Langues Et Cité - Féminin, Masculin - La Langue Et Le Genre

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  • 8/16/2019 Langues Et Cité - Féminin, Masculin - La Langue Et Le Genre

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    Octobre 2013Numéro 24

    Langueset citéFéminin, masculin :la langue et le genre

    Masculin-féminin : la grande aaire ! Tous les textes qui suivent en témoignent.Les langues pour lesquelles le genre grammatical se construit à partir des pôlesféminin et masculin font l’objet de débats ar ticulant langue, sexe, genre et égalitésociale.Mais en indo-européen1, la grande opposition de genre qui organisait la langueétait celle de l’« animé » et de l’« inanimé », qu’exprimait la distinction du masculin-féminin d’un côté, du neutre de l’autre. Et puis cette opposition a perdu tout sonsens dans les langues modernes, même celles qui ont conservé un neutre, etaujourd’hui un Allemand ne saurait dire pourquoi Bank  est féminin, Boot  neutre,et Berg  masculin. Les catégories du féminin et du masculin se sont un tempsmaintenues pour distinguer certaines notions. Les arbres, par exemple, étaient

    du féminin, il en reste des traces en occitan : la figuièra, la platana. À son tour,cette fonction distinctive s’est perdue, et l’usage qui xe le pied  au masculin etla main au féminin ne répond à aucune notion saisissable, non plus que de direen d’autres langues le lune et la soleil. Purement conventionnel, le genre desnoms aurait donc pu disparaitre en français. Notons toutefois son appréciablerendement linguistique2 : il permet de diérencier à peu de frais le carpe et lacarpe, le livre et la livre, une page et un page, une tour  et un tour…De fait, il reste un domaine où la répartition entre le féminin et le masculin gardeune signication et continue à jouer un rôle : là où elle correspond à une oppositionde sexe. Pas question de confondre le genre des mots avec le sexe biologique,mais refuser de faire servir l’emploi du genre grammatical à l’expression d’unesuprématie sexiste est légitime.

    Curieusement, cet objectif unique passe par la mise en œuvre de moyenslinguistiques contradictoires : soit accentuer la diérence sexuée (féminisation destitres et fonctions), soit l’eacer (innovations englobant masculin et féminin).

    1 Antoine Meillet, Esquisse d’une histoire de la langue latine, Hachette, 1938, p. 235.2 Grammaire Larousse du français contemporain, éd. 1973, § 248.

    Masculin / féminin ?  p.2

    Usage du masculin  p.3

    Pratiques graphiquesdu genre  p.4

    Transgenres  p.5

    Un pronom neutre  p.6

    Mademoiselle  p.8

    Noms de profession  p.9

    Homoparentalité  p.10

    Parutions  p.12

    Langues et cité  Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques

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    C’est un problème qui, à première vue,n’est pas d’une insoutenable gravité.Car il ne parait aecter que de menus

    faits d’accord grammatical. Il se pose quandplusieurs noms de genres diérents sontqualiés par le même adjectif. Ainsi ce jeunegandin que vous avez sous les yeux portedes gants et une cravate de couleur blanche.Comment « accorder » l’adjectifblanc ? Pourle nombre, le pluriel s’impose. Pour le genre,la règle traditionnelle impose le masculin :

    car « le masculin l’emporte sur le féminin ».Vous êtes donc contraint(e) de dire qu’« ilportait une cravate et des gants blancs ».Plutôt dans cet ordre. Le grammairien quidonne cet exemple déconseille « d’écrire :il portait des gants et une cravate blancs » :« cela choquerait l’oreille ».L’illustre formule « le masculin l’emporte surle féminin » n’est pas facile à débusquer dansles grammaires. Sous sa forme littérale, elleest, si j’ai bien lu, absente des grammai-

    res scolaires de la n du XIXe siècle et du

    XXe siècle. Les nombreuses versions desmanuels de Claude Augé et des deux acolytesmasqués par le pseudonyme champêtreLarive et Fleury ne l’emploient pas. Seul,toujours si j’ai bien lu, Henri Bonnard, le

    grammairien qui donne l’exemple du gandinganté et cravaté, la fait apparaitre dans saGrammaire française des lycées et collè- 

     ges sous la forme abrégée : « le masculin

    l’emporte ». La formule subsiste de 1950à 1972 dans les éditions successives de la

    Grammaire. Elle disparait, en 1981, dansle Code du français courant, que Bonnardsubstitue à sa Grammaire.Rarement explicitée sous sa forme canoni-que, la règle a d’illustres antécédents. Lebon père Bouhours écrit en 1675 : « Quandles deux genres se rencontrent, il faut quele plus noble l’emporte ». Nicolas Beauzéeprécise en 1767 que « le genre masculin estréputé plus noble que le féminin à cause dela supériorité du mâle sur la femelle ».La règle a, sans nul doute, sous une formeou sous une autre, été ressassée, dans

    les écoles et les collèges. Elle risque descandaliser. Elle ne manque pas de le faire,depuis pas mal de temps. Plus encore depuis

    quelques années : les sites qui la vouent

    aux gémonies pullulent sur la toile (le pluspertinent : Edwige Khaznadar, 2000 ; voiraussi son livre de 2002). En mars 2011, quatreorganisations : L’égalité, c’est pas sorcier !, Lemonde selon les femmes, Femmes Solidaires et la Ligue de l’enseignement   lançaient la

    pétition « Pour que les hommes et les femmessoient belles ! ». Il s’agissait de populariser la« règle de proximité » : l’accord de l’adjectifou du participe passé peut se faire non aumasculin, donné comme « genre indiéren-

    cié », mais avec le nom le plus proche, quelqu’en soit le genre.Avant toutefois de monter sur les grandschevaux enfourchés par ces organisations,il faut bien cerner le problème. Le masculinqui l’emporte sur le féminin, c’est le genre,au sens ancien du terme : la bonne vieillecatégorie grammaticale qui, en français, necomporte que deux termes. Ce n’est pas lesexe. Ici je vois poindre les protestations : legenre, il est bien fondé sur le sexe ? Vasteproblème. Pour les êtres animés et sexués,

    c’est en eet le cas, le plus souvent. Maischacun sait qu’il y a, même pour les humains,des exceptions, dans les deux sens : unevigie, une sentinelle, une estafette, sans

    parler des balances et autres fripouilles, cesont en général des hommes. Madame leMinistre, Madame le Professeur, sont des

    formules que revendiquent parfois, encoreaujourd’hui, certaines des femmes exerçantces fonctions. De nombreuses espècesanimales reçoivent des noms masculins ou

    féminins sans rapport avec le sexe : qu’enpensent les rats et les crapauds femelles, lessouris et les grenouilles mâles ? Quant auxnon-animés, par dénition non sexués, c’estdiérent. Certains linguistes, par exempleKnud Togeby (1965), vont, paradoxale-ment, jusqu’à « considérer le genre commedépourvu d’une signication quelconque ». Larelation du genre avec un sexe non existantne peut de toute façon être que métaphori-que. C’est la position défendue par JacquesDamourette et Édouard Pichon (sd, [1927]).

