmier lors de cet instant ont sans doute une portée non négligeable.

Comment peut-il être au plus près des besoins de ceux qui restent?

Les attitudes, les mots, les gestes peuvent-ils avoir un impact sur les proches en cet instant

bien particulier?

Je propose d’aborder ce questionnement par une recherche théorique, en portant mon regard

sur trois angles distincts :

Quel peut-être le soutien apporté par l’infirmier libéral, juste après le décès du patient, à

domicile?

- Le premier se propose d’explorer les particularités et l’intensité de cet instant qui suit

le décès, ainsi que la spécificité du domicile, cœur de l’intimité du foyer. Saisir ce lieu, ce

temps, si particuliers.

- Le second angle sera celui des proches. Mettre en lumière leur parcours en tant

qu’accompagnants, afin de comprendre l’épuisement physique et moral qui peut être leur lot

en cet instant.

Approcher leurs ressentis lors de cette confrontation à la mort, essayer de saisir cette relation

si particulière qui se tisse avec le défunt, empreinte de rites et de croyances. Nombre de gestes

en cet instant sont teintés de ritualité.

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Reconnaître pleinement le choc qu’est le décès, ses répercussions psychologiques et

physiques immédiates. Explorer cette étape permettrait sans doute d’accompagner la famille

au plus près des besoins de ses membres.

Enfin, envisager l’empreinte que peut laisser chez les proches, la vision du défunt à son

domicile. La mémoire pourrait-elle imprimer d’une manière plus ou moins durable

l’ambiance, les images, les odeurs qui sont associées à cette scène de l’après-décès?

- Le troisième angle propose de se pencher sur les infirmiers. Comprendre dans quelle

mesure leur place auprès des familles est particulière. Envisager l’incidence que peuvent avoir

les soins portés au défunt et à ses proches.

Se questionner concernant l’accompagnement qu’ils peuvent proposer aux familles, le

discernement qu’ils doivent exercer face aux mots, aux gestes pouvant être associés à cette

situation si intense et délicate.

Mettre en évidence l’empreinte que peuvent laisser parfois de multiples détails semblant, à

tort, insignifiants. Au cœur des émotions, des pleurs, de la peine, les infirmiers sont en

immersion dans les profondeurs d’une intimité bien douloureuse.

Évoquer leur présence en cet instant suppose une recherche de la juste place, une place qui se

veut étrangère à l’indifférence ou à l’indiscrétion.

Je propose donc de parcourir ces différents thèmes afin de mieux saisir l’enjeu de cet instant.

Quelle serait la juste attitude face à celui qui n’est plus et face à ceux qui restent? La

recherche de justesse sera sans doute empreinte de subtilité.

Loin de penser ou de vouloir tout maitriser, je propose et formule l’hypothèse que les gestes,

les attitudes, si modestes soient-ils, peuvent adoucir certains aspects dont la portée nous

échappe parfois. Ce travail n’a pas pour objectif de dire comment s’y prendre ou d’établir le

détail des attitudes adaptées ou non à cet instant. Il est bien évident qu’aucune notion de

protocole ou de gestion technique ne saurait approcher avec finesse et respect la singularité

d’un instant si fragile, si précieux, sans en écarter toute la richesse et l’humanité.

Il se veut juste un questionnement, une recherche permettant de mettre en lumière la subtilité

de l’approche infirmière.

Au-delà de la recherche théorique qui se veut le point de départ de mon travail, je propose

dans la partie exploratoire d’interroger les infirmiers libéraux afin de découvrir le regard

qu’ils portent sur cet instant. Enfin, une discussion en fin de travail aura pour objectif de

mettre en lien l’apport théorique et l’expérience infirmière.

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Cadre conceptuel

1 Un instant, un lieu

1.1 Un instant, hors du temps

1.2 Un instant, entre deux

1-3 Un instant soumis à des réalités matérielles.

1-4 Un lieu d’intimité

1-5 Un instant, un mystère

2 Les proches

2-1 Le parcours de ces familles

2-2 La confrontation à la mort

2-3 La relation au défunt

2-4 L’impact des rites et croyances

2-5 Les répercussions physiques et psychologiques

2-6 La mémoire d’un instant, d’un lieu

3 L’infirmier

3-1 Une place particulière

3-2 Les soins portés au corps

3-3 L’accompagnement des proches

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1 Un instant, un lieu

Entre la survenue du décès et le transport du corps, le temps imparti est d’une durée plus ou

moins longue, selon le souhait exprimé par les proches de rester auprès du défunt.

1-1 Un instant, hors du temps :

Bien que limité, cet instant peut paraître une éternité. Certaines familles relatent très bien cette

notion d’un moment qui semble se figer, se cristalliser autour de cette scène si intense.

L’écoulement des minutes n’a plus de prise sur le proche, en total décalage avec ceux qui

l’accompagnent.

Concernant le choc initial qu’est l’annonce du décès, Alain de Broca évoque un « instant

d’éternité. »1

Le proche endeuillé semble hors du temps, dans une autre dimension. Les repères temporels

s’estompent et le proche n’a plus la même perception du temps que les soignants qui

l’entourent.

Le patient vient de s’éteindre, quittant le monde des vivants. D’un monde à l’autre.

1-2 Un instant, entre deux :

Le monde du soin va se retirer dans quelques heures à peine, laissant place au monde du

rituel.

Entre l’avant et l’après, cet instant marque une totale transition : tout se mélange, les pensées

vaporeuses du proche se tournent vers les souvenirs, l’avenir, l’instant présent. Tout

s’enchevêtre si vite, une brume mêlant ces images. Il revoit défiler les images antérieures, le

passé lointain, puis la valse incessante des soins et il se projette subitement, percevant l’avenir

sans celui qu’il aime tant :

« Adieu pour toujours, ou à jamais ! Comment l’écho poignant de ces paroles remplira-t-il le

désert infini du temps ultérieur qui commence ce soir? Pourrons-nous peupler l’immensité de

notre solitude quand l’être aimé nous aura quittés? L’homme au bord du néant voudrait

rattraper in extremis cet instant ultime, cet instant béni qui coule dans le lac obscur. »2

1 De Broca, Alain, Deuils et endeuillés, Elsevier Masson, 4° édition, 2006, p.13. 2 Jankélévitch, Vladimir, L’irréversible et la nostalgie, Flammarion, Paris, 2011, p.48.

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Son regard se pose sur celui qui n’est plus, essayant de retenir la vision de celui qui bientôt

aura totalement disparu :

« Le corps du mort, qui n’est jamais seulement ce corps inanimé, est le lieu où se confondent

les temps d’un « encore ici » et d’un « plus jamais là »3

En cet instant transitoire, la présence du proche est précieuse. Les minutes auprès de l’être

cher sont désormais comptées. Et bien que cet instant soit douloureux, son caractère éphémère

lui confère une indéniable intensité.

Dans les heures qui suivent le décès, les proches sont dans l’obligation de prendre plusieurs

décisions et de réaliser un certain nombre de démarches.

1-3 Un instant soumis aux réalités matérielles :

Ils peuvent se sentir bousculés par ces différentes obligations à prendre en compte.

En premier lieu, il leur incombe de contacter le médecin afin de constater le décès. Celui-ci

doit attester qu’il n’y ait aucun obstacle au transport du corps, (problème médico-légal,

maladie contagieuse, corps en mauvais état de conservation.) Ce constat peut être effectué par

un médecin autre que celui ayant suivi le patient.

La famille doit dès lors envisager le transport du corps en chambre funéraire et contacter

l’entreprise de pompes funèbres de son choix. Elle a la possibilité de garder le défunt au

domicile plus ou moins longtemps, selon son désir.

Se pose ensuite la question de la religion et des rites qui y sont associés. L’organisation sera

différente selon l’appartenance du défunt à une ou à l’autre communauté religieuse,

Les proches sont donc soumis à ces contingences matérielles et à des démarches

administratives dans un instant qui ne s’y prête peu, car ils sont absorbés par la peine et

l’émotion.

La famille vit le décès d’un proche au cœur même de son lieu de vie, témoin de son histoire,

de son passé. Lieu familier, intime, il incarne l’identité à part entière, se voulant sécurisant,

rassurant.

1-4 Un lieu d’intimité :

« Ce lieu d’intimité s’organise autour de fonctions symboliques qui renvoient le sujet aux

balbutiements de son histoire et aux multiples agencements de l’intimité. »4

3 Baudry, Patrick, La place des morts, L’Harmattan, Paris, 2006, p.125.

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La mort d’un proche ayant souvent lieu en structure de soins, soit en milieu hospitalier ou en

centre de soins de longue durée, elle reste la plupart du temps tenue à distance et n’est que

rarement intégrée à la vie d’un foyer.

Bien qu’une grande majorité de Français émette la volonté de vivre ses derniers instants de

vie à domicile5, cela est rarement le cas, une hospitalisation précédant bien souvent le décès.

En effet, la proportion de personnes hospitalisées passe du simple au double le mois précédant

la survenue du décès.6 En 2009, seuls 27 % des décès eurent lieu à domicile, contre 59,5 % en

structures hospitalières et 12 % en maison de retraite.7

La mort est donc peu présente au sein des foyers :

« Lorsque le plus grand nombre vivait à trois générations sous le même toit, dans la même

maisonnée, tous les membres de la famille, et en particulier les enfants, vivaient avec leurs

malades, assistaient au vieillissement progressif des aïeux, puis à leur mort et à tout ce qui

l’entourait. Maintenant que l’immense majorité des familles ne comporte plus que deux

générations, on ne vit plus la mort chez soi. »8

« Il n’est pas certain que l’homme soit immortel, mais il n’est pas certain non plus qu’il ne le

soit pas. »Vladimir Jankélévitch

1-5 Un instant, un mystère :

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En se réunissant auprès du défunt, les proches et l’infirmier se trouvent ensemble face à la

mort, mais également face au mystère que celle-ci représente pour chacun.

Ce mystère commun, inhérent à leur condition d’être humain, efface toute différence entre

soignant et soigné, infirmier et famille. L’universalité de la condition humaine se trouve

pleinement présente en cet instant.

Ce partage si rare, si précieux fait toute l’intensité de ce temps particulier, suspendu.

Face à l’inconnu, convictions et doutes se rejoignent autour de cet après qui nous échappe et

au sujet duquel chacun élabore en secret suppositions, idéaux, croyances, désirs ou

espérances :

4 Brossier-Mével, Françoise, Si l’intime m’était conté, Dialogue, recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille, 2008, N°182, 4° trimestre, p. 75-87. 5 IFOP, 2010. 6 Rapport annuel de l’observatoire national de la fin de vie ONFV, mars 2013. 7 INSEE, Statistiques de l’état civil. 8 Cornillot Philippe et Michel Hanus, Parlons de la mort et du deuil, Frison-Roche, 1997, p.12. 9 Jankélévitch, Vladimir, La mort, Flammarion, 2008, p.438.

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« Cette espérance ne serait pas nécessaire si l’idée de l’immortalité était parfaitement

rationnelle ; elle serait impossible si la certitude de l’anéantissement nous condamnait au

désespoir… Heureusement pour nous, l’anéantissement non plus n’est pas une évidence…

Aussi n’est il pas exagéré de dire que l’inintelligibilité du néant est notre plus grande chance,

notre mystérieuse chance. »10

Ainsi, entre intolérable incertitude ou croyance aveugle, les regards se croisent, se rassurent,

se réconfortent.

S’y hasardent parfois les mots fragiles, incertains, prononcés de manière vive, emportée ou,

au contraire, choisis de façon réfléchie.

Jamais connaissance et méconnaissance ne se mêlent et ne s’entrecroisent avec autant

d’ardeur que dans cet instant :

La connaissance de la mort, dans sa réalité, sa matérialité, son inéluctabilité. Elle s’impose,

présente, connue, et reconnue.

Mais aussi la méconnaissance de son sens, de sa signification, de ce qui éventuellement lui

succède.

Intolérable fin pour certains, passage, transition, changement de dimension pour d’autres :

sciences ou religions ne peuvent répondre au questionnement éternel de l’être humain levant

les yeux au ciel en attente de réponse sur la réalité de son existence.

Le prêtre Bernard Feillet évoque un aspect de la théologie, qui est celui du manque. En effet,

d’après lui, aucune religion ne peut affirmer l’existence d’une vie éternelle, bien que certaines

en cultivent l’espérance :

« Les religions ont pensé pouvoir compenser l’inconnaissance. Leur enseignement éclairant

la vie- est mis à défaut par l’inconnaissance de la confrontation à la mort. 11

L’espérance, le questionnement. Face à la mort, les proches et l’infirmier sont face aux

silences, aux questions restées sans réponse, aux doutes :

« Le temps de la vie est un long bavardage sur Dieu et sur Dieu le temps de la mort est

silencieux. » 12

Accueillir cet instant suppose d’accepter ce qu’il comporte d’inconnu. Accepter cette

méconnaissance partagée, mais reconnaître et respecter malgré cela les croyances, les espoirs

de chacun.

10 Ibid., p. 440. 11 Hirsch, Emmanuel (dir). Rédaction Patrice Dubosc, Face aux fins de vie et à la mort. Espace éthique / AP-HP, Vuibert, 3°édition, 2009, p. .275. 12 Ibid., p. 277.

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Cet espoir garde une place forte, face aux postulats que sont la possibilité de l’immortalité, ou

l’existence de Dieu.

« Il est impossible de ne pas être frappé par la force, et peut-être devrions nous dire, par

l’universalité de la croyance en l’immortalité. » 13

Jacques Rolland évoque cette notion d’immortalité en postface de l’ouvrage d’Emmanuel

Levinas, Dieu, la mort et le temps. « Elle peut seulement être espérée. L’espoir dont il s’agit

alors, et qui est comme un tiers exclu entre affirmation et négation, inscrit un peut-être dans

l’indéniable néant de la mort. »

14

Un peut-être comme seule réponse possible au questionnement que fait surgir la mort. Un

peut-être ne faisant que renforcer le mystère, ou l’énigme (Levinas utilisa cette terminologie)

que celle-ci constitue pour nous tous.

La mort suscite la recherche de réponse, Emmanuel Levinas aborde ainsi ce questionnement

: « La question que soulève le néant de la mort est un pur point d’interrogation. Point

d’interrogation tout seul, mais marquant aussi une demande (toute question est demande,

prière). »15

La proximité qu’il peut avoir avec la mort d’autrui, récurrente dans sa pratique, ne lui confère

pas davantage de connaissance sur ce qu’est la mort.

Et à ce questionnement, le soignant ne détiendra pas davantage de réponses.

Pour Emmanuel Levinas, « la relation avec la mort d’autrui n’est pas un savoir sur la mort ni

l’expérience de cette mort dans sa façon d’anéantir l’être… Il n’y a pas de savoir de cette

relation exceptionnelle. Le pur savoir ne retient de la mort d’autrui que les apparences

extérieures d’un processus (d’immobilisation) où finit quelqu’un qui jusqu’alors

s’exprimait. »16

Proches et soignants sont à cet instant même plongés face à un mystère entier, partagé, dont

aucun ne peut prétendre détenir davantage de savoir. Ainsi peuvent-ils, réunis autour du

défunt, partager le questionnement, et l’espoir, à la mesure des croyances cultivées et

entretenues par chacun.

« Ainsi tout le monde a le cœur serré et se recueille en silence devant ce mystère sans

profondeur. Car on reconnaît la quoddité de l’avoir-vécu et de l’avoir-été sans en

comprendre le pourquoi. »17

13 Morin, Edgar, L’homme et la mort, Editions du Seuil, revue et augmentée, p.36.

Face à ce mystère, infirmier et proches n’ont alors qu’une seule

certitude, celle de ne pas savoir.

14 Levinas, Emmanuel, Dieu, la mort et le temps, Le livre de poche, Grasset, 1993, p.273. 15 Ibid., p.129. 16 Ibid., p..25. 17 Jankélévitch, Vladimir, La mort, Flammarion, 2008, p. 465.

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2 Les proches

Le décès vient marquer le terme d’une prise en charge qui, la plupart du temps, s’est révélée

longue et douloureuse. La famille, les amis, les voisins se sont relayés, soutenus, afin de

rendre celle-ci possible.

2-1 Le parcours de ces familles

Le décès, attendu dans la majeure partie des cas, n’en demeure pas moins difficile à vivre,

bien qu’un sentiment de soulagement soit parfois perceptible. La peine, la tristesse se mêlent à

l’apaisement, au terme d’une souffrance physique, psychologique, tant pour le défunt que

pour ses proches, fragilisés par la mobilisation qui a été la leur.

Ceux-ci manquent de sommeil, sont affaiblis, épuisés, ayant souvent mis leurs propres besoins

et exigences entre parenthèses durant de longs mois, afin d’assumer davantage de contraintes,

de responsabilités.

Lorsque survient le décès, la marge d’épuisement est souvent largement franchie.

Au-delà des conséquences physiques, de nombreuses modifications dans la dynamique

familiale ont eu l’occasion de se dessiner.

Ainsi, les proches se trouvent parfois unis, rapprochés comme jamais, par les instants

d’entraide, de solidarité qu’ils ont eu à tisser à l’occasion d’une telle expérience.

D’autres familles auront la désillusion de voir s’exacerber les tensions, les conflits, les

difficultés, se fissurer les liens, les soutiens, l’unité qui était la leur.

Ce cheminement unique donnera une tonalité singulière au sein de chaque foyer, de chaque

cœur, de chaque mémoire.

La durée de la prise en charge antérieure, les conditions de survenue du décès, la libre

circulation de la parole, l’entente avec les soignants sont des éléments ayant une portée non

négligeable sur le psychisme de chacun.

L’ambiance régnant au sein de chaque foyer sera donc bien empreinte de ces facteurs,

inhérents à chaque prise en charge.

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2-2 La confrontation à la mort

La vision du mort

La vue du corps sans vie de l’être aimé est un choc pour la plupart des proches.

Bien que douloureuse, cette confrontation est essentielle et revêt une importance dans

l’élaboration du travail de deuil :

« Être situé ainsi devant la réalité du corps permet aux uns et aux autres de « faire le deuil »,

c’est-à-dire ce travail d’intégration de l’événement. »18

Ce regard porté vers celui qui n’est plus est sans doute un premier pas dans ce long

cheminement. Les soignants ayant connaissance de cet aspect peuvent essayer de mettre en

place les conditions les plus favorables à son déroulement.

D’après Elisabeth Kubler Ross, cet instant devrait bénéficier d’un temps conséquent :

« Je pense qu’il est important de laisser aux proches suffisamment de temps pour rester avec

leur parent décédé »19

Le regard se porte alors sur ce corps. Or dans la littérature concernant la mort, la vision du

corps reste peu traitée :

« Il est curieux de constater que, parmi les nombreux ouvrages consacrés aux problèmes de

la mort, le cadavre se trouve quasi-systématiquement escamoté. S’agit-il d’un oubli pur et

simple? Nous ne le pensons pas, car le cadavre par définition est là ; ‘rien’ peut être pour

beaucoup, mais surtout ‘pire que rien’ puisque le fait d’être là souligne que celui qui

l’animait n’est précisément plus là. » 20

D’après Louis-Vincent Thomas, cet oubli est une conduite de fuite, et l’homme, face au

cadavre, se retrouve en quelque sorte face à son destin, d’où des conduites diverses, telles que

peur, répugnance, abandon.

Il est vrai que cette vision du défunt peut susciter des réactions très ambivalentes, qui parfois

s’opposent diamétralement. Le ressenti pouvant ainsi aller de la terreur à la fascination :

« Le corps est une chose, une chose sacrée, à la fois qui provoque la répugnance et qui

oriente vers le sublime. »21

Georges Bataille évoque ce vacillement entre deux registres réactionnels différents :

18 Mattheeuws, Alain, Accompagner la vie dans son dernier moment, Édition Parole et silence, Paris, 2005, p.66. 19 Kubler-Ross, Elisabeth, Accueillir la mort, Éditions du Rocher, Paris, 2002, p.107. 20 Thomas, Louis-Vincent, Anthropologie de la mort, Payot, 1975, p.250. 21 Baudry,P, La place des morts, op.cit., p.153.

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« D’un côté l’horreur nous éloigne, liée à l’attachement qu’inspire la vie ; de l’autre, un

élément solennel, en même temps terrifiant, nous fascine qui introduit un trouble

souverain. »22

Ce trouble face au corps est bien souvent partagé par les proches, ainsi que l’infirmier présent

au domicile.

Le regard se porte vers le corps, qui revêt à présent un caractère sacré faisant l’objet de

prévenance et d’hommages.

« En bref, la dépouille mortelle n’est pas une chose, elle fait l’objet d’une piété de la part des

autres, c’est vers elle que se dirigent les hommages qui lui ont parfois été contestés de son

vivant. » 23

L’aspect du corps semble avoir un impact réel aux yeux des survivants. Pour Louis-Vincent

Thomas, la vision d’un corps « idéal », calme et non altéré par la souffrance atteste d’un

refoulement de ce qui touche à la perte. En effet, la vision d’un corps abimé rajouterait à

la douleur de la perte de l’être cher celle de la vision du saccage subi par le corps en

souffrance.

Ainsi, sans trahir la réalité de la mort, la présentation d’un corps serein, apaisé, peu

endommagé permettrait d’adoucir cette confrontation.

Malgré cela, l’image du corps ne devrait pas être considérée avec plus d’importance qu’elle

n’en représente vraiment pour le survivant. Celui ci voit au delà de l’apparence. Patrick

Baudry met l’accent sur ce regard: « Devant le cadavre, les gens ne voient pas strictement un

corps. Ils ne cherchent pas à fixer le mieux possible dans leur mémoire la dernière vue de

l’être aimé. On le voit sans le voir. On le regarde au-delà de ce que l’on voit. » 24

L’aspect du corps revêt une importance, certes, mais celle-ci demeure relative, le survivant

voyant sans doute bien au-delà.

