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L'ENTENTE BALTIQUE

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    Bronius Kazlauskas Docteur en Droit

    L'ENTENTE

    B A L T I Q U E

    Prface de M. Robert Redslob Professeur la Facult de Droit et des Sciences Politiques

    , de l'Universit de Strasbourg

    LIBRAIRIE DU RECUEIL SIREY

    SOCIT ANONYME

    22, Rue Soufflot - PARIS (V*)

    939

  • L'ENTENTE BALTIQUE

  • Bronius Kazlauskas Docteur en Droit

    L'ENTENTE

    B A L T I Q U E

    Prface de M. Robert Redslob Professeur la Facult de Droit et des Sciences Politiques

    de l'Universit de Strasbourg

    LIBRAIRIE DU RECUEIL SIREY

    SOCIT ANONYME

    22, Rue Soufflot - PARIS (V*)

    939

  • A MON PEE, A MA MRE

    A TOUS LES MIENS

  • PRFACE

    Mon cher lve et ami,

    J'ai suivi avec beaucoup d'intrt et de sympathie vos travaux scientifiques notre facult, qui ont abouti cette tude de grand mrite.

    La ddicace de votre ouvrage porte : A mon pre, ma mre, aux miens . J'ai bien senti que cet envoi aux miens s'adressait non seulement vos proches, mais toute la famille lituanienne, votre patrie dont vous tes fier d'tre le citoyen. Je vous comprends. Car pour avoir sjourn dans votre pays et connu votre peuple, j'ai conu pour la Lituanie une amiti et une admiration profondes.

    Comment ne pas contempler avec un sentiment de vnration et un lan d'enthousiasme l'histoire de cette nation valeureuse qui, travers toutes les tourmentes de son destin, n'a jamais dsespr d'elle-mme, a gard la conscience de sa personnalit indlbile et a toujours entretenu la flamme sacre sur l'autel de sa croyance patriotique.

    C'est cette force spirituelle qui a fait su rsurrection, et qui lui vaut le respect du monde civilis.

    Elle et ses deux nations surs, la lettonne et l'estonienne, estimant avec une claire vision des ralits les dangers qui les menacent, mettent leur espoir dans leur bon droit et dans leur haute valeur. Elles se sont unies dans un esprit de solidarit pour dfendre ensemble leur indpendance, achete au prix de tant d'hro'isme, et pour conserver les

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    biens suprmes de la civilisation sans lesquels la vie ne leur semble pas digne d'tre vcue.

    Vous avez voulu dcrire ces liens qui unissent la triade baltique.

    Vous avez ainsi attir nouveau sur ces trois pays l'attention du monde qui pense, qui croit la libert et qui, par consquent, ne peut sparer sa cause de la- vtre.

    Puisse votre livre, qui est non seulement port par un esprit scientifique, remarquable pour votre jeune ge, mais aussi anim d'un bel enthousiasme civique, faire mieux connatre ces trois pays nordiques. Les connatre, c'est les aimer.

    Forgeant wmsi de nouveaux liens de comprhension et d'amiti entre les trois peuples baltiques et l'Europe occidentale, vous avez bien mrit de votre patrie.

    Robert REDSLOB, Professeur la

    Facult de Droit et des Sciences Politiques de l'Universit de Strasbourg

    Grand Officier de l'Ordre du Grand Duc Ged.im.inas Officier de l'Ordre des Trois Etoiles

  • AVANT-PROPOS

    La grande tourmente qui, de 1914 1918, bouleversa l'Europe, et le triomphe des Puissances Allies qui entrana l'croulement en Europe centrale et orientale d'Empires disparates, fournirent des nations, depuis longtemps asservies, l'occasion de secouer le joug et de conqurir de haute lutte la libert et l'indpendance.

    Les traits de paix n 'ont pas cr un ordre nouveau, ils n'ont fait, quelques exceptions prs, que sanctionner un tat de choses instaur par le cours inluctable des vnements.

    Les peuples baltes, comme les autres, s'arrachrent leur oppresseur sculaire, pour chercher dans les cadres d'Etats souverains, l'panouissement de leur personnalit nationale. Ainsi se dgagrent des ruines de l'Empire tsa-riste et des remous de la rvolution les Rpubliques d'Estonie, de Finlande, de Lettonie, de Lituanie et de Pologne.

    Les traits mirent thoriquement fin la guerre, mais la paix fut longue se rtablir dans cette rgion de l'Europe et les frontires nouvelles furent en maint endroit traces d'une faon arbitraire.

    Le problme des peuples baltes a connu depuis des sicles bien des fortunes, mais il n 'a rien perdu de son actualit. A ce carrefour des races, des civilisations et des intrts, les grandes Puissances ont voulu de tout temps conserver leur libert de manuvre.

    L'incertitude de l'heure exige que l'on fasse disparatre le germe des complications internationales, et que les

  • petites nations de cette rgion du globe runissent leurs forces pour faire face au pril extrieur. Il est, en effet, d'autant plus urgent de chercher la question balte une solution quitable que les signes prcurseurs de l'orage apparaissent l'horizon.

    La S.D.N. s'est efforce de crer la scurit collective, mais elle n 'y a pas russi : elle s'est avre impuissante agir efficacement en faveur de la paix et rparer les injustices dans les rgions orientales de l'Europe (nous pensons ici l'affaire de Vilno).

    s'agit de dgager et de mettre en relief les difficults qui troublent ces rgions pour chercher ensuite les remdes propres les rsoudre. Alors seulement il sera possible d'obtenir pour les Etats baltes un statut politico-juridique international.

    Il existe, en effet, dans les Etats baltes, des signes de comprhension mutuelle, un dsir de vivre en fraternelle intelligence et de concourir l'uvre commune de rnovation politique et conomique. Mais ces premiers pas sont fort timides et ils doivent tre encourags, car l'avenir rserve encore aux peuples baltes des lourdes tches.

    Eclaircir ces problmes et prsenter pour l'avenir des solutions de principes, tel est le but de cette tude. C'est, en dehors de quelques articles parus dans la presse, le premier travail systmatique qui ait t entrepris sur ce sujet et nous formons le vu que les erreurs qui auront pu s'y glisser fassent l'objet d'une bienveillante indulgence.

    Nous ne ngligerons pas au cours de cette tude de donner un aperu de la situation gographique et de l'histoire communes des Pays baltes, dont il est indispensable devoir des notions pour comprendre la formation et l'volution de l'Entente baltique. Ces lments sont d'ailleurs fondamentaux pour constituer une entente politique stable et solide.

    Nous nous efforcerons d'autre part de mettre en relief la communaut de vie spirituelle de ces peuples, qui poss

  • dent depuis longtemps dj, nous pouvons l'affirmer avec certitude, une conscience balte commune, pour la dfense de laquelle ils sont prts faire les plus grands sacrifices. Les peuples de la Baltique ne se sont jamais rsigns la servitude.

    Nous ne saurions toutefois souligner bon droit ces sentiments si nous n'tions en mesure de prouver par une analyse de divers domaines de la vie publique des Etats baltes, que ces derniers sont capables de vivre indpendants et de contribuer l'idal de la civilisation universelle.

    Il nous faudra insister galement sur l'ide qu 'entre les peuples baltes, unis et groups gographiquement, de civilisation et d'importance sensiblement identiques, l'union politique se prsente comme un moyen naturel de dfense des intrts communs.

    Nous ferons ensuite pas pas le tour des tentatives nombreuses qui furent faites pour raliser une Union balte, la Pologne et la Finlande comprises, puis nous passerons l'Entente baltique actuelle des trois Rpubliques d'Estonie, de Lettonie et de Lituanie, conclue le 12 septembre 1934.

    Pour justifier la cration et l'existence de l'Entente bal-tique par rapport au droit des gens et pour trouver sa vritable nature juridique, nous devrons entreprendre l'tude gnrale des ententes rgionales en droit international.

    A la fin de notre tude, nous examinerons la nouvelle orientation de l'Entente baltique vers la neutralit, solution reconnue par tous les Etats membres comme la mieux approprie aux intrts de cette rgion.

    Nous devons reconnatre que tous ces problmes sont beaucoup plus compliqus qu'il ne le semblerait ds esprits superficiels. Qu'est-ce que le rgionalisme en droit international public? Qu'est-ce qu'une entente rgionale? Quelle est sa place en droit international public? Aucun dictionnaire de droit international ou presque ne mn-

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    tionne ces problmes. Rares sont les ouvrages qui les touchent, et les actes internationaux, exception faite de l'article 21 du Pacte de la S.D.N., fort laconique d'ailleurs, se taisent sur ce sujet. Cette carence des sources a singulirement compliqu notre tche.

    Il a fallu chercher les lments ncessaires pour cette tude dans les documents diplomatiques et les actes des organismes internationaux. A l'aide de ces documents, nous avons essay de retracer l'volution de la notion de l'entente rgionale et de lui chercher une place en droit international. En ce qui concerne l'Entente baltique en particulier, le manque de publications nous a contraint d'effectuer de longues recherches dans les bibliothques et les archives des lgations des Pays baltes Paris. Enfin, nous basant sur les documents trouvs l-bas, nous nous efforcerons de faire une tude aussi claire que possible et un aperu complet, sans prtendre cependant prsenter un expos sans lacune.

    Notre seule ambition sera de mettre en vidence les problmes urgents des Etats baltes et d'en chercher la solution. Si ce travail peut dans ces Pays gagner des esprits l'ide d'une entente baltique, pacifique, avec une tendance toujours croissante vers un rapprochement plus troit aboutissant la formation d'un systme confd-ratif, nous estimerons que nos efforts n'auront pas t vains.

    Au seuil de cette tude, nous tenons exprimer notre profonde gratitude notre Matre, M. le Professeur Redslob, pour les prcieuses directives et les conseils qu'il a bien voulu nous donner au cours de notre travail.

    Nous sommes heureux aussi de remercier les lgations de Lituanie, d'Estonie et de Lettonie Paris, qui nous ont fourni la documentation ncessaire.

    Nous remercions enfin tous ceux qui, d'une manire quelconque, nous ont aid l'accomplissement de notre tche.

  • CHAPITEE PREMIER

    NOTIONS LMENTAIRES SUR L'ENTENTE BALTIQUE

    1. Aperu gographique des Etats baltes

    a) G-OGRAPHIE PHYSIQUE.

    Les Pays baltes occupent une situation gographique importante. En effet, ce sont les portes, sur la mer Bal-tiques, de la Russie septentrionale et centrale. Par Riga et par la Dna, on accde immdiatement la rgion de Moscou. D'autre part, par les ports baltiques est desservie toute la Russie septentrionale.

    Ces rgions sont par consquent des dbouchs pour la Russie au point de vue politique et conomique. C'est ce qui explique l'intrt qu'avaient les Russes les conserver. Elles taient ainsi un enjeu important pour une puissance ambitieuse de domination et d'expansion dans la mer Baltique.

    Il y a quelques pays en Europe qui se trouvent dans la mme situation: ainsi le cas de l'Albanie qui est une porte d'accs vers les Balkans quand on vient de l'ouest, et ceci explique la politique italienne dans ce pays ; la Belgique et les Pays-Bas, Etats des embouchures du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut, qui sont les issues de l'Allemagne occidentale et qui furent l'objet de plusieurs guerres.

