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DIMANCHE 19 - LUNDI 20 JUILLET 202076E ANNÉE– NO 23491
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
Universités : l’organisation périlleuse de la rentrée▶ Conséquence de la crise sanitaire, le taux record de réussite au bac (95,7 %) provoque un afflux historique de bacheliers vers l’enseignement supérieur
▶ « Jamais de tels chiffres n’avaient été atteints », s’alarme la Conférence des présidents d’université en appelant à une « mobilisation générale »
▶ Plus de 52 000 bacheliers restent sans proposition d’orientation dans Parcoursup à la mijuillet, contre 32 000 à la même date en 2019
▶ Les universités doivent augmenter leur capacité d’accueil, alors que cellesci sont déjà sous forte tension faute de ressources suffisantes
▶ La situation est rendue plus délicate encore par l’incertitude sur les conditions sanitaires de la rentrée universitairePAGES 10-11
LE BONHEUR BRISÉ DE SARAH HEGAZY
Sarah Hegazy, photographiée en 2017 par une amielors du concert d’un chanteur libanais ouvertement homosexuel. AMR MAGDI/TWITTER
▶ Pour avoir brandi le drapeau de la cause homosexuelle lors d’un concert au Caire, cette jeune militante égyptienne a été jetée en prison et torturée▶ Sarah Hegazy, 30 ans, a été contrainte à l’exil au Canada, où elle a mis fin à ses jours le 14 juin. « J’ai essayé de trouver le salut mais j’ai échoué », atelle écrit
PAGE 20
Dans les Landes, un « village
Alzheimer »
L’éducation nationale a rendu public, vendredi 17 juillet, son « plan de continuité pédagogique » en cas de reprise active ou très active du virus en France au moment de la rentrée scolairePAGE 11
PandémieLes scénarios pour l’écoleen septembre
Deux ans après le début de la guerre commerciale déclarée par le gouvernement Trump, les EtatsUnis multiplient les sanctions contre la Chine, au nom, cette fois, de motifs politiques ou de souverainetéPAGE 2
InternationalL’escalade entre Washingtonet Pékin
Social Les syndicats satisfaits des annonces de Jean Castex« Pragmatisme », « écoute », « positif », « sincérité »… Les partenaires sociaux ont exprimé leur satisfaction, vendredi 17 juillet, à l’issue d’une rencontre à l’Hôtel Matignon avec le premier ministre : Jean Castex a annoncé le report à 2021 de l’entrée en application de la réforme de l’assurancechômage. Il a également acceptéde repousser à l’automne les discussions sur les difficultés financières des caisses de retraite. « Nous tiendrons le plus grand
compte de leurs propositions », adéclaré le premier ministre à propos des partenaires sociaux, soulignant que, face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid19, la priorité affichée par le gouvernement est la lutte « contre la crise » et la relance de la « croissance économique ». Le flou subsiste néanmoinssur les conséquences concrètes du report de la réforme de l’assurancechômage.
PAGE 7
Sénégal En Casamance,la plus vieille rébellion d’Afrique
l’envoyée spéciale du Monde raconte comment, depuis 1983, laprovince du sud du Sénégal est le terrain d’un conflit à bas bruit pour l’indépendance. Cette région verdoyante demeure le théâtre d’un affrontement sans fin, alternant épisodes de violence armée et longues périodes
d’accalmie. Depuis le début duconflit, il y aurait eu entre 3 000 et 5 000 morts, dont 800 enraison des mines antipersonnel disséminées un peu partout. Les autorités sénégalaises ont pariésur le pourrissement de cettelutte aujourd’hui au point mort.
PAGES 16-17
Funérailles à Ziguinchor (capitale historique de la Casamance), en janvier 2018, après une attaque d’hommes en armes. SEYLLOU/AFP
La population, qui atteint 2,5 millions de têtes, cause d’importants dégâts. Les conséquences économiques fragilisent les fédérations de chasseursPAGE 6
NatureLa prolifération des sangliersen France
L’entreprise a annoncéle développement de nouveaux outils pour identifier et facturer sans contact les articles achetés par les consommateursPAGE 12
EconomieLe mondesans caissières d’Amazon
Covid19Barcelone se prépare déjà à la deuxième vaguePAGE 3
DébatsPourquoi les filles sont moins payées que les garçonsPAGE 26
DisparitionLa danseuse Zizi Jeanmaire s’est envoléePAGE 22
L’IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ DU
DIALOGUE SOCIALPAGE 29
1É D I T O R I A L
UN FILM DEYOSSI ATIA ET DAVID OFEK
SPIRO FILMS PRÉSENTE
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ACTUELLEMENT AU CINÉMA
2 | INTERNATIONAL DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
L’escalade entre Pékin et WashingtonLes EtatsUnis soumettent la Chine à un pilonnage de sanctions pour des motifs politiques
U n peu plus de deuxans après la guerrecommerciale déclaréepar le gouvernement
Trump à la Chine, les EtatsUnis ont ouvert de nouveaux fronts pour exercer des pressions sur Pékin, au nom des principes qu’ilsdéfendent et au moyen de lois extraterritoriales. L’offensive portesur des questions politiques – l’autonomie pour Hongkong, les droits de l’homme pour la région du Xinjiang, et l’espionnage pour Huawei et les médias officiels chinois aux EtatsUnis, désormais désignés comme des « missions étrangères ».
« C’est la première fois depuis Tiananmen, en 1989, que des sanctions aussi systématiques sont prises contre la Chine. A l’époque, c’était un massacre. Là, cela punit larépression, mais ce qui est visé, c’estl’affirmation de puissance chinoise.La vraie question est désormais : “Peuton laisser une dictature devenir la première puissance mondiale ?” », analyse le sinologue
JeanPierre Cabestan, de l’université baptiste de Hongkong.
Le « blitzkrieg » juridique américain repose sur le Hongkong Autonomy Act, signé le 14 juillet, le Uyghur Human Rights Policy Act, signé le 17 juin, et sur le Global Magnitsky Human Rights Act. Cette loi, originellement destinée à la Russie, étendue en 2016 aux auteurs de violations des droits del’homme dans le monde, cible pour la première fois la Chine. Plusieurs hauts responsables du Xinjiang ayant eu un rôleclé dans la politique d’internement massif dela minorité ouïgoure sont désormais interdits de séjour aux EtatsUnis, et leurs avoirs, s’ils en ont, gelés par le département d’Etat.
La nouvelle loi sur Hongkong,qui s’ajoute à la révocation du traitement préférentiel réservé au territoire par les Américains en matière commerciale et financière, doit sanctionner les entités et les individus ayant contribué à éroderle haut degré d’autonomie de Hongkong au moyen de la loi de
sécurité nationale promulguée par Pékin le 1er juillet dernier. Aucun nom n’a été précisé, mais « tout est sur la table », a signalé un porteparole du Conseil de sécurité nationale américain.
Bloomberg a rapporté, mercredi15 juillet, qu’étaient pressentis pour rejoindre la liste le responsable des affaires de Hongkong au sein du Comité permanent du Parti communiste chinois (PCC), Han Zheng – soit, potentiellement, le dirigeant chinois le plus haut placé jamais ciblé –, ainsi quela chef du gouvernement de Hon
gkong, Carrie Lam. Le New York Times faisait état, le même jour, d’unplan à l’étude à la Maison Blanche pour interdire de visa les 92 millions de membres du PCC. Une décision délicate à mettre en œuvre en raison de la difficulté, pour les Américains, de vérifier ce statut pour les membres ordinaires.
Dans une analyse sur le site ducercle de réflexion Center for Strategic and International Studies, le sinologue américain Jude Blanchette juge « immature » et « manquant de réflexion stratégique » la propension du gouvernement Trump à « jouer les durs », car une telle attitude permet justement au dirigeant chinois « de se présenter comme assiégé par lesforces hostiles occidentales ».
Les sanctions, en tant quemoyen d’intervention, n’ont parfois qu’un effet symbolique – notamment sur des officiels chinois ne voyageant pas aux EtatsUnis. Et Washington en déploie, à ce stade, bien moins à l’encontre de laChine que visàvis du Venezuela,
de l’Iran, ou même de la Russie. Mais la défense des droits de l’homme sert aussi un autre objectif : ralentir la Chine dans sa quête technologique. Concernant le Xinjiang, vingt entités liées à l’appareil policier et huit entreprises de surveillance vidéo et des technologies de reconnaissance facialeétaient déjà, depuis octobre 2019, sur une liste noire du département américain du commerce leur interdisant d’acheter des composants américains sans l’approbation du gouvernement.
Huawei, le géant des télécomschinois, a d’abord été soumis à ce même régime. Puis toute agence fédérale s’est vu interdire de se fournir chez lui. Depuis le printemps, ses smartphones ne peuvent plus utiliser le système d’exploitation Android, ni les applications Google ou Facebook. Les fournisseurs étrangers du groupe doivent obtenir une licence américaine pour tout composant contenant de la propriété intellectuelle américaine. « L’une des conséquen
Les Chinois plutôt satisfaits de leurs hauts dirigeantsDeux études nordaméricaines inédites indiquent que les sondés apprécient la lutte contre la corruption et les mesures environnementales
pékin correspondant
L es enquêtes d’opinion réalisées en Chine sont à interpréter avec d’infinies pré
cautions, étant donné la nature durégime et la taille du pays. Pourtant, deux études récemment publiées par des centres de recherchenordaméricains méritent attention. Bien que menées dans des conditions très différentes, elles semblent indiquer une réelle satisfaction de la population à l’égard de ses gouvernants.
La première enquête, qui portaitsur la gestion du Covid19, a étésupervisée par Cary Wu, professeur assistant au département de sociologie de l’université de York (Canada). Elle a été menée finavril par 613 étudiants chinois de 53 universités différentes qui ont distribué, en ligne, le questionnaire. 19 816 personnes, réparties
dans tout le pays, ont répondu. Les questions portent sur deux sujets : les informations reçues des autorités sur la pandémie et ladistribution de produits de première nécessité et de matériel deprotection. Appelés à donner une note globale, comprise entre 10 − insatisfaction sur les deux questions, tous niveaux de responsabilité politique confondus – et 50– satisfaction générale −, les Chinois donnent une note de 39,2.Avec 38,8, les habitants de la province du Hubei, épicentre de l’épidémie, sont à peine plus critiques.
Si l’on regarde dans le détail,75 % des sondés se disent satisfaits de l’information reçue et67 % de la distribution des produits de première nécessité et desmatériels de protection. Là aussi, les habitants du Hubei sont dans la moyenne. Enfin, comme souvent dans les enquêtes en Chine,
les sondés apprécient davantage l’action des dirigeants nationauxque locaux. Concernant le premier point, la satisfaction va de 67 % pour l’information délivrée localement à 89 % pour l’information nationale. Seule ombre au tableau pour le gouvernement : lesplus jeunes et les plus éduqués sont les moins satisfaits. D’après l’auteur, ce sont aussi les plus critiques visàvis du pouvoir.
Climat et pollutionPubliée en juillet, la seconde étudea été réalisée par trois universitaires du Ash Center for Democratic Governance and Innovation de l’université Harvard (Massachussetts). L’enquête, basée sur des entretiens individuels, a été menée à huit reprises, entre 2003 et 2016, auprès de 31 000 Chinois. Deux éléments essentiels s’en dégagent : les Chinois, en ville ou à la
campagne, sont de plus en plus satisfaits de leurs responsables tantnationaux que locaux, et leur opinion est directement corrélée à leurs conditions de vie matérielle.
Sur une échelle de 1 – très mécontent − à 4 − très satisfait −, les sondés étaient, en 2003, 8,9 % à sedire insatisfaits de leurs dirigeants centraux (note 1 ou 2) alorsque 86,1 % étaient satisfaits (note 3 ou 4). En 2016, les premiersn’étaient désormais plus que 4,3 % et les seconds bondissaientà 93,1 %. Concernant les dirigeants locaux, le pourcentage d’insatisfaits diminue, passant de51,6 % en 2003 à 25,6 % en 2016. A contrario, les satisfaits progressent de 43,6 % à 70 %.
En 2003, environ un Chinois surdeux estimait que les responsables locaux ne « faisaient que parler » et « s’intéressaient seulement àleurs propres intérêts ». Ils ne sont
plus qu’un sur trois environ à le penser treize ans plus tard. Manifestement, la campagne anticorruption menée par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir fin 2012 a marqué les esprits : en 2011, 55,2 % des Chinois jugeaient les responsables locaux « très malhonnêtes » ou « pas très honnêtes ».Jamais, depuis 2003, ce pourcentage n’avait été aussi élevé. Cinq ans plus tard, ce chiffre est tombé à29,3 %. A contrario, en 2011, seuls 35,4 % des Chinois jugeaient leurs dirigeants locaux « à peu près, ou tout à fait honnêtes ». Cinq ans après, ils sont 65,3 % dans ce cas. Dans le même laps de temps, le pourcentage de Chinois qui approuvent les mesures contre la corruption passe de 35 % à 71 %.
La thématique de l’environnement a rejoint les questions en 2016. 34 % des Chinois ont jugéalors que la pollution de l’air était
le principal problème environnemental, devant la sécurité alimentaire (19 %), et le changementclimatique (16 %). Mais 75 % des sondés estimaient toutefois que le changement climatique étaitun phénomène réel et provoquépar l’homme. Quelque 49 % pensaient que la qualité de l’air avait régressé durant les cinq annéesprécédentes. Néanmoins, 43 % voient une amélioration dans les années suivantes.
Pour les auteurs de l’étude, « legouvernement chinois était plus populaire en 2016 qu’il ne l’a jamais été durant les deux décenniesprécédentes ». La première enquête, elle, tend à confirmer queXi Jinping, malgré les défis que posent le ralentissement économique et la pollution, est sansdoute sorti renforcé de la crise due au Covid19.
frédéric lemaître
Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, évoque les deux citoyens canadiens détenus en Chine depuis 2018, lors d’une conférence de presse à Washington, le 1er juillet. MANUEL BALCE CENATA/AFP
La défense des droits de l’hommesert aussi un autre
objectif : ralentirla Chine dans
sa quête technologique
ces, c’est que le Taïwanais TSMC ne pourra pas fournir à Huawei des puces de 5 nanomètres, ce qui va bloquer Huawei dans les smartphones de prochaine génération. Huawei va aussi avoir du mal à maintenir son offre 5G », note le chercheur Mathieu Duchâtel, de l’Institut Montaigne.
Les décisions américaines ontdésormais un effet d’entraînement sur les alliés des EtatsUnis : les Britanniques viennent d’exclure Huawei de leurs réseaux 5G, après les Australiens. D’autres pays pourraient suivre, notamment des membres de l’OTAN.
Réponse « mesurée » de la Chine« Toutes ces lois ont reçu un large soutien bipartisan. Et la Chine est leseul sujet sur lequel Donald Trump et [le candidat démocrate à la présidentielle] Joe Biden sont d’accord », analyse PierreAntoine Donnet, auteur du livre Le Leadership mondial en question : l’affrontement entre la Chine et les EtatsUnis (Editions de l’Aube). Dans l’inventaire qu’il dresse des forces en présence, M. Donnet rappelle qu’après le retrait américain du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en août 2019,le secrétaire américain a la défense, Mark Esper, avait déclaré que le Pentagone déploierait des missiles à moyenne portée le plus tôt possible dans le Pacifique : « C’est un nouveau front qui s’ouvrelà aussi », expliquetil.
La Chine a apporté, à ce stade,une réponse « mesurée », sous forme de cinq volets de sanctions àl’encontre des EtatsUnis – elle privera de visas plusieurs sénateurs américains connus pour leur mobilisation contre elle, ainsi que ceux qui « mènent une politique malveillante sur le Tibet ». Elle a annoncé boycotter le groupe de défense américain Lockheed Martin en raison de ses ventes à Taïwan – mais la société est peu présente enChine. Et soumettra plusieurs grands médias américains en Chine à de nouvelles contraintes administratives.
Pékin, qui a toujours dénoncévertement l’extraterritorialité des lois américaines, pourrait bientôt user de moyens similaires : « La nouvelle loi de sécurité nationale à Hongkong peut s’appliquer à n’importe quelle personne dans le monde, c’est un signal clair dans le sens d’une approche qui inclurait l’extraterritorialité », juge Mathieu Duchâtel. Autre champ d’affrontement : les cyberattaques. « Cette guerrelà a commencé, et elle n’a jamais été déclarée. C’est un élément qui n’existait pas sous la guerre froide avec l’Union soviétique, et qui rend celle avec la Chine différente », estime le sinologue JeanPierre Cabestan. Les Américains, en la matière, ont l’habitude de mener des contreattaques. Mais évitent d’en faire la publicité.
brice pedroletti
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 international | 3
Au Mexique, l’étau se resserre autour de l’exprésident Peña NietoLa croisade anticorruption de l’actuel chef de l’Etat, « AMLO », menace son prédécesseur
mexico correspondance
L’ ancien président mexicain Enrique Peña Nieto(20122018) seratil pour
suivi pour corruption ? Son homme de confiance, Emilio Lozoya, directeur de 2012 à 2016 de la compagnie pétrolière publique Pemex, a atterri à Mexico, vendredi 17 juillet, après son extradition d’Espagne. Accusé d’avoir touché des potsdevin du géant brésilien du BTP Odebrecht, M. Lozoya a accepté de collaborer avec la justice de son pays. Ses futures révélations pourraient mettre en cause M. Peña Nieto, soupçonné d’avoir orchestré un vaste système de malversations financières.
« C’est le signe que nous combattons enfin la corruption », s’est félicité, vendredi, l’actuel président degauche, Andres Manuel Lopez Obrador (« AMLO »), quelques heures après l’arrivée de M. Lozoya au Mexique. Depuis l’entrée en fonctions fin 2018 d’« AMLO », les protections dont bénéficiait l’ancien conseiller de M. Peña Nieto ont disparu. Sous le coup d’un mandatd’arrêt international émis en 2019,M. Lozoya était en fuite depuis neuf mois. Il a été arrêté, le 12 février, dans une luxueuse demeure de Malaga (Espagne).
L’exdirigeant de Pemex est accusé d’avoir touché au moins 10,5 millions de dollars (environ 9,1 millions d’euros) entre 2012 et 2014 de la part d’Odebrecht, selon les témoignages de trois cadres dirigeants de la société brésilienne qui multipliait les potsdevin en Amérique latine. En retour, Odebrecht avait décroché de juteux contrats publics, dont celui de la rénovation d’une raffinerie de Pemex dans l’Etat d’Hidalgo (centre). Une partie de la somme aurait financé, dès 2012, la campagne présidentielle de M. Peña Nieto, alors candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre).
Un autre chef d’accusationporte sur l’achat douteux, en 2013, par Pemex, d’Agro Nitrogenados, une usine d’engrais qui appartenait à l’entreprise sidérurgique Altos Hornos de Mexico (AHMSA), pour 500 millions de dollars, soit près du double de la valeur de cette usine, à l’arrêt depuis quatorze ans, accentuant lacrise de la compagnie pétrolière laplus endettée au monde (plus de100 milliards de dollars). Un moisplus tard, AHMSA virait 3,7 millions de dollars sur des comptes bancaires de M. Lozoya, via dessociétésécrans apparaissant dans les circuits financiers illicites d’Odebrecht.
Incarcéré à Madrid, M. Lozoyaavait d’abord refusé son extradition au Mexique avant de se raviser, acceptant d’informer la justice de son pays contre une réduction de peine. Les négociationsentre M. Lozoya et les autorités mexicaines portent aussi sur des informations concernant descommissions versées par l’anciengouvernement à des parlementaires de l’opposition pour assurer le vote, en 2013, de la réforme énergétique qui a mis fin au monopole de Pemex sur l’or noir.
« Emilio ne gérait pas seul », avaitaverti, en février, son avocat de l’époque, Javier Coello, accusant à
demimot M. Peña Nieto. Ce dernier avait rencontré à quatre reprises, entre 2010 et 2013, MarceloOdebrecht, l’ancien PDG de la compagnie éponyme, qui a reconnu avoir versé des potsdevindans une douzaine de nationslatinoaméricaines. Jusqu’alors, leMexique restait le seul grand paysdu souscontinent, avec le Venezuela, où l’affaire Odebrechtn’avait débouché sur aucune poursuite judiciaire.
Pour Ricardo Monreal, chef defile du parti d’« AMLO » (Morena,gauche) au Sénat, le procès de M. Lozoya attendu à Mexico« provoquera un séisme politique ». L’inculpé est le premierhaut fonctionnaire issu du PRI qui sera jugé sous le mandat d’« AMLO », marqué par sa promesse d’« éradiquer la corruption » instaurée par le « régime pourri » de l’exparti hégémonique. Le PRI a été à la tête du Mexique durant soixante et onze ans jusqu’en 2000 avant de revenir au pouvoir de 2012 à 2018.
Doutes sur la portée judiciaireDeux autres proches de M. Peña Nieto pourraient vite emboîter le pas de M. Lozoya. César Duarte, ancien gouverneur de l’Etat deChihuahua (20102016), arrêté, le8 juillet, à Miami aux EtatsUnis, devrait bientôt être extradé au Mexique. En fuite depuis 2017, M. Duarte est accusé d’avoir détourné plus de 350 millions de dollars de fonds publics, dont unepartie aurait servi à financer des campagnes électorales du PRI. Mais les poursuites contre lui piétinaient avant l’arrivée au pouvoir d’« AMLO ».
Quant à Tomas Zeron, dirigeantde l’Agence d’investigation criminelle de 2014 à 2016, il avait bénéficié des mêmes protections de la part de l’ancien gouvernement.Un mandat d’arrêt international aété émis, le 30 juin, contre lui par Interpol à la demande des autorités mexicaines. Le fugitif est recherché pour falsification de preuves et torture dans l’affaire de la disparition, en 2014, de 43 élèves enseignants de l’Ecole normale d’Ayotzinapa, attaqués par des policiers véreux dans l’ouest du Mexique. Ses abusauraient empêché de faire la lumière sur un mystère qui indigne les Mexicains depuis près de six ans. L’enquête a été relancée par l’actuel gouvernement.
Mais des doutes planent sur laportée judiciaire de ces victoires pour « AMLO » contre les dérives de ses prédécesseurs. « Je ne suispas favorable à des procès contred’anciens présidents (…) car il faut regarder de l’avant », a confié, vendredi, « AMLO » à la presse, avant de rappeler que « la décision finalereviendra aux citoyens à travers une consultation populaire ».
Selon l’historien et analyste politique Hector Aguilar Camin, deux scénarios se dessinent : « Si l’exprésident Peña est jugé, cela signifiera une avancée historiquecontre la corruption, écritil dans une chronique publiée, jeudi 16 juillet, dans le quotidien Milenio. Si le procès ne va pas jusquelà(…) nous serons aussi face à unsaut historique, mais dans la politisation de la justice. »
frédéric saliba
Un « rideau de fer » sépare Norvège et SuèdeLa frontière entre les deux pays, aux méthodes opposées contre le virus, reste très perturbée
REPORTAGEströmstad envoyée spéciale
D epuis son bureau, StaleLövheim a une vue imprenable sur l’immense
parking du Nordby Shoppingcenter. D’ordinaire, le patron norvégien de ce complexe de 110 boutiques, situé dans la commune suédoise de Strömstad, à cinq kilomètres de la frontière norvégienne, ne s’en plaint pas.
Depuis le 12 mars, cependant, lavision du parking déserté le hante.« Notre activité dépend presque totalement des clients norvégiens », rappelletil. Ceuxlà mêmes qu’unancien ministre norvégien de l’agriculture, Lars Sponheim, en 2002, avait baptisés avec mépris les « Harry » : un terme péjoratif, utilisé depuis pour désigner la clientèle, souvent populaire, prête à passer la frontière pour remplir son coffre d’alcool, de soda ou de tabac à moitié prix.
Depuis le 12 mars, les clients norvégiens peuvent, en théorie, continuer à venir, puisque la Suède n’a pas fermé ses frontières. Sauf qu’une escapade chez le voisin s’accompagne désormais de dix jours de quarantaine au retour en Norvège, qui, elle, a fermé les points de passage. Résultat : « Depuis la mimars, nous avons perdu 95 % de notre chiffre d’affaires », constate Stale Lövheim.
A Olso, le gouvernement de laconservatrice Erna Solberg justifie la mesure par les différences dans la gestion du coronavirus entre les
deux pays. Ayant opté très tôt pourle confinement, la Norvège a réussi à contrôler l’épidémie et ne compte que 254 décès, au 16 juillet (4,6 pour 100 000 habitants). A côté, la Suède, qui n’a pas confiné, déplorait, jeudi, 5 619 morts (plus de 50 pour 100 000 habitants).
En ce dernier jour de juin, lesruelles de Strömstad, station balnéaire suédoise de 13 000 habitants dans le comté de Bohuslän, devraient être emplies de touristes, ses terrasses bondées et son port de plaisance pris d’assaut par les voiliers. L’ambiance rappelle plutôt la basse saison. Dans le centre, plusieurs magasins gardent porte close.
« Notre économie locale saigne »« Leurs propriétaires se sont mis enchômage partiel », explique Heidi Caroline Nyström, patronne de la boutique de souvenirs Ditt o Datt et présidente de l’association descommerçants. Elle est en train de remplir une demande de compensation de perte de revenus. Auprintemps, son chiffre d’affaires achuté de 40 %. « C’est comme si unrideau de fer s’était abattu, le 12 mars », ditelle. Kent Hansson, le maire socialdémocrate de Strömstad, désespère : « Notre économie locale saigne. Le taux dechômage est passé de près de zéro à 8,5 %, et atteint 30 %, en incluantle chômage partiel. »
Mais l’impact est bien plusqu’économique. Dans les pays nordiques, les contrôles aux frontières ont disparu définitivement
en 1958. « Quand on vit ici, on ne pense pas à la frontière comme un obstacle », confie Lena Kempe, propriétaire du camping Daftö. De mère norvégienne et de père suédois, elle avoue « n’avoir jamaisimaginé » ne plus pouvoir circuler librement entre les deux pays.
Installé depuis vingtcinq ans àHalden, commune norvégienne de 31 000 habitants, à trente kilomètres de Strömstad, le Suédois Johan Oberg comprend l’inquiétude des autorités à Oslo. Mais ce technicien lumière supporte mal la situation. Sa mère souffre de démence sénile. Atteint d’un cancer, son beaupère est en fin de vie. « Tous deux vivent à Göteborg. Si je veux leur rendre visite, je dois me mettre en quarantaine à mon retour, ce qui est très compliqué avec mon travail. » Début juin, Johan Oberg n’a pas eu le choix : sa fille aînée, Anja, étudiante à Jönköping,en Suède, s’est séparée de son petitami. « Elle n’avait plus de logement. Il fallait bien que je l’aide à déménager. » A leur retour, le père et la fillese sont isolés pendant dix jours, cequi n’a pas empêché des amis d’Anja de la traiter avec méfiance. « On a l’impression d’être des pestiférés », avoue Johan Oberg.
A Strömstad, Kent Hansson s’inquiète de « la montée du nationalisme », des deux côtés de la frontière. « Il suffit de regarder les commentaires, sur les sites d’information. C’est atterrant. » L’édile avoue ne pas discuter, avec ses homologues norvégiens, des différences de stratégies dans la lutte
contre le coronavirus : « Le sujet est assez sensible », éludetil.
A Halden, le directeur des services communaux, Roar Vevelstad, espère lui aussi « un retour à la normale aussi rapide que possible ». Mais il reconnaît que sa villes’en sort plutôt bien économiquement. Le commerce local est florissant. « J’ai dû mal à croire que cela ne joue aucun rôle dans la décision d’Oslo de ne pas lever la quarantaine », râle le patron du Nordby Shoppingcenter.
Côté norvégien, les 12 500 propriétaires de résidences secondaires en Suède réclament des aménagements. Ils peuvent faire l’allerretour dans la journée, « pour des travaux indispensables ». Psychiatre à la retraite, Kare Odland hésite : « A chaquefois que je rentre, j’ai peur de me retrouver en quarantaine. Quandj’arrive à la frontière, j’ai l’impression d’être un semicriminel. »
A Oslo, le gouvernement a promis de lever les restrictions vers les régions suédoises affichant moins de 20 nouveaux cas pour 100 000 habitants sur deux semaines. Depuis le début de la pandémie, Strömstad n’a enregistré que 13 cas. Mais la station balnéaire appartient à la région du Västra Götaland, qui inclut Göteborg, un des clusters suédois. Ses habitants ne sont donc guère optimistes. Surtout que, dans un sondage publié fin juin, les trois quarts des Norvégiens soutenaient les restrictions.
annefrançoise hivert
Barcelone se prépare déjà à la deuxième vague de Covid19La cité catalane a ordonné de nouvelles mesures de confinement
TÉMOIGNAGESbarcelone envoyée spéciale
S ur les Ramblas ou la plagede la Barceloneta, dans lequartier du Born, de Gracia ou du Poble Sec, les
Barcelonais se promenaient tranquillement, ces derniers jours,masque – obligatoire – sur le visage, mais l’air décontracté. Aprèstrois mois de confinement et la fin de l’état d’alerte, le 19 juin, ils s’étaient réapproprié leur ville, profitant des terrasses des restaurants à moitié vides et des ruesapaisées, les touristes en étant majoritairement absents.
Et puis, vendredi 17 juillet, lanouvelle est tombée comme une douche froide : pour faire face à unrebond de l’épidémie, le gouvernement régional catalan a ordonné une sorte de préreconfinement de Barcelone et de 12 communes de l’aire métropolitaine – soit près de 4 millions d’habitants. Non seulement près de 1 425 cas positifs ont été recensésces sept derniers jours dans la deuxième ville d’Espagne et sa banlieue, mais les autorités sanitaires catalanes ont perdu le contrôle de plusieurs clusters, ouvrant la porte à une transmission « communautaire ».
Barcelone ne s’y attendait pas.Pas si tôt, ni si vite. A peine remisede la première vague de Covid19, la cité catalane, dense et cosmopolite, doit déjà se préparer à la seconde. Pour l’éviter, durant lesdeux prochaines semaines, les réunions sont limitées à 10 personnes, les maisons de retraite fermées aux visites, les restaurants doivent réduire leur capacité en salle de 50 % et les gymnases, les cinémas, théâtres ainsi que les discothèques – qui, en Espagne, ont rouvert partout sauf aux Baléares – doivent fermer. Par
ailleurs, il est « recommandé » auxBarcelonais de ne sortir de chez eux que si cela est « indispensable » et de ne pas quitter la villepour se rendre dans leur résidence secondaire.
« C’est notre dernière chance, sil’on ne veut pas avoir à prendre desmesures plus drastiques », a prévenu la porteparole de la Généralité, Meritxell Budo, demandant la collaboration des citoyens pouréviter « le confinement total de lapopulation ».
Sous le feu des critiquesEn juin, les régions ont récupéré la gestion de la pandémie sur leurterritoire, jusquelà centraliséesous l’égide du ministère espagnol de la santé. Et depuis, le gouvernement catalan, tenu par les indépendantistes, se trouve sous le feu des critiques. Pour avoir soustraité le contact tracing (processus d’identification des personnes) à une entreprise et yavoir dédié un nombre dérisoire d’enquêteurs. Pour son manquede stratégie à Lérida, où, sans surprise, ont explosé les premiers clusters début juillet parmi les travailleurs saisonniers précaires,sans domicile, venus récolter lesfruits à noyau, dans la région du Segria. Pour avoir fini par y reconfiner 160 000 habitants, après avoir vu augmenter la pression sur l’hôpital local. Et pour avoir minimisé les cas à Barcelone,avant d’annoncer jeudi un renfort de 500 enquêteurs. Pour lamaire de Barcelone, Ada Colau, « le gouvernement [catalan] est arrivé tard à Lérida et tard dans l’airemétropolitaine ».
« Nous voyons trop de confusionet d’improvisation, résume RafaelVilasanjuan, de l’institut de recherche sur la santé ISGlobal. Or ilnous faut de meilleures données,plus d’enquêteurs pour tracer les
contacts, et appliquer des modèlesmathématiques à la gestion de la pandémie. Nous devrons apprendre à vivre avec le coronavirus durant les deux ou trois prochaines années… »
La situation n’est pas comparable à avril ou mai : « 70 % des cas détectés sont asymptomatiques, la majorité a peu de risque de développer une forme grave de la maladie, l’âge moyen a baissé et l’impactreste modéré sur les hôpitaux », explique Benito Almirante, chef du service des maladies infectieuses àl’hôpital Vall d’Hebron. Ce qui n’a pas empêché le directeur de l’immense campus hospitalier, Albert Salazar, de se préparer : deux étages avec une cinquantaine de lits et 20 salles de soins intensifs sont prêts : « Pour le moment, nous avons 17 cas de Covid hospitalisés dont deux que nous avons fait venirde l’hôpital de Lérida, avec 14 autrespatients critiques non Covid afin que leurs services de soins intensifs soient libérés. »
La Catalogne a payé un troplourd tribut à la pandémie due au nouveau coronavirus, avec 5 600 morts confirmés par test, 12 600 sil’on y ajoute les cas suspects, pour prendre de risque. Mais la perspective d’être reconfinée à domicile risquerait de plonger la population dans une « dépression collective », prévient le chroniqueur de
La Vanguardia, Enric Juliana. « Un reconfinement total, ce n’est pas possible, ni économiquement ni socialement », veut croire Marian Arias, femme au foyer de 44 ans, à la terrasse d’un bar de L’Hospitaletde Llobregat, banlieue ouvrière de Barcelone où ont été détectés les premiers clusters inquiétants, le 11 juillet. « Cela m’a provoqué tellement d’anxiété d’être privée de liberté que je deviendrais folle », assure Maria Castañeda, 19 ans, étudiante de mode. Le weekend dernier, elle est allée dans une des discothèques de la zone du Port Olimpic. « Elle était pleine à craquer, tout le monde se collait et personne ne portait de masque, du coup je suis restée en terrasse, racontetelle. C’est l’été, on a tous tellement envie de sortir… »
Ce weekend, les discothèquessont fermées. Les restaurants ont vu s’annuler de nombreuses réservations. Et les hôteliers craignentle pire. « Seuls 80 hôtels sont ouverts, soit 25 % du nombre de lits à Barcelone, et malgré cela, le taux d’occupation oscille à peine autour de 20 %, souligne Manel Casals, directeur de l’association hôtelière Gremi d’Hotels de Barcelona. Pour le secteur, une seconde vague seraitdéfinitive. L’été était déjà perdu pour nous. Si nous devons encore fermer, nous ne mourrons pas du Covid mais de faim. »
L’association demande au gouvernement un plan d’aides directes au secteur, « comme cellesdonnées aux banques lors de lacrise financière de 2008. Sinon, lessociétés feront faillite, leurs travailleurs se retrouveront à la rue et des fonds vautours se partageront les restes », insiste M. Casals, qui compte pour cela sur le plan de relance européen, embourbé dans de difficiles négociations à Bruxelles.
sandrine morel
« C’est notre dernière chance,si l’on ne veut pas
avoir à prendredes mesures plus
drastiques »MERITXELL BUDO
porte-parole de la Généralité
« Si l’ex-présidentest jugé, ce sera
une avancée historique contre
la corruption »HECTOR AGUILAR CAMIN
historien
L’inculpé sera le premier haut
fonctionnaire issudu PRI, le parti
de l’ex-président,jugé sous le
mandat d’« AMLO »
4 | international DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
A Goush Etzion, « l’annexion ne changera rien »Nétanyahou a promis d’étendre la souveraineté aux colonies en Cisjordanie, illégales aux yeux du droit international
jérusalem correspondance
REPORTAGE
A vec ses lotissements àl’identique, toits rouges et murs beiges quise déroulent à perte de
vue le long de rues proprettes, ses habitants qui se saluent de loin en anglais, Efrat a des airs de banlieuedu New Jersey. A condition de faireabstraction des drapeaux israéliens qui flottent aux balcons et dela silhouette d’un village palestinien accroché aux collines rocailleuses, juste en face. « C’est une colonie et je suis fier d’y vivre », explique BenAmi Menzin, qui promène sa chienne dans cette localité de 9 500 habitants du Goush Etzion, un bloc de colonies israéliennes entre Bethléem et Hébron,en Cisjordanie.
L’ancien NewYorkais de 43 ansest venu chercher un peu d’« air pur », à une demiheure de Jérusalem, où il travaille. A l’origine fondé par des colons nationalistes religieux, peu après l’occupation de la Cisjordanie, en 1967, le GoushEtzion est devenu « une banlieue de Jérusalem où les gens viennent car les logements sont moins chers », note Lior Amihai, directeur de l’ONG israélienne antioccupation Yesh Din.
« Sous les jets de pierres »Beaucoup d’Israéliens considèrent d’ailleurs cette zone et les autres grands blocs de coloniesen Cisjordanie occupée comme faisant déjà partie de leur Etat.Après avoir promis d’étendre àpartir du 1er juillet la souverainetéisraélienne à 30 % de la Cisjordanie − soit toutes les colonies israéliennes, illégales aux yeux dudroit international, et la vallée du Jourdain −, il s’est murmuré que le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, pourrait annoncer,dans un premier temps, une annexion « minimaliste » de ces colonies. Le parrain américain − qui avait donné son feu vert avec leplan Trump pour le ProcheOrient, dévoilé en janvier − ne semblait plus si enthousiaste et lacoalition au pouvoir en Israël, elle, se divisait sur le sujet.
L’échéance est passée sansqu’aucune annonce ne soit faite. « Ce n’était pas une échéance »,rappelle Josh Hasten, le porteparole du conseil régional duGoush Etzion, seulement « la première date possible ». Il se dit confiant que le premier ministre « prendra la bonne décision » et
enclenchera l’annexion « dans lessemaines à venir ». Depuis quinzejours pourtant, le sujet ne fait plus les gros titres, balayé par lesmanifestations contre la criseéconomique et la résurgence de la pandémie de Covid19.
