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« Au-delà de l'égalité, la discrimina- tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos d’intro- duction, Philippe Bour- sier, le Président de la Fédération des Centres Sociaux du Nord a insisté sur le fait que la lutte contre les discriminations faisait totalement partie du projet centre social. « Il y a d'autres discri- minations que celles qui sont liées aux origines, mais à force de courir après toutes les discrimi- nations, on n’en règle fi- nalement aucune ». Pour Philippe Boursier, ça peut d’ailleurs être un strata- gème pour noyer le pois- son que de parler de tou- tes les discriminations en même temps : handicap, sexualité ou origine. « Je suis français et je suis discriminé, on me renvoie mes origines sup- posées maghrébines alors que je n'ai eu que pour seul horizon les pieds d'immeubles d'un quar- tier ANRU. Alors que je suis diplômé, il me faut trois fois plus de temps pour trouver un emploi. J’ai des revenus, je suis solvable mais le parc pri- vé de logements me tour- ne le dos ». Les clés du cadenas « Face à ces inégalités structurelles, je ne peux seul trouver les clés des cadenas pour un accès à l'emploi, au logement, mais aussi aux loisirs, à la parole ou à l'image. Cette situation rend mon quoti- dien difficile, rude, amer, et m'incite à me replier sur moi, à écrire avec d'autres compagnons d'infortune, dans une communauté de souffran- ce, des réponses impar- faites qui pourraient mê- me être considérées par certains comme menaçan- tes ». Pour Philippe Boursier, les concepts d’intégration et de discrimination positive sont des concepts contestables, le premier parce qu’il est en même temps culpabilisant, le second parce qu’il est dévalorisant. « Quand l'égalité des droits ne fonctionne plus et que les révoltes socia- les deviennent suspectes Suite page 3 « La discrimination, c’est la liberté amputée » Philippe Boursier, président de la Fédération des Centres Sociaux du Nord Les Centres Sociaux contre les discriminations Compte rendu de la journée d’étude et de présentation de la boîte à agir du mercredi 24 juin 2009 voire criminelles, la dé- mocratie est inachevée. Les Centres Sociaux ont inscrit la démocratie aux côtés de la solidarité et de la dignité humaine dans notre champ. En lut- tant contre les discrimi- nations, nous voulons re- donner de l’épaisseur à l’égalité et donner des couleurs à la liberté. La réussite de cette journée à laquelle participent de nombreuses régions de France, montre que c’est là un engagement collec- Juillet 2009

Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

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Page 1: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

« Au-delà de

l'égalité, la

discrimina-

tion c'est de

la liberté amputée ».

Dans son propos d’intro-

duction, Philippe Bour-

sier, le Président de la

Fédération des Centres

Sociaux du Nord a insisté

sur le fait que la lutte

contre les discriminations

faisait totalement partie

du projet centre social.

« Il y a d'autres discri-

minations que celles qui

sont liées aux origines,

mais à force de courir

après toutes les discrimi-

nations, on n’en règle fi-

nalement aucune ». Pour

Philippe Boursier, ça peut

d’ailleurs être un strata-

gème pour noyer le pois-

son que de parler de tou-

tes les discriminations en

même temps : handicap,

sexualité ou origine.

« Je suis français et je

suis discriminé, on me

renvoie mes origines sup-

posées maghrébines alors

que je n'ai eu que pour

seul horizon les pieds

d'immeubles d'un quar-

tier ANRU. Alors que je

suis diplômé, il me faut

trois fois plus de temps

pour trouver un emploi.

J’ai des revenus, je suis

solvable mais le parc pri-

vé de logements me tour-

ne le dos ».

Les clés du cadenas

« Face à ces inégalités

structurelles, je ne peux

seul trouver les clés des

cadenas pour un accès à

l'emploi, au logement,

mais aussi aux loisirs, à la

parole ou à l'image. Cette

situation rend mon quoti-

dien difficile, rude, amer,

et m'incite à me replier

sur moi, à écrire avec

d'autres compagnons

d'infortune, dans une

communauté de souffran-

ce, des réponses impar-

faites qui pourraient mê-

me être considérées par

certains comme menaçan-

tes ».

Pour Philippe Boursier, les

concepts d’intégration et

de discrimination positive

sont des concepts

contestables, le premier

parce qu’il est en même

temps culpabilisant, le

second parce qu’il est

dévalorisant.

« Quand l'égalité des

droits ne fonctionne plus

et que les révoltes socia-

les deviennent suspectes Suite page 3

« La discrimination, c’est la liberté amputée » Philippe Boursier, président de la Fédération des Centres Sociaux du Nord

Les Centres Sociaux contre les discriminations

Compte rendu de la journée d’étude et de présentation de la boîte à agir du mercredi 24 juin 2009

voire criminelles, la dé-

mocratie est inachevée.

Les Centres Sociaux ont

inscrit la démocratie aux

côtés de la solidarité et

de la dignité humaine

dans notre champ. En lut-

tant contre les discrimi-

nations, nous voulons re-

donner de l’épaisseur à

l’égalité et donner des

couleurs à la liberté. La

réussite de cette journée

à laquelle participent de

nombreuses régions de

France, montre que c’est

là un engagement collec-

Juillet 2009

Page 2: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

E n Rhône-Alpes, le partena-

riat qui s’est mis en place

entre l’URACS (Union Ré-

gionale Rhône-Alpes Cen-

tres Sociaux) remonte à plusieurs

années. Comme l’explique Sakhina

Bakha, directrice adjointe de l’AC-

SE, tout est parti d’une demande

de subvention. « Pourquoi les fem-

mes d'origine étrangère dans les

Centres Sociaux réclament-elles

des cours de cuisine et de danse

orientale ? »

Pour Sakhina Bakha, « les Centres

Sociaux sont à l'image de la socié-

té. Et les activités qu’ils dévelop-

pent et pour lesquelles ils deman-

dent des subventions ne sont pas

indépendantes des représentations

sociales et celles notamment qui

sont relatives à la place des fem-

mes dans l’espace public. Et les

femmes issues de l'immigration,

sont elles aussi marquées par des

stigmates et des stéréotypes eth-

nicisants que l’on retrouve au tra-

vers des activités qu’elles deman-

dent et qui leur sont proposées par

les Centres Sociaux ».

« Il y a trois ans, on ne travaillait

pas du tout sur cette question des

discriminations » complète Emma-

nuel Bodinier, délégué de l’URACS.

