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LE DROIT DE VIVRE 667 | JUILLET 2017 PRIX DE VENTE : 8 LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE LES TROIS POPULISMES FRANÇAIS DOSSIER Le programme de la Licra en Avignon L’antisémitisme de Céline Le point sur l’affaire Sarah Halimi AVIGNON 2017

LE DROIT DE VIVRE

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Page 1: LE DROIT DE VIVRE

LE DROITDE VIVRE 667 | JUILLET 2017

PRIX DE VENTE : 8 €

LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE

LES TROISPOPULISMES FRANÇAIS

DOSSIER

Le programmede la Licraen Avignon

L’antisémitismede Céline

Le pointsur l’affaireSarah Halimi

AVIGNON

2017

Page 2: LE DROIT DE VIVRE

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É D I T O

Le populisme n’est pas un sou neuf. Depuis tou-jours, certains s’arrogent le droit de représenter

les intérêts du « peuple » contre ceux qui l’auraienttrahi. S’il a pris plusieurs visages au cours de l’his-toire, le populisme a toujours les mêmes traits :ceux de l’extrémisme politique, de l’agitation despeurs et des « passions tristes » qui taraudent nossociétés. Le populisme a besoin d’un bouc émissaire, toujoursle même : les élites, qui confisqueraient aux classespopulaires leur souveraineté et leur liberté. C’est làle ressort principal de sa mécanique. Derrière ces« élites », il y a l’idée sous-jacente d’un « système »dominé par un groupe dont les critères sont égalementtoujours les mêmes. Du « lobby » aux « 200 fa-milles », du « mur d’argent » au « complot judéo-maçonnique », de la dénonciation du « peuple supérieur aux autres » et des « communautés agres-sives qui font la leçon au reste du pays », l’inventivitélexicale du populisme confine au complotisme.Evidemment, en fonction des circonstances, desbesoins, et surtout des opportunités politiques, ladésignation des responsables de tous nos maux aévolué. Les étrangers, les migrants, les réfugiéssont devenus la nouvelle cible de choix pourexpliquer comment nos élites, toujours elles, se seraient « agenouillées devant l’immigrationnisme »et l’Europe. Il s’agit non plus de défendre ouvertementla supériorité des races, dont l’expression estprohibée, mais de dissimuler sa haine derrière desappellations plus génériques et moins clivantes,pour défendre « l’Occident », « la civilisation eu-ropéenne », « notre héritage chrétien ».Le populisme ne parle pas d’invasion mais de« Grand Remplacement », il appelle même lesmaires à la « résistance » contre l’accueil des réfugiés.Le populisme, c’est aussi un mépris profond et vis-céral de la vérité. Le mensonge est érigé en systèmerhétorique, en « faits alternatifs », et les raccourcisconduisent toujours à des sorties de route.

Le populiste a perdu une élection… Qu’importe !Il suggère qu’il aurait pu la gagner, sans ce satanésystème et cette « république bananière ». La justice enquête sur ses agissements ? C’est lapreuve de l’étendue tentaculaire du complot. Son soutien à un dictateur étranger est mis en accu-sation par la presse ? C’est l’illustration du confor-misme médiatique et de la pensée unique. Toute vérité glisse sur lui comme l’eau sur lesplumes du canard.Le populisme, c’est l’essentialisation. C’est cettemanière de considérer le « peuple » comme uneentité indifférenciée où les droits des individus sontécrasés par le poids du groupe. C’est la négation del’esprit des Lumières, qui a consacré les droits etles libertés de chacun. Le populisme est au peuplece que le nationalisme est à la nation : une perversionet un rétrécissement totalitaire qui conduit à l’af-frontement.

Le populisme, enfin, n’a pas de couleur. Il circulede l’extrême droite à l’extrême gauche et prolifèresur les difficultés de notre temps. D’ailleurs, parmitoutes les citations et références qui illustrent cetexte, il est bien difficile de savoir de quel extrêmeelles proviennent… Le seul antidote contre le po-pulisme, c’est le peuple. Non pas cette masseinforme que des apprentis dictateurs voudraientmanipuler au service de leur idéologie, mais cetteforce incroyable, constituée d’individus libres,égaux et fraternels qui, en se regroupant, viennentdire dans les urnes leur attachement à la vérité, à laraison, à la République et à ses valeurs.●

De quoi le populismeest-il le nom ?

« LE POPULISME, C’EST CETTE MANIÈREDE CONSIDÉRER LE “PEUPLE”COMME UNE ENTITÉ INDIFFÉRENCIÉE. »

Alain Jakubowicz / Président de la Licra

LICRA DDVn°667 / juillet 2017

• Fondateur : Bernard Lecache• Directeur de la publication :

Alain Jakubowicz• Directeur délégué :

Roger Benguigui• Rédacteur en chef :

Antoine Spire• Comité de rédaction :

Pia Ader, Barbanel Alain,Benchetrit Karen, Colomès Michèle, David Alain,Demarigny Alexandra, Dupuy Georges, Juffé Michel, Lacroix Alexis, LemaireMarina, Lewkowicz Alain,Mattioli Justine, NivetStéphane, Ollier Monique,Quivy Mireille, RachlineFrançois, Rotfus Michel, Roze Raphael, Sayad Ourida, Selles-FischerEvelyne, Siri Mano.

• Coordinatrice rédaction :Mad Jaegge

• Editeur photo :Guillaume Krebs

• Abonnements :Patricia Fitoussi

• Maquette et réalisation :Micro 5 Lyon. Tél. : 04 37 85 11 22

• Société éditrice :Le Droit de vivre42, rue du Louvre, 75001 ParisTél. : 01 45 08 08 08E-mail : [email protected]

• Imprimeur :Riccobono Offset Presse115, chemin des Valettes,83490 Le Muy

• Régie publicitaire :Micro 5 Lyon327-355, rue des Mercières69140 Rillieux-la-PapeTél. : 04 37 85 11 22Port. : 06 25 23 65 66

Les propos tenus dans lestribunes et interviews nesauraient engagerla responsabilité du « Droit de vivre » et de la Licra.Tous droits de reproductionréservés ISSN 09992774CPPAP : 1115G83868

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3JUILLET 2017

L E M O T

Antoine Spire / Rédacteur en chef

Le paysage politique mondial est indéniablementtraversé aujourd’hui par une lame de fond qui

paraît relever du populisme. Des Etats-Unis deTrump à la Russie de Poutine, de la Hongrie deViktor Orban ou de la Pologne de Kaczynski àl’Equateur de Rafael Correa ou au Venezuela deMaduro, de nombreux dirigeants de la planète sontrangés dans les rangs populistes. En France, l’accord se fait facilement autour de ladénonciation du populisme de Marine Le Pen ; pource qui est de Jean-Luc Mélenchon, certains hésitentà user du qualificatif « populiste », pour ne pasidentifier le leader des Insoumis au Front national. Certains évoquent aussi un populisme islamiste.Un vrai flou nimbe incontestablement le vocable« populiste ».On peut pourtant tenter de préciser la notion : unleader populiste fait plus appel aux affects qu’à laraison. Il surfe sur les peurs, la colère et le ressenti-ment du peuple. Il clame qu’un retour vers le passé,vers une sorte d’âge d’or culturel, permettra deconstruire un futur plein de promesses. Le succès des populismes repose sur une fatigue dela démocratie : notre système politique est à boutde souffle, et le peuple est lassé d’une classe politi-cienne discréditée. Nombre de nos concitoyens per-dent patience et ne supportent plus la lenteur duprocessus démocratique. En Europe, cette fatigue s’exprime par le biaisd’une méfiance vis-à-vis des institutions européenneset une prévention pas toujours avouée envers leflot de réfugiés, dont on surestime l’importance.Dans le populisme on trouve toujours l’exaltationd’un peuple supposé uni, que chercheraient àdominer des élites elles aussi homogènes. Lediscours populiste a tendance à réduire les grandes

questions économiques et sociales à un choix simple,binaire et dichotomique.Au regard de cet essai de définition, on est obligé declasser non seulement le Front national mais aussiles Insoumis de Mélenchon parmi les populistes.Comme l’écrit l’historien Marc Lazar : « Dans lesdeux mouvements on retrouve la critique de l’Europe,la mise en cause des élites, la défense de la souveraineténationale, du modèle social et d’une forme de démo-cratie directe avec l’utilisation du référendum. »Les deux ex-candidats en appellent au peuple, maisleur conception du peuple est différente. Chez Jean-Luc Mélenchon, il s’agit de gens du « commun » etdu peuple politiquement actif, alors que le populismedu FN s’adresse à un peuple passif et enrégimenté,dont la participation n’est même pas souhaitée. Issusd’une croyance jacobine, les deux se méfient de lareprésentation, « institution vicieuse dans le principe »,et imaginent un peuple uni, incarné par un seulcourant, souverain, débarrassé de ses ennemis.Du côté de Marine Le Pen, la xénophobie estaffichée ; malgré des propos ambigus sur les travail -leurs détachés, il n’y a rien de tel chez les Insoumis. Chez les populistes, il n’y a plus de reconnaissancepossible de l’altérité, et c’est en cela qu’on peutqualifier l’islamisme de populiste. L’autre, surtoutquand il paraît notre semblable et qu’il paraît réussir,est un danger pour la satisfaction. Il faut l’anéantir,d’où une propagande complotiste. La complexité dusocial ne peut plus être symbolisée, elle est néces-sairement suspecte. Il faut la ramener à un conflitsimple : les petits contre les gros, ou les adeptesd’Allah contre les mécréants. Comme l’écrit la psychanalyste Hélène L’Heuillet,« la pulsion égalitaire, l’envie et la nostalgie sontles ressorts du populisme ». ●

Convergence des populismes ?

« DANS LE POPULISMEON TROUVE TOUJOURS

L’EXALTATION D’UN PEUPLESUPPOSÉ UNI, QUE

CHERCHERAIENT À DOMINERDES ÉLITES ELLES AUSSI

HOMOGÈNES. »

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SOMMAIRE DDV

ÉDITORIAL p. 2par Alain Jakubowicz

LE MOT p. 3par Antoine Spire

ACTUALITÉS p. 4-5• Du Havre à Matignon• Interdit aux Blanches

et aux hommes...

DOSSIER p. 6 à 19LES TROIS POPULISMESFRANÇAIS

FESTIVAL D’AVIGNONp. 20 à 31

SPORT p. 32• Carton vert, les jeunes !

INTERNATIONAL p. 33• Tchétchénie : crimes d’honneur

et homophobie

CHRONIQUES DE LA HAINEp. 34 à 36• Le procès Barbie, 30 ans déjà...• L’affaire Sarah Halimi :

un meurtre antisémitequi ne dit pas son nom

• Mort suspecte de Liu Shaoyao

CULTURE p. 37 à 43LIVRES• “Céline, la race, le Juif”,

un livre décisif• On ne pourra plus excuser Céline• Voisine de l’Histoire• Black Dakota

THÉÂTRE• Pour ramener le monde

à la raison

CINÉMA• A vos marques, prêts, parlez !• Tirailleur et résistant• La Shoah devant la Cour

• Premiers pas avecdes femmes noires

• Passe ton Forbach d’abord !

VIE DES SECTIONS p. 44 à 47• “On n’est pas des arbres...”• Hommage à une “Juste”• Le salon du livre de la Licra :

10 ans déjà !• Contre le harcèlement

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A C T U A L I T É S

D’aucuns ont sans doute lu etrelu les quelques lignes au-

tobiographiques du nouveau ré-sident de Matignon.Né le 28 novembre 1970 à Rouen,Edouard Philippe est issu d’unefamille de professeurs de français.Si sa sœur a suivi la route pro-fessionnelle de ses parents,Edouard Philippe a souhaité rom-pre avec cet « atavisme ». Il fait ses armes sur les bancs deSciences Po et de l’ENA, où ilest séduit par le droit, qui requiert,selon lui, « raisonnement, logique,éloquence et rigueur dans l’ex-pression ». Fraîchement émoulu,il rejoint le Conseil d’Etat, avantde céder aux appels exaltants dela politique.Sa rencontre en 2001 avec AntoineRufenacht (maire du Havre de1995 à 2010) accélère son as-cension. Il est d’abord adjointaux Affaires juridiques. Puis, en2010, l’écrin de l’architecte Au-guste Perret change d’édile et ac-cueille ce jeune élu encore peuconnu. Parallèlement, il assumeles fonctions de président de laCommunauté d’agglomérationhavraise (Codah, depuis 2010)et de député de Seine-Maritime(depuis 2012).

ENTENTE ET ÉCHANGESAVEC LA LICRA

Edouard Philippe est bien connudans les rangs de la Licra. Chaqueannée, pendant les universitésd’automne de la Licra, il ouvrevolontiers les portes de la mairiepour un cocktail dinatoire le sa-medi soir, et participe à la tableronde du dimanche matin.A l’écoute et facilement aborda-ble, l’homme peut se jouer deson interlocuteur par des pirouettesbadines qui le rendent agréable.« Je le connais depuis seize ans,

explique Ari Sebag. Il est d’unegrande finesse, d’une grande in-telligence, il a un humour ma-gnifique, il est humble et sérieux. »Sportif, il pratique la boxe assi-dument, mais il aime la bière etpeut se damner devant les pay-sages de Sicile. Marié et père de trois enfants,ce passionné de musique s’estrêvé chef d’orchestre. A défaut,il dirige aujourd’hui un ensemblegouvernemental qu’il devra fairejouer à l’unisson et dans la mesurepour rassurer et convaincre lesFrançais.S’il peut impressionner du hautde son 1,94 mètre, dominant sonauditoire, il reste toujours dansune certaine mesure, maîtrisantverve et gestuelle. On pourrait le définir comme unhomme de droite, européen etprofondément « légaliste ». « C’estune personnalité qui s’engagedans les combats humanistes […],il est profondément attaché à larègle, au respect de l’homme etde l’Etat », précise Ari Sebag.Robert Badinter lui avait reconnu« un impressionnant respect dela dignité humaine ».

QUEL AVENIR POURLE COMBATANTIRACISTE ?

La Licra semble disposer d’unatout à Matignon, mais la pru-dence prévaut. En effet, sur laquestion de la laïcité et sur ledangereux noyautage islamo- gauchiste, le Premier ministre s’estpeu exprimé jusqu’à présent. Caroline Fourest a été jusqu’à

déclarer que « le manque de clair-voyance dans la lutte contre l’inté -grisme risque d’être l’un des pointsfaibles de ce gouvernement ».Le doute plane, que des ambi-guïtés relationnelles n’arrangentpas. Le Havre abrite une antenneJeunesse de l’UOIF, et le député-maire n’a jamais condamné pu-bliquement ces courants qui prô-nent un islam rigoriste. En outre,en octobre 2016, Edouard Philippea signé un protocole d’amitiéentre Tanger et Le Havre. Actenon répréhensible en soi, maisson interlocuteur, Mohamed ElBachir Abdellaoui, maire de Tan-ger, est membre du PJD (PartiJustice et Développement), d’obé-dience conservatrice et islamique.La Licra a noué durant de nom-breuses années des liens avecEdouard Philippe, il faut mainte-nant l’enjoindre, en sa qualité dePremier ministre, à prendre despositions claires sur ces questionstrès sensibles à l’heure de la mul-tiplication des camps pour lesNoirs, pour les Blancs, des festi-vals pour les femmes noires, etc. La France est prise en étau entreextrémisme de droite et extré-misme identitaire. La relation en-tre le numéro un du gouvernementet l’association peut être un vec-teur de changement…Ari Sebag conclut, confiant : « LaFrance est entre de bonnes mains[…] Si Edouard a accepté detravailler avec Emmanuel Ma-cron, au prix de dissensions avecsa famille politique, c’est qu’il aidentifié quelqu’un qui fonctionnecomme lui. » ●

Du Havreà Matignon

Le 15 mai dernier, Edouard Philippe, 46 ans, a été nommé Premier ministre.

Retour sur un parcours discret mais déterminé.Justine Mattioli.

SUSPENSION

Tweets antisémitesLa Licra provoquedes remous dansles candidatures deLa République en marche.Christian Gérin, désignéen Charente-Maritime, s’est vu suspendu suite à la médiatisation de tweetsdont la connotationantisémite est explicite. Exemples :#DinerDuCrif #laicite#Republique #Macron#Hamon #fFillon #HolllandeA quand la séparation du Crifet de l’Etat ?ou encore : après la tueriede Nice, il faut s’opposerà la récupération indécentepar Israël et ses soutiens.

A LIRE

Edouard PhilippeHyperproductif, le Premierministre a également publié deux ouvrages,en collaboration avec Gilles Boyer : « L’Heure de vérité »(2007, éd. Flammarion)et « Dans l’ombre » (2011, éd. J.-C. Lattès).Laurent Cibien, hommede gauche, filme depuisplusieurs années son anciencompagnon de lycée.Son projet s’intitule :« Mon pote de droite ».

Edouard Philippe,en octobre 2016,lors de son discourspendant les Universitésd'automne de la Licra,à la mairie du Havre.

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5JUILLET 2017

Du 28 au 30 juillet doit se tenirà Paris un « Festival afro-

féministe militant à l’échelle eu-ropéenne » intitulé Nyansapo.Sur son site, le collectif organi-sateur (nommé Mwasi) expliqueainsi le projet : « Au sein de noscommunautés et dans une sociétéoccidentale capitaliste et patriar-cale, nous voulons lutter contretoutes les oppressions liées à nospositions de femmes noires.Mwasi, c’est aussi faire entendreles voix des Noires africaines etafrodescendantes dans leur di-versité, car notre afroféminismen’est pas un ensemble monoli-thique. Enfin, c’est se réappro-prier nos identités et notre imageen tant que femmes (et personnesassignées femmes) noires. » De ces proclamations découle ladécision de consacrer trois espacessur quatre aux femmes racisées(ayant fait l’objet d’une domina-tion raciste, quelle que soit leurorigine ethnique ou religieuse),en les interdisant donc auxBlanches et aux hommes.

UN ETAT QUIÉPAULERAIT LA SÉGRÉGATION…

D’où la critique légitime de lamaire de Paris, Anne Hidalgo,« attachée à la possibilité pourtous les Parisiens d’avoir accèsà tous les événements culturels »,une position corrigée par undeuxième texte laissant faire etdire, parce que l’espace seraitprivé et non public.Pour notre part, nous n’avons pasoublié que les féministes de 1968demandaient qu’on les laisse or-ganiser des discussions entrefemmes pour leur permettred’échapper, le temps d’unéchange, à la domination mascu-line. Et nous comprenons qu’onpuisse réserver espace et tempsaux femmes. Nombre d’associations – les

francs-maçons, entre autres – séparent souvent hommes etfemmes, et cela peut se justifier.Mais en quoi peut-on appliquercette pratique à la différence depigmentation de la peau ? N’est-ce pas du racisme que derefuser l’entrée de cette mani-festation à des femmes blanches,pour ne rien dire des hommesblancs ? Si on admet l’unanimitéscientifique autour de l’inexistencedes races, au nom de quoi fau-drait-il élever des murs entreNoires et Blanches, des lieux ré-servés aux unes et interdits auxautres ?

UNE VISION CARCÉRALEDE L’IDENTITÉ

On pourrait penser que c’est laréponse du berger à la bergère,que l’organisation, à la mi-juillet,du camp d’été Suavelos destinéaux « Blancs de bonne éduca-tion » dans un lieu tenu secret,« à 100 km de Lyon »... Suavelos est une organisationmenée par des militants identi-taires comme Yann Merkado, soncofondateur, qui souhaite « santé,bonheur, et moins d’Arabes »pour l’année 2017 à ses corres-pondants. Difficile de nier le ra-cisme de ces « Blancs insoumis »qui rassemblent des militantsd’extrême droite « 5 jours horsde toute cette merde cosmopolite,5 jours sans pharisiens, sans ra-caille, sans KasseKouille, sansKousKous… et sans cet insup-portable bruit de fond anti-Franceet anti-Blancs ». Ainsi, à l’extrême droite commeà l’extrême gauche, on se proposede trier les êtres, de séparer lesBlancs des autres. Vous avez ditapartheid ? Comme le dit notreprésident Alain Jakubo wicz :« Oui, dans les deux cas, on esten présence d’une même logique,fondée sur une vision “carcérale”de l’identité. »

POSITIONS ÉTRANGES DU GOUVERNEMENT

Dans le gouvernement Macron,c’est Marlène Schiappa qui estchargée de ces questions. Jusqu’icielle a gardé un silence étonnantsur cette affaire. Le 22 juillet2014, celle qui n’était encorequ’adjointe au maire du Mansavait écrit dans le « Huffington-Post » que « les quartiers popu-laires ne sont pas antisémites ».C’était dans le contexte des ma-nifestations propalestiniennesqui avaient dérivé, dans Paris,en hurlements antijuifs qu’ellene semblait pas avoir entendus.

En réponse à Valls, elle abordaitla question de la laïcité dans lemême texte, et critiquait la loi de2004 interdisant le port de signesreligieux ostensibles à l’école,en parfaite contradiction avec cequ’affirme Emmanuel Macron.Au terme d’un raisonnement spé-cieux, la future secrétaire d’Etataffirmait qu’interdire le voilecomme signe religieux, c’était lereconnaître comme tel, et donccontraire à la loi de 1905. Dès sa nomination, des observa-teurs ont rappelé ces prises de po-sition étranges. Parmi eux AlainFinkielkraut, à qui elle répondavec mépris dans « Libération ».Quand on sait que la même secré-taire d’Etat a demandé un rendez-vous à l’histrion Cyril Hanouna,dont les insupportables sketcheshomophobes commencent à lasser,on se demande si Mme Schiappaa choisi le meilleur interlocuteurpour entamer son mandat et sepréparer à lutter contre les racisteset les pseudo-antiracistes. ●

Interdit aux Blanches et aux hommes...Au nom de quoi faudrait-il tolérer qu’on élève des murs entre Noires et Blanches, qu’on instaure des lieuxréservés aux unes et interdits aux autres ? Le silence de Marlène Schiappa, en charge de ces questionsau gouvernement, est étonnant.Antoine Spire.

INTERROGATION

Le génocide arménienOn se souviendra que,en février 2012, sous lapression de la Fédérationnationale bovine, craignantde voir chuter les exporta -tions avec la Turquie,Jacques Mézard, nouveauministre de la Cohésiondes territoires et sénateurdu Cantal, avait été l’auteurprincipal, avec 81 autresparlementaires, du recoursdevant le Conseil constitu -tionnel ayant abouti à lacensure de la loi réprimantla négation du génocidearménien.Le gouvernement Macronva-t-il contredire le ministreJacques Mézard ?

« N’EST-CE PAS DU RACISME QUE DE REFUSER L’ENTRÉE DE CETTE MANIFESTATION À DES FEMMES BLANCHES ? »

Marlène Schiappa,secrétaire d’Etatà l’Egalitéentre les femmeset les hommes.

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L’ISLAMISME, UN NOUVEAU POPULISME

S’APPUYANTSUR UNE VISIONDU MONDEMANICHÉENNEET COMMU NAU -TARISTE,L’ISLAM RADICALFANTASME UN « PEUPLEMUSULMAN »,AU NOM DUQUELIL S’ARROGE LE DROIT DES’EXPRIMER :FACE AUXMUSULMANS, LES « ISLAMO -PHOBES ».LES UNS DRESSÉSCONTRE LESAUTRES. Alain Charles.

L’ islam est la cible du populisme d’extrêmedroite qui, en confondant volontairement et

en permanence les musulmans et les fondamen-talistes, manie l’esprit d’amalgame et propage lahaine. C’est devenu une figure classique de notrevie politique. Ce qui est moins classique, en re-vanche, c’est de regarder l’islam radical pour cequ’il est aussi : un populisme qui utilise la religionà des fins politiques, qui en manie, avec la mêmedextérité, les mots et les méthodes.

LE PRIMAT DE LA VICTIMISATION

Le premier ressort de l’islam politique et populiste,c’est la victimisation. Pour lui, il s’agit d’organiseret d’attiser l’idée que les musulmans seraient,par essence, une catégorie de sous-citoyensprésumés coupables et prétendument écraséspar des classes dirigeantes majoritairementblanches et judéo-chrétiennes. Il s’emploie à entretenir l’idée que c’est l’appar-tenance à la religion musulmane qui serait à lasource de toute discrimination. C’est dans cethorizon carcéral identitaire qu’il prospère pourdéployer son argumentaire populiste : l’Etat « is-lamophobe », la démocratie est désignée commeennemie, la République est vouée aux gémonies.Rien à envier, donc, aux autres populismes quientretiennent, à l’égard de notre régime de liberté,la même exécration et la même haine. Dans lesdeux cas, le lien est fait entre une crise d’identité,réelle ou supposée, et le rejet de valeurs univer-selles, accusées d’incarner le colonialisme, quien serait la cause.

Dans notre pays, le rôle joué par le Collectifcontre l’islamophobie en France, le CCIF, estsymptomatique de cette situation : en mélangeant,dans le concept d’« islamophobie », ce qui relèvedu registre de la discrimination en raison d’uneappartenance à une religion, et qui constitue undélit, d’une part, et ce qui relève du registre de lacritique du dogme religieux, et qui relève de la li-berté d’expression, d’autre part, il nourrit unschéma d’explication populiste manichéen etcommunautariste du monde, avec les « islamo-phobes » d’un côté et les « musulmans » del’autre. Les uns dressés contre les autres.

Et de la même manière que l’extrême droite avaitessentialisé « l’Arabe », il crée « le musulman »,et même un « peuple musulman », ensemble fan-tasmé qui autorise toutes les instrumentalisationspolitiques, et au nom duquel on s’arroge le droitde parler et de revendiquer. Pour l’extrême droite,la race est une « religion ». Pour l’islam politique,la religion est devenue une « race ».Marwan Muhammad, actuel directeur du CCIF,lors d’une conférence donnée en avril 2011 à lamosquée de Vigneux, illustre parfaitement ce glis-sement : « Allah nous dit : “Vous êtes la meilleure

« L’ISLAM POLITIQUE CONSIDÈRE LES MUSUL -MANS COMME UNE MASSE INDIFFÉRENCIÉE,DONT LE CADRE DE RÉFÉRENCE EST, PAREXCLUSION, CELUI DE LA NORME RELIGIEUSE. »

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D O S S I E R L E S P O P U L I S M E S

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communauté qui ait surgi sur Terre. Pas ladeuxième, pas une bonne communauté, mais lameilleure des communautés.” Et juste après,Allah dit : “Vous recommandez le bien et vousinterdisez ce qui est blâmable, et vous croyez enAllah. Ça veut dire que cette caractéristique estune caractéristique identificatrice des musulmans.Elle nous fait sortir du rang et elle fait de nous lespremiers de la classe auprès d’Allah. [...] C’estune responsabilité pour toutes les injustices quifrappent la terre sur laquelle Allah nous a miscomme gérants, comme responsables de l’ordrepublic. » Mutatis mutandis, nous voilà plongésdans un meeting des années 30, ou dans l’am-biance surchauffée d’une brasserie bavaroise.

