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Jacques Aben Les Enjeux Economiques de la Politique de Sécurité Colloque académique Montpellier 15 mars 2017

Les Enjeux Economiques de la Politique de Sécuritécache.media.education.gouv.fr/.../0/J._Aben_Enjeux_170307_739350.pdf · l’ordonnanceportant organisation générale de la défense,

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Jacques Aben

Les Enjeux Economiques de

la Politique de Sécurité

Colloque académique – Montpellier 15 mars 2017

Commentaire

Le choix de l’image résulte du souhait de revenir à

l’étymologie. En effet il apparaît que le terme « enjeu » tend à

être employé à tort et à travers.

Il en va de même pour « sécurité », notamment dans l’emploi

qu’en font les autorités de la défense, qui ont tendance à

confondre le but recherché et les moyens employés pour y

parvenir.

ENJEU, subst. masc.

« Ce que l'on risque dans un jeu et qui doit, à la fin de la partie,

revenir au gagnant. »

B.− P. ext. Ce que l'on peut gagner ou perdre dans n'importe

quelle entreprise. L'enjeu de la guerre ; être l'enjeu de, avoir pour

enjeu :

www.cnrtl.fr

SÉCURITÉ, subst. fém.

A. − 1. État d'esprit confiant et tranquille qui résulte du

sentiment, bien ou mal fondé, que l'on est à l'abri de tout danger.

Commentaire

Comment identifier les « enjeux » de la sécurité, sinon en allant

chercher dans les documents officiels qui traitent de sécurité ? Le

plus évident est évidemment d’abord le code de la défense, même

si le code pénal doit aussi être considéré, comme on le verra plus

loin.

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Code de la défense - Article L1111-1 (legifrance.fr)

La stratégie de sécurité nationale a pour objet d'identifier

l'ensemble des menaces et des risques susceptibles d'affecter la vie

de la Nation…

… notamment en ce qui concerne la protection de la population,

l'intégrité du territoire et la permanence des institutions de la

République…

… et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y

apporter.

Enjeux

Commentaire

Il est aisé de voir que la sécurité, en tant qu’objectif à atteindre au profit des

intérêts de la nation, est elle-même un enjeu de ce qui est en réalité une stratégie

ou une politique… de sécurité. Donc le titre de la communication aurait dû être

« Les enjeux économiques de la stratégie de sécurité ».

Il faudrait ajouter qu’une ambiguïté pèse sur l’emploi du terme « défense ». Dans

l’ordonnance portant organisation générale de la défense, du 7 janvier 1959, il

désignait le moyen « d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre

toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la

vie de la population ». Il s’agissait donc d’une défense globale.

Mais on n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour aller jusqu’au bout de cette logique

en assurant une vraie coordination entre les ministères « chargés de la défense »

(armées, intérieur, affaires étrangères et finances) pour assurer un « continuum »

entre l’action extérieure et l’action intérieure.

C’est pourquoi le livre blanc de 2008 a inventé la « stratégie de sécurité » qui

prétend remplacer la « défense » (globale) de 1959. Aujourd’hui la « défense »

est confinée au traitement des agressions armées.

Quoi qu’il en soit, la distinction que marque le texte précédent appelle une étude

en deux parties qu’indique la prochaine diapositive.

1 - Les intérêts économiques à défendre

2 - Les enjeux économiques de la défense

Plan

Code pénal

Livre IV : Des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique

Titre Ier : Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation

Article 410-1.

Les intérêts fondamentaux de la nation s'entendent au sens du présent

titre…

30 octobre 1940

Commentaire

On a vu plus haut une petite liste des intérêts à défendre, donnée par le

code de la défense. Le discours de Pétain fait référence à un intérêt que

l’on pourrait qualifier de « fondamental », aujourd’hui encore : assurer

l’unité de la nation, face à l’érosion du « vouloir vivre ensemble ».

En revanche, le choix de collaborer avec l’ennemi d’hier pour justement

exclure – de manière radicale et définitive – une partie de la population,

qu’elle soit de nationalité française ou méritant un statut de réfugié, était

un crime, comme cela a été jugé par la Haute Cour de justice.

Voilà une bonne transition pour voir du côté du code pénal une liste

exhaustive des « intérêts fondamentaux » de la nation, dont la protection

incombe à la justice pénale.

1 - Les intérêts économiques à défendre

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Les intérêts

fondamentaux

de la Nation

L’indépendancel’intégrité du

territoire

?

Clipperton

!

Commentaire

L’îlot de Clipperton est inhospitalier, aucun Français n’y réside. Pourtant la

France y tient. Outre l’héritage de l’histoire, la raison en est qu’il offre une

zone économique exclusive quasi équivalente à la superficie de la

métropole. Or, dans cette zone, il y a des ressources halieutiques mais aussi

des ressources minières avec des nodules polymétalliques. Certes il n’est

pas possible de les collecter aujourd’hui, mais demain…

On peut néanmoins se demander pourquoi l’Etat juge utile de faire

manifester la souveraineté française sur ce territoire par des cérémonies qui

peuvent apparaître surréalistes.