    Les Etats baltes ne virent pas moins de guerres entre les peuples qui ont aspir dominer la Baltique.

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    Cette situation gographique impose aux Etats baltes une politique d'ensemble qui est peu prs celle des Hollandais et des Belges. Ceux-ci ont compris de bonne heure qu'il n'y aurait rien de plus funeste pour eux que de voir leurs ports transforms en base d'oprations soit contre la France, l'Allemagne, soit contre l'Angleterre.

    Les Hollandais et les Belges ont la ferme rsolution de ne se mler la politique internationale que dans la mesure o il est ncessaire de s'assurer des garanties pour qu 'un voisin ne les oblige pas servir de base d'oprations contre d'autres. De mme, les Etats baltes, qui se trouvent politiquement dans la mme situation ont, depuis leur constitution, trs sagement pens que, suivant l'expression de M. Mejerovics, ils ne doivent tre que des Ponts , c'est--dire des passages librement ouverts pour les communications et pour les changes de toute nature entre 1a. Russie d'un ct et le reste de l'Europe de l'autre. C'est ce qu'ils tentent de raliser aujourd'hui.

    Partags et disputs dans le pass entre l'influence sudoise ou allemande et celle de la Russie, les nouveaux Etats, ns de l'effondrement de l'empire tsariste, doivent la survivance ou au rveil des nationalits d'avoir enfin accd une vie propre. Ils forment gographiquement deux groupes distincts:

    I. La Finkmde, que les gologues considrent comme un fragment de la Scandinavie, comme une partie d cet ensemble qu 'ils appellent du nom de Bouclier Baltique .

    II. Les Etats baltes proprement dits, Estonie, Lettonie et Lituanie.

    L'extension de l'empire tsariste vers l'ouest s'expliquait par l'absence, entre l'Europe centrale et orientale, de toute frontire naturelle. De Kaunas jusqu' l'Oural,

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    pas un tunnel sur les voies ferres; seules les rivires, par l'inclinaison de leurs rives, apportent quelque varit dans cette plaine monotone.

    Au nord-est seulement, les deux lacs unis de Pskov et de Peipous et le cours de la Narva servent de frontire naturelle entre la Russie et l'Estonie.

    Au sud-est et au sud les lignes frontires, qui tantt suivent le cours d'une rivire, tantt traversent des forts ou des marcages, sont toutes conventionnelles. D'un territoire l'autre, les chanes de collines se continuent et les plaines se prolongent. Dans la partie infrieure de son cours, la Dna arrose les campagnes lettones; mais ce fleuve, ainsi que le Nemunas (Niemen) en Lituanie, n'a servi que dans une trs faible mesure donner aux peuples baltes leur cohsion et leur communaut de destines. 'est par la mer Baltique, par le golfe de Riga, qui s'avance profondment dans les terres en baignant les ctes de l'Estonie et de la Lettonie, que s'est constitue leur unit.

    C'est aussi par la mer que sont entrs les migrants d'origine allemande, devenus les principaux propritaires du sol, et dtenteurs de toute la richesse nationale. Nous nous occuperons plus loin de la question de la mer Baltique par rapport aux Etats baltes. Du point de vue continental, dans leur ensemble, les Pays baltes sont une terre faiblement leve au-dessus de la mer, mais dessinant tout de mme quelques massifs de collines. Ces hauteurs, qui dans leur formation gnrale ressemblent au plateau accident de la Pomranie et de la Prusse orientale, constituent aussi une sorte de crte entre les ctes de la Baltique et les plaines continentales de l'intrieur.

    Les Pays baltes appartiennent plusieurs bassins fluviaux. Au nord-est, les eaux descendent vers le grand lac Peipous, et par la Narva s'talent dans le golfe de Finlande.

    Quelques ruisseaux ns sur le versant septentrional de

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    l'Estonie coulent aussi directement dans ce golfe. A l'ouest, la Dna en Lettonie, le Niemen en Lituanie, et d'autres cours d'eau moins importants, se jettent dans la Baltique.

    La configuration dfinitive des terres des Pays baltes rsulte de l'volution de la Baltique lors de la disparition des glaciers. Quand les eaux des temps glaciaires devinrent la mer Baltique, le lent exhaussement du sol acheva de donner aux rivages baltes et leurs les leur configuration prsente. Par leurs contours et leur relief, aussi bien que par la nature de leurs roches, les les et l'Estonie mme sont videmment une mme terre: la rgion continentale est reste presque insulaire par les valles profondes qui la dcoupent, et les les ne sont que le prolongement dchiquet du continent.

    Les Ctes. Les cours d'eau qui se jettent dans le golfe de Finlande finissent par des deltas sablonneux. Les sables de la Narva, le plus important cours d'eau, ont t dresss, par le vent, en cordons de dunes aux pieds desquels s'tale la plage de Narva-Jossuu, station de bains de mer trs frquente.

    Depuis la cte occidentale de l'Estonie et celle du golfe de Riga, les falaises et les criques disparaissent jusqu'au del de l'embouchure de la Daugava. Une cte basse et brumeuse s'tend sur les dpts de la mer Yoldia (1).

    Grce des lagunes saumtres o l'on utilise des boues mdicinales, se sont dveloppes Haapsalu, sur la terre ferme, et Kuressaare dans l'le Saaremaa, en Estonie.

    A partir de la baie de Parnu commence un rivage sablonneux que longe un courant venu de la Baltique. Ce courant dplaant les sables le long du golfe de Riga, modifie peu peu les embouchures des rivires: la Prnu ainsi

    (1) Pendant que le glacier rtrogradait, l'espace qu'il abandonnait tait envahi par la mer que les gologues, du nom d'vm de ses mollusques caractristiques, appellent la Mer Ioldia .

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    dvie coule sur six kilomtres paralllement la cte, avant de se jeter dans la mer. Les rivires de Courlande sont dvies galement par le cheminement des sables. C'est de part et d'autre de l'embouchure de la Daugava que l'on voit le mieux les pisodes de la lutte entre l'eau et le sable: entre le lac Lilast l'est et le lac Kanieri l'Ouest, divers lacs et marais jalonnent l'emplacement d'un ancien Haff. Aussi des sables forment sur presque toute leur tendue les ctes lettones et lituaniennes. Ces sables en certains endroits sont encore mobiles; les vents qui soufflent d'une manire rgulire de l'ouest l'est en ont fait des dunes mouvantes qui, ainsi qu 'il est frquent sur ces ctes du nord de l'Europe, ont recouvert des villages et provoqu au cours de l'histoire un certain nombre de catastrophes. Le plus souvent on les rencontre l'tat de kaugern ou dunes fixes par des forts de pins, laissant entre elles des couloirs humides et herbeux, tels que les kuhrische nehrungen.

    Climats et vgtations. Sur cet espace de terre, on peut observer la transition de l'Europe centrale vers la Russie et voir s'attnuer assez vite l'influence maritime.

    La temprature moyenne de janvier, qui est de 2,2 Liepoja, et de 2,7 Ventspilis, descend 4 Kaunas, 6,3 Tartu o l'on a enregistr un minimum absolu 36,2. L'Ema, Tartu, est bloqu par les glaces pendant 119 jours; le Nemunas (Niemen), Kaunas, pendant 77 jours seulement. La rgion littorale est favorise par rapport l'intrieur. Quand on va vers la cte prussienne, si faible que soit la diffrence de latitude, on voit diminuer rapidement la dure de l'embcle : alors que la glace occupe le port d'Helsinki pendant 139 jours en moyenne, celui de Tallin ne compte que 48 jours de conglation. Liepoja (Liban) et Klaipeda (Memel) ne sont presque jamais inaccessibles.

    'est pourquoi la Russie, aprs avoir obtenu de la Let

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    tonie un passage vers la mer, a construit Liepoja un port pour l'exportation des bls et l'a reli l'une de ces grandes voies ferres venant de la ligne dite Orel-Libau.

    En t, les diffrences de temprature sont moins grandes : la temprature de juillet, attnue par la mer, est de 164 Liepoja. Le golfe de Riga, en revanche, encadr par les terres, a une moyenne en juillet de 17,8 Riga, o on connat un maximum de 38,2. Tartu n'accuse qu'une moyenne de 16,9.

    Les Pays baltes ne possdent qu'une vgtation pauvre et assez uniforme. L'influence du sol s'y traduit, comme en Russie, par la prdilection du pin pour le sable et du sapin pour les sols plus humides. Ces arbres, avec le bouleau, constituent les principales essences des forts qui sont une des ressources principales des Etats baltes.

    ) GOGRAPHIE POLITIQUE.

    Les populations. Deux groupes principaux de populations se partagent le territoire des Etats baltes: 1 Au nord, les Estoniens, de race et de langue finnoises ; 2 Au sud, les Lettons et les Lituaniens, qui f orment un groupe part d'Indo-Europens appel parfois groupe balte . Les langues lettone et lituanienne se ressemblent beaucoup. Le lituanien est toutefois d'un type plus archaque que le letton et 'est de toutes les langues indo-europennes celle qui accuse la plus troite parent avec le sanscrit. Mais ces deux langues n'ont t crites que trs tard aprs la Rforme: le plus ancien texte lituanien connu, traduction d'un chant d'glise, ne date en effet que de 1545.

    Restes langues orales des paysans, le letton et le lituanien ont d admettre des mots emprunts aux langues crites des matres du pays. En Lettonie, o l'ordre teutoni-que conserva le pouvoir jusqu'en 1561, et o subsista jusqu' nos jours une classe influente de grands propritaires fonciers allemands, ce furent des termes allemands. En

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    Lituanie, pays dont les seigneurs tendirent leur autorit jusqu'en Russie Blanche et mme jusqu' Kiew, c'est au blanc-russien, puis au polonais, que se firent les emprunts.

    Toujours est-il que le letton et le lituanien, cause de la condition infrieure de ceux dont ils taient la langue exclusive, n'ont connu leur avnement la vie littraire qu'au cours du XIXme sicle, quand le servage fut aboli dans les Pays baltes. Encore, la politique de russification, pratique surtout partir du rgne d'Alexandre III, a-t-elle paralys l'essor du letton, de l'estonien et du lituanien comme langues enseignes et imprimes.

    Il a fallu les vnements de 1918 pour donner ces trois langues la dignit de langues nationales.

    Lorsque les Pays baltes se sont spars de la Russie, les frontires des trois Etats, entre lesquels se partagent aujourd'hui ces pays, ont suivi assez fidlement les limites linguistiques respectives de l'estonien, du letton et du lituanien.

    Les trois Etats baltes jouissent d'une homognit nationale et linguistique trs suffisante: on compte 87,7 .% d'Estoniens en Estonie; 73,4 % de Lettons en Lettonie, et 83,91% de Lituaniens en Lituanie. Les minorits se composent d'lments ethniques introduits dans les Pays baltes par les vicissitudes historiques de ces derniers sicles. Les premiers Allemands qui s'tablirent en Livonie furent des marins de Lbeck, naufrags en 1159, l'embouchure de Daugava. D'autres vinrent les rejoindre: ensuite arrivrent des moines, bientt aprs des chevaliers.

    Au XVIme sicle a lieu, comme en Prusse, la conversion au protestantisme, ce qui explique la prdominance de la religion lutherienne en Estonie et en Lettonie. La Lituanie, tout en restant un Etat indpendant, tait lie par une union avec la Pologne catholique.

