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Tous droits réservés © Santé mentale au Québec, 2009 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 01/04/2020 12:59 p.m. Santé mentale au Québec L’intervention brève en psychiatrie de consultation-liaison Brief intervention in psychiatric consultation La intervención breve en psiquiatría de enlace Intervenção breve em psiquiatria de consulta-relação François Sirois Santé mentale et justice Volume 34, Number 2, automne 2009 URI: https://id.erudit.org/iderudit/039134ar DOI: https://doi.org/10.7202/039134ar See table of contents Publisher(s) Revue Santé mentale au Québec ISSN 0383-6320 (print) 1708-3923 (digital) Explore this journal Cite this article Sirois, F. (2009). L’intervention brève en psychiatrie de consultation-liaison. Santé mentale au Québec, 34 (2), 237–254. https://doi.org/10.7202/039134ar Article abstract This essay presents a perspective on intervention in psychiatric consultation based on the patient’s subjective experience as supported by Kendler in 2005 in the American Journal of Psychiatry in his position against biological reductionism in psychiatry, distinguishing the psychic approach from the biological. The paper presents aspects of the setting and major features of the assessment in the consultation process, then proceeds to discussing principles of intervention as to specify dimensions of the psychiatric intervention in this particular context.

L’intervention brève en psychiatrie de consultation-liaison fileliaison n’est pas du bedside manners, c’est l’examen spécifique de la position subjective du patient dans

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Santé mentale au Québec

L’intervention brève en psychiatrie de consultation-liaisonBrief intervention in psychiatric consultationLa intervención breve en psiquiatría de enlaceIntervenção breve em psiquiatria de consulta-relação

François Sirois

Santé mentale et justiceVolume 34, Number 2, automne 2009

URI: https://id.erudit.org/iderudit/039134arDOI: https://doi.org/10.7202/039134ar

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Publisher(s)

Revue Santé mentale au Québec

ISSN

0383-6320 (print)1708-3923 (digital)

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Sirois, F. (2009). L’intervention brève en psychiatrie de consultation-liaison. Santémentale au Québec, 34 (2), 237–254. https://doi.org/10.7202/039134ar

Article abstract

This essay presents a perspective on intervention in psychiatric consultation basedon the patient’s subjective experience as supported by Kendler in 2005 in theAmerican Journal of Psychiatry in his position against biological reductionism inpsychiatry, distinguishing the psychic approach from the biological. The paperpresents aspects of the setting and major features of the assessment in theconsultation process, then proceeds to discussing principles of intervention as tospecify dimensions of the psychiatric intervention in this particular context.

L’intervention brève en psychiatriede consultation-liaison

François Sirois*

Cet essai présente un point de vue sur l’intervention brève en psychiatrie de consultation-liaison basée sur l’expérience subjective des patients, tel que soutenu par Kendler en 2005dans l’American Journal of Psychiatry dans sa prise de position contre le réductionnismebiologique en psychiatrie, pour ne pas confondre l’approche de l’esprit avec celle du cerveau.L’auteur présente certaines particularités de l’approche du problème et de l’évaluation,suivies d’une discussion des principes de l’intervention afin de préciser les enjeux et lesdimensions du travail psychiatrique dans ce contexte particulier.

C ette discussion apparait opportune, d’une part, parce que laconsultation en milieu médico-chirurgical souffre d’une pauvreté

d’élaboration dans son cadre général, d’autre part, parce qu’elle secantonne dans des spécificités étroites lorsqu’elle se fractionne dans dessous-spécialités comme la greffe ou l’oncologie. Dans les milieuxd’enseignement, environ 4 % des admissions hospitalières (Sirois, 1986)font l’objet de consultation psychiatrique. Au fur et à mesure du déve-loppement administratif de ces milieux, différents services s’organisentdans un certain flottement face au rôle du psychiatre consultant àl’hôpital général et dans une réticence à situer son implication dansdivers programmes intégrés, souvent en marginalisant la consultationdans le no-man’s land de l’interface des systèmes ou des retranchementsmédico-légaux. Si la psychiatrie de liaison est le domaine par excellencede l’inorganisé, c’est que son objet propre, tel que présenté ici, n’est nila maladie, ni le social, ni l’organique, mais bien la réaction que lepatient développe dans l’éprouvé d’une rencontre avec la maladie, dansl’expérience des différents moments de l’hospitalisation, dans son rap-port avec les soignants ou dans la traversée d’une chirurgie.

Une proposition de Flanagan en 2007 dans l’American Journal ofPsychiatry suggère d’incorporer dans le DSM-V l’aspect de l’expé-rience subjective du patient. Dans cette optique, le psychiatre peut

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* L’auteur est psychiatre, professeur de clinique au département de psychiatrie de l’UniversitéLaval et travaille comme consultant à l’Institut de cardiologie et pneumologie de Québec.