« Et c’est lorsque l’ACSE a changé

d’orientation que nous nous sommes

adaptés à ce changement et inter-

rogés sur nos objectifs. Jusqu’a-

lors dans les Centres Sociaux, on

visait surtout à l’épanouissement

des habitants et pas forcément à

leur émancipation. L’épanouisse-

ment, c’est de l’ordre de la trans-

formation personnelle, c’est la pos-

sibilité de développer ses capaci-

tés. L’émancipa-

tion, c’est l’ac-

tion sur un rap-

port social fait

de servitudes et

de contraintes.

Et ce change-

ment on l’inscrit

dans notre pro-

jet fédéral pas

seulement sur la

question des dis-

criminations ra-

cistes, mais aussi

sur celles qui

sont liées au

genre et aux

classes socia-

les ».

Décalage

Pour Sakhina Bakha, « Dans l’édu-

cation comme dans les Centres So-

ciaux, on voit bien le décalage qu’il

peut y avoir entre la société et

l’institution que peut représenter

un centre social qui est pourtant

porteur d’un projet politique atour

de la démocratie participative, la

lutte pour l’égalité et contre les

exclusions. Les jeunes comme les

femmes sont bien représentés

dans certaines activités. Ils le sont

moins dans les conseils d’adminis-

tration. Et, alors que les femmes

peuvent être surreprésentées dans

certaines activités, elles sont en

même temps quasiment invisibles

dans l’action politique ».

« Dans les Centres Sociaux malgré

le discours sur la lutte contre les

Page 2 Les Centres Sociaux

Dynamiques partenariales

Sakhina Bakhia, directrice adjointe de l’ACSE

discriminations et sur la notion

d'égalité, il n'y avait pas de dis-

cussion sur les discriminations,

c'était un sujet tabou. Aujourd’hui

on a un peu avancé mais tout n’est

pas réglé. Lorsque l’on interroge

les usagers et les professionnels,

on observe des écarts significatifs

en termes de représentation. Par

exemple les animateurs sont per-

suadés que les hommes issus de

l’immigration sont plus sexistes que

les autres ».

Discriminations indirectes

Et Emmanuel Bodinier de préciser

« il n’y a pas forcément de cas de

discrimination directe dans les

Centres Sociaux. Mais on peut sou-

vent alimenter des discriminations

indirectes à travers nos représen-

tations. L’animateur qui change son

nom pour réserver un camping et

Rhône Alpes

Interroger les représentations

et nommer les causes

Page 3: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

qui se présentera comme étant

Pierre plutôt que Habib contribue

à la perpétuation de représenta-

tions et donc de pratiques discri-

minatoires. Nous devons être

clairs dans nos procédures de re-

crutement et lutter avec les gens

discriminés pour qu'ils puissent

exercer réellement leur métier et

ne pas se contenter de les aider en

leur trouvant des boulots de subs-

titution. Ensuite nous devons faire

avec les gens et non en leur nom

pour rompre avec la situation de

pouvoir qui peut donner lieu à dis-

crimination ».

Pour Emmanuel Bodinier, si l’Union

Régionale des Centres Sociaux de

Rhône-Alpes se sent à l’aise dans

son partenariat avec l'ACSE qui

travaille elle-même également avec

l’Université de Lyon 2 « nous ne

nous sentons pas du tout en phase

avec le gouvernement et avec sa

politique de lutte contre l’immigra-

tion. Il ne faut pas être naïf. Si les

gens sont discri-

minés, c'est par-

ce qu'ils portent

des stigmates, et

ces stigmates

sont produits

notamment par

une conception

de la citoyenneté

qui exclut la na-

tionalité. Je ne

vois pas comment

on peut continuer

à lutter contre

les discrimina-

tions racistes

tant qu'il y a des

quotas pour ex-

pulser les gens et

des situations de

contrôle systéma-

tique ».

Et de conclure : « on ne peut pas

agir seulement sur les conséquen-

ces des situations. Il faut aussi

nommer les causes ».

À l’épreuve des discriminations

Dynamiques partenariales

Page 3

Emmanuel Bodinier, délégué de l’URACS

Légende accompagnant l'illustration.

tif pour lequel les Centres Sociaux

sont mobilisés.

« Les institutions publiques peinent

à admettre que l'apparence physi-

que et le préjugé social détermi-

nent la nature des relations sociales

et in fine la place qui sera attribuée

au citoyen dans la société. Nous

sommes légitimes à interpeller l'es-

pace politique sur ces inégalités ».

Une interpellation qui concerne aus-

si les Centres Sociaux. C’est pour

cela, explique Philippe Boursier, que

nous avons choisi de nous arrêter

une journée pour nous interroger

sur le fonctionnement de nos struc-

tures, sur nos modes d'accueil et

sur la composition de nos emplois.

Car si, dans les Centres Sociaux, on

trouve facilement les couleurs de la

diversité et de la jeunesse, on sait

bien que ces couleurs sont bien

moins représentées au niveau du

bureau et surtout de la présidence

ou de la trésorerie.

Contradiction, paradoxe ou strata-

gème ? se demande Philippe Bour-

sier.

« La création de la boîte à outils est

le fruit d’un long travail de ré-

flexion sur les pratiques des Cen-

tres Sociaux, pratiques qui ont été

reprises dans un mémoire publié en

2007. Les formations et l'accompa-

gnement de notre démarche consti-

tuent une illustration concrète de

l’engagement des Centres Sociaux

dans la lutte contre les discrimina-

tions ».

La lutte contre les discriminations

prend parfois des chemins compli-

qués. Mais elle est nécessaire pour

« nous libérer des contraintes

d'une approche trop joviale et po-

lie » et pour donner leur chance

d’un autre quotidien à tous ceux et

celles qui fréquentent nos structu-

res ». « Un nouveau siècle pour un

autre quotidien ».

Suite de la page 1

Page 4: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

L e projet Discrimin’actions

est né en 2004, d’une vo-

lonté partagée entre l’AC-

SE et la coordination des

Centres Sociaux d’Ile-de-France

(qui représente huit fédérations

départementales, plus de 250 Cen-

tres Sociaux et socioculturels et

qui s’adresse à une population de

près de deux millions de Franci-

liens), d’interroger les pratiques

d’intégration et de lutte contre les

discriminations. « Une recherche-

action a été menée avec la mobili-

sation d’une cinquantaine de cen-

tres » explique Audrey Cuypers,

chargée de mission à la coordina-

tion des Centres Sociaux d’Ile-de-

France. Jusqu’alors nous nous som-

mes rendu compte que nous abor-

dions le problème surtout sous l’an-

gle d’une meilleure maîtrise de la

langue française.

