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Linguistique et pédagogie des langues || LINGUISTIQUE ET PÉDAGOGIE DES LANGUES ÉTRANGÈRES

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Armand Colin

LINGUISTIQUE ET PÉDAGOGIE DES LANGUES ÉTRANGÈRESAuthor(s): Jean-René LadmiralSource: Langages, No. 39, Linguistique et pédagogie des langues (SEPTEMBRE 1975), pp. 5-18Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41680923 .

Accessed: 28/11/2014 13:56

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Jean- René Ladmiral Paris X.

LINGUISTIQUE ET PÉDAGOGIE DES LANGUES ÉTRANGÈRES

« Moi, Monsieur, du latin I je n'en sais pas un mot, répondit le bel esprit, et bien m'en a pris ; il est clair qu'on parle beaucoup mieux sa langue quand on ne partage pas son application entre elle et les langues étrangères »...

Voltaire

0. Le problème principal de la pédagogie des langues, c'est bien sûr celui de l'interférence, mais c'est aussi le statut du métalangage. C'est la double préoccupation commune aux différentes contributions qui rassemble le présent numéro. Le nombre et la diversité des problèmes posés exigeait qu'on s'en tienne pour l'essentiel au cadre limité de l'enseignement scolaire des langues étrangères en France '

1 . La première remarque qu'ilconvient de faire, c'est que la pédagogie des langues ne saurait se réduire à une application de la linguistique. L'ex- pression de Linguistique Appliquée est à cet égard malencontreuse. Elle est d'ailleurs controversée, à plusieurs titres. L'idée même qu'il y aurait une Linguistique Appliquée, en aval de la linguistique tout court, et qui ne serait qu'une linguistique au petit pied, fait problème. Dans les faits, cette étiquette sert souvent à détourner une part du prestige épistémologique attaché à la science linguistique au profit d'activités subalternes, dénuées de fondement théorique 2. De la linguistique à la pédagogie des langues, il n'y a pas le rapport linéaire d'une application , pas plus que de la biologie à la

1. Par ailleurs, c'est le manque de place qui explique - et excusera sans doute - les renvois que l'auteur des lignes qu'on va lire fait à ses propres travaux, qu'ils soient déjà publiés ou à paraître...

2. t. est ainsi que sera baptisé « linguistique * n importe quel recueil d exercices pratiques, de thèmes et versions, etc., et tout Institut s'occupant d'enseignement des langues ou de traduction, fût-ce de façon tout à fait empirique et traditionnelle. Cette usurpation terminologique est facilitée par l'ambiguïté de l'adjectif linguistique , qui fonctionne comme l'adjectivation de plusieurs substantifs à la fois : (science) linguistique mais aussi tout simplement langue ou langage. Il serait sans doute préférable de rem- placer cette expression par celle de linguistique pratique , mais il parait difficile de renoncer à Linguistique Appliquée , maintenant consacré par l'usage, et auquel on conservera l'anglicisme de ses deux majuscules pour « faire syntagme * et neutraliser ainsi la référence au concept d'application. Sur le statut de la Linguistique Appliquée, cf. notre article in Revue d'Allemagne , t. VII, n° 3, juillet-septembre 1975.

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médecine. Il y a là tout un ensemble d'interactions dialectiques, qui cor- respond aux rapports spécifiques qu'entretiennent les deux termes du couple théorie et pratique . Ces relations complexes, avec leurs contradictions et leurs apories, caractérisent la pédagogie des langues comme la traduction, ou tout autre domaine de la Linguistique Appliquée.

Ainsi, en aucune façon, la pratique traduisante n' « applique » la théorie linguistique au sens où il en découlerait des « techniques de traduction ». C'est surtout en tant que « formation » ou « culture » linguistique qu'inter- vient la théorie, facilitant seulement une problématisation et une formula- tion conceptualisée des aléas de cette pratique particulière de l'écriture qu'est la traduction. Une fois opéré ce détour par le discours linguistique, il reste à prendre des décisions , à faire des « choix de traduction », et il n'y a pas de science qui permette d'en faire l'économie. C'est faute de l'avoir compris - et faute de pratique - que certains linguistes cèdent à la ten- tation de tenir un discours impérialiste de théoriciens qui est pour les tra- ducteurs parfaitement inutilisable et insatisfaisant parce qu'inadéquat à la pratique qui est la leur... Ce qui est vrai ici des problèmes de la traduction l'est a fortiori de la pédagogie des langues 3.

2. Il y a là ce qu'on pourra appeler un théoricisme « linguisticiste ». L'idée en est que pour faire de la bonne pédagogie, ce qu'il faut c'est de la bonne linguistique, la bonne linguistique. On a beaucoup déploré l'ineffica- cité du Secondaire en matière de langues étrangères : elle s'explique, dira-t-on, par le caractère pré-linguistique , c'est-à-dire purement empirique et non scientifique, de l'enseignement des langues qu'on y dispense. La pratique pédagogique qualifiée de « traditionnelle » - en un sens devenu polémique - est du même coup condamnée comme non linguistique . La linguistique, qui s'est définie par opposition à la grammaire traditionnelle, normative ou prescriptive, comme essentiellement descriptive, semble paradoxalement donner lieu à des prescriptions pédagogiques extrêmement normatives à l'adresse des professeurs de langues. L'état actuel de la recherche linguis- tique est hypostasié en « vérités scientifiques », qui prennent la valeur de commandements. La linguistique, qui se veut scientifique et positive, se trouve nourrir en fait une nouvelle mouture idéologique du positivisme. Ce théoricisme positiviste est au principe d'un terrorisme généralisé : d'un terrorisme vertical, à l'égard des pédagogues, qui sont donc placés en aval de la science linguistique, mais aussi d'un terrorisme horizontal qui se pose comme « coupure épistémologique » imposant de rompre radicalement avec

