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Les liaisons enseignement/recherche/industrie dans les pôles technologiques français J.-J. Chanaroriy J. Perrin^ B. Rujfieux L E présent article est issu de la synthèse d'un pro- gramme de recherche intitulé « caractérisation des relations recherche-industrie : le rôle de la polarisation géographique dans la compétitivité des industries pro- ductiques nationales ». Ce programme, réalisé pour le compte de deux organismes, a été articulé autour de deux études complé- mentaires. La première, supportée par le Service d'études du secrétariat général pour les affaires régionales de la préfecture de la région Rhône-Alpes et intitulée « genèse et fonaionnement des complexes technologiques orientés vers la productique », était explicitement limitée à une comparaison entre les technopô- les de la ZIRST de Meylan, et plus généralement de la région gre- nobloise, et de Gôteborg en Suède. La seconde recherche, réalisée pour le programme AMES — Automatisation et mutations économiques et sociales visait à élargir la réflexion à l'articulation entre des relations recherche- enseignement-industrie qui seraient spécifiques des nouvelles technologies de production rassemblées pour la suite de cet article sous le vocable de productique d'une part, et, d'autre part, la compétitivité, l'efficacité de la branche industrielle corres- pondante, en cours de formation et de structuration tout en se concentrant géographiquement dans des pôles spécialisés. Le prograrmne de recherche repose sur un ensemble d'hy- pothèses complémentaires. La première hypothèse centrale sti-

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Les liaisons

enseignement/recherche/industrie

dans les pôles

technologiques français

J.-J. Chanaroriy J. Perrin^ B. Rujfieux

L E présent article est issu de la synthèse d'un pro­gramme de recherche intitulé « caractérisation des relations recherche-industrie : le rôle de la polarisation géographique dans la compétitivité des industries pro­

ductiques nationales ». Ce programme, réalisé pour le compte de deux organismes, a été articulé autour de deux études complé­mentaires. La première, supportée par le Service d'études du secrétariat général pour les affaires régionales de la préfecture de la région Rhône-Alpes et intitulée « genèse et fonaionnement des complexes technologiques orientés vers la productique », était explicitement limitée à une comparaison entre les technopô­les de la Z I R S T de Meylan, et plus généralement de la région gre­nobloise, et de Gôteborg en Suède.

La seconde recherche, réalisée pour le programme AMES — Automatisation et mutations économiques et sociales — visait à élargir la réflexion à l'articulation entre des relations recherche-enseignement-industrie qui seraient spécifiques des nouvelles technologies de production — rassemblées pour la suite de cet article sous le vocable de productique — d'une part, et, d'autre part, la compétitivité, l'efficacité de la branche industrielle corres­pondante, en cours de formation et de structuration tout en se concentrant géographiquement dans des pôles spécialisés.

Le prograrmne de recherche repose sur un ensemble d'hy­pothèses complémentaires. La première hypothèse centrale sti-

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pule que les technologies relevant de la « productique » ont un contenu scientifique fort, relativement aux technologies tradi­tionnelles (et qui relèvent de la « mécanique »), transdisciplinaire et à évolution rapide. La polarisation géographique de compétences scientifiques de haut niveau, par le biais des labora­toires publics, peut être alors analysée comme un facteur favo­rable, voire indispensable à la genèse et au fonctionnement de complexes industriels spécialisés et à la création et la croissance d'entreprises « hightech » innovantes et compétitives tant aux niveaux national qu'international.

La multidisciplinarité implique une confluence de compétences et donc l'existence de plusieurs unités d'enseigne­ment et de recherche, elles-mêmes entretenant entre elles des relations structurées. La réduction des délais entre la recherche et l'application de ses résultats rend en quelque sorte permanente la liaison recherche-industrie, cette forme de valorisation, plus fré­quente et plus rapide que par le passé, ayant tendance à effacer les frontières traditioimeUes et la division du travail entre recherche fondamentale, recherche appliquée, développement, ingénierie, études, activités de production des biens d'équipement et indus­tries utilisatrices.

L'hypothèse d'une spécificité « scientifique et technique » de la productique, par rapport aux phases antérieures de mécani­sation et d'automatisation des activités de production, est donc centrale, tant pour la caractérisation de la branche que pour analyser et expliciter le phénomène contemporain de polarisa­tion géographique et qui recouvre, a priori, toutes les expérien­ces de technopôles, de la « Route 128 » et la « Silicon Valley » aux Etats-Unis à la Z I R S T de Meylan, aux pôles productiques Nord-Pas-de-Calais et de Saint-Etienne et aux « science parks » britanniques.

La productique n'est, certes, ni la seule ni la première acti­vité industrielle à entretenir d'étroites relations avec la produc­tion de connaissances scientifiques mais elle paraît être caractéri­sée par des relations plus systématiques et plus intenses. EUe est marquée par un recours généraUsé à des procédures ex ante d'analyse scientifique, notarmnent mathématique — modéUsa­tion, analyse combinatoire, algorithmique, informatique...— alors que les modes et techniques antérieurs de mécanisation et d'automatisation de la production sont caractérisés par une approche séquentieUe, intégrative et expérimentale. La concep­tion de biens d'équipement paraît aujourd'hui relever d'une démarche plus « scientifique », au sens où eUe est déductive — des concepts théoriques à l'appUcation pratique — alors qu'eUe était plus empirique dans les phases précédentes.

Une seconde hypothèse pose les relations recherche-industrie pour la productique comme également spécifiques parce qu'eUes ne sont pas médiatisées par des biens ou services formaUsés et donc banaUsés, objets d'un échange anonyme sur un marché organisé. Cette spécificité, Uée à une « personnaUsa-tion » des relations entre les producteurs de connaissances scien­tifiques et techniques et ceux qui les appUquent à des biens d'équipements industriels, amène à poser les hypothèses complémentaires d'un nécessaire rapprochement géographique des entreprises et des laboratoires et d'une attention coUective, volontariste et durable à porter à la genèse et à la promotion de teUes relations. C'est dire, en d'autres termes, la nécessité d'un fort interventionnisme pubUc (de l'Etat et des coUectivités locales et territoriales).

La troisième hypothèse fondamentale de la recherche sti­pule que, dans le contexte d'un secteur d'activité productive qui émerge simultanément dans tous les grands pays industriaUsés et d'un marché qui a d'emblée une dimension mondiale, la maîtrise

de cette double spécificité — de scientificité, d'une part, de per-sonnaUsation, d'autre part — est à même de fonder, pour une part non négUgeable, la compétitivité des industries productiques nationales.

Le programme de recherche a été basé sur l'analyse de cinq cas de complexes technologiques orientés vers la productique — la Z I R S T de Meylan, les pôles productiques Nord-Pas-de-Calais et de Saint-Etienne et Sophia-AntipoUs en France et Gôte­borg en Suède — pour définir les conditions de leur émergence, la nature et l'intensité des relations recherche-industrie au sein du complexe et avec l'extérieur, les technologies constituant leur « domaine d'exceUence » propre.

Le présent article, qui privUégie l'hypothèse de la spécificité des relations recherche-enseignement-industrie, est articulé autour de trois points :

• L'analyse, d'une part, des origines scientifiques et techni­ques des nouveUes technologies de production, posant l'hypo­thèse d'une fiUation logique entre disciplines.

• D'autre part, l'identification et l'analyse.des relations entre les centres de recherche et les entreprises industrieUes, à partir des cinq cas de pôles technologiques retenus.

• Enfin, le repérage et l'analyse des relations interindustriel­les étabUes par les entreprises de productique.

1. LA HLIATION SCIENTMQUE DE LA PRODUCTIQUE

La productique impUque simultanément plusieurs discipU-nes scientifiques et techniques, des mathématiques et de l'infor­matique fondamentales à la mécanique et à l'électronique appU-quées (schéma).

