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LETTRE AUX AUMÔNERIES SPÉCIAL CONGRÈS AUMÔNERIE CATHOLIQUE DES PRISONS OCTOBRE – NOVEMBRE – DÉCEMBRE 2001 92

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LETTREAUXAUMÔNERIES

SPÉCIAL CONGRÈS

AUMÔNERIE CATHOLIQUE DES PRISONS

OCTOBRE – NOVEMBRE – DÉCEMBRE 2001

92

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OCTOBRE – NOVEMBRE – DÉCEMBRE 2001

SOMMAIRE

EDITORIAL, Jean-Hubert VIGNEAU .........................................................................3

ACCUEIL ...................................................................................................................5

ACCUEIL DES REGIONS, Roselyne JUAN, Dominique HOUEL..............................6

MESSAGE, Marylise LEBRANCHU...........................................................................8

COMMUNICATION DE L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE, Isabelle WINKLER 9

CHANT DU CONGRES : « TU FAIS MISERICORDE ».............................................12

RAPPORT MORAL, Jean-Hubert VIGNEAU..................................................................13

JEU SCENIQUE ET INTERVIEWS............................................................................20

INTERVENTION d’Hervé RENAUDIN .......................................................................39

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ESPACES RENCONTRES ........................................................................................43

TABLE RONDE..........................................................................................................45

Présentation : Jean CACHOTIntervenants : Marie-Agnès CREDOZ – Laure BASTE-MORAND – Patrick MOUNAUDAnimateur : Stéphane NICAISE

PROPOS FINAL, Jean-Hubert VIGNEAU..................................................................59

TEXTE D’ORIENTATION...........................................................................................61

CELEBRATION..........................................................................................................62

« J’ETAIS EN PRISON », Jean-Hubert VIGNEAU.....................................................70

BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................75

SESSION DE FORMATION.......................................................................................78

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ÉditorialVoici le compte-rendu de notre congrès de Lourdes. Vous avez été très nombreux à dire votre

satisfaction à l’issue de cette rencontre. C’est vrai que ce fut une bonne rencontre grâce à tous les

participants : animateurs, intervenants, techniciens de l’agence de production du Secours Catholique, la

Cité Saint-Pierre, tous les membres de l’aumônerie. Chacun, à sa place, a contribué au succès de ce

congrès. Mais ce qui a sans doute été déterminant, et beaucoup l’ont souligné, réside en ce que dès

l’ouverture, les personnes incarcérées étaient présentes par leurs paroles mises en valeur dans ce « jeu

scénique » que nous ne sommes pas prêts d’oublier… La forte participation (près de 80 % des membres

de l’aumônerie) témoigne aussi de l’importance de ce rassemblement.

Ce numéro 92 de la Lettre aux Aumôneries est totalement consacré au compte-rendu du

congrès. Vous n’y trouverez pas tout ce qui s’est dit. Par exemple, et c’est sans doute regrettable, sur les

cinq « espace rencontres » du samedi matin, seuls deux nous ont remis un rapport de ce qui s’est fait. Or,

il semble que les cinq espaces ont attiré du monde. Que faire maintenant avec ce compte-rendu ? Il porte

des enjeux intéressants pour l’avenir de l’aumônerie et ne peut donc pas être rangé dans le dossier des

souvenirs même s’ils s’agit de bons souvenirs ! Comme toutes les Lettres aux Aumôneries, c’est un

outil de travail. A nous de voir en équipe comment tirer le meilleur profit de ce congrès. Le texte

d’orientation mérite un traitement particulier. Le Conseil National de l’Aumônerie qui se réunit les 7, 8 et

9 décembre prendra des initiatives à ce sujet et vous en informera.

J’attire votre attention sur la page 77 de cette Lettre. Elle est consacrée à la session nationale

de formation (sensibilisation à l’écoute) qui se tiendra en février 2002. Il n’est pas inutile d’en souligner

l’importance. Chaque responsable d’équipe recevra le dossier d’inscription pour son équipe.

Pour ceux qui sont en aumônerie depuis un an, ils recevront personnellement l’invitation à la session qui

leur est réservée (voir Lettre 91, page 37).

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Un mois après notre congrès s’est tenu à Lourdes l’Assemblée des Évêques de France. Jene vais pas vous en faire le rapport. Il me faut cependant vous faire part de deux décisions prisespar cette assemblée : l’élection du Père Michel POLLIEN au Conseil Permanent de l'Épiscopat etcelle du Père Hervé RENAUDIN à la Commission Sociale des Évêques de France. MichelPOLLIEN qui nous accompagnait depuis 1997 nous quitte donc et nous le regrettons : nous avonstous pu apprécier la qualité de sa présence auprès de nous, pour les conseils nationaux, lessessions, … Nous n’oublierons pas ce que nous lui devons.

Hervé RENAUDIN est élu à la Commission Sociale et présidera le Comité épiscopal « Justice etSociété ». Il succède donc à Michel POLLIEN. Nous ne pouvons que nous en réjouir car nous leconnaissons bien. Ainsi joie et regrets se mêlent mais ne s’annulent pas… Hervé était notre « conseillerthéologique », il sera remplacé dans ce rôle par le Père Maurice GRUAU que vous avez pu rencontrer lorsdu congrès. Merci Michel… Bienvenue à Hervé et Maurice.

Nous voici à nouveau en période festive… et nous savons combien ces jours qui viennentsont synonymes de souffrances pour les personnes incarcérées. Si notre présence peut atténuerleur peine, n’oublions pas que Noël est Bonne Nouvelle pour eux d’abord.

A vous tous, à vos familles, à ceux qui vous sont chers, bonne année 2002.

Jean-Hubert VIGNEAU

******************************

ÉCHOS DU CONGRES

« Je souhaite vous remercier vivement de m’avoir … permis de vivre une très belleexpérience. Nous avons eu un très bon séjour, … et une conférence très intéressante.

Against Thank you and May God bless you and all those whom you love.

Joseph BRANSON

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ACCUEIL

Nous sommes heureux de vous accueillir dans notre belle région de Pyrénées et plus précisément de laBigorre, dans cette petite ville de Lourdes connue dans le monde entier, non pas pour sa prison puisqu’iln’y a ici qu’un "cachot" célèbre, mais pour les apparitions de la Vierge à une enfant pauvre, analphabète,malade que nous pourrions par ces qualificatifs comparer à beaucoup de ceux que nous accompagnonsdans notre mission d’aumôniers.BIENVENUE A LOURDES où Bernadette, dans ses répliques impertinentes allège le joug dont certainsnous chargent en nous priant de décliner les "résultats" de notre mission en prison. Rappelons-nous de sesparoles : "Elle ne m’a pas demandé de vous faire croire, elle m’a simplement demandé de vous le dire", etavançons convaincus que Celui qui nous a appelés pour cette mission, Se chargera de Se révéler Lui-même à tous ceux que nous accompagnons, et que nous porterons durant ce congrès dans notre cœur,notre prière pour les recommander à NOTRE-DAME DE LOURDES.Et si pour entendre le cri des détenus il nous faut avoir des yeux qui écoutent, je nous souhaite à tousd’avoir un cœur qui regarde puisque, décidément, on ne voit bien qu’avec le cœur !Bienvenue à vous tous aumôniers de tous les points de l’hexagone, et d’au-delà des mers,Bienvenue à notre sympathique hiérarchie,Bienvenue à tous les invités de ce congrès,Et BON CONGRES 2001 sous le regarde protecteur de Marie.

Michèle LAUWERSBonjour à toutes et à tous !

Un poète de chez nous, de par ici, a composé ce poème :Le bonheur est fleur rare et sauvageLe bonheur n’est pas fleur de serre ou de néonIl pousse hors des fumées des bruits et des prisonsBonheur fruit de liberté n’est pas produit des cages.

Le bonheur a le visage de mes Pyrénées de neigeDe mes Pyrénées couchées au fond de l’horizonIl a des brises d’été la fraîcheur verte des chansonsDes coteaux de Gascogne le sol lourd des moissonsIl naît en Bigorre des maïs opulents de floraisonDes châtaignes rouquines et des armagnacs félons …

Marius NOGUESAinsi, bienvenue à vous tous,en terre de Bigorre, et à Lourdes tout particulièrement,terre d’accueil, nous l’espérons,terre de liberté, aussi, de cette liberté qui a permis à Bernadette de tenir tête avec constance et humour à ses détracteurs au cours des nombreux prétoires qui lui ont été imposés.La LIBERTE, "fleur sauvage"si elle peut donc pousser sur fond des Pyrénées,ne peut-elle pas aussi exister et croître entre les murs des prisons,c’est bien la question qui nous réunit, qui nous unit aujourd’hui…D’ailleurs, lorsque les détenus de la Centrale de Lannemezan aperçoivent par-dessus leurs mursle Pic du Midi de Bigorre, ne le regardent-ils pas, parfois, un peu à la façon des moines qui contemplent lecarré de ciel bleu au-dessus de leur cloître ?

Dominique MIMBERG

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ACCUEIL DES RÉGIONS

Nous allons ensemble jouer à : « question pour … »- Une région !Attention, les mains sur le « buzzer » !- C’est parti !

BORDEAUX

- C’est une vaste région,- ils nous offrent du jambon,- des pruneaux et du St-Emilion,- au rythme des gabares nous les dégusterons,- c’est la région de : BORDEAUX.

DIJON

- La moutarde y monte au nez,- le champagne y fait briller les yeux,- l’horlogerie y est reine,- et l’aumônerie y a son cachot,- j’appelle : DIJON.

LILLE

- Il y fait froid,- c’est le pays des bêtises,- ses tapisseries sont connues du monde entier,- les flèches de sa cathédrale tutoient le ciel,- c’est le fief de notre chef,- ils ont dans les yeux le soleil qu’ils n’ont pas dehors,- c’est : LILLE.

LYON

- Ils sont les rois du saucisson,- de la soierie et de l’industrie,- ses dentellières y furent célèbres,- de Rocheteau c’est le berceau,- nous appelons : LYON.

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MARSEILLE- Ils ont l’accent, ils sont jovials,- bons mangeurs et bons buveurs,- c’est le pays de Fernandel et du pastis,- et on y danse sur un célèbre pont,- c’est : MARSEILLE.

PARIS- C’est la capitale de notre pays,- le siège de notre aumônerie,- une superbe cathédrale fut immortalisée par Péguy,- ça c’est : PARIS.

RENNES- Qui ne connaît leurs crêpes, leurs pêcheurs,- la beauté de leurs calvaires,- mais aussi leurs marées noires,- ils ont des chapeaux ronds, vive : RENNES.

STRASBOURG- Maisons et balcons y sont fleuris,- la choucroute y est garnie,- ils sont chaleureux aussi,- j’appelle : STRASBOURG.

TOULOUSE- De la Méditerranée aux hautes Pyrénées,- sans oublier les contreforts du Massif Central,- ils ont la mer et la montagne,- le soleil qui fait mûrir les raisins,- ce qui donne de très bons vins,- c’est : TOULOUSE.

D.O.M. - T.O.M- Ils vivent dans des îles paradisiaques,- produisent de la canne à sucre et des bananes,- se grisent de punch et de rhum blanc,- tiens voilà un thibault, deux thibaults, trois thibaults doudou,- c’est : LES D.O.M. T.O.M.

Roselyne JUAN, Dominique HOUEL

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La Garde des SceauxMinistre de la Justice

Paris, le 04 octobre 2001

Monsieur l'Aumônier Général,

vous avez eu l'amabilité de me convier au Congrès national de l'aumônerie catholique quise tiendra à Lourdes du 12 au 124 octobre prochain et je vous en remercie très vivement. Je suisau regret de ne pouvoir accepter cette invitation en raison d'un emploi du temps particulièrementchargé.

Je vous prie de transmettre aux congressistes l'expression de ma plus vive sympathie et dema reconnaissance pur leur dévouement auprès des personnes détenues.

Je souhaite un plein succès à vos travaux et prendrai connaissance avec intérêt du compte-rendu de ces journées.

Je vous prie de croire, Monsieur l'Aumônier Général, à l'assurance de mes sentiments lesmeilleurs.

Marylise LEBRANCHU

Monsieur l'Abbé Jean-Hubert VIGNEAUAumônier Général des prisons106 rue du Bac75341 Paris cedex 07

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COMMUNICATION DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

12 – 14 OCTOBRE 2001 à LOURDES

Mesdames et Messieurs les aumôniers,Mesdames, Messieurs,

Le Directeur de l’A.P. ayant pris ses fonctions très récemment, et ne pouvant être présentdu fait de son emploi du temps, il m’a chargé de vous faire part de l’intérêt qu’il porte à votretravail dans les établissements pénitentiaires, et qu’il ne manquera pas de porter à la restitution deces journées de réflexion qui regroupent les aumôniers intervenant en prison.

"Envoyés pour annoncer aux captifs qu’ils sont libres", pourrait apparaître d’embléecomme un thème pour le moins paradoxal. Dire que la prison est privation de liberté est à la foisjuste et faux. Juste parce qu’elle prive de la liberté d’aller et venir. Faux, parce qu’en aucun cas laliberté de penser ne peut être retirée. Cette approche nous situe dans la perspective républicaine etnous interroge sur les libertés fondamentales. D’emblée, nous voilà obligés de centrer notreréflexion et notre travail en considération de la personne.

L’administration pénitentiaire, qui a mandat d’exécution d’une décision de justiceprivative ou restrictive de liberté, doit décliner les missions qui lui sont données par la loi, enprenant en compte la dimension institutionnelle, mais sans rien céder de la considération qu’elledoit aux personnes qui lui sont confiées, ce qui constitue toujours un exercice délicat, exigeant duprofessionnalisme.

Elle s’inscrit dans des évolutions sociales dont elle est à la fois sujet et objet.

Elle est confrontée à des problématiques structurelles, de par l’augmentation du nombre depersonnes détenues (26 000 en 1975 – 48 000 en 1999, bien qu’il est constatable une baisse cesdernières années) liée notamment à l’allongement des peines, mais également à une inadaptationdes structures et du parc immobilier vieillissant. Mais également en milieu ouvert (70 000personnes en 1989 – 131 000 en 1999).

Elle est confrontée à des problématiques sociales complexes : toxicomanie, illéttrisme,délinquance sexuelle, délinquance des mineurs, longues peines, indigence…, qui obligent àaméliorer et différencier ses modes de prise en charge.

Ces évolutions se déclinent dans différents secteurs et de diverses manières.

* Depuis 1981, 48 établissements ont été construits ou réhabilités.

* Sur la même période, les effectifs en personnels ont progressé de plus de 50%.

* Une politique d’ouverture a été menée, sur la base de réformes profondes, faisant appel à unpartenariat privé, associatif ou public importants :

- La loi de 1994 relative à la prise en charge sanitaire des détenus "dépénitentiarise" les soins, etfait entrer la personne détenue dans le dispositif du droit commun. Il s’agit là d’une réformefondamentale, et une démarche qui se renforce dans ce sens.

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- la réforme des procédures disciplinaires et de l’isolement qui renforce les droits par les possibilitésde recours pour la personne détenue.

- la création des services pénitentiaires d’insertion et de probation destinée à assurer une continuitédans la prise en charge des publics et à une inscription dans les dispositifs départementaux, pouropérer un travail en partenariat plus cohérent.

- l’amélioration de l’hygiène individuelle et collective, ainsi qu’une meilleure prise en compte del’indigence, qui sont des façons concrètes de mesurer l’évolution des rapports entre l’institution et lejusticiable qui est considéré comme un sujet de droit et non plus uniquement objet d’une peine.L’indigence en détention ne se réduit pas à un seul manque d’argent, mais oblige à prendre en comptela personne dans une approche plus globale (l’éducation, la culture, l’isolement, l’hygiène, …).L’indigence est un sujet complexe, qui mobilise de nombreux acteurs. C’est une problématique quevous connaissez bien puisque le Secours Catholique, dont je tiens ici à saluer l’action au sein desétablissements, est un partenaire totalement impliqué dans cette préoccupation. La mise en place duprogramme PACTE (Plan d’Action Pour la Croissance du Travail et de l’Emploi) vise à assurer uneactivité à toute personne qui le souhaite et à renforcer la cohérence des dispositifs d’insertion.

La participation à une politique de développement des alternatives à l’incarcération est un axe fort :

- par le projet de création des centres pour peine aménagée dont les sites expérimentaux serontVillejuif, Marseille et Metz. Établissements implantés en centre ville, ils visent à améliorer la prise encharge des courtes et moyennes peines à moins d’un an de la libération, avec des structures, desmoyens et des personnels adaptés à l’objectif d’élaboration d’un projet d’insertion.

- le placement sous surveillance électronique comme modalité d’exécution de peine, permet auxcondamnés à moins d’un an d’exécuter leur peine hors les murs.

- et, réforme essentielle, la loi du 15 juin 2000, réformant la détention provisoire et l’application despeines désormais "juridictionnalisée", qui modifie profondément les relations entre l’administrationpénitentiaire et la personne détenue, celle-ci se retrouvant véritablement placée en position d’acteurde son projet.

Ces réformes auront en corollaire une évolution des méthodes d’intervention les adaptant au mieuxaux caractéristiques des publics :

- le travail auprès des mineurs détenus a été renforcé par des moyens humains, structurels, maiségalement par une approche pluridisciplinaire avec la PJJ, la Santé, l’EN, l’apport de psychologuespour l’accompagnement des personnels.

- la prise en charge des condamnés pour les infractions sexuelles par le suivi socio judiciaire,imposant au condamné une obligation de soins.

- le maintien des liens familiaux qui doit être amélioré par les conditions d’accueil des enfants auparloir, ainsi que la mise en place de 3 sites pilotes pour le développement des unités familiales.

- le projet d’exécution de peine en cours de généralisation dans les établissements pour peines vise àpermettre au condamné d’élaborer un parcours. C’est un moyen pour lui de se projeter dans undynamique personnelle en intégrant ce temps de détention qui est devant lui et en trouvant des repèreset les appuis nécessaires à une telle démarche.

- ces évolutions interrogent les missions et les métiers pénitentiaires et s’accompagnent de formation.

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- Ce service public a en outre la mission de garantir pour les personnes qui lui sont confiées parl’autorité judiciaire, l’accès aux dispositifs de droits communs auxquels elles peuvent prétendre,et de les accompagner dans leur démarche de réinsertion en favorisant l’individualisation de lapeine et l’indemnisation des victimes. Cette action s’inscrit dans le cadre des politiques publiquesmenées en matière d’actions d’insertion socioprofessionnelle et de prévention de la délinquance.

Le projet de loi pénitentiaire actuellement en chantier, reprend de manière globale le sens de lapeine, les missions du service public pénitentiaire, de l’administration pénitentiaire et depersonnels.

L’enjeu est bien de permettre à la personne dans le cadre même d’une décision de justicerestrictive ou privative de liberté, de conserver les prérogatives et obligations attachées à laqualité d’usager d’un service public et de citoyen, comprenant le respect des libertésfondamentales.

Votre action est donc fondamentale à deux titres :

- comme garantie de l’expression de la liberté de conscience, de penser et de culte.- mais aussi comme accompagnement des personnes qui sont à un moment donné confrontées à laprison et qui par votre action peuvent continuer à se retrouver dans une communauté de penserqui est la leur, et plus profondément peut-être pour elle que la pensée, l’expression individuelleavec une écoute particulière dans laquelle une rencontre peut avoir lieu.

Je vous souhaite des journées de réflexion riches en partage et en confrontations, et je vousremercie de votre attention.

Isabelle WINKLERDirectrice Générale

de l’Administration Pénitentiaire

******************************

ECHOS DU CONGRES

« Ce congrès … vraiment génial dans sa forme et dans son fond. Il a respiré du début à la fin lajoie de vivre pour Tous, et l’espérance d’une liberté promise à Tous ; une grande fraternité au-delà des frontières et des barreaux.Les modes d’expression divers et les intervenants étaient de qualité … d’exception peut-être ! ! !Mais, ne faut-il pas toujours mettre la barre haute pour donner l’envie de progresser ?Merci encore pour toutes les Paroles prononcées et l’écoute qu’elles ont suscitée. »

Jean Hamon

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PARTITION « TU FAIS MISÉRICORDE »

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RAPPORT MORALUn coup d’œil dans le rétroviseur pour regarder le chemin parcouru, prendre la dimension desévènements marquants et en retenir les enseignements pour l’avenir.L’aumônerie joue l’équipe… : c’est le pari que nous avions engagé au congrès de 1996. Jouer l’équipepour une plus grande fidélité à notre mission, en partenariat avec les aumôneries des autres cultes etconfessions, avec les ONG engagées auprès des personnes incarcérées ou de leurs familles, avec lesdifférents services de l’Administration Pénitentiaire, avec les services et mouvements d'Église.

Mon intervention va comprendre trois parties : - La réalité pénitentiaire, - L’aumônerie, - Le partenariat.

La réalité pénitentiaire :

Le paysage carcéral d’aujourd’hui est-il différent de celui de 96 ? Il y avait alors 58 000 personnes dansles prisons, on en compte environ 10 000 de moins aujourd’hui. Les raisons de cette diminution : unassouplissement de la répression des infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS) et des infractionsà la législation des étrangers (ILE), l’application de la loi sur la présomption d’innocence. Certainsinvoquent une diminution de la délinquance consécutive à la reprise économique…Depuis 5 ans, la vie de la pénitentiaire n’a rien d’un long fleuve tranquille : surveillants et surveillésmanifestent leur mal vivre. Leurs légitimes revendications sont très diversement entendues. C’est surtoutdepuis 1999 que nous assistons à un profond bouleversement. Il est encore trop tôt pour prendre la mesurede ce qu’il va en résulter, mais on peut se risquer à dire que plus rien ne sera comme avant.En mars 99, Mme Élisabeth Guigou alors Garde des Sceaux met en place deux commissions de travail.L’une sur la libération conditionnelle dont l’obtention était de plus en plus difficile, l’autre sur le contrôleextérieur des Établissements Pénitentiaires. C’est cette dernière, appelée commission Canivet, du nom deson président, qui préconisera l’étude d’une nouvelle loi pénitentiaire.En janvier 2000, grâce à un support médiatique exceptionnel, le livre du Dr Vasseur va faire l’effet d’unebombe. L’opinion publique est tirée de sa torpeur par ce cri d’alarme du médecin de la Santé, un crid’alarme que nous avions déjà souvent lancé et qui était resté sans suite (nous, c’est-à-dire pas seulementl’aumônerie mais tous les partenaires). Mais soyons bons joueurs : ce livre a été la goutte d’eau qui a faitdéborder le vase de l’indignation, et c’est tant mieux. Provoquer l’émotion ne suffit pas. Il faudra lavolonté du législateur pour aller plus avant. Pendant 3 mois, députés et sénateurs enquêtent sur le terrain,auditionnent toutes les personnes, associations et aumôneries concernées. Les rapports de cescommissions d’enquête sont sans équivoque : les prisons, une humiliation pour la république titre l’undes deux rapports. En novembre 2000, à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle Ecole Nationale del’Administration Pénitentiaire (l’ENAP), Mr Lionel Jospin, premier ministre, annonce la préparation d’unprojet de loi pénitentiaire. Toutes les personnes, toutes les associations concernées ont été associées à cetravail préparatoire. Nous y avons participé. Vous avez pu prendre connaissance des propositions del’aumônerie dans la Lettre aux Aumôneries n° 89. Le Parlement devrait bientôt débattre autour de ceprojet… il n’avait plus débattu depuis le 19° siècle !!! Cette loi pénitentiaire répondra-t-elle à toutes lesattentes ? Son projet fait l’objet de critiques, c’est le signe qu’il ne laisse pas indifférent…, le signe aussiqu’il faut ménager tout le monde : de ce fait on reproche à ce projet d’être minimaliste !

Si la population carcérale est numériquement en diminution sensible, son état ne cesse des’aggraver.

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Tous les professionnels de la santé le disent, relayés par les personnels de surveillance et lesservices sociaux : la population carcérale est psychiquement cassée et physiquement abîmée. Laprison est devenue un asile. Nous y retrouvons ceux que la société abandonne en chemin. Noussommes tous les jours témoins des dégâts que provoque une consommation abusive de stupéfiants etdu nombre de délits commis sous l’emprise de l’alcool ! Déficience mentale, illettrisme et indigencesont les principales caractéristiques de la majorité des hommes et des femmes incarcérés. Laréinsertion réussie d’une infime minorité d’entre eux ne saurait cacher cette réalité. Et que dire desmineurs que l’on continue à incarcérer alors que la preuve est faite que ça n’est d’aucune efficacité !L’augmentation croissante des incarcérations pour délits de mœurs ne laisse pas sans questions…L’incarcération d’étrangers en provenance des pays de l’Est nous rappelle la longue errance defemmes et d’hommes chassés de leurs pays par la misère et la guerre.

La prison manque de personnel. Les organisations syndicales ne cessent de le dénoncer. Lasituation s’est aggravée avec l’application du 1/5° pour les surveillants qui a entraîné un nombreimportant de départs en retraite lesquels n’ont pas été compensés par une embauche correspondante.Le passage aux 35 heures risque d’aggraver la situation. Ceci n’est pas sans retombées sur lespersonnes incarcérées. Les mouvements revendicatifs des personnels dont je ne conteste pas lalégitimité ne nous permettent pas toujours d’assurer correctement notre mission.Il faut souligner l’augmentation sensible du budget de la justice depuis plusieurs années. Mais leretard à rattraper et les besoins sont si importants… et l’opinion publique est peu portée à s’enpréoccuper. Après un brusque réveil il y a deux ans, celle-ci est retombée dans l’indifférence, mêmesi quelques évasions spectaculaires et aux conséquences tragiques pour certains, ont suscité lacuriosité le temps d’un journal télévisé !

Nous ne sommes pas aumôniers des personnels mais nous les côtoyons tous les jours et noussommes souvent leurs confidents. Ils nous disent combien leur travail est peu gratifiant, combien leurfonction se dévalorise au bénéfice d’autres intervenants. Certains se découragent et se réfugient dansun comportement ultra-sécuritaire, d’autres se résignent et attendent… Comment ces personnelspourront-ils trouver un sens à leur mission de réinsertion ?L'aumônerie :

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’aumônerie n’est pas figée : depuis le congrès de 96,elle s’est renouvelée de moitié. On ne fait plus carrière dans l’aumônerie et c’est une bonne chose !

En 96, nous étions 375 dans l’annuaire, nous sommes aujourd’hui 460. Nous étions 280 aucongrès de 96, ce matin nous sommes 370. Sur les 460, les 2/3 sont des aumôniers (pas forcément desprêtres), 136 sont des animateurs bénévoles d’aumônerie (le terme animateur est préférable à celuid’auxiliaire, ça casse l’idée de hiérarchie !). En 96, les prêtres représentaient la moitié de l’effectif ;ils ne sont plus que 1/3 aujourd’hui. Ce phénomène ne nous est pas propre, nous le savons bien. Iln’empêche que cela transforme profondément le visage de l’aumônerie et c’est très bien.

Si l’aumônier titulaire est l’interlocuteur du chef d’établissement, de plus en plus souvent laresponsabilité pastorale est confiée à un aumônier bénévole ou à un animateur d’aumônerie. Unanimateur ou une animatrice responsable pastoral d’une équipe, voilà qui souligne bien quel’animateur ou l’animatrice n’est pas l’aide de l’aumônier, son second. Cela n’aurait d’ailleurs jamaisdu être.

Je voudrais souligner deux points essentiels en ce qui concerne l’aumônerie : le faire équipe etla formation. Deux objectifs prioritaires depuis de nombreuses années.FAIRE EQUIPE. Une équipe d’aumônerie, c’est plusieurs personnes aux fonctions différentes. Lacréation des animateurs a été voulue pour ouvrir des lieux de paroles de détenus, en dehors descélébrations. Les animateurs travaillent en lien avec les aumôniers mais ce sont eux qui ont laresponsabilité de ces réunions.