LA REVENDICATION « ANTISYSTÈME »

Le second ressort de l’islamisme, c’est sa re-vendication d’être « antisystème », comme toutbon populiste qui se respecte. Marwan Muham-mad, qui utilise au moins autant Twitter que Do-nald Trump, ne rate jamais une occasion de dé-noncer « l’antiracisme de l’élite blanche, confis-catrice de nos (sic) revendications ». Pour l’islampolitique, le système qui opprime et qu’il fautcombattre, c’est bien la République et ses fon-dations, qui selon lui « traitent les quartiers po-pulaires comme moins que rien ». Pour les tenants du fondamentalisme islamiste,le système est « blanc », « philosémite » et do-minateur. Et même, comme on a pu le voir, lesystème est « Charlie ». Tandis que des millionsde nos compatriotes défilaient dans la rue, le11 janvier, les identitaires islamistes avec leursacolytes signaient des tribunes pour expliquerqu’ils déploraient autant les victimes de Charlieque celles, quotidiennes, de « l’islamophobie ».

LA LAÏCITÉ COMME BOUC ÉMISSAIRE

L’emblème du système, le bouc émissaire, c’estévidemment la laïcité. Et, comme le Front national,il tente à la fois de l’affaiblir et de la pervertir. Extrême droite et islam politique voient dans lescirconstances actuelles une occasion de faireenfin la peau à la loi de 1905. La première en faisant de ce texte fondateur unmoyen de sa croisade contre les musulmans.Le second en tentant de faire accroire l’idéeque la laïcité est liberticide et « islamophobe ».

Il faudrait donc, avec la bénédiction de l’Obser-vatoire de la laïcité et des prosélytes de l’asso-ciation Coexister, l’ouvrir, l’assouplir, l’attendrir,pour au final conduire à son dévoiement.

CONSERVATISME ET REFUS DU PROGRÈS

Le troisième marqueur de cet islam populiste,c’est son conservatisme et son refus du progrès.Il n’existe pas de populiste progressiste. Et lefondamentalisme musulman n’échappe pas àcette règle. Aucun populiste n’a jamais défendules droits humains, l’égalité entre les hommes etles femmes, le mariage gay, l’abolition de lapeine de mort, ou encore le droit à l’avortement.Pour une raison bien simple : le populisme rejettel’esprit des Lumières et cette idée fondatriceque la raison est, avant toute autre considération,le seul maître de l’Homme. Lors des manifestations contre le mariage pourtous, les Français ont pu voir, dans la rue, levisage de cette convergence des populismes,marchant, ensemble, dans la même direction,et se réjouir de la dichotomie du monde. Des in-tégristes criant « Les pédés au bûcher » auximams dénonçant, comme l’a rappelé Gilles Ke-pel, « les socialistes corrupteurs sur la terre »,l’Internationale populiste a allègrement barbotédans ce bain identitaire durant les mois dedéfilés contre le mariage des homosexuels. Candidat aux élections législatives en France, leparti « Egalité et Justice », au nom présomptueuxau regard de sa doctrine et satellite du parti turcd’Erdogan, laisse même apparaître dans son ma-nifeste fondateur son opposition au « positionne-ment libertin de la société française, pour pouvoirrevenir à la cellule familiale traditionnelle ».

AU NOM D’UNE « MASSE »INDIFFÉRENCIÉE

Enfin – et c’est sans doute le plus important –,l’islam politique développe une méthodologieouvertement populiste. La masse des musulmansy est considérée comme une masse indifférenciée,dont le cadre de référence est, par exclusion,celui de la norme religieuse. Fidèle aux méthodes des Frères Musulmans, ilfonde son action sur le « social » et l’assistanceaux musulmans (logement, travail, discrimination,santé, petite enfance), pour profiter de cette si-tuation et en tirer le droit de représenter « lepeuple musulman ». C’est par une religion del’offre sociale qu’il avance et parvient à fédérerautour de lui les bénéficiaires d’une politiquequi s’est engouffrée dans les plaies béanteslaissées dans certains quartiers par une Répu-blique en désertion. Comme tout populisme, l’islam politique misesur une certaine forme d’efficacité sociale auprèsde sa cible, et fait avancer, à peine masquée,l’idéologie derrière un pragmatisme de façade. ●

« AUCUN POPULISTEN’A JAMAIS DÉFENDULES DROITS HUMAINS, L’ÉGALITÉ ENTRELES HOMMESET LES FEMMES,LE MARIAGE GAY,L’ABOLITIONDE LA PEINEDE MORT,OU ENCORELE DROIT ÀL’AVORTEMENT. »

Affiche de la conférence« L’Islam politique àl’épreuve du pouvoir »,au Forum socialmondial de Tunis.

Marwan Muhammad,directeur du Collectifcontre l’islamophobieen France (CCIF).

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DDV Populisme de droite, populismede gauche... Au fond, sur quel socle reposentidéologiquement ces extrémismes ?François Rachline. Comment se constitue unpays comme la France ? A sa naissance, issude tribus celtes, il a été envahi de tous lescôtés, à l’est par les Goths, les Wisigoths, lesOstrogoths, au nord par les Normands, ausud par les Arabes, au sud-est par les Lom-bards, etc. La France s’est d’abord construitesur la diversité. Audrey et moi ne sommes pasde la même couleur de peau, mais noussommes aussi français l’un que l’autre. D’un point de vue rhétorique, le contenu desdiscours est souvent récurrent avec l’emploides termes « France, Français, peuple, nation »,ou des oppositions du type « chez nous » /« chez eux », ou des champs lexicaux appar-tenant au répertoire de la bataille, de la guerre :

« assiégé », « conquérante », « victoire », « at-taqué », « victimes », etc. Ces usages donnentl’impression d’un pays aux abois, en danger,et la seule qui pourrait gagner ce combatserait Marine Le Pen. La position de l’extrémisme de droite de LePen provient d’abord d’une inculture historique.Ensuite, il existe un manichéisme incroyablequi consiste à dire : d’un côté il y a les vraisFrançais (ce qui ne veut absolument rien dire),et puis il y a les autres. En réalité, l’histoire dela France est une réaction éthique – l’assimi-lation – à une anarchie ethnique.

Audrey Pulvar. Les populismes de droite préco-nisent la fermeture des frontières, le repli sursoi, et proposent une définition farfelue ouparcellaire d’une population « légitime » (desouche, blanche, caucasienne, catholique…

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GRAND ENTRETIEN AUDREY PULVAR et FRANÇOIS RACHLINE

Ignorance et incurie en pays populistesDans un entretien croisé, Audrey Pulvar et François Rachline analysent les mécanis mes à l’œuvredans les populismes de droite et de gauche. Ils abordent les enjeux de la société françaisepar le prisme des valeurs républicaines, que les extrémismes récusent implicitement ou explicitement.Propos recueillis par Justine Mattioli.

François Rachlineet Audrey Pulvarlors de leur entretien.

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on ne sait pas trop). Ça n’a aucun sens histo-rique, encore moins aujourd’hui, au regard dumétissage de la France. Il est pertinent de se poser la question « qu’est-ce qu’être français ? », et pas « qu’est-cequ’un Français ? ». Et je trouve extrêmementréjouissant que la France soit un pays qui affirme autant son attachement à la laïcité,non seulement en tant que valeur cardinale,mais aussi en tant que valeur revendiquée. Denombreux pays se disent « neutres », ouvertsà toutes les religions, mais ne revendiquentpas la laïcité : elle est considérée comme l’en-nemie des religions. Au contraire, un vrai laïc défend non seulementles religions, mais défend aussi le droit decroire ou ne pas croire, et le droit d’exprimersa religion dans le domaine privé.

F. R. L’une des raisons pour lesquelles la laïcitéest peut-être remise en cause par certains denos compatriotes, c’est que les frontières entresphère publique et sphère privée, du fait d’In-ternet, sont devenues poreuses, voire floues.Sur les réseaux sociaux, l’espace privé envahitl’espace public.

DDV Vous évoquiez, François Rachline,« l’inculture historique » de Marine Le Pen.Le populisme se base néanmoinssur des mythes populaires. Quels sont-ils ?F. R. Le mythe de Jeanne d’Arc est utilisé àtort et à travers. On voit même Le Pen tenterde s’approprier de Gaulle, ce qui est tout demême croustillant. On retrouve toujours lemythe du héros qui sauve le peuple, lequelest victime des ordures qui veulent l’exploiter.D’ailleurs, le « dégagisme » de Mélenchonn’est pas loin de cela. Je ne mets pas tout àfait Le Pen et Mélenchon dans le même sac,mais il y a des proximités de langage qui sonttrès perturbantes. Notamment dans l’usagede sophismes. En voici un exemple : « La France est le paysdes Français. Plus il y a d’immigrés, plus il y ade problèmes. Plus il y a de problèmes, plusles Français en sont victimes. Plus les Françaissont victimes, moins la France est leur pays. »C’est un raisonnement typique de Le Pen. Un autre exemple : « Si vous acceptez quelquesmigrants, la tendance se généralisera et lapureté de la nation française sera en gravedanger. » Cela ne veut rien dire. De plus, laFrance n’est pas, d’emblée, une nation ; c’estd’abord un Etat, qui impose au forceps l’idéenationale. Un autre sophisme très révélateur : « Vousêtes pro-européen ? Je ne comprends paspourquoi vous voulez laisser notre pays sans

défense contre l’immigration. » Cela sous- entend qu’être pro-européen revient à rejeterceux qui ne le sont pas.Le moyen de s’opposer aux populismes, c’estde reprendre leur discours et de le retournercontre eux, systématiquement.

A. P. Les humanistes ont tendance à se contenterde parier sur l’intelligence de l’autre. Or, cen’est pas parce que les combats menés ontété gagnés qu’ils sont acquis. Par exemple, prenez la question du droit àl’avortement. Comment se fait-il qu’en 2017,nous soyons encore à nous poser des questionssur le droit des femmes à disposer de leurcorps ? Nous y avons consacré beaucoup decombats, assez de femmes sont mortes dansles mains des faiseuses d’anges pour quenous n’ayons plus à nous poser ces ques-tions-là. Les forces conservatrices sont toujours à l’œu-vre, nous ne pouvons pas nous reposer, il fautêtre systématiquement intraitable, d’une partsur la défense de nos valeurs, et d’autre partsur la déconstruction du discours biaisé despopulistes de droite ou de gauche.

DDV Quels sont les moyens d’action contreces populismes ? S’agit-il d’engrenagestransposables en Europe et ailleurs ?A. P. Le populisme n’est pas propre à la France.Trump, Poutine, Orban, etc., pour ne prendrequ’eux, sont également des tribuns populistes.En 2010, Raffaele Simone qualifiait de « Mons-tres doux » les populismes de l’extrême droiteen Europe. La véritable tension se trouve entreles humanistes progressistes et les réaction-naires. L’humaniste considère l’autre commeson égal, il fait le pari de l’intelligence del’autre, et une fois que l’on a avancé sur unsujet, on considère que c’est acquis. Saufque les forces réactionnaires en face ne sontjamais au repos, toujours tendues vers le butde rétrécir les droits des autres et de rétrécirla vision que l’on a de l’humanité.

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« LES FORCES CONSERVATRICES SONTTOUJOURS À L’ŒUVRE, NOUS NE POUVONSPAS NOUS REPOSER, IL FAUT ÊTRESYSTÉMATIQUEMENT INTRAITABLE, D’UNEPART SUR LA DÉFENSE DE NOS VALEURS,ET D’AUTRE PART SUR LA DÉCONSTRUC -TION DU DISCOURS BIAISÉ DESPOPULISTES DE DROITE OU DE GAUCHE.»Audrey Pulvar

BIOS EXPRESSES

Audrey Pulvar Née en 1972 à Fort-de-France, Audrey Pulvar estjournaliste, animatricede télévision et de radiofrançaises. Présentatricedu 19-20 sur France 3entre 2005 et 2009,elle a rejoint le groupeCanal + en 2013 etla chaîne CNews avec« Dimanche Pulvar ».Elle a publié plusieursouvrages, dont : « Librescomme elles : Portraitsde femmes singulières »(éd. de la Martinière,2014), « Libres etinsoumis : Portraitsd’hommes singuliers »,(éd. de la Martinière,2015), « La Femme »,(éd. Flammarion, 2016).

François RachlineAncien professeurd’économie à SciencesPo Paris, FrançoisRachline est le filsde Lazare Rachline,l’un des fondateursde la Lica. Il a occupéde nombreuses fonctions,dont celle de directeurgénéral de l’institutMontaigne (2009-2010),puis de conseiller spécialde Jean-Paul Delevoyeau Conseil économique,social et environnemental. Il a notamment publié :« Le Mendiantde Velazquez »(roman,éd. Albin Michel, 2014), « Au commencementétait le futur », (éd. Hermann, 2015)et « L.R. - Les Silencesd’un résistant »(éd. Albin Michel, 2015).

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GRAND ENTRETIEN AUDREY PULVAR et FRANÇOIS RACHLINE

Je loue l’action de Manuel Valls à propos desspectacles de Dieudonné. Il a eu le couragepolitique de se mettre en travers de cette me-nace, debout face au discours raciste et anti-sémite de Dieudonné M’Bala M’Bala(1). Il a étéle seul responsable politique à s’impliquer.

F. R. Les valeurs de la République sont les fon-dements modernes de notre pays. Il faut àchaque instant défendre la liberté, la fraternité,l’égalité. Il n’y a pas une demi-seconde derépit, on ne peut pas se reposer sur ses lau-riers.

DDV Audrey Pulvar, vous êtes une femmeengagée et féministe. Vos prises de positionlors de l’élection présidentielle ou contrel’extrémisme identitaire vous ont valu l’irede certains. Qu’avez-vous ressenti ?A. P. Vous parlez de ce festival Nyansapo, oùune partie des rencontres est réservée auxfemmes noires(2). Déjà, je reprends le mot deJean Genet : « Qu’est-ce que c’est un Noir, etd’abord, c’est de quelle couleur ? » Tout cela est très relatif. Je porte un féminismetrès engagé, très revendicatif, mais aussi trèsinclusif car je considère que le féminisme n’estpas une question simplement de femmes,mais de société, qui engage à la fois lesfemmes et les hommes. Je sais bien qu’il y ades problèmes bien spécifiques pour lesfemmes noires, j’en suis une. En même temps,ces problèmes renvoient à une question fon-damentale, qui est celle des inégalités entrehommes et femmes. Ces gens partent du principe qu’il y a des do-minants blancs et des dominés noirs et que,même si dans les dominants blancs il y a desdominés blancs, ceux-ci seraient forcémentprivilégiés par rapport aux dominés noirs. Or,les mécanismes de la domination sont souventles mêmes, quels que soient le sexe ou lacouleur de peau. Je n’ai pas cette lecture de la société, ni entrefemmes et hommes, ni entre Noirs et pasNoirs. Et, encore une fois, qu’on définisse cequ’est un Noir !

DDV Et pour CNews(3) ?A. P. Le fait que l’extrême droite ait obtenuplus de 20 % des suffrages au premier tour etsoit créditée dès le lendemain de 40 % d’in-tentions de vote, cela allume un signal d’alarme,comme les attentats de janvier 2015 en ontallumé un. Au moment des attentats de janvier,personne n’a reproché aux organes de pressed’être du côté de la République et de ladéfense des valeurs républicaines. Et là j’ai considéré – mais j’étais assez isolée

dans cette lecture – qu’un FN à 40 %, c’étaitune menace pour la République. Mais commebeaucoup de gens considèrent que c’est unparti comme les autres, ils n’y ont pas vu demenace pour la République.

F. R. Ce qui m’a sidéré, c’est qu’elle soit l’unedes rares à prendre position. Je pense quequelque chose ne va pas dans notre pays : lejour où Marine Le Pen est invitée par TF1 etrefuse la présence du drapeau européen, lachaîne obtempère ! Il y a là un fait d’apparencemineur, mais symboliquement majeur, quitraduit un renoncement, une soumission à uncourant de pensée qui récuse l’un de nosprincipaux engagements. J’y vois la menaced’un engrenage qui pourrait mener au pire sion n’en prenait pas la mesure et si on ne lecombat pas sans faiblir. Quand Audrey signe une pétition qui s’opposeà Le Pen, on la sanctionne. Tous les journalistesde France auraient dû clamer leur solidaritéavec elle.

DDV Que vous inspire la créationd’un secrétariat d’Etat en charge de l’égalitéentre les femmes et les hommes ?A. P. Je vois bien l’irritation que peut produirele fait qu’il n’y ait plus de ministère des Droitsdes femmes. Néanmoins, l’essentiel est quela secrétaire d’Etat aux droits des femmes,Marlène Schiappa, soit directement rattachéeau Premier ministre.On peut espérer qu’elle ait une vision et unelatitude transversale sur le gouvernement, aulieu d’être rattachée à un ministre, lui-mêmerattaché au Premier ministre.Je conçois que les symboles sont importants,mais pour moi, la question de l’égalité entrefemmes et hommes, c’est comme la questiondu réchauffement climatique : une questionsystémique, une question transversale. On doit passer le travail, les transports, la ré-partition des richesses, les infrastructures auprisme de l’égalité entre femmes et hommes. J’attends donc de voir. ●

1. La Cour de cassationbelge a validé, mercredi7 juin, la condamnationde Dieudonné prononcéeen janvier par la cour d’appelde Liège : 2 mois de prisonferme et 9 000 eurosd’amende pour proposantisémites et incitation àla haine raciale lors d’unspectacle interrompu par lapolice, à Bruxelles en 2012.2. Festival qui a lieu du 28 au 30 juillet (lire p. 7). Audrey Pulvara publiquement critiquéce type de rassemblement. Le collectif Mwasi, organisa -teur de la manifestation,l’a en retour traitée de« négresse de maison »,en référence aux domesti -ques noir(e)s employé(e)sde maison chez les grandscultivateurs blancs. 3. Audrey Pulvar a étésuspendue par CNews,en avril 2017, entre les deuxtours de l’élection présiden -tielle, pour avoir signéune pétition contreMarine Le Pen et pourEmmanuel Macron. Elle a effectué son retourdébut mai, avec l’interdictionde recevoir des invitéspolitiques « jusqu’à nouvelordre ».

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« LE MOYEN DE S’OPPOSER AUXPOPULISMES, C’EST DE REPRENDRE LEUR DISCOURS ET DE LE RETOURNERCONTRE EUX, SYSTÉMATIQUEMENT. »François Rachline

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De façon courante, le mot populisme désigneun courant politique qui défend les intérêts

du « peuple » contre ceux de « l’élite ». Incarnédans une figure charismatique et soutenu par unparti, il mène une critique de la démocratie re-présentative, souvent qualifiée de démagogique. Historiquement, il n’est donc apparu qu’avecl’instauration et le développement des démocratiesmodernes.Pourtant, c’est en 1860, en Russie tsariste, quele populisme russe des Narodniki a émergé.Trente ans après, il apparaît tout autrement auxEtats-Unis.Dans les deux cas, il s’est rapporté au monderural, se caractérisaient par la revalorisation de lavie à la campagne par opposition à la modernitéurbaine et industrielle.

LES PREMIERS POPULISTES : LES NARODNIKI RUSSES

Ils sont apparus dans la Russie tsariste en 1860.Adaptant la doctrine socialiste aux conditionsrusses, les Narodniki – en « allant au peuple » –faisaient reposer la souveraineté politique surdes unités économiques autonomes, rassemblantles communes de village en une confédérationqui remplaçait l’Etat. Après l’échec de mises en

pratique, ils se sont transformés en sociétésecrète, en vue d’un soulèvement révolutionnairede masse. Dominés par la tendance terroriste,ils se sont livrés à des assassinats politiques,dont celui de l’empereur Alexandre II, et furentdécimés. Le Parti socialiste révolutionnaire (SR),né en 1901, centré sur la paysannerie, un tempsallié des bolcheviks, s’est voulu l’héritier des Narodniki.

PEOPLE’S PARTY

Né vers 1890 dans le monde des agriculteursnord-américains de la côte Ouest, le populism vamarquer la conscience politique des Etats-Unis.Il a été un phénomène rural contre les banqueset les compagnies de chemin de fer, alors que lasociété se polarise entre la constitution de fortuneset la misère ouvrière croissante dans les villes etcelle des paysans dans les campagnes, où le ni-veau de vie des fermiers s’est effondré. Le populism ancre son combat dans une visionéthique qui mêle la tradition prophétique du pro-testantisme américain et ses appels à l’équité età la justice, mais aussi la tradition républicainefondée sur une « éthique du producteur » et surles sentiments égalitaristes de la démocratie jeffersonienne.

Petite histoire du populismeS’il se rapporte historiquement au monde rural et à la revalorisation de la vieà la campagne par opposition à la modernité urbaine et industrielle, le populismese caracérise aujourd’hui par un repli protectionniste, voire nationaliste, s’appuyantsur une idéologie identitaire. Michel Rotfus.

D O S S I E R L E S P O P U L I S M E S

LES MOTS

Qui est le peuple ?« Le terme populismepose problème,car il entretientun malenten dusur le sens donnéau peuple : s’agit-il dupeuple dans sa totalité,ou d’une classesociale particulière ?[...] Jouer surl’ambiguïté entre cesdeux sens, c’est parlercomme si, hors desélites, le peuplene faisait qu’un avecles classes populaires. Or, il y a des classesdifférentes aux intérêtsdistincts, et il faut lesfaire converger pourconstruire un peuple. »Eric Fassin,« Populisme : le GrandRessentiment »(Textuel, 2017).M. R.

Portrait de la famillede Sofia Perovskaïa(assise au centre),militante russemembre del’organisationterroristerévolutionnairedes Narodniki,qui a dirigé l’assassinatde l’empereurAlexandre II en 1881.

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D O S S I E R L E S P O P U L I S M E S

EL POPULISMO LATINO-AMERICANO

Résultat de la crise des années 30 et de la re-cherche d’options économiques et politiquespour cimenter les diverses classes sociales, lepopulisme a été la forme dominante de mobilisationpolitique en Amérique latine entre les années1930 et 1960. Avec les processus d’intégration au marché mon-dial et la croissance de l’urbanisation, les « massespopulaires » que sont les nouveaux groupes so-ciaux – ouvriers, artisans, professions libérales –font une irruption menaçante sur la scène et en-traînent la construction de leaderships autoritaires,basés sur l’antagonisme peuple-oligarchie. Ce seront les gouvernements de Getulio Vargas(1930-45) au Brésil, de Juan Domingo Peron(1946-76) en Argentine. Mais aussi de Gaitan(1948) en Colombie, de Haya de la Torre au Pérouet de Velasco Ibarra (1936-1970) en Equateur.Ces Etats nationaux populaires tentent d’intégrerles « masses » par les discours d’un chef s’adres-sant au peuple et à la nation, et par la participationactive de la rue pour soutenir le processus.

EN FRANCE, AUJOURD’HUI,UN POPULISME DE GAUCHE...

Est-il un phénomène dépassé et révolu ?Aujourd’hui, selon un éventail qui va de l’extrêmedroite à l’extrême gauche, les institutions démo-cratiques et les constructions élargies, – commecelle de la Communauté européenne – sont misesen cause au nom d’un repli protectionniste, voire

nationaliste, et d’une idéologie identitaire. A l’extrême droite, le Front national, affublé d’unfaux nez dédiabolisant, cultive ces thèmes articuléssur la xénophobie et un nationalisme ségrégatif.A l’extrême gauche, Mélenchon et la France in-soumise prônent un « bon » populisme domptantl’ordre néolibéral : il s’oppose à l’establishment,veut renégocier les traités européens et la sortiede l’euro, revaloriser le Smic. Il veut recourir auréférendum et s’affirme souverainiste. Il a été influencé par la philosophe Chantal Mouffe,qui voit dans le populisme la seule solution pour« percuter le système », qu’elle dénonce dansson dernier ouvrage(1).Ces dernières années, les pays d’Europe occidentaleont connu des alternances, sans qu’on distinguebien les différences en termes de politiques éco-nomiques. Selon Chantal Mouffe, ce régime ges-tionnaire mou aurait annihilé tout espace de contes-tation politique : Tony Blair et sa troisième voie,Gerhard Schröder en Allemagne, José Luis Rodri-guez Zapatero en Espagne, le Pasok en Grèce.« Il est urgent de renouer avec une vision conflictuellede la démocratie ... [d’]établir une frontière entreun “nous” et un “eux” [...] La réflexion sur la démo-cratie doit reconnaître l’antagonisme », écrit-elle.Il faut donc renouer avec une politique du conflitqui privilégie la dualité entre les masses et lesinstitutions figées, entre « ceux d’en bas » et« ceux d’en haut ».Cette stratégie, aussi agressive soit-elle, nesemble pas pour l’instant gagnante. ●

Populisme : ce mot ne figure pas(1) dans le« Dictionnaire des idées reçues » de Flaubert,

qui aurait pu lui donner la même définition qu’àdéicide : s’indigner contre. Synonyme de déma-gogie, ce mot a mauvaise presse et est utilisécomme un fourre-tout.Apparu aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle et enAmérique latine à partir de 1930, il qualifie au-jourd’hui des propos (et des pratiques)politiques aussi divers que ceux de Marine LePen et de Jean-Luc Mélenchon en France, deDonald Trump aux Etats-Unis, de Vladimir Poutine

en Russie, de Recep Tayyip Erdogan en Turquie,mais aussi d’Andrzej Duda et du parti « Droit etJustice » en Pologne, ou de Viktor Orban enHongrie, de Nigel Farage en Angleterre, ou deGeert Wilders aux Pays-Bas. On peut tenter d’examiner quelles en sont lesidées communes, mais aussi les pratiques, etd’en éclaircir le sens et les enjeux.

LE “PEUPLE UN” CONTRE LES “ÉLITES“

Quels sont les caractères constitutifs du popu-lisme ? Nous laisserons de côté la démagogie, notiontrop vague et qui peut s’appliquer à bien des res-ponsables politiques, si on entend par là les pro-messes non tenues.Le populisme est d’abord centré sur l’idée d’un« peuple » qui fait bloc face aux ploutocrates,aux élites, ou encore au système dont il est lavictime. Considéré dans son unité comme un tout homo-gène, il exclut toute différenciation interne enclasses sociales et en intérêts antagonistes, il estle « peuple un » opposé aux causes de son

POPULISME DE DROITEET POPULISME DE GAUCHE

Les populismes s’articulent autour del’idée d’un peuple qui forme un tout face

aux élites. S’ils ont des propos et despratiques communes, il persiste pourtant

des différences majeures entre lespopulismes de droite et de gauche.

Michel Rotfus.

1. Chantal Mouffe :« L’Illusion du consensus »(Albin Michel, 2016).

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1. Il n’entre dans le « Petit Larousseillustré » qu’en 1929.

*1. Il n’entre dans le « Petit Larousseillustré » qu’en 1929.

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« EUX » ET« NOUS »

Le « populisme de gauche »« La différencefondamentale entrele populisme degauche et de droiteest la nature du “eux”. Pour Marine Le Pen,la justice sociale, oui,mais uniquement pourles nationaux. “Son” peuple n’est pashomogène, mais elleparvient à le fédéreren créant un “nous” quise définit par la différen -ce avec le “eux”, qui estcelui des immigrés. »Chantal Mouffe,philosophe, a théoriséle « populisme degauche ». Elle a étél’inspiratricede la campagne deJ.-L. Mélenchon. M. R.

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malheur – qui sont, suivant les pays et les époques,les Polonais, les juifs, les Roms, ou les musulmans...D’une manière générale, les nouveaux arrivants,dans le rôle de boucs émissaires, profiteurs, se-meurs de troubles ou de dangers, sont l’objetd’un rejet selon ce mécanisme de différenciationxénophobe propre au nationalisme d’exclusion.