1,1, Les outils théoriques fondamentaux a. L'analyse des processus séquentiels doit beaucoup aux

progrès l'optimisation combinatoire ou analyse algorithmi­que. Définie comme la recherche de modèles d'analyse de cir­cuits et de plans ramenés à un ensemble de formes géométriques, cette discipline permet la construction de modèles théoriques descriptifs d'ensembles de flux et de relations. EUe est donc tout à fait adaptée pour traiter des problèmes industriels d'ordonnance­ment, c'est-à-dire la gestion et la régulation de flux de matières ou de pièces et de placement, et le positionnement d'outUs et l'exé­cution d'opérations.

L'analyse algorithmique, déjà ancienne puisque ses princi­pes ont été étabUs dans les années 30, a pris son réel essor grâce aux ordinateurs de grande capacité (mémoires et vitesse d'exécu­tion des calculs). La description de flux et de relations est digitaU-sée pour produire des algorithmes traduits dans des programmes informatiques. Dans l'industrie, ces programmes pUotent les automates des machines pour lesqueUes Us ont été conçus. Les algorithmes, présentés en logiciels, constituent un modèle théo­rique représentatif d'un phénomène physique aléatoire.

b. Proches de l'analyse combinatoire, les réseaux de Pétri et le G R A F C E T permettent d'analyser et de spécifier le fonction­nement de systèmes séquentiels et donc de programmer la commande de machines et de systèmes de machines. Comme l'analyse algorithmique, la théorie des réseaux de Pétri relève des mathématiques.

c. L'informatique fondamentale est également, à travers ses principaux centres d'intérêt, un des fondements de la produc­tique.

Par le biais de l'élaboration de nouveaux langages de pro­grammation et de nouveaux logiciels de base, eUe a contribué à l'émergence de la robotique, de la conception assistée par ordina-

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teur ( C A O ) et de l'intelligence artificielle (analyse et traitement de scènes visuelles, génération de plans d'actions, reconnaissance et synthèse de sons...).

Par ses applications à la gestion de bases de données, l'in­formatique a assuré le développement des systèmes d'assistance par ordinateur aux fonctions de dessin graphique, de diagnostic et de maintenance, etc., c'est-à-dire aux systèmes d'analyse par confrontation en temps réel de mesures instantanées à des infor­mations préalablement emegistrées (schémas théoriques ou évé­nements passés).

Le C A O intervient certes en amont du processus de pro­duction stricto sensu mais sa maîtrise est de plus en plus détermi­nante, la conception étant souvent un préalable nécessaire à l'au­tomatisation des opérations de fabrication.

1,2. Les outils issus des sciences appliquées a. L'électronique — conception de composants, architec­

ture de systèmes, instrumentation — est une des principales bases scientifiques des nouvelles technologies de production. Pour la conception de composants, les disciplines impliquées sont d'une part la physique des matériaux pour applications magnétiques, diélectriques et semi-conducteurs et principalement la physique des surfaces (interfaces métal/semi-conducteurs, caractérisation de matériaux...) et la métallurgie physique (analyse des cristaux conducteurs) et plus en aval la cristallogenèse, la métallurgie des poudres et le traitement des surfaces ; d'autre part, la micro­électronique àonl l'objet est la création de circuits internes et autres composants de base (les dispositifs C M O S submicroni-ques ou les transistors en couche mince, par exemple), de cap­teurs (les détecteurs photovoltaïques, par exemple), de mémoi­res à bulles magnétiques ou d'écrans de visualisation (les écrans plats à cristaux liquides, par exemple).

L'élaboration et la production de composants électroni­ques ont des retombées pratiques immédiatement utilisables par l'industrie de la productique : circuits intégrés siKcium, mémoi­res, dispositifs optiques de visualisation, connectique, cap­teurs..., la complexité des disciplines et des techniques en jeu ren­dant le plus souvent concomitante aux travaux de recherche pro­prement dits la mise au point des machines pour la fabrication des composants.

La construction de systèmes électroniques et d'instrumen­tation appelle les compétences de la visionique, du traitement du signal et de la parole, de l'intelligence artificielle, de l'optique, de la magnétométrie et de la métrologie. Elle débouche sur des applications scientifiques, médicales et en milieux hostiles (nucléaire, chimie, recherche et exploitation des fonds sous-marins, espace). Ses applications industrielles relèvent de la robo­tique et du contrôle non destructif (détection et dispositifs d'ima­gerie, vision, reconnaissance de formes...).

h, L'électrotechnique et l'électromécanique, bases initia­les de la précédente phase de mécanisation, restent des composantes importantes pour le développement de la produc­tique. Elles impliquent des recherches théoriques en modélisa­tion et simulation numériques des phénomènes électromagnéti­ques et des recherches plus appliquées sur les matériaux pour l'électrotechnique, sur les machines électriques et particulière­ment les moteurs et les convertisseurs, les capteurs, les action-neurs et systèmes de commandes.

L'électrotechnique, se préoccupant principalement de la partie « puissance » des moteurs électriques — capteurs, systè­mes électriques, actionneurs — a pour objectif le contrôle et l'as­servissement du mouvement des parties mobiles des machines et des robots. Elle englobe également l'électronique de puissance.

c. Les champs d'investigation de l'électrotechnique sont

désormais très proches de ceux de l'automatique : capteurs, ins­trumentation (mesure et mémorisation), commandes et action­neurs. Ils constituent des éléments essentiels de l'automatisation des opérations de production.

1,3, Une nécessaire pluridisciplinarité Chercheurs et industriels spécialisés semblent unanimes

pour considérer que la productique ne constitue pas une disci­pline scientifique autonome.

Par contre, ils estiment qu'elle forme un ensemble de tech­niques dont le développement est inévitablement pluridiscipli­naire. Ce que confirme partiellement l'intérêt porté à la roboti­que et à l'automatisation d'installations en continu ou d'ateliers flexibles par les laboratoires de recherche fondamentale en mathématique et en informatique ou par les laboratoires qui ont acquis historiquement des compétences dans plusieurs des disci­plines incriminées.

Les progrès de la productique, liés donc à une interpénétra­tion des disciplines scientifiques, semblent également associés à un effacement des frontières, posées un peu artificiellement, entre les différents niveaux d'abstraction de la recherche (recherche fondamentale/recherche appliquée/développement) et à un abandon du caractère séquentiel du processus de recher­che/développement. Tout semble se passer comme si ce proces­sus devait être atemporel pour être réellement efficace, la majo­rité des scientifiques accordant la priorité à la concentration spa­tiale des compétences et des moyens, à la simultanéité des tra­vaux de recherche et à l'organisation, voire l'institutionnalisation de leur coordination. C'est le cas de l'Institut de la machine intel­ligente et du GIS Productique mis en place à l'initiative des prin­cipales unités d'enseignement et de recherche de Grenoble. C'est un des objectifs et une des fonctions des pôles productiques Nord-Pas-de-Calais et de Saint-Etienne, structures établies par les pouvoirs publics au niveau central, relayés par les acteurs administratifs, universitaires et économiques régionaux et locaux. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, le pôle apparaît comme le moyen d'une tentative de fédération et de mise en cohérence des capacités d'enseignement et de recherche jusque-là dispersées, voire concurrentes. Des regroupements forcés ont été opérés pour rapprocher géographiquement des laboratoires de disciplines différentes : il en est ainsi, par exemple, de deux laboratoires du C N R S — en automatique et en informatique — rassemblés au sein du Centre régional de recherche en producti­que de Lille.

De même, le comité scientifique et technique du pôle de Saint-Etienne regroupe les représentants de divers laboratoires, universités-, instituts, grandes écoles et centres techniques de la région Rhône-Alpes qui porte intérêt aux nouvelles technologies de production. Des rapprochements géographiques de compétences et de moyens sont également en cours en des lieux communs de travail, les Maisons de la productique de Saint-Etienne et de Roanne.

