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Les peintres de la première école de Marseille J usqu’au milieu du 19 e siècle, l’art du paysage est, en France, un genre mineur selon les normes officielles en vigueur. Mais vers 1840, grâce à l’apparition de la peinture en tube compressible, des artistes tels que Camille Corot, Charles-François Daubigny ou Jean-François Millet délaissent leur atelier pour peindre en plein air, à Barbizon, près de la forêt de Fontainebleau. Le genre du paysage connaît alors un renouveau et un essor considérable. S’opposant aux règles académiques et à l’industrie naissante, ces artistes manifestent une fascina- tion pour la campagne française. Cette école dite « naturaliste » sert d’exemple à de nombreux foyers régionaux, parmi lesquels l’école de Marseille, dont le chef de file est Emile Loubon. Après une enfance aisée passée à Aix dans une famille de négociants, Loubon accompagne le peintre Granet en Italie. A son retour, il s’installe à Paris et expose au Salon de 1833. C’est là qu’il rencontre les peintres de Barbizon dont il partage les mêmes recherches picturales autour du paysage naturaliste. En 1845, il rejoint sa terre natale et accepte le poste de directeur de l’école de dessin de Marseille. Outre sa fonction d’enseignant, Loubon joue un rôle fondamental dans la vie culturelle de la cité où il crée la Première école de Marseille. Fondateur de la Société des amis des arts de Marseille, il organise de nombreuses expositions. Sous son influence, la Provence devient un lieu privilégié, célébré par de nombreux artistes. Cette Première école de Marseille se caractérise par une représentation analytique et détaillée de la nature. Les artistes s’attachent à peindre le paysage avec beaucoup de réalisme et de précision. E mile Loubon (Aix en Provence, 1809 – Marseille, 1863) Alors que la Première école de Marseille se développe parallèlement au mouvement du Félibrige, et dans une ville en plein essor économique, Loubon produit de nombreux paysages de la Provence rurale. Avec Paysage provençal avec scène de retour au marché, il décrit l’aspect campagnard de la vie d’autrefois : des paysans s’acheminent sur une route à la terre aride. L’originalité du tableau réside dans le fait que les personnages s’éloignent du spectateur au lieu de venir à sa rencontre. Loubon, plutôt spécialisé dans les paysages provençaux vastes et dégagés, crée une peinture atypique avec Les lavandières. Dans un cadrage resserré, l’artiste décrit avec précision le travail des femmes Emile Loubon, Les lavandières, 1857, huile sur bois, 40,2 cm 32 cm , Fonds régional d’œuvres Provence-Alpes-Côte d’Azur, dépôt de la Régie Culturelle Régionale au musée Ziem

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Les peintres de la première école de Marseille

Jusqu’au milieu du 19e siècle, l’art du paysage est, en France, un genre mineur selon les normes officielles en vigueur. Mais vers 1840, grâce à l’apparition de la peinture en tube compressible, des

artistes tels que Camille Corot, Charles-François Daubigny ou Jean-François Millet délaissent leur atelier pour peindre en plein air, à Barbizon, près de la forêt de Fontainebleau. Le genre du paysage connaît alors un renouveau et un essor considérable.S’opposant aux règles académiques et à l’industrie naissante, ces artistes manifestent une fascina-tion pour la campagne française. Cette école dite « naturaliste » sert d’exemple à de nombreux foyers régionaux, parmi lesquels l’école de Marseille, dont le chef de file est Emile Loubon.Après une enfance aisée passée à Aix dans une famille de négociants, Loubon accompagne le peintre Granet en Italie. A son retour, il s’installe à Paris et expose au Salon de 1833. C’est là qu’il rencontre les peintres de Barbizon dont il partage les mêmes recherches picturales autour du paysage naturaliste. En 1845, il rejoint sa terre natale et accepte le poste de directeur de l’école de dessin de Marseille. Outre

sa fonction d’enseignant, Loubon joue un rôle fondamental dans la vie culturelle de la cité où il crée la Première école de Marseille. Fondateur de la Société des amis des arts de Marseille, il organise de nombreuses expositions. Sous son influence, la Provence devient un lieu privilégié, célébré par de nombreux artistes. Cette Première école de Marseille se caractérise par une représentation analytique et détaillée de la nature. Les artistes s’attachent à peindre le paysage avec beaucoup de réalisme et de précision.