L’ÉVACUATION DU PLURALISME

Une fois le populisme au pouvoir, le fait majoritaireest exacerbé, et le pluralisme évacué. Les opposants,minoritaires, sont dénoncés comme exprimant desintérêts particuliers. On a alors le droit de les fairetaire, jusqu’à les incarcérer car ils complotentcontre la sécurité du pays. On l’a vu en Turquie. La presse est contrôlée, voire muselée. Le débatet la critique ne sont plus constitutifs de la viedémocratique. Ils sont expurgés, encadrés, rendusillégitimes, car ils dénigrent le « fait majoritaire »et son « représentant », comme on le voit dans laPologne de J. Kaczynski. Alors que la démocratie n’est pas seulement l’ex-pression des citoyens par les urnes mais estaussi l’état de droit, c’est-à-dire une hiérarchisationdes diverses instances de décision et de contrôlesous un même droit, de telle sorte que personnene puisse dire à lui seul « je représente le peuple »,le populisme identifie le peuple et son chef cha-rismatique. Les institutions de régulation sontl’objet d’une critique radicale. Ainsi, Orban et Kaczynski veulent traduire enjustice le président du Conseil constitutionnel.Dans cette logique, il ne reste plus qu’à poursuivrecette « simplification » de la démocratie jusqu’àson éjection, c’est-à-dire sa transformation enun régime hégémonique autocratique consacrépar le suffrage, comme en Turquie.

LA GAUCHE N’EST PAS LA DROITE…Peut-on mettre ensemble extrême droite et extrêmegauche sous le même concept ? Marine Le Penet Jean-Luc Mélenchon ? Ils ont en partage une vision semblable, national-protectionniste. Alors que Podemos n’a jamaisopposé un peuple uni aux élites, J.-L. Mélenchon(2)

oppose le bloc uni du peuple, qu’il appelle lesgens, aux élites dépravées, effectuant ainsi, àl’instar de la gauche radicale en Europe, uneconfiscation du peuple.Si les thèmes relevés ici apparaissent un peupartout dans les divers populismes, il faut toutefoisrelever deux différences majeures entre populismede droite et populisme de gauche. D’une part, si l’on trouve chez Péron, en Argentine,comme chez Chavez, au Venezuela, toute la thé-matique populiste – peuple uni, démonisationdes élites, protectionnisme, nationalisme –, ilexiste une différence majeure : le système seveut distributeur de la rente, qu’elle soit agraireou pétrolière. Or, on voit dès à présent que le po-pulisme de Trump n’est pas et ne sera pas redis-tributif, et que l’Etat n’aura en rien la fonctiond’assurer cette redistribution. D’autre part, et jusqu’à présent, si le populismede gauche affiche un repli souverainiste, il necultive pas les démons du racisme et de la xéno-phobie. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon, par-delà dessimilitudes de son programme avec celui deMarine Le Pen, se pose en ennemi juré du Frontnational et de sa xénophobie.

LA CRISE DES DÉMOCRATIES

Il n’est pas contestable que la montée des popu-lismes à notre époque est une réaction protec-tionniste devant ce qu’on nomme pudiquementla mondialisation et ses effets délétères.Mais il faut aussi la considérer comme un symp-tôme majeur de la crise des démocraties et del’insuffisance des réponses qu’elles apportent. A ce titre, elles sont appelées à se réformer, àoser s’ouvrir à nouvelles pratiques démocratiques,en améliorant les institutions qui permettent laréflexion, la discussion et l’élaboration des déci-sions, ainsi que le contrôle de leur exécution, etde leur mise en œuvre. ●

2. Jean-Luc Mélenchon : « Qu’ils s’en aillent tous »,Editions Flammarion, 2010.

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Pétition Début du texte signé par les sociétés des journalistes des « Echos »,du « Figaro » et de « Télérama », de « Mediapart », de « l’Humanité », pourdemander que le parti Droit et Justice, (le PiS), au pouvoir en Pologne, respectele droit à l’information.« Depuis le 16 décembre, le gouvernement polonais cherche à limiter l’accèsdes journalistes au Parlement, la Diète. Cette atteinte à la liberté de la presseintervient alors que le pouvoir a pris le contrôle, depuis l’an dernier, del’audiovisuel public polonais. Elle est indigne d’un pays membre de l’Unioneuropéenne. »

INVESTITURE

Discours deDonald Trump, le 20 janvier 2017« Nous transférons lepouvoir de la capitaleWashington et ledonnons à nouveauà vous, le peupleaméricain. Pendant troplongtemps, un petitgroupe dans notrecapitale a récoltéles avantages dugouvernement, tandisque le peuple en aassumé le coût.Washington a prospéré,mais le peuple n’a paseu de part de cetterichesse [...], lesemplois se sont taris etles usines ont fermé.L’establishment s’estprotégé lui-mêmemais n’a pas protégéles citoyens de notrepays. »

Turquie :

la liberté d’expressiongravement menacée

par le gouvernementd’Erdogan.

Illustration publiéele 24 novembre 2016

dans la revue« Cartoon movement ».

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D O S S I E R L E S P O P U L I S M E S

Après Whirlpool, GM&S Industry France. Colère,installations piégées, machines-outils brisées :

le conflit social très dur qui frappe aujourd’hui cesous-traitant de PSA et de Renault en sursis abrutalement propulsé la Souterraine, petite villediscrète de l’Ouest de la Creuse, à la « Une » desjournaux. En faisant du sort de l’une des dernièresusines creusoises, pilier d’une économie localepassablement délabrée, un des premiers dossiersbrûlants d’Emmanuel Macron. Sa survie ou sa li-quidation marquera un coup d’arrêt ou une nouvelleétape de la progression du FN dans ce départementrural, bastion historique de la gauche désormaisouvert aux vents mauvais de l’extrême droite. Si la Creuse a voté massivement pour EmmanuelMacron au deuxième tour de la présidentielle de2017, 34,2 % des votes se sont portés sur MarineLe Pen. Devancée dans le département, il estvrai, par Jean-Luc Mélenchon au premier tour.Rappelons cependant qu’à la présidentielle de2007, Jean-Marie Le Pen n’avait attiré que 8,68 %des votants. Ainsi, après avoir fait son lit dans les grandes ré-gions industrielles sinistrées du Nord et de l’Estde la France, le Front national grignote aujourd’hui,à bas bruit, une ruralité jusqu’ici plutôt rétive auxextrémismes. En Creuse, le discours sur l’étranger coupablede tous les maux serait plutôt contre-productif.Ici, l’immigré est rare. Pas d’industries lourdes etpas de cultures maraichères ou fruitières néces-sitant une armée de bras importés. Bien sûr, il y a

des Français qui craignent d’être submergés parles migrants sans avoir jamais aperçu un seulSyrien ou un seul Erythréen, sauf à la télé. Mais avec ses maçons partis bâtir la France, laCreuse est une terre de migrants qui lui ontdonné sa forte tradition d’ouverture aux autres.Ainsi a-t-elle caché des juifs en 1943, des Hongroisen 1956 et des Kurdes en 1989, sans grand pro-blème.

IMPACT PSYCHOLOGIQUE

On ne saurait cependant ignorer l’impact psy-chologique des attentats de « Charlie-Hebdo »,de l’Hyper-Cacher, du Bataclan ou de Nice, dansle développement d’un vote sécuritaire renforcépar quelques cambrioleurs étrangers au pays.Dans la montée d’un sentiment antimusulmanalimenté localement, à l’heure d’une fermeturequasi générale des abattoirs creusois, par unehypothétique conversion de celui de Guéret enhalal, ou dans la mise en cause des interventionsmilitaires sur le thème « Pourquoi dépenser autantd’argent à l’étranger quand cet argent pourraitêtre investi dans le maintien des services publicsou le soutien des agriculteurs ? »

“Hyper-ruralité” :pourquoi le FN progresseEn Creuse, Marine Le Pen a récolté 34,2 % des votes exprimés à la présidentiellede 2017. Dix ans plus tôt, Jean-Marie Le Pen n’avait pas passé la barre des 9 %.Ici comme dans tous les départements de la « diagonale du vide », jadis rétifsaux extrémismes, voter FN est devenu une option envisageable. Explications. Georges Dupuy.

« LE MONDE PAYSAN REMET EN CAUSELES RESPONSABLES DES PARTIS POLITIQUESCLASSIQUES, TOUT COMME SES LEADERSSYNDICAUX. »

RAPPORT

« L’hyper-ruralité »C’est un rapport remisà Manuel Valls enjuillet 2014 et oubliédès que publié.Dommage. Rédigé par le sénateurde Lozère AlainBertrand, le rapportdécrit une « ruralitéde l’éloignement »(éloignement entre les individus, entre les individus et les services, ou avec les métropoleset les pôles urbains).Il recense 250 bassinsde vie hyper-rurale,concernant 5 % dela population sur 26 %du territoire, tous« sortis de l’écranradar républicain »,« plus ou moinsprêts à s’effondrer »et « tentés parles extrémismes ».Victimes d’unedécentralisationinégalitaire et demesures de soutieninadaptées. G. D.

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Nul doute que le FN saura profiter de la criseagricole et de la désertification qui ravagent laFrance rurale. Sans attendre, il a déjà commencéà surfer sur les souffrances et les peurs spécifiquesde la population. A se poser comme le seul dé-fenseur des gens d’en bas, des « invisibles »,des méprisés par la France d’en haut, celle del’oligarchie, de l’élite enfermée dans sa bulle etde l’Europe qui massacre l’identité nationale.

DÉSARROI ET COLÈRE

Les populistes jouent d’autant plus sur le veloursque, de la Meuse aux Landes, tous les habitantsde la « diagonale du vide », de l’« hyper-ruralité »(voir colonne p. 14) ont des raisons de se sentiroubliés. Mis à l’écart de la France qui gagne. Des« sous-citoyens » d’une « sous-France », enquelque sorte. Un ressenti exacerbé par la granderecomposition régionale. Au fil des ans, presque tous les indicateurs sontpassés au rouge, sans que les partis politiquestraditionnels trouvent le moyen de redonner del’espoir à une population vieillissante, confrontéeau marasme économique, à la chute des revenusagricoles, aux bas salaires, aux petites retraites,au chômage de longue durée et à un enclavementgrandissant. Un monde tourné vers un passéd’autant plus idéalisé qu’il ne reviendra pas.Dans ces zones susceptibles de s’effondrer bru-talement, le vote FN se nourrit du désarroi et dela colère des producteurs agricoles qui travaillent70 heures par semaine pour des salaires degueux.Traditionnellement à droite mais jusque-là plutôtlégitimiste, le monde paysan remet aujourd’huien cause les responsables des partis politiquesclassiques, tout comme ses leaders syndicaux.Incapables d’apporter des solutions à ses misères.Impuissants à forcer les grands groupes agroali-mentaires et les grandes surfaces à accepterdes prix d’achat décents. Infoutus d’arrêter lessuicides au fond des granges et de donner unequelconque raison aux enfants de reprendre laferme des parents. La crise est d’autant plusforte que les petits paysans ont le sentiment dene plus compter. En cinquante ans, le pays aperdu 3 millions d’agriculteurs et 1,5 million d’ex-ploitations agricoles. Alors, pourquoi pas ne pas essayer le FN, quipromet de restaurer la France d’avant en fermantles frontières aux importations, en mangeant fran-çais et en refondant la politique agricole, communeou pas ? Alors, « pourquoi pas » ? Et qu’importeque ce parti reste travaillé par ses vieux démons.

ABANDON ET IMPUISSANCE

Mais l’extrême droite a également réussi à pro-gresser dans les villages de l’« hyper-ruralité »qui, jusque-là, constituaient de sérieux noyauxde résistance. Il faut traverser la « diagonale duvide » pour comprendre les raisons d’un vote FN

qui gagne de proche en proche, en surfant surles sentiments d’abandon et d’impuissance.La disparition des petits commerces, l’abandondes lignes de chemin de fer, la fermeture des bu-reaux de poste, la rationalisation financière desservices publics ou privés (administration, banque,Poste, gendarmerie, écoles), le manque de des-serte par bus et l’extension des déserts médicaux :tout cela explique, aux yeux de l’Ifop, la montéedu vote FN en milieu rural (voir encadré ci-dessous). Ainsi, aux Européennes de 2014, le FNa passé la barre des 30 % dans nombre de com-munes françaises de moins de 1 000 habitants,qui ne bénéficiaient plus d’aucun service. Alors, quand avoir une crise cardiaque augmentele risque de mourir parce qu’être soigné rapidementest vital, mais que votre médecin n’a pas étéremplacé et que vous vous trouvez à 50 kilomètresdu premier centre de soins par des routes spa-ghetti, comment ne pas penser que la Républi -que vous abandonne ? Comment ne pas êtresensible à tous les batteurs d’estrade populistes,démagos prometteurs de lune, qui cachent leursoif de pouvoir et leur idéologie nauséabonde,qui n’ont aucune solution, mais qui, au moins,paraissent vous considérer comme un citoyen àpart entière.

On peut comprendre. Mais attention, tous lesresponsables démocrates, de gauche ou de droite– politiques, décideurs économiques, syndica-listes – qui continueront de négliger les hommeset les femmes en déshérence de l’« hyper ruralité »(en oubliant les avertissements désespérés lancéspar Alain Bertrand, le sénateur de la Lozère)seront, dans cinq ans, les seuls comptables dela progression du FN.Et de sa possible conquête du pouvoir. ●

Services non comprisEn mars 2016, l’Ifop a analysé « l’influence de l’isolement et de l’absence de serviceset de commerces sur le vote FN en milieu rural ».Une des conclusions : « Moins il y a de commer ces ou de services […]et plus le senti ment d’abandon, de déclin et d’isolement sera puissant, aveccomme corollaire un vote FN dopé. »Ainsi, le différentiel entre les communes « sans » et les communes « avec » seraitde 7,3 %. Sur le podium des suppressions ayant entraîné une augmentation du vote FNaux Européennes de 2014 vient en premier la suppression du bureau de poste(+ 3,4 %), suivie de l’épicerie (+ 2,5%) et de la banque ou Caisse d’épargne(+ 2,3%).G. D.

« NUL DOUTE QUE LE F.N. SAURA PROFITERDE LA VIOLENCE DE LA CRISE AGRICOLEET DE LA DÉSERTIFICATION QUI RAVAGENTLA FRANCE RURALE. »

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Que se passe-t-il en France qui fait que les voixde 11 millions d’électeurs se sont reportées

sur le Front national ? Ou encore que 20 % ducorps électoral se soit découvert « insoumis » etait rallié un tribun au programme insensé – maisdoué, il est vrai, d’un talent oratoire d’exception ?Et que les « partis traditionnels » aient été specta-culairement mis à l’écart ? Un homme, cité partoutaujourd’hui, en France et à l’étranger, prétenddétenir la réponse : le géographe Christophe Guilluy.

UN VOTE PROTESTATAIRE

Que dit-il ? Plusieurs thèmes s’entrecroisent defaçon récurrente et répétitive : la critique des ca-tégories politiques, sociales et économiques tra-ditionnelles, que Guilluy considère comme ca-duques, voire impliquées elles-mêmes dans laviolence de ce qu’il s’emploie à décrire ; l’appel àl’expression de « France périphérique », présentéecomme seule opératoire pour rendre compte dutype de crise que nous traversons ; la mise aujour des multiples fractures sociales qui constituentla réalité du vote protestataire. Les anciennes évidences sont bousculées. Ainsi,la notion de classe moyenne ne serait qu’unmythe empêchant de poser les bonnes questions.Ou encore, l’opposition des villes et des cam-pagnes est déclarée dénuée de sens.

UNE ARME DE CLASSE

En lisant Guilluy, on pense à ce que Rousseau

figurait comme le mauvais contrat social que lesriches passent avec les pauvres (lire encadré ci-dessous), fondé qu’il est sur une illusoire et trom-peuse égalité des droits. Des mots trop majestueuxmasquent la vérité de situations triviales que lesstatistiques révèlent. On bute alors sur des décla-rations qui ne peuvent que laisser perplexes lesmilitants de la Licra. Par exemple celle-ci : « Véritablearme de classe, […] l’antifascisme confère une supériorité morale à des élites délégitimées en réduisant toute critique des méfaits de la mondia-lisation à une dérive fasciste ou raciste. » (« LeCrépuscule de la France d’en haut », p. 173).Cette critique révèle dans la position de Guilluy(laissons de côté d’autres questions adressées àson travail par ses pairs qui contestent la pertinencedes chiffres qu’il avance et des conclusions danslesquelles il verse), une propension à tendre uneperche à tous les populismes, mais surtout unetranquille certitude, qui l’autorise à récuser aunom de la réalité des mots qu’il estime trop chargésd’affects : racisme, antisémitisme, fascisme, po-pulisme, communautarisme… ces mots par rapportauxquels la Licra s’engage depuis 1927.

LA LICRA ET GUILLUY

Le travail de Guilluy adresse ainsi une questionviolente à notre association : ne sommes-nous,en fin de compte, qu’une de ces officines auservice des gagnants de la mondialisation, ins-trumentalisant l’histoire et la morale à leur profit ?C’est au contraire l’arrogance naïve d’un nouveauprophète qu’il convient de récuser, cette sorted’inculture finalement vulgaire, qui de tout tempsignore le surplomb des mots, et qui pour notreépoque organise son propos sur la mondialisationpour prétendre que les affects, ceux de l’espéranceou du désespoir, les mots chargés de l’histoire laplus intime et la plus tragique des femmes et deshommes – ces mots mêmes qui font écho à cequi est la vie de la Licra –, parce qu’ils refuseraientla consistance des chiffres et des statistiques, nesignifieraient tout simplement rien. ●

La faute à RousseauJean-Jacques Rousseau, « Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes » : « Le riche conçut le projet le plus réfléchi qui soit jamais entré dans l’esprithumain […] Instituons des règlements de justice et de paix auxquels tous soientobligés de se conformer, qui ne fassent acception de personne […] et quisoumettent également le puissant et le faible à des devoirs mutuels… : dansce mauvais contrat, le riche est soumis en tant que riche à ce même règlementauquel le pauvre doit obéir en tant que pauvre. » C’est une escroquerie intellectuelle semblable que Guilluy reproche aux gagnantsde la mondialisation.

La Francepériphériquecontre les élitesFace à la mise à l’écart des partis tradi -tionnels et à la radicalisation de l’électoratfrançais, le géographe Christophe Guilluydénonce l’“escroquerie intellectuelle”des gagnants de la mondialisation et deschantres du multiculturalisme.Alain David.

BIBLIO

Ch. Guilluy – « Fracturesfrançaises »,François Bourin 2010et « ChampsFlammarion » 2013.– « La Francepériphérique.Comment on asacrifié les classes,populaires »,Flammarion 2014,Poche 2015.– « Le Crépuscule de la France d’en haut », Flammarion 2016.

VILLE ETCAMPAGNE

« La Francepériphérique » « La question n’estpas de savoir si on est“urbain” ou “rural” […] L’opposition entreville et campagne,entre urbain etpériurbain ou rural,ne dit plus rien desnouvelles dynamiquessociales. Les nouvellesfractures françaisesne recouvrent en rienune opposition entreune civilisation urbaineet une civilisationrurale ou campa -gnarde, en réalité,la société des modesde vie s’est affranchiedepuis longtempsde ce découpagesuranné. » (p. 23)

Le suburbain,la Francedes exploités ?

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Ce gros mot de populisme, sur lequel tout lemonde s’accorde à dire qu’il est l’un des plus

flous et des plus multiformes de la science poli-tique, reste une énigme. S’il pousse aujourd’huisur le terreau de la crise économique et des inégalités croissantes, comment expliquer sondéveloppement dans certains pays considéréscomme premiers de la classe en matière deconfort social ?

UNE PATHOLOGIE OPAQUE ET DES SYMPTÔMES CLAIRS

Ainsi, le Portugal, l’Irlande, voire l’Espagne résistentbeaucoup mieux à l’appel des sirènes démagoguesque la Suède, la Hollande, l’Autriche ou la France.Les chercheurs Ronald Inglhard et Pippa Norris*ont analysé statistiquement, de 2002 à 2014, lesdonnées de 25 partis politiques un peu partout enEurope, afin de comprendre le vote populiste.Ils concluent, chiffres à l’appui, que lechangement des valeurs culturellescombiné à certains facteurs démo-graphiques expliquerait la pousséepopuliste au sein de la petite bour-geoisie (jusqu’à doubler ces dix der-nières années). Il s’agit, selon eux,d’un retour de flamme contre nos va-leurs modernes de tolérance multicul-turelle, de sociétés progressistes etde frontières ouvertes. Ce drôled’asynchronisme (G. Ger-mani)*, qui relèverait de lapsychopolitique, gran di -rait alors chez certainscomme une excroissancenaturelle et incontrôlablede la complexité denos démocraties post-modernes, post-co-loniales et vieillis-santes. Une étude récente deThe Oxford Econo-mics*, largement relayée par les médias anglo-saxons, a pudiquement baptisé ce phénomène,ayant poussé une partie de la population améri-caine et britannique sur la pente glissante, dezone de « cultural anxiety ». Cet euphémismenous parle donc de toutes ces petites haines,grosses colères et grandes peurs sur lesquelles

capitalisent un peu partout les populistes. Alors... faut-il pour autant traiter des populismescomme d’une pathologie mentale inéluctable denos démocraties vieillissantes, ou les combattrepour ce qu’ils sont : une idéologie simpliste, quidessine un cadre autour d’un leader providentiel, encommunion avec son bon peuple, versus desélites décadentes, corrompues et impuissantes ?(Cas Mudde)*

UN CORDON SANITAIRE

L’utilisation du mot populiste à toutes les saucesa fait perdre de vue son cousin proche, qui estcelui de populaire. Celui-ci parle de la culture, desaspirations, des revendications et des inquiétudesqui émanent du peuple. « Je me méfie des utilisa-tions abusives de la catégorie “populiste”, qui estsouvent utilisée par les tenants du politiquement

correct pour délégitimer toute critique por-tant sur le déficit démocratique des

institutions européennes ou nationales,toute remise en cause du primat del’ultralibéralisme, toute oppositionà l’emprise de la technostructuresur le processus de décision poli-tique. » (J. Y. Camus).

Ainsi, trop souvent, cette notion depopulaire, pervertie par la notion de

populisme dans l’esprit de beaucoup,est justement « l’antithèse de

celle d’élitaire » (F. Lepage),et reste indispensable. Etreun leader populaire, c’estêtre politique » : défierl’adversaire, proposerun projet clair, une his-toire positive à écrire.Le « Wir schaffen das »(« On s’en arrangera »)de Mme Merkel àpropos des réfugiés

en est un exemple ;la route parcourue par

En marche, un autre. Ici le populaire se séparedu populiste. Autant le populaire peut se traduireen une nouvelle politique économique, culturelleet sociale, nationale et européenne salutaire,autant le populisme débouche sur des impasseséconomiques, sociales et politiques, pleines de« poudre de perlimpinpin(1) ». ●

Le démon de midi des démocraties européennesUn peu partout en Europe, et depuis trente-cinq ans, les partis populistes prospèrentde façon exponentielle. La crise économique n’est pas la seule responsable. Marie-Pia Garnier.

POUR ENSAVOIR PLUS

Ronald Inglhard,Pippa Norris. Harvard KennedySchool, 2016.« Trump, Brexit, andthe Rise of Populism :Economic have-notsand cultural backlash »Disponible en ligne.Gino Germani1901-1979. Socio logueitalo-argentin, critiqueinfluent des mouve -ments auto ri taires etpopulistes en Amérique.En 1934, il fuit lerégime de Mussoliniet émigre en Argentine.Il fuit à nouveau en1966 pour Harvard, puisrentre en Italie en 1975.The OxfordEconomicsFondée en 81, c’est labranche commercialede la Business OxfordUniversity. C’est undes poids lourdsmondiaux en matièred’études économiqueset financières. Cas MuddeChercheur en sciencepolitique d’originenéerlandaise, il travail leaux Etats-Unis sur lesextrémismes et lespopulismes en Europe.Collaborations : « NY Times »,« Guardian »,« HuffPost ».

1. Expression utilisée parE. Macron, lors du débatde l’entre-deux tours,pour stigmatiser lesmesures démagogiqueset ineffi caces préconiséespar Marine Le Pen.

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Racisme à l’école, la scène pour thérapieQuatre mois à Hénin-Beaumont, la « capitale du frontisme », pour monter un spectacle commun entre collégiens« de souche » et réfugiés. Un succès impressionnant pour la Strasbourgeoise Claire Audhuy. Reportage.Raphaël Roze.

« B ienvenue à Hénin-Beaumont », puis « LesMigrantes » : deux spectacles joués le

vendredi 28 avril – parmi d’autres dates – au Mé-taphone, un espace culturel situé à Oignies (Pas-de-Calais), dans la communauté de communesdont Hénin-Beaumont, fief du FN, est le centre.

VAINCRE LES PRÉJUGÉS EN TRAVAILLANT ENSEMBLE

La première pièce mettait en scène des collégiensracontant leur histoire, celle d’un ou d’une camarade.Ces élèves de troisième de l’établissement GérardPhilipe, dans la ville dont Steeve Briois est lemaire, venaient de deux classes différentes : l’uneréservée aux « primo-arrivants », réfugiés parlantmal le français et nécessitant un enseignementspécifique destiné à leur intégration ; et la seconde,composée de préadolescents nés ici. Ils ont travailléensemble pour montrer au public de quelle manièreils ont surmonté leurs peurs et préjugés respectifsafin de se parler, de jouer en équipe et de s’apprécieren ce lieu où triomphe politiquement la haine desétrangers à travers le vote frontiste. La pièce « Les Migrantes(1) », elle, se présentecomme un monologue sur la condition de candi-dates à l’asile, sur leurs parcours chaotiques etparfois inhumains sur les routes du globe à la re-cherche d’un abri, jusqu’à leur arrivée dans l’Hexa-gone. Une narration en musique – africaine – in-terprétée par Claire Audhuy. Cette jeune comédienne et metteuse en scène aété, quatre mois durant (de janvier à avril), lacheville ouvrière enthousiaste du projet : établirdes liens amicaux entre des écoliers issus, pour

la plupart, de milieux déclassés et lepénistes, etces « primo-arrivants », élèves dans la même villeet le même collège, victimes de la méfiance d’unepopulation en manque de repères. Le moyen utilisé, la préparation du spectacle« Bienvenue à Hénin-Beaumont », a de toute évi-dence fonctionné à merveille.En quelques mois, la trentaine de préadolescentsconcernés, français et étrangers, ont vu leur viechanger, leur point de vue sur le monde se méta-morphoser, et certains parents eux-mêmes, réticentsau départ, ont dû remettre en question des certi-tudes ancrées depuis longtemps dans leur esprit.Au cours de la première pièce, le public local a en-tendu des phrases comme celles-ci : « Je suis so-malien, mais un jour je serai policier dans cetteville. – Je dessine un village entre Hénin-Beaumontet Tanger, où l’on parlerait à la fois français etarabe. – Dans la jungle de Calais, j’étais seul, maismaintenant je suis en famille d’accueil et j’ai desamis français de mon âge. – Désormais, je sais queles migrants sont des jeunes comme nous. Je suisch’ti mais j’ai peur des politiciens de mon pays. » Dans la seconde pièce, Claire Audhuy mimait etexprimait le cheminement de femmes confrontéesà des souffrances peu imaginables sous nos lati-tudes : « J’ai croisé un taliban qui m’a obligée àmettre la burka et j’ai vécu l’enfer. Dans la cave,les hommes de ma famille ont été mutilés et j’aidû m’enfuir seule. »Les « primo-arrivants » que nous avons interrogésaprès la double représentation nous ont racontédes épisodes tout aussi douloureux et parfois àpeine croyables. Un Afghan de 15 ans a expliqué

LA CHARTEDE STEEVEBRIOIS

Il n’y a que 14 élèvesréfugiés qui fréquen -tent les écolesd’Hénin-Beaumont,un bassin de popula -tion de 125 000habitants, et la villen’est pas spécialementenvahie par lesétrangers. Pourtant,le maire frontiste,Steeve Briois, a faitadopter par son conseil une charte intitulée : « Ma commune sans migrants ».