Ces formations mettaient au dé-

part l’accent pour l’essentiel sur la

dimension juridique et sur les pro-

blèmes d’accès à l’emploi et d’accès

au logement. « Mais, observe Au-

drey Cuypers, si cette approche

est essentielle, nous avons très

vite compris qu’elle ne pouvait être

la seule et qu’il manquait notam-

ment une approche citoyenne ».

Ces formations, qui ont lieu in situ,

s’adressent à l’ensemble du person-

nel des centres. Mises en place

dans le cadre d’un schéma régional

des discriminations, soutenu par le

Conseil régional d’Ile-de-France,

elles intègrent des séquences de

théâtre forum et elles ont permis

de découvrir au travers de certai-

nes pratiques des discriminations

systémiques. « Cela nous a égale-

ment permis de dresser une liste

d’exemples de bonnes prati-

ques dans les Centres Sociaux ».

Une douleur et une force

Pour les Centres Sociaux désireux

de s’impliquer dans la démarche,

Nour-Eddine Laouer, de la coordi-

nation, explique qu’un cadre de mé-

thode a été posé et qui est focali-

sé sur quelques points. D’une part

sur la question de la convergence

avec les autres formes de discri-

mination et sur la façon de coor-

donner toute action sans être

contre-productif sur les autres

formes de discrimination. D’autre

part il ne faut pas réduire cette

question des discriminations au

seul centre social sans prendre en

compte ce qui se passe sur le ter-

ritoire. Enfin être attentif au sen-

timent de discrimination. « C’est

une douleur dont il faut se saisir

pour en faire une force ».

Page 4 Les Centres Sociaux

Dynamiques partenariales

Audrey Cuypers, chargée de mission

à la coordination des Centres So-

ciaux d’Ile-de-France

Ile-de-France

Actions de formation et approche citoyenne

Nour-Eddine Laouer, coordination des

Centres Sociaux d’Ile-de-France

Pour Nour-Eddine Laouer, « si on

veut être efficace il faut agir en

amont sur les causes et pas seule-

ment sur les conséquences ». D’où

la nécessité de travailler avec les

bénévoles et avec les salariés no-

tamment sur la question des repré-

sentations et d’analyser les pro-

cessus dans la chaîne de décisions

et de pouvoirs.

Concrètement, explique Nour-

Eddine Laouer , pour accompagner

les centres, la coordination a rete-

nu trois types d’actions

- création d’un support de sensibi-

lisation sous la forme d’un diapora-

ma, ce qui permet une meilleure

compréhension du phénomène et

une meilleure circulation de l’infor-

mation sur les réflexes que l’on a

acquis. .

- un outil de diagnostic et d'éva-

luation des pratiques et du projet

centre social

- partir de situations de discrimi-

nation et essayer d’imaginer collec-

tivement des réponses possibles.

Page 5: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

Suite page 9

« L’Ile-de-France est à

la fois une région ri-

che et en même temps

très inégalitaire et il y

a toujours un lien entre les inégali-

tés et les discriminations et la si-

tuation en Ile-de-France impose de

prendre cette question à bras-le-

corps. Pour nous, ce n’est pas une

question de morale. Les discrimina-

tions, c’est un délit. C’est pour cet-

te raison que nous sommes engagés

d'une manière très déterminée. Le

constat que nous faisons c’est que,

même si l'arsenal juridique est im-

portant, les discriminations perdu-

rent et ont même tendance à s'ac-

centuer ».

« Beaucoup de partenaires, asso-

ciatifs, syndicaux ou institution-

nels, comme l’ACSE, agissent déjà

sur ces questions de discrimination

avec bien souvent un savoir-faire,

une expérience, une antériorité qui

était bien supérieure à la nôtre. Et

notre stratégie en matière de dé-

mocratie régionale, c’est de faire

en sorte que les uns et les autres

unissent leurs forces pour agir en-

semble ».

« A travers la convention que nous

avons signée dans le cadre d’un

partenariat stratégique, nous

avons mis en place un comité de

pilotage et des instances qui nous

obligent à mieux unir nos efforts

et à travailler davantage ensemble.

Sur ce sujet, ça ne sert à rien

d'être chacun dans son coin et il ne

peut pas y avoir de concurrence ou

de rivalité. De plus il nous a semblé

que nous avions beaucoup à appren-

dre de l’ACSE qui a une vraie expé-

rience ».

« Il n’est pas simple, du fait des

lourdeurs institutionnelles, de

mettre en œuvre une convention

de ce type parce que chacun doit

modifier sa manière de travailler, y

compris les élus, les fonctionnaires

ou les agents d’autres services.

Sur ce sujet il ne peut pas y avoir

les élus d’un côté et le personnel

de l’autre et nous avons mis en pla-

ce un comité de pilotage qui est

une instance originale qui regroupe

aussi bien des élus que des chefs

de service ou les fonctionnaires

chargés de l’animation de ce dos-

sier ainsi que des groupes de tra-

vail qui s'adressent aux agents du

Conseil Régional intéressés par un

travail de déclinaison de ce rap-

port ».

Intégrer la lutte contre les

discriminations dans toutes les

politiques publiques

« Il y a donc des discussions entre

les services et notamment avec les

services des ressources humaines

pour que la Région soit exemplaire,

entre autres en matière de recru-

tement. Même chose du côté des

élus. Nous avons fait en sorte que

cette problématique soit transver-

sale, que toutes les vice-

présidences s’en emparent et qu’el-

le soit intégrée dans toutes les

politiques publiques

(développement économique, for-

mation continue, recherche, sport,

culture, action sociale…).

On ne peut pas lutter contre les

discriminations si on se contente

d'intervenir au niveau individuel

car il y a bien évidemment un lien

Page 5 Les Centres Sociaux

Dynamiques partenariales

Claire Villiers, vice-présidente du

Conseil régional d’Ile-de-France en

charge de la démocratie régionale

Claire Villiers :

Volonté politique et partenariats stratégiques

entre les politiques publiques, les

politiques macro-économique et la

lutte contre les discriminations ».

« Vis-à-vis des associations, nous

souhaitons que la question de la

lutte contre les discriminations

devienne un des critères de sub-

vention en privilégiant la conviction

plutôt que la répression. Nous

avons déjà signé des pactes locaux

avec quatre territoires régionaux

avec mise en place de formations-

actions à destination des profes-

sionnels sur l’emploi, l’éducation ou

la constitution de réseaux avec

comme objectif le fait de lutter

contre les préjugés ».