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C’est leur mission précise. Dans une équipe d’aumônerie, on fait l’une ou l’autre chose, on n’estpas partout. La rencontre d’équipe prend alors tout son intérêt : nous y partageons nos approchesdifférentes, nos interrogations, nos difficultés. De cette mise en commun va naître une réelle vie d’équipe.C’est aussi dans ce partage que nous vérifions notre fidélité à la mission qui nous est confiée par l'Église.Le ministère du pardon, de la réconciliation a été confié à toute l’équipe et les détenus le sentent bienquand cela est vécu dans la vérité… Ils le soulignent par exemple lorsque après un transfert, ils écrivent àl’équipe d’aumônerie.La diversité de sensibilité des membres de l’équipe est un plus, à la condition que des divergences tropimportantes dans un projet pastoral ne conduisent pas à sa cassure. A l’occasion du renouvellement d’unmembre, à nous d’opérer le discernement nécessaire pour garder des équipes homogènes.

Toujours à propos de ce discernement, il est important que pour toute nomination dansl’aumônerie l’évêque prenne avis de l’aumônier régional et du responsable diocésain de l’aumônerie desprisons. Nous n’avons aucune prétention d’indépendance. Simplement, nous pensons que nousconnaissons assez le milieu carcéral pour sentir quel type de personne convient pour un tel ministère. Encas de problème, les autorités pénitentiaires en appellent toujours à l’aumônier régional.

Si on ne se réunit que pour fixer des dates, quel intérêt ? A deux reprises cette année, des membresd’équipes m’ont annoncé leur démission parce qu’il n’y avait pas de vie d’équipe. Ces départs sont deséchecs pour l’ensemble de l’aumônerie.Visites individuelles, célébrations, réunions d’équipe sont les trois piliers de notre mission. Cela fait partiede nos convictions.

LA FORMATION. C’est une nécessité vitale. La générosité ne suffit pas pour entrer à l’aumônerie. Sielle n’est pas encadrée par une formation sérieuse, la générosité pourrait même être dangereuse car nousrisquerions très vite, par manque de discernement, de céder à toutes sortes de sollicitations. A l’intérieur,on se retrouverait vite enfermé dans un rôle de distributeur de timbres et de grigris ; à l’extérieur, nouscourrions le risque de perdre toute crédibilité. Dans ce domaine de la formation, je souligne trois pointssur les quels nous avons avancé depuis 5 ans, même si il y a encore à faire… et il y a toujours à faire !

Le 1° est propre à tous ceux qui se préoccupent de leurs semblables. Toute activité au service de l’autre età plus forte raison de ceux qui sont les exclus de notre monde, demande une sérieuse formation à l’écoute.Nous ne pouvons pas en faire l’économie, nous le savons bien. Pour ne prendre qu’un exemple : lespersonnes détenues pour mœurs sont nombreuses à fréquenter l’aumônerie et cela ne se gère pasn’importe comment.

Le 2° concerne notre propre vie de croyant. Dans certaines équipes, la réunion commence par un tempsde partage après la lecture d’un texte de la Bible ou d’un auteur chrétien. C’est une façon de s’aider àapprofondir notre foi… c’est indispensable si nous voulons témoigner de Celui qui nous anime. Noussommes d’autant plus à l’aise avec les questions les plus insolites que nous posent les participants del’aumônerie que nous sommes au clair avec notre foi et nos propres questions. De plus, nous avons lachance de pouvoir nous réunir avec nos frères protestants, musulmans, israélites. La prison, carrefour desreligions !

Le 3°: s’informer, être curieux de tout ce qui touche à la prison : la réforme des SPIP, le projet de loipénitentiaire, la réforme de notre système judiciaire, la législation concernant les étrangers… pour ne citerque quelques têtes de chapitres. Et si j’ai le temps et les capacités, pourquoi ne pas apprendre une langueétrangère ? En prison, il y a tant d’étrangers enfermés dans notre incompréhension de leur langue…

Nous ne sommes pas sans outils pour cela. Des sessions nationales nous sont proposées chaqueannée : une session pour les nouveaux membres de l’aumônerie, une session pour les équipesd’aumônerie des centres de détention et des maisons centrales, une session pour tous sur unthème en lien avec notre travail.

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En février 2002, le thème en sera l’écoute… Après ce que je viens de dire ça ne vous surprendrapas ! Nous avons des sessions régionales, une ou deux par an dans chaque région pénitentiaire. Et laLettre aux Aumôneries permet de mettre à la disposition de tous ce qui se fait dans le domaine de laformation, tant au plan national que régional. Permettez-moi de souligner l’énorme travail accompli parJean CACHOT dans ce domaine de la formation dont il a la responsabilité…

Je termine ce chapitre sur l’aumônerie par deux notes :

1. Je disais tout à l’heure « on ne fait plus carrière dans l’aumônerie ». Peu à peu les contrats à duréedéterminée et non renouvelables éternellement se mettent en place. La circulaire de la direction généralede l’administration pénitentiaire fixant à 75 ans l’âge limite pour tous les membres des aumôneries estune sage mesure, même si quelques uns d’entre nous ont eu de la peine à quitter, et ça se comprend. Cettemesure présente au moins un avantage : nous savons désormais quand ça s’arrête et donc nous pouvonsprévoir les remplacements. Passer de l’aumônier à l’équipe a été un progrès important, mais il faut tenir etc’est à nous qu’il incombe de proposer à nos évêques des hommes et des femmes qui prendront le relais lemoment venu… Nous ne sommes pas obligés de tenir jusqu’à 75 ans.

2. Nous étudions actuellement avec la direction de l’AP et le ministère des finances un nouveau mode degestion des indemnités. C’est la présence de laïcs aumôniers titulaires qui est à l’origine de cette étude. Eneffet, à cause de cette indemnité qui venait augmenter vos revenus, plusieurs d’entre vous, retraités ouencore actifs, se voyaient promus à une tranche fiscale supérieure. Il est donc souhaitable que l’indemnitésoit versée au bénéfice de tous les membres de l’équipe. Cette indemnité resterait nominative mais seraitdéfiscalisée, à charge pour l’équipe de justifier de son de son utilisation. J’espère que 2002 verra la miseen œuvre de cette réforme. Avec l’accord du Conseil National, j’ai confié à Marc HELFER le soin de lamener à bien.

Le partenariat :

C’était l’un de nos objectifs adoptés au congrès de 96. Je veux aborder trois points :le partenariat - avec l’administration pénitentiaire,

- avec les ONG,- en Église.

Avec l’administration pénitentiaire :

A tous les niveaux, nos relations sont bonnes. Il n’y a pas de conflit, ce qui ne veut pas dire quenous sommes d’accord en tous points avec la politique pénitentiaire. La loi de séparation de l’Eglise et del'État prévoit notre présence dans les établissements pénitentiaires. En retour, nous ne devons pas oublierque nous intervenons dans une institution laïque et républicaine dont nous respectons la spécificité.

Nous apprécions d’avoir été associés à la recherche autour de grands dossiers comme laprévention du suicide, les commissions Farge et Canivet, les commissions d’enquête du sénat et del’assemblée nationale, le projet de loi pénitentiaire. La Lettre aux Aumôneries a rendu compte de toutcela.Nous intervenons régulièrement à l’ENAP pour présenter l’aumônerie aux promotions de jeunessurveillants. Nous souhaitons que cela s’étende aux cadres en formation ainsi qu’aux élèves éducateurs.

Tout récemment, la circulaire invitant à la création d’une commission d’indigence dans chaqueétablissement prévoit la présence d’un représentant des aumôneries.

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Les problèmes, quand il y en a, sont le fait de comportements individuels, qu’il s’agisse demembres de l’aumônerie ou de membres de l’administration pénitentiaire. En ce qui nous concerne, nousconsacrons un temps important dans les sessions de formation des nouveaux de l’aumônerie à présenternos droits et nos devoirs. Ce sont souvent ceux qui n’ont pas cru devoir participer à ces sessions qui ontdes problèmes.

Nous sommes des partenaires dérangeants… pas par une critique systématique, mais en rappelant,chaque fois qu’il le faut, la dignité de l’homme quelque soit son passé. Parce que nous ne sommes passoumis aux contraintes administratives, nous avons la liberté pour rappeler sans cesse la situation despauvres en prison et l’urgence à y remédier.

Je ne reviens pas sur nos rapports avec les personnels de surveillance… J’insiste simplement sur laqualité de l’accueil et de l’écoute que nous devons avoir à leur égard. Cela ne veut pas dire que nousbénissons tout ce qu’ils disent et font.

Avec les ONG :

Peu de temps avant le congrès de 96, un groupe national de concertation prison s’est mis en place.Il réunit le Secours Catholique, l’ANVP, la FARAPEJ, les aumôneries protestante et catholique, leGENEPI, l’Armée du Salut et la Croix Rouge. J’espère qu’un jour, l’aumônerie musulmane pourrarejoindre ce groupe. Parmi ces partenaires dont la plupart sont représentés à notre congrès, il y en a un quioccupe une place privilégiée… pour des raisons historiques, je veux parler du Secours Catholique. J’yreviendrai tout à l’heure. Ce groupe de concertation se réunit à Paris et travaille tous les grands dossiersconcernant la prison. Nous voulons être une force de proposition, qu’il s’agisse du traitement del’indigence, de la prévention du suicide, de la lutte contre l’illettrisme, des commissions de surveillance,du projet de loi pénitentiaire. Avec l’école et la santé, la société civile est entrée dans la prison. Il faut quecela continue et nous y contribuons. Nous sommes très préoccupés par la nécessaire ouverture del’opinion publique à la réalité carcérale. En nous gardant de tout angélisme et sans naïveté, nous devonsconscientiser l’opinion publique, l’aider à dépasser des peurs légitimes pour quelques uns, infondées chezbeaucoup d’autres. Comme l’expliquait dernièrement Madame Marilyse LEBRANCHU, Garde desSceaux, la prison fait partie de notre vie comme restent des citoyens ceux qui sont incarcérés. A refuser laréalité carcérale par indifférence ou mépris, il y a le risque de réveils difficiles, et pour ceux qui vontsortir un jour et pour la société qui devra les accueillir.

Depuis 10 ans, en novembre, se tient la Journée Nationale Prison. Au départ initiative de laFARAPEJ, c’est maintenant l’affaire de tous les partenaires du groupe de concertation, même si laFARAPEJ en reste le maître d’œuvre. C’est un bon moyen pour faire connaître à l’extérieur la réalitécarcérale. Je pense que l’aumônerie pourrait s’investir davantage dans la préparation et le déroulement decette journée.

Cette année, pour la 1° fois, se tiendront à Strasbourg, les 23 et 24 novembre, les PremièresJournées Européennes Prison. Nous ne pouvons pas rester prisonniers de notre hexagone.Que ce partenariat avec les ONG se développe et les personnes incarcérées en seront les premiersbénéficiaires !

Partenariat en Église :C’est certainement en ce domaine que des progrès ont été significatifs ces cinq dernières années.

N’y voyez aucune frilosité à l’égard du monde, bien au contraire.

Avec les médias d’inspiration chrétienne. Nous avons contribué à la publication de dossiers oude numéros spéciaux consacrés à la mission de l’aumônerie des prisons : dans "La Vie", "Croireaujourd’hui", "Fêtes et Saisons"… et dernièrement avec "Messages" qui publie un dossier prison dansson numéro d’Octobre à l’occasion de notre congrès.

Citons encore les radios chrétiennes qui ont invité des équipes à venir témoigner de leur mission,et les soirées débats organisées un peu partout, surtout depuis ces deux dernières années.

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Avec les services d’Eglise. Nous avons sollicité la collaboration de services d'Église pour dessessions de formation au plan national : une session sur les étrangers en prison avec le servicemigration du Secours Catholique et la pastorale des migrants ; une session avec le service national ducatéchuménat des adultes : des personnes incarcérées demandent le baptême, d’autres sont des"recommençants". Si ce service nous a apporté son savoir, en retour il a pu bénéficier de notreexpérience.Notre partenariat avec le Département Prisons-Errance du Secours Catholique s’est bien développé.Le fait d’être accueilli ici est le signe d’une vraie collaboration fraternelle. Mais, un peu à la manièredes oursins, cette relation privilégiée suppose une distance. Il faut que les fonctions soient biendistinctes, autrement il n’y a pas de partenariat. Pour éviter toute ambiguïté et respecter chacun danssa particularité, il n’est pas bon que l’aumônier de prison soit aussi celui qui intervient au titre duSecours Catholique comme c’était souvent le cas naguère. Il y a là des changements d’habitude àopérer, ce n’est pas toujours facile et quelques uns d’entre nous vivent difficilement ce passagenécessaire. La présence du délégué du Secours Catholique à côté de l’aumônier dans les commissionsd’indigence témoignera bien de cette diversité.

Avec l’ensemble de l'Église. A l’occasion du Jubilé 2000, nous avons franchi une nouvelleétape dans le partenariat en Église : la réflexion que nous avons proposée à partir du dossier Libérerles captifs a connu un impact certain dans le peuple de Dieu… en France, j’entends ! Des chrétiens,les uns incarcérés, les autres libres ont échangé sur la justice, les conditions d’incarcération, lepardon. La publication du livre "la peine et le pardon" a élargi encore la recherche des croyants.Permettez-moi un regret : les aumôneries ont peu fait connaître ce livre : moins de 2000 exemplairesvendus ! A entendre les réactions de lecteurs, c’est dommage ! mais c’est un dommage qui peut êtreréparé ici même… le livre est en vente au stand de l’aumônerie ! Par ce livre, des chrétiens incarcérésapportent leur part à la construction de l'Église, leur contribution à l’approfondissement de la foi detous. Qui aurait imaginé qu’un jour cela pût se réaliser ?

Toutes les prisons de France sont dans un secteur pastoral… Y a-t-il un représentant del’aumônerie aux rencontres de l’équipe pastorale du secteur ? N’attendons pas que l’on vienne nouschercher… il faut oser franchir la porte.

Je constate avec bonheur que les chrétiens sont nombreux à s’engager dans les ONG. C’estnormal, mais ce n’est peut être pas connu du grand public ; il faut le faire savoir, non pas pour sevanter mais pour montrer que le chrétien n’est pas si frileux qu’on le dit. Je me souviens de lasurprise d’un évêque qui, à l’occasion d’une visite pastorale s’est retrouvé au milieu d’un groupe de80 personnes, des chrétiens tous concernés par la prison, professionnellement ou par engagement.

Je conclus. Le chemin parcouru depuis 5 ans ne nous a pas menés dans une impasse ! Nousn’avions pas prévu en 96 de donner la parole aux personnes incarcérées et de faire en sorte que cetteparole soit entendue par le plus grand nombre, au delà des murs des prisons. Ne nous arrêtons pas enchemin. Trois convictions doivent nous motiver pour poursuivre :1. Nous venons de célébrer le 20° anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France. Ce n’étaitpas un point final mais la première étape d’une profonde réforme de nos pratiques pénales.L’administration pénitentiaire nous invite à y apporter notre contribution, ne déclinons pas l’offre !"Protéger la société ce n’est pas se contenter de la mise à l’écart… de ceux qui ont bafoué sesrègles… Cela signifie qu’il faut leur donner les moyens de trouver leur place dans notre société etdans ses règles" vient de dire Mme Lebranchu à l’occasion de cet anniversaire.

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2. L’option préférentielle de l'Église pour les plus pauvres doit se traduire pas des actes : laprésence de l’aumônerie dans les prisons auprès des personnes détenues en est un. Il est de notreresponsabilité de tout faire pour que cette présence demeure prioritaire.

3. La mission de l’aumônerie s’inscrit dans ces deux dynamiques. Elle suppose une équipe quitravaille vraiment en équipe et qui se préoccupe de son renouvellement ; elle suppose uneformation permanente sérieuse… Y-a-t-il dans chaque région un responsable de la formation ?Elle suppose un réel partenariat avec les autres aumôneries et les ONG.

C’est à ces conditions que nous pourrons annoncer aux captifs qu’ils sont libres.

Jean-Hubert VIGNEAU - 12.10.2001

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ECHOS DU CONGRES

« C’est une réflexion sur le fonctionnement de « l’équipe dirigeante » que je vous livrerai, nonsans vous dire que ce congrès, cet entracte, a été une bouffée d’espérance pour notre quotidien.

Dans le rapport moral, vous soulignez l’incontournable exigence de se rencontrer en équipe pourpartager, s’interroger, s’épauler.Alors félicitation aux grands responsables de ce congrès.En effet, tout était orchestré avec maestria : aucune perte de temps.Tout était pensé, préparé : magnifique travail d’une équipe soudée.Vous me direz : « C’est normal, c’était un congrès national, ce n’était pas la réunion trimestrielledu club de pétanque du coin, mais quand même ! Si on pouvait fonctionner nous aussi ainsi, enun réel partage de difficultés, une réflexion sur le « qui fait quoi », cela permettrait de seprésenter plus serein face au groupe de paroles, comme vous le fûtes devant les congressistes.J’ai beaucoup apprécié l’humour dans vos rapports, la complicité même et je vous remercie tousd’avoir essayé et réussi au-delà de toute certitude de nous redynamiser. »

Maryse Bounarel

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LIBÉREZ LES CAPTIFS, Jean Debruynne

Jeu scénique en 3 actes, un prologue et un finalMise en scène : Gaëtan de Courrèges

Régie : Dominique Gras - (Agence de Production - Secours Catholique)

avecSylvia BruyantHervé CornutJoseph Lullien

Lourdes - 12, 13 et 14 octobre 2001

PersonnagesTrois acteurs :Joseph Lullien : Prologue : L’Homme

Acte 1 : Témoin 3Acte 2 : Détenu 1Acte 3 : Détenu 1Final : Détenu 1

Sylvia Bruyant : Acte 1 : Témoin 2 et la FemmeActe 2 : Détenue 2 et la Femme et Détenue 2Acte 3 : Détenue 2Final : Détenue 2

Hervé Cornut : Acte 1 : Témoin 1Acte 2 : Détenu 3Acte 3 : Détenu 3Final : Détenu 3

plus…G. de Courrèges La Voix (Off)

Cinq manipulateurs manœuvrant dix mannequins de vitrine sur roulettes.Ces mannequins font une foule dont on entend les voix enregistrées.

Un chanteur :Gaëtan de Courrèges Acte 3 et Final : Détenu 4.

ConventionsEn italique : rubrique.Personnage ou rubrique soulignée en pointillé : séquence enregistrée.Personnage non souligné : direct.Séquence vidéo : souligné double.

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Accessoires, éléments de décors ou de costumes soulignés d’un trait simple, la première foisqu’ils apparaissent.

PROLOGUEScène 1

Quand la lumière vient sur scène, un homme est assis seul sur une chaise. Le haut de son visageest masqué par un rectangle noir, comme on peut voir sur les journaux les photos des mineursdélinquants. Ce rectangle noir peut être comme un masque vénitien, tenu au bout d’un manche.

L’Homme Pour y voir clair, j’ai beau me mettre dans le noir,Sans le savoir je tourne mes pieds dans tous les sens.Ils ne vont pas tarder à arriver…Ils ne vont pas tarder à me cracher des mots. Ils vont me les lancer comme desgifles.Ils feront exprès de me tromper.

Est-ce qu’il fait nuit ?Est-ce qu’il fait jour ?Le soleil s’est cassé.

Je n’aurais jamais cru que la vie soit si courte.Ils ne vont pas tarder. Ils vont venir…Mon cœur s’est éteint. Il est trop tard.

Ils vont venir. Ils ne vont pas tarder. Ils doivent déjà être en route…

J’aurais envie de marcher, d’aller et venir,mais il n’y a plus que des « nulle part ».

A quoi ça sert de donner la mort, et de se donner la mort ?N’y a-t-il plus de porte de sortie que dans la mort ?

Donner la mort…et se donner la mort ?

Ils vont arriver.Je vais entrer dans l’eau : elle est froide.L’eau va monter, c’est du vide, c’est du rien.

L’eau va me prendre aux épaules.Après, c’est la nuit…

Alors ? Alors ?Quand est-ce que vous allez me répondre ?

J’attends…Moi j’attends…Ils vont venir !

Répondez-moi :« A quoi ça sert de donner la mortet de se donner la mort ?… »

(On entend des coups frappés à la porte. Et une voix qui crie.)

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Policier (Off) Police ! Ouvrez !

Passage au noir. On entend alors les sirènes de police secours qui s’éloignent…

Scène 2

Quand la lumière revient sur scène, l’Homme est assis sur sa chaise dans la même position. Ilporte les menottes et tient toujours le rectangle noir qui lui masque le haut du visage. Proche dela chaise de l’Homme, une table chargée de dossiers.

L’Homme Comment prononcez-vous la garde à vue ?Ils ont prononcé ma garde à vue avec leur accent à eux.L’accent traînant qui cherche à prolonger la garde à vue.Déjà l’accent de la condamnation,l’accent du sous-entendu,l’accent du soupçon,l’accent qui donne tort,l’accent qui marche sur toutpour venir y semer le désespoir.

Ils avaient cet accent-làen prononçant la garde à vue.Le matin va venir.C’est au petit matin qu’ils vont essayer de me faire avouer.

Mes parents disaient que c’est la pire des choses que d’aller en prison.Moi aussi je l’ai toujours pensé.

Déjà je ne reflète plus mon visage.Déjà ils ont fermé mon livre.Déjà ils m’ont éteint.

Ici, la longueur du temps monte et descend,mais il n’a plus le droit d’écarter les murs.Ça dure beaucoup trop longtemps, la longueur du temps.

On n’entend plus alors que le tic-tac d’une grosse horloge.

L’Homme Ces quatre murs ont bien de la peine à se tenir debout.Il n’y a plus que la solitudequi pianote sur les choses.Le silence éteint tout.

Je n’ai même plus un endroitpour faire flotter mes fantômes.

Les choses sont pleines de nœudset ils viennent encore en rajouter.

Je guette un sonpour le reconnaître.Il ne vient pas.Je ne sais pas encore que je ne reverrai pas de si tôt le coin de la rue…

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Scène 3De nouveau le tic-tac de la grosse pendule. Passage au noir. Sur l’écran vont défiler des visagesen noir et blanc, masqués en haut du visage de ce même rectangle noir :

Visage 1 Il devrait y avoir dans les palais de justice et en garde à vue des moyens de contrôlede ces institutions qui exercent un très grand pouvoir au nom de la société. Il faudrait un contrôledes juges d’instruction qui ne travaillent qu’à charge…

Visage 2 Le non-respect de la dignité commence dès la garde à vue. On se sent perdu dans unmonde à part.

Visage 3 La société s’intéresse plus à savoir pourquoi on entre en prison qu’à savoircomment on en sort. On sait davantage ce qu’étaient les bagnes d’hier que les prisonsd’aujourd’hui !

Visage 4 Tout le monde est capable de tout. C’est la nécessité qui te fait faire des délits et descrimes. On ne tombe pas dans la délinquance par choix, mais par faiblesse…

Musique et passage au noir.

ACTE 1Scène 1

Une barre est seule en scène.Témoin 1 (Il s’avance à la barre) Je le jure !Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était le septième jour de la fête des tentes, le dernier etle plus solennel, c’est le jour de Soukot, celui où l’on passe par tous les rites des ablutions. Dès lepoint du jour, ce Iéshoua était revenu au temple. Il y avait toujours une foule à tourner autour delui. Iéshoua leur disait : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi… ».C’est alors que les Sopherim et les Peroushim amènent une femme qu’ils venaient de mettre enétat d’arrestation.Ils l’avaient surprise en flagrant délit d’adultère. Ils la placent debout, seule, au milieu d’eux quifont un encerclement enfermé, bouclé, voyeur… un encerclement clos. Un huis clos. Une prison.Le cercle s’est déjà fermé. Le monde s’est déjà arrêté.« Rabbi, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère… »C’est déjà une condamnation.Le témoin se retire. Un autre témoin, une femme, vient à la barre.Témoin 2 Je le jure !On ne dit pas assez ce qui se passe dans les gendarmeries, les commissariats et les palais dejustice : le non-respect de la dignité humaine commence dès la garde à vue et la présentationdevant un magistrat. Un enfermement clos. Un huis clos. Un enfermement… Le monde s’est déjàarrêté.Je pensais que la prison était faite pour les criminels, mais il y a beaucoup d’innocents en prison :c’est si facile d’y envoyer quelqu’un ! Sur un papier, vous portez plainte anonymement contrevotre voisin et il est mis en examen – ça m’est arrivé l’an dernier…La prison, c’est comme un très grand asile où sont beaucoup de pauvres dont le seul crime estleur pauvreté : il y a des non coupables, surtout des étrangers. Ils sont victimes de la justicefrançaise. Que peut penser un innocent en prison ? Quelle peut être son humiliation ? L’innocentn’a plus envie d’être innocent. L’appareil judiciaire est une broyeuse d’âmes…

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Le témoin se retire. Un autre vient à la barre.Témoin 3 Je le jure !

Mon nom a été mentionné dans le journal dès mon arrestation. Les copains de mon fils,qui a 14 ans, lui mettent l’article sous les yeux. Mon fils a été une semaine sans aller àl’école. Après l’article dans le journal plus personne ne parlait à ma femme, comme sielle était responsable. Même les catholiques, pratiquants, dans un mouvement, m’onttourné le dos.Les médias locaux sont terribles : vous avez déjà une demi page dans le journal lelendemain, alors que l’enquête n’est pas faite…Les médias manquent de respect pour les personnes avant le jugement, et ils ne sontjamais inquiétés…

Passage au noir. Dans la nuit, une voix déclare sur un ton administratif qui convient :Le juge (Off) Le tribunal vous déclare coupable des faits qui vous sont reprochés et vous

condamne à sept ans de prison fermes et huit cent mille francs d’amende…Musique

Scène 2La femme adultère est au milieu du cercle des hommes. Les hommes ont tous une grosse pierre à lamain, qu’ils tiennent dans le dos. Sur une musique « d’inquisition », le cercle des hommes tourneautour de la femme : c’est une sorte de danse des morts… une danse qui foule et piétine … une dansequi bat le blé ou écrase le raisin…La Femme Qu’est-ce qu’ils ont tous ceux-là, en ouvrant leurs yeux ronds ? Ronds qu’ils font en

jetant leurs cailloux dans l’eau … Ronds qu’ils font comme un chemin de ronde quisépare la prison d’avec elle-même … Ils tournent en rond, le caillou de la mort entre lesdoigts…La terre est borgne…Ils rêvent d’une mare de sang…du sang rouge et d’une flaque ronde exactement à la mesure de la démesure…La mort, est-ce que c’est difficile ?Est-ce que c’est difficile de mourir ?Ils vaut encore mieux être une chienne que d’être une femme.Les choses grésillent sous les apparences.Les cailloux vont tomber comme les têtes.C’est comme si rien de tout cela n’était vrai.Leur manège ne me tourne pas autour,il me saoule du dedans…On croit aimer,on croit que c’est soi que l’on aime.Je sais faire semblant…Je ne dirai rien, pas même un cri,Je ne dirai rien, par respect pour le soleil qu’on salit,par respect pour l’ombre assassinée,par respect pour ces enfants perdus,puisque de toutes les façons l’homme n’est plus respecté, et la femme encore moins.Pourquoi regardent-ils mon corpscomme un rempart qui n’existe paset qu’il faut dévaster ?Pourquoi ne voient-ils mon corpsQue comme une façade aveugle ?

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Pourquoi perquisitionnent-ils mon corpscomme un lieu de complot ou d’attentat ?

A force de tourner en rond,ils vont finir par perdre leur ombre…

Je n’ai que de la suie pour me servir de regret…c’est le mensonge qui m’ouvre sa cachette.Il me protège.Les orties poussent sur mes ruines pour les cacher…

Scène 3Brusquement la ronde infernale s’arrête autour de la femme adultère, et les hommes se rangentface au public.Inquisit 1 Iéshoua, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, la loi de Moïsenous prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, qu’est-ce que tu dis ?

Inquisit 2 Si tu dis qu’il ne faut pas appliquer la loi mais l’amour, si tu dis qu’il ne faut paspunir mais sauver, et si tu dis que le pardon est plus fort que le crime… Alors c’est toi que nousallons lapider sur champ, car tu n’es donc plus qu’un infidèle, un renégat, un incroyant, un traîtrequi a réussi à s’infiltrer comme un voleur sur la trois fois sainte esplanade du Temple sacré !

Inquisit 3 Lapidez-le !

Inquisit 4 Lapidez-le !

Inquisit 5 Lapidez-le ! Lapidez-le !

Tous Lapidez-le !Lapidez-le ! Lapidez-le !

