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S.F.E.C.A.G., Actes du Congrès de Dijon, 1996. Pierre-Henri MITARD LES MORTIERS DRAG. 45 EN BOURGOGNE Les mortiers Dragendorff 45 constituent un type de céramique romaine dont les éléments caractéristiques permettent de bien reconnaître, le plus souvent, les ateliers d'origine et les dates -au moins approxima- tives- de fabrication . En dehors des détails de la forme (celle du bord, ou bandeau, en particulier) et des diffé- rences de matière -céramique sig illée (de qualités diverses), métallescente, imitations, qui permettent une première approche-, ils sont parfois estampillés et les décors qu'ils portent : relief-déversoir orné (par la tech- nique du relief d'applique en général) avec -ou sans- décors périphériques divers, décor secondaire -par- fois- sur le reste du bord (de diverses techniques), sont extrêmement variés, ce qui justifie pleinement leur étude détaillée. Cela ne les a pas empêchés d'être longtemps classés, en ce qui concerne ceux en céra- mique sigillée, les plus nombreux, parmi la céramique lisse, faute de répertoire d'ensemble permettant des classements précis 1 . La documentation systématique que j'ai rassemblée sur le sujet depuis de nombreuses années devrait me permettre, dans un délai pas trop éloigné maintenant, de fournir à la communauté archéologique l'ouvrage de synthèse correspondant. Après en avoir été longtemps détourné par des travaux de terrain et leur publication, je travaille désormais activement à sa préparation. L'étude de ces mortiers est particulièrement intéres- sante pour cette région bourguignonne, celle-ci ayant le privilège d'avoir possédé deux ateliers de production importants dans ce domaine, celui de Gueugnon (Saône-et-Loire) et celui de Jaulges-Villiers-Vineux (Yonne) . La présentation qui en sera faite ci -après conservera un caractère global, une étude de détail ne pouvant naturellement qu'entraîner trop loin. 1. LES ATELIERS BOURGUIGNONS PRODUCTEURS DE DRAG. 45 1. Gueugnon (Saône-et-Loire). Atelier fouillé et étudié d'abord par le regretté Henri Parriat, puis par Jean-Claude Notet, qui en ont donné très rapidement -au fur et à mesure des découvertes- des publications détaillées 2 , en me réservant l'étude des éléments de la forme Drag. 45, dès 1966, année de la découverte et de la première campagne de fouilles 3 . Mais dès avant cette date, j'avais pu pressen- tir l'existence dans la région d'un atelier encore inconnu, en raison de l'abondance relative de reliefs- déversoirs (têtes de lion) de types particuliers -que je n'avais guère rencontrés ailleurs- sur deux sites impor- tants de Bourgogne : Alésia et Les Bolards (commune de Nuits-Saint-Georges). J'ai moi-même publié dès 1970 une étude des mortiers Drag. 45 de Gueugnon et des divers types de déversoir orné qui sont les leurs, complétée en 1982 4 et qui reste valable dans ses grandes lignes, Ce qui est certain en tout cas, c'est qu'ils ne peuvent être classés, en raison même de l'épaisseur de leur paroi répondant à leur fonction, parmi les vases "à parois fines", comme on l'a vu récemment parfois, par suite probablement d'une confusion entre ces derniers et la notion de "céramiques fines", dont peuvent peut-être relever certains vases à parois non spécialement fines, n'appartenant ni à la céramique sigillée , ni à la céramique commune. 2 Voir en particulier pour le premier (sous la signature collective "Groupe Archéologique de Gueugnon-Montceau"), dans Revue de la Physiophile, 66, juin 1967, p. 3-53 (p . 35-36 notamment pour les Drag. 45) ; 69, déc. 1968, p. 9-52 ; 73, déc. 1970, p. 9-60 ; 81, déc. 1974, p. 24-61 ; pour le second, dans la même Revue, 86, juin 1977, p. 56-73 ; 94, juin 1981 , p. 33-42 ; 96 , juin 1982, p. 59-76 ; 123, déc. 1995, p. 86 et suiv. Articles de synthèse : H. GAILLARD DE SEMAINVILLE et H. PARR lAT, L'officine céramique gallo-romaine de Gueugnon (Saône-et-Loire), dans Revue Archéologique de l'Est et du Centre- Est, XXVI, 1975, p. 307-412 (16 fig. trait, 20 photos). J.-C. NOTET, Le centre de production de céramique de Gueugnon (Saône-et-Loire). catalogue des marques épigraphiques, dans Revue Archéologique de l'Est et du Centre-Est, XXXVII , 1986, p. 99-107 (5 fig .). 3 Notre mise en relations avait été facilitée par l'aimable intervention de Mlle M. Chénard, ma collègue du Groupe Archéologique du T.C.F., alors enseignante à Gueugnon. 4 P.-H. MITARD, Les terrines à déversoir Drag. 45 de l'officine céramique du Vieux Fresne à Gueugnon (S .-et-L.), dans Revue la Physiophile, 72, juin 1970, p. 12-29 (4 pl. h. t) . Les mortiers Drag. 45 de l'atelier de Gueugnon (Découvertes nouvelles), dans Revue la Physiophile, 96, juin 1982, p. 17-79 (1 pl.) . 181