La forme et l'intensité des relations interdisciplinaires sont loin d'être figées. Les disciplines « dominantes » de la producti­que ont été longtemps l'élearonique et l'automatique dans une phase d'applications tous azimuts et pour lesqueUes le critère d'opérationaUté immédiate était primordial. Il semblerait que, dans la période récente, l'informatique et les mathématiques soient beaucoup plus soUicitées, la complexité des problèmes théoriques à résoudre étant accrue.

Si dans les trois régions administratives françaises concer­nées — Nord-Pas-de-Calais, Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes — la totaUté du spectre des disciplines scientifiques est cou­verte par les sous-systèmes locaux d'enseignement et de

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SCHÉMA

MATHÉMATIQUE INFORMATIQUE PHYSIQUE

ANALYSE ALGORITHMIQUE RÉSEAU DE PÉTRI

LANGAGES ARCHITECTURE BASE DE LOGICIELS SYSTÈMES DONNÉES

MATÉRIAUX

AUTOMATIQUE ÉLECTROTECHNIQUE ÉLECTRONIQUE

CAPTEURS INSTRUMENTATION

MOTEURS COMMANDES

ACTIONNEURS

MATÉRIAUX COMPOSANTS

SYSTÈMES

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

VISIONIQUE CONNECTIQUE MÉCANIQUE

COMMUNICATION GRAPHIQUE TRAITEMENT DU SON

TRAITEMENT DE L'IMAGE

HYDRAULIQUE THERMOHYDRAULIQUE

MACHINES SPÉCIALES

C A O CFAO AUTOM ATISMES ROBOTIQUE CENTRES D'USINAGE

PRODUCTIQUE

G.P.A.O. SYSTÈMES INFORMATIQUES INTÉGRÉS

ATELIERS FLEXIBLES

PRODUCTIQUE

recherche, il l'est très inégalement et, en général, par des labora­toires ou des unités d'enseignement géographiquement dispersés et qui n'entretiennent que très rarement des relations de coopéra­tion.

Seule l'agglomération grenobloise dispose d'un ensemble de laboratoires publics — C N R S , C E A , universités, écoles supé­rieures d'ingénieurs — couvrant l'essentiel des disciplines scienti­fiques qui concourent à la productique. A l'exception de la méca­nique, que scientifiques et industriels locaux considèrent comme insuffisamment développée, c'est même plutôt en termes de domaines d'excellence que se positionne la recherche greno­bloise. Chaque grand domaine implique plusieurs unités d'ensei­gnement et formations de recherche. Si elles se trouvent parfois en concurrence sur des appels d'offres nationaux, elles parvien­nent le plus souvent à collaborer sur des programmes ou des pro­jets communs, y compris par des réponses conjointes aux appels d'offres.

Dans les régions Nord-Pas-de-Calais et Provence-Côte d'Azur, il n'y a pas de ville universitaire présentant aussi nette­ment que Grenoble une pluri-compétence scientifique. Le pôle productique Nord-Pas-de-Calais n'a pas abouti à une concentra­tion géographique des compétences : il a plutôt cherché à les répartir le plus équitablement possible entre les différentes uni­versités et grandes écoles d'ingénieurs. Ce morcellement spatial, déjà ancien, a été entériné, voire aggravé par les opérations concrètes mises en place par le pôle et s'avère ainsi peu propice à la « fertifisation » croisée recherche/enseignement/industrie qu'implique la pluridisciplinarité et qui est au centre des discours politico-administratifs sur les pôles technologiques. Sophia-Antipolis est certes à proximité des universités de Nice, Marseille et Aix-en-Provence, mais les établissements et laboratoires d'en­seignement et de recherche sont là aussi très dispersés, les désa­vantages inhérents à cette dispersion étant, en outre, renforcés par une concurrence dont il semble y avoir peu d'équivalent en France.

2 . LES RELATIONS UNIVERSITES-ENTREPRISES

La fréquence, l'intensité et la qualité des relations entre la recherche et l'industrie sont, en général, considérées comme des déterminants essentiels de la genèse et du développement des pôles technologiques. C'est, globalement, le point de vue explici­tement exprimé par l'ensemble des acteurs impliqués, c'est-à-dire par les représentants des laboratoires universitaires, des entreprises et des administrations nationales ou locales compétentes. Cette opinion apparaît relever plus du jugement de valeur et de la profession de foi que d'une analyse argumentée des réalités quotidiennes et du fonctionnement des pôles. Elle s'avère en tout état de cause délicate à vérifier et à défendre pour le champ réduit de la productique et surtout d'une région à l'autre.

D est possible de retrouver entre, d'une part, les filiales des grands groupes industriels et les P M E innovantes concernées par les nouvelles technologies de production et, d'autre part, le sys­tème de l'enseignement et de la recherche, la totafité des situa­tions possibles de relations scientifiques et techniques :

a. Les relations d'échanges informationnels par le biais des publications et des contacts personnels formels (enseignement) ou informels (visites, réunions...).

^. Les prestations de services de type courant, objet de relations contractuelles et finançant des opérations de recherche, de développement (construction de prototype, essais, brevets et licences), de formation...

c. Les associations en joint venture visant les opérations de longue durée à gros budget impliquant éventuellement le labora­toire de recherche dans la phase d'industriaHsation.

A l'évidence, ces trois catégories génériques de relations recherche-industrie ne sont spécifiques ni de l'industrie produc­tique ni des pôles technologiques de par leur simple existence. Elles interviennent tout autant pour d'autres secteurs d'activités

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— les industries chimiques et sidérurgiques, par exemple — et vers des régions ou des zones industrielles traditionnelles. Mais ces relations prennent un caractère spécifique par leur permanence, voire pour nombre d'observateurs, par leur caractère indispen-

. sable, par leur intensité et, surtout, par les modes privilégiés de leur éclosion et de leur mise en œuvre, basées, le plus souvent, sur des relations informelles interpersonnelles et amicales entre ingénieurs ou scientifiques issus des mêmes écoles et des mêmes universités.

2.1. Les relations informationnelles Cette forme primaire de relations recherche-industrie est

celle qui domine largement dans les cinq agglomérations ou régions étudiées, ne serait-ce que parce qu'elles sont les plus faci­les à étabHr et à entretenir. Mais leur fréquence, leur intensité et, finalement, leur efficacité varient beaucoup d'un pôle à l'autre.

C'est encore Grenoble qui se distingue en la matière princi­palement parce que la population régionale des cadres scientifi­ques et techniques est, pour une large partie, constituée d'anciens élèves de l'Institut national polytechnique ( INPG), de l'Univer­sité scientifique et médicale et de l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs en électrotechnique et radio-électricité ( E N S I E R G ) . C'est ainsi que 1 500 anciens de l ' INPG exercent leur activité professionnelle dans l'agglomération grenobloise (dont 300 chez Merlin Gérin et 150 au Centre d'études nucléai­res — C E N G ) sur les 13 000 recensés par l'administration de l'Institut. Les créateurs d'entreprises de la Z I R S T de Meylan sont pour la plupart issus des mêmes écoles et facultés. Ce qui explique l'intensité des échanges scientifiques et techniques sur la base de relations d'échange très personnalisées. Ces échanges sont le plus souvent informels intervenant à l'occasion — soute­nance de thèses, rencontres amicales... — et très exceptionnelle­ment au cours de réunions ou de séminaires spécialement organi­sés. Les « nouveaux » P. -D. G. de la Z I R S T restent très attachés à leur structure universitaire d'origine par principe mais aussi par intérêt, recrutant leurs collaborateurs à l'issue de travaux de recherche universitaires cohérents avec leurs objectifs techniques et/ou industriels et qu'ils contribuent éventuellement à diriger et à juger. La fréquence des contacts est tout à fait remarquable et ils sont unanimement présentés comme nécessaires et fructueux. Certains dirigeants de P M E de la Z I R S T , les considérant comme à la base même du développement de leurs activités, leur consacrent une part significative de leur emploi du temps. Et comme du côté des laboratoires universitaires, la « valorisation » et les relations recherche-industrie sont à l'ordre du jour, il n'est pas étonnant de constater une intensification des échanges infor­mationnels et la prolifération d'initiatives visant à les institution­naliser. C'est le cas, notamment, de l'Atelier interuniversitaire de produaique promu par l ' INPG et l'Université scientifique et médicale de Grenoble I.