Il naît une musique très intérieure et sereine qui vient se glisser comme une grande paix.

La Voix (Off) … Mais Iéshoua, se baissant, se met à écrire avec son doigt sur le sol…

Inquisit 2 Alors, réponds ! Rabbi, qu’est-ce que tu réponds ?

Inquisit 1 Alors, tu réponds quand on t’interroge ?

Inquisit 5 Tu ne sais pas quoi répondre !

Inquisit 4 Tu t’embrouilles !

Inquisit 3 Tu bafouilles !

Inquisit 4 Tu as la trouille !

Inquisit 1 Réponds ! Mais réponds donc !

La Voix (Off) … Pourquoi m’interroges-tu ?Demande à ceux qui ont entendu ce que je leur ai enseigné ! Eux, ils savent ce que j’ai dit !

Un des hommes s’avance et donne une gifle.

Inquisit 2 C’est ainsi que tu réponds à la Justice ?

La Voix (Off) Si j’ai mal parlé, témoigne de ce qui est mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoime frappes-tu ?

… Et lui, le baissant de nouveau, écrivait sur le sol…

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Inquisit 4 Qu’est-ce qu’il est en train d’écrire ?Inquisit 5 … Mais qu’est-ce qu’il est en train de gribouiller ?Inquisit 3 … A quoi ça sert d’écrire dans la poussière ?Inquisit 2 … A quoi ça sert d’écrire un jugement, si c’est pour l’écrire sur le sable et dans la

poussière ?Inquisit 4 Mais qu’est-ce qu’il est en train d’écrire ?Inquisit 1 Ne vaut-il pas mieux écrire dans le ciel plutôt que sur la terre ?Inquisit 4 Mais qu’est-ce qu’il est donc en train d’écrire terre à terre ?Inquisit 3 Il compte le nombre d’innocents qui sont dans les prisons…Inquisit 5 Il fait le compte de tous les procès qu’il faudrait réviser…Inquisit 2 … Moi, je suis sûr qu’il est en train de faire le total de tous les crimes qui n’ont

jamais été jugés…Inquisit 1 Pour ma part, je serai plutôt tenté de croire que ce Iéshoua est occupé à faire le total

de tous les péchés commis par tous ceux qui sont dans cette salle…Inquisit 3 Il est en train de dessiner le parcours tortueux du condamné…Inquisit 1 Il est en train de compter le nombre de détenus par cellule…Inquisit 2 Il compte le nombre de mois ou d’années de prison préventive…Inquisit 3 Il évalue les honoraires que réclament certains avocats…Inquisit 5 Il fait le compte de ceux qui seront assez fortunés pour pouvoir payer une caution…La Voix (Off) … Et lui, Iéshoua, reste penché et continue d’écrire par terre…Inquisit 4 Mais qu’est-ce qu’il est donc en train d’écrire ?Inquisit 3 Il n’écrit pas … il décrit. Il décrit les conditions de vie dans les prisons…Inquisit 5 Les conditions de vie … ou les conditions de mort ?

Passage au noir.

1er échange : regard sur « l’exercice de la justice »

Interview de Madame Marie-Agnès CREDOZ

J.-F. Bouthors – Eh bien on prend ça à l’estomac, Marie-Agnès Credoz, vous qui êtes présidentede la cour d’assises de Franche-Comté, pas si simple cette première partie. Moi j’ai une questionqui m’a travaillé en entendant toutes ces paroles, la plupart de détenus : comment on fait pour êtreun homme ou une femme dans cette machine policière et judiciaire ?

M.-A. Credoz – On est forcément un homme ou une femme ; machine sûrement à certainsmoments, machine humaine, machine avec des garanties, machine où il y a des règles à respecter,machine qui résulte de la loi et où ces hommes et ces femmes qui travaillent à un moment donnémobilisent toute leur personne et dans le cadre où ils peuvent intervenir et interpréter un certainnombre de choses, leur personne va faire que pour certains ça se passera très mal, pour d’autresça se passera beaucoup mieux, certains auront l’impression d’être respectés, même en garde à vueparce que je crois que s’il faut entendre des choses comme ça, ça arrive, c’est surtout arrivé il y aquelques années.

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Quand j’étais juge des enfants, j’ai vu des mineurs battus, j’ai vu des mineurs mis à genoux sur unerègle et battus. Je crois quand même que, même si maintenant ça devient exceptionnel, effectivement,suivant la personne que vous avez en face de vous, vous pouvez être plus ou moins respecté.

J.-F. B. – Sans même parler d’une certaine manière de violence, on voit bien au début que celui quiest futur justifiable est lui même, du simple fait d’être futur justiciable, dans un état intérieur, un étatpsychologique, peut-être même spirituel de telle fragilité qu’il n’y a peut-être pas besoin d’êtreextrêmement violent pour qu’il y ait de toute façon une injustice ou un décalage.

M.-A. C. – Il arrive à un moment donné – la première scène était très forte, on peut l’interpréter dedifférentes façons : j’ai donné la mort, je vais me donner la mort, est-ce qu’il n’y a pas déjà chez cettepersonne une culpabilité interne ? A partir du moment où il y a une culpabilité interne, il y a del’angoisse, il y a de l’anxiété, il va entrer dans quelque chose de très difficile et il va effectivementcommencer tout un parcours où il va sans doute avoir l’impression à certains moments d’être broyé, ily a quand même des garde-fous et il y a tout un tas de possibilités pour qu’il soit respecté.

J.- F. B. – L’autre chose que je voulais vous demander : on voit bien dans ces paroles de détenus queeffectivement la justice apparaît comme une machine et pas tellement comme la société qui parle.Comment faire pour que la justice ne soit pas simplement un appareil de répression, de règlement destensions, des difficultés, mais la présence même amicale de la société.

M.-A. C. – La société, je ne sais pas, en tout cas la présence humaine, la présence respectable de tousceux qui interviennent tout au cours de ce processus. Je le dis, ça existe : la personne en garde à vue ason avocat, elle voit le procureur de la république, quand elle arrive devant le juge d’instruction, il y aun dialogue qui se fait beaucoup plus souvent qu’on ne croit, donc cette personne qui est inquiète, quiva être confrontée à des règles qu’elle ne connaît pas, qui va entrer dans un monde qu’elle ne connaîtpas. Si elle trouve tout au cours de ce processus des gens qui en respectant la loi la respectent en tantque personne, alors à ce moment là, ça lui deviendra supportable.

J.-F. B. – Il y a quelques années, on a changé un peu le vocabulaire de la justice, avant on parlaitd’inculpation, maintenant on dit mise en examen, et au fond là encore on voit que ça n’a pas changégrand chose. Je ne sais pas si vous n’avez pas été bouleversée par cette parole de ce monsieur quiparle de son fils à qui on jette à la figure l’article disant "t’as vu ce qu’a fait ton père" et donc lasociété a déjà jugé avant.

M.-A. C. – Très souvent, alors que, on le répète, quelqu’un qui entre dans le processus judiciaire estprésumé innocent. Alors, bien sûr, ces médias, il y a tellement de choses à dire, la presse aussi c’est laliberté de la presse, qui est la garantie d’un régime démocratique ; alors c’est à chacun avec sonéthique et sa déontologie de faire son travail. Il y a des magistrats non respectueux, il y a desjournalistes qui donnent en pâture la moindre information sans absolument vérifier, il y en a d’autresqui vérifient, et il faut malgré savoir que quand il s’agit de mineurs, on ne peut jamais mettre le nomd’un mineur dans la presse.

J.-F. B. – Peut-être une dernières chose, j’ai en tête plusieurs procès récents concernant une personnequi s’en est bien tirée, puisqu’elle a été lavée de tout soupçon, merci pour elle, en même temps on a lesentiment que peut-être cette personne avait les moyens que d’autres plus pauvres n’ont pas et que làil y a une injustice sociale…

M.-A. C. – On peut dire que oui, il n’y a rien d’autre à dire, c’est suivant si vous êtes riche ou pauvre,certaines portes s’ouvriront ou pas. La justice est comme le reste, on est dans la société, la justice, laprison, la police, le milieu scolaire… suivant comme on est entouré, si on a de l’argent, si on estintelligent, si on a l’affection des siens, il y aura des choses qui seront différentes. Faut pas avoir peurde le dire.

J.-F. B. – Merci !

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ACTE 2

Scène 1Un projecteur tombe sur un homme assis sur un escabeau. Le groupe des hommes portant toujours sescailloux à la main entoure le prisonnier sur son escabeau.

Détenu 1 La prison, c’est un déshonneur pour moi et pour ma famille. La prison, c’est unedécharge nationale. C’est pire que j’imaginais, c’est un enfer légal. Ça m’a permis de descendreau fond de la misère, de la solitude, de la douleur des gens, y compris de moi-même. C’est le lieudu tout répressif, une machine à démolir et à exclure davantage et définitivement les exclus ! Onne cherche pas à comprendre le pourquoi, on se contente de punir le détenu… Ça nous grignote lecerveau…Passage au noir. Un projecteur tombe sur un autre coin de la scène où une femme détenue, debout dos aupublic, parle à son tour. Elle est immédiatement enserrée par le groupe des hommes portant leurs cailloux à lamain.

Détenue 2 C’est dur, et on ne s’y fait pas. C’est une machine à broyer. Ici, tout est froid etglacial. Aucune chaleur humaine… C’est une sensation de maison des morts, avec des odeurs,des cris… C’est comme une chape de plomb qui te tombe dessus. Tu as l’impression que le murvient sur toi… Pâtir, endurer, ployer, devenir inexistants… Voilà notre condition.Naît alors une séquence de musique uniquement faite de bruits de clés et de verrous…

Détenue 2 Dans cet univers de clés qui s’entrechoquent, de verrous qu’on ouvre et qu’onreferme sans cesse, dans ce cloaque inimaginable de l’extérieur, on est réduit à l’état de chosequ’on dirige, qu’on commande, qu’on asservit… Ici, tout est réglementé, 365 jours par an. Leprisonnier ne pense plus à rien : on pense pour lui. Inutile de demander quoi que ce soit. Troisheures de promenade par jour, deux douches par semaine. C’est tout. Le reste, c’est-à-dire pasgrand chose, est soumis à l’acceptation des surveillants, des chefs, ou du juge d’instruction…Passage au noir. Le projecteur tombe sur un homme couché par terre, roulé dans une couverture. Lameute des hommes aux cailloux vient l’enserrer.

Détenu 3 Le premier choc, c’est la promiscuité. La promiscuité à l’intérieur des cellules.C’est encore plus terrible quand le gars est enfermé pour viol. On mélange tout le monde :pointeurs, dealers, voleurs et honnêtes gens. On vit constamment les uns sur les autres… Dansune cellule de 12m2, nous vivons à trois. Peu importe l’âge, la religion, la couleur de la peau, leniveau socioculturel. Nous vivons 21 heures sur 24 ensemble, 7 jours sur 7. Malheur aux faibles,aux fragiles, aux pauvres, aux paumés. Comment trois hommes qui ne se sont jamais vuspeuvent-ils du jour au lendemain cohabiter ? Il faut tout subir et ne rien dire ...Passage au noir. Séquence musicale. La lumière se fait sur tout le plateau, où la femme et les autresdétenus sont restés à leur place et dans leur position. La horde des hommes porteurs de cailloux enserrede nouveau la femme.

La Voix Iéshoua se redresse alors lentement. Ses yeux parcourent le monde entier. Ildit : « Celui d’entre vous qui est sans faute, qu’il jette le premier la pierre… »Passage au noir.

Scène 2Quand la lumière descend sur scène, on retrouve la femme prisonnière du cercle des hommes portant leurcaillou les mains dans le dos. Une musique accompagne la scène en fond…

La Femme Peut-on mourir un jour pareil, alors que chaque caillou est une maison desoleil ? (un silence)

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Et pourquoi cette fourmi est-elle venue se perdre sur les pavages du Temple ? Ne sait-elle pasqu’elle est hors la loi, et qu’elle a franchi l’interdit du sacré ? (un silence)Et pourquoi cette mouche vole-t-elle ? De qui détient-elle le droit de voler n’importe où, et d’alleret de venir où elle le veut ?A cet instant tous les hommes du cercle vont tourner le dos à la femme adultère en se retournantl’un après l’autre. Ce retournement est un dépit.La Femme Et pourquoi ces hommes n’ont-ils plus de visage ? …Et pourquoi en regardant baissent-ils les rideaux de leurs yeux ? …Et pourquoi détournent-ils la tête ? D’où leur vient soudain cette honte ? …Auraient-ils soudain peur de mon péril ? …Ils s’en foutent…Ils n’en ont rien à foutre…Des dos… rien que des dos… ce ne sont que des dos. Des dos à porter des fardeaux… Des dos àdos. Des dos humiliés, des dos courbés jusqu’à faire le gros dos. Des échines. Des dos ployés.Des dos qui ne tremblent jamais au désir. Des dos faits pour porter le joug. Des dos de bétailhumain. Des dos silencieux de désespoir muet… (un silence)Pourquoi mon amour m’a-t-il exclu de la loi ? Pourquoi ont-ils fait de la loi leur esclave chargéede protéger leurs intérêts, de garantir leurs profits, d’obéir à leurs ambitions et de rouler leurstambours ? (un silence)Si au moins je pouvais entendre aboyer un chien ? (un silence)Pourquoi couvrent-ils mon corps de leurs mépris ? Pourquoi veulent-ils se débarrasser sur mondos de ce mépris d’eux-mêmes qu’ils tentent de fuir pour sauver leurs apparences ? (un silence)…Pourquoi cherchent-ils à me vendre leur mauvaise conscience pour s’acheter une bonneconscience ? (un silence)Mais où est-elle cette fille inconnue que j’étais autrefois ? Je me demande bien ce qu’elle estdevenue ! J’aimerais bien pouvoir la retrouver, alors je lui demanderais : « Es-tu capable de mepardonner ?… »Les interventions qui suivent sont enregistrées et passent sur les écrans, genre interview-trottoir.Passant 1 L’adultère, est-ce un péché ou une blessure ? Faut-il punir une blessureou faut-il la guérir ? …Passant 2 Mais si j’ai bon souvenir… il faut être deux pour commettre l’adultère …Alors où est l’autre ? …Passant 3 Il s’est absenté au bon moment…Passant 4 A moins que justement il ait tenu à prendre son rang d’accusateur, le plusempressé de tous les accusateurs ! Quand on a cueilli la fleur, on la jette !…La Voix (Off) … Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la premièrepierre…Alors, l’un après l’autre, les hommes quittent le cercle qui enferme la femme adultère. Elle resteseule en scène.La Voix (Off) Femme, où sont-ils donc tous passés ? Personne ne t’a condamnée ?La Femme Personne, Rabbi ! … Personne !La Voix (Off) Moi non plus je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pècheplus…

Scène 3Passage au noir. Pendant ce passage au noir est installé sur scène un cloisonnement de 3parloirs. Quand la lumière vient sur scène, un homme est assis dans le box du centre, face aupublic. Sur les écrans, on voit défiler en boucle des images ludiques de jeux télévisés, de vies des t a r s , e t

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Détenu 3 Depuis que je suis ici, je suis hors du temps : je ne suis pas condamné à un temps àfaire, je suis condamné à un temps à subir…Mon casier sera désormais une marque indélébileempêchant mon retour à la vie active… Personne ne sort jamais de prison… Chacun sort avec saprison…On entend alors un bruit de clés. Entre un second détenu qui s’assoit dans le box côté jardin.Détenu 1 Tu sais, l’essentiel n’est pas d’avoir tout dans sa cellule, les revues, la télé, toutça… ! L’essentiel est d’être un homme qui s’améliore en humanité. Mais la prison broie tout surson passage : les cœurs, les âmes, les couples …Bruit de clés. Entre une femme qui prend place dans le box côté cour.Détenue 2 Tu me demandes si la prison peut guérir les maladies de l’âme ? (Silence)Moi, ma famille m’a abandonnée à cause de la durée. La prison, c’est le lieu où on fait éclater lafamille. On a l’impression de ne plus exister pour personne, même pour notre famille… Enprison, on n’a pas d’amis, on n’a que des relations.Détenu 3 La dignité d’une personne, c’est de ne pas la priver d’avenir…De nouveau le bruit des clés, et une clé qui cogne contre la paroi…Gardien (Off) Terminé !Le détenu 3 sort.Détenu 1 Le temps de la prison devrait être un moment pour amener à faire le bilan de sonpassé … Au lieu de ça, la prison est capable de transformer un agneau en loup…Détenue 2 On aide un coupable en lui apprenant à assumer sa faute, et non pas enl’infantilisant, ou en jouant avec lui à l’assistante sociale… Je suis une adulte, et je suis obligéede réclamer comme une enfant… On finit par faire de la prison une école de fainéantise,d’assistanat… Nous sommes infantilisés et cassés, si bien que la sortie de prison devient presqueune angoisse… On a mérité notre peine, mais on n’a pas mérité de perdre espoir dans le futur !Détenu 1 Je parle, je parle … Je n’ai que ça, je n’ai que mes mots… C’est tout ce qui mereste… Mais personne ne m’écoute !…De nouveau le bruit des clés, et une clé qui cogne contre la paroi…Gardien (Off) Parloir terminé !Détenu 1 (Se levant) Tu parles… Parfois tu oublies de parler… On ne croit jamais ce que jeraconte !…Le Détenu 1 sort. Bruit de clés, et la clé qui cogne contre la paroi…Gardien (Off) Parloir terminé !Détenue 2 Déjà !…Les parloirs sont trop courts … sans intimité… c’est comme si on nous volait la joie de se voirentre époux ou de voir les enfants… (Elle se lève, part, et se retourne vers le public). L’amour,c’est quand il y a quelque chose avant et quelque chose après…Passage au noir. Fin des séquences télévisées.

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2ème échange : regard sur « les conditions d’incarcération Interview de Madame Laure BASTE-MORANDJ.-F. Bouthors – Eh bien, Madame Laure Baste-Morand, ça ne s’arrange pas. Les prisons vousconnaissez, présidente honoraire de l’Association Nationale des Visiteurs de Prison, vous avez du envoir…Laure Baste-Morand – Je suis toujours sortie le soir ! En fait, ça n’a rien à voir. Pour savoir ce qu’est laprison, je crois qu’il faudrait se faire enfermer au moins un mois, sans que les surveillants sachent qu’onn’est pas des détenus.

J. F. B. – Parce que c’est vraiment cette machine à broyer ?L. B.-M. – Oui, c’est un univers de laideur, c’est un univers sinistre où les gens y sont coupés de tous lesplaisirs de la vie, le plaisir de se promener à ramasser des champignons, le plaisir de rencontrer les gensqu’on aime, le plaisir de choisir une activité, on ne laisse rien et en plus les gens qui sont en prison sontdes gens qui ont très peu de mots, ce sont des gens démunis, c’est vrai que ce sont des pauvres, et quandvous avez très peu de mots ou trois cents mots pour vous exprimer, c’est pas simple de communiquer.

J.-F. B. – J’ai entendu un mot subir, un temps à subir, c’est terrible ça !L. B.-M. – Absolument, on subit sa peine. Pour qu’une peine soit et efficace et utile, il faut qu’elle soitacceptée et il faut qu’on reconnaisse sa responsabilité, mais c’est pas du tout le cas pour tout le monde.J’ai rencontré beaucoup de gens qui ont été détruits parce qu’ils avaient été mal jugés. Il n’y a pasénormément d’erreurs judiciaires parce qu’il n’y a pas tellement d’innocents en prison quand même, maisil y a beaucoup de gens à qui on a collé une peine qui ne convient absolument pas et qui leur enlève toutmoyen de se réinsérer ou de s’insérer tout simplement.J.-F. B. – En même temps, a entendu des paroles qui sont peut-être de la révolte mais aussi d’un désir devivre, vous les avez entendues ces paroles ?L. B.-M. – Oui absolument. Les gens vous disent "je n’existe pas" mais curieusement, ils résistent, cesgens ont une résistance incroyable. J’ai rencontré des gens qui ont fait vingt ans, vingt cinq ans et ils ne sesuicident pas. J’ai eu un client, il a été réincarcéré pour la troisième fois, il ne s’est pas suicidé et je n’aipas compris pourquoi. Je vais dire une chose horrible, il y très peu de suicides en prison parce que lespauvres sont habitués à subir et que l’univers de la justice est un univers de castes : il y a les brahmanes, ily a les sikhs et il y a les intouchables et les intouchables ne savent pas très bien plaider leur cause auprèsdes brahmanes.

J.-F. B. – Justement, j’avais en tête le mot exclusion, parce qu’en regardant, en écoutant, j’avais plusencore que tout à l’heure le sentiment que la société les a mis loin d’elle, le plus loin possible, mêmes’ils sont à l’intérieur des murs et que les murs peuvent être parfois encore dans la cité, c’est le plusloin possible, on en a le sentiment. Il y avait cette parole "j’aimerais entendre aboyer un chien", c’estterrible : la société ça pourrait être l’autre, c’est au moins le cri d’un chien et on ne l’entend pas.L. B.-M. – Il faut bien dire qu’on met les gens dans un placard pour se débarrasser de problèmes qu’on nesait pas résoudre, on se débarrasse de gens qui font peur et la prison est un monde de peur et de méfiance.C’est pour ça que l’insertion est très très difficile à préparer : on se méfie de détenu à détenu, de détenu àsurveillant, de surveillant à détenu bien entendu, on se méfie de son avocat et on a quelques fois toutes lesraisons de s’en méfier, et on se méfie de son juge d’instruction et on a quelquefois toutes les raisons des’en méfier. Donc, ça ne crée pas du tout les conditions pour préparer l’avenir, mais de toutes les façonsmettre quelqu’un dans un lieu clos et noir pour lui apprendre les couleurs, c’est un peu ce qu’on fait avecles détenus, on les prive de leur liberté pour leur apprendre à s’en servir ! C’est un petit peu absurde.

J.-F. B. – Oui mais justement, il y avait cette référence qui était toujours là derrière avec lapécheresse et Jésus, d’une parole de vérité qui reconstruit et cette parole, on a l’impression que laprison ne sait pas la dire.

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L. B.-M. – Non ! Mais c’est pas fait pour ça. La prison est faite pour punir, avant toute chose.

J.-F. B. – Mais vous, visiteurs de prison, cette parole-là, vous pouvez l’apporter par votreprésence ?

L. B.-M. – Nous sommes une très grande oreille, nous venons et nous sommes là pour écouter etpour poser sur les gens, leur apporter un regard qui soit d’égal à égal, c’est la chose qu’il fautapporter absolument. Nous sommes la société et nous ne les rejetons pas, c’est tout ce qu’on peutfaire.

J.-F. B. – En disant "je suis là", vous leur dites "tu es".

L. B.-M. – Voilà, absolument, c’est aussi bête que ça.

J.-F. B. – Merci !

ACTE 3

Naissance d’une musique (intro du chant) qui introduit le nouveau décor : une croix en bois trèslarge avec un Christ découpé en creux, et quelques sièges. Quand la lumière vient sur scène, elleest très douce et donne une ambiance de recueillement. L’un après l’autre des détenus entrent,vont s’asseoir sur les sièges préparés ou par terre. Ils portent en entrant une veilleuse qu’ilsdéposent par terre auprès d’eux. Quand ils sont tous en place, l’un d’entre eux chante :

Détenu 4 Des jours sans rime ni raison,Nos cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

Le refrain est repris par les autres. Les paroles du refrain s’inscrivent sur les écransREF Des jours sans rime ni raison,Nos cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prisonDieu, tu te fais Miséricorde.

Détenue 2 Regarde la petite flamme, là… Une goutte de lumière dans un océan noir. Unegoutte de lumière comme un reflet de Dieu…

Détenu 1 Heureusement qu’il reste cette flamme, quelque part dans la prison. Comme ungosse à qui on laisse une veilleuse pour calmer ses peurs et ses angoisses.

Détenu 3 Le combat spirituel pour survivre. Une veilleuse, oui… Un combat pour nousempêcher de sombrer dans le néant, dans la dépresse… ou le suicide…

Reprise du refrain

REF Des jours sans rime ni raisonNos cœurs usés jusqu’à la cordeQuand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

Détenu 4Tout y fait nuit même en plein jour ,Tout y est cri même en silence.Un instant peut durer toujours,Toi seul, Dieu, tu me fais confiance

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REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

Détenu 4 La prison tue la dignitéDans ses relents de mort qui poissent.Toi, Dieu, tu me rends ma fierté,Ta tendresse a vaincu l’angoisse.

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

Détenue 2 Pour m’aider jour après jour, moi, j’ai mon secret : ma Bible ! C’est par elle que toutcommence… Un jour sans elle, ce serait rien… J’essaie de comprendre, d’analyser, de faire coller ànotre époque, à ma vie, à mes isolements.

Reprise du chant :Détenu 4 Sur les chemins de liberté,La Bible accepte où nous en sommes.Pour changer l’hiver en été,Toi, Dieu, tu vois l’humain de l’homme.

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

Détenu 3 Miséricorde ! Misère et corde, oui ! Pour arriver à l’absolution, le chemin est long. Il netient pas de l’incarcération. Il ne tient pas de la peine. Il tient de l’avant et de l’après… Sinon çareviendrait à penser qu’il faut être incarcéré, ou miséreux, pour comprendre le sens de la rédemption.Détenue 2 S’en remettre à Dieu, c’est ça, le pardon…

Détenu 1 Si tu ne fouilles que ton passé, en ne s’arrêtant qu’aux aspects négatifs, tu as déjà perdud’avance ! Comment parler de pardon alors qu’on va se traîner toute sa vie avec un casier ? La Justicejuge seulement les délits, pas les personnes…

Détenu 3 Mais voilà, nous restons des taulards… La justice humaine conduit à fermer l’avenir…Avant de penser à pardonner, il faudrait d’abord penser à assouplir les lois, à réformer les mentalités.

Reprise du refrain

REF Des jours sans rime ni raisonles cœurs usés jusqu’à la cordequand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

Détenue 2 La justice et le pardon, c’est un couple impossible… Et pourtant c’est un couplenécessaire car il ouvre à la réconciliation.Détenu 3 Il n’y a pas de justice sans pardon. Il n’y a pas de pardon sans justice…Détenu 1 Moi, j’ai tellement la haine que je ne peux pas aller voir du côté du repentir…Détenue 2 On devient libre quand on arrive à assumer son passé calmement, sereinement. Pourrenaître à soi vers un avenir…

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Détenu 3 Pardonner, il faut du temps : du temps pour demander le pardon… Du temps pouréventuellement le donner…Détenue 2 Il faut vraiment du temps pour cicatriser une blessure : on recolle les morceaux un par

un … C’est long, c’est difficile tellement on est meurtri… Le pardon se forge dans ladouleur…

Détenu 1 C’est très très long, le pardon… !Reprise du chant :

Détenu 4 Pas de justice sans pardonEt pas de pardon sans justice.Sous les mépris de la prison,

C’est Toi, Dieu, qu’on mène au supplice.

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prison,Toi, Dieu, tu fais Miséricorde.

Détenu 4 Blessé aux jours de tous les jours,Supportant tout l’insupportable,

Dieu, tu m’aimes autant et toujoursEn pardonnant l’impardonnable.

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prison,Toi, Dieu, tu fais Miséricorde.

Détenue 2 Si je n’avais pas l’espoir d’être pardonnée, je ne serais peut-être plus vivante !…Détenu 3 En prison depuis trois ans, j’ai eu le temps de réfléchir et j’ai essayé de me mettre à la

place de mes victimes. On dit qu’il faut pardonner… Moi, à leur place, je ne pourraispas pardonner…

Détenue 2 Pardonner, c’est casser le cercle vicieux de la haine !…Détenu 3 J’ai envie de changer, mais j’ai encore du chemin à faire… Le pardon, c’est d’abord le

regard que nous portons sur l’autre. Il suffit d’un regard pour briser une solitude…Détenue 2 Il faut en arriver à voir les personnes qui ont souffert de nos actes comme des victimes,

pas comme des accusateurs… Reconnaître mes fautes, ça m’aide à ne pas porter dejugement sur les autres…

Détenu 1 Moi, depuis l’âge de 18 ans, tout ce que j’ai tenté de faire a échoué… Puisque je neréussis rien, je vais au moins réussir une chose : détruire ma vie…

Détenue 2 Tant que la victime ne t’a pas pardonné, tu n’as pas payé ta dette … tu n’es pasentièrement libre !