    La guerre du Nord apporta de grands changements cet tat de choses, et la conclusion de la paix, en 1721, valut

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    la Russie: l'Estonie et la Livonie. Les partages de la Pologne et de la Lituanie achevrent de donner la Russie, en 1795, avec la Courlande et la Lituanie, l'ensemble des Pays baltes. Mais l'influence des Allemands, qui dtenaient d'immenses domaines et l'emportaient numriquement dans les grandes villes, restait considrable et l'enseigne^ ment fut donn en allemand l'Universti de Tartu jusqu'en 1815. De mme en Lituanie, o le polonais tait la langue administrative depuis 1696, presque tous les fonctionnaires taient Polonais sous Alexandre Ier, et le catholicisme restait la religion de 85 % des habitants.

    Dans la composition des minorits ethniques, se joignent aux Allemands, aux Russes et aux Polonais, les Juifs, attirs par le commerce ou refouls de Russie, en vertu du rglement qui leur interdisait, sauf un petit nombre de privilgis, de s'tablir l'est d'une ligne allant de Pskov Harkov.

    Le trac de la frontire orientale a t favorable l'Estonie et la Lettonie et leur a valu quelques cantons o les Russes sont relativement nombreux, parfois en majorit. La ville de Narva, en Estonie, compte 29 % de Russes, et l'troite bande de terre adjuge l'Estonie droite de la Basse Narva est peuple de Russes et le russe y est parl par 63 % de ses habitants. Aussi, dans l'ensemble de l'Estonie, les Russes reprsentent-ils 8,2 % de la population. En Lettonie, ils figurent pour 12,5 % de l'effectif des habitants. 'est le rsultat de l'attribution cet Etat de la ville de Daugavpilis et d'une partie de l'ancien gouvernement de Vitebsk.

    En Lituanie, en revanche, on n'a compt en 1923 que 2,7 % de Russes contre 2,5 % de Polonais et 7*6 % de Juifs. La proportion de Juifs est particulirement forte dans les villes.

    Des 1.120.000 habitants (23 au kilomtre carr) que compte l'Estonie, 58,8 % vivent du travail de la terre, et

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    15,2 % de l'industrie. Prs du quart de l'Estonie est form de terres labourables; les pturages occupent deux cinquimes, les forts un cinquime de la superficie totale. Le seigle et la pomme de terre sont les cultures dominantes dans le nord; l'avoine dans le sud. C'est dans le sud aussi que se maintient la culture du lin. L'effectif du btail, reconstitu, dpasse 38 ttes au kilomtres carrs, avec un accroissement sensible des btes cornes et une tendance au dveloppement de l'industrie laitire.

    La principale ressource minrale consiste dans les schistes bitumeux, qui servent au chauffage, bien qu'ils laissent un fort rsidu de cendres, et qui fournissent en outre du gaz, du goudron et de l'huile minrale.

    Il y a en Estonie huit villes de plus de 10.000 habitants, et la population urbaine, en augmentation rgulire, a atteint en 1931, 30 % de la population totale. La capitale Tallin a 130.000 habitants. Viennent ensuite : Tartu (70.136 h.), Narva (24.800 h.), Pernu (20.678 h.), etc...

    Le port de Tallin assure les trois quarts du commerce extrieur de l'Estonie. Tartu, dont les origines remontent au XIme sicle, doit sa renomme son Universit qui, fonde en 1632, ferme moins d'un sicle aprs, a t rtablie en 1802 et est reste depuis lors un foyer intellectuel de premier ordre.

    Plus encore que l'Estonie, la Lettonie est pauvre en ressources minrales. L'ambre, encore assez abondant entre le lac d'Engure et la cte jusqu'au sicle dernier, est devenu rare. L'industrie cramique utilise l'argile glaciaire.

    Aussi 68 % des habitants vivent-ils de l'agriculture et de l'levage. Les cultures sont les mmes qu'en Estonie, y compris celle du lin. Mais l'effort des paysans, que la rforme agraire a rendu propritaires des domaines seigneuriaux d'autrefois, tend de plus en plus accrotre l'effectif des animaux de boucherie et de laiterie, et les

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    coopratives assurent au lait et au beurre dment contrls des dbouchs en Allemagne et en Angleterre.

    Un des principaux produits du sol est le bois, car les forts couvrent encore 28 % de la surface du pays. Pour le transport des bois, coups en hiver, la Daugava est une prcieuse voie. Le travail industriel des produits du sol et de l'levage, ainsi que la possession d'un rseau plus dvelopp de communications font que la population urbaine (34 % du total) est plus nombreuse qu'en Estonie. 23 % de la population recense en 1925 vivait dans les villes de plus de 10.000 habitants ; 18 % dans la seule ville de Riga, qui, malgr les ravages des guerres, l'amoindrissement de ses grandes usines de mtallurgie et de caoutchouc, avait reconquis son effectif de 1914, et l'a depuis lors sensiblement dpass (378.000 habitants en 1930). Fonde en 1201, Riga entra dans la Ligue Hansatique en 1284 et entretint des relations avec tous les pays riverains de la Baltique et mme avec l'Angleterre et la France. Depuis le XVT"e sicle, malgr le changement de domination, Riga tait en pleine prosprit. La cration du rseau ferr en avait fait un dbouch pour les bls du midi, le beurre et les ufs de Sibrie. Avec ses treize kilomtres de quais, sa surface d'eau de 825 hectares, son lvateur, son frigorifique, le port comprend: le port de bois, le port proprement dit, les deux avant-ports de Milgravis et de Bolderaja, le port d'hiver, tous desservis par des voies ferres et rendus prati-quables en hiver l'aide de brise-glace. La capitale de la Lettonie, Riga, ne cesse de grandir. A l'poque actuelle, il y a dans cette ville une universit, des muses, des bibliothques, des coles spciales, sans oublier un institut et un lyce franais.

    Deux autres ports: Venspilis et Liepaja, contribuent eux aussi l'activit commerciale de la Lettonie. Liepaja (61:000 habitants), qui date du 1 sicle, se dveloppa surtout dans les dernires annes de la domination russe;

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    on y construisit un port de guerre et le chemin de fer l'unit Orel (Russie Blanche). La mtallurgie y est active, ainsi que la fabrication des conserves de poissons.

    Viennent ensuite les villes de Daugavpilis, sur la Daugava, au croisement de la voie ferre de Berlin Leningrad et de celle de Riga Orl; Jelgava (33.000 h.) et Rezekne (12.000 h.), centre commercial de la Letgalie, pays des cultures de lin.

    Plus encore que ses deux voisins du Nord, la Lituanie vit de l'agriculture et de l'levage, qui occupent plus de 79 ,% de ses habitants. Les cultures sont les mmes que celles des Pays baltes. Parmi les animaux domestiques, le paysan lituanien semble avoir une prdilection pour l'levage du porc. Les paysans lituaniens ont conserv une race spciale de chevaux indignes zemaituai , petits, mais robustes et trs rapides.

    Les forts couvrent encore prs de 17 % de la surface de la Lituanie, mais l'exploitation abusive qui en a t faite pendant la guerre en a rduit notablement la valeur.

    La Lituanie ne possde que cinq villes de plus de 10.000 habitant. La principale est la capitale, Kaunas, 110.000 h. La domination russe en fit une des plus puissantes forteresses de la frontire occidentale sur la grande voie ferre de St-Petersbourg Berlin.

    A l'issue du Kurischen Haff, Klaipeda (Memel) (34.000 h.) fut cde l'Allemagne, en mars 1939, la grande douleur des lituaniens, car c'tait leur unique port sur la Baltique et il tait d'une importance norme pour la Lituanie. Viennent ensuite Siauliai (22.000 h.), Panevezys, etc...

    Il y a lieu .de noter aussi que la vie industrielle se dveloppe de plus en plus en Lituanie. Ces dernires annes entre autres deux grandes fabriques de sucre ont t construites.

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    Les Puissances littoral baltique. Sur la cte de la Baltique, un certain nombre de Puis

    sances se sont formes diverses poques de l'histoire. Elles avaient besoin de cette mer et se sont imposes des vocations maritimes. Ainsi la Baltique fut d'abord un lac Scandinave, l'poque lointaine des invasions normandes et danoises. Puis ce fut un lac allemand, l'poque de la ligue hansatique, qui entre 1250 et 1535 a cern de ses ports tout le littoral balte. La Baltique fut ensuite un lac danois : le Danemark faisait de la Baltique une sorte de lac commercial et militaire et il entretenait une lutte contre la Pologne qui avait besoin du dbouch balte pour envoyer ses bois, son chanvre, son bl, aux Pays-Bas et la Grande-Bretagne, dont les flottes exigeaient des mts, des cordages et du bl polonais.

    Au XVIIIme sicle, la Baltique fut un lac sudois: poque des conqutes de Gustave-Adolphe et de Charles X, roi soldat. Les riverains baltes furent menacs de cet imprialisme. Ce fut la Hollande qui les sauva, de deux manires: d'abord au point de vue militaire, par les victoires de Ruyter, ensuite au point de vue juridique, par Grotius qui, le premier, formula et appliqua la Baltique la thorie de la libert des mers.

    Les victoires de Pierre le Grand, en 1721, affranchissent dfinitivement les Pays baltes de la Sude. La priode suivante marque le dbut de la concurrence entre la Russie et l'Allemagne. L'une et l'autre prtendent dominer la Baltique. Tandis que la Russie impose sa domination aux Pays baltes et la Finlande, l'Allemagne y dveloppe sa civilisation. Les grands propritaires de terres, les barons baltes, fonctionnaires du tsar, sont l'avant-garde de la langue et des coutumes germaniques. La concurrence prit fin par la matrise de la Baltique par l'Allemagne pendant la Grande Guerre. Mais aprs l'armistice, l'Allemagne n'y tait plus prdominante, elle se trouvait supplante par

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    l'Angleterre, qui, vrai dire, ne se dsintressait jamais de la Baltique.

    Depuis Cromwell, le pavillon anglais fut celui qu'on vit le plus souvent sur la Baltique. En 1807, par exemple, les navires de guerre britanniques bombardrent la flotte danoise dans le port de Copenhague. L'Angleterre revint la charge en 1850, lorsqu'elle bombarda Bomar-Sund dans les les Aland.

    Pendant plus d'un sicle, la grande rivale de la politique anglaise sur la Baltique avait t la Russie. Puis, ds 1871 environ, la rivale fut l'Allemagne. Mais le champ devint libre en 1919 et l'Angleterre crut alors l'occasion favorable: ds que les mines furent enleves, aprs l'armistice, une escadre britannique pntra de nouveau dans la Baltique et, pendant toute l'anne, livra combat entre la Courlande et la Finlande. Elle bombarda Cronstadt, et dfendit Riga contre les troupes allemandes. La politique anglaise en 1919 visait donc la matrise de la Baltique. Le rgime accord Dantzig, la neutralisation du canal de Kiel et des les Aland, la sparation de la Prusse orientale du reste de l'Allemagne par le corridor polonais furent l'uvre de l'Angleterre pour affaiblir l'Allemagne sur la Baltique.

    Quant au littoral russe, l'Angleterre en carta la Russie sovitique, ou du moins elle ne lui laissa qu'un accs aussi troit que possible, de 250 kilomtres peu prs, au fond du golfe de Finlande, en faisant des petits pays baltes, anciennes provinces russes, des Etats indpendants.

    somme, le principe qui a rgi l'histoire tait : la Baltique au plus fort.