Emile Loubon (Aix en Provence, 1809 – Marseille, 1863)Alors que la Première école de Marseille se développe

parallèlement au mouvement du Félibrige, et dans une ville en plein essor économique, Loubon produit de nombreux paysages de la Provence rurale.Avec Paysage provençal avec scène de retour au marché, il décrit l’aspect campagnard de la vie d’autrefois : des paysans s’acheminent sur une route à la terre aride. L’originalité du tableau réside dans le fait que les personnages s’éloignent du spectateur au lieu de venir à sa rencontre.

Loubon, plutôt spécialisé dans les paysages provençaux vastes et dégagés, crée une peinture atypique avec Les lavandières. Dans un cadrage resserré, l’artiste décrit avec précision le travail des femmes

Emile Loubon, Les lavandières, 1857, huile sur bois, 40,2 cm 32 cm , Fonds régional d’œuvres Provence-Alpes-Côte d’Azur, dépôt de la Régie Culturelle Régionale au musée Ziem

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Fabius Brest (Marseille, 1823 – Marseille, 1900)Elève de Loubon et de Troyon, à Fontainebleau, Fabius Brest est essentiellement connu comme

peintre orientaliste. Ses paysages méridionaux sont donc, pour la plupart, antérieurs à son premier voyage à Constantinople, en 1857. Ce qui est le cas ici puisqu’il s’agit de deux œuvres de jeunesse.Paysage de la Nerthe avec le tunnel du Rove est une huile particulièrement audacieuse. Le peintre s’y plait à décrire très précisément la colline avec ses textures rocheuses, sa végétation, et attire le regard du spectateur au premier plan où une locomotive sort du tunnel.Le pont Flavien à Saint-Chamas fut présenté au salon de 1855, en même temps que le tableau des Bords du Var, et lui valut d’obtenir la médaille d’or. L’ambiance baigne dans une lumière dorée de fin de journée. Brest s’attache à décrire avec précision le premier plan : La Touloubre, petite rivière, le figuier et les berges terreuses et rocailleuses. L’échelle du pont est donnée par trois personnages et un âne. L’horizon, vu à travers l’arche, est éclairé par une lumière traitée à la manière de Loubon.

Prosper Grésy (Boulogne-sur-Mer, 1804 – Nice, 1874)Venu du Nord, Prosper Grésy a, comme Ziem, la révélation de la peinture sous le ciel de Provence.

Il évolue dans le cercle de Loubon, Brest, Monticelli et Ziem, qui vient lui demander conseil. Il est éga-lement influencé par Alexandre Decamps et Jules Dupré, peintres de l’école de Barbizon. Paysage de Camargue, vu probablement de Grandes Cabanes, est une composition étonnante : la ligne d’horizon partage en deux bandes parallèles la toile : un ciel nuageux mais lumineux côtoie une plaine de marécages et d’arbres plongés dans l’ombre.Les baigneuses est une autre version d’une composition également intitulée Les baigneuses et conser-vée au musée des Beaux-Arts de Marseille. Depuis l’école de Fontainebleau (soit au 16e et 17e siècle), la baigneuse est un thème classique de la peinture. Dans ce paysage à la composition frontale, le regard du spectateur est conduit d’emblée au deuxième plan, attiré par la nudité des figures placées sous de grands arbres au réalisme détaillé.

occupées à étendre et à plier le linge. Contrairement à d’autres œuvres, il introduit ici le mistral qui apporte un important mouvement à cette composition.