1. Un extrait de cettepièce a été présenté lorsde la convention nationalede la Licra, le 26 marsdernier. (Lire « DDV »d’avril, p. 29.)

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Claire Audhuy.

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qu’il avait traversé à pied, pendant six mois, desdizaines de pays, avant de trouver enfin refugedans une famille d’accueil d’Hénin-Beaumont.Claire Audhuy, dont la compagnie alsacienne senomme « Rodéo d’Ame », a pu s’extraire de sesactivités strasbourgeoises pendant seize semainesgrâce au soutien du Cléa (Contrat local d’édu-cation artistique) du Pas-de-Calais.

LES PRESSIONS DE LA MUNICIPALITÉ

Tout au long de ces quatre mois, elle a subid’intenses pressions de la part de la municipalité.Une procédure judiciaire a même été engagée àson encontre par Steeve Briois, qui l’accuse depropagande politique dans le cadre du servicepublic de l’éducation. Les menaces téléphoniquesétaient monnaie courante. Pourtant, s’il y a eu des tensions dans les foyersdes collégiens, elles se sont estompées peu àpeu, et le collège Gérard-Philipe a été épargnépar les rumeurs et réprobations émanant de lamunicipalité. A l’intérieur de l’établissement, indiqueIsabelle Froment, professeur d’arts plastiques, lesélèves comme le corps enseignant « n’ont pasvraiment souffert de cet environnement hostile ».Un havre de tolérance qui a facilité la transformationprogressive mais spectaculaire, au final, des jeunespris en charge par la Strasbourgeoise, et favoriséle climat affectueux qui s’est installé entre collégiensdu cru et « primo-arrivants ».Au demeurant, si les 13-14 ans sont plus réceptifsque les adultes, le racisme est-il une fatalité ici ?« Les préjugés ont disparu chez ceux qui ont tra-vaillé avec moi, quelles que soient les idées deleurs parents », constate la responsable de « Ro-déo d’Ame ». « Mais on dit beaucoup de bêtisessur la population locale. Steeve Briois a été éluparce que c’est un enfant de la région. Avant lui,la gauche a accumulé les erreurs, et la corruptiona atteint un niveau exceptionnel. Pourtant, lamajorité républicaine a été reconduite trois foisde suite. Le Front est arrivé aux affaires pardéfaut et en désespoir de cause, mais les habitantssont moins intolérants qu’on ne le pense. Sibeaucoup d’entre eux (près des trois quarts) nesont pas venus voir jouer leurs propres enfants,c’est par peur des militants, de la municipalité,et surtout du qu’en-dira-t-on. L’ambiance pa-triarcale et étouffante orchestrée par le maire etson entourage crée une autocensure aggravéepar les rumeurs et les pressions… C’est Cloche-merle. Les gens craignaient d’être aperçus dansles salles où nous jouions, mais dès que je parlaisà l’un ou à l’autre individuellement, je sentaisune forte curiosité et l’envie de sortir de cetétouffement. »

LES INITIATIVES DE LA LICRA

Laure Michel éprouve des sentiments voisins.Présidente de la section lilloise de la Licra, elles’est déplacée ici il y a environ un an, comme

ailleurs dans la région, pour sensibiliser lesélèves de l’enseignement public aux questionsqui préoccupent notre association. « Une fillede 14 ans m’a dit tout de go qu’elle était raciste,témoigne-t-elle. Influencée sans doute par lediscours frontiste, elle ne manifestait aucunegêne. Comme beaucoup de jeunes de la com-mune, elle ne sortait jamais et vivait en vaseclos : Lille ou Paris, c’est loin quand on n’a pasun sou. Il n’y avait aucun étranger dans saclasse, où j’ai aussi entendu des remarques ho-mophobes décomplexées. Pourtant, il est fon-damental d’intervenir en milieu scolaire, commenous le faisons et comme l’a fait Claire Audhuy.J’ai évité la confrontation ce jour-là car ce n’estpas la bonne méthode avec les pré-ados. J’aiexpliqué délicatement à cette fille trouvant natu-relle sa posture raciste qu’à son âge, elle étaitquasi autonome et pouvait réfléchir, se construirepar elle-même, indépendamment de son envi-ronnement. En la valorisant, j’ai noté dans sonregard qu’elle était touchée. Je suis sûre d’avoirébranlé ses certitudes ». ●

“LA VOIXDU NORD”

IntimidationL’intimidation estl’arme récurrente de la Mairie.« Il n’y a pasde violence ici. Cela marcheà l’intimidation, auharcèlement, pourvous encourageren permanenceà mettre le pied surle frein », a témoignérécemment lecorrespondant localde « La Voix du Nord »à nos confrèresdu « Monde ».

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En juillet, moins d’un mois après le cycle électoralpour le moins inédit que nous venons de vivre,la Licra s’installe à Avignon. Pourquoi ?Avignon est « le plus grand festival de théâtre dumonde » ; mais c’est aussi le grand rendez-vousannuel des acteurs culturels : au côté des artistes,des profession nels du spectacle vivant et desfestivaliers, on y croise élus et profession nels dela culture venus de la France entière et de l’étranger.S’il est un lieu où l’on peut débattre de la cultureet donc, forcé ment, de la marche du monde,c’est à Avignon et c’est en juillet !La présence de nos mili tants permet de touchertout ce monde de maniè re aléatoire lorsque nousdiffusons « Le Droit de vivre » dans les rues,et de façon plus organisée lors des événements quenous animons (lire pages suivantes).C’est pour nous l’occasion de faire connaître la Licra,

de susciter l’adhésion à nos idées – et, pourquoi pas,à notre association –, d’engager des débats souventimprovisés au coin des rues. Et, bien sûr, de renforcernos liens avec les milieux culturels. Parmi les nouveautés de cette année : le partena riatque nous avons noué avec le festival In et notrecollaboration avec les Ceméa, les Centresd’entraînement aux méthodes d’éducation active,pour la formation de nos jeunes militants.

Et le théâtre dans tout ça ? C’est le plus puissant outilque l’homme ait inventé pour interroger le mondeet réveiller les consciences.Lorsque l’argumentation rationnelle trouve seslimites, il y a le théâtre : c’est le miracle d’Avignon.Abraham Bengio.

La Licra en Avignon,pourquoi ? Spectacle de danse dans les rues d’Avignon durant le festival Off.

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Demandez le programme !Le festival d’Avignon : un mois d’éducation populaire à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

Vous croiserez nos militants au hasard des rues. Ils vous propo se -ront le program me, la revue « Le Droit de vivre », et seront heureuxde discuter avec vous des thèmes qui nous sont chers. Rejoignez-nous à l’occasion des événements que nous organisons et quiseront les temps forts de l’opération Avignon 2017 de la Licra.

MERCREDI 5 JUILLET

18 H : LA CONFÉRENCE INAUGURALE

La section d’Avignon vous y invite, à la salle des fêtesde l’hôtel-de-ville d’Avignon.

Intervenants :• Cécile Helle, maire d’Avignon• Claude Nahoum, président de la section d’Avignon-Vaucluse• Pierre Beffeyte, président d’Avignon Off• Elodie Goumet, référente laïcité Citoyenneté (Direction territo -

riale de la protection judiciaire de la jeunesse (Alpes-Vaucluse)• Damien Malinas, maître de conférences en sciences de

l’information• Laurent Rochut, directeur du théâtre de l’Oulle• Abraham Bengio, président de la commission Culture de la Licra.

VENDREDI 14 JUILLET

11 H : TABLE RONDE « FRONTIÈRE(S) »A l’initiative des Centres d’entraînement aux méthodesd’éducation active (Cemea), avec le concours de la Licra.La table ronde « Frontières » aura lieu au Centre de SéjoursSaint-Joseph. Entrée au 45, rue du Portail Magnane.Interviendront sur la notion de « frontière », entendue au sensle plus large (physique, juridique, symbolique) :• Hamdou Sy, philosophe• Yann-Joël Collin, metteur en scène• Matéi Visniec, journaliste et metteur en scène• Rachel Lindon, juriste Licra.Le débat sera animé par une équipe des Ceméa.

17 H 15 : SPECTACLE « MIGRAAAANTS »(« On est trop nombreux sur ce putain de bateau »),Texte de Matéi Visniec, mise en scène de Gérard Gelas, Au théâtre du Chêne Noir, 8 bis, rue Sainte-Catherine, en présence de Matéi Visniec et de Gérard Gelas.

19 H : BORDS DE SCÈNES, DÉBATEchange avec les spectateurs de « Migraaaants »

SAMEDI 22 JUILLET

11 H : DÉBAT AUTOUR DE« GRENSGEVAL » (« BORDERLINE »),Organisé par la Licra avec le concours des Ceméa, à partir du spectacle de Guy Cassiers et des thématiques qu’il permet d’aborder : réfugiés, déplacements de population,accueil de l’autre, asile... Centre de séjours Saint-Joseph, entrée au 45, rue du Portail Magnane.

Intervenants :• Maud Le Pladec, co-metteuse en scène du spectacle• Erwin Jans, dramaturge• Olivier Py, directeur du festival d’Avignon (ou Paul Rondin,

directeur adjoint)• Didier Leschi, directeur général de l’office français de

l’immigration et de l’intégration (Ofii)• Un représentant du Pôle culture national des CEMÉA• Mario-Pierre Stasi, vice-président national de la Licra

Le débat sera animé par Abraham Bengio, président de la commission culture de la Licra.

STAGES CEMÉAUne dizaine de jeunes militants participeront aux stagesorganisés par le Centre de jeunes et de séjours du festivald’Avignon, qui ont pour objectif de « permettre à chacunde comprendre, d’enrichir et de clarifier, à travers un parcoursaccompagné, son rapport à sa culture, à la culture etaux cultures ».

DÉBATS APRÈS LES SPECTACLESLa Licra repère et, dans un deuxième temps labellise,des spectacles (lire p. 22-23, Les spectacles recommandéspar la Licra). A chaque fois qu’ils assistent à l’un de ces spectacles, nosmilitants vous proposent d’en débattre après la représentation ;dans la salle lorsque c’est possible, ou dans un bistrot voisin…Ces débats seront annoncés à l’entrée du spectacle.

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« JE REVIENSDE LA VÉRITÉ »

De CharlotteDelbo. Mise en scèneAgnès Braunschweig. Cie ProsperoMiranda.Salle Roquille,3, rue Roquille.

Du 7 au 28 juillet, 13 h (mardi).Réservations : 04 90 85 43 68.Contact : Agnès BraunschweigTél. : 06 52 33 86 [email protected] pièce dit avec émotion et intensitéla vie des femmes dans le camp d’Aus-chwitz. Charlotte Delbo assistante deLouis Jouvet, déportée, raconte cesrésistantes qui luttent contre le désespoiret forment une chaîne humaine quirapportera le souvenir pour l’histoire.

« MIGRAAAANTS (0N ESTTROP NOM BREUX SURCE PUTAIN DE BATEAU) »

De Matéi Visniec,Mise en scène Gérard Gelas,Cie Clin d’Œil,Théâtre du Chêne Noir, 8 bis, rue Sainte-Catherine, 17 h 15Réservations : 04 90 86 74 87Ils viennent du Pakistan, d’Afghanistan,de Somalie, d’Erythrée, de Syrie,d’Irak, de Libye, du Mali, d’Algérie,du Maroc, de Haïti et de beaucoupd’autres endroits où la vie n’est pluscompatible avec l’idée d’avenir.Contact : Aurélia Lisoie.Tél. : 04 90 86 74 84 / 06 79 63 50 [email protected]

« UN ENFANTDE NOTRE TEMPS »

D’après Odon Von Horvath, par Rachid Belkaïd,Cie Enfant Phare.Théâtre de la Porte Saint-Michel, 23, rue St-Michel,Du 6 au 30 juillet, 12 h 30.

Réservations :09 80 43 01 79Contact : Rachid Belkaïd,06 76 99 15 [email protected] Un enfant de no-tre temps raconte

l’itinéraire tragique d’un jeune chômeurattiré par les sirènes de l’extrémisme.

« DREYFUS, L’AFFAIRE… »

De Pierrette DupoyetThéâtre Buffon, rue Buffon.Du 7 au 30 juillet, 11 h 35.Réservations : 06 87 46 87 56Contact : Pierrette DupoyetTél. : 06 81 78 49 [email protected] capitaine Dreyfus revit et tente decomprendre la catastrophe qui s’abatsur lui. Une pièce psychologique etun cri d’alerte, pour que « ça ne sereproduise pas », mais aussi une invi-tation à la tolérance et à la fraternité.

« EN CE TEMPS-LÀ,L’AMOUR »

De Gilles Ségal.Mise en scène Pierre-Yves Desmonceaux.Théâtre Au Bout Là-bas,23, rue Noël-Biret,près du Théâtre des Halles,Du 7 au 30 juillet, 19 h 20, relâche jeudi.Réservations : 06 99 24 82 06Contact : Edna Fainaru06 81 33 04 [email protected] « L’auteur a imaginé les six derniersjours d’un père et de son fils de 12 ansdans un wagon plombé en route versAuschwitz. »Avec le soutien de la fondation pourla mémoire de la Shoah. ●

Spectacles recommandéspar la Licra

« Grensgeval »(« Borderline »)

Mise en scène Guy Cassiers, directeur du Toneelhuis d’Anvers,et Maud Le Pladec, directrice du Centrechorégraphique national d’Orléans. « Sans doute l’une des propositions les plus emblématiques de l’édition 2017 »du festival d’Avignon. (Gilles Renault, « Libération »).

Des réfugiés franchissent la Méditerranéeau péril de leur vie, dans des bateaux de fortune. Sur la terre ferme, ils ne rencontrentqu’incompréhension.Guy Cassiers et Maud Le Pladec mettent enscène un texte de la prix Nobel autrichienneElfriede Jelinek, « Die Schutzbefohlenen »(« Les Suppliants »), « en réaction à la situationtoujours plus navrante des réfugiés enEurope ».Texte violent et prophétique : dès 2013, « avecune précision glaçante, elle évoque – desannées avant les faits – toutes les images quise sont entre-temps gravées sur notre rétine ». « Grensgeval » (« Borderline ») joue surles deux sens du mot, en néerlandaiscomme en anglais : « cas limite » et « lignede démar ca tion ».

ReprésentationSpectacle en néerlandais surtitré en français(durée : 1 h 15), du mardi 18 juillet au lundi 24 à 18 h(relâche vendredi 21).Parc des Expositions d’Avignon,à 10 km du centre-ville.Navette : départ de la gare routière 1 heureavant le spectacle.

DébatPour parler des liens entre ce spectacle,le théâtre en général et les combats qui sontles nôtres, nous vous invitons, le 22 juillet à11 h, au centre de séjours Saint-Joseph, entréeau 45, rue du Portail Magnanem, à un débatavec Maud Le Pladec, Erwin Jans (dramaturge,)Olivier Py (directeur du festival d’Avignon),Alain Jakubowicz (président national de laLicra), Didier Leschi (directeur de l’Officefrançais de l’immigration et de l’intégration),un membre du pôle culture national des Ceméaet Abraham Bengio (modérateur).

Abraham Bengio.

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« LE QUATRIÈME MUR »

D’après Sorj Chalandon, Mise en scène Luca Franceschi(Cie des Asphodèles)Du 7 au 30 juillet,tous les jours à 19 h, Théâtre des Carmes, 6, place des Carmes (relâche lundis 10, 17 et 24)Réservations : 04 90 82 20 47« Samuel Akounis, metteur en scènegrec et juif en exil en France, aune idée aussi belle qu’utopique :aller monter la pièce “Antigone”,de Jean Anouilh, à Beyrouth, dansun Liban déchiré par la guerre. Ilveut rassembler sur scène, le tempsd’une trêve poétique, des comédiensissus de chaque camp belligérantde ce conflit politique et religieux. »Contact : Charlotte EnaudTél. : 04 72 61 12 5506 45 56 34 53.compagnie@&asphodeles.com

« DANS LA SOLITUDEDES CHAMPSDE COTON »

De Bernard-Marie Koltès, Mise en scène Alain Timár.Du 6 au 29 juillet, 17 h (relâche les 10, 17, 24) Théâtre des Halles, salle Chapitre, rue du Roi René.Réservations : 04 32 76 24 51.Contact : Aurélie Clement.04 90 85 02 [email protected] « Le paradigme du commerceconstitue une sorte de paraventà une humanité qui ne demandequ’à éclore. Il révèle égalementla question cruciale de l’altérité :je ne suis pas seul... Qui est l’au-tre, comment le reconnaître ? »

« DIEU, BRANDO ET MOI »De Gilles Tourman, Mise en scène Maurice Zaoui, Cie Sur les QuaisEspace Roseau-Teinturier, 45, rue des Teinturiers, Du 7 au 30 juillet, 12 h 25. Réservations : 04 90 03 28 75Contact : Marie-Paule Anfosso.06 19 32 68 35 / 06 17 75 28 [email protected] « C’est le terrible parcours d’unenfant caché pendant la DeuxièmeGuerre mondiale au Chambon-sur-Lignon quenous raconteavec fougue lecomédien Da-niel Milgram,sous la belleplume de GillesTourman. »

« DÉCALAGE-TOI »

Théâtre musical et documentairesur les discriminations.Création collective. Mise en scène :Géraldine BenichouThéâtre de l’Entrepôt, 1 ter, bd Champfleury, Du 7 au 31 juillet, 19 h 20.Relâche mardi.Réservations : 04 90 86 30 37.

« En scène,cinq artistes,auteur(e)s etinterprètesd’un specta-cle composéde slams,de vidéo-témoigna ges,de tableaux satiriques et

de chansons, décryp tent avec lesarmes de l’humour et de la langueles discriminations de sexe, derace et de classe que fabriquenotre société. »Contacts : Presse : Murielle Richard, Tél. : 06 11 20 57 35.Diffusion : mélanie rebouillat.Tél. : 06 37 11 01 09. ●

Spectacles en coursde labellisation

« Tango des étoiles errantes » (Cabaret de tango yiddish - labellisé par la Licra) »

De Judith Maian,Mise en scène Isabelle Starkier. Avec : Judit Maian et Alain Territo.

Verger d’Al Andalus,25, rue d’Amphoux,du 6 au 25 juillet, à 21 h 45(relâche les mercredis 12 et 19).Réservations : 06 21 05 19 81.

Une histoire qui nous entraîne des débutsdu tango à sa rencontre avec les quartiers juifs(shtetl), à son enfermement dans les ghettos,à sa survie aux camps de la mort, à sonimmigration en Amérique et à ses heuresde gloire et de détresse en Amérique du Sud.Qui connaît la rencontre surprenante du tangoavec les sonorités et l’âme du yiddish ?A travers le « Tango des étoiles errantes »nous sont retracés ces chemins de l’art qui ontcroisé la grande Histoire du XXe siècle et s’ensont nourri, parfois dans le sang et les larmes. Plus qu’un cabaret, c’est un voyagequi traverse l’histoire du peuple juif à traversson tango : des shtetl d’Europe de l’Est àl’Amérique de la comédie musicale et àl’Argentine des bordels, en passant par lesheures les plus sombres d’Auschwitz, où letango résonnait des deux côtés des barbelés.

Théâtre, chant et musique sont portés par deuxremarquables interprètes : Judit Maian,chanteuse de tango vibrante et passionnée, etAlain Territo, qui passe avec dextérité et malicede la contrebasse au bandonéon etdu bandonéon au jeu. La mise en scène d’Isabelle Starkier, qui nousavait séduits avec son « Homme dansle plafond », est sobre et belle, émouvanteet drôle…« Parce que nous habitons le tango et qu’il nous habiteParce que chanté il monte des pieds à la têteParce que le tango est une pensée triste qu’on danse... »

Avec le soutien de la fondationpour la mémoire de la Shoah.Contact : Isabelle [email protected] Tél. : 06 41 76 50 26

Abel Sorkine.

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LETTRE OUVERTE À DIEUDONNÉ NIANGOUNIA

« Inviter un continent sans sa parole », c’est…« une façon comme une autre de déclarer que

l’Afrique ne parle pas, n’accouche pas d’une penséethéâtrale dans le grand rendez-vous du donner et durecevoir ». « Et insister en invitant cette Afrique souscette forme muselée, c’est bien pire qu’une injure.C’est inviter un mort à sa table, lui envoyer toutesles abominations à la gueule, sans se reprocher quoique ce soit, parce que, de toute évidence, on sait quele mort ne parlera pas, et c’est bien la raison decette invitation. »Votre vitriol contre le focus sur l’Afrique subsaha-rienne d’Olivier Py l’assimile à une volonté deconfinement des Africains à la danse et la musique.Ce poil à gratter polémique que vous distillez estindécent. Certes, on aurait pu démarrer ce Festivalavec un grand texte d’un non moins grand auteurafricain. Il se terminera par la poésie de LéopoldS. Senghor, ce n’est pas rien.Vous étiez artiste associé au focus déjà africain de2013. Votre « Shéda » réglait ses comptes avec les

chefs tyrans, la misère, dans un foisonnement nondépourvu de qualités esthétiques mais qui, noyantles idées sous les mots, tuait le sens. Sauvé par lamusique mais péchant par excès, il n’atteignit pasau chef-d’œuvre. En 2013, parmi les spectacles de théâtre pur, seulcelui de Rimini Protocol parlait de l’Afrique, « Shéda »même était catalogué « théâtre et musique » ! La question n’est pas de savoir si Py, pour qui « unspectacle est toujours politique », a eu tort desolliciter des Africains pas forcément « théâtreux »,mais si vous avez raison de l’attaquer sur ce point.On peut accuser Py d’autres maux, pas de fairetaire les voix africaines au prétexte que les spectaclesprésentés sont chorégraphiques, in-disciplinaires,musicaux (dont un récit-musique et un de littérature-musique). Ni le tenir en suspicion et lui faire cevain procès d’une intention culturellement néo -coloniale.

Faut-il voir dans la violence de vos propos l’orgueilinfondé d’un auteur (bien présent sur les scènesfrançaises comme La Colline) dépité à l’idée den’être pas invité à la fête ? Vous classez-vous parmiles grands du théâtre ? Ce n’est pas à vous d’enjuger : péché d’orgueil. Empruntons un bon mot àRégis Debray(1) : ce tout-à-l’égo niangounien vousautorise-t-il à jeter les autres au tout-à-l’égout de laculture ? Votre « Sommes-nous revenus à l’époqued’Hérodote où l’on disait que le Noir n’est quebruit, son et tam-tam ? » fait injure au talent de vospairs de culture comme Serge-Aimé Coulibaly,Rokia Traoré ou Dorothée Munyaneza. Les ravalerau rang d’amuseurs publics pour touristes en malde couleur locale, c’est refuser leur légitimité.Le texte n’est pas seul vecteur du sens de cette tra-dition qui est le creuset de la création africaineaxée sur le chant et la danse, qui du mouvementfait texte. Le théâtre n’ayant pas l’apanage de laculture, en réponse à votre attaque et à sa vision ré-trécie, Rokia Traoré, jugeant que les artistes africains« ne sont pas spécifiquement voués au théâtre detexte », vous a invité à découvrir son spectacle afinde « débattre… pas seulement de la culture et del’art africains selon ceux qui les voient de France,mais… tels qu’ils sont selon nous », car « dans ladanse, en Afrique, il n’y a pas que de la danse, il ya des dialogues qui se vivent, qui se mènent pardes corps et des formes ».Le propre d’une création étant l’inconnu, le moindrerespect dû aux créateurs est de voir avant de juger. ●

Sur le pont d’Avignon,on y danse… aussiPléiade de spectacles africains cette année en Avignon.Curieu sement, c’est un Africain, Dieudonné Niangounia,metteur en scène congolais, qui lance la polémiqueen prétendant qu’Olivier Py, le directeur du Festival,a volontairement ignoré le théâtre parlé pour cantonnerl’Afrique dans le monde de la musique et de la danse.Evelyne Sellés-Fischer lui répond.Evelyne Sellés-Fischer.

« LE TEXTE N’EST PAS SEUL VECTEUR DU SENSDE CETTE TRADITION QUI EST LE CREUSET DELA CRÉATION AFRICAINE AXÉE SUR LE CHANTET LA DANSE, QUI DU MOUVEMENT FAIT TEXTE. »

1. In « Sur le pontd’Avignon », Flammarion.

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DieudonnéNiangounia.

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« UNWANTED »

Avec son « Unwanted », la chorégraphe DorothéeMunyaneza, originaire du Rwanda, veut donner laparole aux milliers de femmes que les viols, quotidiens,ont détruites, contaminées par le Sida ; des femmes« abusées, déchirées, déchiquetées », dont le corpsfut un « champ de bataille » ; celles dont les enfantsont pour père leur bourreau souvent impuni, qui aégalement exterminé leur famille ; celles qui arriventtant bien que mal à aimer ces enfants non souhaités, quileur rappellent l’horreur subie ; celles qui, malgrétout, vivent debout et content leur histoire inhumainequi se transmet de bouche en bouche comme unehorrible confidence…, de corps en corps, à la manièred’un « habit qui pourrait être passé de femme enfemme, comme un héritage, une histoire qui seraconte de mère en fille, afin que celle qui l’a portéet celle qui l’a reçu ne soit pas oubliées ».Elles avancent, ces femmes, parce qu’il faut vivre.Pour vivre, il faut parler. Quand on ne peut plusparler, on chante. Et quand on ne peut plus chanter,on danse. Si donner place à ce chant, à cette danse, cen’est pas donner place et parole à l’Afrique, que nousfaut-il ? « Unwanted » est un témoignage, un partage,un devoir de mémoire, un exorcisme en forme desymphonie où les mots jaillissent par le truchementdu chant qui se fait cri, en un enfantement douloureux,une étrange parturition. Dorothée Munyaneza a ren-contré ces enfants, ces femmes. De ces entretiens estné le cœur de la parole véritablement délivrée sur leplateau. Que cette œuvre chorégraphique s’allie à lamusique d’Alain Mahé, à la chanteuse HollandAndrews et à l’inspiration du plasticien sud-africainBruce Clarke, ne lui donne que plus de poids.Si ce spectacle n’est pas issu du continent africain etde ses souffrances, quel autre le sera ?

« KALAKUTA REPUBLIK »

On en attend beaucoup. Le « Kalakuta Republik »du chorégraphe burkinabé Serge Aimé Coulibalyrend hommage à Fela Kuti, le saint-patron musical

et homme politique nigérian, en évoquant sa« républi que » (la maison ouverte à ses proches),« Kalakuta » caricaturant la cellule de la prison« Calcut ta » dans laquelle il fut enfermé.

“ DREAM MANDÉ-DJATA »

La chanteuse-star malienne Rokia Traoré, pour sapart, intrigue déjà avec la promesse du « récit- musique » « Dream Mandé-Djata », geste mandinguequi s’inscrit dans la tradition orale des griots.