La vision de la mort

Si l’infirmier, de par sa profession, est amené à côtoyer régulièrement la mort, cela n’est bien

entendu pas le cas des familles

22 � Bataille, Georges, L’érotisme, Minuit, 2011, p.51, 23 � R.Mehl, le vieillissement et la mort 1956, p.119 24 � Baudry, P, La place des morts, op.cit., p.132.

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La mort, et plus particulièrement la vision de la mort, est étrangère à beaucoup d’entre elles.

« Le plus grand nombre de nos contemporains, à l’exception de certains professionnels,

atteignent la cinquantaine sans avoir vu quelqu’un mourir. » 25

Nombreux sont ceux n’ayant jamais vu la mort de près. Pourtant, jamais celle-ci n’a autant été

montrée, affichée, exposée.

En effet, les médias proposent quotidiennement des faits ayant trait à la mort : accidents,

guerres, assassinats, attentats. L’être humain actuel, par le biais de nombreux vecteurs

d’informations, est en contact étroit avec le décès de l’autre, de la personnalité et bien

souvent, de l’anonyme à ses propres yeux.

Cette vision familière et parfois banalisée de la mort d’autrui contraste avec la vision de celle

d’un proche, souvent encore étrangère au cheminement personnel.

De ce fait, la mort d’un parent, et la vision de sa dépouille, sont souvent une première fois

dans le parcours des familles.

2-3 La relation au défunt

Le proche ne va pouvoir s’approcher du corps du défunt qu’en un temps limité. Entre le décès

et l’enterrement, ou la crémation, le temps imparti sera court. Cette dernière permission au

toucher, ces derniers face à face, n’en demeurent que plus précieux. Ils ont d’ailleurs une

fonction bien particulière pour l’endeuillé, comme l’explique Louis-Vincent Thomas : « Il

importe de comprendre le jeu d’émotions que le corps présentifié permet d’extérioriser. Cette

ultime relation d’un genre particulier provoque en effet une abréaction qui dénoue l’angoisse

et peut aider au travail de deuil. » 26

Auprès du défunt, le proche peut exprimer pleinement son chagrin et ses émotions :

« Le survivant, dans les heures qui suivent le décès, parle au mort à défaut de parler avec lui.

Il lui dit sa peine, lui adresse des reproches, car il y a dans l’expérience décisive de la mort

du prochain quelque chose comme un sentiment d’une infidélité tragique de sa part. Il se

remémore les joies et les peines vécues avec lui ou à cause de lui, il multiplie les aveux et les

pardons, explique ses décisions, promet de se souvenir de lui. » 27

25 Cornillot, P et Hanus, M, op.cit., p.12.

26 Ibid., p.49. 27 Ibid., p.50.

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Cette relation paraît être bénéfique au proche, lui permettant d’exprimer pleinement ses

ressentis, en présence de celui qui n’est plus en capacité d’interagir avec lui.

Avant de faire face à l’absence, cette étape est essentielle. Prendre conscience de la réalité de

la mort ne peut se faire qu’en présence du corps du défunt.

« Par le contact même, le chagrin de l’endeuillé s’exprime dans toute son authenticité à la

faveur de cette « pseudo » relation à la mort. Il faut pour cela que chaque parole qu’il

n’entend pas, que chaque baiser qui ne suscite plus de désir, s’adresse à une réalité

corporelle qui donne l’illusion d’être corps vivant sans cesser d’être reconnu comme mort

véritable. »28

La présence du corps permet cette confrontation avec la réalité, et les gestes et paroles

adressées au défunt ont une fonction précieuse dans l’élaboration du travail de deuil.

C’est autour de ce corps sans vie que va s’articuler le rite.

« Tout le rituel funéraire s’articule autour de ce support symbolique de la présence-absence

de celui qui est toujours là, tout en étant plus »

2-4 L’impact des rites et croyances

29

L’instant qui suit le décès marque une transition, une sorte de passage. En effet, le proche

vient de mourir, mais son corps est encore présent. Le rite trouve sa place en cet instant

particulier, permettant de signifier la séparation.

« L’épreuve de réalité est favorisée par les rites funéraires qui soulignent la séparation. » 30

Le corps serait donc un support au rituel permettant cette transition dans le psychisme du

survivant.

D’après Patrick Baudry, le décédé ne peut être qualifié de défunt et il n’obtiendra ce statut

qu’une fois la séparation effectuée. Celle-ci étant opérée par le rituel :

« Le décédé n’est pas encore un défunt, et tout l’enjeu de la ritualité funéraire consiste à faire

place au défunt en ritualisant la séparation avec le mort. »31

Sans développer les rituels plus tardifs liés aux cérémonies, il semble intéressant de voir à

quel point la ritualité s’installe dès l’instant qui suit le décès.

Au domicile, les proches sont dans une intimité toute particulière et le rite s’insinue

subtilement dans les gestes de chacun. 28 Thomas, Louis-Vincent, Parlons de la mort et du deuil, Frison-Roche, 1997, p.50. 29 Thomas Louis-Vincent, Rites de mort, pour la paix des vivants, Fayard, 1985, p.141. 30 Lussier, Martine, Le travail de deuil, Presses universitaires de France, p.219. 31 Baudry, P., La place des morts, op.cit., p. 46.

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Bien que souvent en lien avec une croyance religieuse, cela n’est pas systématique : « Le

rituel n’est pas nécessairement religieux, il a sa place dans le deuil, quelle que soit la

croyance ou l’absence de croyance. »32

L’effritement actuel des rituels funéraires, tels qu’ils étaient conduits il y a quelques années, a

laissé place une plus grande personnalisation. Ainsi musique, bougies, photos, textes écrits de

façon singulière sont autant de supports venant s’inscrire dans un rite qui s’improvise

délicatement. En s’éloignant des protocoles établis par certaines religions, les proches créent

leur rituel, teinté de croyance, de création, s’imprégnant de divers courants de pensée.

D’autres, en revanche, se retrouvent perdus, désemparés, n’ayant pas de repères précis leur

permettant d’établir ce rituel :

« Le développement de l’individualisme moderne invite à préférer l’authenticité des

réactions supposées spontanées, c’est-à-dire non codifiées, au formalisme des convenances ;

il implique le rejet, en tout cas dans le discours conscient, du conventionnel, du ritualisé qui,

au demeurant, n’existe presque plus. Cette exigence de spontanéité _formulation paradoxale_

peut laisser démuni, inhibé, voire en grande souffrance pour accomplir ce travail de deuil

dont Freud lui-même avait reconnu qu’il était « une tâche psychique d’une difficulté

particulière. »33

Face à ces difficultés, certains soignants admettent aider les familles à inventer un rite,

participant de manière active à quelque chose de très intime :

« Lorsque la mort survient, les soignants de notre équipe, présents ou arrivés en hâte, tentent

non pas de combler le vide laissé par le rituel domestique aujourd’hui disparu, mais

d’inventer dans ce moment unique un nouveau rite de séparation.34

La mise en place des rites, quels qu’ils soient, est une étape essentielle, permettant à chaque

proche de signifier et d’amorcer cette nécessaire séparation.

32 Richard, Marie-Sylvie, Soigner la relation en fin de vie, Dunod,, 2004, p.112. 33 Lussier, M, Le travail de deuil, op.cit. , p. 233. 34 Centre Francois-Xavier Bagnoud – Mourir à la maison – Laennec, Janvier 2002, n° 1

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2-5 Quelles répercussions physiques et psychologiques pour

l’entourage?

L’annonce du décès et la phase de sidération qui lui est caractéristique marquent le début du

processus de deuil.

En latin, le mot deuil se dit « dolere », souffrir. La souffrance va donc s’exprimer au cours de

ce long processus. Marc-Louis Bourgeois décrit le premier stade du deuil comme un choc,

mêlé à de l’incrédulité.

Bowlby distingue deux phases au sein de ce premier stade, l’obnubilation et l’incrédulité

Tout s’écroule, et l’agression que représente la perte de l’être cher est d’ordre affectif,

émotionnel.

Le bouleversement est tel qu’il peut provoquer des réactions très différentes d’un individu à

l’autre. L’endeuillé est prostré, anéanti, pétrifié, ne peut prononcer une parole, ou, à l’inverse,

se manifeste au travers de pleurs et de cris.

Comme l’explique Marie-Frédérique Bacqué, « de telles réactions se voient fréquemment en

situation de catastrophe, mais aussi à l’hôpital ou au domicile d’un grand malade. » 35

Mais cette agression diffuse au-delà, et peut ainsi atteindre l’intégrité physique de l’individu.

Comme le précise Pierre Cornillot, il semble que notre société ait du mal à prendre en compte

la souffrance physique présente au cours du deuil : « Curieusement, dans nos sociétés

modernes, le deuil a beaucoup de mal à faire sa place dans le discours médical et soignant et

à se voir reconnu le caractère d’une souffrance globale qui pourra éventuellement s’exprimer

plus ou moins violemment dans le corps comme au niveau des comportements. »36

Pourtant, certains travaux ont été menés afin de faire le lien entre les chocs affectifs, les

émotions ressenties, et certaines manifestations physiques.

W.B Cannon a fait ce lien émotion-stress-réponse de l’organisme, entre 1914 et 1928. De

même, Hans Selye a mis en évidence le syndrome général d’adaptation.

Ces différents travaux permettent de démontrer l’impact physique que peut avoir une

agression d’ordre affectif, émotionnel.

35 Cornillot, P et Hanus, M, op.cit., p. 142. 36 Ibid. p. 243.

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À l’annonce d’un décès, le proche ressent diverses réactions liées au « premier

saisissement » : évanouissement, vertiges, chute de tension, dyspnée, ralentissement du

rythme cardiaque pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque.

Ces manifestations sont brèves, laissant place dans un deuxième temps aux différentes

réactions de défense de l’organisme vis-à-vis du stress : accélération du rythme cardiaque,

augmentation du tonus musculaire, sueurs froides, vasoconstriction périphérique, élévation de

la tension artérielle.

Selye évoque une phase d’alarme durant quelques minutes, puis une phase de résistance, de

quelques heures à plusieurs jours. Si la situation d’agression ne cède pas au terme de cette

phase, le sujet entre en phase d’épuisement, qui devient dangereuse, car il n’a plus la capacité

de lutter.

Ces réactions physiques peuvent également perdurer. Les travaux de Selye ont mis en lumière

l’apparition de maladies d’adaptation. En effet, les différentes modifications engagées par

l’organisme peuvent, si elles perdurent, favoriser l’apparition de maladies à plus ou moins

long terme. D’où la question du suivi des endeuillés et de l’aide qui peut leur être proposée à

long terme.

Pour Martine Lussier, ces manifestations motrices, « actions de décharge », sont toujours

présentes dans les premières heures qui suivent le décès et se traduisent par une agitation, un

besoin de s’activer, quelle que soit l’action mise en œuvre.

« L’endeuillé tente de se soustraire à la souffrance psychique comme il le fait de manière

réflexe, par une action musculaire, pour se soustraire à la souffrance physique. Il déplace les

investissements du psychique sur le physique, dans un mouvement de régression. 37

Le proche est donc soumis à différentes réactions physiques et psychologiques, en réponse au

stress qu’il vient de vivre.

La présence de l’infirmier peut présenter un intérêt de par le soutien et la surveillance de cet

état qui, nous l’avons vu, peut être plus accentué et aller jusqu’à l’évanouissement, l’arrêt

cardiaque. La fragilité antérieure du proche, le contexte du décès sont des éléments à prendre

en considération.

La prise de conscience de la perte peut ne pas se faire immédiatement : « Les premiers mots à

l’annonce du décès sont des paroles d’incrédulité et de refus. Les personnes restent prostrées,

bouche ouverte, paralysées, hébétées. D’autres s’effondrent, d’autres enfin ne réalisent pas et

poursuivent ce qu’elles sont en train de faire. Cette véritable incapacité à comprendre 37 Lussier, M, Le travail de deuil, op.cit., p. 99.

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s’appelle, en termes psychologiques, une incongruence cognitive (N.Dantchev et al, 1989).

Elle bloque toute activité psychique. Des représentations mentales affluent en masse sans que

l’intellect sache comment réagir. » 38

Quel que soit le mode réactionnel engagé par le proche, l’émotion intègre inévitablement cet

instant.

D’après M.-F. Augagneur, l’unanimité n’est pas faite entre différents auteurs, concernant sa

définition. Dérivé du nom latin « motio », signifiant mouvement, certains utilisent la

traduction d’« emotus », soit agitation, ou encore « ex movere », voulant dire se mouvoir vers

l’extérieur.

« En intégrant ces nuances, l’on peut définir l’émotion comme étant le mouvement des

sentiments qui s’extériorisent. C’est la manifestation à l’extérieur de ce que le sujet ressent à

l’intérieur de lui-même. » 39

Face à la mort, les proches peuvent lâcher prise et ne plus être dans le contrôle de leurs

attitudes. L’émotion peut alors s’exprimer plus ou moins intensément, son caractère

incontrôlable étant à prendre en compte.

« La véritable émotion … est subie. On ne peut en sortir à son gré, elle s’épuise d’elle-même,

mais nous ne pouvons l’arrêter. »40

Or l’émotion peut être sommée de se faire discrète dans une société qui appelle bien souvent

au contrôle de soi.

« Comme tout mouvement, l’émotion déplace et dérange des éléments que les citoyens mettent

tant de soin à garder dans l’ordre établi, ordre physique et mental, auxquels ils attribuent

tant d’importance. »41

Marie-France Augagneur développe le fait que l’opinion publique tolère mal de nos jours

l’expression de l’émotion, celle-ci pouvant être considérée comme une faiblesse de la

personnalité, dans une société où l’individu doit s’adapter de plus en plus rapidement aux

événements, sans semer le moindre désordre. Or l’émotion dérange l’ordre et le rythme

établis !

Ceci explique le fait que l’émotion soit contenue, retenue, au détriment parfois du respect de

soi, de ses ressentis, de son corps. D’après Marie-France Augagneur, ce mépris de l’émotion

serait à mettre en lien avec le mépris du corps qui fut longtemps prôné par un christianisme

38 Bacqué, Marie- Frédérique, Deuil et santé, Odile Jacob, 1997, p.24. 39 Augagneur, Marie-France. Vivre le deuil, Chronique sociale. Avril 1995, p.124. 40 Sartre, Jean-Paul, L’être et le néant, Gallimard, Paris, 1943.Reed 1992. p.40. 41 Augagneur, M-F., Vivre le deuil, op.cit., p.124.

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mal interprété. L’homme devant rester à tout prix maitre de lui même, d’autant plus de son

corps. Or le lien corps-esprit est clairement mis en évidence lors de l’expression des émotions.

L’émotion devrait-elle rester dans le domaine du privé, de l’intime et ne pas être mise à la

portée de l’autre, du regard extérieur, au risque de ne pas être tolérée, comprise, entendue

comme telle?

Dans l’intimité familiale, elle peut sans doute s’exprimer plus librement, la peur du jugement

ou du regard d’autrui étant moindre.

Le fait d’exprimer sa douleur serait pourtant bénéfique :

« Quand on se refuse à vivre sa douleur, on ajoute à sa peine par le fait de retenir ses pleurs.

On ne laisse pas couler, s’écouler, le trop-plein de chagrin qui étouffe notre cœur. Et on met

tant d’énergie à refouler ses larmes, à contenir ses mots, que l’on se vide de ses forces. » 42

2-6 La mémoire d’un instant, d’un lieu

« D’instant en instant, un souvenir vous tombe sur le cœur et le meurtrit… et on retrouve

mille petits riens qui prennent une signification douloureuse parce qu’ils rappellent mille

petits faits » 43

La vision du corps :

La vision du corps laissera sans doute une empreinte dans la mémoire des proches, certaines

photographies de cet instant pouvant être gardées en mémoire.

Louis-Vincent Thomas évoque cette mémorisation par les proches, avec cette image du

défunt, qui reste ancrée de manière forte, au détriment parfois du souvenir vivant de celui-ci :

« En effet, les proches, singulièrement les enfants, conservent souvent de la mort le souvenir

du mort en présence duquel ils se trouvent. Cette prime vision du cadavre, ils peuvent

l’immobiliser, la cristalliser au point qu’elle prédominera ensuite sur l’image même de l’être

qu’ils ont aimé. Au point de l’occulter parfois. »44

Ils se remémoreront un visage, un corps, une expression, qui peut être apaisante, angoissante

ou effrayante.

Dans cet instant transitoire de l’après décès, le corps n’est pas encore confié aux services

funéraires qui ont en charge les soins de thanatopraxie : Soins qui permettront d’apaiser les

survivants, en donnant au corps une image fidèle à ce qu’était le défunt. 42 Bensaid, Catherine, La musique des anges, S’ouvrir au meilleur de soi, Robert Laffont, Paris, 2003, p.30. 43 Maupassant, Guy, Une vie, p.195. 44 Cornillot, P et Hanus, M, op.cit , p.49.

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La présentation du corps revêt donc une importance non négligeable pour les proches présents

au domicile, sachant que d’autres membres de la famille s’y présenteront ensuite.

Le contexte :

Au-delà de l’événement en lui-même, le contexte peut être intégré à la mémorisation de la

scène.

Le contexte extérieur, imprégné de l’ambiance générale, du fait qu’il fasse jour ou nuit, des

personnes en présence, des événements concomitants, des bruits extérieurs.

Mais aussi le contexte intérieur de chacun, influencé par l’état d’esprit, la stabilité

psychologique du moment.

D’après Jean-Yves et Marc Tradié, la mise en mémoire est étroitement liée à la charge

affective associée à l’événement, et la volonté n’intervient que très peu dans ce phénomène.

« Certains faits ordinaires de l’existence peuvent rester en mémoire, mais le plus souvent

c’est parce qu’ils ont fait parti du contexte, de l’environnement d’un fait plus important ou

répété qui les a engrammés dans son aura. »45

Cela expliquerait pourquoi certains détails paraissant anodins sont mémorisés à plus ou moins

long terme. Un parfum, une ambiance, un mot, un objet, associés à la scène qui suit le décès,

peuvent prendre une toute autre dimension au sein de la mémoire du proche.

La mémoire affective :

D’après Anne Muxel, la mémoire intime, très personnelle, est basée sur les émotions, les

ressentis et les perceptions sensorielles telles que les odeurs, les décors, les ambiances, les

sons. Cette forme de mémoire est en lien direct avec la sphère affective.

D’après Jean-Yves et Marc Tradié, l’acquisition des souvenirs est nettement conditionnée par

les affects. Ainsi, toute perception sensorielle va entrainer une décharge neuronale

proportionnelle à la charge affective qui y est associée. Cette décharge neuronale va ensuite

stimuler les neurones de l’hippocampe, afin que l’événement soit mis en mémoire.

La charge émotionnelle et affective liée à l’événement détermine donc la mémorisation de

celui-ci, ce mécanisme demeurant involontaire.

« La décharge affective face à une situation présente donnée est indépendante de notre

volonté et c’est elle qui conditionne en grande partie le fait que nous allons nous souvenir,

parfois toute notre vie, de telle ou telle scène. »46

45 Tradié Jean-Yves et Marc, Le sens de la mémoire, Gallimard, 1999, p.120.

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Les supports de la mémoire :

Pour Jean-Hugues Déchaux, la mémoire ne peut pas être considérée comme une entité

purement spirituelle. En effet, pour exister au niveau mental, elle a besoin de supports

matériels.

Il distingue ainsi deux supports à la mémoire : le « support narratif », utilisant la parole, et le

« support choses », qui intègre les lieux, les objets, et les images.

Les lieux seraient donc supports de mémoire, chargés d’une aura particulière et symbolique :

le lieu serait un appel au souvenir. Parmi ces lieux, la maison, cœur de la vie familiale,

rappelle le vécu avec le défunt, mais aussi ses derniers instants. Le salon, la chambre ayant

recueillis la souffrance, portent en eux le poids du souvenir :

« Mais cette évocation des lieux peut aussi faire surgir des fantômes hostiles, venant rappeler

des souffrances, des rancœurs difficiles à contenir. Les maisons sont parfois hantées de

mauvais souvenirs et peuvent rester à tout jamais associées à des épisodes de douleurs. La

mort, la maladie, peuvent imprimer les murs et éloigner durablement les souvenirs

heureux. »47

Les objets du quotidien sont également un support de mémoire. Le lien de l’objet avec le

défunt le rappelle dans ce qu’il était, vivant. Ainsi, les objets apparaissent être bien plus que

des choses inertes, une mémoire s’inscrivant en eux, qui rappelle le défunt.

Il peut être difficile pour les proches de vivre à nouveau le quotidien dans un foyer rappelant

chaque jour la fin de vie et le décès d’un être cher. Le lit conjugal en est une illustration :

« Les proches, également, se risquent dans cet accompagnement dont ils savent qu’il va les

mener jusqu’à accepter le corps mort de celui ou celle qu’ils aiment dans le lieu même ou ils

ont vécu ensemble, peut être dans le lit où ils continueront à dormir après. »48

La mémoire sensitive est la moins contrôlable, comme en témoigne le pouvoir d’évocation

d’une odeur précise, d’une atmosphère, d’un air de musique.

Marcel Proust évoquait la mémoire dite involontaire, qui s’impose à l’être sans qu’il n’ait

l’intention de retrouver une séquence mémorielle particulière. Cette mémoire porte en elle

l’émotion de l’instant et le flot de sensations qui y étaient associées.