3. Entre ces deux domaines de la Linguistique Appliquée, il y a assez ďanalogies pour qu'ils puissent servir l'un à l'autre de paradigme d'analyse. Cette problématique n'est ici qu'indiquée et nous préférons renvoyer à notre article sur « La traduction dans l'institution pédagogique », in Langages , n° 28, décembre 1972. Le présent article fera figure de suite à ce dernier, lui-même centré sur la pédagogie des langues, et nous y ferons référence, explicitement (en usant de l'abréviation : J.-R. L admiral, 1972) ou implicitement, sans toutefois en présupposer expressément la lecture.

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la tradition et tient le discours polémique de l'anathème au sein même d'une linguistique dès lors divisée en Ecoles séparées. Le renouvellement extrêmement rapide des théories linguistiques auquel on a assisté ces der- nières années est venu alimenter le processus, en même temps qu'il en fait éclater les contradictions. De fait, le positivisme de ce « galopage épisté- mologique » (dont le plus récent avatar est en passe de nous valoir une mode sociolinguistique après celle de l'énonciation) est contradictoire puisque aussi bien il porte, rétrospectivement, contre l'état de pensée lin- guistique où en étaient restés ceux-là mêmes qui, pour l'avoir ensuite « dépassé », n'en ont pas pour autant nuancé leur terrorisme théorique - à moins qu'ils ne choisissent d'arrêter la pendule de l'histoire de la linguis- tique à la date de parution de tel ou tel texte, jugé indépassable... Dès avant 1972, J. Dubois démystifiait en quelques pages définitives ce phéno- mène micro-sociologique 4.

3.1. Ce terrorisme linguistique va de pair avec un idéalisme pédagogique qui en est strictement complémentaire. La scientificité linguistique et le pro- gressisme d'une pédagogie libératrice sont censés converger, a priori : ils commandent un militantisme professionnel plus ou moins moralisant où la polémique scientifique prend la dimension d'un engagement idéologique. Le positivisme débouche sur un optimisme manichéen et vertuiste, volontiers agressif. Cette moralisation idéaliste est au demeurant une tentation cons- tante de la conscience enseignante, qui projette sur les élèves l'enthousiasme de cet « incorrigible bon élève » qu'a été l'enseignant pour sa matière et s'impose de chercher dans ses propres rangs des responsables à un échec pédagogique. La pédagogie des langues n'est plus justiciable d'une psycho- pédagogie mais d'une pure et simple didactique linguistique. Ce postulat de « transparence pédagogique » occulte inconsciemment, et malgré ses dénéga- tions, le contexte général des paramètres socio-politiques et de l'institution pédagogique dans son ensemble, qui échappe pour l'essentiel à l'interven- tion du professeur mais n'en conditionne pas moins l'enseignement des langues 6.

3.2. Il en résulte un volontarisme qui entre en contradiction avec ce que nous appellerons les pesanteurs pédagogiques , qui tiennent au nécessaire décalage existant entre le discours scientifique et le discours didactique et aux conditions objectives de la pratique enseignante.

La plus manifeste de ces résistances est liée au mode de fonctionnement du corps enseignant lui-même. Perçu comme éloigné des réalités de la classe,

4. « Grammaire scientifique et grammaire pédagogique », in Langue française * n° 14, mai 1972, p. 29 sq. D'une façon générale, nous nous inspirons très largement de l'opposition établie antérieurement par J. Dubois et J. Sumpf entre discours scienti- fique et discours didactique , ici-même et dans notre article sur « Le discours scienti- fique », in Revue ď Ethnopsychologie, t. XXVI, n° 2-3, septembre 1971.

5. Quelles langues enseigne-t-on ? et pourquoi ?... cf. J. Sumpf ici-même ainsi que J.-R. Ladmiral, 1972, p. 13 sqq.

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il arrivera que ce théoricisme de linguistes provoque chez ces autres pra- ticiens que sont les professeurs de langues une révolte analogue à celle des traducteurs. Mais, au-delà des réactions psychologiques plus ou moins vives d'un corps enseignant devant un savoir nouveau qu'il ne maîtrise pas, il n'y a pas lieu de verser dans un « practicisme », aux relents plus ou moins « pouj adistes », qui n'est que l'envers du théoricisme qu'il condamne. Cette vue partielle - et tout à fait partiale - des choses est ime autre façon de méconnaître la dialectique des relations entre théorie et pratique. L'alter- native n'est pas entre savoir linguistique ou compétence réelle dans la langue enseignée ; et il n'est pas vrai non plus que la pratique pédagogique soit assimilable aux techniques de la méthode expérimentale, susceptible d'administrer la preuve falsificatoire.