    La position de la Pologne entre les Puissances du littoral baltique.

    La Pologne est un Etat continental. Chaque fois qu'au cours des sicles une expansion quelconque de la Pologne essayait de se faire jour, elle fut arrte l'ouest par l'Ai-

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    lemagne et l'est par la Russie. Cependant des facteurs gographiques ont permis la Pologne de sortir de cette treinte entre les deux Puissances: c'taient ses voies d'eau, ses fleuves, qui sont trs nombreux. La Vistule a jou un grand rle au point de vue politique et conomique en Pologne. C 'est le seul fleuve qui aille vers la Baltique. Dans tout son cours suprieur, la Vistule est le lien entre les petites villes polonaises et Cracovie. Autour de la Vistule s'est concentre, au cours de l'histoire, la vie politique et conomique de la Pologne. Ce fut la Vistule, sortie sculaire de la Pologne sur la mer, qui, traversant des pays purement polonais, permit la Pologne de rsister la pression de l'Allemagne et de la Russie et assura la fois sa libert politique et son expansion commerciale.

    Par son dfaut de vocation maritime et sa position gographique, la Pologne n 'a jamais t une nation de marins. Elle n'est parvenue la Baltique, qu'en vertu du Trait de Versailles, pour assurer son dveloppement continental.

    La position des Etats baltes.

    Mais au cours des luttes pour le dominium maris Bal-tici, que fut le sort du littoral habit aujourd'hui par les petits peuples baltes? Il fut occup par les nations de race et de civilisation particulires: Estoniens, Lettons et Lituaniens, qui luttrent pour sauvegarder leurs caractres nationaux jusqu' la conqute de leur indpendance.

    Tandis que la vie nationale se dveloppait, une vocation maritime depuis leur indpendance se formait peu peu. Etats agricoles, ils sont devenus exportateurs par excellence: bois, pte papier, lin, bl, etc..., prirent le chemin de la mer. Pour exporter il fallait une mer libre. L'esprit maritime des Etats baltes est ne de la ncessit de l'exportation, de la lutte contre les principes du dominium maris Baltici et du mare clausum.

    Les Etats baltes veulent l'application du principe nouveau: la Baltique toits les riverains.

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    2. Traits historiques des Etats baltes La question se posera peut-tre de savoir pourquoi nous

    faisons ici une large place l'histoire des Etats baltes. Dans Pavant-propos, nous avons dj indiqu que nous

    ne ngligerions pas au cours de cette tude de donner un aperu de l'histoire commune des Pays baltes, dont il est indispensable d'avoir des notions pour comprendre le sens et l'volution de l'Entente baltique. L'histoire est d'ailleurs un des facteurs fondamentaux qui commandent la constitution d'une entente politique stable et solide.

    Une connaissance, bien que trs lmentaire, nous aidera mieux comprendre les tendances actuelles de ces peuples, leur psychologie politique et nous montrera la ncessit pour eux d'un rapprochement continuel.

    La Lituanie fut la premire apparatre dans l'histoire des Pays baltes avec une certaine organisation politique et capable de subsister comme Etat indpendant. Elle joua un grand rle dans la lutte contre les nombreux ennemis qui menacrent les Pays baltes.

    Il nous a donc paru justifi de commencer cet aperu historique par la Lituanie. *

    a) LA LITUANIE.

    La Lituanie s'tend sur 56.100 km2 ; elle est peuple de 2.393.000 habitants.

    Avant la guerre, la Lituanie faisait partie de la Prusse et de la Russie. On entendait par Lituanie le pays habit par des populations d'origine lituanienne, c'est--dire une partie de la Prusse orientale, et, en Russie occidentale, une partie des gouvernements de Kovno, Vilna, Grodno et Sou-valki. Le nombre des Lituaniens qui vivaient dans ces pays s'levait 5 millions environ.

    Au point de vue ethnographique, on rattache aux Lituaniens, ou plutt la famille leto-lituanienne:

  • 2b'

    1) Les Lituaniens proprement dits : 2) Les Prussiens ou Borussiens, qui habitaient les

    cotes de la Baltique, entre la Pregel et 1a. Vistule infrieure et qui, asservis de bonne heure par les Teutoniques, avaient presque perdu, il y a deux sicles, les derniers vestiges de leur nationalit ;

    3) Les Lettons qui habitent la Cour lande presque en entier, la Livonie mridionale, le sud-est du gouvernement de Vitebsk et quelques bourgs de la Lituanie.

    Quand les Lituaniens se sont-ils tablis dans le bassin du Niemen? D'o venaient-ils? Quelle route ont-ils suivie! Autant de questions auxquelles leur apparition tardive dans l'histoire ne permet pas de rpondre autrement que par des hypothses. Il est vraisemblable qu'ils migrrent en Europe la mme poque que les slaves qu'ils prcdrent, comme on peut le supposer d'aprs leur situation gographique.

    Au IXme sicle aprs Jsus-Christ, les Lituaniens occupaient une grande partie du bassin de Niemen. On trouvait au nord-est, sur la rive gauche de la Dna, les Zem-galiai, et sur la rive droite les Lettons; au sud, sur les bords de la Baltique, les Prussiens. Au XIIIme sicle, les Lituaniens demeuraient seuls indpendants. Les Prussiens, les premiers, avaient t soumis par les chevaliers teutoniques aprs une sanglante rsistance. Les survivants, assimils par leurs vainqueurs, perdaient bientt toute marque de leur nationalit. Les Lettons et les Zemgaliai, soumis par les Porte-glaives, conservaient cependant leurs murs et leur langue, et leurs descendants ont gard au moins en partie pet hritage.

    La situation gographique de la Lituanie explique en partie son histoire. Reserre entre les Slaves et les Allemands, et ne pouvant dans la lutte s'appuyer sur des frontires naturelles, place la limite des civilisations orientale et occidentale, du Christianisme grec et de l'Eglise

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    romaine, demeure jusqu'au XVIrae sicle un degr de culture qui, sans tre aussi bas qu'on l'a prtendu, tait pourtant infrieur celui des peuples voisins, la Lituanie devait, tt ou tard, perdre son indpendance politique. Son union avec la Pologne n'a pas chang son destin. Elle n'a fait que modifier les influences reues, et suspendre au moins pour les provinces nationales la russification laquelle celles-ci furent de nouveau soumises aprs le partage.

    Ce qui a permis la Lituanie, malgr cette situation, non seulement de subsister, mais aussi de grandir et d'tendre en un certain moment de son histoire sa domination jusqu' la Mer Noire, c'est le courage du peuple lituanien et le gnie militaire et politique de ses princes. Ceci s'explique aussi par le fait que les Lettons et les Prussiens, placs entre les Allemands et les Lituaniens, retardrent leur choc jusqu'au moment o ces derniers furent assez forts pour y rsister. Sans ces circonstances peut-tre, la Lituanie eut-elle aussi subi le sort des Lettons qui, ds 1225, taient soumis par les Porte-glaives, et des Prussiens qui, ds la fin du XIIme sicle, aprs une rsistance hroque, taient leur tour dfinitivement subjugus par les Teutoniques.

    L'histoire de la Lituanie n'est pas connue et l'obscurit qui entoure ses origines ne se dissipe gure qu'au XIIIme sicle. A partir de cette poque d'ailleurs, l'ordre chronologique des vnements est encore incertain, et dans la longue srie de guerres o les mmes adversaires se trouvaient en prsence, la mobilit des frontires, l'occupation et la perte maintes fois renouveles des mmes territoires, la distinction peu claire entre les pays conquis ou seulement domins, font qu'il est impossible de dater tous les accroissements territoriaux de la Lituanie et qu'en les attribuant tel ou tel de ses princes, on commet ncessairement des erreurs.

  • 28

    Avant de se grouper autour d'un petit nombre de chefs,, puis d'un chef unique, les Lituaniens vivaient par clans dans leurs forts et leurs marcages, avec une sorte d'organisation communale trs simple, sans lois crites. Ils vivaient de produits agricoles et entretenaient des relations commerciales avec les Slaves et les Sudois. Diviss entre eux, ils ne s'unissaient que pour attaquer les Russes sur les territoires desquels ils faisaient de nombreuses incursions. La premire mention qui soit faite des Lituaniens dans l'histoire se trouve dans la chronique de Nestor qui relate les victoires remportes sur eux en 1040 et 1045 par les princes russes. Ces expditions et surtout le besoin de dfendre leur indpendance et leur religion contre les Allemands les unirent au commencement du XIII" sicle. Il semble qu'alors leurs nombreuses principauts se soient fdres.

    Mindaugas fut le premier grand prince des Lituaniens Il s'effora par tous les moyens de raliser l'unit nationale, et eut lutter contre les Russes, les Polonais, les Porte-glaives, et contre ses neveux qui, maris des princesses russes, voulaient se dtacher de, la Lituanie. Pour rsister aux Porte-glaives, il fit appel au pape Innocent IV et reut le baptme et la couronne en 1252.

    Mindaugas mourut assassin en 1263, avant d'avoir achev son uvre, et la Lituanie, ensanglante par la lutte du fils de Mindaugas contre les assassins de son pre, retomba dans une anarchie qui dura vingt ans.

    Vitenis rtablit l'ordre. Le successeur de Vitenis, son frre Gediminas (1315-1340), chef de la dynastie de Jagel-lons, fut le vritable fondateur de la puissance lituanienne. Il porta le titre officiel de Rex lituanorum et magnae partis Ruthenorum. Il remporta de grands succs sur les Russes soutenus par les Tartares. occupa la Volinie et s'avana jusqu' Kiev.

    A ce moment, la Lituanie est l'apoge de sa grandeur

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    et peut tre regarde par les occidentaux comme une barrire oppose aux Mongols.

    Le grand duch de Lituanie formait alors un vaste empire s'tendant des rives de la Baltique aux bords de la Mer Noire, sur un territoire d'une superficie suprieure un million de kilomtres carrs.

    En prsence du pril teutonien, le grand duc Gediminas crivit le 26 mai 1323 au Pape Jean XXII une lettre mouvante. Dans cette supplique, il expliquait que plusieurs de ses prdcesseurs avaient offert d'appeler des missionnaires chrtiens et que lui-mme tait prt embrasser la foi catholique pourvu que ses compatriotes soient dlivrs des chevaliers teutoniques. Le pape envoya alors en Lituanie deux prlats franais, Barthlmy, vque d'Alais, et Bernard, abb du Puy. Des traits taient dj rdigs, quand de nouvelles exactions germaniques rendirent vaines les bonnes dispositions de Gediminas.

    Comprenant que la Lituanie ne pouvait plus rester isole, Grediminas noua des relations avec les diffrents peuples de l'Europe. Il organisa le pays, y attira des artisans et des artistes trangers et ngocia avec les villes hansa-tiques. En un mot, il essaya d'introduire en Lituanie, par tous les moyens, la civilisation occidentale.

    Il mourut en 1340, atteint par un projectile, dans une bataille contre les chevaliers, Veliuona. A cet endroit, un tumulus gant fut lev en l'honneur du Hros.

    Gediminas ne put raliser tous ses projets. Il avait russi cependant unifier la Lituanie. Dans cette confdration qui comprenait des Lituaniens, des Blancs-Bus-siens et des Ukrainiens, les peuples soumis contribuaient sans dplaisir au dveloppement de la Lituanie.