« FEMME NOIRE »

L’apogée sera sans doute atteint lors de la soirée declôture du Festival à la Cour d’honneur, qui rendrahommage à Léopold Sedar Senghor avec son célèbrepoème « Femme noire », extrait du recueil « Chantsd’ombre », œuvre de la « négritude » s’il en est, cemouvement littéraire dont Senghor et Césaire furentles plus connus, et qui revendiquait la culture noire. Il sera mis en scène et en musique par la chanteusebéninoise Angélique Kidjo, tandis que le comédienivoirien Isaach de Bankolé dira les mots du poète,avec la complicité du chanteur de world jazz came-rounais, du « groove makossa » Manu Dibango, deDominic James…Cette ode à la femme noire et à la terre d’Afriqueentre dans l’autre thématique importante du Festival :la femme. Parce que, comme le dit Olivier Py,« aujourd’hui, être une femme est un combat politiqueau quotidien ». La femme africaine est au cœur dece combat.

Ces quatre spectacles ne donnent qu’un bref aperçudu focus sur l’Afrique subsaharienne de ce Festivalqui lui consacre huit spectacles. Le « mort » dont parle Niangouna, invité à la tableavignonnaise, est bien vivant. Hallelu-Yah ! ●

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F E S T I V A L D ’ A V I G N O N

Mais si, l’Afrique parleraen Avignon !Le Festival consacre huit spectacles à l’Afrique subsaharienne.Focus sur quatre d’entre eux. Evelyne Sellés-Fischer.

REPÈRES

« Unwanted » Par la chorégrapheDorothée Munyaneza.

« Kalakuta Republik » Par le chorégrapheburkinabé Serge Aimé Coulibaly.

« Dream Mandé-Djata »Avec la chanteuse malienneRokia Traoré.

« Femme noire »Hommage à Léopold Senghor.Mise en scène parla chanteuse béninoiseAngélique Kidjo.

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La chorégraphe

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Des spectacles qui parlent des femmes, des créa-trices inspirées… un vent féministe va souffler

sur le domaine papal. Le choix d’« Antigone » enouverture du Festival n’est pas innocent, qui posela femme comme seconde thématique. C’est mon-trer, à travers celle qui brave l’autorité du tyranpour obéir aux dieux, le courage politique de toutesles femmes.Pour Olivier Py, la résistance passe par les femmes.Il confie Sophocle au Japonais Satoshi Miyagi, quienchanta le Festival de 2014 avec son « Mahabha-rata ». Inspiré par le théâtre de marionnettes indo-nésien Wayang qui se joue sur l’eau, il noiera laCour d’honneur sous un plan d’eau, unissant sym-boliquement les ombres, le feu et l’eau pour unthéâtre à la croisée des rites grecs et japonais.

LE CORPS DES FEMMESET LA CONQUÊTE DES DROITS

Dans « Vaille que vivre, Barbara », Juliette Binocheet Alexandre Tharaud diront la chanteuse à l’enfancebrisée par un père incestueux, un drame magnifiépar la musique et l’amour de la vie de celle qui sut,par-delà le corps blessé, faire jaillir l’amour. En écho aux spectacles qui parlent du corps de lafemme, lieu des conflits depuis la nuit des temps(toujours d’actualité), Les Ateliers de la Pensée pro-poseront de réfléchir sur « le corps de la femmecomme terrain de guerre ». Olivier Py a fait appelà l’ancienne garde des Sceaux, Christiane Taubira,pour écrire une « leçon de démocratie » (était-cenécessaire ?) à partir de textes fondateurs de laconquête des droits. Ce feuilleton quotidien, donnéà midi dans le jardin Seccano, sera mis en scènepar Anne-Marie Liégeois sous le titre « On auratout ». Ce titre ambigu laissera les langues mauvaisesironiser : on aura tout quoi ? On aura tout vu ? Toutgagné ? Tout perdu ?

CONTEMPLATION ET COSMOGONIE

Le « Standing in Time » de Lemi Ponifasio invitera

à la contemplation pour tenter d’appréhender l’uni-vers. Portant l’émotion aux sommets de la pureté,les chants de lamentation de femmes maories ferontécho à la poésie de la Syrienne Rasha Abbas ; neuffemmes en noir, improbables moniales issues de lanuit des temps, dansant, chantant et jouant le monde. Ponifasio pour sa part en appellera à Hine-Nui-Te-Po, la déesse mère qui prend soin des humainsmorts, et à la déesse romaine Justicia.Dignité-justice, création-destruction, comment équi-librer les plateaux d’une telle balance ? Sa visioncosmogonique confinant à la poésie évitera les sur-titres qui dérangent.

FIGURES MODERNES OU MYTHIQUES DE FEMMES EN LUTTE

La lorgnette hyperréaliste du « De Maiden », deKatie Mitchell, substituera aux sœurs Papin qui inspirèrent « Les Bonnes » de Genêt, des femmesd’aujourd’hui, économiquement émigrées, malpayées, abusées. Ancrées dans l’actualité et la mo-dernité, elles feront emprisonner Monsieur pourmieux ourdir la disparition de Madame-son conjoint,un travesti interprété par un homme.Penthésilée l’Amazone, morte, reviendra dans« La Fille de Mars » (par Jean-François Matignon,d’après « Penthésilée » de Kleist), raconter l’histoiredes Amazones, ses amours avec Achille, le siège deTroie… la guerre, la vraie, et celle que se livrent lesamoureux, éternelle, entre Eros et Thanatos. Ces spectacles mettent en scène des figures modernesou mythiques qui refusent de rester des victimes,se battent, se relèvent, « des femmes en lutte contrele patriarcat, contre une loi qui n’a pas de sens,pour revendiquer plus d’humanité, particulièrementchez les femmes africaines… » (Olivier Py).Et encore Caroline Guiela Nguyen avec « Saïgon »,Julie Bertin et son Birgit Ensemble « Memories ofSarajevo », et « Dans les ruines d’Athènes», EmmaDante « Besti di scena » et Fanny de Chaillé « LesGrands ». ●

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F E S T I V A L D ’ A V I G N O N

« ... DES FEMMES EN LUTTECONTRE LE PATRIARCAT,CONTRE UNE LOI QUIN’A PAS DE SENS,POUR REVENDIQUERPLUS D’HUMANITÉ,PARTICULIÈRE MENTCHEZ LES FEMMESAFRICAINES… »Olivier Py

Pour Olivier Py, lesvisages de la justicesont féminins.D’« Antigone »,en ouverture du festival,à « On aura tout »,le feuilleton quotidienécrit par ChristianeTaubira, d’une visionde la justice à une autre,n’y a-t-il qu’un pas ?Evelyne Sellés-Fischer.

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« Antigone »,de Sophocle.Mise en scène :Satoshi Miyagi.

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DDV Vous dirigez actuellement l’Ofii. Pouvez-nous rappeler son rôle pour nos lecteurs ?Didier Leschi. L’Office français de l’immigration etde l’intégration a trois missions principales : l’accueilde la migration légale, c’est-à-dire le regroupementfamilial ; le rapprochement de conjoints ; ou l’im-migration de travail, qui peut continuer.L’Ofii met en place les conditions matérielles d’ac-cueil des demandeurs d’asile, telles que le versementd’allocations ou l’orientation d’hébergement. Ils’occupe aussi des retours volontaires de personnesqui, au vu de leurs parcours, peuvent être dans uneimpasse et souhaitent retourner dans leur pays dedépart. Il s’agit d’une aide à la réinsertion, à lamise en place d’une activité économique.

DDV Vous avez le temps d’aller au théâtre ?D.L. De temps en temps.

DDV Vous interviendrez lors d’un débat de la Licra à Avignon. En quoi est-ce importantpour vous d’être présent ?D.L. Je suis tout à fait heureux que la Licra m’yinvite. Je pense qu’il est essentiel de pouvoir aborderensemble des sujets relatifs à la fois à la migration,aux attitudes qu’elle peut susciter, et aux problèmesde racisme et d’antisémitisme.

DDV Vous avez même pris le temps de lire la pièce « Les Suppliants » de l’AutrichienneElfriede Jelinek(1), dont s’inspire le metteur en scène belge Guy Cassiers pour « Grensgeval ».Qu’en avez-vous pensé ?D.L. C’est un long texte assez particulier, qui ne seprésente pas comme une pièce de théâtre classique.Il sera très intéressant d’en voir l’adaptation à Avi-gnon !

DDV L’auteur a écrit ce texte en 2013, avanttous ces naufrages en mer, toutes ces noyades.Elle a sans doute eu une vision prophétique surle drame des migrants. Est-ce qu’à vos yeuxle théâtre peut incarner parfaitement ces sujetsdramatiques ? D.L. D’abord, le théâtre a une fonction politique delongue date. Cette pièce s’inscrit certainement dansla tradition du théâtre politique, qui joue un rôleplus ou moins important selon les périodes. Avecsouvent des acteurs très engagés. Je pense à GérardPhilipe, par exemple.

DDV Le théâtre peut-il également permettre defaire entendre d’autres voix ? Comme une terred’accueil de l’autre ?D.L. Tout à fait. Mais le texte de Jelinek est lui-même très marqué par des départs de pays commela Syrie ou l’Irak. Il s’étend très longuement sur lesconditions terribles qu’ont pu subir certaines per-sonnes.Cela peut faire écho au travail que j’ai pu réaliser,par exemple, avec le monde arabo-musulman. C’estdélicat car c’est le monde des actuels génocides.

DDV Chaque jour nous entendons parlerde cette vague migratoire malheureusementincessante. Cette pièce aura-t-elle la forcede marquer autrement les consciences ?D.L. La pièce a un contenu fortement humaniste,mais cet humanisme ne rentre pas dans le sujet politique lui-même et on ne sait pas pourquoi.

DDV Un nouveau gouvernement vientde se constituer. Avez-vous une attente précise sur ces questions ?D.L. A titre personnel, il m’est difficile de vous ré-pondre. Mais ce que je peux dire, c’est que cesquestions seront nécessairement dans le débat public.La manière de prendre en charge les migrants déjàarrivés en Europe, par exemple, est un sujet politiquequ’aucun pouvoir public ne peut éviter. ●

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F E S T I V A L D ’ A V I G N O N

“Le théâtre a toujoursété politique”Depuis dix mois, l’ancien préfet délégué à l’Egalité des chances enSeine-Saint-Denis, Didier Leschi, fervent défenseur des valeurs de la République,dirige l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Entretien.Propos recueillis par Marina Lemaire.

DÉBAT

« Grensgeval » Didier Leschi participeraau débat de la Licra autourde la pièce « Grensgeval »(« Bordeline »), de Guy Cassiers et Maud Le Pladec. Samedi 22 juillet à 11 h.Centre de séjours Saint-Joseph. Entrée au 45, rue du Portail Magnanen,Avignon.

À LIRE

Didier Leschi « Misère(s) de l’islamde France ». Ed. du Cerf, 2017, 14 €.

1. Elfriede Jelinekfut prix Nobel delittérature en 2004.

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Pour ce festivald’Avignon 2017, la Licraa passé un partenariatavec les Centresd’entraînementaux méthodesd’éducation active(Ceméa).Rencontre avecVincent Clavaud,directeur des Centresde jeunes et de séjoursdu Festival.Propos recueillis par.

Jean-Louis Rossi.

DDV Quels sont les liens des Centres de jeunes et de séjours du festival d’Avignon (CDJSFA)avec les Centres d’entraînement aux méthodesd’éducation active (Ceméa) ?Vincent Clavaud. Notre association a été créée en1959 par le Festival, la Ville et les Ceméa. Elle ac-cueille des jeunes et des adultes de tous les payspendant le Festival, afin de leur permettre de tirerle plus de profit possible des spectacles et des res-sources culturelles de la région, et d’échanger avecles autres participants.Le festival d’Avignon, comme le Printemps deBourges et le festival d’Aurillac, sont les « chantiersnationaux » où les Ceméa mettent en œuvre leurprojet éducatif et pédagogique en s’appuyant sur laprogrammation du Festival : il s’agit de travaillerla culture par les propositions artistiques commeun élément essentiel de l’éducation de la personne.Les Ceméa sont présents à Avignon presque depuisle début du Festival, grâce à Paul Puaux.D’abord accueillies dans le camping de la Barthelasse,nos Rencontres se sont ensuite développées dansdes établissements scolaires, ce qui a renforcé laconvivialité, surtout au moment des repas !

DDV Quel public s’inscrit dans vos parcoursfestivaliers, quels accompagnementspédagogiques et culturels proposez-vous ?V.C. Nous accueillons environ 1 500 personnes, dontla moitié sont des jeunes de moins de 18 ans(lycéens, groupes constitués par des centres sociaux,etc.). Nous proposons des séjours de 5 et 9 jours,qui intègrent des spectacles du Festival et desactivités culturelles, ainsi que des rencontres avecdes équipes artistiques.

DDV Le théâtre peut-il encore être un vecteurd’engagement pour les jeunes ?V.C. Nous le vérifions régulièrement pendant nosaccueils. Ainsi « Les Damnés », spectacle créé par

la Comédie-Française en 2016 dans la Cour d’hon-neur, a provoqué chez nos jeunes participants denombreuses réactions sur la violence de notreépoque, des mouvements nationalistes et des extré-mistes radicaux. Le théâtre contribue à la prise deconscience de nos jeunes et les incite à agir, etdonc à s’engager.

DDV Quels sont les liens de votre mouvementavec les associations comme la Licra ?V.C. Nous partageons un projet d’éducation populaireet de transformation sociale sur des valeurs com-munes, ce qui nous rapproche de manière naturelleet produit facilement des partenariats (ainsi, cetteannée, autour de la frontière et des migrants).

DDV Quels sont vos espoirs ou vos inquiétudespour l’avenir de votre mouvement et de votreprojet culturel ?V.C. En ce qui concerne les CDJSFA, nous sommesassez optimistes sur notre avenir, car nous partageonsavec le Festival et la Ville d’Avignon le projetd’éducation populaire cher à Jean Vilar.Pour le reste, la marchandisation de la culture nousinquiète, car elle transforme le spectateur actif enconsommateur dépossédé de son libre arbitre.

DDV Enfin, quel spectacle de l’édition 2017sera emblématique de votre démarche ?V.C. Plus qu’un spectacle en particulier, ce sont lesparcours que nous proposons qui sont emblématiquesde notre démarche. La découverte de la créationcontemporaine, des engagements politiques ou es-thétiques sur les plateaux vont susciter le débat,provoquer des émotions… C’est cette ambiancequi va produire du sens, développer un goût pourtelle ou telle forme, générer une réflexion collectivesur notre époque, et favoriser ainsi le développementde chaque personne, quels que soient son âge, saculture ou ses origines. ●

LA MOBILISAION DES CEMÉA

LES CEMÉA

Education et formationLes Ceméa sontun mouvement d’éducationnouvelle, une associationd’éducation populaire, et unorganisme de formationprofessionnelle. Reconnus d’utilité publique,ils sont porteurs, depuis plusde soixante-dix ans, d’une large expériencesociale et collective.

Rassemblementau Centresde jeuneset de séjoursdu Festival.

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Le Théâtre de l’Oulle, c’est l’autre scène perma-nente en Avignon. A l’instar du Chien qui Fume,

du Théâtre du Balcon, du Chêne Noir ou du Théâtredes Halles, il fonctionne toute l’année avec une pro-grammation de coups de cœur et de paris.Contrairement à la Manufacture et à l’Entrepôt,qui ont refusé le spectacle inspiré du texte posthumede Charb, « Lettre aux escrocs de l’islamophobiequi font le jeu des racistes ?» – « pour raisons artistiques » –, Laurent Rochut, directeur du Théâtrede L’Oulle, le produit.

DDV Que pensez vous de la succession derefus de monter cette adaptation en Avignon ?Laurent Rochut. Ce que je ne comprends surtout pas,c’est pourquoi cette lecture-spectacle n’a pas été prisedans la cour d’honneur de la faculté des sciences,lieu préempté par Olivier Py pour, justement, pro-grammer des textes ou des spectacles militants, avecle parapluie et la protection que représente le In. Il ya eu polémique à propos du Off dans la presse, etj’ai décidé de prendre la parole : contrairement à cequi avait été dit, le spectacle n’avait été proposéqu’à quelques-uns des théâtres du Off, et j’ai doncdécidé de le prendre en plus de ma programmation.

DDV Quand le verra-t-on ?L.R. Il sera en exclusivité au Théâtre de L’Oulle, oùje l’ai pris en coréalisation, car il n’était pas questionde leur louer la salle, cinq soirs de suite, du 14 au18 juillet à 23 h 30. La jauge de L’Oulle est de200 places : cela permet d’accueillir du monde, eton a une vraie scène qui permet de faire un travailconséquent de scénographie, ce qui n’est pas le cassur toutes les scène du Off (rires). Ce sera unelecture spectacle d’une durée d’une heure. AvecGérald Dumont (comédien et metteur en scène) etMarika Bret (DRH de Charlie) qui sont les respon-sables. Nous, on travaille beaucoup sur les after, onvoudrait que chaque soir soit l’occasion d’un évé-nement – concert, rencontre, débat.

DDV Pourquoi avez-vous pris ce texte ?L.R. Cela m’a paru une évidence citoyenne ! Et cen’est pas un choix artistique : s’il y a bien unendroit où ce texte doit avoir voix au chapitre, c’estlà. Sinon, à quoi sert le théâtre ? Et c’est dans la lo-gique constante de mon parcours : j’ai commencéma carrière à « L’Idiot international » qui a publiéles « Versets sataniques » de Salman Rushdie, etj’ai été le compagnon de route de Jean-EdernHallier. Pour mémoire, « L’Idiot international » estle journal qui a eu le plus de procès !Pour moi, la liberté d’expression est une sorte de

pétition de principe au sens voltairien : on peut nepas être d’accord avec celui qui parle, mais on doitse battre pour lui permettre de le faire.

DDV Plus que des raisons artistiques, il semble que ce soient la peur et la lâcheté qui ontmotivé les refus essuyés par Gérald Dumont.L.R. Oui, mais il faut bien appréhender le choix devie que cela représente. Je viens d’une tradition lit-téraire, celle des mazarinades, des pamphlets, despolémiques – une littérature typiquement française –,qu’il n’est pas question de laisser s’éteindre par autocensure. C’est pourquoi je suis partant sur cetexte, parce que ceux qui nous attaquent comptentsur celle-ci, passé l’effet de sidération que produisentles attentats : c’est là-dessus qu’il faut être vigilantet ne pas renoncer. Alors oui, on a peur, mais il fautcontinuer à vivre, sinon on ne fait plus rien et onn’est plus qui on est. Je n’ai pas acheté le Théâtre deL’Oulle pour faire de l’épicerie, mais pour pouvoircontinuer à être indépendant intellectuellement : lethéâtre doit rester un lieu de subversion possible, oùon peut immédiatement, autour d’un texte, recréerune agora pour que la Cité prenne le temps deréfléchir et de s’interroger. Il ne faut pas y renoncer ! ●

Charb au Théâtre de L’OulleLaurent Rochut, le directeur du Théâtre de L’Oulle, a décidé de produireun arrangement du texte posthume de Charb. Entretien.Propos recueillis par Mano Siri.

Extrait du communiqué de presse Licra suiteaux annulations de la lecture-spectacle à Lille« Non contents d’avoir assassiné Charb, les islamistes voudraient effacer toute tracede son œuvre et nier l’existence de son message. Nous refusons d’obéir à ceuxqui nous enjoignent de mettre les Lumières sous l’éteignoir de leur obscurantisme,et dénonçons ceux qui, consciemment ou pas, leur trouvent des excuses etdes justifi ca tions. La Licra invite l’ensemble des acteurs culturels, universitaireset associatifs, à diffuser l’œuvre de Charb et à faire jouer, partout oùils le pourront, l’adaptation théâtrale de ce texte. C’est ça, “être Charlie”! »

REPÈRES

« Lettre aux escrocsde l’islamophobie quifont le jeu des racistes ». Débat le 16 avecGérald Dumont,Isabelle Kersimon etAbraham Bengioaprès le spectacle.Avignon Off 2017Du 14 au 18 juillet 2017à 23 h 30, au Théâtre de L’Oulle,16-18, rue Joseph-Vernet,Avignon.Tél : 09 74 74 64 90.

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DDV Comment vous est venue l’idée de montercette pièce ?Gérard Gelas. Un metteur en scène m’avait proposéil y a plus d’une vingtaine d’années un texte d’unauteur alors inconnu tout juste arrivé de Roumanie,il s’agissait de Matéi Visniec, qui a été joué auChêne Noir. Nous nous sommes tout de suite trèsbien entendus. Je n’ai pas eu l’ombre d’une hésitationquand j’ai lu « Migraaaants ! »

DDV Qu’est-ce qui vous paraît fort dansla manière dont Visniec aborde cette tragédiedu temps présent ? G.G. Il y a la forme, d’abord. La pièce se présente enune série de scènes qui, toutes, ont un lien avec les mi-grants. Dans l’une d’elles, une famille très simple de

l’Est voit passer sous ses fenêtres ce qu’elle considèrecomme des hordes. Leurs réactions ne sont pas trèstendres : c’est vraiment le choc de deux misères queVisniec traite ici avec beaucoup d’humour. Dans unautre tableau, on est sur un bateau avec un passeur etdes migrants qui vont y laisser leur peau. Dans unautre, on se retrouve dans un cimetière de migrants surune île grecque, beaucoup de migrants noyés et rejetéssur les berges ont été enterrés par un croque-mort quiva presque nous faire sourire par sa simplicité, maisune femme arrive, qui cherche son fils, mort noyé. L’humour noir tutoie la tragédie de très près, c’étaitdonc un pari de metteur en scène. Mais le plus im-portant, c’est le fond de la pièce. L’angle queVisniec a pris pour parler de la question des migrantsconcerne le sale travail des passeurs. Nos pays ne

s’intéressent pas d’assez près aux passeurs. Ce sonteux qui font croire que l’Europe attend les migrants,que l’Occident est un paradis.

DDV Visniec est connu pour manier l’humourdes gens de l’Est avec brio…G.G. Il n’a pas volé sa réputation ! Il y a dans cettepièce de grandes scènes où il se moque des politiques,notamment d’un président de la République imagi-naire, flanqué de son conseiller image… Noussommes en pleine actualité.

DDV Dans la présentation du spectacle, vousévoquez votre monde méditerranéen…G.G. Mes origines sont italiennes. Dans mon village,à quelques kilomètres d’Avignon, 80 % des habitantssont d’origine italienne, ce qui n’a pas empêché55 % d’entre eux de voter FN. J’ai des copains ma-ghrébins qui votent aussi FN, pour que leurs enfantsse tiennent droit. Que de contradictions ! Mongrand-père était clandestin, il a franchi les Alpes denuit avec mon oncle. Ils fuyaient Mussolini et ilsfuyaient la misère. Ils étaient bûcherons et venaientchercher du travail.

DDV Pourquoi écrivez-vous que les sept comé -diens du spectacle savent pourquoi vous avezmonté ensemble cette pièce et pas une autre ?

G.G. Avec une pièce comme celle de Visniec, on està chaud, on est directement sur l’événement. Ce quim’intéresse, dans le fond, c’est la pensée camusienne,cet humanisme de la révolte qui n’a strictement rienà voir avec Mélenchon et consorts. Je suis passé parl’anarchisme, mais je m’intéresse aujourd’hui plus àceux qui sont dans le positif, qui peuvent permettred’améliorer les choses, et si possible nous défairedes oripeaux des vieilles idéologies qui nous font ra-doter… Quand on voit qu’au lendemain de l’électionprésidentielle, certains écrivent « On pendra le ban-quier ! », je me dis qu’il y a vraiment une France quine veut pas évoluer. Mon monde n’est pas plus celuidu capitalisme financier et des courbes de croissance,mais cela ne me raccroche pas pour autant aux idéo-logues qui agitent toujours de vieilles lunes. ●

“Migraaaants”, tragédie du temps présent

Au Chêne Noir, le metteur en scène Gérard Gelas donne vieà la pièce de Matéi Visniec, qu’il fut l’un des tout premiers

à accueillir à ses débuts en France, il y a plus de vingt ans.Propos recueillis par Karen Benchetrit.

REPÈRES

« Migraaaants »,de Matéi VisniecCoproduction Compagnie Clin d’Œil etThéâtre du Chêne Noir.Du 7 au 30 juillet. Une avant-première a eu lieu en novembredernier à la Maisonpour tous de Champfleury.

Gérard Gelas,Auteur et metteur en scène,Gérard Gelas a fait sonpremier spectacle dansun bar d’Avignon en 1966.Directeur du Chêne Noirdepuis sa création, il a signé plus de70 mises en scène.

Matéi Visniec,né sous Ceaucescu, futpoussé à s’exiler en1987.Traduit et mis en scènedans une quarantainede pays. Il est l’auteurdramatique le plus jouéen Rou manie depuisla chute du communisme, et l’un des plus portésà la scène en France.

Spectacle« Migraaaants »,de Matéi Visniec.

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DDV D’aucuns s’interrogent. Changement ?Continuité ? Changement dans la continuité ?Quelles sont vos priorités ?Pierre Beffeyte. Le Off ne peut pas intervenir artis-tiquement sur les choix des compagnies. Certainsthéâtres travaillent bien, d’autres non, certainescompagnies appliquent la loi du travail, d’autresnon. Nous ne sommes pas là pour la faire appliquer,mais nous pouvons encadrer.

DDV La baisse des financements publicsfragilise les compagnies ; les « seul en scène »et les compagnies éphémères se multiplient.Comment échapper à la privatisation dela culture ?P.B. Par une plus grande participation des pouvoirspublics. Le financement vient d’Avignon, du Off etdu public. La mise en place d’un fonds professionnelde 150 000 euros, permettra une aide de 1 000 eurosaprès évaluation du projet d’une compagnie res-pectueuse des droits du travail. La transparencedes comptes s’impose avec un audit annuel et uncommissaire au compte. La Mairie d’Avignon est entrée au conseil d’admi-nistration, je souhaite que la Région, l’Etat et leDépartement y entrent également. Avoir, au sein duconseil d’administration, des organismes profes-sionnels tels que le CNV(2), la Sacem(3), la Sacd, laSpedidam… peut donner au Off une reconnaissanceprofessionnelle, institutionnelle. Aider les compagniesdirectement, alléger les charges permettrait deréduire leurs coûts. De plus, pendant le Festival,une formation des intermittents à la gestion et audroit du travail sera financée par l’Afdas(4) pour lesartistes sélectionnés.

DDV Vous souhaitez que le Off prenne encompte les enjeux énergétiques et environne -mentaux, jusqu’à devenir un éco-festival.Par quels moyens ?P.B. Par la distribution des programmes par triporteurs,la mutualisation des affiches et leur récupérationafin de recycler le papier, l’impression de nos do-cuments de communication sur papier recyclé.

DDV Allez-vous harmoniser les dates du In et du Off ?P.B. Ils n’ont pas les mêmes contraintes. Si le Offest trop court, les compagnies ont du mal à s’y re-trouver financièrement. Cependant, nous progres-sons… In et Off ne se regardent plus en chien defaïence.

DDV Vous êtes co-initiateur de la premièreapplication gratuite de bouche à oreille pourles festivaliers, « To See or not to See »(sur Apple Store et Playstore), encore au stadeexpérimental. Il s’agit de donner des notesaux spectacles. On pense aux avis surles hôtels… Le numérique peut-il amenerde nouveaux publics ? P.B. Le principe des notes satisfait plus les internautesque les artistes. Mais un touriste mal informé va aumusée plutôt qu’au spectacle.Pour inverser la tendance, il faut référencer l’offreculturelle sur le territoire en étendant l’initiative decette application à la région Paca, afin que chacun,où qu’il soit, filtre les infos en fonction de sescritères.