Détenu 1 Faut être honnêtes ! Tu en connais beaucoup, toi, des gens qui vont demander pardonpour des fautes qui ne sont pas connues ? Un voleur qui se fait prendre va demanderpardon … Mais s’il ne se fait pas attraper, il n’éprouve pas le besoin de sa fairepardonner…

Détenu 3 (Au détenu 1) Le dernier recours, l’ultime rempart, celle qui ne manque pas : c’est tamère. Elle sait, elle, elle saura toujours que je vaux mieux que ma faute … Ta mère estcelle qui est le plus apte à te parler du pardon … Écoute-la !

Reprise du refrain :REF Des jours sans rime ni raison,

Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prison,Toi, Dieu, tu fais Miséricorde.

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Détenu 3 Le pardon, ça n’efface rien… C’est pas pour faire comme si rien ne s’était passé,non… Le pardon, c’est pas la négation du mal, c’est l’affirmation de l’amour… Le pardon, çaressuscite les morts… et les vivants !Détenue 2 S’en remettre à Dieu c’est le pardon…Détenu 3 Le pardon sous le regard de Dieu, c’est être quelqu’un…Détenue 2 On ne sait pas pardonner : il faut l’apprendre…Détenu 1 C’est plus facile de condamner que de pardonner !Détenue 2 Le pardon, c’est la paix du cœur.Détenu 1 Je ne pourrai jamais oublier… Mon avenir est foutu… Comment je vais dire à mon

enfant que j’ai tué sa mère ?

Reprise du chant :Détenu 4 Le cœur a perdu le moral,

Le deuil tourne en rond dans la cage.Dieu sait tirer le bien du malIl te choisit pour son visage.

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prison,Toi, Dieu, tu fais Miséricorde.

3ème échange : regard sur « l’aumônerie»

Interview de Heins-Peter ECHTERMAYER

Jean-François Bouthors – Un peu de lumière, Heins-Peter Echtermayer, vous qui êtes diacre,président de la Commission Internationale de Pastorale Carcérale Catholique (CIPCC) en Europe.Dites-moi, on arrive à allumer comme ça un peu de lumière ? J’ai été touché par cette découvertede détenus qui parlent entre eux et qui parlent entre eux de ce qui leur arrive. Comment vous enêtes le témoin ?

Heins-Peter Echtermayer – Mon témoignage doit être un témoignage qui respecte beaucoupd’aspects. Je suis témoin des aumôneries que j’ai vues en Europe depuis deux ans, en Angleterre,en Russie, au Liban, en Allemagne surtout parce que je suis allemand … Le témoignage que nousavons ensemble à donner c’est dans la pièce, ce que j’ai vu surtout c’est le témoignage qu’on peutprier en prison, on peut aussi se donner la dignité dans la prison. Ca c’est un témoignage que j’aivu partout. Et quand tu vois que dans les cellules en Russie tu as cent personnes dans une seulepièce avec un lavabo seulement, alors qu’en Allemagne il y a une prison avec une piscinededans, mais l’expérience commune, c’est la solitude, les cris et les cris de pardon : chacun a saprison. Quand on regarde l’exercice de la justice, la vie et les conditions de la prison, conditionsde vie et de manque que vous avez décrit, là on a une expérience commune. Il y a un mot qui estbeaucoup revenu comme une interrogation, comme une difficulté : comment comprendre lepardon, est-ce que la prison peut permettre de comprendre ce que c’est que le pardon. Peut-êtreque les prisonniers ont plus de chance de faire l’expérience du pardon que nous. On a vu ici dansle premier et dans le deuxième acte toujours la femme adultère, l’aumônerie n’était pas seulementdans le troisième acte. On a écouté la voix de Jésus. Les prisonniers ont peut-être plus de chanced’être pardonnés parce qu’ils sont plus proches à Jésus et Jésus a écrit sur le sol et il a compténotre page péchés, peut-être on a aussi la chance ici à Lourdes d’être pardonné chacun pour soi.

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J.-F. B. – Est-ce que la Bible est un vrai compagnon pour certains détenus ?

H.-P. E. – Mais oui, c’est un vrai compagnon, non seulement pour les aumôniers catholiquesmais aussi pour les aumôneries du monde qui ont une foi commune chrétienne. La Bible, c’est letémoignage des apôtres, de Jésus même. On voit une croix ici sans le Christ et chacun peut êtreaussi là-dedans. Dans la prison où je travaille depuis treize ans, une maison centrale où il y a quede la perpétuité, on a une croix et ce sont les deux autres criminels à côté et la main bénit et Jésusdit à lui "tu", le premier qui es avec moi dans le paradis mais aujourd’hui, nous peut-être on abesoin d’un peu plus de jours !

J.-F. B – Je voudrais poser une dernière question qui est imposée par un silence de ce texte : il y aun mot que je n’ai pas entendu, dont je pensais que je l’entendrais, c’est le mot réparation. Quandil y a faute, la réparation, c’est peut-être le moyen d’aller vers l’autre, vers la victime ; ce mot-làn’a pas été prononcé. Est-ce qu’on ne le prononce pas dans les aumôneries ?

H.-P. E. – Je crois on doit le prononcer toujours plus. La réparation rencontre celui à qui on a faitmal, c’est important. D’avoir aussi des structures dans les prisons du côté des administrations dela prison pour entretenir ensemble des relatons avec la victime. La prison ne doit vraiment pasêtre pour punir, mais pour guérir.

J.-F. B. – Bien sûr, réparer c’est aussi guérir. Peut-être que réparer c’est aussi retrouver sa dignitéd’homme.

H.-P. E – Et surtout comme femme. Comme on a entendu aujourd’hui, c’est la femme adultèrequi est au centre de cette pièce.

J.-F. B. – Merci !

Final

Détenu 4 Le cœur a perdu le moral,Le deuil tourne en rond dans la cage.Dieu sait tirer le bien du malIl te choisit pour son visage.

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prison,Toi, Dieu, tu fais Miséricorde.

Détenue 2 Pardonne-nous nos offensescomme nous pardonnons aussià ceux qui nous ont offensés…

Détenu 3 Je lui parle, à Dieu. Jusqu’à présent, j’ai toujours été exaucé… Mais actuellement,j’ose pas lui parler, je culpabilise…

Détenue 2 Et comment savoir que Dieu me pardonne ?

Détenu 1 Si Dieu doit nous pardonner comme nous pardonnons, alors j’ai bien peur qu’il aitbien peu de travail, le Vieux !…

Tous alors se lèvent et, se tenant par les épaules, disent le Notre Père selon St Luc 11, 2-4 :

Détenu 3 Père, que ton Nom soit sanctifié.

Détenue 2 Que ton règne vienne.

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Détenu 1 Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour.Détenus 2 et 3 Pardonne-nous nos péchés… (Ils se tournent vers le Détenu 1)Détenu 1 Pardonne-nous nos péchés…Détenus 2 et 3 Car nous-mêmes nous pardonnons…Détenu 1 Vous croyez vraiment qu’on peut le dire, ça ?Détenus 2 et 3 …à tous ceux qui ont des torts envers nous,Détenue 2 Et ne nous soumets pas à la tentation. Amen !Ensemble Amen !La Voix (Off) … Va, et désormais ne pèche plus…

Reprise du chant en entier, avec la salle. Paroles du Refrain sur les écrans. Le Détenu 4 chanteles couplets.

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

1 Tout y fait nuit même en plein jour,Tout y est cri même un silence.Un instant peut durer toujours,Toi seul, Dieu, tu me fais confiance

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la cordeQuand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

2 La prison tue la dignitédans ses relents de mort qui poissentToi, Dieu, tu me rends ma fiertéta tendresse a vaincu l’angoisse

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la cordeQuand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

3 Sur les chemins de libertéLa Bible accepte où nous en sommes.Pour changer l’hiver en été,Toi, Dieu, tu vois l’humain de l’homme

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prison,Toi, Dieu, tu fais Miséricorde.

4 Pas de justice sans pardon,Et pas de pardon sans justice,Sous les mépris de la prison,C’est Toi, Dieu, qu’on mène au supplice

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REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prisonToi, Dieu, tu fais Miséricorde.

5 Blessé aux jours de tous les jours,Supportant tout l’insupportable,Dieu, tu m’aimes autant et toujoursEn pardonnant l’impardonnable.

REF Des jours sans rime ni raison,Les cœurs usés jusqu’à la corde,Quand le temps se tue en prison,Toi, Dieu, tu fais Miséricorde.

6 Le cœur a perdu le moral,Le deuil tourne en rond dans la cage,Dieu sait tirer le bien du mal,Il te choisit pour ton visage

REF Des jours sans rime ni raison,les cœurs usés jusqu’à la corde,quand le temps se tue en prison,Toi, Dieu, tu fais Miséricorde.

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ECHOS DU CONGRES

« Nous avons donc effectivement travaillé 2 jours (si l’on peut parler réellement de travail vu lecadre et l’ambiance de travail). Je tiens vraiment à vous remercier de l’expérience que vous nousavez donnée aussi bien humaine qu’artistique. J’ai rarement croisé autant de gens qui avaientd’aussi gros cœur.De la chaleur humaine, ça fait du bien de temps en temps.Enfin merci et encore merci et puis merci.

Joseph LullienActeur du jeu scénique

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INTERVENTION, Hervé RENAUDINPrudence ! Difficile d’être à la hauteur de ce qu’on a entendu tout à l’heure. D’être, de se mettre àhauteur d'Évangile. C’est vrai qu’il y avait la pâte de Jean (Debruyne), de Gaétan (de Courrèges)et ces jeunes qui ont si bien donné corps et chair, Hervé, Sylvia, Julien, mais c’est vrai aussi quece que nous avons entendu, c’est extraordinaire quand on y pense, c’était les mots des personnesdétenues, et c’est là je rêvais, je me disais "c’est super qu’il y ait l’aumônerie qui entende cela,mais comme ce serait extraordinaire que le monde entende cela et sache que ce sont des mots depersonnes détenues qui disent l'Évangile. Oui je crois que c’est ça qui m’a le plus frappé : je nem’habitue pas à accueillir l'Évangile à partir des plus petits, des plus pauvres, ceux-là quiparfois n’ont pas le droit à la parole, qui n’ont pas de voix, pas de visage, pas de nom sinon celuide l’acte qu’ils ont connu, voilà qu’ils ont prêté leur ombre pour que nous entendions la lumièredu monde".

Vous l’avez remarqué tout à l’heure, quand les mannequins sont venus, ceux-là qui ont belleprestance et beau visage, mais qu’il faut manipuler pour qu’ils avancent, ils étaient précédés surle carrelage par un roulement inexorable qui voulait éteindre la voix humaine, empêcher les voixdu silence. Je voudrais simplement reprendre l’essentiel de ce qui nous a rassemblés tous cesmois derniers, et de ce qui est comme le titre de ce congrès : "Envoyés pour annoncer auxcaptifs qu’ils sont libres".

Emmuré vivant

Le temps qui passe,le corps qui vieillitl’esprit qui s’atrophie,le « longue peine » s’éteint doucement.

D’abord je le regarde lui, pendant tout le temps que ça va durer il ne va pas bouger, et lecri du silence il le pousse sans arrêt devant nous. A la place du cœur un sablier : on se demandecomment le retourner, n’est-ce pas ce qu’on appelle la conversion, ce retournement de tout l’êtrequi est arraché à la mort pour passer à la vie, désenclavé, décerclé comme cette femme tout àl’heure. Je vois le texte "un corps couleur muraille, un corps que la douleur tenaille, genoux ausol, mains suppliantes, rejeté par ses semblables, appelant le divin". Un jour, celui-là au milieude nous était le fils de Dieu, lui aussi il était ce corps-là, lui aussi il a crié, de lui aussi on s’estmoqué, on a blasphémé, il appelait le divin, mais il appelait l’homme aussi, il appelait l’hommecomme depuis le début : "Adam, où es-tu ?". Quand c’est Dieu qui appelle l’homme, qui se faithomme, qui prie l’homme, quand l’homme est appelé à exaucer la prière de Dieu, alors on peutcommencer à comprendre cette phrase qui est la raison d’être de l'Église, car elle n’a pas sa fin enelle-même, mais elle est là envoyée pour annoncer aux captifs qu’ils sont libres.

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Envoyés: "Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie". Nous sommes nous aussi, dans lesillage du Christ, dans l’élan du ressuscité, des envoyés. Nous sommes envoyés du Père et vers tousles frères du Christ. Ce matin-là, c’était le matin de Pâques, le premier matin de la vie nouvelle, "jevais vers mon père et votre père". Alors Marie, vas trouver mes frères, tous les frères, toutes les sœursdu ressuscité, tous sans aucune exception. C’était ça ce matin-là et c’est cela chaque matin que nousnous levons, c’est même peut-être notre vraie raison de nous lever chaque matin. Il me souvient d’unarticle tout à fait récent, à un journaliste qui s’interrogeait sur le monde d’aujourd’hui et le monde dedemain après tout ce qui s’est passé, c’était dans le "Monde diplomatique", un universitaire disaitceci : comment grandir pour devenir enfant, comment ouvrir une alternative dynamique à celle quinous est sans cesse proposée aujourd’hui, l’infantilisme ou la rigidité de l’état adulte qui ne respectepas l’homme ? Il faut bien sûr aider chacun à devenir cet homme ou cette femme qu’il est appelé àdevenir, mais tout ne s’arrête pas là puisque l’être humain, c’est une destinée divine, un "peut-êtredivin". La destination de l’homme c’est d’entrer en Dieu, de vivre de Dieu, connaître l’amour et lebonheur de Dieu, devenir enfant de Dieu. C’est drôle que quelqu’un de sérieux fasse ainsi écho à cequi est écrit dans le prologue de Jean et qui rappelle tout l’enjeu de l’histoire sainte depuis lecommencement jusqu’à la fin : pouvoir devenir enfant de Dieu. Il s’agit de reconnaître en chacun deceux-là, à commencer par les plus défigurés, cette dignité d’enfant de Dieu. Ce n’est pas d’abord uneaffaire de morale, c’est d’abord de la foi : croire en Dieu pour nous, c’est croire en ce devenir pourchaque être humain. Alors vous comprenez aussi pourquoi être envoyé ainsi par le Père en Christ verstous les frères sans aucune exception à commencer par les plus abîmés, ce n’est pas forcément facile,c’est même risquer d’être rejeté. Sans chercher le rejet pour le rejet, nous ne sommes pas masos, peut-être qu’il faut que je m’interroge parfois pourquoi je ne dérange pas plus, pourquoi ma parole et mavie passent-elle si facilement, lui l’envoyé a été rejeté.Envoyé du père, c’est pas évident : reconnaître que Dieu l’unique est le père de tous. Ce n’est doncpas Dieu des uns contre Dieu des autres, Dieu d’un camp ou d’une partie du monde contre Dieu d’unautre camp et d’une autre partie du monde, Dieu d’une civilisation contre le Dieu d’une autrecivilisation. Le contraire de la foi, je ne pense pas que ce soit l’incroyance, le plus contraire de cettefoi en Dieu père de tous, c’est le fanatisme qui dresse le Dieu des uns contre le Dieu des autres. Unefois que j’ai dit ça, bien sûr, il faut que je me laisse interroger : vers tous mes frères ? Tous ôSeigneur, mais il y a des salauds, il y a des monstres, "j’ai dit tous !"; Seigneur, ceux qui onttransformé l’avion en bombe ? "j’ai dit tous !". Vous le savez, il y a plus terrible encore que de perdrela vie, perdre son âme parce qu’elle est complètement habitée, rongée par la haine, ne sont-ce pasceux-là d’abord les enfants perdus ? Si ceux qui croient en Dieu père, qui sont envoyés vers tous nepensent pas à ces perdus, à leurs familles, qui sera sur la terre la mémoire vivante du Christ mort pourtous, même pour ceux-là peut-être qui le 11 septembre ont éclaté de joie, sinon qui casseral’engrenage du malheur ?Envoyés donc, pour annoncer. Cela nous rappelle la grande annonce, celle de l'Évangile. Annoncer àtous les hommes la bonne nouvelle au nom du Père, pas convertir, annoncer. Deux mots vontensemble pour dire cette annonce.- D’abord l’attente, l’attente profonde de l’être humain. Il n’y a pas d’annonce si on ne rejoint pas envérité l’attente de l’homme. Cette attente ne s’exprime pas forcément par des mots, parce qu’il y atoujours un décalage entre les mots que l’on emploie et ce qu’on voudrait dire, ni uniquement par desgestes, parce que notre corps est limité et que notre cœur est bien plus grand que nos limites. Tout àl’heure, il y avait une croix ajourée, et autour de la croix il y avait l’ombre de Sylvia et de Joseph, etça faisait autour de la croix comme Marie et Jean, des ombres et une croix ajourée, comme si le plusimpalpable, le plus insaisissable, signifiait tout à coup le plus grand, le plus réel. Là le réel du réelétait exprimé, ou plutôt évoqué, suggéré, et c’est de la même façon que souvent nous rencontronsl’attente des personnes humaines. Vous le savez mieux que moi, il faut un temps fou pour écouterl’attente profonde de quelqu’un, pour commencer à comprendre ce qu’il veut vraiment et qu’il n’osepas dire ni s’avouer, il faut un temps fou ou plutôt une écoute particulière pour commencer àcomprendre ce qui est dit au-delà de ce qui est exprimé ? L’attente ! Nous n’annoncerons rien si nousne discernons pas cette attente.

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Je rappelle ce paralytique qu’on a fait traverser le toit pour le mettre au pieds de Jésus, et quand Jésuslui a dit "tes péchés sont pardonnés" et qu’il n’a pas dit ça me fait une belle jambe, ce paralytique,Jésus avait compris son attente. Comme Jésus a fait un autre jour avec cet aveugle qui avait gueulédans toute la ville si bien que chacun savait ou croyait savoir ce qu’il voulait, voir enfin, et Jésus quilui demande comme le bon commerçant du coin, qu’est-ce que tu veux que je fasse pour toi, il y aquoi pour ton service ? Discerner, écouter, accueillir, servir l’attente profonde de l’autre, ne pas lajuger, l’entendre, la prendre telle qu’elle est, sinon il n’y a pas d’annonce.- Ensuite le don, le don par excès, le don qui nous rejoint dans notre attente la plus profonde et qu’onn’osait même pas formuler et qui en même temps est inattendu, le don qui nous comble et en mêmetemps nous creuse, le don immense, excessif, gratuit, sans préalable, sans condition : "Si tu savais ledon de Dieu !" Chaque fois qu’il y a eu Evangile dans une rencontre, il y a eu cette attente et ce donau-delà de tout don. Peut-être même qu’au départ, on se demande ce qui arrive, Marie elle-même uninstant a été troublée, comme la femme de Samarie, comme Zachée : comme c’était étonnant que cequi était offert était bien au-delà de ce qu’on avait imaginé, osé demander, parce que par exemple àcôté de l’impensable qui est arrivé le 11 septembre, il y a aussi et tous les jours et presque à chaqueinstant, un impensable de ce don, un don impensable et nous sommes envoyés pour l’annoncer. Pourl’annoncer il faut nous-mêmes être étonnés, sans voix. Comme je crois que le plus contraire de la foic’est le fanatisme, je ne crois pas à ceux qui font des annonces trop affirmatives, qui ne laissent pasde respiration, des annonces de bonnes nouvelles qu’on reçoit comme des ultimatums. Je crois quequand on annonce cela, on est comme un pauvre sans voix et c’est peut-être dans le tremblement denotre voix ou dans notre timidité, dans notre émotion que l’on comprend que c’est vrai. Onn’annonce pas cela comme si on le possédait, on l’annonce comme si on ne revenait jamais de sasurprise. Je crois que c’est comme ça qu’on a entendu tout à l’heure ces paroles de personnesdétenues. D’une certaine manière, on les avait déjà entendues ; pourtant chaque fois qu’un êtrehumain découvre ce don qui comble son attente bien au-delà de ce qu’il imaginait, chaque fois c’estla première fois, unique, c’est peut-être même pour la première fois qu’il se dit qu’enfin aujourd’huion ne le met pas dans une catégorie, on ne lui dit pas c’est comme un tel et au suivant, chaque foisqu’il y a cette annonce, l’être qui l’accueille et celui qui l’a dite deviennent uniques et cette rencontreentre l’un et l’autre est quelque chose qu’on ne peut pas enregistrer, parce que ça n’est écrit que dansles cœurs.C’est cela l’annonce, cette attente et ce don. Mais alors ça a un nom, un mot qu’on ne peut pas diretrop facilement, un mot qui ne s’impose pas, qui peu à peu se propose, le pardon. Annoncer lepardon, c’est rejoindre cette attente et témoigner de ce don qui vient d’un autre, pas d’un manquemais d’un débordement d’amour, d’une plénitude. J’ai été très impressionné quand j’avais lu avecJean et Jean-Hubert toutes ces lettres, par ce qui était dit ainsi du pardon. Bien sûr, surtout là les motsne sont pas ajustés, mais il y avait une vraie compréhension de ce que ça peut être, si ça existe, à lafois et totalement ce qu’on attendait et comment c’est aussi totalement ce qu’on n’osait pas attendre ;et tout à coup on s’aperçoit que c’est offert. Alors celui-là a la bouche ouverte, mais pas pour crier oupour gueuler, c’est parce qu’il n’y a rien à dire qu’à tendre les bras. Vous vous souvenez de laparabole dite de l’enfant prodigue, comment finalement tout cela venait du père, parce que cela aussifait partie de l’annonce : c’est pas seulement l’homme qui attend, c’est Dieu qui attend, depuis ledébut et jusqu’à la fin et à chaque instant et jamais ne désespère, jamais ne dit que pour celui-là il n’ya plus rien à attendre. C’est lui qui est sur la croix parce qu’il espère sans cesse tout pour tous. Fairecette annonce, être témoin de cette annonce et avec la grâce de Dieu y coopérer, c’est véritablementdire, manifester cela. En fait le pardon, c’est l’avenir qui est avancé. Aucun être humain ne peut vivre s’il est sanscesse tributaire de son passé et de son passif. Là où il a de l’être humain il y a de l’avenir. Si l’avenir n’est pas déjàen capacité d’être accueilli, l’être humain s’asphyxie, en fait il meurt. Annoncer, c’est précisément cette attente etce don.Aux captifs, qu’ils sont libres. Dans Jérémie, dans 83% des cas, chaque fois qu’on emploie le mot captif, on ditqu’il faut les ramener. Si on ne les ramène pas, ils ne sont pas libérés. Alors, qu’est-ce que ça veut dire ramener. Làaussi je voudrais employer deux mots, le mot route et le mot maison.

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- Le ramener sur la route, la route de l’homme, cette trajectoire qui lui permet d’avancer, de ne pasrester bloqué, enfermé à un moment derrière soi, le ramener sur la route là où le peuple est en marche,même si il faut beaucoup de temps pour l’attendre, pour l’accompagner, même si au début ce n’estpas le rythme de tous les autres, même si parfois revient la tentation lancinante "allez laissez-moi, moij’en peux plus, partez", le ramener sur la route des hommes qui est aussi la route de Dieu. Sur cetteroute, on a besoin des uns et des autres, on ne peut pas continuer à avancer en pensant qu’il y en a quivont rester sans arrêt sur les bas côtés. Il vaut mieux changer le rythme de ses pas pour que ceux desbas côtés se sentent encouragés, peut-être même parfois il vaut mieux qu’ils marchent devant et quenous prenions le rythme de leurs pas à eux. Comme ce jour-là le ressuscité avait rejoint ceuxd’Emmaüs : ils allaient nulle part, après ils savaient pourquoi ils retournaient à Jérusalem.

- Et puis les ramener à la maison, la maison de Dieu et des hommes, la maison commune de Dieu etdes hommes, tous ensemble pour l’éternité. L’homme qui est un marcheur a aussi besoin d’un foyer,besoin de pouvoir accueillir : ô la joie de l’homme quand il peut accueillir, quand il peut donner, nousle savons bien dans les cellules, combien c’est important de prendre le temps d’être accueilli.Accueillir quelqu’un c’est parfois dans une vie le seul véritable acte de liberté que nous avons,personne ne peut nous empêcher, personne ne peut nous y contraindre, c’est d’homme à homme.

Mais alors, comment dire vous êtes libres, comment faire comprendre que ça n’est pas un futur, çan’est pas un rêve, ça n’est pas de l’illusion, c’est la vérité en train de se faire, c’est la vérité quigrandit. Il y a plus présent que le temps qui passe, il y a ce qui ne passe pas parce que c’est dans lecœur, parce que c’est la relation entre soi et soi, entre soi et Dieu, entre soi et l’autre, quelques motsque l’on donne à cette relation quand elle est vraie, amour, amitié, tendresse, affection, quand elle estréciproque, quand aucun ne possède l’autre, quand c’est avec douceur, avec respect. Alors c’est unprésent de présence, c’est un cadeau de présence, c’est ici et c’est maintenant, et ce qui est en jeu là,ce qui est accueilli là, c’est en effet tout cet avenir que l’on appelle parfois le Christ total, tousensemble pour l’éternité. C’est beau le temps quand il est ainsi un instantané d’éternité, c’est-à-direun instant éternel d’amour. Alors, il y a la liberté.

Je sors une lettre, disons qu’elle vient de Françoise, c’est une femme qui était venue à mon ordinationà Pontoise, qui est dans l’engrenage infernal de la prostitution et de la drogue. On s’est rencontrés, ons’est parlés souvent, il y a quelques jours elle m’a écrit entre autre cela : "je suis tout au bord du vide,d’impasse en impasse, la peur me ronge en continu, la seule issue c’est la mort, on veut m’anéantirjusqu’à en perdre cœur, je connais aujourd’hui l’opacité du désespoir, je suis privée d’espace, jerisque de perdre mon âme. Pour moi, il n’y a plus d’avenir, aujourd’hui est insupportable, demain estimpossible. Père Hervé, c’est quoi le courage, à quoi ça sert de sauver ma peau si je perds jusqu’ausens de ma vie ? C’est l’avenir le dos au mur, pétrifiée dans la désespérance".Pétrifiée dans la désespérance : je pensais à cela tout à l’heure quand je voyais dans les mannequinsqui encerclaient la femme jusqu’à l’étouffer ces cailloux. Un moment, ces cailloux qui étaient commedes instruments capables de nous pulvériser, par un jeu de lumière sont devenus des braises. Commeon entend maintenant l’oiseau chanter, il y a toujours un instant et c’est au creux de la nuit, et c’est aufond de la désespérance que l’espérance peut naître, pas après, au creux, pas quand le jour se lève,dans la nuit, pas quand c’est la sortie, quand c’est l’impasse, c’est là qu’elle passe. Il y a uneintelligence de la foi, une intelligence de l’amour, peut-être qu’aujourd’hui vient le temps pour noustous d’être, de développer, de vivre une intelligence de l’espérance et d’en rendre compte. Alors lescailloux deviennent des braises.Je voudrais pour terminer lire deux passages, d’abord dans l’épître aux Romains : "L’espérance nedéçoit pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a étédonné". Et voilà que j’entends à nouveau dans l’épître aux Galates ce fruit de l’Esprit : "Le fruit del’Esprit est amour, joie, paix, patience, serviabilité, bonté, fidélité, douceur, maîtrise de soi". Vousl’avez remarqué, c’est un fruit en neuf quartiers, comme l’orange dont on dit parfois qu’on peutparfois les apporter en prison, ce qui n’est vrai qu’à Noël, peut-être surtout comme l’espérance.Merci.

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Espaces « rencontres » : Étrangers en prison

En lien avec le thème général du Congrès, « Envoyés pour annoncer aux captifs q'ils sontlibres », des espaces « Rencontres » ont été organisés pour les catégories des plus exclus enprison. Parmi ceux-ci, l'espace concernant les étrangers a réuni environ 25 personnes.

C'est une phrase de l'intervention du père hervé RENAUDIN qui a servi d'exergue à cetterencontre : « Qui sera, sur la terre, la mémoire vivante du Christ, mort pour tous ?' ». Comment,en effet, annoncer ce message de vie et de libération si certains sont laissés en retrait sur le bas-côté de la route ?