Il reste qu'il y a nécessairement un retard scientifique de la formation qu'ont reçue ceux que le jargon pédagogique appelle les « multiplicateurs » enseignants. D'un point de vue quantitatif, l'organisation d'un recyclage systématique des professeurs de langues pose des problèmes insurmon- tables dans l'état actuel des choses et, d'un point de vue qualitatif, la for- mation des formateurs en ce domaine est à redéfinir 6.

Enfin, et surtout, la pluralité des théories constitue, comme on sait, un obstacle réel ; et les pesanteurs pédagogiques y trouvent en quelque sorte une justification interne au discours linguistique lui-même. Comment les praticiens pourraient-ils mettre en œuvre la recherche des théoriciens si ces derniers « ne sont même pas d'accord entre eux »? Le renouvellement accé- léré du savoir linguistique prend valeur de démenti qu'il ne cesse de s'in- fliger à lui-même...

4.1. Les modèles théoriques produits par la linguistique générale se succèdent à un rythme trop rapide pour que la linguistique descriptive soit toujours en mesure de suivre. Il n'est guère possible de mener à terme la description systématique d'une langue avant que le modèle dont on s'ins- pire ne soit « réfuté ». Les applications qu'on peut en tenter sur le plan de la linguistique descriptive restent nécessairement immanentes à la polémique du discours scientifique dont elles sont l'enjeu : quelques exemples, isolés et toujours les mêmes (to hit et to break , be + ing , etc.), servent à la vérifica- tion et à la falsification des différentes théories en présence, mais il tend à devenir impossible de constituer une véritable grammaire didactique. Ce qui est vrai de l'anglais l'est a fortiori des autres langues, nécessairement moins étudiées.

S'il est vrai qu'il y a une dimension polémique coextensive au discours linguistique comme discours scientifique et qu'elle y est féconde, il en va tout autrement en ce qui concerne le discours didactique. C'est ici le statut

6. Plus profondément, ce décalage tient aussi à la nature même du discours didac- tique (cf. J. Dubois). Quant au problème de la formation des formateurs et à la spéci- ficité de l'enseignement des langues, nous y consacrerons un prochain article.

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du métalangage à enseigner lui-même qui est en jeu. Un corps enseignant ne peut fonctionner que sur la base ďun consensus concernant le métalan- gage qu'il enseigne - faute de quoi, la progression des élèves, nécessaire- ment perturbés dans leur apprentissage par la succession de métalangages plus ou moins contradictoires d'une classe sur l'autre, se trouvera gravement compromise. On ne saurait attendre que la linguistique soit achevée pour bâtir un enseignement grammatical qui satisferait à ses exigences. La pra- tique comporte des urgences qui lui sont propres et il faut bien enseigner au jour le jour une grammaire déterminée. Il convient ici, sur le plan péda- gogique, de se former une « morale par provision », comme disait Des- cartes.

Il convient que la métalangue grammaticale constitue un ensemble assez structuré. On sait les incohérences de la grammaire traditionnelle- ment enseignée : elle ne sont pas moindres en ce qui concerne les langues étran- gères qu'en ce qui concerne la langue maternelle. De nombreux linguistes y ont insisté, comme A. Culioli, H. Adamczewski, J. Fourquet, J.-M. Zemb... et on sait qu'une grammaire inadéquate est souvent au prin- cipe d'artefacts mètalinguistiques qui sont autant d'obstacles à l'apprentis- sage de la langue 7.

Mais on ne saurait se satisfaire d'aperçus linguistiques sans lien et greffés sur un fond de grammaire traditionnelle (un peu comme ces manuels de « mathématiques modernes » qui, après un ou deux chapitres introduisant la logique ensembliste, en reviennent aux bonnes vieilles mathématiques de toujours !). Quand, « cédant aux fascinations du bidule linguistique » (A. Culioli), on se contente d'un habillage pseudo-linguistique plus ou moins formalisé en multipliant les arbres syntaxiques, les schémas ensem- blistes, etc. sans le fondement d'une théorie cohérente, le remède est en l'occurrence souvent pire que le mal.

4.2. Ce problème général du métalangage enseigné se pose avec une acuité particulière dès qu'il s'agit d'enseigner les langues étrangères, comme le montre a contrario le statut de ce métalangage dans le cadre de l'ensei- gnement de la langue maternelle.

Le professeur de français peut faire fond sur la compétence native des

7. H. Adamczewski parle joliment de « grammaire sournoise » ; J. Fourquet se plaisait à insister sur la nécessité de remplacer les règles grammaticales comportant toujours leurs fameuses « exceptions » par les lois d'une linguistique scientifique, en se servant de l'analogie des numéros minéralogiques : dans le premier cas, ils seront définis comme les numéros des voitures roulant dans le département, or il faut les référer au département de leur immatriculation d'origine pour expulser les exceptions... C'est à juste titre qu'on insistera, comme le fait notamment J.-M. Zemb, sur le poids de la tradition grammaticale héritée du latin pour rendre compte de l'inadéquation des descriptions mètalinguistiques couramment enseignées. Mais il y a lieu aussi de se demander dans quelle mesure l'anglais n'est pas en train de remplacer le latin dans cet « impérialisme métalinguistique » : cf. H. Weber, « Ueber die Verdrängung der latei- nischen Grammatik durch die englische », in A. P. ten Cate et P. Jordens (éd.), Linguistische Perspektiven , Tübingen, Niemeyer, 1973.