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S.F.E.C.A.G., Actes du Congrès de Dijon, 1996.

Pierre-Henri MITARD

LES MORTIERS DRAG. 45 EN BOURGOGNE

Les mortiers Dragendorff 45 constituent un type de céramique romaine dont les éléments caractéristiques permettent de bien reconnaître, le plus souvent, les ateliers d'origine et les dates -au moins approxima­tives- de fabrication . En dehors des détails de la forme (celle du bord, ou bandeau, en particulier) et des diffé­rences de matière -céramique sigillée (de qualités diverses), métallescente, imitations, qui permettent une première approche-, ils sont parfois estampillés et les décors qu'ils portent : relief-déversoir orné (par la tech­nique du relief d'applique en général) avec -ou sans­décors périphériques divers, décor secondaire -par­fois- sur le reste du bord (de diverses techniques), sont extrêmement variés, ce qui justifie pleinement leur étude détaillée. Cela ne les a pas empêchés d'être longtemps classés, en ce qui concerne ceux en céra­mique sigillée, les plus nombreux, parmi la céramique lisse, faute de répertoire d'ensemble permettant des classements précis 1.

La documentation systématique que j'ai rassemblée sur le sujet depuis de nombreuses années devrait me permettre, dans un délai pas trop éloigné maintenant, de fournir à la communauté archéologique l'ouvrage de synthèse correspondant. Après en avoir été longtemps détourné par des travaux de terrain et leur publication, je travaille désormais activement à sa préparation.

L'étude de ces mortiers est particulièrement intéres­sante pour cette région bourguignonne, celle-ci ayant

le privilège d'avoir possédé deux ateliers de production importants dans ce domaine, celui de Gueugnon (Saône-et-Loire) et celui de Jaulges-Villiers-Vineux (Yonne) . La présentation qui en sera faite ci-après conservera un caractère global, une étude de détail ne pouvant naturellement qu'entraîner trop loin.

1. LES ATELIERS BOURGUIGNONS PRODUCTEURS DE DRAG. 45

1. Gueugnon (Saône-et-Loire). Atelier fouillé et étudié d'abord par le regretté Henri

Parriat, puis par Jean-Claude Notet, qui en ont donné très rapidement -au fur et à mesure des découvertes­des publications détaillées2

, en me réservant l'étude des éléments de la forme Drag. 45, dès 1966, année de la découverte et de la première campagne de fouilles3

. Mais dès avant cette date, j'avais pu pressen­tir l'existence dans la région d'un atelier encore inconnu, en raison de l'abondance relative de reliefs­déversoirs (têtes de lion) de types particuliers -que je n'avais guère rencontrés ailleurs- sur deux sites impor­tants de Bourgogne : Alésia et Les Bolards (commune de Nuits-Saint-Georges).

J'ai moi-même publié dès 1970 une étude des mortiers Drag . 45 de Gueugnon et des divers types de déversoir orné qui sont les leurs, complétée en 19824 et qui reste valable dans ses grandes lignes,

Ce qui est certain en tout cas, c'est qu'ils ne peuvent être classés, en raison même de l'épaisseur de leur paroi répondant à leur fonction, parmi les vases "à parois fines", comme on l'a vu récemment parfois, par suite probablement d'une confusion entre ces derniers et la notion de "céramiques fines", dont peuvent peut-être relever certains vases à parois non spécialement fines, n'appartenant ni à la céramique sigillée , ni à la céramique commune.

