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La solitude est un thème sensible. Dès le milieu du XIX e siècle, la distinction posée par les sociologues allemands entre la Gemeinschaft et la Gesellssschaft a permis de théoriser la solitude dans la foule et de faire de l'espace de concen- tration humaine, la ville, le lieu par excellence des formes variées de désaffi- liation sociale pouvant, dans la pensée de Durkheim, pousser les individus isolés jusqu'à l'anomie. La littérature de l'époque a mis abondance de chair sur ce squelette en peignant des trajectoires emblématiques comme celles des pau- vres immigrés venant « se perdre au physique comme au moral » dans « la ville tentaculaire », en particulier les jeunes filles naïves de la campagne venues accomplir leur période de service domestique et qui se brûlent aux feux de la cité (Chevalier, 1984 ; Charle, 1991 ; Moch, 1992). Systématiquement, dans ces représentations, la rupture ou la distanciation des liens familiaux et communautaires, l'isolement dans un milieu neuf, rend vulnérable. Pour autant, le thème de la solitude, la typologie de ses formes, la question de sa mesure, restent étonnamment négligés dans les travaux de démogra- phie historique. Ils font l’objet de l’une ou l’autre section dans des travaux dont l’objectif principal est autre : la régula- tion sociale, les structures familiales, le « life cycle service », la différentiation sexuelle des parcours de vie, les formes de pauvreté et de vulnérabilité, etc. 1 Dans cet article, nous voulons en premier lieu montrer que la solitude a sans doute toujours été une composante majeure de la vie urbaine, en tout cas qu'elle n'a pas attendu le développe- ment des grandes métropoles pour y peser. L'étude d'une ville moyenne qui n'a pas encore entamé son industrialisa- tion, soit Genève entre 1816 et 1843, nous permet d'en apporter la démons- tration. Un deuxième but est d'aller au-delà d'un mot unique pour atteindre une part des réalités multiples de la solitude, en tout cas ce que nous pouvons en quantifier sur base de six recensements 2 . Dans les années 1970/1980, quand la perspective structuraliste était domi- nante, ce type de source a été considéré comme idéal pour une prosopographie des populations urbaines du XIX e siècle, neuves, croissantes, turbulentes (Farge, 1995, 283-284). Depuis, les études des trajectoires, des solutions variées mises en œuvre pour « faire son chemin dans la ville » (Pinol, 1999), ont pris le relais. Pour autant, nous souhaitons montrer, d'une part que le travail typologique est loin d'être achevé et que bien des lectu- res originales des structures restent encore possibles 3 , d'autre part illustrer la complémentarité des approches transversales et longitudinales. 59 ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 2006 n° 1 p. 59 à 87 LES SOLITUDES URBAINES STRUCTURES ET PARCOURS DANS LA GENÈVE DES ANNÉES 1816-1843* par Michel ORIS, Gilbert RITSCHARD et Grazyna RYCZKOWSKA 03-oris.qxp 08/11/2006 14:27 Page 59

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La solitude est un thème sensible. Dèsle milieu du XIXe siècle, la distinctionposée par les sociologues allemandsentre la Gemeinschaft et la Gesellssschaft apermis de théoriser la solitude dans lafoule et de faire de l'espace de concen-tration humaine, la ville, le lieu parexcellence des formes variées de désaffi-liation sociale pouvant, dans la penséede Durkheim, pousser les individusisolés jusqu'à l'anomie. La littérature del'époque a mis abondance de chair sur cesquelette en peignant des trajectoiresemblématiques comme celles des pau-vres immigrés venant « se perdre auphysique comme au moral » dans « laville tentaculaire », en particulier lesjeunes filles naïves de la campagnevenues accomplir leur période de servicedomestique et qui se brûlent aux feux dela cité (Chevalier, 1984 ; Charle, 1991 ;Moch, 1992). Systématiquement, dansces représentations, la rupture ou ladistanciation des liens familiaux etcommunautaires, l'isolement dans unmilieu neuf, rend vulnérable.

Pour autant, le thème de la solitude,la typologie de ses formes, la questionde sa mesure, restent étonnammentnégligés dans les travaux de démogra-phie historique. Ils font l’objet de l’uneou l’autre section dans des travaux dontl’objectif principal est autre : la régula-tion sociale, les structures familiales, le« life cycle service », la différentiation

sexuelle des parcours de vie, les formesde pauvreté et de vulnérabilité, etc.1

Dans cet article, nous voulons enpremier lieu montrer que la solitude asans doute toujours été une composantemajeure de la vie urbaine, en tout casqu'elle n'a pas attendu le développe-ment des grandes métropoles pour ypeser. L'étude d'une ville moyenne quin'a pas encore entamé son industrialisa-tion, soit Genève entre 1816 et 1843,nous permet d'en apporter la démons-tration.

Un deuxième but est d'aller au-delàd'un mot unique pour atteindre unepart des réalités multiples de la solitude,en tout cas ce que nous pouvons enquantifier sur base de six recensements2.Dans les années 1970/1980, quand laperspective structuraliste était domi-nante, ce type de source a été considérécomme idéal pour une prosopographiedes populations urbaines du XIXe siècle,neuves, croissantes, turbulentes (Farge,1995, 283-284). Depuis, les études destrajectoires, des solutions variées misesen œuvre pour « faire son chemin dansla ville » (Pinol, 1999), ont pris le relais.Pour autant, nous souhaitons montrer,d'une part que le travail typologique estloin d'être achevé et que bien des lectu-res originales des structures restentencore possibles3, d'autre part illustrerla complémentarité des approchestransversales et longitudinales.

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ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 2006 n° 1 p. 59 à 87

LES SOLITUDES URBAINES

STRUCTURES ET PARCOURS

DANS LA GENÈVE DES ANNÉES 1816-1843*

par Michel ORIS, Gilbert RITSCHARD et Grazyna RYCZKOWSKA

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Dans un premier temps, nous propo-sons une typologie des formes de soli-tude, telles qu’elles ont été définies dansdes traditions disciplinaires à la foisdistinctes et proches : la démographiehistorique, l’histoire de la famille, l’his-toire sociale et l’histoire des genres (ou« gender history »). Il en résulte cinq caté-gories qui peuvent se recouper, et le fonteffectivement dans une large mesure. Lasolitude est un phénomène complexe,multidimensionnel, que nous nepouvons réduire à une modalité unique.Cette approche est directement illustréepar une mesure du poids de la solitudedans ces diverses facettes au sein despopulations masculine et féminine deGenève. Une mesure qui s'est certesvoulue rigoureuse, mais qui n'a rien d'ab-solu : au contraire, elle est relative, fonc-tion toujours des définitions adoptées.C'est pourquoi dans une deuxièmesection, nous analysons successivement ladomesticité, le célibat et le veuvage, ainsique les ménages, soit les trois principauxreliefs au sein d’une topographie des soli-tudes urbaines, avant de conclure cettepartie en localisant la solitude dans lecours de la vie, et ce en mettant l’accentsur les différences entre hommes etfemmes.

Dans une troisième section, nous quit-tons les dimensions structurelles pourexaminer les transitions. En effet, nousavons essayé de « tracer » les habitants deGenève de recensement en recensement.C’est un travail long et délicat qui n’estpas tout à fait terminé. Néanmoins, desrégressions logistiques ont pu être calcu-lées, premièrement pour vérifier si la soli-tude (et quels types en particulier) accroîtla probabilité de disparaître de Genèvedurant la période inter-censitaire ;deuxièmement pour identifier les facteursqui augmentent ou réduisent les chances

de sortir de la solitude parmi ceuxprésents à deux recensements successifs ;troisièmement, le même exercice, sur lemême sous-échantillon, analyse le risqued’entrer en solitude.

Notre recherche est fondée sur l’étuded’un cas, celui de la ville de Genèveentre 1816, date de la restauration de lavieille bourgeoisie calviniste, quicorrespond paradoxalement à la trans-formation d’une république urbainehomogène en un canton mixte sur leplan religieux, et les révolutions radica-les des années 1840, à partir desquellesGenève va amorcer sa modernisation(Herrmann, 2003). La période que nousétudions est celle de la longue hésitationentre l’ancien régime et les tempsnouveaux. Entre 1816 et 1843, la villereste confinée dans les impressionnantesfortifications qui ont permis, des sièclesdurant, la survie de la Rome calvinisteencerclée par les catholiques. Un telenfermement restreint à la fois les crois-sances économique et démographique.Après la disparition du textile, déjàavant 1830, la « Fabrique » (soit lesnombreuses branches engagées dans lafabrication des montres) devient encoreplus l’activité productive dominante. Sesproduits à haute valeur ajoutée étaientessentiellement destinés aux marchésinternationaux, et par conséquent lesecteur fut très sensible aux aléas de lapolitique internationale. D’un point devue démographique, Genève croît de21 327 habitants en 1798 à 31 200 en1850 (Schumacher, 2002, 8-9).

Une telle progression, qui n’a riend’impressionnant dans le contexte del’Europe du XIXe siècle, cache un régimedémographique complexe. La mortalitéest basse avec des taux bruts annuelspresque toujours inférieurs à 23 ‰ etles risques entre la naissance et le 1er

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anniversaire qui étaient encore de l’or-dre de 200 entre 1750 et 1799, sonttombés à 100/130 ‰ dans la premièremoitié du siècle (Schumacher, 2002,98). Il aurait dû en résulter une pressiondémographique endogène sérieuse,mais Genève est fameuse pour son rôlepionnier dans la diffusion du contrôledes naissances. Les couples mariésdurant la première partie du XIXe siècleont eu seulement 2,32 enfants enmoyenne ! À cette époque, Genève estun des très rares endroits au monde oùcoexistent un néo-malthusianismeévident et un malthusianisme tradition-nel, puisque l’accès au mariage restaitdifficile, caractérisé par un haut niveaude célibat définitif et un âge à lapremière union de 28 ans pour lesfemmes, 30 ans pour les hommes(Ryczkowska, 2003 ; Schumacher,2004). Dès lors, entre 1806 et 1850,cette cité de 20 à 30 000 habitants n’aaccusé qu’un gain ridicule de 557 nais-sances de plus que de décès. La popula-tion s’est beaucoup plus renouvelée parl’immigration que ne le suggère lemodeste accroissement global. Dansune ville en apparence somnolente, leschangements structurels internes furenten fait réels, préparant l’avenir. Enparticulier, de 1816 à 1843 la propor-tion de catholiques vivant dans la Romecalviniste est passée de 11 à 28 % (Oriset Perroux, à paraître).