A Efrat, la plupart des colons,eux, haussent les épaules. « L’annexion ne changera rien », assure BenAmi Menzin. En trente ans, la colonie s’est imposée comme un fait accompli. Quand Peter a débarqué de New York, avec femme et enfants, au début des années 1990, elle ne comptait que 500 habitants et il fallait traverser Bethléem, la ville palestinienne voisine, pour rejoindre Jérusalem, « parfois sous les jets de pierres ».
Cinq ans plus tard, Israël a construit à grands frais la « route des tunnels », réservée aux propriétaires de voitures israéliennes. « Le trajet vers Jérusalem a été raccourciet vous n’avez plus à croiser de gensqui rendaient ce parcours… comment vous dire ?… plus sensible », raconte le septuagénaire, qui refuse de donner son nom.
Aujourd’hui, la deuxvoies file àtravers la montagne. Les villes etles villages palestiniens sont dis
simulés derrière de grands blocsde béton, comme s’ils n’existaient pas. Un autre tunnel est en train d’être creusé, pour élargir la route, empruntée par les 100 000 habitants du Goush Etzion.
« Nous devons nous protéger »,justifie la fille de Peter, Ilana, une juive religieuse, foulard coloré cachant ses cheveux et jupe à mimollet. D’une voix basse, elle rappelle l’assassinat d’Ari Fuld, unIsraélien d’extrême droite tué en septembre 2018 par un adolescent palestinien, dans un centrecommercial des environs. En réponse au meurtre, la colonie sauvage de Givat Eitam, illégale aussi
aux yeux d’Israël, a été érigée sur les terres de Khirbet AnNahla, au sud de Bethléem. Une chaise en plastique vide attend les visiteursà l’entrée de la colonie, déserte au crépuscule. Quelques mobilehomes et trois bus ont été transformés en habitations de fortune. Iciet là flottent des drapeaux israéliens, des panneaux solaires ont été installés.
« Cela fait vingt ans que desgroupes essaient de construire ici,rappelle Brian Reeves, porteparole de l’ONG israélienne La Paix maintenant. Givat Eitam va démembrer le sud de la Cisjordanie, entre Bethléem et Hébron. » Il déplie une carte : au nord, Bethléem est limitée par le mur de séparation avec Jérusalem ; les colonies, figurées en rose, grignotent toutesa façade ouest et une partie dusud. A l’est, le désert de Judée estaux portes de la ville. Givat Eitam bloquerait le sud de Bethléem : la ville, qui étouffe déjà, n’aurait plus aucune ouverture pour sedévelopper.
L’annexion va perpétuer etmultiplier ces situations d’enclavement, enterrant tout espoird’un Etat palestinien viable et ac
célérant le « processus d’accaparement des terres », juge Lior Amihai, de l’ONG Yesh Din. Il entrevoit une Cisjordanie traversée deroutes entrelacées au gré des zones annexées, le tout contrôlé parIsraël et parsemé de postesfrontières, ce qui réduira encore davantage la liberté de déplacementdes Palestiniens.
« Ils te nient, toi et ton identité »Le système de routes séparées n’en est qu’une illustration : l’occupation israélienne, telle qu’elleexiste aujourd’hui en Cisjordanie,est « un régime d’apartheid », dénonce l’ONG. Et l’annexion consacrerait le fait qu’« Israël est unEtat d’apartheid », martèle Yesh Din dans un avis juridique de son avocat réputé, Michael Sfard, publié le 9 juillet. « Les discussionsautour de l’annexion ont rendu leschoses claires : le régime veut rester tel qu’il est, il n’est pas question d’améliorer le système, d’abolir les discriminations systématiques », ajoute Lior Amihai.
L’apartheid est un terme que lesPalestiniens utilisent depuis longtemps pour décrire leur sort. Depuis qu’il est enfant, Mahmoud
Zware observe, depuis son village de Beit Rahal, face à Efrat, le « serpent » des colonies se dérouler lentement, forçant bergers et agriculteurs à abandonner leurs terres. « Les Israéliens veulent que nous vivions ainsi : trimer dans les colonies et rentrer chez nous, harassés, avec à peine de quoi survivre », dit le quadragénaire palestinien, fondateur du Comité de résistance populaire, une organisation indépendante qui prône la nonviolence. « Ils ne prennent pas seulement la terre, ils te nient, toi et ton identité », fustige ce docteur ensciences humaines, qui a passé plus de deux ans en détention pour ses activités militantes.
Même en plein centreville deBethléem, depuis la fenêtre de sonbureau, Kamel Hamid a vue sur lesimmeubles du quartier de colonisation de Har Homa, à JérusalemEst. « On a des colonies de tous les côtés », soupire le gouverneur de Bethléem, cheveux blancs et un masque bleu qui lui dévore une partie du visage. « Avant l’annexion, ils parlaient déjà du projet du Grand Jérusalem » pour dessiner une ceinture de colonies dans et autour de la Ville sainte, ditil. Le responsable palestinien est convaincu que l’objectif des Israéliens, à terme, est de « contrôler le tourisme de Bethléem », où se pressent chaque année près de deux millions de touristes.
Après des semaines d’hésitation, les ministres des affairesétrangères de onze pays européens ont demandé, le 10 juillet, àl’Union européenne de faire la liste des sanctions possibles pour dissuader Israël d’annexer. Le gouverneur ne croit pas que cette timide pression internationalesuffise. « La seule chose qui pourrait arrêter le processus, conclutil, ce sont les divisions internes israéliennes. »
clothilde mraffko
Au Mali, le fils du président « IBK » cristallise le mécontentementDes vidéos privées de Karim Keïta ont suscité le scandale, alors que ce maillon du pouvoir est accusé de népotisme
bamako correspondance
L orsque la contestation a débordé en émeute à Bamako,vendredi 10 juillet, les mani
festants se sont attaqués d’abord àl’Assemblée nationale, puis à l’Office de radio et télévision du Mali (ORTM), perçu comme la voix du pouvoir. Un troisième lieu symbolique a aussi fait l’objet de saccages : la permanence politique de Karim Keïta, fils du président Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK ») et député de la deuxième commune dela capitale.
La cible n’est pas anecdotique.Depuis le début du mouvement de protestation engagé par la coalition de partis d’opposition M5, lafigure du fils du président cristallise les critiques de népotisme et de clanisme. « De nombreux Maliens perçoivent l’ombre de Karim flotter audessus de l’Etat, indique Aly Tounkara, directeur du Centre
des études sécuritaires et stratégiques au Sahel. Ses amis se voient confier des postes à haute responsabilité peu liés à leurs compétences, et les négociations dans l’acquisition de contrats publics passent souvent par lui ou ses proches. Celadonne l’impression que le fils dirigele pays derrière le père. »
« Honte » et « démission »Dans ce climat de suspicion, une vidéo postée en juin sur les réseaux sociaux a suscité le scandale. On y voit Karim Keïta tout sourire sur un yacht, dansant avec des femmes dénudées puis se faisant masser sur une plage d’Espagne. Dans un Mali en crise, ces images choquent. En guise de défense, le fils du président assure n’avoir été chargé « ni du menu ni de la liste des invités » de cette cérémonie privée, qui n’a « pas coûté lemoindre centime au contribuable ». Mais le mal est fait. Son vi
sage souriant est désormais exhibé sur des banderoles de manifestants dans sa commune avec les mentions « honte » et « démission ». La presse malienne dépeint un chef de l’Etat ayant contracté la même maladie que l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade : « Le virus Karim ». Une ambition dynastique qui a contribué à la chute politique d’un père et de sonfils – Karim Wade –, condamné pour enrichissement illicite et détournements de fonds.
Karim Keïta, la fraîche quarantaine, est un cosmopolite. Né à Paris, il a passé son bac à l’Athénéeroyal de Waterloo, à Bruxelles, avant d’effectuer des études decommerce à l’Ichec Brussels Management School, puis à HEC Montréal. Il est revenu au pays en 2006. « Karim a toujours voulu le pouvoir. Il a grandi dedans »,confie l’un de ses amis d’enfance. En 2008, Karim Keïta se lance
dans le business, d’abord avec une société de location de voitures puis un cabinet de conseil en entreprises. Mais les affaires ne suffisent pas à satisfaire son ambition. Elu député de la commune II de Bamako en 2013, peu après l’élection de son père, il devient vite l’un de ses plus prochesconseillers. « C’est la première fois au Mali qu’un fils de président s’implique autant en politique, poursuit son ami d’enfance, qui s’est, depuis, rapproché de l’opposition. Cela a tout de suite soulevé des suspicions plus ou moins réelles de trafics d’influence. »
« Un tacticien »Au Mali, en guerre depuis 2012, les affaires militaires sont un sujetclé pour le pouvoir. En 2014, KarimKeïta devient président de la commission défense, sécurité et protection civile de l’Assemblée nationale. « Cette attribution étonne de
nombreux observateurs, avance M. Tounkara. Face à lui, il y avait l’ancien directeur général de la police, dont le CV avait une valeur bien plus grande. »
Devenu un personnage incontournable du pouvoir malien, il reçoit, en 2014, le prix de la figure politique montante décerné par l’African International Business Forum, à la Chambre des lords du Parlement britannique. Des accusations d’influence sur la hiérarchie militaire et sur l’attribution de marchés publics le visent, sans qu’il soit inquiété. « Karim est assez intelligent pour ne signer aucundocument qui puisse l’impliquer dans des affaires, confie un proche. Il place son clan pour se protéger. C’est un tacticien. » La contestation qui embrase aujourd’hui le Mali trouve son étincelle dans les résultats des élections législativesd’avril 2020. Réélu, le fils du président est aussitôt accusé de « tirer
les ficelles » au sein de l’Hémicycle et d’y imposer ses proches.
Sous la pression de la rue, aprèsun weekend sanglant où les forces de l’ordre ont tué douze jeunes,Karim Keïta a annoncé, lundi 13 juillet, sa démission de la présidence de la commission défense, tout en conservant son mandat dedéputé. Le geste n’apaise pas la contestation. « Certains ont fait de ma modeste personne un fonds de commerce politique, d’autres un déversoir de leurs ambitions inassouvies. Rien ne m’aura été épargné », dénoncetil dans un communiqué, incriminant « un délit depatronyme ». Mercredi 15 juillet, le M5 appelait les Maliens à « poursuivre les actions de désobéissance civile » dans tout le pays.
matteo maillard
A Efrat, qui fait partie du bloc de colonies du Goush Etzion, en Cisjordanie occupée, le 10 juillet. TANYA HABJOUQA/NOOR POUR « LE MONDE »
« Les Israéliens veulent que nous
vivions ainsi : trimerdans les colonies
et rentrer chez nous harassés »
MAHMOUD ZWAREPalestinien fondateur du Comité
de résistance populaire
Vallé
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Jérusalem
Bethléem
Hébron
Tel-Aviv
JORDANIEMer Méditerranée
Mer Méditerranée
Jérusalem
Bethléem
HébronGAZA
CISJORDANIE
ISRAËL15 km
Goush Etzion
Barrière de séparationZone sous contrôle israélien
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6 | planète DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
mollanssurouvèze (drôme) envoyé spécial
A cause du sanglier, il nese passe pas une semaine sans que le téléphone de Daniel Cha
nel sonne depuis le début du printemps. Le président de l’association des chasseurs de MollanssurOuvèze (Drôme), petit village de 1 061 habitants au pied du mont Ventoux, le sait : la saison s’annonce chargée pour ses 72 adhérents, régulièrement sollicités pour aller tirer la bête noire. En 2019, les fusils mollanais ont « prélevé » 117 sangliers, un chiffre qui a doublé en cinq ans. Cette saison, ce sera sans doute plus.
« Quand le temps est sec, précisece chasseur et agriculteur, il n’y a plus rien à manger, alors ils descendent de la montagne et font desdégâts sur les cultures. » Ici, c’estun jardin retourné la nuit, là un potager dévasté au petit matin…quand ce n’est pas un verger d’abricotiers ou de pêchers dévorés. Le tout, à quelques centaines de mètres du village, le long de la rivière Ouvèze où Sus scrofa trouve dans les terrains abandonnés par la déprise agricole un repaire idéal pour installer sa bauge.
« Venez voir, c’est ici, au pied dece grand mûrier », indique JeanMichel Tyrand, viticulteur sur 32 hectares en côtesdurhône. A deux cents mètres de sa cave, lessangliers ont trouvé une « souille » bien tranquille, vaste trou d’eau boueux où ils peuvent se débarrasser de leurs parasites et se rafraîchir.
« Deux catégories de chasseurs »A partir du 15 août, le vigneron se plie au même rituel. Il entoure d’un fil électrique une parcelle de cépage viognier, isolée au milieu des bois et entièrement dévastée il y a trois ans, juste avant les vendanges. « Une fois que les sangliersont goûté les raisins mûrs, ils reviennent, précise M. Tyrand. Surtout depuis troisquatre ans, avec la sécheresse, ils cherchent de la nourriture à la fin de l’été. » Comme partout, c’est la Fédération de chasse départementalequi lui a fourni la clôture électrique, à charge pour le viticulteurd’entretenir le dispositif.
Au pied du Ventoux, commedans toute la France, Alain Péréa,député La République en marche de l’Aude et chasseur, n’hésite pas à parler d’un « incendie » qu’il fautdésormais éteindre par tous les moyens. Pour le viceprésident dugroupe Chasse et territoires, la crise du sanglier pourrait bien être fatale à l’organisation de lachasse tricolore.
Les chiffres sont là : en 1973,36 000 sangliers étaient abattus sur l’ensemble du territoire français, contre 747 000 en 2019, soit vingt fois plus. Entretemps, la po
pulation a suivi la même courbe exponentielle pour s’établir à environ 2,5 millions de têtes. Dans de nombreuses régions, les chasseurs sont aujourd’hui débordés. « Tous les départements du Sud sont impactés, déploreWilly Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), mais aussi les grandes plaines de l’Est, du Centre et de l’Ouest de plus en plus. »
A qui la faute ? Les chasseurs sonten première ligne, accusés d’avoir nourri, élevé et parfois même relâché en forêt des animaux destinés à assurer de « belles chasses ». « La situation ne fait qu’empirer, se désole Lydie Deneuville, agricultrice dans la Nièvre et représentante du syndicat Coordination rurale. Je ne blâme personne, mais il y a deuxcatégories de chasseurs : le local, celui du terrain qui est sensibilisé à la situation ; et le notable qui paie très cher et doit avoir du gibier, quelque soit le prix. Il vient le dimanche pour sa chasse, le reste il n’en a rien à faire. »
Pour Alain Péréa, les agriculteurs ont aussi leur part de responsabilité : « L’évolution de l’agriculture est en grande partie responsable de la situation actuelle, analyse ce porteparole des chasseurs. Le petit gibier [autrefoisprisé des chasseurs] a disparu à cause des pratiques agricolescomme le démembrement et l’extension de la monoculture dumaïs. Mais il ne faut pas négliger
que certaines pratiques de chasse ont eu un impact sur le sanglier. »
Au centre des critiques, l’agrainage, qui consiste à répandre dumaïs dans les forêts pour fixerl’animal et l’empêcher d’aller se nourrir dans les champs. La technique est efficace pour limiter lesdégâts au moment des semis oudes récoltes, mais elle se transforme souvent en nourrissage à l’année, une dérive qui alimentele cycle prolifique de la reproduction. L’agrainage a d’ailleurs été interdit en 2019 par la loi créantl’Office français de la biodiversité(OFB) mais il est encore largement utilisé.
« Les causes de populations importantes sont multiples, trancheEric Baubet, expert de l’OFB, maisla principale, est liée à la volontéde l’homme. La machine s’est emballée, la reproduction est trèsperformante chez cette bête. Saprincipale cause de mortalité,c’est la chasse. Il s’adapte à tous
les environnements et il s’accommode de l’espèce humaine. » Sil’invasion n’est pas nouvelledans les campagnes, elle commence à toucher les villes et leszones périurbaines : sur un parking à Montpellier, dans des lotissements près d’Avignon, auxabords des villages…
Dans la vallée de SainteMarguerite, versant sud du mont Ventoux, Régis Bernard, 58 ans, n’enfinit pas de pester. Ses dix hectares de cerises noires, plantés aumilieu de la forêt, sont de plus en plus souvent la cible d’attaques nocturnes. Dernière en date : des « plantiers » de trois ans, jeunes arbres broyés par les laies qui parviennent aussi à saisir sur les arbres adultes des branches en hauteur pour mieux engloutir les fruits mûrs. « Avant, c’était exceptionnel de tirer un sanglier, raconte ce représentant de la FDSEAdu Vaucluse. Puis il y a eu des lâchers en forêt et, aujourd’hui, c’est un peu le chien qui se mord la queue : les chasseurs veulent du gibier et nous, les agriculteurs, on veut moins de dégâts. »
L’arboriculteur a fait ses comptes : les gros gibiers, sangliers et cervidés, lui coûtent 7 000 euros par an, pour 20 kilomètres de clôture électrique, seul remède vraiment efficace. « Le problème, précisetil, ce n’est pas le matériel, mais plutôt l’entretien et le tempspassé à clôturer les parcelles. » Les chasseurs de BeaumontduVen
toux ne sont pourtant pas inactifs, mais, comme partout, cettecommunauté vieillit et diminue régulièrement. De 2,2 millions, dans les années 1970, les chasseurs sont à peine plus de 1 million aujourd’hui. Or la traque aux sangliers est à la fois délicate et addictive.
« Avec le sanglier, les chasseursdeviennent des viandards : ils en veulent toujours plus, ça ne s’arrête jamais. » Le jugement est péremptoire, mais il émane d’un…chasseur. Roland AilloudButhion, surnommé « l’écolo »,69 ans, chasse depuis un demisiècle. Son territoire s’étendaujourd’hui sur l’une des communes du nord du mont Ventoux dans de longues courses à l’approche, dont il revient le plussouvent bredouille car il aime surtout observer les animaux en pleine nature. Bien loin de lachasse à l’affût, où une meutede chiens équipés de colliers GPSrabattent le gibier, assurant auxtireurs postés la garantie d’abattre leur proie sans trop d’efforts.« Certains vont jusqu’à foncer dans leur 4 × 4 d’un point à unautre, ajoute Roland, pour êtresûrs de ne pas les rater, ce qui est totalement interdit. Ce n’est pas dela chasse, c’est du balltrap. »
« La ruralité contre les villes »Autre dilemme qui divise le milieu de la chasse : les consignes de tirs. Fautil viser les laies pleinesou suitées (accompagnées deleurs marcassins) ? Pour de nombreux observateurs, c’est la seule méthode valable pour limiter la surpopulation.
« Personnellement, je ne le faispas, répond le chasseur Daniel Chanel. Je suis fils d’agriculteurs et je ne peux pas tirer sur une laie qui ades petits. » D’autres n’ont pas les mêmes réserves : « Dans le Vaucluse, avec 8 000 à 10 000 prélève
ments par an ces dernières années, on est dans une situation d’équilibre, assure Edmond Rolland, président de la Fédération départementale. Nous faisons confiance aux chasseurs pour assurer la gestion de la chasse sur leur territoire. Et s’il faut éliminer à un moment, alors on élimine. »
L’enjeu de cette querelle éthiquerepose sur le rôle assigné aux chasseurs : doiventils être les régulateurs de la faune sauvage ? N’estce pas à l’Etat d’assurer cettefonction ? Ou bien aux loups,comme le plaident les écologistes,l’un des rares prédateurs naturels du sanglier ? « Le loup se fera un plaisir de manger des petits sangliers, mais pas les gros qui représentent un danger, rectifie Eric Baubet de l’OFB. Si on regarde en Italie ou en Pologne, pays où il y a du loup, ils ont aussi des problèmes de sangliers. » Pour les chasseurs, l’installation de Canis lupusdans le massif du Ventoux – deux ou trois meutes y sont recensées –aurait même tendance à repousser les gros gibiers vers les plainesde la vallée du Rhône.
Moins de chasseurs, plus de sangliers et de dégâts sur les cultures :faute de consensus et de dialogue entre les protagonistes, cette crisesemble insoluble. « Le sangliermet en évidence plusieurs lignes defractures dans la société, analyseEric Baubet. La ruralité contre lesvilles, les naturalistes contre les chasseurs, les chasseurs contre lesagriculteurs… et bien souvent, dans les réunions, c’est celui quicrie le plus fort qui finit par l’emporter. » Le réchauffement climatique pourrait aussi accélérer l’urgence du problème.
Une récente étude, publiée dansla revue Ecological applications et menée par Laura Touzot, biologiste rattachée au Laboratoire de biométrie et biologie évolutivedu CNRS, établit un lien entre lahausse des températures et laprolifération des sangliers : « Le scénario le plus probable est quele réchauffement climatique entraîne un accroissement de la population grâce à une augmentation de la quantité de glands en forêts. En effet, plus cette ressourceest abondante, plus les femelles se reproduisent. D’après nos simulations, cela pourrait conduire à unemballement de la démographie. »Les chasseurs sont prévenus :après avoir été leur meilleur allié, le sanglier pourrait devenir leur pire ennemi.
david servenay
Près de MollanssurOuvèze (Drôme), le 2 juillet. ARNOLD JEROCKI/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
« Une fois que lessangliers ont goûté
les raisins mûrs, ils reviennent... Surtout depuis trois ou quatre
ans, avec la sécheresse »
JEAN-MICHEL TYRAND viticulteur en côtes-du-rhône
le sanglier vatil finir par avoir lapeau des chasseurs français, en tout cas d’un point de vue financier ? Depuis 1968, les fédérations départementales de chasse indemnisent les agriculteurs victimes dedégâts commis par le grand gibier. Une facture qui ne cesse de grimper d’année en année, dépassant parfois le million d’eurosdans les départements les plus touchés. Certaines fédérations seraient aujourd’hui au bord de la faillite financière : dans la Nièvre, les chasseurs ont contracté un prêt bancaire de 600 000 euros pour régler la note ; dans les Landes, c’est une subvention de 500 000 euros du conseil départemental qui a évité la banqueroute.
Ce qui a poussé la Fédération nationaledes chasseurs (FNC) à entreprendre unevaste opération de lobbying pour partager ce fardeau devenu trop lourd : 80 millionsd’euros en 2019, si l’on inclut les mesures de protection (clôtures électriques) offertes aux agriculteurs. Les chasseurs estiment qu’ils n’ont pas à assumer seuls, dans
la mesure où 30 % du territoire seraient peu ou pas chassés du tout. Qui doit payer ?Tous les propriétaires terriens, qu’ils soient publics ou privés, y compris les « objecteurs cynégétiques » qui refusent la chasse sur leurs terres ? Les agriculteurs peu vigilants à protéger leur culture ? Ou encore l’Etat, qui délègue de plus en plus larégulation aux chasseurs, pour compléterl’action des lieutenants de louveterie, chargés des battues administratives ?
« Un sujet politique et sociétal sensible »La réforme initiée depuis le début de l’année par la création de l’Office français de la biodiversité (OFB) prévoit la mise en placed’une taxe territoriale payée par les chasseurs où les zones chassées les moins bien gérées paieront pour les autres. Mais cesystème est loin de faire l’unanimité chezles chasseurs. Les associations locales pointent le risque de voir les territoires, trop taxés à cause de la prolifération de sangliers, abandonnés par leurs adhérents.
Là où il en coûtait une centaine d’euros paran, le droit de chasser le gros gibier pourrait être multiplié par deux ou trois. Quantà l’Etat, il ne veut pas prendre en charge desprocédures à la fois lourdes et coûteusesd’un point de vue administratif.
Puissamment organisée, la FNC a failliréussir à introduire dans le dernier collectif budgétaire 2020 une taxe s’appliquant à tous les territoires, consacrant le principe du nonchasseur/payeur. Mais l’amendement, coprésenté par une vingtaine de députés de tout bord, n’a pas été soutenu par le gouvernement. Les syndicats agricoles y sont opposés : « Les chasseurs ont la responsabilité de la régulation, pointe Florent Leprêtre, de la FNSEA, c’est irresponsable de dire “il faut que les autres paient” ! » « C’est unsujet sensible, souligne un fin connaisseur du dossier, mais il faut que le débat ait lieu,car il est autant politique que sociétal et il ne peut se résoudre uniquement par le vote d’unamendement budgétaire. »
d. se.
Un fardeau financier que les fédérations veulent partager
La prolifération des sangliers hors de contrôleLa population s’établit à 2,5 millions de têtes et cause d’importants dégâts. Les chasseurs sont débordés
« Certains foncentdans leur 4 × 4 pourêtre sûrs de ne pas
les rater. Ce n’estpas de la chasse,
c’est du ball-trap »ROLAND AILLOUD-BUTHION
chasseur de 69 ans
LES CHIFFRES
747 367C’est le nombre de sangliers abattus pendant la saison2018-2019, ce qui en fait legibier le plus chassé en France, loin devant le chevreuil et le cerf. D’après les spécialistes del’Office français de la biodiver-sité (OFB), ces prélèvementspermettent d’évaluer à environ 2,5 millions d’individus la popu-lation de Sus scrofa présentesur le territoire français, maisils sont insuffisants à jugulerla croissance continue del’espèce depuis quarante ans.
1 MILLIONC’est le nombre de personnes pratiquant la chasse aujourd’hui en France.Si les chasseurs apparaissent comme les principaux régula-teurs de l’espèce, ils sont de moins en moins nombreux, puisque, sur une quarantaine d’années, leur nombre afortement diminué. Seulement10 % exercent la profession d’agriculteurs.
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 FRANCE | 7
Social : l’opération déminage de Jean CastexLe premier ministre a annoncé, vendredi, le report des réformes de l’assurancechômage et des retraites
J ean Castex soigne sa cote depopularité chez les syndicatset le patronat. Lors d’unerencontre, vendredi 17 juillet, à l’Hôtel Matignon, le
premier ministre leur a donné satisfaction sur deux dossiers majeurs : les retraites et l’assurancechômage. Les partenaires sociauxétaient contre l’idée de se pencher, cet été, sur le déficit des régimes de pensions ? Qu’à cela ne tienne, a tranché le chef du gouvernement, le sujet sera abordé plus tard – au dernier trimestre 2020. Les organisations de salariés jugeaient injuste et inadapté le nouveau dispositif d’indemnisation des demandeurs d’emploi ? Message bien reçu, a répondu le successeur d’Edouard Philippe : son entrée en application va être différée à 2021.
Ces deux décisions témoignentd’un état d’esprit qui a été saluépar les interlocuteurs de M. Castex, à l’issue de la réunion. Laurent Berger, le leader de la CFDT, ya vu la preuve que le premier ministre croit, avec « sincérité », dansles vertus du « dialogue social ». « Changement de ton », a constaté,de son côté, Yves Veyrier, le secrétaire général de FO. « Je suis assez positif dans mon appréciation », confie François Hommeril, ce qui mérite d’être relevé, car le président de la CFECGC exprime souvent des critiques âpres à l’égard du pouvoir en place. A ses yeux, le chef du gouvernement faitpreuve d’un « pragmatisme »bienvenu en laissant aux acteurs sociaux « un peu de temps pour réfléchir » : « J’aime bien cette méthodelà. » Laurent Munerot, le nouveau dirigeant de l’Union des entreprises de proximité (U2P), s’est également réjoui de « l’écoute » dont lui et ses homologues ont bénéficié, vendredi.
Les « douze travaux d’Hercule »A maintes reprises depuis début juillet, les responsables syndicaux et patronaux avaient mis en garde l’exécutif. Pour eux, la volonté récemment exprimée par Emmanuel Macron de s’attaquer, dès cet été, aux problèmes financiers des caisses de retraite était inopportune. « On ne va pas se remettre à se foutre sur la gueule sur[cette] question », avait lancé M. Berger, en faisant allusion à la longue grève dans les transports, fin 2019, début 2020, contre le projet d’un système universel depensions. Le sujet, hautement inflammable, est donc repoussé, afin de se concentrer sur la priorité du moment : la lutte « contrela crise » et la relance de la « croissance économique », comme l’a indiqué, vendredi, M. Castex.
Celuici montre ainsi qu’il est,pour le moment, à la hauteur desa réputation : celle d’un hommequi respecte et prend en considé
ration les corps intermédiaires. « Nous tiendrons le plus grand compte de leurs propositions », atil déclaré, vendredi, face aux journalistes dans la cour del’hôtel Matignon.
Quelques heures plus tard, surFrance 2, il a souligné combien il était « important » de rechercherle « maximum d’unité » lorsque « des problèmes graves s’imposentà nous ». « Nous ne serons pas toujours d’accord », atil ajouté, mais le premier ministre veut visiblement entretenir des échangessoutenus avec les représentants des employeurs et des salariés.
La liste des thèmes sur lesquelsles concertations vont se poursuivre, à court ou moyen terme,est aussi longue qu’un jour sanspain : adaptation du système deprotection sociale, avec la création d’une nouvelle branche – ausein de la « Sécu » – consacrée àl’autonomie ; résorption graduelle du nombre de travailleurs
détachés ; élaboration de mesures dans le prolongement de laconvention citoyenne sur le climat ; « partage de la valeur » – ce qui implique, entre autres, la promotion de l’intéressement etde la participation dans les entreprises ; instauration de nouveaux droits pour les travailleursdes platesformes numériques… « Il y a beaucoup, beaucoup dechoses sur la table, peutêtre unpeu trop », a estimé, vendredi,Geoffroy Roux de Bézieux, lenuméro un du Medef, en comparant aux « douze travaux d’Hercule » les chantiers qui devrontêtre achevés « presque tous avantla fin de l’année ».
« Dette Covid »D’ici là, une première série de dispositions en faveur de l’emploides jeunes doit être rendue publique dans les tout prochains jours.M. Macron en avait esquissé lesgrandes lignes, lors de son entretien télévisé du 14Juillet. Le chefde l’Etat avait notamment évoqué un allégement du coût du travail, par le biais d’une nouvelle exonération de cotisations jusqu’à 1,6 smic. Mais une autre option pourrait finalement être retenue, consistant à octroyer une prime à l’embauche.
« Nous n’avons toujours pascompris quel était le choix du gouvernement », rapporte Eric Chevée, viceprésident de la Confédération des petites et moyennesentreprises. Plusieurs organisations patronales, dont le Medef,
espèrent que l’aide sera attribuée pour des jeunes percevant unerémunération supérieure à1,6 smic. Sinon, s’inquiètentelles,ceux qui ont des niveaux de diplôme élevés – donc de bons salai
res – seront exclus du dispositif. Petit à petit, l’agenda social prend tournure. Il se révèle très dense, tout en accordant plus de temps aux protagonistes pour les thèmes qui fâchent. S’agissant des re
traites, M. Castex a confirmé que ce dossier va être scindé en deux. Le déficit du système de pensions,qui pourrait atteindre près de 30 milliards d’euros en 2020, sera traité à partir de cet automnedans le cadre d’une réflexiond’ensemble sur les comptes de laprotection sociale.
L’exécutif souhaite faire le distinguo entre les besoins de financement liés à des causesstructurelles et le « trou » creusépar la récession, le but étant sansdoute d’isoler la « dette Covid » dans une structure spécifique pour qu’elle soit remboursée àmoyen et long terme grâce à desressources dédiées.
Quant au régime universel parpoints, son contenu sera à nouveau débattu « dans les mois à venir », a dit M. Castex, sans plus deprécisions – ce qui pourrait signifier fin 2020 ou début 2021.
L’opération déminage est doncengagée. Préfiguretelle l’enterrement de deux projets majeurs– sur les retraites et sur l’indemnisation des demandeurs d’emploi ? Le premier est « maintenu » et l’autre sera « mené à terme », a martelé, vendredi, M. Castex,comme pour couper court aux soupçons d’un renoncement.Sous le sceau du off, un leader syndical prend néanmoins lesparis : « Je pense qu’en janvier 2021,ils repousseront encore la réforme de l’assurancechômage. Idem pour les retraites. »
bertrand bissuel
Les ministres du travail et de la transition écologique, Elisabeth Borne et Barbara Pompili, et Jean Castex, premier ministre, lors de la conférence sociale, à Matignon, vendredi 17 juillet. BERTRAND GUAY/AFP
mise en place à partir de 2019, laréforme de l’assurancechômagea, dès le départ, été très critiquéepar les syndicats. Et ce, car plusieurs des dispositions prises durcissent l’accès au régime et sontsusceptibles de réduire le montant de l’allocation pour des centaines de milliers de personnes. Leur entrée en application va être décalée, comme l’a annoncé, vendredi 17 juillet, Jean Castex, sans donner plus d’indications. Le flousubsiste encore un peu sur des aspects concrets de cette décision.
Sont repoussées au 1er janvier 2021 trois mesures, si l’on en croit les explications livrées par Elisabeth Borne, la ministre du travail, dans un entretien auParisien de samedi, et par son entourage. Parmi elles, il y a les nouvelles modalités de calcul de
la prestation, qui sont désavantageuses pour les salariés enchaînant contrats courts et périodes d’inactivité. Autre règle reportée à début 2021 : celle instaurant la dégressivité de l’indemnisation à partir du septième mois pour ceux qui avaient une rémunération élevée quand ils occupaientun emploi (au moins 4 500 euros brut par mois).
« Période de référence »Enfin, les conditions d’éligibilité au régime subissent le même sort : depuis le 1er novembre 2019, pour pouvoir être couvert par l’assurancechômage, il faut avoirtravaillé six mois sur une « période de référence » de vingtquatre mois et non plus quatre mois sur vingthuit ; cette règlelà va être provisoirement mise de côté.
Qu’en estil de la durée de cotisation requise pour recharger les droits à indemnisation, qui avait été accrue ? L’incertitude prévalait encore, samedi matin.
Quant au bonusmalus, quimodule les cotisations patronales en fonction du nombre de contrats de travail ayant pris fin, il devrait être décalé de six mois,pour glisser du 1er mars au1er septembre 2021. Certaines des mesures contenues dans la réforme, qui s’avèrent favorablesaux demandeurs d’emploi, devraient être maintenues. Ainsi en iraitil de l’allocation instaurée pour les indépendants et dudroit à indemnisation créé pour les salariés qui démissionnentde leur poste en vue d’un projetprofessionnel.
b. bi.
Assurance-chômage : le flou persiste
La liste des thèmes sur lesquels les
concertations se poursuivront,
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8 | france DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
Les défis de Rubirola pour « raccommoder Marseille »La nouvelle maire écologiste hérite d’une ville dans laquelle plus d’un quart des habitants vit sous le seuil de pauvreté
marseille correspondant
F aire de Marseille une ville« plus verte, plus juste, plusdémocratique » et « réduire la fracture territo
riale » entre les quartiers nord et lereste des secteurs. Dans son premier discours de maire prononcé le 4 juillet, Michèle Rubirola a affiché son ambition pour les six années de mandat du Printemps marseillais. « Nous allons démontrer qu’il n’y a dans cette ville aucune fatalité », promet l’élueécologiste, portée au pouvoir à la tête de cette coalition de gauche etcitoyenne. Médecin pour l’Assurancemaladie, exerçant dans le
quartier populaire de la Rose, la nouvelle maire de Marseille, 63 ans, connaît parfaitement les difficultés des populations précaires de la ville. Elle sait aussi qu’ellehérite d’une ville lourdement endettée – 1,7 milliard en 2018 – dontla gestion a été critiquée par unrécent rapport de la chambre régionale des comptes.
Le maire sortant, JeanClaudeGaudin (Les Républicains), s’en défend toujours avec force, mais ses choix politiques, en vingtcinq années de pouvoir, ont creusé les inégalités. Les écolesprimaires s’avèrent plus dégradées dans le nord que dans le sud. Plus d’un quart de la population,
concentrée géographiquement au centre et dans les quartiers nord, vit sous le seuil de pauvreté.
La crise du logement indigne, révélée par la catastrophe de la rue d’Aubagne et ses 8 morts, le 5 novembre 2018, a démontré les responsabilités politiques dans l’état d’urgence d’une partie du parc immobilier. La pandémie de Covid19 a rendu cette fracture entreles deux Marseille encore plus lisible, poussant associations et bénévoles à multiplier les initiativespour soutenir les plus démunis.
Le Printemps marseillais a puiséune partie de son dynamisme dans les luttes citoyennes menéescontre le logement indigne et le
délabrement des écoles municipales. Mais sa promesse de « raccommoder Marseille » ne lui a pas apporté mécaniquement le vote des populations précaires. Les électeurs de Michèle Rubirola setrouvent majoritairement au centre et au sud de la ville.
Doubler l’offre de transportsLes deux secteurs du nord les plustouchés par la fracture territorialeont choisi d’autres candidats. Le général de gendarmerie David Galtier, à la tête d’une liste LR, vainqueur du Rassemblement national dans le 7e secteur. Et l’exPS Samia Ghali dans le 8e secteur, où le Printemps marseillais échoue
de 400 voix. L’alliance avec la sénatrice, qui se pose en porteparole des quartiers nord de Marseille, est venue offrir une majorité de conseillers municipaux au Printemps marseillais le 4 juillet. Mais elle renforce aussi sa légitimité dans ces arrondissements où l’abstention dépasse 70 %.
Dans ses cent premiers jours demandat, le nouveau pouvoir marseillais entend lancer plusieurs actions symboliques comme son plan de rénovation des écoles à unmilliard d’euros, l’augmentation de la fréquence des bus, métros et tramways, ou la création de « logements tiroirs » destinés aux délogés. Sur six ans, le programme
prévoit de doubler l’offre de transports publics, en prolongeant les lignes actuelles notamment vers le nord, et le rééquilibrage territorial des logements sociaux.