Ce souvenir ne se recontacte pas délibérément. Ainsi, il peut ressurgir au hasard d’une odeur,

d’une musique, perçue de façon fortuite, aléatoire:

46 Ibid., p. 125. 47 Muxel, Anne, Individu et mémoire familiale, Éditions Nathan, Paris, 2002, p.47. 48 Centre Francois-Xavier Bagnoud – Mourir à la maison – Laennec, Janvier 2002, n° 1

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« Il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le

rencontrions pas. »49

Chaque odeur, chaque son, chaque décor peuvent être rattachés à une expérience vécue

donnant lieu à sa réminiscence.

Dans l’instant qui suit le décès, nombre de facteurs relatifs au corps et à l’environnement sont

susceptibles d’être enregistrés par les proches.

« L’activité des sens imprime la mémoire de repères plus ou moins identifiables, plus ou

moins enfouis, mais toujours présents, pour se situer dans le temps, dans l’espace et dans

l’univers de ses relations affectives. »50

D’après Marie-Christine Haman, psychologue, spécialisée en neuropsychologie, une image

possédant une charge émotionnelle forte sera davantage retenue qu’une image neutre. De ce

fait, ce qui touche affectivement le sujet est d’autant mieux mémorisé.

Malgré cela, les éléments associés à une émotion négative seraient moins bien retenus que

ceux liés à une émotion positive : « Ce phénomène serait une forme de protection mentale, le

négatif étant en quelque sorte écarté pour privilégier le positif. Un mécanisme similaire

expliquerait qu’au fil du temps, les informations négatives auraient tendance à être

progressivement oubliées. »51

Cependant, des informations à charge négative extrêmement intense et traumatisante, telles

que les deuils, les accidents sont mémorisés durablement.

Les objets ayant trait aux soins.

« Parmi les objets, certains présentent un statut particulier : ceux qui ont touché de près le

défunt. Tantôt on s’en débarrasse au plus vite, soit pour confirmer l’anéantissement du mort

tout en libérant l’agressivité du survivant à son endroit, soit parce que leur présence souligne

l’absence douloureuse de l’être aimé. »52

Les objets de soins ont un statut particulier, car ayant touché le défunt au plus près de son

intime, ils sont le reflet des derniers soins, douloureux, invasifs, ou plus doux, voués au

confort.

49 Proust, Marcel, Du coté de chez Swann, p.44. 50 Muxe,,l A, Individu et mémoire familiale, op.cit., p.99. 51 Article rédigé d’après la conférence présentée à l’IRIPS le 19 février 2009 par Marie-Christine Haman 52 Thomas, L-V, Anthropologie de la mort, op.cit., p.164.

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Les familles sont souvent pressées de faire disparaitre ce matériel au plus vite, voulant

neutraliser tout ce qui reste de cette période douloureuse.

Mémoire du corps, mémoire du contexte.

Tout de cet instant, même un détail, peut être important.

Un corps, serein ou apaisé.

Une odeur, celle d’un savon utilisé pour la dernière toilette, d’un parfum, d’une crème, d’un

produit de soin.

Un bruit, celui d’un lit que l’on remonte, du mobilier, si souvent déplacé, rangé.

Un objet : le dernier livre lu par le défunt, la tablette sur laquelle reposaient ses effets

personnels, le matériel de soins, les derniers vêtements portés.

Une ambiance : la luminosité d’un lever ou d’un coucher de soleil, une veilleuse, une bougie,

une musique.

Un échange : un regard, un mot, un geste.

Tout de cet instant peut être fixé, immobilisé dans la mémoire du proche, plus réceptif que

jamais à des détails pouvant paraître peu signifiants. Cette sensibilité exacerbée serait sans

doute à prendre en compte.

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3 L’infirmier

3-1 Une place particulière : une relation antérieure tissée au fil

des mois.

Le suivi du patient en fin de vie s’est bien souvent déroulé sur plusieurs mois, voire plusieurs

années.

Les passages de l’infirmier ont été récurrents, suivant l’évolution de la maladie, mais aussi le

cheminement des familles, sur la voie difficile de l’accompagnement.

Au fil du temps, cette connaissance réciproque, ces événements partagés font naitre une

certaine relation d’intimité. Intimité partagée avec le patient en fin de vie, mais aussi avec sa

famille.

Le mot intime, qui vient du latin « intimus », peut être défini ainsi : « ce qui lie étroitement

par ce qu’il y a de plus profond. »

La maladie, la fin de vie et la mort peuvent être considérées comme des éléments profonds et

signifiants de la vie des êtres.

Ce partage est propice au rapprochement entre l’infirmier et les proches. L’intimité tissée

revêt plusieurs aspects. L’intimité émotionnelle est nourrie de confidences, d’échanges,

d’aveux, qui se sont succédé au fil des mois, au détour des soins, d’un café pris ensemble,

d’une rencontre bien souvent informelle.

L’intimité spirituelle se tisse elle aussi au gré de ces échanges. Les proches, au travers de leur

cheminement, de leurs questionnements sont en quête de sens. Cette recherche est souvent

propice à l’évocation des croyances.

Épauler les familles ne peut se faire sans se rapprocher d’elles, et donc forcement créer une

certaine intimité, comme l’évoque Bernadette Fabregas :

« Le soignant perçoit rapidement que ce qui arrive à cet étranger est précisément ce dont il

pourrait, un jour, être la première victime. Ce sentiment, même inconscient, rapproche

sérieusement les individus ! »53

53 Fabrégas, Bernadette, L’intimité et la relation soignant-soigné , Soins, n°652- février 2001, p.31.

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L’infirmier à domicile tient une place particulière. La qualité de la relation établie au fil du

temps avec les proches en fait un interlocuteur privilégié, qui sera contacté lorsque surviendra

le décès du patient.

3-2 Les soins portés au corps

Une dernière toilette

Après le décès, l’infirmier est amené à effectuer différents soins, dont parfois la toilette du

défunt.

Le retrait des différents appareillages, sondes, cathéters, patchs médicamenteux. La réfection

de pansements, la fermeture des brèches cutanées éventuelles. Le positionnement du défunt

demande une attention particulière, étant réalisé en accord avec d’éventuelles pratiques

religieuses. Le coiffage, le rasage ou le maquillage peuvent être envisagés avec la famille,

dans le respect des habitudes antérieures.

La toilette mortuaire est effectuée par certains infirmiers, mais cela n’est pas systématique, et

cet acte est absent du référentiel actuel des soins infirmiers. Il semble que les soignants

n’aient pas tous la même façon de l’envisager.

Cela est sans doute influencé par le sens que ce soin particulier revêt pour chacun :

« La toilette mortuaire ne revêt pas le même sens pour tous les soignants. Pour les uns, il

s’agit de rendre un visage humain, une dernière dignité, pour d’autres, d’une corvée sans

beaucoup de sens vite exécutée par ceux qui ne peuvent s’y soustraire, et que d’autres encore

réussissent à éviter. »54

Au-delà de son utilité, qui serait de retirer du corps les diverses salissures qui l’encombrent,

elle revêt sans doute une forte portée symbolique. De nombreuses cultures font de cette

dernière toilette un moment déterminant, crucial, souvent même très protocolaire.

L’hygiène n’apparaît pas comme étant le but ultime de ce soin. Comme le décrit Louis-

Vincent Thomas, « Laver le défunt ne répond pas seulement aux exigences de l’hygiène et de

la convenance ; cela revient, au regard de l’imaginaire, à éliminer la saleté de la mort ; »55

Ce lavage, serait donc assimilé à une forme de purification. Mais en quoi un corps serait-il

souillé, impur, au point de nécessiter tant de mesures d’hygiène? Louis-Vincent Thomas

évoque « le fantasme universel de l’impureté du cadavre. »

56

54 Mercadier, Catherine, Le travail émotionnel des soignants, Éditions Seli Arslan, p.130.

55 Thomas, Louis-Vincent, Que sais-je, La mort, Presses universitaires de France, 1998, p.93. 56 Ibid. p.94.

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Expliquant que dans nombre de civilisations, le corps du défunt doit être lavé, au même titre

que ceux qui s’en sont approchés, l’ont touché, ou même encore les objets lui ayant

appartenu. Considéré comme impur, il serait dangereux de par le risque de contagion que sa

présence susciterait. D’où le mécanisme de défense mis en jeu par les survivants, afin de se

prémunir de cette possible contagion de la mort. Peur du mort, peur de sa propre mort.

La mort d’autrui rappellerait à chacun sa propre finitude et cette réalité, de par l’effroi qu’elle

suscite, imposerait de s’en protéger.

Les soins prodigués au corps ont donc très souvent un impact sur les proches et peuvent être

une demande précise de leur part.

Une dernière image

La toilette du défunt, perpétuée depuis toujours, ne l’est pas pour les mêmes raisons :

« Elle était jadis destinée à fixer le corps dans l’image idéale qu’on avait alors de la mort,

dans l’attitude du gisant qui attend, les mains croisées, la vie du siècle à venir. C’est à

l’époque romantique que l’on a découvert la beauté originale que la mort impose au visage

humain, et les derniers soins eurent pour but de dégager cette beauté des salissures de

l’agonie. Dans un cas comme dans l’autre, c’était une image de mort qu’on se proposait de

fixer : un beau cadavre, mais un cadavre. »57

Au-delà d’une recherche de la beauté du corps, il semble que l’atténuation des marques de

souffrance soit une priorité dans notre société actuelle.

De nos jours, comme l’explique Louis-Vincent Thomas, la toilette « a davantage pour objectif

de dissimuler les effets dévastateurs de la mort sur le corps, déformant les visages. »58

En effet, la toilette peut avoir un impact sur l’image du corps, qui s’imprimera au cœur des

souvenirs.

« L’attention portée à ce soin particulier qu’est la toilette funéraire révèle toute son

importance vis-à-vis des proches, qui emporteront avec eux la dernière image, le dernier

souvenir. »59

Une image, qui, sans vouloir inspirer la beauté, devrait éviter de choquer, d’apeurer, ou

encore de refléter la douleur de l’agonie.

57 Philippe Ariès, La mort inversée Éditions La maison dieu, p.73-74.

58 Thomas, .L-V, Anthropologie de la mort, op.cit., p. 267. 59 Soins infirmiers autour du décès, Revue de l’infirmière, N° 43, novembre 1998.

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Un dernier hommage

Selon Louis-Vincent Thomas, la toilette du défunt « répond encore aujourd’hui au souci

d’obéir à la décence et de témoigner au défunt de la déférence. »60

Il met en lumière deux notions différentes.

La décence d’une part : Il s’agirait de faire disparaître toute trace pouvant faire injure au

défunt, au regard de ce qu’est la décence dans notre culture actuelle. Respecter le corps dans

son intégrité, son intimité, lui retirer les salissures, secrétions, comme lorsqu’il était empreint

de vie.

Et la déférence d’autre part, plus abstraite, car celle-ci sous-entend une relation au défunt,

bien qu’il ne soit plus vivant. Plus que le respect du corps, il s’agit davantage du respect du

défunt, dans toutes ses dimensions. Mais aussi respect d’un engagement, lorsque le mourant a

confié ses désirs, ses demandes, pour sa dernière présentation. Respect d’un droit, prévu par la

législation : « J’ai le droit d’attendre qu’on respecte mon corps après ma mort. »61

Ce soin serait une dernière marque de considération vis-à-vis de celui que l’on a bien connu :

« Faire la toilette mortuaire d’un malade, disent certaines infirmières, c’est offrir un dernier

hommage à cette personne. Le vivre comme un hommage, comme un dernier acte que l’on

peut encore faire pour ce malade, ne prend son sens que dans la relation. 62

Certains soignants décrivent cette forme d’hommage rendu au patient qu’ils ont longtemps

suivi. Une enquête menée concernant la toilette mortuaire au domicile

63

a clairement mis en

évidence cette notion d’hommage, et d’adieu.

Le cadre du décès fait sans doute différer les pratiques. Louis-Vincent Thomas l’évoque

ainsi :

« Il n’y a guère que dans les milieux ruraux, et en cas de mort à domicile, que la toilette du

mort garde quelque chose du maternage traditionnel s’il se trouve des femmes, des

religieuses généralement, pour l‘assumer. »64

Trois notions sont abordées, et leur portée est intéressante :

La notion de maternage, évoquant le fait de prendre soin de l’autre, comme on le ferait d’un

enfant, face à la fragilité qu’il nous renvoie. Accompagner vers la mort, à l’inverse d’une sage

femme, qui, dans son domaine de compétence, accompagne vers la vie.

60 Thomas, .L-V, Rites de mort, pour la paix des vivants, op.cit., p.153. 61 Les droits du mourant et du défunt, Conseil de l’Europe, 1976. 62 K .Maus-Bielders, Le chant du corps,, European Journal of palliative care, Vol 2, n°1, 1995, p.26. 63 Hirsch, Godefroy, Jousset Jacky, Toilette mortuaire à domicile. Actes du congrès, 2000, p. 241-245. 64 Thomas, .L-V, Rites de mort, pour la paix des vivants, op.cit., p.152.

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Ces deux extrémités de la vie font sans doute écho aux soignants, faisant resurgir en eux cet

instinct de prendre soin, voire de materner. Comme l’ajoute Louis-Vincent Thomas : « On

n’en finirait pas d’énumérer les comportements traditionnels qui, sous tous les cieux,

dénotent la prise en charge du mort comme s’il s’agissait d’un petit enfant qu’on équipe et

rassure avant son départ. »65

Autre notion que soulève Louis-Vincent Thomas, la féminité des acteurs du soin : les femmes

seraient-elles plus enclines à prodiguer ces derniers soins? Y aurait-il une part instinctive qui

les guiderait vers ce soin qu’est la toilette? Soignantes ou proches du défunt, mais aussi

mères, sœurs, épouses. Ces femmes seraient-elles intuitivement amenées à effectuer ce soin

de façon plus naturelle que les hommes.

Enfin, Louis-Vincent Thomas évoque les religieuses. En effet, ce soin était prodigué par

celles-ci dans le passé, la profession d’infirmière n’existant pas encore. Ce dernier soin, si

particulier, était imprégné de religieux, intimement associé au don de soi, au bénévolat.

Une dernière exposition :

Dès le décès, le corps sera visible, entouré des proches, et la notion d’exposition entre en jeu :

« Cela nous renvoie à la question de l’exposition du cadavre : son but immédiat est d’être un

dépassement de la mort qui facilite, nous y reviendrons, le travail de deuil. De nos jours, le

fait que l’on meurt souvent hors de chez soi et l’exigüité des logements rendent difficiles les

veillées funèbres. »66

La veillée du corps, bien que plus rare de nos jours, n’en demeure pas moins un désir réel

pour certaines familles.

Elles peuvent, en effet, faire le choix de garder auprès d’elles le corps du défunt et de se

réunir autour de celui-ci. Quelle que soit la durée de la présence du corps, celui-ci sera

inévitablement exposé au regard des proches.

Les soins apportés auront probablement une incidence sur ce temps particulier d’exposition,

les regards étant portés avec attention sur ce que dégagent ce visage et ce corps désormais

sans vie.

65 Thomas, .L-V, Rites de mort, pour la paix des vivants, op.cit., p.152.

66 � Id., Anthropologie de la mort, op.cit., p.270.

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3-3

L’accompagnement des proches

« L’action d’être et de cheminer avec une personne, de l’entourer, de la soutenir

physiquement et moralement. »67

Lorsque les proches sont confrontés au décès de celui qui leur est cher, l’infirmier est bien

souvent présent auprès d’eux, et sa démarche se propose bien entendu de les accompagner

dans cette étape difficile :

« Ce sont les soignants qui sont la clé de voute de cette phase d’accompagnement, quand se

présentifie l’angoisse de mort. »68

Face à cette angoisse ressentie par les proches, l’infirmier peut assurer un soutien face à la

douleur s’exprimant tant au niveau physique que psychologique.

Sensible à la personnalité de chacun, il est avant tout le fruit d’une rencontre singulière :

« L’accompagnement est toujours une clinique du singulier, d’une personne à une autre

personne, d’une équipe à une famille, d’une famille à son proche. »69

En l’instant qui suit le décès, cet accompagnement, bien qu’influencé par la relation établie

antérieurement, sera fonction du contexte, de l’individualité de chacun et de l’imprévisibilité

des réactions.

Un devoir vis-à-vis des proches :

« Ma famille a le droit de recevoir de l’aide afin de mieux pouvoir accepter ma mort. »70

L’accompagnement de l’entourage fait partie intégrante de la démarche palliative.

La loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit et l’accès aux soins palliatifs évoque cet aspect :

« les soins palliatifs et l’accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s’adressent au malade

en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution. »71

Cet accompagnement se définit plus précisément comme une relation d’aide et de soutien

psychologique. Cette notion est bien présente comme faisant partie du rôle propre infirmier

dans le code de la santé publique du 29 juillet 2004.

72

67 Dictionnaire encyclopédique des soins infirmiers, Rueil-Malmaison, Lamarre, 2002, p.4

68 Plon, Florence, Questions de vie et de mort. - Soins palliatifs et accompagnement des familles, Champ Social, Nîmes, 2004, p.78. 69 Ibid. p.84. 70 Les droits du mourant et du défunt, Conseil de l’Europe, 1976 71 Programme national du développement des soins palliatifs - 2002-2005. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Ministère délégué à la santé, p.6 72 Décret n°2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties 4 et 5 (dispositions réglementaires) du code de la sante publique et modifiant certaines dispositions.

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Face aux familles venant de perdre un proche, l’infirmier est donc amené à établir une relation

que l’on pourrait qualifier d’aidante, ou de soutien.

« La relation aidante, ou de soutien, s’instaure spontanément en réponse à un besoin d’écoute

de la personne. Elle permet l’accueil des émotions de la personne soignée et de ses

proches. »73

Comme décrit dans la circulaire DG5/3D du 26 aout 1986, relative à l’organisation des soins

et à l’accompagnement des malades en phase terminale, au chapitre 4 : « Le rôle de l’équipe

se poursuit après le décès du malade, dans le but d’assurer le suivi du deuil et de prévenir

ainsi, autant que possible, l’apparition de pathologies consécutives à la perte d’un proche. »

La présence de l’infirmier pour soutenir la famille en cet instant s’inscrit dans le soin, au

même titre que l’aide apportée antérieurement au patient lui-même.

Une présence :

Le soignant dispose d’un temps qui, même s’il est restreint, doit être pleinement investi. Se

situer dans l’instant présent, sans autre projection de l’avant, de l’après. Être disponible à la

relation, tant physiquement que psychologiquement.

Cela nécessite d’occulter les perspectives d’une tournée qui doit se poursuivre, d’une

prochaine visite, d’un appel téléphonique, et d’éviter ces parasitages qui entravent forcément

la qualité de présence à l’autre.

La présence du soignant peut être rassurante, apaisante, et permettre au proche de vivre

pleinement ce dernier instant.

« D’où l’importance immense des donneurs de présence et de temps qui sont des passeurs de

vie. Car c’est avec ce rien apparent qu’est la présence ou le temps que l’on reconstruit un

monde qui s’est défait. » 74

Reconnaître la souffrance du proche, être juste là, près de lui.

« Les soutenir dans cette confrontation à l’autre qui n’est plus, dans un face à face redouté

avec l’horreur de la mort, du cadavre, consiste parfois simplement à reconnaître leur

souffrance et à être auprès d’eux comme « proches » pour leur permettre de rester. »75

73 Michon, Florence, La relation d’aide, une approche humaniste des soins, Soins n°731-décembre 2008, p.36. 74 Vergely, Bertrand, La souffrance. Recherche du sens perdu, Gallimard, Paris, 1997, p.304. 75 Centre Francois-Xavier Bagnoud – Mourir à la maison – Laennec, Janvier 2002, n° 1

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Une écoute :

« Écouter, c’est d’abord l’hospitalité d’une présence. » Laure Marmilloud

Offrir une écoute attentive est essentiel, mais semble difficile, lors d’une conversation où

chacun est parfois tenté de parler trop vite, pour n’entendre parfois que son propre dialogue

intérieur, au détriment de l’autre. Savoir écouter demande du recul, de la réserve :

« La parole qui rompt avec le bavardage a besoin de venir au jour, d’hospitalité, de temps, de

confiance. Elle a besoin d’une écoute qui ne s’effarouche pas du silence premier ; d’une

écoute, consciente que son premier travail est de créer de la présence, plutôt que d’attendre

la parole. » 76

Suite au décès, les mots, les pleurs, côtoient les silences, ou les cris.

Pour Florence Plon, l’écoute doit être teintée d’une « neutralité bienveillante », permettant

d’accueillir la souffrance, mais sans complaisance. D’entendre un vécu sans y apposer de

projection ou d’affects personnels.

Accueillir l’autre, lui permettre d’être entendu, de verbaliser le choc, la souffrance, la colère,

le sentiment d’injustice est intimement lié à la capacité d’écoute.

S’il est difficile de répondre à la souffrance par des mots, il est primordial de l’entendre, de

l’accueillir totalement.

« Devant la souffrance de l’autre, que dire et comment le dire, quel droit et quel devoir d’en

parler ?(…) il est vrai que la souffrance ne se partage pas et qu’il est abusif de proclamer que

l’on comprend l’autre souffrant. Ce sera toujours une approximation. Ne nous y trompons

pas, nous parlerons toujours mal de la souffrance aux souffrants. »77

Sans doute n’est-il pas question d’avoir une réponse ou une quelconque clé à donner.

« En terme d’implications éthiques, prendre soin du prochain patient supposera de pouvoir le

reconnaître depuis une commune humanité, mais sans pour autant prétendre pouvoir lui

dire « Je sais ce qu’il te faut ». » 78

Accepter humblement de ne pas savoir est légitime ; entendre et reconnaître la douleur

ressentie n’impose pas l’élaboration d’une réponse quelconque.

Il peut sembler préférable d’éloigner en cet instant les conseils et phrases toutes faites, les

formules préétablies, pour pleinement écouter.