Dans la région Nord-Pas-de-Calais, les acteurs concernés tendent à pallier la relative faiblesse des relations recherche-industrie par leur prise en charge institutionnelle et leur formali­sation. Il semble que la création du pôle productique ait été le révélateur d'une évolution « en profondeur » des mentalités tant des universitaires que des industriels locaux qui admettent désor­mais l'importance pour l'économie nationale en général et pour le tissu industriel régional en particulier, d'une part de la valorisa­tion des résultats de la recherche publique par des transferts de technologie de la recherche à l'industrie et, d'autre part, de la professionnaHsation des enseignements. Les universités régiona­les ont ainsi mis en place des structures-relais chargées de rendre crédibles aux chefs d'entreprises, et de promouvoir, les compétences des chercheurs, l'utilité de leurs travaux de

recherche tant fondamentale qu'appliquée, les perspectives offertes par l'embauche de jeunes diplômés... Ces structures-relais ont également pour mission de drainer des informations en provenance des entreprises pour l'enrichissement des program­mes d'enseignement et de formation.

L'établissement par les universités et écoles d'ingénieurs du Nord d'un réseau régional de C A O / C F A O pour permettre aux PME d'accéder à la connaissance et à la maîtrise de ces technolo­gies est un second exemple d'expérience réussie de formalisation des relations informationelles. La création de l'Association « Vil-leneuve-d'Ascq Technopôle » visant, entre autres objectifs expli­cites, une dissémination à l'intérieur même du tissu urbain de lieux d'interface et de connivence recherche-industrie, constitue le troisième volet de la stratégie de formalisation adoptée par les acteurs du pôle productique Nord-Pas-de-Calais.

Une des ambitions initiales ayant présidé à la création de Sophia-Antipolis a été l'idée selon laquelle unités de recherche et d'enseignement et entreprises industrielles peuvent et doivent former, grâce à la concentration géographique, un tissu dense et innovateur parce que, mobilisant compétences et énergies, il fait profiter chaque unité constitutive d'effets de synergie les renfor­çant mutuellement. Mais à Sophia-Antipolis, la proximité géo­graphique n'a pas encore pu paUier l'absence d'une forte et lon­gue tradition d'enseignement et de recherche. Quelques réu­nions dites de « fertilisation croisée » sont organisées mais elles rassemblent une majorité de cadres supérieurs des grandes entre­prises implantées sur le pôle sans provoquer d'intérêt particulier de la part des universitaires et scientifiques régionaux. Ces réu­nions ont, en outre, acquis peu à peu un statut récréatif et perdu une partie de leur utilité.

La stratégie des animateurs du pôle de Saint-Etienne, sou­cieux de bénéficier de la proximité des centres universitaires et scientifiques d'excellence que sont Lyon et Grenoble, est articu­lée sur une formalisation des relations recherche-industrie qui est intégrée au niveau régional pour éviter les risques de duplication ou de mise en concurrence. Cette stratégie vise, en quelque sorte, à baser l'efficacité des relations recherche-industrie sur un relatif effacement des intérêts et ambitions purement locales. Elle reconnaît habilement la « supériorité » scientifique et technique des universités, écoles et laboratoires des deux autres villes uni­versitaires « rhônalpines », l'institutionnalisant au sein du comité scientifique et technique de l'Association régionale pôle produc­tique mais impliquant fortement lesdits laboratoires et universi­tés au profit des objectifs industriels purement locaux et auprès des entreprises stéphanoises et roannaises.

Le rôle des pouvoirs pubfics dans la promotion des rela­tions informationnelles est évidemment loin d'être négligeable. Outre l'implication des plus hautes autorités politiques et admi­nistratives nationales dans la définition et le choix des pôles ins­crits au programme national de la productique, en l'occurrence Saint-Etienne et la région Nord-Pas-de-Calais, les pouvoirs publics tendent à jouer pleinement dans le sens d'un renforce­ment et d'une codification des échanges informationnels entre l'industrie et le système de l'enseignement et de la recherche dont ils assument finalement l'essentiel en termes de définition d'ob­jectifs et de financement.

Il en est ainsi de l'impulsion donnée aux structures de valo­risation et de transfert de technologie dans les grandes institu­tions nationales en charge de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée : C N R S , I N R A , C E A , I N S E R M , M Œ -MER.. . Le C N R S , par exemple, a doté sa Direction de la valori- . sation du statut de direction scientifique et accru substantielle­ment ses attributions — y compris dans le domaine de la promo-

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tion individuelle des chercheurs et ingénieurs — et ses moyens. D en est également ainsi de la Ûbéralisation-dérégulation

opérée en 1985 en matière de législation sur les cumuls de rému­nération des chercheurs, désormais autorisés, voire même inci­tés, à participer à temps partiel à la création d'une entreprise ou à accepter le statut de consultant. Le problème de la perception des droits sur licences et brevets a aussi été résolu dans un sens favo­rable aux scientifiques.

D en est encore ainsi des incitations financières aux stages d'étudiants et d'ingénieurs dans les-entreprises et des bourses C I F R E qui se situent à la frontière entre les relations d'échanges d'informations et les opérations contractuelles qui donnent à des relations recherche-industrie un objectif de production d'une marchandise (produit ou logiciel) spécifique. Il s'agit bien dans les deux cas d'une opération de transfert de connaissances et d'informations mais avec des espoirs de retombées concrètes pour l'entreprise qui accueille un chercheur en son sein ou qui finance pour moitié le travail d'un chercheur dans un laboratoire. La participation de l'entreprise à la définition du thème de recherche est à même de garantir son intérêt pour la formule. Les exemples de « fertilisation croisée » par ces voies-là ne manquent pas. Toutes les grandes écoles d'ingénieurs ont rendu obligatoi­res les stages en milieu industriel et tendent de plus en plus à don­ner la priorité aux entreprises locales et régionales.

C'est ainsi que les seize écoles d'ingénieurs de la région Nord-Pas-de-Calais ont statutairement réservé aux responsables de l'industrie régionale des sièges au sein de leur conseil d'admi­nistration. Elles ont également décidé de promouvoir une politi­que d'assistance destinée explicitement aux P M E et développé des structures de transfert de technologie qui ont pour mission de favoriser les recrutements de leurs élèves en fin de stage.

C'est ainsi qu'à Grenoble, et entre autres exemples, Matra Datavision finance un chercheur sur la C A O et la reconnaissance de forme et X - C O M , une P M E de la Z I R S T de Meylan, un ingé­nieur sur le développement d'un terminal graphique intelligent auprès du Laboratoire d'informatique et de mathématique appli­quée ( IMAG). Quant à l'entreprise La Télémécanique, elle offre à des étudiants-chercheurs du Laboratoire d'électrotechnique de l ' E N S I E R G des contrats C I F R E sur des logiciels de fabrication de contacteurs, sa principale spécialité.

2.2 Les relations contractuelles C'est dans les régions grenobloise et lilloise que le recours à

ce second type de relations recherche-industrie est le plus cou­rant et le plus massif. A Saint-Etienne, de telles relations ne sem­blent pas encore pratique courante, sans doute à cause du carac­tère traditionnel des activités industrielles de la filière métal-mécanique et de l'atomisation des centres de décision, le tissu industriel local étant constitué d'une majorité de P M E en situa­tion de sous-traitance et aux moyens financiers très réduits. A Sophia-Antipolis, l'implantation des établissements de grandes entreprises ne répondant pas à une démarche prioritairement destinée à la promotion d'un rapprochement recherche-indus­trie mais plutôt à des incitations politiques, administratives ou commerciales, les relations ont été maintenues et poursuivies, lorsqu'elles préexistaient à la délocalisation à Sophia-Antipolis, avec d'autres centres universitaires, le plus souvent situés en région parisienne.