LA SOLITUDE EN SES MULTIPLESDÉFINITIONS

Trois traditions de recherches

La solitude a de multiples définitions.Les historiens démographes ont mis l’ac-cent sur deux composantes structurelles

des sociétés pré-transitionnelles outransitionnelles : les célibataires et lesveuves, les « femmes sans homme »(Bourdelais, 1984, 62-63). Cetteemphase sur le sexe féminin s’expliquepar l’impact direct sur la fécondité ou« prolifération de l’espèce ». En 1982,John Hajnal a approfondi sa découvertede 1956, celle d’une ligne reliant Saint-Pétersbourg à Trieste, en deçà delaquelle domine le « système européendu mariage ». Caractérisé par un impor-tant célibat définitif et des âges aumariage tardifs, il réduit la pressiondémographique en limitant la durée dela vie féconde. La Genève des années1816-1843 s’inscrit bien dans ceschéma. Peter Laslett (1982), ainsi quede nom-breux historiens (réunis dansDupâquier et al., 1981), ont ajouté aumodèle de Hajnal la faible propensionau remariage dans l’Europe de l’Ouest,le veuvage étant dans cette perspectiveperçu comme un frein important à lafécondité en raison de la forte propor-tion d’unions brisées par la mort inopi-née d’un des partenaires4. En outre, denombreuses recherches ont montré queles veuves se remariaient beaucoupmoins que les veufs, et que les premièresse concentraient dans les villes, tant enraison de l’attraction exercée par leursinstitutions charitables que de leurmarché matrimonial, l’excès de femmespar rapport aux hommes mariablesaccroissant le différentiel selon le sexedans l’accès au remariage (Oris etOchiai, 2002, 66-72).

Les célibataires, en particulier du côtéféminin, étaient également plus présen-tes dans les populations urbaines enraison du poids de la domesticité(Dauphin, 1991, 517-518). Pour laplupart de ces servantes, leur séjour enville était une phase dans leur parcours

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de vie, en particulier dans la longueroute conduisant au mariage (vanPoppel et Oris, 2004, 3-5). Les « vieillesfilles » ou célibataires définitives, étaientrecrutées parmi celles qui n’arrivaientpas à nouer une relation durable et àétablir un ménage, ou parmi celles quirenonçaient à cette perspective, particu-lièrement celles qui, au sein d’unefratrie, se « sacrifiaient » pour rester avecles parents âgés et prendre soin d’eux enleur vieillesse (Alter, 1996).

À travers des thématiques comme l’ac-cès différentiel au remariage selon le sexe,ainsi que des formes de cohabitation entregénérations, la démographie historiquerejoint l’histoire des familles. Pour lesspécialistes de cette discipline, sur la basede la fameuse typologie Hammel-Laslett(1974), la solitude correspond à unménage de taille 1, ou parfois à unepersonne vivant seule avec un ou desdomestiques. Au-delà de cette définitionbasique, la solitude est vue comme leproduit structurel du système familialnucléaire dominant en Europe occiden-tale (Bourdelais, 1984, 64-65). Dans l’hy-pothèse de la dureté intrinsèque de lafamille nucléaire (Laslett, 1988), l’établis-sement néo-local des jeunes mariés impli-quait le départ progressif des enfants. Lesparents finissaient dès lors leur vie dans le« nid vide », cher aux sociologues anglo-saxons. C’était particulièrement le cas desveuves, en raison de la mortalité différen-tielle selon le sexe aux âges élevés. Il enrésultait une chute dans la misère deménages qui n’arrivaient plus à se soutenircomme des niches économiques autono-mes (Reher, 1997, 108). Les vieux et lesaffligés ne pouvaient guère compter quesur la charité des plus aisés et sur l’aide descollectivités laïques et religieuses, leursenfants ayant déja à faire face à leurs pro-pres problèmes (Neven, 2003b, 269).

Toutefois, même dans un systèmenucléaire « intégral » comme celui del’Angleterre des années 1500-1800,seule une moitié de cette population « àrisque » expérimentait réellement la soli-tude, les autres devenant les hôtes d’unenfant marié jusqu’à leur mort (Laslett,1988 ; Oris et Ochiai, 2002, 40). Plusrécemment – et cela a été signalé ci-dessus –, George Alter a souligné l’im-portance de « ceux qui restaient » parmiles enfants. En termes simplementréalistes, il a été observé que même dansles sociétés clairement dominées par lesidéaux de la famille nucléaire, et mêmeaux âges élevés, la solitude en sonménage restait une expérience de viestatistiquement rare (Reher, 1997, 98 ;Neven, 2003a, 160). Vivre seul étaitmême probablement moins commun enville en raison des difficultés de louer unlogement avec des revenus individuelset, par conséquent, de l’incitation àpartager sa demeure, au moins dans lesclasses populaires.

Tant l’histoire de la famille que ladémographie historique sont aussiinfluencées par une troisième traditionde recherche sur la solitude qui vient del’histoire sociale et de l’histoire desfemmes. Ces études insistent d’une partsur les représentations du célibat et duveuvage, d’autre part sur les positionsinférieures ou périphériques au sein desménages, ainsi que sur des organisationsdomestiques originales, hors du modèlenucléaire dominant. La première orien-tation révèle que l’image des vieillesfilles était globalement mauvaise (Beau-valet-Boutouyrie, 2000,133), même sicertaines étaient parées de l’aura dusacrifice par piété filiale. Puisque lecours de vie « normal » d’une femmeétait d’accéder au mariage, de procréeret remplir les devoirs d’épouse et de

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mère, les célibataires âgées tendaient àêtre repoussées sur les marges, à se re-trouver socialement discriminées, auminimum à supporter la pitié des autres(Gordon et Nair, 2002, 126). PourSylvia Hahn, la montée de l’idéologiebourgeoise de la famille au XIXe siècle aencore aggravé la perception et la condi-tion de ces femmes. Le dédain dont ellessouffraient ne se concentrait pas seule-ment sur leur âge et leur statut de non-mariée, mais stigmatisait aussi desaspects physiques et biologiques commela ménopause et l’incapacité de procréer(Hahn, 2002, 35).

Quant aux veuves, a priori leur imagen’était guère meilleure. Pour S. Hahn, enlatin viduus désigne une femme « unmar-ried, single, lonely, empty », ou encore« denuded, unprotected ». La transitionvers le statut de veuve impliquait unnouveau rôle pour des femmes « whohave been robbed of their guardian, thehead of their family, and their sexual part-ner ». Dans les sociétés occidentales où lafamille (nucléaire) était la norme, cellesqui avaient perdu leur époux étaient vuescomme incomplètes et hors des normessociales parce qu’il était difficile de lessituer dans une société hiérarchisée(Hahn, 2002, 35-36). Selon EleanorGordon et Gwyneth Nair, à Glasgow auXIXe siècle, les veuves étaient perçuescomme un problème social à la fois en raison de leur pauvreté et parce qu’ellesn’étaient plus la propriété sexuelle d’un homme (Gordon et Nair, 2002,126). Toutefois, même dans les sociétésd’Europe de l’Ouest qui, comme MichelFoucault l’a montré, sont à partir du XVIe

siècle de plus en plus intolérantes enversles démunis, les veuves sont restées unecatégorie privilégiée de « bons » pauvres,innocentes de leur misère et dignes d’aide(Oris et Ochiai, 2002, 19-20).

L’histoire sociale, en particulier celledes femmes, a aussi mis l’accent sur lasituation particulière des personnes quisont physiquement membres d’unménage, mais vivent en fait « avec » ou« chez les autres ». Les liens peuvent êtreproches, de nature familiale, incluantnon seulement les vieux parents maisaussi les frères et sœurs célibataires ouveufs, les oncles ou tantes, voire lesorphelins neveux, nièces, cousins, etc.,qui dans cette perspective évitent la soli-tude ou l’institutionnalisation puisqu’ilssont accueillis par un noyau nucléaireallié. Dans la typologie de Hammel-Laslett, les ménages sans noyau sont uncas particulier dont la logique est cepen-dant similaire, puisque plusieurs recher-ches les présentent comme une autresolution pour éviter la solitude physiqueet une stratégie de survie pour les pau-vres gens, particulièrement mais pasexclusivement les filles qui s’étaient« sacrifiées », attendant la mort de leursparents et perdant par là leurs chancesd’accéder au mariage (Hufton, 1995,131 ; Neven, 2003a, 423).

Pour les historiens des femmes ou desgenres sexuels, surtout durant le XIXe

siècle quand l'activité domestiques’étend parallèlement à la montée desbourgeoisies, vivre avec les autres étaitavant tout le destin des nombreusesservantes, avec une fois encore uneconcentration urbaine évidente. Commenous l'avons vu d'entrée de jeu, ladomestique est une figure emblématiquedes représentations urbaines. Séparée deses père et mère, souvent éloignée de sesautres parents et amis, affiliée à unménage par un lien de nature simple-ment contractuelle, souvent informel, ettoujours dans une position subordonnée,elle peut souffrir de la promiscuité, del’absence d’intimité, du « contrôle des

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corps et de la négation de l’identité »,comme l’écrit Cécile Dauphin (1991,522). Si la domesticité était principale-ment un statut féminin, et par consé-quent intéressant directement les histo-riens des femmes et des genres, un autregroupe, beaucoup plus masculin, étaitdans une position plus ou moins simi-laire : les travailleurs vivant avec leurmaître (ainsi qu’une catégorie statistique-ment marginale d’étudiants vivant enpension chez leur professeur). Finale-ment, la position de « logés » était ambi-guë. Usuellement, c’étaient des immigrésdes deux sexes, insérés temporairementsur le marché du travail local mais sansparents ou employeurs en ville suscepti-bles de les accueillir. Ils étaient logés etnourris par d’autres moyennant paie-ment. Ce statut a été évoqué à la foiscomme une stratégie de survie et commeune solution pour éviter la solitude, pourceux qui recevaient ces logés et quiétaient souvent des femmes seules ( Scottet Tilly, 1987).