Renforcer les partenariats

« Pour qu'une démarche soit effi-

cace il faut absolument renforcer

les partenariats avec les collectivi-

tés, les institutions, les entrepri-

ses, les organisations syndicales.

Mais pour développer de tels par-

tenariats, encore faut-il que les

partenaires existent et nous som-

mes soucieux des offensives qui

sont portées contre le tissu asso-

Page 6: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

L e partenariat a commencé

sur la question de l’accueil

des populations d’origine

étrangère dans le cadre

d’un groupe de travail baptisé Ci-

toyens du Monde créé dans le ca-

dre du contrat de ville relatif à un

quartier de Rennes avec la partici-

pation de Centres Sociaux et d’as-

sociations.

« Nous traitions alors, explique

Maggy Legrand, directrice du cen-

tre social carrefour 18 de Rennes,

des questions d'apprentissage de

la langue et nous étions soutenus

par l’ACSE qui finançait des for-

mations pour des professionnels et

des bénévoles de manière à optimi-

ser les techniques d'apprentissage

de la langue ».

« Nous sommes donc partis de ces

questions très concrètes et au fil

des rencontres entre profession-

nels, bénévoles, habitants du quar-

tier, nous sommes arrivés petit à

petit, malgré des approches diffé-

rentes, à nous positionner sur un

terrain beaucoup plus large. Et, à

la faveur d’un changement de mode

de gestion, les six Centres Sociaux

rennais ont été regroupés dans une

seule et même association, nous

avons impulsé une dynamique et mis

en place un groupe de travail sur

ces questions ».

Essaimage

« Puis nous avons sollicité l’ACSE,

avec laquelle nous avons constitué

un comité de pilotage, pour mener

une recherche-action sur trois ans

et interroger nos pratiques et le

positionnement de nos structures

vis-à-vis des populations avec les-

quelles nous travaillons. Recher-

che-action que nous avons baptisée

POESIE (poésie d’origine étrangè-

re et stratégies d’intégration) ».

« Nous avons commencé par un

état des lieux avec l’aide de l’Uni-

versité de Rennes 2, en association

avec un laboratoire de recherche.

Cette première année avait pour

objet de poser les bases d'une ré-

flexion partagée rassemblant ac-

teurs et partenaires des Centres

Sociaux ?

A la suite de cette première année

a eu lieu un forum qui nous a per-

mis en même temps élargir notre

champ de réflexion en nous inter-

rogeant sur notre vision et notre

posture par rapport à cette ques-

tion de l'accueil des populations

d'origine étrangère, ce qui a per-

mis de mettre en évidence que

nous avions peut-être un regard

discriminant envers ces popula-

tions ».

L’étude au départ portait sur un

quartier de 60 000 habitants sur

lequel se trouvent trois Centres

Sociaux. Tous les aspects du fonc-

tionnement d’un centre et des re-

lations entre permanents, bénévo-

les et habitants ont été passés au

crible.

La démarche est entrée dans une

logique d’essaimage puisque tous

les centres sont aujourd’hui

concernés et que le second forum

a été suivi par 150 personnes dont

un grand nombre d’élus qui partici-

pent eux aussi à ces temps forts.

Déjà les relations des Centres So-

ciaux avec le collectif des sans

papiers en ont été changées.

À l’épreuve des discriminations

Dynamiques partenariales

Page 6

Bretagne

Essaimer à partir de questions et de situations concrètes

Maggy Legrand, directrice du cen-

tre social Carrefour 18 de Rennes

Page 7: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

« Héritières d’une lon-

gue histoire, les CAF

sont mal connues, y

compris des Centres

Sociaux », précise d’entrée de jeu

Bernard Kerleau, directeur de la

CAF de la Vienne. « Il est vrai que

notre nom peut induire en erreur

puisque nous ne faisons pas que des

allocations et nous ne nous intéres-

sons pas qu’aux familles ». « Mais

nos allocataires ne veulent pas que

nous changions de nom car ils ont

besoin de cette stabilité que nous

représentons ».

« Nous sommes un des acteurs de

la politique familiale et sociale. Il y

en a d’autres comme les collectivi-

tés locales par exemple. Nous som-

mes un des acteurs majeurs de la

politique familiale et un acteur de

plus en plus reconnu sur la politique

sociale puisque nous sommes char-

gés du versement du RSA. Nous

versons plus de 365 millions d’eu-

ros par an de prestations, soit 1

million d’euros par jour, soit un peu

moins de 1 % du produit national.

Même si nous nous appelons CAF,

un peu moins de un allocataire sur

deux n’a pas d’enfant ».

« Nous soutenons nos partenaires

dont nous sommes souvent un des

financeurs majeurs et nous avons

comme souci commun le fait de

développer l’offre de garde et

comme préoccupation le fait que ce

que nous finançons, notamment les

offres de services, soit compris

tout à la fois par les populations et

les décideurs ».

C’est une demande de l’ACSE, qui

était prête à financer des actions

et un catalogue de formation, qui a

amené la CAF de la Vienne à s’inté-

resser à cette question des discri-

minations. « Ce n’est pas cela qui

nous a motivés, mais ça nous a ai-

dés dans notre décision car nous

avons des ambitions communes sur

cette question dont nous avons

voulu qu’elle relève d’une démarche

globale concernant autant la CAF

elle-même, comme employeur et

comme lieu d’accueil du public que

les Centres Sociaux que nous sou-

tenons financièrement. »

Des choses à changer

« L’ACSE nous a proposé de procé-

der à des audits sur l'accueil, les

commissions, les ressources humai-

nes et les projets de Centres So-

ciaux. Elle nous a également propo-

sé de sensibiliser et de former les

administrateurs et les personnes

en relation avec le public. Nous

Page 7 Les Centres Sociaux

nous sommes aperçus que nous

avions des choses à changer dans

le fonctionnement de nos commis-

sions, dans nos procédures d'appel,

et de recrutement pour aller cher-

cher les bonnes candidatures

(pratiques d’auto-discriminations).

S’interroger sur ses pratiques

L'affichage de la lutte contre les

discriminations renvoie chacun ses

responsabilités. D’où la nécessité

d’y faire référence dans le projet

centre social, d’examiner sa tra-

duction dans la composition des

instances ou la formation des mili-

tants et des professionnels. Ce

n’est pas parce que nos valeurs

sont celles de l’équité, de la solida-

rité, laïcité, neutralité que cela

nous dispense de nous interro-

ger sur nos pratiques ».