2 Voir en particulier pour le premier (sous la signature collective "Groupe Archéologique de Gueugnon-Montceau"), dans Revue de la Physiophile, 66, juin 1967, p. 3-53 (p. 35-36 notamment pour les Drag. 45) ; 69, déc. 1968, p. 9-52 ; 73, déc. 1970, p. 9-60 ; 81, déc. 1974, p. 24-61 ; pour le second, dans la même Revue, 86, juin 1977, p. 56-73 ; 94, juin 1981 , p. 33-42 ; 96, juin 1982, p. 59-76 ; 123, déc. 1995, p. 86 et suiv. Articles de synthèse : H. GAILLARD DE SEMAINVILLE et H. PARR lAT, L'officine céramique gallo-romaine de Gueugnon (Saône-et-Loire), dans Revue Archéologique de l'Est et du Centre-Est, XXVI, 1975, p. 307-412 (16 fig. trait, 20 photos). J.-C. NOTET, Le centre de production de céramique de Gueugnon (Saône-et-Loire). catalogue des marques épigraphiques, dans Revue Archéologique de l'Est et du Centre-Est, XXXVII , 1986, p. 99-107 (5 fig .).

3 Notre mise en relations avait été facilitée par l'aimable intervention de Mlle M. Chénard, ma collègue du Groupe Archéologique du T.C.F., alors enseignante à Gueugnon.

4 P.-H. MITARD, Les terrines à déversoir Drag. 45 de l'officine céramique du Vieux Fresne à Gueugnon (S.-et-L.) , dans Revue la Physiophile, 72, juin 1970, p. 12-29 (4 pl. h.t) . Les mortiers Drag. 45 de l'atelier de Gueugnon (Découvertes nouvelles), dans Revue la Physiophile, 96, juin 1982, p. 17-79 (1 pl.) .

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P.-H. MITARD

sous réserve de quelques variétés nouvelles et d'une meilleure détermination des variétés propres à Gueu­gnon ou au contraire -dans quelques cas- partagées avec un autre atelier (Lezoux en particulier) ; tandis que la poursuite de mon enquête a enrichi la carte de diffusion . J'ai d'autre part collaboré avec J.-C. Notet pour l'étude d'une exceptionnelle découverte de moules faite en 19845

.

On pourra se reporter à ces diverses publications pour une connaissance précise de ces productions, la pré­sentation qui suit ayant surtout un caractère statistique.

Pièces caractéristiques recueillies sur le site de production. (Entendre par là essentiellement les pièces présentant un élément de décor étudiable).

- En ce qui concerne les vases (ou plutôt les fragments de vases, bien entendu), leur nombre atteint 110 pour ceux avec relief-déversoir, auxquels il faut ajouter ceux avec décor secondaire : 25 environ (pour ce que j'en connais), ce décor pouvant être estampé (principale­ment), mais aussi incisé, en relief d'applique (scène érotique) ou à la barbotine (rinceaux) .

- Le nombre des moules à relief-déversoir recueillis atteint le chiffre de 62 -ce qui constitue un record absolu parmi les ateliers ayant produit ce type de céramique6

- dont 43, en 1984, dans le même dépotoir déjà mentionné.

- Dans ce dépotoir a en outre été découvert un poin­çon-matrice pour la confection de moules à reliefs­déversoirs, pièce dont la rareté a été soulignée dans l'article précité: depuis cette date un autre poinçon­matrice pour même usage a toutefois été découvert en Argonne par Marc Feller, ce qui porte le total à 4.

Types et variétés de reliefs-déversoirs. Les reliefs-déversoirs correspondant aux matériels

dont il vient d'être question relèvent de 10 types diffé­rents (désignés de A à J dans les publications préci­tées), qui peuvent être subdivisés en 62 variétés dis­tinctes (en considérant comme variété particulière un rel ief présentant des détails caractéristiques permet­tant de distinguer le moule dont il est issu) . Ce chiffre est en fait théorique, car 12 de ces variétés ne sont représentées que par des moules dont on n'a pas la preuve qu'ils aient été utilisés, puisqu'on n'a pas -jus­qu'ici- trouvé de reliefs qui puissent en être issus.