    Dans la marche-orientale, les soldats de Gediminas montaient fidlement la garde contre l'invasion tartare qui s'apprtait de nouveau forcer les portes de l'Europe.

    Aprs la priode de troubles qui suivit la mort de

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    minas, deux de ses fils Algirdas et Keistutis rgnrent: l'un sur la Lituanie orientale, l'autre sur la Lituanie occidentale. Le rgne d'Algirdas est rempli par des guerres contre les Teutoniques et les Tartares. Dans une bataille dcisive sur la Rivire Bleue, il battit trois chefs tartares et les repojissa en direction de la Crime, au-del de l'embouchure du Don. L'invasion s'tait brise contre la muraille leve par Mindaugas et Gediminas, mais ses flots imptueux essayaient toujours de forcer le passage qui conduisait en Europe occidentale. A plusieurs reprises, la Lituanie devint le boulevard de la civilisation qui prserva 1 Europe du flau tartare.

    Vainqueur aussi des Russes, Algirdas marcha trois fois sur Moscou, pntra jusqu'en Crime, et sa mort la Lituanie tendait sa domination de la mer Baltique la mer Noire, du Bug aux sources du Donetz. Le rgne d'Algirdas sur les terres russes favorisa le dveloppement de l'influence russe. L'glise orthodoxe fit de nombreux adeptes. Le mariage d'Edwige, reine de Pologne, et de Jogaila (Jogellon), fils d'Algirdas, qui a donn la dynastie lituanienne la Pologne, arrta ces mouvements. Mais le mariage de Jogaila, sa conversion au catholicisme, ne marquent pas la fin de la nation lituanienne. Jogaila dut laisser le gouvernement de la Lituanie Vytautas, dont il avait tu en prison le pre, Keistutis, hros des guerres contre les Allemands. Vytautas fit tous ses efforts pour sauvegarder l'indpendance de la Lituanie, et ce n'est qu'aprs sa mort, en 1430, que les destines des deux Etats, Lituanie et Pologne, furent vritablement unies.

    Depuis l'union de la Lituanie et de la Pologne.

    En 1386, lors du mariage de Jogaila avec Edwige de Pologne, la grande principaut de Lituanie comprenait : 1 la Lituanie proprement dite, c'est--dire le bassin suprieur du Niemen et celui de son affluent la Vilija, avec la capitale de Gediminas, Vilnius; 2 la Russie Blanche, c'est-

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    -dire les anciennes principauts russes de Potsk et de Vitepsk; 3 la Russie Noire avec les villes de Tchernigov et l'ancienne mtropole de la Russie, Kiew; 4 la Volinie avec Loutsk, la haute valle de Pripet avec B^est-Litofsk.

    La Lituanie tait par consquent l'Etat le plus vaste de l'Europe: de la Samogitie aux steppes du sud, elle allait d'une mer l'autre.

    Il s'en fallait de beaucoup, du reste, qu'elle ft un Etat cohrent et solidement organis. Elle n'avait pas d'unit nationale: les Lituaniens proprement dits y taient moins nombreux que les Russes. Elle n'avait pas d'unit religieuse non plus. Elle n'avait pas enfin de constitution politique: le pouvoir tait hrditaire dans la famille de Gediminas, mais tous les princes issus de cette souche se le disputaient et leurs querelles favorisaient l'closion d'une puissance en partie lituanienne et en partie russe.

    Cet Etat disparate, fond uniquement sur la conqute, ne pouvait durer qu'en adoptant les institutions de ses voisins. Du temps de Gediminas, on avait vu dj des Lituaniens adopter, pour leurs rapports avec les Etats voisins, la langue de leurs sujets russes, qui resta jusqu'au XVIme sicle la langue de leurs chancelleries. Toutes les ambitions des chefs lituaniens taient tournes du ct de l'Est. Le cours naturel de cette volution fut interrompu par le mariage de Jogaila. Celui-ci, ayant embrass la religion romaine, essaya de faire de sa principaut un pays catholique, et favorisa l'influence polonaise. L'orientation subsista mme aprs que Jogaila, oblig de choisir entre ses deux couronnes, eut t forc de laisser la Lituanie son cousin Vytautas. Les Lituaniens prirent part, ct des Polonais, la grande campagne contre l'Ordre teutonique qui se termina par la victoire de Tannenberg, en 1410: ils y gagnrent la libration de la partie de la Samogitie que les Allemands avaient dj conquise.

    Vytautas n'entendait pas, du reste travailler l'union:

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    de la Lituanie la Pologne. Il aurait voulu faire de la grande principaut un royaume gal en dignit au royaume de Pologne, libre de toute ingrence polonaise. Il songea .se faire couronner roi et liquider de cette manire l'quivoque inhrente aux relations hirarchiques du Roi et du Grand-Duc.

    Le 6 janvier 1429, Lutsk, en Lituanie, fut convoque une des plus nombreuses assembles que mentionne l'histoire du monde. Officiellement, on y devait traiter de la formation d'une ligue contre les Turcs, mais en ralit cette runion devait avoir la solennit du couronnement.

    On y vit l'empereur Sigismond avec l'impratrice, le roi Wladislas Jagellon, le roi de Danemark Eric XIII, les princes de Sude, les ducs de Masovie, les grand-ducs Bazile de Mascovie, Borys de Twer, Olga de Rezan, les grand-matres des Chevaliers teutoniques et des Porte-glaives, les khans des Tatars, les ambassadeurs de l'empereur de Byzance Palologue, les Magnats de Pologne et de Lituanie avec leurs pompeux cortges (2).

    Malgr la rsistance de la Pologne, l'empereur Sigismond envoya des ambassadeurs Vilnius pour remettre Vytautas la couronne et le sceptre. Les Polonais ne voulant pas admettre la rupture dfinitive des liens de la Lituanie avec la Pologne interceptrent l'envoi de la couronne.

    L'historien Lelewel crit: Les Polonais craignant que la rapparition du nom de royaume de Lituanie n'ament un jour la dissolution de l'union peine cimente, barrent le chemin aux ambassadeurs impriaux que Vytautas attendait avec impatience, et ne leur permettent de passer ni par la Pologne, ni par la Pomranie (3).

    Vytautas ne se dcouragea pas. Une deuxime ambassade, en vue du couronnement^ fut organise par l'empe-

    (2) Oharies Forster, Pologne, Paris 1850, pp. 82-83. (3) Joachim LELEWEL : Histoire de la Lituanie et de la Ruthnie, Paris

    et Leipzig-, 1861, p. 155.

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    reur romain. Mais Vytautas mourut en 1430, avant l'arrive de l'ambassade.

    Ces faits historiques montrent clairement quelle importance la politique polonaise attachait des liens troits avec la Lituanie. Toute la tragdie de la Lituanie est que Vytautas n'a pas laiss d'hritiers ou de successeur digne de lui.

    La Lituanie eut dsormais tantt le mme souverain, tantt un souverain particulier, mais toujours descendant de Jogaila (Jagellon). Cet tat de choses dura jusqu' la seconde moiti du XVIme sicle, o on put prvoir en Pologne l'extinction prochaine de la dynastie lituanienne de Jagellon, c'est--dire la disparition du seul lien politique des deux pays. D'autre part, en Lituanie, on tait proccup par la force grandissante des princes de Moscou, de leurs prtentions sur les terres russes dpendantes de la grande principaut. De ces inquitudes sortit en 1569 la clbre Union de Lublm.

    Pendant cette union, la Lituanie et la Pologne taient deux pays jouissant d'une parfaite galit. La. Lituanie n'a jamais t une province polonaise, comme le prtendent les Polonais. La Lituanie constituait, en 1569, avec la Pologne, une Rzeczpospolita Oboiga Narodov (Rpublique des deux peuples). Le Professeur Seignobos l'appelle: Pologne-Lituanie (4). Il s'agissait donc d'un Etat dualiste. L'unit des deux pays se manifesta seulement par le fait qu'ils avaient un chef unique et deux chambres lgislatives communes. La Lituanie garda son gouvernement et son administration. Le titre de Grand-Duc ainsi que le sceau de l'Etat lituanien taient maintenus.

    La Lituanie avait ses lois et son arme. Les frontires entre les deux Etats taient constamment gardes (5).

    (4) SHIGNOBOS : Les aspirations automistes m Europe, Paris, 1913, p. 7. (5) Prof. HALECKI : Evolution historique de l'Union polono-lituanienne

    iMonde Stove, mai 1926).

    3

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    La Lituanie et la Pologne, dit M. Aulneu, formaient une double monarchie comparable l'Etat fdral d'Autriche-Hongrie, et leur constitution tait fort complique. Bien qu'unis, les deux Etats vivaient d'une vie presque indpendante (6).

    D'aprs le Professeur Lappo, l'Union de Lublin avait le caractre d'une Confdration o plusieurs lments de fdralisme n'taient pas suffisamment prciss (7).

    En un mot, sans insister sur les dtails, c'tait une Union pleine de contradictions.

    Il est vident qu'en dpit de toutes les prcautions prises pour assurer l'autonomie et le caractre national de la Lituanie, le polonisme, second par la religion, a affaibli dans une certaine mesure l'individualit lituanienne.

    La Lituanie fut entrane par la Pologne dans son malheureux sort, lorsqu'elles furent toutes deux partages entre leurs voisins en 1772, 1793 et 1795.

    Au troisime partage, en 1795, la Russie obtint la Lituanie proprement dite, moins les districts situs l'ouest du Niemen, qui devinrent prussiens, mais passrent leur tour, en 1815, sous la domination russe.

    Depuis ce temps, et jusqu' la Grande Guerre, la Lituanie n'a plus subi de modifications dans ses destines.

    Une vritable perscution religieuse et nationale se dveloppa. Presque toutes les coles furent fermes. La famille, foyer de la vie lituanienne, dut y suppler peu prs totalement.

    On pouvait croire que la Lituanie avait atteint la limite de ses preuves lorsque le seul bien qui lui restt,, son nom, lui fut enlev par un ukase, en 1840, et lorsque sur les cartes, comme dans les actes officiels, le pays enchan, devint le Territoire du nord-ouest . Huit ans

    (6) J. : Histoire de l'Europe centrale, Paris, p. 538. (7) LAPPO : La Russie occidentaie et son union avec la Pologne dans

    leur pass historique, p. 170, Prague, 1924. (en. russe).

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    plus tard, le Statut Lituanien, corpus juridique rglant toute la vie du pays depuis 1529, fut remplac par le Code russe, incompatible avec les murs du pays. Un ordre administratif nouveau cartait les Lituaniens de tout office; les magistrats, les fonctionnaires devaient tre russes. Les socits d'entraide agricole furent dissoutes, les runions et confrences interdites.

    Cette sombre priode fut aussi le moment o le peuple lituanien souffrit la plus grande misre matrielle. Le servage, depuis des sicles aboli dans les pays civiliss, avait connu une rigueur accrue depuis que le Tsar Paul I" avait renouvel les privilges de la noblesse. Certains seigneurs ne parcouraient leurs terres que le fouet la main et le faisaient claquer sur le dos de leurs serfs. Ceux-ci ne pouvaient se plaindre personne, car ils taient jugs par les seigneurs eux-mmes qui avaient sur eux le droit de vie et de mort.

    La renaissance du nationalisme lituanien.