C’est qu’en fait il faut régulièrement rappeler aux Mexicains qu’il ne leur

appartient pas et que le drapeau mexicain n’a rien à y faire, eux qui n’en

sont qu’à un peu plus de 1000 km. Les Britanniques ont cher payé le fait

d’avoir oublié cette simple réalité aux Falklands, en 1982.

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Les intérêts

fondamentaux

de la Nation

L’indépendancel’intégrité du

territoire sa sécurité

VA = 201 G€

Pib = 2181 G€Pib/t = 31 416 €

2015

VA = 55,3 G€

VA = 94,9 G€

VA = 24,6 G€

VA = 57,2 G€

?

Commentaire

La sécurité du territoire a pour image, aujourd’hui, les sentinelles de

l’opération… Sentinelle. C’est une opération coûteuse, non seulement

financièrement, mais aussi par la ponction sur des militaires qui ont bien

d’autres missions.

Mais elle vient contribuer à ce « sentiment de tranquillité » qui fait que les

Français peuvent vaquer aux activités qu’ils choisissent.

C’est cette sécurité qui fait que l’on fréquente les cafés, restaurants et hôtels

suscitant ainsi une activité de production (valeur ajoutée par la branche* : 57

milliards d’euros). Il en va de même pour toutes les branches, et la somme de

leurs valeurs ajoutées donne le produit intérieur brut (augmentée des impôts

et diminuée des subventions sur les produits). Le PIB par tête donne une idée

du niveau de vie de la population, traduction économique du terme « vie »

utilisé pour la définition de la stratégie de sécurité.

* la branche est l’agrégat des unités de production offrant exclusivement un produit donné, alors

que le secteur est l’agrégat des unités de production offrant principalement un produit donné. Le

second a une traduction juridique, l’entreprise, mais pas la première qui n’est qu’un artefact

comptable.

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Les intérêts

fondamentaux

de la Nation

L’indépendancel’intégrité du

territoire sa sécurité

la forme républicaine

des institutions

la sauvegarde de sa population,

en France et à l’étranger,

10,8 G€

Groupe Bolloré

42 G€

Areva

149 G€

Total

Commentaire

Une ressortissante française exfiltrée de chez elle, à Bouaké, vers le 22

septembre 2002.

Mais ce sont tous les « expats » qui contribuent, à l’étranger, à la réalisation

du chiffre d’affaires* des entreprises françaises :

Le groupe Bolloré, délégataire de l’administration du port d’Abidjan

(représenté par son principal actionnaire, Vincent Bolloré)

Le groupe Areva, qui vend des centrales nuclaires, entre autres, et achète de

l’uranium, notamment à la Guinée (représenté par son ancienne PDG, Anne

Lauvergeon).

Le groupe Total qui cherche du pétrole partout et vend du carburant partout

(représenté par feu son ancien PDG, Christophe de Margerie, mort dans un

accident d’avion mal expliqué à Moscou).

* Le CA correspond à la somme des ventes de marchandises, de produits fabriqués, des

prestations de services et des produits des activités annexes.

20

Les intérêts

fondamentaux

de la Nation

L’indépendancel’intégrité du

territoire sa sécurité

la forme républicaine

des institutions

la sauvegarde de sa population,

en France et à l’étranger,

l’équilibre du milieu

naturel et son

environnement

son potentiel scientifique

et économique

et son patrimoine culturel

MAG = 6 G€

CAC40 = 1163 G€

DNRD = 51 G€

Commentaire

HFDS Bercy : haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère des

finances (HFD, logiquement, avant 2008). C’est lui qui est en charge de la

défense économique.

Dans le patrimoine économique, il y a les marques de fabrique, et celles-ci sont

sujettes à la contrefaçon, qui représenterait 6 milliards d’euros de manque à

gagner pour les entreprises françaises, notamment dans le luxe. Les douanes

(service du ministère des finances) et la direction générale de la concurrence, du

commerce et de la répression des fraudes (DGCCRF), ont la charge de la

combattre.

De même, les chercheurs français, au travers de la dépense nationale de

recherche et développement produisent du savoir qui contribue au patrimoine

scientifique. L’espionnage économique tente de capter les résultats de cette

recherche dans le cadre d’une concurrence déloyale. Les brevets permettent de

protéger en partie ce capital, via l’action de l’Institut national de la propriété

industrielle.

Les entreprises françaises peuvent être victimes d’attaques boursières malignes.

L’ autorité des marchés financiers (AMF) vérifie que le « combat » boursier

respecte les règles.

23

Les intérêts

fondamentaux

de la Nation

L’indépendancel’intégrité du

territoire sa sécurité

la forme républicaine

des institutions

la sauvegarde de sa population,

en France et à l’étranger,

l’équilibre du milieu

naturel et son

environnement

son potentiel scientifique

et économique

et son patrimoine culturel les moyens de sa défense

et de sa diplomatie,

Commentaire

Toutes les actions de défense évoquées précédemment supposent

d’en détenir les moyens. C’est la deuxième partie qui permettra de

voir, succinctement, quelle est la traduction économique de cette

exigence

2 - Les enjeux économiques de la défense

2% !?