En outre, si le nombre total des moules recueillis est de 62 (le même, par coïncidence, que celui des variétés ayant pu être reconnues), ces moules ne correspon­dent qu'à 23 variétés distinctes (utilisées ou non) ; c'est-à-dire que certains d'entre eux fournissent des reliefs identiques, jusqu'à 8 pour une même variété, ayant ainsi été fabriqués en petites séries. D'autre part, sur les 50 variétés dont on a la preuve de l'utilisation, 31 seulement sont représentées -actuellement- dans les découvertes de l'atelier même, le tiers restant

n'ayant été retrouvé que sur des sites de consomma­tion. L'attribution à Gueugnon ne paraît cependant pas douteuse, le plus souvent; on a toutefois des difficultés pour quelques variétés d'un type (le type G), pour lequel des surmoulages parallèles à Lezoux et à Gueugnon aboutissent à des variétés semblables et rendent l'at­tribution de quelques exemplaires incertaine. L'aspect de la matière étant le plus souvent -à l'œil du moins­assez proche dans les deux ateliers, il faut alors faire appel à d'autres éléments concordants : types des incisions périphériques, détails de la forme du bord, aires de diffusion habituelles, etc., pour se faire une opinion.

Chronologie et diffusion. Au point de vue chronologique, l'existence de deux

estampilles (seulement) sur des éléments de cette forme recueillis ou attribuables à Gueugnon : LVPI ... et [GE]RMANVS, laisse penser que la production a pu en commencer vers la fin du Ile s., pour se poursuivre, compte tenu des monnaies recueillies parfois avec des déversoirs ou des moules dans certains dépotoirs de l'atelier, jusqu'au troisième quart du Ille s. Il serait intéressant de trouver des précisions pour tel ou tel type ou variété dans des contextes datés de sites de consommation, mais pour le moment ceux-ci parais­sent rares.

C'est sur le plan de l'aire de diffusion que les mortiers Drag. 45 apportent le plus à la connaissance du centre de production de Gueugnon (Fig. 1) ; 173 exemplaires concourent actuellement à l'établir. Cette diffusion est particulièrement importante dans la région: 61 exem­plaires en Saône-et-Loire, 70 en Côte-d'Or, 7 dans l'Yonne, 3 dans la Nièvre, soit 141 au total. Restent 32 pour ''l'extérieur'', ce qui n'est pas beaucoup, comparé à ce qui précède. Mais les lieux de trouvaille montrent tout de même des zones d'exploration assez étendue vers la Franche-Comté et la Suisse, la vallée du Rhône, l'ouest de la France et la vallée de la Seine (encore que sur ce dernier point, l'attribution de quelques exem­plaires reste incertaine).

2. Jaulges-Vill iers-Vineux (Yonne). Bien que connu localement dès avant la guerre de

19147, l'atelier, situé à la limite des communes de

Jaulges et de Villiers-Vineux, n'a été vraiment révélé sur un plan plus général que grâce à l'intérêt qu'y ont porté, à partir de 1965, Jean-Paul Jacob et Henri Leredde. Les prospections personnelles de ceux-ci et leurs recherches dans les collections privées consti ­tuées dans la région principalement grâce à des pros­pections en surface, en ont montré l'importance, en particulier pour la production des mortiers Drag. 45. Et j'ai eu de leur part systématiquement communication des éléments de cette forme entrant dans leurs inven­taires (au moins jusqu'à une certaine date) . Ils ont en outre effectué 5 campagnes de fouilles sur le site (en 1978-1981 et 1983), mais d'une façon volontairement

5 J.-C. NOTET et P.-H. MITARD, Une découverte exceptionnelle de moules sur le site de l'atelier céramique du Vieux Fresne à Gueugnon (Saône-et-Loire), dans Revue Archéologique de l'Est, Mélanges offerts à M. Lutz, XXXVIII, 1987, p. 201 -209.

6 A titre de comparaison, 30 ex. environ à Lezoux.

7 C. CHOCAT, Notice sur les fouilles (1906-1912) et les industries céramiques anciennes de Villiers-Vineux, dans Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, 1913, p. 161-168. J.-P . JACOB et H. LEREDDE, Les poteries gallo-romaines de Jaulges-Villier-Vineux, dans L'écho d'Auxerre, 108, 1973, p. 7-12.

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LES MORTIERS DRAG. 45 EN BOURGOGNE

limitée, leur objectif ayant un caractère plus général que la mise au jour de nouveaux lots de céramiques, étant donné l'importance de ceux déjà connus du fait de prospections de surface.

Je dois dire qu'en ce qui me concerne, comme pour Gueugnon, j'avais pressenti l'existence d'un atelier dans la région dès avant d'en avoir connu la localisation précise, étant donné l'abondance particulière de certains

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types de reliefs et de céramiques dans les découvertes faites sur divers sites ruraux du département de l'Vonne8

ainsi qu'à Vertaulf (Côte-d'Or) qui n'en est pas loin. Il n'existe actuellement pour les mortiers en cause que

de brèves présentations dans les publications géné­rales consacrées à ce centre de production par ses deux responsables 10. Je n'en ferai moi-même ici qu'une présentation globale, comme pour Gueugnon, mais la

50 100 150km

Figure 1 - Diffusion des mortiers Drag. 45 de Gueugnon.