    La Lituanie, dont le sort tait li celui de la Pologne, fut la premire victime de la clbre rpublique . L'an-nexon de la Lituanie par la Russie prsenta des caractres particuliers. Aprs les partages, la Lituanie fut tout simplement incorpore l'empire russe, tandis que la Finlande conservait son autonomie et que les autres provinces baltes taient soumises l'autorit de la noblesse balte. Ce fut par consquent la Lituanie qui ressentit le plus l'oppression tsariste. L'administration locale et les liberts furent supprimes avec brutalit.

    Reprenons l'ordre des faits. Nous arrivons l'poque napolonienne. Napolon tait le librateur qui, sur son cheval blanc, parcourait l'Europe, distribuant les couronnes, ressuscitant les peuples. La marche contre le colosse russe travers le Niemen, veilla une vive esprance dont Napolon ne perut peut-tre pas l'ampleur.

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    Le 24 juin 1812, Napolon franchit la frontire russe, et entra Kaunas. Dans la banlieue de cette ville, d'une colline, surnomme encore aujourd'hui la Colline de Napolon , l'Empereur passa la Grande Arme en revue. Du 28 juin au 16 juillet, Napolon sjourna Vilno, la vieille capitale de la Lituanie. H dcrta dans cette ville la libration du peuple lituanien et organisa son gouvernement. Les Lituaniens remercirent Napolon et beaucoup d'entre eux entrrent volontairement dans son arme afin de l'aider dtruire dfinitivement le Russe, oppresseur de leur pays. Mais la dbcle de la retraite fit sombrer ces plans.

    La Lituanie actuelle se rappelle avec reconnaissance son premier librateur. En mai 1937 eu lieu Kaunas une exposition de souvenirs de l'poque napolonienne.

    En novembre 1830, la Rvolution qui clatait en France fut le signal d'un soulvement gnral. Mais l'insurrection fut noye dans le sang et une terrible rpression s'abattit sur la Lituanie comme sur la Pologne. Le vainqueur ferma l'Universit de Vilno qui faisait l'orgueil de la Lituanie.

    En 1863, une nouvelle insurrection rangea les Lituaniens aux cots des Polonais. Mais comme le spcifia l'animateur du soulvement, Kalinauskas, la Lituanie luttait pour sa propre indpendance et non pour renouveler son union nfaste avec la Pologne. La rvolte, rapidement touffe, une rpression terrible s'ensuivit. En 1864, l'usage de la langue lituanienne fut interdit, de mme que l'impression des livres.

    Devant cette perscution politique et intellectuelle, les Lituaniens ragirent et s'organisrent. C'est peu prs cette poque qu'il faut faire remonter l'origine du mouvement national lituanien, qui s'orienta contre la Russie et aussi, ce qui premire vue peut paratre surprenant, contre la Pologne. Cela se comprend, car l'ancienne Union Polono-Lituanienne avait t le fruit d'un accord entre la

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    noblesse lituanienne et celle de la Pologne. Or, les masses lituaniennes avaient chapp la polonisation en maintenant l'usage de la langue et des murs lituaniennes. Elles labouraient ardemment la terre dont la proprit leur tait refuse, et doublaient, l'gard de la noblesse, leur antagonisme social d'une sorte d'antagonisme national.

    D'autre part, partir de 1861, les paysans lituaniens, bnficiant de la suppression du servage dans l'Empire russe, avaient commenc acqurir des terres. Il se constitua ainsi en Lituanie une nouvelle classe sociale, celle des petits propritaires, peu importants au dbut, mais dont les fils allrent s'instruire aux Universits russes. Ces jeunes enthousiastes apprirent le pass de leur patrie opprime et affirmrent la valeur de sa langue. Aprs leurs tudes, ils devinrent mdecins, avocats, professeurs, prtres, donnant ainsi la classe paysanne, dont ils taient issus, des cadres sociaux et intellectuels. Cette nouvelle classe prit position contre le rgime tsariste et contre le polo-nisme.

    La renaissance nationale et la raction commencrent par l'impression de priodiques et de brochures, lues en cachette des autorits russes.

    Depuis prs de cinq sicles, la Lituanie du sud-ouest, devenue la Prusse orientale, tait germanise et, l'exception de la rgion d'Insterburg, Labiau et Memel, le lituanien n'y tait plus ni parl, ni compris. Aussi les Allemands ne s'opposrent plus du tout la fondation Koe-nigsberg du journal Nusidavima , du journal Kelei-vis , Tilsitt, en 1879, et surtout de 1' Ausra , en 1883.

    Au cours des annes suivantes, d'autres feuilles priodiques ainsi que des almanachs et des livres de prires, furent publis Tilsit, par la Socit des Amis de la Lituanie. Pour faire passer ces journaux et ces livres de l'autre ct de la frontire et les distribuer, il fallait risquer amendes, prison et Sibrie. Mais les patriotes ne craignaient

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    rien. A partir de 1880, chaque anne, des miniers d'exemplaires de livres, de journaux, de prires, de brochures politiques, taient transports secrtement en Lituanie. Le pays reprenait conscience de ses traditions et de son me nationale.

    Au cours des vingt dernires annes du XIXme sicle, des conditions conomiques particulirement difficiles, cause de 1a. mauvaise administration russe, provoqurent un mouvement d'migration qui se dirigea surtout vers les Etats-Unis, o il se forma bientt une forte colonie lituanienne ayant sa vie et ses journaux propres.

    La Russie, occupe ce moment par la guerre avec le Japon, sentit le pril du mouvement national lituanien, et le Gouvernement de St-Petersbourg, en mai 1904, dcida de changer de mthode. Il autorisa l'impression des livres et l'usage de la langue lituanienne dans les coles et les administrations locales. Immdiatement furent crs Vil-nus et Kaunas plusieurs priodiques, et des coles prives primaires et secondaires s'ouvrirent. En 1905, deux hros du mouvement lituanien, Basanavicius et Gabrys, formrent des associations agissantes.

    Les chefs des partis politiques, utilisant l'intermdiaire du Vilniaus Zinios (Les Nouvelles de Vilnius) runirent en Congrs Vilnius les 4 et 5 dcembre 1905 toutes les associations lituaniennes. Ce fut l'vnement politique le plus important de l'histoire contemporaine de la Lituanie : prs de deux mille dlgus y prirent part et lurent comme prsident le docteur Basanavicius. De son ct, L'Union des Paysans tint en mme temps son assemble gnrale Vilnius, et dcida : 1) de ne plus payer les impts ; 2) de destituer les maires des communes qui se solidarisaient avec les sbires du Tsar ; 3) de chasser les instituteurs russes ; 4) de supprimer les tribunaux communaux russes et de les remplacer par les tribunaux lituaniens ; 5) de ne pas fournir de chevaux, pour le transport des sbires du Tsar, etc...

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    Cette rsolution avait pour intrt essentiel de contenir un plan d'action pratique.

    Le Congrs vota son tour une rsolution beaucoup plus thorique qui rclamait la constitution d'une Lituanie autonome, comprenant la Lituanie ethnographique actuelle comme noyau, ainsi que les rgions adjacentes... dont les populations dsireraient s'adjoindre .

    Les rsolutions furent imprimes dans la nuit par les presses du Vilnius Zinios. Chaque dlgu en emporta un paquet. Tous ceux auxquels le Congrs avait laiss le soin de mettre excution les articles vots, furent accueillis dans leurs villages avec le plus grand enthousiasme et obis sans difficult. Quinze jours aprs le Congrs de Vilnius, les autorits locales russes taient partout expulses par les soulvements. L'invitable raction du gouvernement russe se produisit alors avec tous ses excs. Les soldats du Tsar canonnrent les villages o le nationalsime lituanien avait t le plus ardent. Un grand nombre de patriotes furent emprisonns, sept huit mille personnes dportes en Sibrie, tandis que d'autres furent obliges de gagner l'tranger.

    Malgr tout, les Russes maintinrent pourtant un grand nombre de rformes: le droit d'enseigner en lituanien dans les coles primaires, le droit de fonder des socits scientifiques, conomiques et professionnelles, la libert de la presse et la libert religieuse.

    La reconstitution de l'Etat lituanien.

    Pendant la Grande Guerre, le territoire de la Lituanie, fut de ceux qui ont t le plus ravags. La rgion du Niemen, par sa situation gographique, constitua l'un des champs de bataille o pendant de longs mois s'affrontrent les armes ennemies.

    Dans le courant de l't 1915, les Allemands, la suite de leur contre-offensive victorieuse, s'emparrent de Kaunas et de Vilnius. Le front se stabilisa alors l'est de la Lituanie.

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    L'Allemagne, qui pensait garder le pays, l'organisa mthodiquement. Le sige de l'Administration fut fix Vilnius.

    Toutes les richesses naturelles du pays furent exploit tes, souvent par le travail forc au profit exclusif de l'arme.

    Ds le dbut de la guerre, un comit politique national lituanien s'tait form Vilnius sous la direction du docteur Basanavcius et de M. Smetona, futur prsident de, la. Rpublique.

    Beaucoup de personnalits lituaniennes, rfugies l'tranger, dployrent alors une grande activit pour attirer l'attention internationale sut la condition prsente et le sort futur de la Lituanie. De leur cte, les Lituaniens d'Amrique organisrent le 21 septembre 1914 un Congrs Chicago, qui rclama l'indpendance de leur patrie d'Europe. Des congrs lituaniens eurent lieu galement en 1915 et 1916 en Suisse et en Hollande, dans le mme but.

    D'autre part, l'intrieur de la Lituanie occupe, le comit national cherchait faire connatre aux occupants les aspirations du pays. Plusieurs mmoires furent ainsi adresss en 1916, d'abord au commandement militaire, puis au chancelier du Reich. Mais ils demeurrent sans effet.

    Ds le dbut de la Rvolution russe, le 21. fvrier 1917, les dputs lituaniens la Duma lurent une dclaration exprimant la volont d'autonomie de leur nation. Le 18 septembre de la mme anne, et malgr les entraves apportes par les autorits d'occupation, une grande assemble nationale se runit Vilnius, et groupa 214 dlgus. Celle-ci rclama la constitution de la Lituanie en Etat indpendant et la runion d'une Constituante. En attendant l'assemble organisa, sous le nom de Taryha, un conseil national excutif de 20 membres, qui fut prsid par un des chefs du mouvement national, M. Smetona. Les Lituaniens,.

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    ne voulant pas faire partie, bien qu'autonomes, d'un Etat en pleine rvolution, dcidrent de rompre le dernier lien avec l'Empire russe.

    Le 29 novembre 1917, le manifeste suivant t publi: Considrant que la Lituanie, annexe la Russie par

    la force, n'a jamais cess de revendiquer son indpendance, mme les armes la main, en 1830, 1863, 1905; qu'elle a t honteusement opprime, maltraite pendant 120 ans par le gouvernement tsariste et qu'aprs la rvolution, le gouvernement provisoire lui-mme n'a tenu aucun compte de ces revendications; le Conseil national de Lituanie, dpositaire et gardien fidle des intrts de la patrie,, dclare que le peuple lituanien se considre libre et dgag de tout lien avec l'Etat russe .

    Enfin, malgr les difficults suscites par les Allemands, la Tariba proclama solennellement, le 16 fvrier 1918, Vilnius, l'indpendance de la Lituanie.