DDV Pourquoi passez-vous tant de tempsà faire tout cela ? P.B. Toute personne qui vient au Festival pour lapremière fois en ressort satisfaite, elle y trouveune diversité artistique unique au monde. Ce quela culture arrive à amorcer chez l’humain… c’est magique. ●

1. Le Festival In est lefestival officiel, sur lequels’est greffé le Off,qui compte plus de millespectacles.2. Le CNV (Centre nationaldes variétés) gère la taxesur les spectacles devariétés et la reverse auxentreprises de spectacles.La société civile Spedidamgère et fait respecterles droits des artistes-interprètes en casd’utilisation secondairedes enregistrements. 3. La Sacem (Sociétédes auteurs, compositeurset éditeurs de musique)et la Sacd (Société desauteurs et compositeursdramatiques) perçoiventet répartissent les droitsd’auteur pour leursayants droit. 4. L’Afdas collecteles cotisations des artisteset finance la formationcontinue des salariésd’entreprise et desintermittents.

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M. le président du“plus grand théâtre deFrance”, quoi de neuf ?Rencontre avec Pierre Beffeyte, chaleureux successeurde Raymond Yana à la présidence du festival Off(1)

(Avignon Festival & Compagnies).Propos recueillis par Evelyne Sellés-Fischer.

REPÈRES

Pierre BeffeyteMembre du Syndicat nationaldes entrepreneurs despectacles, Pierre Beffeyteest producteur pourScène & Public et directeurartistique du théâtreLes Trois Soleils.

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Soucieux d’encourager les« bonnes pratiques » et un

« engagement citoyen » vérita-ble, le FondaCtion du Football(1)

a demandé à la Licra d’intervenirà ses côtés dans la formation desjeunes footballeurs, pour travail-ler ensemble à l’éradication de lahaine sur la pelouse comme dansles tribunes.

LA LICRA-FÉCAMP SUR LE TERRAIN

Partenaire de cette éducation aurespect de l’autre et des valeursrépublicaines, la Licra-Fécamp aété invitée, le 10 mai dernier, parle Centre de formation du stadeMalherbe (CFSM) de Caen, àrencontrer quelque vingt-cinqfootballeurs en herbe qui fré-quentent l’établissement. Si les centres de formation onttoujours transformé les jeunesqui y sont recrutés, après une sé-lection drastique, en sportifs ta-lentueux et cultivés, ils doiventplus que jamais veiller à ce qu’ilsdeviennent aussi des hommes auxvaleurs inébranlables et au com-portement exemplaire.

Ensemble, Licra-Fécamp et élèvesont donc conduit un dialogueconstructif sur le thème « Sportet racisme ». Après avoir présenté la Licra, sesorigines, les étapes marquantesde son histoire au siècle dernieret ses engagements actuels, lesintervenants de la Licra-Fécampont proposé aux élèves de réagirà plusieurs courts métrages met-tant en scène des situations deracisme avéré.

LES ODIEUX DU STADE

Les élèves savent que le fléaud’un racisme ordinaire pollue lesstades, côté joueurs comme côtésupporters, avec son cortèged’insul tes gratuites, de gestes pro-vocateurs, de banderoles igno-minieuses(2). Et cela, ils le rejettent,car « la couleur de la peau, c’estcomme la couleur du maillot, çase respecte ». Au travers des situations évoquées,ces jeunes ont compris, entre au-tres, que l’échelle des valeursn’est pas la même selon que l’onest acteur ou victime : l’acteurbanalise ses actes et essaie de les

minimiser, alors même que savictime, attaquée sans raison, doitfaire face, panser ses blessures,voire se reconstruire. Ils ont com-pris aussi qu’il ne faut pas hésiterà saisir la justice pour que le ra-cisme ne reste jamais impuni(3).

LE CODE DU SPORTIF

Quelques entretiens filmés avecdes joueurs vedettes ont ensuitepermis de rappeler les valeursfondatrices du code du sportif :le respect des règles, des décisionsde l’arbitre, des adversaires etpartenaires, le refus de la violenceet de la tricherie, la maîtrise desoi, la loyauté, l’exemplarité. Les élèves du CFSM ontconscience que c’est ici et main-tenant qu’ils doivent saisir leurchance de devenir des Diarra,Gallas ou Zubar(4), des joueursnationaux ou internationaux, issusde ce stade prestigieux auquelleurs aînés font honneur. A euxde relever le défi.Dans ce cadre superbe aux ins-tallations de pointe, ils se sontengagés à ne rien laisser passer,à ne rien banaliser, à être vigilantsface à toutes les formes insidieusesque peut prendre le racisme.Ils sont l’image même d’une di-versité soudée par un objectifcommun, une microsociété qu’illeur appartiendra de perpétuer enidéal de vie.

RENCONTRE EN NOCTURNE

Durant cette rencontre, l’ambianceétait chaleureuse, les élèves poliset volontaires ; fiers de leur Cen-tre, ils ont offert aux animateursde la Licra-Fécamp casquettes,T-shirts et stylos aux couleurs duCFSM. Tous se sont retrouvés en fin dejournée pour partager le dîner,avant de se muer en spectateursou supporters, l’espace d’une mi-temps amicale !La Licra-Fécamp a été invitée àrevenir, et les élèves ont regagnéle centre, avec, ancrée au fondd’eux-mêmes, la conviction quele fair-play et le respect seront leurpriorité s’ils veulent à l’avenir in-carner les valeurs qui font les vraissportifs… et les belles personnes. ●

1. Financé par la Fédéra -tion française de footballet des fonds privés,le FondaCtion du Footballse donne pour objectifsde « développer desactions innovantes visantà promouvoir une visioncitoyenne du football,d’en rappeler les vertuséducatives, et d’encoura -ger l’innovation socialeet l’intégration dudévelop pe ment durabledans le football ».www.fondactiondufootball.com2. Par exemple, MarioBalotelli, joueur de Nice,accablé de cris racisteset bruits de singe duranttout un match à Furiani (Bastia, Corse). 3. La Licra propose sonaide aux victimes deracisme, d’antisémitismeet de discrimination. Tél. : 01 45 08 08 [email protected]. Joueurs de renomméeinternationale qui ontété élèves au Centrede formation du stadeMalherbe.

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Carton vert, les jeunes !A Caen, la Licra-Fécamp a rencontré des footballeursen herbe du centre de formation du stade Malherbe.L’enjeu : lutter contre la haine sur la pelouse commedans les tribunes.Mireille Quivy.

Au centrede formationdu StadeMalherbede Caen.

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I N T E R N A T I O N A L

Droits des femmes et des ho-mosexuels bafoués, impunité

des forces de sécurité, torture, re-présailles contre les ONG : unerésolution du Conseil de l’Europedénonce une « persécution àgrande échelle, orchestrée parl’Etat, d’un groupe ciblé en rai-son de ses orientations sexuel -les ». « La situation […] demeurel’une des plus graves de l’espacegéographique du Conseil de l’Eu-rope », dénonce le texte adopté le25 avril dernier par cette assem-blée qui réunit des parlementairesdes 47 Etats mem bres.

L’HOMOSEXUALITÉ : UN CRIME PASSIBLEDE MORT...

Fin mars, une enquête du journalindépendant « Novaïa Gazeta »avait révélé que les homosexuelsétaient devenus la cible des au-torités en Tchétchénie. Dans cettesociété conservatrice, l’homo-sexualité, considérée comme untabou, est un crime passible demort. Selon le journal, plus de100 homosexuels ont été arrêtéset sont détenus dans des « prisonssecrètes » de la République, no-tamment dans la ville d’Argoun,non loin de Grozny. Ils sont tor-turés pour obtenir le nom d’autreshomosexuels de leur entourage,puis rendus à leurs familles for-tement incitées à les tuer pour« laver leur honneur ». Cette vague de répression feraitsuite à une tentative, début mars,par des militants de la commu-nauté LGBT (Lesbiennes, gays,bisexuels et trans) d’organiser des

gay prides dans plusieurs villesdu Caucase du Nord. « C’est àpartir de ce moment que futdonné l’ordre d’entreprendre un“nettoyage préventif”, qui abou-tit à de véritables meurtres », déclare le journal.

QUAND UNE “RELIGION”EST AUX COMMANDES...

Sous la main de fer d’un leaderpro-russe, « la Tchétchénie estpratiquement devenue une Répu-blique islamiste », écrivait déjà lejournaliste Frédérick Lavoie en2010. Ramzan Kadyrov décla reen effet que si les lois russes sontrespectées en Tchétchénie, pourlui, musulman, « il n’y a rien quiprévaut sur la religion ». Sonporte-parole récuse toute arres-tation d’homosexuels : « Cheznous, les homosexuels n’existentpas », déclare-t-il. R. Kadyrov impose aussi depuisplusieurs années un code vesti-mentaire et comportemental pourles femmes, il autorise la poly-gamie, les mariages forcés, et faitmontre de tolérance vis-à-vis descrimes d’honneur. Il précise que« la femme doit être un bien. Etl’homme le propriétaire. […] Se-lon nos coutumes, si une femmea un comportement dissolu, lesproches la tuent ».

UN BLANC-SEING TOTALDE MOSCOU

Selon Aude Merlin, chercheuseau Cévipol (Centre d’étude de lavie politique à l’Université librede Bruxelles), cette répressionn’est pas surprenante « compte

tenu de l’emprise de contrôle po-litique total à laquelle se livreR. Kadyrov » dans un contextede « retraditionalisation » de lasociété tchétchène, de l’hypertro-phie et de l’hypermilitarisationdes forces de l’ordre attestées parplusieurs ONG. R. Kadyrov, nommé Président dela Tchétchénie par Vladimir Pou-tine en 2007 pour tenir la popu-lation tchétchène loin de ses velléités indépendantistes, a reçuun blanc-seing total de la part deMoscou en termes d’exercice dela coercition et de la violence. Rappelons que ce Président était,en janvier 2015, à la tête d’unemanifestation anti-Charlie àGrozny, réunissant 800 000 per-sonnes (sur 1,2 million d’habi-tants, dont 90 % de musulmans).Il déclara alors que c’était unemanifestation « contre ceux quiinsultent la religion musul-mane », attestant ainsi de sa volonté de devenir le leader desmusulmans en Russie. ●

Asile politique en FranceLa France se dit « prête à examiner les demandes de visaà caractère humani taire » de personnes homosexuelles victimesde persécutions en Tchétchénie, a indiqué dans un communiqué,lundi 15 mai, le ministère des Affaires étrangères.

Tchétchénie :crimes d’honneur

et homophobieLe Conseil de l’Europe dénonce la situation des droitsde l’homme en Tchétchénie, où massacres et tortures

d’homosexuels défraient la chronique. Alexandra Demarigny.

RÉACTIONS

Pétition en ligneUne pétition en ligne pourréclamer une enquête « sur les massacres ettortures d’homosexuelsen Tchétchénie » a recueillià ce jour près de 500 000 signatures.

Injonction allemandeLe 2 mai, la chancelièreallemande Angela Merkel ademandé à Vladimir Poutined’user de son « influence »pour que les homosexuelssoient respectésen Tchétchénie.

La botteécrase

le drapeauLGBT.

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C H R O N I Q U E D E L A H A I N E

Le 11 mai 1987, Klaus Barbie,ancien chef de la Gestapo de

Lyon, 74 ans, comparaissait de-vant la cour d’assises de Lyonpour crime contre l’humanité. Unprocès inédit, qui dura 37 jours. Devant l’importance de l’événe-ment, le garde des Sceaux RobertBadinter autorisa pour la premièrefois l’enregistrement de l’inté-gralité du procès. Les cassettesfurent mises sous scellés. On peutles visionner jusqu’au 17 octobreau Mémorial de la Shoah, dansle cadre d’une exposition histo-rique et pédagogique consacréeau procès.Les pièces rassemblées par lacommissaire de l’exposition, Do-minique Missika, sont variées,alliant documents rares – le fa-

meux « télégramme d’Izieu » –,affiches et extraits de films.Quarante-trois ans après les faits,Barbie était poursuivi notammentpour trois chefs d’accusation :la rafle au siège de l’Union gé-nérale des israélites de France(9 février 1943) ; la déportationdes 44 enfants juifs d’Izieu, dansl’Ain, avec cinq adultes (6 avril1944) ; et le dernier convoi de650 déportés (11 août 1944). Ces trois crimes, restés jusque-làignorés, étaient susceptibles d’êtrequalifiés de crimes contre l’hu-manité, donc « imprescriptiblespar nature ». Cette formule a étéconsacrée par la chambre crimi-nelle de la Cour de cassationdans son arrêt du 20 décembre1985. Malgré l’impressionnant dossierrassemblé par le couple Klarsfeld,la défense, assurée par JacquesVergès, niait la responsabilité deson client. L’ancien tortionnaire,surnommé « le boucher de Lyon »,affirmait n’avoir aucun souvenirdes faits et ignorer le sort des dé-portés, prétendant n’avoir étéqu’un simple exécutant. Tout l’enjeu consistait donc àrendre irréfutable sa responsabilité

personnelle. Des survivants vin-rent témoigner, racontant lesséances de torture atroces et lesexécutions dans la cour de la pri-son, soulevant une intense émo-tion dans la salle. Barbie resta deglace. Cependant des rapports si-gnés de sa main furent détermi-nants, notamment un télex qu’ilavait signé et envoyé à Paris, lesoir du 6 avril 1944, à 20 h 10,dans lequel il annonçait la raflede la colonie d’Izieu, dénombraitles occupants arrêtés et annonçaitleur transport à Drancy pour lelendemain. Tous les enfants furentgazés dès leur arrivée à Aus-chwitz.

L’ARRESTATION DE JEAN MOULIN

Pour l’opinion publique, Barbieétait celui qui avait arrêté JeanMoulin à Caluire, le 21 juin 1943,et l’avait torturé à mort. Me Ver-gès promettait des révélations« pénibles » sur celui qui avait« livré » l’émissaire de De Gaulle.

LES 44 ENFANTS JUIFS D’IZIEU

Mais finalement, ce fut bien ladéportation de ces 44 enfants juifsd’Izieu, dont on découvrait enquelque sorte l’existence, qui futla révélation du procès. Depuismars 1943, cette ancienne coloniede vacances servait de refuge àdes enfants de tout âge et de touthorizon, que Sabine Zlatin avaitréussi à arracher aux camps d’in-ternement d’Agde et de Rive-saltes. Le 6 avril 1944, premierjour des vacances de Pâques, tousles enfants étaient présents au re-fuge. Avant le petit déjeuner, undétachement de la Wehrmachtsurgit dans deux camions.Pendant près de deux mois, Lyonse trouva confronté à son passéet placé au centre de l’actualitémondiale. Chaque soir, l’ouverturedu procès était retransmise enEurovision, et chaque jour, lapresse mondiale s’en faisaitl’écho. Aujourd’hui, l’auguste pa-lais de justice, construit par Bal-tard et appelé familièrement « les24 colonnes », se confond dansla mémoire des Lyonnais avecce procès hors norme. ●

Le procès Barbie,30 ans déjà...Le Mémorial de la Shoah, à Paris, propose uneexposition historique et pédagogique sur le premierprocès en France pour crime contre l’humanité.Edith Ochs.

« Les enfants d’Izieu, justice et mémoire »L’arrestation des 44 enfants d’Izieu a permis de condamnerBarbie, puisque toutes les autres atrocités qu’il avait commisesétaient prescrites. Le 14 mai, à l’occasion des 30 ans du procès,la Maison d’Izieu, mémorial des enfants juifs exterminés,organisait une journée exceptionnelle, « Les enfants d’Izieu,justice et mémoire ». On peut visionner les débats passionnantsqui ont réuni historiens, juristes et militants :http://www.pole-tv.com/memorializieu/live.htmlAbraham Bengio

REPÈRES

Exposition consacrée au procès BarbieMémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l’Asnier, Paris 4e, M° St-Paul ou Hôtel-de-Ville. Tél. : 01 42 77 44 72.Tlj. sf. le sam., de 10 h à 18 h, le jeudi de 10 h à 22 h.Jusqu’au 17 octobre.www.memorialdelashoah.org

POUR ENSAVOIR PLUS

Le blog d’AlainJakubowiczalainjakubowicz.fr« Le procès Barbie trente ans après ».

Melville à LyonJean-Pierre Melville a portéà l’écran « L’Armée desombres », un roman écritpar Joseph Kessel en 1943,et qui met en scèneles principaux héros de la Résistance lyonnaise.Certaines séquences ont ététournées à Lyon, dans leslocaux de l’école de santémilitaire, où Barbie officiait.

LES AUTRESPROCÈS

Touvier, Papon, BrunnerTrois autres procès pourcrimes contre l’humanitéont eu lieu en France :Paul Touvier, seul condamnéfrançais pour ce type de crime(1992) ; Maurice Papon,devant la cour d’assisesde Gironde (1997) ;Alois Brunner, condamnépar contumace (2001).

Serge Klarsfeld et Alain Jakubowicz, avocats des parties civiles,répondent aux questions des journalistes. On peut lire un récitdu procès dans le blog d’Alain Jakubowicz.

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35JUILLET 2017

Ya-t-il eu, en période électo-rale, une volonté dans l’appa -

reil d’Etat et la presse de cacherle caractère antisémite de l’assas-sinat par défenestration de SarahHalimi, le 4 avril, dans le 11e ar-rondissement de Paris, pour nepas donner du grain à moudreaux partisans d’une politique plusmusclée contre l’islamisme ?C’est ce que pensent des milliersd’internautes gravitant autour dela « judéosphère ».

PRUDENTE RÉSERVE

La réalité est plus simple. FrançoisMolins, procureur de la Répu-blique de Paris, a indiqué auxresponsables de la communautéjuive, reçus à leur demande,qu’aucun indice n’était suffisantpour qualifier l’homicide d’anti-sémite à ce stade de l’enquête. Le silence médiatique dénoncénotamment par le Consistoire,qui représente le culte israélite(la victime, sexagénaire, a long-temps dirigé une crèche ultraor-thodoxe et fréquentait assidûmentla synagogue), ne procède pasd’une intention de nuire, mais

vise à conserver la prudente ré-serve habituelle en pareil cas.

MARCHE BLANCHE

En même temps, les manifestantsqui ont participé, le 11 avril, àune marche blanche devant ledomicile de Sarah Halimi pourhonorer sa mémoire étaient touspersuadés du caractère antijuifde l’assassinat. Des témoignagesconcordants démontrent qu’ellen’a pas été défenestrée tout desuite : elle aurait subi des actesde torture, selon un rapport depolice encore confidentiel maisauquel nous avons eu accès. Deshabitants ont nettement entendule cri « Allahou akbar » (« Dieuest grand », en arabe) dans labouche du tueur, qui récitait, sem-ble-t-il, des sourates du Coranau moment des faits. Cela dit, ce musulman malien de27 ans a un lourd passé de délin-quant, mais c’est surtout un ma-lade mental, aussitôt interné aprèsle meurtre. Dans la nuit du 3 au4 avril, il s’est violemment disputéen famille. Voisin de Sarah Halimi,il n’a pas pénétré chez elle en

première intention mais, fou derage et visiblement pressé d’endécoudre, s’est introduit dans unautre appartement, dont les oc-cupants se seraient barricadéspour éviter les coups. Il a sautéensuite sur le balcon contigu,celui de sa victime, qu’il a battue,puis jetée au-dehors. A-t-il choisila suppliciée « par hasard », sanspréméditation et dans un accèsde folie, ou voulait-il sciemmentla tuer du fait de sa religion ?

LA POSITION DU CRIFPour la famille de la défunte, ledoute est exclu. Le Crif a tenté,dans les jours qui ont suivi ledrame, de calmer les esprits, égre-nant dans un communiqué la listedes prétendus « témoignages in-dubitables » dont on a établi peuà peu le caractère fallacieux, etdemandant à chacun d’attendreles conclusions de l’enquête. Maisil s’est finalement porté partie ci-vile, aux côtés du Consistoire, lathèse antisémite prenant davantagede consistance au fil des jours.Quoi qu’il en soit, les leaderscommunautaires ont unanimementrappelé qu’un djihadiste est « pardéfinition » atteint de troublesmentaux. A leur sens, ces troublesne sauraient exonérer la gravitéd’un assassinat sauvage qui res-semble bien à une attaque terro-riste, certes improvisée, mais as-sortie de prières musulmanes ren-forçant les pires soupçons. ●

L’affaire Sarah Halimi :un meurtre antisémitequi ne dit pas son nomCette juive pratiquante a été défenestrée de son appartement par un musulman« déséquilibré ». Le mobile djihadiste n’étant toujours pas reconnu,les médias n’ont guère évoqué le drame. Des juifs de France ont légitimementcrié à la désinformation.Raphaël Roze.

TÉMOIGNAGE

Le frère de Sarah Halimi,William Attal, a déclaré auxenquêteurs que le meurtriertraitait régulièrementsa sœur de « sale juive »lorsqu’il la croisait dans l’immeuble. Elle était « apeurée par ce voisinage », a-t-il dit.Un témoignageinsuffisamment étayé,pour l’instant, aux yeuxdes policiers.

« TOUTELA VÉRITÉ »

17 intellectuels II y a quelques jours, Alain Finkielkraut, MichelOnfray, Jacques Julliard,Elisabeth Badinter, MarcelGauchet et une douzained’autres ont demandé quela vérité soit faite sur lemeurtre de Sarah Halimi. « Tout laisse penser, dansce crime, que le déni du réela encore frappé. »Déplorant le manquede médiatisation de l’affaire,les auteurs du textedemandent que « la politiquede l’autruche cesse »… « Pour Sarah et sa famille,mais aussi pour la France. »

« POUR DES MILLIERS D’INTERNAUTES GRAVITANT AUTOURDE LA “JUDÉOSPHÈRE”, LE SILENCE MÉDIATIQUE QUI ENTOURECET ASSASSINAT EST VOLONTAIRE, ET D’ORDRE ÉLECTORALISTE. »

Marcheblanche

à la mémoirede Lucie Sarah

Halimi,à Paris,

le 9 avril 2017.

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C H R O N I Q U E D E L A H A I N E

La mort de M. Liu Shaoyao faitsuite à une série de violences

et à un sentiment d’insécuritégrandissant dans ce qu’on appellesouvent la « communauté chi-noise ». En France : l’agressionmortelle de Chaolin Zhang à Au-bervilliers, décédé le 12 août2016, en fut la prémisse(1).Ce nouveau décès d’un ressor-tissant chinois installé depuis plusde trente ans en France fait res-sortir un malaise grandissant ausein d’une « communauté » ré-putée discrète, intégrée, bien qu’unpeu secrète. Serait-ce là l’originedu malaise et du curieux traite-ment médiatique de cette affairemortelle ? Ou s’agit-il d’un ra-cisme endémique, inconscientparce que peu questionné, quiviserait les Chinois de France ?

RETOUR SUR LES FAITS

D’abord la dépêche AFP, laco-nique, qui tombe le 26 mars der-nier : « Policier blessé à l’arme

blanche lors d’une intervention,l’agresseur tué. » Pas de nom.« L’agresseur », véritable victimede cette intervention policière,sera d’abord « un Chinois », sansplus d’identité, avant de recouvrerenfin son nom : Liu Shaoyao.Très vite, deux versions s’affron-tent : celle des policiers et cellede la famille.La Brigade anticriminalité (BAC)intervient dans une cité de la rueCurial suite à un appel du voisi-nage faisant état de cris.Les sources policières parlentd’un « différend familial », termerécusé par la famille qui soulignequ’il s’agissait d’un dimanchecomme les autres, et que LiuShaoyao était dans la cuisinequand on a sonné à la porte. Pourquoi M. Liu Shaoyao n’a-t-il pas ouvert ? Il semblerait quela porte soit restée close volon-tairement – des voisins, d’originechinoise également, préciserontque, dans les circonstances ac-tuelles de violences récurrentesenvers les Asiatiques, on n’ouvrepas volontiers sa porte à des étran-gers que l’on aperçoit à traversl’œilleton et ne se présentent pas.Ajoutons que M. Liu Shaoyaoétait connu pour parler mal etpeu le français, et qu’il peut trèsbien ne pas avoir compris à qui ilavait affaire. Les policiers indi-quent qu’ils portaient un brassard. La porte est forcée et, selon laversion policière, un homme se

précipite, armé d’une paire de ci-seaux, sur l’un des policiers et luiporte un coup qui aurait ripé surson gilet pare-balles avant de leblesser légèrement. Un collègueriposte alors en tirant une seuleballe : « l’agresseur » est atteinten plein cœur et meurt sur le coup. Version récusée par la famille etses avocats, indiquant que siM. Liu Shaoyao avait des ciseauxà la main, c’est qu’il coupait dupoisson dans la cuisine. La policeévoque la légitime défense ; lafamille, quant à elle, maintientque les policiers ont abattu sanssommation la victime.

DES QUESTIONS SANS RÉPONSE

Si une enquête a été ouverte ausein de la police sur les circons-tances de ce qui ressemble fort àune bavure, les résultats semblentse faire attendre. Pourquoi le policier n’a-t-il pastiré dans les jambes de l’hommeprésenté comme « l’agresseur » ?Pourquoi ce dernier n’a-t-il pasété simplement neutralisé ? La colère, qui a engendré de nom-breuses manifestations culminantdans un rassemblement de plusde 6 000 personnes, place de laRépublique, le dimanche 2 avril,est grande. Et l’incompréhension demeureface à des violences policièresqui paraissent disproportionnéeset… suspectes. ●

Mort suspectede Liu Shaoyao

Plus de trois mois après la mort de M. Liu Shaoyao,tué par des policiers de la Brigade anti-criminalité (BAC)

à son domicile parisien du 19e arrondissement,l’affaire est-elle vouée à l’oubli ?

Mano Siri.

RAPPEL

M. Chaolin ZhangLa mobilisation conséquentedes Chinois de Paris suite à l’agression mortelle de Chaolin Zhang,un couturier de 49 ans,par trois adolescents,à Aubervilliers(Seine-Saint-Denis),fut hélas peu soutenuepar les organisationsdes droits de l’homme. Certaines y allèrent d’un communiqué minimum, mais les Chinois furent trop seuls dans la rue.

« SI UNE ENQUÊTE A ÉTÉOUVERTE AU SEIN DELA POLICE SUR LESCIRCONSTANCES DECE QUI RESSEMBLE FORTÀ UNE BAVURE, LESRÉSULTATS SEMBLENTSE FAIRE ATTENDRE. »

Place de la République,le 2 avril 2017,la femme de Liu Shaoyaocrie son désespoir aprèsla mort de son mari,tué lors d’une interventionde la police à son domicile.

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37JUILLET 2017

C U L T U R E L I V R E S

Pour les auteurs de « Céline,la race, le Juif », l’écrivain a

su s’adapter aux demandes dulecteur, se mettre à l’écoute deson public pour viser au succès.La question de fond ne reçoit aucune réponse réellement sa -tisfaisante. Mais Pierre-AndréTaguieff et Annick Duraffour apportent du neuf sur au moinstrois points essentiels.