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enseignés. C'est ainsi que le métalangage qu'il enseigne a pu rester longtemps sans pertinence linguistique. Un peu comme les règles d'orthographe, les catégories de la grammaire traditionnelle faisaient l'objet d'un savoir essentiellement culturel, éventuellement affecté d'une fonction docimolo- gique de sélection scolaire. Leur remplacement par une conceptualisation linguistique, fût-elle lacunaire, controversée et même contradictoire, ne pose pas de problèmes insolubles. Dans les deux cas, ce métalangage est en prise sur une compétence qui lui assure un remplissement ainsi qu'une crédibilité minimale et qui permet d'en contrôler la validité. A la limite, les difficultés qu'il soulève peuvent même être portées à son crédit : on peut y voir une occasion de problématiser ce métalangage lui-même et d'objec- tiver la conscience linguistique des sujets parlants. Conformément à la vocation fondamentaliste de l'enseignement de langue maternelle, qui est toujours plus qu'un enseignement strictement linguistique, l'enseignant (dans le primaire comme dans le secondaire, ou dans le domaine de la for- mation professionnelle) peut mettre en œuvre une « maïeutique » de la discussion à laquelle les élèves sont en mesure de prendre une part active puisqu'ils sont détenteurs de cette pierre de touche qu'est en l'occurrence l'expérience de leur propre compétence ; et cette dernière fait par là-même l'objet d'une appropriation plus complète, plus différenciée et plus cons- ciente. Il ne s'agit pas tant d'un enseignement de langue que d'un enseigne- ment à? expression qui met en jeu la relation du sujet au langage en général.

Il en va tout autrement en pédagogie des langues. Le métalangage n'y saurait se contenter de « parasiter » une compétence déjà présente, quitte à l'amender sur des points de détail. La relation est inverse : de ce métalan- gage, on attend qu'il joue un rôle déterminant dans la mise en place de la compétence en langue étrangère . Sa fonction n'est plus là réflexive mais bien productive, lors même qu'il s'agit de « produire » une grammaire de récep- tion 8.

8. D n'y a sans doute que dans renseignement supérieur - avec des étudiants qui, au moins en principe..., ont déjà acquis une certaine maîtrise de la langue - ou dans une classe de bilingues que puisse être mise en œuvre la dialectique d'une maïeu- tique métalinguistique comme celle que semble proposer D. Bailly ici-même (cf. inf.). Conformément à la délimitation du sujet que nous avons adoptée, nous avons écarté ici plusieurs problèmes : a) le cas des conjonctures bilingues comme en Belgique ou dans certaines provinces françaises (comme l'Alsace, entre autres), qui exige une réflexion approfondie et spécifique en matière de pédagogie des langues, b) les quelques expé- riences d'enseignement précoce des langues, dès l'école maternelle notamment, qui se font en France et c) le cursus trilingue des fameuses classes européennes - sans parler de 1'« éternel bilingue » dont la possible présence individuelle dans toute classe de l'hexagone fait la terreur du jeune professeur de langue, une menace à laquelle ne s'exposent pas les latinistes... Sur le premier point, cf. notamment les contributions que nous avons rassemblées sous le titre Bilinguisme et francophonie , numéro spécial de la Revue ďEthnopsychologie, t. XXVIII, n° 2-3, juin-septembre 1973 (ainsi que J.- R. Ladmiral, 1972, p. 13) ; sur le second, cf. Revue ď Allemagne, t. VII, n° 1, janvier- mars 1975. C'est aussi, d'une façon générale, le problème de la norme qui est ici posé, c'est-à-dire la question sociolinguistique des grammaires non standard et les problèmes spécifiques que soulève en pédagogie des langues l'interférence entre norme linguistique et norme pédagogique (cf. J.-R. Ladmiral, 1972, p. 38 et passim).

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Cette double exigence de cohérence - cohérence interne d'un système grammatical et cohérence externe d'une progression grammaticale à l'échelle de toute une institution pédagogique - n'en est pas moins en contradic- tion avec le pluralisme des théories métalinguistiques auxquelles on vou- drait pouvoir recourir. Le problème semble aporétique - mais, s'agissant de langues étrangères, les mêmes raisons qui accroissent la difficulté d'y trouver une solution sont aussi celles qui font qu'il est d'autant plus urgent de la trouver. En l'absence d 'une linguistique qui puisse être « appliquée », c'est sur le plan pédagogique qu'on cherchera des éléments de réponse à la question du métalangage à enseigner.

5.1. La première, la plus simple et la plus drastique, consistera à adopter un parti pris de silence métalinguistique. La grammaire ne sera pas enseignée autrement que par l'exemple et par la « manipulation des struc- tures ». C'est le choix que font les méthodes audio-visuelles et, dans une moindre mesure, la devenue traditionnelle « méthode directe ». Cette atti- tude permet bien sûr de mettre entre parenthèses toute controverse sur les problèmes linguistiques encore en discussion. Au vrai, là n'est pas la véritable raison de cette option méthodologique : cette dernière tient à des considérations d'ordre psycho-pédagogique et linguistique.