    Ils décryptent les motivations qui déterminentla répartition des non-animés entre les deuxtermes de la sexuisemblance, néologisme

    qu’ils substituent au vieux terme de genre.Les opérations qu’ils décrivent s’eectuent

    dans l’inconscient du sujet parlant. Ainsipour le féminin du nom de la mer  : neutre enlatin, il aurait dû être masculin en français.L’homophonie avec le nom de la mère peutavoir joué un rôle dans sa féminisation.Sans le savoir, les sujets parlants franco-phones sont sans doute assez proches desidées de Damourette et Pichon. Ils y sontd’ailleurs encouragés par l’évolution récentedu terme genre. Autrefois spécialisé dans savaleur grammaticale, il prend aujourd’hui,

    sous l’inuence de l’anglais gender, un autresens : celui du sexe, mais dans ses aspectssociaux (voir par exemple Irène Théry, 2007et Michel Arrivé 2008).On comprend mieux, dans ces conditions,l’indignation que fait naitre la vieille formuledu masculin qui l’emporte sur le féminin. Elleest interprétée comme visant la relation desdeux sexes ou, si l’on veut, des deux genres,mais dans le sens moderne du terme. Àce titre, elle est, certes, au plus haut pointcontestable, et on comprend pourquoi on

    cherche à lui substituer la règle d’ « accord deproximité ». Qui a fort bien fonctionné dansdes états anciens de la langue, et jusqu’enplein XVIIe siècle.Ici se pose un autre problème, aussi épi-neux : celui de la possibilité, sur ce pointcomme sur d’autres, de la « réforme » de lalangue. Même si elle est souhaitable, est-ellepossible ? L’avenir nous dira si « la règle deproximité » réussira à se substituer à la règletraditionnelle.

    « Le masculin l’emporte sur le féminin » :peut-on y remédier ? Michel A, professeur des universités, romancier

    RéférencesARRIVÉ M., 2008, Le linguiste et l’incons- cient, Paris, PUF.DAMOURETTE  J., et PICHON É., sd [1927],Des mots à la pensée. Essai de grammaire

    de la langue française, Paris, d’Artrey.KHAZNADAR E., 2000, Sexisme et gram- maires scolaires, Langue-fr.net.KHAZNADAR E., 2001, Le féminin à la Fran- çaise, Paris, L’Harmattan.THÉRY  I., 2007, La distinction de sexe.Une nouvelle approche de l’égalité, Paris,Odile Jacob.TOGEBY K., 1965, Structure immanente dela langue française, Paris, Larousse.

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    Supposons qu’on vous dise

    « Le député européen,Claude Martin [que vous

    ne connaissez pas], souhaiteraits’informer sur votre métier ets’entretenir quelques minutesavec vous ». Qui vous attendez-vous à rencontrer ? Quellesimages mentales se forment

    dans votre esprit ?Allez-vous imaginer, par exemple,que ce député européen pourrait

    porter une robe et des chaussu-res à talons hauts ? Sans doutepas, si vous réagissez commela plupart des francophones.Pour la majorité d’entre eux,en eet, quand ils renvoientà un individu déterminé, lesnoms masculins désignent deshommes, et c’est donc prioritai-rement une image masculine quiest associée à député européen. Dire ou écrire (comme l’a fait

    un certain usage à partir dela n du 19e), à propos d’unefemme, qu’elle est chirurgien,ou conservateur, ou secrétaireperpétuel, ou Premier ministre,ou député européen, etc. c’estdéroger à une norme fondamen-tale du français. Celui-ci, dès lesorigines, a distingué chirurgien etchirurgienne (cyrurgienne attestéen 1350), drapier  et drapière 

    (drapiere, drappiere : 1344), mire (du latin medicus) et miresse (attesté vers 1350), tisserand  et tisserande (attesté en 1338),etc. Même les titres de prestigese déclinaient diéremment pourles hommes et pour les femmes :il y a eu, dénommées au féminin,des abbesses, des prieures, desgouvernantes des Pays-Bas, desrégentes, des surintendantes,

    etc. Tout comme des ambassadri-

    ces et des générales. Là-dessus,certains objecteront : « Oui, maisc’étaient des épouses d’ambas-sadeurs ou de généraux ». Par-fois. Mais pas nécessairement :

    ainsi,  générale  était aussi le

    titre donné à des supérieuresde congrégations religieuses, etquand, en 1645, Mazarin coneune mission en Pologne à RenéeDu Bec (elle doit conduire auroi Ladislas IV son épouse, laprincesse française Marie de

    Gonzague, qu’il a épousée parprocuration, et s’assurer que lemariage est consommé), c’est

    à titre personnel qu’il la nomme

    ambassadrice extraordinaire.Mais ce n’est pas l’écart par rap-port à la norme linguistique qui ainquiété les pouvoirs politiquesde diérents pays quand, à lan du 20e, ils se sont engagésen faveur de la féminisation desnoms de métiers, titres, gradeset professions (voir Dister etMoreau dans le présent numéro).D’autres enjeux, psycho-socio-logiques, les ont mobilisés.

    En eet, si les dénominationsmasculines sont prioritairementinterprétées comme renvoyantà des hommes, elles masquentla place eective occupée parles femmes dans la société.Le point est particulièrement

    crucial quand il s’agit de postesà responsabilités ou de postesde prestige. Par ailleurs, dési-gner une femme par un terme

    masculin revient à nier unecomposante essentielle de sonidentité. Le débat s’inscrit doncdans un cadre plus général : c’estla question de l’égalité entre lesfemmes et les hommes qui esten cause.Jusqu’ici, nous n’avons évoquéque des dénominations renvoyantà des femmes exclusivement.Qu’en est-il quand on veut parlerd’un ensemble comprenant des

    hommes et des femmes ? Doit-ons’abstenir de dire ou d’écrireLesélecteurs seront mécontents, parexemple ? Faut-il nécessairementéviter les masculins et recourir

    à des formulations du type Les

    électeurs et les électrices serontmécontent-e-s, Les électeurs/ 

    trices seront mécontent/e/s,

    ou L’électorat sera mécontent ,

    etc. ?Sur ce point, qui concerne ceque l’on nomme la rédaction nonsexiste des textes, les guides deféminisation publiés en France1 et en Belgique2 se montrent trèsréservés. On peut supposer qu’il

    y a à cela diérentes raisons.Les représentations que l’onse fait des catégories sociales

    ne sont pas dictées que par lalangue. Quand on lit Les élec- triciens ont terminé leur travail,

    on pense certes a priori que lemasculin renvoie seulement àdes hommes. Mais ce serait vraiaussi si au lieu de électriciens, ilétait question de chauffagistes. Or, en ce cas, ce qui oriente notre

    interprétation, ce n’est pas le

    linguistique, puisque chauffagiste ne comporte aucune marquede genre (le mot est épicène),c’est notre connaissance de

    la manière dont, actuellement,cette profession est composéedans les faits.