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apporter une contribution spécifique au soin global du patient mêmelorsqu’il n’y a pas de pathologie aigue ni d’altération perturbatrice chezle patient. Bien que la littérature actuelle insiste sur la nécessité pour leconsultant de vérifier attentivement les paramètres biologiques etenvironnementaux de la situation clinique, il sera surtout question ici del’importance de l’évaluation des aspects psychiques pour rendre comptedu versant subjectif de l’expérience du patient dans ce contexte, et pourtravailler à partir de cet aspect. La position du psychiatre n’est pas celledu médecin d’un organe mais celle du médecin de la personne. Positionprésomptueuse, dira-t-on, à l’heure où les médecins sont soucieux durapport au patient et de l’approche globale ; mais la psychiatrie deliaison n’est pas du bedside manners, c’est l’examen spécifique de laposition subjective du patient dans son contexte de soins. Dans ce sens,le psychiatre de liaison travaille plus comme un radiologiste que commeun neurologue. Radiologiste qui examine l’image mentale par laquellele patient se représente sa maladie. Examinons-en les particularitésselon trois grands axes : le contexte clinique, le cadre d’évaluation et lemode d’intervention.

Le contexte clinique

D’abord, le psychiatre de liaison travaille dans un contexte qui nelui est pas propre, voire propice, comme un chirurgien qui serait appeléà faire une appendicectomie sur une table de cuisine. Il n’y a pas dechamp opératoire propre : ni quiétude du cabinet, ni l’attention complètedu patient souvent souffrant, symptomatique ou entravé par un appa-reillage ; il y a un va-et-vient constant, le patient d’à côté écoute, uneinterruption peut survenir n’importe quand selon la routine hospitalière.Il lui faut donc travailler vite et à partir d’indices cliniques infra-verbaux. Souvent le symptôme principal derrière la référence ne peutêtre exploré en détail dans un premier temps lorsque l’état du patient oule contexte de soins préviennent un contact verbal élaboré. Le psychiatrede liaison est alors comme un archéologue qui collectionne les tessonspsychiques, les fragments de comportement ou les lambeaux de phrasespour construire le cas comme on reconstitue une céramique. Ces indicespréverbaux sont variés, comme le niveau d’attention, la clarté dudiscours, le niveau d’agitation, la qualité du contact verbal, la réactionface à un allégué. Ces signes d’avant diagnostic acquièrent une impor-tance accrue dans ce contexte de travail.

Ensuite, le motif manifeste de la demande n’indique pas toujoursl’angle qui doit être adopté, à savoir l’orientation de la consultation(Sirois, 1989) vers le patient, vers le médecin traitant ou vers la situation

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globale. Ces contextes différents n’appellent pas le même levier d’inter-vention. Esquissons brièvement ces trois contextes. La consultationorientée vers le patient est la consultation classique la plus fréquente,balisée par la reconnaissance de l’étanchéité des divers champs despécialité médicale ; elle présuppose la compétence exclusive et la non-ingérence. Quatre exemples de ce type de consultation. A : la consul-tation préambule ; elle fait partie du processus d’investigation comme enchirurgie ; b : la consultation camouflée ; initiée par le patient lui-mêmeoù l’hospitalisation devient prétexte pour le patient à aborder desproblèmes qui n’y sont pas toujours reliés ; c : la consultation intermède ;lorsqu’une psychopathologie survient et prend l’avant-scène du tableauclinique, le médecin traitant demande au consultant de s’occuper de lacomplication avant de poursuivre ses objectifs, comme lors d’une psy-chose aux stéroïdes ; d : la consultation intégrée ; lorsqu’une composantepsychique est identifiée dans le cours d’une situation clinique. Commecette dame qui, suite à une thoracotomie pour un nodule pulmonaire, sefit dire que la lésion était un simple hamartome bénin mais qui réagitparadoxalement comme à une mauvaise nouvelle ; le consultantintervint pour débrider un conflit lié à la culpabilité et s’assurer que cetétat n’interférât pas avec le cours du contexte postopératoire.