76 Marmilloud, Laure, Soigner, un choix d’humanité, Éditions Vuibert, 2007, p.24. 77 Queneau, Patrice et Gérard Ostermann, Soulager la douleur, Odile Jacob, 1998, p.275. 78 Marmilloud, L, Soigner, un choix d’humanité, op.cit., p.19.

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Des silences :

« La parole et l’absence de parole demeurent cependant les signes qui permettent de saisir la

densité incomparable du temps de la mort. »79

Le temps qui suit le décès est ponctué par le silence. Silence qui parfois fait peur et auquel

nous sommes souvent tentés de vouloir mettre un terme au plus vite, tellement il peut sembler

déstabilisant. Or il se dit tant de choses dans un silence, en l’absence de mots.

Le silence se fait l’écrin d’une expression subtile : regards, gestes, pensées s’échangent et se

ressentent d’autant plus intensément.

Il peut être un appel, l’attente d’un mot tendu comme une perche permettant l’expression de

sa peine. L’attente d’une invitation à dire, parler :

« Mais au milieu de ce silence de pierre, de ce silence plein, il faut bien qu’une parole se lève,

et qu’elle exorcise cela même que cache le silence. » 80

Oui, laisser vivre ce silence, puis doucement le briser, pour laisser place aux mots.

Des mots

« La parole n’est pas seulement un son ou un symbole écrit. C’est une force. »81

Que dire à celui qui vient de perdre un être cher? L’embarras de l’infirmier dans ce dialogue

avec le proche est parfois palpable. Pourquoi s’introduit-il dans la relation? Peut-être est il lié

au fait de n’avoir aucune réponse à donner, aucun savoir sur la mort que n’aurait le proche lui

même. Patrick Baudry évoque cet embarras : « C’est ce caractère précieux de l’existence

rare, si brève, si étrange à nos propres corps, qui provoque notre embarras. Moins un

embarras en fait qu’une réserve. Pourquoi faudrait-il savoir quoi dire à celui qui devient veuf

ou orphelin, quand toute l’intelligence de la mort nous vient de partager notre incapacité à

savoir ce dont il s’agit? »

82

Une réserve, sans doute, face au discours qui devrait être tenu. Choisir les mots justes induit

un réel questionnement, tant sur le fond que sur la forme.

Certains mots sont intuitivement évités et écartés du langage relatant le décès :

« Le langage traduit fort bien le déni thanatique dont il a été souvent question. Pour fuir le

trauma de la mort, l’occidental évite souvent d’en prononcer le nom : ‘disparu’, ‘manquant’,

79 Bernard Feillet prêtre, Hirsch Emmanuel (dir). Rédaction Patrice Dubosc, Face aux fins de vie et à la mort. Espace éthique / AP-HP, Vuibert, 3°édition, 2009, p.277. 80 Burdin, Léon, Parler la mort, des mots pour la vivre, Desclée De Brouwer, Paris, 1997, p. 249. 81 Ruiz,. Don Miguel, les quatre accords toltèques, Editions Jouvence, Danemark, 2005, p. 37. 82 Baudry, P, La place des morts, op.cit., p. 163.

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‘victime’ deviennent des substituts fréquents, à moins qu’on ne préfère les formules

apaisantes (‘il est parti’,’il repose’), réconfortantes (‘pieusement décédé’, ‘rappelé à dieu’, ‘a

remis son âme dans les mains du seigneur’, ‘a rejoint les anges’), ou simplement

énonciatrices (‘il n’est plus’,’il nous a quittés’). On notera de même, l’emploi de périphrases

pour éviter de parler du cadavre, pourtant seule manifestation de la présence /absence du

défunt. »83

Soignants et proches, imprégnés de la même culture, partagent sans doute cette difficulté à

prononcer certains mots. L’infirmier est amené, intérieurement, à peser chaque terme avant de

l’employer. Le peser, au regard de la norme culturelle actuelle, mais aussi de ses propres

conditionnements.

Ainsi, des termes peuvent paraitre imprononçables au regard de notre culture commune :

Cadavre, dépouille, mort : ces mots sont instinctivement remplacés par d’autres, considérés

comme plus doux, moins violents, moins choquants.

« Si l’on dit « le corps » et non pas « le cadavre », ce n’est pas par pudeur, convenance, refus

d’affronter « la mort ». Mais parce qu’il s’agit de refuser l’inhumain. »84

Difficile tâche que de choisir et prononcer ce mot qui qualifiera le défunt. Comme le dit

Bossuet : « Ce qui reste du vivant quand il meurt n’a plus de nom dans aucune langue. »

Quand vient l’heure de nommer le défunt, le mot retenu, puis prononcé, aura pour le proche

une résonnance très particulière. La sensibilité de chacun au pouvoir d’évocation d’un mot

reste si singulière. Et le sens donné à ce mot pourtant commun peut être si différent, soumis à

tant d’influences qui nous échappent. L’âge, le vécu, l’éducation, la culture sont autant de

facteurs pouvant donner aux mots de multiples nuances :

« Les gens ont des langages différents : ils emploient les mêmes mots, mais pas dans le même

sens. Écoutez le sens, plutôt que les mots. Si vous écoutez les mots, vous ne comprendrez

jamais les gens. Écouter le sens, c’est quelque chose de totalement différent. »85

Le souci du mot juste est sans doute lié au fait de ne pouvoir rattraper un terme qui, trop vite

prononcé, serait mal choisi.

Ce caractère presque irrémédiable de ce qui est dit, du mot prononcé que l’on ne saurait

rattraper, pèse forcément sur nos choix sémantiques.

« Ce qui est dit est dit, un attelage de quatre chevaux ne saurait le rattraper »86

83 Thomas,.L-V, Anthropologie de la mort, op.cit., p. 427.

84 Ibid., p.427. 85 Osho, Un art de vivre et de mourir, Le relié Poche, 2006, p.122. 86 Ryckmans,, Pierre, Les entretiens de Confucius, Gallimard, collection Connaissance de l’orient, 1987.

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Au-delà de l’incidence que pourraient avoir les mots sur les proches, cet intérêt porté au

discours est révélateur du rapport entretenu avec la mort. Le choix du terme peut en être une

projection plus ou moins consciente :

« Par la toute-puissance du verbe, de régler des attitudes et des comportements, soit qu’on

apprivoise la mort, soit qu’on s’en prémunisse. Ce langage n’est pas simplement fait de mots

et de phrases, mais aussi de silences, d’incantations, d’interjections, de gestes et de

mimiques. Fruits de l’intelligence spéculative, il demeure le plus souvent pénétré de

fantasmes individuels et collectifs, en relation avec le système socioculturel ; peu importe

qu’il soit d’ordre oral ou scriptural, gestuel ou attitudinal. »87

Ainsi, par le biais des choix sémantiques ou des attitudes, chacun porte et révèle la réalité de

ce qu’est son rapport à la mort:

« Enfin, évoquons la parole de la mort, c’est-à-dire la dénomination personnelle de la mort,

puis la forme individuelle du discours devant le décès de l’autre ou le sien propre, ou chacun

parle de son statut ou de son rôle ou de sa classe sociale sans doute, mais aussi selon ses

dimensions caractérologiques : indifférence totale, voire soulagement, travail du deuil

conforme aux règles du groupe, relation nostalgique à l’objet (…) sans oublier « le mot de la

fin », les silences, les cris, les chuchotements. »88

Face au mort, face à la mort, les mots prononcés sont le reflet de l’être qui les prononce. Ainsi

le discours soignant ne peut-il prétendre vraiment à la neutralité.

Un regard, un geste

Les mots se font rares, le silence s’insinue doucement. Tellement de choses peuvent être dites,

au travers d’un seul regard, d’un simple geste.

Il peut être intéressant de prêter attention aux attitudes. Un regard peut être distrait, fuyant,

pressé, inquiet, accueillant, bienveillant, chaleureux ou rassurant. Les yeux se font le reflet de

l’âme, des sentiments, des pensées, les trahissant parfois :

« L’infirmière doit veiller à être attentive à la contradiction qui peut exister entre la parole et

les sentiments exprimés par le regard. En effet, le regard porté par le soignant sur la

personne peut aussi bien être une aide ou un frein dans la relation. »89

87 Thomas, L-V, Anthropologie de la mort, op.cit., p.432.

88 Ibid, .p.400. 89 Michon, Florence, La relation d’aide, une approche humaniste des soins, Soins n°731-décembre 2008, p.37.

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Mettre en accord la pensée et le corps. Être attentif aux gestes, aux regards, cela pourrait

s’apparenter à une mise en scène de soi dans le cadre des soins. Cet aspect peut susciter le

questionnement.

Pour Jacques Simon, cette mise en scène est une réalité qui ne s’avère pas choquante :

« Des témoignages suggèrent qu’après la parole, la communication est possible sans la

parole, mais elle exige une remise en question considérable et l’acceptation d’une forme de

projet, l’élaboration d’une sorte de mise en scène. Un terme qui n’a rien ici de déplacé. »90

« Et permettre, au milieu de cet orage, qu’une vraie parole monte aux lèvres, qu’elle se dise,

qu’elle s’entende et que, par elle, se libèrent de vrais regards, même mouillés de larmes, de

vrais gestes de tendresse. »

En effet, sachant l’impact que peuvent avoir certaines attitudes, il peut être louable de s’y

attarder. L’expression du corps dans son ensemble adresse à autrui de nombreux messages.

Une attitude d’ouverture à l’autre peut s’inscrire dans le corps et favoriser la confiance, la

confidence. Lui permettant de lâcher-prise, de ne plus censurer l’expression des émotions, de

laisser enfin couler les larmes, tout simplement.

91

Ces gestes de tendresse peuvent trouver place dans l’accompagnement. S’approcher de celui

qui souffre, s’asseoir près de lui crée inévitablement un rapprochement physique.

« La rencontre avec une personne en grande souffrance morale et physique impose une

proximité qui situe la relation dans un espace personnel ou intime. Les ressentis de cette

rencontre sont avant tout influencés par la présence corporelle de l’autre. »92

Le proche peut ainsi pleurer sur l’épaule de l’infirmier, en ressentir le besoin pour laisser

couler ses larmes. De même, l’infirmier peut ouvrir spontanément les bras pour accueillir

cette peine.

« La présence et l’écoute ne suffisent pas toujours, notamment chez les personnes ayant

besoin de proximité, d’un enveloppement affectif tactile et contenant. » 93

La charge émotive de l’instant n’est pas étrangère à ce rapprochement qui demeure

exceptionnel. Cette approche doit bien sûr être initiée par le proche et ne s’impose pas.

« Il peut être très important, voire nécessaire dans certaines situations, d’établir un contact

par le toucher, mais si ce geste est imposé, sans écoute, il manquera de …tact,

précisément ! »94

90 Prayez,, Pascal, Le toucher, le tact et la juste distance, Jalmav, n°85, Juin 2006, p.11.

91 Burdin, Léon, Parler la mort, des mots pour la vivre, Desclée De Brouwer, Paris, 1997, p.269. 92 Prayez, P, Le toucher, le tact et la juste distance, art.cit., p12 93 Michon, Florence, La relation d’aide, une approche humaniste des soins, art.cit., p.37. 94 Prayez, P, Le toucher, le tact et la juste distance, art.cit., p 14.

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Une juste place

L’aide apportée en cet instant est avant tout une proposition. Les proches doivent demeurer

libres de juger si celle-ci leur est nécessaire. L’accepter ou la refuser, le plus librement

possible. La vulnérabilité qui est la leur en cet instant ne doit pas leur valoir d’être dépossédés

de leurs choix. L’infirmier, témoin de cette souffrance, fait ce pas légitime vers celui qu’il

sent en difficulté. C’est cette part du chemin qui lui incombe totalement. Cette proposition est

avant tout une invitation à être aidé. L’autre part revient à l’endeuillé qui peut accepter ou

refuser cette aide, en accord avec son ressenti.

« L’accompagnement ne s’impose donc pas. Il résulte d’une disponibilité et d’une prise en

considération des besoins. Il trouvera sa raison d’être seulement si la famille a des besoins et

accepte d’être aidée. »95

L’infirmier doit ainsi respecter le besoin exprimé par chacun et sans doute garder une certaine

humilité. Il est impossible, inutile, et dangereux de vouloir tout maitriser.

« De l’acharnement thérapeutique, il est possible de glisser à l’acharnement relationnel à

vouloir médicaliser, psychologiser, instrumenter ce qui reste une aventure humaine

unique. »96

Le rôle de l’infirmier n’est pas d’imposer ce qu’il pense être juste, au regard de ses

connaissances ou de ses acquis :

« Il ne saurait être question gérer techniquement le deuil. Le deuil n’est pas gérable ; il reste

à vivre et à vivre ensemble. »97

De même, être présent dans un instant clé de la personne ne devrait pas laisser s’insinuer une

quelconque dépendance.

Florence Plon évoque bien l’aspect transitoire de l’intervention soignante : « C’est donc être

soi-même en mesure d’être quitté et accepter de n’être associé qu’à un moment limité dans le

temps, de n’être là que pour faciliter un passage, bref se faire le passeur. »98

Bien que transitoire, cette rencontre entre l’infirmier et le proche sera d’une grande intensité,

imprévisible, teintée de partage et d’humanité.

L’approche infirmière est un compromis entre une présence trop envahissante et une distance

exagérée pouvant s’apparenter à de l’indifférence. Recherche d’une juste place, permettant

95 Richard, Christian, Accompagnement de l’entourage, valeurs et limites, Objectif Soins, janvier 2004, n°122, p.19. 96 Ibid., p.19. 97 Cornillot, P et M. Hanus, op.cit., p.14. 98 Plon, Florence, Questions de vie et de mort. Soins palliatifs et accompagnement des familles, op.cit., p.51.

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d’aider le prochain, mais lui laissant la capacité de repartir seul pour affronter le chemin qu’il

lui reste à parcourir.

Soutenir la famille, avoir un regard sur chacun, mais préserver aussi son intimité et s’effacer

lorsque le temps sera venu.

La relation instaurée en cet instant est subtile, délicate et singulière.

Paul Ricœur évoque la « spontanéité bienveillante » inhérente à cette relation qui, selon lui,

doit allier « la distance du respect et l’union de l’amour. »

Favoriser le partage :

La famille se retrouve autour du défunt. Ainsi réunie, elle se fait l’écho de toute sa diversité.

L’intensité des émotions partagées exacerbe bien souvent les différences. Les réactions, les

attitudes peuvent être divergentes, voire diamétralement opposées : repli sur soi, agressivité,

expression vive de la peur, de la colère, du chagrin. Le soignant peut s’attarder auprès de celui

qui s’effondre, en retrait, ou de celui qui, plus expansif, hurle sa peine. Il peut se faire le lien

entre ces proches qui vivent chacun à leur manière cet événement.

« Les intervenants sont efficaces s’ils savent amener les proches, au moment du décès, à en

parler entre eux, et après, dans la durée, afin que les souvenirs soient racontés aux plus

jeunes ou aux plus éloignés. »99

Apaiser la culpabilité :

Il arrive que les proches se sentent coupables de n’avoir pu être davantage présents, actifs ou

investis dans la prise en charge antérieure. Ils expriment alors cette culpabilité, bien lourde à

porter. Certains supposant même que leur absence ait eu une incidence sur l’échéance du

décès. Il peut être important de rassurer les familles concernant cet aspect :

« La notion d’accompagnement… inclut la possibilité de transmettre aux familles cette notion

du choix du sujet à décider de sa mort et de son moment… Cela désengage et désamorce la

culpabilité des proches, d’accepter le choix de l’autre comme lui appartenant. »100

La quête de sens :

« La question brûlante du sens se pose devant toute situation de souffrance qui vient comme

arrêter le déroulement de nos existences, qui sont bien loin d’être de longs fleuves

tranquilles. »101

99 Ibid. p.143

100 Ibid. p. 136

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Quel sens donner à la souffrance? Souffrance physique endurée par celui qui vient de nous

quitter et souffrance morale ressentie si fortement par celui qui reste. Les proches interpellent

souvent l’infirmier à ce sujet, comme un témoin de ce questionnement, de cette

incompréhensible réalité.

Pour certains, la souffrance est perçue comme scandaleuse, absurde et aucune croyance ne

saurait en adoucir la violence. Pour d’autres, la croyance en la réincarnation induit un karma,

punissant dans cette vie-ci les erreurs faites dans une vie antérieure.

D’autres, s’appuyant sur des fondements religieux, chercheront à expliquer l’épreuve endurée,

évoquant l’idée d’une souffrance rédemptrice.

L’intervention de la religion est toute proche en cet instant, comme l’évoque l’imam Tareq

Oubrou : « L’homme convoque la religion pour comprendre ce qui lui arrive. »102

Afin de comprendre ce qui semble inexplicable, inacceptable, l’homme lève les yeux au ciel,

cherchant une réponse à ce qu’il ne peut expliquer :

« Quand l’horizontal se ferme, le vertical s’ouvre, la transcendance. » propos de l’imam

Tareq Oubrou

La plupart des religions sont essentiellement fondées sur le sens qu’elles donnent à la perte, à

la douleur et à la mort, mais cette quête de sens peut s’affranchir de l’aspect religieux :

« Dans cette quête de sens, la tradition religieuse peut certes offrir un secours valable, mais

ceux qui ne souscrivent à aucune vision religieuse du monde peuvent aussi, sur la foi d’une

réflexion attentive, trouver signification et valeur à leur souffrance. »103

Cette recherche de sens est inhérente aux grandes épreuves jalonnant nos vies.

« Toute interrogation sur le sens va de pair avec une interrogation critique sur nos

représentations de la maladie, la souffrance et la mort. »104

Mais si légitime soit cette interrogation, faut-il pour autant lui donner réponse?

« S’il est dangereux de dire que la souffrance a un sens, il est encore plus dangereux encore

de n’en faire qu’un non-sens »105

Infirmiers et proches sont face au même questionnement, dont aucun ne détient la réponse.

L’ignorance du sens de la mort, de la souffrance pourrait il permettre de restituer tout son sens

à la vie?

101 Queneau, P. et G. Ostermann, Soulager la douleur, op.cit., p.275. 102 Émission C’est dans l’air, présentée par Yves Calvi, le 19/10/2012, intitulée « La guerre des religions aura-t-elle lieu ? » 103 Le Dalai-Lama et Howard Cutler, L’art du bonheur, édition J’ai lu, Paris, 2000, p.179. 104 Queneau. P et G..Ostermann, Soulager la douleur, op.cit.,p.285.

105 Vergely, Bertrand, Sens ou non sens de la souffrance, Études Assas, Paris, 1993.

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« Ce n’est pas parce qu’il y a de la souffrance que la vie n’a pas de sens, c’est parce que la

souffrance existe que la vie doit avoir d’autant plus de sens »106

Une remise en question :

Il peut sembler intéressant de se questionner concernant la motivation à partager ces instants

avec les proches.

Au-delà du cheminement commun, cette situation reste propre à l’histoire de la famille, et le

regard extérieur doit être juste et ne pas tendre vers une forme de voyeurisme.

Ainsi le soignant peut-il s’interpeller sur sa motivation à observer une telle scène et sur

l’éventualité d’un bénéfice secondaire qui manquerait de justesse. Peut-il au travers d’une

certaine attraction pour cette scène, se rassurer, trouver un moyen de soigner ses propres

blessures?

L’attitude inverse, qui serait de fuir ces instants partagés, de refuser cette présence à l’autre,

peut également interpeller. L’attitude de l’infirmier se fait parfois l’écho de ses propres

mécanismes de défense. Ainsi, l’agressivité, la banalisation, la fuite sont des modes

réactionnels parfois mis en œuvre involontairement. Le besoin de tout maitriser n’en demeure

pas moins anodin :???

« Ils fonctionnent alors par des réassurances factices auprès des malades et des familles, et

cherchent à avoir réponse à tout ; ou encore un hyperactivisme dans le domaine des gestes

pratiques et matériels visant à tout contrôler, tout maitriser, pour ne pas être confrontés à ce

vide béant de l’angoisse. »107

Il peut être bénéfique pour l’infirmier de se pencher sur lui-même, sur son fonctionnement et

ses attitudes, afin de trouver justesse et cohérence dans le cadre de l’accompagnement qu’il

effectue au quotidien. Sa pratique, évoluant au fil des remises en question, n’en serait que plus

pertinente.

Sans être le juge trop sévère de sa pratique, il peut ainsi soulever certains aspects de son

fonctionnement, mieux se connaître et améliorer sa relation à l’autre, au cœur du soin.

106 Id, La souffrance, recherche du sens perdu, op.cit., 107 Plon, F, Questions de vie et de mort. Soins palliatifs et accompagnement des familles, op.cit., p.79.

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« L’accompagnement apparaît donc comme le fil d’Ariane de l’aventure humaine. Il ne cesse

d’évoluer et de s’approfondir tout au long de l’existence. Notre mot clé sera là encore

comprendre : se comprendre et comprendre l’autre. »108

L’accompagnement des familles face à la mort peut susciter chez le soignant le besoin

d’effectuer un travail sur lui même. Travail ayant une incidence indéniable sur sa pratique,

bien délicate en cet instant.

D’après les différents concepts étudiés, nous pouvons affirmer qu’en effet, l’instant qui suit le

décès a une importance non négligeable sur les proches.

Selon Alain de Broca, tout événement survenant à cet instant sera inscrit profondément dans

la mémoire de l’endeuillé :

« Toutes nouvelles informations et toutes paroles vont donc s’inscrire dans une autre

dimension temporelle. Toutes les phrases dites par le personnel soignant, tous les gestes vont

ainsi se fixer pour toujours dans leur mémoire et pourront, s’ils sont mal entendus ou mal

perçus, être la source de questionnements ou de pointes irritatives pour l’endeuillé pendant

de longs mois. »109

L’infirmier, par son attitude, ses mots, ses gestes pourraient avoir un certain impact sur cet

instant.