Paul Guigou (Villars, 1834 – Paris, 1871)Guigou est l’autre grand paysagiste de l’école de Marseille. Clerc de notaire, il se lie d’amitié avec

Monticelli et Loubon, dont il suit les cours. Il s’installe à Marseille entre 1857 et 1862 avant de mon-ter à Paris où il expose régulièrement au Salon, tout en retournant régulièrement dans le Midi. Célèbre pour son tableau de Lavandière vue de dos (Paris, musée d’Orsay), son style est caractérisé par ses recherches sur la lumière.Muletier sur un chemin du Lubéron (1856), met en évidence le caractère singulier de Guigou à ses débuts. Avant de s’assagir sur les conseils des cri-tiques artistiques, Guigou fut très audacieux avec une peinture à la matière empâtée visible dans cette composition de petit format. Il s’attache à décrire des paysages secs, rocailleux ou par-fois des bords de mer comme Pinède au bord de mer (1866) et L’avant-port de Marseille (1871).

Paul Guigou, L’avant-port de Marseille, 1871, huile sur toile, 22,8 x 47,5 cm, Fonds régional d’œuvres Provence-Alpes-

Côte d’Azur, dépôt de la Régie Culturelle Régionale au musée Ziem

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Cette composition trouvera sa postérité avec les baigneuses de Cézanne qui a connu cette peinture et chez qui on retrouvera également, entre 1870 et 1906, des personnages placés sous une arche de bran-chages.

Auguste Aiguier (Toulon, 1814 – Le Pradet, 1865)Peintre toulonnais, fils de paysan à La Garde, il fut l’aide

de François Barry et de François Simon, coiffeurs perruquiers comme lui. Il se forma auprès d’Aubert puis dans les cours de Félix Ziem à Marseille, de 1839 à 1841. Il reçut les encourage-ments de Loubon. Très influencé par les marines du Lorrain, il ne connut un succès d’estime que tardivement. La calanque de Val Bonète entre Hyères et Toulon, apparaît régulière-ment dans son œuvre, à divers moments de la journée, ce qui montre le désir du peintre à rendre les effets du climat et les changements de lumière. L’atmosphère séduit par son calme et son invitation au voyage et à la rêverie. Contrairement aux tableaux de Loubon, et aux autres peintres de la première école de Marseille, la lumière est plus douce. Elle donne une place originale à Aiguier dans le domaine du paysage pré-im-pressionniste.

Raphaël Ponson (Solliès-Pont, 1835 – Marseille, 1904)Fils d’un peintre décorateur et élève de Loubon à l’école des Beaux-Arts de Marseille, Ponson

séjourne à Paris en 1856. Il fréquente le Louvre tout en vivant d’un emploi de décorateur d’éventails. Après un voyage à Rome, il se fixe à Marseille et de-vient le peintre spécialiste de la côte provençale le plus en vogue. Il expose à Marseille dès 1852, puis à Paris au Salon en 1862. Il obtient la commande du décor des appartements privés de la préfecture de Marseille et peint une frise florale pour la salle Provence du muséum d’Histoire naturelle au palais Longchamp. Guinguette aux environs de Toulon, située au bord de l’eau, restitue avec justesse une scène populaire et l’am-biance animée d’un retour de pêche. Ponson décrit avec minutie la simplicité de l’architecture, l’attirail de pêche et l’animation joyeuse qui règne parmi les pêcheurs. En habile coloriste, il distribue les teintes avec précision et réalisme.

Auguste Aiguier, La calanque de Val Bonète entre Hyères et Toulon, 1863, huile sur toile, 117 x 146 cm, Fonds régional d’œuvres Provence-Alpes-Côte d’Azur, dépôt de la Régie Culturelle Régionale au musée Ziem

Raphaël Ponson, Guinguette aux environs de Toulon,

huile sur toile, 66,5 x 95,5 cm, Fonds régional d’œuvres Provence-Alpes-Côte

d’Azur, dépôt de la Régie Culturelle Régionale au musée Ziem