RÉSEAUX PRONAZIS

Ils mettent en lumière les contactsde Céline avec les réseaux pro-nazis du Welt-Dienst, l’agencede presse pronazie qui fournissaiten matériaux divers les profes-sionnels français de l’antisémi-tisme : Louis Coston, Darquierde Pellepoix ou Henri-Robert Pe-tit, ami et documentaliste de Cé-line pour les pamphlets. Céline aété informé de l’exterminationdes juifs dans l’été 1942. Il avaitaffirmé à Jünger, en décembre1941, combien il était surpris que

les Allemands ne pendent ni n’ex-terminent les juifs. Céline parti-cipait à des meetings nazis etpouvait dénoncer des adversairesde l’Allemagne, comme il le fitavec le docteur haïtien Hogarth,afin de prendre sa place en 1940au dispensaire de Bezons, maisaussi avec Robert Desnos ouSerge Lifar, brocardés dans lapresse.Sur la base des auditions de Kno-chen, chef de la police allemandeen France, on peut dire que Célinefut un agent de renseignementde la police allemande, collaborantvolontairement avec les nazis.

VICTIMISATION

Si la trilogie allemande (« D’unchâteau l’autre », « Nord », et« Rigodon ») est considérée parPhilippe Sollers comme une « hal-lucination géniale », nos deuxauteurs précisent que tout se passelors des bombardements des villesallemandes par les Alliés, et que

c’est une façon d’accuser les Al-liés, et par conséquent de mini-miser les crimes du IIIe Reich.Dans ces livres jamais dénoncés,Céline pose à la victime, au géniesolitaire et incompris, alors queson antisémitisme se prolonge ets’approfondit.

SÉLECTION ET PURIFICATION

Les pamphlets sont inséparable-ment anticommunistes, antisé-mites et antimaçonniques.Les juifs seraient les ennemis del’émotivité aryenne, et leur ob-jectif serait de remplacer l’émotionaryenne par le tam-tam nègre.On trouve dans « L’Ecole des ca-davres » l’obsession de la sélec-tion et de la purification. Depuis le bon livre d’Alice Kaplan,« Relevé des sources et cita tionsde “Bagatelles pour un massa-cre”(1) », on n’avait pas désosséavec une telle précision les pam-phlets et la correspondance. ●

Ce nouveau (gros : 1 174 pages)livre de Pierre-André Taguieff,

écrit ici en collaboration avec An-nick Duraffour, spécialiste desrapports entre littérature et poli-tique, poursuit un nouvel aspectde l’œuvre de Taguieff. Il ne

s’agit plus seulement d’invento-rier les types idéaux du racismeet de l’antijudaïsme présents dansla modernité, mais de centrer laréflexion sur l’œuvre de Céline,comme elle s’était confrontée, ily a peu, à Wagner.

Chez Céline il y a les romansd’avant-guerre – « Voyage au boutde la nuit », 1932, « Mort à cré-dit », 1936 –, les pamphlets– « Bagatelles pour un massa-cre », 1938, « L’Ecole des cada-vres », 1938, « Les Beaux Draps »1941 ; et puis tout le reste, la tri-logie allemande notamment,« D’un château l’autre »,« Nord », « Rigodon », et les pu-blications posthumes.

QUOI QU’IL EN SOIT DE L’ÉCRITURE...

Le Céline immense, simplifie-t-on souvent, est celui des deuxpremiers romans, le reste se perddans l’innommable, l’obscénitéabjecte, la dénégation et la veulerie,

REPÈRES

Pierre-André Taguieff,Annick Duraffour :« Céline, la race, le juif »,Fayard, 2017.

On ne pourra plusexcuser CélineLe travail minutieux d’Annick Duraffour etPierre-André Taguieff fait le partage entre les grandslivres de l’avant-guerre et les pamphlets.Mais ce qui l’emporte, c’est l’antisémitismequi imprègne l’écrivain et l’homme. Alain David.

“Céline, la race, le Juif”, un livre décisifComment le même auteur réussit-il à rédiger les pires pamphlets antisémites et à subvertir la langue en écrivant des livres aussi importants que« Le Voyage au bout de la nuit » et « Mort à crédit » ?Pierre-André Taguieff et Annick Duraffour soulignent trois points essentiels.Antoine Spire.

A LIRE

• Philippe Sollers :« Céline » Edition Ecriture,coll. « Céline & Cie », 2009.• Pierre-André Taguieff :« Wagner contreles Juifs ».Berg international, 2012.

1. Du Lérot Ed. Tusson,1987, 272 p.

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C U L T U R E L I V R E S

quoi qu’il en soit de l’écriture. Mais peut-on faire cette distinc-tion ? Certes on le peut, dans lamesure où les deux premiers ro-mans ne contiendraient pas uneonce d’antisémitisme. Taguieffet Duraffour admettent cela enpartie, et n’oublient pas cependantl’antisémitisme explicite du pre-mier texte de 1927, « L’Eglise ».Cependant, la volumineuse do-cumentation qu’ils déploientdresse un autre tableau, plus exi-geant que celui des autres com-mentateurs. Il ne s’agit plusd’exempter Céline en passant parprofits et pertes l’inacceptable,et pour cela nos auteurs restituentavec une précision documentaireimplacable le climat de l’époque,montrent qu’aussi délétère quece climat ait été, on ne saurait yabsorber l’antisémitisme de Cé-line, lequel est singulier et inex-cusable.

LA VEULERIE DES DÉNÉGATIONS

Pas davantage on ne saurait ignorerl’abjection particulière du Célinecollabo qui, pendant l’Occupation,ne recula pas devant des infamies(les dénonciations, notamment,dans des lettres publiques ou pri-vées ; la recommandation faite àses interlocuteurs allemands demassacrer les Juifs ; et, en contre-partie, la veulerie des dénégationsde la fin de la guerre ou d’après-guerre, dans les lettres, voire déjàdans la trilogie allemande – qu’unPhilippe Sollers considère cepen-dant comme la partie la plus gé-niale de l’œuvre).

LA CRITIQUECÉLINIENNE EN QUESTION

Une conséquence, entre autres,de cette mise en perspective estla sévérité avec laquelle est jugéel’ensemble de la critique céli-nienne. Exemplaires de cette sé-vérité, les reproches qui accablentHenri Godard (l’universitaire au-jourd’hui le plus autorisé quantaux études céliniennes), renvoyantce dernier soit à une complaisancecoupable envers l’antisémitisme,soit à une ignorance consternantedes conditions historiques et cul-turelles qui entouraient celui-ci.Injustice inacceptable !

POURQUOI LIRE ENCORE CÉLINE ?

Une telle sévérité laisse cependanten déshérence une question essen-tielle, qui n’apparaît dans le livrequ’en creux : pourquoi lire Céline ?est-il licite de l’admirer ? Après lelivre de Taguieff et Duraffour, nefaudrait-il pas tout rejeter, avechorreur ? Là-dessus les réponsesde nos deux auteurs restent selonmoi évasives : le style, le renouvel -lement de la langue, etc., admet-tent-ils. Pourtant ces formules,confrontées à tout ce qu’ils mettentsi minutieusement en perspective,peuvent-elles satisfaire ?

INTERROGER LES POINTS DE SUSPENSION…

La vraie question n’est-elle pasplutôt celle-ci : fallait-il que ce

qu’il y a de génial dans l’œuvrede Céline s’abreuve à la sourceempoisonnée de l’antisémitisme ?Car si la dénonciation par Taguieffet Duraffour de l’opposition tropfacile entre l’antisémitisme etl’œuvre est convaincante, et doncsi l’antisémitisme doit coller àl’œuvre – ce que reconnaissentcertains critiques, eux-mêmes au-teurs d’œuvres, tels Sollers, voireModiano dans « La Place del’étoile » (dont je regrette quel’entreprise ne soit pas méditéepar Taguieff et Duraffour) –, c’estalors vers une question très diffi-cile et passionnante qu’il s’agitde se tourner : en quel sens l’an-tisémitisme de Céline (ou, parailleurs, celui de Wagner) va-t-ilau plus près de ce que noussommes ? Cet antisémitisme n’exprime-t-ilpas, jusque dans le caractère inex-cusablement odieux et infinimentdéshonorant qui est le sien chezCéline, quelque chose de l’im-possibilité d’être, cela même quise symbolise (en le disant trèsvite) par les fameux points desuspension de l’écriture céli-nienne, marquant d’irrémédiablesruptures dans la continuité duréel ? Je pense ici à quelques mots queMaurice Blanchot adressa en 1968à Levinas, pour lui expliquer sarupture avec ses amis gauchistesà propos de la question d’Israël,à laquelle ces derniers ne com-prenaient rien : « L’absence d’an-tisémitisme ne suffit nullement. »Phrase que j’éprouve comme in-finiment profonde, qu’il faut mé-diter encore et encore, et ici enparallèle à la lecture de ce dossierhorrifiant, pour ne pas simplementrejeter comme on en aurait à toutinstant la tentation, une œuvrequi cependant nous confronte àce qui épouvante le plus de l’his-toire contemporaine, l’antisémi-tisme avoué ou silencieux quihante notre époque, et dont Céline,dans tous les aspects de ses écrits,donne à percevoir la réalité et ladémesure. A cet égard, le livre de Taguieffet Duraffour, qui l’établit commecela n’a jamais été fait, est d’unelecture indispensable. ●

« DANS TOUS LES ASPECTSDE SES ÉCRITS, CÉLINEDONNE À PERCEVOIR LARÉALITÉ ET LA DÉMESUREDE L’ANTISÉMITISME DENOTRE ÉPOQUE. »

Louis-Ferdinand Céline,en 1947, lors deson exil à Copenhague,au Danemark.

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39JUILLET 2017

Ce livre sur le parcours d’unesurvivante du siècle absolu-

ment engagée dans la vie est bou-leversant. « Les déménagementsont la violence des deuils », sou-ligne la narratrice de « Vie de mavoisine », qui ne s’attend pas àêtre abordée près de l’ascenseurde son nouvel immeuble par unevieille dame, Jenny.

LE MATRICULE DE DE CHARLOTTE DELBO

Elle l’a entendue évoquer à laradio son amie, la poétesse descamps, Charlotte Delbo. Elle luiapporte alors le matricule deDelbo, rencontrée dans les années1850. Delbo qui encourageait àfaire quelque chose de sa vie.Mais c’est la sienne que Jenny,née Eugénie, « celle qui aide àtout bien », entreprend de raconter.A elle d’être « la voix qui re-vient ». Une conversation amicalese déploie, souvent autour d’unthé, laissant au lecteur la douceimpression d’être présent au récitde cette traversée du siècle. Née en France en 1925 de parentspolonais juifs athées, Jenny avaitobtenu la nationalité française àl’âge de 2 ans. Un détail salvateur.Ses parents, Nuchim et RivkaPlocki, vendaient des chaussettessur un marché d’Aubervilliers.Avec son père humaniste, militantet socialiste « indestructible », etcette mère sécurisante qui l’en-courage à étudier, l’enfant estpolitisée très tôt.

Plus tard, elle s’inscrira au PC. Mais avant cela, c’est son enfanceà Vincennes dans les années 1930qu’elle décrit d’abord timidement,avant de relater la montée del’inquiétude de ses parents après1933, mais aussi l’élan enthou-siasmant des congés payés de1936 et les manifestations. « Quelautre moyen ont les gens de faireentendre leur voix muselée ? »,écrit l’auteur.Pour Jenny, l’enfance, c’est aussice voyage en Pologne mal vécu.« Je n’avais jamais pensé quenous étions juifs. J’ai détestél’être. » C’est compréhensible :sa grand-mère parle le yiddish,qui lui est étranger. Et pourquoise faire réprimander pour une lu-mière allumée en plein shabbat ? « Etre juive » prend malheureu-sement sens lorsqu’en 1939, lepère veut partir en Angleterrepour mettre sa famille à l’abri.Sa femme refuse, alors que laguerre est déclarée en septembre.Les premières mesures antijuivessuivent et, en 1940, elles pleuventmême. Jenny retient un mot :« exclus ». Les Plocki devaient-ils se déclarer ? « On se déclaretous » fut la décision la plus « ca-tastrophique de notre vie », estimeJenny. Il y a des pauses dans ce récit in-time, telles des respirations of-fertes avant d’appréhender lasuite…

RETOUR SUR LES LIEUX

Geneviève Brisac alterne aussiprésent et passé, en offrant à sontémoin du siècle de revenir surles lieux de son existence. Lessouvenirs de Jenny, qui voulaitdevenir archéologue, remontent…De son placard elle exhume ainsison étoile jaune, devenue obli-gatoire en mai 1942. Le 16 juillet, le destin de la jeunefille bascule avec la rafle duVel’d’Hiv. Sa famille est arrêtéepar un policier, un ancien voisin.

DEUX HEURES DEVANT SOI

Mais Jenny et son frère ont la na-tionalité française et deux heurespour le prouver. Durant ce breflaps de temps, Rivka lui apprend

à devenir « une femme libre, unefemme indépendante ». A l’imagede Charlotte Delbo. De l’entretiend’une maison aux courses à faire,de l’amour et de la sexualité, deshommes et des enfants, sa mèrelui dit tout dans un condensé devie qui serre le cœur.Jenny ne reverra jamais ses pa-rents. « Toute ma vie, j’ai séparéles gens en deux groupes, dit-elle. […] Il y a ceux qui com-prennent et les autres. »Plus tard, les derniers mots deson père, rédigés en yiddish, luiparviendront. A l’intention de sesenfants, il avait écrit : « Vivez etespérez. »A travers l’existence de cettevieille dame résolument optimiste,Geneviève Brisac dresse aussiun portrait du siècle « cruel »,que nous ne devons pas oublier.Le style délicat de son œuvreémeut. « Vivez et espérez, écrit-elle, c’est plus qu’un testament.Un mantra. »On ne saurait mieux dire. ●

BIO EXPRESSE

Geneviève BrisacNée en 1951 à Paris,Geneviève Brisac a étéenseignante. L’écrivaine,également éditrice, estaussi auteure Jeunesseà L’Ecole des Loisirs. Depuis « Petite »,en 1987,elle a publié de nombreuxromans, dont « Une annéeavec mon père » (2010),« Moi, j’attends de voirpasser un pingouin »(2012), ou « Dans lesyeux des autres » (2014). Elle a reçu le prix Feminaen 1996 pour « Week-endde chasse à la mère ». M. L.

REPÈRES

Geneviève Brisac :« Vie de ma voisine ».Editions L’Olivier.

Lire Charlotte Delbo La trilogie « Auschwitz et après », se compose de trois tomespubliés séparément : – « Aucun de nous ne reviendra » ; – « Une connaissance inutile » ;– « Mesure de nos jours ». Aux éditions de Minuit.M. L.

Voisinedel’HistoireAvec « Vie de mavoisine », la romancièreGeneviève Brisac fait entendre la voixd’une jeune fille néedans les années 1920, dont les parents serontdéportés à Auschwitz. Marina Lemaire.

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C U L T U R E L I V R E S / T H É Â T R E

« J’étais partie sur l’idéed’écrire un livre sur

l’actrice Lauren Bacall. Elle étaitla cousine de Shimon Peres etnous avons pour point commundes origines juives roumaines. Salutte contre le maccarthysmem’intéressait. » Mais c’est l’im-meuble où elle vécut pendantquarante-trois ans qui est finale-ment devenu le personnage prin-cipal de son roman où s’entre-mêlent réel et fiction. « En 1967 », poursuit l’auteur– qui a consacré une partie de sesromans à la condition des juifspendant la guerre(1) –, « un pre-mier portier noir y est entré. Sub-jugué par le lieu, il y subit le re-gard des autres et le racisme.

Celui, bien sûr, insidieux, de ceuxavec qui il travaille. N’oublionspas, rappelle-t-elle, qu’aprèsl’obtention des droits civiques, lajeunesse noire restait révoltée,l’attente était forte. C’est aussiun livre sur les premières fois.Les premiers Noirs à la télévi-sion, par exemple. » Son personnage, Shawn, vient deHarlem. Il sait que la vie est unsport de combat car son meilleurami a été tué devant lui. Au seinde cet immeuble où vivent deriches Américains, il observel’existence de huit New-Yorkaiset d’artistes de passage : LeonardBernstein, Rudolph Noureev,John Lennon et Lauren Bacall,donc, qui lui apportera un peu de

douceur. S’il a conscience d’être« un employé noir juste toléré parcertains », ce préposé au courriers’interroge : « Est-ce mes musclesou ma couleur qui les effraie ? »Le jeune homme, qui fréquentaittrès peu « le monde blanc », trou-vera sa place au cœur d’une dé-cennie foisonnante qu’ArianeBois raconte avec talent. « C’étaitla fin de la guerre du Vietnamet nous avons, hélas, un peu ou-blié cette période d’intense créa-tivité et liberté pour New York »,conclut la roman cière.Bienvenue dans cet immeublemythique. ●

« Nathan le Sage » est la nou-velle création de Domi-

nique Lurcel, auquel on doit aussiun très beau « Primo Levi et Fer-dinando Camon », ainsi que « LeContraire de l’amour, journal deMouloud Feraoun », présents enAvignon en 2015.

UNE JOURNÉE POUR SE COMPRENDRE

1187 : troisième croisade meur-trière où triomphent les fanatismes.Trois hommes – Saladin le mu-sulman, Nathan le juif et un jeuneTemplier – sont contraints à separler suite à la grâce accordéepar Saladin au jeune Templier et

au geste inexplicable de celui-ci– il vient de sauver une jeunejuive, fille de Nathan, lui qui aété élevé dans la haine du « peupledéicide ». Une journée pour secomprendre, bousculer ses pré-jugés et ébranler les identités dechacun des protagonistes de lapièce. Qui est qui ? Et commentdevient-on ce que l’on croit être ?Peut-on se mettre à la place del’autre, dans la peau de l’autre ?

QUESTIONNEMENT SUR UN TAPIS

Le sujet paraît sérieux, gravemême, en prise sur nos propresquestions – celles de la fraternité,

de l’altérité et de l’identité. Il estpourtant mené comme une follecomédie pleine de rebondisse-ments, manière propre aux auteursdu XVIIIe siècle. Tout se passe sur un tapis qui re-couvre un praticable légèrementen pente : c’est là que les rencontreset le dialogue se nouent, commeune urgence face au monde exté-rieur qui menace d’engloutir cetespace fragile de dialogue.Dominique Lurcel, qui travailledepuis de longs mois à cette miseen scène, nous offre ce tempsmagique du théâtre qui, l’espaced’une représentation, peut nousfaire éprouver, sentir avant quede comprendre et de penser, l’ur-gence et la fragilité de la fraternitédans un monde dominé par lesfous de Dieu. Pour lui comme pour Amin Maa-louf, c’est « l’œuvre la plus em-blématique pour ceux qui rêventencore de ramener le monde à laraison ». ●

BlackDakota

Ariane Bois établit leportrait de l’Amérique

des années 1970à travers l’ascension

d’un jeune Noir de Harlemau cœur d’un immeuble

chic, le « Dakota ».« Dakota Song » sonne

juste. Il rappelle lapossibilité d’un ailleurs.

Marina Lemaire.

Pour ramener le monde à la raison« Nathan le Sage », une pièce de Lessing qui bouscule les préjugés racisteset ébranle les identités prétendument ethniques.Mano Siri.

REPÈRES

Ariane Bois :« Dakota Song ».Ed. Belfond. 441p., 20 €.

REPÈRES

« Nathan le Sage », de Lessing, mise en scène par Dominique Lurcel.

Ariane BoisNée à Saint-Mandé en 1961, Ariane Bois est mariée au vice-président du Mémorial de la Shoah, François Heilbronn.Elle est grand reporter et collabore à « Psychologies-Magazine »,à la revue « L’Arche » ou encore au « Salon littéraire ». « Le Gardien de nos frères », publié en 2015, évoque le rôledes dépisteurs, ces résistants partis à la recherche, après-guerre,des enfants juifs cachés devenus orphelins. M. L.

1. Ariane Blois était présente au dernier salon du Livre de la Licra.

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Ariane Bois.

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41JUILLET 2017

C U L T U R E C I N É M A

Exister, c’est donner de la voix.Encore faut-il savoir et pou-

voir prendre la parole pour êtreentendu. Depuis plusieurs an-nées, des étudiants de l’Univer-sité Paris-VIII Saint-Denis parti-cipent à un concours nommé« Eloquentia », dont le but estd’élire le meilleur orateur du 93.Le créateur de ce concours, Sté-phane de Freitas, est l’auteur d’undocument formidable sur la pré-paration des jeunes participants.« A voix haute, la force de la pa-role », donne la voie(x) libre àune jeunesse passionnante et dynamique, loin des clichés ! A l’image d’Eddy, qui supportetout sourire six heures de trajetquotidien : 20 km à pied pouraller à la fac et réaliser son rêve,devenir comédien. De son côté,Elhadj s’est retrouvé dans la rue à15 ans, après un incendie. Pourlui, la parole est « un sport de com-bat. Si j’avais eu les bons mots,j’aurais pu défendre mes idées ».

Aidés d’un avocat, d’un coach vo-cal, d’une metteuse en scène etd’un poète slameur, une trentainede jeunes gens apprennent donc às’exprimer avec conviction. A écrire.A dire. Ils gagnent en confiance,dépassent leurs peurs et s’affrontent.Avec les mots, bien sûr. Des scènes drôles et touchantesémergent de leurs joutes argu-mentées. On écoute aussi la fer-vente Leïla, d’origine syrienne,qui porte le foulard. Elle entend« repenser le féminisme et dé-construire les préjugés ».

Et si leurs regards sur l’existencedivergent, tous se retrouvent avecune joie quasi fraternelle pour lapréparation du concours. « Vousêtes les meilleurs ambassadeursde la liberté d’expression »,conclut leur formateur, l’avocatBertrand Perier, spécialiste de larhétorique classique, face à ceuxqui passent devant un jury com-posé notamment d’Edouard Baeret de la comédienne Leïla Bekhti.Sujet final : « Le meilleur est-ilà venir ? » On le leur souhaite ardemment. ●

Sur l’affiche du film « Nos pa-triotes », les acteurs posent en

héros. Et si la réalisation de fac-ture classique ne marquera pas lesesprits, on ne peut que soulignerl’intention louable, historique etsincère, de mettre en lumière leparcours méconnu d’Addi Bâ, quifut nommé « le Terroriste noir ».Au début de l’été 1940, Addi Bâ– incarné par le charismatiqueMarc Zinga, repéré dans le filmd’Abd Al Malik, « Qu’Allah bénisse la France » – s’évade.

Comme 15 000 autres tirailleurssénégalais, il était prisonnier del’armée allemande à cette époque.Ce jeune Guinéen arrivé en Franceà l’âge de 13 ans aime à citerVictor Hugo. Il défend son payset sa langue.Réfugié dans la forêt, il est se-couru et aidé par une institutricequi l’enrôle pour construire unréseau de résistants. « Ce qui sepasse dans ce pays n’est pas laFrance », s’indigne l’un d’eux.Mais le guerrier Addi Bâ prend

des risques. Il abat de sang-froidun Allemand et devient le trèsrecherché « Terroriste noir ». Dans cette période où les dénoncia -tions sont nombreuses, la peur del’homme noir et les préjugés fontrage. Ce que le film décrit bien.« Les Français sont dangereux, ditun lieutenant allemand. Ils ont au-torisé des Noirs à tuer des Blancs.Ils ont inversé l’ordre naturel. »De belles images de nature dansla forêt vosgienne montrent lesrésistants préparant l’explosiond’un train allemand. Addi Bâ participera au premiermaquis de la région. Dénoncé, ilsera arrêté, puis fusillé à Epinal,le 18 décembre 1943. Soixante-dix ans plus tard, le13 juillet 2003, la reconnaissancesurviendra enfin avec une médaillede la Résistance décernée à titreposthume. ●

REPÈRES

« A voix haute, la force de la parole », de Stéphane de Freitas et Ladj Ly. Durée : 1 h 39. Sortie DVD en septembre.

BIO EXPRESSE

Stéphane de Freitas,d’origine portugaise,a grandi en Seine-Saint-Denis.Créateur du concoursEloquentia,« afin d’accompagnerles jeunes de banlieueà maîtriser l’art de lajoute oratoire et à gagnerconfiance en eux »,il a aussi fondé laCoopérative Indigo, dontla mission est de récréerdu lien social. Pour en savoir plus :indigo-coop.com

REPÈRES

« Nos patriotes »,de Gabriel Le Bomin.Avec Marc Zinga. Sortie le 14 juin.

Tirailleur et résistant« Nos patriotes » met en lumière l’histoirepeu connue d’Addi Bâ, jeune tirailleur sénégalaisqui fonda l’un des premiers maquis vosgiens,avant d’être assassiné.Marina Lemaire.

A vos marques, prêts, parlez ! « Le meilleur est-il à venir ? » C’est le thème proposé aux apprentis orateursdu concours Eloquentia pour départager les talents. Une impro assidûment préparée...Marina Lemaire.

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1. « Denial. Holocaust History on Trial ».Non publié en France.

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C U L T U R E C I N É M A

Etait-il possible de juger l’exis-tence de la Shoah ? Les An-

glais l’ont fait. « Le procès dusiècle », de Mick Jackson, ra-conte l’histoire vraie d’une his-torienne, Déborah Lipstadt, quia dû prouver l’existence de laShoah en justice face à un écri-vain négationniste, au début desannées 2000. Ce long métrageabsolument nécessaire est palpi-tant.« Denial » (qui signifie littérale-ment : déni, négation), titre originaldu film « Le Procès du siècle »,est construit sur le récit orignalpublié par l’historienne juive amé-ricaine Déborah Lipstadt(1). Le long métrage retranscrit et ré-sume un combat judiciaire de septannées contre l’écrivain négation-niste David Irving, qui l’accusaitde diffamation pour les propos

tenus à son encontre dans un livre.Cette histoire incroyable démarreen 1995. Engagée dans la défensede la mémoire de la Shoah, l’en-seignante avait un principe : nejamais débattre en public avectout négationniste qui réfuteraitla Shoah. Mais voilà qu’Irvings’invite à l’un de ses cours etpropose « 1 000 dollars à celuiou celle qui prouverait qu’Hitlera ordonné de tuer des juifs ». Il attaque Déborah en justice,ainsi que sa maison d’édition. Et

ce procès deviendra, avec le ques-tionnement sur l’Histoire et lavérité historique, celui de laShoah ! Que Déborah va devoirprouver. « Un homme vous accuse et c’està vous de prouver qu’il a tort ! »,s’exclame l’historienne, qui vaêtre défendue par l’Anglais An-thony Julius, également avocatde Lady Di. Elle découvre aussiles subtilités de la charge de lapreuve en Angleterre, qui incombeà l’accusé. Comment l’ensei-gnante et ses représentants pour-ront-ils scientifiquement prouverl’existence des chambres à gaz ?Une visite à Auschwitz s’im-pose… « On n’est pas en pèleri-nage, on est en procès », observel’un des juristes qui se bat pourqu’un seul juge et non un jurypopulaire tranche la controverse.