2% !

De quoi ?

Quoi ?

Commentaire

Dans le volet « défense » de leur programme, quasi tous les candidats (qui

comptent) annoncent une augmentation du budget de la défense en se donnant

pour objectif un ratio dépense de défense sur PIB de 2%.

Cette unanimité sur un chiffre comme celui-ci peut surprendre.

En réalité elle n’est pas surprenante dans sa signification, eu égard à l’insécurité

relative que connaissent les Français. Elle ne l’est pas non plus dans son libellé

car ce mode d’expression et ce chiffre ont été définis, depuis longtemps, par les

experts de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord et transformée en

décision politique par les chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de

l’Atlantique nord, à Riga, en 2006.

Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la

programmation militaire pour les années 2014 à 2019…

Article 6 : « (…) et tendre vers l'objectif d'un budget de la

défense représentant 2 % du produit intérieur brut… »

21 novembre 2006

Commentaire

Le Conseil de l’Atlantique nord réuni le 21 novembre 2006 à Riga, approuve

une « Directive politique globale » demandant, entre autres, que les pays

membres de l'OTAN consacrent 2 % au moins de leur produit intérieur brut

(PIB) à la défense et 20% de cette dépense aux équipements majeurs.

La France a inscrit son engagement à suivre cette directive dans la loi de

programmation militaire de 2013.

Mais quelle est exactement la grandeur que l’on oppose au PIB et que l’on

veut faire croître ?

Les dépenses de défense selon l’OTAN

(2016 LFI ; nomenclature Lolf : mission, programme, action)

Mission « Défense » (hp) 32 078 M€

Action « Missions militaires de la gendarmerie nationale » 133 M€

Action « Coopération de défense et de sécurité » 88 M€

(Pensions militaires - ministère de la défense) 7 861 M€

Programme « Recherche duale militaire et civile » 180 M€

Programme « Liens entre la Nation et son armée » 32 M€

Total 2 40 378 M€

Jacques Aben, « Retour sur la mesure des dépenses de défense – Variations

françaises sur un thème imposé », Défense et Stratégie, n°41, à paraître 2017 et

accessible sur la toile à http://mjp.univ-perp.fr/defense/ds.htm.

Total 1 32 516 M€

1400000

1600000

1800000

2000000

2200000

2400000

2600000

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

2026

Taux moyen de croissance 1997-2015

1,588%

PIB 1997-2026

en volume*

16 532 M€

2

%

49 048 M€

40 378 M€ OTAN

1,78% du PIB

32 516 M€ HP

8 678 M€

+21%

Commentaire

Si l’on calcule le taux moyen de croissance du PIB en volume sur les

années 1996-2015 (données Insee), il devient possible de prolonger la

courbe en postulant que ce taux moyen s’appliquera sur la période

prospective.

En appliquant le taux de 2% sur le chiffre trouvé ainsi pour l’année 2025,

que certains citent comme année objectif, on détermine le niveau des

dépenses militaires à atteindre cette année-là.

La question est de savoir ce que représente cette valeur : la définition

OTAN, donc pensions comprises, ce qui serait logique puisque c’est ce

que demande l’OTAN, ou une autre définition hors pensions, c’est-à-dire

portant sur la capacité de défense et non sur le « fardeau » de la défense.

Mais la deuxième hypothèse implique un effort réel quasi double.

3,4

3,6

3,8

4

4,2

4,4

4,6

4,8

DM otan/PIBPremière loi de

programmation militaire

1977-1982

Mais :

Le déficit du budget/PIB

- 1% en 1977

- 3,5% en 2015 (7,5% en 2009)

La dette publique/PIB

- 22% en 1977

- 85% en 2012

10000

10500

11000

11500

12000

12500

13000

13500

1977 1978 1979 1980 1981 1982

+13%

DM otan

Commentaire

Pourtant la France - mais aussi nombre d’autres pays – a été capable d’un

redressement remarquable à la fin des années 1970, au moment où la

guerre froide semblait devoir se réchauffer (crise des euromissiles par

exemple). C’est ainsi que la dépense au sens de l’OTAN a pu progresser

de 13% en 5 ans, ce qui ceteris paribus donnerait 26% en 10 ans.

Mais, car il y a un « mais », à cette époque-là la situation financière de la

France était bien meilleure puisque, en termes de PIB, le déficit budgétaire

représentait le tiers de celui d’aujourd’hui et la dette représentait le quart

de celle d’aujourd’hui.

Où va-t-on trouver les 8 ou 16 G€, si l’on veut aussi réduire les impôts,

augmenter le nombre d’enseignants et de soignants, sans parler de la

réduction des déficits pour enrayer la progression de l’endettement, avant

même de réduire la dette elle-même, qui est une bombe à retardement, qui

explosera au moment où les taux d’intérêt remonteront.

Plantu

Des

questions

?