Pour mener à bien ces mesures,la municipalité demande une « aide exceptionnelle » de l’Etat, mais devra surtout composer avec la Métropole AixMarseilleProvence, au budget de 4,7 milliards d’euros et qui possède les compétences en matière de transports, notamment. Une Métropole qui a réélu le 9 juillet à sa présidence Martine Vassal, la candidate LR battue dans les urnes par le Printemps marseillais.
gilles rof
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Parc national des CalanquesLes BaumettesLes Baumettes
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Zones urbainessensibles
Habitat anciendégradé
Evacuationsd’immeubles(nov. 2018-oct. 2019)
Rue d’Aubagne
L’enjeu du logement
L’objectif du désenclavement
Métro et tramway
Axes de circulationcoupant le territoire,enclavant les quartiers nord
Installations portuaireslimitant l’accès à la mer
Massifs provençauxCalanques, collines escarpées, garrigues et forêts de pins
Limites de la ville
Arrondissements
Les fractures marseillaises
0 5 KM
Présidente de la métropole : Martine Vassal
Gauche (90 sièges)Sans nuance et divers(23 sièges)Centre (13 sièges)Droite (106 sièges)Extrême droite (8 sièges)
1 391millionsd’euros
3 264millionsd’eurosMarseille
Métropole Aix-Marseille-
Provence
ListeSamia Ghali
Printemps marseillais(Michèle Rubirola)
LR (Martine Vassal)
LR dissident
Liste arrivée en tête
83 60 45 35 10
Désistementdu Printemps
marseillaispour faire
barrage au RN
Pourcentage des votesexprimés pour la listeMichèle Rubirola
Revenu médian disponibleen 2015, en euros
Moins de 15 000
De 15 000 à 20 000
Plus de 20 000
Des scores élevés pour le Printemps marseillais dans le centreSecond tour des élections municipales
Une ville de gauche dans une métropole de droiteCouleur politique de la métropole
Budget de la villede Marseille
Budgetde la métropole
Des �nances locales dégradéesClassement de la performance �nancière des 236 villes de plus de 30 000 habitants, en 2014
* Ces dépenses comprennent notamment l’améliora-tion de la cohésion sociale, la lutte contre l’exclusion, les subventions versées aux centres d’action sociale et le soutien à la vie sociale et associative.
Un sous-investissement dans l’éducationDépenses pour l’enfance et l’éducation, par habitant de moins de 15 ans (2018)
Nombre de places en crèche pour 100 000 hab. (2018)
Des infrastructures insu�isantesKilomètres cumulés de métro et de tramway
Un Marseillais sur quatre vit sous le seuil de pauvreté Taux de pauvreté, 60 % du revenu médian (2016)(soit 1026 € pour une personne seule)
Budget consacré à la solidarité par habitant (2018)*
54 des 444 écoles de Marseille sont identi�ées comme étant dégradées. La majorité d’entre elles se situent dans les quartiers du nord et du centre (sept dans le 14e, dix dans le 15e et neuf dans le 3e)
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Bonne Mauvaise
Infographie Le Monde : Mathilde Costil, Delphine Papin et Victor Simonnet
Fond de carte municipale : C. Colange, L. Beauguitte et S. Freire-Diaz, 2013, base de données socio-électorales Cartelec
Sources : Chambre régionale des comptes 2019 ; ministère de l’intérieur ; Municipales 2020, Institut Montaigne ; Villes de gauche, villes de droite, trajectoires politiques des municipalités françaises de 1983 à 2014, R. Nadeau et al., Presses de Sciences Po, 2018 ; Travail sur les évacuations d’E. Dorier et J. Dario (université de Marseille) ; Agence nationale de la cohésion des territoires ; Insee
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 france | 9
Pour le politiste JeanYves Dormagen, le second tour du 28 juin a constitué un « collapse démocratique »
ENTRETIEN
J eanYves Dormagen estprofesseur de sciences politiques à l’université deMontpellier et coauteur deLa Démocratie de l’absten
tion (Gallimard, 2007). Il a aussi été directeur de campagne de Clothilde Ollier, candidate écologiste dissidente à Montpellier.
Les municipales ont connu une abstention massive. Qu’estce qui explique ce phénomène pour une élection jusqu’alors plutôt épargnée ?
Même si on observe une augmentation régulière de l’abstention depuis le début des années 1980, ce scrutin local étaitjusqu’alors moins touché. Il y aencore quelques années, il était inimaginable d’atteindre 60 % d’abstention aux municipales. Si on ajoute le nombre de noninscrits, ce sont près des trois quarts des citoyens qui ne sont pas allés voter. On est proche d’un collapse[affaissement] démocratique. Ces municipales ont été une électionsans le peuple. Il y a certainementeu un effet épidémie chez les plusde 60 ans qui, d’habitude, sont fortement participationnistes.Mais il s’agit d’un facteur secondaire : le niveau d’abstention étaitdéjà à ce niveau lors du second tour des législatives en 2017.
Comment expliquezvous alors cette tendance de fond ?
Elle est multifactorielle et nepeut se résumer à l’expression de la colère ou de la défiance. On sousestime toujours le relatif désintérêt d’une grande partie de la population pour la politique. Ilest particulièrement élevé dans les milieux populaires et chez les jeunes. Ce sont les inégalités sociales de politisation qui expliquent les différences de participation électorale que l’on observe à chaque élection. Cette dépolitisation ne peut être compensée que par des campagnes de haute intensité et une forte médiatisation. Or ce scrutin a probablement été l’un des moins médiatisés de toute l’histoire électorale. Les médias mainstream, tout spécialement les grandes chaînes généralistes, en ont très peu parlé.
Ensuite, il faut se rappeler quece qui fait voter les électeurs, c’est l’existence de clivages forts.Quand on regarde de près ce quis’est passé au niveau local, on voitque tous les candidats défendaient des programmes assez similaires. Jamais sans doute l’offre électorale n’a été aussi peu clivante.
Les sondages assurent pourtant que le maire garde une image positive dans l’opinion. Ils se trompent ?
C’est vrai que dans le rejet dupersonnel politique, le maire est partiellement épargné. Mais cesélections ont aussi montré que la tendance dégagiste opère au niveau local. Il est devenu beaucoupplus difficile pour un sortant d’être réélu. La tendance au rejet des partis traditionnels s’est traduite, par ailleurs, par un nombreimportant de candidats présentés comme « divers » ou menant des coalitions complexes dans lesquelles les étiquettes partisa
nes sont peu mises en avant.Même dans les villes de plus de 30 000 habitants, on a de moins en moins de têtes de liste avec deslabels partisans nationaux. Cette tendance a contribué à la « vague verte », qui s’est exprimée essentiellement dans les grandes métropoles : les candidats écologistes n’étaient pas perçus comme des professionnels de la politique mais comme « issus de la sociétécivile » et incarnaient une formede renouvellement.
De nouvelles catégories d’abstentionnistes sontelles apparues dans ces élections ?
Toutes les couches de la population sont touchées par l’abstention, y compris les plus diplômés et les seniors. Ceux qu’on appelleles « électeurs constants » – quivotent à tous les scrutins, quellesque soient les circonstances – représentent moins d’un tiers desélecteurs. Mais le phénomène continue à obéir à des facteurs sociologiques lourds : plus vousêtes jeune, moins vous êtes diplômé et plus vous êtes en situation de précarité sociale et plus leschances que vous ne votiez pas sont élevées. Et inversement.
Quand on regarde la participation dans les métropoles, on observe un écart d’un à deux entre les bureaux de vote populaires et ceux plus bourgeois, de centreville ou des quartiers pavillonnaires. La sociologie de l’abstentionreste donc globalement confirmée. Certes, des catégories socia
les qui étaient très votantes sont désormais, elles aussi, touchées mais dans une moindre mesure.
Dans cette défiance généralisée, le sentiment de ne pas avoir été protégé durant la crise sanitaire atil joué ?
On n’a pas encore d’étude quipermette de répondre à cela. Cequi est, en revanche, frappantdans ce scrutin, c’est le désajustement de l’offre électorale observée entre l’échelon national et l’échelon municipal. Quand on regarde les intentions de vote à la présidentielle, avec toutes les précautions nécessaires car on est encore à deux ans de l’échéance, ily a peu de correspondance avecl’offre proposée aux électeurs le28 juin. La République en marche [LRM] et le Rassemblement national, qui sont de loin les deux forces principales dans les intentions de vote, étaient très faiblement représentés, ou alors enposition subalterne.
Ces élections étaient d’ailleursdifficilement lisibles : lors desscrutins des années 19701980, on avait deux blocs qui s’opposaient sur des clivages forts et s’appuyaient sur des sociologies contrastées, avec une gauche représentant les classes populaires, et une droite portée par lesclasses moyennes et supérieures. Lors de ces municipales, même le vote sanction, qui est un moteurtraditionnel de la mobilisationélectorale, était difficilement opérationnel. LRM ne gouverne pas de mairies, a une faible implantation locale et était dans unelogique d’alliance à géométrie variable. Cela a brouillé encore un peu plus les enjeux et contribuéau record d’abstention.
Cette désaffection menacetelle aussi l’élection présidentielle de 2022 ?
Pas forcément, car l’abstentionactuelle ne traduit pas un rejet définitif de la pratique électorale ou un détachement des institutions. Des phases de démobilisation peuvent être suivies de moments
de remobilisation, cela dépend del’offre politique. Souvenezvousque le 21 avril 2002 [premier tourde la présidentielle], on a eu un record d’abstention et cinq ans plustard, on a assisté au record de participation de toute l’histoire du suffrage universel. Le scrutin de 2007 a été d’une intensité considérable parce qu’il a été puissam
ment médiatisé, mais aussi et surtout parce qu’il avait comme protagoniste un candidat particulièrement clivant, Nicolas Sarkozy, qui incarnait à la fois l’espoir de changement, voire de rupture, à droite et un rejet puissant à gauche. La présidentielle est, pour l’instant, la dernièreélection qui mobilise le peuple.
D’ailleurs, des niveaux d’abstention de 60 % aux législatives ouaux municipales contribuent àencore plus présidentialiser le régime : le président de la République devient le dernier élu quipuisse se prévaloir d’une réelle légitimité populaire.
Les partis politiques prennentils au sérieux cette crise démocratique ?
Ils s’en accommodent assez largement car, un peu comme aux EtatsUnis, c’est dans ce contextede démobilisation qu’ils gagnent les élections. Ontils vraiment un intérêt fort à changer les règles dujeu ? Presque tous les maires de grande métropole ont été investispar moins de 10 % de la population. Ils sont élus sans le peuple. Cela devrait poser une questionde légitimité fondamentale. Maismalgré cela, les principales forces politiques n’ouvrent même pas un débat sur le vote obligatoire.On pourrait aussi penser à des dispositifs de simplification du vote. L’obligation d’une démarche physique est un frein majeur. Une desraisons pour laquelle la jeunessene participe pas, c’est que près dela moitié des moins de 30 ans ne sont pas inscrits sur les lieux où ils étudient et où ils résident. Nous avons des procédures lourdes, héritées du XIXe siècle, alors qu’on pourrait, par exemple, imaginer une carte électorale électronique qui permette de voter quel que soit le lieu où on se trouve.
propos recueillis parsylvia zappi
Lors du second tour des élections municipales, à Toulouse, le 28 juin. VINCENT NGUYEN/RIVA PRESS POUR « LE MONDE »
« Lors de ces municipales,
même le vote sanction, qui
est un moteur dela mobilisationélectorale, était
difficilement opérationnel »
MUNICIPALESMétropole de Grenoble : le candidat d’Eric Piolle battuLe maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle, a échoué vendredi 17 juillet à imposer son candidat à la tête de la métropole, qui reste dirigée pour six années supplémentaires par Christophe Ferrari (exPS), réélu au troisième tour. – (AFP.)
RELIGIONLoi sur le séparatisme : un texte à la rentréeDans un entretien à La Voix du Nord paru samedi 18 juillet, le ministre de l’intérieur,Gérald Darmanin, précise que le futur projet de loi contre le séparatisme sera présenté à la rentrée et fera office de remède contre les maux censés rendre « malade » le pays.
RECTIFICATIFContrairement à ce quenous avons indiqué dans l’article sur les fraudesau chômage partiel paru dans Le Monde du 1415 juillet, Hervé Guichaoua est un ancien haut cadre du ministère du travail,mais il n’a pas été affecté à la direction générale du travail.
« Les municipales ont été une élection sans le peuple »
UNE VIE, UNE ŒUVRE
ÉmileZolaL’indigné
Vu par Clemenceau, Jaurès, Aragon, Mendès-France, Taubira...
Célèbre pour son «J’accuse ! », dans lequel ilprit la défense du capitaine Dreyfus injustementcondamné pour haute trahison, Emile Zola futun inlassable combattant pour la justice et lavérité. Mais il est aussi un immense écrivain,qui, dans ses romans, lyriques et symphoniques(Germinal , L’Assommoir, Nana , La Bêtehumaine…), sut représenter la vie moderne. LeMonde vous propose de découvrir ce «fiertalent » cher à Flaubert.
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ÉMILE ZOLA
10 | france DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
L’afflux de bacheliers met les universités sous pressionLe taux record de réussite au bac complique l’attribution des places dans l’enseignement supérieur. Plus de 52 000 bacheliers restent sans proposition sur Parcoursup à la mijuillet, contre 32 000 en 2019
U n nombre de bacheliers record, des lycéens plus nombreuxsur la ligne de départ,
des règles sanitaires face à l’épidémie de Covid19 encore incertaines… Voilà les ingrédients avec lesquels l’université doit composer, pour préparer une rentrée qui s’annonce périlleuse. Les résultats de la plateforme d’admissiondans l’enseignement supérieur Parcoursup, qui a clôturé sa phase principale vendredi 17 juillet, sont venus le confirmer. Avec une question : comment trouver de la place pour tous ces jeunes ?
Au 17 juillet, ils sont près de585 000 bacheliers à avoir obtenu une proposition d’admission dans une formation – soit 88,2 % des inscrits. Une proportion similaire à celle de 2019, saluée par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Il n’empêche, d’autres voyants sont aurouge. D’après nos calculs issusdu tableau de bord quotidien publié sur Parcoursup, 91 300 bacheliers et étudiants en réorientation restent sans proposition,contre 58 700 à cette même période l’an dernier. Une pressionqui se concentre parmi les bacheliers : ils sont 52 400 sans proposition, contre 32 700 en juillet 2019.
Parmi eux, 9 500 ont requisl’aide d’une commission rectoralepour trouver une place, contre 6 400 en 2019. C’est sur ce chiffre que communique aujourd’hui laministre de l’enseignement supérieur. « Depuis le 8 juillet, nous appelons tous ceux qui n’ont pas de proposition », atelle expliqué sur Franceinfo le 17 juillet. Quelque 7 500 formations disposent encore de places vacantes sur Parcoursup. « Il y aura une solution pour chacun d’entre eux, a promisMme Vidal. Que chacun ait une place à la rentrée, c’est l’ambitionde tout le gouvernement (…) dans cette année très compliquée. »
Le défi est de taille, car l’affluxapparaît historique. Il y a d’abord une hausse démographique :20 000 lycéens de terminale sup
plémentaires ont confirmé, au printemps, des vœux d’orientation sur Parcoursup – pour moitié issus de la voie professionnelle. Voilà pour la partie prévisible de l’équation. Ce que nul n’a anticipé, c’est un taux de réussite inédit au baccalauréat, bousculé par la crise sanitaire. Quasiment 96 % des candidats ont en effet obtenu ce sésame vers le supérieur, sans passer d’épreuves terminales mais sur la seule foi des notes de l’annéescolaire écoulée, soit 48 000 bacheliers de plus. Si tous ne frappent pas aux portes des universités, ce sera le cas d’une partie d’entre eux. D’autant plus avec la crise économique qui s’annonce, rendant difficile une entrée immédiate sur le marché du travail.
Dès le 8 juillet, au lendemain despremiers résultats du bac, la Conférence des présidents d’université (CPU) a appelé à une « mobilisation générale ». « Jamais de tels chiffres n’avaient été atteints, a souligné l’instance. Ce taux deréussite et le volume de futurs étudiants qu’il implique sont un défi pour l’ensemble du système français d’enseignement supérieur. »Celuici « n’est pas prêt à accueillircet afflux soudain d’étudiants ».
Depuis dix jours se joue danstoutes les académies une négociation complexe. Un « travail de dentelle qui implique la totalité des acteurs de l’enseignement supérieur », souligneton dans l’entourage de Mme Vidal. Quelque 3 000 places supplémentaires ontété créés en BTS, d’après le ministère, qui s’était préparé à un afflux de bacheliers professionnels. On
cherche aussi à pousser les murs dans les filières sanitaires et sociales, ou encore paramédicales, très demandées. Le gros des troupes vaaussi se diriger vers l’université. Ils’agit en grande partie de bacheliers généraux qui sont sortis gagnants de la session 2020 du bac. Déjà sommés d’accueillir leur part d’étudiants supplémentaires, les présidents d’université témoignent d’un « marchandage compliqué ». « Je ne sais pas encore combien je pourrai en prendre », explique Guillaume Gellé, président de l’université de Reims. Dans son académie, quelque 400 bacheliers en plus doivent pouvoir être « absorbés », ditil : environ 150 titulaires d’un bac général, 250 d’un bac technologique. « J’aurai de la place pour une partie d’entre eux, en sciences ou en lettres, ces filières qui ne sont pas en tension, racontetil. Encore faudraitil que cela corresponde à leurssouhaits… C’est cette adéquationlàqui rend l’exercice compliqué. »
« Cercle vicieux »Même ressenti pour Eric Berton, président de l’université AixMarseille : « Ces nouveaux entrants ontles mêmes envies que leurs camarades, ils se ruent vers les Staps[sciences et techniques des activités physiques et sportives] et le droit. Sans parler de l’engouement pour les études de santé tout juste réformées. » Il y aurait 4 000 à 5 000 bacheliers supplémentaires à accueillir dans son académie.« Les capacités d’accueil se sontremplies beaucoup plus vite que d’ordinaire, elles ont été plus rapidement saturées, témoigne pour sa part Lynne Franjié, viceprésidente formation à l’université de Lille. On a déjà augmenté d’une centaine de places nos capacités d’accueil en santé par exemple. Impossible d’aller audelà. »
Où accueillir les nouveaux venus ? La question n’est pas nouvelle pour les facs. Ce sont elles quidoivent absorber une grande partie du boom des effectifs qui arrivent dans l’enseignement supé
rieur depuis bientôt une décennie,à raison de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants supplémentaires à chaque rentrée. Les universitaires, qui n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme, répètent être « au bout » de leurs capacités, bloqués par la taille des locaux et surtout par un nombre de personnels enseignants et administratifs qui stagne, avec des budgets contraints. « C’est un peu un cercle vicieux, dit Nathalie Dompnier, présidente de l’université LyonII. Amètres carrés constants, on ne peutpas accueillir plus d’étudiants. » Si elle espère prendre une centaine d’étudiants supplémentaires, elle ne voit pas comment répondre à lademande du rectorat, portant sur 280 bacheliers, ditelle, à répartir sur des filières déjà en tension (économiegestion, psychologie, sciences de l’éducation). Un constat partagé par Olivier Oudar, viceprésident de l’université Sorbonne ParisNord : « On a déjà fait beaucoup d’efforts les années passées, on est arrivé au maximum de nos possibilités, assuretil. Je veux bien mettre 50 jeunes dans une salle au lieu de 30, mais c’est leur sécurité qui est en jeu ! »
L’avis est similaire au sein desIUT, ces filières sélectives universitaires très attractives. « Des négociations ont lieu localement, mais chez nous, ce sera nécessairement à la marge, quelques places ici ou là, pas plus, décrit Laurent Gadessaud, porteparole de l’Assemblée des directeurs d’IUT (Adiut). Nos taux de remplissage sont déjà à 100 %. » En cette annéeuniversitaire inédite à plus d’un titre, certains entrevoient de possibles « bouffées d’oxygène ». Comme la meilleure réussite en première année de licence, dontfont état plusieurs universités, susceptible de libérer davantagede places pour les néobacheliers – les redoublants d’hier passantdans l’année suivante. Ou les désistements à venir de la part d’étudiants qui attendent encore leur résultat aux concours d’entrée de médecine, décalés d’un mois.
Rien qui ne suffise, pour lessyndicats étudiants, à apaiser les craintes. « On s’attend à ce que plus de jeunes restent sans rien, en septembre », s’inquiète Orlane François, de la FAGE. « Avec ce boom desbacheliers, le risque est que la sélection soit encore plus forte », abondeMélanie Luce, de l’UNEF. D’ores et déjà, des demandes de « plan d’urgence » se font entendre : le SnesupFSU, syndicat des enseignants du supérieur, réclame 185 millions d’euros pour « pouvoir accueillir correctement à la rentrée les néobacheliers », quand la Conférence des présidents d’université estime les besoins entre 150 et 300 millions d’euros pour l’accueil de 35 000 étudiants en plus.
Les universités doivent faire faceà une dernière inconnue : celles des règles sanitaires, avec des impératifs de distanciation physiquequi pèseront nécessairement sur leurs capacités d’accueil. « On travaille sur des enseignements hybrides [en présentiel et à distance], raconte Lynne Franjié, à Lille, maison favorisera le présentiel pour les arrivants en première année. » Elle comme d’autres universitaires le martèle : ces jeunes, qui ont quittél’enceinte scolaire depuis mars, quand ont fermé les lycées, s’en trouvent pour beaucoup fragilisés. Mieux les accompagner, c’estaussi un défi de cette rentrée.
mattea battagliaet camille stromboni
« A mètres carrésconstants,
on ne peut pasaccueillir plus d’étudiants »NATHALIE DOMPNIER
présidente de l’université Lyon-II
« Il y a tellement d’incertitudes qui pèsent sur cette rentrée »Nombre de diplômés évoquent leur difficulté à imaginer un retour en cours dans des conditions sanitaires encore inconnues
TÉMOIGNAGES
I ls font partie des quelque88 % de candidats inscrits surParcoursup à avoir déjà validé
leur choix d’orientation à la mijuillet. Les « plus chanceux » des bacheliers de cette session 2020,disentils. Et pourtant, ils n’en tirent pas toujours satisfaction. « Après cette fin d’année mouvementée, le confinement, le bac délivré différemment, tout se bousculedans ma tête, confie Jessica Pelette, admise en licence delangues étrangères appliquées à ClermontFerrand, et qui a répondu à un appel à témoignages sur Lemonde.fr. J’ai peur de ne pas avoir tout à fait le niveau pour entrer à l’université, peur qu’on m’ait donné le bac [au contrôle continu]sans que je l’ai vraiment mérité. »La jeune Auvergnate évoque aussisa « peur d’une deuxième vague »
de Covid19 qui l’empêcherait de « vivre sa vie d’étudiante à fond ». « Il y a tellement d’incertitudes qui pèsent sur cette rentrée… »
Clémence (elle a requis l’anonymat), 17 ans, qui vient de décrocher une place en licence d’informationcommunication à Lille –son « choix de cœur » –, confie aussi ses « doutes » qu’elle impute, en grande partie, à la crise sanitaire. « J’ai comme un sentiment d’inaccompli », témoigne la jeune fille, qui a pourtant validé très tôt sa proposition d’affectation sur la plateforme Parcoursup. Sans ressentir le « soulagement » qu’elle espérait. « Je ne sais pas comment ça va se passer en septembre, explique cette lauréate d’un bac ES. Je n’étais pas trèsengagée dans les cours à distance, et maintenant, j’appréhende… J’espère qu’à l’université il y aura plus de cours en présentiel. »
Pour soutenir les néobacheliers,après six mois sans retour enclasse pour la plupart d’entre eux,et atténuer le choc d’une rentrée universitaire dans des conditions sanitaires incertaines, des dispositifs d’accueil et de remédiation sont prévus. Les universités en appellent d’ailleurs à l’Etat pour accroître les moyens qu’ils pourront y consacrer. Clémence n’attendra pas septembre pour seremettre au travail : en août, ellequittera Courbevoie (HautsdeSeine), où elle a grandi, pour s’installer dans une résidence universitaire à Lille. « Dès que je serai posée, j’ai prévu des révisions. Je nevoudrais pas me louper… »
« J’ai bon espoir »« Je vais bosser un maximum pour mériter ma place », confie aussi Sarnai Tsogtsaikhan, 19 ans. Admise mijuin, en phase complé
mentaire de Parcoursup, en première année de licence de droit àBordeaux, elle ose à peine y croire. « Après un bac professionnel en accueil et relation clients, onm’avait conseillé de postuler en BTS, raconte la jeune femme arrivée de Mongolie pour s’installer àNantes il y a neuf ans. Le droit, c’est inespéré pour moi. J’en rêvais depuis toujours. »
D’autres, qui n’accèdent pas àl’orientation de leur choix en cedébut d’été, voient leurs rêvess’envoler. C’est particulièrement sensible à l’entrée en médecine, un parcours d’études tout juste réformé : la première année commune aux études de santé (Paces)a été remplacée par deux types deformation, le parcours spécifique accès santé (PASS), et les licences option accès santé (LAS). Nombre de néobacheliers disent avoirpostulé « partout », pour se re
trouver sur liste d’attente « partout ». Yakine Abda, avec un bac S, a formulé dix vœux en PASS. Un seul lui a été accordé, en phase complémentaire, « mais c’est àBrest, à neuf heures de chez moi, raconte la jeune fille installée dans la Drôme. En situation dehandicap, je ne peux pas m’éloigner de ma famille ». Elle a saisi, enrecours, la commission d’accès à l’enseignement supérieur. « J’ai envoyé des justificatifs médicaux.J’attends. J’ai bon espoir… »
Ce n’est plus le cas d’Emilie, elleaussi tentée par la médecine. « Je suis toujours en attente sur Parcoursup pour tous mes vœux et cela dure depuis trois mois », observe cette néobachelière du Vald’Oise, titulaire d’un bac S avec mention, qui a requis l’anonymat. Elle se dit « très déçue »d’un système d’affectation qu’elle juge « très discriminant ».
« Avoir le bac, c’est bien, mais sion n’a pas d’école derrière à quoi çasert ? », interroge Sephora Tayuo. Avec un bac pro gestionadministration en poche, la jeune fille, quivit à Créteil, a postulé dans plusieurs BTS d’IledeFrance. Sansréponse favorable à ce jour. « Le bac délivré plus largement, les concours annulés dans certaines écoles, ça contribue à engorger la procédure », estimetelle. Un sentiment que partage Marion Vidal, 17 ans, jeune Toulousaine dont aucun des vœux en école d’infirmiers n’a été accepté. « Plus de demandes de la part de plus de lycéens, ça veut dire pour chacun moins de chances d’être accepté »,croitelle savoir. Elle se tourne aujourd’hui vers des formations dans le privé. « Tout le monde nepeut pas se le permettre. Moi, j’ai encore cette possibilité. »
m. ba. et c. st.
E N S E I G N E M E N T S U P É R I E U R
Lors des résultats du bac au lycée JeandeLaFontaine, à Paris (16e), le 7 juillet. MARTIN BUREAU/AFP
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 france | 11
M attéo, 17 ans, refusede rester inactif.Les résultats deParcoursup qui ne
lui permettaient pas d’intégrerun IUT de journalisme ou un institut d’études politiques ontbouleversé ses plans. Animateur dans une radio associative, il s’estvu proposer par le directeur de l’antenne un service civique de huit mois. « Je veux absolument ne pas avoir d’année blanche pouréviter après d’avoir des difficultés pour redémarrer, s’inquiète lejeune homme. Il faut que je sois toujours actif. Le service civique,c’est également un tremplin pour moi car je vais exercer ma passionau quotidien. »
Mattéo espère bénéficier des100 000 places ouvertes d’ici à fin 2020 annoncées par Emmanuel Macron lors de son interview du 14Juillet. Le lendemain, devant les députés, le premier ministre s’est inscrit dans les pasdu président de la République : « La première urgence, ce sont lesjeunes », a martelé Jean Castex lors de sa déclaration de politique générale.
Alors que le taux de réussite dubaccalauréat 2020 (95,7 %) risque de faire de nombreux déçus surParcoursup en raison d’uneconcurrence plus élevée, lesjeunes envisagent le service civique comme une possibilité de rebondir dans leur parcours universitaire. Mais aussi professionnel. La crise sanitaire liée au Covid19 diminue les embauches, etles 700 000 nouveaux arrivantssur le marché du travail sont lespremiers à en être victimes.
Elora, 25 ans, rencontre des difficultés à trouver du travail dans sa branche. Diplômée en management humanitaire, elle décrocheun CDD en 2019 après un stage defin d’études au sein de l’ONG Action contre la faim. Fin janvier 2020, son contrat prend fin.En confinement, la jeune diplômée se met à la recherche d’un nouvel emploi : « Pour les offres auxquels je postule, il faut toujours minimum trois ans d’expérience solide dans le domaine, et même pour des offres avec un an minimum je n’ai pas été rappelée. »
« Transition »Elora décide alors de candidater àune offre de gestion de projets dans le commerce équitable. « C’est payé comme un stage mais il n’y a pas besoin de convention ! Je suis contente de pouvoir faireun service civique mais pour moi c’est surtout une transition entreles stages et l’emploi », admetelle.
La crise due au coronavirus aégalement poussé Maud à envisager un service civique. Elletravaille depuis mai 2020 pour
une association qui aide les réfugiés à s’intégrer. « Avec la criseéconomique qui se profilait àcause de la pandémie, je me suis dit que c’était clairement une expérience à prendre, racontetelle.Sans le Covid19, je n’aurais peutêtre pas cherché à effectuer un service civique. » La jeune femmeconsidère sa mission comme« un moyen d’acquérir cette fameuse expérience professionnelle », souvent exigée sur le marché du travail, et affirme « ne pasregretter » son choix.
Après avoir arrêté sa premièreannée de licence d’histoire, Antoine a débuté un service civique dans une radio associative du Morbihan, avant de tenterà nouveau les concours d’école dejournalisme. « Cela m’a confortédans mon choix d’orientation et m’a évité de passer une annéeblanche en attendant la rentrée », résumetil.
Licenciée en psychologie, Iriss’est elle aussi dirigée vers unservice civique, faute d’avoir une place en master. Elle a souhaité« étoffer [s]on dossier et gagner del’expérience dans [s]on domaine ».La jeune femme a donc rejoint unservice d’urgence pour adultes àl’hôpital. « Même s’il ne s’agit que d’une ligne sur mon CV, j’ai énormément appris sur moimême et en ai tiré uniquement du positif, ditelle. Je recommande grandement l’engagement en service civique à tous ceux que je rencontre et qui sont dans unesituation semblable. »
« Le problème, c’est la rémunération », déclare Elora. Une indemnité mensuelle de 580 euros net
est versée pour un engagementd’au moins vingtquatre heurespar semaine pendant six à douze mois. Même en fin d’études, certains jeunes sont prêts à accepterce type de contrat pour éviter dese retrouver au chômage.
Revenu faiblePourtant le service civique, ouvert à tous et sans condition de diplôme, n’est pas prévu pourservir de premier emploi aux nouveaux diplômés. « C’est censédonner la chance à des jeunes dese lancer dans le monde du travailsans forcément avoir de formation, explique Maud. Mais j’ail’impression que la plupart desgens que j’ai rencontrés sontsurtout des personnes diplôméesqui cherchent à avoir de l’expérience. »
Margot, 23 ans, en fin d’étudesde journalisme, a trouvé un posteen tant qu’animatrice radio spécialisée culture. « Une opportunité que je n’aurais jamais eue endébut de carrière avec un contratclassique », assuretelle. Cette mission à Caen était une chance àsaisir pour la Normande : « Je vais habiter chez mes parents, sansloyer à payer. Je n’aurais pas candidaté si cela avait été ailleurs. »
Malgré un revenu faible au regard de l’investissement fourni,les services civiques séduisent. « On compte trois candidatures dejeunes pour une mission et dix pour un contrat à l’international », énumère Béatrice Angrand, présidente de l’Agence du servicecivique. En 2019, 140 000 jeunes en ont bénéficié.
mailis reybethbeder
Pour les jeunes, la tentation du service civique100 000 places en plus seront créées d’ici à la fin de 2020 pour faire face à la demande
Les scénarios pour l’école en cas de flambée de l’épidémie en septembreUn « plan de continuité pédagogique » a été mis en ligne vendredi. Il n’est pas prévu, pour l’heure, d’allégement du protocole sanitaire
L es écoles, collèges et lycéesauront attendu longtempsle détail des « scénarios »
pour la rentrée, ces directives etrecommandations que l’éducation nationale avait promises encas de dégradation de la situation sanitaire. Une partie de la réponse vient d’être apportée par l’institution, qui a mis en ligne, vendredi 17 juillet, un « plan decontinuité pédagogique » disponible sur le site Eduscol. Celuici présente deux cas de figure sous forme de fiches pratiques.
L’hypothèse d’une circulationactive du Covid19 déclencherait un protocole sanitaire strict,similaire à celui qu’ont connu les écoles lors de la première phasedu déconfinement, le 11 mai. Une liste de « choses à penser » a étécréée pour le cas où les écoles,collèges et lycées devraient organiser l’accueil des élèves en petitsgroupes, et dans des espaces réaménagés pour maintenir ladistance sociale. Des outils et des exemples de « bonnes pratiques » sont à disposition pour faciliter laréorganisation des lieux et desemplois du temps.
Certains dispositifs mis enplace pendant la crise sanitaire pourront également être réactivés si les écoles doivent à nouveau limiter leur nombre d’élèves : « l’école à la maison » et les classes virtuelles offertes par le CNED ; mais aussi la prise en charge des enfants dans le dispositif périscolaire « 2S2C » (sport, santé, culture, civisme), lorsque la taille des groupes ne permetpas d’accueillir tout le monde.
Fiches pratiquesLe deuxième cas de figure est celui d’une circulation très active duvirus « nécessitant la fermeture des écoles, collèges et lycées sur une zone géographique déterminée ». Une logique de « cluster », qui est la « plus probable », selon ladirection générale de l’enseignement scolaire. Là encore, desfiches pratiques doivent permettre de fluidifier l’organisation. Des contacts sont disponibles pour demander le prêt de matériel numérique aux enseignantset aux élèves. Une « boîte à outils »utile, selon Philippe Vincent, le secrétaire général du SNPDENUNSA, qui rappelle cependant que « l’hypothèse de la fermetureest la plus simple à gérer pour les chefs d’établissement ».
Les professeurs disposent enoutre d’un ensemble de ressources pour pouvoir mettre en place un enseignement entièrement àdistance ou un mélange de « présentiel » et « d’école à la maison ».
L’ensemble des classes en vidéo diffusées sur France 4 pendant le confinement dans le cadre del’émission « La maison Lumni » sont recensées en accès libre surEduscol, avec des exercices correspondants. « La période du confinement a montré une profusion de ressources pédagogiques,sans que l’offre soit toujours trèsstructurée, résume Edouard Geffray, le directeur général del’enseignement scolaire. Regrouper tout au même endroit permet d’éviter aux enseignants d’avoir à improviser de nouveaux supportsnumériques en un weekend. »
« Délai de prévenance »Parmi la communauté enseignante, on soulève déjà les ambiguïtés d’une telle approche :« Proposer un plan national n’a pas beaucoup de sens, juge Catherine NaveBekhti, du SGENCFDT.C’est le travail des équipes qui doitpermettre d’organiser la continuité pédagogique. » Le syndicat réclame ainsi du « temps de concertation » pour « s’emparer des ressources disponibles ». Et lamise en place d’un « délai de prévenance » de deux jours garanti, cette fois, au niveau national, en cas de reconfinement ponctuel. Ilpourrait permettre aux équipes de « communiquer avec les familles, avant d’envoyer du travail en ordre dispersé ».
L’éducation nationale ne s’engage pas, en revanche, sur d’éventuels ajustements de sonprotocole sanitaire. Selon la circulaire de rentrée publiée le10 juillet, le principe à l’œuvre enseptembre sera l’accueil de tousles élèves, le respect des gestes barrières et le port du masque pour les adultes et enfants deplus de 11 ans « lorsque la distancede 1 mètre ne peut être respectée » – soit les mesures en vigueur lorsde la reprise du 22 juin. D’après cetexte, les enseignants seront toujours encouragés à se déplacerd’une classe à l’autre pour éviterles brassages. Le Haut Conseil de la santé publique a pourtantdemandé, dans un avis rendu le7 juillet, l’assouplissement des mesures en vigueur dans lesétablissements scolaires, en particulier sur la gestion des flux et lebrassage des élèves.
Mais dans le contexte d’un légerrebond de l’épidémie en France etalors que les établissements sontpour la plupart fermés, l’éducation nationale se laisse le temps.Des ajustements devraient être proposés, mais pas avant la fin dumois d’août, pour tenir comptede la situation sanitaire à date.
violaine morin
« Cela m’a conforté dans
mon choix d’orientation et m’a évité
de passer une année blanche »
ANTOINEbénéficiaire du service civique
ÉDITION DÉCONFINÉE
ALEXANDRE THARAUDALEXANDREKANToRow
SIMoNGHRAICHYISAbELLEGEoRGES
MARIE-AGNèSGILLoT &MIKHAïL RUDY
LUCIENNERENAUDIN-VARYDoMLANENA
RoSEMARY STANDLEYTHIbAULTCAUVIN
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1er 8AOÛT2020
12 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
Le monde sans caissières d’AmazonLa tendance du commerce sans contact connaît une accélération avec la crise sanitaire
A lors que le monde vitencore à l’heure dunouveau coronavirus,Amazon accélère son
offensive pour créer un monde sans caissières. Le 14 juillet, l’entreprise a annoncé un « chariot express », le Dash Dart, capable d’identifier et de facturer luimême les articles pris par le client.Ce dernier peut donc sortir du magasin sans faire la queue… La technologie utilisée est un mélange de capteurs et de caméras équipées de vision informatique, comme dans les voitures autonomes. Ce système est également installé sur les plafonds et les étagères des supérettes Amazon Go. Et, depuis le 11 mars, il est vendu par l’entreprise de Jeff Bezos aux distributeurs qui souhaitent aussi mettre en place des commerces sans caissières. « Cela change la donne », estime Max Hammond, analyste de l’institut d’études Gartner.