De la typologie à la mesure des solitudes

Notre typologie des solitudes résulte detoutes ces traditions de recherche et de

l’observation empirique de nos données.Dans le type 1 se rangent tous ceux quivivent avec de « vrais » autres, soit desnon-apparentés : les sous-types sont lesdomestiques (sous-type 11), les tra-vailleurs vivant chez leur employeur (12),les logés (13), les étudiants (14). Lespersonnes vivant seules, strictement(sous-type 21) ou avec des personnes dutype 1 (22), forment le type 2. Dans legroupe 3 sont distingués les célibatairesqui ont dépassé l’âge au premier mariage(30 ans) mais ont moins de 45 ans (sous-type 31), de ceux et celles de 45 ans etplus qui sont les célibataires définitifsdans leur définition démographique clas-sique (sous-type 32). Les veufs et veuves,sans (sous-type 41) et avec enfant(s) (42),constituent le type 4. Finalement, lesapparentés qui n’appartiennent pas à unelignée nucléaire directe commune(« non-stem » ou hors souche), ainsi queles membres des ménages sans noyau,sont réunis dans le type 5. Chaque sous-type est exclusif des autres à l’intérieur deleur type, mais il est possible d’appartenirà plusieurs types (comme par exempleune célibataire de 50 ans [32] travaillantcomme domestique [11]). Ces recoupe-ments sont importants car ils indiquentdes redondances de solitudes.

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Type 1 : Logé

Type 2 : Vit seul

Type 3 : Célibataire âgé

Type 4 : Veuf

Type 5 : Cohabitant

1 domestique seul strictement célib (30-44 ans) sans enfants 2 travailleur seul avec serv. célib (45 et plus) avec enfants 3 logé (sens strict) 4 étudiant

La figure 1 indique le poids de la soli-tude dans sa définition la plus large, soittous types confondus, dans les popula-tions féminine et masculine de Genèveentre 1816 et 1843. Une personne quicumule différentes formes de solituden’est comptée qu’une fois. Parmi leshommes observés en 1816, 30,6 %

appartiennent à au moins l’un de noscinq types. Leur proportion grimpejusqu’à 37/38 % en 1831/1837, avantde retomber à 32,4 % en 1843. Parmiles femmes, les risques étaient 10 à 15points plus élevés, avec 46,1 % de soli-taires en 1816 et jusqu’à 51/52 % en1828/1831. Comme du côté masculin,

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la situation s’est améliorée en 1843(44 %), mais durant toute la période, lespourcentages sont restés à des niveauximpressionnants. De manière évidente,la solitude apparaît comme un élément

constitutif de la vie et de la démographieurbaine dans cette ville « tradition-nelle », restée à l'écart de l'industrialisa-tion. Nous le suspections, mais pas à unpoint pareil !

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LES SOLITUDES URBAINES. STRUCTURES ET PARCOURS DANS LA GENÈVE DES ANNÉES 1816-1843

Fig. 1 Le poids de la solitude féminine et masculine à Genève, 1816-1843 (en %)

0204060

80100

1816 1822 1828 1831 1837 1843

Femmes

0

20

40

60

80

100

1816 1822 1828 1831 1837 1843

Hommes

Le tableau 1 résume les différentstypes de solitude parmi les femmes deGenève à chaque recensement de 1816 à1843. Dans le « Total réel », chaqueindividu n’est compté qu’une fois alors

que certains sont présents dans plusieurscatégories. C’est pourquoi, tant pour lesnombres bruts que pour les pourcen-tages, les sommes par colonne excèdentclairement les totaux indiqués.

N Types 1816 1822 1828 1831 1837 1843

Servantes 190 226 278 229 309 341 Travailleuses 7 8 17 8 14 16 Logées 118 119 163 144 138 150 Étudiantes 3 0 1 1 0 0 Solitaires 67 45 70 75 39 58 Solitaires+S 71 51 62 57 79 64 Célib >=30<45 132 126 147 140 187 183 Célib >=45 74 88 82 102 93 109 Veuves isolées 117 94 118 94 61 84 Veuves+enf. 87 56 76 43 56 83 Cohabitantes 70 79 78 85 84 67

Total réel 642 626 797 676 753 829

Types 1816 1822 1828 1831 1837 1843

Servantes 29.6 36.1 34.9 33.9 41.0 41.1 Travailleuses 1.1 1.3 2.1 1.2 1.9 1.9 Logées 18.4 19.0 20.5 21.3 18.3 18.1 Étudiantes 0.5 0.0 0.1 0.1 0.0 0.0 Solitaires 10.4 7.2 8.8 11.1 5.2 7.0 Solitaires+S 11.1 8.1 7.8 8.4 10.5 7.7 Célib >=30<45 20.6 20.1 18.4 20.7 24.8 22.1 Célib >=45 11.5 14.1 10.3 15.1 12.4 13.1 Veuves isolées 18.2 15.0 14.8 13.9 8.1 10.1 Veuves+enf. 13.6 8.9 9.5 6.4 7.4 10.0 Cohabitantes 10.9 12.6 9.8 12.6 11.2 8.1

Total réel 100 100 100 100 100 100

Tab. 1 Les types de solitudes féminines à Genève de 1816 à 1843

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TOPOGRAPHIE DES SOLITUDESDANS LA GENÈVE DE LAPREMIÈRE MOITIÉ DU XIXe SIÈCLE

La domesticité comme premièrecomposante de la solitude féminine urbaine

Le tableau 1 indique clairement qu’àGenève entre 1816 et 1843, le servicedomestique est le plus important four-nisseur de la solitude féminine. Il contri-bue à concurrence de 29,6 % au totalréel en 1816, et ce poids ne cesse de s’ac-croître : 36,1 % en 1822, 41 % en1843. Le nombre élevé de femmesservant les autres reflète l’importance dece que Peter Laslett a appelé le « lifecycle service », qui est « a period ofservice in the household of anotherwhich provided something of a hiatusbetween leaving home and establishingone’s own household » (Wall, 1983,458). Loin de décroître durant le sièclede l’industrialisation, le phénomènedomestique se développe durant le XIXe

et, partout dans les villes européennes,les servantes sont massivement jeunes,immigrées, femmes et célibataires(Dauphin, 1991, 520 ; Fauve-Chamoux, 1998). Habituellement, ellesexpérimentaient une réelle transitiondans leur cours de vie, pour ne pas direune rupture : rupture avec leur environ-nement et communauté d’origine, leurfamille, etc. Ces jeunes femmes quit-taient souvent le domicile familial pourse constituer une dot, alléger les chargespesant sur le ménage parental, ou encorepour échapper au sous-emploi (Fraisse,1984, 112).

Dans l’esprit de ces jeunes femmes, ladécision de quitter le domicile parentalet de servir les autres était temporaire, etla fin naturelle de cette expérience était

le mariage et la vie de famille avec uncompagnon de la communauté d’ori-gine, une fois rentrée à la maison.Comme l’âge au mariage suit à peu prèsune courbe gaussienne qui révèle demanière évidente l’existence d’un« proper age at marriage », beaucoupcomprenaient empiriquement que leurschances de trouver un époux déclinaientavec les années de service, avec le risquede basculer en célibat définitif. Toute-fois, alors que du côté masculin, lesjeunes immigrants en ville vivaient dansles quartiers les plus populaires, souventdans des conditions pitoyables, faisant letravail que les locaux ne voulaient faire,en d’autres mots découvrant tropsouvent la cité sous ses atours les plussombres, les femmes domestiques,quoique de manière évidente contrôléeset exploitées, tendaient à vivre dans desménages et des environnements aisés,découvrant un monde totalement diffé-rent de celui de leur village, avec untravail qui n’était pas nécessairementplus dur que celui qu’elles accomplis-saient à la campagne. Dès lors, et bienque ce soit difficile à mesurer, il estévident que beaucoup changèrent leursplans et se mirent à rêver d'offrir leurscompétences domestiques et leurapprentissage de la culture bourgeoise àun homme des classes moyennes urbai-nes, artisan ou marchand (Charle, 1991,317-318). Pour Cécile Dauphin, « lemirage de la richesse et du mariage enville est aussi générateur de solitudepour celles qui échouent. Elles sontnombreuses et connaissent alors la soli-tude chez les autres » (1984, 82). Lalittérature du XIXe siècle amplifie l’his-toire de celles dont le rêve s’est terminédans le statut précaire de filles mères,sinon dans la prostitution (Oris, 2000,185). Celles qui ont accédé au mariage

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l’ont en effet fait à un âge supérieur àcelui du reste de la population, tantglobalement (Dauphin, 1984, 81) qu’àGenève où, entre 1800 et 1845, lesservantes se mariaient pour la premièrefois en moyenne à 29,52 ans contre27,82 parmi l’ensemble des épouses(Ryczkowska, 2003, 43).

Célibat et veuvage, en ville et dans le cours de la vie

Justement, dans notre typologie, lescélibataires adultes sont le secondgroupe en importance contribuant à lasolitude féminine à Genève, et le recou-pement avec la domesticité est évident :presque 40 % des femmes célibatairesâgées de 30-44 ans étaient domestiques,et c’était encore le cas de 18 % de cellesâgées de 45 ans et plus (Tableau 2). Lespremières, celles de 30-44 ans, étaient àun moment crucial de leur vie car leurschances d’accéder au mariage décli-naient rapidement. À Genève, de 1816à 1843, leur contribution à la solitudeparmi les femmes se situait entre 20 et25 %. Quant à la proportion de céliba-taires définitives (45 ans et plus), elleétait moindre mais pas négligeable,entre 11,5 et 15,1 %. Des villes commeGenève étaient plus touchées par cettecomposante du système européen dumariage : « La ville, dégorgement tradi-tionnel du trop-plein rural, devientl’horizon ordinaire des célibataires, ellefabrique autant qu’elle attire les solitai-res. » (Dauphin, 1991, 517. Voir aussiLynch, 1991)

Après le célibat, le veuvage est lecontributeur suivant. Le tableau 1indique qu’au début de notre période,les veuves à la fois sans homme et sansenfant étaient plus nombreuses que

celles partageant leur toit avec l’un oul’autre de leur rejeton. En 1816, lespremières représentaient 18,2 % dessolitaires et les secondes 13,6 %. Pourles deux groupes, les proportionstendent à diminuer, probablement enraison de la disparition progressive deseffets immédiats des guerres napoléo-niennes (Genève, annexée à la France,ayant subi la conscription). En 1831,les veuves seules et celles s’appuyant surdes enfants ou en supportant la chargesont respectivement 13,9 et 6,4 %. En1843, ces deux sous-populationsdeviennent similaires en taille, chacunecomptant pour 10 %.