Dans un premier temps, les participants ont soumis quelques situations d'étrangersincarcérés, situations présentées globalement et qui semblaient « inextricables ». ces situationsont été examinées dans leurs différentes composantes – juridiques, administrative, sociale,culturelle, etc...- , afin de trouver la démarche à entreprendre pour chaque niveau de difficulté.

L'importance d'un travail en partenariat avec des organismes spécialisés a été souligné(Cimade, Service Social d'Aide aux Émigrants pour un avis, associations locales, équipesspécialisées du Secours Catholique notamment à Paris). Il reste aux membres de l'Aumônerie laresponsabilité d'être « veilleur », donc d'avoir quelques connaissances de base sur la situation del'étranger incarcéré afin que ce dernier puisse être conseillé pour entrer en relation avecl'organisme pouvant l'aider.

Le groupe a évoqué également la violence des jeunes détenus, pour un certain nombred'entre eux issus de l'immigration, confrontés au déni d'identité culturelle dans la société. Cesjeunes sont parfois de religion musulmane, même s'ils rejettent les pratiques de leurs parents.Nous avons redit l'importance de la présence d'un responsable musulman dans ma prison. Parfois,les participants ne connaissent pas l'appartenance de telle ou telle candidature. Le Secrétariatpour les Relations avec l'Islam peut aider à discerner le lien du futur responsable avec telle outelle branche de l'Islam.

Enfin, les participants à cette rencontre ont souligné les difficultés rencontrées lors desréunions organisées en prison par l'aumônerie catholique, auxquelles s'inscrivent des personnesne parlant pas le français et venant pour dialoguer entre elles. S'agit-il là d'un souhait de participerà la rencontre organisée ou bien de la recherche d'un lieu d'expression que la prison n'offre pas ?Ces questions pourraient être examinées au cas par cas afin d'y apporter une réponse localementappropriée.

Les documents présentés au stand Kairn bas ont été reis aux participants qui n'avaient paspu encore se les procurer.

Yvette AJAJSecours Catholique

Département Migrations - Étrangers

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ESPACES RENCONTRES : SECOURS CATHOLIQUE

Plutôt que de déverser un prêt à penser, nous avons préféré partir des questions directes dela salle "Libérez vos questions captives !"

"Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Secours Catholique sans oser ledemander". Pour être partenaires et mieux percevoir les rôles respectifs de l'équipe d'aumônerie etde l'équipe Prison de la délégation, encore faut-il prendre le temps de se connaître, d'échanger.

Chacun son domaine, même si notre nature commune de service d'Église peut nous amenernaturellement à défendre des causes communes. Si l'indigence est l'un des principaux soucis duSecours Catholique, il n'est pas pour autant "la banque de France" et tous se retrouvent dans leprincipe de subsidiarité.La mise en place des commissions indigence dans les établissements n'en étant pas encorepourvus sera un nouveau lieu important de collaboration, pour une meilleure appréhensionglobale des situations de pauvreté. Si certains suggèrent un RMI pour les personnes incarcérées,nous craignons que cela n'entraîne une déresponsabilisation de l'administration pénitentiaire, etnous proposons de chercher plutôt des solutions vers la fourniture d'un travail rémunéré àexpérimenter.

A la question classique "Et Dieu dans tout ça ?", d'aucuns répondraient "Et le SPIP danstout ça ?" ubuesque ou débordé pour certains, c'est le meilleur des collaborateurs pour d'autres -en tout cas incontournable.

La préparation à la sortie reste une de nos grandes préoccupations et le Secours Catholiqueest bien conscient que s'ouvre là un large champ encore assez peu investi. Peut-être pourrionsnous orienter nos relations locales en établissant une sorte de "code des bonnes relations" entreéquipe d'aumônerie et délégation du Secours Catholique ?

Jean CAËLDépartement Prisons-Errance

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TABLE RONDE

Introduction

I – Quand la société juge un homme, elle enlève aux victimes le droit et le pouvoir de se fairejustice à eux-mêmes et ainsi elle empêche le déferlement d’une vengeance sans limites. Lejugement fait du coupable un sujet de droit, à qui il rappelle la loi, en même temps qu’il fait droitaux victimes : en sanctionnant, la société reconnaît le mal qui a été fait. Et comme la délinquance,c’est toujours une emprise abusive sur quelqu’un à qui on prend ses biens, son corps, sa vie… lajustice vient restaurer une distance entre les personnes pour que soit sauvegardée la cohésionsociale.

Condamner à une peine qui n’a pas de sens ferait du coupable une victime expiatoire. Si laplupart des détenus se considèrent comme des victimes c’est peut-être parce que la peine deprison ne peut jamais être juste, aucune sentence ne pouvant correspondre au délit commis,aucune longueur d’emprisonnement ne pouvant répondre à la responsabilité morale dudélinquant. Comme quoi l’incarcération devrait être une réelle exception !

Sujet de droit, l’homme condamné demeure digne de respect et membre à part entière dela société dont il a transgressé les règles. S’il a commis librement un acte délictueux, il revient àla société de le lui dire avec tout le respect qui lui est dû : les droits de l’homme ne sont pasméritoires. Et la société devient responsable de sa réhabilitation : c’est un citoyen qu’on vasanctionner et incarcérer, que la peine lui soit "une cure de citoyenneté".

La sanction appelant la responsabilité, la peine doit être motivée, c’est-à-dire inaugurée parune parole : le travail de réinsertion sera possible, le temps de sa détention peut prendre sens s’ilpeut en assumer la responsabilité, c’est-à-dire s’il peut intégrer l’acte qu’il a commis dans sapropre histoire. D’où l’importance de parler au condamné et de lui donner la parole, au procès ettout au long de son parcours carcéral.

Dans ce contexte, l’individualisation de la peine doit permettre d’adapter celle-ci enfonction de la personnalité et des capacités de chacun. "S’il n’y a pas beaucoup d’erreursjudiciaires, il y a très souvent des verdicts inadaptés" (Madame Baste Morand).

Au lieu de dissuader et de réinsérer, la prison stigmatise souvent de façon définitive lespersonnes, en raison déjà de la déresponsabilisation et de l’infantilisation qui les incitent surtout àdevenir des "assistés sociaux" invétérés. Les coupables ont souvent été d’abord des victimes quin’ont pas été entendues. A partir de là, le manque de respect de la part de surveillants et decodétenus, l’indignité des conditions carcérales, l’incompréhension de leur peine… peuvent lesancrer dans la conscience qu’ils n’ont jamais été que des victimes, au point d’oublier qu’ils ont puun jour être coupables. La revendication fondamentale, les considérer comme des sujets de droit,est celle-là même qui leur est refusée. L’humanisation des prisons consistera à renforcer etgarantir le droit des personnes détenues, les exigences à leur égard découlent de ce droit : dans leprisonnier comme dans le surveillant, une dignité inaliénable doit être respectée. La limite nepasse pas "entre" les sujets mais "dans" le sujet.

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II – La peine, nécessaire pour marquer le caractère anormal, voire criminel de l’infraction, doitêtre orientée vers la réparation par l’auteur des torts causés à la (aux) victime(s), à la société et àlui-même. Pour se réinsérer, il faut déjà pouvoir reconnaître sa déviance.Nous ne pouvons pas désespérer d’un homme sans nous condamner nous-mêmes. La réparationn’est possible que si la sanction vise à la réhabilitation du reconnu coupable.

D’abord la durée de la détention doit rester à échelle humaine : au-delà d’un certaintemps, sans doute variable selon les condamnés, en particulier selon leur âge, (que signifie, parexemple, condamner une personne à une peine qui dépasse l’âge qu’il a atteint ?) l’exécution dela peine est un processus de désocialisation accéléré. Une peine n’est humaine que si elle permetà l’homme de ne pas désespérer : qu’un avenir lui soit donné. La notion de perpétuité réelle etsans doute aussi une peine de sûreté incompressible sont des négations de toute idée deréhabilitation.

Une réhabilitation n’est concevable que dans le cadre d’un temps vécu et organisé par leprisonnier : pourquoi pas un contrat personnalisé de l’exécution de la peine ? Plus que sa durée,c’est le contenu de la peine qui favorise ou non l’insertion ou la réinsertion d’un individu dans lasociété. Qu’il puisse gérer son parcours.La dignité du prisonnier ne peut s’exprimer que dans un espace personnel, donc à l’intérieurd’une véritable intimité personnelle et dans l’intimité de ses relations familiales.

La réhabilitation est l’ensemble des mesures visant à restaurer la capacité du condamné àredevenir citoyen à part entière à l’issue de sa peine : c’est donc inscrire l’espace carcéral àl’intérieur et non à l’extérieur de la cité. La prison doit appliquer les règles communes du droit :respect du code du travail, lutte contre les trafics et le racket qui pourrissent la détention etrendent la vie carcérale invivable, dangereuse pour beaucoup, repérage et prise en charge del’indigence…

Et enfin une peine est effective dans la mesure où elle efface la faute commise : le casierjudiciaire qui empêche de retrouver du travail, est-ce compatible avec une réhabilitation ? Leslibérés ne doivent pas rester d’anciens détenus.

III – La réinsertion est aussi l’affaire de l’aumônerie :

Notre mission se situe et surtout se construit dans l’écoute et l’accompagnement depersonnes qui subissent l’incarcération. Notre originalité est l’annonce du Christ qui libère etcette libération concerne, englobe toute la personne : le spirituel n’est pas une dimension de la vieà part, il est l’expression même de la personne, de sa dignité, c’est ce qui fait que dans sonhistoire, un individu, tout individu est un unique. Le sacré, il faut toujours le chercher sur desvisages, des mains, dans une parole ou un cri et dans toutes les choses concrètes dépositairesd’humanité (en prison une lettre, un dessin d’enfant, une photo…), jamais dans des rites coupésde la vie : "le Graal ne vole pas dans les nuages, il est la coupe de la vie".

Nous croyons l’Esprit à l’œuvre en chacun, avant même que nous intervenions : touthomme est appelé à plus grand que ce qu’il est, mais "la grâce n’est qu’illusion et mensonge enl’absence des pesanteurs qu’elle a pour tâche de transformer et de transfigurer". Comment êtreattentif à cette présence de l’Esprit en chacun ?

Ce que ça signifie concrètement, c’est l’expérience de chaque aumônier, de chaque équiped’aumônerie. Nous avons toujours à inventer une manière de dire la liberté de l’Evangile pourqu’elle concerne chacun, et nous devons toujours pouvoir l’entendre de la bouche et de l’agir despersonnes détenues. Si nous ne savons pas l’entendre, nous ne saurons pas la découvrir et encoremoins la dire.

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Quelle liberté de l'Évangile, qui tienne compte de qui s’adresse à nous – avec la nécessitéd’intégrer dans cette démarche leurs familles et les victimes, sans lesquelles il n’y a pas delibération ?

Quand l’aumônerie s’engage sur l’objectif "libérez les captifs" elle le fait avec toutes sesambiguïtés sans lesquelles on ne fait rien : on voulait déjà faire Roi le Christ à la multiplicationdes pains, tout simplement parce qu’il avait multiplié les pains !

S’il n’y avait pas d’aumônerie, manquerait-il vraiment quelque chose aux personnesdétenues ? L’aumônerie rend-elle possible autre chose que ce qu’offre la vie carcérale ? Cf.l’aumônerie et les indigents, les détenus pour affaires de mœurs ? Si la libération, c’est vivreconcrètement une libération, l’aumônerie, est-elle une instance, un lieu libérant ?

Et le pardon ! Sans la prise en compte des victimes, il ne peut pas y avoir de véritablelibération, déjà parce que les victimes seules ont pouvoir de pardonner. Dieu ne le peut sans doutepas à leur place. Ceci est important pour prévenir les risques d’une fausse spiritualité qui ferait fides implications humaines souvent très lourdes des actes délictueux ou criminels. Il y a desmanières de dire le pardon et de le donner qui enfoncent dans le déni en le justifiant de fait. Lepardon ne peut donc pas faire l’économie des victimes.

Le pardon est au cœur de notre ministère : dire le pardon possible parce qu’il est l’êtremême de Dieu. Rencontrer le Christ, c’est rencontrer le pardon. Bien sûr, pas de pardon sansjustice, mais une justice qui ne conduit pas au pardon ferme l’avenir : "le pardon est une justicesans rancune". Le temps de la peine, c’est aussi le temps qu’il faut au pardon pour transformerl’inguérissable en une plaie guérissable de la condition humaine.

Pour pardonner, il faut se souvenir de l’inacceptable sans quoi on ne pourra pas rompreavec la continuation du passé dans le présent. Pardonner témoigne de l’espérance : "le pardonressuscite les morts". Nous avons à dire et à attester que l’espérance est possible. "Nous nesommes pas en prison pour justifier les personnes détenues et leurs actes, nous y sommesdisciples d’un homme qui, au moment même où il a été jugé, a sauvé le monde !"

Les condamnés ont souvent été d’abord des victimes qu’on n’a pas su entendre : eux aussiont à apprendre à pardonner d’abord, peut-être avant de pouvoir demander pardon.

Nous sommes trop vus du côté des coupables et trop compromis avec eux, d’autres sontmieux placés que nous pour dire aux victimes, quand c’est possible, si c’est possible, que leurchance de guérir, leur chance de libération à elles victimes, serait de pouvoir pardonner.

Pour conclure

Toutes celles et ceux qui interviennent à un moment ou un autre du parcours carcéral travaillentaussi à la réinsertion des personnes, donc à leur libération : magistrats, personnels pénitentiaires,services sociaux et médicaux, enseignants, visiteurs… vous donc. Dans votre fonction, vous vousinscrivez aussi dans une perspective de réinsertion, de libération. Alors ma question : quel sensdonnez-vous aux mots liberté, libération, et comment cela se concrétise-t-il ? Pour vous, quesignifie "libérer les captifs" ?

Jean Cachot

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Table ronde

Stéphane Nicaise – "La population carcérale est psychiquement cassée et physiquement abîmée"(Rapport moral de l’aumônier général). De l’idéal à la réalité, ou la réalité confrontée à l’idéal quel’on recherche, Madame la Juge, … une peine qui ait du sens, une peine inaugurée par une parole,une peine orientée vers la réparation ?

Madame Marie-Agnès Credoz – Un magistrat ici, c’est important. Je vais parler de ma pratique,juste avant vous dire que ce matin, à la célébration, quand j’entendais ces paroles de détenus, j’aitrouvé formidable qu’ils puissent y mêler le personnel pénitentiaire : on a parlé de surveillants, on aparlé de directeurs, on n’a pas parlé de magistrats… Ils font sans doute vraiment très mal leur travailpuisqu’ils ne font que laminer, écraser et envoyer, et moi particulièrement puisque maintenant il y a13 ans que je préside des cours d’assises, donc envoyer pour un très long temps des gens en prison. Jecrois avoir participé, donc œuvré, à maintenant 389 arrêts de cours d’assises et dans ces 389, il y avaittrois 385 arrêts de condamnation et 4 arrêts d’acquittement.

Je suis magistrat professionnel, j’applique la loi, je pose toujours des actes de juger, je pose unjugement légal sur quelqu’un mais ce jugement légal, c’est sur quelqu’un qui fait partie de notrehumanité. Ça je le ressens au tréfonds de moi-même, c’est quelqu’un qui est des nôtres, qui peut-êtrependant un certain temps sera exclu non pas de l’humanité, sera mis entre parenthèses d’une certainesociété, mais réintégrera à part entière l’humanité, la société, quand il sortira de prison. Dans cejugement légal que je porte, tout mon être va être amené à intervenir puisque si le jugement arrive àl’issue de tout un processus où des règles sont très imposées, très rigides, il y a aussi toute l’intimeconviction du juge, et l’intime conviction c’est le point ultime du fonctionnement personnel du juge,et c’est par ce point ultime qu’il arrive à sa décision. L’intime conviction est vraiment au centre del’acte du jugement d’autrui et c’est là qu’on mobilise toute notre personne, tout ce qu’on est avecnotre sensibilité, nos convictions.

Juger, c’est terrible, c’est dur, on ne s’y habitue jamais. Ayez bien en tête cette phrase dePéguy qui dit : "Un juge qui est habitué est un juge mort pour la justice". Cette phrase, je l’ai dansmon bureau et dans ma tête, et à chaque affaire que je commence c’est une première affaire, à chaqueaudience de cour d’assises j’ai peur, à chaque fois que j’entre en délibéré j’ai le trac et à chaque foisque je rentre pour rendre un verdict je suis mal, j’ai véritablement l’impression d’avoir une boule auventre même quand je suis convaincue que la peine que je prononce au nom de la cour d’assises estune peine, non pas juste, je n’en sais rien, je ne crois pas qu’il y ait de peine juste, mais la moinsinjuste possible. Et je l’ai dit et je le redis, peut-être que je me trompe, je suis malgré tout convaincueque je n’ai pas à rougir des 389 décisions que j’ai rendues et je crois vraiment que dans ces 389décisions il n’y a pas de gens innocents.

Comment moi, magistrat, je peux libérer les captifs dans ma pratique :

Avant l’audience. Mon boulot de magistrat, je dois me former, c’est indispensable, je ne peux pas êtreprésident de cour d’assises sans avoir une formation aux relations humaines, à la communication, àtous ces problèmes qui ressortent tellement souvent en cours d’assises, ces problèmes par rapport auxabus sexuels qui mettent en jeu tellement de ressorts psychiques, il faut que je les connaisse unminimum. Devoir d’étude du dossier. Quand j’arrive à l’audience je dois connaître mon dossier sur lebout des doigts, je dois m’en être imprégnée, rien ne doit avoir été pour moi oublié, pas travaillé.Mais ça ne veut pas dire que je dois être programmée par le dossier, ce dossier n’est qu’un outil quej’ai à côté de moi, qui va me permettre de faire émerger pendant l’audience, qui est une audienceorale où tout se décide pendant l’audience, tout ce qui doit émerger pour arriver à ce que les genssoient en capacité de juger. Formation des jurés, et ça c’est important, de prendre le temps d’unefaçon neutre, impartiale, de donner des points de repère aux gens, de dire à ces gens qu’on a extraitsde leur vie quotidienne, vous allez vivre une expérience extraordinaire, n’oubliez pas que vous allezjuger des hommes, vous ne jugez jamais des monstres, vous jugez peut-être des gens qui ont commisdes actes monstrueux, mais sûrement pas des monstres.

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Leur donner aussi ce temps de réflexion avant d’entrer dans leur première affaire, prendre uneaprès-midi, une journée pour discuter avec eux. Enfin visiter en prison la personne qu’on va juger et donton a l’obligation de faire un interrogatoire d’identité. Je pourrais le faire venir dans mon bureau menottesaux mains par des gendarmes ou des policiers, je vais toujours en prison, je me présente, je lui dis que jene peux faire qu’un interrogatoire d’identité, vous passez dans huit jours, quinze jours, un mois, je suismadame Credoz, c’est moi qui présiderai la cour d’assises. C’est ma façon de faire avant l’audience.

Pendant l’audience. C’est sûrement là que se jouent en cour d’assises beaucoup de choses, que se tricotele verdict. Le verdict se tricote dès la première minute de l’audience. L’audience est un lieu privilégié derencontre entre la victime qui attend d’être restaurée et entre l’accusé qui attend depuis des mois, parfoisdes années, de savoir à quoi maintenant il va être condamné, comment il va pouvoir se projeter dans letemps, qu’est-ce qu’on va dire, coupable ou non coupable, 10 ans, 15 ans, 20 ans : il y a une anxiété, c’estla fin du début de quelque chose, après l’audience une page se tournera.

Ce lieu de rencontre entre l’accusé et la victime doit être un lieu d’écoute, et on en a l’obligation.Pour juger, il faut savoir écouter pour comprendre et c’est seulement quand on a écouté et compris qu’onest en capacité de juger. Donc, donner la parole, respecter la parole. Aux audiences je ne dis jamais"accusé, accusé levez-vous, accusé qu’avez vous à dire" - "M. X. qu’avez-vous à dire ?". Quand je faisprêter le serment des jurés cela me paraît important de ne pas le lire rapidement, mais le personnaliser. Ceserment des jurés est extraordinaire et il contient toute la mission du juge. Je m’adresse toujours à lapersonne qui est jugée en lui disant : "Écoutez bien Monsieur, voilà ce que vous êtes en droit d’attendrede vos juges" : "Vous jugez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges quisont portées contre M. Untel – et non pas contre l’accusé – vous ne trahirez ni les intérêts de la société, nil’intérêt de M. Untel, ni l’intérêt des victimes, vous vous déciderez exclusivement d’après les charges etles moyens de défense qui vont être développés dans cette salle, suivant votre conscience et votre intimeconviction. Enfin vous respecterez le secret du délibéré, vous vous rappellerez – cela est important depuisle premier janvier – que la personne que l’on juge est présumée innocente et que s’il y a doute, le doutedoit lui bénéficier". Voilà l’audience, lieu d’échange, lieu d’émotion, ne pas avoir peur de laisser émergerl’émotion. Mais parfois aussi il faut, et c’est là tout notre rôle, savoir mettre un terme à certaines choses… Quand je dis respecter la parole, ça ne veut pas dire tout accepter, ça veut dire aussi renvoyer en face àcertains moments que les limites sont dépassées.

Pendant le délibéré, mon travail c’est de faire réfléchir les neuf jurés, d’abord sur la culpabilité, donctenir un raisonnement d’une rigueur extrême, peser, et on prend souvent un tableau blanc qu’on coupe endeux, éléments à charge - éléments à décharge, chacun s’exprime, chacun affine son raisonnement, toutest passé au crible de la raison. C’est une fois qu’on a décidé et voté sur la culpabilité, et seulement après,si la personne est déclarée coupable, réfléchir sur la peine. Et toujours quand on réfléchit sur la peine,essayer de chercher quel est le sens de la peine, et c’est là qu’on rappelle tout simplement ce que dit laloi : la peine doit punir, mais elle est là aussi pour réhabiliter, pour essayer ou tenter de réinsérer. Et lesjurés sont extrêmement sensibles à ça, il faut le savoir, ils ont toujours ce souci : mais comment, qu’est-cequ’il va pouvoir faire, comment il va être en sortant. C’est un gros travail de délibéré et il y a uneréflexion dans le délibéré là-dessus.

Le verdict. Je ne peux jamais rendre un verdict : "la cour vous a déclaré coupable à la majorité de 8 voixau moins, en conséquence vous êtes condamné à 10 ans de réclusion criminelle. L’audience criminelle estlevée, Mesdames et Messieurs les jurés merci et à demain". Je ne peux pas, alors je fais quelque chose, jedis toujours des paroles, je ne sais jamais avant d’entrer dans la salle, avant de commencer à parler qu’est-ce que vont être ces paroles, … je crois qu’elles sont à peu près justes. Je dis à la personne qui vient d’êtrecondamnée, même quand il disait qu’il était innocent : Voilà Monsieur, maintenant la loi vous renvoie,vous êtes coupable, au nom du peuple français on vient de vous déclarer coupable, entendez-le, vous avezle droit de ressentir ce que vous voulez, vous êtes coupable. Cette peine qu’on vient de prononcer a unsens, on y a réfléchi, 8 ans, 10 ans, 15 ans, parce qu’il y a, et c’est là au vu de chacun, vous avez entendutout ce qui a été dit, il y a sans doute beaucoup de travail à faire, il y a du temps à mettre entre vous et lesvictimes, je lui dis, c’est un long tunnel, mais par cette peine qu’on prononce vous avez encore lapossibilité d’en voir la fin.

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La seule fois où je n’ai pas pu le dire c’est quand j’ai du prononcer 22 ans de peine desûreté. Je suis définitivement et absolument contre les peines de sûreté, sans aucune nuance… Lejour où j’ai du dire ça, ça a été très dur, je ne pouvais pas parler d’espoir. Mais même quand j’aiprononcé une peine de réclusion criminelle à perpétuité, j’ai pu dire à cette personne que toutepersonne humaine recèle des richesses, que toute personne humaine a des possibilités d’évoluer etque cette évolution sera vue par les gens qui vont s’en occuper en prison ; parce qu’il y a enprison des gens compétents, qui font leur métier parce qu’aussi ils aiment leur métier et qui vontprendre en charge, voir l’évolution, et il peut se passer un certain nombre de choses. Le momentdu prononcé de la peine est toujours pour moi un moment fort.

Je dis également toujours quelque chose à la victime : on t’a crue, ta parole a été crue. Ouje dis à la victime : Peut-être que vous pensez que c’est pas assez la peine, mais c’est nous quil’avons prononcée parce qu’on a pensé que c’était une peine la moins injuste possible. J’abordesouvent la notion de pardon, mais avec beaucoup de discrétion : peut-être, un jour, plus tard,sûrement pas dans l’enceinte judiciaire, l’enceinte judiciaire n’est pas le lieu du pardon, maispeut-être plus tard, si ça lui est possible à la victime d’arriver à pardonner, alors elle retrouvera lasérénité.

Le final. Être juge c’est dur. J’ai dans ma tête tout le temps les images d’accusés, de victimes, j’aidans ma tête Sylvain qui a tué Nathalie, Arthur dont la maman a tenu la tête dans l’eau du Doubs,Monique et sa petite fille qui a été tuée…. Et puis bien d’autres. Alors moi aussi j’ai un peubesoin de soutien et de temps en temps à la fin des audiences, voir un visage ami qui me fait unsourire ça me fait du bien.

Stéphane Nicaise – Cette image du tunnel souvent employée par des personnes détenues, et depetite lumière au bout … C’est un thème souvent ramené au-devant des discours del’humanisation des prisons, que le temps en prison soit un temps de réhabilitation, etc. On esttous malheureusement un peu témoins du contraire. Alors comment à la fois faire jouer cesimages de tunnel, de petite lumière au bout et de conditions carcérales quand on en est leDirecteur, avec les moyens dont on peut disposer, comment on essaye de concilier tout cela pourfaire de la prison un lieu qui reconstruit une liberté ?

Monsieur Jean-Louis Daumas – Libérer les captifs pour un directeur de prison, c’est un peucomme lorsque avec des professionnels on a envie de faire partager les conditions dans lesquelleson travaille, des fois on rêve d’opérations portes ouvertes. On ne peut pas et pourtant je connaisde nombreux surveillants qui voudraient que, au delà des aumôniers que vous êtes, des personnesencore plus nombreuses viennent voir, je n’aime pas ce mot pour des lieux où il y a des personnesqui vivent, mais pour l’instant j’en trouve pas d’autre.

Après vous avoir écouté très fort, Madame, comme nous tous, je pense effectivement qu’ily a des scènes qu’il faudrait rajouter à la scène finale dont vous venez de parler. J’aimerais quedans notre système judiciaire, à côté du juge de l’application des peines, il y ait un juge del’explication des peines. Peut-être que ce que vous essayez de faire à la fin du procès d’assisespourrait trouver son prolongement non pas dans la salle terrible qu’est la salle d’audience, froideavec son décorum républicain qui pèse souvent sur les personnes détenues condamnées, je rêved’un juge de l’explication des peines et pas d’un juge qui applique la peine, mais d’abord un jugequi l’explique, qui puisse motiver chacune de ses décisions puisque encore trop souvent lesdécisions les plus graves ne sont pas motivées. Les parlementaires vont essayer de changer la loi,ce sont eux qui la font, ils la critiquent beaucoup mais ils oublient que ce sont eux qui la font, ilfaudrait que chaque peine privative ou restrictive de liberté soit motivée, expliquée, comme unmoment de pédagogie, de manière à expliquer à chaque condamné que la loi c’est ce bienprécieux qui nous permet à nous tous, dans le respect des différences d’âge, de culture, dereligion, de sexe, de vivre ensemble dans la paix civile.

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Je le dis avec mes mots, mais les condamnés nous le disent souvent avec les leurs, ils n’ont pascompris la loi souvent parce que personne ne la leur a expliquée. Comme ils n’ont pas été aimés, laplupart du temps, la loi n’a pas été intégrée. Et moi je rêve d’un juge de l’explication des peines. Toutça nécessite évidemment des moyens, des moyens humains, des juges plus nombreux, encore mieuxformés. Il me semble que la première difficulté à laquelle je suis confronté quand j’accueille unepersonne détenue, puisque chaque chef d’établissement doit s’entretenir avec tout condamné quiarrive dans son établissement, c’est difficile en maison d’arrêt, c’est plus facile en maison pourpeines ; et souvent ce que les gars nous disent d’abord, c’est qu’ils ne comprennent pas. Donc jepense qu’il faudrait qu’il y ait un juge de l’explication des peines.