Dans son intervention, Bruno Sulli,

directeur régional de l’ACSE Poitou

-Charentes a insisté sur le fait que

l’ACSE, après avoir rappelé ses

missions, travaille dans un premier

temps sur les zones de convergen-

ce possibles avec les partenaires,

en l’occurrence les Centres So-

ciaux et les associations avant de

s’intéresser à la question des va-

leurs qui peuvent nous inciter à

Poitou-Charentes

Une démarche globale qui interroge la CAF

tout autant que les Centres Sociaux

Bruno Sulli, directeur régional

de l’ACSE Poitou-Charente

Dynamiques partenariales

Bernard Kerleau, directeur de

la CAF de Vienne

Suite page 9

Page 8: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

C ela fait quatre ans que

l’ACSE et l’Union régiona-

le des Centres Sociaux

sont dans une démarche

de partenariat sur la question de la

lutte contre les discriminations. Il

y a quatre ans, cette question était

alors, comme l’a montré une enquê-

te de l’IFAR, peu prise en compte

par les Centres Sociaux.

Comme l’a rappelé Francis Gautier,

« l’enjeu n’était même pas présent

dans les diagnostics intégrés aux

projets des Centres Sociaux. Au-

jourd’hui trois territoires se sont

engagés dans une démarche collec-

tive qu’ils mènent à plusieurs, en

Flandre Maritime, sur le Cambrésis

et sur Wattrelos- Wasquehal. Cela

concerne une vingtaine de Centres

Sociaux sur les 165 dans le Nord-

Pas-de-Calais.

Nous avons donc encore une marge

de progression mais à côté des

trois que j’ai citées on voit appa-

raître de nombreuses initiatives

initiées par les Centres Sociaux qui

souhaitent se qualifier sur le sujet,

dans le Valenciennois et en Aves-

nois par exemple ».

Pour Francis Gautier, rien de sur-

prenant au fait que l’enjeu des dis-

criminations ne soit pas apparu

plus tôt puisque le Fasild, prédé-

cesseur de l’ACSE, était plus sur

des logiques d’intégration que de

lutte contre les discriminations.

« Pendant longtemps, explique Fa-

dela Benrabia, directrice régionale

de l’ACSE Nord - Pas-de-Calais les

politiques publiques, portant sur

les questions de l'immigration,

étaient essentiellement marquées

par les notions d'intégration et

d'assimilation.

Mais l’établissement public n’est

pas le seul partenaire des Centres

Sociaux et il ne saurait être tenu

comme étant le seul responsable

de cette question. Mais c’est vrai

que dès lors qu’il subventionnait

des actions dans une logique d’inté-

gration, il indiquait en même temps

un cap à l’ensemble des acteurs

avec lesquels il travaillait ».

Question sociale

et discriminations

Pour Francis Gautier, « lorsque la

situation économique se dégrade,

les premières personnes touchées,

ce sont les femmes et les person-

nes issues de l'immigration. Il se-

rait contre-productif de vouloir

lutter contre les discriminations

liées à l'origine sans s’attaquer à la

question sociale. Mais il serait tout

aussi dangereux de croire qu’il suf-

fit de penser à la question sociale

pour résoudre celle des discrimina-

tions. C’est un vrai débat pour le-

quel il y a encore des résistances

dans certains territoires. Mais les

projets des Centres Sociaux intè-

grent de plus en plus ces deux en-

jeux de la discrimination liée aux

origines et de la question sociale

sans pour autant les confondre.

C’est là un enjeu de fond qui est

perçu aussi bien par les salariés

que par les élus et pas quelque

chose dont on ne parle que quand

on a le temps ».

« Depuis les années 2004 2005,

poursuit Francis Gautier, plusieurs

fédérations se sont fortement im-

pliquées dans la lutte contre les

discriminations et un groupe de

travail interfédéral a été consti-

tué avec Poitou-Charentes, Ile-de-

France, Rhône-Alpes, Nord-Pas-

de-Calais, en lien avec la fédéra-

tion nationale qui a fait de cet en-

jeu de la lutte contre les discrimi-

À l’épreuve des discriminations

Entre l’ACSE et la fédération des Centres Sociaux du

Nord

Page 8

Enjeux et méthode

Fadela Benrabia, directrice régionale

de l’ACSE Nord—Pas-de-Calais

Francis Gautier, délégué fédéral de la

FCSN

Suite page 9

Page 9: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

nations un nouvel axe politique d'ac-

tions.

On a produit progressivement une

culture commune et on a fini par

s’entendre sur le sens des mots.

Sans doute tout n’est-il pas stabili-

sé. Il y a des avancées et des re-

culs. D’ailleurs en 2010 il est prévu

une action nationale de type ‘ les

mille luttes contre les discrimina-

tions liées à l’origine ‘.

Au final je pense que notre réseau

peut être assez fier de ce qu’il a

fait car il n’y en a pas beaucoup qui

ont su, avec l’aide de l’ACSE, pren-

dre au sérieux cet enjeu. Mais je ne

suis pas surpris qu’il faille du temps

avant de passer à l’action car il faut

le temps d’une appropriation préala-

ble des concepts, le temps de pren-

dre conscience et de percevoir la

réalité des discriminations indivi-

duelles ».

ciatif en particulier le tissu asso-

ciatif d'éducation populaire. En ma-

tière de discrimination, il ne s'agit

pas d'agir du haut vers le bas mais

d'agir de manière transversale,

chacun à sa place, avec les partenai-

res qui existent ».

« C’est un combat sur la longue du-

rée pour lequel il faut une volonté

politique forte qui soit partagée et

portée par l'ensemble des élus car

nous sommes tous et toutes à la

fois discriminés et discriminants.

En plus des partenariats, nous nous

sommes dotés d’outils. Parmi ces

outils, qui sont des moments forts,

il y a la semaine de l’Egalité que

nous préparons avec l’ACSE et qui a

lieu en décembre. Nous lions tou-

jours les discriminations et la ques-

tion de l’'égalité. Mais ce sont aussi

du soutien aux projets associatifs

ou aux permanences d'accueil des

personnes en particulier dans les

quartiers populaires, ces permanen-

ces devant être tout à la fois des

points d'accès aux droits mais aussi

des outils de formation et de

connaissances ».

« Une volonté politique, un travail

en partenariat et des outils, ce sont

trois éléments nécessaires pour

réussir dans la lutte contre les dis-

criminations ».

À l’épreuve des discriminations

Page 9

nous dispenser de toute réflexion

critique sur nos pratiques.