Je souhaite mettre cette hypothèse à l’épreuve du terrain, en approchant les infirmiers

libéraux. Découvrir leur vision de cet instant, ainsi que leurs pratiques.

108 Hacpille, Lucie, avec l’équipe mobile de soins palliatifs du CHU de Rouen, Soins palliatifs. Les soignants et le soutien aux familles, Lamarre 2006, p.82. 109 De Broca, .Alain, Deuils et endeuillés, op.cit., p.13.

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Méthodologie de l’enquête exploratoire

Après avoir exploré différents concepts, et mis en lumière les connaissances nécessaires à une

approche la plus adaptée possible, il semble intéressant de se tourner vers les professionnels

infirmiers.

Évaluer la place faite à cet « instant d’après » dans la pratique infirmière : fréquence,

disponibilité, participation.

Les objectifs de l’enquête:

Découvrir quel regard portent les infirmiers sur cet instant particulier: impact, conséquences,

valeur.

Recueillir des informations concernant leurs pratiques, leurs actions et leurs habitudes.

Pour approcher les infirmiers libéraux, le questionnaire m’a semblé un bon outil, adapté à la

charge de travail qui est la leur ainsi qu’à leur disponibilité.

Le choix de l’outil :

J’ai donc établi une succession de questions afin de connaître leur approche de cet instant,

leurs pratiques et leurs habitudes.

L’échantillon était constitué d’infirmiers libéraux du département de l’Isère, choisis de façon

aléatoire, par tirage au sort des localités, puis deux infirmiers par localité.

Population cible et méthode d’échantillonnage

Le nombre d’individus fût limité à 110, en raison du budget restreint alloué à mon travail :

papier, impression, affranchissement.

La pré-enquête a consisté d’une part en une importante recherche bibliographique.

Élaboration du questionnaire :

Celle-ci m’a permis de m’imprégner pleinement du sujet, de le percevoir sous de multiples

aspects.

D’autre part, les échanges informels avec plusieurs collègues infirmiers au sujet de mon

travail ont fait émerger certains aspects pratiques non négligeables.

J’ai fait le choix de mêler questions fermées à choix multiple et questions ouvertes à réponse

textuelle.

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Laisser une large part aux commentaires libres était essentiel à mes yeux dans un domaine

aussi complexe que la fin de vie à domicile.

En effet, envisager cet instant au fil de mon travail n’écarte pas la possibilité de tenir certains

aspects non moins intéressants à distance, et ce, par oubli ou négligence.

Laisser les infirmiers exprimer ce qui leur semblait important sans être entièrement cadrés par

le fil rigoureux des questions fermées me paraissait impératif.

Un premier fût établi et testé auprès de plusieurs collègues.

Test du questionnaire :

Certaines questions furent remaniées au détour de cet essai. En effet, certaines se sont

révélées peu explicites ou devant faire preuve de clarification.

Certaines questions furent supprimées afin de raccourcir le temps de réponse. Ajout de

quelques aspects non envisagés.

La durée de remplissage estimée à environ 10 minutes me semblait un temps imparti

raisonnable.

Celui-ci fût envoyé en septembre 2012, par voie postale, accompagné d’un courrier

expliquant l’objet de mon travail et d’une enveloppe timbrée permettant de me l’adresser par

retour.

La distribution du questionnaire :

Il fût spécifié sur le courrier le caractère anonyme de l’enquête.

Le délai octroyé pour la réponse fût d’un mois et demi, cela donnant le temps à chacun d’y

répondre au moment le plus opportun.

Taux de retour56 % des infirmiers sollicités ont répondu à l’enquête, soit 62 individus.

:

Ce taux ne veut et ne peut être statistiquement représentatif, mais permet une première

approche, si modeste soit-elle.

En effet, la population des infirmiers libéraux en Isère est de 1516 individus110

Le panel de réponse ne correspond qu’à 4 % de la population mère considérée.

110 Au 31 mai 2013 : données CPAM Isère

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Les réponses aux questions fermées à choix multiples seront exprimées par représentations

graphiques, afin de visualiser plus clairement leur répartition.

Saisie des données :

Les commentaires libres seront synthétisés, restant en lien avec chacune des questions dont ils

découlent.

Les réponses écrites ayant été parfois longues, je propose d’en extraire les mots clés

récurrents et de chiffrer leur apparition en nombre de récurrences.

Les réponses seront mises en lien avec le cadre conceptuel, afin de permettre une discussion

constructive et critique.

Interprétation :

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Présentation des résultats

Les infirmiers ont pour 78 % entre 30 et 49 ans. 6 % ont moins de 30 ans, et 16 % plus de 50

ans. L’ancienneté de l’exercice en secteur libéral est très variée, allant de 4 à 34 ans.

Infirmiers interrogés :

Infirmiers et soins palliatifs :

La place des soins palliatifs dans la pratique des infirmiers libéraux :

Êtes-vous amené(e) à prendre en charge des patients dans le cadre de soins palliatifs?

64 % des infirmiers admettent suivre parfois des patients dans le cadre de soins palliatifs.

Souvent et très souvent : total de 36 %. Aucun n’indique avoir été amené à effectuer des soins

dits palliatifs.

Il semble donc que les soins palliatifs soient intégrés pleinement à la pratique des infirmiers

libéraux. Cette catégorie de prise en charge se révèle être périodique (épisodique?) et

récurrente.

La fréquence des décès survenus à domicile, par année :

Les décès surviennent rarement au domicile du patient.

Aucun décès : 9

Un décès par an : 28

Deux décès par an : 24

Trois décès par an : 1

Les infirmiers relatent pour la plupart entre 1 et 2 décès par an à domicile.

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Infirmiers et présence après le décès:

La disponibilité des infirmiers vis-à-vis de cet instant:

La majorité des infirmiers interrogés (61 %) affirme proposer spontanément aux proches de

les appeler lorsque surviendra le décès.

Proposez-vous spontanément aux proches de vous appeler lorsque surviendra le décès?

Il y a donc une proposition faite aux familles, l’infirmier évoquant la possibilité d’être appelé

lors de cet instant.

Certains prennent l’initiative de donner leurs coordonnées téléphoniques personnelles afin

d’être joignables plus facilement :

Êtes-vous amené(e) à donner vos coordonnées téléphoniques personnelles afin d’être joignable plus facilement?

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Si le décès survient la nuit, la majorité accepte de se déplacer au domicile (88 %) :

Acceptez-vous de vous déplacer la nuit?

Nous pouvons souligner l’acceptation des infirmiers à être sollicités sur un temps consacré à

la vie personnelle, à savoir la nuit.

Le recours à l’infirmier lors du décès : La famille du patient vous appelle-t-elle lorsque survient le décès?

La famille a donc fréquemment recours à l’infirmier lorsque le décès survient.

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Le temps consacré à cet instant :

Les infirmiers estiment rester au domicile pour la majorité entre 1 h et 2h.

35% d’entre eux évaluent leur présence entre 30 minutes et 1heure.

Si vous deviez estimer le temps passé au domicile après le décès, vous diriez y rester :

Infirmiers et soins au défunt :

La réalisation de la toilette par l’infirmier :

Faites-vous la toilette du défunt?

Les infirmiers sont partagés concernant le fait d’effectuer une dernière toilette.

Les commentaires leur ont permis d’expliciter les divergences à ce sujet.

Sachant que ce soin est effectué par les entreprises funéraires dès la prise en charge du corps,

certains estiment qu’il n’est plus nécessaire de le réaliser : 12 récurrences.

Commentaires libres :

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Beaucoup expliquent avoir fait évoluer leurs pratiques ces dernières années, affirmant avoir

effectué ce soin bien plus souvent par le passé : 16 récurrences.

À l’inverse, ceux qui continuent à la réaliser expliquent y voir une dernière marque de

respect, un dernier hommage : 16 récurrences

La réalisation de la toilette du défunt est donc peu uniforme, selon le profil de chaque

soignant.

Par contre, la présentation du défunt a une importance certaine à leurs yeux :

Importance de la présentation du corps du défunt :

Pensez-vous que la présentation du corps, juste après le décès, ait un impact sur les proches?

Les soignants sont donc presque unanimes, approuvant l’impact que peut avoir l’image du

corps sur l’entourage et la famille.

Commentaires libres

Visage apaisé : 23 récurrences.

:

Visage serein : 8 récurrences.

Un beau visage : 5 récurrences.

Faire disparaître l’équipement médical du corps : 16 récurrences.

Le positionnement du corps et des mains : 6 récurrences.

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Influence des croyances sur les soins pratiqués : Les croyances du défunt et de ses proches ont-elles un impact sur les sois pratiqués?

81 % des soignants prennent en compte les croyances lors des soins au défunt

Seul 19 % affirment ne pas en tenir compte.

La majorité des infirmiers admet donc que les croyances ont un impact sur la réalisation des

soins au corps.

Ils évoquent la toilette (7), l’habillage du défunt (4), la position de ses mains (5), la présence

d’objets symboliques (7) et de bijoux. La notion de religion (19) est évoquée.

Commentaires libres :

Infirmiers et accompagnement des proches

Ancienneté de la relation : Si oui, vous diriez que vous les prenez en charge depuis :

97 % des infirmiers ont suivi les patients dans le cadre de soins, avant la phase dite palliative.

Pour la plupart, la durée du suivi peut être estimée à plus de deux ans.

Les prises en charge tardives semblent plus rares.

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Avez-vous suivi ces patients avant qu’ils soient en soins palliatifs?

Il apparaît que les infirmiers libéraux ont donc une relation ancienne avec les patients suivis

en soins palliatifs, les ayant bien souvent accompagnés en amont lors de la phase dite

curative.

Leur connaissance du patient se comptant parfois en années.

Ils ont donc un lien ancien avec la famille proche, présente au domicile.

Isolement des proches :

Arrive-t-il qu’un proche soit seul face au défunt?

52 % des infirmiers admettent se retrouver parfois avec un proche isolé, seul auprès du défunt.

29 % admettent que cette situation se présente souvent.

Il n’est donc pas rare qu’un proche soit seul après le décès, sans avoir de famille venant

l’accompagner dans cette étape.

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Une aide pour les formalités administratives

La majorité des infirmiers interrogés est amenée à expliquer les formalités administratives aux

proches.

Êtes-vous amené(e) à expliquer les formalités administratives aux proches?

D’après les infirmiers, la constatation du décès par le médecin est une procédure bien connue

des familles (71 %).

Si oui, quelles formalités sont mal connues? Constatation du décès par un médecin :

En revanche, les conditions de transport du corps par les entreprises de pompes funèbres le

sont beaucoup moins. 90 % des infirmiers affirment que celles-ci sont mal connues des

proches. Si oui, quelles formalités sont mal connues? Condition de transport du corps :

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Sont mal connus : le délai de conservation du corps à domicile (12), le choix libre d’une

entreprise de pompes funèbres (10), le lieu où sera déposé le corps en attente de l’inhumation

ou de la crémation (6).

Commentaires libres

Certains infirmiers relatent effectuer les démarches à la place de la famille : 23 récurrences

Ils en donnent plusieurs raisons :

Les familles sont perdues, incapables d’agir, paralysées, perturbées, en plein désarroi.

Le grand âge du conjoint survivant intervient.

Certains pensent important de décharger la famille, d’autres soulignent au contraire qu’il faut

laisser les membres effectuer ces démarches. Dans ce cas, les infirmiers affirment conseiller,

orienter, être un appui, un soutien.

La mise en place d’un dialogue infirmier/famille

Au-delà des soins et des conseils, vous arrive-t-il d’avoir une discussion plus approfondie avec les proches?

42 % des infirmiers ont sont souvent l’occasion d’établir une discussion approfondie avec les

proches, après le décès.

Ils évoquent des thèmes divers abordés lors de cet échange :

Commentaires libres :

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Le défunt : sa vie, son parcours, sa personnalité, les regrets concernant les bons moments

partagés, mais aussi les remords inhérents aux différents conflits familiaux.

Le vécu de la maladie : le soulagement de la douleur, la souffrance morale, le délai écoulé

avant le décès.

Les circonstances du décès : Durée de l’agonie, souffrance, « Pensez-vous qu’il s’est senti

partir? »

Le proche : Sa façon d’envisager l’avenir, la tristesse, le soulagement de voir se terminer une

situation insupportable.

Les croyances : l’au-delà, la vie après la mort, ou au contraire, la remise en cause de ces

croyances.

Le sens : « Pourquoi lui », « Il n’a jamais fait de mal à personne », « Pourquoi autant de

souffrance. ». Recherche dans la vie menée par le patient d’une raison expliquant la

souffrance subie.

L’importance des mots :

Presque la totalité des infirmiers (97 %) estime que les mots ont une portée (,) au-delà de

l’échange qu’ils ont eu avec la famille.

Pensez-vous que les mots utilisés aient une portée au-delà de cet échange?

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Mots difficiles à choisir pour 61 % d’entre eux :

Est-il difficile pour vous de choisir les mots que vous employez?

Plus que les mots, le contenu du discours semble poser problème aux infirmiers : certains ont

peur de choquer (5 récurrences), d’avoir des propos maladroits (9 récurrences). D’autres ne

savent pas quoi dire face à la souffrance (15 récurrences), ne trouvent pas les mots (3

récurrences). Certains disent écouter le proche avant de parler à leur tour (22 récurrences),

ne pas briser le silence (14 récurrences).

Commentaires libres :

Suivi après le décès :

Êtes-vous amené(e) à revoir les proches ultérieurement?

La majorité des infirmiers affirme revoir les proches à distance du décès.

Cela survient de façon fortuite (dans la rue, les commerces), 34 récurrences.

Commentaires libres :

De nombreux infirmiers précisent planifier une visite auprès du proche à distance du décès :

19 récurrences. L’objectif étant de dépister la détresse, l’isolement. De boucler, finaliser la

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prise en charge. Les proches ont besoin d’évoquer la période palliative, le soulagement de la

douleur.

Parfois, la famille convie l’équipe infirmière autour d’un repas ou d’un café pour remercier : 5

récurrences.

De nombreux infirmiers évoquent l’absence de suivi des proches après le décès du patient et

ressentent le devoir de visiter le proche a posteriori.

Plusieurs évoquent une faille au sein de la société dans ce domaine, voyant des proches livrés

à eux-mêmes, ne sachant vers qui se tourner pour obtenir de l’aide : 6 récurrences.

Infirmiers et approche de cet instant :

L’impact de l’infirmier sur l’ambiance qui règne au domicile

Pensez-vous que l’infirmier ait un rôle à jouer concernant l’ambiance qui régnera dans la pièce où se trouve le défunt, ou de manière plus vaste au domicile?

71 % des infirmiers pensent qu’ils ont un rôle à jouer concernant l’ambiance régnant au

domicile après le décès.

29 % affirment n’avoir aucun impact dans ce domaine.

Commentaires libres :

L’ambiance globale idéale : La sérénité (8 récurrences), l’apaisement (10 récurrences), le

calme (14 récurrences ) sont des notions récurrentes dans leurs écrits.

La vision de la scène : L’aspect et l’installation du défunt (23 récurrences), le rangement de

la pièce centrale (6 récurrences), sa démédicalisation (21 récurrences) avec la disparition du

matériel ayant trait aux soins.

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La luminosité est évoquée : l’éclairage, la pénombre, les bougies, les volets mis clos : 3

récurrences

L’odeur est citée : 4 récurrences.

La relation entre le défunt et ses proches : le pourtour du lit doit être dégagé, afin de

permettre la libre circulation des proches (9 récurrences). Le fait de disposer des chaises

autour du lit.

La juste place de l’infirmier : la notion de disponibilité (11 récurrences), de discrétion (9

récurrences).

L’accompagnement : avec la notion d’écoute (26 récurrences), d’accueil des proches arrivés

sur le lieu du décès (8 récurrences).

Le bruit, avec la nécessité d’en faire le moins possible (3 récurrences). L’usage de la

musique à la demande de la famille (1 récurrence).

Leurs gestes dans ce domaine :

Attitude : Gestes calmes (28 récurrences), écoute attentive (16 récurrences), respect des

souhaits du défunt (6 récurrences).

Discours : Rassurer sur la souffrance (11 récurrences), l’acceptation de la mort par le défunt

(5 récurrences), discussion sur le fait de garder le corps au domicile plus ou moins longtemps

(4 récurrences).

Actions concrètes : Ménage de la chambre (8 récurrences), élimination du matériel (15

récurrences), toilette de défunt, installation avec ou sans l’aide de la famille.

Ambiance : réglage de la lumière (6 récurrences), musique de fond (1 occurrence), utilisation

de parfum ou désodorisant si odeur désagréable (3 récurrences).

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L’attitude de l’infirmier :

La presque totalité des infirmiers (97 %) admet que son attitude globale lors de cet instant

est importante. Seuls 3 % n’abondent pas en ce sens.

D’après vous, votre attitude globale est-elle importante?

Être calme, serein, posé, faire preuve de douceur : 26 récurrences

Commentaires libres :

Faire preuve de disponibilité, sans toutefois se montrer envahissant : 20 récurrences

Écouter activement, en faisant appel à la reformulation : 19 récurrences

Rester professionnel et respectueux : 13 récurrences

Savoir aider, soutenir les proches : 12 récurrences

Rassurer les proches concernant l’absence de douleur, les réconforter : 9 récurrences

Atténuer les regrets : 3 récurrences

Respecter les désirs du défunt : 3 récurrences

Vécu de cet instant par les infirmiers :

La majorité des infirmiers (74 %), affirme apprécier cette présence auprès des proches dans

l’instant qui suit le décès.

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Aimez-vous être présent(e) auprès des proches à cet instant?

Les infirmiers soulignent le fait de devoir accompagner jusqu’au bout le patient et sa famille,

même pour cette dernière étape.

Commentaires libres :

Ils évoquent une relation humaine faite d’amitié (2 récurrences), le lien construit (12

récurrences), l’intimité avec la famille (8 récurrences), la compréhension (5 récurrences), le

partage réciproque (7 récurrences), la notion d’accompagnement (16 récurrences).

Certains soulignent le fait d’apprendre beaucoup de ces moments de vie (6 récurrences).

D’autres évoquent le sentiment d’un travail achevé (8), une manière de clôturer la relation (5

récurrences).

Certains ont souligné le terme utilisé dans ma question, à savoir « Aimez-vous? » :

Ce mot n’était pas celui qu’ils auraient choisi (4 récurrences). Certains l’aurait remplacé par :

plaisir d’un travail bien fait (1 récurrence), devoir vis-à-vis des proches (3 récurrences).

Pensez-vous que cela fait partie intégrante de votre métier d’infirmier?

78 % d’entre eux estiment que cela fait partie intégrante du métier que d’accompagner les

proches après le décès du patient.

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Gratuité des soins

La majorité des infirmiers déclare ne recevoir aucune rémunération pour le temps passé

auprès des proches, les conseils et l’aide apportée dans cet instant.

Pour le temps passé auprès des familles, il n’existe aucune cotation dans a nomenclature

de la sécurité sociale, êtes-vous amené à effectuer ce soin sans rémunération?

68 % d’entre eux effectuent toujours cette aide gracieusement.26% souvent 6 % parfois.

Il est donc question dans la majorité des cas d’un acte gratuit, d’un don de présence auprès

des proches.

Pour 12 infirmiers, la gratuité de cet acte est considérée comme évidente et normale. Les

critères motivant cette démarche sont multiples :

Commentaires libres :

Acte de soin ne relevant d’aucune prescription médicale, donc ne pouvant être l’objet

d’honoraires : 15 récurrences.

Démarche entièrement volontaire et personnelle : 6 récurrences.

En accord avec des valeurs personnelles : 4 récurrences.

Infirmiers et questionnements : La demande de formation

La question de la formation est nettement plébiscitée.

Ainsi, la grande majorité des infirmiers (71 %) pense qu’une formation concernant l’après-

décès pourrait être bénéfique à leur pratique.

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Pensez-vous qu’une formation concernant l’« après décès » pourrait vous aider dans votre pratique?

Huit infirmiers ont malgré tout souligné le fait qu’établir une conduite à tenir rigoureuse

serait absurde, retirant toute spontanéité, toute liberté dans cette prise en charge. La notion de

protocole (5 récurrences)) a été utilisée, expliquant le peu d’autonomie que ceux-ci laissent

aux infirmiers.

Commentaires libres :

D’autres ont évoqué une demande de connaissance concernant le choc initial (2 récurrences),

et le travail de deuil du proche survivant. (9 récurrences)

La notion de questionnement est apparue de façon significative dans le champ des

commentaires et témoignages libres.

Commentaires libres :

Les infirmiers évoquent à maintes reprises le manque d’espace de parole (17 récurrences)

pour évoquer et partager leurs expériences. Certains se remettent en question et regrettent

l’absence de supervision (6 récurrences) dans le secteur libéral. Selon eux, un débriefing (8

récurrences) au terme de certaines prises en charge serait salutaire, afin d’ajuster leurs

attitudes. Beaucoup expliquent se réunir entre collègues au sein du même cabinet pour se

questionner autour de leurs difficultés (12 récurrences).

D’autres cherchent un regard extérieur, en se mettant en relation avec des médecins et

professionnels de santé connus de leur réseau (5 récurrences).

Plusieurs d’entre eux mettent l’accent sur la solitude inhérente à l’exercice libéral (8

récurrences).

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Un instant…

Nous sommes en hiver.

Il fait nuit, il est 2 h 50 à ma montre.

Mr B vient de s’éteindre, sa fille vient de m’appeler.

Je me gare devant la maison, ma collègue me rejoint.

Nous entrons, ensemble, la famille nous attend.

Les deux filles sont présentes.

L’ainée, calme, d’apparence forte et sûre d’elle, réconforte sa mère.