    En dpit de cette proclamation d'indpendance, la situation resta confuse pendant plusieurs mois en raison de la prsence des troupes allemandes.

    La censure allemande empcha mme la publcation de cette proclamation. A ce moment, on avait beaucoup d'illusions en Allemagne sur l'issue de la guerre. Diffrentes rumeurs sur les succs et les projets allemands couraient en Lituanie. Emus, de nombreux membres de la Tariba songrent, en juin 1918, faire de la Lituanie un Etat monarchique, forme de gouvernement qui leur parut la plus propre tablir l'ordre dfinitif dans le pays, et ils offrirent la couronne un prince allemand catholique, Guillaume d'Urach, duc de Wurtemberg, qui devait prndre le nom de Mindaugas II. Le 11 juillet, la Tariba le reconnut et se proclama organe du gouvernement du nouveau souverain en qualit de Conseil d'Etat.

    L'lection du duc d'Urach provoqua un assez vif mcontentement Berlin et dans les milieux militaires d'oc

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    cupation, o l'on eut prfr disposer directement de la couronne lituanienne au profit d'un prince prussien. Mais, pendant que se prolongeaient les conflits entre le nouveau Conseil d'Etat et les autorits allemandes, les vnements se prcipitaient sur le front occidental. L'Allemagne perdait la guerre.

    Le 2 novembre 1918, le Conseil d'Etat lituanien annula l'lection du duc d'Urach et renvoya une future Assemble Constituante le choix de la forme de l'Etat lituanien. Il vota galement une constitution provisoire qui lui confrait le pouvoir suprme.

    Les autorits militaires d'occupation prirent le parti d'ignorer l'existence mme du Conseil d'Etat, qui se considrait dj comme un organe d'un Etat existant. Le Conseil, paralys par cette attitude des autorits allemandes, resta sans pouvoir jusqu' l'accession la chancellerie du Eeich du prince Max de Bade, qui autorisa le Conseil d'Etat constituer un gouvernement le 20 octobre 1920.

    Les Polonais, de leur ct, s'inquitaient beaucoup de l'indpendance de l'Etat lituanien et tendaient rtablir l'ancienne union. En janvier 1918, un mmorandum manant de Varsovie rappelait l'Union de Lublin et exprimait le dsir de voir se rtablir les liens de la Pologne et de la Lituanie.

    Les Lituaniens se trouvaient donc pris entre deux feux. La victoire des Allis permit la Lituanie d'chapper la menace d'une annexon par l'Allemagne, mme sous une form indirecte et dguise.

    Le 11 novembre 1918, le premier gouvernement fut constitu Vilnius, avec M. Voldemaras comme prsident du Conseil des ministres.

    Malgr la constitution du gouvernement, la Lituanie se trouva en prsence de trs grandes difficults.

    En dpit des clauses de l'Armistice, les troupes allemandes n'vacurent pas tout de suite les territoires bal

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    tes, tandis que les Bolcheviques avanaient dans l'intention de les remplacer. Us occuprent le 5 janvier 1919 Vilnius et une partie de la plaine du Niemen. Le gouvernement lituanien dut s'installer Kaunas. Il y runit une Assemble Constituante de 200 membres lus du 17 au 23 janvier selon une procdure sommaire. Cette Assemble ratifia les actes antrieurs de la Tariba et du Conseil d'Etat qui lui avait fait suite et leva le nombre des membres de ce dernier 37. Pendant que le Conseil d'Etat travaillait pour dfendre et organiser le pays, les Bolcheviques avanaient sur le territoire. Mais ils trouvrent devant eux d'abord les Polonais, puis les Lituaniens. La jeune arme lituanienne, compose uniquement de volontaires, ardents patriotes, russit non seulement arrter l'avance bolchevique, mais encore, en avril 1919, repousser les troupes sovitiques jusqu' la ligne Grodno-Vilnius-Dunabourg. Mais, ce moment, les Polonais russirent occuper Vilnius en devanant les Lituaniens qui se dirigeaient vers leur capitale historique. Cet vnement provoqua quelques combats entre les soldats lituaniens et polonais. Les Puissances Allies, rservant leur avis quant la dlimitation dfinitive de la frontire, se contentrent ce moment de mettre fin aux hostilits en fixant une ligne de dlimitation entre les deux armes. Cette lignes ayant t viole par les Polonais, une seconde fut trace, puis une troisime. Au dbut de janvier 1920, les armes lituanienne, polonaise, lettone et estonienne chassrent dfinitivement les troupes trangres des territoires baltes.

    Il restait alors au gouvernement lituanien faire reconnatre la Lituanie par les Puissances, ce qui tait trs difficile. Dans l'arne inernationale, la Pologne se livrait des intrigues et cherchait par tous les moyens s'incorporer la Lituanie. Elle tendait galement prsenter la Lituanie comme une cration artificielle des Allemands. Cette propagande eut un certain succs et de fait, la Lituanie ne fut

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    pas admise participer la Confrence de la Paix. La situation internationale de la Lituanie demeurait donc imprcise. Elle reut son statut juridique territorial fix en partie en vertu du trait de paix (8), avec la Russie, le 12 juillet 1920.

    La naissance de l'Etat lituanien s'est donc manifeste par une sparation de fait avec la Russie, par la proclamation d'indpendance du 16 fvrier 1918, ratifie par l'Assemble constituante, le 15 mai 1920, et parle trait de paix avec la Russie. En l'espace de deux ans, la Lituanie fut reconnue de facto ou de jure par la plupart des grandes Puissances.

    Mais la proclamation de l'indpendance de la Lituanie et la conclusion du trait de paix avec la Russie, pour heureux vnements qu'ils furent, ne devaient pas mettre fin la longue srie des infortunes nationales. Capitale sculaire de l'ancien Etat, lituanien, centre de toute activit nationale lituanienne et foyer de la rsurrection de cette nation la vie indpendante aprs la Grande Guerre, Vilna et sa rgion ont t arraches, par un coup de force du gnral Zeligowski, leur mre patrie et, aprs quelques hsitations transitoires, annexes la Pologne. Ce coup de force a eu lieu le 9 octobre 1920. Son caractre spcifique a t marqu par le fait que le 7 octobre 1920, deux jours avant l'occupation, les plnipotentiaires polonais avaient sign avec les plnipotentiaires lituaniens un trait dit de Suvalki, qui fixait une ligne de dmarcation entre les deux armes, en laissant la ville de Vilnius (Vilna) et sa rgion du cot lituanien.

    La procdure internationale dclenche et le rappel la fidlit due aux obligations internationales librement sonsenties, sont restes sans rsultat. La Lituanie, de son ct, n'a jamais reconnu la situation de fait ainsi cre et interrompit les relations diplomatiques avec la Pologne.

    (8) Voir p. 94.

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    Au mois de mars 1938, un conflit provoqu par un incident de frontire surgit entre la Pologne et la Lituanie. La Lituanie, tant beaucoup plus faible militairement, cda aux menaces des troupes polonaises, concentres prs de la frontire lituanienne, et les relations diplomatiques interrompues depuis l'occupation de Vilno furent reprises.

    Memel fut la deuxime perte douloureuse de la Lituanie. Dtach de l'Allemagne par l'art, 99 du Trait de Versailles, Memel fut dfinitivement transfr la Lituanie en vertu de la Convention de Paris, en 1924.

    Le 22 mars dernier, la Lituanie a t oblige de cder Memel au Reich. A cette fin un trait a t conclu Berlin entre l'Allemagne et la Lituanie (9).

    L'art. 1 de ce trait dit que Le territoire de Memel, spar de l'Allemagne par le Trait de Versailles, est runi partir d'aujourd'hui au Reich allemand .

    Par l'article 3 dudit Trait, l'Allemagne prend l'engagement de crer pour la Lituanie, Memel, une zone de port franc.

    Il est inutile de souligner le grand dommage caus la Lituanie par le dtachement de! Memel. Car il tait son unique port et son centre commercial par excellence.

    b) LA LETTONIE.

    La Lettonie s'tend sur 65.790 km2; elle est peuple de 1.950.000 habitants, soit une densit de prs de 30 habitants au kilomtre carr.

    L'histoire proprement dite de la Lettonie, comme celle des autres Pays baltes, commence, dans la seconde moiti du XIIme sicle, avec les premires croisades sudoises en Finlande et avec l'apparition, vers la mme poque, des missionnaires allemands en Livonie et en Prusse.

    (9) Plus largement sur trait germano-lituanien du 22 mars 1939, voir pp. 239-240.

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    Au point de vue ethnographique, les Lettons appartiennent la famille letto-lituanienne.

    La Lettonie primitive tait divise en plusieurs petite Etats, ayant chacun son chef ; ils taient parsems de chteaux-forts, dont trois cents ont t dcouverts jusqu' prsent. Ce nombre considrable de forteresses tmoigne des luttes continuelles que le peuple letton dut soutenir de tout temps, contre les envahisseurs slaves et germaniques.

    L'indpendance dans laquelle vivait le peuple de la Baltique orientale, alors compltement paen, fut de brve dure.

    De grandes puissances, en effet, se constiturent de bonne heure auj bord de la Baltique occidentale et elles eurent bien vite, successivement ou simultanment, l'ambition d'tendre leur domination toute cette mer. Ainsi se forma la tradition baltique essentielle, l'ambition du dominium, maris Baltici. Historiquement, cette ambition fut poursuivie d'abord, au commencement du sicle, par le Danemark. Cette puissance toutefois ne fut qu'phmre. D'autre part, l'poque o commenait l'expansion du Danemark, des villes allemandes s'associrent pour, atteindre plus facilement leurs buts commerciaux et politiques. En mme temps, les missionnaires allemands se proccupaient des territoires paens qui, dans l'Est baltique, n'taient pas immdiatement voisins du monde germanique.

    C'est ainsi qu'en 1184, un moine allemand de l'Ordre des Augustins, Meinhard, dbarqua l'embouchure de la Dna et construisit, 35 kilomtres en amont, une glise et un monastre.

    Au printemps de 1200, 23 navires chargs de croiss, l'vque Albert en tte, arrivrent l'embouchure de la Dna et entreprirent l'occupation du pays manu militari.

    Pendant un sicle, les Lettons luttrent nergiquement, souvent avec succs, contre les envahisseurs. A la bataille

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    de Durbe, en 1260, aids par les Lituaniens, ils anantirent compltement les forces des chevaliers allemands. Finalement, l'ingalit des forces puisa les Lettons qui furent compltement subjugus en 1290.

    Depuis 1229, les territoires lettons qui avaient t les premiers soumis, faisaient partie du Saint-Empire romain germanique. Ils avaient toutefois plusieurs matres: l'Ordre des Porte-Glaives dtenait un tiers des terres, les v-ques possdaient le reste.

    L'vque Albert, le matre du pays, puisa ses forces en Allemagne o il se rendit maintes fois durant son pisco-pat, en vue d'y recruter des soldats pour la guerre sainte . Il eut, au printemps de 1207, avec l'Empereur Philippe de Souabe (1198-1208), une entrevue o il lui offrit la Livonie et la reut son tour de ses mains, en fief, devenant ainsi le prince et le vassal de l'Empire, le Heiliges

    Rmisches Reich deutscher Nation.