On prend au sérieux pratiquement le primat de la langue parlée, on adopte le postulat d'une psychologie globaliste de l'apprentissage « en situa- tion » et dans une perspective de communication, etc. Surtout, l'élimination du métalangage se confond avec l'élimination de la langue maternelle conçue comme source d'interférences et comme l'occasion néfaste d'une verbalisa- tion médiate 9. Il y a seulement une convergence - une « surdétermina- tion » - entre le choix négatif de ce que nous avons appelé le silence méta- linguistique et ces principes méthodologiques positifs. Ces derniers appellent toutefois quelques remarques. D'abord, cela ne signifie pas que les méthodes en question soient dénuées de présupposés théoriques : seulement, ils restent implicites. Mais, à vrai dire, ils ne consistent pas à opter entre différentes descriptions proprement linguistiques proposées pour tel ou tel fait de langue. C'est sur le plan plus général d'une psycho-linguistique empirique qu'ils se situent. Il s'agit surtout du « métalangage pédagogique » de l'en- seignement des langues lui-même et non pas tant de la métalangue propre- ment linguistique que ce dernier met en œuvre ; en ce sens l'objection n'est pas déterminante. Par contre, il est permis de douter que l'acquisition

9. Sur ces problèmes, cf. D. Coste, « Le renouvellement méthodologique... », in Langue française , n° 8, décembre 1970 ainsi que J.-R. Ladmiral, 1972, p. 9 sqq. - où nous avons montré la convergence existant entre les présupposés des méthodes audi«- visuelles et de la méthode directe, qui seront traitées conjointement dans la suite du présent article. Sur la possibilité, voire l'obligation, d'un enseignement méta- linguistique dans la langue enseignée dès le départ, cf. L. Dabène ici-même : en l'oc- currence, cette problématique est un cas particulier, concernant les « langues proches », et elle demande à être replacée dans le cadre général qui sera thématisé sous le titre de la perspective interlinguistique...

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« concrète et active » des structures par les élèves suffise à éliminer réelle- ment la référence à un métalangage implicite. Ainsi, la conjugaison du verbe étranger risque bien d'être perçue à traver la grille des catégories méta- linguistiques de la temporalité héritées de la langue maternelle. Cet exemple particulier, quelque peu privilégié, renvoie à la problématique du « modèle de compétence bilingue dans l'institution pédagogique » que nous avons abordée ailleurs : Nous avons tenté de montrer que 1' « idéal pédagogique » d'un bilinguisme coordonné constitue le programme implicite (et incons- cient) de notre enseignement des langues et nous en avons entrepris la critique.

Disons seulement que, si c'est à l'évidence un programme intenable à la rigueur, il est par contre possible d'installer à un niveau élémentaire ce que nous avons appelé des « ilôts de bilinguisme coordonné » 10. Le type d'apprentissage préconisé s'avère efficace en ce qui concerne les structures élémentaires ayant un taux de fréquence élevé dans la langue courante et, plus précisément, dans la langue que l'enseigné a l'occasion de pratiquer : c'est ce que confirme la pratique pédagogique.

5.2. Les méthodes audio-visuelles amènent une indéniable améliora- tion à ce niveau de performance, dans la langue orale. Mais, au-delà des niveaux d'initiation correspondant approximativement aux deux premières années, cette méthodologie tend à devenir inefficace. Au-delà de l'acquisi- tion des « automatismes de base », les méthodes modernes enregistrent le même échec relatif que les méthodes traditionnelles. Les auteurs de « méthodes » en sont d'ailleurs tout à fait conscients. Il y a un échec devant l'énoncé long, qu'il s'agisse du fameux essay , qui s'appelle en allemand Aufsatz , etc. c'est-à-dire de la narration (cf. E. Koskas) ou même de la lecture cursive. La grammaire interne qui a été mise en place n'est pas assez « puissante » - à la fois en tant que grammaire de production et en tant que grammaire de réception. La pédagogie des langues confond d'ailleurs très généralement les deux dans l'institution scolaire et se préoccupe presque exclusivement de la grammaire de production qui finalise l'enseignement. Au reste, c'est l'un des postulats implicites qu'il y aura lieu de remettre en cause en revalorisant la grammaire de réception u.

Le palier linguistique qu'il s'agit de franchir quand on aborde l'énoncé long et la phrase complexe, c'est d'abord celui de Yhypotaxe : la phrase hypotactique complexe, mais aussi le problème plus délicat de l'hypotaxe interphrastique ou, si l'on veut, le niveau « hypersyntaxique » du texte ou discours. Cela implique qu'on débouche sur des problèmes délicats comme la modalisation des énoncés, l'anaphore, etc. Les matrices de complexifi-

10. Cf. J.-R. Ladmiràl, 1972, p. 13 sqq. - quant à la problématique générale de ce « bilinguisme pédagogique », on lui consacrera une étude ultérieure.

11. Ci. notre article intitulé « Allemand-zéro. Sur une expérience pédagogique d'ini- tiation à l'allemand scientifique », in Revue d'Allemagne, t. VII, n° 2, avril-juin 1975 ainsi que J.-R. Ladmiral, 1972, p. 21 sqq. D'une façon générale, c'est de grammaire interne qu'il s'agit ici bien sûr.

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cation sont trop nombreuses pour que l'apprentissage d'une langue seconde puisse à ce niveau faire l'économie d'un métalangage. Leur mise en œuvre dans le cadre d'une phrase complexe se situe à différents niveaux et fait jouer « simultanément » des transformations très diverses ; et puis, ce que nous appelons la « mise à plat » des niveaux sous-jacents, exigée par la linéarité unidimensionnelle de la chaîne parlée (et écrite), contribue à rendre moins apparents ces niveaux de hiérarchisation et entraîne souvent des effacements et des ambiguïtés.