Les deux autres types de consultation sont plus complexes. Celleorientée vers le médecin référant est plus délicate. Elle présuppose unecompréhension des enjeux entre le médecin et son malade. Les deuxsituations les plus fréquentes sont celles de l’angoisse et de la culpabilitédu médecin traitant face au patient, souvent autour des enjeux deslimites de l’intervention médicale et de la demande de confirmation etde partage de cette position. Elle s’appuie sur la collégialité autourd’enjeux éthiques ou existentiels où le consultant adopte un rôle decaution. Il importe alors de s’assurer de l’état des relations médecin-malade. Comme cette demande de voir un malade en phase avancée dedystrophie musculaire demandant un sevrage irréversible du respirateur.Quant à la consultation orientée vers la situation elle est typique de lapsychiatrie de liaison. Ici le contexte est prépondérant. Retenons troiscas de figure. D’abord, le patient dont le rôle comme patient est déviant.Un patient qui dérange pour diverses raisons, souvent liées à l’anxiétéqui déstabilise le caractère ou le comportement. Par exemple, un patientvenu se faire opérer pour une thoracotomie arrive en état d’ébriété etsème la peur sur l’étage ; assez frustre dans son fonctionnement, il aterriblement peur de la chirurgie ; il ne demande pas mieux que d‘êtremis sous sédation et rassuré ; ou encore ce patient diabétique caractérielqui menaçait de se suicider lorsqu’on voulait lui donner congé. S’il fautgarder le patient, le consultant se voit confier le rôle de gendarme, s’il

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faut lui donner congé, il sera mandé comme caution. Le second cas estcelui de patients très malades ou qui ne guérissent pas, pas néces-sairement des patients en phase terminale ou à pronostic très réservé,mais avec des problématiques complexes et compliquées et dontl’évolution clinique est longue et tortueuse, et qui dévient d’un schémarégulier et ce pour des raisons psychiques, souvent des régressions oul’exacerbation d’attitudes caractérielles qui entravent le travail dessoignants, ou encore ceux qui suscitent des conflits entre les soignants.Le troisième cas est celui des patients en phase de transition dans leurévolution clinique. Ces points d’inflexion sont souvent des moments devulnérabilité, comme le passage des soins intensifs à l’étage ou del’étage au domicile. Ces différents aspects du contexte nous amènent àpréciser certains enjeux de l’évaluation.

L’évaluation

Après avoir esquissé les particularités externes du cadre d’éva-luation, il faut s’arrêter aux particularités internes inhérentes à l’examendu patient lui-même dans ce contexte. Sans minimiser l’importance dudiagnostic, il y a lieu d’élargir la question pour saisir les ressorts duprocessus. Souvent le symptôme initial est souvent banal et répétitif etdoit être mis en perspective. Pour ce faire il faut porter attention à unedimension orthogonale soit l’aspect longitudinal pour compléter leportrait clinique. Ce qui est souvent fait par le recours à l’informationcollatérale. En débordant l’approche strictement dyadique avec le patienton débouche sur ce qu’on peut appeler l’approche trigonométrique dusymptôme, tel que mesuré selon différents angles. Dans ce sensl’information collatérale est une façon de comparer les points de vueplutôt qu’une façon de remplir les vides. Par exemple, l’informationvenant du patient peut être différente de celle avancée par le personnelinfirmier ; ces écarts sont utiles pour soupeser les points de vue et surtoutpour évaluer et comprendre quelque chose à propos du patient qui ne peutpas être dit ou observé directement, peu importe la raison. Cette approchepeut être aussi utilisée par le consultant pour analyser sa propre positionface au patient. Par exemple, une infirmière fait un commentaire anodinsur le caractère infantile d’une patiente ; le clinicien corrobore mais notementalement pour lui-même qu’il aborde encore cette patiente commeune enfant, donc la protège, ce qui semblait adéquat dans une phase aigueet incertaine de sa situation mais inopportune dans ce temps ultérieur oùune mobilisation accrue était requise.

Trois aspects de l’évaluation semblent importants, trois aspectspertinents peu importe l’enjeu diagnostique : l’évaluation de l’angoisse