Les observateurs du secteur sontenthousiastes : « Le confinement etles mesures de distanciation liéesau Covid19 ont installé dans nos esprits la notion de commerce sanscontact et sans friction, affirme Andrew Lipsman, auteur pour le cabinet eMarketer d’un rapport sur ces tendances, paru en mai. L’analyste souligne aussi qu’Amazon Go, lancé en 2018, est en train de changer d’échelle, avec désormais 27 boutiques aux EtatsUnis.
Les magasins sans caissièresd’Amazon ne sont pas encore présents dans l’Hexagone. Pour l’instant… « Nous n’avons pas de raison de retarder leur implantation en France, car ils sont plébiscités par laclientèle », a assuré, le 28 avril, le directeur d’Amazon France, Frédéric Duval, lors d’une audition sénatoriale organisée en pleine polémique sur les mesures sanitaires contre le Covid19, sans toutefois « pouvoir donner de date précise ».
L’arrivée d’Amazon Go en Europe serait en tout cas imminente : un promoteur anglais a annoncé, le 10 mars, sur Instagram une ouverture « prochaine »dans le quartier londonien deNotting Hill, avant de supprimer son message à la hâte.
Jusqu’à récemment, AmazonGo était vu comme une expérimentation à l’avenir incertain. Le projet a été développé en secret, dès 2012, autour du conseiller de Jeff Bezos, Dilip Kumar, devenuresponsable de la branche « commerces physiques ». Mais il a fallu des années et des millions de dollars avant l’ouverture, fin 2016,d’un « faux » magasintest, àSeattle (Washington), puis, début 2018, d’une « vraie » boutique.
« Début 2018, il y avait une modeautour d’Amazon Go et d’autres
solutions sans caisses, mais ces technologies n’étaient pas encoretotalement fiables », raconte M. Hammond. Le système avait des ratés en cas de grosse affluence. Des observateurs s’interrogeaient sur son utilité même. Etbeaucoup s’inquiétaient des conséquences sur l’emploi. L’américain a d’ailleurs dû revoir ses objectifs initiaux, qui envisageaient jusqu’à 3 000 Amazon Go d’ici à lafin de 2021.
« Une grosse offensive »Mais l’ambiance, depuis, a changé : « Vous allez voir unegrosse offensive des technologies sans caissières, sous diverses formes », estime Mark Mahaney, dela banque d’affaires RBC Capital Markets. « Une fois que vous avez essayé, vous devenez moins patient », assure cet adepte d’Amazon Go, tout en admettant que changer les habitudes prendra « cinq à dix ans ». « La meilleurepreuve que cela fonctionne, c’estqu’Amazon a ouvert davantage de magasins », assuretil.
Depuis 2018, Amazon Go a inauguré six boutiques à Seattle, cinqà San Francisco, huit à New York etsept à Chicago. Toutes sont des petites surfaces, d’environ200 m2, entre l’épicerie et la supérette. Adaptées à l’employé urbain pressé qui veut attraper un sandwich ou une boisson. Et concurrentes des échoppes 7Eleven, Pret A Manger ou Subway. Amazon Go est « un distributeur automatique sous stéroïdes », dit en s’amusant M. Lipsman.
Mais Amazon voit déjà plusgrand et a ouvert, fin février, à Seattle, Amazon Go Grocery, une supérette cinq fois plus vaste, de 1 000 m2. Avec des fruits et légumes ou des produits de partenaires, comme les fromages Beecher’s. « Et on pourrait construire cinq fois ou dix fois plus grand », a assuré M. Kumar, lors du lancement. Le « chariot express » sera utilisé dans un supermarché de 3 000 m2 qu’Amazon va ouvrir à Los Angeles, d’ici la fin de l’année. L’objectif : surmonter la difficulté d’équiper des grandes surfaces,
dotées de nombreux produits. A l’avenir, Amazon pourrait, selon certains, convertir les 508 supermarchés bio de sa chaîne Whole Foods, rachetée en 2017.
L’essor des techniques « sanscaissières » dépendra de leur coût.Mais un élément pourrait l’accélérer : Amazon a commencé à vendre sa solution, sous le nom « Just Walk Out ». Le groupe propose d’équiper, « en quelques semaines », des magasins, nouveaux ou existants. Et d’assurer, ensuite, « une assistance vingtquatre heures sur vingtquatre ». Seule différence avec Amazon Go : à l’entrée, les clients s’identifient en scannant leur carte de crédit et non
leur smartphone équipé de l’application Amazon. Premier à adopter Just Walk Out, le groupe de commerces d’aéroports OTG va l’installer dans des snacks. Ledistributeur Levy Restaurants va, lui, équiper des boutiques de stades, comme le fief de l’équipe de basket des Chicago Bulls.
Quid des données collectées ?Le modèle économique de Just Walk Out n’a pas été dévoilé : Amazon facturetil un montant forfaitaire, des frais de licence récurrents ? Pour la partie logicielle,le groupe a cofondé une structurebaptisée « Dent », avec la fondation Linux, un fabricant de semiconducteurs, un opérateur de réseaux… Cette approche ouverteen open source (« code source ouvert ») vise à « imposer un standard », analyse M. Lipsman. D’unemanière générale, Amazon est connu pour savoir commercialiser des activités développées audépart pour son propre compte, comme dans l’informatique dématérialisée ou la logistique.
L’Amazon Go Grocery de Seatlle (Washington), le 26 février. DAVID RYDER / GETTY IMAGES / AFP
« Amazon Go estun distributeur
automatique sous stéroïdes »
ANDREW LIPSMANanalyste chez eMarketer
L’offensive du numéro un de l’ecommerce contre les files d’attente en caisse pose, bien sûr, des questions : sur le respect de la vie privée, sur le droit à utiliser de l’argent liquide si on ne possède pas de smartphone ou qu’on souhaite payer anonymement… Maisaussi, pour Just Walk Out, sur la concurrence et l’accès aux données d’achats. « En tant que distributeur, vous ne voulez pas forcément nouer un partenariat avecvotre plus grand rival », met en garde, dans la note d’eMarketer, Jordan Fisher, PDG de Standard Cognition, qui a développé sa propre solution « sans caissières ».
Les géants comme le françaisCarrefour ou l’allemand Metro choisiront peutêtre une alternative à Amazon comme Standard Cognition, Zippin ou Grabango.Ou bien essaieront leur propretechnologie, comme Walmart. Deson côté, Amazon assure « interdire l’usage des données de JustWalk Out à d’autres fins que celles de servir les commerçantsclients ». Dans tous les cas, le consommateur verra son parcours en magasin davantage épié.
Un lancement d’Amazon Go susciterait probablement des résistances en France, où le marchand en ligne est déjà accusé de détruiredes emplois en même temps qu’il en crée. Selon Amazon, dans les magasins sans caissières, les employés restent « essentiels » et peuvent « se concentrer » sur « l’accueil, le réapprovisionnement des rayons ou les recommandations produits ». Cela n’a pas empêché lesyndicat américain de la distribution de dénoncer Just Walk Out comme une « menace directe » : « Les candidats aux élections de 2020 se coucherontils devant les PDG milliardaires comme Jeff Bezos ou se battrontils pour des emplois américains de qualité ? », a interrogé Marc Peronne, président du syndicat UFCW, qui compte 3,6 millions d’employés de caisses. Une partie de la réponse pourrait être donnée lundi 27 juillet, quand le PDG d’Amazon sera auditionné par le comité antitrust de la Chambre américaine des représentants.
alexandre piquard
au plus fort de la crise sanitaire, lesFrançais ont plébiscité les courses à distance. Selon un rapport de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) – agence de la Ville de Paris – paru le 2 juillet, 32 % des Franciliens ont fait des courses alimentaires sur Internet pendant le confinement. Pour 14 % des personnes sondées,c’était même une grande première. Un tiers de ceux qui se sont fait livrer à domicile « estiment qu’ils feront plus souvent, à l’avenir, leurs courses sur le Web »,selon l’Apur. Dans ces modes d’achat àdistance, nul besoin de faire la queue, d’étaler ses courses sur un tapis decaisse ou d’attendre que l’employéscanne tous les articles… Le personnel n’est plus face au client, mais en amont.« C’est moins de surface de vente, mais il ya plein de monde derrière, à la préparation de commandes, à l’entretien… », assureton chez Auchan.
Les groupes de grande distribution alimentaire ont cherché, ces dernières années, à simplifier de plus en plus la façonde faire ses courses : caisses automatiques dans les magasins, drives, maga
sins sans personnel, courses à la voix,entrepôts entièrement automatisés…
Après dixhuit mois de conception avecGoogle, Carrefour a lancé, le 16 juin, sonsystème de courses à la voix sur smartphone, mêlant reconnaissance vocale et intelligence artificielle, à destination d’une clientèle plutôt jeune. Le consommateur dicte sa liste de courses sur l’assistant Google en utilisant des mots courants comme « beurre », « lait », « jambon ». L’algorithme les traduit en produits, grâce à l’historique d’achat, leur popularité et leur prix. Il ne reste alorsplus qu’à payer en ligne et sélectionner un mode de livraison (domicile, drive). Et, même à cette étape, les évolutions technologiques remplacent progressivement le personnel. Selon le magazine Libre Service Actualités, Carrefour transformera bientôt un de ses drives piétons, avec personnel, à Paris, en espace ouvert vingtquatre heures sur vingtquatre et composé de casiers de retrait.
L’autre axe de recherche pour les distributeurs français est celui du magasin sans personnel, sur le modèle d’Amazon
Go : qu’il soit équipé de caméras permettant d’enregistrer automatiquement les achats retirés des rayons (ce que teste actuellement Carrefour au siège du groupe), ou entièrement automatisé (pour que les manipulations d’encaissement soient faites par les clients, commedans le concept Auchan Minute), un petit conteneur de moins de 18 m² avec desproduits de dépannage, sans vendeur ni caissier. Après l’avoir développé en Chine et à Taiwan, Auchan l’a installé en France, au siège de Decathlon, à Villeneuved’Ascq (Nord), et prévoit d’équiperune autre entreprise à la rentrée.
Répercussions sur l’emploiCes évolutions auront des répercussionssur l’emploi dans le secteur de la distribution alimentaire. « On le sait, les métiers de caisse, ce ne sont pas des métiersd’avenir », dit en soupirant Carole Desiano, secrétaire fédérale FGTAFO. Même si, jusqu’à présent, « la grande distribution alimentaire dans son ensemble n’avait pas perdu d’emplois grâce au développement des magasins de proxi
mité », poursuitelle. Selon la Fédération du commerce et de la distribution, le secteur du commerce de détail alimentaire, en France, employait, en 2018, 632 957 personnes sur 1,8 million travaillant dans le commerce de détail, et 3 millions en intégrant le commerce degros et la réparation automobile. Dans cette filière, 56 % sont des femmes, 87 % des employésouvriers.
Selon un rapport du cabinet McKinsey paru en juin, 22 % des emplois toussecteurs confondus dans l’Union européenne (soit l’équivalent de 53 millions d’emplois) pourraient être automatisés d’ici à 2030, et « même ce chiffre pourraitêtre plus élevé si la pandémie accélère le rythme de l’automatisation », déclare leconsultant.
Le toutautomatisé a néanmoins ses limites. « S’il n’y avait pas eu d’êtres humains dans les magasins les premières semaines où c’était la folie, on aurait eu des pillages un peu partout en France, estime Mme Desiano. C’est un paramètre que les entreprises doivent prendre en compte. »
cécile prudhomme
L’automatisation, un mouvement de fond dans la distribution
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 économie & entreprise | 13
La crise ébranle l’économie chypriote« L’île d’Aphrodite », qui devrait voir son économie se contracter de 7,7 % en 2020, est en quête de diversification
L ors de la dernière crise,cette petite île au largedes côtes turques s’esttrouvée au cœur de
l’ouragan qui a secoué le système bancaire européen. Aujourd’hui, l’économie chypriote vacille denouveau, sous l’effet des conséquences de la pandémie de Covid19. Comme la Croatie, le Portugal et la Grèce, où le tourismepèse près de 20 % du produit intérieur brut (PIB), elle subit de pleinfouet l’effondrement du trafic aérien et les restrictions de voyages.
Mercredi 15 juillet, le présidentde l’association des hôteliers de Limassol, Charis Theocharous, a imploré le gouvernement d’offrir, dès l’aéroport, un dépistage gratuit du coronavirus aux Britanniques, toujours interdits d’accès à l’île (1,2 million d’habitants), alors qu’ils représentent le plus gros bataillon de touristes chaque année.
La veille, le viceministre du tourisme, Savvas Perdios, avait créél’émoi dans le secteur, en reconnaissant que le pays accueillerait probablement moins de 25 % des visiteurs étrangers reçus en 2019 (3,9 millions de personnes). « Pournous, comme pour l’ensemble de l’Europe, les conséquences de cette crise seront désastreuses », résume Andreas Theophanous, professeur d’économie politiqueà l’université de Nicosie.
Selon la Commission européenne, le PIB de Chypre, divisée en deux depuis l’invasion, en 1974,de sa partie nord par la Turquie, devrait reculer de 7,7 % en 2020, après 3,2 % de croissance en 2019. La dette publique, elle, devrait bondir et passer de 95,5 % à 115,7 % du PIB. D’après les chiffres officielspubliés mercredi, les exportationsont baissé de 14,9 % entre janvier et mai, et elles devraient chuter de 21,8 % sur l’ensemble de l’année.
Ce plongeon rappelle les annéesdifficiles traversées par l’île d’Aphrodite lors de la dernière crise. En mars 2013, dans le sillage de la spéculation sur les dettes européennes, son système bancaire hyper
trophié, grand comme six fois le PIB, avait explosé. Ses partenaires européens redoutaient alors uneréaction en chaîne, susceptible de faire tomber les banques du sud de l’Europe comme des dominos. En effet, nombre d’établissementsfinanciers chypriotes possédaient des filiales en Grèce, à l’époque en pleine récession.
« Risque d’insolvabilité »Pour éviter le pire, Nicosie a été contraint de solliciter l’aide de la troïka (Fonds monétaire international, Commission et Banque centrale européennes). Enéchange d’un prêt de 10 milliards d’euros (le pays n’en utilisera que 7,5 milliards), le secteur bancaire a
été restructuré. La zone euro en a profité pour tester les nouvelles règles de renflouement internedes banques qui, depuis, s’appliquent à tous les pays membres.
Dans le détail, la banque Laiki aété liquidée : tous les dépôts de moins de 100 000 euros ont été transférés à la Bank of Cyprus. Puis celleci a été renflouée àl’aide des dépôts de plus de100 000 euros – dont bon nombre appartenaient à des oligarques russes –, transformés en fonds propres. Guère ravis d’inaugurer ces nouvelles règles bancaires, les Chypriotes en gardent un souvenir amer, d’autant que de strictes mesures de rigueur ontsuivi : baisse de 15 % à 30 % des sa
laires, privatisations, réformesdraconiennes…
Pourtant, alors que les Cassandre leur prédisaient une décennienoire, l’activité a rebondi plus viteque prévu, en partie grâce au dynamisme des services aux entreprises : comptabilité, conseils légaux, gestion financière… L’île a conservé de la présence britannique (18781960) les codes du business à l’anglosaxonne, duquel elle a fait l’un de ses atouts, en susde sa maind’œuvre qualifiée etde sa fiscalité légère – le taux d’impôt sur les sociétés y est de12,5 %. Le tourisme a aussi pris de l’essor, si bien que le taux de chômage, qui culminait à 18 % en février 2015, est tombé à 7 % fin
2019. Et la croissance est repassée dans le vert dès 2015.
Cependant, l’île en garde des séquelles. Même s’il s’est assaini, lesystème bancaire reste fragile : la part des créances douteuses, qui atteignait 49 % en 2016, était toujours de 28 % début 2020, loin des3 % affichés en moyenne dans la zone euro. En outre, la richesse par habitant n’a que peu progressé en dix ans.
Pour faire face à l’effondrementde l’activité, le gouvernement envisageait, mimai, de faire appelleau Mécanisme européen de stabilité (MES), cette institution créée en 2012 et destinée à fournir une aide financière d’urgence aux Etats membres. Il a finalement re
noncé. « Les gouvernements ont peur que les marchés interprètent un recours au MES comme le signede difficultés à emprunter normalement, et donc d’un risque d’insolvabilité, explique Eric Dor, économiste à l’Iéseg, une école de commerce. Mais, avec la dégradation des finances publiques et une reprise trop lente, il y a fort à parierque plusieurs pays, dont Chypre, auront besoin de son aide. »
En attendant, le gouvernementa déployé une série de mesures d’urgence : prêts garantis aux entreprises, baisse temporaire de la TVA de 9 % à 5 %, aides aux autoentrepreneurs. « La crise souligne surtout la fragilité de notremodèle économique, trop dépendant des services et du tourisme », estime Andreas Theophanous. Comme en 2013, les doutes taraudent de nouveau une partie de l’élite chypriote. Certains suggèrent de développer l’industrie pharmaceutique ou de miser sur le tourisme médical.
« L’activité viticole est une autrepiste, tout comme la construction d’un pôle universitaire régional attractif », ajoute M. Theophanous.Surtout, l’immense gisement de gaz découvert fin 2011 dans les eaux territoriales, baptisé « Aphrodite », pourrait devenir une source de revenus majeurs pourle pays. Mais l’exploitation du gaz offshore fait l’objet de tensions dans la région, notamment avecle voisin turc.
marie charrel
Un hôtel fermé, à Ayia Napa, sur la côte sudest de Chypre, le 10 mai. PETROS KARADJIAS/AP
« Notre modèleest trop
dépendantdes services
et du tourisme »ANDREAS THEOPHANOUS
professeur d’économie politique à l’université
de Nicosie
Le G20 finances se porte au chevet des pays les plus pauvresL’initiative de suspension du service de la dette annoncée en avril connaît un succès limité, alors que la crise économique et sociale due au Covid19 fait des ravages
L a vraie reprise aura lieudans un avenir lointain »,avertit Carmen Reinhart,
économiste en chef de la Banque mondiale, alors que les ministres des finances des pays du G20 devaient se réunir par visioconférence samedi 18 juillet. Dans les pays pauvres, « le long chemin de la reprise va s’accompagner de reculs sociaux en matière d’inégalités, de pauvreté ou encore d’accès à l’éducation », ajoute l’ancienne économiste de l’université Harvard, lors d’une interview accordée à quelques médias du monde entier, dont Le Monde en France
Gare aux signes trompeurscomme la bonne santé des marchés financiers ! A l’heure où les banques centrales émettent des centaines de milliards d’euros ou de dollars, les capitaux se dirigent là où les taux d’intérêt et les rendements, notamment obligataires, sont les plus élevés, à savoir dans les émergents, malgré la crise économique, sociale et sanitaire qu’ilstraversent. « La liste des pays en situation de fragilité ou de surendettement va s’allonger », redoute Mme Reinhart.
Depuis le début de l’épidémie deCovid19, leurs recettes fiscales ontchuté, leurs dépenses budgétaires
ont augmenté pour faire face à la crise, et les transferts d’argent en provenance de la diaspora de l’étranger se sont taris. Selon l’Institut de la finance internationale (IIF), une association installée à Washington qui regroupe la plupart des créanciers privés de la planète, la dette des pays émergents aatteint le niveau record de 230 % de leur PIB au premier trimestre 2020, contre 220 % en 2019. Le remboursement de leurs emprunts et obligations à l’étranger va leur coûter 620 milliards de dollars (682 milliards d’euros) d’ici la fin de l’année, réduisant ainsi leur marge de manœuvre pour surmonter la crise.
La Chine, premier prêteurL’assistance aux pays pauvres sera donc au centre des discussions de samedi entre les ministres des finances des pays du G20,notamment l’initiative de la suspension du service de la dette annoncée en avril. Le programme est piloté par la France, présidente du Club de Paris regroupant les principaux pays créanciers de la planète. Sur les 73 économies les plus pauvres éligibles à ce programme, seule une petite moitié a souhaité en bénéficier,
dont 18 qui ont signé un accordpour une suspension équivalenteà 1,3 milliard de dollars d’ici la fin 2020. Un chiffre encore très éloigné des 14 milliards de dollars annoncés, et à des annéeslumière de l’« annulation massive » de la dette des pays pauvres promise au même moment, en avril, parEmmanuel Macron.
Contrairement à Bercy, qui qualifie l’initiative d’« attractive » et de « beau succès », Carmen Reinhart estime que celleci « n’est pas allée aussi loin qu’on l’avait espéré ». Un demiéchec qu’elle attribue aux craintes des pays pauvres de voir leurs notes souveraines se dégrader, les privant ainsi de l’accès aux marchés de capitaux privés, devenus indispensables. Selon les chiffres de la Banque mondiale, la dette des pays à bas revenus a doublé entre 2010 et 2018 alors que la part détenue par les créanciers privés a quintuplé sur la même période. Ces derniers rechignent à participer à l’initiative de suspension de la dette.
L’autre acteur incontournableest la Chine, premier prêteur de laplanète. Les créances qu’elle détient dépassent celles du Club deParis. Pékin a rejoint l’initiativede suspension de la dette mais
« plusieurs indices laissent à penser que sa participation est incomplète », selon l’économiste en chef de la Banque mondiale.Comment aider les pays pauvres à faire face à la crise sans alléger leur dette ? Une autre piste consiste à augmenter le capital duFMI. Selon les derniers chiffres publiés mardi 14 juillet, l’institution sise à Washington a versédes aides financières d’urgence à77 pays pour un total de 83 milliards de dollars.
Ses capacités d’assistance, notamment pour suspendre le service de la dette des pays les plus fragiles, pourraient être renforcées si son capital est augmenté. Bercy dit soutenir une émission de droits de tirage spéciaux (DTS) àhauteur de 500 milliards de dollars, un effort auquel contribueraient tous les pays du monde, mais cette proposition est bloquéepar les EtatsUnis. Autre idée défendue par l’agence onusienne de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) : la création d’un organe international chargé de superviser la restructuration, voire l’annulation, de la dette des pays pauvres et en développement.
julien bouissou
Un retour en fanfare… Le cours du cuivre bénéficie, depuis avril, du souffle chaud de la spéculation. Il se négocie aujourd’hui à plus de 6 500 dollars (5 700 euros) la tonne, soit un rebond de près de 50 % comparé à son trou d’air de mars. Il dépasse même son niveau de début d’année. Le cuivre, métal brûlant…
Pourtant, la vente à la criée duLondon Metal Exchange (LME) est toujours muette. Le « Ring », cette institution londonienne où les opérateurs donnent de la voix pour négocier aluminium, cuivre ou cobalt, et dont l’activité n’avait jamais été interrompue depuis la seconde guerre mondiale, a mis la sourdine, lundi 23 mars. La crise liée au Covid19 a contraint les vendeurs à ne plus s’époumoner et à basculer vers des transactions entièrement numérisées. Et si, le 4 juillet, les Britanniques ont retrouvé le chemin des pubs, la vente à la criée du LME, elle, n’esttoujours pas déconfinée.
Thermomètre de l’économieIl n’empêche. Même mezza voce, les acheteurs se sont fait entendre et le cours du cuivre a été regonflé. Or, le métal rouge est considéré comme un thermomètre de l’économie mon
diale, du fait de ses multiples usages industriels, du bâtiment à la construction automobile. Estce à dire que la crise due au coronavirus est passée sans laisser de trace dans les entreprises ? Que le pouls de l’économie bat sans baisse de régime ? Une telle extrapolation serait excessive, voire aurait une valeur de vœu pieu.
En fait, les spéculateurs ont misé moins sur une demande en forte croissance du métal rouge – même si la Chine a remis en marche ses usines avec un temps d’avance et repris ses emplettes de métaux à un rythme soutenu – que sur une baisse de l’offre. La diffusion du virus en Amérique du Sud, en particulier au Chili, dont les soussols livrent un quart des ressources mondiales de ce minerai, a fait surgir des craintes.
Toutefois, les mesures de confinement sélectif prises par le pays, ainsi que les protocoles sanitaires en place dans les entreprises, semblent avoir freiné le virus. Mais la montée rapide du cours du cuivre pourrait donc s’essouffler au moindre signe d’une balance excédentaire entre l’offre et la demande. Le cuivre n’est pas immunisé contre les effets du coronavirus.
MATIÈRES PREMIÈRESPAR LAURENCE GIRARD
Le cuivre, chaufféà blanc par la spéculation
14 | économie & entreprise DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
En Inde, la casse sociale et environnementalePour relancer l’économie indienne, fortement affectée par la crise liée au Covid19, New Delhi abaisse les normes de protection, aussi bien pour les travailleurs qu’en matière d’écologie
bombay correspondancenew delhi correspondante
L’ Inde a franchijeudi 16 juillet lecap du million decontaminations etdes 25 000 mortsdu Covid19. Elle
se prépare maintenant à uneplongée spectaculaire de son économie. Alors que les Etats lesplus touchés par l’épidémie, le Maharashtra et le Tamil Nadu, sont confinés jusqu’au 31 juillet,d’autres régions comme le Bihar, le BengaleOccidental, l’Assam,Goa ou la ville de Bangalore, qui avaient autorisé la reprise progressive de l’activité dès la fin dumois de mai, constatant un rebond local de cas de Covid19, viennent de reconfiner près de 200 millions d’habitants.
Un mauvais augure pour lacroissance du pays. Avant sa mise à l’arrêt complet, annoncée dans la précipitation par le premier ministre, Narendra Modi, le 24 mars au soir, le géant d’Asie du Sud avait vu la progression de sonPIB tomber à seulement 3,1 % en
rythme annuel, le plus mauvaisscore enregistré depuis 2008.
Cette année, pour l’exercice20202021 qui a démarré le1er avril, le ministère indien des finances s’attend à une baisse du PIB de 4,5 %. New Delhi a fini par admettre l’inéluctabilité de la récession et par s’aligner sur la dernière prévision du FMI, qui a corrigé son pronostic à la baisse, le24 juin, après avoir d’abord estimé en avril que le PIB indien pourrait progresser cette année de 1,9 %. L’institution de Washington a justifié son nouveau chiffre par « la durée plus longue que prévu » du confinement et par une reprise « plus lente » que celle attendue initialement.
Dans ces conditions, le marchéde l’emploi devrait subir un véritable séisme, dont la crise des migrants de l’intérieur, ces millions de travailleurs journaliers bloqués durant plus d’un mois dans les grandes métropoles à cause dela paralysie générale des trains et des bus, n’aura été qu’un premier aperçu. « La plupart des travailleurs sont sacrifiés sur l’autelde la santé publique », dénonceAayush Rathi, juriste au Centre forInternet and Society, une association qui travaille sur le pluralismenumérique et l’action publique.
Les estimations publiées par leCentre de surveillance de l’économie indienne (Centre for Monitoring Indian Economy) indiquent
qu’aujourd’hui, près d’un quart dela maind’œuvre du pays (471 millions de personnes au total) n’aplus de travail rémunéré. « Cela représente une augmentation brutale du chômage par rapport à un niveau déjà record de 8 % » observéavant le confinement, explique M. Rathi, qui souligne que, dès la fin avril, des Etats comme le Bihar,le Tamil Nadu, Tripura et l’Haryana affichaient des taux de chômage « proches de 50 % ».
SEMAINE DE DE 72 HEURESCette situation dramatique a été nourrie par le blocage forcé de tous les rouages, mais également par les initiatives que plusieurs gouvernements régionaux ont prises au printemps, en vue de démanteler le droit du travail. Pourtenter d’atténuer la misère soudaine des migrants, le ministère de l’intérieur, au niveau fédéral,avait dans un premier temps décidé, le 29 mars, d’obliger les employeurs à continuer de verser latotalité des salaires à leurs employés, en les menaçant de poursuites judiciaires et de peines de prison en cas de désobéissance.
Saisie par le patronat, la Coursuprême a supprimé le volet judiciaire de l’injonction et l’Etatfédéral a finalement fait marchearrière, le 17 mai. Une reculadeque plusieurs Etats fédérés ont interprétée comme un feu vertpour enfoncer le tabou de l’ultralibéralisme, dans un pays où90 % de la population active ne bénéficie pourtant déjà d’aucunecouverture sociale.
Treize des vingthuit Etats del’Union indienne, saisissant leprétexte de la pandémie, ontadopté des ordonnances desti
nées à permettre des baisses desalaire sans concertation avecles syndicats, des licenciementssans conditions, une durée hebdomadaire du travail de 72 heures et l’interdiction, enfin, des grèves et manifestations.
« Les lobbys patronaux sont extrêmement puissants, particulièrement dans le BTP et l’immobilier.Ils ont fait pression sur les élus régionaux pour faire disparaître toutes les protections des salariés, au prétexte que les chiffres d’affaires ont fondu, que l’économie est en détresse absolue et qu’il est urgent d’attirer les investisseurs étrangers », s’insurge Shyam Sundar, économiste du travail et enseignant à la Xavier School of Management de Jamshedpur, la citéouvrière du conglomérat Tata, située dans le Jharkhand.
« Plusieurs études l’ont déjà démontré, c’est un nonsens économique de croire que la flexibilité du travail sans gardefous crée de l’emploi et intéresse les firmesétrangères. Le gouvernement ferait mieux de trouver les moyens d’empêcher une explosion de la pauvreté », estime cet expert. Les Etats qui sont allés le plus loin dans le démantèlement sont tousdirigés, directement ou en coalition, par le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste hindou de M. Modi : l’Uttar Pradesh, le Madhya Pradesh, le Gujarat et leKarnataka, rejoints début juillet par le Bihar, l’Himachal Pradesh, Tripura et Goa.
LA NATURE EN DANGERTous ont agi au mépris des 47 conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiéespar l’Inde, membre fondateur de cette instance. « Cette façon de faire affecte les fondements pluralistes de l’Inde et crée des dommages sans précédent à notre démocratie », déplore M. Sundar. L’OITa ellemême rappelé aux autorités indiennes leur devoir de « solidarité entre l’Etat, les employeurs et les salariés », le droitdu travail étant « un moyen important pour faire avancer la justice sociale et promouvoir un emploi décent pour tous ».
Le droit du travail n’est pas leseul à faire les frais du Covid19 enInde. Le droit de l’environnement est lui aussi bafoué ouvertement au nom de la relance. Le 12 mai, ungroupe de 291 scientifiques a écritau ministre de l’environnement,Prakash Javadekar, pour exprimer leurs réserves sur les conditions de délivrance des autorisations environnementales aux industriels pendant le confinement. Ils affirment que les inspections de sites, un élément crucial de l’évaluation des projets, ont étécontournées en utilisant la pandémie comme excuse.
Les audiences publiques préalables permettant aux communautés susceptibles d’être affectéespar un projet d’infrastructure dedonner officiellement leur consentement, ou d’exercer un recours juridique, ont été suspendues. Le gouvernement a par ailleurs assoupli les règles de protection des forêts et de compensation lors de travaux publics, comme les routes. Malgré ces entorses, Narendra Modi continue de plaider pour un « renouveau » durable et invite le monde entierà venir investir en Inde. Le dirigeant nationaliste espère bienprofiter de l’aversion croissante pour la Chine.
guillaume delacroixet sophie landrin
« La plupartdes travailleurs
sont sacrifiéssur l’autel de la
santé publique »AAYUSH RATHI
juriste au Centre for Internet and Society
PLEIN CADRE
Dans une usine de transformation de diamants,à Ahmedabad (Gujarat),dans le nordouestde l’Inde, le 4 juillet.AJIT SOLANKI/AP
l’inde donne un coup d’accélérateur àl’exploitation du charbon, source majeurede pollution et puissant contributeur au réchauffement climatique. Le 18 juin, legouvernement a procédé à la mise aux enchères de 41 gisements de charbon à des fins d’exploitation commerciale.
L’opération, ouverte aux entreprises nationales et internationales, vise à stimuler les investissements privés dans ce secteur pour augmenter la production et contribuer à assurer l’autosuffisance du pays, maîtremot du premier ministre depuis la pandémie. Le souscontinent, qui disposedes quatrièmes plus grandes réserves de laplanète, produit actuellement 730 millions de tonnes de charbon, mais en importe 240 millions. Narendra Modi espère créer près de 300 000 emplois et générer plus de 4 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) d’investissement.
Pressé de relancer l’économie, le gouvernement ne s’est embarrassé d’aucun préala
ble : il n’a pas informé les régions concernées de l’opération, l’Orissa, le Jharkhand, le Madhya Pradesh, le Maharashtra et le Chhattisgarh. Pourtant, plusieurs de ces mines sont situées dans des zones forestières précieuses et riches en biodiversité. Les responsables régionaux sont furieux.
Déplacement des populations Le chef du gouvernement du Jharkhand, un territoire qui possède 26 % des gisements du pays, mais surtout qui abrite degigantesques forêts où vivent de nombreuses tribus, conteste l’opération etpourfend le « mépris du gouvernementcentral ». Hemant Soren a d’abord écrit aupremier ministre, Narendra Modi, pourdemander un moratoire de la vente et une« évaluation équitable » de l’impact socialet environnemental sur les populations tribales et les forêts. Il redoute un déplacement massif des populations des forêts.Puis il a saisi la Cour suprême pour faire
annuler la décision du gouvernement.Son avocat fait valoir que l’exploitation minière dévasterait la population tribale,au moment, soulignetil, où le monde sedétourne de ce combustible et où la pandémie diminue les besoins électriques etde charbon. L’ancien ministre fédéral des forêts et de l’environnement JairamRamesh, membre du Congrès, le parti d’opposition, demande également l’annulation de la vente.
Parallèlement à cette libéralisation dusecteur, une autre décision inquiète lesdéfenseurs de l’environnement : fin mai,le ministère de l’environnement a mis unterme à l’obligation de lavage du charbon pour l’approvisionnement des centrales thermiques, imposée il y a cinq ans.Cette technique permettait de réduire substantiellement les rejets polluants dans l’atmosphère et de protéger la santé de millions d’Indiens.
gu. d. et s. la.
Le gouvernement Modi mise sur le charbon pour sortir de la crise
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 carnet | 15
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Étienne et Marianne Brun-Rovet,ses enfants,
Marie-Andrée Diaz et PascaleTabarin,ses sœurs,
Edouard Jacquot,son neveu
Ainsi que sa famille,Ses anciens collègues du CNRSEt ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès,survenu le 12 juillet 2020, de
Bernard BRUN,ancien élève
de l’Ecole Normale Supérieurede la rue d’Ulm,
chercheur au CNRS,co-fondateur
de l’équipe Proust de l’ITEM.
L’inhumation a eu lieu dansl’intimité familiale, ce samedi18 juillet, à Valenciennes (Nord).
La cérémonie religieuse aura lieule samedi 25 juillet, à 10 heures,en l’église du Saint-Nom-de-Jésus,91, rue Tête d’Or, Lyon 6e.
Les fleurs peuvent être envoyées àcette adresse.
« La vraie vie, la vie enfin découverteet éclaircie, la seule vie par
conséquent pleinement vécue,c’est la littérature. »
Marcel Proust.
[email protected]@gmail.com
Sophie Houdard-Biet,son épouse,
Flore et David,ses enfants,et leur mère, Dominique Israël-Biet,
Thibaut de Longeville,son gendre,
Zoe et Lena,ses petites-filles,
Sa famille,Ses amis,
ont la douleur de faire part du décèsaccidentel de
Christian BIET,professeur
d’histoire et esthétique du théâtreà l’université de Paris Nanterre,
survenu le 13 juillet 2020.
Une cérémonie aura lieu en la sallede la Coupole, au crématorium ducimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,le mercredi 22 juillet, à 10h30.
Françoise et Jean-Pierre Catalaa,Jacques et Liliane Darpeix,Bertrand et Régine Darpeix,
ses enfants,Isabelle, Pierre-Alexandre, Hélène,
Eddy, Michel-François, Amélie,Guillaume, Arnaud, Stéphanie,Antoine, Marie-Capucine, Aurélie,Frank, Pierre-Emmanuel,ses petits-enfants,
Antoine, Aurélien, Dorian, Hugo,Eliott, Léo, Margot, Gabriel, Oscar,ses arrière-petits-enfants,
Claude Vidal,sa belle-sœur
Et toute la famille,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Mme Anne-Marie DARPEIX,née VIDAL,
survenu le 14 juillet 2020, dans saquatre-vingt-dix-septième année.
Les obsèques ont eu lieu en l’égliseNotre-Dame-de-l’Epinette, 1, boulevardAnatole-France, Libourne (Gironde),le samedi 18 juillet, à 9 h 30.
L’inhumation a eu lieu dans lecaveau de famille, au cimetière dePaulhan (Hérault), ce même jour,à 17 heures.
Ni fleurs ni couronnes, mais sivous le souhaitez, des dons à samémoire pour les associations ouONG que vous soutenez.
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).Montpezat-d’Agenais(Lot-et-Garonne).