6. La compétence des élèves doit être assez puissante pour affronter ces énoncés complexes. La grammaire seconde qu'il s'agit dès lors de mettre en place n'est plus justiciable de l'apprentissage en quelque sorte « mimé- tique » qu'entreprennent de promouvoir les méthodes audio-visuelles, voire la « méthode directe ». Dans les faits, la psycho-pédagogie active qu'elles mettent en œuvre reste encore largement d'esprit béhaviouriste, quand bien même elle est révisée dans un sens gestaltiste ou tente de faire droit théoriquement aux objections émanant de la psycholinguistique généra- tiviste. Le palier linguistique qui correspond à l'échéance de l'énoncé complexe constitue un seuil pédagogique.

Á ce niveau, il faut que les élèves aient une conscience métalinguistique coextensive à leur pratique langagière. Il n'en est d'ailleurs pas autrement en ce qui concerne la langue maternelle, comme en témoigne le recours aux dictionnaires et aux grammaires dont usent les locuteurs natifs eux-mêmes et, de ce point de vue, ce qui est vrai de la langue maternelle l'est a fortiori d'une langue étrangère. C'est ce que confirme le piétinement des méthodes audio-visuelles - sans parler de la méthode directe - à un certain niveau de la progression. Dès lors qu'on est bien en présence de ce qu'il est convenu d'appeler un seuil, aucune optimisation des matériels pédagogiques et de la technologie audio-visuelle comme aussi du « software » dont ils sont solidaires ne permettra d'aller beaucoup plus loin.

Le problème est donc d'assurer la relève. Selon nous, cette relève péda- gogique est une relève linguistique, consistant & réinjecter le métalangage dans l'enseignement des langues. Cela signifie un renversement de stratégie par rapport à la méthodologie précédemment adoptée, et cette apparente contradiction ne va pas sans poser quelques problèmes, en ce qui concerne sa justification psycho-linguistique et en ce qui concerne le choix du méta- langage à enseigner.

Mais il faut dire tout de suite que la réinjection du mélalangage en pédagogie des langues ne doit pas apparaître comme un démenti infligé au silence métalinguistique des méthodes actives, dont il reste vrai qu'elles sont adéquates aux niveaux de l'initiation. Le présent article doit s'entendre comme un plaidoyer pour les méthodes audio-visuelles. Cette deuxième solution n'est pas une autre solution du même problème : elle est chronolo- giquement seconde dans l'ordre de la progression pédagogique. Il faudra seulement distinguer deux étapes ou deux « cycles » dans l'enseignement des langues : un cycle de « décollage », puis un oycle « avancé » qui commence

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approximativement à partir de la troisième année. Dans le premier, on continuera d'employer ou on généralisera les méthodes actives ; dans le second, on adoptera une stratégie différente. Mais il ne s'agit pas là d'une pure et simple juxtaposition ad hoc : ce n'est pas un second choix négatif portant sur le premier choix négatif auquel correspond le silence métalin- guistique du premier cycle ; une réaffirmation du métalangage dans de telles conditions ne serait en effet qu'un aveu d'impuissance.

Tout comme la rupture qui en articule l'enchaînement, ces deux cycles font partie d'une stratégie pédagogique d'ensemble, à l'appui de laquelle il est possible de rassembler des éléments de vraisemblance psycholinguis- tique. Il n'y a pas là le pis-aller de deux stratégies successives différentes pour la pédagogie des langues mais une seule et même stratégie pédago- gique, double et progressive.

7.1. L'hypothèse selon laquelle l'acquisition d'une langue est un phéno- mène discontinu semble suffisamment confirmée par la littérature psycho- linguistique de ces dernières années. En attendant une falsification expéri- mentale, qui n'est évidemment pas exclue mais paraît bien improbable, elle pourra servir de fondement analogique à la pédagogie des langues en deux temps (deux « cycles ») que nous proposons. L'apprentissage d'une langue étrangère passerait donc par une succession de déstructurations et de res- tructurations successives de la compétence mise en place. Ainsi s'explique- raient les « passages à vide » chez certains « bons élèves », que l'on constate dans la pratique 12. Cette succession de grammaires internes intermédiaires sera bien sûr plus rapide au début de l'apprentissage, qui part de zéro ; mais, dans l'état actuel de nos connaissances, on ne sait rien de précis sur le déroulement effectif de ce processus, qui fait partie de la fameuse « boîte noire » des psychologues. C'est encore une raison - et déterminante - à l'appui du silence métalinguistique auquel s'astreint notre « cycle de décol- lage % dans l'enseignement des langues. Il permet d'éviter plusieurs écueils.

D'une part, il est exclu que la pédagogie des langues se risque à élabo- rer des discours grammaticaux censés correspondre aux différentes étapes psycholinguistiques de la compétence des élèves : ce ne seraient que des extrapolations hasardeuses. D'autre part, la prise en charge thématique de telles grammaires intermédiaires par le discours didactique constituerait un input pédagogique spécifique, distinct de la manipulation pratique des structures, et elle donnerait à ces grammaires intermédiaires un ancrage mémoriel dans la conscience des élèves qui ferait obstacle aux restructura- tions ultérieures. En outre, ce type de discours métalinguistique devrait presque toujours passer par la langue maternelle ; or il n'y a pas lieu de

12. Il semble même qu'on puisse aller parfois jusqu'à prononcer le verdict d'une progression négative des élèves. Ce sera à une étude verticale systématique de copies de fournir le matériel servant de base à la discussion de ce point.

