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59 INDIgO PUBLIcATIONS, L’aventure africaine EPC : Quel est votre parcours professionnel ? Maurice BOTBOL : J’ai étudié durant trois ans au Centre de formation des journalistes à Strasbourg, puis j’ai un peu travaillé dans la presse régionale avant de partir pour un long séjour en Afrique d’où je suis revenu. Je voulais créer ma propre société de presse pour être indépendant vis-à-vis de la pu- blicité, et c’est ainsi que le modèle économique des lettres d’information s’est imposé. Après mon expé- rience africaine, notamment un an en Rhodésie et deux ans à la Réunion et sur tout la côte africaine de l’océan indien, il me semblait naturel de faire une lettre d’information sur l’Afrique. Avec pour objectif de créer une publication sur les pays africains rive- rains de l’océan indien, j’ai donc fondé Indigo Pu- blications en 1981. Je n’avais jamais fait de lettre d’information auparavant, mais de par sa nature, ce type de publication est libre de censure, de publicité et de subvention d’Etat. Ceci m’a permis, avec un actionnariat individuel, malgré des fonds limités, de créer une information originale qui s’adresse à un public professionnel. Bien que celui-ci soit de taille réduite, il est à même de payer un abonnement qui couvre le coût total de la collecte de l’information et de sa diffusion. EPC : Vous étiez en avance sur le thème et le sec- teur des lettres personnalisées avant Internet ! M.B. : Le modèle de la lettre confidentielle remonte au XIXe siècle. Entachée d’une bien mauvaise répu- tation, c’était un organe d’influence politique avec son côté rumeurs, intoxication, propagande, etc. En tout cas le modèle économique permet aujourd’hui de créer avec des moyens individuels une publica- tion qui peut être indépendante à partir du moment où elle trouve un public d’abonnés professionnels. La première lettre que j’ai créée est La lettre de l’océan indien. Cela m’a permis de diffuser dans l’Est africain sans passer par une diffusion en kios- que. Qui dit diffusion en kiosque dit risque de censu- re, et qui dit grand public implique nécessairement publicité. Il faut savoir que sur l’Afrique, la publicité est forcément une publicité d’Etat ou de société d’État, ce qui bâillonne toute indépendance. Enfin, la troisième motivation était de faire cette lettre en français et en anglais, pour éviter le franco-africain. Cela représente un élément important d’indépen- dance économique et culturelle, afin d’élargir le marché sans le limiter à la francophonie. Au delà d’un public insuffisant sur la seule langue française, cela a permis également de dépasser les clivages africains, francophone d’un côté et anglophone de l’autre. Après cette première lettre, nous en avons créé plusieurs autres. EPC : Pourquoi le nom Indigo ? M.B. : C’est Indigo Publications. La couleur indigo est celle de l’océan indien, là où nous avons com- mencé, c’est aussi une plante d’Inde, et cela se pro- nonce de la même manière dans les deux langues. Après La lettre de l’océan indien, nous avons fondé La lettre du continent, sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale, puis une lettre sur le Maghreb confidentiel. Voilà trois lettres d’information à do- Maurice botboL Co-fondateur et Président du spiil interview eric Le RaY, Ph.D novembre/Décembre 2009 E-PaperWorld Magazine le SPIIL, premier Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne de France

le SPIIL, premier Syndicat de la Presse Indépendante d ......de presse pour être indépendant vis-à-vis de la pu-blicité, et c’est ainsi que le modèle économique des lettres

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INDIgO PUBLIcATIONS, L’aventure africaine

EPC : Quel est votre parcours professionnel ?Maurice BOTBOL : J’ai étudié durant trois ans au Centre de formation des journalistes à Strasbourg, puis j’ai un peu travaillé dans la presse régionale avant de partir pour un long séjour en Afrique d’où je suis revenu. Je voulais créer ma propre société de presse pour être indépendant vis-à-vis de la pu-blicité, et c’est ainsi que le modèle économique des lettres d’information s’est imposé. Après mon expé-rience africaine, notamment un an en Rhodésie et deux ans à la Réunion et sur tout la côte africaine de l’océan indien, il me semblait naturel de faire une lettre d’information sur l’Afrique. Avec pour objectif de créer une publication sur les pays africains rive-rains de l’océan indien, j’ai donc fondé Indigo Pu-blications en 1981. Je n’avais jamais fait de lettre d’information auparavant, mais de par sa nature, ce type de publication est libre de censure, de publicité et de subvention d’Etat. Ceci m’a permis, avec un actionnariat individuel, malgré des fonds limités, de créer une information originale qui s’adresse à un public professionnel. Bien que celui-ci soit de taille réduite, il est à même de payer un abonnement qui couvre le coût total de la collecte de l’information et de sa diffusion.

EPC : Vous étiez en avance sur le thème et le sec-teur des lettres personnalisées avant Internet !

M.B. : Le modèle de la lettre confidentielle remonte au XIXe siècle. Entachée d’une bien mauvaise répu-tation, c’était un organe d’influence politique avec son côté rumeurs, intoxication, propagande, etc. En

tout cas le modèle économique permet aujourd’hui de créer avec des moyens individuels une publica-tion qui peut être indépendante à partir du moment où elle trouve un public d’abonnés professionnels. La première lettre que j’ai créée est La lettre de l’océan indien. Cela m’a permis de diffuser dans l’Est africain sans passer par une diffusion en kios-que. Qui dit diffusion en kiosque dit risque de censu-re, et qui dit grand public implique nécessairement publicité. Il faut savoir que sur l’Afrique, la publicité est forcément une publicité d’Etat ou de société d’État, ce qui bâillonne toute indépendance. Enfin, la troisième motivation était de faire cette lettre en français et en anglais, pour éviter le franco-africain. Cela représente un élément important d’indépen-dance économique et culturelle, afin d’élargir le marché sans le limiter à la francophonie. Au delà d’un public insuffisant sur la seule langue française, cela a permis également de dépasser les clivages africains, francophone d’un côté et anglophone de l’autre. Après cette première lettre, nous en avons créé plusieurs autres.