La plus jeune est assise et pleure dans le salon.

Le médecin arrive et nous le retrouvons avec ma collègue, dans la chambre du défunt.

Tous les trois, nous faisons la toilette, puis l’habillons avec les effets choisis par sa femme.

Elle tient à le voir ainsi, elle a choisi avec soin cette dernière tenue

Nous quittons la chambre, le médecin dresse le certificat de décès.

L’ainée vient voir son père, lui parle, sa sérénité est évidente.

Des pleurs surgissent dans le salon, timides, contenus.

La plus jeune pleure.

Ma collègue s’approche d’elle, la prend doucement dans ses bras.

Elle fond en larmes, explique sa tristesse.

Elle n’arrive pas à se diriger vers la chambre, ne peut pas voir son père.

C’est au-dessus de ses forces.

Elle voit sa sœur le faire, l’admire, voudrait rendre elle aussi cet hommage, embrasser son

père, le voir, le toucher, mais ne peut pas.

Je suis en retrait, plus loin, j’écoute l’ainée qui retrace le déroulement des derniers mois.

Je devine les mots de ma collègue, je l’entends chuchoter.

Puis je vois la jeune femme allumer une petite bougie, prendre un petit morceau de papier,

écrire quelques mots pour son père, en regardant la lueur de la flamme.

Je la vois apaisée.

Elle a entendu qu’elle pouvait être présente à sa façon, rendre un hommage différent, avec son

cœur, ce qu’elle est, sans exiger d’elle même ce qu’elle ne peut supporter.

Juste quelques mots… glissés en cet instant

Quelques mots, tout simples, glissés dans le creux de son oreille et de son cœur, au bon

moment.

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Discussion

Les infirmiers libéraux suivent régulièrement des patients dans le cadre des soins palliatifs.

Cet instant, si rare

26 % d’entre eux déclarent prendre en charge des patients dans le cadre de soins dits palliatifs

assez souvent. 64 % parfois, 10 % très souvent.

Les résultats de l’enquête exploratoire indiquent une prise en charge périodique et récurrente

dans la pratique des libéraux. Malgré tout, il est rare qu’ils puissent mener le suivi à domicile

jusqu’au décès du patient.

En 2009, seuls 27 % des décès eurent lieu à domicile, les réponses infirmières sont donc le

reflet de cette réalité, avec en moyenne entre 1 et 2 décès par an à domicile.

De ce fait, les infirmiers ne sont que très rarement confrontés à cette situation, et à l’instant

particulier qui succède au décès.

Cet infirmier, présent à l’instant

58 % des infirmiers admettent être toujours appelés par la famille lorsque survient le décès.

26 % le sont assez souvent, 16 % parfois.

Cette présence de l’infirmier est à mettre en lien avec la disponibilité qu’il accorde à cet

instant. En effet, 61 % d’entre eux proposent spontanément d’être appelés par les proches lors

du décès.

81 % des infirmiers acceptent d’être contactés la nuit si le décès intervient sur ce temps-là.

42 % d’entre eux acceptent de donner leurs coordonnées personnelles de façon systématique,

et 26 % assez souvent. Ils acceptent ainsi clairement d’être sollicités hors des horaires de

travail établis, sur un temps consacré à la vie personnelle.

Après le décès, 42 % des infirmiers affirment passer entre 1 heure et 2 heures au domicile.

35 % restent sur place entre 30 minutes et une heure. Plus rares sont ceux qui restent sur une

période très courte (moins de 30 minutes) ou très longue (plus de deux heures).

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Ce temps imparti peut être considéré comme conséquent dans le cadre d’une tournée de soins

à domicile. En effet, la charge de travail des infirmiers libéraux, bien que variable, reste

relativement lourde.

Ce défunt, objet de tant d’égards

Le corps objet de tous les soins :

La réalisation de la toilette du défunt semble très inégale, d’un infirmier à l’autre. Les

professionnels semblent partagés concernant ce soin. Bien qu’absent du référentiel des soins

infirmiers, il était largement effectué il y a quelques années.

26 % des infirmiers interrogés n’effectuent jamais ce soin. Plusieurs d’entre eux ont expliqué

ce choix, en précisant qu’à présent, la toilette est prise en charge par les entreprises de pompes

funèbres, et que celles-ci disposent de techniques bien plus adaptées. En revanche, 23 %

admettent la réaliser de façon systématique. Les raisons évoquées sont multiples.

Certains y voient un hommage rendu au patient, au travers de ce dernier soin. Cela rejoint les

écrits de Louis-Vincent Thomas, explicitant le fait que la toilette ne réponde plus uniquement

aux exigences de l’hygiène, mais davantage à la notion d’hommage. Cette déférence vis-à-vis

du défunt est clairement mise en évidence. Certains infirmiers expliquant respecter un

engagement pris antérieurement avec le patient, ou évoquant un ultime devoir.

D’autres y voient une manière de mettre fin à la prise en charge, de boucler la relation avec le

patient, en approchant une dernière fois ce corps devenu familier :

« Faire la toilette peut donc être une manière de terminer un processus d’accompagnement et

de laisser partir l’autre. »111

Il est à noter que 43 % des infirmiers ont répondu « parfois ». Cette nuance pourrait mettre en

lumière une disparité de leur conduite, en fonction du contexte.

La réalisation du soin pourrait être fonction de différents facteurs plus ou moins objectifs,

parmi lesquels la relation établie avec le patient, sa famille ou les engagements préalables.

111 Mattheeuws,.A, Accompagner la vie dans son dernier moment, op.cit., p.65.

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Le souci de l’image

L’image renvoyée par le corps semble avoir une importance capitale aux yeux des infirmiers.

97 % d’entre eux estiment que l’aspect du défunt a un impact sur les proches.

Les commentaires libres qualifiant cette image ont été nombreux, se rejoignant pour la

plupart. L’expression du visage est largement évoquée, et les qualificatifs « apaisé » et

« serein » sont parmi les plus cités. Cette volonté peut être mise en lien avec plusieurs

concepts détaillés précédemment.

Apparaît clairement le désir de dissimuler les effets dévastateurs de la mort sur le corps,

notion soulevée par Louis-Vincent Thomas. Éviter que le visage ne reflète la douleur,

l’inconfort, la crispation. Sans doute ce souci de l’image est-il une volonté de rendre la

confrontation à la mort moins violente pour les survivants. Comme le précisait Patrick

Baudry, bien que le proche voie au-delà de l’image en elle-même, cette vision demeure une

préoccupation réelle. Ce souci du dernier souvenir visuel fait référence à la mémoire, la

mémorisation de la scène étant sous-jacente.

Quelques infirmiers évoquent la beauté se dégageant du visage, ce qui, nous l’avons vu

précédemment, rejoint une conception plus ancienne, apparaissant dans les écrits de la période

romantique.

Cette préoccupation portée sur le visage est bien souvent partagée par les proches :

« Les proches sont très sensibles à l’aspect du visage qui, souvent, a retrouvé une certaine

sérénité et même une beauté effaçant toute marque de souffrance. Parfois, un sourire se

dessine. Dans d’autres cas, le visage abimé par la maladie reste difficile à regarder malgré

les soins apportés. »112

Le positionnement du corps est cité, précisément celui des mains et des bras. Il est choisi avec

soin, en accord avec la famille.

Plusieurs infirmiers soulignent l’importance de faire disparaître rapidement le matériel

médical. Cette attitude peut avoir une portée symbolique, faisant disparaître le monde du soin,

désormais devenu illégitime, laissant ainsi place aux rituels.

L’intérêt porté à l’apparence du défunt est en lien direct avec son exposition au regard. Cette

présence des proches auprès de lui est un temps d’observation avant tout. L’image a donc une

importance, qui, bien que relative, est prise en compte par la grande majorité des infirmiers.

112 Richard, Marie-Sylvie, Soigner la relation en fin de vie, Dunod, 2004, p.111.

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Le respect des croyances

81 % des infirmiers admettent que les croyances du défunt ont un impact sur les soins qu’ils

réalisent. Le rituel inhérent à chaque religion intègre le soin, particulièrement la toilette, le

positionnement du corps et des mains.

Plusieurs objets symboliques ou religieux peuvent être disposés auprès de défunt.

Les infirmiers expliquent suivre dans ce cas les recommandations de la famille.

Ce proche, au cœur de l’attention

Ce proche, bien connu de l’infirmier :

L’ancienneté de la relation avec le patient est intimement liée à la connaissance des proches.

En effet, en intervenant au domicile du patient, l’infirmier est intégré au domicile, à l’intimité,

et rencontre forcément les proches, les amis, la famille.

97 % des infirmières affirment avoir suivi les patients avant qu’ils ne soient en soins dits

palliatifs. 43 % d’entre eux ont pris soin de ces patients depuis plus de deux ans. 37 % entre

un et deux ans. 15 % entre 6 mois et un an. Les prises en charge pour des durées inférieures à

6 mois apparaissent extrêmement rares.

Les interventions à domicile sont donc conduites sur de longues périodes, permettant un

contact étroit et récurrent avec la famille et les proches du patient.

Les infirmiers ont sans doute une connaissance assez importante des proches, du contexte de

vie et des relations familiales entretenues par chacun.

Une aide concrète :

Lorsque survient le décès, la famille doit effectuer différentes formalités.

Les infirmiers sont amenés à expliquer certaines d’entre elles aux proches. Ainsi, 45 % le font

assez souvent, et 49 % parfois. La nécessité de constat du décès par un médecin semble être

bien connue des familles. D’après les réponses infirmières, ce constat ne serait mal connu que

dans 29 % des cas. En revanche, les conditions de transport du corps apparaissent comme mal

connues dans 90 % des cas. Les commentaires libres ont permis de mettre en évidence

plusieurs aspects distincts : le délai de conservation du corps à domicile, le libre choix d’une

entreprise de pompes funèbres, le lieu où sera déposé le corps en attente de l’inhumation ou

de la crémation.

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Rétrospectivement, une nuance aurait sans doute pu être portée à la question. Sachant qu’il

peut s’agir en effet d’une méconnaissance réelle des démarches, mais aussi d’un trouble lié à

la situation, le proche perdant sa capacité à réfléchir, à rassembler ses idées, perdant en

quelque sorte ses moyens.

Cet aspect a été évoqué à juste titre par différents commentaires, évoquant bien le trouble, le

fait d’être submergé et paralysé par l’émotion suscitée.

Un échange, plus subtil :

Au-delà des soins au corps et de l’aide apportée concernant certaines démarches, les

infirmiers sont amenés à échanger avec les proches. Échange qui se traduit par une discussion

plus ou moins approfondie.

Ainsi, 42 % établissent cette discussion assez souvent, 29 % parfois, 26 % toujours.

Cette conversation permet d’aborder plusieurs thèmes récurrents, mis en évidence par les

commentaires.

Ainsi les remords, les regrets sont très présents dans le discours des proches. La vie du défunt

est évoquée, les uns regrettant les jours heureux, les évoquant avec nostalgie. D’autres relatant

les erreurs, les conflits, les mots prononcés trop vite, les actes malheureux.

« Si le souvenir-regret est voisin du remords, c’est que le regret de l’irréversible et le remord

de l’irrévocable ne peuvent être entièrement dissociés… L’homme regrette son bonheur enfui,

sa jeunesse « en allée », mais il ne regrette pas moins, à l’inverse, la faute qu’il a commise ; il

regrette celle-ci et ceux-là, celle-ci parce qu’il voudrait ne l’avoir jamais commise, ceux-là

parce qu’il voudrait les revivre. » 113

Les proches reviennent aussi sur le vécu de la maladie et les circonstances du décès, certains

ayant besoin d’être rassurés sur l’absence de souffrance, le soulagement de la douleur.

La quête de sens apparaît dans cette discussion, elle est évoquée par de nombreux infirmiers.

Le proche recherchant la faute, l’erreur commise, justifiant une fin de vie considérée comme

injuste. Les croyances éventuelles sont intimement mêlées à cette quête.

Enfin, en dernier lieu, le proche évoque parfois l’avenir, ses perspectives, sa capacité ou non

de survivre à cette disparition de l’être aimé.

La teneur de cette discussion entre l’infirmier et le proche se révèle être très riche, de par la

diversité des sujets abordés, mais aussi leur profondeur.

113 Jankélévitch, V., L’irréversible et la nostalgie, op.cit., p.326.

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Des mots, difficiles à trouver :

La grande majorité des infirmiers (97 %) estime que les mots employés ont une portée non

négligeable sur les proches et 61 % d’entre eux peinent à trouver le mot juste.

Plusieurs évoquent la difficulté à trouver les mots face à celui qui vient de perdre un être cher.

« Pourquoi faudrait-il savoir quoi dire à celui qui devient veuf ou orphelin, quand toute

l’intelligence de la mort nous vient de partager notre incapacité à savoir ce dont il

s’agit? »114

La quête de sens est largement relatée par les infirmiers. Quel discours peut-on avoir face à

celui qui cherche un sens à la douloureuse perte qu’il vient de subir? Doit-on donner sens à

cette perte, quelle attitude adopter?

D’après Elisabeth Kubler-Ross, il n’est pas nécessaire de trouver un sens ni d’élaborer une

réponse à ce questionnement :

« Selon moi, ce phénomène procède de notre besoin de rationnaliser et de donner un sens à la

mort d’un être cher pour masquer notre manque de préparation et notre difficulté à parler à

une famille endeuillée. C’est pour la consoler que nous tentons de trouver une explication

précise à la mort. Il me semble que pour vous, la meilleure forme de consolation consisterait

à tenir la main d’un membre de la famille dans la vôtre et à lui faire sincèrement partager vos

sentiments. » 115

Face à ces difficultés, plusieurs infirmiers expliquent laisser place au silence et permettre aux

proches de verbaliser leurs ressentis en premier lieu. Les mots de l’infirmier se posent ensuite,

se faisant l’écho de ce qui a été exprimé dans cet échange. L’usage de la reformulation ayant

été beaucoup cité.

Qualifiant cette écoute, les infirmiers estiment devoir faire preuve de douceur, de calme, être

posés, sereins, se montrer disponibles, sans paraitre envahissants. Rester professionnel et

respectueux.

Certains rassurent les proches, réconfortent, atténuent les regrets. Cet aspect peut être source

de questionnement. Est-il juste d’atténuer la douleur par le biais du discours tenu aux proches.

Devant la souffrance, il peut être tentant de vouloir livrer au proche les mots rassurants qu’il

souhaite entendre. Or, bien que compréhensible, cette tentative d’aide peut parfois manquer

de justesse. D’après Marie-Sylvie Richard, « L’aide proposée aux endeuillés n’a pas pour

114 Baudry, P, La place des morts, op.cit., p.163. 115 Kubler-Ross, Elisabeth, Accueillir la mort, Editions du Rocher, Paris, 2002, p.110.

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visée de minimiser ou d’atténuer leur souffrance, mais de les aider à l’accueillir, à la

ressentir. »116

Et cette écoute, qui limite les mots, qui évite les pièges, est très difficile à établir. Délicat

exercice que d’écouter une souffrance sans pouvoir y apposer de mots qui adoucissent,

apaisent, rassurent. Écouter dans un instant d’une telle intensité ne peut être si évident,

l’infirmier pouvant être partagé entre ses connaissances théoriques et la réalité de ce qu’il vit

en cet instant. Cet écart entre le mental et l’émotionnel est une réalité inhérente à ce moment.

D’où sans doute la nécessité de travailler sur cette écoute, afin de trouver une certaine justesse

dans les prises en charge ultérieures. L’écoute serait sans doute comparable à un art qui se

travaille, se construit, se dessine, évoluant au gré du travail personnel effectué par le soignant.

Une juste place :

Évoquer ce que peut apporter la présence de l’infirmier après le décès ne doit pas nous faire

oublier l’humilité inhérente à cette démarche. Cet aspect a été souligné à très juste titre par

plusieurs infirmiers. En effet, l’aide est avant tout une proposition, une invitation. Elle ne peut

en aucun cas s’imposer :

« Malheureusement, la vulnérabilité de la fin de vie alimente la sensation de pouvoir que

certains soignants pensent avoir et qu’ils justifient par un discours instrumenté de soins de

qualité, ramenant les patients et leurs familles à des objets de soins. Ainsi, les soignants

doivent savoir garder leur place, toute leur place, mais rien que leur place. » 117

Elle est avant tout définie par le besoin des proches, et saura se conformer, s’adapter, se plier

à la tonalité et la couleur de l’instant.

L’intervention de l’infirmier n’a pas vocation à façonner, formater l’instant, selon l’image

idéale qu’il peut en avoir, au regard de ses connaissances et de ses expériences.

Ainsi, sa vision des choses reste personnelle et ne demeure que sa vérité. Chaque membre de

la famille doit être présent à cet instant, en accord avec ses ressentis, ses capacités, ce qu’il se

sent capable d’accueillir, de voir, d’entendre. Libre de rester ou de fuir. De voir ou de fermer

les yeux. Aucune contrainte ne saurait être acceptable et juste vis-à-vis d’un proche confronté

à la mort d’un être cher.

À chacun d’accepter et de respecter ses limites. L’infirmier peut sans doute veiller à maintenir

cette autonomie si précieuse :

116 Richard, M-S, Soigner la relation en fin de vie, op.cit., p.115. 117 Richard, Christian, Accompagnement de l’entourage, valeurs et limites, Objectif Soins, Janvier 2004, n° 122, p.20.

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« Être autonome, c’est être libre de décider à chaque instant ce qui est bon pour soi, le cadre

et les règles auxquelles on se soumet. »118

Intuitivement, chacun sait mieux que personne ce qu’il peut ou non vivre de cet instant.

L’ambiance de l’instant est au centre de l’attention. 71 % des infirmiers pensent avoir un rôle

à jouer concernant l’ambiance qui régnera dans la pièce où se trouve le défunt, ou plus

largement, à son domicile.

Cette ambiance si particulière

97 % des infirmiers estiment que leur attitude globale est importante.

Plusieurs mots clés qualifiant l’ambiance idéale ont été largement cités : le calme,

l’apaisement, la sérénité.

Les infirmiers s’en réfèrent aux différents sens permettant de percevoir cet instant clé :

La vision sur la scène est envisagée : l’apparence du défunt, son installation, l’aspect de la

pièce, la disparition des objets médicaux, la luminosité semblent autant d’éléments qui

prennent de l’importance lorsqu’ils sont soumis aux regards des proches. L’odeur régnant

dans la pièce est citée à quatre reprises. Le bruit est également pris en compte, avec le souci

de le limiter au maximum, et la volonté de certaines familles d’associer une musique

particulière à cet instant.

La relation au défunt est entrevue : Beaucoup d’infirmiers relatent le fait de dégager le

pourtour du lit et d’y placer plusieurs assises : un détail ayant son importance, permettant aux

proches de s’approcher du défunt à différents niveaux et de s’asseoir à ses côtés.

Enfin apparaît l’accompagnement des proches, avec la notion d’écoute : de la famille, des

amis, présents ou tout juste arrivés. Les infirmiers ayant le souci d’accueillir les proches au

fur et à mesure de leur arrivée au domicile. La juste place de l’infirmier est évoquée, avec un

souci de disponibilité, tout en sachant faire preuve de discrétion.

118 Bensaid,.C, La musique des anges, s’ouvrir au meilleur de soi, op.cit., p.75.

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Les commentaires des infirmiers concernant cet instant laissent percevoir un réel engagement.

Leur disponibilité, leur présence, le souci porté aux proches sont des éléments qui révèlent

une volonté d’être pleinement engagés dans cet instant clé de la vie des familles.

Un instant empreint d’engagement

Cet aspect, largement mis en lumière par l’enquête exploratoire, peut susciter un

questionnement.

Cet engagement important de l’infirmier libéral pourrait être mis en lien avec la rareté d’une

telle situation dans sa pratique. En effet, les décès à domicile étant occasionnels, nous

pourrions émettre l’hypothèse que l’investissement au sein d’une situation ponctuelle, isolée,

soit plus important que si celle-ci se présentait fréquemment.

Autre facteur pouvant influencer cet engagement, la connaissance ancienne du patient et le

fait d’avoir établi une relation de longue date. Les liens tissés avec la famille peuvent être un

élément déterminant cette volonté de l’infirmier à répondre présent.

Au-delà de ces simples suppositions, quel peut être le mouvement psychique qui presse

l’infirmier à se déplacer, à donner de son temps?

Au-delà de sa conception du métier, du strict cadre de ses compétences, pourquoi cette

présence?

Le philosophe Damien Le Guay évoque à ce propos le concept de vocation humaine :

Cette vocation humaine est convoquée lorsque le soignant se retrouve face au mourant, mais

nous pouvons aussi penser qu’une telle conception soit engagée dans l’instant qui suit le

décès.

La souffrance vécue par les proches peut être un appel profond et cette présence s’impose, se

pose, indiscutable, incontournable. Levinas quant à lui, parle d’une épreuve d’humanité.

Face à la souffrance des proches, l’infirmier pourrait passer en quelque sorte cette épreuve

d’humanité.

D’après André Comte-Sponville, « Il y a place ici pour un nouvel humanisme, qui ne serait

pas jouissance exclusive d’une essence ou des droits qui y sont attachés, mais perception

exclusive_ jusqu’à preuve du contraire_ d’exigences ou de devoirs que la souffrance de

l’autre, quel qu’il soit, nous impose. » 119

Damien Le Gay explique cette vocation proprement humaine, qui est celle du

désintéressement et du souci de l’autre. L’homme, interpellé dans son humanité, a la faculté

de se décoller de lui-même, de vivre pour l’autre, de prendre en charge celui qui est davantage

119 Comte-Sponville André, Petit traité des grandes vertues, presses universitaires de France, Paris, 1995,p.149.

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dans l’épreuve qu’il ne l’est lui même. Cela passe par le visage, le visage qui appelle, qui

regarde.