Dans les régions Rhône-Alpes et Nord-Pas-de-Calais, les relations de type contractuel établies entre des entreprises et des laboratoires publics de recherche sont en fait pratique ancienne. Ce qui constitue une nouveauté, et qui leur confère de ce fait un caractère de spécificité, c'est, d'une part, une certaine focalisation sur des problèmes de production industrielle et, de plus en plus.

d'automatisation des processus de production séquentiels et, d'autre part, leur nombre croissant, des montants financiers uni­taires en nette augmentation et leur fréquent renouvellement ou prolongement. Tout semble se passer comme si les problèmes techniques d'automatisation des processus productifs étaient devenus à la fin des années 70 et au début des années 80 le goulet d'étranglement pour un nombre croissant d'entreprises indus­trielles, ainsi poussées à se tourner vers les compétences scientifi­ques et techniques des laboratoires publics de recherche-déve­loppement et à réorienter leur poKtique scientifique en leur assi­gnant de nouvelles priorités par le biais de financements contrac­tuels. Il y avait alors — et il y a toujours — totale convergence d'in­térêts, le coût croissant des équipements de recherche, notam­ment des systèmes informatiques, et de leur fonaionnement, poussant les laboratoires à trouver des financements complé­mentaires à ceux octroyés par leurs organismes de tutelle.

Mais les relations contractuelles restent de nature et sur­tout d'intensité différentes selon la taille du cocontractant indus­triel. Avec les PME, et notamment celles implantées dans les pôles technologiques, zones d'innovation, et autres satellites, incubateurs et nurseries, l'établissement de relations avec des laboratoires est difficile à réaliser du fait de l'étroitesse de leurs moyens financiers et de leur inexpérience de la gestion des rela­tions avec l'Université. Celles qui parviennent à s'insérer dans un réseau de relations marchandes sont celles qui sont les plus importantes et qui présentent les résultats économiques les plus satisfaisants. Il est permis de penser que cette efficacité est, pour une partie du moins, imputable à une telle insertion. C'est A I D (Assistance industrielle dauphinoise), une entreprise de la Z I R S T de Meylan, qui constitue le meilleur exemple pour illustrer et confirmer cette hypothèse. A I D entretient des relations très étroites avec la plupart des laboratoires grenoblois de l ' INPG, du C N R S (l ' IMAG en particulier) et des universités et écoles d'ingé­nieurs (notamment les laboratoires d'automatique et d'électro­technique de l 'ENSIERG) , faisant explicitement de la coopéra­tion Université-industrie, sanctionnée financièrement au profit des deux partenaires, un des vecteurs privilégiés de sa croissance.

Les relations contractuelles entre laboratoires et entrepri­ses peuvent être de plusieurs formes :

a. La cession de licences d'exploitation en échange du ver­sement de royalties.

Cette pratique, relativement nouvelle et récente, qui, pour l'instant du moins, semble concerner seulement Grenoble, paraît être un nouveau moyen de générer et de stabiliser les relations recherche-industrie, tout en offrant aux unités de recherche une nouvelle source de revenus financiers et aux entreprises une nou­velle forme de produit à commercialiser. C'est le cas notamment de la relation entre le C N E T (Centre national d'études des télé­communications) et la P M E APSIS de la Z I R S T de Meylan pour le logiciel Cassiopée et de la relation entre l ' IMAG et l ' INPG et ITMI, une autre P M E de la Z I R S T , sur le langage L M de pro­grammation des automates programmables et des robots. Les revenus tirés de la commercialisation du langage L M et de Cas­siopée comptent pour une part non négligeable du chiffre d'affai­res des deux entreprises et rapportent des royalties substantielles aux laboratoires d'origine.

b. Les contrats bilatéraux de commande de recherche-développement passés à une structure de recherche par une entreprise.

Pour les grands laboratoires grenoblois, les commanditai­res sont, le plus souvent, de très grands groupes industriels fran­çais ou étrangers : les plus fréquemment cités sont Elf, Bull, SNIAS, Siemens, IBM, D E C , Texas Instrument, Shell, Matra,

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Bata, Renault, Crouzet... et, le cas échéant, d'organisations pro­fessionnelles : C E T I M , C T P , ITF. . . Ce sont plus rarement des groupes (ou des filiales de groupes) localement implantés tels que Merlin Gérin, La Télémécanique, Thomson, Hewlett Packard.

L'examen détaillé des listes de contrats d'études et d'assis­tance technique issus d'entreprises industrielles et gérés par les universités et écoles d'ingénieurs de la région Nord-Pas-de-Calais amène à penser qu'elles sont beaucoup plus préoccupées que les laboratoires grenoblois de répondre aux demandes des entreprises régionales. Ces entreprises appartiennent à tous les secteurs traditionnels de la région : la sidérurgie (Usinor, notam­ment), de la mécanique (les Ateliers de Mécanique de Valencien-nes et Outinord, par exemple), du matériel ferroviaire, de l'in­dustrie textile (Snootie, entre de nombreux exemples), de l'agro-alimentaire, des machines (pour le textile, évidemment, mais aussi pour l'électronique et l'agro-alimentaire). Ces entreprises sont souvent des filiales locales des grands groupes industriels français : la Française de mécanique et SEIV-Renault automation (groupe Renault) ; Spie-Batignolles, Vallourec, Câbles de Lyon (groupe C G E ) , etc. Les laboratoires régionaux ont également beaucoup plus de contrats financés par les PME et en collabora­tion — y compris financière — avec les grandes agences technolo­giques nationales, notamment l'Agence pour le développement de la production automatisée (ADEPA) et l'Agence nationale pour la valorisation de la recherche (ANVAR) , avec des organi­sations interprofessionnelles, principalement les chambres de commerce et d'industrie locales et régionales, ou professionnel­les, l'Institut textile de France par exemple.

c. Les contrats de partenariat scientifique et technique impliquant l'exécution en collaboration du travail de R - D .

Ce type de contrat reste encore aujourd'hui très peu fré­quent. Son caractère de nouveauté et les difficuhés, notamment administratives et financières de sa gestion, semblent encore rebuter les meilleures volontés. A Grenoble, le cas le plus exem­plaire est celui de l'étude d'un système flexible automatique de découpe du bois de chêne et de façonnage d'éléments de mobilier qui associe l ' IMAG, la Scop Aima qui en est issue. Option et AID. Option assume la maîtise d'oeuvre et la saisie des informa­tions. Aima et l ' IMAG l'algorithme, c'est-à-dire le programme de conduite et A I D la construction de la machine.

A Saint-Etienne, les deux seuls exemples de coopération formalisée entre laboratoires de recherche et entreprises indus­trielles en sont encore au stade du projet en négociation et relè­vent tous de cette troisième catégorie. Il s'agit d'un projet de « machine visionnique » regroupant les entreprises locales spé­cialisées, essentiellement Angénieux, les équipes universitaires stéphanoises compétentes et une entreprise extérieure, en l'oc­currence une PME de la Z I R S T de Meylan, ITMI, en partie contrôlée par Hewlett Packard ; et d'un projet de « transitique » (manutention assistée par ordinateur pour un système associant un transstockeur, un robot préhenseur et un logiciel de gestion), impliquant aux côtés du pôle productique les entreprises métal­lurgiques locales par le biais du Syndicat métallurgique patronal de la Loire, la D A T A R (par le biais de l'Association développe­ment industriel de la Loire) et les laboratoires stéphanois ; ces mêmes acteurs ont présenté un troisième projet coopératif, encore peu précis, visant l'adaptation des outillages de produc­tion en mécanique aux nouveaux matériaux.

23. Les relations de programmes Il s'agit d'opérations associant des laboratoires publics et/

ou universitaires et des entreprises pour des collaborations scien­tifiques et techniques de long terme, pour ne pas dire quasi orga­niques et quasi permanentes et sanctionnées par des budgets

importants. Ce type de relations recherche-industrie semble encore

concerner exclusivement la région grenobloise. EUes impUquent fatalement des investissements lourds, souvent uniques en France, voire en Europe, la concentration géographique étant, en la matière, une contrainte inéluctable (indivisibiUté technique, exceUence scientifique, pluridiscipUnarité...).