EPC : Pourquoi le nom Indigo ?

M.B. : C’est Indigo Publications. La couleur indigo est celle de l’océan indien, là où nous avons com-mencé, c’est aussi une plante d’Inde, et cela se pro-nonce de la même manière dans les deux langues. Après La lettre de l’océan indien, nous avons fondé La lettre du continent, sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale, puis une lettre sur le Maghreb confidentiel. Voilà trois lettres d’information à do-

Maurice botboL Co-fondateur et Président du spiil

interview eric Le RaY, Ph.Dnovembre/Décembre 2009

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minante politique qui font le tour de l’Afrique. Elles ont pour vocation de donner de l’information sur les réseaux des pouvoirs politiques et économiques dans ces pays-là. Nos premiers clients, ceux à qui on s’adresse en priorité, sont les autochtones. On ne s’adresse pas aux français ou aux américains qui ont envie de savoir ce qui se passe du côté de l’Afri-que. Le défi est de fournir à partir de Paris de l’infor-mation exclusive aux gens qui sont sur place.

EPC : Un important réseau est indispensable !

M.B. : Ainsi que de solides et bonnes relations ! Si les lecteurs des pays que nous couvrons considè-rent que nous leur apportons des informations ori-ginales, celles-ci seront encore plus exclusives pour les lecteurs qui se trouvent sur d’autres continents. Pour cette raison, je considère que nous sommes un éditeur international, plus qu’un éditeur fran-çais. En plaisantant, nous disons que nous sommes le plus petit éditeur international au monde! Nos lecteurs sont des entreprises, des gouvernements, des ambassades, des organisations internationales, des ONG, des médias. Ce sont des institutions. Nous réalisons également deux lettres thématiques en langue française et anglaise, l’une sur les ques-tions minières en Afrique, africa Mining intelligen-ce, et l’autre sur les questions énergétiques, africa energy intelligence. La lettre intelligence online est quant à elle différente, c’est une publication qui traite des services de renseignements dans le monde. De-puis son existence et jusqu’au début des années 1990, elle ne traitait que des services de renseignements politiques. Au milieu des années 90, est apparue l’intelligence économique, un sujet que nous avons couvert dès le début. Les renseignements politiques et l’intelligence économique forment aujourd’hui les deux parties essentielles de cette lettre, ce qui per-met de voir les interconnexions entre les deux uni-vers, séparés malgré une certaine porosité entre eux. Nous sommes publiés là aussi en français et en an-glais. Cette publication est unique dans son genre, étant la référence de toute la communauté de l’intel-ligence économique, que ce soit aux Etats-Unis, en Angleterre, en Inde et en France.

EPC : Réalisez-vous du consulting d’entreprise ?

M.B. : Nous le refusons, nous ne faisons pas de

consulting, considérant que déontologiquement, sur le cas d’un client individuel, nous sortirions de no-tre rôle de journalistes. Je sais que dans le monde anglo-saxon, aux États-Unis, en Grande Bretagne, beaucoup d’éditeurs de lettres font du consulting. Ces lettres ne sont plus alors que des produits d’ap-pel pour vendre des prestations de consulting, ce qui rapporte beaucoup plus. Notre dernière lettre, La Lettre, la lettre de tous les pouvoirs couvre l’ac-tualité française. Nous publions également depuis de nombreuses années l’édition française de Afri-ca confidential. Cette lettre est publiée à Londres; Nous ne nous occupons que de l’édition française et de sa traduction de l’anglais vers le français. Toutes ces publications sont des publications papier.

EPC : Depuis combien de temps êtes-vous passé sur le Web ?

M.B. : Nous avons lancé notre premier site Internet en 1995, payant à l’article dès les premiers jours. Et celui-ci a été payant dès le premier jour. Je consi-dère personnellement que des journaux papiers payants diffusés gratuitement sur le Net sont une hérésie économique. Je tiens cependant à préciser, mon opinion n’est pas partagée par tous dans notre syndicat, dans lequel tous les modèles économi-ques sont représentés.

EPC : D’autant plus que 70 à 80% des articles d’in-formation que l’on retrouve sur le Net proviennent des médias traditionnels qui ne sont le plus souvent pas rémunérés pour cette diffusion. Ils sont pillés et redistribués gratuitement avec pour conséquence une baisse de leur lectorat.

M.B. : Comment s’étonner de cette perte de lecteurs ? La frontière entre le payant et le gratuit est pure-ment psychologique. Il n’y a pas d’obstacle techni-que à être payant. C’est un peu plus compliqué à mettre en place, c’est tout.

EPC : La sécurité aussi a évolué avec le temps ...

M.B. : Quel serait l’intérêt de nous pirater, et pour pirater quoi ? Il ne s’agit pas d’acheter un ordina-teur. Vous ne récupérez pas un bien physique, mais un bien totalement immatériel.

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EPC : C’est néanmoins de la connaissance qui peut avoir un intérêt stratégique !

M.B. : C’est vrai, mais nous avons des articles qui va-lent de 1 à 4 ou 7 euros. Après, il y a effectivement du pillage, du « photocopiage » mais vous n’allez pas casser un système de sécurité primaire pour aller piller. Vous utiliserez plutôt une carte bleue volée pour ouvrir votre compte. Pour en revenir au passage sur le Web, à l’ouverture de notre site en 1995, nous avons fait du commerce électronique dès le début, ce qui a nécessité à la fois des compétences et des connaissances, du fait d’une complexité beaucoup plus importante que sur du gratuit. Car il ne faut pas oublier que derrière cela, il faut gérer non pas une audience, mais des clients qui ont une exigence au niveau de la qualité du service. Il faut également prospecter ces clients, et les convaincre de payer.

EPC : C’est donc un travail de commercial !