Cette vocation réquisitionne le soignant et semble dépasser le raisonnement.

Ce mécanisme a lieu, même « en position d’inconfort, et même si la reconnaissance sociale

n’est pas là » soutient Damien le Gay.

Cet aspect qu’est la reconnaissance sociale est à souligner, car l’infirmier libéral n’est pas

forcement reconnu dans ses actions discrètes, singulières, et souvent peu ébruitées. Cet aspect

a d’ailleurs été relaté dans plusieurs questionnaires.

Les infirmiers interrogés évoquaient différentes valeurs semblant teinter leurs actions : le

souci du prochain, la gentillesse, la compassion.

Ces valeurs sont individuelles, et plus ou moins développées, en fonction du parcours de

chacun. Le Dalaï-lama définit ce qu’il appelle « la spiritualité élémentaire » :

« Il s’agit des qualités humaines de base, la bonté, la gentillesse, la compassion, le souci des

autres… En tant qu’êtres humains, en tant que membres de la famille humaine, nous avons

tous besoin de ces valeurs spirituelles élémentaires. »120

Cette compassion a été largement citée par les infirmiers. En effet, comment approcher celui

qui souffre sans être sensible à ce qui l’atteint, à ce qui le touche? Ce sentiment est sans doute

un moteur fort de l’engagement en cet instant :

« Une fois admis que la compassion n’a rien d’infantile ou de sentimental, qu’elle est

réellement digne d’intérêt une fois perçue sa valeur profonde, cela donne immédiatement la

volonté de la cultiver. »121

Sans doute l’approche infirmière est-elle empreinte de cette compassion.

Gratuité : Pour une majorité de soignants, l’aide apportée aux familles ne donne lieu à

aucune rémunération. C’est le cas pour 68 % des infirmiers interrogés, qui agissent toujours

gratuitement. 26 % répondent « assez souvent » à cette même question. Certains d’entre eux

considèrent cela comme tout à fait normal, cette démarche étant volontaire et ne répondant à

aucune prescription. En effet, le soutien effectué auprès des familles ne donne lieu à aucune

prescription médicale. Effectuer cette aide demeure un choix personnel qui se veut être en lien

et en accord avec certaines valeurs. Cette logique de don présente dans la démarche infirmière

120 Le Dalaï-lama, et Cutler .H, L’art du bonheur, op.cit., p.273. 121 Ibid. p.68.

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peut susciter la curiosité, faisant indéniablement écho aux fondements historiques de la

profession, initiée par les religieuses.

Mais cette démarche peut être en partie expliquée par la grande réciprocité de l’échange ayant

lieu en cet instant.

« L’idée de générosité n’est jamais très loin lorsqu’on évoque le don. Et elle peut être objet

de gratitude, perçue comme étant un supplément d’âme ajouté au professionnalisme, elle est

aussi objet de méfiance : quand elle s’accompagne par exemple d’un débordement affectif

suscitant un positionnement professionnel déviant. »122

Bien que le don puisse sembler suspect dans une société qui valorise bien plus le profit ou

l’échange de bons procédés, il peut aussi sembler louable, dans une situation si délicate et

douloureuse.

L’empathie vis-à-vis des familles, l’hommage rendu au défunt semblent être des moteurs forts

à cette forme d’entraide et de soutien. Cet acte gratuit évoque une forme de don de soi, dans

un instant d’une intensité que l’on peut qualifier d’exceptionnelle.

Le plaisir

La question « Aimez-vous être présent auprès des proches à cet instant » a fait réagir certains

soignants. Quelques-uns m’ont interpellée au sein du questionnaire, précisant que ce mot

n’était pas celui qu’ils auraient choisi. En effet, le choix de cette formulation n’est sans doute

pas neutre et la question soulevée par leurs commentaires est tout à fait légitime. Certains

d’entre eux ont spécifié préférer l’usage d’autres termes: plaisir d’un travail bien fait, devoir

vis-à-vis des proches, être en accord avec ses valeurs.

Il s’agirait d’un devoir, sans doute, au regard de la majorité des interrogés : 78 % d’entre eux

estiment que l’aide apportée aux proches en cet instant fait partie intégrante de la profession

infirmière.

Bien que divisés concernant la sémantique de la question, « Aimez-vous être présent auprès

des proches en cet instant », 70 % d’entre eux ont répondu oui, et 24 % non. 6 % se sont

abstenus de répondre. Une abstention à considérer avec grand intérêt, en lien direct avec

l’aspect déstabilisant de la question et sans doute de sa formulation.

Pour autant, la notion de plaisir, bien que nuancée, est semble-t-il à prendre en compte dans

l’exercice de la profession.

122 Marmilloud,.L, Soigner, un choix d’humanité, op.cit., p.77.

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L’infirmier peut-il aimer, ressentir du plaisir au travers de son exercice, et plus

particulièrement dans un moment si difficile pour son prochain?

Dans l’affirmative, peut-il l’admettre sans être soupçonné de se réjouir du malheur d’autrui?

Face à la souffrance, apporter une aide, un réconfort donne du sens à la présence soignante.

Cette quête de sens est intimement liée au cheminement intérieur des infirmiers, qui sont au

plus près du patient et de ses proches.

Ce rapport perpétuel et récurrent à la mort, à la maladie ne peut être que le terrain fertile d’un

questionnement permanent sur le sens et la qualité de la relation entretenue avec les patients.

Avoir plaisir à soutenir le prochain, l’aider porte parfois une large connotation négative, le

regard critique pouvant n’y voir qu’une forme de perversion ou de don suspect.

« Le plaisir des soignants à donner de soi fût largement perverti par l’histoire religieuse dont

la profession a encore bien du mal à s’émanciper. »123

En effet, l’implication soignante est sans doute corrélée au plaisir de donner, d’aider,

d’accompagner. Donner de la valeur, du sens à son métier, ses mots, ses gestes.

Face aux patients en fin de vie, puis aux proches endeuillés, l’infirmière, au cœur d’une

intensité affective, émotionnelle, plus forte que jamais, donne du sens à sa profession.

« Même s’il est rarement évoqué, il faut bien parler de ce plaisir sans lequel la profession

infirmière ne serait qu’un métier épouvantablement ingrat et probablement impraticable. » 124

« Le geste moral peut avoir quelque chose du rapace qui se nourrit de la détresse et de

l’angoisse de l’autre en y trouvant une consistance ou une légitimité. »

Toutefois, il peut y avoir une forme malsaine à cette approche, décrite par J.D Causse :

125

Il est possible que cet aspect soit un élément ayant suscité les remarques des infirmiers. Le

terme de plaisir, d’amour du métier, au cœur de cet instant, évoque sans doute autant ce qu’il

peut révéler de noble que de pervers. Ces notions, n’étant pas neutres, peuvent prêter à toutes

sortes d’interprétations diamétralement opposées.

Cet aspect met d’autant plus en lumière la nécessité de clarifier ses intentions, sa démarche,

en faisant preuve d’une réelle introspection.

.

123 Perraut-Soliveres, Anne, Infirmières, le savoir de la nuit, Presses universitaires de France, 2002, p.243. 124 Ibid., p243. 125 Causse,.Jean-Daniel, L’instant d’un geste. Le sujet, l’éthique et le don, Labor et Fides, 2004, p.27.

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Un instant source de questionnements

Une formation plébiscitée:

71 % des infirmiers interrogés pensent qu’une formation concernant « l’après-décès » pourrait

les aider. Ils sont donc une majorité à vouloir parfaire leurs connaissances dans ce domaine

bien précis.

L’intérêt de la formation serait de donner des repères intellectuels, éthiques, psychoaffectifs

aux infirmiers.

« La formation est un des moyens essentiels, socialement organisés, pour nous permettre ou

nous imposer l’élaboration ou le réaménagement des repères dont nous avons besoin pour

nous situer dans chacune des positions sociales que nous occupons ou pour effectuer des

tâches dont nous avons la responsabilité. »126

Face à la mort, les soignants sont amenés à se questionner sur leurs croyances, leurs

connaissances, leur système de valeurs et leur savoir-être.

« La fréquentation de la maladie, de la souffrance et de la mort suppose des systèmes de

défense efficaces et souples que la formation peut contribuer à enrichir et à nuancer, aussi

bien sur le plan intellectuel que sur les plans psychologique ou organisationnel. 127

Toute activité permettant la réflexion, l’apport de connaissances peut être d’un intérêt

indéniable pour le soignant. Les groupes de parole, d’échange et d’analyse de la pratique ainsi

que les formations sont autant de moyens d’y parvenir.

« La pratique des soins palliatifs est donc, à l’évidence, doublement concernée par la

formation, l’éducation et le conseil. D’une part dans la mise en œuvre des soins, vis-à-vis du

patient et de leur entourage ; d’autre part à l’égard des soignants et des institutions de soins

qui ont besoin de soutien et de conseils pour agir, évoluer et supporter les souffrances qui

leur sont adressées. »128

La formation, au-delà des connaissances qu’elle véhicule, aurait sans doute la possibilité de

donner quelques clés pour mieux vivre ces situations si singulières, intégrant le fait que

l’infirmier à domicile est relativement isolé. Cet isolement a par ailleurs été cité par plusieurs

d’entre eux, évoquant la solitude inhérente à l’exercice libéral. Partager ses expériences serait

donc un apport intéressant.

126 Hirsch, Emmanuel (dir). Rédaction Patrice Dubosc, Face aux fins de vie et à la mort. Espace éthique / AP-HP, Vuibert, 3°édition, 2009, p

127 Ibid, p 128 Ibid, p. 100, Alain Bercovitz.

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Supervision :

De nombreux infirmiers regrettent de ne pas avoir accès à un groupe de parole pour analyser

leurs pratiques. Les termes supervision, débriefing ont été cités. Cette volonté de réfléchir au

sujet de ses pratiques est clairement apparue au sein des réponses. Plusieurs d’entre eux

expliquent se réunir entre collègues pour évoquer leurs difficultés, et échanger à ce sujet.

« La supervision semble être un bon moyen de décoder les situations permettant de modifier

certains comportements envers les patients. »129

Elle pourrait être un moment de partage riche, permettant de distinguer les différents

comportements face à une situation similaire.

La solitude des soignants s’y effacerait, permettant la circulation de l’information, l’analyse

des pratiques et des attitudes.

Le partage des expériences au sein d’un groupe peut être intéressant et permettre une remise

en question constructive. Partager ses questionnements, ses difficultés, mais aussi ses

solutions, ses astuces peut être grandement valorisant et riche pour chacun. En effet, de

nombreux infirmiers ont une expérience fort instructive et enrichissante de l’instant qui suit le

décès.

Le questionnaire et les réactions qu’il a suscitées l’ont bien démontré. De grands

développements écrits ont été relatés, avec un réel désir de partager à ce sujet.

Cette supervision peut manquer à certains infirmiers à domicile, du fait de l’exercice au sein

d’une équipe restreinte ou en solitaire.

Comment évaluer la qualité de l’aide apportée par l’infirmier en cet instant? Quelles attitudes

peuvent être considérées comme positives ou négatives? Et serait-il possible d’évaluer de

manière fiable?

Un instant difficile à évaluer

Comme le dit Albert Einstein : « Ce qui peut être compté ne compte pas toujours, et ce qui

compte ne peut pas toujours être compté. »

La qualité du soin, de la prise en charge, aux yeux de l’infirmier, peut être considérée au-delà

des chiffres et des statistiques :

129 Daydé, Marie-Claude, La relation d’aide en soins infirmiers, aspects réglementaires et conceptuels, Soins, n°731-

Décembre 2008, p.31.

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« La qualité dont parle ces infirmières, c’est celle de leur quotidien, c’est le plaisir de faire un

bon travail, reconnu par sa hiérarchie, ses pairs, et ses patients. C’est le plaisir de faire un

travail qui a du sens, d’en maitriser les méthodes et de les changer si nécessaire… C’est une

qualité non mesurable par des échelles, des scores. C’est une qualité qui s’insère mal dans les

présentations PowerPoint ou les tableaux Excel. C’est une qualité intimement liée à des

échanges humains nombreux, permanents, informels. C’est une qualité qui privilégie l’action,

l’innovation, l’autonomie réelle associée à un bon relationnel avec les autres groupes comme

celui des médecins ou des administratifs. »130

En effet, la complexité de ce qui se joue en cet instant peut être approchée, évoquée, discutée,

mais son évaluation, si celle-ci doit être envisagée, ne peut être si évidente.

En revanche, obtenir le regard des familles pourrait être un moyen de percevoir l’utilité de

l’intervention infirmière. La justesse d’une action devant sans doute être l’objet d’un feed-

back, d’une rétroaction.

Un instant bien éloigné des protocoles

Évoquer les différentes perceptions, pratiques, habitudes concernant l’instant qui suit le décès,

ne peut empêcher de se poser une question, si contestable soit-elle :

Voulant faire au mieux, serait-il envisageable et salutaire de définir une sorte de conduite à

tenir idéale? Plusieurs infirmiers ont soulevé ce thème, et tous ont fait part de leur

exaspération face à ces protocoles qui inhibent toute autonomie et responsabilité.

D’après le Dr Dominique Dupagne, le fait d’établir des procédures figées retire toute latitude

et paralyse l’action soignante :

« Avec une définition de ce qui est autorisé, ou tout au moins vivement recommandé, la

liberté d’action est brutalement restreinte à un dénominateur commun sclérosant. L’homme

est transformé en machine dépendante de celui qui la programme. La perversion de la qualité

apparaît dès son nom. »131

Rechercher la qualité des soins est tout à fait louable et, comme le dit bien Franck Lepage :

« Qui oserait être contre la qualité? »

132

130 Dupagne, Dominique, La revanche du rameur, Michel Lafon, Neuilly-sur-Seine, 2012, p.247.

.

131 Ibid., p.122. 132 Lepage, Franck, Incultures, tome1, Editions du cerisier, 2007.

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Cette recherche de la justesse est indispensable. Or celle-ci ne passe pas forcément par

l’apprentissage d’un descriptif détaillé, cadré et rigide de ce qui doit être mis en œuvre.

Ce cadre de référence externe n’est pas toujours celui qui s’avère le plus efficace ou même le

plus juste. Il peut être parfois bien loin de la réalité.

Le bon sens ne risque-t-il pas de s’effacer au détriment d’un protocole trop rigide?

« Nous n’avons besoin que d’une chose, du bon sens. Bien souvent, hélas, l’abus de

connaissances philosophiques ou scientifiques appauvrit le bon sens. Les excès de

connaissances rendent parfois aveugles aux vérités les plus simples. »133

L’introspection, la remise en question, le partage d’expériences sont des outils qui non

seulement valorisent le soignant, mais donnent des résultats dont la portée et la profondeur

seront bien plus intéressantes.

De même, il est impossible de prévoir chaque situation, devant la richesse et l’unicité des

individus : singularité de l’entourage, des conditions du décès, de l’histoire de la famille, de la

relation soignant-soigné.

« Dans l’action humaine et les services, comme dans le monde vivant en général, l’imprévu

est la règle. »134

La recherche de la qualité peut être étroitement liée à l’épanouissement professionnel, au libre

arbitre, à l’autonomie, à la juste et créative expression de ce qu’est chaque infirmier, au sein

de sa pratique.

Une procédure rigide, même adaptée à l’instant si singulier qui suit le décès, ôterait sans doute

la subtilité et la richesse qui font l’essence même de cet instant.

Une juste place :

Évoquer ce que peut apporter la présence de l’infirmier après le décès ne doit pas nous faire

oublier l’humilité inhérente à cette démarche. Cet aspect a été souligné à très juste titre par

plusieurs infirmiers. En effet, cette aide est avant tout une proposition, une invitation. Elle ne

peut en aucun cas s’imposer :

« Malheureusement, la vulnérabilité de la fin de vie alimente la sensation de pouvoir que

certains soignants pensent avoir et qu’ils justifient par un discours instrumenté de soins de

qualité, ramenant les patients et leurs familles à des objets de soins. Ainsi les soignants

doivent savoir garder leur place, toute leur place, mais rien que leur place. » 135

133 Egli, René, Le principe LOLA, Le dauphin blanc, 2003, p.13.

134 Dupagne, D, La revanche du rameur, op.cit., p .127. 135 Richard, Christian, Accompagnement de l’entourage, valeurs et limites, Objectif Soins, Janvier 2004, n° 122, p.20.

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La place de l’infirmier est avant tout définie par le besoin des proches, et il saura se

conformer, s’adapter, se plier à la tonalité et la couleur de l’instant.

L’intervention de l’infirmier n’a pas vocation de façonner, formater l’instant, selon l’image

idéale qu’il peut en avoir, au regard de ses connaissances, de ses expériences.

Ainsi, sa vision des choses reste personnelle et ne demeure être que sa vérité. Chaque membre

de la famille doit être présent à cet instant, en accord avec ses ressentis, ses capacités, ce qu’il

se sent capable d’accueillir, de voir, d’entendre. Libre de rester, ou de fuir. De voir, ou de

fermer les yeux. Aucune contrainte ne saurait être acceptable et juste vis-à-vis d’un proche

confronté à la mort d’un être cher.

À chacun d’accepter et de respecter ses limites. L’infirmier peut sans doute veiller à maintenir

cette autonomie si précieuse :

« Être autonome, c’est être libre de décider à chaque instant ce qui est bon pour soi, le cadre

et les règles auxquelles on se soumet. »136

Intuitivement, chacun sait mieux que personne ce qu’il peut ou non vivre de cet instant.

Un instant, et après?

Le suivi des proches :

Durant les soins palliatifs, les proches sont écoutés, soutenus, entourés avec la plus grande

attention. La démarche soignante les intègre à juste titre jusqu’au décès de celui qu’ils ont

accompagné.

Or la survenue du décès marque la fin des passages infirmiers, qui souvent étaient pluri-

quotidiens.

Ces temps d’échanges informels autour d’un café, dans un coin de salon, sur le pas de la

porte, malgré leur simplicité apparente, avaient une importance non négligeable.

La relation tissée, les mots, l’écoute faisaient pleinement partie de la prise en charge des

proches.

Les familles sont coupées aussi subitement de cette relation qu’elles le sont du défunt.

Coupure brutale des visites, confrontation à une maison devenue vide, la solitude des

survivants est à prendre en compte.

136 Bensaid,.C, La musique des anges, s’ouvrir au meilleur de soi, op.cit., p.75.

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Or aucune place n’est faite à l’infirmière après le décès. Le suivi des proches endeuillés

n’existe pas au niveau de la nomenclature des actes infirmiers, dressée par la sécurité sociale.

Seul le patient est considéré, et lorsqu’il n’est plus, ses proches ne sont en aucun cas objet de

soin.

Il est donc impossible de réaliser ce suivi après le décès, n’ayant plus d’actes infirmiers à

prodiguer au sein du foyer. Aucun dispositif ne permet à l’infirmier d’exercer un quelconque

rôle auprès des familles à domicile.

Cela pourrait sembler regrettable, sachant la connaissance que celui-ci a de la famille, des

éléments passés, des différentes problématiques et interactions familiales.

Ce partage commun des événements au sein du foyer aurait été sans doute un atout dans la

relation.

Malgré cela, les infirmiers sont souvent amenés à revoir les proches. 48 % d’entre eux les

revoient assez souvent, 42 % parfois, 10 % toujours. Les rencontres fortuites sont largement

évoquées au sein des commentaires libres. Les infirmiers étant intégrés au paysage urbain, ils

exercent dans un secteur géographique bien restreint et défini. Les occasions sont donc

fréquentes de croiser les proches endeuillés. Mais au-delà des rencontres aléatoires, un grand

nombre d’infirmiers affirment se rendre volontairement auprès de la famille à la suite du

décès.

Certains précisent programmer cette visite deux semaines ou un mois plus tard.

Celle-ci a sans doute un intérêt partagé et les infirmiers évoquent deux raisons principales la

justifiant :

La première est motivée par la nécessité de boucler la relation dans la sérénité. Elle permet en

quelque sorte de finaliser la prise en charge, à distance de l’intensité émotionnelle suscitée par

le décès.

La deuxième est centrée sur l’intérêt du survivant : Dépister sa détresse, son isolement ou ses

difficultés éventuelles. Le proche ayant souvent besoin de partager ses ressentis, d’être

entendu et reconnu dans sa souffrance, sa légitimité, prenant à témoin celui qui sait, qui a vu,

qui ne peut que reconnaître cette réalité. Cela permet de reparler de la période palliative, du

décès et du manque.

Nombreux sont les proches ayant besoin de clarifier des éléments précis de la prise en charge

antérieure. Ayant parfois des questions restées sans réponses, il est important pour eux de

trouver des éléments leur permettant d’apaiser certaines inquiétudes.

Les infirmiers évoquent à maintes reprises le soulagement de la douleur ou encore,

l’acceptation de la mort par le patient.

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La culpabilité des survivants est souvent présente lors de ces échanges, certains ayant besoin

d’être confortés, rassurés sur le fait d’avoir agi au mieux. Le tissu familial et amical parfois

très pauvre ne permet pas toujours d’exprimer suffisamment les difficultés.

« La solitude de l’endeuillé privé de l’aide des autres est préjudiciable pour son équilibre

psychologique. »137

Le proche a besoin de parler du passé, de faire revivre devant témoin ce qu’était la personne

qui s’est éteinte :

« Comme l’irréversible ne sera jamais revécu, la conscience, souffrant de ce vide qui se

creuse derrière elle, cherche à redonner un corps et une consistance au passé vaporeux. »138

Face à la solitude des endeuillés, il est possible que certains soignants veuillent remplir un

rôle qu’il leur est impossible de tenir :

« La loi du 9 juin 199 …peut parfois renforcer l’illusion chez certains « palliatologues »

d’être investis d’une mission de prise en charge du patient et de son entourage avant et après

la mort. »139

Cela peut être le cas lorsque l’infirmier est face à un proche isolé. Il est compréhensible qu’il

s’investisse au-delà de son champ d’action, percevant la grande difficulté de certains proches.