Un constat auquel fait écho Xavier

Thiollet, chargé de mission à la fé-

dération régionale de Poitou-

Charentes (URECSO). Il indique

que, s’il n’y avait pas de déni, aucun

centre social n’avait pour autant

amorcé une démarche d’envergure

sur cette question, laquelle n’était

pas jugée nécessaire. Depuis le dia-

gnostic de 2004, l’URECSO insiste

sur le fait que la lutte contre les

discriminations doit être inscrite

dans le contrat de projet et figurer

notamment dans la partie bilan et

diagnostic du projet centre social

car il est important que cela perdu-

re y compris en cas de changement

des équipes.

… Francis Gautier

… Bruno Sulli

Dynamiques partenariales

Suite de la page 5 (Claire Villiers)

Page 10: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

T ravaillant depuis 4 ans

avec la fédération des

Centres Sociaux et l’Acsé

sur la question des discri-

minations, Saïd Bouamama a eu la

possibilité, ce qui est assez rare

pour un chercheur, de pouvoir

confronter un certain nombre d’hy-

pothèses à des réalités de terrain.

« Même si plus de 75 % des rapports

sur le sujets ont fini dans des ti-

roirs, nous sommes sortis de la pos-

ture de négation, y compris au niveau

des pouvoirs publics » observe tout

d’abord le sociologue de l’IFAR. Au-

jourd’hui, on ne nie plus l’existence

de processus de discriminations.

« Ce n’est pas une opinion c'est un

fait avéré incontestable, qui est

massif et structurel ». De même, s’il

n’est pas question de hiérarchiser

des discriminations ( toutes les dis-

criminations sont équivalentes en

termes d'effets sur la personne »),

celles qui sont liées à l’origine, par la

faiblesse des mobilisations pour les

empêcher et par leur caractère

structurel et systémique, revêtent

un caractère particulier.

Ne pas attendre

que les mentalités changent

Pour Saïd Bouamama, « il y a plus de

facilité à oublier les discriminations

racistes lorsque l'on se mobilise sur

les autres discriminations ». A

contrario, c’est en agissant contre

ce type de discriminations que l’on

peut agir sur l’ensemble des discri-

minations car c’est un terrain qui

révèle les autres. La discrimination,

c’est l’existence d’une inégalité dans

l'inégalité ».

Pour le sociologue qui avait illustré

son propos par de courtes séquences

extraites des Guignols, « ce n’est

pas non plus une affaire de repré-

sentation sociale. Si on attend que

les mentalités changent pour lutter

contre les discriminations, on peut

attendre longtemps. C'est une affai-

re de pratique et de construction

dans la vie quotidienne ». Et de

prendre l’exemple des handicapés.

« Ils se sont battus pendant des

années pour changer les mentalités

jusqu’au jour où ils ont exigé des

places de parking, pour faire pro-

gresser la notion d’égalité ».

Enfin pour Saïd Bouamama, les dis-

criminations ne sont pas un héritage

du passé colonial qui va disparaître

avec le temps. « On oublie qu'elles

sont inscrites dans le corps social,

dans le mode de sélection et dans

une multitude de petits gestes quoti-

diens ». De plus, dans un contexte de

crise économique, du fait d’un ac-

croissement de la concurrence sur

ces biens rares que sont l'emploi, le

logement, la santé et la formation.

« Ceux qui sont désavantagés au dé-

part le sont encore plus à l'arri-

vée avec risque d’exacerbation des

effets des discriminations et risque

de cumul des processus de discrimi-

nations liées à l’origine et au sexe.

La victimisation est une

conséquence et non l’inverse

Pour lutter efficacement contre les

discriminations, il faut se garder

d’une approche essentiellement

« culturaliste » de cette question.

Pour Saïd Bouamama, cela revient à

nier l’inégalité de traitement et à

Page 10 Les Centres Sociaux

chercher simplement à transformer

les publics qui sont victimes de dis-

criminations, qui ne seraient pas suf-

fisamment adaptés, prêts au déve-

loppement et intégrés au lieu d’agir

sur les causes structurelles qui pro-

duisent de l’inégalité et des discrimi-

nations. Certains jeunes sont deve-

nus des experts en CV et s’ils ne

trouvent pas de boulot, ce n’est pas

parce que leur CV serait mal rédigé.

« La victimisation est une conséquen-

ce des discriminations et non l'inver-

se. Attention à l’inversion des causes

et des conséquences ».

« Il faut arrêter la démarche com-

parative avec les Italiens, les Portu-

gais ou les Polonais. D’une part parce

que les discriminations antérieures

n'avaient pas de passif ni d’héritage

avec la société française. D’autre

part parce qu’il n’y a pas de violence

contre les Maghrébins comme il en

existait contre les Italiens ou les

Portugais. Ce n'est donc pas l'am-

pleur du rejet qui est en cause, c’est

sa reproduction transgénérationnelle

qui introduit une différence »

De plus il serait erroné de croire que

les discriminations ne seraient le

fait que de quelques racistes invété-

Saïd Bouamama, sociologue, chargé de recherche à l’IFAR

« Les discriminations ne sont pas un héritage mais une construction »

Saïd Bouamama, sociologue

(IFAR)

Enjeux et méthode

Page 11: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

rés. « Ce n'est pas une pratique mar-

ginale de quelques méchants qu’il

suffirait de mettre de côté. Si nous

nous focalisons sur quelques mé-

chants, nous n'interrogeons pas nos

procédures de recrutement et nos

pratiques ». Le fait de ne pas pren-

dre en compte l'aspect systémique

des discriminations, nous conduit à

n’envisager que des actions partielles

et ponctuelles.

Une stratégie de long terme

La lutte contre les discriminations

pour un centre social ne peut être un

simple programme d’actions supplé-

mentaire. Cela doit s’inscrire dans

une stratégie de long terme et rele-

ver d’une actualisation des valeurs

d’éducation populaire. Et, même si

c’est long et même si ça doit provo-

quer des résistances, cela doit mobi-

liser l’ensemble des acteurs du cen-

tre social car les discriminations, ce

n’est pas seulement l’affaire des au-

tres, c’est aussi notre

affaire. Un centre so-

cial, parce qu’il ne vit pas

sur une autre planète,

peut être aussi produc-

teur de discriminations

dans sa façon d’accueillir

ou d’inscrire le public ou

de réagir aux témoigna-

ges de discrimination.

Enfin pour Saïd Bouama-

ma, promouvoir la diver-

sité ne règle pas les pro-

blèmes de discrimination car diversi-

té et égalité, ce n’est pas la même

chose. « La seule diversité qui vaille

doit être articulée à l'égalité. Dans

l'organigramme d'une structure

quelle qu’elle soit, il faut repérer à

quel niveau sont les Noirs, les Ara-

bes et les Femmes ».