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et de l’affect dépressif, l’identification des principaux mécanismesd’adaptation, la formulation de l’idée que le patient se fait de sa maladieou de sa situation, ici appelée la position psychique centrale. L’évalua-tion de l’angoisse est essentielle pour un double motif : elle est présenteà divers degrés dans presque tous les syndromes cliniques incluant lessyndromes organiques et déficits cognitifs, et aussi elle représente unpoint d’appui pour l’intervention. Trois éléments sont à noter : l’inten-sité, le mode d’expression et la source. Selon l’intensité, l’angoisse peutêtre bénigne ou sévère ; les aspects suivants peuvent différencier cesdeux pôles. D’abord, la présence de collaboration. Le patient anxieuxmais collaborateur va utiliser le personnel pour éponger son angoissepuisque ce personnel est vécu comme tenant (holding) le patient et sesproblèmes ; le patient sera ou verbal, ou demandant ou légèrement« restless ». Ensuite, la présence ou l’absence d‘agitation ; c’est unefaçon d’abréagir l’anxiété sur un mode psychomoteur plutôt queverbomoteur ; la préséance de l’un de ces deux modes est un indice del’intensité de l’anxiété. Enfin, le contact avec la réalité. En présenced’une anxiété massive, la projection est usuelle avec une idéation para-noïde fréquente attribuant le danger à l’extérieur de la personne. Lesmodes d’expression de l’anxiété sont donc dépendants de son intensité.Quant à la source de l’anxiété, il faut différencier si elle sourd de lasituation actuelle ou si elle est liée au caractère. L’évaluation rapide dela structure de caractère sous-jacente est malaisée dans un contexte desoins aigus et doit faire l’objet d’une approximation rapide par desmoyens réduits et indirects, si le patient peut collaborer suffisamment,comme des questions sur les façons de calmer les états de tension àdomicile. Par exemple, on peut distinguer si le patient est un manuel ouun cérébral (va-t-il marcher ou s’absorber en lui-même dans de tellessituations) parce que ses mécanismes d’adaptation seront plus instablesdans le premier cas s’il est immobilisé dans un lit. On peut questionneraussi sur l’apport d’adjuvants externes pour se calmer comme la prised’hypnotiques ou d’alcool. Sinon la famille peut renseigner sur leshabitudes de vie qui jettent quelque lumière sur le fonctionnementantérieur. Lorsque des signes d’impulsivité, d’infantilisme, d’abusd’alcool, de souci chronique sont relevés comme indices de pauvretolérance à la frustration, il devient plus facile de choisir le poids relatifà accorder à la sédation pharmacologique ou à la ventilation verbale. Demême, si l’anxiété est surtout liée au contexte, il est plus efficace de latravailler par une approche verbale alors que si elle est liée au caractèreil est plus rentable, à très court terme dans un contexte de soins aigus del’approcher par voie pharmacologique. Ces deux pôles sont complé-mentaires : l’anxiété d’un côté, les processus d’adaptation de l’autre. Si

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ces derniers sont restreints, peu mobiles ou primitifs, l’approche doitêtre ajustée en conséquence. Par exemple en présence d’un déni face àla maladie (Sirois, 1992a), il faut évaluer l’objet du déni. L’approchesera différente si le déni concerne la reconnaissance d’un infarctus ouconcerne la réaction à l’annonce d’un cancer. Il doit être respecté dansce dernier cas et confronté dans le premier parce que chez l’un il est auservice initial de la préservation de l’espoir alors que chez l’autre ilentrave à court terme le processus de soin.

L’impact d’une condition médicale et d’un processus de soinscomme une chirurgie ou l’installation d’un traitement à long terme peutsusciter soit l’angoisse soit l’affect dépressif selon la signification del’épisode pour le patient. Si la maladie représente une menace l’anxiétésera prédominante, si la maladie représente une perte, la réactiondépressive sera prédominante. Cette perte reste à préciser : perte decapacité, perte d’intégrité physique, perte de jouissance de la vie. Cetaffect dépressif peut peser à divers niveaux dans l’évolution éventuellede la maladie ou de l’épisode de soins, comme facteur limitatif de larécupération ou du maintien fonctionnel, comme facteur favorisant lescomplications et la réduction de la survie. On sait, par exemple, que ladépression associée à un problème cardiaque contribue à augmenter letaux de mortalité (Frasure-Smith, 1995) et les récidives (Lespérance,2000). L’affect dépressif est la réaction la plus fréquente à l’expériencede la maladie et peut se situer autant en amont comme facteur de risque(Ford, 1998) qu’en aval comme facteur aggravant.

Cette interaction entre la pression (stress) de l’impact d’unecondition médicale et la tension interne (strain) qu’elle peut engendreravec les façons d’y réagir nous amène au troisième aspect, la repré-sentation que le patient se fait de sa maladie ou de sa situation, repré-sentation appelée la position psychique centrale parce que c’est cettereprésentation qui véhicule le sens donné à la maladie par le patient,organise la position assumée dans sa situation clinique, fonde souventl’organisation de la constellation symptomatique, et, lorsque identifiée,permet de servir de point d’appui pour l’intervention. Cette positionpsychique centrale est constituée d’un affect central et d’une repré-sentation sous-jacente par lesquels le patient donne un sens à son expé-rience subjective de la maladie ou de la chirurgie. C’est souvent une clefpour comprendre la réaction du patient à son contexte de soins. Mais ellene peut être trouvée dans chaque cas, elle est souvent construite à partird’indices, et surtout partiellement occultée par l’affect initial qui en estle premier rejeton et dont nous avons traité plus haut. Pour le clinicienelle représente son hypothèse de travail. Lorsque l’épisode de soins, le