8 Par l'actif et regretté Abbé J. Duchâtel, curé de Châblis, avec lequel j'étais en relations dès 1964.

9 Voir J. JOFFROY et P.-H. MITARD, Les vases à déversoir à mufle de lion de Vertillum (Vertault - Côte-d'Or), dans Bulletin de la Société Archéologique et Historique duChâti/lonnais, 49 série, 4,1963 (1965), p. 127-132 (pl. XXI-XXIII , en particulier les nOs 10 à 17.

10 J.-P. JACOB et H. LEREDDE, L'officine céramique gallo-romaine de Jaulges-Villiers-Vineux (Yonne), dans Revue Archéologique de l'Est et du Centre-Est, XXV, 1974, p. 365-386 (Drag. 45 : p. 376, 378, fig . 7) ; Jaulges-Villiers-Vineux, dans Les Dossiers de l'Archéologie, 9,1975, p. 71-78 (vue d'un ensemble de déversoirs, p. 75); Les potiers de Jaulges-Villiers-Vineux (Yonne), Etude d'un centre de production gallo-romain, dans Gallia, 41, 1985, p. 167-192.

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Figure 2 - Diffusion des mortiers Drag. 45 de Jaulges-Villiers-Vineux.

présentation détaillée en est bien entendu prévue dans la publication d'ensemble en préparation.

Importance et variété du matériel. Bien que les fragments de vases caractéristiques

(ceux comportant le relief-déversoir) recueillis sur le site de production proviennent essentiellement de décou­vertes de surface, leur nombre doit dépasser (peut-être largement) les 300 ; j'en connais actuellement 267.

La principale caractéristique de ces productions est la nature particulière de la céramique elle-même, qui -sauf de rares exceptions- n'a pas du tout l'aspect de la sigillée : à reflets métalliques plus ou moins accen­tués, on sait qu'elle est dite "métallescente". De teintes variées, souvent grise à cœur, son vemis va de l'orangé, plus ou moins clair, au vieux rose ou violacé, et au brun tête-de-nègre ou noir.

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Cela ne dispense pas de s'intéresser aux différents types de reliefs qui en ornent le déversoir, pour tenter naturellement de déterminer des différences chronolo­giques selon les types ou variétés. Ces types sont -actuellement- au nombre de 16 propres à l'atelier, et d'origine certaine puisque représentés par au moins un exemplaire sur le site de production; auxquels on peut ajouter 4 autres, non retrouvés sur celui-ci, mais qui paraissent pouvoir lui être attribués (de façon moins assurée pour le dernier), par l'aspect de la céramique, non démenti par le lieu de trouvaille des exemplaires en cause (qui reste "normal", compte tenu d'autres découvertes de même origine). Deux de ces types sont originaux (1 ex. à Melun et aux Fontaines Salées/Saint­Père-sous-Vézelay) ; les deux autres seraient des "em­prunts" - par surmoulage-l'un à Gueugnon (ex. à Alésia

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et Domecy-sur-Cure)1\ l'autre à Lezoux (1 ex. à Vertault, attribution à Jaulges-Villiers-Vineux moins assurée) 12.

Cela ferait donc un total de 20 (ou 19) types différents dont 11 (et notamment les 4 derniers) ne comportant qu'une variété unique; mais les neuf autres correspon­dent à 32 variétés distinctes, du fait de surmoulages successifs au sein même de l'atelier (amenant des réductions de dimensions), avec ou sans retouches (suivant une pratique dont on a de multiples exemples).

Ces reliefs sont les uns assez réalistes, les autres

franchement stylisés, sans pour autant, pour ces der­niers, être dénués d'une certaine esthétique.

Des moules à reliefs-déversoirs, au nombre de 5, ont d'autre part été recueillis sur le site; ils relèvent de 3 types différents.

A ces reliefs issus de moules, il faut ajouter des reliefs sommairement modelés à la main et ne présentant que quelques variantes d'exécution. Un exemplaire un peu plus élaboré -mais de même technique, et proche par la matière-, trouvé à Saint-Brice, près de Cognac

Figure 3 - Diffusion en Bourgogne des mortiers Drag. 45 d'Argonne.