M.B. : Tout à fait. En 1999 et 2000 nous avons intégré toute une plateforme informatique que nous avons créée nous-mêmes, car à l’époque il n’existait pas d’outil qui permette la gestion du papier conjointe-ment à l’électronique. Ceci étant dit, c’est le service au client qui nous importe, car c’est le lecteur qui est au centre de la démarche, ce n’est ni le papier, ni l’électronique. Dans les premiers temps, bien sûr, nos lecteurs Web n’avaient rien à voir avec nos lecteurs papier. Et petit à petit, les lecteurs papier se tournant vers le Web, notre lectorat est devenu commun aux deux supports.

EPC : A cette époque, comment ont réagi vos lec-teurs à cette transition d’un support à un autre ?

M.B. : Comme je vous l’ai dit, les lecteurs des dé-buts formaient deux entités distinctes, les lecteurs papier rejoignant très fortement aujourd’hui nos lecteurs Web. Si nous n’avions pas été sous forme électronique, à présent nous n’existerions plus. L’expédition du courrier matériel est de plus en plus aléatoire, alors que nous envoyons dans le monde entier. Même pour les Etats-Unis, une semaine à 15 jours peut être nécessaire, sans parler du Nigéria ou du Mozambique, alors qu’avec un format élec-tronique en téléchargeant le PDF, la réception est quasiment instantanée.

EPC : C’est plus direct et plus rapide.

M.B. : Oui, et donc à partir de 1999 nous avons déve-loppé une plateforme, une sorte de mini-SAP, d’où l’on gère nous-mêmes nos sites Web, nos différen-tes formes d’abonnements, papier ou électroniques, etc…et d’où l’on fonde également des publications virtuelles. Nous sommes capables de livrer des li-cences, nous avons développé un grand nombre de systèmes, et petit à petit, la part du papier s’ame-nuise pour laisser une grande place à l’électroni-que.

EPC : Vous semblez avoir avancé et évolué par empirisme. Vous êtes-vous inspiré d’expériences d’autres éditeurs et le cas échéant, à partir des-quelles ? Ou bien avez-vous développé un modèle qui vous était personnel ?

M.B. : Honnêtement, à cette époque, j’étais déçu par mes chers confrères. Etant dans un syndicat, la Fédération nationale de la presse spécialisée, j’ob-servais constamment des réactions qui faisaient prendre beaucoup de retard à notre profession. Il y avait toujours un combat d’arrière garde, alors que j’avais une grande conscience de la nécessité d’avancer, bien que la précipitation nous ait pénali-sés à certaines périodes. Maintenant je suis un peu plus prudent, mais lorsque nous avons monté no-tre propre plateforme, cela a nécessité deux ans de développement avec une équipe informatique ex-térieure. Nous avons malheureusement surestimé l’état du marché, les habitudes de lecture n’étant pas là. Mais nous avons résisté, passant près de la faillite, et ceci, juste pendant le crash de la bulle internet en 1999 et 2000, dans une ambiance de folie.

EPC : L’état du marché et les habitudes de lecture vous semblent-ils plus prometteurs aujourd’hui ?

M.B. : Actuellement, notre plateforme est la même que celle de 1999. Nous l’améliorons sans cesse, mais c’est une plateforme propriétaire sur laquelle trois informaticiens travaillent en permanence à des évolutions. Cette plateforme fait partie de no-tre cœur de métier d’éditeur, et c’est elle qui nous permet de répondre au mieux aux nouveaux besoins de nos lecteurs.

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minante politique qui font le tour de l’Afrique. Elles ont pour vocation de donner de l’information sur les réseaux des pouvoirs politiques et économiques dans ces pays-là. Nos premiers clients, ceux à qui on s’adresse en priorité, sont les autochtones. On ne s’adresse pas aux français ou aux américains qui ont envie de savoir ce qui se passe du côté de l’Afri-que. Le défi est de fournir à partir de Paris de l’infor-mation exclusive aux gens qui sont sur place.

EPC : Un important réseau est indispensable !

M.B. : Ainsi que de solides et bonnes relations ! Si les lecteurs des pays que nous couvrons considè-rent que nous leur apportons des informations ori-ginales, celles-ci seront encore plus exclusives pour les lecteurs qui se trouvent sur d’autres continents. Pour cette raison, je considère que nous sommes un éditeur international, plus qu’un éditeur fran-çais. En plaisantant, nous disons que nous sommes le plus petit éditeur international au monde! Nos lecteurs sont des entreprises, des gouvernements, des ambassades, des organisations internationales, des ONG, des médias. Ce sont des institutions. Nous réalisons également deux lettres thématiques en langue française et anglaise, l’une sur les ques-tions minières en Afrique, africa Mining intelligen-ce, et l’autre sur les questions énergétiques, africa energy intelligence. La lettre intelligence online est quant à elle différente, c’est une publication qui traite des services de renseignements dans le monde. De-puis son existence et jusqu’au début des années 1990, elle ne traitait que des services de renseignements politiques. Au milieu des années 90, est apparue l’intelligence économique, un sujet que nous avons couvert dès le début. Les renseignements politiques et l’intelligence économique forment aujourd’hui les deux parties essentielles de cette lettre, ce qui per-met de voir les interconnexions entre les deux uni-vers, séparés malgré une certaine porosité entre eux. Nous sommes publiés là aussi en français et en an-glais. Cette publication est unique dans son genre, étant la référence de toute la communauté de l’intel-ligence économique, que ce soit aux Etats-Unis, en Angleterre, en Inde et en France.

EPC : Réalisez-vous du consulting d’entreprise ?

M.B. : Nous le refusons, nous ne faisons pas de

consulting, considérant que déontologiquement, sur le cas d’un client individuel, nous sortirions de no-tre rôle de journalistes. Je sais que dans le monde anglo-saxon, aux États-Unis, en Grande Bretagne, beaucoup d’éditeurs de lettres font du consulting. Ces lettres ne sont plus alors que des produits d’ap-pel pour vendre des prestations de consulting, ce qui rapporte beaucoup plus. Notre dernière lettre, La Lettre, la lettre de tous les pouvoirs couvre l’ac-tualité française. Nous publions également depuis de nombreuses années l’édition française de Afri-ca confidential. Cette lettre est publiée à Londres; Nous ne nous occupons que de l’édition française et de sa traduction de l’anglais vers le français. Toutes ces publications sont des publications papier.

