84
1 « Dis-leur que l’eau est à partager entre eux et qu’ils boiront chacun leur tour » Coran, sourate 54 « la lune », verset 28.

L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

1

« Dis-leur que l’eau est à partager entre eux et qu’ils boiront chacun leur tour »

Coran, sourate 54 « la lune », verset 28.

Page 2: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

2

Page 3: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

3

REMARQUES PRELIMINAIRES

Pourquoi choisir un thème tel que l’eau au Maroc ? Et surtout du point de vue

politique et stratégique ? La question ne semble pas se poser à l’heure actuelle. Con-

trairement à ce même problème pour la région proche-orientale, elle n’est pas évoquée

dans les médias, ni traitée de manière fréquente dans les parutions spécialisées. Ce-

pendant, ce serait une erreur de croire que l’avenir est meilleur pour cette région. La

portée moins médiatique de cette question est due au fait que les difficultés du

Proche-Orient sont beaucoup plus déstabilisatrices aujourd’hui que la zone maghré-

bine relativement stable sur le plan international et où les causes d’instabilités sont dif-

férentes, c’est-à-dire internes à chaque pays : l’islamisme en Algérie ou la question sa-

hraouie au Maroc. Le problème de l’eau est dans la région une donnée méconnue de

l’opinion. Un chiffre pose toutefois la question d’un point de vue général : le monde

arabe représente 4,3 % de la population mondiale et possède seulement 0,67 % des

ressources en eau douce renouvelable. Il n’y aura donc jamais assez d’eau pour satis-

faire les besoins de tout le monde. Notre sujet s’attache aux ressources en eau douce,

c’est-à-dire à l’eau utilisable pour les besoins des particuliers, de l’agriculture et de

l’industrie. Nous traiterons également des ressources en eau non renouvelables car

elles ont un intérêt stratégique important. Ces ressources se trouvent en particulier

dans le Sahara. La situation actuelle au Sahara occidental amène à penser que cette

zone restera dans le giron marocain au moins à moyen terme, car toute tentative de

règlement de la question a été éludée ou reportée malgré la présence de la MINURSO,

chargée de composer les listes électorales en vue d’un (hypothétique) référendum

Page 4: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

4

d’autodétermination. Le Sahara possède une nappe d’eau fossile très importante déjà

exploitée en Algérie et en Tunisie, dite Continental intercalaire et terminal. Cette

nappe n’atteint pas directement le Maroc. Cependant, les relations maroco-algériennes

sont marquées par des différents territoriaux dans la zone nord (aux environs de Be-

char et sa région). Un conflit violent a même eu lieu en 1963, se concluant par une sé-

rie d’accords sous les auspices de l’Organisation de l’Unité Africaine. Ce problème ter-

ritorial a été réglé dans les années 80 par la ratification tardive par le Maroc d’une série

de traités. Cette partie du territoire algérien actuel se trouve à proximité de cette

nappe, donc en cas de pénurie d’eau dans l’avenir on pourrait voir réapparaître ces re-

vendications, ainsi que celles qu’a eu le Maroc sur la Mauritanie.

C’est en ce sens que le problème de l’eau montre toute son acuité, car le

Royaume chérifien est un pays en expansion économique et où, comme dans nombre

de pays en développement, l’exode rural peuple les villes d’immigrés intérieurs souhai-

tant posséder les avantages de leur nouveau lieu de résidence. Cet exode crée en plus

un fort besoin agricole pour nourrir toute cette concentration de population. Le taux

de natalité du Maroc n’arrange rien : 26 ‰ en 1997, avec un taux d’accroissement na-

turel de 2 % l’an (1997), soit environ 564.000 naissances sur une population de 28,2

millions d’habitants (estimation 1997). Des mégapoles se constituent comme Casa-

blanca et son agglomération qui s’étend toujours de plus en plus vers le Nord –

presque jusqu’à Rabat qui n’est distante que de 90 kilomètres. La population de la ville

(et seulement elle) est passée de 2,8 millions d’habitants en 1990 à 3,3 en 1996. Ces

chiffres de plus ne prennent pas en compte la quantité de bidonvilles qui apparaissent

du jour au lendemain, lieux de rassemblement de personnes ayant généralement la

même origine géographique (villages pauvres de la région de Safi par exemple). Ces

zones de « piraterie » foncière ne sont intégrées à la ville que plus tard, et seuls des

captages sauvages sur le réseau urbain (de la Lydec, i. e. Lyonnaise des Eaux Casa-

blanca) permettent à ces populations de subvenir un tant soit peu à leurs besoins.

Page 5: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

5

L’avenir est préoccupant d’après les statistiques et les prévisions :

En 1997, avec 28,2 millions d’habitants, 1063 m3 étaient dispo-

nibles par habitant et par an.

Les prévisions pour 2025 avec une population de 41 millions

d’habitants (si le taux de natalité suit le schéma prévu) font des-

cendre ce chiffre à 731. A titre d’exemple l’Algérie, elle, aura à la

même époque 422 m3/hab./an, c’est-à-dire au-dessous de la li-

mite de pénurie fixée à 500 m3/hab./an.

Tout est donc réuni pour que des tensions s’exercent dans la région sur le long

terme. Ce travail tente donc de cerner les points de friction possibles et les solutions

qui pourraient permettre d’éviter que la situation ne devienne dangereuse pour les

pays de la région à travers des solutions nationales et internationales.

Nous devons d’abord avant de commencer une étude précise de la situation et

des solutions, introduire la problématique de l’eau dans son contexte actuel. La pro-

blématique de l’eau est actuellement à l’ordre du jour, car cette ressource se raréfie.

Par ailleurs, des zones de friction liées à la gestion et à la possession sont déjà appa-

rues. Pourtant, la situation maghrébine est originale, car elle ne situe pas à ce jour dans

une zone de conflit entre Etats.

Page 6: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

6

INTRODUCTION

Cette introduction s’articulera autour de trois points :

La situation actuelle de l’eau dans le monde et les problèmes as-

sociés à cette ressource.

L’eau comme facteur de déséquilibre international. Nous traite-

rons plusieurs exemples de l’actualité : Israël et la Palestine et la

situation de la mer d’Aral, partagée entre plusieurs nouvelles ré-

publiques d’Asie centrale (héritage de l’ex-URSS).

Enfin, nous verrons les spécificités de la question maghrébine.

La situation de l’eau au niveau mondial : problèmes de rareté et environnement

Après les années 70 et 80 où le pétrole a été au centre des préoccupations in-

ternationales1, les problèmes environnementaux ont fait leur apparition comme l’ont

montré les différentes conférences internationales sur le sujet (Tokyo et Rio de Janeiro

) qui ont abouti surtout à des déclarations d’intentions. Les pays riches ne semblent

1 Les risques dus au pétrole se sont affaiblis car les pays dépendants (Europe et Amérique du

Nord) ont suivi soit des politiques de stockage comme les Etats-Unis, soit des politiques de

ressources alternatives comme le programme nucléaire français.

Page 7: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

7

pas pourtant vouloir sacrifier un peu de leur croissance à l’environnement. Le système

que l’on a tenté de mettre en place s’appuie sur des sortes de coupons de pollution

que possèderait chaque pays. Ces coupons étant vendables, les pays riches pourraient

les racheter aux plus pauvres. Les pays riches nécessairement plus pollueurs pourraient

acheter un droit de polluer mettant à mal le système qui est dès lors détourné.

Des conférences se sont réunis avec pour mission de déterminer les problèmes

liés à la question de l’eau et d’envisager les scénarios pour l’avenir. Le but est de pré-

voir pour mieux éviter tout risque de manque de ressources d’eau potable qui pourrait

entraîner de nombreuses victimes et sans doute des conflits entre pays possesseurs et

pays en demande d’eau. Ces conférences se sont tenues sous le patronage de la

Banque Mondiale qui est à l’heure actuelle un des grands promoteurs de l’évaluation

des risques sociaux, médicaux et stratégiques liés à l’eau.. Du 17 au 22 mars 2000 a eu

lieu à La Hayes le Deuxième Forum mondial de l’eau organisé par le gouvernement

néerlandais. L’initiative venait du Conseil Mondial de l’Eau2, créé en 1994 avec l’appui

de la Banque Mondiale. Il est constitué de certains gouvernements dont la France et le

Canada, et des entreprises leaders dans le secteur comme Suez-Lyonnaise des Eaux,

Société Générale des Eaux, Groupe Vivendi ou Thames Water. Ses publications sont

précieuses car elles posent les problèmes d’un point de vue général, mais aussi par

zones géographiques. Son travail de prospective vise un développement durable inté-

grant les différents acteurs de l’eau, publics ou privés, mais aussi tente d’éviter tout

conflit entre pays dans la gestion des ressources (cf. situation de la Turquie, la Syrie et

l’Irak à propos du Tigre et de l’Euphrate). Nous nous servirons des différents rap-

ports édités par le Conseil Mondial de l’Eau pour notre travail, car ils présentent

l’avantage d’être spécialisés sur une zone et transversaux sur les problèmes y afférant.

Avant d’arriver à notre sujet, l’Eau au Maroc, nous devons voir quelles sont les pro-

2 Le nom anglais le plus utilisé pour désigner ce forum de discussions et d’études est le World

Water Vision (WWV).

Page 8: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

8

blématiques mondiales, car elles nous permettront de comprendre en quoi la situation

marocaine est liée à celles-ci, mais aussi en quoi elle s’en dégage.

Page 9: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

9

I. L’eau au niveau mondial : une ressource rare, réussites et

problèmes afférents

D’abord il nous faut faire le point sur les avancées dans le domaine de l’eau ces

dernières années. L’eau a déjà été une ressource rare, présente certes mais difficile

d’accès pour bon nombre de pays. La technologie des forages a beaucoup amélioré la

situation. Sans ces développements, un pays comme la Libye serait actuellement inha-

bitable pour la population présente ; l’exploitation des sources fossiles saharienne dite

Continental terminal ( 80 % de l’eau potable utilisée ) a permis de répondre aux be-

soins de la population et de l’industrie.

Dressons donc le « portrait » de l’eau dans le monde.

Quelques chiffres doivent être rappelés :

- La surface de la terre est constituée aux quatre-cinquième par des océans,

mais la quantité d’eau non salée c’est-à-dire potentiellement potable n’est que

de 2,5 % de la totalité. De plus la modicité de ces chiffres doit être encore re-

lativisée car sur ces 2,5 %, les deux tiers sont prisonniers dans les calottes gla-

cières aux pôles et les glaciers de montagnes (Alpes, Himalaya, Andes) ou des

zones polaires (Alaska, Kamtchatka). Sur ce qui reste, 20 % sont dans des

zones inaccessibles pour l’être humain (hautes montagnes, nappes inacces-

sibles par les moyens actuels). Ces chiffres ne s’arrêtent pas là, car les deux

tiers des 80 % restant sont inopportuns, c’est-à-dire qu’ils tombent lors de

moussons ou d’inondations et donc ne sont pas récupérables. En fin de

compte, ne sont utilisables que 0,08% des eaux terrestres !

Page 10: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

10

- Cette petite quantité d’eau restante n’est pas seulement utilisée par les particu-

liers pour répondre à leurs besoins, en fait, ils sont même minoritaires dans

cet usage. 70 % des ressources sont utilisés au niveau mondial pour

l’irrigation agricole, dans le but de répondre à la demande sans cesse crois-

sante due à une pression démographique de plus en plus forte surtout dans

les pays en développement. Le reste est utilisé par les particuliers, mais aussi

par les services collectifs pour constituer des réserves et enfin par l’industrie.

- L’eau participe aussi à la création d’hydroélectricité grâce aux barrages et

autres retenues d’eau (sur ce point le Maroc est un bon exemple), elle permet

le refroidissement des centrales thermiques (nucléaire, charbon, pétrole). On

l’utilise pour diluer les pollutions et dessaler des zones qui seraient dans le cas

contraire impropres à la culture (polders néerlandais).

Figure 1 Ressources en eau par habitant et par an et accès à l’eau potable, source www.monde-

diplomatique.fr

Page 11: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

11

Ces chiffres ne sont que des estimations et des moyennes, pourtant ils mon-

trent la rareté d’une ressource qui avait toujours paru inépuisable. Depuis le début du

XX° siècle, la population mondiale a triplé, et la consommation d’eau liée aux activités

humaines a sextuplé. C’est dire si une gestion réfléchie devient nécessaire, car cette

augmentation de consommation entraîne dans son sillage un accroissement de la pol-

lution qui détruit des sources d’eau déjà exploitées ou potentielles.

Cependant l’augmentation de la consommation en eau potable a eu des résultats pro-

bants au niveau mondial.

Aujourd’hui, 80 % de la population des pays en développement ont accès à

l’eau potable et 50 % à des équipements sanitaires.

Dans les pays développés, des investissements conséquents ont permis

d’améliorer significativement la qualité des eaux de surfaces, généralement par la créa-

tion de systèmes d’épuration efficaces.

Du point de vue agricole, la production consommable a suivi la croissance de la

population qui a doublé ces vingt dernières années. La recherche agronomique a per-

mis de créer de nouvelles variétés de plants ayant un très haut rendement. Ces résul-

tats ont été encore améliorés par le développement de la culture intensive et l’usage de

fertilisants (nonobstant les problèmes de pollution dont il sera question supra). La

conséquence a été un rapide accroissement de l’agriculture irriguée par les nappes

phréatiques.

Le résultat de ces avancées a été l’augmentation générale (entendu que nous

parlons en moyenne mondiale) du niveau de vie, donc un meilleur taux d’éducation,

une médicalisation plus développée et une hygiène améliorée. La conséquence finale a

été un tassement du taux général de croissance de la population – le Maghreb est un

Page 12: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

12

bon exemple. Malgré un fort taux d’enfants par femme (de l’ordre de 5 ou 6), ces

chiffres sont en train de baisser à cause de l’allongement de la durée des études, sur-

tout pour les filles et les prémices de l’apparition d’une classe moyenne moins portée à

faire des enfants pour conserver son niveau de vie. Un autre problème social est le

chômage et le sous-prolétariat qui empêchent les classes jeunes de se marier par

manque d’argent.

Page 13: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

13

Ces réels progrès ne doivent pas cacher des échecs dus à l’ignorance ou à la nécessité de

nourrir une population sans cesse grandissante.

L’accès à l’eau ne signifie pas la potabilité de celle-ci. La moitié de la population

mondiale ayant accès à l’eau ne bénéficie pas d’installations sanitaires, ce qui rend les

eaux consommées potentiellement dangereuses. Trois à quatre millions de personnes

meurent chaque année de maladies liées à ces problèmes. Parmi elles, deux millions

sont des enfants3, succombant généralement à des diarrhées.

Figure 2 Accès à l’eau dans le monde, source www.monde-diplomatique.com

Plus de 800 millions de personnes soit 15% de la population mondiale, con-

somment moins de 2.000 calories par jour. Ils vivent chroniquement en état de sous-

3 Ces chiffres datent de 1996 et ont été établis par l’Organisation Mondiale de la Santé.

Page 14: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

14

nutrition4, soit de manière permanente, soit de manière intermittente. La plupart sont

des femmes et des enfants issus des milieux les plus pauvres. 180 millions d’enfants de

moins de 5 ans sont au-dessous du poids normal. Un peu moins de 10 % de ceux-ci

meurent chaque année, la malnutrition représentant un tiers de ces décès5.

Un rapport de l’UNICEF de 1998 met en lumière les distorsions du régime

alimentaire (protéines, vitamines, minéraux et nutriments) chez les enfants en bas âge

et les femmes en âge de procréer.