Dominique Decaroutet Jacques Berthelot,
François et Sabine Decarout,ses enfants,
Nathalie Pierronet Jacques Albarea,Clément et Charles,
Stéphanie Pierronet Alexandre Vaz,Alissia,
Frédéric Pierron,Juliette Decarout
et Sébastien Pailler,Malo et Myrtille,
Lucie Decarout et Antoine Seux,ses petits-enfantset arrière-petits-enfants,
Alain Auzeralet Marie-Christine Lacombe,
Jordan Auzeral et Sandra Delage,Marie-Thérèse et Jacques Poisson
et leurs enfants,Monique et Daniel Poisson
et leurs enfants,ses belles-sœurs, beaux-frères, neveuxet nièces,
Jean-Louis Pierron,Toute la familleEt les amis,
ont la douleur de faire part du décèsde
Gisèle DECAROUT,née LEBRÈRE,
(30 octobre 1927 -13 juillet 2020).
Ils rappellent le souvenir de soncher mari,
Roger DECAROUT,(1927 - 1994).
La cérémonie des obsèques s’estdéroulée ce vendredi 17 juillet, à16 heures, en l’église Notre-Damede Montpezat-d’Agenais, suivie del’inhumation au cimetière deFrégimont.
Condoléances surwww.pf-laborde.fr
Cet avis tient lieu de faire-part.
Nicole Duquénelle,sa mère,
Corinne et Didier Tresca,sa sœur et son beau-frère,
Guillaume et Nathalie, Olivier etKatherine, Franklin et Stéphanie,ses neveux,
Pauline, Constantin et Camille,ses petits-neveux,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Anne DUQUÉNELLE,
survenu le 11 juillet 2020, à Apt.
Elle sera inhumée à Paris, aucimetière du Montparnasse, Paris 14e,le 21 juillet.
Paris.
Linda Louise Emmet,son épouse,
Caroline Emmet et MathieuBourgois, Ellen Emmet et RupertSpira, Edward Emmet et Sarah Bright,ses enfants,
Henri, Samuel, Tristan et Louisa,ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décèsde
M. Edward Charles EMMET,
survenu à Neuilly-sur-Seine, le 14 juillet2020, dans sa quatre-vingt neuvièmeannée.
Les obsèques se tiendront dansl’intimité familiale.
La famille du
docteurYves GRANDBESANCON,
médecin généraliste,
a la douleur d’annoncer son décès,survenu le 15 juillet 2020, à l’âge desoixante-seize ans.
Les obsèques auront lieu le mardi21 juillet, en l’église de Breurey-Les-Faverney, à 14 h 30.
Une cérémonie sera organiséeultérieurement à La Ciotat. «Valable»,aurait-il dit.
Mela J. Melamed
fait part du décès de son neveu,
DavidMELAMED,
survenu à Paris, le 14 juillet 2020,à l’âge de cinquante-cinq ans.
L’inhumation aura lieu le 22 juillet,à 15 h 30, au cimetière duMontparnasse, Paris 14e.
Ni fleurs ni couronnes.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Isabelle Naudin,son épouse,
César et Ulysse,ses enfants,
Danièle et Daniel Naudin,ses parents,
Mariette Valluis,Martial Naudin,Isabelle et Charles Bal,Solal, Joseph, Alix et Rose,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Julien NAUDIN,
survenu le 16 juillet 2020.
Christophe et Elodie,Benjamin et Marina,
ses enfants,Pierre, Martin,Noémie, Lily
et leur maman, Léna,ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Geneviève NEUMANN,née DESPEYSSES,
survenu le 15 juillet 2020,à l’âge de soixante-quinze ans.
Elle rejoint son époux,
Christian.
Ses obsèques seront célébrées lemardi 21 juillet, à 10 h 30, en l’égliseNotre-Dame-des-Bruyères de Sèvres.
Montpellier. Nîmes.Aix en Provence. Versailles.
Mme Marcelle Pintard,son épouse,
Jean-François et Sylvie Pintard,Laure et Jean-Marc Frapier,
ses enfants,Caroline et Corentin, Pierre-Jean,
Pierre,ses petits-enfants,
Aloys,son arrière-petit-fils,
Toute sa familleEt ses amis,
ont l’immense tristesse d’annoncerle décès de
Jean-Claude PINTARD,diplômé de la faculté de théologie
protestante de Montpellier,professeur agrégé de philosophie,
inspecteur d’académie,
survenu dans sa quatre-vingt-septième année, le 9 juillet 2020,à son domicile de Montferrier(Hérault).
La cérémonie d’obsèques a eu lieuà Montferrier (Hérault), le 13 juillet,en présence de sa famille et de sesamis.
Cette annonce tient lieu de faire-part et de remerciements.
Sylviane,son épouse,
Grégori,son fils,
Charly,son frère,
Annie,sa sœuret leurs conjoints, enfants et petits-enfants,
Anne,la maman de Jérémie (†) et de Grégori,
Lionel et Marcelle,ses beaux-parents,
Paule et Anne,ses belles-sœurs,
Jérôme,son beau-frèreet leurs conjoints, enfants et petit-enfant,
ont la très grande douleur de fairepart du décès de
Jean François, HenryPROVOST,
architecte DPLG,peintre et sculpteur
de la lumière et des horizons,lecteur fidèle du Monde,
survenu à Paris, le 10 juillet 2020,à l’âge de soixante-neuf ans.
Un hommage lui a été renduau crématorium du cimetière duPère-Lachaise, Paris 20e, le vendredi17 juillet.
Merci à l’équipe de neuro-oncologie du professeur Delattre,de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Hasta la victoria siempre.Toujours jusqu’à la victoire.
Madeleine Toulemon,son épouse,
Etienne, Laurent et Pierre-Henri,ses fils,
Pascale, Agnès et Diane,ses belles-filles,
Ses petits-enfantsSes arrière-petits-enfants,Simone Adam-Toulemon,
sa sœur,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Robert TOULEMON,inspecteur général
des finances honoraire,officier de la Légion d’honneur.
Ils remercient tous ceux qui ontpartagé leur peine.
Les obsèques ont eu lieu le10 juillet 2020, en l’église deMontagnac-la-Crempse en Dordogne.
Remerciements
Paris. Plouaret. Chatillon.
La famille de
Claude BUCQUET,
remercie toutes celles et tous ceuxqui lui ont témoigné leur amitié etleur soutien, à l’occasion de sondécès, survenu le 21 juin 2020, à l’âgede quatre-vingt-six ans.
Anniversaires de décès
Il y a deux ans,
Pascal DENOS,
fidèle et attentif lecteur du Monde,n’est pas revenu de son trek auPérou.
Il nous manque tellement.
Florence, Marion, Roxane etKillian.
Le 20 juillet 2019, disparaissait
Thierry SIMON,
qui aima sa famille, la Haute-Marneet les chevaux.
Ayez une pensée pour lui.
Mémoire
Le 19 juillet 2012,
Jean-PierreFALQUE-PIERROTIN,
était rappelé à Dieu.
Merci d’avoir une pensée, uneprière pour lui.
Bernadette Pailloncy,Marie-Christine Labuzan,
ses sœurs,Dominique, François, Denis,
ses frères.
Nous n’oublions pas, notre mère,
Marie-Thérèse FALQUE-PIERROTIN,née DUBOIS,
rappelée à Dieu, le 9 juillet 1984.
La Fondation AGESrend hommage
à ses généreux donateurs.
En désignant notre fondation,reconnue d’utilité publique,
comme bénéficiairede leur patrimoine,
ils contribuent à améliorerla vie quotidienne des personnes
âgées dépendantes, souvent isoléeset vulnérables, et à soutenir
leurs aidants à domicile et en ehpad.Leur mémoire restera à jamais
ancrée dans nos souvenirs.Nous ne les oublierons jamais.
Fondation AGES75, allée Gluck - BP 2147
68060 Mulhouse Cedex.www.fondation-ages.org/
La Fédération des Aveuglesde France
rend hommageà ses généreux bienfaiteurs.
En désignant notre associationcomme bénéficiairede leur patrimoine,
ils contribuent à améliorerla vie quotidienne
des personnes aveugleset malvoyantes.
Leur mémoire restera à jamaisancrée dans nos souvenirs.
Nous ne les oublierons jamais.
Fédération des Aveuglesde France,
6, rue Gager Gabillot,75015 Paris.
Tél. : 01 44 42 91 91.
16 | GÉOPOLITIQUE DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
ziguinchor (sénégal) et sao domingos(guinéebissau) envoyée spéciale
K ouba Bouli Diatta a les yeuxinjectés de sang, comme s’ilvenait de pleurer. Assis surson bidon d’essence, le vieilhomme essaie d’oublier latouffeur de la brousse bissau
guinéenne. Il vient de fumer un peu de chanvre, savourant les plaisirs simples de sa nouvelle vie sans armes. A 63 ans, ce combattant du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) a désormais quitté le maquis qu’il avait rejoint « avant même d’avoirde la barbe ». Là, à quelques kilomètres du village de Cassalol, au sud de la frontière avec le Sénégal, nom de la faction du MFDC à laquelle il appartient, il a passé l’essentiel de sa vie à guetter l’ennemi et à combattre les forces de sécurité sénégalaises. L’âge venant, il n’a plus la force de continuer.
Comme d’autres, il fait partie de cette première génération qui a vieilli au service de la rébellion indépendantiste de Casamance, la plus ancienne d’Afrique encore active, depuis sa formation, en 1983. Cette région verdoyante du sud du Sénégal, entre la Gambie et la GuinéeBissau, demeure le théâtre d’un affrontement sans fin, alternant épisodes de violence armée et longues périodes d’accalmie. Le bilan officiel des victimes est pourtant l’un des plus faibles des conflits armés ducontinent : entre 3 000 et 5 000 morts, dont 800 en raison des mines antipersonnel.
Ces engins sont disséminés un peu partoutsur les routes ensablées, les sentiers et les champs de la Casamance, où 1,2 million de mètres carrés de terre environ restentaujourd’hui à déminer, selon le Centre national d’action antimine du Sénégal. Le 15 juin, deux militaires sénégalais ont été tués et deux autres blessés dans l’explosion d’une mine antichar au passage de leur véhicule,entre les villages de Diagnon et de Bissine, dans l’est de la région. Un rappel que la Casamance reste un territoire sous tension, dontle MFDC persiste à réclamer l’indépendance.
DES KALACHNIKOVS ROUILLÉESAu milieu des palmiers et des anacardiers, à michemin entre les villages frontaliers de Kassou et d’Eramé, vivent une vingtaine demaquisards aux côtés de Kouba Bouli Diatta. Dans cette clairière où flotte une odeur de terre brûlée, trois cases en paille font office de quartier général. Quelques kalachnikovs rouillées sont entreposées à l’ombre, contreun muret. Pour l’heure, les armes se taisent.
Kouba Bouli Diatta est silencieux, mélancolique. C’est pourtant lui et son passé de guerrier brave que l’on célèbre en cet aprèsmidi de février, avec du vin de palme servi dansdes gobelets en plastique. Autour de cette figure de la rébellion papillonnent les « gamins », des quadragénaires à l’air juvénile,vêtus de fripes délavées. Ce sont eux qui ont récolté, la veille, la sève du palmier afin de
concocter le breuvage de la fête. Ils incarnent la relève de cette rébellion qui s’essouffle. Etla génération qui permettra peutêtre aux barbes grisonnantes et aux sourires édentés de voir de leur vivant la Casamance « libre ». Son verre terminé, renonçant à la rhétorique belliqueuse, le retraité du maquis confien’avoir « jamais pensé que la lutte durerait aussi longtemps ». « Je n’avais pas du tout prévu ça », murmuretil. Et les « gamins », un brin soucieux, s’imaginent qu’ils vieilliront peutêtre comme lui, à l’ombre des palmiers.
Dans son maillot du club de ManchesterUnited, Jacob Diatta – sans lien de parenté avec Kouba Bouli Diatta – ressemble davantage à un supporteur égaré dans les profondeurs de la forêt qu’à un maquisard. Mais sondiscours ne trompe pas. « Je suis rebelle !, pavoisetil. Pourquoi les militaires sont encore àl’intérieur de nos villages ? Qu’ils viennent nous chercher dans la brousse ! »
Depuis 1983, la branche armée du MFDC« Atika » (« combattant » en diola, l’une deslangues locales) combat toute présence desforces de sécurité sénégalaises en Casamance, avec quelques milliers de fantassinsmal armés, mal entraînés, mais déterminés. Leur credo : l’indépendance ou la mort.« L’armée a détruit nos maisons, le bétail,tout… », raconte Jacob Diatta, la voix érailléepar la colère. Derrière l’étendard indépen
dantiste, c’est bien le cours tragique de l’existence, les persécutions, le sentiment d’êtreabandonné par Dakar et l’absence d’avenirpour les jeunes désœuvrés qui ont poussé nombre d’entre eux dans les maquis de Casamance, où près de 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Dans les années 1990, le président sénégalais, Abdou Diouf, avait d’abord opté pour la répression militaire afin d’écraser la guérilla casamançaise. Des accords de cessezlefeusuccessifs (en 1991, 1993 et 1995) ont été violés, laissant place à de nouvelles vagues d’affrontements. Dans le sud de la Casamance, denombreux villages ont été détruits, leurs habitants tués, enlevés ou contraints de partir. Happés par la violence, Kouba Bouli, Jacob et les autres ont fini par fuir en GuinéeBissau en 1995, suivis de leurs familles, avant de s’enrôler dans la rébellion.
« Les motivations individuelles sont très importantes pour expliquer l’engagement descombattants du MFDC. Beaucoup ont perdu leurs terres, des membres de leur famille ont été tués devant eux, leurs voisins les ontdénoncés à l’armée comme rebelles… »,précise Paul Diédhiou, anthropologue à l’université de Ziguinchor, capitale historique de la Casamance.
Aujourd’hui, l’amertume et la frustrationrestent palpables chez les combattants. « On
ne nous considère pas !, lâche Boubacar Diatta – encore un homonyme –, maquisardde 43 ans. Pourquoi ? Parce que nous sommes casamançais. » L’idée d’un mépris culturel de l’élite sénégalaise envers les Diolas,une des ethnies majoritaires en Casamance et au sein de la rébellion, a longtemps justifié le recours à la violence duMFDC. « Le Sénégal ne veut pas libérer notre terre », condamne Jacob Diatta.
« MÊME PAS DE QUOI MANGER »En trentehuit ans de rébellion, la vision dumonde cultivée par ces combattants désœuvrés tout comme leurs conditions de vien’ont pas beaucoup changé. En brousse,l’électricité et le réseau téléphonique manquent souvent, et rares sont ceux qui possèdent un véhicule. Les plus chanceux roulentsur de vieilles motos chinoises Jakarta,taillées pour filer sur les chemins défoncés.Alors, presque coupés du monde, les rebellesse sont attachés à leur routine : patrouillesarmées, entretien du camp, cultures d’anacarde, d’arachide et de marijuana.
« On n’est pas découragés, mais vivre dans lemaquis est difficile. Parfois, tu n’as même pasde quoi manger… Enfin… Nous souffrons pourla population de la Casamance, pour sonunité », se résigne Jacob Diatta. Pourtant, le Mouvement des forces démocratiques de
LES « GAMINS », QUADRAGÉNAIRESÀ L’AIR JUVÉNILE
ET VÊTUS DE FRIPES DÉLAVÉES,
INCARNENTLA RELÈVE DE
CETTE RÉBELLIONQUI S’ESSOUFFLE
Sénégal En Casamance,
la plus vieille rébellion d’Afrique
« Ni guerre ni paix » : la province du sud du Sénégal est, depuis 1983,le terrain d’un conflit à bas bruit pour l’indépendance. Les autorités ont
parié sur le pourrissement de cette lutte aujourd’hui au point mort
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 géopolitique | 17
Casamance n’est pas un modèle d’harmonie.Depuis la fin des années 1990, son aile politique et son aile armée se déchirent sur fondd’accusations de corruption et de traîtrise àl’idéal indépendantiste. « Les divisions ontcommencé dès les années 2000, avec l’assassinat de Léopold Sagna. A l’époque, il avait étédésigné comme nouveau chef de l’aile arméepar le leader historique du mouvement, l’abbéAugustin Diamacoune Senghor », relate M. Diédhiou, l’anthropologue.
Depuis, deux chefs importants du MFDC,César Atoute Badiate et Salif Sadio, se sont lancés dans une lutte fratricide, voulant ravir la place des chefs disparus. Le premier a installé sa faction à Cassolol, à la frontière entre le Sénégal et la GuinéeBissau, et a chassé le second vers le front nord en 2006, près de la frontière sénégalogambienne.
DES MILLIONS DE FRANCS CFA DISTRIBUÉSCes rivalités intestines ont été exacerbéessous la présidence au Sénégal d’AbdoulayeWade (20002012). « Il a accentué la divisionde la rébellion casamançaise en injectant beaucoup d’argent dans le maquis », explique Ibrahima Gassama, journaliste et animateurde l’émission de radio dominicale « Le Carrefour de la paix », consacrée à ce conflit. Des millions de francs CFA ont été distribués à deschefs et à des intermédiaires pour acheter la paix, mais cette stratégie a donné le goût du gain aux combattants du MFDC et conduit àson éclatement. « Aujourd’hui, on identifie une vingtaine de campements de rebelles le long des frontières », affirme M. Diédhiou. Labrutale partition du mouvement armé a profité à l’installation de deux autres factions.Celle de Fathoma Coly, dite « Diakaye », situéedans la zone des palmiers, au nordouest deZiguinchor. Et le camp d’Ibrahima Compass Diatta, au sudest de la capitale casamançaise,près du village de Sikoum.
Jacob Diatta et ses compagnons assurentque les tensions entre les leaders du MFDC appartiennent au passé. « Il y a eu des divisions, mais maintenant c’est fini, clametil, tout en restant évasif sur les intentions de son chef, César Atoute Badiate. Nous sommes unis, il n’ya pas de problèmes. Atoute parle avec tout lemonde. » Des pourparlers ont débuté dès 2014entre les factions de César Atoute Badiate, Fathoma Coly et Ibrahima Compass Diatta, avecl’ambition d’unifier l’aile armée, condition sine qua non pour engager des négociations de paix avec l’Etat sénégalais. Mais, là encore, l’entente est fragile. Fin avril, Ibrahima Compass Diatta a été accusé de trahison et destitué de sa fonction de chef.
Dans le maquis, cette relative accalmie apermis à certains combattants de fonderune famille. Certains se sont mariés et sontdevenus pères, brouillant les frontières entre leurs quotidiens de rebelle et de civil.« Moi, j’ai des enfants en pagaille ! », plaisanteJacob Diatta. Autour de lui, les éclats de rirefusent. Il explique, non sans fierté, rendre visite à ses rejetons une semaine par mois.« Mais tu ne peux pas quitter comme ça le
maquis, sans permission », expliquetil.« Ceux qui ne sortent jamais du maquis sonttrès peu nombreux aujourd’hui », affirmeMokhtar Niang, exmembre du Centre pour le dialogue humanitaire, une ONG suissespécialisée « dans la diplomatie privée », quia organisé des pourparlers entre les factions,dès 2014. « La plupart des rebelles du MFDCcirculent entre la brousse, Ziguinchor, la GuinéeBissau et la Gambie. Même les chefs de faction, excepté Salif Sadio, bougent beaucoup. Ils ont des femmes et des enfants un peu partout dans la région. »
Adossé contre une case, Eugène Diédhioufixe l’écran brisé de son téléphone portable.A 38 ans, il est le plus jeune du groupe et n’aconnu la Casamance qu’en état de conflit. D’abord à 13 ans, comme réfugié fuyant levillage casamançais de Youtou jusqu’en GuinéeBissau, puis comme maquisard, à 18 ans. Aujourd’hui, ce neveu de Kouba BouliDiatta jure qu’il n’attend qu’une chose : « Sevenger de l’armée », toujours présente auxabords des villages casamançais. Son impétuosité n’étonne personne. Pieds nus, il se lève, s’échauffe et se rassoit. Jacob Diatta reprend la parole, solennel : « Nous, on veut négocier avec l’Etat du Sénégal pour avoir lapaix. » Il y a quelques années, aspirer à unetrêve s’apparentait à un acte de trahison. Demême qu’abandonner le maquis pour dénoncer la lutte armée.
A Ziguinchor, centre économique et politique de la Casamance, Louis Tendeng est une figure locale. Il est l’un de ceux qui fondèrentle premier maquis, sous l’autorité de Sidy Badji, le chef historique d’Atika. Sur le parvis de la Maison de la paix, avenue IbouDiallo, l’ancien maquisard a aujourd’hui des allures dedandy, avec son panama et sa chemise àfleurs. D’emblée, il reconnaît que « ce conflit atrop duré ». Depuis son départ de la broussecasamançaise, en 1996, Louis Tendeng œuvre pour que les rebelles acceptent de négocier avec Dakar. « Au début, ils me considéraient tous comme un corrompu, alors que cen’était pas le cas ! », se défend le sexagénaire.Il collabore avec plusieurs ONG impliquées
dans la médiation, et utilise son réseaucomme son expérience du maquis pour s’adresser tantôt aux officiels sénégalais, tantôt aux rebelles. « J’ai perdu mon temps, toute ma vie, dans ce conflit. La seule choseque je regrette, c’est qu’il n’y ait toujours pas de solution », déploretil.
En 2012, l’arrivée à la tête de l’Etat de MackySall – toujours en place – avait suscité un regain d’espoir. Le président avait affiché sa volonté de négocier avec le MFDC. Mais, au seindu mouvement profondément divisé, seul Salif Sadio, chef de la faction Nord, avait saisi l’occasion. Depuis, les négociations sont placées sous l’égide de la communauté catholique de Sant’Egidio. En huit ans, une dizaine de rencontres ont été organisées par la médiatrice de paix, à Rome, entre les représentants des deux parties. Pourtant, le gouvernement sénégalais est resté très discret sur la teneur de ces discussions. La dernière en date s’est déroulée les 28 et 29 février, après deux ans d’interruption dans les pourparlers.
Profitant de ce silence, Salif Sadio a organisé, lui, une série de réunions publiques dans son fief du Fogny, au printemps 2019. Officiellement, il souhaitait rendre compte de l’avancée du processus de paix, mais,comme en témoigne une vidéo que Le Monde a pu consulter, le chef indépendantiste utilisait ses rassemblements pour diffuser des idées radicales. Entouré de ses hommes armés, il s’est adressé, le 29 juin, à plusieurs centaines de villageois rassemblés dans le bourg de Baye Peul (nord de la Casamance). « Le Sénégal nous a poussés à entrer dans le maquis. C’est l’armée qui nous a attaqués en premier. Alors pourquoi n’aurionsnous pas le droit de leur tirer dessus ? », atildemandé en mandingue (dialecte ouestafricain), avant d’être applaudi par la foule.
DISCUSSIONS DE PAIX À ROMEVêtu d’un boubou immaculé, le septuagénaire a martelé pendant plus de deux heuresses arguments en faveur de l’indépendance.De quoi s’interroger sur l’état des discussions de paix en cours à Rome. Or, ces manifestations orchestrées par Salif Sadio ontpourtant été menées, au départ, avec l’avaldes autorités locales. L’armée quadrillait lazone pour prévenir tout débordement. Mais,jugés trop subversifs, les « meetings » ontfini par être interdits. Certains des lieutenants de Salif Sadio ont même été arrêtéspour leurs propos séditieux. Le chef de guerre ne s’est pas exprimé en public depuislors. Et pour cause : plusieurs sources officielles affirment que lui et César Atoute Badiate sont gravement malades.
Ce déclin des leaders du MFDC a coïncidéavec la disparition de régimes autrefois favorables à la rébellion, en Gambie et en GuinéeBissau. En 2017, la chute du dictateur gambien, Yahya Jammeh, a privé Salif Sadio de son principal soutien politique et financier. Exilé en Guinée équatoriale, l’autocrate a aussitôt été remplacé par un proche de MackySall, Adama Barrow, président depuis 2016,
malgré sa promesse de ne rester au pouvoirque trois ans. En GuinéeBissau, l’élection d’Umaro Sissoco Embalo, en décembre 2019, a aussi marqué la fin d’une ère. Cet autre ami de Macky Sall, au positionnement libéral, est le premier président à ne pas porter les couleurs du Parti africain pour l’indépendance dela Guinée et du CapVert (PAIGC). Jusqu’alors, cette formation avait dominé la vie politique bissauguinéenne depuis l’indépendance du pays, en 1974. Ses liens étroits avec les maquisards casamançais avaient contribué à aggraver l’instabilité politique de la GuinéeBissau. Pour le Sénégal, ce nouveau contexte sousrégional représente une aubaine.
« L’Etat sénégalais est en position de force,sur le plan militaire et sur le plan politique, face au MFDC, note JeanClaude Marut, géographe et spécialiste du conflit casamançais.Pourquoi négocieraitil avec un mouvement en voie d’essoufflement ? Le Sénégal joue la carte du pourrissement, en espérant que la rébellion va s’épuiser d’ellemême. » Les revendications indépendantistes finiront par mouriravec ceux qui les ont formulées, croiton au sommet de l’Etat. « Le Sénégal n’a jamais considéré la situation casamançaise comme un conflit, et encore moins comme une guerre régionale. Pour les autorités, cela reste une crise interne. Encore aujourd’hui, certains officiels n’hésitent pas à dire que les rebelles sontjuste des enfants perdus de la nation », assure Mokhtar Niang, exmembre de l’ONG Centrepour le dialogue humanitaire.
UNE RÉGION QUI FUT PRISÉE DES TOURISTESDes égarés, que les autorités essaient tantbien que mal de réintégrer dans leur giron. « L’objectif est que les combattants du MFDCquittent le maquis pour revenir progressivement à la vie civile », confirme M. Marut. Les projets de développement se sont multipliés pour désenclaver cette région autrefois priséedes touristes et relever son économie exsangue. Depuis début 2019, « une centaine de combattants » auraient exprimé leur souhaitde déposer les armes, selon Robert Sagna, ancien maire de Ziguinchor et président du Groupe de réflexion pour la paix en Casamance, qui intervient en tant que facilitateur dans les négociations.
Combien sontils, à l’inverse, qui rejoignent les rangs du mouvement ? Aucun chiffre fiable n’existe, même si tout porte à croire qu’ils sont de moins en moins nombreux. « Bien sûr qu’il y en a ! Je suis moimême la preuve que des jeunes partent encoredans le maquis », s’agace Eugène Diédhiou.Mais que vontils faire dans une lutte arméeau point mort ?
« Ni guerre ni paix ». L’expression est régulièrement évoquée pour décrire ce statu quocasamançais. Et ses effets pervers. La rébellion a bâti une économie parallèle lui permettant d’entretenir son influence sur ses territoires. Les trafics de bois de vène, de chanvre, de noix de cajou et de produits importés prospèrent dans les zones transfrontalières, àproximité des cantonnements du MFDC. La contrebande occupe de nombreux maquisards. Face à cette situation, l’Etat sénégalais semble fermer les yeux. En mars, une enquête menée par la BBC Afrique révélait que 10 000 hectares de forêt de bois de rose en Casamance avaient été abattus illégalement depuis 2014. « La région est livrée à ellemême, au gré du MFDC et des bandits transfrontaliers. Jusqu’à quand ? », interroge le journalisteIbrahima Gassama.
Ces trafics offrent surtout des opportunitésde reconversion aux maquisards les plus haut placés. « Les chefs de la rébellion se préparent au moment inévitable où l’étau va se resserrer sur eux. Ils pourront alors s’évaporer dans la nature du jour au lendemain, puisqu’ils ont des attaches hors du maquis. La plupart d’entre eux possèdent des documents d’identité à la fois sénégalais et bissauguinéens ou gambiens », précise M. Niang.
Pour les combattants de Cassolol, il n’estpas question de reconversion ni de déposerles armes. Tous s’accrochent à leur vérité. « Sile Sénégal ne veut pas régler notre problème,nous resterons et mourrons ici. Nous ne sortirons jamais du maquis ! », prévient JacobDiatta. « C’est nous qui avons perdu le plus dans cette guerre, poursuitil, tout en sortant de sa poche une feuille à rouler et un petit flacon de chanvre indien. Mais ce n’estpas grave. S’ils acceptent de nous rendre la Casamance, nous leur pardonnerons. »« Dieuredieuf [« merci » en wolof] le Sénégal !Puis c’est tout : on oublie », terminetil dansun souffle de fumée.
mariama darame
LES DATES
1er janvier 1981 Abdou Diouf est élu président du Sénégal.
26 décembre 1982 Manifestation à Ziguinchor, « capitale » de la Casamance, pour une meilleure répartition des terres et l’amélioration du système éducatif.
Janvier 1983 Création d’« Atika »,branche armée du Mouvement des forces démocratiques casamançaises (MFDC).
29 mars 1991 Premier accordde cessez-le-feu entre le gouver-nement sénégalais et le MFDC.
Mars 1993 Détection de mines antipersonnel en Casamance.
6 avril 1995 Disparition de quatre ressortissants français près de la station balnéaire du cap Skirring.
19 mars 2000 Abdoulaye Wade est élu président du Sénégal.
30 décembre 2004 Signature d’accords de paix entre l’Etat du Sénégal et le MFDC, à Ziguinchor.
14 janvier 2007 Mort, à Paris, de l’abbé Diamacoune Senghor, figure charismatique du MFDC.
25 mars 2012 Macky Sall est élu président du Sénégal. Début des né-gociations entre le gouvernement et le chef de la faction Nord, Salif Sadio.
A gauche : Richard Mendy, à Punta Rosa (Casamance), le 26 janvier 2018, montre les traces des obus que l’armée sénégalaise a lancés sur les rebelles du MFDC. Les autorités réagissaient au meurtre de 14 bûcherons, le 6 janvier, dansla forêt de Bourofaye, au sud de Ziguinchor.
Cidessus : la forêt de Bissine, en Casamance,le 27 janvier 2018.La contrebandeet le trafic de bois provoquent de vives tensions dansla région.MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU
GAMBIE
GUINÉE-BISSAU
CASAMANCE(SÉNÉGAL)
Ziguinchor
Cassolol
KassouYoutou
Diagnon
Bissine Sikoum
FOGNYOcéanAtlantique
SÉNÉGAL
50 km
Infographie Le Monde
CASAMANCE
Eramé
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18 | géopolitique DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
De l’Ethiopie au Yémen, sur la route des larmesAvec l’espoir d’arriver un jour en Arabie saoudite et d’y gagner leur vie, des milliers d’Oromo quittaient l’Ethiopie, avant la pandémie de Covid19, pour se lancer, à pied, dans une traversée infernale. Le photographe Oliver Jobard les a suivis dans leur calvaire
Hodeïda
Aden
Obock
Ras Al-Arah
SOMALIE
ARABIE SAOUDITE
DJIBOUTI
ÉTHIOPIE
ÉRYTHRÉE
Golfe d’Aden
Bab Al-Mandab
Mer Rouge
Sanaa
YÉMEN
100 km
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 géopolitique | 19
johannesburg correspondant régional
C’est une route desouffrance, de mort,d’espoirs trompés :elle rase le Bab AlMandab, la « portedes larmes » (ou des
lamentations), dont le nom, figurativement, désigne l’entrée de la mer Rouge, entre l’Afrique et la péninsule Arabique. Une étape le long d’une route de plusieurs milliers de kilomètres, empruntée par des damnés venant d’Ethiopie qui bravent la mortpour se rendre en Arabie saoudite.
Les hommes et les femmes, souventtrès jeunes, très pauvres, qui traversent, à pied, les étendues minérales de Djibouti ou la zone côtière du sud du Yémen, appartiennent presque tous au groupe des Oromo, le plus important d’Ethiopie, dont ils constituent environ le tiers de la population (quelque 30 millions de personnes). De leurs campagnes, ils tentent de rejoindre les pays du Golfe dans l’espoir d’y trouver du travail. Pour cela, il faut passer à travers le Yémen, plongé dansla guerre civile depuis 2015.
Le désert brûlant en tongsFin 2019, Charles Emptaz et Olivier Jobard ont sillonné la partie la plus dure de cette route. Arrivés d’Ethiopie, des centaines d’hommes et defemmes traversent à pied la frontière de Djibouti pour gagner la côte. Ils avancent, certains en tongs, en bermuda, dans ce désert de roches brûlantes. Ceux qui survivent atteignent le golfe d’Aden. Ils s’y embarquent à bord de boutres jusqu’à Ras AlArah, sur la côte sud du Yémen.
Les candidats au monde meilleurpassent sur l’autre rive, changent de continent. Certains vont être enlevés,torturés, rançonnés. De cette traversée de l’enfer, les deux journalistes ont rapporté un documentaire rare, d’une tristesse qui prend à la gorge (Yémen : à marche forcée, 2019, disponible en replay sur Arte.tv).
Lorsque ce travail a été réalisé, plusde 20 000 personnes passaient chaque mois, sans aide extérieure, organisations humanitaires ou témoins. Désormais, la « route de la mort » est coupée. Ce que l’épidémie de choléra, qui a endeuillé le Yémen ces dernières années (plus de 1 million de cas, 2 000 morts) n’était pas arrivée à faire, le Covid19 y est parvenu : les passeurs yéménites ont cessé leur activité. Restent, en souffrance, des milliers de ces voyageurs bloqués à Aden, les plus abandonnés des abandonnés.
jeanphilippe rémy
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Page de gauche, en bas : avant de franchir clandestinement la frontière entre l’Ethiopie et Djibouti, les Oromo doivent affronter le désert de Galafi, l’une des régions les plus chaudes du monde.En haut : un boutre où se sont entassés soixante-dix migrants oromo pour une traversée de quatre à six heures du détroit de Bab Al-Mandab (« porte des larmes »), qui relie Djibouti au Yémen.
Ci-contre : halte entre Ras Al-Arah et Aden. Devant les restaurants situés sur la route, les migrants, affamés, récupèrent les restes des clients pour se nourrir.
Ci-dessous : un groupe de migrants oromo, installé devant un stade désaffecté d’Aden, la grande ville du Yémen du Sud. Après avoir parcouru des milliers de kilomètres, désargentés, ils tentent de travailler ou mendient dans l’espoir de continuer leur route vers l’Arabie saoudite.PHOTOS : OLIVIER JOBARD/MYOP
En haut, à gauche : des migrants oromo à peine débarqués sur la côte sud du Yémen.En bas : une fois arrivés au Yémen, les Oromo doivent marcher de quatre à cinq jours pour atteindre Aden.
Ci-dessus : après leur débarquement sur la côte sud du Yémen, près du village de Ras Al-Arah, les migrants oromo entament leur longue marcheà travers ce pays détruit par la guerre civile.
20 |horizons DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
Le bonheur briséde Sarah Hegazy
Pour avoir brandi le drapeau de la cause homosexuelle lors d’un concert au Caire, cette jeune militante égyptienne a été jetée en prison, torturée, contrainte à l’exil au Canada, où elle a mis fin à ses jours en juin
L ongtemps, Sarah Hegazy a eudeux vies. L’une à la maison, dejeune fille sage et voilée, principalsoutien de sa famille depuis lamort de son père. L’autre surInternet et en ville, de militante
LGBT et communiste en Egypte. Un soir deseptembre 2017, dans la communion d’un concert du groupe de rock libanais Mashrou’Leila, idole de la jeunesse révolutionnairearabe, Sarah a fait cesser cette schizophrénie et joint les deux bouts de son existence. Elle abrandi le drapeau arcenciel de la cause homosexuelle dans la nuit cairote, tête nue ettout sourire. Mais il a suffi qu’une photo de cecoming out, de ce bonheur sans retenue, soit postée sur les réseaux sociaux pour que la viede Sarah Hegazy explose.
Dénoncée dans la presse, arrêtée, interrogée,torturée et poursuivie en justice, elle a été contrainte à l’exil. Deux ans et demi après son départ d’Egypte, elle a mis fin à ses jours, le 14 juin 2020 à Toronto, en laissant ce court message : « A mes frères et sœurs – j’ai essayé detrouver le salut mais j’ai échoué, pardonnezmoi. A mes amis – l’épreuve est dure et je suis trop faible pour l’affronter, pardonnezmoi. Aumonde – tu as été extrêmement cruel, mais je tepardonne. » La courte vie de Sarah Hegazy, morte à 30 ans, loin de sa famille et de son pays, résume à elle seule une décennie tragique dans le monde arabe : les réseaux sociaux,la révolution, la cause LGBT, la contrerévolution encore plus féroce que l’ancien régime, la torture, l’exil et la mort. Les causes et les enchaînements diffèrent, mais, en Egypte, comme en Syrie, en Libye ou au Yémen, le formidable espoir soulevé par les révolutions de 2011 a débouché sur une terrible tragédie, un gâchis incommensurable.
ABANDON DU VOILELorsque la révolution éclate, le 25 janvier 2011,au Caire, Sarah Hegazy vient tout juste d’avoirle bac. Issue d’une famille de la toute petite classe moyenne, elle n’a pas les moyens d’entamer de longues études à l’université et effectue l’équivalent d’un BTS informatique. Son père, professeur de physique, vient de mourir. Sa mère n’a jamais travaillé. Il faut assurer l’avenir des deux petits derniers, une fille et un garçon que Sarah prend sous son aile. Le fils aîné est déjà ailleurs. C’est elle « l’homme de la famille ». « Pendant ses années de collège et de lycée, Sarah était salafiste,raconte Mostafa Fouad, son avocat. La révolution lui a ouvert tout un champ de pensée etd’idées. » Elle s’est mise à tout lire : Marx, Dostoïevski, Simone de Beauvoir.
Si elle ne fait pas partie de ceux qui ontlancé la révolution, à l’instar de Wael Ghonim, responsable marketing chez Google
MoyenOrient et administrateur de la principale page Facebook ayant appelé à manifester dès le 25 janvier, Sarah Hegazy appartient à la génération qui s’est politisée grâce à elle. Cette jeunesse est nombreuse (les moins de 20 ans forment plus de la moitié de la population), à l’aise avec les outils numériques, ettrès majoritairement urbaine. Après la chute d’Hosni Moubarak, au pouvoir depuis trente ans, la censure est levée, au moins pendant quelques mois. La Toile se transforme en unegigantesque place Tahrir virtuelle. Jusque dans les villages les plus reculés, la jeunesse égyptienne découvre un océan d’idées neuves parfois choquantes : l’athéisme, l’homosexualité, le féminisme et le communismes’exposent au grand jour.