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processus de diagnostic, la chirurgie représentent une expérienceimportante au plan émotif, il arrive fréquemment que l’approcheobjective comme l’information avancée, l’éducation donnée autour desprocédures soit l’objet d’une distorsion ou d’un investissement affectifpersonnel particulier. La chirurgie cardiaque par exemple (Sirois,1992b) peut être investie d’une signification personnelle pour s’em-boîter sur une expérience antérieure ou s’adapter à l’inconnu à partir duconnu. Lorsque cette disposition subjective acquiert une intensitésuffisante elle peut modifier pour le patient la réalité de l’épisode desoins et servir de matrice pour la construction de symptômes psy-chiques. Le patient ajuste alors l’épisode de soins à son monde affectifplutôt que de s’adapter affectivement à cet épisode. Le symptôme psy-chiatrique comble alors l’écart entre la réalité objective et l’expériencesubjective. Un bref exemple pour illustrer ce point, exemple posécomme caricatural pour en faire ressortir l’aspect de l’image mentale.

Une femme de 75 ans subit avec succès un pontage coronarien.Deux jours plus tard on demande une consultation psychiatrique pourdiscours inapproprié. Le soir précédent, elle était tendue, « insécurisée »et hyper-vigilante ; elle rapporte qu’un homme a fouillé dans son vagin.Elle est relativement calme mais anxieuse, n’est pas psychotique et sonsensorium est clair. Une de ses filles à ses côtés lors du bref entretienrapporte que sa mère n’a aucun antécédent psychiatrique ni médico-chirurgical ; veuve, elle a eu cinq enfants, ses seules occasions decontact avec l’hôpital. La patiente dit se sentir mieux et ne peut élaborersur sa chirurgie. Halopéridol 1 mg est prescrit pour la nuit de façon pré-ventive. La patiente est transférée sur l’étage le jour suivant et accueillele consultant en disant qu’elle a expulsé un caillot de sang sans préciser,ce que le personnel ne peut confirmer. Le jour suivant, elle apparait figéedans le fond de son lit comme si elle était au repos complet. Un contactplus étoffé permet de revenir avec la patiente sur la « séquence » desdifférents éléments rapportés et le consultant avance qu’elle pourrait sesentir comme lors de ses seuls autres séjours à l’hôpital. Elle élaborealors sur ses accouchements, comment les choses se sont passées rapi-dement et facilement, mais comment elle se sent chanceuse qu’il en soitainsi. Comme événement de vie, elle ne pouvait que comparer sachirurgie avec la naissance de ses bébés, et son soulagement que leschoses se passent si bien dans les deux circonstances. Le premiersymptôme référait à l’examen en travail, probablement en rapport avecun calcul de diurèse ou d’irrigation de la sonde par un infirmier de soir,le second avec le saignement post-accouchement peut-être lié à uncrachat sanguinolent, le troisième avec le repos absolu alors prescritdans ce contexte. Les symptômes étaient ainsi organisés comme une

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expérience hystérico-dissociative pour absorber et éponger l’anxiété liéeà la chirurgie par transposition avec une expérience antérieure signi-ficative. Il y aurait beaucoup d’autres exemples à développer pour illus-trer comment le même type de chirurgie peut être vécu tantôt commeune agression, tantôt une séduction, tantôt une punition, et comment cesreprésentations centrales organisent l’expérience subjective du patientpour façonner un parcours clinique particulier.

Cette vignette illustre comment plusieurs manifestations psy-chiatriques brèves, plus ou moins classifiables au plan diagnostic sonttributaires de cet écart entre l’expérience subjective et la réalité objectived’un épisode de soins. Cet écart peut produire des symptômespsychiatriques dans la mesure où il n’est pas immédiatement accessibleau patient lui-même et doit faire l’objet d’une reconstruction ou d’unehypothèse de la part du consultant, hypothèse sujette à confirmation ouréfutation par le patient dans l’échange clinique. Il apparait dès lorsimportant dans le processus d’évaluation de rester à l’affut de tout écartentre la position du patient et celle de l’équipe soignante dans laperception de la situation clinique. Dans ce cas, l’adaptation du patientdevient centrée sur l’expérience affective subjective plutôt que sur leproblème clinique objectif. Ce qui nous amène à la question de l’inter-vention.