Où se situe la frontière entre le rôle infirmier et le rôle social, puisque de toute évidence,

l’infirmier remplit une tâche pour laquelle personne n’est officiellement assigné?

Remédier à un manque, hors du contexte de son domaine de compétence, devient un

problème de société. Cela met l’accent sur certaines insuffisances, la société peinant peut être

à prendre en compte les proches endeuillés.

« L’accompagnement des familles, c’est aussi de la responsabilité de la société. Entraide,

compréhension, solidarité envers celui qui souffre et se sent différent, sont à développer et à

faire entrer dans la culture, voir l’éducation. » 140

À distance du décès, les infirmiers décrivent l’isolement des proches, certains ayant le

sentiment que la société ne prête guère attention au suivi du deuil et aux difficultés qui en

découlent.

Les associations existantes peuvent être d’une aide précieuse, permettant à l’endeuillé d’être

soutenu et accompagné dans son cheminement. Restent plusieurs questions qui peuvent être la

base d’une réflexion à plus long terme :

137 Thomas-V, Que sais-je, la mort, op.cit., p.108. 138 Jankélévitch, V., L’irréversible et la nostalgie, op.cit., p.271. 139 Richard, Christian, Accompagnement de l’entourage, valeurs et limites, Objectif Soins, art.cit., p.20. 140 Plon, F, Questions de vie et de mort. Soins palliatifs et accompagnement des familles, op.cit., p.106.

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Ces associations sont elles suffisamment connues du grand public?

Notre société devrait-elle prendre davantage en compte le suivi des personnes endeuillées?

Devrait-elle aller au-devant de leurs besoins, les solliciter, leur tendre la main, ou au contraire

attendre que cela soit une démarche purement volontaire de leur part?

Est-ce le rôle de la société dans son ensemble de définir une prise en charge précise,

rigoureuse, administrative? Ou cela doit-il rester une démarche solidaire, individuelle, basée

sur l’entraide mutuelle et assurée par le réseau relationnel du survivant?

Quelle place pourrait être faite à l’infirmier qui, une fois les soins terminés, ne peut plus

exercer aucune aide auprès de ceux qu’il a soutenus et qu’il connaît parfaitement?

Conclusion

Par ce travail, je souhaitais approcher et comprendre ce qui se jouait pour les proches en cet

instant particulier qui suit le décès. Je voulais percevoir l’incidence que pouvaient avoir la

présence et l’attitude de l’infirmier.

Tout d’abord, la recherche théorique, basée essentiellement sur la bibliographie, m’a permis

de mettre en lumière les différents aspects de ce temps si particulier.

Cet instant m’a semblé cristalliser à lui seul un large panel d’émotions, d’interrogations et de

sentiments. Bien qu’il soit éphémère, il semble suspendre le temps, laissant aux proches la

sensation étrange d’être dans une dimension particulière, parfois inexplicable.

L’intensité des émotions face à la perte, à la vue du corps, se mêle aux questionnements sur le

sens, le mystère de la vie. Cette scène suscitant des sentiments aux nuances infinies, à l’image

de la personnalité de chacun, de son histoire, de ses croyances, de sa force, de ses fragilités.

Les pensées se succèdent, se contredisent, se précipitent. La colère, la tristesse, la révolte

côtoient le soulagement, la culpabilité, les remords ou les regrets. Les larmes se retiennent,

pudiques, ou s’expriment, inconsolables.

De cette scène, le proche percevra parfois un détail : une image, une odeur, un mot, un geste,

qui s’imprimera malgré lui parmi ses souvenirs.

Au cœur de ce temps suspendu, le rituel s’insinue, subtilement, dans une relation nouvelle

face à celui qui n’est plus. Les gestes, les mots, les regards adressés à ce corps sans vie sont

un premier pas, hésitant, sur ce long chemin difficile qu’est le travail de deuil.

Face au choc et à la vulnérabilité de certains proches, l’intervention infirmière pourrait être

bénéfique, sous plusieurs aspects.

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La présentation et l’apparence du défunt font l’objet de tous les soins, sachant que ce visage,

ce corps, vont être exposés aux regards, et sans doute gardés en mémoire.

L’attention portée à chacun est d’autant plus fine que l’infirmier connaît les proches de longue

date.

Une confiance permettant l’échange de mots, de gestes, de regards qui apaisent, soulagent.

Une écoute pouvant accueillir le silence, l’infirmier ayant été témoin de ce passé, de la

maladie, de ce long parcours. Il sait.

Les réponses et les commentaires des infirmiers ont apporté un éclairage concernant leurs

pratiques et leur approche de cet instant.

Les éléments obtenus, au regard du nombre de réponses, ne peuvent être généralisés, et une

grande prudence s’impose quant à leur impact réel sur la compréhension du thème étudié.

Malgré tout, si modeste soit cette première approche, les éléments recueillis permettent

l’ébauche d’une réflexion.

Cet instant se présente peu souvent dans la vie professionnelle de l’infirmier libéral, la mort

étant de moins en moins fréquente à domicile. Or lorsque cela survient, les infirmiers

s’engagent à accompagner la famille et font preuve d’une disponibilité importante.

Ils sont un soutien pour les proches en cet instant et portent attention à leurs attitudes. Pour

plusieurs, cela est source de questionnement, de réflexion.

La présence infirmière peut être une aide, pour que chaque proche puisse prenne place en ce

lieu, en ce temps limité. Que chacun puisse, selon son désir, son ressenti, son cheminement

trouver la place qui sera la sienne, en accord avec sa plus profonde vérité.

Pour l’infirmier, une juste place, qui ne sera empreinte d’aucune idéalisation et ne sera en

aucun cas soumise à l’idée que d’autres se font de cet instant. Rester ou partir. Regarder ou

éviter. Approcher ou s’éloigner.

Tenir à distance ses propres croyances ou certitudes. Approcher chaque membre de la famille

et lui permettre d’être en accord avec ce qu’il est.

Donner à chacun, s’il le désire, la possibilité de vivre pleinement cet instant où le regard porté

vers le défunt, l’échange, la relation instaurée avec lui, au travers du rite, permettra de mieux

se séparer ensuite.

Vivre pleinement sa peine, aller au fond de sa douleur, de ses émotions, pour avoir la

possibilité de mieux les dépasser ensuite.

Éviter le regret parfois tardif, d’avoir écarté ou écourté cet instant difficile, mais si précieux.

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De ce travail, il découle certainement la nécessité d’approfondir un certain nombre de

questions.

Tout d’abord, obtenir le regard des familles sur le sujet serait important. Connaître leur vécu

de l’instant, à domicile, et les détails ayant eu de l’importance à leurs yeux.

Recueillir ensuite leurs sentiments concernant l’intervention de l’infirmier, percevoir si celle-

ci a pu leur être bénéfique et sous quels angles.

Enfin, envisager le suivi des endeuillés au sein de notre société. Bien qu’ils puissent obtenir

de l’aide, celle-ci est-elle suffisante au regard de la grande vulnérabilité qui est la leur durant

de longs mois?

Car cet « instant d’après » est avant tout une première page, celle d’une vie à venir, à

reconstruire.

Une première ligne maladroite, que la plume peine à écrire.

Mais un ouvrage sur lequel chacun de nous devra un jour se pencher.

« Tout au long de notre vie, nous quittons et nous sommes quittés. Nous avons à renoncer à

une grande part de ce que nous aimons. La perte semble être le prix de l’agrandissement de

la vie. C’est aussi la source de la plupart de nos progrès. » 141

141 Salomé, Jacques, Le courage d’être soi, Pocket, Paris, 2001, p.110-111.

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Nous sommes en juillet

Le ciel clair se fait l’écrin d’un soleil chaud et radieux

La dernière page de mon travail se tourne

Voyage au cœur d’un instant

Opportunité de mûrir, de grandir

Parcourir de nombreux ouvrages

Découvrir la richesse de leurs auteurs, de leurs écrits

Effleurer la mort

Caresser son mystère qui rend si précieuses nos vies

Ressentir la portée des attitudes

Tenir éloignées d’insolentes certitudes

L’infirmière passe

Croise les extrémités de la vie

Délestée du poids de l’ego

Subtilité d’une approche

Proposition d’une présence

Invitation à l’écoute

Esquisse d’un mot, d’un geste

Simplicité d’un partage

Humilité de ne pas savoir

Conscience d’être si peu dans cette immensité qui nous dépasse

Mais tant dans ce partage, ce passage, cette difficile séparation

Juste une « petite main »

Une main tendue à cet autre soi qu’est le prochain

Une aide à traverser notre commune humanité

Juste un, dans ce grand tout

Comme chacun de nous.

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Bibliographie - Volumes

1- Augagneur, Marie-France, Vivre le deuil, Chronique sociale. Avril 1995.

2- Ariès, Philippe, L’homme devant la mort, la mort ensauvagée, Seuil, Paris, 1985, 343 p.

3- Bacqué, Marie- Frédérique, Deuil et santé, Odile Jacob, 1997, 206 p.

4- Bataille, Georges, L’érotisme, Minuit, 2011, 286 p.

5- Baudry, Patrick, La place des morts, L’Harmattan, Paris, 2006, 205 p.

6- Bensaid, Catherine, La musique des anges, S’ouvrir au meilleur de soi, Robert Laffont, Paris,

2003, 160 p.

7- Burdin, Léon, Parler la mort, des mots pour la vivre, Desclée De Brouwer, Paris, 1997, 282

p.

8- Causse,.Jean-Daniel, L’instant d’un geste. Le sujet, l’éthique et le don, Labor et Fides, 2004.

9- Clerget, Joel, la main de l’autre, le geste, le contact et la peau, approche psychanalytique,

Érès, Ramonville Saint-Agne, 1997, 214 p.

10- Comte-Sponville, André, Petit traité des grandes vertues, Presses universitaires de France,

Paris, 1995, 149 p.

11- Cornillot, Philippe et Michel Hanus, Parlons de la mort et du deuil, Frison-Roche 1997,

296 p.

12- De Broca, Alain, Deuils et endeuillés, Elsevier Masson, 4° édition, 2006, 240 p.

13- Dupagne, Dominique, La revanche du rameur, Michel Lafond, Neuilly-sur-Seine, 2012,

349 p.

14- Déchaux, Jean-Hughes, Le souvenir des morts, Presses universitaires de France, 1997, 352 p.

15- Egli, René, Le principe LOLA, Le dauphin blanc, 2003.

16- Hacpille, Lucie, Avec l’équipe mobile de soins palliatifs du CHU de Rouen, Soins palliatifs.

Les soignants et le soutien aux familles, Lamarre. 2006. 131 p.

17- Hanus Michel, Les deuils dans la vie. Deuils et séparations chez l’adulte et chez l’enfant,

Maloine, Paris, 1994. 331 p.

18- Hanus, Michel, De la Génardière, Claude, Bertheloot, Chantal, et al, Etudes sur la mort. Le

deuil des accompagnants. L’esprit du temps, janvier 2000.

19- Hirsch, Emmanuel (dir). Rédaction, Patrice Dubosc, Face aux fins de vie et à la mort. Espace

éthique / AP-HP, Vuibert, 3° édition, 2009, 392 p.

20- Jankélévitch, Vladimir, La mort, Flammarion, 2008, 474 p.

21- Jankélévitch, Vladimir, L’irréversible et la nostalgie, Flammarion, Paris, 2011, 392 p.

22- Kubler-Ross, Elisabeth, Accueillir la mort, Éditions du Rocher, Paris, 2002, 189 p.

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23- Le Dalai-Lama et Howard Cutler, L’art du bonheur, J’ai lu, Paris, 2000, 283 p.

24- Lepage, Franck, Incultures, tome1, Editions du cerisier, 2007.

25- Levinas, Emmanuel, Dieu, la mort et le temps, Le livre de poche, Grasset, 1993, 285 p.

26- Lussier, Martine, Le travail de deuil, Presses universitaires de France, 2007, 254 p.

27- Marmilloud, Laure, Soigner, un choix d’humanité, Vuibert, 2007, 124 p.

28- Mattheeuws, Alain, Accompagner la vie dans son dernier moment, Édition parole et silence,

Paris, 2005, 157 p.

29- Maupassant, Une vie, Le livre de poche, 1979, 247 p.

30- Mehl, Roger, le vieillissement et la mort, Presses universitaires de France, 1962, 138 p.

31- Mercadier, Catherine, Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, Éditions Seli Arslan,

2002, 287 p.

32- Morin, Edgar, L’homme et la mort, Éditions du Seuil, revue et augmentée, 417 p.

33- Muxel, Anne, Individu et mémoire familiale, Éditions Nathan, Paris, 2002, 226 p.

34- Osho, Un art de vivre et de mourir, Le relié, Poche, 2006, 257 p.

35- Perraut-Soliveres, Anne, Infirmières, le savoir de la nuit, Presses universitaires de France,

2002, 291 p

36- Péruchon, Marion (dir), Rites de vie, rites de mort. Avec Jean-Pierre Berthon, Michel

Boccara, Yolande Govindama et al, ESF, Paris, 1997, 231 p.

37- Plon, Florence, Questions de vie et de mort. Soins palliatifs et accompagnement des familles,

Champ Social, Nîmes, 2004, 150 p.

38- Proust, Marcel, Du coté de chez Swann, Gallimard, 1988, 527 p.

39- Queneau, Patrice, Soulager la douleur, Odile Jacob, 1998, 540 p.

40- Richard, Marie-Sylvie, Soigner la relation en fin de vie, Dunod, 2004, 172 p.

41- Ricoeur, Paul, Soi-même comme un autre, Seuil, Paris, 1990,

42- Ruiz, Don Miguel, Les quatre accords toltèques, Éditions Jouvence, 2005, 119 p.

43- Ryckmans, Pierre, Les entretiens de Confucius, Gallimard, collection Connaissance de

l’orient, 1987.

44- Salomé, Jacques, Le courage d’être soi, Pocket, Paris, 2001, 217 p.

45- Thomas, Louis-Vincent, Anthropologie de la mort, Payot, 1975.

46- Thomas Louis-Vincent, Que sais-je, la mort, Presses universitaires de France, 1998, 128 p.

47- Thomas Louis-Vincent, Rites de mort, pour la paix des vivants, Fayard, 1985, 294 p.

48- Tradié, Jean-Yves et Marc, Le sens de la mémoire, Gallimard, 1999, 356 p.

49- Vergely, Bertrand, Sens ou non sens de la souffrance, Études Assas, Paris, 1993.

50- Vergely Bertrand, La souffrance, recherche du sens perdu, Gallimard, Paris, 1997, 333 p.

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Bibliographie - Périodiques

1-La toilette mortuaire, Fondation Ouvre de la croix Saint-Simon.

2-Soins infirmiers autour du décès, Revue de l’infirmière, N° 43, novembre 1998.

3-Centre Francois-Xavier Bagnoud – Mourir à la maison – Laennec, Janvier 2002, n° 1.

4-Brossier-Mével, Françoise, Si l’intime m’était conté, Dialogue, recherches cliniques et

sociologiques sur le couple et la famille, 2008, N° 182, 4° trimestre, p. 75-87.

5- Daydé, Marie-Claude, La relation d’aide en soins infirmiers, aspects réglementaires et

conceptuels, Soins, n° 731- Décembre 2008, p.35.

6-Fabrégas, Bernadette, L’intimité et la relation soignant-soigné, Soins, n° 652- février 200,

p.31.

7-Haman, Marie-Christine, psychologue spécialisée en neuropsychologie, Article rédigé

d’après la conférence à l’IRIPS, le 19 février 2009.

8-Hirsch, Godefroy, Jousset, Jacky, Toilette mortuaire à domicile. Actes du congrès, 2000,

pages 241-245.

9-Hollin, Yannick, Le transport du corps sans mise en bière, Soins n° 721, décembre 2007,

p. 38-39.

10- K. Maus-Bielders, Le chant du corps, European Journal of palliative care, Vol 2, n° 1

11- Michon. Florence, La relation d’aide, une approche humaniste des soins, Soins, n° 731,

décembre 2008.

12-Prayez, Pascal, Le toucher, le tact et la juste distance, Jalmav, n° 85, Juin 2006.

13-Richard, Christian, Accompagnement de l’entourage, Valeurs et limites?, Objectif Soins,

Janvier 2004, n° 122, p.19-20.

14-Vérani, Laurence, Accepter l’intimité dans les soins, Soins, n° 652- février 2001, p.33

15-Viallard, Marcel-Louis, (éditorial), Médecine Palliative, février 2008, volume 7, Elsevier

Masson.

16-Vilbrod, Alain, Douguet, Florence, Le travail de soins des infirmières libérales,

Perspectives soignantes, Décembre 2006, N° 27, p.124-132.

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Bibliographie medias

Télévision

1-Émission C’est dans l’air présentée par Yves Calvi le 19/10/2012, intitulée La guerre des

religions aura-t-elle lieu? avec l’imam tareq Oubrou.

Internet

2- Franck Lepage : conférences gesticulées

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Annexes

Questionnaire

Quel âge avez-vous?

< 29 ans De 30 à 49 ans 50 ans et plus

Depuis combien de temps exer cez-vous en secteur libéral? --------

Êtes-vous amené(e) à prendre en charge des patients dans le cadre de soins palliatifs?

Jamais parfois souvent très souvent

Avez-vous suivi ces patients avant qu’ils soient en soins palliatifs?

Oui non

Si oui, vous diriez les prendre en charge depuis :

+ de 2 ans + de 1 an 6 mois à 1 an 3 et 6 mois moins de 3 mois

En moyenne, à combien estimez-vous le nombre de décès à domicile, parmi ces

patients, chaque année?

….....

La famille du patient vous appelle-t-elle lorsque survient le décès?

Toujours Assez souvent parfois jamais

Pr oposez-vous spontanément aux proches de vous appeler lorsque surviendra le

décès?

Toujours Assez souvent parfois jamais

Êtes-vous amené à donner vos coordonnées téléphoniques personnelles, afin d’être

joignable plus facilement?

Toujours Assez souvent parfois jamais

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Vous êtes vous déjà déplacé la nuit, si le décès sur vient à ce moment?

Oui non

Êtes-vous amené à expliquer les formalités administratives aux proches :

Toujours Assez souvent parfois jamais

Si oui, quelles formalités sont mal connues :

Constatation du décès par un médecin: Oui non

Conditions de transport du corps: Oui non

Vous ar r ive-t-il d’effectuer ces démarches à leur place?

Oui non

Si oui, pour quelle raison?

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………

Si vous deviez estimer le temps passé au domicile après le décès, vous diriez y rester :

+ de 2 h + de 1 h de 30 minutes à 1 h moins de 30 minutes

Faites-vous la toilette du défunt?

Toujours Assez souvent parfois jamais

Pensez-vous que la présentation du corps, juste après le décès, ait un impact sur les

proches?

Oui non

Les croyances du défunt et de ses proches ont-elles un impact sur les soins pratiqués?

Oui non

Si oui, lequel?

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…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

Pensez-vous que l’infirmier ait un rôle à jouer concernant l’ambiance qui régnera

dans la pièce où se trouve le défunt, ou de manière plus vaste, au domicile?

Oui non

Si oui, quels éléments vous semblent importants, concernant l’ambiance dans son

ensemble?

…………………………………………………………………………………………………

……………………………………………………………………………………………

Quels sont vos gestes, vos habitudes dans ce domaine?

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

Au-delà des soins et des conseils, vous arrive-t-il d’avoir une discussion plus

approfondie avec les proches?

Toujours Assez souvent parfois jamais

Quels sont les thèmes abordés lors de cet échange?

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

Pensez-vous que les mots utilisés aient une portée au-delà de cet échange?

Oui non

Est-il difficile pour vous de choisir les mots que vous employez?

Oui non

D’après vous, votre attitude globale est-elle importante?

Oui non

Si oui, quelle attitude essayez-vous d’adopter?

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…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

Aimez-vous être présent auprès des proches à cet instant?

Oui non

Si oui, pourquoi?

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………

Pensez-vous que cela fait partie intégrante de votre métier d’infirmier?

Oui non

Pour le temps passé auprès des familles, il n’existe aucune cotation dans la nomenclature

de la sécurité sociale. Êtes-vous amené à effectuer ce soin sans rémunération?

Toujours Assez souvent parfois jamais

Êtes-vous amené à revoir les proches ultérieurement?

Toujours Assez souvent parfois jamais

Si oui, à quelle occasion?

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

Pensez-vous qu’une formation concernant l’« après décès » pourrait vous aider dans

votre pratique?

Oui non

Commentaires et témoignages libres

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L’instant d’après

Le patient vient de s’éteindre, au sein de son foyer, entouré de ses proches.

L’infirmier libéral se rend auprès d’eux.

Cet instant, bien qu’éphémère, est d’une grande intensité.

La confrontation à la mort, dans sa réalité, est un choc pour les proches.

Que se joue-t-il pour eux lors de ce temps particulier?

Comment l’infirmier pourrait-il les accompagner lors de ce passage?

Quelle serait alors la justesse de son intervention?

Son approche ne peut être qu’empreinte de subtilité, de finesse et de délicatesse.

Ce mémoire se propose d’approcher cet instant et d’essayer de percevoir son

incidence sur les proches.

Puis il tente d’explorer le regard porté par les infirmiers, découvrir leurs

expériences, leurs ressentis, leurs pratiques.

Voyage au cœur d’un instant fragile, qui dévoile et révèle en chacun de nous, à

la fois notre grande singularité, mais aussi notre commune humanité.

Mots-clés : confrontation à la mort, accompagnement, justesse