    Qu’en est-il lorsque les catégories

    1 BECQUER Annie, CERQUIGLINI Bernard,CHOLEWSKA Nicole, COUTIER Martine,FRECHER Josette, MATHIEU Marie-Josèphe, Femme, j’écris ton nom,Guide d’aide à la féminisation des

    noms de métiers, titres, grades,

    fonctions, Paris, CNRS, INALF, 1999.http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/994001174/0000.pdfet http://atilf.atilf.fr/gsouvay/scripts/feminin.exe

    2 Conseil supérieur de la languefrançaise (Communauté française de

    Belgique) Mettre au féminin, Guidede féminisation des noms de métier,

    fonction, grade ou titre, Bruxelles,Service de la langue française, 1994,1re édition, 2005, 2e édition, www2.cfwb.be/franca/femini/feminin.htm

    professionnelles ou sociales se

    répartissent entre hommes etfemmes de manière équilibrée ?Si on nous dit que « ces deuxpianistes ont proposé une

    interprétation magistrale de la

    sonate de Mozart », pensons-nous prioritairement que cesvirtuoses étaient des hommes ?Si nous lisons « Les Nancéiensavaient été nombreux à serassembler pour acclamer les

     jeunes mariés », les emplois dumasculin nous amènent-ils àconcevoir qu’il s’agissait d’unmariage entre hommes et queles Nancéiennes étaient restéeschez elles ? Assurément pas. Etdans le cas des jeunes mariés,c’est assurément l’image du

    mariage entre un homme et unefemme qui sera la première ànous venir à l’esprit.Autrement dit, un masculin n’est

    pas l’autre. Et un contexte n’estpas l’autre : s’il est assez peuutile, dans le compte rendu d’uncolloque, d’indiquer systéma-tiquement qu’il réunissait desenseignants et des enseignantes,cela fait sens, dans la perspec-tive de l’égalité entre hommes etfemmes, qu’une ore d’emploisoit libellée en spéciant lesdeux genres (Engage un directeur

    ou une directrice). Mais autantil semble clair que le féminins’impose, lorsque les nomsrenvoient à une ou des femmesexclusivement, autant il paraitdicile de dégager quelque règle

    générale, qui n’alourdirait pasconsidérablement la rédaction

    et la lecture des textes, pourla désignation des ensembles

    composés d’hommes et de

    femmes

    .

    DU BON USAGE DU MASCULIN Anne D, université de Saint-Louis, BruxellesMarie-Louise M, université de Mons-Hainaut

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    Parler de genre, c’est dire que le rapportentre masculin et féminin, hommes etfemmes, est une signification élaboréequi varie historiquement et socialement.

    Comme toute élaboration sociale, le genreest donc façonné par notre mise en mots.Au travers du langage, se renforcent, senégocient et s’éprouvent – au sens de mettreà l’épreuve aussi bien que de ressentir – lesidentités de genre. C’est de cette négocia-tion des formes et frontières du genre queparticipent les innovations graphiques dugenre : lecteurs/trices exigeant(e)s, auteur- SEs baroques, écrivain-es peu frileux.euses, et autres explorateureuses du langage, illes sont toustes concerné·e·s.

    L’hétérogénéité de ces nouvelles pratiques,que l’on voit apparaitre principalement depuisles années 2000, repose sur diérentesstratégies. Linguistiquement d’abord, celarequiert de prendre en compte les diérentstypes d’ancrage du genre dans la langueet les diérentes possibilités d’innovationsgraphiques. Sémantiquement ensuite, dif-férentes compréhensions du genre, qui nes’excluent pas les unes les autres, sous-ten-dent ces interventions : visibiliser les femmes,

    génériciser ou dépasser le genre.

    Casse, caractère & ligne de base : lestypographies du genre

    Le marquage linguistique du féminin et dumasculin est loin de se réduire à la pré-sence ou l’absence d’un –e. Il faut jouer enpermanence des continuités (entre formescourtes : épatant  et longues : épatante), desalternances (belle ; beau) et des accords(la/ le libraire) qu’implique le genre en fran-

    çais. Plutôt que d’ajouter une lettre, il s’agiten fait de juxtaposer les formes masculineset féminines. Cela nécessite d’interroger lalinéarité de la langue à l’aide d’un éventailtypographique permettant d’introduire de

    la discontinuité dans le continu (épatant·e)et des formes réunissant les alternances

    (lecteur /trices).Trois principaux critères rentrent en

    compte dans le choix de ces formes :l’aisance technique pour les réaliser, en par-ticulier pour l’écriture numérique aujourd’huimajoritaire, la lisibilité du texte, et, enn,une sémantique de la typographie. Si laréalisation technique est aaire d’habitude,la question de la lisibilité reste discutée.Slash, capitale et tiret sont souvent accusésde heurter la lecture, en empêchant l’œil desuivre la ligne de base et en brouillant le gristypographique, dont l’homogénéité aide l’œilà appréhender un bloc de texte. Se joue ici la

    recherche d’équilibre entre lisibilité du texteet visibilité des modications apportées.Toutefois, tout changement nécessite undésordre préalable, et des travaux ont montréqu’après un temps d’habituation, ces mar-quages n’alourdissent pas la lecture. Enn,certains caractères véhiculent des sensdiscutables : les parenthèses (aujourd’huivieillies) sont perçues comme minorisantle e qu’elles contiennent et partant, toutle genre féminin symboliquement contenu

    dans ce e ; inversement, la majuscule tropvalorisante, contrarie les tentatives égali-taires. Le point surélevé, discret et lisible,présente l’avantage de n’avoir aucun autreemploi, ainsi que de pouvoir servir à notertant la continuité ( grand·e) que l’alternance(lecteur·trice), et semble ainsi un bon can-didat typographique.