Quand David Reher développe lemodèle de la dureté intrinsèque dusystème familial nucléaire, il observe quegénéralement « demographic realitiesmade vulnerable women more nume-rous than vulnerable men, and econo-mic realities made them poorer. Thiswas especially true with widows sincenormally they were unable to be asproductive economically as theirhusbands » (Reher, 1997, 109). En effet,les historiens du social ont communé-ment avancé que la chute dans la pau-vreté était une conséquence « naturelle »du veuvage, et ils ont étudié en détail les« stratégies de survie » des veuves (Oriset Ochiai, 2002, 19). Après la mort d’unépoux, une veuve faisant face à des diffi-cultés économiques avait trois options :revenir sur le marché du travail (Oris,2000, 183), être assistée par sa famille(en particulier par les enfants mariéspour les plus âgées, par leurs parentspour les plus jeunes), ou être soutenuepar des enfants célibataires mais suffi-samment âgés pour être capables detravailler (Hufton, 1995, 133). Cedernier cas n’était pas exceptionnel dansle monde urbain.

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Tab. 2 Matrice des solitudes féminines à Genève, 1816-1831

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MICHEL ORIS, GILBERT RITSCHARD ET GRAZYNA RYCZKOWSKA

1816-1831 (N)

SOLITUDE Solitaires + serv.

Célib >=30, <45

Célib >=45

Veuves isolées

Veuves + enf. Cohabi- tantes

Servantes 30 203 49 26 0 0 Travailleuses 2 12 0 2 0 0 Logées 75 78 63 96 5 0 Étudiantes 0 1 0 0 0 0 Solitaires 0 46 53 108 0 0 Solitaires+S 13 41 47 95 0 0 Célib >=30<45 0 133 0 0 0 57 Célib >=45 0 0 61 0 0 87 Veuves isolées 0 0 0 78 0 40 Veuves+enf. 0 0 0 0 254 3 Cohabitantes 0 0 0 0 0 125 Total 120 514 273 405 259 312 1816-1831 (%)

SOLITUDE Solitaires + serv.

Célib >=30, <45

Célib >=45

Veuves isolées

Veuves + enf. Cohabi-tantes

Servantes 25 39.5 17.9 6.4 0 0 Travailleuses 1.7 2.3 0 0.5 0 0 Logées 62.5 15.2 23.1 23.7 1.9 0 Étudiantes 0 0.2 0 0 0 0 Solitaires 0 8.9 19.4 26.7 0 0 Solitaires+S 10.8 8 17.2 23.5 0 0 Célib >=30<45 0 25.9 0 0 0 18.3 Célib >=45 0 0 22.3 0 0 27.9 Veuves isolées 0 0 0 19.3 0 12.8 Veuves+enf. 0 0 0 0 98.1 1 Cohabitantes 0 0 0 0 0 40.1

Total 100 100 100 100 100 100

1837-1843 (N)

SOLITUDE Solitaires + serv.

Célib >=30, <45

Célib >=45

Veuves isolées

Veuves + enf. Cohabi-tantes

Servantes 17 162 41 10 0 0 Travailleuses 1 8 2 0 0 0 Logées 34 53 34 23 3 0 Étudiantes 0 0 0 0 0 0 Solitaires 0 16 23 34 0 0 Solitaires+S 6 27 42 40 0 0 Célib >=30<45 0 92 0 0 0 28 Célib >=45 0 0 22 0 0 45 Veuves isolées 0 0 0 25 0 14 Veuves+enf. 0 0 0 0 136 0 Cohabitantes 0 0 0 0 0 64

Total 58 358 164 132 139 151 1837-1843 (%)

SOLITUDE Solitaires + serv.

Célib >=30, <45

Célib >=45

Veuves isolées

Veuves + enf. Cohabi-tantes

Servantes 29.3 45.3 25 7.6 0 0 Travailleuses 1.7 2.2 1.2 0 0 0 Logées 58.6 14.8 20.7 17.4 2.2 0 Étudiantes 0 0 0 0 0 0 Solitaires 0 4.5 14 25.8 0 0 Solitaires+S 10.3 7.5 25.6 30.3 0 0 Célib >=30<45 0 25.7 0 0 0 18.5 Célib >=45 0 0 13.4 0 0 29.8 Veuves isolées 0 0 0 18.9 0 9.3 Veuves+enf. 0 0 0 0 97.8 0 Cohabitantes 0 0 0 0 0 42.4

Total 100 100 100 100 100 100

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À Genève, de vieux parents qui déci-daient de garder à la maison au moinsun enfant n’étaient pas démunis.Jusqu’en 1874, la loi imposait auxhommes jusqu’à l’âge de 30 ans (!) et auxfemmes jusqu’à 25 ans qui voulaientcontracter un mariage de présenter leconsentement écrit de leurs parentssurvivants5. Toutefois, les négociationsfamiliales informelles étaient manifeste-ment plus importantes que les contrain-tes légales. En effet, pour la période1816-1831, 405 veuves sans enfant(s)sont observées pour 259 avec. Parmi ces405, 26,7 % vivaient seules, mais23,5 % recevaient chez elles des logés(au sens strict, sous-type 13 de notretypologie), presque autant (23,7 %)étaient des logées (toujours au sensstrict), 19,3 % vivaient avec un ou desapparentés (sous-type 41 ou 50) et6,4 % étaient domestiques (sous-type11). En d’autres mots, une grandevariété de solutions fut trouvée pouréviter la solitude physique ou absolue (lesous-type 21) dans la grande majoritédes cas, mais sans éviter pour autant descumuls de formes plus ambiguës de soli-tude. En particulier, la solution de logerou d’être logée était sans doute particu-lièrement usitée à Genève car à cetteépoque, confinée dans ses fortifications,l’écologie urbaine s’y caractérise par unedensité impressionnante. En 1835, lenombre moyen d’habitants par maisonatteignait le niveau exceptionnel de21,7 ! (Mallet, 1837, 15).

Les figures 2a et 2b représentent l’évo-lution de ces composantes démogra-phiques de la solitude à travers le coursde la vie, soit le pourcentage de célibatai-res et veufs ou veuves dans la populationtotale, distribué par âge et sexe. Pourfonder ces courbes sur des nombres suffi-sants, nous avons réuni les recensements

de 1816, 1822, 1828 et 1831 d’un côté,ceux de 1837 et 1843 de l’autre. Celasignifie que les proportions que nousanalysons ne sont pas des mesures de lacontribution à la solitude féminine– comme le sont les chiffres commentésci-dessus –, il s’agit ici des pourcentagesde « femmes sans homme », célibataireset veuves, dans la population de Genève.

La courbe du célibat démarre bien sûrà 100 %, mais connaît une chute brutaleentre 25 et 35 ans. Cela démontre qu’àGenève aussi existait un âge approprié aumariage, qui était élevé. En outre, denombreuses femmes n’expérimentaientpas la transition vers le statut de mariée.En 1816-1831, 22,9 % des femmesâgées de 45-49 ans étaient célibataires,alors que ce n’était le cas que de 9,6 %des hommes. En 1837-1843, ce différen-tiel entre les sexes a décru mais seule-ment parce que les valeurs masculines(14,3 %) ont augmenté plus que lesféminines (26,6 %). Les niveaux obser-vés parmi les femmes de Genève sontexceptionnellement hauts, même au seinde la vaste zone située à l’ouest de lafameuse ligne Saint-Pétersbourg -Trieste.Une première explication met en cause lerapport de masculinité dans la popula-tion mariable, un élément essentiel pourcomprendre plusieurs autres composan-tes de la démographie urbaine. La prédo-minance féminine dans la plupart desvilles européennes au XIXe siècle6 n’affec-tait pas seulement leur âge au mariagemais également le célibat définitif (Oris,2000, 201). Le plus grand nombre defemmes que d’hommes restés célibatairestrouve son origine, presque une généra-tion auparavant, sur le marché matrimo-nial des 20-29 ans ! Dans cette tranched’âge, le rapport de masculinité était de70 hommes pour 100 femmes en 1816-1831, de 84 en 1837-1843.

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Une deuxième explication met l’accentsur la situation économique des jeunesadultes. S’ils ne pouvaient prouver leurscapacités à établir et soutenir une famille,ils devaient différer leur mariage, sinonrompre les promesses échangées (Alter,1991). D’après Olwen Hufton (1995,125), « when economic growth laggedbehind population growth, the result wasmore spinster. Society did not make avai-lable to a proportion of its young peoplethe means to set themselves up and toconstitute a viable family economy »7.

Dans cette perspective, il est clair quel’évolution à Genève au XIXe siècle a étéprogressive. Alfred Perrenoud (1986,380-383), puis Grazyna Ryczkowska(2003, 34-35) ont observé les fluctua-tions dans les prix du froment. La périodefrançaise a été pénible et directementsuivie par une crise très rude en 1816-1817. De nouvelles poussées des prix sesont produites en 1830 et 1832. Lacherté revient dans les années 1840 avecun apex en 1847. Le calcul de corrélationdémontre la relation inverse entre ces

Fig. 2a et 2b Proportions de célibataires et veufs/veuves par âge et sexe. Genève, 1816-1843

0

20

40

60

80

100

1200-

4

5-9

10-1

4

15-1

9

20-2

4

25-2

9

30-3

4

35-3

9

40-4

4

45-4

9

50-5

4

55-5

9

60-6

4

65-6

9

70-7

4

75 e

t +

Singles 1816-1831 S+W 1816-1831 Singles 1837-1843 S+W 1837-1843

0

20

40

60

80

100

120

0-4

5-9

10-1

4

15-1

9

20-2

4

25-2

9

30-3

4

35-3

9

40-4

4

45-4

9

50-5

4

55-5

9

60-6

4

65-6

9

70-7

4

75 e

t +

Singles 1816-1831 S+W 1816-1831 Singles 1837-1843 S+W 1837-1843

Hommes

Femmes

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fluctuations du coût des aliments de baseet la nuptialité dans la première moitié duXIXe siècle, puis la rupture de ce lien sécu-laire par la suite.