EPC : Depuis combien de temps êtes-vous passé sur le Web ?

M.B. : Nous avons lancé notre premier site Internet en 1995, payant à l’article dès les premiers jours. Et celui-ci a été payant dès le premier jour. Je consi-dère personnellement que des journaux papiers payants diffusés gratuitement sur le Net sont une hérésie économique. Je tiens cependant à préciser, mon opinion n’est pas partagée par tous dans notre syndicat, dans lequel tous les modèles économi-ques sont représentés.

EPC : D’autant plus que 70 à 80% des articles d’in-formation que l’on retrouve sur le Net proviennent des médias traditionnels qui ne sont le plus souvent pas rémunérés pour cette diffusion. Ils sont pillés et redistribués gratuitement avec pour conséquence une baisse de leur lectorat.

M.B. : Comment s’étonner de cette perte de lecteurs ? La frontière entre le payant et le gratuit est pure-ment psychologique. Il n’y a pas d’obstacle techni-que à être payant. C’est un peu plus compliqué à mettre en place, c’est tout.

EPC : La sécurité aussi a évolué avec le temps ...

M.B. : Quel serait l’intérêt de nous pirater, et pour pirater quoi ? Il ne s’agit pas d’acheter un ordina-teur. Vous ne récupérez pas un bien physique, mais un bien totalement immatériel.

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EPC : C’est néanmoins de la connaissance qui peut avoir un intérêt stratégique !

M.B. : C’est vrai, mais nous avons des articles qui va-lent de 1 à 4 ou 7 euros. Après, il y a effectivement du pillage, du « photocopiage » mais vous n’allez pas casser un système de sécurité primaire pour aller piller. Vous utiliserez plutôt une carte bleue volée pour ouvrir votre compte. Pour en revenir au passage sur le Web, à l’ouverture de notre site en 1995, nous avons fait du commerce électronique dès le début, ce qui a nécessité à la fois des compétences et des connaissances, du fait d’une complexité beaucoup plus importante que sur du gratuit. Car il ne faut pas oublier que derrière cela, il faut gérer non pas une audience, mais des clients qui ont une exigence au niveau de la qualité du service. Il faut également prospecter ces clients, et les convaincre de payer.

EPC : C’est donc un travail de commercial !

M.B. : Tout à fait. En 1999 et 2000 nous avons intégré toute une plateforme informatique que nous avons créée nous-mêmes, car à l’époque il n’existait pas d’outil qui permette la gestion du papier conjointe-ment à l’électronique. Ceci étant dit, c’est le service au client qui nous importe, car c’est le lecteur qui est au centre de la démarche, ce n’est ni le papier, ni l’électronique. Dans les premiers temps, bien sûr, nos lecteurs Web n’avaient rien à voir avec nos lecteurs papier. Et petit à petit, les lecteurs papier se tournant vers le Web, notre lectorat est devenu commun aux deux supports.

EPC : A cette époque, comment ont réagi vos lec-teurs à cette transition d’un support à un autre ?

M.B. : Comme je vous l’ai dit, les lecteurs des dé-buts formaient deux entités distinctes, les lecteurs papier rejoignant très fortement aujourd’hui nos lecteurs Web. Si nous n’avions pas été sous forme électronique, à présent nous n’existerions plus. L’expédition du courrier matériel est de plus en plus aléatoire, alors que nous envoyons dans le monde entier. Même pour les Etats-Unis, une semaine à 15 jours peut être nécessaire, sans parler du Nigéria ou du Mozambique, alors qu’avec un format élec-tronique en téléchargeant le PDF, la réception est quasiment instantanée.

EPC : C’est plus direct et plus rapide.

M.B. : Oui, et donc à partir de 1999 nous avons déve-loppé une plateforme, une sorte de mini-SAP, d’où l’on gère nous-mêmes nos sites Web, nos différen-tes formes d’abonnements, papier ou électroniques, etc…et d’où l’on fonde également des publications virtuelles. Nous sommes capables de livrer des li-cences, nous avons développé un grand nombre de systèmes, et petit à petit, la part du papier s’ame-nuise pour laisser une grande place à l’électroni-que.

EPC : Vous semblez avoir avancé et évolué par empirisme. Vous êtes-vous inspiré d’expériences d’autres éditeurs et le cas échéant, à partir des-quelles ? Ou bien avez-vous développé un modèle qui vous était personnel ?

M.B. : Honnêtement, à cette époque, j’étais déçu par mes chers confrères. Etant dans un syndicat, la Fédération nationale de la presse spécialisée, j’ob-servais constamment des réactions qui faisaient prendre beaucoup de retard à notre profession. Il y avait toujours un combat d’arrière garde, alors que j’avais une grande conscience de la nécessité d’avancer, bien que la précipitation nous ait pénali-sés à certaines périodes. Maintenant je suis un peu plus prudent, mais lorsque nous avons monté no-tre propre plateforme, cela a nécessité deux ans de développement avec une équipe informatique ex-térieure. Nous avons malheureusement surestimé l’état du marché, les habitudes de lecture n’étant pas là. Mais nous avons résisté, passant près de la faillite, et ceci, juste pendant le crash de la bulle internet en 1999 et 2000, dans une ambiance de folie.

EPC : L’état du marché et les habitudes de lecture vous semblent-ils plus prometteurs aujourd’hui ?

M.B. : Actuellement, notre plateforme est la même que celle de 1999. Nous l’améliorons sans cesse, mais c’est une plateforme propriétaire sur laquelle trois informaticiens travaillent en permanence à des évolutions. Cette plateforme fait partie de no-tre cœur de métier d’éditeur, et c’est elle qui nous permet de répondre au mieux aux nouveaux besoins de nos lecteurs.

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EPC : Indigo publication jusqu’a aujourd’hui semble donc être dans une culture Print et Web en même temps. Mais êtes-vous dans une période de copiage ou de remplacement ?