Des progrès restent donc à faire pour la salubrité et l’agriculture (irrigation).

Les problèmes ne touchent pas que l’alimentation. Le développement a entraîné

d’autres conséquences qui doivent être prises en compte quand on étudie les questions liées à

l’eau.

Les progrès de l’industrialisation et du développement en général ont généré

des dégâts important à l’environnement. La moitié des terres humides (marécages par

exemple) ont disparu au XX° siècle. Les dommages ont été importants sur la biodi-

versité. L’accroissement des zones urbaines dans les pays en développement (au Ma-

roc par exemple Casablanca-Mohammedia-El Jadida) a rapidement fait diminuer la

qualité des eaux de surface et souterraines. Ces eaux consommées par les populations

nuisent à la santé des habitants et déséquilibrent les milieux naturels. De plus, les poli-

4 Rapport de Gordon Conway 1999b, membre de la commission Water World Vision, Fonda-

tion Rockefeller.

5 Rapport de Gordon Conway 1999a, membre de la commission Water World Vision, Fonda-

tion Rockefeller.

Page 15: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

15

tiques de constructions de barrages ont entraîné par l’utilisation de pesticides et de fer-

tilisant, une concentration de produits chimiques dangereuse (cf. le Maroc supra). Le

but était de permettre aux populations locales d’irriguer et de cultiver des céréales

pour avoir un revenu, ce qui a induit un fort impact social par le passage d’une culture

vivrière à une culture de vente :

- Un grand nombre de personnes s’est déplacé et malgré une redistribution des

terres parfois prévue, a préféré émigrer vers les villes.

- Les techniques modernes d’agriculture n’ont pas bien été assimilées par les

habitants, soit par manque d’éducation (les techniques actuelles demandent

certaines connaissances de base, au moins savoir lire sa langue6), soit par

manque de sensibilisation (manque de « cours » destinés à mettre à niveau les

agriculteurs). Les cultures dans le Nord du Maroc pourraient être améliorées.

Les champs sont souvent mal semés par exemple, ou irrigués de manière fan-

taisiste. Une autre conséquence est un emploi massif de fertilisants affectant

peu à peu les nappes d’eau souterraines7, le but est d’avoir le meilleur rende-

ment pour augmenter les revenus. Cette course aux rendements multiplie

l’offre, et a fait chuter les cours des céréales ; alors on fertilise encore plus

pour augmenter encore le rendement et ainsi maintenir son revenu. Les résul-

6 Les populations paysannes sont souvent les parents pauvres des systèmes éducatifs des pays

en développement comme le montre le nombre d’Organisation Non Gouvernementales im-

pliquées dans ce domaine à l’exemple de l’UNICEF au Pakistan. Les causes sont dues aux ni-

veaux de vie trop faibles (souvent moins de quelques dollars par jour) pour pouvoir se per-

mettre d’envoyer les enfants à l’école, au lieu de travailler.

7 Nous devons noter que les mêmes phénomènes se retrouvent en France dans les régions des

bassins parisien et de la Garonne et en Bretagne (ici, les pollutions aux nitrates sont dues à

l’élevage porcin), par exemple.

Page 16: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

16

tats sont souvent catastrophiques sur le plan environnemental et de là humain

(cf. en France, le cas de la Bretagne et des élevages porcins).

Une autre donnée à prendre en compte est la non-responsabilisation des popu-

lations dans la consommation d’eau. De nombreux gouvernements subventionnent le

prix de l’eau. Les visées humanitaires ou politiciennes sont évidentes, fournir de l’eau

à tous. Cependant la modicité du prix entraîne des excès dans la consommation. De

plus, les subventions finissent souvent entre les mains de grands propriétaires et le

prix étant généralement fixe, les plus pauvres paient proportionnellement plus. Peu de

fonds sont investis dans la maintenance des infrastructures et le développement de

systèmes optimisés. Les conséquences sont catastrophiques. Pour la Tunisie, par

exemple, on estime les pertes dues aux dysfonctionnements des réseaux agricoles et

urbains à 700 millions de m3 d’eau par an, soit la consommation de la conurbation de

Casablanca en un an.

Enfin du point de vue des techniques et de la gestion, la démocratisation des

forages et des pompes (diesel en général) a fortement diminué la quantité des réserves

des bassins aquifères qui soit deviennent inexploitables par manque de pression8, soit

par élévation de la salinité9, soit par la hausse de la turbidité/pollution qui la rend im-

propre à la consommation (effet augmenté par une grande utilisation de fertilisants en

surface).

8 L’exploitation des nappes phréatiques est facilitée par la pression qui permet à l’eau de re-

monter naturellement à la surface. Une trop grande exploitation entraîne une baisse de cette

pression et des rabattements (c’est-à-dire des baisses de niveau des nappes phréatiques), et

donc une augmentation des coûts, car l’eau doit être « aidée » dans son ascension. Ces procé-

dés sont souvent trop chers pour certains pays.

9 Phénomène courant pour les nappes proches de la mer. L’eau pure est remplacée par de

l’eau de mer salée par infiltration dans une zone devenue vide et où la pression a baissé.

Page 17: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

17

Après avoir vu les améliorations apportées par un meilleur accès à l’eau et certaines

conséquences néfastes, nous allons maintenant considérer l’état des réserves et leur répartition

au niveau mondial.

Nous devons avant tout définir deux concepts. L’eau « verte » issue des précipi-

tations qui est la principale source d’approvisionnement pour les écosystèmes et les

cultures (type riz) qui les utilisent pour leur croissance. Celles-ci représentent actuel-

lement 60% de la nourriture. L’eau « bleue » est constituée des eaux courantes renou-

velables de surfaces (fleuves, rivières) et nappes phréatiques renouvelables. Cette eau

est la ressource traditionnelle des captages.

L’eau « bleue » disponible représente 40.000 km3 par an10. Sur ce chiffre envi-

ron un peu moins de 10% étaient utilisés pour servir à l’activité humaine en 1995, soit

3800 km3. Sur cette quantité, 2.100 km3 sont consommés11. Le reste retourne dans les

bassins aquifères généralement avec une qualité moindre. Nous consommons en fin

de compte seulement 5 % des eaux renouvelables. Pourquoi pas plus ? Il y a plusieurs

raisons :

- Une grande partie des eaux renouvelables tombent dans des zones peu peu-

plées, comme la région de l’Amazone ou le Canada.

- La majeure partie des pluies ou des crues des fleuves se produit sur de très

courtes périodes, comme les moussons. Le ruissellement est tel que ces eaux

sont irrécupérables. Le même type de phénomène se produit au Maghreb où

les chutes d’eau sont très localisées et très violentes et les crues sont parfois

10 Rapport de l’Institut d’Etat d’Hydrologie de Russie par M. Shiklomanov, 1999.

11 Consommer signifie la part d’eau distribuée qui soit s’évapore (cultures), soit est intégrée

dans un produit ou un organisme qui la rend inutilisable pour un autre usage.

Page 18: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

18

mortelles (se rappeler la crue du rivière Ourika qui a rasé plusieurs villages et

tué des dizaines de personnes)—nous sommes dans un climat méditerranéen.

- La dégradation de la qualité de l’eau rend les ressources de plus en plus rares,

les pollutions peuvent être liées aux activités industrielles ou agricoles, et par-

fois accidentelles (cf. la pollution de la réserve naturelle de la Doñana dans le

sud de l’Espagne).

- L’eau qui n’est pas utilisée par les besoins humains nourrit les écosystèmes

marin et terrestre. C’est une nécessité si nous ne voulons pas assister à la mort

lente de la planète… Bon nombre d’espèces animales ont déjà disparu. Par

exemple, entre 30 et 35 % des poissons d’eau vive ont disparu à Madagascar,

au Portugal et en Croatie12.

Selon les milieux, l’exploitation des ressources en eau renouvelable est diffé-

rente. Dans les régions arides ou semi-arides, de 80 à 90 % de l’eau sont récupérés.

Dans les zones tropicales (République indienne, Bengladesh, Asie du Sud-Est), la

moyenne annuelle des ressources en eau « verte » semble normale. Pourtant les chutes

de pluie et les crues se déroulent sur de courtes périodes, ce qui obligent ces pays à de

lourds investissements pour conserver de l’eau pour la saison sèche très longue. Ces

données montrent que ce problème doit être pris en compte pour comprendre les dif-

ficultés de développement de certaines régions. Enfin, pour les zones tempérées, les

précipitations se répartissent bien sur toute l’année, avec des pics selon les saisons.

Seulement, la surexploitation de ces ressources (de surface comme souterraines)

s’accompagne de pollutions agricoles et industrielles. Le quantité d’eau de bonne qua-

lité baisse de manière générale.

12 Etude de McAllister, Hamilton et Harvey, 1997/ Etude de Groombridge et Jenkins, 1998.

Page 19: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

19

Toutes ces données peuvent paraître loin de notre sujet, c’est-à-dire les rela-

tions et la sécurité internationales. En réalité, les eaux étant inégalement réparties ou

partagées par plusieurs Etats (Tigre et Euphrate entre la Turquie, la Syrie et l’Irak)

sont un enjeu capital dans leurs relations. Le développement industriel et agricole im-

pose de grandes quantités d’eau pour pouvoir être soutenu. Par exemple, l’objectif de

l’autosuffisance alimentaire avait été atteint par l’Irak dans les années 80, par le dé-

tournement des deux grands fleuves (Tigre, Euphrate), irrigations des cultures, créa-

tion de barrages et de bassins. Les Iraquiens étaient déjà en conflit à l’époque avec la

République turque, car ils considéraient que cette dernière ne leur distribuaient pas les

quantités qui leur étaient dues sur les fleuves mésopotamiens. Ces efforts s du régime

de Sadam Hussein ont été anéantis par le conflit de 1991. Cependant, les Iraquiens

ont toujours le risques que les Turcs « ferment les vannes » en mesure de représailles

(quelles qu’en soit les causes) et n’assoiffent le pays. Cette peur a été encore renforcée

par la construction du grand barrage Mustafa Kemal entre autres. On voit donc le lien

qui existe entre les données liées à l’eau et les relations internationales, et en consé-

quence la sécurité internationale.

Pour comprendre à quel point les problèmes liés à l’eau peuvent être impor-

tants au niveau international, nous allons traiter deux exemples :

- le cas d’Israël, qui est une zone de conflit depuis 1948 (création de Heretz

Israël) et pour lequel le problème de l’eau est primordial, car il est prévu que

ce pays rende le plateau du Golan à son propriétaire légitime, la Syrie. Cette

zone apporte une grande partie de son eau à l’Etat hébreu, au même titre que

la Cisjordanie occupée.

- La mer d’Aral est une zone « martyre » écologiquement parlant après les ex-

périences soviétiques de culture de coton à grande échelle. De plus, après

l’indépendance des Républiques d’Asie centrale, elle s’est retrouvée partagée

Page 20: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

20

entre différents pays aux ambitions parfois divergentes. Cette partie du

monde risque donc de devenir troublée sous peu à cause de ce problème ve-

nant s’ajouter à la montée de l’islamisme.

Figure 3 Ressources en eau renouvelables et accès à l’eau dans le monde, source www.monde-

diplomatique.fr

Page 21: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

21

II. L’eau, facteur d’insécurité internationale : cas d’Israël et de la

mer d’Aral

L’eau se définit de plus en plus comme un facteur majeur de déstabilisation

des années à venir. Des zones sont déjà touchées par ce problème, d’autres sont en

voie de le devenir. Nous allons examiner deux situations. D’abord nous envisagerons

la mer d’Aral et les Républiques d’Asie centrale qui se la partagent. L’intérêt ici est de

montrer une zone en cours de fragilisation en plus des difficultés causées par la ques-

tion islamiste. Nous démonterons de là que cette situation pourrait ressembler à celle

du Maghreb dans un futur proche si rien n’est fait. Ensuite, nous évoquerons la situa-

tion proche-orientale. Les différents acteurs régionaux se trouvent confrontés au par-

tage des eaux du Jourdain. De plus, les accords de paix entre Israël et les pays arabes

de la région entraîneront une répartition des eaux du Golan entre l’Etat hébreu et la

Syrie. Nous sommes dans la pire des conjonctures qui peut aboutir à court terme à un

nouveau conflit armé, la possession de ces ressources étant vitale. Si les pays du Golfe

tirent leur richesse de l’or « noir », aucun pays du Proche-Orient ne pourra arriver à un

développement durable sans or « bleu ». Du point de vue interne, Israël extrait 80 %

de l’eau de la Cisjordanie occupée pour son usage national. Les implications sont donc

très fortes, et les conséquences d’un mauvais accord peuvent être fatales à un pays

comme Israël qui sans le Golan et la Cisjordanie, serait pratiquement privé de res-

sources en eau.

Cette étude nous montrera des futurs possibles pour la région maghrébine. Il

est bien entendu que ces deux cas ne sont pas transposables tels quels, car cela nierait

les réalités locales de l’Afrique du Nord tant politiques que géographiques. Cependant,

de nombreuses analogies peuvent nous permettre de mieux cerner les implications

qu’il y aurait dans le cas d’une déstabilisation due à l’eau au Maghreb.

Page 22: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

22

Le drame de la mer d’Aral et ses conséquences environnementales et géopolitiques après

l’indépendance des républiques d’Asie centrale.

La mer d’Aral a été une des premières zone « martyres » de l’époque moderne

sur le plan écologique. Staline décida dans les années 30, de faire de cette région le

grenier cotonnier de l’URSS. Les deux fleuves principaux de la région, le Syr-Daria et

l’Amou-Daria, ont été détournés de leurs cours pour irriguer de grandes exploitations.

La mer d’Aral était principalement approvisionnée par ces deux cours d’eau. La pénu-

rie liée à ces détournements a causé un assèchement impressionnant de cette mer inté-

rieure. Des plans de détournements d’autres cours d’eau (Amour et Ienisseï) n’ont ja-

mais été réalisés. Ils étaient destinés à « remplir » la mer d’Aral. Cette mer intérieure, la

plus grande du monde s’est donc peu à peu asséchée. Les côtes ont reculé de plus de

50 kilomètres. Des villes entières vivant de la pêche ont été ravagées socialement et

économiquement.

Figure 4 Situation industrielle et écologique de la mer d’Aral, source www.monde-diplomatique.fr

Page 23: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

23

Les anciens bateaux des pêcheurs sont aujourd’hui échoués sur le sable. La ré-

duction de la mer d’Aral13 a eu des conséquences écologiques catastrophiques. Le ni-

veau de l’eau a baissé, en conséquence la salinité a beaucoup augmenté et des dizaines

d’espèces animales ont disparu. De plus, la culture intensive du coton a entraîné une

forte utilisation de fertilisants qui ont majoré les effets négatifs sur le milieu écolo-

gique. L’assèchement des terres qui ne recevaient plus leur apport habituel en eau, a

causé une grande érosion éolienne. Le résultat a été la dégradation de la qualité des

terres, le « pelage » fertile se trouvant emporté par les vents. Ce sol dégradé a été

transporté sur des zones fertiles qui ont alors vu leurs qualités s’altérer.

Figure 5 Dégradation des sols dans le monde, source www.monde-diplomatique.fr

Depuis l’éclatement de l’URSS en 1991, la mer d’Aral est « partagée » entre plu-

sieurs pays qui sont le Kazakhstan et l'Ouzbékistan qui la bordent, le Kirghizistan, le

Tadjikistan, le Turkménistan qui sont nécessairement associés pour la gestion des bas-

13 Depuis 1960, le volume de la mer d’Aral a diminué de 70 %. Elle s’est alors séparée en deux

« lacs » depuis 1988.