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remettre en cause le postulat selon lequel la mise en place des automatismes de base doit se faire en rupture complète avec la langue maternelle, qui cons- titue une dangereuse source d'interférences.

Par ailleurs, il n'est pas souhaitable non plus que le métalangage ensei- gné soit inadéquat à la pratique de la langue, fût-ce par excès. Il vaut mieux ne pas proposer un modèle de compétence pédagogique trop puissant par rapport aux performances élémentaires effectivement soumises à la mani- pulation orale des élèves au début de l'apprentissage. Ce serait pour eux une surcharge mémorielle inutile et cet investissement pédagogique serait non seulement non rentable mais bien dysfonctionnel, puisqu'il faudrait renoncer au bénéfice d'un renforcement réciproque de ces deux apprentissages (méta- langage grammatical et pratique de la langue).

7.2. Mais il arrive un moment où il devient pédágogiquement néces- saire de sortir de ce silence méta-linguistique. Il pose des problèmes de mémo- risation que la pure et simple manipulation plus ou moins répétitive des structures n'est plus en mesure de dominer. Les structures complexes aux- quelles se trouve confronté l'élève dans le second cycle ont un taux de fré- quence beaucoup moins élevé, dans la langue et dans la situation pédago- gique. C'est d'autant plus nécessaire compte tenu du caractère artificiel de la situation pédagogique : c'est à la fois une fiction scolaire, une enclave dans le vécu global des élèves, et un « jeu de langage » minoritaire dans le milieu linguistique ambiant.

Parallèlement, il faut stabiliser l'acquisition, jusqu'alors cumulative, des structures et en permettre la structuration mémorielle dans le cadre d'un métalangage synthétique, faute de quoi il se produira des phénomènes d'oubli - qui se traduisent, notamment, par des confusions entre différentes structures que l'élève n'est plus en mesure de dissimuler au-delà d'un certain seuil. Comme il est permis de supposer que la succession psycho-linguistique des restructurations grammaticales implicites se ralentit, il devient possible d'envisager la mise en place d'un métalangage explicite qui prend le relais de la progression grammaticale manipulatoire jusque-là mise en œuvre et constitue un input pédagogique supplémentaire.

7.3. C'est aussi le problème du sens qui se pose en des termes renou- velés. Au niveau du premier cycle de la pédagogie des langues, les méthodes audio-visuelles parviennent à dominer la difficulté qui réside dans l'ambi- guïté et la polysémie de toute image. D'une part, les situations représentées sont simples, concrètes et relativement stéréotypées, et puis la fréquente récurrence de structures et de situations analogues permet d'en faire varier suffisamment les paramètres pour greffer sur le « signifiant-texte » un « signi- fié-image » désambiguïsé (cf. J.-R. Ladmiràl, 1972, init.). C'est à l'évidence impossible dès que les structures présentées atteignent un certain niveau d'abstraction, de complexité, de moindre fréquence...

Ce qui faisait le mérite des méthodes actives se met à jouer contre elles.

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La compréhension de l'élève tend à devenir floue, indistincte et incontrôlée. L'impression de a familiarité » qu'il peut avoir vis-à-vis de la langue apprise - le fameux « sentiment linguistique » ou « sens de la langue » (Sprachgefühl) - risque d'être fantasmatique et tout à fait trompeur. La formule para- doxale selon laquelle « la communication n'est qu'un cas particulier du malentendu » devra alors être prise au pied de la lettre. La « communi- cation » prônée par les méthodes actives ne correspond plus dès lors qu'à une synchronisation mimétique des comportements , elle n'est plus qu'inter- action au sens strict. Il ne s'agit plus de communication au sens propre d'un échange d'informations où l'entropie est minimale.

Enfin, pour des raisons psycho-pédagogiques évidentes et d'ordre géné- ral, il convient dès que possible que la classe de langue cesse d'être une pure fiction pédagogique isolée du reste, car l'intérêt ludique de sa nouveauté s'émousse très vite. C'est dans le contexte général de l'éducation, dont il n'est qu'un aspect partiel, et dans une perspective de formation fondamen- tale que l'enseignement des langues a sa place. Surtout, il doit s'intégrer dans une continuité avec le vécu global de l'individu : on rejoint là le pro- blème fondamental de la motivation .

Il y a là une pesanteur pédagogique qui n'est pas seulement extérieure et adventice, mais qui fait bien partie intégrante des problèmes que doit résoudre un enseignement qui entend mobiliser les ressources expressives des élèves. Cette échéance apparaît particulièrement importante compte tenu du contexte extérieur à l'institution pédagogique que l'on connaît actuellement. Par opposition à l'enseignement scolaire, le succès des stages linguistiques - il est vrai intensifs - en direction des adultes, dans le cadre de la formation professionnelle notamment, s'explique en grande par- tie en termes de motivation. Cette préoccupation est d'ailleurs explicitement présente et même centrale dans la psycho-pédagogie active des méthodes audio-visuelles, mais très vite les moyens qu'elles mettent en œuvre (comme la dramatisation) ne sont plus en mesure d'y répondre. Là aussi, il faut assurer un relais qui ait une crédibilité suffisante et durable, au niveau des contenus.