La deuxième piste que je vous propose. Comme vous, je pense que ces personnes ne sont pasdes personnes horribles mais des personnes qui ont commis des actes horribles et la prison va écraserencore plus ce sentiment, cette difficulté : en détention la personne va être réduite à l’acte. Et nousautres professionnels il va falloir toujours nous souvenir que cette personne avait une vie avant lepassage à l’acte criminel et bien évidemment il y en a une en détention, il y en aura une autre après ladétention et qu’à côté de cette personne évoluent une famille, des proches, un visage, une histoire…Et ça c’est quelque chose que l’administration pénitentiaire dans ce Pays ne sait pas encore bien faire.Expliquer à ses personnels, particulièrement à ses surveillants qu’on forme trop vite en les formanthuit mois – c’est indigne dans un Pays qui forme des infirmières en 3 ans, des instituteurs en 3 ans etplus, des policiers en 1 an. On forme des surveillants en 8 mois, bientôt plus j’espère, mais 8 moisc’est trop peu. En tout cas, expliquer à nos collègues qu’une personne ne peut en aucune manière êtreréduite à son acte, c’est même tout l’inverse en prison, c’est toute la personne qu’on va devoirprendre en charge.

Pour moi, m’interroger sur libérer les captifs, c’est accepter de me laisser surprendre par unepersonne qui après avoir montré ce qu’il y a de moins bien chez elle va montrer le meilleur d’elle-même. Et vous qui intervenez en prison, vous savez que ces personnes qui nous sont confiées, ellesétaient 76 000 l’année dernière, sont capables avec un certain nombre de conditions, de montrer lemeilleur d’elles-mêmes. Ça prend des fois beaucoup de temps, des fois même on a l’impression queça ne vient pas, c’est très très long. Je pense que libérer les captifs, c’est se laisser surprendre par ungeste, une parole, un projet, une écriture. A Caen, je me souviens avoir été surpris sérieusement parun condamné à perpétuité, il s’appelle Jean-Luc, c’était à l’occasion des fêtes de Pâques l’annéedernière, il a sculpté une œuvre d’art en bois. J’avais mesuré tout ce que ça signifiait pour lui àl’occasion de Pâques que d’exprimer des choses dans cette sculpture.

Je pense que libérer les captifs, c’est aussi proposer à chacun de ces captifs de faire révision devie et d’accepter avec nous de voir, dans une perspective d’espoir et de dignité retrouvés, ce qui dansson existence, en la relisant, l’a amené à transgresser la loi. A chaque fois que je rencontre uncondamné qui a demandé à me voir, souvent je pense à cette expression ; c’est une expression qui esttrès Église, … ça m’a été reproché à l’administration pénitentiaire, on m’a dit souvent c’est la versioncuré de votre travail, ce n’est pas ce qu’on vous demande. Mais je n’ai pas trouvé de déclinaison pluslaïque de ce très beau terme, et je ne trouve pas qu’il soit particulièrement religieux. Faire révision devie, ça nous ramène notamment au projet d’exécution de peine, en tout cas proposer à un condamnéde voir ce qui dans son existence récente, plus lointaine, fait que la souffrance accumulée a fait que laloi a été transgressée. Il y a toujours une raison.

Libérer les captifs, c’est aussi vraisemblablement une manière pour nous tous de porter un autre regard surla question prison. Lorsque je travaillais à Fleury-Mérogis, notre administration centrale envoyait toutes lesdélégations étrangères qui étaient de passage à Paris visiter Fleury-Mérogis, parce que c’était une des prisonsparisiennes les plus proches. Ayant passé cinq ans au centre de jeunes détenus de Fleury, je me souviens avoiraccueilli avec mes collègues de l’équipe de direction pas loin d’une quarantaine de délégations étrangères et un jourune délégation étrangère d’un Pays scandinave avait marqué notre attention parce que la personne qu’on recevaitnous avait dit : Dans mon pays, faire le métier que vous faites c’est le métier le plus coté, le nec plus ultra de lafonction publique.

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Pour entrer dans l’administration pénitentiaire, c’est extrêmement difficile, il y a des testsd’aptitude, une sélection rigoureuse. Songez quel regard méprisant nos concitoyens, le Pays,portent encore sur cette institution, sur les personnes détenues, sur les personnels, sur la choseprison, et avec quelle hypocrisie une partie du personnel politique s’est effarouchée à la lecture dulivre du Docteur Vasseur il y a un an et demi. Toutes ces personnes qui font les lois, qui nousreprésentent, quel effarouchement ils ont eu alors qu’eux-mêmes se tenaient éloignés del’institution. Donc à mon sens, libérer les captifs, c’est aussi que pour tout ce qui tourne autour dela prison, il n’y ait pas cette indignité, d’abord pour les personnes qui sont retenues, mais aussipour toutes celles qui y travaillent. Songez quelles difficultés… Au moment des électionsmunicipales, il y a six mois, j’ai surpris un de mes collègues surveillant élu maire de son villagedire au correspondant de "Ouest-France" qui l’interrogeait sur son métier : "je suisfonctionnaire". Ce collègue, vraisemblablement dans son village on savait qu’il était surveillant,mais il avait du mal à l’exprimer et à le dire au correspondant local d’Ouest-France parce quepour lui quelque part ça faisait problème. Je pense que c’est inadmissible que le fait prison soitencore autant méprisé, sauf à ce que pour des raisons philosophiques, politiques, de fond, on sesitue comme étant un abolitionniste, alors là c’est autre chose. Mais en l’état actuel de larépublique, on sait bien que ça n’est pas possible.

Je voulais simplement vous suggérer ces quelques pistes, vous dire que proposer àquelqu’un de faire révision de vie et d’entretenir cette petite lumière d’espérance, c’estextrêmement difficile à une époque où vous le savez sûrement, les peines sont de plus en pluslourdes, excluantes, il y a de plus en plus de condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité.Dans l’établissement où je travaille ils sont quarante et un, et c’est extrêmement difficile demaintenir de la dignité et de l’espérance pour ces personnes.

Stéphane Nicaise – Lorsque Monsieur Daumas parle de l’indignité qui marque la prison, maispas simplement les bâtiments, il faisait aussi allusion aux personnels. "Dans tout prisonniercomme dans le surveillant, une dignité inaliénable de la personne doit être respectée" (J.Cachot), autrement dit, commencer par se regarder comme des hommes. Je me tourne vers leresponsable de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire (ENAP). Comment faire tenirce discours dans la réalité lorsqu’en face il y a toutes les questions de sécurité ? "Tout mon êtreintervient dans la mission que je remplis" (Madame Credoz) : Est-ce qu’on peut demander ça àun surveillant ?

Monsieur Patrick Mounaud – Il paraît important de parler de la formation. Je fais tout pour quela formation atteigne 8 mois…Libérer les captifs : j’ai envie de voir comment libérer les personnels pénitentiaires, puisque c’estceux dont nous avons la charge de les former, les libérer justement de cette image qu’ils ontd’eux-mêmes, que la société porte sur eux, et leur donner plus de confiance en eux-mêmes. Jecrois que c’est une des missions importantes que nous nous fixons à l’ENAP. C’est par cetteconfiance qu’ils pourront avoir en eux-mêmes, qu’ils arriveront après à exécuter le mieuxpossible leur mission et à respecter beaucoup plus les personnes qui leur sont confiées, lesrespecter en profondeur. Donc, c’est véritablement un axe fort qu’on s’est fixé. Puisque nousavons eu la chance d’être délocalisés, nous sommes installés dans des locaux que nous avonsutilisés comme présentant un meilleur cadre dans lequel ils pouvaient s’installer pendant ce tempsde formation, une sorte de première reconnaissance qui pouvait leur être accordée.

Les personnels pénitentiaires que nous formons ne sont pas les plus cotés desfonctionnaires. Même si c’est beaucoup moins fort qu’il y a quelques 10 ou 20 ans, il y a encoredes personnels pénitentiaires qui n’osent pas dire leur métier. Souvent les personnelspénitentiaires ne choisissent pas ce métier. Là, j’aime toujours apporter quelques nuances :

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Si on considère les personnels de surveillance, effectivement pour la majorité d’entre eux, etnous les interrogeons lorsqu’ils arrivent à l’Ecole, ils ont choisi ce métier pour la sécurité de l’emploiet aussi souvent pour l’image de sécurité, parce qu’ils appartiennent, parce qu’ils connaissent dansleurs familles, dans leurs relations des gens qui appartiennent à ces corps de sécurité. Même s’ilsviennent à l’administration pénitentiaire, c’est parce qu’ils ont passé les différents concours de lapolice, de la gendarmerie, de la sécurité civile, de l’administration pénitentiaire et que, dans lemeilleur des cas c’est celui qu’ils ont réussi le premier, c’est peut-être celui qu’ils ont réussiuniquement. Il faut donc être réaliste par rapport à cela, mais là où j’apporte des nuances, c’est qu’ilfaut considérer que le niveau de formation des personnels de surveillance qui arrivent continue àcroître ou a atteint un niveau à peu près stabilisé à Bac + 1 depuis 4 ou 5 années, mais que depuisquelques années il y a quand même aussi chez les nouveaux surveillantes et surveillants des gens quiont une expérience personnelle plus assise, et c’est loin d’être négligeable dans le métier qu’ils vontpouvoir faire. C’est vrai que beaucoup sont là pour la sécurité de l’emploi, il faut là citer un chiffrequi est constant depuis 3 ou 4 promotions : 25% des élèves surveillantes et surveillants qui arriventsont originaires des départements d’Outre-mer et 25% sont originaires de la Région Nord. Oncomprend bien que ce sont deux zones géographiques où la situation économique est moins favorableet que la motivation essentielle reste quand même la sécurité de l’emploi.Il y a un élément nouveau aussi, en cela aussi il faut apporter des nuances, c’est que les personnels desurveillance sont de plus en plus féminisés : on arrive maintenant à des taux de 40% de femmes, et làil faudrait analyser plus précisément ce que sont les motivations et aussi l’influence que leur arrivéeva avoir dans les établissements.

Les personnels d’insertion et de probation ont toujours choisi ce métier, il a toujours unnombre de candidats extrêmement important qui permet de retenir ceux qui sont retenus sans aucunedifficulté. La simple évolution, c’est qu’ils sont de plus en plus juristes, et, de ce fait, nous devonsaxer de plus en plus les formations sur les enseignements de sciences humaines. Il y a là unemotivation qui n’a pas changé.

Pour les personnels de direction, ils choisissent de plus en plus ce métier. On constate, en cequi concerne les dernières promotions, que les élèves directrices (maintenant de plus en plusnombreuses) et les élèves directeurs ont fait généralement un troisième cycle de spécialité, soit decriminologie, soit de prise en charge de publics spécifiques, mais qui véritablement donc les conduit àchoisir ce métier.

Ceci étant, même s’il y a donc une certaine évolution, ce qui nous paraît le plus importantc’est de renforcer en premier lieu la confiance que les élèves doivent avoir en eux-mêmes. Toutd’abord en insistant sur la qualité des enseignements, je crois que c’est extrêmement important ; ellepasse bien sûr par la qualité des personnes qu’on recrute pour travailler au sein de l’Ecole et ladiversité de ces personnes : nous avons tenu depuis maintenant 2 ou 3 ans à largement diversifier lesrecrutements à l’Ecole qui étaient uniquement composés de personnels pénitentiaires. Actuellement,il y a plus de 25 personnes qui sont complètement extérieures à l’administration pénitentiaire et quitravaillent à plein temps à l’école, soit des universitaires, soit des conseillers en formation ; et parmiles personnels pénitentiaires, il y a une beaucoup plus grande diversité des enseignants : nous avions5 personnels d’insertion et de probation, nous en avons 19 à l’heure actuelle.

Donc, nous insistons sur cette diversité et la qualité des enseignements doit permettre de faire mieuxcomprendre ce qu’est cette mission qui va leur être confiée, et de ce point de vue-là je proposerais de ne plusemployer le terme ‘exécution de la peine’ qui me convient peu. On essaie au sein de l’Ecole de parlerd’accomplissement de la peine qui peut renforcer l’image d’engagement, aussi bien pour les personnels que pourles détenus. L’exécution a une dimension de soumission, de passivité qu’il nous semble nécessaire de combattre.L’accomplissement de la peine donne une autre dimension pour les personnels qui l’accompagnent et pour lespersonnes qui doivent la vivre.

On insiste beaucoup à l’Ecole sur la nature de certains enseignements : il y a des enseignements qui ontvéritablement une mission, notamment à l’égard des personnels de surveillance, de mise en confiance, de renforcerla confiance qu’ils ont en eux-mêmes.

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Des enseignements tels la self-défense, qui permet d’avoir des réactions plus maîtrisées, parcequ’il y a des situations où on se retrouve en situation d’agressé, et ça permet d’avoir aussi unerelation au corps de l’autre. Et il y a le secourisme. Nous insistons beaucoup à la formation à lagestion du stress, plus particulièrement pour certaines fonctions, par exemple pour les surveillantsqui vont travailler dans les quartiers mineurs. La gestion, la communication à l’autre, tous ceséléments qui permettent de travailler avec plus de confiance.

Et il y a tous les temps de retour de stage : nous prenons de plus en plus des temps depréparation et des temps de retour de stage, parce que les personnels pénitentiaires, notammentles jeunes surveillants, les jeunes éducateurs sont confrontés pendant leur temps de stage à dessituations extrêmement difficiles qu’ils n’ont jamais vécues souvent dans leur vie personnelle ;même un décès naturel qui est bien sûr toujours plus douloureux en prison, la majorité dessurveillantes et des surveillants font l’expérience de la mort la première fois dans leur exerciceprofessionnel. Au-delà de cela, il y a le suicide dont ils peuvent être témoins, les agressions dontils peuvent être victimes, et il faut qu’on prenne beaucoup de temps pour rassurer et leur donnerplus confiance.

Nous avons déjà développé des formations continuées qui permettent après ces formationsà l’Ecole d’avoir un temps de retour à l’Ecole, pour repartager avec ceux qui ont été formés enmême temps, retravailler ce que peut être son positionnement professionnel. On travaille aussibeaucoup sur les représentations qu’ils ont d’eux-mêmes, de leur métier, à la fois qu’ils prennentdes distances par rapport à ces représentations, mais aussi pour que nous puissions faire évoluerla formation.

Enfin, il faut que nous travaillions beaucoup sur la connaissance des personnes qui leursont confiées et si nous travaillons de plus en plus sur la qualité des intervenants, nous travaillonsde plus en plus en lien avec les Universités, non seulement parce que le milieu universitaire peutapporter à l’Ecole dans ces temps de formation, mais parce que, en lien avec elles, nousdéveloppons aussi au sein des Universités des volontés de recherche et d’enseignement qui sonttout à fait nécessaires parce qu’ils sont actuellement trop sous-développés. Je vous remercie.Stéphane Nicaise – Nous avons encore Madame Baste-Morand et je serais un peu tenté de direque visiteur de prison, c’est un peu comme nous, finalement c’est le rôle gratifiant où ceux quipeuvent se berner d’illusions, se dire après tout, nous on est là pour l’écoute, on est là pourdonner du temps, est-ce qu’il n’y a pas une certaine illusion : s’il n’y avait pas de visiteurs,manquerait-il vraiment quelque chose aux personnes détenues ?Madame Laure Baste-Morand – C’est vrai qu’on est un petit peu cousins germains, lesvisiteurs et les aumôniers. C’est vrai que nous sommes des gens d’écoute, nous ne donnons pasd’ordre.Je suis heureuse qu’on forme mieux les surveillants parce que j’ai toujours pensé qu’unsurveillant heureux, ça fait 10 détenus heureux. J’ai remarqué ça dans les couloirs de Fresnes : ily a des surveillants avec qui tout baigne parce qu’il émane d’eux un certain calme, une certainebonté, et c’est extrêmement important. Et j’ai lu dans le compte-rendu de votre colloque à Agen,il y avait un Canadien qui a dit que pour être surveillant de prison il fallait être intelligent,généreux, équilibré, une description parfaite de l’aumônier…

Vous avez devant vous une brochette de professionnels comme on aimerait en voir desdouzaines … Malheureusement pour moi, j’ai exercé mon activité dans les deux plus mauvaisesprisons de France, à Fresnes et à la Centrale de Moulins-Yzeure et ces deux endroits m’ont faittoucher du doigt tout ce que la prison peut avoir la possibilité de détruire. Une prison peutvraiment être un lieu de destruction, c’est extrêmement facile. Et puis, il y a une choseindiscutable, c’est vrai il y a des personnels des SIP, des SPIP, mais quelle est la disponibilité deces gens ? Entre les réunions, les congés maternité, les conventions collectives et les 35 heures,combien de temps vont-ils pouvoir consacrer à l’écoute des détenus ?

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Et je suis assez cruelle avec l’administration pénitentiaire, l’insertion elle vient par l’extérieur,notamment pour les longues peines. J’ai rencontré énormément de longues peines, de perpètes, etc.En 28 ans de fonction, et ils m’ont tous dit la même chose : c’est la famille qui vous garde et qui vousréintègre, c’est une femme qui tombe amoureuse de vous, folle mais qui vous insère, c’est un visiteurquelquefois, c’est un aumônier, c’est une rencontre.

La rencontre on dira jamais assez combien c’est important : une rencontre c’est la possibilité decommuniquer à cœur ouvert avec quelqu’un. Ca, vous le faites très bien ! C’est pour ça qu’on est là,c’est irremplaçable, et c’est pour ça que j’en veux quelquefois à l’administration pénitentiaire, parcequ’on traîne sur les accueils, on a beaucoup de mal à obtenir des permis, il y a des directionsrégionales où il faut un an pour avoir un permis.

Mais je dois avouer aussi que l’ANVP a plus de mal à recruter des visiteurs qu’autrefois. Quand jesuis arrivée à l’ANVP, il y avait 80% d’anciens scouts. A l’heure actuelle, il y a une nouvellegénération, il y a beaucoup plus de femmes qui travaillent, il y a beaucoup moins de disponibilitéchez les femmes et chez les hommes aussi sans doute, et donc, on a beaucoup de mal à recruter desgens à qui on demande qu’ils soient réguliers, de s’engager, d’être fidèles – or la fidélité à l’heureactuelle, c’est un truc complètement grotesque – généreux avec énormément de discernement : lessurveillants nous reprochent d’être du côté des détenus, comme si on ne pouvait pas être du côté desdétenus et du côté des surveillants. Il n’y a pas de collaboration facile entre des surveillants et desvisiteurs et je crois que ça, à l’avenir, il faudrait essayer d’organiser dans les prisons des petitsgroupes, ne serait-ce qu’un dîner mensuel, entre les bénévoles intervenant dans un établissement etles surveillants… C’est tout ce que je voulais vous dire, parce qu’eux ont beaucoup parlé, mais moi jesuis visiteuse, donc je suis habituée à écouter et pas à parler.

Stéphane Nicaise – J’ai toujours été surpris qu’on ne cherche pas dans un établissement, et je croismême qu’on ne veille pas, à faire se rencontrer différents services, à faire que service social, servicemédical, enseignement, surveillants, qu’il y ait une espèce de lieu d’interactions, d’échanges,d’expériences. Est-ce que je me trompe ou est-ce qu’effectivement l’administration ne pourrait pastolérer cela ou y verrait un mal pour son fonctionnement ?Monsieur Mounaud – Je veux bien répondre juste sur un point qui concerne l’Ecole. Lorsqu’on avoulu quitter Fleury-Mérogis, la question s’est effectivement posée, est-ce qu’on conserve une seuleécole ou est-ce qu’on crée plusieurs écoles ? On aurait pu très bien créer une école de travailleurssociaux, une école de surveillants, une école de cadres. L’administration pénitentiaire a fait ce choixdélibéré de garder une seule École pour que les fonctionnaires pénitentiaires, toutes catégoriesconfondues, continuent à se rencontrer. La conséquence que j’en ai tirée c’est que les élèves, pendantle temps de séjour à l’Ecole, ne portent pas l’uniforme pour qu’il y ait cette facilité de rencontre.Donc, en tant que directeur d’Ecole, je souhaite qu’on fasse tout pour que les fonctionnaires serencontrent.

Madame Baste-Morand – On pensait que c’était pour qu’ils soient tous coulés dans le mêmemoule !Monsieur Daumas – J’ai une autre piste : je pense que dans certaines entreprises privées, pouraméliorer la rentabilité, le profit, on extrait les gens de leur lieu d’activité professionnelle de manièreartificielle pendant quelques jours, et on les emmène partager des temps un peu extraordinaires.Quand ces gens reviennent, ils ont dépassé certains a priori, ils se sont découverts, et l’entreprisefonctionne mieux et la rentabilité s’en trouve améliorée. Dans une prison, le meilleur du profit, c’estl’excellence, c’est l’expertise en relations. Je trouve que le surveillant, ça doit être une sorte d’experten humanité, de généraliste de la relation… Je pense que dans cette administration où le seul fond decommerce c’est la relation, le cœur du métier c’est la personne, ce sont des personnes que vousmandatez pour prendre en charge, pour garder d’autres personnes, ça ne fait pas de mal de mieux seconnaître.

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Dans d’autres prisons, on a même poussé l’audace jusqu’à faire vivre ensemble cesfonctionnaires et des personnes détenues. Je l’ai vécu personnellement, ça s’est interrompu et çase refait, ça a cet avantage extraordinaire avec les personnes détenues de travailler en plus avecelles la question de la confiance. Quand des surveillants, souvent des moniteurs de sport, sortentde l’institution avec les personnes détenues, à mon sens, dans ces moments-là, on va au fond del’humanité et au fond des problèmes. Mais c’est difficile, parce que culturellement dans notrePays, nous ne sommes pas tout à fait prêts à cela.

Réponses aux questions

Madame Credoz – Les peines alternatives : Je crois que dans les textes, il y en a. Jusqu’où onpeut aller ? Il faudrait qu’elles soient appliquées. Si déjà on appliquait en peines alternatives toutce qu’il y a à notre disposition, certaines personnes ne seraient pas en détention. Le travaild’intérêt général, ça dépend des magistrats et des tribunaux… Pour les longues peines, je ne voispas autre chose que la privation de liberté pour des faits graves, très graves.

C’est dans la nature du droit français actuellement, il y a une dichotomie absolue entrel’avant jugement et le jugement, pour respecter l’impartialité et la neutralité du juge. La Coureuropéenne dit qu’un juge qui aurait connu l’accusé avant ne peut pas participer aux débats.Quand je vais en prison faire mon interrogatoire d’identité, c’est pour me positionner trèsclairement par rapport à la personne que j’interroge, ne pas ouvrir des attentes par rapport à cettepersonne. Je suis là pour me présenter, vérifier votre identité, peut-être répondre à quelquesproblèmes techniques. Le dossier, la personnalité, c’est hors de question. Ca correspond bien àl’impartialité, la neutralité du juge, c’est-à-dire cette justice distanciée qui n’est possible que sil’on sait rester à égale distance de toutes les parties du procès. On ne peut pas s’allier, ni ensympathie, pas plus qu’en antipathie, avec la personne que l’on juge ou avec la victime. De mêmeque je ne peux pas aller voir la victime avant. A l’audience, les gens arrivent, ils sont à égalité.Quand on lit le dossier, on est déjà programmé, il y a un effort extraordinaire à faire pour sedéprogrammer et se laisser surprendre par l’audience.

Monsieur Daumas – Les transferts : Question grave. L’administration pénitentiaire utilisecomme mode de gestion le déplacement soudain, voire brutal de personnes qui posent desproblèmes en détention. Il m’est arrivé – rarement – de procéder de la sorte parce que j’étais dansun cul de sac avec un homme détenu. Il y a de telles situations de tension dans les prisons avec leshommes avec lesquels le dialogue ne produit plus les effets attendus que, comme dans un divorce,il faut que le gars parte. En revanche, je pense qu’avant d’en arriver là, et quand on en arrive là etqu’il y a un transfert d’ordonné, il faut à tout prix que le gars ait une possibilité de recours, et derecours opérationnel avec un effet éventuellement suspensif. Il faut mettre de la médiation. Dansle projet de loi pénitentiaire, on envisage la présence du délégué du médiateur de la Républiquepour rentrer dans le droit commun. Cela étant, je pense que dans certaines situations il vaut mieuxse séparer, quitte à ce qu’on associe la personne condamnée au choix où elle veut arriver. Il y ades fois plus d’inconvénients à rester dans l’établissement. Maintenir une personne dansl’établissement où tout est bloqué, où le dialogue ne produit plus d’effet, ce n’est pas une bonnechose. Mais on ne sait pas trop faire dans ces situations cul de sac. Je suis partisan qu’on ne nouslaisse pas décider seul, et je crois que le délégué du médiateur peut aider.

Est-ce qu’il faut toujours dans tous les cas des peines de prison ? Il y a de telles atteintesdans certains cas à la dignité, à l’intégrité de certaines personnes, qu’on sait qu’on ne pourra pasen l’état actuel de nos cultures, éviter l’enfermement. En revanche, comme citoyen et commedirecteur de prison, je pense que malgré le bond énorme quoique tardif en 81, ne nous leurronspas, on vient de fêter les 20 ans de la suppression de la peine de mort, je m’en réjouis.

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Pour autant, notre droit aujourd’hui comporte des peines qui sont des peines de mort sociale, despeines d’élimination, et il faut qu’on dise à nos parlementaires que ces peines et ces loi doivent êtremodifiées : comment garder un homme debout quand on lui dit "faites 30 ans, et après on verra".

Dans le même temps, je pense qu’aucune nation civilisée n’acceptera d’ouvrir ce type de débat sidans le même temps on ne regarde pas collectivement quelle est l’attention et la fraternité qu’onmanifeste aux victimes des infractions les plus graves. J’ai été un jour remis en place par le présidentde l’association des parents d’enfants victimes, et je reconnais après coup qu’il avait parfaitementraison, qui me disait "comme parent d’une fillette qui a été assassinée, je suis moi aussi opposé à lapeine de mort, mais pour autant je ne suis pas prêt à entendre que celui qui a ôté la vie à mon enfantressorte trop vite". Je pense qu’aucune nation civilisée ne pourra tenir ce discours sur la suppressiondes longues peines qui sont des peines de mort déguisées si dans le même temps on ne revoit pas pluscomplètement, y compris dans ce type d’assemblée, l’amour et la fraternité qu’on doit aux victimes.Parce que nous autres, professionnels, ce sont des questions qu’elles nous envoient très fortement.

Les jeunes en prison, la violence : Il y a un renforcement des longues peines et des détenus quivieillissent, et un renforcement des mineurs et des jeunes majeurs. Sur la violence, lorsqu’on écouteces jeunes qui sont détenus dans les grosses maisons d’arrêt urbaines, les jeunes nous disent que detoutes façons ils reconnaissent qu’ils sont installés dans le trafic et que c’est plus facile de vivreaujourd’hui en vendant des produits stupéfiants que d’aller travailler. Et ils nous renvoient desquestions extrêmement provoquantes sur le partage des richesses, sur le partage du temps de travail,et tant qu’on n’aura pas répondu à ces questions, et tant qu’on n’aura pas aussi rétabli l’autorité desadultes, notamment dans les lieux de formation, à l’école et ailleurs, on continuera à avoir des jeunesplein nos prisons.

Madame Credoz – Culpabilité et peine : Quand on commence à réfléchir sur la peine, c’est qu’on astatué sur la culpabilité. On est très clair : "vous êtes déclaré coupable de", vous l’êtes coupable, vousne l’êtes pas à moitié, un tiers, parce que peut-être que… A partir de là, on ne travaille la peine que,d’après ce que dit la loi, "en fonction de la gravité de l’acte et en fonction de la personne qui acommis cet acte". Le doute doit bénéficier à l’accusé, le doute c’est une construction de l’esprit, cen’est pas votre peur tripale de condamner, vous arrivez au doute quand vous avez raisonné et quedans les deux plateaux de la balance vous avez empilé les éléments de preuves et les éléments de nonpreuve. Si les deux plateaux sont à égalité, il y a doute et acquittement. Je ne sais pas si la personneest coupable ou pas, mais il y a doute, donc acquittement. Si le plateau de la culpabilité penche,même s’il y a quelques petites pièces dans l’autre plateau, c’est la condamnation, c’est la déclarationde culpabilité. J’insiste auprès des jurés dans le sens de la peine : attention, il vient d’être déclarécoupable, ce n’est pas un demi, un tiers, un quart de coupable.