Il en est ainsi des relations du L E T I ( C E A - C E N G ) avec Thomson, relations pour lesqueUes a été créée une structure appropriée, EFCIS , qui a été un Heu d'attraction pour de nom­breux personnels du L E T I . EFCIS a aussi confié à l ' INGP d'im­portants contrats de recherche et entretient d'étroites relations avec le C N E T . Il en est également ainsi des relations de l ' IMAG et de l ' INPG avec quelques grandes entreprises teUes que Elf, SheU, Pechiney, Télémécanique, Hewlett Packard, Crouzet... et des relations entre le C N E T et Thomson et Matra (circuits inté-grés).

La construction du Synchrotron et les différents grands programmes —notamment Ara et Eurêka— devraient être à l'avenir des facteurs importants d'intensification des relations de programme entre laboratoires et entreprises industrieUes. Mais ce type de relations concerne en priorité les grandes entreprises disposant de l'expérience et des moyens matériels et humains de gestion de gros budgets et n'a donc pas de ce fait de caractère régionaUste marqué. Ce qui ne signifie pas pour autant que les PMI de la Z I R S T en soient exclus d'autorité. Mais U est clair que si eUes ne peuvent pas prétendre jouer un rôle leader, eUes pour­ront néanmoins en bénéficier mais en sous-traitance, voire, mais très rarement, en association lorsque leur domaine d'exceUence sera tout à fait déterminant.

Le rôle fédérateur de compétences et de moyens assigné expUcitement par leurs promoteurs aux pôles productiques qui, de fait, contribuent directement au financement d'opérations à moyen et long terme, peut permettre de considérer de teUes opé­rations comme relevant de la catégorie des relations de pro­gramme.

2.4. Les relations d'essaimage direct L'essaimage direct, défini comme la création d'entreprises

par des élèves, des enseignants ou des chercheurs d'universités ou de grandes écoles d'ingénieurs dans la mouvance géographi­que et scientifique, c'est-à-dire sur des produits ou services issus de leurs travaux académiques, est une stratégie qui a la faveur des promoteurs des pôles technologiques déjà étabUs et des multiples projets en cours de développement en France (mais aussi partout en Europe). Quelques cas de création d'entreprises innovantes par des cadfes scientifiques de grandes entreprises (chercheurs ou ingénieurs), en rupture vis-à-vis de leur employeur antérieur ou, dans certains cas, avec son appui financier, peuvent être assi-mUés à la catégorie de l'essaimage.

Inspirée des expériences américaines — à Boston (Route 128) et en Californie (SiUcon VaUey), bien sûr, mais aussi à proxi­mité, lorsque ce n'est pas sur les campus universitaires eux-mêmes, de toutes les autres grandes universités — et britanniques — les célèbres « Science Parks » développés autour des universi­tés de Cambridge, de Birmingham (Aston), de Warrington (Birchwood), de Manchester, de Warwick, etc. —, cette forme de transfert du système de la recherche vers l'industrie concerne par nature les PME. Ce qui n'empêche nuUement ces P M E de pros­pérer : c'est ainsi qu'aux Etats-Unis, certaines de ces PME ont pu devenir par la suite des entreprises importantes, voire des grou­pes multinationaux, quittant les Ueux de leur naissance ou n'y conservant qu'un étabUssement.

A Saint-Etienne, une seule des entreprises des deux « satel-

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lites nurseries » — sur huit entreprises au total — en l'occurrence un bureau d'études de logiciels, a été créée par un chercheur de l'Ecole des mines. A Sophia-Antipolis, les P M E innovantes sont peu nombreuses — six tout au plus selon le dernier recensement de l'administration du pôle — mais l'Ecole des mines qui, depuis sa décentralisation de Paris à Nice, mène une politique de créa­tion et de resserrement des liens recherche-industrie, est à l'ori­gine de quatre créations de PME spécialisées sur les nouvelles technologies — Consultant, SIGMA, Everscop et Technoption — sur le parc de Sophia-Antipolis.

Les nombreux milieux « incubateurs » que se propose de mettre en place le pôle productique Nord-Pas-de-Calais — parmi lesquels se distinguent la Maison de l'entreprise et des technolo­gies nouvelles (Marcq-en-Barœul), le Centre de formation et de perfectionnement d'Haumont, le Centre d'études et de recher­ches technologiques de l'Artois, les Maisons de l'innovation près du campus de Villeneuve-d'Ascq (1986) et à Valenciennes (1988) avec leur six ou huit «ruches» ou «espaces-relais» décentralisés — ont explicitement pour mission de donner une formalisation spatiale aux relations d'essaimage direct. Comme ces structures ne sont pas encore réellement opérationnelles, il n'y a pas de cas d'entreprise témoignant de cette orientation sinon quelques P M E spécialisées dans les services informatiques et disséminées dans le tissu urbain de Villeneuve-d'Ascq.

A Grenoble, les grands laboratoires et écoles d'ingénieurs — notamment le C E N G (et ses différentes unités constitutives telles que le L E T I ) , l ' INPG (et ses différents laboratoires), l 'EN­S I E R G et l'Université scientifique et médicale — ont adopté une politique d'essaimage direct — création d'entreprises par des élè­ves, des enseignants ou des chercheurs — plus ou moins explicite, avec des degrés d'engagement, y compris financiers, variables selon les institutions et dans le temps.

Le C E A / C E N G , par exemple, se place formellement en position d'offreur de technologies dans ses domaines d'excel­lence — en l'occurrence l'électronique, la métallurgie, la ther­mohydraulique et la cryogénie — et se déclare officiellement dis­posé à réaliser des transferts à des unités qu'il contribuerait à par­rainer. A la création sur base interne de filiales industrielles — comme Framatome et Innovation thermique — et aux sociétés en joint-venture — comme EFCIS avec Thomson —, le C E A a récemment ajouté l'initiative d'une « aire de transfert de techno­logie » qui reproduit en quelque sorte mais à petite échelle le modèle classique des technopôles. Il s'agit là d'une zone d'acti­vité mutante spécialisée sur le transfert à l'industrie de résultats acquis par le C E A , les entreprises étant incitées à quitter la zone une fois le transfert opéré (ou échoué).

Contrairement au C E N G et au L E T I dont à ce jour peu de créateurs de PMI grenobloises sont issus, l ' INPG fonde sa politi­que de développement des relations recherche-industrie sur la création directe d'entreprises par des élèves et des chercheurs de l'institution et en poussant explicitement à leur installation sur la Z I R S T de Meylan. Cette politique est déjà ancienne puisque l ' INPG est à l'origine de Mors, entreprise d'informatique cédée ensuite à La Télémécanique puis à la Sems et pour finir à Bull. Ce sont d'ailleurs des « déçus » de la cession à la Sems qui fondent les premières entreprises de la Z I R S T — X C O M , Option, Influx... L ' INPG se considère comme créateur de près de 40 entreprises de la Z I R S T sur 135 entreprises au total, toutes activités confon­dues.

La nouvelle législation des universités et écoles l'autorisant depuis juin 1985, l ' INPG envisage désormais la création de filia­les en venture capital.

Quant aux nouvelles structures mises en place à l'initiative

de l ' INPG — l'Institut de la machine intelligente (IMI) pour la recherche fondamentale et appliquée et le Groupement d'intérêt scientifique GIS Productique pour les opérations de développe­ment et la construction d'un atelier interuniversitaire de produc­tique — elles sont susceptibles d'accroître encore le poids régional relatif de l'institut et les opportunités d'essaimage des PMI.

Le laboratoire d'automatique est également à l'origine de PMI implantées à proximité et créées par des chercheurs du labo­ratoire : RSI sur la Z I R S T , mais aussi D.Log à Saint-Martin-d'Hères, Alliance Automatisme à Grenoble, Adaptech à Saint-Ismier.