Page 24: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

24

sins14. Nous voyons donc que cette mer est répartie entre cinq pays dont les frontières

ont été tracées du temps de l’Union soviétique. Les particularités ethniques ne sont en

fait pas respectées, car malgré les noms attribués à chaque pays, les ethnies sont mé-

langées à l’intérieur de leurs frontières. Le seul pays qui soit à peu près homogène est

le Kirghizistan adossé aux contre-forts de l’Altaï, si l’on met de côté la communauté

russe qui se retrouve partout en Asie centrale.

Les préjudices attachés à cette zone ne sont pas dus, seulement, à l’agriculture.

Cette région a été aussi utilisée pour diverses activités polluantes. Le Kazakhstan a été

exploité, car il possède de grandes ressources minérales ; chrome, métaux rares, ar-

gent, uranium, cuivre (60 p. 100 de la production mondiale), plomb, zinc, phosphate,

charbon, phosphore, nickel, fer, étain. De très importants gisements de pétrole (vaste

champ pétrolifère de Tengiz) et de gaz naturel ont été découverts en bordure de la

mer Caspienne. L’industrie représentait 39 % du PIB de ce pays en 1994, principale-

ment l’exploitation et la transformation de ces ressources. Ces usines ont été cons-

truites à l’époque soviétique, et n’ont pas été modernisées depuis. La conséquence est

une forte pollution atmosphérique qui indirectement corrompt les nappes phréatiques

par infiltration lors des précipitations.

Par ailleurs, la zone nord-est du pays (Semai / Semipalatinsk) était le « polygone

d’essais nucléaire » de l’URSS. Les conséquences de ces essais ne sont pas encore bien

perceptibles15.

Le Kirghizstan a également été touché par une contamination radioactive, liée

à de bonnes réserves d’uranium utilisées16 pour les industries militaires et civiles. En

14 Les différents bassins traversant ces pays font partie de l’écosystème associé à la mer d’Aral.

15 Les Soviétiques avaient par exemple tenté de créer des lacs artificiels par des explosions nu-

cléaires souterraines, le résultat a été la contamination des zones environnantes et de l’eau

stockées.

Page 25: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

25

outre il a subi les pollutions liées à un pays essentiellement agricole. La majorité des

affluents du Syr-Daria le traverse, et contribuent ainsi à la dégradation du milieu éco-

logique régional.

Un nouveau danger apparaît, le pétrole. Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan avec

l’aide des sociétés pétrolières développent leur potentiel d’exploitation à l’est, au nord

de la mer Caspienne17. Les conséquences ici ne seront visibles que dans quelques an-

nées.

Géopolitique et gestion de la mer d’Aral

La région connaît deux causes importantes de déséquilibre. D’abord la menace

islamiste due à la proximité avec l’Afghanistan et le Pakistan. Ce premier pays est diri-

gé par le régime des Talibans qui a vaincu les forces de Massoud dirigeant modéré18.

Les Talibans cherchent à exporter leur révolution islamique au-delà de leurs frontières

par le jeu des dominos en déstabilisant peu à peu tous les pays de la région.

L’islamisme afghan est différent de celui de son voisin iranien. Les Afghans sont sun-

nites et les Iraniens chiites duodécimains. En conséquence, une véritable lutte pour le

leadership islamiste dans cette zone19 s’est engagée. Les pays limitrophes de

l’Afghanistan ont dû faire appel à l’aide russe pour protéger leurs frontières contre les

16 Cet uranium est assez enrichi naturellement pour servir de combustible pour les centrales

thermiques et être utilisé pour l’armement.

17 Régions de Tenguiz, Kenyak, Kotur-Tepe et de Tyuratam.

18 Aujourd’hui les forces de Massoud se trouvent cernées dans le nord du pays et résistent tant

bien que mal.

19 Il y a quelques mois de cela, quatre diplomates iraniens ont été assassinés alors qu’ils étaient

en poste dans l’ouest de l’Afghanistan.

Page 26: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

26

incursions de groupes armés menant des actions20 de déstabilisation (Turkménistan,

Ouzbékistan, Tadjikistan).

Ensuite, en accord avec notre sujet, la gestion de la mer d’Aral. Les causes de

conflits ne concernent pas seulement le Kazakhstan et l’Ouzbékistan qui la bordent,

mais également les autres pays d’Asie centrale non contigus à la mer qui ont sur elle

une grande influence en rapport avec les bassins qui les traversent.

Ces pays ont toutefois signé des accords qui leur permettent à l’heure actuelle

d’éviter les conflits21. Dès 1991, les différents ministères gérant le problème de l’eau se

sont réunis et ont décidé de reconduire la politique de gestion de l’ex-URSS sur

l’allocation de l’eau. En ce sens, il n’y a pas eu de rupture brutale et une nationalisation

de la gestion qui aurait entraîné une situation à la « mésopotamienne »22.

Nous allons étudier toutes les conventions (cinq) qui gèrent les relations ré-

gionales, car elles prouvent qu’une gestion partagée est possible :

- Convention intergouvernementale du 18 février 199223 : Cette convention a

mis en place la Commission intergouvernementale pour la Coordination de

l’Eau (CICE). Elle est chargée de déterminer et d’approuver l’allocation an-

nuelle d’eau pour chaque Etat et la gestion de l’agenda des opérations sur les

différentes réserves d’eau. Les décisions y sont prises à l’unanimité et sont di-

rectement applicables. Son action a abouti à une limitation de la consomma-

tion issue de l’Amou-Daria et du Syr-Daria. De plus elle a initié un travail vi-

20 Attentats, enlèvements,…

21 On peut trouver ces documents sur les sites de l’ONU dont celui du PNUD

(www.undp.org).

22 Voir la situation au Moyen-Orient entre la Turquie, la Syrie et l’Irak.

23 Nous avons pris le parti, quand des textes internationaux sont cités de laisser l’original en

anglais, pour éviter tout problème d’interprétation.

Page 27: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

27

sant à une gestion transfrontalière des ressources en eau. Le résultat est en-

courageant, dans la mesure où c’est la première fois que l’on est arrivé à at-

teindre une telle coopération dans la gestion d’un bassin. Cependant, les dé-

crets sur la gestion de l’eau sont seulement ad-hoc et doivent être acceptés par

les ministères des pays signataires, et s’il y a désaccord, aucun mécanisme

n’existe pour le régler. Cela reste un cas d’espèce, pour l’instant cette situation

n’est jamais arrivée.

- Convention du 26 mars 1993 : Après la réussite du premier accord de 1992,

les signataires ont décidé d’élargir encore leur coopération. Maintenant, sont

institués des organes chargés de la gestion des ressources. Cette nouvelle or-

ganisation institutionnelle se fonde sur trois nouveautés. D’abord, un Conseil

Interétatique chargé des Problèmes du Bassin de la mer d’Aral s’occupe de

faire des recommandations aux cinq gouvernements de la région24 qui dans

les études est prise dans son ensemble. Ensuite, un Comité Exécutif est créé

pour aider le CICE. Enfin, un Fond International pour la mer d’Aral finance

les activité du CICE. Un paradoxe demeure dans cette gestion : le fond prend

des décisions qui ont un effet direct, alors que le CICE n’a pas ce pouvoir.

Une convention additionnelle moins importante a été signée, celle du 19 juil-

let 1994 qui met en place une Commission du Développement Durable. Elle

s’occupe de la protection de l’écologie qui, nous l’avons vu, est un problème

crucial, et du développement socio-économique du bassin. Elle est composée

de cinq « députés-Premier Ministres » qui représentent chacun des signataires,

ils sont chargés dans leur pays des ministères de

l’Agriculture/Eau/Environnement, selon la dénomination nationale. Enfin,

une réunion intergouvernementale (février 1997) a réuni le CICE et le Fond

dans une même structure. Un Comité Exécutif lui est attaché.

24 Voir infra pour leurs noms.

Page 28: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

28

- Le Programme du Bassin de la Mer d’Aral (PBMA en français) : Ce pro-

gramme a été adopté en janvier 1994 et présenté aux sponsors en juin de la

même année. Suit la déclaration de principe en en-tête du programme : « [...]To

prepare a general strategy of water distribution, rational water use, and protection of water re-

sources in the Aral Sea Basin, and to prepare on the basis of this strategy draft intergovern-

mental legal and normative acts, which will regulate the issues related to the consumption and

protection of water from pollution, and the social and economic development of the region[...]

To prepare and introduce quotas limiting water consumption for agricultural and industrial

production, as well as for other technological needs. » (Résolution des chefs d’Etat, Nu-

kus, 11 janvier 1994). Nous voyons que le programme embrasse une grande

quantité de domaines de la pollution au développement en passant par les quo-

tas pour chaque pays. En lisant le reste du programme, il est question des

études sur le terrain, de l’amélioration des infrastructures de contrôle de l’eau,

etc. On a donc dépassé la simple gestion quantitative pour arriver à une gestion

qualitative et à un développement durable concerté.

- L’Accord à long terme pour l’Eau et l’Energie (pour le Syr-Daria) du 17 mars

1998 : Cet accord a été signé par les Premiers ministres du Kazakhstan, du

Kirghizstan et de l’Ouzbékistan. Le projet a été préparé avec l’organisation

américaine USAID et a donné lieu à un voyage de travail aux Etats-Unis, au

Canada et au Mexique pour les spécialistes asiatiques. Il est question ici de la

gestion des réserves d’eau du Toktugul, et des barrages des cascades de Naryn.

De plus, l’accord contient des clauses partageant équitablement l’achat

d’hydroélectricité par l’Ouzbékistan et le Kazakhstan au Kirghizstan qui utilise

pour cela les eaux descendant de l’Altaï, payée soit en nature (houille, gaz), soit

en devise.

Page 29: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

29

- Enfin, la Déclaration d’Ashgabat du 9 avril 1999 : c’est une déclaration

d’intentions concernant tous les sujets ci-dessus avec cependant une portée

plus politique le style ressemblant à une déclaration de Droits25.

Cette longue énumération de textes est nécessaire pour comprendre le travail

qui a été effectué dans la région de l’Aral. Ce sera une piste pour notre réflexion dans le

cadre maghrébin et marocain. Les contacts permanents entre les différents gouverne-

ments ont permis pour ce qui est du problème de l’eau d’éviter les situations de crises.

Nous sommes face à un exemple unique pour l’instant de gestion réussie de bassin. Les

choix faits du temps de l’URSS impliquaient une gestion de grande envergure s’étalant

sur toute l’Asie centrale. S’il n’y avait pas eu cette reprise dès le départ de la politique

soviétique, les pays riverains auraient géré cette zone individuellement ce qui aurait cau-

sé des tensions intenables. Maintenant, nous allons étudier la situation inverse, celle de

l’Etat d’Israël et de ses voisins, où l’eau est au centre des tensions, car elle est vitale

pour l’Etat hébreu et un futur Etat palestinien.

L’eau au Proche-Orient : le cas d’Israël et de ses voisins arabes

Pour le Proche-Orient, nous serons beaucoup plus concis, car la situation est,

avant tout, factuelle. Le principe n’est pas le droit, il n’y en a pas, mais la force. Israël

exploite des ressources d’eau propres ou issues de ses conquêtes militaires. C’est là

tout le problème. La libération des Territoires occupés ne pourra avoir lieu sans un

accord sur ce point. Les hauteurs du Golan ne sont pas qu’une zone stratégique pour

se protéger de la Syrie, mais l’objet d’un enjeu capital pour la survie d’Israël, au vu de

la quantité de sources qu’elle habrite

25 Le début du texte de la Déclaration, en anglais, est en annexe.

Page 30: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

30

Nous pouvons résumer les données de base comme suit : Israël consomme

entre 1.900 et 2.000 millions de m3 par an. Le pays dans ses frontières de 1947 ne pos-

sède que 1.400 millions de m3 en ressources annuelles, soit 255 m3 par habitant, c’est-

à-dire bien en dessous des 500 m3 considérés comme le seuil de pénurie. L’eau pour

l’Etat d’Israël vient de la confluence du Jourdain et du Yarmouk, du lac de Tibériade

et des nappes de Cisjordanie et de la bande littorale, y compris Gaza.

Il avait été envisagé de détourner le fleuve libanais Litani, lorsqu’il y a

quelques mois encore Tsahal occupait le sud du Liban. Aujourd’hui, Israël a quitté

cette zone, et le pays ne peut plus rien attendre

des ressources libanaises.

L’Etat hébreu utilise ses ressources

propres, les eaux du Jourdain et la nappe litto-

rale qui longe la côte méditerranéenne. Ces ri-

chesses aquifères sont très insuffisantes pour

un Etat moderne et industrialisé comme Israël.

Les différentes guerres contre les Etats arabes

alentour ont amené dans le giron israélien, la

Cisjordanie, Gaza et le Golan26. Gaza possède

la fin de la nappe littorale méditerranéenne.

L’exploitation a donc été renforcée dans cette

région à l’avantage des colonies juives et du ré-

seau hydraulique israélien (compagnie Mekorot). Pour la Cisjordanie, la situation est

encore plus flagrante. Il suffit de voir les chiffres. Le potentiel de l’aquifère cisjorda-

nienne est de 680 millions de m3 par an, et il est prélevé 590 millions de m3. La répar-

26 Les eaux des Territoires occupés sont déclarées « ressources stratégiques sous contrôle mili-

taire » par Israël. Cela peut compliquer les choses dans le cadre d’un règlement, vu le poids de

Tsahal dans la prise de décision internationale de l’Etat hébreu.

Page 31: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

31

tition de ces prélèvements est la suivante : 470 millions de m3 pour Israël et les colo-

nies juives et 120 millions de m3 pour les Palestiniens, soit respectivement 75 % et 25

% des ressources ! Tout est fait de plus légalement pour mettre les Palestiniens en in-

fériorité du point de vue des ressources, ne serait-ce que par les subventions que les

Israéliens et les colons peuvent obtenir, et auxquelles ils n’ont pas droit27. Le Golan,

quant à lui, fournit indirectement un tiers de la consommation israélienne par son ap-

provisionnement du lac de Tibériade. Cette zone a été annexée. Deux conceptions

s’affrontent ici, l’israélienne qui considère que de toute façon Israël a acquis un droit

d’usage sur les ressources en eau de la région à cause de nombreuses mises en valeur

effectuée depuis trente ans. La syrienne s’appuie elle simplement sur le droit interna-

tional classique, cette terre appartenait à la Syrie donc elle doit y revenir. Le partage

des sources locales a été fait avec la même politique discriminatoire qu’en Cisjordanie.

Socialement, les problèmes à venir sont importants, le taux de natalité pour

les femmes arabes vivant en Israël (Territoires occupés compris) est de 4,68 enfants,

ce chiffre est de 2,61 pour les Juives. Le taux de natalité est donc deux fois plus élevé.

La population de réfugiés arabes étant d’environ 3 millions de personnes pour 6,44

millions de Juifs en Israël. Pour le cas de Gaza dont les ressources sont surexploi-

27 Pour un Israélien, environ 15 agorots/m3 (un shekel est égal à cent agorots) et pour un Pa-

lestinien, environ 70 agorots/m3, la différence est donc d’environ 4,5 fois ! Il faut ajouter que

le niveau de vie des Palestiniens (1.250 dollars américains) est beaucoup plus bas que celui des

Israéliens (17.000 dollars américains). Les chiffres donnés ici viennent du rapport de

l’Assemblée Nationale n°1660 du 4 novembre 1998 de la Commission des Affaires étrangères

sur la mission effectuée en Israël et dans les Territoires palestiniens par une délégation de la

Commission.