La psychose : Quelqu’un qui développe une psychose est quelqu’un qui est un malade mental graveet donc considéré comme un dément. Est-ce qu’il a agi à une période féconde ou pas de sa psychose,ça c’est autre chose, et c’est toute la difficulté que l’on a. Il y a deux écoles : des psychiatres neconcluront à un état d’irresponsabilité pénale pour avoir agi en état psychotique aigu, parce qu’ilsestiment qu’il faut juger ces personnes, elles sont peut-être démentes, mais ce sont bien des personneset l’acte de juger reconnaît la personne. On ne juge pas les animaux, un dément a le droit d’être jugé.D’autres psychiatres disent que, puisqu’il y a abolition du discernement, on ne peut pas être jugé.Nous magistrats, on s’accroche à la réponse de l’expert. Il y avait dans les années cinquante 12 à 15%de personnes dont on avait commencé une procédure judiciaire qui était classée par un état dedémence, il y en a moins de 2 à 3% maintenant. Évidemment, quand il y a altération des facultésmentales, c’est évident que c’est une atténuation de peine.

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Monsieur Mounaud – Idéal et réalité : L’écart entre ce qui devrait être la norme et la réalité …Les élèves que nous recevons en permanence toute l’année passent leur temps en revenant destage à nous dire que les établissements ne correspondent pas à ce que vous voudriez qu’onrencontre. Nous sommes confrontés à cela et je crois que c’est tous notre rôle de vigilance, qu’onsoit fonctionnaire, qu’on soit engagé de manière associative, bénévole, pour faire avancer lesinstitutions.

Madame Baste-Morand – Une prison, c’est comme un bateau : quand il y a un boncommandant, tout baigne, enfin normalement ça ne coule pas, et quand il y a un directeur nul etun peu prétentieux, c’est l’horreur.

Stéphane Nicaise – On pourrait d’ailleurs en dire autant des équipes d’aumônerie !

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ECHOS DU CONGRES

« Associer soleil, dévouement du personnel du Secours Catholique et congrès de qualité, fait quenous avons profité pleinement de ces moments pour partager avec d’autres aumôneries sur nospratiques respectives ; nous avons apprécié la présence de l’aumônerie des DOM-TOM. »

Jean-Marie ThomasChristiane Vollet

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PROPOS FINALJe dis souvent, quelques fois ça m’a été reproché par des gens à qui on est amené à parler, que labonne nouvelle qui est proposée aux personnes incarcérées et que nous accompagnons ça n’estpas un paquet cadeau qu’on a sous le bras et on rentre en prison avec pour aller le donner à cespauvres gens. La bonne nouvelle, on l’a reçoit ensemble avec eux. Si je dis ça, c’est pas pourfaire bien, mais je crois que c’est une expérience que nous vivons tous. L’accompagnement despersonnes incarcérées nous fait lire autrement l'Évangile, nous fait entendre d’une autre manièrecette parole. Je crois que c’est vrai pour tout le monde.

Alors, dire aujourd’hui que nous sommes envoyés pour annoncer aux captifs qu’ils sont libres,encore une fois ce n’est pas aller à la rencontre d’hommes et de femmes pour leur dire qu’ils sontlibres, mais c’est pour vivre avec eux une libération. Je ne peux pas aller dire à l’autre qu’il estlibre si moi-même je ne me laisse pas libérer. Vous regarderez sur le petit livret de "Prions enÉglise" la reproduction qu’il y a en couverture, je trouve qu’elle est très instructive à ce sujet.L’attitude du Christ qui tient cette femme adultère par la main, pas dans un geste d’oppression, dedomination, mais vraiment dans un geste plein d’affection, plein d’attention, je dirai qu’il vajusqu’à se compromettre avec cette femme. Je ne peux pas dire à l’autre, annoncer à l’autre queDieu le libère si moi je ne me compromets pas non plus dans cette libération qui m’est donnée. Etje crois que nous avons tous compris que dans les 5 ans qui viennent, mettre en œuvre ce texted’orientation, c’est nous-mêmes vivre avec eux cette expérience de libération.

Alors après cela vous comprendrez que je ne vais tout de même pas avoir l’audace de tirer desconclusions à ce congrès, je crois que ça n’aurait pas de sens, et ça pourrait vouloir dire que tout aété dit, que tout est fait, qu’il n’y a plus qu’à s’en aller et attendre. Et bien non ! Le plus importantreste à faire. On a vécu 3 journées, oh allez, disons-le, magnifiques, parce qu’il a fait beau, parcequ’on a fait des choses qui valaient le coup, parce que je crois nous ne repartons pas les pochesvides : on a reçu quantité de choses ici, on ne repart pas comme on est arrivé. Mais ces trois joursne peuvent pas rester comme "le plus beau jour de ma vie", comme on écrivait jadis sur nosimages de communion : à l’âge de 12 ans on pouvait être inquiet en se disant "mon Dieu qu’est-ce qui va se passer après ?". Trois journées qui augurent bien de ce que nous allons vivre les unset les autres dans nos équipes d’aumônerie.

Sans oublier ce qu’il y a eu avant : Jouer l’équipe. L’aumônerie joue l’équipe, c’était il y a 5 ans,ça n’est pas à ranger au rayon des souvenirs ou des accessoires usés, ça demeure, et il n’est paspossible d’aller annoncer aux captifs qu’ils sont libres si ça n’est pas l’œuvre d’une équipe. Onaccroche les unes après les autres un certain nombre de convictions qui bâtissent notre aumônerie.

Et puis je termine par deux choses :

La première : Faites savoir autour de vous ce que nous avons vécu pendant ces trois jours et ce àquoi nous nous engageons, parce que ça engage aussi l'Église. Et c’est important que dans toutecette Église on entende ce que nous projetons de réaliser ensemble, pas pour se vanter, pas pourdonner des leçons aux autres, mais pour associer l’ensemble des croyants dans une démarche quiest celle de tout un peuple de chrétiens, d’être ce peuple qui annonce la libération à tous. Et ça,prenons tous les moyens, les revues diocésaines, les rencontres dans des paroisses ou des secteurspastoraux. Peu importe, mais il faut y aller, il faut se faire connaître pour faire connaître ce quenous vivons, ce que nous faisons.

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La deuxième : je crois que ça serait intéressant si, dans le train tout à l’heure, ou ce soir enrentrant chez vous, trois-quatre lignes : qu’est-ce que je retiens de ces trois jours passés et qu’est-ce que ça me donne envie de vivre avec les autres ? Vous faites remonter ça au 106, rue du Bac.Ca peut être fort intéressant, parce que le compte-rendu de ce congrès pourrait peut-être être unpetit peu étoffé d’un certain nombre de choses, très diverses sans doute parce qu’on est tousdifférents les uns des autres, mais qui permettent de faire un peu un bouquet de tout ce qui a fleuriici pendant ces 3 jours et qui est appelé encore à fleurir pendant les 5 ans qui viennent.

Alors je n’aurais pas l’outrecuidance de vous donner rendez-vous en 2006, parce qu’en 2006 jeserai peut-être encore dans l’aumônerie mais je ne serai plus l’aumônier général, puisque dansdeux ans, même pas, un an et demi, un autre prendra la place, un autre ou une autre, je ne sais pasencore. Mais je pense qu’il y a du chemin à faire ensemble et je vous donne rendez-vous quandmême en 2006, je ne sais pas où.

Merci !

Jean-Hubert VIGNEAU

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ÉCHOS DU CONGRÈS

Nous y sommes venus avec un thème, nous en repartons avec « un programme » :

- Proposer à temps et à contre-temps de donner un sens à la peine, en devenant une force depropositions auprès des différentes instances, sociales, carcérales, judiciaires.

- Permettre à chaque personne détenue de trouver un point d’ancrage pour qu’elle puisse se re-construire en tant que personne, individuelle et sociale, douée d’un esprit.

- Changer et renouveler sans cesse notre regard à la lumière de l'Évangile, pour pouvoir dire –même aux victimes – que la haine est destructrice, y compris dans le travail de deuil.

Ce Congrès a été particulièrement festif, sans que cela altère la qualité du travail et de laréflexion.« Allez dire aux captifs qu’ils sont libres … » Cette phrase est notre gouvernail.Chaque détenu, victime, citoyen, risque de devenir « captif » de sa situation ou de ses idées s’iln’est pas aidé par un regard libérateur, un regard d’amour.

Les situations difficiles et douloureuses que nous rencontrons dans le milieu carcéral ont étéparfaitement restituées par l’une ou l’autre « mise en scène » digne d’un grand moment d’artdramatique.Il manquait sans doute ceux dont nous nous voulions les « ambassadeurs ». Encore là, leurprésence et leur voix n’étaient pas prévus au programme …, sinon en play-back !

Je pense que chacun peut repartir, de cette cité Mariale, le cœur plein d’élans de vie, de paix, dejoie, …, mais les mains vides, pour mieux accueillir la vie de ceux auxquels il est envoyé.Serons-nous assez « pauvres » pour nous laisser « enseigner » par ceux que nous rencontrons ?

Jean-Pierre Muratet

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CONGRÈS 2001 – TEXTE D'ORIENTATION« ENVOYÉS POUR ANNONCER AUX CAPTIFS QU'ILS SONT LIBRES ».

“Ne vous occupez pas des prisonniers si vous ne consentez pas à être leurs sujets et leurs élèves. Ceux que nousappelons des misérables, ce sont eux qui nous doivent évangéliser et convertir. Après Dieu, c’est à eux que jedois le plus”. Saint Vincent de Paul

Le débat national autour de la loi pénitentiaire et celui initié par le Jubilé des Prisons “Libérez les captifs” nousamènent à définir des orientations pour les 5 ans à venir.

1) Constat : “ La prison est broyeuse des personnes… de coupables nous devenons victimes… ”*

“ Les prisons, une humiliation pour la République”. Les rapports officiels ont alerté l’opinion sur des conditions dedétention que nous confirment les personnes détenues : le système carcéral infantilise et déresponsabilise et ainsi ildéshumanise. La prison est généralement l’aboutissement d’échecs personnels, familiaux et sociaux.

- La détention provisoire est vécue au-dedans et perçue au-dehors comme une preuve de culpabilité. Elle nepréserve pas la présomption d’innocence.

- Des peines trop longues et les périodes de sûreté incompressibles cultivent la haine, tuent l’indispensableespoir et ruinent toute perspective de réinsertion.

- L’incarcération des mineurs est une impasse.- Le casier judiciaire enferme définitivement la personne dans son passé de délinquance.

2) Mission : “ Par l’aumônerie, l'Église me permet de retrouver une espérance …” *

Des murs se construisent en chaque être humain au long de son histoire. Ils peuvent l’enfermer. Notre missionpremière est d’accompagner des personnes incarcérées pour que, même en prison, elles prennent conscience de cesenfermements et pour les aider à s’en libérer. Disciples du Christ, nous osons reconnaître en chaque être humain,fût-il le plus défiguré, la présence du Ressuscité : l’homme est un peut-être divin ! C’est pourquoi, nous devonsprivilégier :

- L’attention préférentielle à tous les pauvres de la prison,- L’apprentissage du respect de soi et des autres : “ en abîmant l’autre, je me suis défiguré ! ”- L’accueil, l’écoute, la prière et les célébrations comme chemins de libération,- L’expérience d’un pardon toujours offert, toujours à donner, toujours à recevoir. Le pardon est libération

dans tout homme de l’avenir qui est en lui.

3) Engagement : “ L’aumônerie peut être notre voix à l’extérieur, elle peut témoigner de notre détresse …” *

Notre proximité avec les personnes détenues nous autorise à alerter l'Église et la Société.

* L'Église :Des personnes font en prison une expérience de la peine et du pardon et vivent une démarche catéchuménale. Nousdevons en témoigner dans les communautés et réclamer pour elles un accueil approprié lorsqu’elles sont libérées.

* La SociétéLa Justice qui condamne des personnes les reconnaît, les restaure comme des sujets de droit. Dans sa mission deréinsertion la prison doit affirmer de façon exemplaire les valeurs de la République : “ Liberté-Égalité-Fraternité ”.Quand elle les bafoue, elle est inutile et dangereuse. Aussi nous devons :

- Dire nos convictions essentielles sur le respect dû à tous : personnes détenues, familles, victimes.- Contribuer, à côté des personnels pénitentiaires et avec nos partenaires, à la mise en œuvre des réformes

favorisant les peines de substitution, l’humanisation des conditions de la détention et la réinsertion.- Rappeler et susciter le nécessaire accueil des personnes libérées : elles ne se réduisent pas à être d’anciens

détenus.

Dans cette dynamique, la mission de l’aumônerie catholique ne se conçoit que dans un travail d’équipe, avecune formation permanente de chacun, une évaluation continue des projets et une collaboration régulièreavec les aumôneries des autres cultes.

* « Libérez les captfis », paroles de personnes détenues.

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CÉLÉBRATION1. OUVERTURE :

• Chant d’entrée : N’ayons pas peur de vivre au monde – T 72

Prière pénitentielle :

Seigneur, tu le sais, j’ai de la difficulté à reconnaître mes limites, à m’accepter tel que jesuis.

Aujourd’hui je te demande pardon de douter de ta confiance.Bénis sois-tu de m’aimer tel que je suis et de m’appeler sans cesse à me dépasser.

R/ Jésus, tu nous délivres et tu nous sauves. Jésus, nous te louons.

Seigneur, tu le sais, j’ai peur de me risquer, de me laisser déranger par la différence, lasouffrance, par l’autre. Aujourd’hui je te demande pardon pour mon égoïsme.

Bénis sois-tu, tu me fais vivre et tu m’appelles à chercher l’audace de la rencontre.

R/ Jésus, tu nous délivres et tu nous sauves. Jésus, nous te louons.

Seigneur, tu le sais, mon désir de pouvoir, de richesses m’aveugle parfois au point devouloir me débrouiller sans toi. Aujourd’hui, je te demande pardon de chercher à m’ensortir tout seul,

Bénis sois-tu, tu as vaincu dans l’humilité et tu m’appelles à trouver la force dans tafaiblesse.

R/ Jésus, tu nous délivres et tu nous sauves. Jésus, nous te louons.

Gloire à Dieu, paix aux hommes,Joie du ciel sur la terre. (+ couplets)

• Prière d’ouverture :

Dieu notre Père, qui nous appelles à la liberté, ton Fils s’est soumis à notre conditionsouffrante pour enlever le péché du monde. Accorde aux hommes qui sont victimes de cepéché et retenus en captivité à cause de lui, de trouver cette liberté que tu as voulu donnerà tous tes enfants, par le Christ…

2. TEMPS DE LA PAROLE

Homélie de Michel Pollien

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Luc 17, 11-19

"Jésus, Maître, aie pitié de nous !"Cette même prière, ce même cri, nous l’entendons aussi de l'Évangile dans bien d’autres endroitscomme celui par exemple qui nous rapporte l’aventure de Bartimée en Saint-Marc.Vous savez, même qu’on l’empêchait de crier et pourtant guéri, il bondissait derrière Jésus pour lesuivre sur le chemin.

Ici, voici 10 pauvres hommes brisés par la maladie, défigurés par la lèpre.

Mais, plus encore marqués par l’opprobre religieuse et sociale qui retient à distance des gens soi-disant purs, ceux que la maladie a blessés et du même coup exclus.

Bien sûr, ils ne peuvent se tenir qu’à distance, mais ils crient aussi leur misère et d’une certainemanière, ils crient aussi ce qu’on leur a dit être leur péché.

En même temps ils ont besoin de dire, d’exprimer une confiance et une espérance qui jaillissentde leur cœur à l’encontre de ce Maître, de ce Rabbi qu’ils ne connaissent pas beaucoup mais dontils entrevoient déjà la puissance en Jésus de Nazareth parce que probablement certains leur en ontparlé.

Dans leur cri, nous reconnaissons une démarche de vérité, d’aveu de faiblesse radicale, mais aussiune confiance spontanée, un peu folle car ils ne savent probablement pas grand chose de Jésus,simplement ce qu’on dit de lui.

Mais, nous savons par expérience, pour nous-mêmes et ceux que nous accompagnons que cettereconnaissance, cet aveu de faiblesse, qui engage déjà cependant dans la confiance est déjà unchemin de libération et de lumière.

Alors oui, à leur façon, ils sentent, comme par intuition, le pouvoir de Salut qui est en Jésus, leChrist.

Aie pitié,Kyrie…Eleison…Seigneur prends pitié.

Vous le savez bien, c’est le cri de l’Assemblée Eucharistique, c’est aussi le cri de celui quisouffre, qui a peur, qui a besoin d’aide, qui se sent fragile, qui appelle à l’aide et qui demandequ’on s’occupe de lui :"Intéresse-toi à moi…"Seigneur occupe-toi de moi."

C’est un véritable acte de foi, car la foi, la véritable foi ne peut sortir que de cette attitude humble,abandonnée, confiante, c’est-à-dire vraie.

En même temps, et c’est sa grandeur et sa dignité, l’homme qui se reconnaît ainsi a le désir de setirer lui-même d’affaire dans un monde où il semble être jeté et livré à des forces aveugles etdestructrices de la société.

L’homme a besoin de croire en lui-même et s’il s’avoue souvent vaincu, résigné ou désespéré,alors la rencontre avec le Dieu de miséricorde et d’amour lui fait entrevoir que tout est possible,que tout devient possible, que tout est un "peut-être".

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On pourrait s’étonner de ce que Jésus renvoie les 10 sans les guérir.

Ne serait-ce pas comme une mise à l’épreuve de sorte qu’en allant vers les prêtres et en acceptant defaire cette démarche, ils expriment leur confiance et dans cette confiance, ils se trouvent guéris.

Et plus qu’une mise à l’épreuve, ce pourrait être aussi une manière pour Jésus de les impliquer dansl’acte de leur guérison.

Par ailleurs, nous savons que se montrer aux prêtres, c’est un rite qui identifie la guérison du lépreuxet lui redonne le droit de vivre dans la cité.

Un seul reviendra car il ne se contentera pas de cette réhabilitation.

Il viendra pour rendre gloire à Dieu, pour remercier, et si Saint-Luc prend soin de souligner que c’estun Samaritain, c’est-à-dire presque un païen, il veut dire par là aussi que Dieu mène son pland’Amour comme il l’entend et qu’il décide de donner son salut à qui il veut et encore mieux qu’il seréjouit d’avoir saisi par la grâce ceux-là même que nous avons tendance à juger et rejeter "lescollecteurs d’impôts, les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu."

L’homme s’est mis à genoux devant Jésus, Jésus ne le laisse pas ainsi,Jésus lui dit : "Relève-toi, mets-toi debout, sois fier et digne".Celui qui est venu pour adorer est non seulement un guéri, mais il est un homme debout et sauvé.

Ce n’est plus au temple seulement que l’on rencontre Dieu, mais dans la rencontre du Christ enpersonne, retrouvé sur nos chemins d’humanité.

L’Eucharistie, par excellence, est bien ce lieu de rencontre du ressuscité, elle est le lieu où nousrevenons sans cesse pour rendre grâce,rendre grâce pour le pardon reçu,rendre grâce pour le don de la vie dans le pain partagé,rendre grâce pour ce qui nous fait communiquer les uns avec les autres, tous enfants d’un même Pèrequi peut donner à chacun le pain quotidien de la vie, du bonheur et de la paix.

Amis, nous venons de vivre ce congrès par ces jours intenses portés par cette phrase de l'Évangile deLuc qui fait reprendre pour son compte à Jésus l’annonce du prophète Ésaïe :"L’Esprit de Dieu repose sur moi, il m’a envoyé pour annoncer aux captifs qu’ils sont libres".

L'Évangile éclaire d’une manière toute particulière le chemin de libération, de reconstruction de touthomme et particulièrement de ceux qui, sanctionnés par la société, sont trop souvent broyés par cequi devrait leur permettre de grandir dans l’accomplissement même de leur peine.

"Relève-toi, mets-toi debout".

L’aumônerie, vos équipes, ceux avec qui vous vous associez participent de cette certitude que toutepersonne a un avenir possible.

De sorte que vous aussi prenez votre part de cette rencontre possible et salvatrice avec celui qui Lui-même s’est fait souffrant, jusque dans la mort, mais qui, ressuscité, a aussi puissance de faire revivre,de révéler en tout être humain, un peut-être divin.

Ce même passage d'Évangile qui annonce ce ministère de libération nous rapporte aussi qu’aprèsavoir lu le texte, Jésus, dans la synagogue roula le livre, le rendit au servant, s’assit, regarda la foule,et déclara :"Aujourd’hui cette Écriture s’accomplit"."Aujourd’hui Il nous regarde, il regarde tous ceux qui sont blessés et il nous dit, à nous :"Aujourd’hui je vous confie la mission d’accomplir cette Écriture".

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Frères et sœurs détenus,nous voudrions, à l’occasion de cette Eucharistie vous dire notre fraternelle amitié et notre prière.L'Évangile qui nous est confié est une bonne nouvelle que nous voulons partager avec vous.Nous voulons vous dire que la Parole de tendresse, de miséricorde et de confiance pour vous peuts’accomplir chaque jour.Ici, à Lourdes près de Marie, nous vous confions à Dieu, vous et vos familles, soyez certains quechacun, que chaque équipe d’aumônerie repartira plus déterminé encore à ouvrir avec vous deschemins d’espérance.Nous croyons en toi, Dieu notre Père (C.D.R. Joux-la Ville - Quartier des femmes).

Prière universelleR/ Père du ciel, tu es très bon. Père du ciel, nous te prions.Détenus, nous le sommes ! Et pour longtemps… 10, 20 et 30 ans ! C’est long, très long… troplong…Comment continuer à vivre avec un crime ou un délit que nous ne pouvons pas ou que nous nevoulons pas reconnaître ?Et, comment intégrer une peine que nous n’assumons pas… ?

Toi, l’Esprit d’amour et de liberté, souffle fort sur les équipes d’Aumônerie,souffle fort sur chacun de nous ! pour que nous reconnaissions notre péché et que notre

cœur soit pacifié.(Personnes détenues de Saint-Martin de Ré)Dans ce monde de violence, d’agressions « gratuites », de non-respect des lois et de la viehumaine,quelle citoyenneté vivons-nous ? Quelle citoyenneté est la nôtre ?Le creuset dans lequel se forge notre violence, n’est-il pas au cœur de notre société ?

Toi, l’Esprit de paix et de sagesse, apprends-nous à être des veilleurs les uns pour lesautres,

apprends-nous à découvrir ce dont nous devons nous libérer pour un mieux vivreensemble.(Antenne Solidarité Roubaix)« Quand ma fille a été incarcérée, j’ai du changer d’église pour la messe du dimanche, car lesparoissiens s’écartaient de moi ou évitaient de me parler », disait une maman.

Toi, l’Esprit de tolérance et de bienveillance, apprends-nous à ne pas juger,Mais à ouvrir nos cœurs et nos bras aux blessés de la vie, aux détenus ou à leurs familles.

(Brest)Devant les lenteurs de l’institution judiciaire, comment ne pas perdre cœur lorsqu’on estjusticiable et emprisonné ?

Toi, l’Esprit de justice et de miséricorde, éclaire et réconforte les personnes qui ont latâche délicate de prononcer le jugement, accorde la clairvoyance et la paix aux personnes qui ontà comparaître devant un tribunal.(Dijon)Qui peut être aujourd’hui porteur d’un message d’espérance pris pour authentique par lespersonnes détenues ? Quel geste peut manifester toute la force de libération que nous-mêmesavons parfois bien du mal à accueillir ?Toi, l’Esprit de liberté, conduis ton Peuple de l’esclavage à la liberté,fais-nous témoins de cette marche que l'Église nous demande d’entreprendre avec nos frèresprisonniers.(Saint-Denis de la Réunion)

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Dieu, notre Père, tu veux libérer tout homme. Fais de nous les serviteurs de ta Parole d’amourauprès de tous nos frères, toi qui règnes pour les siècles des siècles.

3. LITURGIE EUCHARISTIQUE

• Offrande :

Tu es béni Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain et ce vin, fruits du travail et de la vie deshommes,L’Eucharistie que nous t’offrons, Seigneur notre Dieu, c’est ton Fils, arrêté, emprisonné,condamné, mais ton Fils passant de la mort à la vie ;Qu’il soit pour tous ceux qui souffrent dans nos prisons, le fondement de leur espérance et le gagede leur liberté. Par Jésus,…

• Préface et prière eucharistique :

Vraiment, il est juste et bon de te rendre grâce, Dieu, Père des hommes, de tous les hommes :tu es la source de cette égalité universelle et totale qu’ensemble nous voulons manifester.

Béni sois-tu quand l’homme et la femme se reconnaissent égaux, quand le frère cesseenfin d’écraser son frère, et quand les peuples trouvent une langue commune pourconstruire la cité.

Il est juste et bon de te louer, Dieu, ami des hommes :tu es le lien de cette fraternité, sans racisme et sans violence, qu’ensemble nous voulons réaliser.

Béni sois-tu quand nos départs nous ouvrent des terres nouvelles, quand la guerre estabsente des chemins qui se croisent, et quand, au terme du voyage, nous trouvons lerepos d’une table d’amis.

Il est juste et bon de te chanter, Dieu, salut des hommes, de tous les hommes :tu es la force de cette liberté, encore naissante et courageuse qu’ensemble nous voulons inventer.

Béni sois-tu quand les prophètes appellent la justice et le droit, quand les puissants sontrenversés de leur trône et quand les pauvres voient se lever pour eux l’aube d’un mondenouveau.

C’est pourquoi, unis à tous ceux qui sont prêts à donner leur vie pour que l’homme ne soit plusvictime de l’homme, nous qui sommes appelés à la sainteté parce que tu es saint, nous chantonsensemble cette hymne de fête :

Sanctus : Saint le Seigneur de l’univers ! Hosanna au plus haut des cieux !Vraiment, la terre est remplie de ta présence, par Jésus-Christ. Lui, ton envoyé, il a planté sa tenteparmi nous, et en ce temps-là, les siens ne l’ont pas accueilli.

Bénis ceux qui, aujourd’hui, l’accueillent dans l’étranger !

Lui, ton prophète, il a combattu l’orgueil de la nation élue, et en ce temps-là, les siens ne l’ontpas accepté.

Bénis ceux qui, aujourd’hui, acceptent de perdre leurs privilèges !

Lui, ton Fils, il s’est consacré aux faibles et aux petits et, en ce temps-là, les siens ne l’ont pascompris.

Bénis ceux qui, aujourd’hui, annoncent la Bonne Nouvelle aux pauvres !

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Epiclèse : Envoie ton Esprit sur ce pain. Envoie ton Esprit sur ce vin.

Toi qui es vraiment saint, toi qui es la source de toute sainteté, Seigneur, nous te prions :Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit, qu’elles deviennent pour nous le Corpset le Sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur.

Afin que nous apprenions que, dans le Royaume, le plus grand est celui qui se met auservice de ses frères, le Seigneur Jésus, la veille de sa Passion, au cours du repas de la Pâque seleva de table, prit un linge dont il se ceignit, versa l’eau dans un bassin et se mit à laver les piedsde ses disciples. Puis, lui qui avait aimé les siens, il mit le comble à son amour pour eux. Il prit dupain, te rendit grâce à toi, Dieu son Père et notre Père, rompit le pain et le donna à ses disciples endisant :

« Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous. »

De même, à la fin du repas, il prit la coupe de bénédiction et la présenta à ses disciples en disant :« Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon Sang, le Sang de l’Alliancenouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission despéchés. Vous ferez cela en mémoire de moi. »

Anamnèse : Seigneur Jésus, tu es vivant ! Seigneur Jésus, nous t’attendons !

Voilà pourquoi, Dieu notre Père, nous sommes ici rassemblés : faisant mémoire de la mort et dela résurrection du Sauveur dans l’attente de son retour dans la gloire, nous te présentonsl’offrande de nos vies en sacrifice qui te plaît.