     Visibiliser, génériciser, dépasser

    Au-delà des formes graphiques, le choix des

    termes auxquels elles s’appliquent dessinediérentes propositions.Apposé sur des termes collectifs du typeles étudiant·e·s pour référer à un groupecomposé d’étudiantes et d’étudiants, le

    marquage visibilise la présence de femmesdans les entités collectives, habituellementmasquée par l’emploi du masculin. Il s’agit derajouter le féminin au côté du masculin pour

    indiquer la pluralité de genre en présence.Considérant le masculin et le féminin commeexistants indépendamment l’un de l’autre,cette stratégie consiste en leur répartitionégalitaire.Le double marquage des termes généri-ques, par exemple : le/la  lecteur·trice estune personne qui lit  permet de proposer ungenre commun. Ici, la présence simultanéedu masculin et du féminin produit une annu-lation de leur valeur respective, à la façonde 1+(-1) = 0. Cette nouvelle proposition

    de générique comprend le masculin et leféminin comme dénis relationnellementl’un à l’autre.Reposant sur la même conception séman-tique, la troisième stratégie consiste àappliquer ce marquage aux entités particu-lières : mon ami·e est arrivé·e hier, en plusdes entités collectives et génériques. Iciencore, la cohabitation du masculin et duféminin sert à rendre caduque leur valeurréciproque. En proposant un dépassement

    de l’opposition de genre à tous les niveaux, ilest question de penser un au-delà du genre,de le dé-signier.Ces diérentes stratégies se retrouventen différentes langues. En anglais parexemple, où le genre est moins gramma-ticalisé qu’en français, pas moins de 90propositions de pronoms génériques ontété faites depuis 1850, dont la plus connueest s/ he. Aujourd’hui, l’usage se stabiliseautour de l’emploi de they  au singulier oude she comme pronoms génériques, pour

    contredire l’emploi du masculin générique.Des propositions de visibilisation existentégalement, comme womanity   (woman/humanity ) ou herstory   (history ). En espa-gnol, où le genre est très grammaticalisé,

    Pratiques graphiques

    du genre Julie A, université d’Ottawa – Institut d’études des femmesUniversité d’Aix-Marseille – LPL

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    c’est le @ qui est utilisé comme génériquetypographique : l@s chic@s. La graphie dugenre a donc au moins autant à voir avecce que l’on veut en dire qu'avec la languedans laquelle on le dit.

    Les marquages et démarquages du genreà l’écrit prennent des formes variées et

    expriment diérentes stratégies. Cettehétérogénéité est la condition pour expé-rimenter de nouvelles façons de dire oudédire le genre, pour penser de nouvellessignications du genre. Les correcteursorthographiques et les diérents lieux denormalisation de la langue se chargeront

    bien assez tôt de formaliser ces tentatives.D’ici là, l’irruption de formes non-standardsdans le langage nous interpelle sur notre miseen mots du genre et, par là même, sur notre

    capacité à façonner nos identités, dans desreformulations graphiques et sémantiques.Plutôt que de céder aux sirènes du purismede la langue et du genre pour ne rien voirdépasser des lignes, ce tumulte graphiquene cache pas le plaisir de ses auteureuses à jouer de la langue.

    RéférencesABBOU J., 2011, « L’antisexisme linguistiquedans les brochures libertaires : Pratiques

    d’écritures et métadiscours ». Thèse dedoctorat, Aix-en-Provence, universitéd’Aix-Marseille.BARON D., 1986, Grammar and Gender. Yale : Yale University Press.GYGAX P. et NOELIA G., 2007. « Lourdeurde texte et féminisation ». Dans L’AnnéePsychologique 107 (2) : 233-250.MICHARD C., 1996, « Genre et sexe enlinguistique ? : les analyses du masculingénérique ». Dans Mots, Les langages du

     politique 49 : 29-47.

    LANGAGE ET PRATIQUES« TRANSGENRES »Luca Greco, université de la Sorbonne Nouvelle

    Les personnes se disant « transgenres » revendiquent un posi-tionnement identitaire remettant en question le binarisme« homme vs femme ». Les recherches sur les relations entrepratiques transgenres et langage sont extrêmement rares, mais

    elles sont particulièrement intéressantes pour illustrer comment lacréativité linguistique est sollicitée pour marquer un positionnementidentitaire. Voici quelques exemples de néologismes circulant dansune communauté transgenre belge francophone :

    H F Transgenre

    il elleyel, iel(utilisé à l’oral et à l’écrit)

    ils elles

    yels(surtout utilisé à l’écrit)

    z(utilisé à l’oral)

    tous toutestoustes(utilisé à l’oral et à l’écrit,

    en alternance dans ce dernier cas avec touTEs)

    ceux cellesceuses, celleux(utilisé à l’oral et à l’écrit)

    nombreux nombreusesnombreuxses(utilisé à l’écrit)

    RéférencesGRECO L., 2012, « Un soi pluriel : la présentation de soi dans lesateliers drag kings. Enjeux interactionnels, catégoriels et politi-

    ques ». Dans N. CHETCUTI, L. GRECO (éds) La face cachée du genre.Langage et pouvoir des normes, Paris, Presses universitaires dela Sorbonne Nouvelle, pp. 63-83THOMAS M-Y., ESPINEIRA K., ALESSANDRIN A., (éds) 2013, Transiden- tités. Histoire d’une dépathologisation, Paris, L’Harmattan.

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    Depuis quelque temps, le débat sur lepronom suédois neutre hen, englobanthan, « il » et hon, « elle », fait rage enSuède. Inventé dans des cercles féministespendant les années soixante, il est rapide-ment tombé en désuétude, mais a repris sonenvol de manière spectaculaire en 2012.

    Constatons d’abord que hen est un néolo-gisme dans la mesure où ce mot n’existepas dans la langue suédoise standard. Ilest extrêmement rare que de nouveauxmots fonctionnels soient introduits dans levocabulaire, et le suédois hen constitueraitdonc une exception. Notons en outre que,de manière surprenante, ce petit mot n’estdérivé ni de la forme masculinehan, ni de laforme féminine hon, mais constitue une solu-tion indépendante de par sa forme unique.

    Plusieurs langues dans le monde possèdentun pronom neutre du type hen, tel que le

    nnois hän « il ou elle », qui aurait facilitéle lancement de hen en Suède. Dans leslangues qui n’ont pas ce type de pronom,comme le suédois, le français ou l’anglais,

    on rééchit depuis un certain temps, dansun souci d’être politiquement correct, à lapossibilité d’utiliser une autre forme que legenre masculin qui s’applique par défaut. Enanglais, par exemple, on a essayé d’introduiredes formes comme s/he « il ou elle », voirethey  « il ou elle », avec plus ou moins desuccès. Or ce n’est pas cette acception dehen qui a enammé le débat, mais un usageplus novateur de ce pronom.Pour bien comprendre la polémique autour de hen, il faut donc distinguer les deux accep-

    tions de ce pronom. La première, assez peucontroversée, regroupe les cas où le sexe duréférent n’est pas spécialement pertinent,comme dans le cas du pronom anglais they  qui a l’avantage d’inclure masculin et féminin.