Page 32: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

32

tées28, la densité est de 2.788 habitants au km2, alors que pour Israël, ce chiffre est de

271,7. Comment une population à peine deux fois inférieure à la population israé-

lienne pourra-t-elle survivre avec seulement un cinquième des ressources en eau, sur-

tout avec une telle densité qui majore souvent les problèmes d’hygiène ? C’est impos-

sible, sauf à être franchement cynique. Les traités de paix doivent se charger de cette

question, mais pas comme à l’heure actuelle où Israël possède encore des droits léo-

nins sur l’eau. De plus, la question de l’eau se rattachant pour certains à des droits ina-

liénables d’origines bibliques29 ne facilitera pas les accords.

La question de l’eau est donc capitale, car en plus des difficultés politiques in-

térieures, les dirigeants israéliens savent pertinemment que la perte de la Cisjordanie et

28 Les nappes sont tellement exploitées que la salinité augmente dangereusement Si les choses

continuent dans ce sens les infiltrations d’eau de mer vont rendre ce réservoir impropre à la

consommation.

29 Extrait du journal israélien Aroutz 7 : « Les accusations de l'Autorité Palestinienne contre la

politique israélienne de gestion des eaux sont non fondées. [Qui] plus est, les Palestiniens ne

respectent pas leurs engagements d'Oslo en matière de pompage des eaux. L'Administration a

ainsi fait fermer trois branchements illégaux à ‘Hévron, il y a deux jours, ce qui a déclenché les

protestations de l'Autorité Palestinienne.

"L'administration civile a décidé que malgré la sécheresse actuelle, qui a amené à réduire les

quotas d'eaux à l'agriculture israélienne et à la Jordanie, elle continuera à fournir à l'Autorité

Palestinienne les quotas d'eau prévus. De son côté, l'Autorité Palestinienne s'est engagée sur

divers points qu'elle n'a pas respectés. Par exemple, les autorisations de pomper de l'eau dans

la nappe phréatique orientale, près d'Hérodion, sont liées à l'engagement de réaliser des fo-

rages et des ouvrages d'eau. Travaux pour lesquels des sommes ont été allouées par les pays

bailleurs de fond de l'Autorité Palestinienne, mais qui n'ont jamais été réalisés. " » Edition du

mercredi 23 juin 1999. Ce journal est édité par des Juifs israéliens orthodoxes, pour eux les res-

sources en eau sont un droit biblique (e. g. Genèse 26/20 : « Mais les bergers de Guerar cher-

chèrent querelle aux bergers d’Isaac en disant l’eau est à nous », dans ce passage la Bible

montre que la prospérité est issue du contrôle de l’eau, déjà à l’époque).

Page 33: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

33

du Golan pourrait leur être fatale à moyen et long terme. Le développement industriel

serait ralenti et l’agriculture s’affaiblirait beaucoup, alors que c’est une des réussites du

pays. Le gouvernement israélien ne peut donc accepter une telle perte sans hypothé-

quer sur sa survie. De l’autre côté, les Palestiniens n’auront pas la possibilité de vivre

et de développer leur pays naissant sans ressources en eau. De plus, si les ressources

palestiniennes demeurent aux mains de l’Etat hébreu, les populations arabes ne sup-

porteront pas longtemps de savoir que la solution d’une partie de leurs problèmes so-

ciaux, agricoles et industriels se trouve sous leurs pieds et qu’ils n’ont pas le droit de

l’utiliser. Le risque est une déstabilisation régionale grave pouvant entraîner des con-

flits comme ceux de 1948, 1967 ou 1973, mais cette fois-ci liés à la question de l’eau.

Le scénario pourrait être celui d’une Syrie voulant récupérer les eaux du Golan et de la

Jordanie la vallée du Jourdain ; ou alors d’une guerre avec un Etat palestinien nouvel-

lement créé (sûrement soutenu par d’autres Etats arabes) pour reprendre les nappes

aquifères aux Israéliens, si les accords entérinaient la situation actuelle très désavanta-

geuse.

Page 34: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

34

Conclusion

Nous sommes face à deux situations opposées, d’une part nous voyons une

région qui tente de gérer ses ressources de manière concertée, au travers des traités et

des organes intégrés de dialogue et d’autre part une zone où les conflits territoriaux et

religieux faisant l’objet de discussions actuellement, risquent de ne pas trouver de so-

lution à cause d’une non-entente dans ce domaine. La situation proche-orientale ne

semble pas prête à être réglée, car ici qui a l’eau a l’espoir de pouvoir vivre et se déve-

lopper, sinon les efforts à fournir seront très importants, et sans doute infranchis-

sables. En Asie centrale en revanche, malgré les dangers causés par l’islamisme afghan

et pakistanais, la situation qui aurait pu être explosive trouve sur ce point un terrain

favorable qui pourrait déboucher dans l’avenir à une entente plus large que le domaine

de la gestion des bassins. Si nous avons évoqué ces exemples, c’est pour mieux définir

la situation maghrébine par rapport à celles que nous avons vu plus haut.

Page 35: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

35

III. Spécificités maghrébines

Nous nous cantonnerons dans ce chapitre à une approche comparative de la

conjoncture maghrébine avec celles de la mer d’Aral et du Proche-Orient et dévelop-

perons la situation marocaine infra.

Le Maghreb a une situation particulière. Elle se situe entre les deux cas que

nous avons vu, soit : des traités, mais des tensions.

Le Maghreb a tenté de suivre le chemin tracé par les Communautés euro-

péennes en signant le 17 février 19889 à Marrakech, le traité d’Union du Maghreb

Arabe (UMA), composée de l’Algérie, de la Libye, de la Mauritanie, du Maroc et de la

Tunisie. Les institutions de l'UMA se composent du Conseil des Chefs d'Etat, du

Conseil des Ministres des Affaires Etrangères, d'un Comité de suivi, d'une Cour de

Justice composée de dix membres (deux par pays) compétente pour les différends

entre parties ressortissantes de pays membres, d'une Chambre Consultative composée

de 30 délégués par pays ainsi que de quatre Commissions ministérielles spécialisées.

Son secrétariat n'est pas fixé et suit pour l'instant la présidence qui passe annuellement

d'un Chef d'Etat à l'autre. L’union a certains avantages. Tout d'abord, plutôt qu’une

union politique, les objectifs de l’UMA sont la libre circulation des biens et des per-

sonnes ainsi que la révision des règlements douaniers pour arriver à la création d'une

zone de libre-échange. Il est également question d’une unité de compte qui pourrait

être utilisée pour le commerce inter-maghrébin. L’accord déjà conclu pour la cons-

truction d’un gazoduc de l’Algérie à l’Espagne via le Maroc est l’exemple concret de

possible projet d’intérêt mutuel30. Parmi les autres projets approuvés ou pris en consi-

dération, signalons la création d’une Banque Maghrébine d'Investissement et de

Commerce International pour financer des projets conjoints dans les domaines agri-

30 Projet GME, i. e. Gazoduc Maghreb-Europe.

Page 36: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

36

coles et industriels; l’amélioration du réseau ferroviaire et la création d’une autoroute

reliant les pays membres.

Si elle a permis un doublement des échanges entre Etats membres, l’évolution

du processus d'intégration au sein de l’UMA est en pratique bloquée par l’embargo in-

ternational imposé à la Libye, la crise interne en Algérie et certaines dissensions entre

les pays membres du fait notamment de la non-résolution de la question du Sahara

Occidental. Il y a eu par le passé d'autres tentatives d’aboutir à une plus grande coopé-

ration entre pays du Maghreb et même des projets d’unification économique et poli-

tique. Elles n’ont pas abouti du fait, notamment, des tensions dues à la question du

Sahara Occidental. Les initiatives diplomatiques du Secrétaire Général des Nations

Unies et de certains pays arabes pour trouver une solution à cette question ont créé un

climat favorable à la création de l’UMA, réaction à la perspective de création du

« grand marché européen » après 1992.

Nous voyons donc que la situation est paradoxale : nous sommes dans une

zone structurée par des traités créant une organisation ressemblant aux Communautés

européennes, mais bloquée. Tautologiquement, nous sommes dans une zone où il y a

des tensions qui s’abaissent (Sahara occidental), mais qui connaît, quand même, un

début d’organisation. Comme souvent dans le monde arabe, nous sommes dans un

cas « anti-manichéen », dans un concept flou entre union des « frères arabes » et luttes

pour le leadership régional. Ici, contrairement au Proche-Orient, nous ne sommes pas

face à un « ennemi héréditaire ». Marocains et Algériens ne se considèrent pas de la

même façon qu’Israéliens et Palestiniens, le « sentiment de colonisation » est absent

entre pays du Maghreb alors qu’il est présent vis-à-vis d’Israël au Proche-Orient. Ce-

pendant la situation n’est pas non plus celle de l’Asie centrale, où l’intégration est très

poussée pour ce qui est de la gestion des bassins du Syr-Daria et de l’Amou-Daria. Les

pays du Maghreb ont beaucoup de mal à s’entendre sur certains points. Ils ont été

marqués par l’Histoire (décolonisation de l’Algérie) et leurs systèmes politiques

Page 37: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

37

(Royaume au Maroc, République militaire en Algérie, Comité de Salut public en Mau-

ritanie, République monocratique en Tunisie avec Ben Ali, etc.). Les prétentions terri-

toriales du Maroc réclamant la zone de Bechar31, et la Mauritanie une partie du Sahara

occidental risque de constituer une pierre d’achoppement dans les discussions futures

sur le thème des ressources en eau.

Le Maghreb possède donc un contexte particulier, car sa situation est originale.

Nous pouvons dire qu’il est à la croisée des chemins entre la crise et la gestion paci-

fique. Les choix des dirigeants et les différentes tensions internes qui pourraient surgir

détermineront ce que sera l’avenir.

Maintenant, nous allons étudier le Maroc en tant que tel : ses relations avec les

pays voisins, les problèmes liés à l’eau pour chacun de ces acteurs et enfin nous ver-

rons que ces données expliquent la situation marocaine actuelle et les conséquences

qui peuvent en découler.

31 Sans compter les enclaves espagnole de Ceuta et Melilla. Cette zone du Sahara est riche en

eau grâce à la nappe fossile qu’elle possède.

Page 38: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

38

PREMIERE PARTIE :

LE MAROC DANS SON ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL

Nous allons traiter dans cette partie de la spécificité marocaine en matière géo-

politique. L’étude des frontières et des ressources en eau montre que des pays comme

l’Algérie et le Maroc ne devraient pas avoir de problème, car les bassins sont bien di-

visés grâce à la chaîne de l’Atlas. Cependant, il faut se rappeler les prétentions maro-

caines sur la zone de Bechar. Cette zone est proche de la nappe phréatique fossile qui

finit près de cette localité. Les cartes hydrogéologiques et politiques ne sont donc pas

suffisantes pour comprendre les enjeux de l’eau au Maghreb, l(Histoire rentre donc

aussi en jeu.

Pour comprendre les perspectives maghrébines et conséquemment marocaines,

nous verrons d’abord la situation du Maroc dans son environnement et ses relations

avec les pays voisins. Ensuite, nous considèrerons le problème de l’eau dans chacun

de ces pays, en passant par l’Espagne qui a été un exemple de gestion de l’eau en Eu-

rope. Enfin, nous essaierons de mettre en lumière l’impact de ces données sur le Ma-

roc actuel et les futurs envisageables.

Page 39: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

39

I. Maroc : situation intérieure et relations avec les pays du

Maghreb

En premier lieu, nous traiterons de l’actualité, c’est-à-dire le début de transition

vers un régime, semble-t-il, plus démocratique au Maroc sous l’impulsion de Mo-

hammed VI, fils de Hassan II. De là, nous évoquerons la politique marocaine de l’eau

développée sous le règne de ce dernier. En second lieu, nous allons étudier les rela-

tions du Royaume chérifien avec ses voisins.

Disparition de Hassan II et transition « douce » amorcée par Mohammed VI – po-

litique de l’eau sous le régime chérifien

Système politique marocain (notions générales) : continuité et volonté de changement

La politique du Royaume chérifien a été fortement marquée par la personnalité

de Hassan II, décédé en 1999. Il a régné sans partage sur la destinée du pays depuis

1961. Son régime a été empreint d’autocratie et de négation des Droits de l’Homme.

L’affaire Abraham Sarfaty, opposant communiste qui a passé de longues années en

prison dans des conditions terribles (isolement, tortures, etc.), et a dû s’exiler en

France après une liberté obtenue grâce à la pression de l’opinion internationale en est

un bon exemple. Son retour n’a été possible qu’avec l’arrivée au pouvoir de Moham-

med VI. L’ancien souverain avait instauré un régime bénéficiant aux proches du pou-

voir (voir les aménagements de la ville de Settat, lieu de naissance du constant ministre

Page 40: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

40

de l’intérieur de Hassan II, Driss Basri) accompagné d’une politique de répression

souvent féroce32.

La politique marocaine de tout temps a possédé une structure particulière : le

Makhzen. Le Makhzen est issu de la tradition arabe du pouvoir, c’est-à-dire

l’allégeance à un chef charismatique choisi par Allah33. Ce suivi de la tradition explique

par exemple, que toute la famille Oufkir eut à subir les foudres du monarque, car la

responsabilité est traditionnellement collective dans le monde pré-islamique et arabo-

musulman par la suite. Le Makhzen est constitué de la noblesse marocaine très fermée

à laquelle se sont ajoutés les « nouveaux riches » et les hauts fonctionnaires d’Etat, sui-

vant un modèle français34. C’est une structure très inerte, attaquer ses privilèges est

parfois risqué. Par exemple, des tentatives d’implantations d’entrepreneurs étrangers

ont échoué, car les chefs d’entreprise marocains ont fait modifier les lois ou par leur

influence ont multiplié les obstacles administratifs contre ces nouvelles entreprises.

Les Marocains ont continué à consommer des produits certes fabriqués sur place,

mais souvent plus cher et de moins bonne qualité.

L’arrivée aux affaires de Mohammed VI a amené un grand espoir de change-

ment pour les Marocains. Les journaux ont une plus grande liberté d’expression, mais

des sujets restent inattaquables comme la Royauté ou le Sahara occidental. Une ma-

nière de « Movida » comme celle de l’Espagne post-franquiste tant attendue, n’a pas

eu lieu. En partie justement par l’influence de ce noyau, le Makhzen est jaloux de ses

prérogatives. De nombreux anciens contestataires à la manière du Premier ministre

32 Le général Oufkir avait tenté un coup d’Etat en 1972 qui échoua. Il se serait suicidé en 1972

lors d’un second attentat contre Hassan II (le premier eut lieu l’année précédente). Sa famille

resta emprisonnée par la suite pendant plus de vingt ans.

33 Cf. Olivier Hirtzlin-Pinçon, Le pouvoir dans l’Islam méditerranéen et iranien, mémoire de

troisième année, I. E. P. de Toulouse, 1998.

34 L’Administration marocaine est calquée sur le modèle français.

Page 41: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

41

actuel El Youssoufi ont dû « s’adapter » pour pouvoir tenter de mener leur politique35.