11 M. JOLY, L'atelier de potiers gallo-romain de Domecy-sur-Cure (Yonne), dans S.F.E.e.A.G., Actes du congrès de Millau, 1994, p. 213-223, Fig . 13, nO 2 (l'autre exemplaire paraît originaire de Gueugnon même).

12 Op. cif. à la note 9, nO 2.

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P.-H. MITARD

(Charente) 13 paraît bien avoir la même origine.

Chronologie et diffusion. Le début de l'activité céramique sur le site n'est pas

nettement établi. Les monnaies du 11 8 s. y sont plutôt rares: 26 (dont 10 ayant très probablement circulé jusqu'au troisième quart du 111 8 s., d'après leur degré d'usure) sur un total de 390 trouvées en surface (pour ce que j'en connais), qui comprennent essentiellement des monnaies de la deuxième moitié du 111 8 s. (156) et

de tout le Iv8 s. (204)14. La chronologie des mortiers Drag. 45 s'insère dans ce

cadre général. Un exemplaire d'une variété dé~à évo­luée a été trouvé à Paris, jardin du Luxembourg 1 ,dans un puits à offrandes assez riche en mobilier fournissant un contexte du début du 111 8 s. (fragments Drag. 37 de PATERNVS, Drag.45 de Lezoux, lampe en forme de pomme de pin, etc.). Deux autres, relevant d'un autre type (le plus abondant), se retrouvent dans des

50 100 150 km

Figure 4 - Diffusion en Bourgogne des mortiers Drag. 45 de Gaule centrale et de Savoie.

13 P.-H. ~ITA.RD et C. VERNOU, A propos de deux vases à décor à tête de lion découverts en Cognaçais, dans Revue de la Saintonge et de l~untS, XX, 1989, p. 7-12, fig . 3 et 4.

14 J'ai eu communication de ces monnaies parallèlement à celle des éléments de Drag. 45 dans le cadre de l'inventaire des collections provenant du site.

15 Sauvetage GAA-TCF 1963, préparation de la publication actuellement en cours avec la Commission du Vieux Paris.

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LES MORTIERS DRAG. 45 EN BOURGOGNE

contextes de la fin du troisième quart du Ille s. : à Chalons-sur-Marne avec des monnaies de Postume 16,

aux Bolards (Nuits-Saint-Georges) avec une monnaie de Tetricus. Un autre exemplaire d'un type différent, trouvé à Cognac 17, provient d'un niveau de comble­ment du début du IVe s., mais son caractère résiduelle fait dater du siècle précédent. " en est de même pour un exemplaire d'un autre type (modelé à la main) trouvé à Entrains, dans un remblai contenant du matériel de la deuxième moitié du Ille s. (Tetricus) mais pouvant aller jusqu'à l'époque de Constantin 18.

On voit que ce qui précède oriente plutôt vers la deuxième moitié (et même le troisième quart) du Il le s. Je ne connais pas -pour le moment- d'exemplaires paraissant à l'évidence du IVe s., sauf peut-être pour des fragments sans déversoir, proches des écuelles Chenet 323 très tardives, mais présentant des grains de quartz à l'intérieur, trouvés à Herbeville (Yvelines) 19

et qu'Henri Leredde a bien reconnu comme originaires de Jaulges-Villiers-Vineux.

Quant à la diffusion de ces mortiers, 93 exemplaires concourent à l'établir (Fig. 2). Comme pour Gueugnon, cette diffusion est particulièrement importante dans la région . Mais plus encore ici dans une zone proche du site de production : 40 ex. dans l'Yonne, 25 en Côte­d'Or (dont 21 à Vertault, distant de 40 km), 3 dans la Nièvre, 2 en Saône-et-Loire, soit 70 au total. Restent 23 pour l'extérieur, chiffre inférieur à celui donné précé­demment pour Gueugnon ; mais le chiffre total est également moins élevé. Ces chiffres ne reflètent que pour partie les faits que l'on souhaiterait connaître; ils sOnt aussi fonction de l'état de mon information, elle­même liée au nombre des fouilles et prospections effectuées et à l'importance des sites concernés. Quoi­qu'II en soit, la carte qui traduit cette documentation montre, en dehors de la diffusion locale, une diffusion principalement dans le bassin de la Seine, en Seine-et­Marne en particulier et au-delà : vers Paris, Pitres (Eur~), Senlis, Chalons-sur-Marne, avec une pointe vers le Pas-de-Calais ; des pointes également vers l'est : Besançon, Augst et vers le sud-ouest: Cognac (Charente). Ce n'est pas négligeable, d'autant qu'en ce qui COncerne la dernière direction citée, la plus loin­taine, ~lIe est confirmée par quelques exemplaires d'écueil!!)!? Chenet 323 notés sur des sites de Vendée et des D~lJx-Sèvres.