    Or, la deuxième acception, qui est davantagecontroversée, a vu le jour dans une écolematernelle à Stockholm en 2012, où l’on aconseillé au personnel de remplacer han ethon par hen, an « de ne pas imposer auxenfants les préjugés associés aux sexes mas-culin et féminin ». Un livre pour enfants, Kivi  & monsterhund  (« Kivi et le chien monstre »),

    paru la même année, utilise de la mêmemanière conséquente le pronom hen, ce quia contribué à l’animation du débat.Ceux qui préconisent cet usage controverséde hen voient le genre comme « une construc-tion sociale sans fondation biologique néces-saire ». Ils prônent l’idée que l’enfant oscilleentre diérentes identités au cours de sondéveloppement, processus qui serait facilitési l’enfant n’était pas soumis à une languequi conserve les rôles de genre traditionnels.

    À cela s’ajoute le fait que beaucoup depersonnes aujourd’hui se déclarent « HBTQ »

    (homosexuels, bisexuels, transsexuels etqueer ), ce qui voudrait dire que la dichotomie

    traditionnelle entre hommes et femmes

    s’eace. L’usage non rééchi de han « il » et

    hon « elle » conserverait donc les stéréotypesliés au genre et serait en conit avec la réalitécontemporaine. À l’inverse, les détracteursde hen prônent l’idée que l’identité de l’en-fant repose sur son sexe « naturel », et quel’usage de ce pronom neutre tend à semerla confusion chez l’enfant.

    Prenons quelques exemples qui illustrentles deux usages de hen :

    > Concentrons-nous dans un premier temps

    sur l’usage premier de hen, qui permet dese référer à une personne sans dévoilerson sexe. Le genre du référent n’est alorsni pertinent, ni intéressant, mais superu.Considérons la phrase ci-dessous, où il s’agit

    d’un(e) étudiant(e). Notons que le suédois neprésente pas de variation en genre, student  est un nom générique. Le genre n’a doncpas d’importance.Les désavantages de chaque propositionsont mentionnés ci-dessous.

    1.  Jag frågade studenten varför hen var

    försenad. Je demandais à l’étudiant pourquoi hen était en retard.Autre solution précédemment proposée

    (nous avons exclu les propositions les plusfantaisistes, telle h–n).

    2. Jag frågade studenten varför han varförsenad.Je demandais à l’étudiant pourquoi il  étaiten retard.

    Le masculin est considéré comme lanorme.

    3. Jag frågade studenten varför hon varförsenad. Je demandais à l’étudiant pourquoi elle était en retard.

      Usage parfois rencontré dans des milieuxradicaux, où le féminin est considéré lanorme, donc contre l’idée de hen. Toute-fois, l’être humain est féminin en suédois :l’Homme, elle… !.

    4. Jag frågade studenten varför haon varförsenad. Je demandais à l’étudiant pourquoi « ille »(ou «el ») était en retard.

      Solution mot-valise, très articielle.

    5.  Jag frågade studenten varför han/hon var försenad. Je demandais à l’étudiant pourquoi il /elle était en retard.

      Peut être ressenti comme lourd, inélégant.

    Un pronom neutre

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    7/12

    6. Jag frågade studenten varför han ellerhon var försenad. Je demandais à l’étudiant pourquoi il ouelle était en retard. Idem.

    7. Jag frågade studenten varför den  varförsenad. Je demandais à l’étudiant pourquoi il

    (inanimé) était en retard.  Un être animé doit être désigné par

    han ou hon [ou hen !] en suédois, tandisqu’on renvoie aux objets inanimés par den [« utrum »] ou det  [neutre]. Cet usage noussemble déshumanisant et péjoratif, maispeut parfois être acceptable, voir KarinMilles, 2008.

    8. Jag frågade studenten varför de  varförsenade. 

    Je demandais à l’étudiant pourquoi ils/elles étaient en retard.

      Solution à l’anglaise, marche assez mal ensuédois où le participe passé s’accordeavec le sujet [comme en français].

    9. Jag frågade studenten varför vederbörande var försenad. Je demandais à l’étudiant pourquoi « l’in- téressé » était en retard.

      Peut être ressenti comme trop soutenu,lourd.

    > Dans le deuxième cas, le genre du réfé-rent est connu, mais hen est utilisé an deproblématiser la division traditionnelle entregarçons et lles :

    10. Pelle sa att hen skulle komma. Pierre disait que hen viendrait.Usage controversé.

    11. Pelle sa att han skulle komma. Pierre disait qu’il  viendrait.

      Usage traditionnel.

    12. Pelle sa att den skulle komma. Pierre disait qu’il  (neutre) viendrait.

      Usage très marginal, cf. 7. ci-dessus.

    Les autres formes de 3. à 9. ci-dessus sem-blent non attestées ici, voire impossibles.

    En guise de conclusion, nous faisons lesréexions suivantes :

    > L’usage peu controversé de hen lorsqu’onse réfère à une personne dont le sexe estune information superue, semble avoir unavenir dans la langue suédoise. Il a d’ailleursdéjà fait son entrée dans le Parlement ainsi

    que dans la sphère juridique. Comme lemontrent les exemples 1. à 9. ci-dessus, hen 

    est une solution souple et élégante qui n’a pasvraiment de concurrents sérieux dans cetteacception. Il s’agit de simplier la langue enévitant d’écrire « il / elle ».

    > L’usage controversé de hen comme outilpour propager l’idée de la parité nous semblepour l’instant limité. Or, selon nous, il estpossible que le hen soit un jour aussi peucontroversé que le mariage gay, reconnu enScandinavie depuis des années, mais qui aégalement connu des débuts diciles.

    > Un pronom ne peut pas changer le monde,et comme l’a démontré le linguiste suédois

    Mikael Parkvall, les pays qui utilisent unpronom neutre ne sont pas forcément plusparitaires que d’autres.

    > Il est dicile de savoir si hen va durablement

    s’implanter dans la langue suédoise, mais sison usage peut sensibiliser l’opinion généraleet indirectement contribuer à une sociétéplus paritaire, cela ne peut pas être une

    mauvaise chose.

    > Nous pouvons également nous poser laquestion de l’inuence de ces pratiques

    égalitaires dans les pays voisins. En France,le combat contre les stéréotypes dès lebiberon est mené depuis 2009 par la crècheBourdarias à Saint-Ouen. Le personnel a étéformé par un spécialiste suédois revendiquant

    une pédagogie « active égalitaire », où lesgarçons peuvent jouer à la poupée et leslles peuvent bricoler. L’usage de hen (par unpersonnel francophone) fait partie intégrantede cette pédagogie.

    hen en suédoisKarl E G, Études nordiques, université Paris-Sorbonne (Paris IV),

    Isabelle H, IFP, université Panthéon-Assas (Paris II)

    RéférencesLUNDQVIST J., 2012, Kivi & Monsterhund.Linköping : OLIKA förlag.MILLES K., 2008,  Jämställt språk: en hand- bok i att skriva och tala jämställt  [Le langageégalitaire : manuel pour parler et écrire defaçon égalitaire]. Stockholm : Norstedtsakademiska förlag.PARKVALL M., 2006, Limits of Language:

     Almost Everything You Didn't Know about

    Language and Languages. Sherwood :

    Oregon, William James & Company.RIDELL K., automne 2013, « Hen – unnouveau pronom personnel suédois.Planication linguistique et débat social. »À paraitre dans Nordiques n° 26.