Selon le journal marocain fondé en mars 2000, Demain, ils seraient devenus des

« hommes politiques responsables », selon un des membres de l’ancien groupe mar-

xiste, Illal Amam. D’après le même périodique, si Mohammed VI n’effectue pas les

changements voulus dès maintenant, c’est parce qu’il inventorie l’héritage de son

père36. C’est une manière « diplomatique » d’exprimer cette sclérose de l’élite maro-

caine, habituée et « amadouée » pendant longtemps par un système alliant corruption

et clientélisme. Les premières élections considérées comme libres au Maroc, les muni-

cipales de 1997, qui ont donné la gestion des communes aux partis de gauche, n’ont

pas échappé à cette règle. Les différentes tendances politiques ne peuvent pas mobili-

ser un gros électorat, car la lutte contre l’opposition a tellement été efficace que

l’esprit civique est faible dans le pays. Les voix sont parfois achetées aux plus pauvres

contre un repas37. Le régime n’a donc pour l’instant changé qu’en surface, les struc-

tures profondes restent en place, malgré les coups apportés par les élections libres et

le changement de monarque.

Cette attention portée à la politique intérieure marocaine nous servira plus loin

pour expliquer certains comportements de politique internationale. Maintenant nous

allons nous intéresser à la politique marocaine de l’eau, elle a suivi les grands traits des

politiques de gestion des années 60-70 : la construction de grosses retenues d’eau.

35 Beaucoup de Marocains trouvent que le gouvernement ne « fait rien ». Ce dernier semble

pourtant faire ce qu’il peut, car si le système traditionnel se retourne contre lui par une at-

taque trop directe, il risque de devoir démissionner, les tenants du Makhzen (fonctionnaires,

notables locaux) risquant de ne plus exécuter sa politique sur le terrain.

36 Cette réflexion attribuée au roi marocain est issue d’un de ses proches du Palais. Demain,

extrait de Courrier international du 17 au 23 août 2000.

37 F. Layadi et N. Rerhaye, Maroc, chronique d’une démocratie en devenir (les 400 jours d’une

transition annoncée), EDDIF, Casablanca, 1998.

Page 42: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

42

La politique de l’eau au Maroc

Le Maroc avait connu un grand développement du temps du protectorat pour

l’agriculture38, en particulier. Cependant, la situation politique du protectorat était dif-

férente de l’Algérie qui était une colonie et comprenait des départements organisés

comme en métropole39. Les Français ont commencé à mettre en place une politique

d’aménagement (dite de grande hydraulique) du pays par la construction de quatorze

barrages et la mise en place d’une irrigation moderne adaptée aux cultures intensives40.

Pourtant, seuls quatre d’entre eux comptaient vraiment, car ils stockaient 1.900 mil-

lions de m3. Ces constructions permettaient seulement d’irriguer 38.000 ha en 1956.

Pour cerner la situation marocaine, nous devons d’abord rappeler quelques

chiffres (ces chiffres sont donnés pour 1997) :

- La population est de 28,2 millions d’habitants.

- Les ressources en eau douce renouvelable totale sont de 30 km3, soit 1.064 m3

par habitant et par an41 (Rappelons que le niveau de pénurie est fixé à 1.000

m3).

- Les prélèvements annuels sont de 12,5 km3 par an, soit 42 % des ressources

totales, ce qui fait 443 m3 par habitant.

38 Notion de « Maroc utile », i. e. tout le nord du pays.

39 Malgré les réticences morales que l’on peut avoir et les injustices vis-à-vis des « indigènes »

comme on nommait les musulmans algériens de l’époque, les colons ont beaucoup dévelop-

pée l’agriculture qui était l’une des plus efficiente en milieu méditerranéen.

40 Le recours aux cultures intensives s’explique par le fait qu’aucunes nouvelles terres arables

n’étaient exploitables.

41 Ces chiffres sont théoriques, ils représentent ce qu’il serait possible de prélever.

Page 43: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

43

- Enfin, l’utilisation de l’eau se répartit comme suit, 6 % pour les eaux urbaines,

3 % pour l’industrie et 91 % pour l’irrigation.

Le Maroc est le pays du Maghreb le mieux pourvu en eaux douces renouve-

lables. Par exemple, l’Algérie ne prélève que 114 m3 par habitant et par an42 et sa po-

pulation est de 29,8 millions d’habitants. Par contre, le Maroc utilise 91 % de son eau

pour l’irrigation et seulement 9 % pour l’industrie et les zones urbaines ; l’Algérie de

son côté utilise 22 % de son eau pour les zones urbaines, 14 % pour l’industrie et le

reste pour l’irrigation. Les projections de l’ONU pour 2025 prévoit une population

marocaine entre 36 et 44 millions d’habitants et pour l’Algérie entre 40 et 50 mil-

lions43. Contrairement à George Mutin44, nous pouvons penser que l’eau risque d’être

un facteur de déstabilisation dans la région. Le problème ne sera pas le partage et la

gestion de bassin, mais le risque de voir certains pays s’engager dans des conquêtes

pour arriver à subvenir à leurs besoins de développement(nous traiterons plus préci-

sément de la question dans la seconde partie).

42 Ses ressources théoriques sont seulement de 19 km3 par an et ses prélèvements effectifs de

3,4 km3.

43 United Nation Population Division, World Population Prospects, the 1994 Revision, New

York, UN.

44 George Mutin, L’eau dans le monde arabe, Carrefour de Géographie, Ellipses, Paris, 2000.

Une partie de notre recherche par des constatations de cet ouvrage, tout en ayant un point de

vue critique et moins optimiste.

Page 44: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

44

Le Maroc a une grande façade littorale sur l’Atlantique qui lui permet d’être le

pays du Maghreb où les précipitations sont les plus importantes, bien que limitées :

Figure 6 Carte des précipitations annuelles au Maghreb, G. Mutin, L’eau dans le Monde Arabe.

Le Maroc est le plus favorisé (ici la zone du Sahara occidental n’est pas prise en

compte), surtout parce qu’il bénéficie d’un ruissellement moins important, les pertes

restent très conséquentes.

Après la fin du protectorat, la politique a été la continuation des projets fran-

çais. Les moyens ont donc été multipliés pour ce qui est du développement de

l’agriculture. En 1974, le Maroc ne veut pas suivre la politique de réforme agraire qui

profite aux grands propriétaires fonciers. Les raisons sont simples : ces terres appar-

tiennent à des notables et à des nobles, s’attaquer aux terres aurait été en un sens

s’attaquer au système makhzeni. Alors, l’irrigation est choisie, selon un slogan simple :

« un million de nouveaux hectares irrigués pour la fin du siècle ». Pour arriver à cet

objectif, beaucoup de barrages sont construits, leur nombre atteint le chiffre de 85, au-

Page 45: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

45

jourd’hui. Actuellement 1.150.000 ha sont irrigués de façon pérenne et 300.000 de fa-

çon temporaire. La capacité de stockage est de 13 milliards de m3. Pourtant, la majori-

té des barrages ont de petites capacités : 17 d’entre eux peuvent retenir plus de 1 mil-

lion de m3 et parmi ceux-ci seuls 5 sont de grands ouvrages qui dépassent le milliard

de m3 représentant les ¾ des capacités du pays.

(insérer une image des barrages marocains)

Ces barrages ont permis de multiplier par 14 la quantité de terres irriguées de-

puis 1956. Ci-dessous, est présentée une déclaration de l’ancien ministre des Travaux

publics marocain où il expose clairement la politique suivie par le Royaume et les pro-

blèmes auxquels la région est confrontée, c’est-à-dire l’augmentation de l’offre de l’eau

dans le pays par la politique des barrages et la volonté du Million d’hectares irrigués.

« Madame la Présidente,

[…] Notre réunion d’aujourd’hui est consacrée à un sujet vital pour notre région, celui de la maîtrise de

la gestion de l’eau. Ce sujet est d’autant plus important que l’eau est, du moins dans la rive Sud de la

Méditerranée, une denrée qui bien que renouvelable, n’en est pas moins disponible en quantité limitée,

et de plus en plus menacée par les activités de l’homme.

Au Maroc, comme dans d’autres pays de la région, le manque d’eau constitue déjà aujourd’hui une

contrainte majeure du développement. Le Maroc a saisi depuis de nombreuses décennies le caractère

stratégique de la maîtrise de l’eau.

[…] le Maroc a traversé des étapes décisives dans la gestion de ses ressources hydriques en adoptant

principalement une stratégie d’accroissement de l’offre de l’eau:

Le Maroc, fort d’une tradition séculaire dans le domaine de l’eau, comme en témoigne son patrimoine

riche et diversifié de technologie et d’organisations traditionnelles ingénieuses fidèlement cristallisé

dans sa culture, s’est distingué par sa prise de conscience précoce du fait que son potentiel hydraulique

est relativement limité par rapport à ses besoins et qu’il convient par conséquent de valoriser au mieux

des intérêts de la collectivité nationale.

Du reste, l’année 1997 coïncide avec le 30ème anniversaire de la politique de l’eau lancée par Sa Ma-

jesté le Roi en 1967, principalement axée sur la construction des barrages et la réalisation du Million

Page 46: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

46

d’hectares. Cette orientation s’est traduite par un effort volontariste et soutenu de mobilisation des res-

sources en eau et de son utilisation d’une façon harmonieuse pour un développement économique et

social durable. Notre pays, qui n’a pas hésité dans cet effort devant l’audace politique et technologique,

récolte déjà les fruits de la continuité exemplaire de sa politique de l’eau.

[…] Fort du consensus national qui a marqué la promulgation de cette loi [de 1995] qui traduit une

prise de conscience grandissante des enjeux cruciaux que représente l’eau, le Maroc s’est engagé réso-

lument dans la voie de la maîtrise de cette ressource vitale pour son développement économique et so-

cial durable. C’est ainsi qu’une approche volontariste et holistique a été adoptée. Elle s’articule sur les

trois principaux éléments suivants:

- l’élaboration d’une politique de l’eau qui s’appuie sur une vision à long terme des équilibres fon-

damentaux offre / demande dans la perspective d’un développement équilibré et durable;

- le développement d’institutions et de mécanismes institutionnels visant à renforcer une gestion in-

tégrée des ressources en eau et la participation effective de tous;

- la mobilisation des ressources financières nécessaires pour la mise en oeuvre de cette politique,

tant pour poursuivre l’effort d’augmentation de l’offre par la mobilisation des ressources supplémen-

taires, que celui encore plus complexe de gestion de la demande. C’est ainsi qu’un vaste chantier de

plus de 20 milliards de dollars est ouvert pour la réalisation du programme des barrages, du pro-

gramme national d’irrigation, du programme d’eau potable, notamment pour les populations rurales,

du programme d’assainissement urbain et de la dépollution.

L’Eau, nous a rappelé M. BATISSE, Président du Plan Bleu, est le facteur limitant du développement

dans notre région. Il faut donc que tous les moyens soit mobilisés pour ce secteur vital, afin de crédibi-

liser nos ambitions pour un espace euro-méditerranéen prospère et stable dont les contours ont été

clairement dessinés dans la conférence de Barcelone. » […]

MONSIEUR ABDELAZIZ MEZIANE BELFIKH

MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS, MAROC

CONFERENCE EURO-MEDITERRANEENNE SUR L’EAU, MARSEILLE, 1996.

Page 47: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

47

La suite du texte nous permet de faire la transition sur les relations du Maroc

avec ses voisins immédiats que sont l’Algérie et la Mauritanie45 :

« Le Maroc est également désireux de coopérer au développement des échanges

d’expériences et de savoir-faire dans la région. Dans ce sens, le Maroc est disposé à

contribuer à une réflexion régionale sur la possibilité de créer un réseau méditerranéen

de collecte et de dissémination de l’information relative à la gestion de l’eau. »

Cette déclaration d’intention de Monsieur Meziane Belfikh est très intéressante,

dans la mesure où elle illustre l’état d’esprit de détente de l’époque dans les relations

entre pays du Maghreb46.

Relations du Maroc avec ses voisins africains

L’arabité de la région et le mythe des « frères arabes » ne doivent pas faire illu-

sion, malgré un soutien mutuel

plus ou moins réel lors des pé-

riodes de crises47, le Maghreb

reste une zone de compétition et

de méfiance entre les peuples et

les dirigeants. Nous allons mon-

trer que le Maroc a eu des rela-

tions difficiles avec ses voisins,

soit dès la fin du protectorat,

soit plus récemment.

45 L’Espagne donnera lieu à un encart particulier dans le deuxième chapitre de cette partie

46 Cette réflexion nous servira dans la seconde partie, car elle pourrait être la base de ce que

sera une politique raisonnée et pacifique de l’eau dans la région.

47 Guerre d’indépendance de 1954 à 1962 en Algérie, soutenue par le Maroc et la Tunisie.

Page 48: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

48

Le Maroc a souvent eu des relations tendues avec son entourage. Pour la Mau-

ritanie, les premières tensions datent de 1960, lors de l’Indépendance de ce pays. A

cette date, le Maroc réclame la Mauritanie comme faisant partie de son territoire. En

fin de compte, la Mauritanie ne sera reconnue qu’en 196948. Le Maroc considérait que

toutes les « provinces » sahariennes (Rio de Oro, Mauritanie) lui appartenaient selon

des allégeances faites avant le protectorat. Le sultan du Maroc était le protecteur des

routes caravanières traversant le Sahara occidental49. Cette conception du « Grand

Maroc » va être l’une des causes des tensions régionales. L’autre problème entre le

Maroc et la Mauritanie a été le Sahara occidental, appelé « provinces sahariennes » par

l’Administration marocaine. Après la Marche Verte et le départ des Espagnols, Maro-

cains et Mauritaniens se sont partagés le territoire. Le Maroc occupant le nord, a pris

possession des ressources minières. En 1979, la Mauritanie quitte le Rio de Oro sous

la pression des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, laissant le Maroc occu-

per seul la région. Cependant, la Mauritanie a pendant quelques années, soutenu la

cause sahraouie ce qui a tendu les relations avec son voisin. En 1984, le lieutenant-

colonel Maaouya Taya accède au pouvoir et rompt avec la politique d’amitié avec le

Polisario et se rapproche du Maroc50. Le Sahara occidental et le soutien à la cause sa-

hraouie nous amènent logiquement à parler des relations avec l’Algérie.

48 Les frontières mauritaniennes ont été reconnues par le Maroc en 1970.

49 Ainsi que comme nous le voyons d’une partie du Mali et de l’Algérie, de la Mauritanie. Ces

données nous resserviront infra.

50 Cette politique est maintenue : les deux pays viennent de signer une dizaine d’accords éco-

nomiques, sociaux et culturels. (Le Temps du Maroc, hebdomadaire en ligne, 28 avril-4 mai

2000)

Page 49: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

49

Figure 7 Carte géostratégique du Sahara occidental (1999), source www.sahara-occidental.com

Les relations algéro-marocaines ont toujours balancé entre l’entente et le con-

flit. Dès l’indépendance algérienne, le Maroc réclame la région de Bechar sur le pié-

mont oriental de l’Atlas pour les mêmes raisons qu’il réclamera plus tard la Mauritanie

et le Sahara occidental. La rébellion sahraouie sera soutenue ouvertement par Alger,

les bases de repli sahraouies se trouvant dans la région de Tindouf dans le Sahara algé-

rien. Les Marocains construiront même un Mur pour se protéger des incursions ve-

nant du territoire algérien. La question sahraouie a été le principal litige entre les deux

pays pendant les années 70 et 80. L’UMA (Union du Maghreb Arabe) créée en 1989

n’a pu voir le jour que grâce à l’arrêt du soutien algérien aux Sahraouis. Les relations

ont été plutôt bonnes pendant la période 1987-1992. Cependant, la montée islamiste

Page 50: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

50

en Algérie a gâché ce rapprochement. En 1992, le président Boudiaf est assassiné. Le

Maroc se rend compte des dangers de l’Islam fondamental qui pourrait le déstabiliser

comme en Algérie. La rupture dans les années 90 a été l’attentat de Marrakech où de

jeunes Algériens et Marocains certains émigrés en France ont tué plusieurs touristes

espagnols. Le Maroc, qui profitait du passage des Algériens rentrant chez eux pour les

vacances, a pourtant fermé ses frontières pour éviter que des groupes armés associés

au Front Islamique du Salut ou aux Groupes Islamiques Armés ne puissent pénétrer

sur le territoire national et tentent de déstabiliser comme en Algérie.