M.B. : Quand on a fondé notre plateforme, l’idée était de créer un contenu spécifique pour le Web. Mais cela coûtait très cher, sans aucune perspective de rentabilité, à l’époque.

EPC : N’y avait-il pas une erreur à appliquer le mo-dèle du papier à celui du Web alors qu’Internet ne fonctionne pas sur le même paradigme, mais avec des principes et un fonctionnement radicalement différents ?

M.B. : Le problème n’était pas là. C’est simple-ment le marché qui n’était pas prêt…en tout cas en 2000, le marché n’était pas là. Et du fait que nous nous adressons à un public professionnel, comme les ambassades, par exemple, leurs responsables faisaient encore imprimer leur courriel par leur se-crétaire. Cela est en train de changer, mais il y a dix ans le marché s’adressait encore à cette géné-ration-là. Nous avons donc abandonné provisoire-ment en maintenant l’outil informatique. Par contre nous avons développé d’autres modes de diffusion pour une même information, ce qui nous a permis de faire l’outil informatique, notre principal outil de diffusion.

EPC : Quels sont ces outils ?

M.B. : Traditionnellement et depuis le début, nous vendions les articles à l’unité. Les ventes étant en progression, nous avons commencé à vendre des abonnements à partir du Web et non plus unique-ment à partir du papier, une manière aussi de re-cruter des abonnés. Nous vendions l’abonnement classique, le papier plus le PDF, plus l’accès aux archives, mais via le Web uniquement. Aujourd’hui on ne prospecte quasiment plus pour le papier. La prospection se fait par le Web et par courriel.

EPC : Pourriez-vous présenter vos techniques de prospections ?

M.B. : D’une manière sobre et classique, il s’agit ni plus ni moins que du mailing. Nos produits sont de

qualité, donc les techniques de prospection ne né-cessitent pas de sophistication. Le client prospect est intéressé ou pas. Nous testons différentes ap-proches, comme la mise en ligne d’un article gra-tuit, ou bien le téléchargement d’un numéro gratuit, etc… et surtout, la navigation dans le site est entiè-rement libre. C’est ainsi que je l’ai voulu depuis le début, qu’il n’y ait pas de zone fermée.

EPC : Faut-il être abonné pour y avoir accès ?

M.B. : Il faut payer avec ou sans abonnement pour avoir accès à la totalité des informations, mais la navigation dans le site est complètement libre. On peut librement voir le titre et le début de cha-que article. Si vous voulez accéder à l’ensemble de l’article, c’est payant. Nous avons également des publications virtuelles dont plusieurs sur l’Afrique, par exemple, un canal sur le Gabon qui va rassem-bler tous les articles des différentes publications concernant le Gabon.

EPC : Est-ce dans l’esprit des lettres d’information ?

M.B. : Aujourd’hui nous pourrions vendre nos publi-cations uniquement sur le Web et supprimer le pa-pier, ce n’est pas le problème. Le format reste celui d’une publication qui parait tel jour ou à telle heure. Nous ne sommes pas dans des flux continus. Et sur un flux continu, je n’ai pas encore trouvé un modèle économique qui soit rentable. Même entièrement numérisés, nous restons fidèles aux formats finis du papier. Après, on peut rajouter quelques détails, comme faire des alertes entre deux numéros de pu-blications par exemple. Mais cela ne change rien de fondamental.

EPC : Vous avez donc une stratégie basée sur les deux supports !

M.B. : Avec une prédominance de plus en plus forte pour le Web. Nous vendons sous forme de licence à des entreprises pour ne plus vendre simplement l’abonnement individuel mais un abonnement col-lectif. Nous vendons des canaux qui n’existent pas sur le papier mais qui reprennent des articles. Nous fournissons aussi les grands intégrateurs d’informations, tels LexisNexis, Factiva, CDRom-SNI ou l’Européenne de données. Nous exploitons

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à fond tout ce qui est numériquement réalisable. Mais aujourd’hui, n’ayant pas trouvé de modèle, nous ne pouvons pas encore créer de contenu spécifique. Le risque, quand on fait du flux est la banalisation. Nos publications ont une certaine périodicité, le rythme de deux formats, hebdoma-daire ou bimensuel, ce qui laisse le temps de la ré-flexion, de l’analyse, de la collecte d’informations. C’est aussi le temps de l’élaboration. Je refuse de fournir du flux car il n’apporte qu’une très faible valeur ajoutée.

EPC : Dans vos pratiques de journalisme et vo-tre façon de rechercher de l’information, y a t-il eu une évolution depuis votre création et l’arrivée d’Internet ?

M.B. : L’évolution se situe au niveau de la technologie et de la communication, plus facile par courriel que par Télex. Quand j’ai démarré, le télex était quelque part dans le coin d’un bureau de poste. Les corres-pondants devaient s’y rendre pour taper leur arti-cle. Après cela, le télex est arrivé dans notre propre bureau avant de passer au fax. Par contre dans les méthodes de recherche de l’information, avec no-tre préoccupation de faire de l‘information originale, c’est notre sens de l’éthique qui nous a permis de survivre à l’arrivée d’Internet. Quand j’ai fondé ma lettre sur l’océan indien en 1981, il m’aurait été facile de donner des informations sur ce qui se passe par exemple au Kenya et a Madagascar, aux lecteurs de Paris en réalisant une sorte de revue de presse de l’info sur place. Mais le jour ou Internet est apparu, avec l’accès à tous ces journaux en même temps ici comme là bas, j’aurai perdu ma raison d’exister. Mais nous avons gardé cette même démarche qui consiste à aller chercher l’information originale, bien qu’elle soit de plus en plus difficile à recueillir du fait du niveau très dense d’information de base du lecteur. C’est tout notre savoir faire, et Internet ou pas, nous ne publions pas d’informations déjà divulguées sur Internet ou ailleurs.

EPC : Si je comprends bien Internet n’a pas vrai-ment changé votre métier ?