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    Mademoiselle, l’évolution d’un titrede civilité

    Le terme d’adresse Mademoiselle estattesté depuis le XVe siècle (la formesimple domnizelle, c’est-à-dire demoi- selle,  se trouve déjà dans un texte duIXe siècle). Depuis, il a connu des transfor-mations d’usage (et de signication) impor-tantes. Au début, Mademoiselle s’utilisait,

    comme Madame, pour les femmes nobles.Mademoiselle était d’abord le titre de la lleainée des frères ou oncles du roi, puis il s’estégalement utilisé pour des lles ou femmesde gentilshommes non titrés. Jusqu’à la nde l’Ancien Régime, le sens de Mademoiselle s’est élargi et a ni par convenir pour toute jeune lle noble ou femme mariée de lapetite noblesse.Après la Révolution française, le sens de« femme non mariée », en usage depuis la

    n du XVIIe siècle, s’est généralisé, tandis

    que Madame a ni par désigner la femmemariée (et maitresse de maison).

    Changement de langue spontané etchangement de langue dirigé

    Le système des termes d’adresse montrebien l’interdépendance entre l’évolutionlinguistique et les changements aux niveauxsocial et politique. Il s’avère que le change-ment linguistique n’est qu’en partie spontané,

    et qu’il est aussi sujet à des contraintes detype social et administratif, car il est, dansce cas, en lien avec le nom des citoyenneset citoyens ainsi que leur statut civil, marquésymboliquement par le titre de civilité utilisédans la correspondance ocielle.Il n’est dès lors pas surprenant que l’asymé-trie entre le seul terme d’adresse à disposi-tion pour les hommes (Monsieur) et la doubleforme Madame et Mademoiselle soit sujetteà des questions politiques quant à l’usagede ces termes dans les administrations.

    Comme dans d’autres pays, l’utilisation deMademoiselle a donné lieu, en France, à plu-sieurs circulaires et réponses ministérielles àdes questions écrites de parlementaires (cf.Debono 2010 : 146ss.). Elles transcrivent la

    volonté de ne pas (devoir) distinguer entrela femme célibataire et la femme mariée.Cependant, Debono (2010 : 147) conclut :« Ces textes ont beau exister, ils sont large-ment inappliqués par les administrations. (…)Et la constance des réclamations parlemen-taires pour l’application de ces circulairesn’y a rien changé ».Parmi les tentatives d’intervention féministeplus volontaires, les formes Madelle (censée

    remplacer Mademoiselle et Madame) ainsique M e (au lieu de M me et M lle) (cf. Elmi-ger 2008: 323) semblent avoir eu peu desuccès en dehors de cercles initiés.

    La situation aujourd’hui

    Contrairement à d’autres langues (commel’anglais ou l’allemand), où l’utilisation de

    Miss  (anglais) / Fräulein  (allemand) esten net recul, Mademoiselle ne semble pasvraiment être rejetée par les francophones.

    Cependant, l’ancienne acception de « femmepas (encore) mariée » semble devenir mino-ritaire, car de moins en moins de femmescélibataires revendiquent êtreMademoiselle pour cette raison-là. De même, les femmesdivorcées ne semblent plus guère vouloirêtre appelées Mademoiselle (cf. Commissiongénérale de terminologie et de néologie,

    chap. 5.1.5).Il subsiste surtout l’utilisation de Mademoiselle 

    pour les (très) jeunes femmes – et aussi

    pour les femmes que l’on considère commeayant un aspect jeune, parfois avec uneconnotation de atterie. Cependant, il estclair qu’il n’existe pas de limite objectiveentre la jeune Mademoiselle et la Madame mature, et il en résulte une frontière dicileà saisir et à appliquer : ainsi, une femme detrente ans peut être attée d’être appeléeMademoiselle  ou au contraire se sentir

    (trop) peu prise au sérieux ; en revanche, leterme Madame peut être vécu comme unsigne de maturité, ou alors comme indice

    de vieillissement…Quoi qu’il en soit, l’association positive de jeunesse liée à Mademoiselle  contribueà rendre dicile son abandon complet ;pour l’instant, bon nombre de francophones

    semblent tenir au terme d’adresse Mademoi- selle (cf. Elmiger 2008: 317ss.).

    Longévité de l’usage des termesd’adresse dans l’administration

    À l’écrit également (correspondance per-sonnelle, professionnelle ou administrative),

    l’utilisation de Mademoiselle semble encorebien vivante, bien qu’il n’existe pas de sta-tistiques précises quant à l’évolution desusages. Dans certains formulaires (tant privésqu’ociels), les deux cases Mademoiselle etMadame subsistent encore et il arrive quedes administrations fassent toujours usagedes deux termes malgré le fait que « [l]euremploi ne repose en eet sur aucune dispo-sition législative ou règlementaire » ( JO Sénat,24/04/2008, p. 836), comme l’a précisé le

    Secrétariat d’État chargé de la solidarité àune question écrite de Mme Monique Cerisier-ben Guiga, en 2008. Il ajoute d’une partqu’« [i]l incombe aux intéressées de choisirla désignation qu’elles préfèrent » et d’autrepart qu’il est « recommandé aux diérentesadministrations d’éviter toute précision ouappellation susceptible de contraindre la

    divulgation de l’état matrimonial de l’inté-ressée dans ses relations avec les tiers ».Plus récemment, une circulaire du Premierministre (du 21 février 2012) demande que

    l'emploi de la civilité Madame soit « privi-légié », et recommande d’« éliminer autant

    que possible » le terme Mademoiselle– sanspour autant le proscrire. Ainsi, près d’undemi-siècle après la première circulaire

    (en 1967), dans laquelle il était noté que« dans de nombreuses administrations il estdéjà établi que l’appellation ‘Madame’ doitêtre utilisée lorsqu’une mère célibataire ledemande expressément », il semblerait quele terme d’adresse Mademoiselle ait encore

    de beaux jours devant lui

    .RéférencesCommission générale de terminologie

    et de néologie, 1998, Rapport sur la

    féminisation des noms de métier, fonction,

     grade ou titre.