Actuellement, la situation entre l’Algérie et le Maroc s’améliore. L’arrivée au

pouvoir en Algérie d’Abdelaziz Bouteflika et sa politique de réconciliation avec les

islamistes ont fait se réduire la menace terroriste51. Une réouverture des frontières est

donc de plus en plus envisagée.

Maintenant pour comprendre les problèmes qui vont se jouer, nous devons

considérer la situation de l’eau en Algérie. Nous parlerons aussi de l’Espagne pour

deux raisons : d’abord sa politique de l’eau depuis les années 50 est un exemple en Eu-

rope, ensuite l’Espagne est la frontière sud de l’Union européenne, ce qui avec les ac-

cords dits Euromed et l’immigration voulue par l’Espagne de ressortissants maghré-

bins « rapprochent » les deux pays.

51 Ceci est cependant à relativiser. A la mi-août 2000, on comptait environ 300 assassinats at-

tribués à des groupes armés depuis le début de l’été.

Page 51: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

51

II. La situation de l’eau en Algérie, et en Espagne

Cette partie ne sera pas très longue car il s’agira d’exposer les ressources

propres à l’Algérie52. Ensuite, nous verrons le cas de l’Espagne et de sa politique

d’irrigation. Enfin, grâce à une carte nous essaierons de déterminer les capacités du

Sahara occidental53.

Données pour l’Algérie

L’Algérie semble aller vers un avenir difficile. Sa population actuelle est

d’environ 29 millions d’habitants en 1997. Selon les prévisions de l’ONU, elle devrait

être entre 40 et 50 millions en 2025. La moyenne de 638 m3 par habitant et par an ac-

tuellement va passer à 422 m3, c’est-à-dire moins de deux fois le niveau de pénurie fixé

à 1.000 m3. Elle pourra cependant développer ses ressources en forant dans les aqui-

fères sahariens et lutter contre les déperditions d’eau dans le réseau urbain et agricole.

Enfin, il faudra essayer d’améliorer la récupération des eaux lors des précipitations par

la création de réservoirs. La quantité d’eau disponible pour la population algérienne va

baiser selon les statistiques de manière inquiétante. Cette pénurie pourrait se révéler

déstabilisatrice, car le développement est stoppé lorsque l’eau vient à manquer. Les

populations urbaines n’ont pas assez d’eau pour subvenir à leurs besoins. Le secteur

agricole ne peut plus accroître ses résultats sauf par une intensification des cultures.

Dans un premier temps, cela répondra à la demande croissante, mais la pollution par

les fertilisants et les pesticides risque de rendre des zones impropres à une culture

saine. Nous arriverons donc à la situation de la mer d’Aral actuelle. Les risques de dé-

52 La Mauritanie ne sera malheureusement pas abordée en profondeur, car il nous a été impos-

sible de trouver des chiffres complets sur les ressources en eau de ce pays.

53 Les données pour le Sahara occidental sont très parcellaires, une partie de notre recherche

sera donc assez peu fiable, mais elle permettra de cerner la situation.

Page 52: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

52

stabilisation existent, car des ressources sont présentes près de la frontière marocaine

(nous verrons cela dans le chapitre suivant).

Les politiques de l’eau en Espagne : un exemple pour le Maghreb

Le climat espagnol dans la plus grande partie du territoire est méditerranéen,

proche du climat maghrébin. Il est, lui aussi, marqué par de fortes différences de pré-

cipitations selon les régions (Andalousie et Galice). Entre les régions les plus arrosées

et les plus arides, l’écart de pluviométrie peut être de 3, voire 6 pour la quantité. Les

précipitations peuvent être très violentes et le ruissellement important. Cependant, la

politique espagnole de l’eau a été très efficace et a permis à l’Espagne de devenir auto-

suffisante sur le plan alimentaire et même de faire partie des premiers exportateurs de

produits agricoles en Europe.

La réussite espagnole est due à la politique de transfert d’eau de bassin à bassin.

Le but est d’équilibrer les différents bassins pour que toutes les zones puissent être

exploitées par l’agriculture. Cette politique a bien été résumée par un travail de Mon-

sieur Mora Munoyerro dans le cadre de la II° Conférence Méditerranéenne sur l’Eau

de Rome du 28 au 30 octobre 1992 qui se trouve supra en encart.

Historique des travaux hydrauliques en Espagne

Les difficultés rencontrées pour exploiter de façon naturelle les ressources hydrauliques obligèrent à ré-

aliser prématurément les travaux nécessaires pour garantir la disponibilité de celles-ci. C'est pour cela

qu'il existe en Espagne une solide tradition en matière hydraulique, dont un de ses plus anciens piliers

date de l'époque romaine. Les romains réalisèrent toutes sortes de travaux hydrauliques depuis des bar-

rages de régularisation jusqu'à des conduites pour transporter l'eau pour : approvisionnement, arrosage,

usage industriel comme le lavage des minerais, et de manière occasionnelle, des canaux de navigation.

Il y a encore en Espagne des vestiges de tous ces travaux, sauf dans le dernier cas.

[…] Une partie importante du réseau romain de canaux a survécu jusqu'à nos jours, en plus ou moins

bon état.

[…] Par ailleurs, plusieurs barrages romains sont encore là, comme ceux de Cornalvo et Proserpina

(premier siècle après J.C.) édifiés pour l'approvisionnement en eau de la ville de Mérida.

Page 53: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

53

Un autre jalon important du point de vue historique fut la période arabe à laquelle nous devons l'appli-

cation des techniques hydrauliques orientales et l'acclimatation de nouvelles cultures, entre autres, le

riz, l'orange et le coton. Les systèmes traditionnels d'irrigation du Genil à Grenade, du Guadalentin et

du Segura à Murcie, du Jucar, Turia et Palencia à Valence, du Mijares à Castellon et bien d'autres, ont

leur origine à l'époque musulmane. D'ailleurs, l'utilisation d'engins et de mécanismes pour élever l'eau

proliférèrent, tels que les roues hydrauliques ou verticales, semblables à celles que l'ont peut observer à

La Nora (Murcie).

[…] Actuellement, on peut dire que l'Etat possède plus de cinq mille kilomètres de réseau en service

pour l'approvisionnement des personnes, et presque dix mille kilomètres pour l'irrigation avec un débit

supérieur à dix mètres cubes par seconde. Le tiers des mille grands barrages dont la capacité atteint

50.000 hm3, appartient à l'Etat, ce qui représente 60% de la capacité totale retenue.

En plus de ces infrastructures pour transporter l'eau en vue de l'approvisionnement des personnes, de

l'irrigation ou de l'exploitation hydroélectrique, il existe un patrimoine inestimable qui n'est pas quanti-

fié dans son ensemble et qui est destiné à la distribution, à l'assainissement et au drainage, mais auquel

il conviendrait d'ajouter au moins 620 km de protection contre les crues et 919 km d'endiguement dans

les bassins situés sur plusieurs communautés autonomes. De nos jours, le seul cours d'eau qui est muni

de dispositifs permanents suffisamment importants pour la navigation est le fleuve Guadalquivir à Sé-

ville.

Transferts actuels

Il convient de mentionner, de par leur grande portée, les transferts qui existent actuellement en Espagne

et qui sont le reflet de l'effort réalisé pour corriger les déséquilibres hydrologiques entre les bassins, dé-

séquilibres qui s'accentueront avec le temps et qui obligeront à poursuivre cet effort de façon continue.

[exemples de transferts]

Ebre - Besaya

Entre le bassin de l'Ebre et celui du Nord (plan II). Il est conçu comme un transvasement équilibré

pour régulariser le débit du Besaya par le barrage sur l'Ebre et en détourner une partie vers le Nord pour

l'approvisionnement de la ville de Torrelavega. Le volume d'eau transporté depuis l'Ebre est supérieur à

celui qui est reçu (3 hm3/an).

Zadorra - Arratia

Depuis le bassin de l'Ebre jusqu'à celui du Nord (plan III), pour renforcer l'approvisionnement de Bil-

bao; le volume transporté est de 157 hm3/an.

Tage - Segura

Il s'agit, actuellement, de la réalisation espagnole de plus grande envergure et elle est régie par une légi-

slation spéciale. Vu son caractère particulier, nous traiterons ce cas à part.

Segura - Jucar

Un volume de 60 hm3/an d'excédents est détourné pour l'irrigation de la rive gauche de la zone du Le-

vant; il est puisé aux alentours de l'embouchure du fleuve Segura.

Page 54: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

54

Ebre - Pyrénées orientales (Tarragone)

Bien que le système installé ait une capacité de 125 hm3/an, les demandes actuelles sont satisfaites avec

seulement 40 hm3/an. Dans l'avenir, il devra fonctionner à plein rendement

MORA MUNOYERRO, « THEME 2 : LES GRANDS TRANSFERTS NATIONAUX D’EAU », SU-

JET : L’EXPERIENCE ESPAGNOLE, TRAVAUX DU SEMINAIRE D’EXPERTS, II° CONFE-

RENCE MEDITERRANEENNE SUR L’EAU, ROME, OCTOBRE 1992.

Qu’apporte à notre recherche l’expérience espagnole ? Elle est la preuve que

comme le Maghreb une zone où les précipitations sont surtout constituées par des

orages (sauf la Galice, les Asturies et le Pays Basque) et où les différences de pluvio-

métrie entre région sont importantes, des politiques d’aménagement du territoire sont

possibles pour que des zones semi-arides puissent devenir arables et en ce sens per-

mettre de nourrir la génération à venir. Cependant, la comparaison doit être nuancée

par le fait que l’Espagne soit un pays du nord de la Méditerranée. En conséquence, les

précipitations y sont plus importantes qu’au Maghreb, et les ressources sont plus

abondantes. Cependant des régions où l’agriculture était difficile, comme le nord-est

de l’Aragon54 (Sadaba, Ejea de los Caballeros, Uncastillo), sont devenues des zones

céréalières importantes, grâce à la construction de barrages de grande hydraulique.

L’eau au Sahara occidental et considérations sur la Mauritanie

Il est très difficile d’obtenir des statistiques et des cartes de ces deux régions,

même les organismes publics n’ont pas de tel document (c’est le cas de l’IGN qui n’a

pas de carte détaillée du Sahara occidental, même dans la carte du Maroc). Les don-

nées relatives à l’eau en Mauritanie sont parcellaires. Il est possible d’en trouver

54 La zone des Bardenas Reales est un vestige de cette époque où la région a été très pauvre.

Aujourd’hui, c’est un parc naturel, car une partie de la faune et de la flore est spécifique à ce

lieu.

Page 55: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

55

quelques-unes dans le rapport de la World Water Vision relatif aux pays arabes, mais

dans notre cas ces informations ne sont pas exploitables. Malgré de longues re-

cherches sur les sites internet de diverses organisations internationales (FAO, ONU,

WWV, etc.), il nous a été impossible de trouver des renseignements exploitables. Ce-

pendant, nous pouvons faire quelques remarques sur ces deux régions.

Le Sahara occidental est une zone désertique. Pourtant, une grande quantité

d’oueds saisonniers existent, mais aucun n’arrive à

la mer55. Ils disparaissent soit à cause de

l’évaporation, soit de l’infiltration. Malgré des pas-

sages nuageux très importants et sa proximité avec

l’océan, les précipitations sont très rares allant de

la bruine à l’orage violent. Quelques oasis existent

et sont aménagées à l’intérieur des terres.

L’infiltration permet le remplissage des nappes

phréatiques côtières. L’importance du Sahara oc-

cidental à l’heure actuelle est surtout due à ses ri-

chesses minières. Le Sahara occidental dispose

d'énormes gisements de phosphates, entièrement

exploitables à ciel ouvert, en particulier à Brou

Craa, au sud-est de Lâayoune, relié à la côte par

un tapis roulant de 29 km de long. L'exploitation

du gisement a débuté dans les années 1970, mais elle est entravée par le manque d'eau.

Du pétrole sous-marin a été récemment découvert au large des côtes.

L’intérêt marocain pour le Sahara occidental est donc surtout révélateur des

ressources importantes de cette région saharienne qui à première vue ne semble pas

très propice à la vie. Cependant, nous ne connaissons pas parfaitement la qualité et la

Page 56: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

56

quantité des réserves d’eau dans cette zone, donc nous ne pouvons conclure définiti-

vement sur ce point56. Les forages semblent pourtant devoir s’enfoncer assez vite ce

qui pourrait montrer que la nappe saharienne côtière est de peu de volume (un mètre

tous les 10ans).

Figure 8 Rabattement de la nappe littorale du Sahara occidental, source www.mtpnet.gov.ma

La Mauritanie est un pays très peu peuplé : 2 millions d’habitant en 1997. Selon

les perspectives de l’ONU, sa population aura doublé en 2025. Le nord du pays est

très pauvre en eau (Adrar et Zemmour). La vie s’organise autour des oasis, comme Bir

Moghreïn. L’agriculture locale tourne donc autour des dattes, de l’orge et des légumes.

L’avancée du désert assèche peu à peu la région. Des villes comme Chinguetti

55 Voir la carte géographique du Sahara occidental en annexe.

56 Nous avons contacté plusieurs fois le Ministère marocain des Travaux publics, Direction

générale de l’hydraulique, section des ressources en eau, sans aucun résultat pour l’instant.

Les cartes obtenues viennent pourtant du site en ligne de cette direction

Page 57: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

57

s’ensablent et deviennent difficilement habitables. La population subit un fort exode

rural vers le sud-ouest du pays, c’est-à-dire la zone côtière (Nouakchott) et le bassin

du fleuve Sénégal qui sont les régions les plus fertiles du pays. Les cultures principales

sont le mil, le sorgho, le riz, les légumineuses, les patates douces et le maïs Dans le

Tagant, des petits barrages de décrue retiennent l'eau le temps de semer du mil ou du

sorgho sur les parcelles encore humides. La zone saharienne se vide de ses sédentaires

et le nomadisme disparaît lentement. Nous n’avons pas pu avoir accès pour ce pays

non plus à des données hydrogéologiques précises, en particulier pour le sous-sol.

Page 58: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

58

Figure 9 Carte administrative de la Mauritanie, source Ibiscus.

Après avoir étudié, la situation interne du Maroc, sa politique de l’eau, ses rela-

tions avec les pays voisins, nous pouvons donc maintenant commencer à percevoir les

implications à long terme induites par ce contexte.

Page 59: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

59

III. Risques géopolitiques et géostratégiques induits par la situa-

tion de l’eau au Maghreb pour le Maroc (perspective à moyen

et long terme)

Pour bien poser notre réflexion, nous devons d’abord faire une synthèse de

tout ce que nous avons vu précédemment. Les risques ne viennent pas d’un facteur

unique. L’eau ne suffit pas à elle seule à expliquer la situation, l’Histoire entre aussi en

compte, ainsi que d’autres intérêts. Par ailleurs, les cartes nous montrent la correspon-

dance entre les ressources sahariennes et les prétentions marocaines sur une partie du

Sahara.