Une troisième explication de laprésence d’autant de célibataires àGenève réside dans les migrations qui,rappelons-le, étaient les responsablesquasi exclusives de l’accroissementdémographique. Au début du XIXe siècle,les autochtones (« natifs ») étaientencore plus nombreux que les « étran-gers » (15 845 vs. 9 025), alors qu’en1880 les seconds ont clairement dépasséles premiers (19 268 vs. 30 775) (Cardi-naux, 1997, 10-12). Parmi les femmes,39,3 % étaient « étrangères » entre 1800et 1810, mais leur proportion estmontée à 60,7 % entre 1841 et 1850 !(Ryczkowska, 2003, 20). Or, noussavons que sauf exception, les immi-grants ont un âge au mariage plus élevéque les natifs (Dupâquier, 1981, 41 ;Oris, 2000b, 392 ; Bardet, 2001).

La comparaison des courbes 2a et 2bconfirme de manière évidente que lesfemmes étaient plus nombreuses que leshommes à rester célibataires, mais aussique les veuves excédaient clairement lesveufs. En 1816-1831, 46,2 % desfemmes étaient veuves ou célibatairesdans le groupe d’âge 50-54 et ellesétaient 85,7 % dans l'un ou l'autre deces états à 75 ans et plus. Ces propor-tions déjà substantielles se sont encoreaccrues en 1837-1843 (respectivement53,8 et 95,2 %). Les valeurs masculinesétaient beaucoup plus faibles8.

La plus forte proportion de veuvescomparée aux veufs était commune dansles villes préindustrielles. Elle est attri-buée à la courte durée d’unions briséespar le décès du conjoint (effet de morta-lité différentielle selon le sexe), à l’écartd’âge entre les époux et à la plus faible

propension des femmes à se remarier(Oris et Ochiai, 2002, 49). À Genèveentre 1800 et 1845, parmi 1 894 maria-ges (impliquant une personne avec unpatronyme commençant par la lettre B),nous trouvons 11,2 % de veufs pourseulement 4,5 % de veuves, alors que cesdernières étaient nettement plusnombreuses que les premiers. Parmi cesveufs qui convolaient à nouveau, 46 % seremariaient moins d’un an après la mortde leur épouse précédente, alors queseules 26 % des veuves faisaient preuved’une telle précipitation (Ryczkowska,2003, 65-72).

Globalement, malgré son caractèreréducteur puisqu’elle ne considère que lecélibat et le veuvage, la perspective démo-graphique fait ressortir sans ambiguïté laspécificité des trajectoires de vie fémini-nes, qui étaient bien plus marquées queles masculines par les transitions et la soli-tude. Genève dans la première moitié duXIXe siècle apparaît comme une illustra-tion plus extrême que typique de ce cons-tat global (Dauphin, 1991, 517).

Vivre seule ou vivre chez les autres : la perspective des ménages sur la solitude

Le ménage se définit classiquementcomme « l’ensemble des personnes quipartagent le toit et la table » (Neven,2003a, 131). Selon la typologie deHammel et Laslett (1974), Genèveappartient à l’aire du système familialnucléaire. En 1816, 64,4 % de la popu-lation vivaient dans des ménagesnucléaires, 59,3 % en 1843. Moins de10 % des Genevois appartenaient à desménages complexes, de l’ordre de 6 % àdes structures étendues, 6 à 7 % à lacatégorie des solitaires, 2 à 3 % auxformes sans noyau familial.

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Au vu du tableau 3, plus de femmesque d’hommes vivaient dans les ména-ges de solitaires (8,6 % vs. 5,6 en 1816).Cependant, cet écart n’est guèremarqué, sans commune mesure avec lesdifférentiels observés sur les paramètresdémographiques de célibat et veuvage.En outre, cette fois, d'après cette défini-tion de la solitude qui est la plus strictequi soit, les valeurs genevoises ne sont pas particulièrement élevées, justesimilaires à celles notées ailleurs dansl'Europe urbaine préindustrielle

(Dauphin, 1984, 80). Sur le tableau 1,parmi les différents types de solitudeféminine, celles qui vivaient seules ontété divisées en deux sous-catégories :l’une pour la solitude stricte (sous-type21), les autres vivant avec des non-appa-rentés (domestiques ou travailleurs,logés ou étudiants) (sous-type 22). L’en-semble contribue pour un peu moins de20 % à la solitude féminine (15 % en1843), et chacun des deux groupespèsent à peu près le même poids,nonobstant des fluctuations marginales.

Tab. 3 Individus par sexe et type de ménage à Genève, 1816-1843

N Hommes Femmes Types 1816 1822 1828 1831 1837 1843 1816 1822 1828 1831 1837 1843 Logés 102 134 205 194 249 279 207 257 337 283 338 402 Solitaires 73 52 74 69 95 99 138 96 132 132 118 122 Sans noyau 25 25 35 53 24 27 42 53 64 61 42 43 Nucléaires couples sans enfant 104 119 137 132 150 161 120 102 130 72 103 127

couples avec enfant 674 649 650 661 755 807 661 587 648 581 686 746

Veuf/ves & enfant 106 94 118 117 127 124 201 158 243 149 196 188

Étendus 70 74 83 94 181 118 108 107 101 91 198 100 Complexes 139 141 108 123 26 136 126 143 134 124 27 153 Total 1293 1288 1410 1443 1607 1751 1603 1503 1789 1493 1708 1881

% Hommes Femmes Types 1816 1822 1828 1831 1837 1843 1816 1822 1828 1831 1837 1843 Logés 7.9 10.4 14.5 13.4 15.5 15.9 12.9 17.1 18.8 19 19.8 21.4 Solitaires 5.6 4 5.2 4.8 5.9 5.7 8.6 6.4 7.4 8.8 6.9 6.5 Sans noyau 1.9 1.9 2.5 3.7 1.5 1.5 2.6 3.5 3.6 4.1 2.5 2.3 Nucléaires couples sans enfant 8 9.2 9.7 9.1 9.3 9.2 7.5 6.8 7.3 4.8 6 6.8

couples avec enfant 52.1 50.4 46.1 45.8 47 46.1 41.2 39.1 36.2 38.9 40.2 39.7

Veuf/ves & enfant 8.2 7.3 8.4 8.1 7.9 7.1 12.5 10.5 13.6 10 11.5 10

Étendus 5.4 5.7 5.9 6.5 11.3 6.7 6.7 7.1 5.6 6.1 11.6 5.3 Complexes 10.8 10.9 7.7 8.5 1.6 7.8 7.9 9.5 7.5 8.3 1.6 8.1 Total 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100

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LES SOLITUDES URBAINES. STRUCTURES ET PARCOURS DANS LA GENÈVE DES ANNÉES 1816-1843

Les « logés » étaient un groupe impor-tant. Leur proportion dans la popula-tion féminine genevoise monte de12,9 % en 1816 à 21,4 % en 1843(Tableau 3). Quelque 46 % d’entre ellesétaient des jeunes femmes qui arrivaienten ville et n’avaient pas encore trouvéune position de domestiques, ouvoulaient travailler dans d’autressecteurs de production ou services, sanscohabiter avec leur employeur. Quelque24 % étaient des célibataires de 30 anset plus et, comme cela a déjà été noté, lesveuves étaient aussi présentes dans cegroupe, à concurrence de 16,3 % (chif-fres de 1816-1831). Les logés, ou hôtespayants, formaient une populationcomposite dispersée dans les ménagespopulaires. Ces familles genevoises,pour accroître leurs revenus ou arriver àpayer leur loyer, louaient une pièce ouun lit à un « étranger ». C’était uneentrée importante dans la vie urbaine,surtout pour de jeunes femmes récem-ment arrivées. « Rares étaient les jeunesfilles qui avaient les moyens et l’audaced’établir un ménage indépendant »(Dauphin, 1984, 80). Quant à ceux etcelles qui les recevaient, ils trouvaient icià valoriser leur logement dans une citésurpeuplée, voire une solution pouréviter la solitude physique.

Les cohabitants forment une catégoriespécifique. Ce sont aussi bien des appa-rentés qui, au sein des ménages étendusou complexes, n’appartiennent pas à lalignée, à la souche familiale, que lesmembres des ménages sans noyau,souvent appelés aussi les « sans famille »alors que ces individus peuvent avoir desrapports de parenté. Pour Peter Laslett(1972, 31), ces individus étaient les« coresident siblings, coresident relativesof other kinds, persons not evidentlyrelated ». Au vu du tableau 3, il est clair

que ce type de ménage était une compo-sante marginale de la population gene-voise. Cependant, en y ajoutant les coré-sidents des formes familiales étendues etcomplexes, l’ensemble de cette sous-population contribuait à la solitudeféminine pour 10,9 % en 1816, 12,6 %en 1831, avant de chuter à 8,1 % en1843. En regardant plus précisément lesménages sans famille, nous voyons qu’en1816, les femmes étaient largementmajoritaires (68 %) parmi ceux quitrouvaient une échappatoire à la solitudedans cette structure de cohabitation.Bien que cette dominante féminine aittendu à diminuer (61 % en 1843), ellereste claire durant toute la période.Confirmant l’assertion de Laslett, le lienle plus fréquent au « chef » de ménageétait frère ou sœur (28 % en 1816 ;23,6 % en 1843). Après venaient d’au-tres liens collatéraux, les logés et lesdomestiques, chacun avec un peu moinsde 10 %. Nous observons donc bien àGenève ces « spinsters clustering »formés pour partager les coûts et éviterla solitude, que Olwen Hufton (1995,130) a décrit dans d’autres contextes. Cesont des groupements fascinants, mais ilne faut pas en surestimer l’importancesociale et statistique.