Après avoir rappelé le constat fait

par le mouvement féministe améri-

cain du fait que les travaux en socio-

logie avaient tendance à sous-

estimer les discriminations sexistes,

À l’épreuve des discriminations Page 11

Enjeux et méthode

Saïd Bouamama explique en conclu-

sion qu’une mobilisation des person-

nes issues de l’immigration et des

quartiers périphériques est essen-

tielle. Il est fondamental que les

premiers concernés prennent la pa-

role et participent à cette prise de

conscience nécessaire de la société.

Page 12: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

P our Eric Di Salvo, directeur

de la maison de quartier de

Basse Ville à Dunkerque, le

plan stratégique de lutte

contre les discriminations est un

plan territorial, puisqu’il concerne

la ville de Dunkerque et un secteur

qui va de Saint-Pol-sur-Mer jus-

qu’aux portes de Leffrinckoucke.

Trois Centres Sociaux ont d’abord

répondu à l’appel de la direction

générale de la jeunesse, avant que

les quatorze maisons de quartier

et un centre social de Saint-Pol-

sur-Mer ne décident de s’engager

à leur tour.

« Ce fut l'occasion, observe-t-il,

d'intégrer dans nos diagnostics, ce

qui n’avait jamais été le cas, la

question de la lutte contre les dis-

criminations. C’est ainsi que nous

nous sommes rendus compte que,

alors que nous nous présentons

comme représentatifs du quartier,

tous les habitants n’étaient pas

forcément représentés au centre

social, ne serait-ce qu’au travers

de certaines de nos activités. A

contrario, certaines catégories de

populations étaient surreprésen-

tées et même parfois de façon ex-

clusive dans certaines activités ».

« Nous avons donc décidé d’inscri-

re dans notre projet, qui a été ré-

digé fin 2008 et validé en 2009, la

lutte contre les discriminations.

Cela nous a amenés à revisiter cer-

taines actions et à envisager des

actions nouvelles. Et il est impor-

tant dès la phase de diagnostic

d’intégrer tout de suite parmi les

objectifs la dimension de la lutte

contre les discriminations et d’y

associer l’ensemble de nos parte-

naires ».

A Wattrelos – Wasquehal, explique

Patrick Francke, directeur du cen-

tre social l’Avenir à Wattrelos, il y

a d’abord eu un groupe de pilotage

qui a été mis en place au niveau de

quatre Centres Sociaux. Après la

phase de diagnostic, nous avons

organisé un séminaire qui a rassem-

blé une centaine de personnes à

Wasquehal. Il est important faire

en sorte que tout le monde

(salariés, bénévoles, usagers, admi-

nistrateurs) soit au même niveau

de formation et les ateliers de ce

séminaire ont représenté une véri-

table formation en quittant la di-

mension sociologique pour s’inté-

resser à ce que les gens vivent sur

Page 12 Les Centres Sociaux

le terrain. Cela rejoint la démarche

d’éducation populaire qui est celle

du réseau. Et nous organisons pro-

chainement une table ronde avec la

participation de toute une série

d’acteurs extérieurs dans le sec-

teur de l’emploi et du logement.

« Au départ, nous aurions souhaité

associer également la Mission loca-

le, le Plan local d’insertion et la

Chambre de Commerce et d’Indus-

trie, raconte Mostafa Ghezal, le

directeur du centre social du cen-

tre ville de Cambrai. Mais finale-

ment nous avons construit notre

plan avec la seule ville de Cambrai

en associant plusieurs Centres So-

ciaux dans le cadre d’une démarche

coopérative. Au fur et à mesure

que nous avons construit notre

plan, nous nous sommes rendus

compte que, avant d’aller interpel-

ler l’extérieur, nous avions tout un

travail à faire en interne aussi bien

au niveau de l’accueil que de la

composition de nos conseils d’admi-

nistration ou de notre organigram-

me. Et à la rentrée, nous allons en-

gager tout un travail en direction

des entreprises et de la chambre

de commerce et d’industrie ».

Centres sociaux du Nord

Présentation de La boîte à agir

Patrick Francke, directeur du

centre social du Laboureur de

Wattrelos

L’implication des territoires

Mostafa Ghezal, directeur du centre

social du centre ville de Cambrai

Page 13: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

Vice-présidente du Conseil Régio-

nal du Nord – Pas-de-Calais, en

charge de la citoyenneté et des

partenariats associatifs, Ginette

Verbrugghe était fière de soutenir

une opération particulièrement

originale et innovante, peu habi-

tuelle au regard de ce que l’institu-

tion régionale finance habituelle-

ment.

« Les discriminations liées à l'ori-

gine, parce qu’elles sont profondé-

ment iniques et peu reconnues, en-

traînent une souffrance sociale

destructrice ou génératrice de

violences. Les processus de discri-

minations liées à l'origine sont sou-

vent complexes, difficile à identi-

fier et à décortiquer. Il peut

s'agir de discriminations directes,

le plus souvent illégales, ce n'est

pas pour cela qu'elles n'existent

pas, ou de discriminations indirec-

tes plus difficiles à cerner puisque

résultant d'attitudes, de procédu-

res, de normes ou bien encore de

discriminations systémiques qui

sont le produit d'une accumulation

de discriminations qui finissent par

faire système. L’idée même de dis-

crimination va à l'encontre de no-

tre principe d'égalité républicaine

et remet en question le fonction-

nement de notre société basé sur

la notion de réseau ou de coopta-

tion via les réseaux familial, rela-

tionnel ou professionnel.

« S'attaquer aux fondements des

discriminations liées à l'origine,

c'est d'abord dépasser le déni. Il

faut admettre que ces comporte-

ments existent, il faut aussi claire-

ment les cerner sans noyer le pois-

son en les incluant dans un discours

global sur l'exclusion. Enfin il est

essentiel de ne pas céder au senti-

ment d'impuissance ni de remettre

à plus tard la recherche de solu-

tions. La discrimination est

d'abord une question de comporte-

ment. La dessus nous pouvons tous

agir là où nous sommes et quel que

soit notre statut ».

Pour Ginette Verbrugghe, il est

essentiel que ce travail soit mené

de façon collective car, dans une

équipe ou les services d’une insti-

tution, « s'attaquer au problème

des discriminations liées à l'origine

requiert une prise de conscience,

une réflexion et une mobilisation

de tous. Quelle que soit sa déter-

mination et son engagement, une

personne isolée ne pourra pas

beaucoup avancer sans ses collè-

gues ou ses partenaires. Et cette

réflexion collective doit être déve-

loppée de façon transversale entre

élus et militants associatifs, sala-

riés et bénévoles. La boîte à agir

peut être un outil précieux ».