M.B. : Par la façon de le faire, effectivement Inter-net n’a pas changé notre métier. Tous les confrères qui faisaient de la revue de presse sur l’Afrique ou d’autres secteurs n’y ont pas survécu.

EPC : Y a t-il eut un impact sur les pratiques de consommation de l’information par le public ? Est-ce que cela vous a occasionné une pression supplé-mentaire du marché ?

M.B. : C’est indiscutable ! Mais Internet a été une vraie chance pour nous. J’estime qu’en tant qu’édi-teur mon travail n’est pas de servir du papier ou de l’abonnement, c’est de servir les besoins du client, du lecteur. Et s’il désire acheter un article à l’unité plutôt qu’un abonnement, il doit pouvoir le faire. Dans le domaine du papier je ne vendais que de l’abonnement, ce qui simplifiait les choses : un abonnement annuel à une personne. Aujourd’hui si une entreprise veut s’abonner pour trente personnes j’honore sa demande. Si un lecteur ne s’intéresse qu’au Gabon, il ne recevra que les articles sur le Ga-bon, et si telle autre personne ne veut nous consul-ter que sur LexisNexis, elle peut le faire. Ce sont là des revenus additionnels, le contenu est le même et le travail journalistique identique. Par contre j’ai augmenté mon potentiel de diffusion et donc mes recettes. L’électronique multiplie considérablement les potentialités pour un même contenu.

EPC : Donc c’est plutôt en termes de diffusion et de mise à disposition de l’information qu’il y a eu un changement, et non pas en termes de pratiques journalistiques.

M.B. : Le fait d’être sur Internet nous a ouvert aussi un plus grand marché qui est le monde entier. Nous sommes visibles. La différence réside dans le fait que le client vient à nous, ce qui ne signifie pas que nous ayons cessé notre travail de prospection. Mais le lecteur nous trouve plus facilement, soit parce qu’il nous connaissait déjà, soit en interrogeant Google.

EPC : L’avantage de Google vous permet donc la réactivité !

M.B. : On a surtout considérablement élargi notre lectorat. Nous avons mis en place un système de porte monnaie. A son ouverture, il doit contenir 30€ ou 30$, somme minimum pour pouvoir accéder aux articles. Ensuite, le porte monnaie est débité du montant de chaque article. Ce qui a également changé, c’est que nos archives vivent. Elles sont en ligne depuis 1992. Avant de commencer sur Inter-

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EPC : Indigo publication jusqu’a aujourd’hui semble donc être dans une culture Print et Web en même temps. Mais êtes-vous dans une période de copiage ou de remplacement ?

M.B. : Quand on a fondé notre plateforme, l’idée était de créer un contenu spécifique pour le Web. Mais cela coûtait très cher, sans aucune perspective de rentabilité, à l’époque.

EPC : N’y avait-il pas une erreur à appliquer le mo-dèle du papier à celui du Web alors qu’Internet ne fonctionne pas sur le même paradigme, mais avec des principes et un fonctionnement radicalement différents ?

M.B. : Le problème n’était pas là. C’est simple-ment le marché qui n’était pas prêt…en tout cas en 2000, le marché n’était pas là. Et du fait que nous nous adressons à un public professionnel, comme les ambassades, par exemple, leurs responsables faisaient encore imprimer leur courriel par leur se-crétaire. Cela est en train de changer, mais il y a dix ans le marché s’adressait encore à cette géné-ration-là. Nous avons donc abandonné provisoire-ment en maintenant l’outil informatique. Par contre nous avons développé d’autres modes de diffusion pour une même information, ce qui nous a permis de faire l’outil informatique, notre principal outil de diffusion.

EPC : Quels sont ces outils ?

M.B. : Traditionnellement et depuis le début, nous vendions les articles à l’unité. Les ventes étant en progression, nous avons commencé à vendre des abonnements à partir du Web et non plus unique-ment à partir du papier, une manière aussi de re-cruter des abonnés. Nous vendions l’abonnement classique, le papier plus le PDF, plus l’accès aux archives, mais via le Web uniquement. Aujourd’hui on ne prospecte quasiment plus pour le papier. La prospection se fait par le Web et par courriel.

EPC : Pourriez-vous présenter vos techniques de prospections ?

M.B. : D’une manière sobre et classique, il s’agit ni plus ni moins que du mailing. Nos produits sont de

qualité, donc les techniques de prospection ne né-cessitent pas de sophistication. Le client prospect est intéressé ou pas. Nous testons différentes ap-proches, comme la mise en ligne d’un article gra-tuit, ou bien le téléchargement d’un numéro gratuit, etc… et surtout, la navigation dans le site est entiè-rement libre. C’est ainsi que je l’ai voulu depuis le début, qu’il n’y ait pas de zone fermée.

EPC : Faut-il être abonné pour y avoir accès ?

M.B. : Il faut payer avec ou sans abonnement pour avoir accès à la totalité des informations, mais la navigation dans le site est complètement libre. On peut librement voir le titre et le début de cha-que article. Si vous voulez accéder à l’ensemble de l’article, c’est payant. Nous avons également des publications virtuelles dont plusieurs sur l’Afrique, par exemple, un canal sur le Gabon qui va rassem-bler tous les articles des différentes publications concernant le Gabon.

EPC : Est-ce dans l’esprit des lettres d’information ?

M.B. : Aujourd’hui nous pourrions vendre nos publi-cations uniquement sur le Web et supprimer le pa-pier, ce n’est pas le problème. Le format reste celui d’une publication qui parait tel jour ou à telle heure. Nous ne sommes pas dans des flux continus. Et sur un flux continu, je n’ai pas encore trouvé un modèle économique qui soit rentable. Même entièrement numérisés, nous restons fidèles aux formats finis du papier. Après, on peut rajouter quelques détails, comme faire des alertes entre deux numéros de pu-blications par exemple. Mais cela ne change rien de fondamental.

EPC : Vous avez donc une stratégie basée sur les deux supports !