La solitude dans les parcours de vieféminins et masculins à Genève

Après cette topographie des principa-les formes que la solitude pouvait pren-dre dans une ville préindustrielle commeGenève dans la première moitié du XIXe

siècle, une première synthèse s’impose.Les figures 3a et 3b représentent le poidsde la solitude dans chaque groupe d’âge,comme une approximation transversalede son évolution dans le cours de la vie

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des Genevois et Genevoises. Sanssurprise, après tant d’évidences collec-tées, ces représentations confirment queles différences entre les sexes étaientconsidérables. En 1816-1831, la soli-tude commençait à croître déjà dès l’âgede 15 ans, pour atteindre un premier picà 20-24 ans, un groupe d’âge dans lequel53,4 % des femmes vivant à Genèveappartenaient à au moins une catégoriede solitude. Elles étaient même plusnombreuses encore dans cette situationen 1837-1843 : 64,1 %. Nous avonsaffaire ici à de jeunes servantes, à destravailleuses vivant chez leur patron, àdes logées, toutes engagées dans l’expé-rience du « life cycle service ». Même sielles ne travaillaient pas toutes dans ladomesticité, toutes se trouvaient danscette phase de vie entre le départ dudomicile parental et le mariage et

vivaient « chez les autres ». Le léger reculde la solitude entre les tranches d’âges de25-29 ans et 45-49 montre que, en effet,c’était une phase transitoire pourplusieurs. Toutefois, même durant cesegment du cours de la vie féminine, lespourcentages de solitude restent hauts,supérieurs à 40 %. Ce n’est pas unesurprise totale en considérant le grandnombre de célibataires de 30-44 ans.Ces femmes commençaient à avoir, – ouavaient déjà –, derrière elles « l’âgeapproprié » au mariage, mais leur célibatn’était pas encore « final », au sens où lesdémographes le définissent. À partir de50 ans, le veuvage, le « nid vide » et lesregroupements de solitude (« clus-tering ») font grimper la courbe demanière impressionnante. Les femmesâgées finissaient leur vie « seules », d’unemanière ou d’une autre.

Fig. 3a Solitude féminine par âge. Genève, 1816-1843

0

20

40

60

80

100

0-4

5-9

10-1

4

15-1

9

20-2

4

25-2

9

30-3

4

35-3

9

40-4

4

45-4

9

50-5

4

55-5

9

60-6

4

65-6

9

70-7

4

75 e

t +

1816-1831 1837-1843

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La solitude masculine est d’uneampleur mais aussi d’une nature diffé-rente. Seuls les débuts sont similaires.Pour les hommes aussi, la solitudecommençait à grimper de manière expo-nentielle à partir de 15 ans et atteignaitson maximum déjà dans le groupe d’âge20-24 ans (52 % en 1816-1831 ;64,3 % en 1837-1843). C’étaient euxaussi des immigrés dans la même phasetransitoire d’accès à la vie adulte et aumariage que leurs homologues fémini-nes. Toutefois, ainsi que nous l’avonsnoté, le marché matrimonial leur étaitbeaucoup plus favorable. Leurs meilleu-res chances d’atteindre le but, se marieret s’établir, se reflètent dans un déclinprogressif certes, mais substantiel, de lasolitude : les pourcentages se situaientautour de 20 % de 45-49 à 55-59 ans,soit moitié moins que parmi les femmes.La solitude masculine remontait à partirde 60 ans, mais les effets du différentielde mortalité dans la vieillesse au béné-fice des femmes étaient évidents.

En somme, la solitude féminine excé-dait nettement la masculine, première-ment à cause d’un accès plus malaisé aumariage, deuxièmement en raison d’une

plus forte probabilité d’expérimenter leveuvage. Ces deux effets se cumulaientle long du cours de la vie.

Les figures 3a et 3b montrent, quedans la Genève de la première moitié duXIXe siècle la solitude était plus fréquentedans les destinées féminines que mascu-lines, qu’en outre les femmes étaientparticulièrement isolées, d’une manièreou d’une autre, dans un des moments leplus vulnérable de leur vie, en leursvieilles années. Il ne semble pas queGenève ait été un cas particulier. PatriceBourdelais (1984, 64) note qu’en Franceen 1851, le minimum de solitude (danssa seule définition démographique, soitles célibataires et les veuves) s’observait à35-44 ans. La montée des risques deve-nait évidente à partir de 50 ans et unevaleur de 85 % était atteinte à 70 ans.Pour Cécile Dauphin, appliquant lamême approche à la ville de Châtillon-sur-Seine, en 1851 également « la clas-sique pyramide des âges peut aussi se lirecomme un profil des solitudes où lesjeunes célibataires de la base sontremplacées par les veuves vers les degréssupérieurs ». À Châtillon-sur-Seine, lesfemmes « seules » formaient 48,7 % de

Fig. 3b Solitude masculine par âge. Genève, 1816-1843

0102030405060708090

1000-

4

5-9

10-1

4

15-1

9

20-2

4

25-2

9

30-3

4

35-3

9

40-4

4

45-4

9

50-5

4

55-5

9

60-6

4

65-6

9

70-7

4

75 e

t +

1816 - 1831 1837-1843

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la population féminine totale, avec unprofil par âge similaire à celui deGenève. Les proportions étaient élevéesjusqu’à 30 ans (58,5 % entre 20 et 29ans), puis diminuaient en raison desmariages, avant de croître à nouveau auxâges élevés (44,5 % à 60-69 ans, 80 %parmi les femmes de 70 ans et plus)(Dauphin, 1984, 89).

Trajectoires vers et depuis la solitude

Nous considérons à présent uneapproche alternative, longitudinale, dela vulnérabilité, à savoir le suivi destrajectoires individuelles afin de caracté-riser le devenir des solitaires et repérerles facteurs qui peuvent favoriser l’entréeet la sortie de la solitude. Le travail decouplage nominal entre recensementsn’était pas totalement terminé aumoment de la rédaction de ce texte en cesens que les actes de décès n'avaient pasencore été rajoutés à la base. Sous cetteréserve importante car elle limite l'inter-prétation des résultats, de premièresanalyses ont porté sur les paires 1816-1822, 1822-1828, 1831-1837 et 1837-1843. Elles concernent les trois événe-ments suivants définis par comparaisondes états entre deux recensementssuccessifs :

- quitte GE quitter Genève durantla période inter recense-ments9,

- sortie sortir de solitude,- entrée entrer en solitude.Nous avons procédé à une série de

régressions logistiques pour chacun deces événements. Les modèles logistiquesont été estimés pour l’ensemble desfemmes et hommes, puis séparémentpour les femmes et les hommes. Pourquitte GE, tous les cas ont été retenus,

pour entrée l’analyse s’est limitée auxpersonnes qui n’étaient pas en solitudeen début de période et qui résidaientencore à Genève en fin de période,tandis que pour sortir, seuls les individusen solitude en début de période ettoujours présents à Genève en fin depériode ont été retenus. La figure 4schématise ces différents cas.

Pour quitte GE et sortie, il s’agissait devoir comment ces événements étaientaffectés par le type de solitude. Nousavons donc introduit comme covariablesles cinq variables catégorielles de soli-tude, à savoir logé (non logé, domes-tique, travailleur, logé ou étudiant),vivre seul (non, totalement seul ou seulavec servante(s)), célibataire ayantdépassé l’âge moyen au mariage (non,entre 30 et 44 ans, 45 ans ou plus), veuf(non, sans enfant(s) ou avec enfant(s)) etcohabitant. De plus, nous avons retenuaussi les covariables de contrôle suivan-tes : âge, état civil, religion, taille duménage et ratio micro-économique duménage10. Nous avons également étudiéla relation entre sortie et le fait de s’êtremarié pendant la période. Pour entrée,nous avons considéré les covariables âge,état civil, religion et taille du ménage.

Le tableau 4 présente en premier lieuun modèle parcimonieux de la probabi-lité de quitter Genève dans les six ans,soit avant le prochain recensement, avecuniquement les catégories de solitudecomme facteurs explicatifs. Pour l’en-semble de la population, soit les deuxsexes confondus, le pouvoir explicatifglobal du modèle est excellent et lesrésultats montrent à quel point la soli-tude est un facteur d’instabilité. Êtrelogé multiplie par 5 les chances de quit-ter la cité par rapport aux non logés !L’impact de vivre seul est presque aussiviolent. Les veuves sont aussi deux fois

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plus exposées que les autres femmes.Être cohabitant accroît encore le risquede quitter la ville de 86 %. La seuleexception concerne les célibataires dugroupe d’âge médian – 30-44 – qui sont25 % plus stables que les non-célibatai-res ou célibataires plus jeunes. Ceci peuts’expliquer par la mobilité des jeunesmais montre également qu’il y a unepériode au cours de la vie où l’on sestabilise en attendant le mariage dansune situation plus stable, quitte à parfoisattendre en vain.

Compléter le modèle avec les 8 varia-bles explicatives de contrôle s’avèrebénéfique puisque leur contribution

globale au modèle (mesurée par la varia-tion du khi-deux) est statistiquementsignificative. Comme les résultats précé-dents le laissaient prévoir, les adolescents(11-19 ans) sont plus mobiles que lesjeunes adultes (20-44). Comme autreconfirmation que la solitude est unfacteur d’instabilité, on peut relever queplus la taille du ménage est grande plusla propension à quitter Genève diminue.Il n’est pas surprenant non plus de cons-tater que les catholiques sont modéré-ment (25 %) plus enclins que les protes-tants à quitter ce qui reste encore la« Rome calviniste » (Oris et Perroux, àparaître).