Ensuite, poursuit Ginette Ver-

brugghe, la politique publique de

citoyenneté avec un volet impor-

tant de lutte contre les discrimina-

tions liées à l'origine, telle que

nous la menons, a besoin du soutien

de la société civile. « L'action pu-

blique a besoin de vous, c'est-à-

dire de votre capacité à imaginer

et à expérimenter des actions in-

novantes mais aussi de votre capa-

cité à interpeller voire à bousculer

une institution comme la nôtre.

C'est dans ce cadre que la Région a

décidé de soutenir votre démarche

en vous aidant notamment à diffu-

ser la boîte à agir ».

Et Ginette Verbrugghe de se féli-

citer du fait que la méthode pro-

posée soit transférable et qu’il

soit possible d’étendre la démar-

che à un autre collectif de Centres

Sociaux et à d'autres réseaux as-

sociatifs. « Les acteurs de l'édu-

cation populaire et plus largement

les acteurs associatifs peuvent

devenir exemplaires sur cette en-

jeu sociétal décisif pour le déve-

loppement de la cohésion sociale ».

Rappelant que notre région dispose

également d’autres outils qui tra-

vaillent sur ces démarches comme

l’IFAR ou l’IEP de Lille, Ginette

Verbrugghe conclut : « pourquoi ne

pas imaginer que des institutions,

et pourquoi pas la Région, se saisis-

sent aussi de cet outil pour travail-

ler sur leurs propres comporte-

ments. Cela passerait par des for-

mations des élus et des techni-

ciens des services. Cela permet-

trait un regard nouveau sur notre

À l’épreuve des discriminations

Ginette Verbrugghe, vice-présidente du Conseil Régional :

une démarche de fond dont pourrait s’inspirer la Région

Page 13

Région Nord - Pas-de-Calais

Ginette Verbrugghe, vice-

présidente du Conseil régional en

charge de la citoyenneté et des

partenariats associatifs

Suite page 14

Page 14: Les Centres Sociaux contre les discriminations...Au-delà de l'égalité, la discrimina-tion c'est de la liberté amputée ». Dans son propos dintro-duction, Philippe Bour-sier, le

Compte rendu de la journée d’études du 24 juin 2009 « Les Centres Sociaux contre les discriminations « réalisé pour le compte de la Fédération des Centres Sociaux du Nord

mocratie, solidarité, di-

gnité. Le rôle de la fédé-

ration nationale, c’est de

soutenir la production

d’outils comme cette boî-

te à agir, qui est la pre-

mière du genre et de

contribuer à sa diffusion

dans le réseau et auprès

de nos partenaires.

Afficher notre investissement

dans la lutte contre les discrimina-

tions devient une incitation forte

pour nous-mêmes, pour changer

notre regard ; c’est aussi un mes-

sage adressé aux habitants et aux

pouvoirs publics ; c’est capitaliser

des pratiques et des transferts et

c’est intégrer dans la formation

nationale, la formation à la lutte

contre les discriminations. C’est

enfin assurer l'ancrage de nos ac-

tions contre les discriminations

dans le projet centre social parti-

cipatif. La lutte contre les discri-

minations devient ou est déjà un

axe prioritaire du projet social des

centres ».

Il revenait à Mostafa Ghezal, ad-

ministrateur de la fédération des

Centres Sociaux du Nord (et di-

recteur d'un centre social à Cam-

brai) de conclure cette journée.

« Le premier centre social a été

créé il y a 125 ans. L’histoire des

Centres Sociaux est un perpétuel

recommencement. Aujourd’hui la

« Nous avons pu voir

aujourd’hui, avec la

participation de nom-

breuses régions, com-

ment le réseau des Centres So-

ciaux s'appropriait et travaillait

sur cette question de la lutte

contre les discriminations » a sou-

ligné dans son propos de conclusion

Marie-Thérèse Hercule, adminis-

tratrice nationale à la fédération

nationale des Centres Sociaux,

chargée de la lutte contre les dis-

criminations. « Le réseau des Cen-

tres Sociaux, c'est un ensemble

composé majoritairement d'asso-

ciations. Leur adhésion à la fédéra-

tion départementale puis à la fédé-

ration nationale est une adhésion

totalement libre. Il n'y a donc pas

une armée de Centres Sociaux

obéissant à des injonctions natio-

nales. S’agissant du financement,

qui peut induire une forme d'ins-

trumentalisation, c'est vrai que l’on

répond aux demandes et aux pro-

positions qui nous sont faites mais

cet argent que l’on reçoit, on s’en

sert pour créer du lien social et

pour améliorer le mieux vivre en-

semble sur nos territoires ».

« Pour la fédération nationale, la

lutte contre les discriminations

relève pleinement de notre charte

fédérale et de nos valeurs fonda-

mentales qui se traduisent concrè-

tement dans notre mode d’inter-

vention dans les territoires : dé-

lutte contre les discriminations

réinterroge le projet de centre

social. On qualifie le projet et on

qualifie les acteurs. On s'appuie

sur nos valeurs et on redonne de

l'épaisseur au concept d’égalité.

Agir contre les discriminations,

c’est agir sur l'environnement, en

interne et en externe. Le centre

social doit éclairer le chemin, il

doit être producteur d'innovations

sociales ; il doit être en réseau

avec les acteurs culturels et socio-

économiques ; il doit être en parte-

nariat avec la CAF, le départe-

ment, la ville, la CCI, la chambre

des métiers, l'ACSE, l'État et les

organismes de formation. Le cen-

tre social doit être un outil de dé-

veloppement social local, qui empê-

che la reproduction sociale des

inégalités. A nous de nous bouger

et de nous mobiliser contre les

discriminations liées à l’origine

sans oublier les autres et de faire

le lien contre les exclusions socia-

les ».

Propos de conclusion

Suite de la page 13

action publique ».

« Si le Nord-Pas-de-Calais est pré-

curseur sur ces démarches, ça n'est

sûrement pas par hasard. C’est le

fruit d'un travail de fond mené

conjointement par des institutions,

des universitaires et des praticiens

de terrain. Ce travail s'inscrit dans

la durée. Nous ne sommes pas sur

une opération ponctuelle de marke-

ting ou d'affichage mais sur une

démarche en profondeur pour la-

quelle on se donne du temps pour

avancer et pour agir »