2.5. L'Etat, un partenaire omniprésent Les relations recherche-industrie sont fatalement contrô­

lées par les administrations publiques et les grandes agences (ADI) , soit du simple fait de l'exercice de leur tutelle sur les labo­ratoires universitaires ou publics (CEA, C N R S , C N E T ) , soit parce qu'elles gèrent des financements (ponctuels ou par grand programme interposé). Les laboratoires bénéficient de la prise en charge de salaires et de frais de fonctionnement et directement de contrats de R - D , financements qui diminuent d'autant le tarif de facturation aux cocontractants industriels. Les entreprises ou les organismes professionnels participent de leur côté à une course effrénée aux contrats de recherche ou de développement (ATP, appels d'offre, opérations de gré à gré...) quitte à les faire exécuter ensuite en sous-traitance par des laboratoires universitaires.

Sur le terrain politico-administratif, si la présence des pou­voirs publics s'avère beaucoup moins « visible » à Grenoble et à Sophia-Antipolis malgré leur engagement financier, ils ont joué le rôle moteur principal pour les deux pôles productiques Nord-Pas-de-Calais et de Saint-Etienne créés dans le cadre du Pro­gramme national de la productique, lancé en 1982 à l'initiative de L . Fabius, ministre de l'Industrie, et inscrit au I X ' Plan. Outre une dotation financière importante de l'Etat — 80 millions de francs (MF) en 1985 en Lille, 125 M F pour 1986 ; 31 M F à Saint-Etienne pour 1985 et 1986 — l'intervention des pouvoirs publics se manifeste dans le fonctionnement quotidien des pôles par la présence de représentants des D R I R (Directions régionales de l'industrie et de la recherche), de la D A T A R , de l 'ANVAR, des C R I du ministère de l'Education nationale, de la Direction de la valorisation du C N R S , etc., dans les diverses instances décision­nelles. A Grenoble, les autorités administratives locales ont contribué à la Z I R S T de Meylan sur le plan foncier surtout — pour inscrire la zone au schéma d'aménagement de l'espace de la commune de Meylan — sans que leur présence apparaisse avoir été l'élément déterminant.

Par contre, les pouvoirs publics s'avèrent étonnamment discrets sur le terrain réglementaire — à l'exception du déblocage sur les cumuls de rémunérations des chercheurs universitaires, de l'autorisation donnée aux instituts et laboratoires de participer au fmancement de PMI et d'en percevoir un juste revenu. En fait, bien qu'omniprésentes, les interventions du pouvoir politique ou administratif, national, régional ou local se font finalement sans ostentation. Tout se passe comme s'il existait un absolu consen­sus autour d'une nécessaire autonomie des relations recherche-industrie, la non-intervention garantissant leur efficacité et leur pérennité.

3. LES RELATIONS INTERINDUSTRIELLES

Les relations qu'entretiennent les entreprises implantées dans les pôles technologiques avec d'autres entreprises — leurs fournisseurs et leurs clients — sont de forme et d'intensité très variables d'une région ou d'une ville à l'autre et d'une entreprise à

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l'autre. Ces différences ont des origines historiques — liées dans ce cas au poids régional ou local relatif des activités traditionnel­les — ou purement sectorielles — imputables alors à la nature même des nouvelles technologies produites (hardware ou soft­ware, matériels ou logiciels, composants ou équipements assem­blés...).

Les pôles technologiques de Saint-Etienne, de la région Nord-Pas-de-Calais, de Nice Sophia-Antipolis et de Grenoble-Meylan ont pour caractéristique commune le fait que la plupart des entreprises spéciaKsées sur les nouvelles technologies pro­ductiques limitent leurs compétences et leurs produits à la conception, assumant souvent le transfert du système de la recherche à la sphère industrielle, et au montage de prototypes, de machines spéciales ou de machines et robots en très petite série et à la conception de logiciels et autres services informati­ques, de maintenance notamment.

3.1. Les relations d'approvisionnement Les fournisseurs des entreprises relevant de la branche pro­

ductique sont issus de la mécanique (usinage), de la construction métallique (mécanosoudure), de la construction électrique et électronique et de la conception de logiciels. Sur les deux pre­miers domaines, il n'y a pas de polarisation géographique de la sous-traitance.

A Saint-Etienne, où l'industrie est pourtant historique­ment spécialisée sur les activités de sous-traitance de la filière métal-mécanique, il n'y a pas eu d'effet d'entraînement lié au développement de l'industrie productique dans la région Rhône-Alpes. Cette spécialisation semble même plutôt jouer comme un obstacle à l'essor strictement local de la productique du fait de la faiblesse des moyens financiers des entreprises locales, de leur dépendance vis-à-vis des grands donneurs d'ordres, de leur tra­ditionnel immobilisme technologique, de la relative faiblesse des niveaux des qualifications ouvrières...

Les composants électroniques standards sont acquis sur le marché international dominé par les grandes multinationales américaines (Motorola, Texas Instrument, Intel...). Il en est de même des unités de calcul où dominent Digital Equipment et IBM. Le câblage et la fabrication des cartes électroniques sont réalisés soit par des P M E géographiquement proches — lorsqu'il s'agit de cartes utilisant des composants de série — ou lointaines, localisées indifféremment en France ou à l'étranger — lorsqu'il s'agit d'applications très spécifiques.

Quant aux logiciels, ils sont soit conçus par les laboratoires universitaires ou publics locaux, soit par l'entreprise pour ses propres besoins, soit par une autre entreprise par convention de sous-traitance.

Bien que la proximité géographique du fournisseur soit souvent décrite comme nécessaire, non pour des raisons de coûts de transport liés aux livraisons mais pour minimiser les distances — ce qui revient aussi à minimiser les coûts de transport — et favoriser la permanence des contacts personnels, la plupart du temps informationnels pour la conception en collaboration de la pièce ou du composant à livrer, les quatre pôles technologiques français étudiés ne semblent pas constituer des « systèmes » industriels intégrés cohérents pouvant se suffire à eux-mêmes.

Saint-Etienne apparaît plus comme un pôle industriel dont la spécialisation sur la filière métal-mécanique est un réel handi­cap et pour lequel les hiérarchies intrarégionales limitent, voire bloquent, toute prétention de polarisation sur les techniques pro­ductiques. Le cas de Grenoble constitue une parfaite illustration des dilfîcultés rencontrées pour régionaliser l'industrialisation et la production en série de produits conçus et développés locale­ment. L'image d'une région très performante pour la recherche

et le développement, relativement efficace pour la réalisation de prototypes et d'exemplaires probatoires de présérie mais inca­pable d'assurer le passage au stade de la production industrielle, reçoit une approbation quasi unanime. La structuration en PME n'est certes pas étrangère à de telles.difficultés. Mais les grandes entreprises régionales n'en ont pas pour autant décidé (du moins à ce jour) de prendre des initiatives sur des produits issus de PME de la ZIRST.

Sophia-Antipolis donne plutôt l'image d'une concentra­tion d'unités prestigieuses — Ecole des mines (de Paris), Digital Equipment, SNIAS, Thomson, C G E , etc. — sur une zone indus­trielle de « haut de gamme », dans un site agréable et à rayonne­ment international confirmé.

Quant à la région Nord-Pas-de-Calais, la dispersion, pour ne pas dire le saupoudrage, géographique des entreprises ne faci­lite pas non plus le fonctionnement de l'industrie régionale comme système. Les spécialisations industrielles historiques — mines, sidérurgie, textile, mécanique lourde — ne sont pas cel­les requises pour les nouvelles technologies de production. Seule la concentration de moyens financiers importants dans le cadre des politiques successives d'aides aux régions en conversion a permis, mais très artificiellement, d'attirer des entreprises de la filière électrique-électronique-informatique et des services asso­ciés. Et encore faut-il souligner qu'il s'agit le plus souvent d'éta­blissements de grandes entreprises —Renault, Bull, etc. — en position de donneur d'ordres et non pas de sous-traitance.