Ce qui me frappe davantage cependant, c'est le contraste existant, me semble-t-i!, entre cette diffu­sion relativement limitée, au stade actuel de l'infor­mation du moins, et l'abondance extraordinaire des découvertes sur le site de production (et cela princi­palement en prospections de surface) : plus de 300 exemplaires (dont 121 pour le type le plus abondant, en 4 variétés). Il me semble qu'il y a là une anomalie, que je serais tenté d'expliquer -à titre de proposition­par une interruption brutale de l'activité de l'atelier, par

une catastrophe, telle que l'invasion de 275-276. Les découvertes numismatiques attestent à coup sûr

une occupation importante jusqu'à la fin du IVe s. au moins. La question serait alors de savoir avec quelles productions céramiques et peut-être dans quelles régions du site?

3. Bourbon-Lancy (?). Lors d'une fouille de sauvetage en 1986, J.-C. Notet

a trouvé, parmi un important matériel de production de figurines, un fragment de Drag. 45 avec relief-déversoir du type de Lezoux ayant connu la plus large diffusion, manifestement mécuit, qui avait fait supposer une pro­duction sur place. Bien qu'on n'en ait pas eu de confir­mation ultérieure, le caractère particulier de cette pièce me laisse penser que l'idée ne peut en être complète­ment écartée.

Il. LES SITES DE CONSOMMATION

ET LEURS SOURCES D'APPROVISIONNEMENT

Après avoir fait le point de l'activité des centres de production bourguignons dans le domaine des mortiers Drag. 45, il importe de donner des indications sur les sites de consommation et leurs diverses sources d'approvisionnement.

Le nombre de ces sites, ou plutôt des communes intéressées (mentionnées ci-après lorsqu'elles ont fourni plus de 5 pièces) estde 54 : 21 pour l'Yonne (avec Escolives-Sainte-Camille et La Chapelle-Vaupeltei­gne), 16 pour la Saône-et-Loire (avec Autun et sa région comptés pour 1, faute de précisions sur cer­taines provenances, et Pierre-de-Bresse), 9 pour la Côte-d'Or (avec Vertault, Alésia, Nuits-Saint­Georges/Les Bolards et Mâlain), 8 pour la Nièvre (avec Entrains). Le nombre des exemplaires corres­pondants connus s'élève à 284 au total : 59 pour l'Yonne, 76 pour la Saône-et-Loire, 131 pour la Côte­d'Or, 18 pour la Nièvre.

Dans l'ensemble, Gueugnon et Jaulges-Villiers­Vineux sont prépondérants, mais d'une façon très iné­gale géographiquement : Gueugnon en Saône-et­Loire avec 58 ex., soit 76 % du total, et en Côte-d'Or 72 ex., soit 52 %, mais respectivement 7 et 3 ex. dans l'Yonne et la Nièvre ; Jaulges-Villiers-Vineux avec 41 ex. dans l'Yonne, soit 69 % et 26 ex., soit 20 % en Côte-d'Or, mais respectivement seulement 3 et 2 ex. dans la Nièvre et la Saône-et-Loire.

Quels sont donc les autres fournisseurs: l'Argonne tout d'abord avec 36 ex., soit 12,6 %, y compris certains ex. dont l'origine n'est que très probable (par la matière et le style), mais dont 10 ex. sont de types bien connus du IVe s. (Fig. 3) ; la Gaule centrale avec 24 ex., soit 8 %, Lezoux (19 ex., dont 6 dans l'Yonne et 7 dans la Nièvre), Toulon-sur-Allier (4) et Terre-Franche (1) (Fig. 4) ; l'atelier savoyard de Portout-Conjux20 enfin,

16 M. LENOBLE, Céramique sigillée provenant d'un entrepôt à Chalons-sur-Marne, dans S.F.E.C.A.G., Actes du congrès de Reims, 19B5, p. 73-77, pl. l, fig . 1-

17 Op. cit. à la note 13, p. 7 -B, fig. 1 et 2.

1B Lettre de J.-B. Devauges (1972).