Eléments de déstabilisation possibles à long terme liés à l’eau

Les statistiques montrent que les deux principaux défis auquel le Maghreb aura

à faire face sont la démographie et l’industrialisation. Ces deux points conditionnent

tout l’avenir de la région. Le Maroc a un taux d’accroissement naturel de 2,4 % par an

avec 4,2 enfants par femme. Pour l’Algérie, ce taux est de 2,9 % et 4,9 enfants par

femme. Dans ces deux pays, les moins de quinze ans représentent un peu plus de 40

% de la population. Les perspectives de l’ONU montrent que les populations de ces

deux pays vont beaucoup augmenter. En Algérie la population risque de doubler en

passant de 25 millions en 1990 à 50 millions en 202557. C’est une situation semblable

pour la Mauritanie qui passera de 2 millions d’habitants à au moins 4,2 millions en

57 Ce chiffre est l’hypothèse haute, sinon la population sera au moins de 40 millions

d’habitants.

Page 60: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

60

2025. Sur la même période, les Marocains passeraient de 24 millions à au moins 36

millions (hypothèse haute : 45 millions).

Cette évolution de la population implique plusieurs conséquences. L'accroisse-

ment de la population génère une nécessaire hausse de la production agricole. De plus

comme partout dans le monde, les gouvernements maghrébins suivent une politique

de hausse du niveau de vie. Les biens de consommation vont donc devoir se multi-

plier, sinon les risques de déstabilisation sociale vont se multiplier. La hausse du ni-

veau de vie risque donc aussi d’accélérer l’exode rural, ce qui est un phénomène habi-

tuel. Selon les perspectives actuelles, l’exode rural va donc continuer et le nombre de

la population urbaine augmenter. La situation à court et moyen terme semble tenable,

car le Maroc et ses voisins peuvent supporter cet accroissement, comme le montre

cette prévision de la Direction Générale de l’Hydraulique marocaine :

Le seuil pour le Maroc semble donc se situer vers 2020 où les taux des res-

sources et des besoins seront pratiquement équivalents. La quantité d’eau par an et par

habitant sera encore de 731 m3, ce qui est faible mais pas encore catastrophique. En

revanche l’Algérie ne pourra fournir que 422 m3 ce qui est au-dessous de la limite ex-

trême de pénurie fixée à 500 m3. La différence entre les deux pays est que l’Algérie

Page 61: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

61

pourra encore un peu profiter des ressources fossiles sous-sahariennes, alors que le

Maroc sera au bout de ses capacités. De son côté, la Mauritanie devra aussi se mettre à

exploiter de nouvelles ressources, mais le problème risque plutôt de se poser avec le

Sénégal, car la majorité des Mauritaniens vivent dans le sud du pays.

Nous voyons donc que le Maroc avec ses capacités accrues est le pays le plus

avantagé de la région. Cependant, il nous faut étudier la projection la moins optimiste,

c’est-à-dire la pénurie, pour comprendre quels sont les enjeux de sécurité liés à l’eau

dans la région. Le risque est de voir la zone déséquilibrée et donc l’émergence de ten-

sions entre les différents acteurs.

Etudes géopolitiques et hydrologiques : mise en lumière des facteurs déstabilisateurs

L’étude de cartes mettra en lumière les problèmes qui risquent de se poser dans

la région maghrébine sur le long terme :

Figure 10 Population et densité au Maghreb, source www.monde-diplomatique.fr

Page 62: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

62

Figure 11 Agriculture et industrie au Maghreb, source www.monde-diplomatique.fr

Figure 12 Précipitations et grands aquifères maghrébins, modifiée par l’auteur, G. Mutin, ib.

Page 63: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

63

Nous remarquons que la population maghrébine habite dans le nord sur les

bords de la mer Méditerranée et sur la côte atlantique. C’est aussi la zone où les préci-

pitations sont les plus abondantes. Dans le cas où la demande d’eau deviendrait inte-

nable pour un des deux acteurs, selon la rapidité de leur développement démogra-

phique et/ou industriel, on peut imaginer qu’il y ait des tentatives pour s’approprier

les ressources de l’autre. Le but serait d’accroître son potentiel en eau pour éviter une

pénurie qui empêcherait le développement national humainement et industriellement.

D’autant plus que la région d’Oujda et son pendant algérien sont des zones où une ir-

rigation moderne est pratiquée. Les Marocains pourraient vouloir s’approprier les ré-

gions de Tlemcen et de Sidi Bel-Abbès pour utiliser leur potentiel aqueux tout en se

protégeant par la proximité de leurs bases arrières. Cependant, dans ce cas, il faudrait

couper le lien avec Oran qui consomme une grande quantité d’eaux urbaines à cause

de ses 700.000 habitants à l’heure actuelle ; ce chiffre pouvant doubler à cause de

l’accroissement de l’exode rural et de la population d’ici 2020.

L’Algérie de son côté pourrait s’intéresser à la zone du Rif qui possède une

grande partie des bassins hydrauliques de la région nord du Maroc. De plus, l’Anti-

Atlas et le Haut-Atlas qui arrêtent les précipitations sur leurs versants sont des zones

où l’eau se trouve en bonne quantité. Il faut noter que la défense de ces espaces mon-

tagneux est plus aisée pour une armée bien entraînée que des plaines.

Un retour historique nous montre un autre danger pour la région : la théorie du

« Grand Maroc ». Cette théorie a longtemps soutenu la politique maghrébine du Ma-

roc. En 1963, un conflit armé entre le Maroc et l’Algérie a éclaté pour la possession de

la région de Bechar. De 1960 à 1969, le Maroc ne reconnaît pas la Mauritanie qu’il

considère comme partie de son territoire (ce n’est qu’en 1970 qu’il accepte le tracé des

frontières de ce pays). En 1975, c’est la Marche Verte durant laquelle 300.000 Maro-

cains vont manifester pour le Sahara occidental. La zone saharienne sera d’abord par-

Page 64: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

64

tagée avec la Mauritanie, et en 1979 cette dernière se retirera après un cessez-le-feu

avec le Front Polisario.

Le Maroc, après un long conflit armé contre les Sahraouis du Polisario et un

exode massif de populations autochtones vers les bases arrières du Front à Tindouf en

Algérie58, accepte la présence de l’ONU au travers la Mission des Nations Unies pour

le Référendum au Sahara Occidental59 en 1990. Son but est de rétablir la paix et de

constituer des listes électorales en vue d’un référendum pour l’autodétermination60.

Cependant, ce référendum, a été maintes fois ajourné, il était attendu pour janvier

1992 puis repoussé, la dernière date avancée était mars 2000, aujourd’hui, on ne sait

plus.

Cette conception d’un Maroc façonné par les allégeances historiques des tribus

et des caravaniers se rattache au système du Makhzen que nous avons étudié plus

haut. Elle persiste toujours d’ailleurs dans la revendication marocaine sur le Sahara oc-

cidental que l’on peut considérer comme une annexion de fait pour deux raisons :

d’abord, la République sahraouie a été reconnue par l’Organisation de l’Unité Afri-

caine, ce qui a causé le départ du Maroc de cette organisation régionale, ensuite les re-

ports constants du référendum d’autodétermination montrent une volonté de faire

durer cette situation de fait. Le Maroc continue en même temps une politique de

« marocanisation » de la région par une détaxation des produits de base comme le pé-

trole, et des avantages fiscaux importants pour les gens intéressés à s’installer (coloni-

sation ?). Enfin, d’importants travaux d’infrastructure ont été menés, à Lâayoune par

58 C’est à ce moment qu’est construit le Mur empêchant les combattants sahraouis de

s’introduire dans les zones côtières et industrielles. Ce mur va du nord au sud du pays blo-

quant tout passage, selon un principe qui rappelle la Grande Muraille.

59 La MINURSO.

60 Le Maroc a accepté le principe d’une telle consultation en 1986.

Page 65: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

65

exemple avec un centre de congrès moderne, à Dakhla, avec un hôpital gratuit pour

tous, mais aussi des aéroports, des routes, etc.

Les figures 9 et 10 montrent les prétentions du Maroc sur la zone de Bechar et

les oasis du Sud. L’alibi historique pourrait être réutilisé pour se réapproprier ces ré-

gions, car c’est ici que se finissent les nappes fossiles sahariennes qui selon les experts

pourraient fournir 2 milliards de m3 par an, avec 630 millions de m3 par an pour le

Continental terminal, 790 millions de m3 pour le Continental intercalaire, et 630 mil-

lions de m3 venant des oueds périphériques (Atlas saharien principalement)—figure

ci-dessous.

Figure 13 Nappes fossiles sahariennes et limites du « Grand Maroc », modifiée, G. Mutin, ib.

Il est remarquable de constater que la zone réclamée en 1963 par le Maroc est

exactement l’endroit où finit la nappe du Continental intercalaire qui pourrait fournir

Page 66: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

66

790 millions de m3 par an sans rabattement significatif61. C’est une source d’eau im-

portante, malgré les coûts d’exploitation (prospections, forages, etc.). Cependant pour

relativiser ce chiffre il faut savoir que le Grand Casablanca (Casablanca, Rabat, Salé,

Kénitra et 70 % des emplois industriels) consomme 600 millions de litres d’eau par an.

Ces chiffres vont augmenter d’après le taux de natalité.

Le Maghreb apparaît à ce jour comme une zone relativement stable sur le plan

international. La perspective de voir l’eau manquer et la nécessité de s’approprier de

nouvelles ressources pourraient changer cette vision. Les nappes d’eau fossiles se

trouvent dans des zones contestées depuis l’indépendance de l’Algérie et la volonté de

puissance territoriale du Maroc sur ses voisins pourrait ressurgir pour justifier ses pré-

tentions sur des richesses vitales pour son développement humain et industriel. Dans

l’avenir, l’avancée éventuelle du désert pourrait en plus fortement influencer ces don-

nées.

Dans la dernière partie, nous verrons quelles sont les politiques de l’eau au Ma-

roc et les perspectives qu’elles apportent. Ensuite, nous envisagerons une coopération

beaucoup plus poussée des pays du Maghreb dans le domaine de l’eau qui atténuerait

les risques de conflits dans la région. Les instruments de cette coopération existent ac-

tuellement, mais ont beaucoup de mal à être mis en œuvre.

61 En chiffre absolu, c’est-à-dire si la nappe est bien exploitée, et si un seul pays utilise tout à

son profit.

Page 67: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

67

SECONDE PARTIE

PERSPECTIVES A MOYEN TERME DE GESTION DE

L’EAU AU MAROC (APPROCHE GEOPOLITIQUE)

Après avoir vu un scénario de crise possible, nous devons considérer quelles

sont les solutions envisageables sur le plan national et international pour éviter les

risques liés à la gestion de l’eau. Il nous faut voir quels vont être les choix du Maroc

dans les prochaines années pour subvenir à ses besoins. Précédemment nous avons vu

que le Maghreb allait nécessairement vers le manque d’eau d’ici vingt ou trente ans.

Nous étudierons donc les techniques envisageables pour pallier aux manques prévi-

sibles. De là nous verrons les outils juridiques et diplomatiques d’une coopération in-

ternationale dans le domaine de l’eau qui pourrait être décisive pour la stabilité et le

développement de l’Afrique du Nord.

Page 68: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

68

I. La politique marocaine de l’eau à moyen terme (données juri-

diques et institutionnelles)

Le Maroc s’est engagé dans une politique volontariste de l’eau considérant les

problèmes démographiques et de répartition de la population auxquels il fait et il con-

tinuera à faire face. Comme nous l’avons vu plus haut, la démographie entraîne un ac-

croissement de la production agricole et de l’industrie pour subvenir aux besoins de la

population. Cette augmentation peut se transformer en paupérisation, mais le Maroc

semble devoir suivre la voie de l’industrialisation et de la croissance. Cependant, la

croissance du PNB doit être moins chaotique que dans les années 90 où l’on a assisté

à des taux de l’ordre de 12 % (1996), mais aussi de –2 % (1997). Nous verrons donc

quelles ont donc été les politiques de l’eau choisies par le Maroc ces dernières années.

Ensuite, nous devrons considérer la possibilité d’une politique régionale de l’eau qui

rationaliserait la demande et l’offre, et apaiserait les conflits.

Choix de gestion marocains dans le cadre de la politique de l’eau

Le Maroc a adopté une politique de l’eau qui se situe entre celle de la France

(Agences de l’eau spécifique à un bassin) et celle de l’Espagne avec des transferts in-

ter-bassins. De plus, une politique de privatisation de l’eau a été suivie, comme à Ca-

sablanca avec Lydec. Cette dernière vise deux objectifs, d’abord alléger le poids pour

les pouvoirs publics de la gestion de l’eau du pays où les raccordements au réseau de-

Page 69: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

69

viennent de plus en plus répandus, ensuite, faire baisser la consommation par

l’augmentation le prix de l’eau62.

D’autre part le Maroc lance des campagnes de sensibilisation à la rareté de

l’eau : « [...] Le gouvernement doit lancer une vaste campagne de sensibilisation pour

l’économie de l'eau... Les efforts consentis par l’Etat et par la communauté pour épar-

gner au Maroc les affres de la sécheresse sont immenses. Aujourd’hui, il est nécessaire

de persévérer et de mener à bien les politiques d’adduction de l’eau potable et des ca-

naux d’irrigation, tout en maîtrisant au mieux les capacités et leur planification dans le

temps et dans l’espace.. ». (Taoufik Jdidi)—Al-Bayane, édition du 27 mai 1999.

En juillet 1995, une nouvelle loi est promulguée, elle s’articule autour de trois

axes majeurs :

- « L’élaboration d'une politique de l’eau qui s’appuie sur une vision à long terme des équilibres fondamentaux offre/demande dans la perspective d’un dévelop-pement équilibré et durable (planification nationale et locale) ;

- Le développement d’institutions (Agences de l’eau et clarification du rôle des

différentes institutions) et de mécanismes institutionnels visant à renforcer une

gestion intégrée des ressources en eau (principe du pollueur-payeur) et la parti-

cipation effective de tous (associations de consommateurs);

- La mobilisation des ressources financières nécessaires pour la mise en oeuvre

de cette politique, tant pour poursuivre l’effort d’augmentation de l’offre par la

mobilisation des ressources supplémentaires, que celui encore plus complexe

de gestion de la demande. C’est ainsi qu'un vaste chantier de plus de 20 mil-

liards de dollars est ouvert pour la réalisation du programme des barrages, du

62 C’est la théorie du « prix juste » de l’eau, qui permettrait de fournir toute la population en

eau, en intégrant la dépollution des eaux usées, le drainage, etc. Ce prix limiterait les con-

sommations excessives par une responsabilisation « par le porte-feuille ».

Page 70: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

70

programme national d’irrigation, du programme d’eau potable, notamment

pour les populations rurales, du programme d’assainissement urbain et de la

dépollution.63. »

.

63 Discours de Meziane Belfkih, ibidem. Les phrases entre parenthèses sont des ajouts.

Figure 14 Bassins versants marocains, source

www.mtpnet.gov.ma

Figure 15 Cartes des transferts inter-bassins,

source www.mtpnet.gov.ma

Ces deux cartes montrent aussi que le Maroc suit une politique de transferts in-

ter-bassins pour équilibrer les ressources dans le pays à la manière espagnole. Comme

nous l’avons vu plus haut, la zone du Rif et de Tanger est une sorte de château d’eau

qui pourrait intéresser l’Algérie dans le cas d’une crise régionale.

En 1998, un projet novateur financé par des organismes internationaux a vu le

jour. Il met en place un nouveau système de gestion des ressources en eau. Son prix

Page 71: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

71

sera de 25 millions de dollars, pris en charge à la hauteur de 20 millions par la BIRD.