L’intervention : aspects générauxLa consultation psychiatrique peut se fixer deux objectifs : une

évaluation individualisée et une intervention brève liée au contexte.D’abord, l’évaluation va au-delà d’une étiquette diagnostique. Il fautfaire attention aux protocoles standardisés. Par exemple, un délirium,mais pourquoi maintenant chez ce patient ? Attention aux phrasescreuses, type étiologie multifactorielle ; il faut choisir d’agir sur la causela plus probable et vérifier l’hypothèse par l’évolution. Comme cepatient de 91 ans admis pour pneumonie traitée avec antibiotiques etprednisone ; volubile avec des symptômes paranoïdes, désorienté maisavec un sensorium clair et des déficits cognitifs antérieurs ; le consultantopine que la réaction à 50 mg de prednisone est le facteur principal etsuggère risperidone 0,25mg bid et une diminution des stéroïdes (Sirois,2003). Ce qui fut fait avec amélioration. Ensuite, l’évaluation procède àpartir de l’axe de l’état affectif du patient pour examiner la distorsionsubjective de l’état clinique. Par opposition, l’intervention procède àpartir de l’axe de la réalité objective pour réduire cette distorsion.L’intervention vise à renverser l’accommodation (la réalité organisée— voire déformée — par l’état affectif) vers l’adaptation (l’état affectifarrimé à la réalité).

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Pour ce faire, il faut souvent soupeser le rapport de la réalitépsychique et de la réalité physique dans un sens comme dans l’autre.Parfois, la réalité psychique masque la réalité physique. Par exemple, unpatient âgé arrive en œdème aigu du poumon post infarctus massif ;bonne collaboration au début, quelques jours plus tard, il s’alimente peu,devient retiré et parle de mourir. On demande au consultant de statuersur « l’état dépressif ». Le psychiatre évalue que le patient vient deréaliser la gravité de l’épisode, qu’il y réagit de façon intense, ambi-valente et un peu discordante, et qu’il réfère à son testament biologique.Au départ, le patient parlait de ses projets d’avenir après l’hospitali-sation, des rapports avec sa fratrie comme si la vie allait continuercomme avant après l’épisode. Peu à peu, l’investigation médicale d’unepart, la persistance de symptômes physiques, évidente pour le patientlui-même d’autre part, viennent éroder ce déni initial de la gravité de lacondition, et le confronter avec ce qu’il avait voulu initialementminimiser. L’intervention vise d’abord à aider le patient à réaliser qu’ilest en fin de course et à respecter son choix ; ensuite, écarter la notionde dépression pour le médecin traitant et ouvrir la référence en soinspalliatifs. Validation le lendemain avec le patient et sa famille.

D’autres fois la réalité physique est utilisée pour masquer la réalitépsychique. Ainsi cette dame septuagénaire qui indique vouloir refuser lapoursuite de tout traitement. Récemment opérée pour un pontage sansaucune complication, elle reste hospitalisée en cardiologie pourcompenser une insuffisance cardiaque modérée. Le chirurgien ditvouloir respecter sa volonté ; le cardiologue est plus sceptique puisquemême si elle se laissait dépérir, elle en aurait pour des semaines sinondes mois. Lorsqu’elle est vue, on constate un déficit visuel chez unepersonne tonique qui engage l’échange verbal de façon facile ; elles’alimente bien et se mobilise bien, son sommeil est adéquat ; elle vitseule dans son logement et refuse d’envisager une relocalisation avecaugmentation de services. Elle explique que sa fille est décédée d’uncancer il y a quelques mois, qu’elle l’a vue dépérir durant de longuessemaines. Elle semble vouloir s‘identifier à sa fille. Lorsque lacorrespondance lui est soulignée, elle raconte qu’elle a eu plus jeune unavortement, et le lien entre faire mourir un enfant et se laisser mourirpeut être établi. Par la suite, elle reprend ses médicaments et suit sonprogramme de physiothérapie, en transmuant la culpabilité en causedans son comportement en soumission au destin.

Sur ce cadre général, quatre principes structurent l’intervention.1 : la mesure de l’écart entre la position du patient et celle du médecin ;c’est pour cette raison qu’il faut se tenir bien informé de l’état quotidien

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des procédures d’investigation et de traitement ; 2 : l’évaluation despoints de friction entre le patient et les soignants, souvent plusfacilement accessibles par l’opinion du nursing ; c’est pour cette raisonqu’il faut parfois connaitre l’opinion du médecin et des soins infirmierssur la situation ; 3 : la détermination des principaux mécanismes d’adap-tation : fuite, évitement, déni, régression, dramatisation, manipulation ;4 : la formulation concrète d’une recommandation non interprétative. Lemédecin référant n’a que faire des processus intermédiaires duconsultant, il veut ses conclusions et les implications pratiques. Cesimplications ne concernent pas uniquement le champ du médicament.Parfois, il s’agit de préciser des attitudes pour les paramédicaux, d’ob-server seulement le patient en précisant la raison, voire de recommanderson congé.