UN JUGE UNIQUE FACE À UN ÉVÉNEMENTEXTRAORDINAIRE « On va le piéger avec la vérité »,soutient l’avocat Julius. Sa stra-tégie ? Réfuter et démonter un àun tous les propos tenus par l’écri-vain négationniste au fil du temps,pour montrer qu’il est raciste etextrémiste. Mais la méthode développée en-suite peut paraître incompréhen-sible : les juristes ne souhaitentpas que l’historienne s’exprime,

ni donner la parole aux témoinssurvivants de la Shoah. Or, Dé-borah le leur avait promis : « Lavoix de la souffrance sera enten-due. » Nous savons tous, par ail-leurs, l’importance du témoignage,sa force, et la nécessité de trans-mettre. Mais pour les juristes an-glais, « un procès n’est pas unethérapie ». Ils veulent « éviterl’humiliation des rescapés » quepourrait tenter l’irrespectueux etviolent Irving, qui ne craint pasde soutenir, par exemple, que leschambres à gaz étaient des abrisantiaériens. Même consigne est faite à Dé-borah : ne rien dire, pour ne surtout pas prononcer une seuleparole qui donnerait de la matièreà son adversaire coriace. Une stratégie qui sera payantedans ce procès aux 3 millions dedollars. Le juge reconnaîtra la« falsification délibérée de l’his-toire » et la « manipulation histo-rique » de l’écrivain, reconnuenfin « raciste et sincèrement an-tisémite. Il peut tout à faire croireà ce qu’il dit », précise le jugement. Pour la sortie du long métrage,fin avril, Déborah Lipstadt s’estexprimée : « A une époque de relativisme permanent, les jeunesfinissent par se dire : “ça doitêtre vrai puisque je l’ai vu surInternet.” Mais tout ne peut pasêtre vrai. Il n’y a pas toujoursdeux points de vue sur chaquegrande question. Mes étudiantspensent souvent que chacun adroit à sa propre opinion, maisles faits sont les faits. Les histo-riens peuvent débattre des cir-constances de la Shoah, mais iln’en reste pas moins que la Shoaha eu lieu. » ●

La Shoah devant la Cour Ce qui paraît surréaliste peut avoir lieu. En témoigne « Le Procès du siècle »,un film inspiré de l’histoire vraie de l’historienne juive américaineDéborah Lipstadt, qui a dû prouver en justice l’existence de la Shoah.Marina Lemaire.

REPÈRES

« Le Procès du siècle », de Mick Jackson. Avec Rachel Weiz, Tom Wilkinson, Timothy Spall. Durée : 1 h 50.

« MES ÉTUDIANTSPENSENT SOUVENTQUE CHACUN A DROITÀ SA PROPRE OPINION,MAIS LES FAITSSONT LES FAITS. »Déborah Lipstadt

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43JUILLET 2017

Sorti le 8 mars dernier en salleà l’occasion de la journée de

la Femme, « Les Figures de l’om-bre » auraient pu jouer sur la cordede la victimisation. Il n’en est rien,ce film est au contraire une leçonde lutte contre le racisme.Victimes, Katherine Johnson,Mary Jackson et Dorothy Vaughanpouvaient l’être à plus d’un titre :femmes noires dans un universd’hommes au début des années1960, où le machisme et le sexismedominaient, elles n’avaient aucundroit réel.

TROIS FEMMES

Jusqu’en 2015, date à laquelleelle reçut la médaille présidentiellede la liberté des mains de BarackObama, Katherine Johnson, la mathématicienne hors pair qui en remontre à ses collègues blancs

malgré les brimades quotidiennes,était évincée de l’histoire de laconquête spatiale – un autre film« culte », « L’Etoffe des héros »,passe en effet sous silence le rôledécisif que les femmes noiresjouèrent dans la conquête spatiale.Or, sans les calculs de cette mathé -maticienne de génie, John Glennne serait pas rentré vivant de sapremière tournée dans l’espace.Première femme à entrer dans lestaff ultrasélect de Al Harrison,le patron du programme spatial,Katherine Johnson doit tous lesjours courir à 1 km de là parcequ’il n’y a pas de toilette pour« colored people » dans son bâtiment, et se voit refuser l’accèsà la cafetière « pour Blancs » deses collègues masculins.

Mary Jackson, première ingé-nieure en aéronautique noire, doitaller au tribunal pour se faire ad-mettre dans une école d’ingénieurspour Blancs.Quant à Dorothy Vaughan, ellesera celle qui mit en route le pre-mier IBM de la Nasa, et la premièrefemme noire à devenir cadre.Le film est truffé de détails qui re-tracent cette époque de ségrégationquotidienne et de sexisme : c’estun véritable travail sur la mémoireet sur la façon subtile, intelligenteet pugnace, dont on peut surmonterle racisme et ses effets délétères. Un outil remarquable pour tra-vailler au long cours avec nosjeunes, plus souvent tentés parune forme de victimisation, voirede racisme inversé. ●

BIO EXPRESSE

Régis SauderNé en 1970 à Forbach,Régis Sauder, réalisateurde « Nous, princessesde Clèves » en 2011, préside l’Acid, l’Associationdu cinéma indépendantpour sa diffusion.

REPÈRES

« Retour à Forbach », de Régis Sauder. Durée : 1 h 18. Sortie DVD début 2018.

REPÈRES

« Les Figures de l’ombre »,coécrit, coproduit et réalisépar Theodore Melfide.En salle.Durée : 2 h 06’

Premiers pas avecdes femmes noires Comment surmonter sexisme et ségrégation sur fond de conquête spatiale et de guerre froide...Mano Siri.

« Ê tre né quelque part, c’esttoujours le hasard », chan-

tait Maxime Le Forestier en 1987.Parfois on fuit ses racines, par rejet ou par honte. Mais le tempsqui passe nous rappelle une évi-dence : ces racines font malgrétout partie de nous. Personne nevient de nulle part.« Retour à Forbach », du réali-sateur Régis Sanders, est un filmsaisissant et sobre sur la ville minière de son enfance, où le FNa explosé ces dernières années.

La montée du parti d’extrêmedroite en 2014 et le cambriolagede la maison de ses parents en2015 l’ont incité à y revenir. « Forbach me hante, me consti-tue », dit-il. Est-il coupable d’avoirfui la pauvreté sociale de son en-fance ? D’avoir « abandonné »un lieu où il a été si malheureux ?Mais alors, comment les autres,ceux qui sont restés, ont-ils fait ?Le réalisateur retrouve des amisd’enfance, il tente de comprendrel’évolution de la ville désertée

par les commerçants. Si la pa-tronne d’un café n’a pas oubliéla présence de croix gammées àForbach pendant la guerre, enajoutant que « dès qu’on évoquele FN, l’ombre nazie plane »,d’autres, comme une jeune filleque l’on ne verra pas à l’écran,s’étonnent. « Est-ce que les For-bachois sont vraiment racistes ?Comment est-ce possible ? » Avantd’ajouter : « Ceux qui font peur,ce sont M. Barbu et Mme Voilée. »Les attentats, suivis de l’état d’ur-gence en 2016, ont accru la peurde l’étranger. « Il y a des amal-games ! », s’indigne un ami d’en-fance du réalisateur. « Tout lemonde a peur de tout le monde. »L’hiver dernier, une nouvellelibrai rie a ouvert dans Forbach,qui s’est vue décerner une troi-sième fleur « Ville fleurie ».Comme l’espoir, encore si fragile,d’un renouveau. ●

Passe ton Forbachd’abord !« Retour à Forbach » est, pour Régis Sauder, l’occasiond’explorer l’éventail des sentiments qui l’ont traversédepuis qu’il a fui la ville minière de son enfance. Marina Lemaire.

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MERCREDI 10 MAILe bus attend les deux classes de 4e du collège duChâteau et leurs accompagnateurs.Il est 5 heures. Direction Paris ! Pour les jeunesd’un collège rural enclavé du sud de la Meurthe-et-Moselle (54), c’est le début de l’aventure… et lecouronnement d’un travail commencé en septembre2016, avec le soutien enthousiaste de A. Martins,principale du collège.

Le thème principal de l’expédition concerne les mi-grations. Il justifie que la première visite du mercredimatin soit consacrée au musée de l’Immigration.Mais furent aussi explorés lors de ce travail de longuehaleine les thèmes du racisme et de l’antisémitisme.Après une pause de préparation et de réflexiondans la cour du RU Cuvier, direction le Mémorialde la Shoah, pour une visite guidée par des membresdu Mémorial. Explications devant le mur des Noms,devant le monument de la cour portant mention decamps de concentration, d’extermination et deghettos. Au sous-sol, la présentation s’axe davantagesur le sauvetage des enfants, thème de réflexionchoisi. La visite est émouvante, intelligente, vivante,pédagogue. L’émotion des jeunes est palpable. Ilsn’oublieront pas ce moment !Ce soir-là, sur notre lieu d’hébergement, la MIJEde la rue Fauconnier, dans le Marais, les visagessemblent bien fatigués, mais aussi heureux de cettejournée intense, riche d’émotion et de réflexion.

JEUDI 11 MAI

Notre pérégrination débute ce joli matin de mai.Les jeunes participent à une visite guidée à l’Institutdu monde arabe (IMA) portant l’accent sur les lienshistoriques, culturels et religieux, entre les trois re-ligions monothéistes, les trois religions du « Livre ».

Un petit moment de grâce : au 9e étage, sur laterrasse de l’IMA, vue plongeante sur Paris. C’étaitmagnifique !12 h 30-13 h 20. Repas rue des Rosiers, une autreoccasion de voyager : nous dégustons un falafelaux saveurs de Méditerranée orientale. Certains seseront sûrement découvert une âme de routard.Les élèves, forts de leur expérience du premierjour, se rendent ensuite au musée de l’Homme.Très impressionnés, ils en apprennent davantagesur nos origines. Les apports scientifiques de deuxexcellentes guides montrent à nouveau l’absurditéde la supériorité supposée de certains peuples surd’autres. Un moment parfaitement complémentairedes précédents, pour valider de façon pertinente etludique tous les cours, discours et témoignages en-tendus jusque-là. S’ensuit un accueil au siège de la Licra, où noussommes reçus chaleureusement par MM. MarioStasi, Antoine Spire et Dominique Morel. Qu’ilsen soient remerciés, ainsi que Grégoire Bouvier,président de la Licra Nancy, qui a soutenu le projet.

Le moment est fort, en particulier lorsqu’AntoineSpire révèle que sa famille est originaire de Blâmont,où elle a émigré au XVIIe siècle pour fuir les pogromsde la ville de Spire, sur le Rhin. « Nous ne sommespas des arbres », dit-il ensuite. Les humains peuventse déplacer, voyager, migrer. Cette formule parlantecapte l’attention. Certains ont lu une partie de leur travail, et l’und’eux, C. Heidinger, lauréat de notre concours,prend la parole avec émotion et conviction. Làaussi, nous vivons une séquence où émotion et in-telligence sont mêlées.

VENDREDI 12 MAI

Il ne manquait plus, pour le dernier jour, qued’ancrer ces valeurs au sein de l’espace républicaindans lequel nous vivons. C’est ainsi que l’Assembléenationale, puis le Panthéon reçoivent la visite desjeunes Lorrains. Tous sont frappés par la chargehistorique de ces lieux de pouvoir, témoignant d’unardent combat pour les valeurs démocratiques etrépublicaines, tout autant que par le condensé d’il-lustres Français scientifiques, résistants..., présentsau Panthéon.Chargés de souvenirs et d’espoirs, les élèves sont repartis avec des certitudes sur l’universalité de l’es -pèce humaine et l’absurdité de tous les racismes. ●

PAROLESD’ÉLÈVES

Eve : « C’est vrai ça,Madame, on n’est pas desarbres ! On peut migrer,traverser les frontières ! »Cyric fait une plaidoirievibrante pour un monde sansracisme, sans antisémitisme,bref, plus humain ! Juliette, après la visitede l’Assemblée nationale :« C’est décidé, Monsieur,,pour bouger les choses,je fais une carrièrepolitique ! »

V I E D E S S E C T I O N S

“On n’est pas des arbres...”A Blâmont, en Lorraine, où le Front national a obtenu 54 % des 472 suffrages exprimés au second tour de l’électionprésidentielle, la Licra Nancy a piloté un voyage à Paris. Récit d’une pérégrination dans le vaste monde...Anick Louppe et Grégory Bihak(1).

1. Anick Louppe est militantede la Licra Nancy ;Grégory Bihak est professeurd’histoire au collègedu Château de Blâmont.

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LICRA NANCY

Le groupe au completlors de la visite au muséede l’Immigrationdevant le Palaisde la Porte Dorée.

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45JUILLET 2017

La laïcité est constitutive du modèle politique etsociétal français. Dans le monde anglo-saxon, et

plus particulièrement aux Etats-Unis, il n’est pasforcément évident de comprendre le fonctionnementlaïc français. Taxées de stigmatisantes, fascistes, racistes, les lois sur le voile à l’école, sur l’interdic-tion de la burqa ou du burkini, sont incompréhensi-bles au pays des libertés individuelles.« Les Etats-Unis n’ont pas connu de guerres de reli-gions. De plus, le terme même de “laïcité à la fran-çaise” ne se traduit pas, c’est dire à quel point ilsignorent ce concept », résume Stéphane Louy, présidentde la Commission internationale de la Licra.

C’est dans le décor chaleureux de la librairiefrançaise Albertine que plus de 150 personnes sesont pressées pour écouter le débat. Le projet a étéconduit par Martine Rubenstein, présidente de lasection de New York. Les intervenants sont revenus sur le contexte histo-rique en France et aux Etats-Unis, qui a mené à lacoexistence de deux modèles : assimilation vs multi -culturalisme. Tous se sont interrogés sur l’avenirde ces deux systèmes, leur cohabitation, leurs pos-sibles interactions.A l’issue de cette soirée féconde, la Commissioninternationale pérennise l’initiative. Avec le concoursde Martine Benayoun et du Cercle de la Licra, ilsera proposé, à moyen terme, des réflexions sur« l’universalisme de nos valeurs ».Ce voyage a été également l’occasion de rencontrerl’Anti Defamation League (ADL) et François De-lattre, le représentant de l’ambassade de France àl’ONU. De futurs partenariats avec l’ADL et le mi-nistère des Affaires étrangères sont prévus. Forte de ces nouvelles relations, la Licra pourrapeser davantage sur les gestionnaires de contenusInternet et sur la lutte contre le racisme et l’antisé-mitisme à l’échelle mondiale. ●

La Licra à New YorkLe 1er juin la Commission internationale de la Licra organisait à New York, avec la section locale, un débat sur la laïcité. Adam Gopnik orchestraitla discussion entre Pascal Bruckner, Patrick Weil et Paul Berman.Justine Mattioli.

LES INVITÉS

Adam Gopnik, écrivain et essayisteaméricain, écritpour le « New Yorker »(hebdomadaire).Pascal Bruckner, romancier et essayistefrançais.Patrick Weil, politologue français.Paul Berman, journaliste, essayisteaméricain.

Hommage àune “Juste”

Germaine Chesneaua su transmettre son

expérience de la Shoah.Joan Desma.

L’hommage rendu à Germaine Chesneau à traversle livre éponyme de Danielle Bertrand, Jean

Sauvageon et Jacki Vinay, témoigne du courage ex-ceptionnel de cette grande dame pendant la SecondeGuerre mondiale : elle a sauvé plus de 120 enfantsjuifs en les cachant au château de Sallmard, dans laDrôme. De plus, elle a su transmettre à ces enfantsdes valeurs de vie et de partage. Nous avons rencontré Marianne Ferrero, l’une deses filles, née en 1939, et Josette Weill, native deBesançon en 1932, sauvée par Germaine.« Germaine parlait peu d’elle ou de son passé.Sans doute parce que cela ne se faisait pas àl’époque », souligne Marianne. Pour elle, préparerl’avenir mobilisait l’essentiel de ses efforts.Les jeunes pensionnaires du château étaient avertisde leur situation périlleuse, mais Josette se souvientd’une parenthèse heureuse et riche d’enseignementsà Sallmard. Germaine avait su y instaurer une vieen communauté amicale, et favoriser le développe-ment de l’esprit critique de chacun. Marianne rappelle, à travers de nombreuses anec -dotes, que la transmission des valeurs et du savoirvivre ensemble était le plus important : « Si tu voisun homme qui a faim, donne-lui un poisson : tu le

nourriras pour un jour. Mais apprends-lui à pêcheret il se nourrira toute sa vie. » Grâce à cette leçonde vie, Josette avait acquis une forte personnalité ;elle a donc continué par la suite à s’engager dansdes associations de lutte contre les discriminations. Pour Alexandre, 27 ans, petit-fils de Josette, cesrécits sont essentiels pour comprendre son identité.Mais il se sent coupable vis-à-vis de ses aînés :posséder tant aujourd’hui, et s’avouer impuissantface aux dérives de la jeune génération ; ces vieilleshistoires n’ont pas la portée espérée, trop éloignéesde la société actuelle. Internet, avec ses infinies ri-chesses documentaires, est aussi une source deconfusion qui engendre une perte d’identité. Alors, peut-on lutter contre l’oubli ? Force est deconstater que les livres d’histoire sont boudés parles jeunes, au profit d’une navigation sur la Toilequi empile les informations, souvent en dehors detout esprit critique.La vie de Germaine Chesneau témoigne de ce quela transmission des valeurs et de la mémoire estfondamentale dans la construction de chaque être.Pour le jeune homme, la visite d’Auschwitz futune véritable claque, celle du château de Sallmardun grand moment d’émotion. ●

PARABOLE

Marianne Ferrero se souvientdu jour où sa maman avaitorganisé un débat entre ceuxqui mangeaient les œufs à la coque par le gros bout : les « grosboussiens » et les« petitboussiens ». Il y avaiteu un procès avec plaidoirie,et les « petitboussiens »avaient été condamnés àmanger le soir même leur œufpar le gros bout. C’était safaçon d’enseigner aux enfantsla vie en communauté.

LICRA DRÔME

150 personnes ont suivile débat à la librairieAlbertine de New York.

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V I E D E S S E C T I O N S

Al’occasion du Salon du livre de la Licra, lesvastes salles style années 1930 de la mairie du

5e arrondissement de Paris ont accueilli 752 per-sonnes. Elles ont arpenté les allées pour échangerleurs impressions ou faire dédicacer un ouvrage parde nombreux auteurs studieusement à leur disposi-tion à un bureau : Didier Leschi, Benjamin Stora,Richard Malka, Marek Halter, Ivan Levaï, BrigitteStora, Pascal Bruckner et bien d’autres avaient cha-leureusement accepté l’invitation de la Licra.

LE LIVRE AU SERVICE DU COMBAT ANTIRACISTE

« Que la Licra, dans sa vocation antiraciste, seserve du livre comme vecteur du message, celamérite d’être encouragé », souligne Ivan Levaï.Enthousiaste, il déclare : « Le Droit de Vivre, c’estle droit de lire ! » La Licra a proposé une initiative ambitieuse, aucœur du 5e arrondissement où le maillage deséditeurs et des libraires est encore dense. Le livre,un ami, un confident, est indéniablement un instru-ment de l’engagement et du combat. Didier Leschi et Benjamin Stora ont, de concert,loué l’initiative de la fédération de Paris : « C’estun lieu de rencontre avec des auteurs qui partagentles mêmes points de vue sur le racisme et l’antisé-mitisme. Somme toute, un lieu rare. »La Licra célèbre cette année le 90e anniversaire desa création. Benjamin Stora, sur le principe, est fa-vorable à l’organisation de l’événement à la Cité

nationale de l’histoire et de l’immigration. PourMarek Halter, la Licra a des accents proustiens, ilse remémore son arrivée en France : « La Licra estune institution magnifique, ce fut la première asso-ciation à laquelle j’ai adhéré. […] C’est bien,qu’ils organisent des rencontres autour du livre. »

REMISE DES PRIX

Que serait le salon du livre Licra sans la remise desprix et le formidable moment de réflexion menétambour battant par Antoine Spire ?Florence Berthout, maire du 5e, et David-OlivierKaminski ont remis trois prix : le prix spécial dujury a été décerné à Pascal Bruckner pour l’ensemblede son œuvre ; le 2e prix de la Licra a été attribué àGrégory Reibenberg(1) ; et le prix de la Licra a étéremis à Isabelle Malowé(2).

LE DÉBAT

« De la Lica à la Licra. Quels combats, aujourd’hui,contre le racisme et l’antisémitisme ? » Un vastesujet que quelque quatre-vingts auditeurs ont atten-tivement écouté. Les prolégomènes exposent l’histoirede la Licra. Antoine Spire rentre ensuite dans le vifdu sujet et interroge les invités sur les modesd’action (contre le racisme et l’antisémitisme) au-jourd’hui. « L’antiracisme est en crise […] Unecertaine forme de racisme est aujourd’hui colportéeà travers le drapeau de l’antiracisme, qui ne suffitplus », concède Pascal Bruckner. Alain Chouraqui, par le prisme de son expérienceau Camp des Milles, dresse un bilan : « Deux leçonssont à retenir des dérives actuelles : d’une part,l’existence d’un engrenage préexistant au basculementvers les populismes, le racisme, etc. […] D’autrepart, la prise en compte de l’extrémisme identitaire,qui couvre à la fois l’extrémisme identitaire islamiqueet l’extrémisme identitaire nationaliste. »

Pascal Bruckner rappelle la différence fondamentaleentre la France et les pays anglo-saxons : la premièredéfend les droits des minorités, mais égalementdes individus ; alors que les seconds ne considèrentjuridiquement et philosophiquement que la protectiondes minorités en tant que groupe. Il évoque enfinles nouveaux antiracistes du PIR, du CCIF(3) ou desIndivisibles, qui finalement stigmatisent à leur tour,sous couvert de lutte contre le racisme, des catégoriesd’individus. Ils représentent un pouvoir de nuisanceà ne pas sous-estimer. Dans le canevas actuel, Haïm Musicant rappelleque la Licra doit jouer « son rôle d’aiguillon auprèsdu gouvernement et des institutions, pour que leslois soient respectées. ».Des moments toujours trop courts, tant il est agréablede mesurer qu’on a appris quelque chose. ●

LES INVITÉS

Pascal Bruckner, romancier et essayiste. Il a publié récemment « Un racisme imaginaire. La Querelle de l’islamophobie » (éd. Grasset-Fasquelle, 2017).Alain Chouraqui, directeur de rechercheémérite au CNRS et président de la fondationdu Camp des Milles.François Rachline,économiste, écrivain-essayiste.Haïm Musicant, journaliste et écrivain, anciendirecteur général du Crif.Jean-Pierre Allali, écrivain, secrétaire généralde la Fédération de Paris.

Le salon du livre de la Licra : 10 ans déjà !Une nouvelle fois, la mairie du 5e a abrité le rendez-vous annuelde la Licra Paris.Justine Mattioli.

1. « Une belle équipe » (éd. Héliopoles, 2016).2. « Les Rumeurs de laTerre » (éd. Rod, 2014).3. PIR. Parti des Indigènes de la République.CCIF. Collectif contrel’islamophobie en France.

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« LE DROIT DE VIVRE, C’EST LE DROIT DE LIRE ! »Ivan Levaï

LICRA PARIS

Philippe Val, Alain Bougrain-Dubourg, Florence Berthout (à droite).

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47JUILLET 2017

Le Strasbourgeois Gilles Bloch, responsable desopérations de la Licra, est coordinateur de l’an-

tenne française du Mouvement contre le discoursde haine, qui s’adresse surtout à la jeunesse. Pré-sente dans 44 pays du Vieux Continent, cette fédé-ration d’associations dépend du Conseil de l’Europe.C’est la Délégation interministérielle chargée de lalutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra)qui a mandaté la Licra pour organiser le Mouvementet ses initiatives dans l’Hexagone. Une création récente, puisque la branche françaiseest née en janvier 2017. Cinq personnes s’y activentpour faire reculer le fiel et l’injure sur Internet.Elles travaillent en Alsace, aux côtés de GillesBloch, mais leur champ d’intervention est national.Le Mouvement est à l’origine de rencontres, tablesrondes et manifestations diverses. Mais il se greffeprincipalement sur des événements existants (unequinzaine par mois) pour apporter l’expérience etle savoir-faire de la Licra en termes de combatcontre les agressions numériques, ou encore deprises de parole dans les écoles et universités. Depuis le début de l’année, Gilles Bloch estimequ’environ 5 000 jeunes sont entrés en contact,direct ou indirect, avec le Mouvement.Ainsi des groupes LGBTI (le I final est nouveau, ilsignifie « intersexuel », mot qui désigne tout individuau sexe indéterminé) ont animé, le 17 mai, unejournée d’action contre les discriminations en raison

du genre. Elle se déroulait au même moment àtravers l’Europe. Le Mouvement a diffusé en directsur Facebook, avec beaucoup de succès, la présen-tation du rapport annuel de SOS Homophobie à LaStation, un local strasbourgeois dédié aux associationsd’entraide et de défense des gays. La veille, un débat dans un café de la ville, L’Artichaud,a permis de sensibiliser le public autour de deux in-tervenants : Célia Deiana, d’Amnesty International,et Hélène Beaucolin, bénévole à La Station et trans-sexuelle. Elle a raconté l’épreuve qu’elle a subie :un tombereau d’insultes sur les réseaux sociauxlorsque cette identité complexe a été révélée.Les réunions de ce type sortent les personnesconcernées de leur solitude.

AVEC LA LICRA, TOUS EN PISTE

Mais quid du combat concret contre la profusiond’agressions ad hominem ou plus générales sur laToile ? N’est-ce pas vider la mer avec une cuillère ?« Il est vrai que nous sommes souvent démunis,commente Gilles Bloch. Mais on assiste à des re-groupements associatifs sous l’égide de la Licralorsque les occasions se présentent – et elles sontnombreuses ! Non seulement nous sensibilisons lesjeunes et agissons pour la prévention du cyberhar-cèlement, mais nous apprenons aussi à des milliersde personnes, militants antiracistes ou non, à pisterce qui se passe quotidiennement sur les réseaux so-ciaux et exercer leur droit de citoyens au “reporting”.En d’autres termes, nous leur indiquons commentalerter les grands opérateurs et les conduire àcensurer les contenus indésirables. Tout cela n’existaitpas il y a encore trois ou quatre ans. Les sociétésnumériques se fichaient de nous et se retranchaientderrière la libre expression pour autoriser n’importequoi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. » Le responsable de la Licra ajoute que si l’action duMouvement permet à un seul homo de ne pas sesuicider pour avoir essuyé des attaques virtuelles,il aura le sentiment d’avoir fait « œuvre utile ». ●

SOLIDARITÉ

Marche des fiertésLe Mouvement contrele discours de haine estassocié à la Marche desfiertés, anciennementappelée Gay Pride, dontla date a été fixée, cetteannée, au 10 juin. Il s’agit de poursuivre lesactions de sensibilisationcommencées lors de lajournée d’action du 17 mai.

Contre le harcèlement numériqueLa branche française du Mouvement européen contre le discours de haine, animée par la Licra, participait,en mai, à une journée contre l’homophobie. L’éradication des insultes sur le web est en net progrès. Raphaël Roze.

LICRA STRASBOURG

Décès de M. Bernard Jouanneau, avocat honoraire au barreau de Paris

Avocat très actif à la Licra dansles années 80 et 90, il a plaidé avecPatrick Quentin contre Faurisson et biend’autres négationnistes encore.Président de Mémoire 2000, il a œuvrémagistralement dans le domaine del’éducation et de l’antiracisme,s’adressant en particulier aux jeunespour les sensibiliser à toutes les formes

d’atteintes aux droits de l’homme.Le cinéma a été une partie de sa vie,puisqu’il a choisi cet art pour illustrerses combats et transmettre la mémoire. Il a été également vice-président de laLicra du temps de Pierre-Bloch, trèsengagé et très actif sur la question dugénocide des Tutsis , par exemple enparticipant à la commission d’enquête

citoyenne sur le Rwanda, puis commecoauteur dans l’ouvrage collectif quien est issu, « L’horreur qui nous prendau visage » (Ed. Karthala 2005). On le rencontrait régulièrement sur tousles théâtres où la question desgénocides était discutée.Le « DDV » et la Licra présentent leurscondoléances à sa famille.

Strasbourg, le 17 juin 2017,le « Mouvement contrele discours de haine »est au cœur dela Marche des visibilités(anciennement Gay Pride).

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