M.B. : Avec une prédominance de plus en plus forte pour le Web. Nous vendons sous forme de licence à des entreprises pour ne plus vendre simplement l’abonnement individuel mais un abonnement col-lectif. Nous vendons des canaux qui n’existent pas sur le papier mais qui reprennent des articles. Nous fournissons aussi les grands intégrateurs d’informations, tels LexisNexis, Factiva, CDRom-SNI ou l’Européenne de données. Nous exploitons

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à fond tout ce qui est numériquement réalisable. Mais aujourd’hui, n’ayant pas trouvé de modèle, nous ne pouvons pas encore créer de contenu spécifique. Le risque, quand on fait du flux est la banalisation. Nos publications ont une certaine périodicité, le rythme de deux formats, hebdoma-daire ou bimensuel, ce qui laisse le temps de la ré-flexion, de l’analyse, de la collecte d’informations. C’est aussi le temps de l’élaboration. Je refuse de fournir du flux car il n’apporte qu’une très faible valeur ajoutée.

EPC : Dans vos pratiques de journalisme et vo-tre façon de rechercher de l’information, y a t-il eu une évolution depuis votre création et l’arrivée d’Internet ?

M.B. : L’évolution se situe au niveau de la technologie et de la communication, plus facile par courriel que par Télex. Quand j’ai démarré, le télex était quelque part dans le coin d’un bureau de poste. Les corres-pondants devaient s’y rendre pour taper leur arti-cle. Après cela, le télex est arrivé dans notre propre bureau avant de passer au fax. Par contre dans les méthodes de recherche de l’information, avec no-tre préoccupation de faire de l‘information originale, c’est notre sens de l’éthique qui nous a permis de survivre à l’arrivée d’Internet. Quand j’ai fondé ma lettre sur l’océan indien en 1981, il m’aurait été facile de donner des informations sur ce qui se passe par exemple au Kenya et a Madagascar, aux lecteurs de Paris en réalisant une sorte de revue de presse de l’info sur place. Mais le jour ou Internet est apparu, avec l’accès à tous ces journaux en même temps ici comme là bas, j’aurai perdu ma raison d’exister. Mais nous avons gardé cette même démarche qui consiste à aller chercher l’information originale, bien qu’elle soit de plus en plus difficile à recueillir du fait du niveau très dense d’information de base du lecteur. C’est tout notre savoir faire, et Internet ou pas, nous ne publions pas d’informations déjà divulguées sur Internet ou ailleurs.

EPC : Si je comprends bien Internet n’a pas vrai-ment changé votre métier ?

M.B. : Par la façon de le faire, effectivement Inter-net n’a pas changé notre métier. Tous les confrères qui faisaient de la revue de presse sur l’Afrique ou d’autres secteurs n’y ont pas survécu.

EPC : Y a t-il eut un impact sur les pratiques de consommation de l’information par le public ? Est-ce que cela vous a occasionné une pression supplé-mentaire du marché ?

M.B. : C’est indiscutable ! Mais Internet a été une vraie chance pour nous. J’estime qu’en tant qu’édi-teur mon travail n’est pas de servir du papier ou de l’abonnement, c’est de servir les besoins du client, du lecteur. Et s’il désire acheter un article à l’unité plutôt qu’un abonnement, il doit pouvoir le faire. Dans le domaine du papier je ne vendais que de l’abonnement, ce qui simplifiait les choses : un abonnement annuel à une personne. Aujourd’hui si une entreprise veut s’abonner pour trente personnes j’honore sa demande. Si un lecteur ne s’intéresse qu’au Gabon, il ne recevra que les articles sur le Ga-bon, et si telle autre personne ne veut nous consul-ter que sur LexisNexis, elle peut le faire. Ce sont là des revenus additionnels, le contenu est le même et le travail journalistique identique. Par contre j’ai augmenté mon potentiel de diffusion et donc mes recettes. L’électronique multiplie considérablement les potentialités pour un même contenu.

EPC : Donc c’est plutôt en termes de diffusion et de mise à disposition de l’information qu’il y a eu un changement, et non pas en termes de pratiques journalistiques.

M.B. : Le fait d’être sur Internet nous a ouvert aussi un plus grand marché qui est le monde entier. Nous sommes visibles. La différence réside dans le fait que le client vient à nous, ce qui ne signifie pas que nous ayons cessé notre travail de prospection. Mais le lecteur nous trouve plus facilement, soit parce qu’il nous connaissait déjà, soit en interrogeant Google.

EPC : L’avantage de Google vous permet donc la réactivité !

M.B. : On a surtout considérablement élargi notre lectorat. Nous avons mis en place un système de porte monnaie. A son ouverture, il doit contenir 30€ ou 30$, somme minimum pour pouvoir accéder aux articles. Ensuite, le porte monnaie est débité du montant de chaque article. Ce qui a également changé, c’est que nos archives vivent. Elles sont en ligne depuis 1992. Avant de commencer sur Inter-

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net, nous nous étions mis, en 1994, sur LexisNexis qui n’avait pas encore de bureau à Paris. J’étais allé voir le bureau à Londres, qui fut ravi de nous ac-cepter avec toutes nos publications. À l’époque il n’y avait que Le Monde et l’AFP ainsi que deux ou trois journaux français qui étaient sur LexisNexis.

EPC : Vous êtes devenu une sorte d’agence de pres-se avec votre logique de diffusion à la demande ? Internet permet cela aussi …

M.B. : Bien sûr, nous avons des journaux ou des médias comme clients, mais nous diffusons sur-tout vers un public professionnel. Nous avons uti-lisé toutes les capacités d’Internet. Par contre, dans notre pratique du journalisme, les principes sont strictement identiques. Le courriel facilite les cho-ses, mais il faut être très réactif, car on pense avoir un scoop, mais quelqu’un d’autre peut avoir dégainé plus vite !

EPC : Quel est votre point de vue sur l’impact d’In-ternet concernant les quotidiens ou les magazines hebdomadaires ? Pensez vous qu’il à été différent ?