L’intervention en consultation a donc les quatre caractèressuivants : elle est ponctuelle et de ce fait procède en marches d’escalier ;elle est limitée, donc procède en lien étroit avec le contexte de soins ;elle est spécifique en visant à optimiser l’évolution clinique du patient,soit réduire l’obstruction aux soins, maximiser le confort ou réduirel’angoisse liée au contexte ; elle est contingente à la direction de l’évo-lution, soit pour pousser le patient au plus près de ses capacités, lesupporter lors de reculs ou complications, le préparer ou lui faire réaliserle pronostic défavorable. Parce que souvent le patient est psychiquementen position ectopique par rapport à son état physique, soit en avance soiten retard.

Enjeux et dimensions de l’intervention

Cette définition de l’intervention du psychiatre consultant signifie,d’une part, une position particulière dans le milieu de soins, d’autre part,un agencement de la pratique selon des dimensions spécifiques. Quant àla position dans le milieu, le consultant devient souvent un intermédiaireentre l’état d’esprit du patient et les contraintes des soignants. De ce fait,il est souhaitable qu’il soit à la fois participant dans toute la linéarité duprocessus et non seulement pour étouffer des crises, et à la fois enposition excentrique pour ne pas être identifié trop étroitement à l’uneou l’autre des parties ni posé comme gestionnaire de cas. Ce quiimplique qu’il n’y a pas de consultation psychiatrique sans mise encontexte et sans temporalité, parce que c’est seulement en comparantl’avant et l’après que le psychiatre peut tout autant se valider quecomprendre la portée de l’expérience du patient, souvent dans la phasede résolution où le patient moins instable peut organiser son expériencedans l’après-coup ; d’où le fait que le consultant navigue souvent dans

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un suivi conjoint de par la nature de son travail. Dans cette position, lepsychiatre consultant est souvent perçu par le patient comme sonombudsman, celui qui se préoccupe de la « personne qui vient avecl’organe » ; non pas que le médecin traitant ou le personnel ne le fontpas, mais comme position d’allié dans un déroulement souvent peufamilier pour le patient.

Quant à la pratique quotidienne, ces caractéristiques et principesgénéraux s’organisent autour de diverses dimensions qui encadrentl’intervention :

a) Atténuer et circonscrire les déficits du patient

Il faut d’abord encapsuler les psychoses brèves lorsqu’ellessurviennent. Le patient en soins aigus est souvent fortementmédicamenté. Il traverse des phases de vulnérabilité selon lesprocédures d’examen, de traitements, au sortir de l’anesthésie ou selonl’arrimage à des supports technologiques variés. Lorsque l’anxiétés’accroit elle est souvent projetée vers l’extérieur pour être épongée,d’où l’apparition de symptômes paranoïdes qui doivent être atténuésrapidement par l’administration de neuroleptiques. Le premier stade estl’apparition de méfiance et de soupçon. Le patient cherche à vérifier cequi se passe autour de lui ; il questionne les moindres gestes sans êtrerassuré par les explications. Le second stade est l’apparition d’idées dedanger, fragmentées et occasionnelles, insérées dans le cours de lapensée. Le troisième stade est l’apparition d’un délire organisétransformant l’épisode de soins en expérience étrange et dangereuse ;soit un délire à propos de l’espace environnant où des activités illégalesou perverses se produisent, soit un délire à propos du personnel vécucomme menaçant. Le patient peut refuser qu’on lui touche. La nature del’anxiété derrière cette idéation est souvent une peur de mourir. Turner(1990) a montré que cette peur est fréquente dans un contexte de soinsaigus quoique rarement exprimée directement. D’autres angoissesassociées concernent la peur de rester handicapé ou de ne pas récupérerad integrum.

Il faut ensuite respecter les déficits cognitifs. Ces déficits sontfréquents, particulièrement suite à une chirurgie mais aussi dans lapopulation médicale hospitalisée. Le patient nécessite une périodeallongée de soins subaigus et ne peut être précipité trop rapidement versl’autonomie personnelle. Il faut alors travailler sur des paramètresintermédiaires comme le rétablissement du cycle éveil-sommeil, la coo-pération aux soins, le maintien de l’alimentation. L’aspect instrumentalde ces paramètres est l’objet du travail des autres professionnels mais le

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consultant cherche à repérer comment le patient les perçoit et s’il les faitsiens ou non, donc sur sa réponse subjective à ces diverses interventions.Par exemple, des patients gavés vont souvent réagir en arrachant leurTNG sous divers prétextes, en se plaignant de la diarrhée secondairefréquente et de la perte d’appétit associée ; il en de même pour lamobilisation en physiothérapie et l’hygiène personnelle. Le consultantest souvent ici un fouineur en quête d’indices sur la réaction des patientsà ces différentes sollicitations.