Il comporte trois points fondamentaux :

- Réformes politiques et institutionnelles (3 millions de dollars) : préparation

d’un Plan national de l’Eau, étude sur les prix de l’eau, et établissement d’une

agence du bassin du Oum er-Rabia.

- Etudes des capacités nationales (16 millions de dollars) : renforcement des

prérogatives de la Direction Générale de l’Hydraulique, créations de plans

d’action de gestion des flux et de protection de la qualité de l’eau, et formula-

tion d’une gestion en temps réel du système hydrique de l’Oum er-Rabia, en-

fin programme de recherche appliqué à la conservation de l’eau.

- Investissements dans le développement des ressources en eau : construction

de réservoirs artificiels souterrains, reconstruction du barrage de Nakhla, et

études sur les aquifères souterrains.

La politique marocaine de l’eau est donc très volontariste. Cependant, les res-

sources ne sont pas illimitées, il faudra donc trouver d’autres solutions. Ces aménage-

ments permettent à l’offre de suivre, mais seulement à terme (d’ici 2020-2025). Il nous

faut donc maintenant voir comment gérer les problèmes avec les voisins pour parve-

nir à un développement durable du Maroc et du Maghreb en général.

Page 72: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

72

II. Une gestion internationale et intégrée de l’eau au Maghreb

Les ressources en eau ne sont pas illimitées au Maroc comme dans les autres

zones du Maghreb. L’exploitation des nappes fossiles doit être gérée de façon à éviter

les abus, sinon les rabattements vont devenir importants et le prix de l’exploitation

augmenter. En plus, de trop forts prélèvements font faire se dégrader la qualité de

l’eau (la turbidité risque d’augmenter). Il serait dramatique de gâcher une telle réserve

dans des perspectives à court terme.

Nous allons voir les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à une gestion ef-

ficiente et utiliser de nouvelles ressources. Ensuite, nous considèrerons les avantages

que peuvent amener une véritable collaboration internationale dans ce domaine. Les

instruments existent déjà.

Gestion et utilisation de nouvelles ressources en eau

L’urbanisation a induit une grande

consommation d’eau. Cette eau est sou-

vent rejetée sans être traitée ou seulement

avec un léger traitement. L’exemple type

est la conurbation casablancaise avec sa

consommation de 600 millions de m3 par

an et son réseau s’étendant de plus en

plus loin pour arriver à subvenir à ses be-

soins.

Quelles sont donc les sources d’eau de l’avenir ? Dans l’introduction, nous

avons vu que l’eau douce accessible ne représente que peu de chose par rapport à la

Page 73: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

73

quantité totale d’eau sur la planète. La solution serait peut-être le dessalement. Cette

technique pourrait au moins permettre de distribuer de l’eau aux villes. Avec sa con-

sommation actuelle, il faudrait trente-trois usines de dessalement64 pour le Grand Ca-

sablanca. La marche à suivre serait donc de diviser les ressources en en réservant cer-

taines à un usage particulier : par exemple l’eau dessalée aux consommations urbaines

et industrielles et les sources conventionnelles65 à l’agriculture. De plus, on peut envi-

sager de développer le retraitement des eaux urbaines et industrielles qui seraient en-

suite réinjectées dans le réseau66. Le plus difficile ici sera de faire accepter cette pra-

tique aux populations qui se méfient de ce type de procédé. Le rejet pur et simple des

eaux usées est en fait plus dangereux, car ces eaux se retrouvent à terme dans les

nappes phréatiques par infiltration.

Il faut aussi rénover le réseau hydraulique, car les déperditions dues à son mau-

vais état sont un réel handicap. La Tunisie, par exemple, perd 700 millions de m3 par

an. L’amélioration des drainages est aussi une nécessité, comme celle de l’irrigation.

Des pertes considérables sont dues à des techniques anciennes très coûteuses pour les

ressources.

64 Les plus grosses unités de dessalement actuelles traite 50.000 m3 par jour. La conurbation

casablancaise consomme 600 millions de m3 par an.

65 Les ressources conventionnelles sont toutes celles issues des précipitations des nappes

phréatiques ou des rivières. Les ressources non conventionnelles sont celles issues par

exemple du dessalement ou du retraitement.

66 Le potentiel de retraitement pour le Maroc serait de 700 millions de m3 par an, soit plus que

la consommation du Grand Casablanca.

Page 74: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

74

Pour une gestion internationale intégrée aux politiques nationales

Le Maroc et les autres pays du Maghreb ont signé en 1989 le traité instituant

l’Union du Maghreb Arabe (voir annexe). Cette union a eu des problèmes dès 1992 à

cause de l’islamisme en Algérie. Depuis un peu plus d’un an environ, ses activités

semblent relancer sous l’impulsion de feu Hassan II et du président algérien Boutefli-

ka. L’intérêt de ce traité est qu’il propose une intégration à la manière de l’Union eu-

ropéenne, mais en moins approfondie. Les articles 2 et 3 pourraient fonder une ges-

tion des ressources en eau commune qui serait bénéfique à toute la région. L’exemple

de la mer d’Aral a montré que la délégation à un organe (ou un organisme) spécialisé

évitait une grande partie des risques, car elle imposait la négociation.

Le discours du Secrétaire général de l’UMA pour le 11° anniversaire (voir an-

nexe) de l’Union va dans le sens d’une plus grande intégration, soutenue par le fait que

la situation de la Libye s’améliore sur le plan international. En outre, une politique de

développement durable est envisagée dans le cadre plus large de l’Afrique (voir

« Quelle stratégie pour assurer un développement durable des ressources naturelles

dans les pays africains ? » en annexe).

Si la piste de l’UMA n’est pas la bonne, la gestion de l’eau au Maghreb devra

passer par une régionalisation quelle qu’elle soit. Sinon, le risque de déstabilisation est

très grand. Cela entraînerait la région dans une phase qui nuirait à son développement

industriel.

Une autre justification est la baisse possible des coûts des installations de trai-

tement des eaux. Si les pays maghrébins s’unissent, leur poids face aux institutions fi-

nancières et aux entreprises pourra leur permettre de faire baisser les prix en raison

d’achats groupés d’équipements. De plus, les recherches dans le domaine des res-

sources en eaux conventionnelles ou non verront leurs coûts se réduire, les finance-

ments étant alors partagés.

Page 75: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

75

La possibilité d’une telle gestion est envisageable et semble en tout cas faire

partie des desseins des décideurs locaux. Pour l’UMA, cela paraît en bonne voie. Le

cadre est optimal pour ce genre de projets, car les structures juridiques sont en place, il

ne manque plus qu’à intégrer les politiques locales et nationales.

Page 76: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

76

CONCLUSION

Nous avons donc montré que la zone maghrébine n’est pas une région sans

risques dans un avenir plus ou moins lointain sur le plan des ressources en eau. Le

problème ne semble pas se poser actuellement au niveau des relations internationales,

ces pays pouvant encore subvenir à leurs besoins.

Les perspectives de développement démographique et industriel doivent pren-

dre en compte ce manque d’eau d’ici vingt à trente ans. Si les populations locales ne

peuvent pas bénéficier de ressources suffisantes, différentes pathologies liées à la qua-

lité de l’eau ou la sous-nutrition apparaîtront L’obligation d’acheter des produits agri-

coles à l’extérieur réduira les capacités de développement de la région. Les devises qui

serviront à cette fin ne pourront pas être investies dans des domaines créateurs

d’emplois. De plus, cette dépendance vis-à-vis des productions extérieures mettra en-

core plus ces pays sous la menace des variations des marchés internationaux céréaliers

(se rappeler les émeutes contre la vie chère au Maroc en 1984). Ce scénario de crise

conduit nécessairement à des conflits avec les pays voisins pour tenter de s’approprier

leurs ressources, comme au XIX° siècle pour le charbon.

Le Maroc a la chance d’être le pays où les ressources en eau sont les plus im-

portantes dans la région. Sa politique actuelle est très volontariste, comme nous avons

pu le voir. Il devra toutefois privilégier la lutte contre le gaspillage dû à la vétusté de

son réseau (actuellement des société comme la Lydec, société d’économie mixte, s’y

emploie pour Casablanca). Les ressources non conventionnelles (dessalement, traite-

ment des eaux usées) devront nécessairement faire partie de ses futurs plans. L’arrivée

de nouvelles équipes dirigeantes au Maroc et en Algérie pourra peut-être favoriser une

entente entre les différentes politiques de l’eau dans le secteur des ressources non

conventionnelles.

Page 77: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

77

Pour terminer, il faut dire que la réussite d’une politique régionale de l’eau est

très liée à des facteurs politiques en rapport avec les personnes sont à la tête des gou-

vernements. La région n’ayant pas un système démocratique développé, les relations

entre Etats sont souvent soumises à des ententes ou à des mésententes entre les diri-

geants.

Cependant, notre recherche mérite d’être complétée, car nous n’avons pas pu

avoir accès à toutes les données nécessaires (Sahara occidental, Mauritanie). Les ser-

vices s’occupant de l’eau dans cette région ont des problèmes de communication ex-

terne, semble-t-il. Nous n’avons pas pu obtenir, par exemple, des données précises sur

la ville de Casablanca et des informations sur les prochains raccordements des cam-

pagnes n’ont pas pu être obtenues, malgré nos courriers aux organismes concernés.

Une recherche directe sur le terrain permettrait d’affiner les données et d’établir des

perspectives plus précises pour l’avenir.

Page 78: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

78

ANNEXES

Déclaration d’Ashgabat du 9 avril 1999 :

“On the eve of the XXIst century, humankind came across serious environmental

problems,

which hamper its sustainable development. This degradation of the environment is a

result of

irrational use of natural resources.

The consequences of the Aral crises had a negative impact on the quality of life of the

inhabitants of Central Asia; the problems of social security and pure drinking water

supply

became aggravated.

The Countries of Central Asia pay constant attention to the improvement of the situa-

tion in the region and attempt to attract cooperation of the international community to

solve these

problems. In cooperation with international organizations and foundations the imple-

mentation

of the regional project “Water Resources and Environmental Management” which is

supported by the Global Environmental Fund is in progress. The goal of this project is

a fundamentalimprovement of the use of water and other resources, the rise of effi-

ciency and the creation of a culture of nature use in the region, and the improvement of

the overall ecological situation. At the same time, the efforts that have been undertaken

to solve the problems of the Aral Sea prove to be incomplete.

We, the Presidents of the fraternal states of Central Asia – Republic of Kazakhstan,

Kyrgyz

Republic, the republic of Tajikistan, Turkmenistan and the Republic of Uzbekistan,

driven by the aspiration

to provide our nations both prosperity and faith in the future,

Page 79: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

79

acknowledging the necessity

to work out joint measures for the realization of a regional strategy and concrete ac-

tions for

the rational use of the water resources of the region, based on an ecosystem approach

and

integrated principles of water management,

taking into account

that the use of the water resources of the Aral Sea Basin should be carried out in the in-

terest of

all the parties considering mutual interests and the good neighbourhood principle,

emphasize the significance

of the efforts of the State Founders of the Fund to consolidate the co-operation in wa-

ter

management and environment protection, rehabilitation of water ecosystems and the

prevention of transboundary water pollution,

affirming the adoption

of the decision for a joint implementation of a program of concrete actions for the

problems of

the Aral Sea

accepting

that the provision of information to the public is an important condition for agreed ac-

tions in

conducting ecological and social economic policy in the region,

proceeding

from the firm determination to jointly overcome the consequences of the crises and

bring the

ecological situation in the Aral Sea basin into a healthy state,

State:

Page 80: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

80

to acknowledge the importance

of a complex approach to solve the problems associated with the socio-ecological situa-

tion in

the Aral Sea Basin,

to increase activities

of the states in the region and their representatives abroad to attract the attention of the

international public, the financial resources of donor countries, funds and institutions

for the

implementation of programs and projects on problems off the Aral Sea Basin,

to provide all possible assistance and support

for the realization of the project “Water and environmental management in the Aral

Sea basin”

supported by the World Bank and the Global Environmental Fund,

to pay more attention

to the problems of mountain areas – zones of formation of riverflows in the Aral Sea

Basin,

to implement a set of measures and projects

in priority for the social protection of the people living in the Aral Sea basin,

to take measures

to fight desertification and transboundary pollution”

Page 81: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

81

REFERENCES PHOTOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

OUVRAGES GENERAUX :

- S.Leymarie et J.Tripier, Maroc : le prochain dragon ? De nouvelles idées

pour le développement, , Khartala, Paris, 1993.

- M. van der Yeught, Le Maroc à nu, , L’Harmattan, Paris, 1989.

- D.Chevallier et A.Miquel, Les Arabes : du message à l’Histoire, Fayard,

Paris, 1995. G.Kepler et Y.Richard, direction, Intellectuels et militants de

l’Islam contemporain, dirigé par Sociologie, Seuil, Paris, 1990.

- Dominique et Janine Sourde, Dictionnaire historique de l’Islam, PUF, Pa-

ris, 1996.

- Le Saint Coran, traduction Muhammad Hamidullah (professeur de

l’Université d’Istanbul), Beyrouth, 1986, 12°édition. - édition commentée.

OUVRAGES ET REVUES TRAITANT DU THEME DEL’EAU :

- Georges Mutin, L’Eau dans le monde arabe, Collection Carrefours de géo-

graphie, Ellipse, Paris, 2000.

- Science et vie, Menaces sur l’eau, Hors-série, juin 2000.

- Le Monde diplomatique – Manière de voir, Soulager la planète, mars-avril

2000.

Page 82: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

82

OUVRAGES DE GEOPOLITIQUE :

- X. de Planhol, Les Nations du Prophète : Manuel géographique de poli-

tique musulmane, , Fayard, Paris, 1993.

- Ph. Lemarchand (direction), Atlas géopolitique du Moyen-Orient et du

monde arabe, Editions Complexe, Paris, 1993.

- G. Chaliand et J-P. Rageau, Atlas stratégique, Editions Complexe, Paris,

1993.

- Collectif, Le nouvel état du monde – les 80 idées-forces pour entrer dans

le 21° siècle, Edition le Découverte, Paris, 1999.

RESSOURCES EN LIGNE :

- sites de l’ONU et du PNUD pour les textes internationaux.

- sites du Conseil Mondial de l’Eau (Water World Vision) où l’on peut trouver

toutes les études faites par ses commissions régionales sur l’eau classées par

région au format pdf.

- site de la Direction Générale de l’Hydraulique du Ministère des Travaux pu-

blics marocains où l’on peut trouver des renseignements sur les ressources

conventionnelles marocaines, Sahara occidental compris.

- Site d’Ibiscus pour ses cartes intéressantes

- moteur de recherche Google dont le système original de recherche permet

d’obtenir des résultats utiles.

Page 83: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

83

DROITS PHOTOGRAPHIQUES ET PICTURAUX :

Les ouvrages ou autres d’où sont issus les images et graphiques sont cités dans

le texte. Pour ceux non référencés, les cartes pages 30 et 72 sont extraites de l’Eau dans

le monde arabe de George Mutin. La carte des nappes phréatiques marocaines, page 55,

vient du site de la Direction Générale de l’Hydrologie marocaine. Enfin, la carte page

47 est extraite du magazine télévisé le Dessous des Cartes de Arte-TV.

Sinon, toutes les photographies sont la propriété de l’auteur.

Page 84: L'eau au Maroc (enjeux politiques et de sécurité) - mémoire DEA 2000

84

SOMMAIRE GENERAL