M.B. : Je le pense, oui. J’ai toujours considéré Inter-net comme une chance et comme un levier. J’en suis moi-même un utilisateur assidu. Et j’ai toujours don-né à mes lecteurs ce que moi-même avais envie de trouver. Nous avons eu des débats en interne concer-nant la vente des articles à l’unité, car on courrait le risque de cannibaliser l’abonnement. Ou bien si nous donnoins nos lettres à LexisNexis ou Factiva , etc, plutôt que de s’abonner, les gens risquaient de consulter nos infos sur ces plateformes, sans comp-ter le piratage de notre PDF, au début. Il y avait 50 000 raisons techniques et autres pour ne pas faire ce que l’on a fait. Mais ce qui m’importe avant tout, c’est le service rendu aux lecteurs. La question essentielle est de susciter son intérêt. A un moment donné nos abonnements ont baissé à cause du piratage de nos PDF. Nous avons beaucoup expérimenté afin de les

sécuriser. Après certaines déconvenues sur les ex-périences des systèmes de sécurisation des fichiers, nous avons jugé important de développer nous-mê-mes nos propres systèmes, introuvables sur le mar-ché, afin de sécuriser et de tracer la publication. En fait nous les personnalisons, nous marquons les PDF au nom du lecteur, ce qui ne l’empêche évidemment pas de faire circuler son exemplaire. Ceci est dissua-sif, pas de manière sécuritaire mais plutôt dissua-sive, car le PDF est marqué, il nous revient et nous savons qui le diffuse gratuitement.

EPC : Une forme de traçabilité ?

M.B. : Oui, en quelque sorte. Comme c’est plutôt dissuasif, les gens ne diffusent que dans un cercle restreint. Je lis le journal et je le passe à mon voisin de bureau.

EPC : Un peu comme au XIXe siècle avec les cercles de lecture. Il y avait un abonnement et plusieurs lecteurs.

M.B. : Cela ne me gêne pas du tout. En revanche, je suis très mécontent quand il s’agit du service de documentation d’une multinationale par exemple. Mais cela n’a jamais été une raison d’arrêter notre diffusion électronique.

EPC : Combien êtes-vous, ici à Indigo Publications, et où en êtes-vous concernant la technologie ?

M.B. : Nous sommes à peu près 25 personnes. Concernant la technologie, on a toujours été Win-dows, contrairement à la majorité de la presse où tout est Mac. Tous nos développements ont été ori-ginaux et nous hébergeons nos propres serveurs. Avec notre plateforme, nous gérons nos abonne-ments, nos porte monnaies, nos abonnements pa-piers… et nous développons en permanence.z

EPC : Qu’est-ce qui vous à amené à la création de ce syndicat ?SPIIL : C’est en discutant avec Edwy Plenel, qui s’était penché sur notre modèle quant il a créé Mé-diapart, à savoir s’il faisait l’accès payant ou gratuit. C’était peu après les états généraux de la presse autour de juin ou juillet 2009. La création du syndi-cat à eut lieu en octobre 2009, suite aux états géné-raux où la presse en ligne pouvait être représentée à la commission paritaire.Un vide à combler, et être présent à la commission du Fond SPELEPC : En quoi votre syndicat est-il différent du GESTE ?SPIIL : Le GESTE regroupe des personnes qui pro-duisent de l’information numérique, pas nécessaire-ment des éditeurs de presse, mais les pages jaunes par exemple. Il y a des sites qui font des paris en li-gne. L’information numérique n’est pas nécessaire-ment produite par des éditeurs de presse. Le Monde ou le Nouvel Observateur sont allés au GESTE car il n’y avait rien d’autre. Mais eux, par exemple, sont un peu marginaux, et pas toujours à l’aise, car les problèmes de la presse ne sont pas forcément les mêmes. Nous sommes donc apparus pour combler un vide et pouvoir être présents à la commission pa-ritaire et au fond qui distribue les subventions à la presse en ligne. Le fond SPEL, un fond d’état géré par le ministère de la culture créé suite aux états généraux de la presse, est un fond de 60 millions d’euros répartis sur trois ans, soit 20 millions cha-que année. Il est géré par la direction générale des médias et des industries culturelles qui dépendait à la fois du ministère de la culture et de la commu-nication et du premier ministre, à présent entière-ment rattaché au ministère de la culture.

Les états généraux de la presse de 2008

EPC : Ce fond a donc été créé suite aux états géné-raux de la presse en 2008SPIIL : Suite aux états généraux de la presse, il a été décidé que la presse en ligne, qui jusqu’à présent n’avait pas de statut, aurait le même que la presse papier. Nous avons pensé qu’il serait judicieux de se regrouper et de fait, nous nous retrouvons avec 7 fondateurs : Pierre Haski de Rue 89, Arrêt sur images, Médiapart, Slate… Le but du SPIIL a donné lieu, au départ, à un débat afin de savoir si cela ne devait d’abord concerner que les Pure Players ou non. En ce qui nous concerne, à Indigo publi-cations, nous ne sommes pas Pure Players. Nous avons donc décidé que le numérique serait l’acti-vité de référence. Il y a donc des Pure Players mais pas uniquement. Plusieurs modèles se croisent. Le SPIIL est donc un syndicat qui regroupe non pas des journalistes, mais des éditeurs de presse, des sociétés éditrices de presse indépendantes qui ont comme activité de référence le numéri-que. Cela veut dire que l’on respecte un certain nombre de principes déontologiques, à savoir que nous ne sommes pas la filière d’un grand groupe qui va faire de la presse par ailleurs. Nous som-mes des Pure Players des médias plutôt que des Pures Player de l’Internet. Cela signifie que c’est notre activité principale, et c’est en ce sens, il faut comprendre la notion d’indépendants. En France beaucoup de journaux dépendent de groupes in-dustriels comme Dassault ou Lagardère, dont ce n’est pas l’activité principale. Pour nous donc, l’ac-tivité principale s’oriente surtout autour des mé-dias et de la presse en particulier. Il nous importe de faire un travail de journalisme professionnel.

Les Pure Players des médias ont leur syndicat, le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne de France

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