Tab. 4 Quitter Genève, hommes et femmes, n = 8509

Exp(B) Sig. Exp(B) Sig. Logé .000 .000 Domestique 4.784 .000 4.478 .000 Travailleur 5.153 .000 5.140 .000 Logé au sens strict 4.840 .000 4.930 .000 Seul (non) .000 .000 Seul (sans servante) 4.599 .000 3.510 .000 Seul (avec servante(s)) 1.224 .243 .923 .650 Célibataire (- 30 et non) .002 .017 Célibataire (30-44) .746 .005 .753 .009 Célibataire (> 44) 1.317 .075 1.130 .447 Veuf/veuve (non) .000 .000 Veuf(ve) (sans enfant) 2.258 .000 1.857 .001 Veuf(ve) (avec enfant(s)) 2.242 .000 1.711 .001 Cohabitant 1.860 .000 1.729 .000 Femme 1.169 .003 Âge .000 enfant, <11 .734 .000 adolescent, 11-19 1.484 .000 plus âgé, >44 1.296 .001 Religion .000 Catholique 1.337 .001 Autre .878 .027 Taille ménage .000 4-9 .687 .000 >9 .695 .005 Ratio ménage (<56) .631 .080 Constante 1.758 .000 2.077 .000

χ2 (dl) 690.0 (10) .000

844.7 (19) .000

Δχ2 (dl) 154.7

(9) .000

Nagelkerke R2 .11 .14

χ2 = -2LogLik(m0) + 2LogLik(m)

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Le tableau 5 montre la même analysepour les femmes seulement. La diffé-rence principale est que les femmes quivivent chez d’autres sont moins expo-sées à quitter Genève que les hommes.Ceci est vrai pour les deux types de soli-tudes 1 et 5, mais spécialement pour lesfemmes logées (en ce inclus les domes-tiques). Inversement, les femmes céliba-taires âgées sont légèrement plus mobi-les, et le différentiel de vulnérabilitéentre veuves et veufs est confirmé par lapropension à « disparaître » dans les sixans qui est nettement supérieure pourles veuves que pour les veufs.

Il n’est de loin pas courant de s’ex-traire d’une situation de solitude touten restant à Genève, précisément parce

que la solitude favorise en soi latendance à quitter Genève. Ainsi,parmi les 2 322 cas que l’on retrouve àGenève six ans plus tard, 1 821 concer-nent des individus qui n’étaient pas ensituation de solitude contre seulement501 qui l’étaient, un écart qui reflèteessentiellement leur différentiel demobilité. Parmi les 501 solitaires endébut de période, 111 ont quitté cestatut six ans plus tard tandis que 390sont demeurés en solitude (Figure 4).Ces effectifs sont relativement réduits,spécialement si l’on se focalise sur les322 femmes parmi ces 501 solitaires.Au tableau 6, nous avons dès lors étécontraints de procéder à des regroupe-ments de catégories. Malgré ceci, on

Tab. 5 Quitter Genève, femmes, n = 4547

Exp(B) Sig. Exp(B) Sig. Logé .000 .000 Domestique 4.009 .000 3.921 .000 Travailleur 2.008 .133 1.793 .213 Logé au sens strict 3.393 .000 3.359 .000 Seul (non) .000 .002 Seul (sans servante) 3.481 .000 2.452 .001 Seul (avec servante(s)) 1.098 .666 .801 .321 Célibataire (- 30 et non) .016 .118 Célibataire (30-44) .787 .063 .758 .040 Célibataire (> 44) 1.443 .062 .897 .608 Veuf(ve) (non) .000 .019 Veuf(ve) (sans enfant) 2.901 .000 1.742 .022 Veuf(ve) (avec enfant(s)) 2.717 .000 1.524 .060 Cohabitant 1.523 .016 1.441 .039 Femme .000 Âge .559 .000 enfant, <11 1.231 .065 adolescent, 11-19 1.855 .000 plus âgé, >44 .003 Religion 1.454 .003 Catholique .918 .307 Autre .000 Taille ménage .665 .000 4-9 .558 .001 >9 .695 .305 Constante 1.942 .000 2.663 .000

χ2 (dl) 315.0 (10) .000

451.2 (18) .000

Δχ2 (dl) 136.2

(8) .000

Nagelkerke R2 .10 .14

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note que l’introduction de sept coeffi-cients supplémentaires pour mesurer leseffets des variables de contrôle (âge,religion, taille et composition duménage), n’améliore pas significative-ment l’ajustement du modèle. Parmi les

rares femmes solitaires que l’on retrou-ve à Genève six ans après la premièreobservation, les logées au sens strict onttrois fois plus de chances de quitter lasolitude que les autres, et donc en parti-culier que les servantes.

Tab. 6 Sortir de solitude, femmes, n = 322

Exp(B) Sig. Exp(B) Sig. Logé (logé au sens strict) 2.908 .023 2.940 .042 Seul (non) .047 .033 Seul (sans servante) 4.627 .027 7.306 .021 Seul (avec servante(s)) .427 .298 .523 .464 Célibataire (- 30 et non) .008 .012 Célibataire (30-44) .430 .042 .383 .040 Célibataire (> 44) .066 .010 .046 .021 Veuve .205 .017 .161 .046 Cohabitant 3.646 .004 3.813 .007 Âge .924 enfant, <11 .454 .531 adolescent, 11-19 1.153 .839 plus âgé, >45 1.035 .969 Religion .035 Catholique .282 .065 Autre .371 .039 Taille ménage .296 4-9 1.680 .292 >9 .603 .580 Constante .169 .000 .184 .004 χ2 (dl) 32.9 (7) .000

42.8 (14)

.000

Δχ2 (dl) 9.9 (7) .194 Nagelkerke R2 .18 .23

Vivre totalement seule semble aussiune situation favorable si l'on considèreles chances de quitter la solitude dans lessix années qui suivent, mais évidemmentcela concerne uniquement les raresfemmes qui étaient dans cette situationet n'ont pas disparu de la ville… Lamême remarque vaut pour les cohabitan-tes. Inversement, certains statuts sont devéritables trappes. Il ressort du tableau 5que les veuves et les célibataires de 45 anset plus ne sont guère mobiles, tandisqu’ici au tableau 6, on voit en outre– sans en être très surpris – qu’elles n’ontpratiquement aucune chance de consti-tuer une nouvelle famille.

Parmi les 1 821 individus toujours àGenève au recensement suivant quin’étaient pas en solitude en début depériode, seuls 112 se retrouvent solitai-res au recensement suivant. La figure 4,en synthétisant 8 059 bouts de trajectoi-res de vie, montre avant tout que si laville est une fabrique de solitude, ce n’estabsolument pas en soi, mais en faitessentiellement par le biais de l’immi-gration. Les tableaux 7 et 8 indiquentque pour ceux qui restent établis àGenève, être enfant protège de la soli-tude tandis qu’avoir plus de 45 ans, êtredivorcé ou femme catholique favorisentle risque de tomber en solitude.

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MICHEL ORIS, GILBERT RITSCHARD ET GRAZYNA RYCZKOWSKA

Fig. 4 Trajectoires individuelles et dynamiques des solitudes, Genève 1816-1843

Tab. 8 Entrer en solitude, femmes, n = 815

Tab. 7 Entrer en solitude, hommes et femmes, n = 1821

Exp(B) Sig. Femme 1.040 .852 Âge .000 Âge (enfant, <11) .251 .002 Âge (adolescent, 11-19) .723 .411 Âge (plus âgé, >45) 2.513 .000 État matrimonial .012 Marié .752 .395 Divorcé 24.762 .009 Religion .825 Catholique .871 .711 Autre .879 .577 Taille ménage .020 4-9 .566 .010 >9 .308 .113 Constante .125 .000

χ2 (dl) 67.2 .000 Nagelkerke R2 .10

Exp(B) Sig. Âge .000 enfant, <11 .326 .017 adolescent, 11-19 .325 .073 plus âgé, >45 3.283 .001 Religion .581 Catholique 1.689 .313 Autre .982 .961 Taille ménage .802 4-9 .908 .787 >9 .496 .512 Constante .075 .000

χ2 (dl) 28.9 (7) .000 Nagelkerke R2 .10

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CONCLUSIONS

Cette recherche a voulu revisiter lethème de la solitude dans les structureset le fonctionnement social des villespréindustrielles à travers une étude decas. Nos conclusions sont donc à la foisspécifiques et générales. Globalement,l'importance de la solitude est démon-trée, mais aussi à quel point il est essen-tiel de la décomposer et de l'appréhen-der dans sa complexité. Il y a desphénomènes de redondances, de transi-tions, d'enfermements aussi, qui sontdifférenciés, en particulier selon legenre. La solitude en milieu urbainétait une composante de la destinéebien plus féminine que masculine et,pour être comprise, sa constructionprogressive doit être replacée dans destrajectoires de vie. Les uns et les autrestravaillaient sur des segments différentsdu marché du travail, néanmoins lesjeunes femmes et les jeunes hommesdémarraient leur vie « adulte » sur unmode similaire, en quittant leur familleet en expérimentant diverses formes desolitudes, essentiellement en vivant« chez les autres ». À Genève, maiscertainement aussi dans la plupart desvilles préindustrielles puisqu'ellesétaient également marquées par dessurplus féminins, c'est l'accès aumariage qui brise le parallélisme desparcours féminins et masculins. Plustard, le veuvage, à la fois comme expé-rience et comme statut, accentuait ladivergence en défaveur des femmes.

Bien que des solutions très diversesaient été utilisées pour éviter une soli-tude au sens strict (réellement vivreseule), des formes variées de solitude, etmême de cumuls de solitudes, n'ont puêtre évitées, à un moment au moins deleur vie, par la plupart des femmes

vivant dans des villes telles que Genève.Les premières analyses de donnéeslongitudinales montrent d'ailleurs quecertains statuts de solitude, célibatairesâgées et veuves, pouvaient être considé-rés comme « finaux ». Tant les activitéséconomiques que les positions socialesconfirment que ces phases de solitudeétaient associées à des périodes devulnérabilité. Une large majorité dessolitaires déclaraient une occupation.Une fois encore, c'est du côté fémininque le contraste est le plus saisissant.Quelque 73 % des femmes dites« seules » étaient actives en 1816-1831,77,2 % en 1837-1843, alors que parmiles autres femmes les proportionsétaient respectivement de 37,6 et39 %, seulement. Peu de femmes seulespouvaient s’offrir le luxe de ne pastravailler11. La minorité qui ne déclaraitpas une occupation lors des recense-ments était recrutée en particulierparmi les veuves (52 % d’inactivité) etles cohabitants (42 à 45 %). Leshommes solitaires étaient aussi actifsque leurs homologues féminines,même un peu plus : 85/87 %. Pour lesdeux sexes, au sein de cette vasteportion de la population urbainetotale, déclarer – sinon exercer – uneactivité était quasiment une obliga-tion12. La concentration dans les classessociales les plus basses étaient parailleurs fortes. Le lien implicite entresolitudes et vulnérabilité recouvraitbien des réalités explicites.