Du salafisme, Sarah Hegazy glisse vers unconservatisme de plus en plus éclairé. La révolution est déjà largement enterrée par le président Abdel Fattah AlSissi, issu de l’armée. Après avoir renversé, en 2013, les Frères musulmans, portés au pouvoir l’année précédente par les premières élections libres de l’histoire de l’Egypte mais incapables de gérer le pays, il a réprimé la gauche et les militants des droits de l’homme. Son élection à la présidence, en 2014, fleure bon les plébiscites d’antan.
Mais Sarah n’en a cure, elle repousse toujours plus loin ses limites. « Elle a eu un petitami, mais ça ne marchait pas, confie Omar Ghoneim, l’un de ses plus proches amis durant ses tout derniers mois. Les garçons ne l’attiraient pas autant que les filles. Elle ne vivait pas très bien cette différence. Elle se demandait si quelque chose n’allait pas bien chez elle. » Mostafa Fouad confirme : « En 2016, elle se voyait comme bisexuelle. Début 2017, elle a compris qu’elle était homosexuelle. Elle en parlait de plus en plus librement. » Perpétuellement amoureuse, elle décide de ne plus porter le voile, mais sa famillen’en a rien su, car la jeune femme continuait à l’arborer dans son quartier conservateur et populaire de Sayeda Zeinab. Elle avait même créé deux comptes Facebook : l’un pour la famille, l’autre pour le militantisme.
Sans être formellement interdite par la loi,l’homosexualité est un tabou dans une société aussi religieuse et conservatrice que l’Egypte, autant pour les musulmans qu’au sein de la communauté copte, les chrétiens locaux. Même si, dans les faits, les pratiques homosexuelles ne sont pas rares, notammentparce que l’âge moyen du mariage ne cesse de reculer à cause de la difficulté des jeunes àtrouver un emploi, et donc à s’installer horsdu domicile familial. Le tabou véritable, c’est l’homosexualité assumée, revendiquée. Le pouvoir, en mal de légitimité, n’avait pas hésité à jouer sur cette corde sensible durant le dernier tiers du régime Moubarak.
Sarah Hegazy avait 12 ans quand a éclaté lescandale du Queen Boat. Cette discothèque installée sur une péniche amarrée sur les rivesdu Nil, juste en face du ministère des affaires étrangères et du siège de la radiotélévision, était l’un des hauts lieux de la communauté gay du Caire. Le 11 mai 2001, la police y effectueune descente surprise et arrête 52 hommes. Larafle est aussitôt relayée par les médias gouvernementaux, qui jettent en pâture au publicles noms et adresses des prévenus. Soumis à un test anal afin de « prouver leur homosexualité » et passés à tabac, cinquante d’entre eux sont jugés dans la foulée pour « débauche » et « comportement obscène », les deux restants pour « mépris de la religion ».
Le 14 novembre suivant, vingtdeux accusésfurent déclarés coupables de « pratique habituelle de la débauche », un de « mépris de la religion » et un des deux chefs d’accusation. Ce dernier reçut la peine la plus lourde, cinq ans de travaux forcés. Un mineur, jugé par un tribunal spécial, fut condamné à trois ans de prison plus trois années de mise à l’épreuve. Un second procès, en 20022003, s’acheva par la condamnation à trois années de prison de 22 accusés et l’acquittement de 29 autres.
Cette chasse aux sorcières d’un type nouveau visait, pour le pouvoir, à contrer les islamistes sur leur terrain, celui des bonnes mœurs et des valeurs conservatrices. Seize ans plus tard, la recette est exactement la même : occuper le terrain des islamistes tout en les réprimant férocement, détourner l’opinion publique des difficultés de la vie quotidienne au moyen de scandales spectaculaires.Sarah Hegazy est d’autant plus dans le collimateur de la Sécurité nationale, le service qui a remplacé à l’identique l’exSécurité d’Etat, la police politique honnie sous Moubarak, qu’elle a participé, en 2017, à la fondation de Pain et liberté, une formation marxiste, toujours en attente de son autorisation à ce jour.
Homosexuelle revendiquée, militante féministe et de gauche, autrice d’un blog où elle exposait ses idées au grand jour, elle devenait une « cible ». La photo de son coming out dif
fusée sur les réseaux sociaux sans son consentement – par un jeune homme qui est décédé depuis dans un accident de voiture – offre un prétexte idéal. Une campagne de presseannonce la répression à venir : le « drapeau gay » est décrit comme le signal d’un « complot financé par l’étranger » et destiné à « détruire les fondements de la société égyptienne ».
Mostafa Fouad, qui dirige alors le HeliopolisCenter for Political Development and Human Rights Research, est aussitôt prévenu de son arrestation et de son incarcération au commissariat de Sayeda Zeinab, tout près du ministère de l’intérieur. « Sarah pensait sortir rapidement et son principal souci était d’éviter que sa famille ne l’identifie, raconte l’avocat.D’ailleurs, son frère aîné ne l’avait pas reconnuesur la photo. » Mais son identité fuite rapidement et une vaste rafle vise les participants auconcert de Mashrou’Leila – plus de 75 personnes sont arrêtées. Le groupe proteste, en vain.
ISOLEMENT TOTALAvant d’être transférée devant le procureur de la Sécurité nationale, chargé des affaires terroristes, pour être interrogée, Sarah Hegazy subit une première torture : ses geôliers la désignent comme homosexuelle aux autres codétenues, les incitant à la molester. Cette « technique » est couramment utilisée par les policiers égyptiens : un jeune Français, EricLang, est ainsi décédé mystérieusement pendant sa détention dans un commissariat du centre du Caire en septembre 2013, probablement des suites d’un tabassage en règle mené par d’autres prisonniers.
Dans le bureau du procureur, la jeunefemme découvre que les enquêteurs « savent tout d’elle », comme le raconte son avocat. On l’interroge sur ses idées politiques, sescontacts, ses fréquentations, ses pratiques sexuelles. Elle est ensuite envoyée à la prisonpour femmes d’AlQanater, là où fut détenue au tout début des années 1980 son modèle, l’intellectuelle et féministe Nawal AlSaadawi. Selon son récit ultérieur, elle est soumise à des chocs électriques, notamment dans les parties génitales. Mais le plus dur estl’isolement total qui lui est imposé. « Elle n’avait pas le droit aux promenades, ni àaucun moyen d’écrire ou de communiquer », toujours selon Mostafa Fouad.
A sa sortie, dans l’attente de son procès,elle est passible de quinze ans de prison. Mais, surtout, elle est devenue la cible d’unehaine en ligne terrifiante. Même sa famille larejette, à l’exception de sa mère malade et le cœur brisé, d’un cousin et de ses deux cadets. Elle n’a d’autre choix que d’accepter la proposition d’asile du Canada, où elle émigre en mars 2018, ainsi que son ami AlaaAhmed, arrêté, torturé et poursuivi lui aussi pour avoir brandi le drapeau arcenciel. Son avocat, Mostafa Fouad, est également contraint à l’exil en Turquie.
Mais le soulagement de trouver un havresûr est rapidement supplanté par la dureté de l’exil. Sa mère décède quelques semainesplus tard. « Elle a alors développé une culpabilité terrible d’être loin », se souvient Mostafa Fouad. Le Canada et son climat rigoureux lui pèsent. Elle découvre l’intégrismed’une partie des musulmans d’Occident. Sesécrits, où elle fustige le caractère réactionnaire de la classe moyenne arabe, les ulcèrent. « Elle se voyait un destin en Egypte, renchérit Omar Ghoneim, qui vient d’obtenir lestatut de réfugié en France après deux années de procédure. En la coupant de sonpays, on l’a privée de son oxygène. »
Elle ne parvient pas à se faire d’amis parmiles Egyptiens de Toronto, trop obsédés par laréussite matérielle et « manquant de profondeur », selon ses dires, ni dans la communauté LGBT, qui la prend en pitié et ne comprend rien à son parcours paradoxal ni àses diatribes antiimpérialistes. Seul Bernie Sanders trouve grâce à ses yeux. Elle ne possède pas les codes ni l’aisance internationaledes jeunes gens riches passés par l’université américaine du Caire.
Le plus dur reste les souvenirs de détentionqui la hantent et qu’elle a racontés dans un texte de 2018 récemment publié par Libération. « Sarah s’est toujours souciée des autres, explique Omar Ghoneim. Mais rien ne pouvaitla sauver d’ellemême. Elle voyait des médecins,mais soit on l’assommait de médicaments ou de chocs électriques, soit les doses étaient trop légères, elle reprenait espoir puis rechutait. »
Pour Sarah Leah Whitson, directrice MoyenOrient et Afrique du Nord de Human Rights Watch, qui l’avait rencontrée récemment, Sarah Hegazy était « clairement en souffrance, traumatisée par sa torture ». « Au cas où quelqu’un aurait un doute, le gouvernement égyptien l’a tuée », ajoutetelle. Sa mort a déchaîné les anathèmes habituels, mais a aussi suscité le soutien public émouvant d’Hamed Sinno, le chanteur gay de Mashrou’Leila, luimême en exil à New York, et surtout une vague sans précédent de soutiens à la cause LGBT dans le monde arabe.
christophe ayad
« ELLE SE VOYAIT UN DESTIN EN ÉGYPTE.
EN LA COUPANT DE SON PAYS, ON L’A PRIVÉE
DE SON OXYGÈNE »OMAR GHONEIM
ami de Sarah Hegazy
Sarah Hegazy, en avril 2018. SARAH HEGAZY/INSTAGRAM
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 CULTURE | 21
James Carlès : « Ce sont les psychés qu’il faut réparer »UNE PROMENADE AVEC… 2|7 Chaque samedi, cet été, « Le Monde » se met dans les pas d’une ou d’un artiste dans un lieu qui lui tient à cœur. Aujourd’hui, déambulation au Mirail, à Toulouse, avec le chorégraphe et danseur
U n car de police nousdouble, fait demitour. Hésite à s’arrêterà notre hauteur. S’en
va. « Ah… J’ai bien cru… A chaquefois, je me dis : c’est pour moi. Ilreste une peur qui vient de l’adolescence. On a été si souvent contrôlés… Et pas toujours de façon douce. » Voix chaude, gestes tendres, souplesse du lynx lorsque d’un seul coup son grandcorps de danseur se met en mouvement, James Carlès, 52 ans,nous emmène à travers les quartiers du Mirail, à Toulouse. « Le racisme est complexe et multiforme.Celui de l’affaire George Floyd, c’estcelui qui pavane. Mais il y a aussitoutes les autres formes cachées.Lutter contre ça est un combat de tous les jours qui ne peut être qu’une démarche personnelle, sur soi et avec ce qui nous entoure. Jene vais plus aux manifestations. Jel’ai beaucoup fait. Je me méfiemaintenant des effets inverses, desrécupérations. »
Le chorégraphe (son spectacleCoupédécalé, créé avec la SudAfricaine Robyn Orlin, a fait le tourdu monde) est également chercheur depuis sept ans à l’université du Mirail, où il travaille avec l’équipe du philosophe JeanChristophe Goddard sur les discriminations et la « pensée décoloniale ».
A côté du centre chorégraphique qu’il a créé avec sa troupe, il y a vingtdeux ans, dans une ancienne coopérative laitière le longde la Garonne (1 000 m2 de parquet de bal, une cinquantaine deprofesseurs, cours, répétitions,présentations de petites « formes »), il a d’ailleurs installé son propre centre de documentationpersonnel sur les afrodescendants. En majesté, au milieu desempilements de livres, le mobilier royal que son père avait autrefois offert à son roi, à Bana, dans la partie francophone duCameroun, à 200 kilomètres aunord de Douala.
« Croyant universel »Au départ est le grandpère – lequel, mort à 114 ans, a chevauché trois siècles. Lorsque celuici était jeune, au début du XXe siècle, deux de ses frères ont été « attrapés » et vendus – sans qu’on sacheexactement dans quelles conditions. Ce qui est sûr, c’est que le roia laissé faire, la zone de transit était située derrière le palais, et aucun esclave ne partait sans son aval. La famille est allée le voir, il areconnu son erreur, mais il était trop tard. « C’est resté une hontefamiliale. Mon grandpère puis mon père n’ont cessé de les chercher, par tous les moyens, à travers
les archives, en interrogeant les esprits… On a finalement retrouvél’un d’eux dans une grande plantation de la côte, vers Limbé, dans la région anglophone. Mais les retrouvailles se sont mal passées. L’autre frère, lui, n’a laissé aucunetrace », raconte James Carlès, quicontinue de porter cette histoire comme un traumatisme.
Le danseur est passé par Freud,Lacan et la psychogénéalogie pour transformer une guerre intérieure en force souterraine. « Onparle peu de la sidération qu’a produite toute la violence de cette époque. Pour reconstruire, il faut d’abord réparer. Croyezmoi, ce n’est pas d’argent qu’il s’agit, ce sont les psychés qu’il faut réparer. »
Sa mère est catholique ; sonpère, riche entrepreneur converti à l’islam, vient d’une culture animiste. Il lui a transmis la pratique du culte des crânes (tous conservés soigneusement après la mort)et a procédé à des rites ancestrauxpour que, loin du pays, on puisse se recueillir chez lui, en France.« Ce fut un sacré bordel pour me situer », confie le danseur, qui aujourd’hui se considère « croyant universel ». Ses grandsparents parlaient allemand, lui a grandi avec le français (langue officielle au Cameroun, avec l’anglais), mais le fe’efe’e, un dialecte bamiléké, est sa langue mater
nelle. « Chez nous, on dit : “secondelangue”. La première, c’est la langue du bébé, celle que tout artisterecherche. » Sa femme est de l’Aude, ils ont trois enfants, l’aînéfait du rap… On sourit à ce concentré d’histoire du monde sousles fenêtres de ces citéscarrefoursqui bâtissent celui de demain.
On a repris notre marche, d’unedalle l’autre. « Quand tu es jeune,tu tues le temps en marchant. C’estici qu’on errait. On était un peu despseudomarginaux, des caïds… Onnous laissait entrer en discothèque parce qu’on dansait, parce qu’on y faisait le spectacle. » Il habitait à côté, làbas (il tend le doigtvers le nordest), à Bagatelle. On contourne le lac de la Reynerie : un plan d’eau bucolique où surnagent ici et là des chariots de supermarché abandonnés et des canettes de Fanta. « C’était beaucoup plus sauvage, moins aménagé, autrefois. On avaitl’impression d’être dans le jardind’un château privé avec son pland’eau juste sous les barres dont aujourd’hui beaucoup ont été détruites. C’était le lieu des concerts et l’endroit où s’isoler avec les copines. Dès que j’ai mis un pied ici, j’aisu que c’était ma ville. »
Prophétie réaliséeJames Carlès avait 13 ans lorsqu’il adébarqué du Cameroun, à Bordeaux. Un gosse de riche donc.Son père a trois femmes, et 22 enfants que le patriarche envoie en France pour étudier. Un jour, un chaman lui conseille de rassembler à Toulouse sa descendance éparpillée dans tous les coins de l’Hexagone. Ce sera, affirme cet « oracle blanc », l’assurance qu’ils réussiront dans la vie. Le père achète un appartement à Bagatelle (James Carlès montre au loin,derrière l’horizon des barres, le quartier tout proche qui l’a vu
grandir). Et la prophétie se réalise :ils sont devenus avocat, médecin, expertcomptable… James, lui, est destiné à reprendre la ferme et les 450 hectares de maïs que la famille possède du côté de Bana.
Sur la dalle héritée des penséesgénéreuses de la politique de la ville, au milieu des tabléesd’hommes cultivant l’ennui àl’ombre des murs fanés, on avaleun kebab. Le souvenir lui revient que c’est précisément ici, dans cette boutique, alors un centre social, qu’il dansait autrefois avec ses copains Abdul Djouhri ou Tayeb Benamara, pionniers etaujourd’hui figures du hiphop toulousain. « On n’en était pas encore à vouloir conquérir le centreville. On n’avait qu’une envie,c’était d’être invisibles. Le hiphop nous a aidés à inverser le mécanisme. Le groupe, l’entresoi, nous a donné de la force. » Un jour, uncopain l’entraîne dans une école de danse classique. Il a 17 ans et découvre les vidéos d’Alvin Ailey. Une fois le bac en poche, il obtientd’aller à New York se formerauprès du danseur néoclassiqueafroaméricain.
A Bellefontaine, on longe le centre culturel Alban Minville, puis on passe devant le pôle associatif Bastide. On plaisante : cette promenade, c’est le Toulousetour
James Carlès, dans le quartier du Mirail, à Toulouse, vendredi 10 juillet.GUILLAUME RIVIERE POUR« LE MONDE »
Une fois le bacen poche,
il obtient d’allerà New York
se former auprèsdu danseur
néoclassique Alvin Ailey
des centres sociaux ? La culture, dernier fil effiloché du lien social ? On sent un doute chez le danseur, qui justement met enœuvre dans un autre de ces centres ce mantra des politiques :« l’éducation artistique ». « Je trouve ça compliqué et ambigu.Amener les gens à calquer un modèle culturel, au lieu de partir de cequ’ils font, de ce qu’ils aiment… »
Entre Le Mirail et HarlemA la fin de son premier été à New York, James Carlès a été admis à l’école d’agriculture des jésuites toulousains. Les jésuites auront justement l’intelligence, expliquetil, de comprendre qu’il aimait mieux le hiphop que le maïs, et de lui permettre, en l’inscrivant dans un programme pour sportifs de haut niveau, de faire des allersretours entre Le Mirail et Harlem, où il va habiter dans la 128e Rue. « Je dois beaucoup aux jésuites, ils ont même financé mes premiers spectacles. »
Pour la famille, à l’époque, il estle voyou, le paria, celui qui va mal finir. « Il y a eu un long moment desilence et d’incompréhension entremon père et moi. La danse est systémique en Afrique. Le roi danse, ses sujets dansent. Cela structure lecorps social. Un mode civilisationnel, politique, mais dont, paradoxalement, il très mal vu de faire un métier. » Encore aujourd’hui, alorsqu’il ferait presque figure de notable, il reste l’original.
De tout ça, il sourit. Les flics quisurveillent, les motos calcinées, lebéton aride… Il regarde le mondequi l’entoure comme on revisite ses vieilles amours. « Je me sensparadoxalement plus en sécurité en cet endroit. En sécuritépsychologique. »
laurent carpentier
Prochain article Matali Crasset
Le danseur est passé par Freud,
Lacan et la psychogénéalogiepour transformer
une guerre intérieure en
force souterraine
KARL MARX, L’INCONNU
L’espritd’ouver-ture. ©
JohnJabezE
dwinMayall/Publicdomain
Un portrait en 5 épisodes par Christine Lecerf
EN PODCAST ET SUR FRANCECULTURE.FR En partenariat avec
DU 20 AU 24 JUILLET - 9H05/11H MULTIDIFFUSION À 22H10
22 | culture DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
Zizi Jeanmaire s’est envoléeCélèbre pour sa chanson « Mon truc en plumes », la danseuse qui a mêlé ballet, cinéma et musichall est morte à 96 ans
DISPARITION
Q uel prénom ! S’appeler Zizi exige d’avoirune tête plus quebien faite et unjoyeux culot. C’est
Zizi Jeanmaire ellemême, qui s’appelait en réalité Renée, qui s’autobaptisa ainsi lorsqu’elleétait petite. Et ce pseudo lui resta,qu’elle accrocha aux affiches dela danse classique, du musichallet du cinéma, dans le monde entier. Un trajet unique servi par untalent tout aussi exceptionnelque Raymond Queneau, BorisVian et Serge Gainsbourg, entre autres, ont célébré.
Zizi Jeanmaire, créatrice deCarmen, dans la chorégraphie deRoland Petit (19242011), et de la chanson Mon truc en plumes, estmorte le 17 juillet, chez elle, dans sa maison de Tolochenaz, en Suisse, des suites d’une hémorragie cérébrale. Elle avait 96 ans. Née Renée Jeanmaire en 1924, à Paris, elle a 9 ans lorsqu’elle intègre l’école de danse de l’Opéra national de Paris. Elle y croise celui qui deviendra son mari en 1954, Roland Petit, « l’homme de sa vie, son amour, dont elle parlait tous les jours », selon le danseur et amiLuigi Bonino, qui a interprété avec elle nombre de spectacles entre 1975 et 1990. Elle intègre le corps de ballet de la troupe parisienne en 1940 et la quitte quatre ans plus tard. Elle collabore ensuite avec différentes compagnies puis rejoint en 1948 les Ballets de Paris, créés par Petit.
Zizi Jeanmaire, c’est d’abord Carmen, ballet époustouflant taillé sur mesure pour elle par Petiten 1949. « J’avais envie qu’il me chorégraphie un ballet pour moi toute seule, nous racontaitelle en 2006. Il fallait que je l’aie et je l’ai eu. Roland venait de voir l’opéra de Carmen à BadenBaden.Cela a déclenché son désir de lechorégraphier. Je me suis dit quec’était pour moi et je l’ai convaincu… Carmen a été une concrétisation de tout ce que j’avais vécu à l’école de danse, tout ce dont je rêvais. C’est grâce à ce rôle que ma personnalité de danseuse a pu s’exprimer totalement. Je me suis en quelque sorte rencontrée moimême en l’interprétant. »
Pour incarner ce personnage téméraire, elle accepta, à la de
mande du chorégraphe, de couper ses cheveux bouclés pour adopter ce casque court et profilé qui allait être le sien toute sa vie.C’est grâce aussi à ce spectacledans lequel Roland Petit luimême interprétait Don José queces deux personnalités fusionnèrent. « Sur scène, il m’a beaucoupinspirée. On vivait une sorte d’osmose et on s’est rencontrés à travers le ballet. Je suis tombée follement amoureuse de lui grâce à Carmen. Il était incroyable en Don José, très persuasif. Parfois, nousétions tellement à fond dans l’action qu’il lui est arrivé de me donner de vraies claques. »
Carmen fit un triomphe, tournadans le monde entier et reste emblématique d’un classique moderne qui sait rouler des hanches en respectant la verticalité académique. Pendant la tournée aux EtatsUnis, Zizi Jeanmaire commence à prendre des cours de chant et se trouve prête pour endosser le premier rôle dans LaCroqueuse de diamants (1950), toujours sous la direction de Petit,sur des chansons de Raymond Queneau.
« Une belle danseuse classique »Elle s’offre ensuite Hollywood, invitée par le producteur américain Howard Hughes. Elle y tourne lefilm Hans Christian Andersen (1952), de Charles Vidor. La voilàensuite sur Broadway, à New York,avec la comédie musicale The Girl in Pink Tights (1954), avant de repartir sur la côte Ouest. Cette veine musicale qui va devenir la sienne, elle la creuse de retour en France à la fin des années 1950. Elle enchaîne en meneuse de revue mais toujours en dansant et sur pointes des productions à l’Alhambra, au Casino de Paris, à Bobino, au Zénith. En 1961, ellechante pour la première fois son tube fracassant Mon truc en plumes, signé par Jean Constantin.
« C’était d’abord une belle danseuse classique, rappelle Brigitte Lefèvre, directrice de la danse del’Opéra national de Paris de 1995 à2014. Elle dansait remarquablement bien. Je me souviens de l’avoir vu interpréter Carmen dans les années 1960 et c’était incroyable. Il n’y avait qu’elle qui pouvait exécuter ses pas croisés typiques de ce ballet. Elle avait le talent de rendre érotique l’abstraction clas
sique mais sans jamais le montrer,c’était simplement là. »
Le danseur Luigi Bonino ajoute :« Dans Carmen, Roland Petit lui indiquait de travailler les pieds comme des mains, et de lécher le sol, ce qu’elle faisait magnifiquement. Je l’ai vue pour la première fois lorsque j’étais adolescent, dansles années 1960, à la télévision italienne où elle animait l’émission “Studio Uno”. Elle chantait une chanson que je n’ai jamais oubliée et que je lui ai fredonnée lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois en 1975 au Ballet de Marseille. Elle portait à l’époque un pullover qui s’arrêtait au ras des cuisses, sesjambes étaient sublimes et l’ont toujours été. Pourtant, elle ne lesaimait pas. »
Personnalité exceptionnelle,« femme de tempérament mais tendre aussi, toujours en train d’aider les jeunes danseurs », selon Bonino, Zizi Jeanmaire était une travailleuse féroce. « Tous ceux quiont collaboré avec elle me l’ont dit, raconte l’autrice Ariane Dollfus, actuellement en train d’écrire unebiographie de Jeanmaire. Le com
positeur JeanJacques Debout serappelait qu’en 1970, pour la première revue mise en scène par Roland Petit au Casino de Paris dontil avait écrit les chansons, elle faisait sa barre le matin, répétait l’aprèsmidi et retournait travaillerle chant le soir. »
« Sirène canaille »Un penchant que souligne également Eric VuAn, directeur du Ballet NiceMéditerranée depuis 2009, qui a joué et chanté avec elleJava Forever (1988) : « Elle était d’une exigence extrême. Toujours hyperprofessionnelle et ne laissant rien au hasard. Ce qui fait au bout du compte que le spectacle devient une seconde nature où tout est précis et a l’air improvisé. J’admirais son élégance quoi qu’elle fasse, ce métissage entre sa voix gouailleuseet sa sophistication dans sa façon de bouger. »
Juchée sur des chaussons depointes ou des talons aiguilles, Zizi a séduit et emballé des personnalités de premier plan. Aragon affirmait que « sans elle Paris ne serait pas Paris », Boris
Vian écrivit : « Elle a des jambesplus longues que son corps… Elle a des yeux à vider un couvent de trappistes en cinq minutes. Elle a une voix comme on n’en fait qu’àParis. Cette sirène canaille est aussiune danseuse divine, une vraie force de la nature. » Quant à Serge Gainsbourg, il lui écrivit les chansons de Zizi je t’aime, pour le Casino de Paris, en 1972.
En 2000, elle est à l’affiche duspectacle Zizi Jeanmaire 2000, à l’amphithéâtre de l’OpéraBastille.Elle y donnait un tour de chant et yinterprétait deux chansons signées par sa fille, Valentine Petit, écrivaine. Zizi confiait alors au Monde : « Je me retrouve à l’OpéraBastille, comme quand j’avais15 ans à Garnier. Inexplicable ambiance de petite ville dans la grande, avec ses codes, ses traditions. La boucle seraitelle bouclée ?J’ai toujours conservé une âme de danseuse ! Quel exutoire pour se libérer ! Paris est ma ville, j’y suis née.J’y ai le souvenir de tant de sensations fortes, car, avec Roland, seule la création a guidé nos vies. »
rosita boisseau
A Arles, un festival des Suds version lightFaute de pouvoir faire venir des talents de l’étranger, les organisateurs ont recours au brassage hexagonal pour célébrer les métissages musicaux
MUSIQUEarles (bouchesdurhône)
envoyé spécial
F autil y voir un symbole ? Ences temps de Covid19, c’estsur une nécropole romaine,
les Alyscamps, qu’à Arles, le festival Les Suds a choisi de faire renaître la musique vivante. Exit le théâtre antique ou les jardins de l’archevêché qui, depuis 1996, accueillent 50 000 spectateurs venus célébrer les musiques du monde. Cette année, on a fait modeste : ce seront l’espace Croisière et les tombes antiques.
Difficile d’ouvrir les frontièresquand cellesci sont fermées. Le Serbe Goran Bregovic, le Brésilien Lucas Santtana sont restés chez eux, la Malienne Oumou Sangaréa été bloquée à New York… Et on a
appelé les régionaux de l’étape (Manu Theron le Marseillais, avecson dernier projet, Sirventés) et leshabitués (Vincent Segal, avec Ballaké Sissoko…).
Interrompant le chant des cigales, ce sont la voix farouche de Rosemary Standley (exMoriarty) et le violoncelle de Dom La Nena qui,avec leur projet Birds on the wire, embarquent les 340 spectateurs dans le grand brassage des genres, de Gilberto Gil à Pete Seeger, d’Atahualpa Yupanqui à Gabriel Fauré. Françoise Nyssen se balance sur sachaise : « Je suis une fan absolue », ditelle, heureuse d’être revenue sur ses terres (« On me l’avait dit : lemieux dans le métier de ministre, c’est d’être ancien ministre… »).
En septembre 1995, Michel Vauzelle vient d’être élu à la mairied’Arles lorsqu’il convoque Marie
José Justamond, exresponsable de la communication des Rencontres photographiques. Vauzelle a en tête la conférence de Barcelone,deux mois plus tard, qui instaure une coopération des pays de la Méditerranée. « Ce serait peutêtre le moment d’imaginer quelque chose ? » Et c’est ainsi que le festivalcommence.
Davantage de concertsA l’espace Croisière, Souko, unduo du LotetGaronne, marieviolon baroque et kora – sorte deharpe malienne montée sur une calebasse. « Paradoxalement, vu les difficultés financières et techniques qu’il y a à faire jouer les grosses formations, on se retrouve à faire, cet été, plus de concerts que d’habitude », constate, ravi, le violoniste Xavier Uters.
C’est ni plus ni moins ce qu’expliquait un organisateur de concerts parisiens, inquiet pour la survie de ses équipes à la rentrée :« Des villes m’ont demandé de tenir leur festival coûte que coûte,ont proposé de maintenir la subvention. Mais c’est du pisaller. S’ilsme donnent 10 000 euros, j’en suis pour plus du double de ma poche…La seule possibilité, c’est ce qu’onvoit un peu partout ces joursci : unchanteur avec un piano, une sonorisation basique, ça marche pour le jazz ou le classique, pas pour les musiques actuelles. »
Minimalisme à tous les étages,épure du « LoFi », arte poveramusicale : c’est l’été des « last minute festivals ». A La Rochelle, les Francofolies ont aligné des transats et quelques noms (Miossec,Suzanne, Gaëtan Roussel…), avec
visite de la nouvelle ministre Roselyne Bachelot… A SaintNazaire, Les Escales ont fait une micromicroédition, avec AloïseSauvage sur le toit de la base sousmarine. Ce weekend, leNice Jazz Festival (Liz McComb, André Ceccarelli, Richard Galliano…) et Jazz à Sète (Sylvain Lucet Stéphane Belmondo…) proposent, eux aussi, des versions réduites. Et Limoges, début août, maintient tant bien que mal son1001 Notes en Limousin. Quant àl’Interceltique de Lorient, il réunit, le 8 août, ses bagadoù au stade du Moustoir.
Stéphane Krasniewski, directeur du festival Les Suds, a le sourire aux lèvres d’avoir réussi àmonter en trois semaines cette édition ultralight. « Ce n’est pasparfait, mais c’était important. Et
faire appel au premier cercle, c’est aussi l’occasion de valoriser la diversité, l’hybridation, les métissages, que l’on a dans l’Hexagone.C’est l’esprit des Suds. »
A Arles, la nuit tombe. Commepartout, les gestes barrières ne lerestent jamais longtemps. Etcomment faire avec une cigarette au bec, alors qu’on se déhanche sur les rythmes tropicaux du tandem star de DJ Locaux : Puta ! Puta ! ? A l’EspaceCroisière, tatoués et cigales aucorps à corps, nourris de l’ivressed’être en vie. « On le sait, c’est difficile d’autoriser à moitié », soupire Stéphane Krasniewski alorsque dans la nuit, une fois les portes refermées, une bande joyeusecontinue de chanter : « On n’estpas fatigués. »
laurent carpentier
Lors d’une répétition, au Théâtre National de Paris, en décembre 1963. UPI/AFP
LES DATES
29 AVRIL 1924Naissance à Paris de Renée Jeanmaire
1933Entre à l’école de danse de l’Opéra national de Paris.
1949Création de Carmen, chorégraphié par Roland Petit.
1961Mon truc en plumes, à l’Alhambra, costumes de Saint Laurent.
1972Zizi je t’aime, au Casino de Paris.
17 JUILLET 2020Mort à Tolochenaz (Suisse).
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 télévision | 23
HORIZONTALEMENT
I. Suiveur d’Epicure et de Karl Marx. II. Devança tout le monde. Facilite la jouissance. III. Particule. De la viande ou de poisson. IV. Blonde anglaise. Récompensent le monde du sep-tième art. V. Tranche de carpaccio. Des petites ailes les aident à courir. N’allez pas le chercher ailleurs. VI. Sœur d’Hélios et de Séléné. Rom-pit le silence. Préposition. VII. Laisse aller son émotion. Permet de regar-der à l’intérieur. VIII. Aigrelette mais agréable à manger. Reconsidère la question. IX. Torture d’hier devenue embarras d’aujourd’hui. Nettoyée comme une coque. X. Alimentent les abattoirs et les boucheries.
VERTICALEMENT
1. Cœur de champion. Attaque au sommet. 2. Beau parleur emplumé. Ses grains font mâle. 3. Se servit du bout des lèvres. Privé quand il n’y a pas de maître. 4. Occupe une grande partie de notre jeunesse. Fatiguer. 5. Rassemble et redistribue à la cam-pagne. 6. Frétille dans le bassin. Découpage du temps. Démonstratif. 7. Se jette en mer du Nord. Repris au bord du nid. Limite avant déborde-ment. 8. Musclent nos arrières. 9. Sacré chez Néfertiti. Troupe organi-sée. 10. Relevai en cuisine. Carte sur table. 11. Cartes sur table. Une fois de plus. 12. A participé à la fin de l’URSS. Préposition.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 166
HORIZONTALEMENT I. Chronométrer. II. Rues. Redoute. III. Ame. AG. Outil. IV. Yé. Amas. Rire. V. Anisas. Lev. VI. Net. Empalé. VII. Nues. Eaux. Cu. VIII. Arles. St. Ars. IX. Goémons. Asie. X. Essarterions.
VERTICALEMENT 1. Crayonnage. 2. Hume. Euros. 3. Rée. Atèles. 4. OS. An. Sema. 5. Amie. Sor. 6. Orgasme. Nt. 7. Me. Sapasse. 8. Edo. Saut. 9. Tour. Lx. Aï. 10. Rutile. Aso. 11. Etire. Crin. 12. Releveuses.
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I
II
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GRILLE N° 20 - 167PAR PHILIPPE DUPUIS
SUDOKUN°20167
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Sur France Culture, la « pensée saccagée » de Karl MarxChristine Lecerf consacre une « Grande Traversée » à l’auteur du « Capital », dont l’œuvre fut trop souvent dénaturée
FRANCE CULTURELUNDI 20 - 9 H 05
SÉRIE DOCUMENTAIRE
M arx, un inconnu ?La formule peutsembler abrupte. Etpourtant, à bien y
réfléchir, quelle vulgate conserveton, deux siècles après sa naissance, à Trèves, en mai 1818, de ce penseur hors norme, dont le précoce statut d’apatride dit l’impossible assignation à un lieu unique.
Philosophe, historien, théoricien sans doute, poète aussi, l’homme résiste aux réductionscommodes. Comme sa penséesans cesse en mouvement, enconstruction… Pourtant les deux premières images qui s’imposent le figent dans un rôle qui le dénature. Une icône vieillie et barbue, qui le pose en patriarche, le soustrayant à son temps véritable. Sontemps, c’est celui des effervescences romantiques auxquelles il participe pleinement, des élans fusionnels qui posent l’amitié en
valeur suprême – et la relationavec Friedrich Engels, de deux ansson cadet, a cette force incroyable qui rejoue l’entente inouïe deMontaigne et de La Boétie. C’estaussi le temps des progrès scientifiques et techniques qui le fascinent, des effroyables conditions de vie des prolétaires qui l’horrifient et nourrissent la « révolution scientifique » qu’en homme de cabinet, de l’écrit et des journaux, plus qu’en acteur de la rue, il élabore dès sa jeunesse.
Aventure captivante et denseIl la précise, la peaufine, cette pensée ductile d’une incroyable richesse, du Manifeste du parti communiste (1848) à ce Capital inachevé, dont le premier tome paraît en 1867 et que la philosophe Alix Bouffard qualifie de « roman policier à la recherche de l’originede la survaleur ». L’autre leurre, c’est la réduction de Marx à un support idéologique, une légitimation théorique qui masquent l’homme et sa pensée. Ce
« marxisme » inventé par Lénine, qui dénature ce projet d’émancipation initial en un asservissement généralisé. Ce « holdup » (Jacques Attali) choque d’autant plus que le chantier permanent d’une pensée si fulgurante autorise peu les disciples.
L’évocation d’une jeunesse turbulente, des exils successifs et des éblouissements urbains, Paris avant Londres, les voix toujourspertinentes de Michelle Perrot, d’Isabelle Garo comme de Pierre Bergounioux, qui attestent que Marx intéresse tous les intellec
tuels, font de cette « traversée » une aventure captivante, si dense qu’elle étaye la relecture de Marx.
Si le dernier volet retrace lesdeux dernières décennies d’un parcours rattrapé par l’action politique concrète et l’impossible achèvement du grand œuvre, on retiendra la paradoxale transmission par les femmes, sa fille Eleanor, « l’héritière légitime, la voix qui nous parle aujourd’hui » (Rachel Holmes), puis Rosa Luxemburg, dont l’activisme politique comme l’engagement scientifique rappellent ceux de Marx, d’une pensée qui ignora la condition des femmes.