    Bien que la Livonie fut ainsi rattache, au point de vue du droit public, l'Empire Allemand, ce lien n'avait qu'une valeur purement nominale, car la puissance des Empereurs tait alors affaiblie par leurs luttes avec la Papaut, et les seigneurs de Livonie, au 1 et XIVme sicles, dpendaient plutt, en leur qualit d'ecclsiastiques, du Saint-Sige que de la Couronne impriale.

    Entre temps, le pays avait t compltement soumis. Les derniers dbris du peuple, 100.000 hommes environ, leur chef en tte, passrent la frontire lituanienne en 1290 sans espoir de retour.

    Le premier Landtag, Dite de la noblesse de Livonie,. fut convoqu Valka, en 1422, et resta l'organe suprieur du pays jusqu'en 1575.

    Ainsi des gens sans terre ni foyer, venus d'Allemagne par voie de mer et soutenus par les villes marchandes allemandes, taient entrs en possession d'immenses domai-

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    ns et devenus les matres absolus du pays. Ils le restrent peu prs jusqu' la constitution du pays en Etat indpendant. Cette conqute ne fut videmment pas sans perte pour l'envahisseur. L'Ordre, d'aprs les donnes de son matre, Kniprode, perdit pendant la dure de la conqute 2 vques, 6 matres de l'Ordre, 28 ducs ou comtes, 39 membres de la haute noblesse d'Allemagne, 11.000 nobles, 4.000 bourgeois, 8.000 hommes libres, et 15.000 croiss.

    Cet Etat ecclsiastique dura jusqu'en 1561. La faiblesse intrieure, la Rforme luthrienne, l'influence trangre, et surtout le coup mortel reu prs de Tannenberg, furent les causes de sa destruction. Tandis que l'Estonie passait sous la domination de la Sude, la Letgalie et la Livonie sous celle de la Pologne-Lituanie, la Courlande seule sauvegardait son indpendance sous la forme d'un duch vassal de la Pologne.

    La Courlande connut alors une re de prosprit et atteignit un haut degr de culture.

    En 1621, la Sude annexa la Livonie. Le gouvernement sudois favorisa l'mancipation lettone et aida ce pays se soustraire la domination allemande.

    En 1700, clata la Guerre du Nord. Elle dura longtemps et fut dsastreuse pour la Lettonie.

    Charles XII perdit la bataille de Poltava (1709) et les Russes s'emparrent de Riga (1710).

    Par le trait de Nystad (1721), la Sude dut cder la Russie, la Livonie, l'Estonie, et une partie de la Finlande.

    En 1772, lors du premier partage de la Pologne-Litua-ne, la Letgalie fut cde la Russie et, en 1795, la Courlande subit le mme sort. Depuis cette poque toute la Lettonie se trouva sous la domination russe.

    C'est ainsi que la Russie s'installa solidement sur les rives de la Baltique; au cours des " et XIXe" sicles, toute sa politique tendit y maintenir et y dvelopper son influence.

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    La Lettonie, comme d'ailleurs aussi l'Estonie, furent pendant plusieurs sicles un champ de rivalit entre Slaves et Germains qui tendaient les uns et les autres assimiler les populations autochtones. En Lettonie, comme en Lituanie, nous pouvons faire la mme constatation: le sentiment national tait soigneusement entretenu dans la masse paysanne, alors que les barons baltes poursuivaient une politique de germanisation et la majorit de la no-bless lituanienne une politique de polonisation. En ralit il fallait mener la lutte contre deux adversaires qui poursuivaient des buts diffrents, mais dont l'oppression tait galement dteste par le peuple letton.

    Le Gouvernement russe annula toutes les rformes sudoises tendant amliorer le sort des paysans. Il les rduisit en esclavage et renouvela les privilges de la noblesse. Ces mesures provoqurent des soulvements parmi ls paysans, ce qui n'tait d'ailleurs pas une nouveaut.

    Catherine II et Paul Ier de Russie furent obligs de constater les conditions anormales dans lesquelles se trouvait la proprit foncire locale. Des projets relatifs aux droits des paysans furent soumis la fin du " sicle, par quelques nobles allemands libraux, au Landtag qui les repoussa. Ce n'est qu'en 1804 que l'Empereur Alexandre I" proclama, sous l'influence de la Rvolution franaise, les droits hrditaires des paysans sur la terre cultive par eux. L'anne 1817, l'abolition du servage, sans donner la terre aux paysans, marque le dbut de l'essor culturel et conomique de la nation lettone.

    Les Lettons obtinrent quelques droits civiques, ainsi que le droit de dplacement, ce qui leur permit d'habiter les villes et de s'occuper de commerce. Il convient de mentionner qu'en Letgalie, les paysans lettons ne furent librs qu'en 1861, en mme temps que les paysans russes. Aprs la rvision de la loi sur les autonomies municipales et communales, en 1877, et l'introduction d'une nou

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    velle loi sur les tribunaux, les Lettons prirent une part active la vie communale, sociale et publique (tribunaux des paysans), et levrent leur niveau intellectuel. Dans la seconde moiti du XIX""e sicle, les Lettons avaient russi, avec l'aide de la Banque Foncire, acheter plusieurs milliers de fermes. Ils avaient amlior leur situation dans les villes, et atteint une certaine instruction.

    Mais c'est surtout dans le domaine de la littrature et des arts que s'veilla la conscience nationale lettone. La premire moiti du XIX"e sicle fut marque par une grande production littraire o, ct de quelques oeuvres originales, on trouve surtout d'assez nombreuses traductions d'uvres trangres. Mais c'est vers le milieu du sicle seulement que le mouvement littraire prit un caractre national sous l'impulsion de Krisjanis Valdemars (1825-1891), de KromwaJdis, etc. Valdemars, fondateur du journal Peterburgas Avises (Les Avis de Petersbourg), attaqua les barons baltes et dfendit l'ide d'une renaissance nationale lettone. La seconde moiti du XIXae sicle vit natre de nombreuses publications, journaux et revues.

    La fin du XIX' sicle est marque par la fondation de la Socit lettone de Riga, par la premire fte de chant, par la premire Exposition agricole. En 1896 fut organise Riga la premire Exposition ethnographique d'une certaine importance. C'est l que naquit l'ide d'entreprendre des recherches sur l'antiquit locale et de collectionner les riches matriaux ethnographiques qu'offre le pays. De 1868 date la fondation du thtre letton. En 1894 parat le premier volume de la vaste collection de Latvju Dei-nos (Chants populaires lettons). Les Lettons frquentent dj les universits, ils ont leur littrature propre et des hommes qui travaillent au relvement du sentiment national comme publicistes, conomistes et organisateurs de l'instruction publique. Ainsi, la fin du XIXm* sicle,

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    on pouvait dj parler d'une socit organise et d'une assez forte culture lettones.

    La situation conomique du peuple letton restait quand mme difficile. Le proltariat sans terre, compos presque uniquement de Lettons, fut oblig de chercher du travail dans les usines et chez les grands propritaires terriens.

    Cette classe importante et dpourvue de ressources, travaille par les doctrines rvolutionnaires et navement convaincue de la ralisation prochaine de leurs promesses, dchana en 1905 une rvolution qui prit une certaine importance nationale en faisant natre l'ide d'une Lettonie indpendante. Cette rvolution contribua puissamment au dveloppement culturel de la Lettonie, car partir de cette date le gouvernement russe autorisa la fondation d'coles prives o l'enseignement fut fait en langue lettone. Ds ce moment on commena aussi enseigner cette langue, au titre de cours facultatifs, dans les coles publiques dont les lves taient lettons. La classe intellectuelle russe sympathisait avec le peuple letton, mais le gouvernement^ aid par la noblesse locale, rprima violemment la rvolution et un grand nombre d'intellectuels lettons durent migrer en Finlande, en Sude, en Suisse, en France, etc. Ces rfugis, par des articles de journaux, des brochures et des confrences, rpandirent leurs ides sur l'mancipation de leur patrie. Pour le peuple letton, la lutte sculaire contre le matre tranger du sol, le baron germanique, et en mme temps l'hostilit contre le fonctionnaire russe, avaient fusionn en un sentiment unique les revendications sociales et les aspirations nationales. Ce fut l ce qu'on a justement appel son me nationale.

    Sous la domination des Allemands, de la Pologne, de la Sude et de la Russie, le peuple letton sut conserver ses traditions, sa langue, ses usages, ses coutumes et sa soli-

    Sous la pression des circonstances, le tsarisme fi darit ethnique.

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    oblig d'entrer dans la voie des rformes. Il accorda aux provinces baltiques la libert de conscience, de parole et d'association. Par leurs reprsentants la Duma, elles purent faire l'apprentissage de la vie parlementaire, et des partis s'organisrent.

    Bref, petit petit, au cours des annes qui suivirent et jusqu'au dbut de la guerre, des cadres se constiturent, qui allaient assurer le fondement de l'existence indpendante de l'Etat.

    La formation de l'Etat letton.

    Au dbut de la guerre mondiale, 180.000 Lettons environ servaient dans l'arme russe et leurs contingents constituaient notamment la majeure partie du XXme Corps russe qui attaqua la Prusse orientale.

    En 1915, quand les Allemands, ayant rompu le front russe, envahirent les territoires que 'administration tsa-riste appelait les provinces baltiques, et s'emparrent de Libau, un des dputs lettons la Duma proposa la constitution d'une arme lettone, commande par des officiers lettons et charge spcialement de la dfense de la Lettonie. L'Empereur Nicolas II avait, ds 1915, accord aux Lettons le droit d'organiser une arme nationale. Cette arme tint pendant trois annes le front de Riga, immobilisant de nombreuses forces allemandes, et elle perdit trente-deux mille hommes.

    A la suite de la rvolution, les troupes russes abandonnrent les positions qu'elles occupaient devant Riga et battirent en retraite sous la protection des rgiments lettons, qui arrtrent pendant deux jours les Allemands devant Riga ( et 2 septembre 1917). Ne voulant pas se soumettre aux Allemands, les rgiments lettons partirent pour la Russie, o, forcs par les vnements, ils furent entrans dans la guerre civile. Ils prirent part aux nombreuses luttes contre les adhrents de l'ancien rgine, ou

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    vertement hostiles l'indpendance de la Lettonie. La priode de guerre termine, la majeure partie des tirailleurs rentrrent en Lettonie, tandis que les autres restaient au service du gouvernement sovitique. Aprs la chute du tsarisme, les reprsentants des communes de Livonie essayrent de profiter des vnements pour crer en Livonie une administration lettone autonome. Mais le gouvernement de Kerinski ne voulait pas admettre l'autonomie de la Lettonie. Il ne put cependant, en raison de sa faiblesse, empcher les cadres lettons de prendre en main la plupart des affaires et de constituer en Livonie mridionale un Conseil d'administration autonome, qui largit vite sa comptence et devint en fait l'autorit centrale de la Lettonie non occupe, assurant l'ordre, maintenant la vie intrieure et ravitaillant l'arme. Mais le 3 septembre 1917, une grande attaque allemande enfonait l'arme russe dj dcompose par le bolchevisme.

    A partir de septembre 1917, toute la Lettonie se trouva envahie par les Allemands. Pendant l'occupation, le gouvernement du Reich essaya par tous les moyens d'obtenir une dclaration de la population lettone en faveur de l'incorporation du pays l'Allemagne. Les autorits allemandes crrent Riga et Jelgava deux assembles locales: les Landesrat, o les Lettons refusrent d