19 Fouille de notre collègue du CRAVF, Philippe Simon ; publication en préparation.

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Page 8: LES MORTIERS DRAG. 45 EN BOURGOGNE - Freesfecag.free.fr/ACTES/1996_181-188_Mitard.pdf · 2019. 8. 9. · LES MORTIERS DRAG. 45 EN BOURGOGNE limitée, leur objectif ayant un caractère

P.-H. MITARD

avec en Saône-et-Loire 2 ex. certains (région d'Autun et Châtenoy-le-Royal), 1 probable (Saint-Rémy) et 2 autres plus hypothétiques (Pierre-de-Bresse)21, mais aussi en Côte-d'Or, 1 ex. certain à Nuits-Saint­Georges/Les Bolards22 (Fig. 4).

Restent quelques exemplaires dont le lieu de produc­tion est encore inconnu, représentés en Bourgogne par 2 ex. à Vertault, comme à Alésia~J)our un type et 1 ex. encore à Vertault pour un autre ,2 autres, de types différents, à Autun. Leurs caractéristiques particulières ne permettent pas une attribution; il faut donc attendre d'autres découvertes sur des sites d'ateliers pour connaître leur origine précise, qui pourrait bien se situer en Bourgogne, étant donné leur rareté ailleurs.

CONCLUSION

Tels quels, les renseignements qu'apportent les Drag. 45 sur la diffusion des divers ateliers qui les ont produits ne sont pas sans intérêt, tant à l'exportation qu'à l'importation, pour la région considérée. Bien que propres à cette forme particulière, on peut imaginer qu'ils reflètent dans une mesure assez large l'impor­tance de la part de marché des ateliers en cause sur

N.B.

un plan plus général. La présence des ateliers bourgui­gnons a dû limiter, dans leurs environs, les importations de Gaule centrale et d'Argonne. Leurs exportations ont en revanche atteint des points assez éloignés, de façon cependant plus marquée pour Gueugnon que pour Jaulges-Villiers-Vineux. Le développement de ce der­nier centre de production, probablement un peu décalé dans le temps par rapport à celui du premier, a dû être arrêté dans son essor par l'invasion franque de 275-276, qui a très probablement également touché aussi celui de Gueugnon: l'exceptionnel dépôt de moules auquel on a fait allusion peut en être un témoignage.

Si les découvertes du IVe s. à Jaulges-Villiers-Vineux montrent une reprise importante de l'occupation à cette époque, les mortiers Drag. 45 ne semblent plus y être fabriqués (si ce n'est de façon beaucoup plus limitée et sous une forme abâtardie). On a en revanche dans la région des témoignages d'importations argonnaises et savoyardes.

Il serait intéressant de voir si ces observations sont également valables, comme on peut l'imaginer, pour les autres formes céramiques issues des ateliers en question24. C'est là une direction de recherche pour qui voudra bien quelque peu la suivre.

L'auteur de cette communication continue d'accueillir avec intérêt toute information sur cette forme de céramique; à défaut des pièces originales, les fouilleurs peuvent lui adresser moulage en plâtre ou photo (avec échelle centimétrique) de la partie caractéristique, avec renseignements sur le contexte ; ils recevront en échange toutes informations utiles sur l'origine et la datation de leurs découvertes.

* * *

20 Voir P.-H. MITARD, Les mortiers Drag. 45 de l'atelier céramique de Portout-Conjux (Savoie), dans J. et C. PERNON, Les potiers de Portout, suppl. 20 à la Revue Archéologique de Narbonnaise, Paris, 1990, p. 200-211 et pl. XLIII à XLV.

21 P.-H. MITARD et C. ALEGOET, Les terrines à déversoir Drag. 45 dans l'Est de la Saône-et-Loire, dans Revue Archéologique de l'Est, XXVI, 1975, p. 217-226, nOs 9 à 11 .

22 Repéré lors de la visite du site et du dépôt de fouilles par les membres du Congrès sous la conduite de Mlle C. Pommeret : exemplaire caractérisé par sa matière proche de celle de Jaulges-Villiers-Vineux, mais avec un relief informe et une forme du bord particulière.

23 Op. cit. à la note 9, nOs 8 et 9.

24 On a noté avec intérêt que les observations faites à l'égard des céramiques de Jaulges-Villiers-Vineux en lIe-de-France par nos collègues D. Morize et J.-M. Séguier rejoignent celles faites pour les Drag. 45 de cette origine.

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