Ces heures riches nous offrentaussi le plaisir d’entendre une fois encore le philosophe Lucien Sève, disparu le 23 mars, qui résumait fortement : « Le XXe siècle a saccagé la pensée de Marx. » Au XXIe
de la rétablir dans sa vitalité sans le dogmatisme qui l’a caricaturée, en un sens méconnue. Et retrouver ce message d’espoir formulé en 1843 et qui résonne comme un mot d’ordre pour aujourd’hui : « mettre le vieux monde en pleine lumière et travailler à la formation du nouveau ».
philippejean catinchi
« Grandes traversées : Karl Marx, l’inconnu », de Christine Lecerf,. Du 20 au 24 juillet.
Karl Marx, vers 1870. KURT STRUMPF / AP
Redécouvrir le Perche, guidé par ses habitantsLa série documentaire de France 5, consacrée aux coins cachés de l’Hexagone, privilégie l’authenticité
FRANCE 5DIMANCHE 19 - 20 H 55
DOCUMENTAIRE
U ne clairière, un hameau,un atelier… Ces petitscoins cachés que l’on
partage uniquement avec les gens que l’on aime, Les 100 Lieux qu’il faut voir s’en est fait une spécialité depuis 2014, année de diffusion du premier épisode. La formule, qui se compose d’un inédit,en prime, suivi d’une rediffusion, séduit encore plus en cet été de vacances contraintes et hexago
nales – 1,3 million de téléspectateurs pour le lancement de la7e saison le 5 juillet. Avec, comme marque de fabrique, l’attributiondu rôle de guide non pas à unjournaliste « globetrotteur » mais à des gens du cru. Et la promesse de découvertes, y compris pour ceux qui « ont l’impression de connaître » la région. Chiche ?
Balade sur des sites méconnusPour Le Perche, terre de manoirs etde bocages, nous avons suivi le Solex de Julien Bélivier, trentenaire à la barbe châtain clair et
aux yeux bleus. Il restaure avec son père le manoir du Bois Joly, près de NogentleRotrou (EureetLoir), et gère l’accueil des touristes dans la partie « gîte ». Le tonn’est pas celui d’un journaliste,les commentaires sont parfois naïfs, mais Julien possède une qualité nécessaire et suffisante :l’envie de partager son amour pour cette province historiquedevenue parc régional, qui connaît un regain d’attractivité grâce à sa proximité avec Paris.
Aucune mention, donc, desstars du showbiz en villégiature
à proximité mais une balade avecHarold, le copain du collège, dansles ruesescaliers nogentaises jusqu’au château, en passant par deux sites méconnus, le manoirMichelet et l’église NotreDame, une paroisse sans clocher duXIIe siècle.
Au Bois Landry – rallié sanspasser par les touristiques abbaye et école militaire deThironGardais –, l’on suit Falco, étalon noir employé à l’entretien écologique du site ; à MortagneauPerche, le boudinest incontournable…
Les anecdotes foisonnent. Pournous en parler, un « girouettier »,une dentellière, une professionnelle de la chaux ou encore une Francilienne tombée sous le charme d’un Percheron, désormais installée à plein temps dans la région dite « aux 250 manoirs ».Manoir signifiant « l’endroit oùl’on demeure, où l’on reste ».
catherine pacary
« Les 100 Lieux qu’il faut voir : le Perche, terre de manoirs et de bocages », de Marie David(Fr., 2020, 50 min).
V O SS O I R É E S
T É L É
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24 | L’ÉPOQUE DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
« Village Alzheimer », une bulle tranquilleDes « maisonnées » calmes et lumineuses, une supérette, un salon de coiffure,une médiathèque, un terrain de pétanque…à Dax, la première structure de ce genre en France détonne par son approche apaisée
REPO
RTAG
EPar Pascale Krémer
E n 2013, le concept paraissait sinovateur que Le Monde avaitfilé aux PaysBas. Dans la banlieue d’Amsterdam, à Weesp,un village était sorti de terrepour les malades d’Alzheimer
qui, en son sein, pouvaient aller et venir librement, menant « une vie presqueordinaire », comme titrait alors le journal. Sept années plus tard, le 11 juin 2020,le Village landais Alzheimer, premièretransposition française de ce modèlepionnier, vient d’être inauguré à Dax. Pour qui a déjà visité l’unité Alzheimerd’une maison de retraite, fermée par Digicode, l’étonnement est le même qu’àWeesp, une fois franchie l’enceinte bardée de bois du bâtiment, en découvrantl’espace, le calme, la banalité préservée, ou plutôt recréée, du quotidien.
Une procession de chariots desupermarché se dirige vers l’épicerie, àmimatinée, en ce début juillet, sous lesarcades protectrices de la place centralequ’agrémentent arbres, bancs, terrain de pétanque et jeux pour enfants. C’estl’heure des commissions pour les « villageois ». Soixante personnes atteintes de la maladie neurodégénérative, tout juste octogénaires en moyenne, ont déjàintégré l’immense résidence close dont le Covid19 a retardé l’ouverture ; elles seront cent vingt en septembre.
Liste de courses en main, guidéespar leur accompagnatrice, elles font leur choix à la supérette, où l’argent n’a pas cours, pour compléter les menus de leur « maisonnée ». Sur les côtés de la bastide landaise s’ouvrent encore une salle despectacle et de cinéma, une autre desport, une brasserie, un centre de santé.Et une médiathèque : deux dames toutesfrêles, nichées au creux de fauteuils géants, y feuillettent des livres sans lesregarder, tout en devisant sans se comprendre. L’air affairé et ravi.
Derrière un gros bouquet d’hortensias, un peu plus loin, se cache le salon de coiffure où Nathalie Lagaüzèredispense son art du brushing et du bonheur à chaque résident. La boutique semble figée dans les « trente glorieuses ».Paris Match pleure la mort de FrançoiseDorléac et Bourvil chante « Nous vieillironsensemble/Tout au long des années » sur le tournedisque. La quinquagénaire chic en lin blanc masse les crânes, bichonne le cheveu trop rare, manucure. « Mais plus important, corrigetelle, les clients, je les regarde ! » En entrant, ils tentent de se reconnaître sur l’album photos des visites précédentes. Pas gagné pour Georgette. Alors, en ressortant, une valse aux bras de Nathalie renvoie la défaite aux oubliettes. « J’ai de la chance, mesure la coiffeuse, c’est le plus beau village du monde. Magique, vous allez voir. La sérénité… »
Rien de trépidant, effectivement,sur les 5 hectares de terrain arboré que traversent en tous sens de larges allées propices à la promenade. Elles mènentjusqu’à la miniferme, ses poules, ses ânes, son potager, ramènent vers lesgrosses maisons landaises (familièresaux personnes hébergées, toutes issuesde la région) pour pouvoir se reposer surune chaise de jardin, à l’ombre de lacoursive. Ni blouses blanches, ni cris, ni télé braillant dans cette bulle qui reproduit une réalité ralentie, facilitée, adoucie par les références vintage, derrière des palissades de bois fondues dans ledécor. Le côté Truman Show de l’affairepourrait être anxiogène pour quiconqueéchappe à la démence sénile si les services du village n’étaient ouverts aux Daxois et si 120 bénévoles n’étaient rapidement attendus pour prêter mainforteaux 124 salariés.
Une mobilisation qui est l’aboutissement d’un long cheminement, depuis la stupéfaction d’Henri Emmanuelli, alors député et président du conseil général des Landes – il est décédé en 2017 –, à lalecture de l’article du Monde sur le village
De Hogeweyk, à Weesp. « Il m’a dit : “Qu’estce que c’est que cette histoire ? Encore un truc de journalistes ?”, se souvient Francis Lacoste, directeur de la solidarité départementale à cette époque. Nous étions conscients que, malgré tout l’argent investi dans nos Ehpad, les familles étaient culpabilisées, les personnels en perte d’enthousiasme, et que notre génération ne supporterait pas de terminer sa vie devant la télé dans une grande salle. Il fallait repenser l’ensemble. » Au printemps 2014, les Landes se rendent donc en délégation à De Hogeweyk. « On a été si frappés parl’ambiance apaisée qu’on a pensé : “Ce ne sont pas les mêmes malades d’Alzheimer que chez nous !” Mais si. »
Passé la révélation, tout s’enchaîne. Etudes de faisabilité, rendezvous avec la secrétaire d’Etat aux personnes âgées de l’époque, Laurence Rossignol, dont le soutien déclenche les financements de l’agence régionale de santé (ARS), création d’un groupement d’intérêt public réunissant département, commune de Dax, Mutualité française, association FranceAlzheimer… « Nous avons ferraillé contre deux principales critiques, résume M. Lacoste. Celle du ghetto. Mais n’étaitce pas déjà le cas des unités Alzheimer fermées dans lesmaisons de retraite classiques, en plus petit ? Et celle de l’argent. » Seraitil ôté auxautres établissements ? Non, puisque Dax bénéficie durant cinq années de crédits expérimentaux pour ce projet.
Bâtir le village a coûté 29 millions d’euros, contre 20 millions environpour un Ehpad, du fait des nombreux équipements. Le budget de fonctionnement aussi est un peu plus élevé(6,6 millions d’euros l’an) puisqu’il inclut les soins du médecin généraliste salarié et du kinésithérapeute. Pour les familles, néanmoins, la somme à débourser demeure comparable, et couverte parles mêmes aides sociales – 1 962 eurosmensuels, ramenés à 223 euros pour lesmoins aisées. « Le village est bien doté,avec un peu plus d’un salarié pour un malade, mais comme beaucoup d’unités Alzheimer dans les Landes. En fait, toutn’est pas qu’un problème d’argent, défendFrancis Lacoste. Le changement est dansles têtes : on peut faire autrement. »
Permettre aux malades d’Alzheimer de « rester dans la vie », de « ne pasêtre écartés par une société très norméequi n’accepte pas une personne âgée
verbaux, Yasmina confie ce qui n’est pas vraiment un soulagement puisqu’elle est« quand même culpabilisée de la laisser », mais c’est « un mieux » après tant de nuitssans sommeil. « C’est l’idéal, ici. La superficie, l’entourage, il y a toujours du monde.Ça va aller, même pour moi. »
Les 300 m2 de chacune des seizebâtisses du domaine ont été méticuleusement pensés avec la psychologue de FranceAlzheimer Landes, Nathalie Bonnet. Luminosité, circulation jamais bloquée, centralité des toilettes, buffets chinés, puisque le passé lointain demeure seul en mémoire, avec vaisselle apparente, pour pousser à l’autonomie… Plutôt qu’un nom sur la porte de la chambre,des niches murales abritant un objet fétiche parfois surprenant, chouette empaillée ou bouteille de ketchup. A l’extérieur, quatre ambiances végétales et olfactives (côte Atlantique, forêt de pins…) facilitent le repérage des « villageois » qui,à la médiathèque, peuvent aussi s’apaiserdans un wagon à l’ancienne doté d’unécran sur lequel défile un paysage.
La psychologue rappelle l’évidence, « les personnes qui n’ont plus de capacité de raisonner ont encore une énergie à dépenser. Dans une unité fermée, elles cassent, frappent, ou se replient surellesmêmes. Ici, elles sont incitées à sortir et à agir. » La chambre ? Réservée à lanuit. Les deux « maîtresses de maison » y veillent, qui vivent au même (petit)rythme que leurs habitants, sans imposer d’heure de lever, les associant à toutesles tâches. « On a le temps de leur laisser letemps », assure Véronique Luciani, aide médicopsychologique de formation. Elleest assise à la terrasse d’une maison, causant avec quatre dames inégalement prolixes dont sa collègue masse les mains, tour à tour. « Si on voit que quelqu’un ne va pas bien, on arrête ce qu’on fait, on l’emmène se promener, ça désamorce. » « La déambulation soulage, diminue l’agitation et l’agressivité chez les patients atteints de troubles neurocognitifs », souligne le docteur Daniel Falcinelli, gériatre présent sur place.
Ce n’est pas le cas à De Hogeweyk,structure privée, mais, à Dax, l’impact duvillage sur les malades (chutes, dénutrition, consommation de médicaments…), leurs proches, les personnels, sera jaugépar des équipes de recherche (Inserm),sous la houlette d’Hélène Amieva, professeure de psychogérontologie à l’université de Bordeaux. « Mettre au centre de l’accompagnement la personne, son bienêtre, sa qualité de vie, le maintien de sa participation sociale, tout cela semblede bon sens mais, en sciences, cela ne peutsuffire, il faut évaluer. »
Deux cents familles sont déjàinscrites sur les listes d’attente du village landais. La directrice pâlit à l’évocation de ce chiffre, comme à celle des8 000 malades landais atteints d’Alzheimer, des 900 000 de l’Hexagone. Lescoups de fil commencent à pleuvoir, provenant d’autres conseils départementaux. « On crée des envies », constatetelle sobrement. Un projet similaire est même en route, à ChâlonsenChampagne (Marne). Face au petit étang du parc, nous abordons une dame au regard lointain, seule sur un banc. Se sentelle bien, ici ? « C’est bien. On m’avait proposé, j’ai eu tort de ne pas construire unemaison dans ce lotissement. »
Le 11 juin 2020, le premier « village Alzheimer » ouvrait en France, à Dax, dans les Landes, sur un terrain sécurisé de 5 hectares. AXELLE DE RUSSÉ POUR LE « MONDE »
Ni blouses blanches, ni cris, ni télé braillant dans ce havre
vintage
faisant ses courses en pyjama ». « Ici, cela n’est pas choquant, du moment que ça ne nuit pas à l’intégrité de la personne. » Telle est la philosophie du village, selon sa directrice, Pascale LasserreSergent, sortie « bousculée » de sa visite au village néerlandais : « Pour que la vie soit la vie, ils s’autorisent certains risques. » A Dax aussi,le curseur entre sécurité et liberté s’est déplacé côté liberté. Certes, tout y est conçu pour prévenir l’accident, des puces glissées dans les semelles des résidents (déclenchant l’alerte s’ils franchissent les clôtures) au faisceau lumineux signalant le lever nocturne, de la topographie deslieux aux baies vitrées laissant tout voir, partout. « Surtout, il y a l’esprit de village.Chacun porte attention à l’autre, insiste la directrice. Mais quand elles viennent envisite, je dis aux familles : “Il y a des risques.Si votre projet est de contenir votre proche,ce n’est pas celui que nous voulons partager.” Elles sont d’accord. Dès qu’elles franchissent le portail, de toute façon, les visages s’illuminent. »
Comme celui de Yasmina Guilhemané, 64 ans, retraitée et fille d’Andrée,92 ans, qui tricote une écharpe violette en débitant à toute vitesse « Je suis fatiguée », « Je fais pas attention », « Je vaisnulle part », « Je connais pas ». Les deuxfemmes sont installées, en tête à tête, dans l’un des salons de la « maisonnée »qu’Andrée partage avec sept autres personnes âgées et deux « maîtresses de maison ». Entre deux bombardements
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XAVIER LISSILLOUR
S ouvent, lorsque je tente de lephotographier avec monsmartphone, mon plus jeunefils empêche la prise de vueen plaçant sa paume de mainvers l’avant en un geste ré
flexe, exactement comme le ferait Justin Bieber harcelé par un paparazzi. Cette posture défensive est assortie d’un refus sans équivoque, énoncé sur le ton du hurlement : « Nooon, pas de photo ! » Je fais alors mine d’obtempérer, mais je prends quand même un cliché en douce, en me disant que ce n’est finalement pas très grave. Un peu comme si j’avais entrepris de faire le bien de mon enfant (lui constituer un catalogue d’images qu’ilpourra consulter pendant ses vieux jours) à l’insu de son plein gré.
Trahissant un rapport laxiste auconsentement enfantin, cette fièvre documentaire qui s’empare du parent peut néanmoins se comprendre : elle procèded’un désir de figer dans l’instant un êtrecher, de l’encapsuler dans les pixels, comme si on voulait se raconter qu’il était possible d’arrêter la marche du temps. A l’instar du paparazzi professionnel, le « papapaparazzi » immortalise parfois, grâce à cette obsession scopique, des moments magnifiques, qui auraient sinon disparu à tout jamais dans le fluxdes secondes se succédant.
Sans l’obstination du photographe people américain Ron Galella à appuyer sur le déclencheur de ses deux Reflex, pas de Mick Jagger en train de faire un doigt à l’arrière d’une voiture, ni de Jackie Kennedy déambulant en baskets sur un trottoir de Madison Avenue, autant de témoignages de leur époque salués par Andy Warhol et aujourd’hui exposés dans les plus grands centres d’art.De la même manière, sans le « papapaparazzi » que je suis, pas de photos d’enfants perchés dans unarbre en pyjama durant la quarantaine ou participant, hilares, à la « fête de lamousse » dans la petite ruelle d’un villageespagnol un an plus tôt.
Mais tout cela n’est pas sans poserproblème. Souvent occupé à traquer en mode prédateur des femmes qui se dérobent à son regard, le paparazzi incarne, parfois jusqu’à la caricature, la quintessence du « male gaze », ce regard masculindominateur théorisé en 1975 par la critique de cinéma anglaise Laura Mulvey. Demême, on peut se demander si le « papapaparazzi », occupé à capturer des babinessaturées de Nutella et des éclats de rire dans des piscines à balles, ne serait pas lepromoteur d’un « parent gaze » qui s’ignore. Pour complaire à ce regard parental renforcé par l’objectif de l’appareil
photo, l’enfant se devrait alors d’être invariablement « mignon », d’afficher une posture de nature à satisfaire à la fois l’appétit complexe des réseaux sociaux et les attentes de son entourage.
Au travers du partage d’images, le« parent gaze » se structure et se renforce,devenant parfois cet œil en surplomb qui invite les sujets sur lesquels il se pose à une suffocante normativité comportementale. Voilà peutêtre pourquoi mon plus jeune fils multiplie les sourires forcéslorsque je tente de le prendre en photo. Si l’on suit notre piste, on pourrait se dire qu’il est alors en train de produire intuitivement un contrediscours visuel dont la fonction est de me renvoyer à la figure mon propre « parent gaze ». Mais doiton tout lire en termes de domination, y compris dans l’univers jusqu’alors feutré de la photo de famille ? Porter un regard subjectif et plein d’attentes sur ses enfants, estce forcément du colonialisme visuel ?
Si je ne prétends pas apporter deréponse définitive à cet épineux débat, je pense que l’on peut néanmoins distinguer deux attitudes. Le regard qui réduit l’enfant à un simple fétiche susceptible de produire des « like » sur les platesformes de partage de contenus est, je pense, à proscrire. Il conduit à entraver la spontanéité des plus jeunes pour les conduire à
produire des attitudes iconiques performantes, anticipant précocementla validation socialeet encourageantl’art de la posture(oui, cette petitemoue boudeuse quicartonne sur Insta).En revanche, il mesemble que le confinement a permis devoir émerger unenouvelle esthétique.
Au traversdes photos d’enfants, les gens onteu envie de faireexister ce qui semblait alors menacé :les relations. C’estce que traduit parfaitement le cliché
emblématique de la quarantaine, posté par Dominique Bigelow sur Facebook. Ony voit sa fille et sa grandmère communiquer intensément par le regard au traversde la vitre d’une voiture, alors que le sommet du crâne de la vieille dame semble s’évaporer dans les nuages. Parfois donc,les relations s’inversent, et c’est l’enfant (devenu adulte) qui se met à paparazzer ses propres parents.
Durant la pandémie, le photographe Eric Baudet a rendu visite tous les deux jours à son père, accoudé au balcon de la résidence Les Jardins de Diane, à Bagnolesdel’Orne (Orne). Il y a aussi emmené ses filles, afin d’égayer la solitude deleur grandpère atteint de la maladie d’Alzheimer. Ayant rencontré beaucoupd’écho sur les réseaux sociaux, les images touchantes tirées de ces instants de partage suspendus ont été réunies dans l’ouvrage Au balcon avec papa (Les éditions du petit oiseau, 72 p., 20 euros). Ellesévoquent la force du lien familial pardelàles aléas de la vie, au travers d’un art – la photo – envisagé ici comme une distantemais chaleureuse caresse rétinienne.
Le regard qui réduit l’enfant à un simple fétiche
susceptible de produire
des « like » sur les plates-formes
de partage de contenus est, je pense,
à proscrire
PARENTOLOGIE
Les paradoxes du « papa-paparazzi »
Journal d’un parent déconfiné, semaine X.Babines pleines de Nutella, éclats de rire ou moue
boudeuse : Nicolas Santolaria analyse l’émergence d’une nouvelle esthétique photographique
M on Bio camion,L’Affaire est dansle vrac, Vac’Adabra,Que du bionheur,V’là le vrac, Minima liste… Derrière
ces appellations un brin potaches, un nouveau type de commerce fait peu àpeu son apparition sur les marchés de France, en particulier dans les villages et petites villes où les boutiques bio et les magasins de vrac ne sont pas présents. D’après Réseau Vrac, l’association des professionnels du secteur, une soixantaine d’épiceries mobiles chargées de marchandises sans emballages circuleraient un peu partout dans le pays. La plupart ont un ou deux ans. La crise sanitaire, qui a vu les circuits courts rencontrer un succès inespéré, ne devrait qu’encourager le mouvement. Le concept est simple : un véhicule utilitaire aménagé, doté d’un hayon sur le côté, avec, à l’intérieur, deux ou trois dizaines de silos à gravité, remplis de céréales, graines, haricots, poudres et autres farines. Les clients sont invités à venir avec leurs contenants. L’avantage du camion ? C’est lui qui se déplace au contact des consommateurs,et non l’inverse : l’empreinte carbone n’en sera que plus allégée.
A NortsurErdre (LoireAtlantique), Hugues Boyas, 35 ans, a poussé la logique en acquérant un camion roulant à l’essence et non au diesel, la norme avec ce genre de véhicule. Le patron et seul maître à bord de la Mesurette s’est procuré une Estafette Renault datant de 1980.Il y vend des produits secs en vrac : 150 références – collectées auprès d’un grossiste, pour l’essentiel – sont disponibles dans les 7 m² de son bahut vintage, dépourvu de direction assistée. Un plein de 22 litres chaque semaine lui permet de se rendred’un marché à l’autre, dans un périmètre de 15 km autour de chez lui. Hugues Boyas s’autorise des déplacements légèrement plus lointainsuniquement pour s’approvisionner chez des producteurs locaux, commecette brasserie artisanale de Couffé, où les bières sont produites en partenariat avec des entreprises d’insertion. Sa propre mère tenait un pressing à la CroixRouge. Sa grandmère maternelle était épicière à Nantes, et son grandpère paternel garagistecarrossier à Paris. Comment boucler la boucle familiale et « donner du sens » à son projet, résumetil.
Le « sens » : la grande quête deces « néocommerçants », comme les appelle Célia Rennesson, la directrice de Réseau Vrac. « La grande majorité de nos épiciers sont des personnes en reconversion qui, parallèlement, ont pris conscience que leur mode de consommation était en désaccord avecl’offre commerciale existant autour de chez elles », expliquetelle. La rupture s’avère parfois radicale. Ancien comp
table au sein d’un cabinet d’expertise à Nantes, Hugues Boyas avait créé une agence de communication spécialisée dans l’impression de flyers. Le « déclic »est arrivé le jour où, découvrant dans sa boîte aux lettres ses propres tracts, ils’est surpris à les jeter à la poubelle avecles autres prospectus publicitaires. « Je n’étais plus cohérent avec moimême », se souvientil. L’épuisement dû à un boulot harassant – cinquante heures de bureau par semaine, deux heures detransport par jour – a convaincu ce père de trois enfants de créer son propre job dans un domaine auquel il a fait allégeance : le zéro déchet.
Maëlle Castrec, 29 ans, travaillait auparavant à Orvault (LoireAtlantique) dans une société de certification douanière faisant de l’importexport avec l’Afrique. « Je n’avais pas l’impression d’être utile », confietelle.Alors, quand son exbellesœur, Marie Pérez, 32 ans, salariée agricole chez un maraîcher bio de Carquefou, lui a proposé de monter une épicerie roulante et responsable, elle n’a pas hésité. Lesdeux jeunes femmes ont rassemblé un budget de 37 000 euros, acheté unBoxer Peugeot d’occasion et démarchéune demidouzaine de producteurs locaux (farine, savon, céréales, pâtes…). Lancé le 17 juin, Bülk fait la tournée desmarchés autour de Châteaubriant – souvent des « tout petits », commecelui de Treffieux (880 habitants), où cinq stands, ce matinlà, se disputentla modeste clientèle de passage. « Enayant à cœur d’aller chercher les clients là où ils se trouvent, les épiciers ambulants contribuent au maillage de territoires ruraux que les commerces ont désertés », souligne Célia Rennesson.
Si le vrac progresse à grands pasdans le pays (18 lieux de vente spécialisés en 2015 contre 450 actuellement), sa consommation reste associée à une clientèle urbaine et relativement aisée – une image que les épiceries ambulantes veulent précisément combattre en battant la campagne. Consciente de ce contexte, Envell Philippot, 39 ans, s’est concentrée sur une population déjà convertie au vrac. Son épicerie Vrac is back, sur la presqu’île de Guérande, ne fréquente qu’un marché par semaine ; ses autres emplacements sont situés dans la cour de fermes bio qui pratiquent la vente directe, ou au contactd’AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Un mois après ses débuts, Envell Philippot estaux anges : elle a multiplié par trois sonchiffre d’affaires prévisionnel.
Employée pendant dix anschez Lidl, où elle a franchi tous leséchelons, de caissière à responsable demagasin, elle décide de quitter son travail en 2018, ne supportant plus les ravages du gaspillage alimentaire dansla grande distribution, ni « la pression »exercée sur les salariés du discount. Elle rachètera, plus tard, le Citroën Jumper d’un boulanger, l’équipera de silos en plastique sans bisphénol A et s’approvisionnera en lentilles corail dePicardie et en quinoa de Normandie (en plus de 180 autres références). Pourprofiter de ses deux enfants, EnvellPhilippot a fait le choix de ne pas travailler le dimanche. L’hiver prochain,elle se dotera d’un site Internet afin de prolonger son activité sous la forme d’un drive. Elle est persuadéed’avoir fait le bon choix. « On sent quela légumineuse revient en force. »
Marie Pérez (à gauche) et Maëlle Castrec ont créé Bülk. Depuis juin 2020, elles sillonnent les marchés de Loire-Atlantique. THÉOPHILE TROSSAT POUR « LE MONDE »
Les VRP du vracDes marchands d’un nouveau genre
ont fait leur apparition sur les routes de France.Le concept est simple : vendre céréales,
légumineuses et farines au poids et sans emballagesFrédéric Potet
BIO COMME UN CAMION
L’ÉTÉCOMMEJAMAIS9H / 11H
DOROTHÉEBARBA
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26 | IDÉES DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
Anne BoringPourquoi les filles sont moins payées que les garçonsL’économiste montre comment les stéréotypes de genreconduisent les femmes à limiter leur orientation vers les filières d’études menant aux professions les mieux rémunérées
Les inégalités salariales persistantesentre femmes et hommes sur lemarché du travail s’expliquent engrande partie par le choix des filiè
res d’études lors de leur scolarité. Les inégalités salariales apparaissent en effetdès l’entrée sur le marché du travail. Le constat est le même pour les diplômésdes grandes écoles.
L’analyse des choix effectués parl’ensemble des étudiants inscrits dans le système universitaire français confirme que les femmes et les hommes ont tendance à faire des choix d’études assez différents. Les hommes sont davantage représentés dans les filières les plus rémunératrices, notamment les métiers liés auxsciences et à l’ingénierie. De nombreusesraisons permettent d’expliquer les diffé
rences de genre observées dans ces choix individuels. Ceuxci sont le résultat d’une combinaison de goûts, d’aspirations et de croyances quant aux chances de réussitedans une discipline, ainsi que des informations dont les étudiants disposent lorsqu’ils décident de leur orientation.
Comment les stéréotypes de genreinfluencentils ces différents éléments ? Siles choix sont assez facilement observables grâce aux données des inscriptionsadministratives, il est plus compliqué demesurer les aspirations des étudiants.Des données d’enquête permettent de quantifier des éléments plus qualitatifs,en montrant, par exemple, que les femmes ont, en moyenne, des raisons plus diversifiées que les hommes de faire desétudes supérieures : si elles sont aussi
ambitieuses que les hommes, la réussite scolaire et professionnelle est moins souvent leur unique priorité.
Ensuite, les économistes utilisent desméthodes expérimentales (expériences naturelles ou contrôlées). L’économiste Michela Carlana a, par exemple, observé les biais implicites d’enseignants en Italie,grâce à un test élaboré par des chercheursd’Harvard qui mesure à quel point un individu associe les hommes avec les sciences et les femmes avec les lettres.
La chercheuse montre que les fillesayant eu un enseignant associant fortement les sciences avec les hommes onttendance à moins bien réussir en mathématiques et à choisir moins souvent desfilières scientifiques. En particulier, elles ont tendance à avoir moins confianceen elles (« Implicit Stereotypes : Evidence from Teachers’Gender Bias », Michela Carlana, The Quarterly Journal of Economics n°134/3, août 2019).
Présenter des « rôles modèles »C’est ainsi que se forment des prophétiesautoréalisatrices : le fait qu’il y ait moinsde femmes en sciences génère le stéréotype que les hommes seraient meilleursen sciences et les femmes meilleures enlettres. Or ces stéréotypes ont un impactsur la confiance des filles dans leurs chances de réussite dans les matières scientifiques. Elles choisissent ainsimoins souvent des carrières en sciences,qui, pourtant, mènent vers de meilleuresperspectives professionnelles sur le marché du travail que de nombreuses filières
littéraires. Une façon de contrer ces stéréotypes est de présenter des « rôles modèles » à des élèves avant que les choix d’orientation soient effectués.
Une expérience de terrain montrequ’une brève intervention d’une heure, oùdes femmes scientifiques présentent leur métier à des élèves de terminale, permet d’augmenter le pourcentage de femmeschoisissant une filière scientifique après lebac (« Do Female Role Models Reduce theGender Gap in Science ? Evidence from French High Schools », Thomas Breda, Julien Grenet, Marion Monnet et Clémentine van Effenterre, Document de travail n°01713068, HalSHS, juillet 2020).
Le fait de voir des femmes parler de leurexpérience, du goût pour leur métier etde leur réussite réduit l’impact des stéréotypes de genre. L’expérience s’est aussi révélée plus efficace sur des élèves de terminale que sur ceux de 2de. Par ailleurs, cesinterventions ont eu, paradoxalement, plus d’impact lorsqu’elles ne mettaientpas l’accent sur la sousreprésentationdes femmes en sciences…
Anne Boring est professeure assistante à l’université Erasmus de Rotterdamet chercheuse associée au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP). Elle dirige la Chaire pour l’entrepre-neuriat des femmes à Sciences Po
Paul SeabrightToutes les facettes de l’humain
L’économiste rappelle que l’intérêt de sa profession pour la vie sociale et affective des êtres humains n’est pas nouveau, même s’il a connu une éclipse au cours du XXe siècleL
es sciences économiquess’attaquent depuis longtemps à des sujets traditionnellement considéréscomme « non économiques », s’attirant souvent les
foudres d’autres disciplines – et parfois aussi de certains économistes − pour cette manifestationd’impérialisme méthodologique.Cette tendance à sortir des sujetstraditionnels du chômage, de l’inflation et de la croissance a été popularisée par la publication, en 2005 (enFrance, Folio, 2007), de Freakonomics, un livre de Steven Levitt et Stephen Dubner, vendu à plus de4 millions d’exemplaires.
Le livre a fasciné ses lecteurs parson analyse des arbitrages économiques au cœur d’un éventail de sujets, du commerce de la drogue jusqu’à la lutte sumo en passant par le choixdes prénoms pour les enfants. Il arévélé à beaucoup de lecteurs une nouvelle vision des sciences économiques très différente.
Son soustitre − A Rogue EconomistExplores the Hidden Side of Everything (« un économiste voyou explore la face cachée de tout ») − prétend cependant à plus d’audace que le livre n’en mérite. Steven Levitt est professeur à l’université deChicago (pas si voyou que ça), dont l’un des professeurs les plus célèbres,Gary Becker (Prix Nobel 1992, encore moins voyou), a lancé cette vaguebien plus tôt avec des travaux sur la criminalité, l’addiction, le mariage et la famille. Même Adam Smith, fondateur des sciences économiques modernes, avait écrit La Théorie dessentiments moraux, en 1759, dixsept ans avant La Richesse des nations. C’est un livre d’économie
comportementale avant la lettre, et son auteur était professeur de philosophie morale – vraiment pas voyou du tout !
Si les sciences économiques s’intéressent à la vie sociale depuis leursorigines, elles ont négligé ces sujetspendant longtemps, surtout auXXe siècle. Les Etats nationaux avaient, il est vrai, œuvré pour créer des mesures de la production, de l’emploi, des prix – tout ce qui appartenait au domaine des transactionsmonétaires et rentrait dans leproduit intérieur brut (PIB). Certes,les Etats récoltaient aussi des statistiques sur la criminalité, les mariages,les divorces – mais les agences chargées de la collecte de cellesciétaient souvent différentes des agences qui s’occupaient de celleslà. Et les départements d’économie desuniversités, alors en pleine expansion, n’allaient pas disputer les territoires des sociologues et des psychologues : ils avaient assez de travail àfaire « chez eux ».
L’indignation vertueuseLa contribution de Becker a été de rappeler à ses collègues que les capacités de choix réfléchi et stratégique queles êtres humains étaient habitués à déployer dans leurs transactions monétaires étaient aussi pertinentespour d’autres choix dans leur vie –qui épouser, comment élever ses enfants, consommer ou pas des subs
tances addictives, se lancer ou non dans des projets criminels…
L’intérêt de la profession pour cesquestions a été énormément facilité par deux avancées techniques. La première fut le développement dans les années 1990 des laboratoires expérimentaux, qui ont permis de tester des hypothèses sur les motivations intrinsèques des êtres humainsen leur permettant d’interagir dans des conditions d’anonymat.
Contrairement à l’hypothèse d’unHomo economicus rationnel et égoïste, ces expériences ont montré queles êtres humains sont capables
d’altruisme et de sentiments de réciprocité envers les inconnus, mais aussi d’envie de représailles contre ceux qui leur ont fait du mal,même sans en tirer d’autres bénéfices que la satisfaction de la vengeance. Certaines études faites avecdes IRM ont même montré que la région du cerveau qui est activée quand quelqu’un se venge contre un autre est la même que celle quiest stimulée par certains stupéfiants comme la cocaïne. L’indignation vertueuse est une drogue récréative très puissante…
La deuxième avancée, plus récente, a été le développement du bigdata. Jusqu’ici, pour faire des analyses statistiques, il fallait choisir entre deux types de bases de données. Soit il y avait les bases « hautes et étroites », avec beaucoup d’individus mais peu de variables sur chacun, comme dans les recensements. Soit il y avait des bases « petites etlarges », comme dans les enquêtes où on pouvait poser beaucoup de questions, mais à des échantillons relativement petits.
Animal social et sociableMaintenant les outils informatiques nous permettent de récolterde très grands échantillons (jusqu’àla population entière d’un pays, voire de plusieurs) avec beaucoupde variables sur chaque individu.Cela invite les chercheurs à dépasser les frontières disciplinaires, enliant les choix des individus dansun domaine plus traditionnellement économique (leurs emplois,leurs revenus, leurs dépenses) àleur comportement dans un autredomaine : leurs relations personnelles, voire intimes, leurs réseaux,
leurs loisirs, leurs recherches sur Internet, leur comportement criminel, bref tout ce qui dépasse leurs transactions monétaires.
De plus, les sources de données nesont plus limitées à des agences del’Etat : les entreprises privées endisposent, et certaines en mettent des versions strictement anonymisées à la disposition du public(comme le service Trends de Google) ou des chercheurs (comme certains sites de rencontre ou comme le service CrowdTangle de Facebook). Ces services constituent unbien public considérable qui permetune compréhension bien plus richede nos comportements, nous rappelant que nous ne sommes pas desconsommateurs et des travailleurs pendant quelques heures et des gens totalement différents pendant le reste de la journée.
L’être humain est surtout unanimal social et sociable, et l’étudede ses comportements nous livre une image qui n’aurait pas surprisAdam Smith, célibataire endurci, qui aurait peutêtre apprécié de disposer à l’époque de sites de rencontre. Mais il aurait eu du mal àimaginer combien des hypothèses soutenues dans sa grande Théoriedes sentiments moraux auraient pu être testées avec les ressources considérables des sciences économiques modernes.
Paul Seabright est économisteà l’Institut d’études avancéesde l’Ecole d’économie de Toulouse, et chroniqueur au « Monde »
AUX MARGES DE L’ÉCONOMIELes économistes ne s’intéressent pas qu’à la croissance ou au
chômage. Nos décisions individuelles sur la famille, le couple, l’école, et même nos choix moraux, leur en apprennent aussi beaucoup…
NOUS NE SOMMES PAS DES CONSOMMATEURSET DES TRAVAILLEURS PENDANT QUELQUES HEURES ET DES GENS TOTALEMENT DIFFÉRENTS PENDANT LE RESTEDE LA JOURNÉE
SI LES FEMMES SONT AUSSI AMBITIEUSES QUE LES HOMMES, LA RÉUSSITE SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE EST MOINS SOUVENT LEUR UNIQUE PRIORITÉ
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 idées | 27
LA PRÉOCCUPATION DE SE PERCEVOIR,ET D’ÊTRE PERÇU, COMME UNE PERSONNE MORALEMENT « BONNE » HABITE LA MAJORITÉDES CITOYENS
Marie Claire Villeval Une économiedes choix morauxL’économiste montre comment des expériences de laboratoire permettent de mieux comprendre nos décisions, dont les conséquences sur autrui peuvent être négatives
Si le principe de rationalitédonne aux individus toutejustification pour secomporter égoïstement,
nombreux sont ceux qui ne résistent pas à une sollicitation de don, même si la cause les indiffère, ou encore renoncent à uneopportunité de s’enrichir aux dépens d’autrui. En effet, la préoccupation de se percevoir, et d’être perçu, comme une personne moralement « bonne »habite la majorité des citoyens.