La fiabilité des témoignages littérairesn'en est pas pour autant établie. Autantd’isolement et d’évidente vulnérabilité,surtout parmi les femmes, ont en effetproduit bien peu de comportementsperturbateurs de l'ordre social et moraldans la Genève des années 1816-1843.Certes, l’illégitimité a crû dans la cité,

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mais après 1850. Auparavant, seules 3 à4 % des naissances étaient illégitimes(Perroux et Oris, 2004). La corrélationcommune entre célibat, proportion dedomestiques et illégitimité dans les vil-les pré-industrielles (Fauve-Chamoux,1998) ne s'observe à Genève que sur lesdeux premiers termes, pas sur le dernier.L’étude de la criminalité fournit d’autresinformations intéressantes. À Genève, levol était la seconde cause de procéduresjudiciaires après la rupture des promes-ses de mariage et les attitudes grossièresou obscènes. Entre 1816 et 1832,seules 145 femmes ont comparu pourvol contre 434 hommes. Bien sûr, lesarchives judiciaires ne représententjamais que le sommet d’un iceberg.Cependant, celles qui ont été jugéessont décrites comme ayant été « obli-gées » de fauter car leur survie et/oucelle de leur famille était menacée, etc’est d’ailleurs surtout de la nourriturequ’elles ont dérobée. C’étaient bien des« femmes seules – célibataires, veuves,divorcées, séparées ou abandonnées[…] la catégorie la plus démunie et lamoins protégée de la société » (Head etMottu, 1999, 176). La criminalitéféminine était caractérisée par la« vulnérabilité des isolées, travailleusessubalternes, souvent immigrées, trèsexposées, loin de la solidarité familiale,aux sollicitations sexuelles et auxcontraintes matérielles » (Head etMottu, 1999, 181). Rien que de trèstypique (Farge, 1974 et 1986).

Alors que le lien est clairement établientre isolement et vulnérabilité d'unepart, pathologies sociales d'autre part,les premières étaient massivementprésentes à Genève qui a pourtant étélargement épargnée par les secondes, aumoins jusqu'au milieu du XIXe siècle.En outre, les femmes étaient clairement

plus exposées et cependant plus épar-gnées, d'une manière ou d'une autre.Ceci atteste de l'importance ducontrôle social et des cultures sexuées,dans une cité encore profondémentimprégnée de calvinisme. La leçon à entirer est ambiguë. La socio-économie,la démographie comme la politiquesociale rendent un verdict commun :les trajectoires de vie des isolés étaientclairement dominées par les contraintesstructurelles. Cela nous rappelle essen-tiellement, au-delà des chiffres et desanalyses froides, que les vies vulnérablessont des vies contraintes (Stassen,2001).

Cette vulnérabilité des individusisolés, jointe à leur fréquente absencede racines locales, à leur volontéinitiale de simplement « passer par laville », explique leur instabilité. Sicertains types de solitudes étaient devrais pièges, d'autres sont apparustransitoires, mais dans la mesure où lespersonnes concernées quittaient la villerapidement, dans les six ans en toutcas. Les solitaires en général, et lesfemmes plus encore que les hommes,contribuaient massivement au turn-over impressionnant qui distinguait lespopulations urbaines, même celle deGenève avec sa croissance somme toutemodeste. C'est une turbulence migra-toire des solitudes et des vulnérabilitésqui, au-delà du cas genevois, illustre laprofonde dualité des populationsurbaines, partagées entre des lignéesstables et des individus mobiles. Lespouvoirs, les statuts, les savoirs utilesse concentrent parmi les premières,alors que les solitudes touchent lesseconds de manière disproportionnée.

Clairement, et contrairement à ce quia souvent été écrit sur les villes commefabriques de solitude, Genève, où

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s'amassaient littéralement les solitaires,n'en produisait que bien peu au sein desa population stable, native. En fait,elle attirait massivement les personnesseules et elle les expulsait tout autant.Genève ne fut pas une fabrique mais uncarrefour des solitudes, un carrefourfort fréquenté et bien régulé.

Michel ORISDépartement d’Histoire économique et

Laboratoire de DémographieUniversité de Genève

[email protected]

Gilbert RITSCHARDDépartement d’Économétrie et

Laboratoire de DémographieUniversité de Genève.

[email protected]

Grazyna RYCZKOWSKADépartement d’Histoire économique et

Laboratoire de DémographieUniversité de Genève

[email protected]

Ce papier a été rédigé dans le cadre du projet duFonds national suisse de la recherche scientifiquenuméro 1114-068113.02, prolongé sous le

numéro 100012.105478. Nous exprimons notrereconnaissance aux deux lecteurs anonymes dontles remarques nous ont été précieuses.

1. Deux beaux livres, l'un édité par ArletteFarge et Christiane Klapisch-Zuber en1984 : Madame ou Mademoiselle ? Itinérairesde la solitude féminine XVIIIe-XXe siècles, l'autrepublié la même année par L.V. Chambers-Schiller, Liberty, a Better Husband. SingleWomen in America… font exception.2. 1816, 1822, 1828, 1831, 1837 et 1843.Nous avons encodé un échantillon alphabé-tique en reprenant tous les individus ayant unpatronyme commençant par la lettre « B »,ainsi que les membres de leur ménage. Cepen-dant, quand au sein d’un ménage, seul un logéou un domestique avait un nom « B », nousl’avons enregistré individuellement avecquelques indications sur son ménage. Nosanalyses portent toutes sur la population des« B » (soit 11 % de la population totale), maislorsque, par exemple, nous identifions dansquel type de ménage les individus vivent, nousutilisons les données collectées sur leurs coha-bitants. 3. Ce point est discuté plus en détail dansOris, Ritschard et Ryczkowska, 2005, enparticulier page 174.4. François Lebrun (1988, 18) estime quedans l’Europe pré-industrielle, le nombre

moyen d’enfants par famille complète tour-nait autour de 7, mais si l’on considère tous lesmariages, il tombe à 4-5, cette différence étantdue aux unions brisées avant que la femmen’ait atteint l’âge de 50 ans, fin théorique de savie féconde. Voir Derosas et Oris, 2002.5. Code Napoléon, Titre V, ch.1, art. 146-152. Voir Ryczkowska, 2003, 4.6. Voir Fauve-Chamoux, 1983, 478 ; Wall,1983, 429 ; Bourdelais, 1984, 63 ; Diede-riks, 1986, 18 ; Dauphin, 1991, 517. 7. De même, on lira toujours avec fruit ledébat entre David Weir (1984) et RogerSchofield (1985) sur le rôle respectif de l’âgeau mariage et du célibat définitif dans l’ajus-tement de la population à la conjonctureéconomique en Angleterre.8. 15,5 % de veufs et célibataires à 50-54ans et 55,1 % à 75 ans et plus en 1816-1831 ; 19,5 % et 67,9 % en 1837-1843.9. Ces « départs » englobent ici aussi bienl’émigration que les décès. Dans nos recher-ches futures, nous avons bien sûr prévu dedistinguer ces deux aspects. 10. Le codage suivant des covariables a étéutilisé :

NOTES

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âge :1 = 10 ou moins (enfant)2 = 11 à 19 (adolescent)référence = 20 à 44 (jeune actif )3 = 45 ou plus (plus âgé)

état civil :référence = célibataire1 = marié2 = divorcé ou veuf

religion :référence = protestant1 = catholique2 = autre

taille du ménage :référence = 3 ou moins1 = de 4 à 92 = 10 ou plus

ratio micro-économique du ménage (dichoto-mique)

1 = 55 ou moinsréférence = 56 ou plus. Sur le

calcul de ce ratio, voir Neven, 1998.

11. Étant entendu que « travailler » se défi-nit simplement par la mention d’une activitélucrative lors du recensement de la popula-tion, indépendamment des tâches domes-tiques et autres assistances que, par exemple,les épouses des boutiquiers ou artisansapportaient à leur mari.12. Sans entrer dans une analyse des spécia-lisations des divers types de solitudes dansdes branches d'activités données, globale-ment il est évident que l’importance de lasolitude féminine dans une ville commeGenève est clairement associée à la domesti-cité, et par conséquent avec cette phase detransition entre l’adolescence et un mariageespéré et vu comme un établissement, unephase qui en termes spatiaux, se localisait enville tout particulièrement pour les femmes.La solitude pouvait cependant devenir unstatut permanent, ou revenir après un deuil.Pour les femmes âgées, le milieu urbain avecsa structure multi-sectorielle, offrait desniches diversifiées, et nous les trouvons épar-pillées dans la domesticité, les servicespersonnels, les commerces, le textile et lafabrication des vêtements.

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RÉSUMÉ

SUMMARY

Ce papier revisite le thème des solitudesdans les structures et le fonctionnementsocial des villes préindustrielles à partird'une étude de cas, celui de Genève entre1816 et 1843. En empruntant à des tradi-tions de recherche issues de la démographiehistorique, de l'histoire de la famille, del'histoire sociale et histoire des femmes, unetypologie des formes de solitude est propo-sée. Appliquée aux recensements genevoisdans une perspective transversale puis longi-tudinale, cette grille de lecture révèle lepoids impressionnant de la solitude, qui

touche 31 à 37 % des hommes et 44 à 52 %des femmes. Tant ces fréquences que le diffé-rentiel de sexe s'expliquent par des contrain-tes structurelles, lesquelles, par le biais desmarchés matrimonial et du travail, domi-nent les trajectoires de vie individuelles. Lavulnérabilité des isolés, la topographiesociale et démographique des solitudes, laturbulence migratoire des isolés qui lesdistinguent encore plus des familles natives,sont autant de conséquences. Ce sont aussides traits qui donnent au cas genevois unevaleur exemplaire.

Trough a case study of Geneva between1816 and 1843, this paper comes again onthe question of solitude in the social structu-res and dynamics, within the preindustrialtowns. Taking from several research tradi-tions in historical demography, familyhistory, social and gender history, wepropose a typology of solitudes. Applied onGeneva censuses, this tool reveals an impres-sive presence of solitude: 31 to 37 percent ofthe men, 44 to 52 percent of the women!

Such frequencies, as well as the sex differen-tial, took roots in urban structures operatingthrough the matrimonial and labor markets.The obvious vulnerability of isolated people,the socio-demographic topography of soli-tude, the migratory transiency that deepe-ned the distinction between the isolated andthe native families, are some consequences.There are also general characteristics of thepreindustrial urban life.

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