3.2. Les relations entre les PME des pôles technologiques Les relations entre entreprises qui se sont implantées sur les

pôles technologiques sont soit de concurrence stricte en termes de produits et de clients ; soit de simple bon voisinage ; soit, mais très exceptionnellement, de complémentarité en association sur des opérations de recherche-développement ou de fabrications communes.

Les pôles productiques de Saint-Etienne et de la région Nord-Pas-de-Calais sont des créations trop récentes pour que des analyses pertinentes puissent être formulées sur cette ques­tion. La dispersion géographique des lieux et zones d'implanta­tion et de concentration d'entreprises de productique interdit même d'attribuer au pôle productique, notion administrative par excellence, le qualificatif de « technopôle ».

A Sophia-Antipolis, les PME ne sont pas nombreuses et n'entretiennent entre elles aucune relation organisée, étant, en outre, exclues de fait des réunions dites de «fertilisation croisée », en lesquelles P. Lafitte, le promoteur enthousiaste du pôle, plaçait beaucoup d'espoirs pour que Sophia-Antipolis fonctionne comme tissu dense, créatif et mobilisateur, comme système cohérent.

En réalité, seul le cas de la Z I R S T de Meylan apparaît signi­ficatif tant quantitativement que qualitativement.

Pour de nombreux industriels, la concurrence entre les PME de la Z I R S T est forte tant sont proches leurs domaines d'activité, à tel point que les synergies et la fécondation récipro­que des entreprises qu'était censée produire la Z I R S T (Associa­tion AIZ, restaurants...) ne peuvent plus jouer. La Z I R S T se rap­proche ainsi d'une zone industrielle classique où les rapports res­tent impersonnels et l'anonymat la règle de fonctionnement, tout en s'en distinguant. La concentration spatiale de compétences identiques est déjà en soi une caractéristique tout à fait spécifique du pôle et elle s'accompagne d'un climat de concurrence aiguë qui peut aller dans quelques cas jusqu'à des soupçons d'espion­nage industriel. La protection de la confidentialité des résultats et des produits et la course aux contrats publics sont devenues au fil des ans un des problèmes majeurs des entreprises de la Z I R S T .

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Quelques entreprises n'en restent pas moins persuadées de l'existence d'avantages de proximité et de l'intérêt d'entretenir des relations de bon voisinage, notarmnent au cours des phases de démarrage des nouvelles entreprises : échanges d'informa­tions administratives, facilités de secrétariat et de moyens de fonctionnement logistique, cycles de formation communs... Sur ce plan, la Z I R S T n'est certes pas un exemple de structure orga­nisée pour gérer efficacement un collectif de P M E mais elle reste cependant un pôle attractif pour de nombreuses entreprises.

L'existence de relations scientifiques, techniques ou indus­trielles entre PMI de la Z I R S T constitue des exceptions. Il s'agit le plus souvent de relations de sous-traitance de spécialité portant sur des logiciels et parfois des sous-ensembles électroniques (car­tes). Les entreprises de mécanique et de construction métallique implantées sur la zone de Meylan sont évidemment très sollici­tées pour fournir pièces et équipements de structure pour les sys­tèmes (machines spéciales, robots...) montés par les P M E de la productique. Mais elles ne semblent ni suffisarmnent nombreu­ses ni suffisamment compétentes pour traiter de toutes les demandes qui émanent de la Z I R S T .

Quant aux relations des grandes entreprises nationales de la fifière productique —Renault Automation, C I T Alcatel, Thomson, C G E , etc. — avec les entreprises de la zone, elles sont réduites et toujours limitées aux plus dynamiques des PME (ITMI, AID) , aux grands laboratoires implantés sur place ( C N E T ) où à leurs propres filiales scientifiques, industrielles ou commerciales (HP, Merlin Gérin, April...). Les groupes implan­tés dans la proche région grenobloise — M G , HP, Crouzet, Als­thom Atlantique (Scemi), C I T Alcatel — privilégient manifeste­ment les relations scientifiques avec les unités de recherche, soit pour de simples échanges informationnels soit par des contrats.

Ce qui distingue un pôle technologique d'une zone indus­trielle et qui constitue en quelque sorte sa principale fonction, c'est un ensemble de relations spécifiques qui se nouent en son sein entre recherche, formation et industrie.

Ces relations spécifiques se distinguent des relations d'échanges marchands classiques : ces dernières ne mettent en relation deux agents qu'à travers un produit (bien ou service) échangé. Une relation spécifique nécessite au contraire un rap­port direct d'agent à agent, de personne à personne, non média­tisé par un produit, mais rapport constitutif, permissif d'un échange ultérieur de produit.

D u fait de la filiation scientifique nouvelle et renforcée des activités dites à « haute technologie », ces relations spécifiques apparaissent comme essentielles pour la constitution de nou­veaux produits, de nouveaux procédés de production, mais aussi, semble-t-il, de nouvelles entreprises prenant en charge ces activités.

Essentielles, ces relations spécifiques ne sont pas pour autant générées d'une manière spontanée. Leur existence est même, en quelque sorte, contre nature, dans la mesure où les rapports de concurrence tendent à dominer tous les autres dans les rapports inter-entreprises. D'où la nécessité d'une interven­tion externe pour nouer ces liens, mais aussi d'unités publiques, notamment du côté de la recherche et de l'enseignement et, les expériences américaines le montrent, de grands projets mobilisa­teurs.

Les relations spécifiques sont censées « organiser » les uni­tés entre elles et, conséquence indirecte, rendre plus difficile toute forme de concurrence externe de nouveaux entrants, cherchant à s'introduire hors réseau -constitué. Le pôle technologique doit alors prendre le statut d'organisation en tant que telle et non d'un simple regroupement d'organisations, même si cette méta-orga-

nisation n'est pas réellement institutionnalisée. H semble que, pour exister, les relations spécifiques doivent être constituées, au moins stimulées et en tout cas souhaitées par les parties prenan­tes. Certes, la proximité géographique est une condition favo­rable à l'éclosion de relations spécifiques denses, mais cette proxi­mité s'avère à l'expérience non suffisante à leur épanouissement. Sur la Z I R S T de Meylan par exemple, c'est la provenance mas­sive des cadres et chercheurs des écoles d'ingénieurs locales qui joue le rôle de catalyseur des relations spécifiques. Cette prove­nance commune entraîne, en effet, confiance, langage et mode de raisonnement partagés, sens de l'appartenance, attitude homo­gène vis-à-vis de l'extérieur, souci de développement global que l'on a peine à retrouver sur le site de Sophia-Antipolis. L'implica­tion forte et multiforme des industriels dans la formation greno­bloise ne se retrouve pas à Sophia, ni en volume, ni en termes d'importance attachée par les intéressés des deux bords.

Il est évident que, de ce point de vue, l'absence d'une tradi­tion d'enseignement et de recherche est un lourd handicap pour Sophia-Antipolis et à Saint-Etienne. Ce handicap fait que, malgré les velléités multiples, Sophia-Antipolis fonctionne plus comme zone industrielle haut de gamme que véritablement comme pôle technologique et que l'expérience stéphanoise soit pratiquement condamnée à l'avance à respecter les hiérarchies intrarégionales. Quant au pôle lillois, l'éparpillement des centres de décision — plusieurs universités et grandes écoles, plusieurs « zones » technologiques, de nombreuses entreprises, plusieurs administrations locales... — aux « quatre coins » d'un vaste terri­toire, constitue un handicap d'une autre nature, mais tout aussi prégnant, à l'émergence et à l'épanouissement des relations recherche-enseignement-industrie que toutes les parties prenan­tes — dans la région Nord-Pas-de-Calais comme ailleurs — s'ac­cordent pourtant pour juger importantes, voire indispensables pour le développement et la compétitivité de l'industrie produc­tique.

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