Mieux comprendre la prise dedécision en présence de dilemmes moraux est une étape essentielle pour concevoir des politiques efficaces dans desdomaines aussi divers que l’environnement, la lutte contre la fraude ou l’encouragement aux dons.
La recherche récente montreainsi que, alors que nous sommescensés toujours chercher à être mieux informés, l’ignorance peut être utilisée pour atténuersa responsabilité et réduire le « coût moral » de ses choix égoïstes. Après tout, qui force leconsommateur à s’interroger sur les émissions polluantes de ses déplacements ou sur le bienêtre animal lorsqu’il surconsomme de la viande à bas prix ?
Des expériences en laboratoiremontrent comment l’incertitude sert à se créer une « marge de manœuvre morale ». Le soupçonde détournement des dons à une association caritative sert par
exemple d’excuse pour ne pasdonner. Eviter de s’informer réduit par ailleurs le risque de sanction par les pairs quand une décision égoïste est prise dans l’incertitude plutôt qu’en connaissancede cause. En revanche, les choix sont moins égoïstes quand leurs conséquences sur autrui sont transparentes.
Eviter l’information n’est pas sidifficile. Une étude suédoise révèle ainsi que plus le taux deréfugiés dans une municipalitéest important, moins les habitants de cette communeconsultent des articles de presse en ligne sur les demandeursd’asile − surtout si ces articlesmanifestent de l’empathie pourles migrants.
En tant que première sourced’informations sur soi, la mémoire est, elle aussi, utilisée pour justifier de futurs choix égoïstes. Le temps fournit une marge de manœuvre pour déformer ses souvenirs asymétriquement : on oublie ses actes égoïstes et ses échecs, et on se remémore davantage ses actes désirables et ses réussites. Dans une expérience, les sujets décidaient du partage de sommes entre eux et un autre participant, puis étaient incités à se remémorer les gains attribués à l’autre. Le taux d’erreurs était moindre quand les sujets avaient pris la décision altruiste plutôt qu’égoïste.
Comptabilité de la conscienceDans un monde où les faussesinformations se diffusent rapidement, des expériences en laboratoire révèlent une certaine préférence pour l’ignorance. En présence d’un dilemme moral, beaucoup préfèrent diffuser des informations vides (des images de chats…) plutôt qu’une information révélant qu’un choix égoïste annule un don à une personne pauvre. Cette offred’ignorance rencontre une demande d’ignorance de la part de participants non informés,dont le choix impacte pourtant lapersonne aidée. Un acte non éthique est en effet moins punilorsqu’il résulte d’un conseil externe, ce qui se traduit aussi par une attitude plus égoïste lorsque existe la possibilité de recourir à un tel conseil.
L’autojustification est uneautre stratégie. Les psychologues parlent d’« équilibrage moral », leséconomistes de « comptabilité de la conscience ». Après s’être biencomporté ou avoir été victime d’une action malveillante, on relâche sa moralité ; inversement,après avoir agi immoralement, on se rachète par un comportement altruiste. Une expérience amontré que les passagers de transports en commun en règle acceptent plus de prendre un billet de 5 euros qui ne leur appartient pas, juste après un contrôle dans le tram, que lorsqu’il n’y a pas eu de contrôle. L’autojustification peut aussi provenir
des normes sociales.L’observation des autres érode
la socialité quand les violations de la norme se diffusent (ce qu’onappelle « l’effet de la fenêtre brisée » : on respecte moins unenvironnement déjà dégradé). Aussi, les individus qui connaissent les possibilités de gains d’actions non éthiques se dédouanent en déformant leurscroyances sur la norme en vigueur. L’incertitude sur les normes dans une société permet le flou moral.
Le désengagement passe aussipar la délégation des choix impliquant des dilemmes moraux pour diluer la responsabilité, car le jugement est plus sévère visàvis de celui qui prend une décision injuste que visàvis decelui qui la délègue. Dans une expérience, huit sujets décidentsimultanément soit de recevoir un gain, soit de s’opposer ausacrifice de souris de laboratoire en renonçant à ce gain. Un seul choix égoïste sur les huit déclenche le sacrifice de la souris. Les choix égoïstes sont plus fréquents dans cette configuration où la responsabilité est diluée que quand les individusdécident isolément.
Enfin, on invente des histoirespour se créer des excuses. L’individu tend à minorer les externalités produites par ses propres choix, mais les majore quand il s’agit de convaincre un autre dese comporter généreusement. Ces narrations fournissent des excuses pour mal se comportertout en maintenant son image,en sousestimant la possibilité de choisir ou en exagérant lecoût supposé d’un choix moral. Mais des narrations positives peuvent, à l’inverse, aider les individus à se forcer à assumer leurresponsabilité.
Marie Claire Villeval estdirectrice de recherche au CNRS au Groupe d’analyse et de théorie économique (GATE-CNRS/Université de Lyon) et présidente élue de l’Economic Science Association
François Lévêque L’utilité des sites de rencontresSelon l’économiste, les platesformes numériques de rencontres améliorent l’appariement et la durabilité des couples formés
Les utilisateurs de Meetic, Tinder etconsorts se comptent désormais parcentaines de millions. Beaucoup s’eneffraient, ne retenant qu’abus et
escroqueries, d’autres n’y voient qu’une dérive de notre société moderne. Ils ont pourtant une grande utilité sociale.
La rencontre en ligne apporte une nouvellefaçon de nouer une relation éphémère oudurable. Elle s’est ajoutée aux occasions traditionnelles : milieu professionnel, cercle familial, réseau d’amis, bars, concerts, etc. Ces occasions perdent même de leur importance. Aux EtatsUnis, un mariage récent sur trois a débuté par une première rencontre en ligne, et cette proportion augmente chaque année.
On pourrait voir en cela une substitutionsans grande conséquence pour la société. Eh bien non ! En comparaison des formes traditionnelles, les mariages consécutifs à une première rencontre en ligne durent plus longtemps, se concluent par moins de divorces et réunissent plus souvent des couples dereligions ou de couleurs de peau différentes.
Les platesformes en ligne permettent eneffet de sortir d’un milieu souvent homogèneet d’élargir considérablement le nombre departenaires potentiels. Du coup, les chances de rencontre d’un partenaire plus proche de ses préférences sont multipliées. C’est évidentpour les personnes dont les inclinations sont moins partagées – et donc forcément moins
répandues dans leur entourage proche. Aux EtatsUnis, 70 % des homosexuels rencontrent leur partenaire en ligne. Des sites spécialisés mettent en relation les individus allergiques au gluten, ou qui aiment les chiens…
Des informations imparfaitesTrouver l’âme sœur n’est pas seulement facilité par le très grand nombre de contacts possibles. La connaissance des préférences – les siennes et celles des autres – est indispensable pour la réussite des assortiments, pour un bon matching. Lorsqu’elles sont parfaitement connues, la théorie économique montreque la formation des couples est optimale.
Eh oui, les économistes se sont aussi intéressés au mariage, et même les plus grands d’entre eux, comme Gary Becker et Lloyd Shapley, deux lauréats du Nobel. Soient N hommes et N femmes, quelle est la meilleure affectation ?, se demandent ces économistes. Pour le premier, c’est une affaire de complémentarité : l’âme sœur est celle qui maximisera le gain d’une vie en commun avec enfants, maison et voiture. Pour le second, c’est une affairede rivalité, mais chacun finit par trouver chaussure à son pied, dès lors qu’aucun couple formé ne s’en sort moins bien que ses membres pris individuellement. Dit autrement, l’un et l’autre auraient sans doute préféré un partenaire encore plus désirable, mais celuici ne les aurait pas acceptés.
Le développement des sites de rencontres enligne a permis de s’approcher de tels équilibres. A travers les questionnaires d’inscription,les utilisateurs sont amenés à mieux connaîtreleurs préférences. A travers les réponses qu’ils obtiennent et les essaiserreurs des premières rencontres, ils mesurent mieux leur désirabilité. Bref, les appariements sont meilleurs, d’oùla plus longue durée des relations, en compa
raison des mariages nés d’une relation de bureau ou dans la fièvre des samedis soir.
Naturellement, on est encore très loin d’uneformation idéale des couples. En dehors dufait que les préférences et la désirabilité changent avec le temps, deux principales raisonspeuvent être avancées : des informations imparfaites, et une concurrence imparfaite entre les services en ligne.
L’imperfection des informations ouvre lavoie à des comportements opportunistes.Chacun vise plus haut que son propre profil,car il peut parier sur l’erreur de l’autre qui ne s’en apercevrait pas.
L’imperfection de la concurrence, elle,n’incite pas à pousser trop loin la performance des algorithmes d’appariement. Car, une fois le partenaire trouvé et conquis, lesite de rencontres perd son abonné (aumoins pour un temps). La concurrence entreplatesformes, qui porte notamment sur laqualité des algorithmes, s’oppose à cet effet.Or la concurrence n’est pas si vive que cela.Un acteur peu connu, Interactive Corp., domine le marché à travers sa filiale Match Group, cotée au Nasdaq, qui est à la têted’une cinquantaine de sites, dont les tout premiers en audience : le leader Tinder, maisaussi Plenty of Fish, Match.com, OKCupid,Hinge, Meetic, etc. Il ne faudrait pas qu’unmonopole rogne le bienfait social apportépar les sites de rencontres en ligne.
François Lévêque est professeur d’économie à Mines-ParisTech Université PSL, auteur de « Les Habits neufs de la concurrence » (Odile Jacob, 2019).
L’expansion monétaire ne fait que commencer…
LA CHRONIQUEDE PATRICK ARTUS
La crise due au Covid va conduire à un recul considérable –de 7 % environ – du produit intérieur brut (PIB) des pays de
l’OCDE en 2020. Comme on l’avaitvu après la crise des subprimes de2007, le niveau du PIB restera inférieur pendant très longtemps à celui qu’il aurait été sans la crise, en raison de ses effets rémanents : faillites d’entreprises, perte de capital humain en raison du chômage élevé,dégradation de la situation financière des entreprises, faiblesse de l’investissement…
Confrontés à cette perte de revenu importante et durable,les gouvernements ont tous décidé de protéger, autant que possible, les entreprises et les ménages par des baisses d’impôts, des subventions, le financement du chômage partiel,la garantie des crédits… Il en résulte un déficit public considérable. En 2020, il devrait atteindre dans l’OCDE 14 % du PIB(avant la crise, on prévoyait qu’il serait de 4 %…). La haussedu déficit public atteint ainsi 10 points de PIB, alors que laperte de PIB est de 9 points (7 % de baisse de PIB, au lieu de 2 % de hausse attendue s’il n’y avait pas eu la pandémie).
Ces déficits vont certainement se poursuivre en 2021, 2022et audelà. D’une part, les besoins de dépenses publiques resteront très importants (soutien aux secteurs en difficulté, chômage élevé, plans de relance, hausse des dépensesde santé…) ; d’autre part, personne ne veut répéter l’erreur commise dans la zone euro à partir de 2011, lorsqu’une réduction trop rapide du déficit public avait contribué à faire rechuter la zone euro en récession : le pic du chômagen’avait été atteint qu’en 2013.
Intervention des banques centralesMême si certains économistes affirment qu’une forte réduction du déficit public par la baisse des dépenses publiques a peu d’effet négatif sur l’activité (« The Effects of FiscalConsolidations : Theory and Evidence », A. Alesina, O. Barbiero, C. Favero, F. Gia vazzi, M. Paradisi, NBER Working Paper n° 23385, novembre 2017), il faut s’attendre à une politique budgétaire durablement expansionniste : aucun paysde l’OCDE n’osera démarrer le premier une consolidation budgétaire.
Le retour des Etats à la solvabilité budgétaire ne pourra sefaire que par l’intervention des banques centrales. Si une banque centrale achète de la dette publique sans la revendreet en la renouvelant indéfiniment, elle devient irréversibleet se trouve de fait annulée : elle est gratuite (puisque les banques centrales reversent aux Etats leurs profits, qui incluent les intérêts reçus sur ces dettes publiques), et elle n’est jamais remboursée (puisque la banque centrale la conserve et la renouvelle à l’échéance). Si l’on ne veut pas passerà une politique budgétaire restrictive, utiliser la monétisation irréversible des déficits publics est la seule méthode possible pour rétablir la solvabilité des Etats. Depuis qu’elle a introduit le quantitative easing (facilité monétaire), en 2015, la Banque centrale européenne (BCE) n’a jamais réduit la taille de son bilan, et a donc bien rendu irréversible
cette monétisation. La Réserve fédérale a essayé en 2018 de réduire lataille de son bilan, mais elle a dû yrenoncer aussitôt en raison del’effondrement des marchés financiers déclenché par cette tentative…
Mener une politique monétairerestrictive dans une période decroissance (ce qu’on appelle le « Leaning Against the Wind ») pour éviterles déséquilibres financiers est dangereux, d’une part parce que cela affaiblit l’économie, d’autre part parce
que cela déclenche les crises financières que l’on dit vouloir éviter… (« CostBenefit Analysis of Leaning Against the Wind », L. Svensson, Journal of Monetary Economics n° 90,2017, et « Leaning Against the Wind and Crisis Risk », M. Schularick, L. Tersteege, F. Ward, CEPR Discussion Paper n° 14797, mai 2020). Les politiques monétaires expansionnistes menées pendant les récessions, qui permettent la mise en place de déficits publics très importants, le resteront encorependant les périodes de rebond de la croissance…
La crise du Covid va amplifier les tendances antérieures :des politiques budgétaire et monétaire durablement expansionnistes dans les pays de l’OCDE, et par conséquent une hausse parallèle de l’endettement public et de la quantité de monnaie.
Que risquetil alors de se passer ? Dans les pays émergents,il y aura une fuite devant la monnaie locale, les épargnants se réfugiant dans le dollar, et les taux de change s’effondreront. Mais ceci ne pourrait se produire dans les pays de l’OCDE, puisque tous les pays mènent cette même politique.
En revanche, il faudrait s’attendre dans ces pays à l’apparition de bulles encore plus fortes que par le passé sur les prixdes actifs, dans lesquels les agents économiques investissent l’excès de monnaie reçu de la banque centrale, afin deréduire le poids de la monnaie dans leurs portefeuilles. Puisque l’investissement en actions sera freiné par le souvenir de la récente chute des Bourses mondiales, l’excès de liquidité va être réinvesti dans l’immobilier.
Et il convient de rappeler ici les effets désastreux d’unebulle immobilière : hausse des inégalités patrimoniales,difficulté d’accès au logement pour les jeunes, excès d’endettement des ménages. Il ne faut donc pas négliger le risque que les choix de politique budgétaire et monétairefaits aujourd’hui, qui semblent effectivement les plus logiques, ne conduisent plus tard à une crise financière ou à une crise sociale.
LES DÉFICITS PUBLICS VONT CERTAINEMENTSE POURSUIVREEN 2021, 2022
ET AUDELÀ
Patrick Artus est chef économiste de la banque Natixis
28 | idées DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 20200123
Ece Temelkuran Avec la reconversion de Sainte-Sophie, Erdogan achève de créer une Turquie à sa mainLa basilique « a toujours été la diversion politique favorite » du président turc, relève la journaliste exilée. Il détourne ainsi l’attention des problèmes majeurs qui minent le pays, jouant sur le nationalisme et l’islamisme de son électorat
Le 4 novembre 2016 s’estproduit un événement absolument fascinant : le sona voyagé dans l’espace et le
temps. Dans l’enceinte de l’université Stanford (Californie), le célèbre chœur Cappella Romana a donné un concert intitulé HagiaSophia réinventée, où les spectateurs ont pu entendre les chants byzantins exactementcomme ils résonnaient à l’intérieur de SainteSophie au Moyen Age. Les voix du chœur étaient filtrées à travers un algorithme mis au point par le Centre de recherche informatique en musique etacoustique (CCRMA) de Stanford.Les scientifiques s’étaient rendus à SainteSophie, où ils avaient procédé à plusieurs enregistrements sonores pour comprendre ce qui rendait l’acoustique de l’édifice si unique, et tenter ensuite d’appliquer le même processus acoustique à la musique de la chorale. Mais le jour du concert, Istanbul, la ville même de SainteSophie, était plongée dans un tel vacarme chauvinisteque ces sons tout en finesse ne pouvaient être qu’inaudibles.
Quelques mois à peine étaientpassés depuis la tentative de coupd’Etat du 15 juillet 2016 et, au milieu du bruit, beaucoup fuyaientle pays en silence. Ils avaient compris que l’on n’entendrait plus dé
sormais à Istanbul que les voix dela vulgarité et de la violence. Quand, dans la nuit où eut lieu la tentative de coup d’Etat, retentitdepuis 90 000 mosquées le « sela » – une prière récitée, en général, après une mort –, il ne fit plus de doute pour eux que la Turquie qu’ils avaient connue ne serait plus.
Le 24 juillet, date symboliqueSainteSophie ouvrira officiellement ses portes comme mosquée le 24 juillet, le jour où fut signé, en 1923, le traité de Lausanne [entre la République turque et les vainqueurs de la première guerre mondiale]. Dansl’histoire politique internationale, ce traité est considérécomme le document fondateur de la République de Turquie dansses actuelles frontières. Ainsi, pour ceux que la laïcité gênait depuis longtemps et pour ceux qui regrettent encore les territoires perdus, le choix de cette dateanniversaire pour la reconversion de SainteSophie en mosquée est un signe fort.
Mais au cas où ce symbolismesophistiqué vous aurait échappé,vous pouvez compter sur lerégime d’Erdogan et de tous sespartisans pour vous le rappeler. Les cris des députés erdoganisteshurlant « Allah akbar ! » dans
tion du musée qui redevient mosquée, des problèmes majeurs deviennent invisibles. Et laliste est longue : les forages de pétrole et de gaz naturel en Méditerranée, les problèmes que celacrée avec la Grèce ; la loi sur les « barreaux multiples » pour les avocats, qui ruinera définitivement un système juridique déjà sérieusement abîmé ; la détention illégale de nombreux prisonniers politiques y compris bien connus, sans parler de la crise économique massive.
La stratégie fonctionneJusquelà, la stratégie de diversion autour de la cathédrale semble fonctionner à merveille, pource qui est à la fois de la politiqueinternationale et de la politiqueintérieure. Quand l’excitation et la tension seront sur le point de retomber, nul doute qu’Erdoganaura recours à une autre diversion spectaculaire. Pour quiconnaît son art magistral de ladiversion, ces opérations sontdevenues lassantes.
En tout cas, pour le moment,ses fidèles sont tous occupés parleur chasse aux sorcières contreceux qui s’efforcent de rappeler que la souveraineté d’un pays ne justifie pas qu’il accapare un patrimoine commun de l’humanité comme SainteSophie. Les ex
perts du régime sont allés jusqu’àdire qu’il s’agissait d’une étapeimportante avant de libérer la mosquée AlAqsa, à Jérusalem. Les aspirations politiques islamistes, que les partisans d’Erdogan appellent « la cause », n’ont plus aucune limite. Et le bruit amplifié de cette cause recouvre toutes les voix subtiles, celles qui résonnaient à SainteSophie, mais aussi partout ailleurs.
A peu près au moment où leconcert Hagia Sophia réinventée fut présenté à Stanford, j’aiquitté mon pays. Depuis lors, jeme débats avec le mot « exil ». Un mot lourd, qui colle à monnom chaque fois que des genscherchent à décrire ma situationactuelle. Je m’efforce d’expliquerque le pays d’un écrivain est lelangage, et que lorsque ses motssont étouffés par le bruit de lavulgarité, il a le droit de choisir un lieu où la finesse a encoredroit de cité. N’importe quelleterre où les mots fragiles de labeauté peuvent être amplifiésest, ou peut être, la patrie d’unconteur. Crier toujours plus fortpour se faire entendre est unautre langage, que je suis incapable de parler. Et c’est, hélas, le seul langage qui soit autorisédans mon pays à l’heure actuelle.
C’est de loin que j’observeaujourd’hui les cris ardents de la
victoire entonnés par les supporteurs du régime. Ceuxlàn’ont aucun scrupule à amplifierleur rancune quand ils déclarentqu’« Istanbul est finalement etcomplètement reconquise ». Leregard empli de vengeance, ilspassent leur temps à surveiller et à traquer toute voix dissonante qui ne répéterait pas à l’unisson les mots qu’ils hurlent. Ils prétendent au monopole sur l’écho envoûtant deSainteSophie. Mais l’algorithmede résonance, cette incroyablearithmétique du son, n’appartient qu’au temps. Et le tempsest affaire de patience. On peut attendre longtemps que ceux qui ne connaissent d’autre langage que les cris finissent parperdre leur voix, mais je sais àprésent que le son peut voyagerdans le temps. Alors, avec mesmots, j’attends.
Traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria
Ece Temelkuran est journa-liste et essayiste turque. Son dernier ouvrage, « Comment conduire un pays à sa perte : du populisme à la dictature », est paru chez Stock (2019).
Emmanuel Hirsch Ces derniers mois, la démocratie sanitaire a été bafouéeLe professeur d’éthique médicale appelle à une intégration de la société civile aux processus de décision, ce qui, déploretil, a manqué durant l’épidémie de Covid19 et nous fragilise face aux prochaines crises
Une pandémie déstabilise et interroge en profondeur les sociétés.Elle expose leurs systèmes de valeurs à une épreuve dont rien
n’indique qu’elles la surmonteront.Nous pourrions être confrontés demainà une crise sanitaire différente, d’uneautre ampleur : nucléaire, radiologique,biologique ou chimique (ou NRBC).
Y sommesnous davantage préparésaujourd’hui ? Qu’avonsnous retiré de ces mois de pandémie ? Comment les pouvoirs publics nous associentils à leurs arbitrages et avec quelles informations ? Quels sont les dispositifs et les mesures envisagés ? Selon quels critères seront désignées les personnes prioritaires dans l’accès aux moyens de protection et aux traitements en cas de pénurie ? Quelles instances contrôleront lerespect de la mise en œuvre des décisions et en évalueront les conséquences ? De quelle nature sera l’attention portée à la protection des personnes les plus exposées aux risques ? Les plus vulnérables bénéficierontils de la mansuétude qui leur a été témoignée en 2020 etdont quelques beaux esprits déplorentqu’elle a compromis durablement notre économie ? Qu’en seratil de la continuité de la vie de la nation ? Comment sera assurée la gouvernance du pays, et
quelle sera la capacité d’intervention duParlement ? Comment sera organisé le confinement des survivants et négociéla sortie de la catastrophe ? Quelle sera l’approche des morts massives ? Qu’en seratil de nos valeurs et de nos rites dans un contexte de chaos ?
« Mobilisation du corps social »Dans quel contexte et selon quelles modalités poser ces questions et tant d’autres, dont l’importance et la gravité imposeraient mieux que des annoncesimprovisées au fil des événements, fautedu courage d’affronter ensemble ce qui nous menace et ne peut être contré que par la détermination de tous ?
« C’est dès aujourd’hui qu’il nous fautconvaincre, expliquer et, s’il le faut, contreargumenter », préconisait en 2010 lacommission d’enquête sur la manièredont a été programmée, expliquée etgérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) : « La mobilisationdu corps social sera alors indispensable. » Estce un enjeu dont ont conscience les responsables politiques audelà de propos convenus ?
La société civile a été exclue des moisdurant du processus décisionnel instruit au sein d’instances indifférentes à l’exigence de concertation. Exercer une
responsabilité politique en temps de catastrophe, c’est se risquer à une autre pratique de la démocratie, à une autre intelligence de la démocratie. Désormais, nous savons d’expérience l’ampleur des menaces auxquelles nous risquons d’être confrontés. La société civile doitelle se résoudre à espérer de la puissancepublique le signal favorable à une concertation en dehors du cénacle des experts et des administrations de l’Etat, ou prendre ellemême des initiatives ?
Nous avons manqué le temps d’uneconcertation permettant de sensibiliser notre collectivité nationale à des risques qui ne se limitent pas aux menaces virales. Les négligences, les insuffisances dans l’analyse de l’impact des décisions, les phénomènes de peur, de violences et de discriminations se renforcent à mesure que les sentiments d’insécurité,mais également de dissimulation et
d’impréparation, accentuent la défianceà l’égard de l’autorité publique.
Dans les années 1980, face à la pandémie du VIHsida, la mobilisationexemplaire impulsée par les associations de personnes malades a permisd’inventer la démocratie sanitaire consacrée par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Cette démocratie en santé a été bafouée ces derniersmois. Trop de décisions hâtives ou improvisées ont été imposées sans mêmeles soumettre à l’avis des compétences et des expertises indispensables.
Il a été trompeur de donner à comprendre la cessation du confinement comme la recouvrance d’une liberté. Exercer la responsabilité qui s’impose à tous en situation de péril, c’est préserverune liberté dont nous déposséderait la mort ou l’abolissement de notre démocratie. C’est préférer la résistance au renoncement et considérer que les considérations individualistes doiventêtre révoquées lorsque s’imposent une cause et un intérêt supérieurs.
Pas de concertation nationaleSi, demain, le Covid19 nous imposait ànouveau des mesures d’urgence, il est àcraindre qu’outre le déni a priori de lamenace, le sauvequipeut individualiste révoquerait l’esprit d’initiative et desolidarité qui nous a permis de faire faceà la pandémie ces derniers mois. Certains moralistes reprochent aux médecins d’avoir saturé l’espace public de préconisations qui auraient affecté leurs libertés individuelles, y compris celle d’avoir le droit de mourir du Covid19 si
telle était leur volonté ! De ce point devue, l’échec politique est évident : lasortie de confinement n’a pas été accompagnée d’une concertation nationale permettant de concevoir ensemblel’après : ceux qui ont su inventer les réponses indispensables et qui, le temps de quelques courtes semaines, étaientapplaudis à 20 heures par la France entière, n’ont pas été considérés dignes decontribuer à une consultation publique. Appauvris de ce savoir expérientielqui est refusé, nous voilà aussi démunisqu’en février, incertains de ce que seraient nos futures capacités de riposte, alors que tant de réalisations exceptionnelles devaient être reconnues etanalysées dans le cadre d’un retour d’expériences du terrain. Il fallait armernotre démocratie pour affronter de nouveaux défis, comme nous l’avons fait à bon escient en laissant sa place à l’esprit d’initiative et à la créativitéparce que l’urgence l’imposait.
Mais peutêtre seronsnous surpris,dans les mois qui viennent, par un bouleversement des dogmes et des pratiques centralisés, alors qu’il a étéconstaté que, face à une crise sanitaire,l’invention et l’adaptation au plus près des personnes et des territoires favorisaient une dynamique et une efficacité de l’action.
Emmanuel Hirsch est professeur d’éthique médicale à la faculté de médecine de l’université Paris-Saclay.
EXERCER UNE RESPONSABILITÉ POLITIQUE EN TEMPS DE CATASTROPHE, C’EST SE RISQUER À UNE AUTREPRATIQUEDE LA DÉMOCRATIE
LE REGARD EMPLI DE VENGEANCE, LES SUPPORTEURS DU RÉGIME PASSENT LEUR TEMPS À SURVEILLER ET À TRAQUER TOUTE VOIX DISSONANTE
l’enceinte d’un Parlement supposé laïque et les déclarations des partisans du régime tellesque « l’homme de pierre fond »– en référence aux statues d’Atatürk [Mustafa Kemal, fondateurde la Turquie moderne et républicaine, 18811938] – montrent, s’ilen était encore besoin, qu’Erdogan achève de créer une Turquieà sa main.
Qui connaît un peu la politiqueinternationale et la Turquie saitque SainteSophie a toujours été la diversion politique favorite d’Erdogan. Au moment où tout lemonde est accaparé par la ques
0123DIMANCHE 19 LUNDI 20 JUILLET 2020 0123 | 29
C’ est une histoire quia presque deux décennies, mais elleéclaire toujours, au
jourd’hui, la nature des débats sur les biotechnologies. En 2001, Ignacio Chapela et David Quist, deux chercheurs de l’université de Californie à Berkeley (EtatsUnis) publiaient dans la revue Nature des résultats incommodants : les deux scientifiques assuraient avoir détecté, dans certaines variétés de maïs traditionnels mexicains, des traces de contamination génétiquedues aux cultures américaines demaïs transgénique, à plusieurscentaines de kilomètres au nord.
Au moment même où l’articleétait publié – et alors que nul n’avait encore pu l’examiner –, un déluge d’indignation s’abattit sur les éditeurs de la revue : les auteursétaient des militants écologistes déguisés, leur méthode était défectueuse, leurs résultats étaient pourris, etc.
Quelques mois plus tard, Naturepubliait une notice de désaveu, regrettant la publication de l’étude – sans toutefois avoir le moindre élément pour une rétractation en bonne et due forme. Du jamaisvu.Ces travaux étaient certainement imparfaits, mais sans doute pas plus que la grande majorité de ceux qui sont publiés chaque jour. M. Chapela n’en a pas moins subi, des mois durant, une vindicte si hargneuse, de la part de scientifiques convaincus des bienfaits des biotechs, que son emploi à Berkeley fut un temps menacé.
Cette bronca étaitelle si spontanée ? En novembre 2002, dans unechronique au Guardian, George Monbiot a raconté, preuves irréfutables à l’appui, comment une campagne de dénigrement avait été lancée contre M. Chapela et M. Quist par une officine dont l’undes clients était une firme agrochimique bien connue. Des années plus tard, le 12 novembre 2008, Nature revenait sur l’affaire dans un bref article d’information : les résultats qu’elle avait désavoués avaient été reproduits par d’autreschercheurs.
Défaut d’esprit critiqueCet exemple – parmi de nombreux autres – montre l’extraordinaire capacité des industriels à influencer le débat sur « les OGM » (même si ce terme ne recouvre rien de précis). Plaider pour les biotechs, ce serait ainsi toujours seplacer du côté de « la science », tandis que faire preuve de scepticisme à leur endroit serait toujours se placer du côté de l’irrationalité, de l’idéologie, de l’activisme vert, etc. Le résultat de cette ingénierie du débat public est que les arguments favorables aux OGM y sont soumis à très peu d’esprit critique. Ce défaut d’esprit critique à l’endroit des biotechnologies végétales – telles qu’elles sont actuellement utilisées – est général et n’épargne pas le personnel scientifique au sens large, bienau contraire. Pas plus, d’ailleurs, que l’auteur de ces lignes.
Dans l’espace de cette chronique, il a ainsi déjà été affirméqu’en Inde, le coton transgénique Bt (sécrétant une toxine insecticide) avait eu des résultats posi
tifs en termes de baisse du recours aux pesticides et d’augmentation des rendements. Cetteaffirmation est probablement fausse et il n’est jamais trop tard pour manger son chapeau.
En mars, en pleine crise due auCovid19, la revue Nature Plants a publié l’étude la plus exhaustive sur les effets de deux décennies deculture du coton transgénique Bt àl’échelle d’un grand pays. Elle estpassée complètement inaperçue. Pour ceux qui ont cru au miracle du coton Bt indien, ses conclusions sont cruelles.
Certes, expliquent ses auteurs,Keshav Kranthi (International Cotton Advisory Committee, à Washington) et Glenn Davis Stone (université Washington, à Saint Louis), le coton Bt ne peut être rendu responsable d’une quelconque épidémie de suicides parmi les agriculteurs indiens – selon une idée répandue chez les détracteurs des biotechs.
Mais aucun des grands bénéficesque lui attribuent ses supporteurs n’est réel ou n’a tenu sur la durée. Après avoir décortiqué vingt ans de données, M. Kranthi et M. Stone indiquent que l’introduction du coton Bt en Inde s’est bien accompagnée d’une réduction de l’utilisation des pesticides, mais celleci n’a été qu’« éphémère ». Avec l’apparition de résistances à la toxine Bt chez certains insectes et la prolifération de ravageurs secondaires non ciblés, « les agriculteurs dépensent aujourd’hui plus en pesticides qu’avant l’introduction du Bt », écrivent les deux auteurs. « Tout indique que la situation va continuer à se détériorer », ajoutentils.
Ce n’est pas fini. Certaines courbes fièrement exhibées par les promoteurs des biotechs semblent montrer un lien entre l’arrivée du coton transgénique Bt etl’augmentation des rendements. Vraiment ? Non seulement corrélation n’est pas causalité, mais une fois examinée de plus près, à l’échelle de chaque région indienne, la corrélation apparaît ellemême douteuse. « L’adoption du coton Bt s’avère être un mauvais indicateur de l’évolution des rendements », expliquent les deux chercheurs. « Les augmentations de rendement correspondent plutôt à des évolutions dans l’usage des engrais et d’autres intrants », précisentils.
Dans les années 1990, lors dulancement des premières cultures transgéniques, l’autorité de la parole scientifique a été largement convoquée, auprès de l’opinion, pour faire de la pédagogie : ces nouvelles plantes – tolérantes à des herbicides ou résistantes àcertains ravageurs – allaient augmenter les rendements, faire baisser le recours aux intrants et bénéficier à l’ensemble de la société. Avec deux à trois décennies de recul, tout cela s’est révélé au mieux indémontrable, au pire complètement faux. La transgenèse ou l’édition du génome peuvent apporter des innovations utiles dans de nombreux domaines, et peutêtre le ferontelles. Mais il y a fort à parier que, dansleurs principaux usages agricoles, elles n’ont jusqu’à présent pas tenu leurs promesses.
L es différends qui se sont accumulésdepuis le début du quinquennat entre Emmanuel Macron et les syndi
cats sont tels qu’il est difficile de croire qu’en six cents jours le dialogue social puisse être rétabli. Pourtant, au prix d’un décalage dans le temps des réformes qui fâchent, celle de l’assurancechômagecomme celle des retraites, la conférence du dialogue social qui s’est tenue vendredi17 juillet à Matignon s’est terminée sans heurts. Elle laisse espérer un indispensable dégel au moment où le pays s’apprête à affronter une crise sociale d’ampleur, due à laflambée annoncée du chômage.
En remplaçant le mot « concertation »cher à Edouard Philippe par celui de « dialogue », Jean Castex, qui dispose d’un a priori
favorable chez les partenaires sociaux, a acté le fait que le gouvernement ne pouvaitplus agir au pas de charge, au risque decréer une grave déchirure dans le tissu social. L’inflexion intervient au moment oùdes acteurs sociaux importants affirmentleur volonté de participer activement à la « reconstruction ».
Au lendemain du déconfinement, quatresyndicats réformistes, la CFDT, la CFECGC, la CFTC et l’UNSA, ainsi que quatre organisations patronales, le Medef, la CPME, la FNSEA et l’Union des entreprises de proximité (U2P), ont adressé un texte commun au président de la République, dans lequelils revendiquent le « rôle majeur » des partenaires sociaux dans la sortie de crise.
Les priorités qu’ils mettent en avant sontla préservation des entreprises et de l’emploi, le développement de la formation, un meilleur partage de la valeur ajoutée, le « verdissement de l’économie », ainsi que lareconquête de la souveraineté dans les domaines stratégiques. Elles rejoignent celles désormais pointées par le président de laRépublique. L’inédite manne d’argent public annoncée depuis le début de la récession, et qui se compte en dizaines de milliards d’euros, joue les facilitateurs.
L’accord salarial en faveur des soignantsqui vient d’être conclu entre le gouvernement et les syndicats réformistes dans le
cadre du Ségur de la santé est le premier signe tangible d’une possible détente. Mais levrai test aura lieu à la rentrée, lorsque seront négociés dans les branches ou les entreprises des accords autour de l’activitépartielle de longue durée. L’objectif consiste à maintenir autant que possible l’emploi et à favoriser la formation, en contrepartie d’une modération des salaires et des dividendes et d’un développement de la participation et de l’intéressement en prévision de jours meilleurs. Il impliquera en partie l’Etat dans son rôle de soutien à l’activité, mais laissera en première ligne les syndicats et le patronat pour négocier.
Pour la CFDT et l’UNSA, favorables au développement du dialogue social dans l’entreprise, l’occasion existe de donner un élan à la « fléxisécurité » à la française qu’elles préconisent depuis des années et qui estaussi défendue par la gauche réformiste. Lecontexte de crise, autant que les convergences de vues désormais affichées avec legouvernement, peut servir de levier à leur projet sans les transformer pour autant en des partenaires dociles. La question salariale est en effet très sensible, elle est le cheval de bataille de la CGT, qui reste positionnée dans une logique d’opposant. La barredes négociations sera haute, le contextetendu, mais chacun sera placé devant ses responsabilités.
CET EXEMPLE MONTRE L’EXTRAORDINAIRE
CAPACITÉ DES INDUSTRIELS
À INFLUENCER LE DÉBAT
L’IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ DU DIALOGUE SOCIAL
PLANÈTE | CHRONIQUEpar stéphane foucart
« La science » est-elle vraiment pro-OGM ?
DANS LES ANNÉES 1990, L’AUTORITÉ DE LA
PAROLE SCIENTIFIQUE A ÉTÉ LARGEMENT
CONVOQUÉE AUPRÈS DE L’OPINION
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L’Afrique sans masqueL’Afrique habite nos imaginaires mais son histoire reste méconnue. Ce récit passionnantcourt de l’aube de l’humanité au XXIe siècle et fait revivre les pharaons noirs, lesrichissimes royaumes médiévaux, les temps tragiques de l’esclavage et de la colonisation,l’enthousiasme des indépendances... jusqu’à s’arrêter sur les grands enjeux d’une Afriqueémergente qui retrouve peu à peu sa place dans le monde.Servi par une cartographie inédite, cet atlas met enfin en lumière, par-delà les clichés, cecontinent devenu incontournable.
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