Acclamation : Père du ciel, tu es très bon. Père du ciel, nous te chantons!

Accorde à tous ceux qui vont partager ce pain de vie et boire à cette coupe du salut d’êtrerassemblés par l’Esprit-Saint en un seul corps, et que nous dressions nous-mêmes une tablefraternelle où chacun recevra selon ses besoins.

Prières : Père du ciel, tu es très bon. Père du ciel, nous te prions.

Souviens-toi maintenant de ton Église : elle-même étrangère et en pèlerinage sur cette terre,puisse-t-elle être pour les étrangers, les immigrés, les exilés, une communauté d’accueil et derespect d’autrui.Garde-nous en communion avec le pape Jean-Paul II, avec Jacques notre évêque et avec tous lesévêques.Souviens-toi de toutes celles et ceux qui nous ont précédé et qui sont dans la lumière éternelle.Souviens-toi de ton humanité en quête de justice : que les chrétiens, dont la foi est toujours undépart, et l’espérance toujours un voyage, reconnaissent en tout homme un frère et un ami, parJésus le Christ, notre Seigneur.

Doxologie : Par lui, avec lui et en lui, Dieu le Père et dans l’Esprit – Notre Père…

Agneau de Dieu, vainqueur du mal, Agneau de Dieu, pitié pour nous.Agneau de Dieu, vainqueur du mal, Agneau de Dieu, donne la paix !

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Chant d'action de grâce : « À ce monde que tu fais » - T 146- couplets 1, 3, 4, 5, 11

ENVOI : BENEDICTION

Dieu votre Père, le Père de toute miséricorde, vous a donné dans la passion de sonFils la plus belle preuve de son amour : qu’il vous aide maintenant à découvrir, àson service et à celui de vos frères, jusqu’où va le don de sa grâce. R/ AmenIl vous a donné de vivre en Jésus qui a subi la mort pour vous sauver d’une mortéternelle :qu’il vous fasse don de sa vie. R/ AmenAprès l’avoir suivi dans les épreuves, puissiez-vous entrer avec lui dans sa gloire deressuscité. R/ AmenEt que Dieu, Père, Fils et Esprit vous bénisse et vous garde dans la Paix. R/ Amen

Chant d’envoi : « N’ayons pas peur de vivre au monde ».

******************************

ECHOS DU CONGRES

Enfin, j’allais vivre ce congrès dont j’entendais parler depuis un an… ! ! mais qui ne s’estadressé à moi qu’en janvier, quand il m’a été demandé d’être auxiliaire (pardon, animatrice ! !) àl’aumônerie du C.D. de Nantes.

Après un voyage « presque pour partir en vacances », un grand vent de liberté, de partage etd’écoute m’a donné souffle et chaleur pour ma nouvelle mission auprès des détenus.

Dans un carrefour du samedi après-midi, j’ai entendu dire : « Nous sommes envoyés enmission par notre évêque, ce n’est pas pour le plaisir qu’on fait cela. » POUR, non, mais AVECplaisir, oui ! ! car c’est avec bonheur que je franchis les portes de la prison pour aller à larencontre des détenus. Et ce bonheur, je l’ai ressenti tout au long du congrès.

Ce que j’ai entendu, vu , chanté durant ces 3 jours, toutes ces personnes libérées du carcande leurs institutions sont sources d’énergie pour remplir ma mission.

La grande ouverture d’esprit de tous ceux que j’ai eu l’occasion de rencontrer témoigne quela liberté est offerte à tous, que l’on soit d’un côté des barreaux ou de l’autre.

Pour l’anecdote, si « pour 1 surveillant heureux, il y a 10 détenus heureux », j’ai aussientendu « une aumônière heureuse = 10 aumôniers heureux ». Vive les femmes… ! ! !

Monique GOUTHIERRE

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PARTITION DES REFRAINS DE L'EUCHARISTIE

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« J'ÉTAIS EN PRISON... »

Les 12, 13 et 14 Octobre, s’est tenu à Lourdes le Congrès National de l’Aumôneriecatholique des prisons. Dans le sillage du Jubilé, il avait pour thème : Envoyés pour annoncer auxcaptifs qu’ils sont libres.

Plusieurs centaines de personnes, prêtres, diacres, religieux(ses), laïcs habituellementengagés dans le service de l’Aumônerie, ont participé à ce rassemblement. Leur mission auprèsdes personnes incarcérées s’inscrit en profondeur dans le message biblique de libération. Elle nenie pas les difficiles problèmes que posent les prisons. Elle n’oublie pas les trop nombreusesvictimes de la délinquance. Mais elle s’appuie sur l’idée que toute personne humaine doit avoirdevant elle un avenir possible.

La libération des personnes passe par l’humanisation des institutions, vouées autant à laréhabilitation des coupables qu’à la sanction de leurs actes. C’est pourquoi, bien consciente deslourdes responsabilités de tous ceux qui professionnellement ou bénévolement travaillent dans lemonde carcéral et de la recherche en cours pour son amélioration, la Commission sociale desÉvêques de France, dont dépend l’Aumônerie des prisons, a volontiers donné son accord à lapublication de la déclaration de l’Aumônier général des prisons "J’étais en prison…"

Il y a dans cette déclaration, qui s’appuie sur la grande expérience quotidienne depersonnes qui travaillent en Aumônerie, un appel pour tout croyant et pour tout citoyen, qu’on aitou non affaire à la justice. Nous invitons particulièrement les catholiques à la recevoir en sesouvenant des paroles du Seigneur : "J’étais en prison et vous êtes venus me voir" (Mt 25,36).Nous encourageons chacun pour sa part à œuvrer en vue de la libération de tous par un travail deréconciliation avec soi-même et avec la société.

+Mgr Olivier de Berranger, évêque de Saint-DenisPrésident de la Commission sociale

+Mgr Michel Pollien, évêque auxiliaire de ParisPrésident du Comité épiscopal Justice et société

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DÉCLARATION DE L'AUMÔNIER GÉNÉRAL DES PRISONS

Depuis quelques mois, un débat important est engagé en France sur la question des prisons :

- de nombreux reportages ont alerté l’opinion sur la situation indigne des maisons d’arrêtfrançaises.

-des députés et sénateurs ont visité les établissements pénitentiaires et entendu les acteursdu monde carcéral, y compris les aumôneries. Les remarquables rapports des commissionsparlementaires sont sévères : "une situation indigne de la patrie des droits de l’homme …"

- l’enjeu de la nouvelle loi pénitentiaire est donc important pour toute la société : ilconcerne la condition des détenus, les missions des personnels et le contrôle des prisons. S’ils’avère que la prison peut être nécessaire, il faut qu’elle soit digne et humaine et qu’elle servesurtout à la réinsertion sociale des personnes incarcérées.

A l’occasion du Congrès de l’aumônerie catholique des prisons, notre proximité avec lespersonnes détenues nous autorise à alerter l'Église et la Société et à dire nos convictions

1. Prison et société

"La prison est la détestable solution dont on ne peut pas faire l’économie" (Paul Ricœur)Quand elle prononce un jugement, la société enlève aux personnes le droit et le pouvoir de

se faire justice à elles-mêmes, elle fait passer de l’idée de vengeance à l’idée de sanction juste. Leprocès fait droit à la demande des victimes d’être reconnues publiquement victimes et il fait ducondamné dont il appelle et constate la responsabilité un sujet de droit.

Le condamné reste membre à part entière de la société dont il a transgressé les règles. Ilincombe à la justice de lui dire sa transgression et de le sanctionner, en le traitant avec le respectdu à tout homme. Et la société devient alors responsable de sa réinsertion : à l’issue de sa peine, ildoit pouvoir redevenir citoyen à part entière.

Une peine ne demeure humaine que si elle permet à la personne qui la subit de ne pasdésespérer. Une peine incompressible ou trop longue engendre un processus de désocialisationqui peut devenir irréversible. Plus que sa durée, c’est le contenu de la peine qui va favoriser ounon le retour d’une personne incarcérée dans la société. Une vraie réinsertion est peut-êtrepossible quand on permet à une personne de s’engager à donner sens à son temps de détention -temps de réparation et temps de réinsertion - et de lui en donner les moyens : un travailcorrectement rémunéré pour payer sa dette aux victimes et à la société, une formation adaptée à lademande sociale, des activités culturelles et spirituelles libres qui disent l’absolu de la dignitéhumaine, et le minimum d’intimité qui lui garantisse un espace personnel …Bon nombre de personnes n’ont rien à faire en prison, leur incarcération ne sert ni les victimes, nila société : quand la prison ne s’impose pas, des mesures alternatives de réparation ont étéélaborées qu’il faut soutenir et développer pour éviter des incarcérations inutiles parce que sansdoute plus préjudiciables qu’efficaces.

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2. Subir l’incarcération

"Libérez les captifs !" : à l’occasion du Jubilé 2000, l’aumônerie des prisons a donné laparole aux personnes détenues qui participent aux activités des aumôneries. Ils ont dit leursconditions d’incarcération, avec l’espoir d’être peut-être entendus au moins de leurs frèreschrétiens du dehors. "La peine et le pardon" publié aux "Éditions de l’Atelier" est leur "cri".

Où qu’ils soient enfermés, les prisonniers disent à peu près tous la même chose : lesprisons sont indignes parce que dépersonnalisantes, infantilisantes. "La prison est pire que jel’imaginais, c’est un "enfer légal" – C’est une machine à démolir et à exclure davantage oudéfinitivement l’homme – Ici tout est froid et glacial, la chaleur humaine est totalement absente –Ne disposant d’aucune intimité ni de possibilité de s’isoler, le détenu vit constamment sous leregard des autres …"

"C’est toujours les pauvres qu’on enferme ! – On laisse les caïds violenter, racketter,humilier les plus faibles – Il faudrait faire la différence entre crimes crapuleux et crimesmalheureux, et ne pas mettre ensemble leurs auteurs – En prison, tu n’existes plus, tu n’es aucourant de rien, on ne te dit rien, tu attends toujours – Rien n’est mis en œuvre pour le maintiendes liens familiaux – Même la famille peut être mise à l’écart de la société …"

"L’accumulation de ressentiments, d’humiliations nourrit des sentiments de vengeance àl’endroit de la société : la société engendre des êtres dangereux pour elle-même … – La prisonfabrique de la criminalité et de l’exclusion alors qu’elle prétend lutter contre – On nous enfermetellement dans notre passé qu’il semble qu’il n’y ait plus d’avenir possible – On nous empêche denous projeter dans l’avenir : ton passé te poursuit toujours … "

"La présomption d’innocence, c’est de la foutaise : mais enfin si vous êtes en prison, c’estque vous avez quelque chose à vous reprocher ! – Même condamné à une petite peine, on estcondamné à vie – Plus on rabaissera la dignité des personnes, moins la réinsertion sera facile –Quel est le but de cet enfermement : au bout, il n’y a rien"

3. L'Église en prison

Les équipes d’aumônerie ne sont pas en prison pour justifier les délits et crimes despersonnes incarcérées, et les prisonniers qui viennent aux aumôneries ne demandent pas qu’on lesexcuse, encore moins qu’on s’apitoie sur leur sort. On leur dit qu’ils sont "l'Église en prison",alors ils voudraient bien que les chrétiens du dehors les écoutent avec attention et bienveillance.

"La première démarche pour aider à la réinsertion, c’est l’écoute – Le premier signedistinctif de l’action de l'Église doit être la qualité de son accueil – L'Église doit créer des lieuxde ressourcement et de guérison morale et spirituelle pour les blessés de la vie : que les détenussoient d’abord libérés dans leur tête …"

"L’aumônerie est un lieu en prison où nous nous sentons considérés – L'Église, parl’aumônerie, peut être notre voix auprès des hommes responsables de notre société … vu que lesdétenus sont considérés comme des moins que rien. – Assurer la communication entre le mondecarcéral et le monde libre pour lever les obstacles afin de permettre la réhabilitation et laréinsertion des personnes incarcérées …"

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"On ne compte pas les questions que se pose un détenu libéré. Il est impossible de mesurerses craintes. Le monde lui reste étranger et l’étrangeté est toujours source d’angoisse – L'Églisepourrait faire des propositions concrètes sur les alternatives à la prison – Elle pourraitlocalement soutenir, aider et respecter les familles dont un membre est en prison – Elle pourraitéduquer les consciences et les regards pour se purifier des "on dit" sur la prison … : les détenussont des êtres humains avec des droits – Montrer à la société qu’une fois la peine expiée,maintenant c’est fini, on est comme tous les autres maintenant …"

"Comment faire pour que les chrétiens prennent conscience de la prison, accueillent lesdétenus et soutiennent leurs familles, aident à la sortie à retrouver un équilibre de vie familiale,professionnelle ? – Il faut stopper l’assistanat inhibant, le bénévolat irresponsable et ledéveloppement des œuvres qui vivent sur la misère, l’incapacité et la soumission des ‘paumés’ –La vraie réinsertion commence par ne jugez pas ce que j’ai fait mais jugez-moi pour ce que jesuis maintenant …"

Aujourd’hui, des hommes et des femmes, croyants et non-croyants, sont engagés dans desassociations non confessionnelles dont les membres assurent bénévolement la visite aux détenus,l’accueil des sortants de prison, l’accompagnement des familles dont l’un des membres estincarcéré. Nous tenons à souligner le rôle irremplaçable de ces associations. Et nous n’oublionspas les personnels de surveillance : ils assurent une mission difficile et ne sont pas toujours bienperçus dans l’opinion publique.

4. La peine et le pardon

"Entendre qu’on est profondément aimé malgré tout ce qu’on a pu commettre peut changerl’horizon de sa vie" : la libération que nous avons à offrir aux personnes incarcérées, c’est ausside leur permettre de se découvrir responsables et d’assumer cette responsabilité jusqu’à demanderpardon à ceux qu’ils ont lésés ou blessés. Le pardon seul peut ouvrir l’avenir, et celui desvictimes et celui des coupables. Un monde sans pardon est un monde sans espérance.

Ceux qui ont appris ou réappris la foi en prison voudraient trouver des communautés où ilsseraient reconnus à leur sortie comme des sœurs et des frères …

Jean-Hubert VigneauAumônier Général des Prisons

13 Octobre 2001

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L'aumônerie Catholique des prisons*

« Ne vous occupez pas des prisonniers si vous ne consentez pas à être leur sujetset leurs élèves. Ceux que nous appelons des misérables, ce sont eux qui nousdoivent évangéliser. Après Dieu, c'est à eux que je dois le plus ». MonsieurVICENT, premier aumônier des prisonniers.

L'équipe d'aumônerie est envoyée en mission dans ce lieu où passent, pour untemps de plus en plus long, des hommes et des femmes profondément marqués parl'échec et l'exclusion. Elle est appelée à intervenir dans le cadre d'une institutionlaïque et républicaine dont elle respecte la spécificité. Elle y témoigne, auprès detous, de l'Évangile.

Sa mission est d'accompagner, d'écouter, de redonner confiance dans lesrencontres individuelles, de proposer des espaces et des temps de liberté, de vérité,de solidarité dans les réunions de groupe et d'accueillir la Parole, de prier, decélébrer l'Eucharistie et les autres sacrements dans les célébrations.Ainsi, personnes détenues et membres de l'Équipe, tous ensemble responsables,vivent l'Église en prison.

Dans chaque établissement, c'est une équipe qui est envoyée en mission parl'Évêque. Tous les membres de l'équipe s'engagent à travailler ensemble, à serencontrer régulièrement, à participer aux diverses sessions de formation et auxrencontres régionales et nationales.

L'équipe a le souci de collaborer avec les autres cultes, de s'insérer à sa juste placedans le réseau que constituent les multiples partenaires et intervenants (personnelspénitentiaires, services socio-éducatifs, services de santé...visiteurs, accueilfamilles,...), de favoriser des relais d'accueil pour les sortants de prison.

Dans l'Église locale, l'aumônerie collabore avec les paroisses, les mouvements ettous les autres services (Secours Catholique, conseil de la solidarité, catéchuménat,pastorale des Migrants, aumônerie des gens du voyage,...). Elle s'insère ainsi dans lacommunion ecclésiale, convaincue que l'exclusion des personnes incarcérées et deleurs familles devrait être pour nous tous « une blessure au flanc de l'Église ».

* Elle regroupe aujourd'hui environ 470 personnes (laïcs, religieux, diacres et prêtres) réparties en équipes dans les 186

établissements pénitentiaires de France métropolitaine et des DOM-TOM.

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BIBLIOGRAPHIELaurent Mucchielli – Violences et insécurité – Fantasmes et réalités dans le débat français –LaDécouverte – 2001

Les "violences urbaines" sont à la mode. Est-il vrai que nous assistons à une "montée inexorable"de la violence et de la délinquance, au surgissement de vagues d’adolescents "toujours plus jeunes ettoujours plus violents" ? L’auteur ne se satisfait pas des explications habituelles des prétendus expertsqui se rejoignent dans le catastrophisme et qui ne font que renforcer le mur des incompréhensions et despréjugés à l’encontre d’une partie de la jeunesse à la peau "pas tout à fait blanche". En fait, lesproblèmes "renvoient à l’histoire de l’urbanisation, de la société de consommation, de la criseindustrielle, de la scolarisation, de l’immigration et du racisme".

"L’évolution des comportements délinquants doit nous amener à nous interroger non pas sur lesignal en lui-même mais sur la détresse qu’il exprime". L’auteur propose alors quelques réformes de fondpour réduire la délinquance juvénile.

Jean-Marie PETITCLERC – La violence et les jeunes – Salvator – 1999

Ce qui est nouveau, ce n’est pas tant la violence des jeunes que leur non-intégration des limites etla difficulté actuelle des adultes à jouer leur rôle éducatif. Comprendre ce qui se passe dans la tête desjeunes qui accumulent les expériences d’échec, ce n’est pas les excuser, mais ça permettrait de mieuxagir, d’élaborer avec eux les réponses qu’ils attendent parce qu’ils en ont besoin. "Nous ne sommes pasdangereux, nous sommes en danger " : c’est toujours lorsqu’il a conscience de n’avoir rien à perdre que lejeune est capable de la plus extrême violence. L’ouvrage voudrait aider à mieux comprendre la violencedes jeunes afin de réagir en adultes responsables.

Léonore Le Caisne – PRISON – Une ethnologue en centrale – Odile Jacob – 2000

Pendant deux ans, l’auteur s’est rendue quotidiennement à la Centrale de Poissy pour y rencontrerune quarantaine de condamnés. Si la prison échoue, c’est "surtout parce qu’elle place les individus dans lasituation infernale où il leur est impossible de se construire ou de se reconstruire, voire même parcequ’elle est par elle-même un lieu de déconstruction de soi. Un mal encore sans solution."

Ainsi, par exemple, "le détenu doit jongler entre son identité et ses valeurs de naguère, àl’extérieur, et celles d’aujourd’hui, en prison" ; il "doit donner sens à son exclusion pour tenter dereprendre en main sa destinée" ; "le détenu passe son temps à doter l’autre d’une identité, à s’en attribuerune, puis une autre, pour finalement s’interroger sur qui il est ‘en vérité’"… Alors qu’elle cherche àréinsérer le détenu, "l’institution ne fait rien d’autre que le précipiter, à sa libération, dans un mondeétranger".

Liliane Daligand & Daniel Gonin – Violence et victimes – MEDitions – 2000

La violence est partout, non seulement dans notre environnement, mais plus encore dans notregroupe familial. Ses premières victimes sont les enfants, qui sont l’objet de toutes les jalousies etconcupiscences. L’endroit le plus dangereux pour la vie est le foyer familial ! A l’humiliation et l’honneurperdu de la victime s’ajoutent la honte et la culpabilité : violeur et violé sombrent en même temps.L’ouvrage présente quelques situations de violence avec leurs conséquences en leurs victimes "dontl’agresseur fait lui-même partie".

Il faut bien répondre à la souffrance de la victime. La négation de l’autre, de ses droits commencetoujours par un refus de lui adresser la parole au profit d’une action qui le nie. La loi est la loi du langageque nul n’est censé ignorer car chacun porte en soi la capacité de parler. Réparer, c’est permettre à lavictime de prendre part à nouveau à la création du monde des hommes.

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Philippe Combessie – Sociologie de la prison – La Découverte – 2001

"Quelles sont les fonctions sociales de la prison ? Qui détient le pouvoir en détention ? Quellespolitiques pénitentiaires pour quelle société ? Quel regard porter sur la récidive ? Et sur la perpective del’abolition de la prison ?"

Les fonctions sociales de l’enfermement se retrouvent partout en Europe et en Amérique du Nord,malgré les législations différentes.

Comment la prison est devenue l’instrument privilégié de régulation et de traitement des troublessociaux. Les personnes détenues et les professionnels et bénévoles qui travaillent en prison. Les politiquespénitentiaires et les politiques pénales …

Au terme des analyses une réflexion sur la place de la prison dans une société démocratique …

Dominique Lhuilier avec Aldona Lemiszewska – Le choc carcéral – Survivre en prison – Bayard –2001

"Le choc carcéral, c’est la prison qui atteint chacun dans son corps, dans la satisfaction des besoinsles plus intimes, dans l’image de soi, dans la perception du temps et de l’espace, dans le rapport auxautres et au monde. C’est aussi la peur d’être contaminé : par la maladie, par le mal. Dès lors la questionqui se pose à chacun est : comment tenir debout ? On peut vivre en prison ; exister impose de résister àl’emprise carcérale pour affirmer sa singularité et la faire reconnaître : c’est plus difficile !

L’ouvrage suit pas à pas des personnes qui entrent en prison, le choc de leur arrivée, la nécessaireadaptation où se révèle qu’il y a bien des manières de "faire sa prison", les différentes conditions de vieselon que l’on est prévenu ou condamné, que l’on est affecté à tel ou tel type d’établissement… En fait, lasingularité des expériences dépend surtout de la place qu’occupe la prison dans l’histoire de vie despersonnes.

Cette réflexion de deux psychologues qui ont mené l’enquête auprès de personnes détenuespendant plus de quatre ans est une initiation très utile pour celles et ceux qui découvrent le mondecarcéral.

Anne-Marie Marchetti – Perpétuités – Le temps infini des longues peines – Terre Humaine Plon –2001

Comment survit-on après avoir pris "perpète" ? "J’ai voulu dans ce livre apporter un témoignagesur la vie de personnes que la société a condamnées à la réclusion la plus absolue". Le temps des maisonsd’arrêt : comment survit-on à l’insupportable ? Le temps des établissements pour peine : comment tenirdans la durée ? Le temps des rétrospectives et le temps des perspectives d’avenir : comment sortir ? A.-M.Marchetti est allée enquêter dans quatre établissements, et a interviewé vingt-sept détenues et détenus.

"La prison ? Une poupée russe. Quand on l’ouvre, on découvre un bouc émissaire, lequel en cacheun autre puis encore un autre et un autre…". Pour comprendre ce que vivent des femmes et des hommescondamnés, il fallait les écouter avec respect et bienveillance, au risque de se laisser bousculersérieusement par des questions qui ne cessent de tarauder au fur et à mesure de l’enquête : "Après cevoyage dans l’univers des perpétuités, je me sens obligée de dire bien haut que ces longues, si longuespeines, n’ont rien à voir avec la Justice, mais avec le Mal. Et qu’il nous déshonore".

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Loïc Waquant – Les prisons de la misère – Raisons d’agir – 1999

Délinquance des "jeunes", "violences urbaines", "quartiers sensibles", "incivilités" : toute l’Europepanique et, selon les tenants d’une nouvelle répression, se devrait de sévir et d’élever "la sécurité" définieen termes physiques au rang de priorité de l’action politique. Va-t-on vers un nouveau sens pénal qui viseà criminaliser la misère, à l’instar des États-Unis ? "Partout en Europe se fait sentir la tentation des’appuyer sur les institutions policières et pénitentiaires pour juguler les désordres engendrés par lechômage de masse, l’imposition du salariat précaire et le rétrécissement de la protection sociale."

Va-t-on vers l’enfermement des pauvres et le contrôle policier et pénal des populationsdéstabilisées ou vers la création de nouveaux droits du citoyen ?

Le pardon – Briser la dette et l’oubli – Autrement n° 4 – Avril 1991

"Avec oui, non, et merci, "pardon" est l’un des premiers mots que nous rencontrons dans unelangue. Et ces simples mots désignent à eux quatre l’espace entier de la vie morale".

Il y a une obligation morale du pardon qui est partie prenante d’un combat incessant pour lajustice, parce qu’il ne faut pas se résigner à l’irréversible. Mais peut-être que les hommes sont finalementplus malheureux que méchants et alors apparaît un autre pardon, un pardon de sagesse tragique en face del’irréductible souffrance, un pardon aussi absurde que la souffrance qu’il pardonne.

Les différentes contributions explicitent la diversité des situations et la multiplicité dessignifications du "pardon" et de "l’impardonnable", offrant "une série de dilemmes pour que chacun tissesa propre intrigue."

Lytta Basset – Le pouvoir de pardonner – Spiritualités vivantes – Albin Michel – 1999

"La plus atroce offense que l’on puisse faire à un humain, c’est de nier qu’il souffre". Souffre-t-onparce qu’on a mal agi ? Mais dès qu’il est question de souffrance il n’y a plus de commune mesure avecle mal qu’on a pu faire : nous sommes innocents du mal que nous subissons. Nous n’avons aucun accès àl’expérience du mal, ni à la nôtre ni à celle d’autrui, tant que nous en restons à un savoir extérieur.

Lytta Basset nous invite à descendre dans l’abîme de notre malheur personnel pour en guérir :parce que le pardon est plus grand que le mal, parce que selon le témoignage biblique tout commence parle pardon, tout être humain est capable de pardonner s’il accepte de mettre à nu sa souffrance. "On a beaudemander pardon et l’obtenir, on n’est pas libéré tant qu’on n’exerce pas son propre pouvoir depardonner" et "seul l’abîme du pardon est à même de combler l’abîme du mal". C’est alors que, sortant del’abîme sans issue du mal, le Sens prend naissance.

Philippe Landenne – Résister en prison – Lumen Vitae – 1999

Ph. Landenne, aumônier de prison belge, a choisi de se faire incarcérer pendant trois mois dansune prison suisse. Être détenu volontaire n’empêche l’angoisse des grilles et des nuits, la promiscuité etles cris, le temps qui n’en finit pas, la rigidité et l’incohérence du système carcéral…. Et peut-être plusencore la méfiance et l’hostilité des codétenus. Il fallait oser cette plongée et tenir jusqu’au bout !

C’est le journal écrit au jour le jour de cet aumônier qui a voulu "partager le vécu de l’intérieur desmurs" , ce qu’un regard de l’extérieur, si bienveillant soit-il, ne décèle jamais. Et pourtant, "à aucunmoment, je n’ai plongé dans l’illusion que j’ai pu saisir ce qu’est la vie de l’homme en prison".

Suit une profession de foi : "la vie surgit toujours derrière les murs". Des personnes détenues etleurs familles résistent contre une exclusion qui va bien au-delà des condamnations pénales.

Une troisième partie propose "un regard critique et constructif sur la mission de l’aumônerie desprisons" à partir d’interrogations auxquelles nous sommes régulièrement confrontés : c’est lucide, franc etsans concessions. C’est donc important !

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SESSION DE FORMATIONSENSIBILISATION A L’ECOUTE

ORSAY – 22-24 FEVRIER 2002

Dans la suite logique du congrès, l’aumônerie générale invite tous les aumôniers titulaires etbénévoles et les animateurs d’aumônerie (ex-auxiliaires) à apprendre l’écoute ou à parfaire etpartager leur expérience de l’écoute, que ce soit dans la relation individuelle ou dans l’animationd’un groupe.

pour écouter convictions et questions,

qu’est-ce qui est en jeu quand quelqu’un nous parle ?

l’écoute de la souffrance,

ce qui caractérise l’écoute des personnes détenues.

Une invitation avec programme détaillé sera adressée à chaque équipe d’aumônerie avant Noël.

Le session sera animée par Madame Dominique BOURDIN, enseignante à l’Institut Catholiquede Paris et psychanalyste.

Inutile, je crois, d’insister sur l’importance de cette session.

A bientôt donc !

Jean Cachot