    DEBONO M., 2010, Construire une didacti- que interculturelle du français juridique :

    approche sociolinguistique, historique

    et épistémologique. Tours : universitéFrançois-Rabelais (thèse de doctorat).

    ELMIGER D., 2008, La féminisation de lalangue en français et en allemand. Querelle

    entre spécialistes et réception par le grand

     public. Paris : Honoré Champion.

    La longue viede MademoiselleDaniel E, université de Genève

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    Aujourd’hui, dans la franco-phonie du Nord, dire d’unefemme, avec des noms

    masculins, qu’elle est directeur,député européen, ou ministre 

    français contrevient à ce qui estdevenu la norme linguistique dela plupart des locuteurs et des

    scripteurs. Au départ, pourtant,les nouvelles étiquettes fémi-nines se sont heurtées à biendes oppositions et des critiques(qu’on se rappelle les débatsautour des professions presti-

    gieuses : il ne fallait quand mêmepas confondre la secrétaire et le secrétaire d’État ou le secrétaireperpétuel !). Le changement s’estcependant eectué à une rapi-

    dité inhabituelle dans l’histoiredes langues. C’est d’une partque l’idée, portée par les mou-vements féministes, était dansl’air du temps (elle s’exprimeaussi dans les pays anglophones,germanophones, hispanophones,etc.) ; c’est aussi que le change-ment a été cautionné, encouragéet encadré par une politiquelinguistique volontariste aussibien au Québec, qu’en France,

    en Suisse et en Belgique.

    Petit historique des mesuresinstitutionnelles

    Le Québec est pionnier en lamatière pour la francophonie.En eet, dès 1979, la Gazette officielle  recommande auxadministrations d’utiliser systé-matiquement, pour désigner les

    femmes dans l’exercice de leurprofession, des formes féminines,déjà établies ou nouvelles, et tou-

     jours accompagnées de déter-minants féminins. Des guidesde féminisation sont publiés

    en 1986, 1991, 2007. C’est auQuébec que la francophonie doitles nouveaux féminins en –eure (ingénieure, professeure…). C’estau Québec aussi que se déve-loppe le plus la tendance à éviter

    les noms ou pronoms masculinspour désigner des ensembles

    mixtes (tendance qui conduitaux formulations du type lesenseignants et les enseignantes,

    les enseignant-e-s, le personnel

    enseignant…).

    LaFrance sera le deuxième paysà se préoccuper ociellementde féminisation. En 1984, YvetteRoudy, ministre des Droits de laFemme, met en place une Com-

    mission de terminologie relativeau « vocabulaire concernant lesactivités des femmes ». Cettecommission, présidée par l’écri-vaine Benoîte Groult, subira lesfoudres de l’Académie françaisequi estime être seule à pouvoirétablir les normes du français.Les travaux de la Commissionserviront de base à la circulairerelative à la féminisation des

    noms de métier, fonction, gradeou titre publiée le 11 mars 1986au  Journal  officiel  par Laurent

    Fabius, alors Premier ministre.Ce texte ne sera toutefois suivid’aucun eet, et il faudra attendrele gouvernement Jospin et la cir-culaire du 6 mars 1998 pour queles choses changent vraiment enFrance. L’année suivante, l’INALFet le CNRS publient un guide deféminisation.

    Dans la Confédération  hel-vétique, déjà dans les années1970, l’État fédéral marque sapréoccupation d’assurer dans lelangage l’égalité linguistique dessexes (p.ex., arrêté du 18 octobre1972). En 1988, le canton deGenève adopte une loi imposantaux administrations de féminiserles titres de profession et de

    faire en sorte que les femmessoient davantage visibles dansles textes. Il est suivi, en 1992,par le canton bilingue de Berne(qui publie des directives pourle français et pour l’allemand),

    en 1994 par celui du Jura, eten 1995 par celui de Fribourg.Divers guides sont proposés aupublic, en version papier ou surinternet.

    En Belgique francophone, undécret en ce sens est voté auParlement en 1993. Il recom-mande aux administrations de laFédération Wallonie-Bruxelles et

    aux institutions qu’elle subven-tionne, d’appliquer les « règlesde féminisation des noms de

    métier, fonction, grade ou titre ».Il charge le Conseil supérieur[belge] de la langue française deformuler un avis sur les normes àappliquer. Ce Conseil remet son

    avis le 5 juillet 1993 et publie unguide en 1994.

    Les conditions favorablesau changement

    Quels ingrédients les diérentessituations ont-elles réunis quiont permis à la féminisation des’implanter ?

    D’abord, un air du temps : l’éga-lité entre femmes et hommesest une valeur largement par-tagée par la société à la n duXXe siècle.

    Ensuite, une prise de positionocielle, traduite dans un cadre

     juridique.

    Ensuite encore, l’information dupublic. Dans les quatre situa-

    tions, des guides de féminisationont été largement diusés et ontconnu plusieurs rééditions.

    L’objectif des guides est certesd’informer le grand public, maisleur eet est aussi de traduirel’engagement des autorités.Cet engagement, on l’observeaussi, dans la France de 1998,par exemple, quand les femmes

    présentes au Gouvernementdemandent explicitement qu’onles appelle Madame la Ministre, etnon plus Madame le Ministre.

    La presse joue également un

    rôle déterminant, quand ellediuse l’information, quand ellesignale la publication de guideset, surtout, quand elle adopteelle-même les nouvelles formes.Dans les quotidiens français, on

    constate un véritable tournant enmatière de féminisation à partirde 1998. …

       L  e  s  p  o   l   i  t   i  q  u  e  s   l   i  n

      g  u   i  s  t   i  q  u  e  s   d  e   l  a   f   é  m   i  n   i  s  a  t   i  o  n

       d  e  s  n  o  m  s   d  e  p  r  o   f  e  s  s   i  o  n   d  a  n  s   l  e  s  p  a  y  s   f  r  a

      n  c  o  p   h  o  n  e  s   d  u  n  o  r   d

       A  n  n  e   D           ,  p  r   é

      s   i   d  e  n  t  e   d  e   l  a   C  o  m  m   i  s  s   i  o  n   f   é  m   i  n   i  s  a  t   i  o  n   d

      e   l  a   F   é   d   é  r  a  t   i  o  n   W  a   l   l  o  n   i  e -   B  r  u  x  e   l   l  e  s ,  u  n   i  v  e  r  s   i  t   é   d  e   S  a   i  n  t -   L  o  u   i  s ,   B  r  u  x  e   l   l  e  s ,

       M  a  r   i  e -   L  o  u   i  s  e   M           ,  u  n   i  v  e  r  s   i  t   é   d  e   M  o  n  s -   H  a   i  n  a  u  t

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    L’échec de la circulaire fran-çaise de 1986 indique bien qu’ilne sut ni d’un air du temps, nid’un décret ou d’une circulairepour modier les pratiques, etque d’autres conditions doi-vent être réunies. En l’espèce,à l’époque, la publicité autour

    de la réforme s’est faite aumoment de la mise en place dela Commission Roudy et non aumoment de la publication de lacirculaire (la France changeaitalors de gouvernement et la fémi-nisation des noms n’était pas

    une priorité de la cohabitation

    mise en place) ; aucun guide n’aété publié ; aucune personnalitéen vue ne s’est prononcée enfaveur de la féminisation ; lesmédias n’ont pas modié leurspratiques.