8. Les conclusions sur lesquelles débouche le présent article, que le manque de place nous a contraint d'écourter, devront rester program- matiques et feront chacune l'objet d'une théorisation spécifique dans le cadre de contributions différentes, tant dans la perspective restreinte du germa- niste que dans celle du linguiste.

8.1 . Dès lors qu'est admise la nécessité de réinjecter un métalangage au niveau de notre « cycle avancé », on est conduit à prendre certaines options métalinguistiques. Mais le choix ne saurait se faire dans l'esprit du i théoricisme linguisticiste » critiqué plus haut. C'est en fonction des diffé- rents paramètres de la pratique pédagogique qu'il faudra se déterminer, en fonction des différexites pratiques pédagogiques. C'est en ce sens qu'il y a

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une relative autonomie de la Linguistique Appliquée, et même une certaine « avance » de cette « linguistique pratique » - à son niveau - par rapport à la linguistique théorique.

8.2. Le substrat des enseignés, les finalités ou objectifs pédagogiques visés et la spécificité de la langue enseignée font partie de ces paramètres permettant la détermination pédagogique des options métalinguistiques. Ainsi, la pratique pédagogique qui est la nôtre nous a-t-elle amené à opter pour la linguistique zembienne, avec ses implications logicistes, le présupposé d'une grammaire de dépendance (L. Tesnière) et la réhabilitation relative de la tradition qu'elle comporte 1S. Mais c'est en tant que pédagogue, et non pas en tant que linguiste que nous avons pris cette option. On devra assumer la dialectique d'une coupure pédagogique entre le discours scienti- fique de la recherche linguistique et le discours didactique de l'enseigne- ment grammatical.

8.3 . La prise en considération de cette spécificité des enseignements conduit à un pluralisme de la pédagogie des langues. Mais l'échéance d'une harmonisation des métalangages enseignés, qui est impérative si l'on veut permettre la progression grammaticale, impose de chercher des solutions au niveau du fonctionnement de l'institution pédagogique et de la formation des formateurs...

8.4. L'un des aspects de ce pluralisme consistera à faire éclater la fausse unité conceptuelle que recèle le signifiant ambigu « enseignement des langues ». La professionalisation de cet enseignement dans l'institution scolaire ne doit pas faire illusion : ce sont des « matières » très différentes qu'enseignent le professeur d'anglais ou le professeur d'espagnol, le profes- seur d'allemand ou le professeur de russe... La diversité des options (méta-) linguistiques qu'ils auront pu prendre amène à définir aussi la Linguistique Appliquée comme le lieu pluraliste et « interdisciplinaire » de leur confron- tation 14.

8.5. On devra par ailleurs thématiser ce que nous appellerons la pers- pective interlinguistique et considérer l'enseignement des langues comme un cas particulier de contact entre deux (ou plusieurs) langues, sans en mécon- naître les conséquences pédagogiques et les implications culturelles. Le rapport à la langue maternelle est, à cet égard, primordial (cf. H. Adam- czewski) et il exige que soit approfondi le concept de linguistique contras- tive (cf. J.-M. Zemb) ; mais ce n'est pas le seul aspect du problème.

8.6. La critique du « bilinguisme pédagogique » (J.-R. Ladmiral, 1972, p. 13 sqq.), l'analyse de 1' « interférence docimo-pédagogique » (ibid.,

13. Cf. notre article sur « Une langue de spécialité : l'Allemand philosophique », in Langues modernes , n0B 2-3 (1975) et le texte sur Y Allemand-zéro cité dans la note 11.

14. C'est ce dont le présent numéro de Langages , en réunissant des anglicistes, des germanistes et last but not least une hispanisante, voudrait être l'amorce (comme s'essaye à le faire aussi, à son niveau, la revue Langues modernes).

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p. 32 sqq.) et la perspective interlinguistique amèneront à poser en termes pluralistes la question du modèle de compétence proposée par l'institution pédagogique. Sans doute conviendra-t-il, dans certains cas, de choisir entre grammaire de production et grammaire de réception.

8.7. C'est aussi le problème des contenus enseignables qui se pose en termes pluralistes, tant en fonction des objectifs pédagogiques déterminés qu'en fonction de la perspective interlinguistique et de la préoccupation sémiotique d'une pragmatique linguistique. Compte tenu des considérations qui précèdent concernant le « renversement de stratégie » en pédagogie des langues et le problème du sens, c'est non seulement dans le cadre de la triade linguistique-civilisation-littérature, qui préside traditionnellement à l'organisation universitaire des enseignements de langues, mais aussi autour de la notion élargie de langue de spécialité que la solution nous paraît devoir être cherchée...

Ces différents points ne sont distingués qu'en vertu de l'analyse : ils interviennent simultanément et interfèrent dans le cadre de chaque ensei- gnement en tant que « prestation » ou pratique pédagogique particulière. C'est donc modestement, en tant que germaniste par exemple, que nous aurons à définir des alternatives pédagogiques, mais sans renoncer aux exi- gences d'interdisciplinarité qui y sont impliquées. Enfin, c'est plus immodes- tement sur l'annonce de plusieurs publications à venir que nous nous per- mettons d'ouvrir les conclusions programmatiques de la présente contri- bution à la pédagogie des langues.

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