    Si c’est en ordre dispersé queles diérentes communautésde la francophonie du Nord ontpris des initiatives ocielles enmatière de féminisation linguisti-que, leurs recommandations sontremarquablement convergentes.

    La féminisation s’est imposée

    dans la pratique des usagers, endépit des résistances initiales eten dépit du véto de l’Académiefrançaise. Mais en 2011, lorsquecelle-ci présente le 3e volume deson dictionnaire, n’associe-t-ellepas la « féminisation de certains

    mots » à la « richesse du français »et à « son évolution » ? Il est dif-cile de ne pas voir là un signeclair du succès du changementen cause.

    H omoparentalité est un néologisme

    créé par l’Association des parents

    et des futurs parents gays et les-biens en 1996. Il désigne l’exercice de laparenté par un couple de même sexe, parune personne se dénissant comme gay oulesbienne, ou par un couple de lesbiennes

    ou un couple de gays en régime de co-pa-rentalité. L’homoparentalité est une pratique

    sociale qui interroge, comme l’ont montré lesrécents débats déclenchés par la discussionet l’adoption de la loi Taubira – n° 2013-404du 17 mars 2013 – ouvrant le droit au mariageet à l’adoption aux personnes de même sexe.

    Or, l’anthropologie des pratiques parentalesmontre que les groupes sociaux peuvent

    dénir des liens de parenté en dehors dubiologique (c’est le cas de l’adoption parexemple) et en dehors du couple hétéro-sexuel. En fait, c’est par  et dans les pratiquessociales que les acteurs sociaux dénissent,

    Le langageà l’épreuve de

    l’homoparentalitéLuca Greco, université de la Sorbonne Nouvelle

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    À retourner à

    Délégation générale

    à la langue française et aux langues deFrance

    Observatoire des pratiques

    linguistiques

    6 rue des Pyramides

    75001 Paris

    ou par courriel :

    [email protected]

    Si vous désirez recevoir Langues et cité ,le bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques,merci de bien vouloir nous adresser les informations suivantes sur papier libre

    Nom ou raison sociale :………………………………………………………………………………………………………..

    Activité : …………………………………………………………………………………………………………………………………..

    Adresse postale : ……………………………………………………………………………………………………………………

    Adresse électronique : …………………………………………………………………………………………………………..

    Date : ……………………………………………………………………………………………………………………………………….

    Ce bulletin appliqueles rectifications

    de l’orthographe, proposéespar le Conseil supérieur

    de la langue française (1990),et approuvées par l’Académie

    française et les instances

    francophonescompétentes.

    Les points de vue exprimés dans ce bulletin n’engagent que leurs auteurs.

    Observatoire des pratiques linguistiques président du comité scientique :

    Pierre Encrevédirecteur scientique : Olivier Baude

    Directeur de publication : Xavier NorthRédactrice en chef : Valelia Muni TokeCoordination : Dominique Bard-Cavelier

    Composition : Émilie CoquardConception graphique : Doc Levin/Juliette PoirotImpression : Axiom Graphic

    Délégation générale à la langue françaiseet aux langues de FranceObservatoire des pratiques linguistiques Ministère de la Culture et de la Communication6 rue des Pyramides, 75001 Paristéléphone : 01 40 15 36 91télécopie : 01 40 15 36 76courriel : [email protected]

    www.dglf.culture.gouv.fr ISSN imprimé : 1772-757X ISSN en ligne : 1955-2440

    Langues et cité

     V ÉRON Kora  etH ALE Tomas  A., Les écrits d'Aimé

    Césaire.  Biobibliographie commentée (1913-

    2008), Paris : Honoré Champion, 2013.

    Cette biobibliographie commentée retrace avec mi-

    nutie le parcours littéraire et politique d’Aimé Césaire

    à travers un millier de notices qui présentent etanalysent tous les textes ou documents publiés qui

    ont pu être recensés. L’insertion de repères chro-

    nologiques permet en outre de situer les écrits de

    Césaire dans leur contexte biographique, culturel,

    et historique.

    BORNAND Sandra et LEGUY  Cécile,  Anthropologie

    des pratiques langagières, Paris : Armand Colin,

    2013.

    Quelles sont les spécicités de la communication

    orale ? Comment comprendre les conceptions localesde l’exercice de la parole et de ses enjeux sociaux ?

    Qu’apporte un point de vue interdisciplinaire à

    l’enquête et à la compréhension des pratiques lan-

    gagières observables ? Largement illustré par des

    études de cas, cet ouvrage s’adresse en priorité

    aux étudiants en anthropologie, sociologie, linguis-

    tique ou encore en sciences de la communication,

    et à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre,

    sont concernés par les questions que soulèvent les

    usages du langage.

    Lotterie Florence, Le Genre des Lumière – Femme

    et philosophe au XVIII e siècle, Paris : Classiques

    Garnier, 2013.

    Au XVIIIe siècle, la gure insistante de la « femme

    philosophe » s'articule à un imaginaire ambivalent de

    la diérence des sexes, entre hantise d'une confu-

    sion délétère et quête d'un modèle d'harmonie. La

    femme travestit-elle la philosophie ? Les Lumières

    ont-elles un genre ?

    Langage et société n° 145, Enjeux sociaux desmouvements de revitalisation linguistique, Édité

    par James Costa, Paris : Maison des Sciences de

    l'Homme, septembre 2013.

    Quelles revendications les mouvements de revitali-

    sation portent-ils ouvertement, et de quels conits

    et intérêts locaux se font-ils l'écho ? Ces conits

    locaux ont-ils évolué récemment sous l'inuence

    de processus globaux ? Par qui ces revendications

    sont-elles portées ? Qui aectent-elles principa-

    lement ? Et, par-delà ces questions, quels chan-

    gements sociaux traduisent-elles, localement etglobalement ? Comment les questions langagières

    sont-elles construites en problèmes par les diérents

    mouvements de revitalisation linguistique ? Comment

    ces problèmes sont-ils construits comme pertinents

    pour des groupes entiers ? Comment les questions

    linguistiques sont-elles articulées à d'autres problé-

    matiques sociales ? Et, nalement, pourquoi est-ce

    par la problématisation des questions linguistiques

    que d'autres revendications trouvent à s’exprimer ?

    P