b) Surveiller la trame longitudinale de la trajectoire de soins

Surveiller l’anxiété en phase aiguë. C’est un aspect essentiel pourcomprendre la position psychique du patient et la façon dont il s’adapte.Certains sont très anxieux malgré une bonne évolution, d’autres trèsprécaires demeurent indifférents. L’écart subjectif acquiert alors unevaleur significative. Le patient en position d’évitement sera facile àsoigner en phase aiguë, mais pourra refuser d’envisager le pire si lasituation se dégrade ou rester dépendant si la situation s’améliore. Àl’autre pôle, le patient en position hyper-vigilante est souvent deman-dant en phase aiguë sans qu’on puisse toujours lui fournir les réponsesqu’il demande, et il se positionne souvent psychiquement en avance surson état clinique, contrairement au phobique qui se maintient en retardsur sa situation clinique.

Surveiller l’espoir en situation chronique. Les affects négatifsaffectent défavorablement l’évolution (Buerki, 2005). Le patient auparcours long et compliqué pose certaines difficultés parce qu’il ne voitpas « le bout du tunnel ». Souvent il lui faut s’appuyer sur un espoird’emprunt (borrowed hope) basé sur une identification à la position dumédecin parce que son expérience subjective ne lui permet pas demesurer l’évolution de sa situation, comme le patient qui développe unefistule ou une fuite pulmonaire, ou encore doit subir de longs traitementscomme lors d’endocardite ou de médiastinite. Le désaveu, la passivité,la rupture de collaboration sont des symptômes occasionnels par les-quels le patient cherche à fuir la situation, vécue comme un empri-sonnement. Le patient se sent prisonnier de sa maladie, sa cage est soncorps. Certains cherchent à s’organiser mentalement pour se sortir duprésent, soit en fuyant vers le futur pour échafauder divers projetssouvent peu réalistes, soit en retournant dans le passé comme porte desortie. Ces distorsions de l’espoir sont des soupapes utiles mais deman-dent à être suivies attentivement pour surveiller la qualité del’investissement dans le traitement en cours et aider le patient à soutenirune expérience personnelle qui ne le fasse pas se sentir uniquement

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comme un objet biologique. Deux leviers peuvent être mobilisés ;d’abord, formuler spécifiquement la part qui revient au patient dans leprocessus de soin (s’occuper de sa personne, s’alimenter, se mobiliser) ;ensuite, identifier une activité personnelle qui lui permette, si possible,de « sortir » temporairement et mentalement de sa maladie, commeregarder la télévision, écouter de la musique, lire le journal ou télé-phoner à ses proches. Double attitude : rester présent et s’absenteralternativement de sa situation.

Surveiller les phases de transition. La vulnérabilité du patient àl’angoisse et à la régression est accrue dans les périodes d’inflexion dutraitement qui demandent un ajustement de la position psychique dupatient. Le passage des soins intensifs à l’étage est parfois l’occasiond’une recrudescence d’anxiété ou du « total care blues». Le patient sesent plus seul, moins surveillé et demande s’il est vraiment prêt pour cechangement ; il craint qu’on échappe une complication ou uneaggravation de son état, ayant de la difficulté à croire à son amélioration.Le passage de l’étage au domicile est une autre transition évoquantcertaines anxiétés, surtout si le patient doit quitter avec certains supportstechnologiques ou sans avoir complété un cycle de traitement (plaiesnon totalement guéries, régime d’antibiotiques à poursuivre). Les soinsinfirmiers préparent attentivement de nos jours les départs avec le travaildes infirmières de liaison. Néanmoins, certains patients ventilent desinquiétudes sinon des réticences à quitter. C’est souvent le cas descardiaques qui ont des défibrillateurs « actifs » ou qui ont fait des arrêtscardiaques ; ils veulent se sentir surveillés de près et rester en contactétroit avec l’équipe de soins. Ces patients ont souvent besoin d’un suivitransitoire externe pour maitriser cette phase de transition.

C) Évaluer la position et l’expérience du patient face à son étatclinique

S’appuyer sur la condition physique. Le patient fonde son rapportà la réalité sur une base différente de celle du médecin, sur des aspectsmanifestes et subjectifs. Le niveau d’appareillage et l’état des tubuluresdoit être surveillé (sonde, cathéter, TNG, Holter, drains, lunettesnasales) dans son déroulement parce que plus significatif pour le patientque des paramètres silencieux comme ceux de l’insuffisance rénale,hépatique ou hématologique. Par exemple, l’insuffisant rénal sera plusstable psychiquement que le dyspnéique. Le consultant doit doncsouligner toute réduction de cet appareillage, toute progression dans lamobilisation pour aider le patient à croire en sa récupération. En état desoins prolongés, le patient doit s’appuyer sur la parole du médecin et de

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l’équipe soignante pour se convaincre par procuration ; il faut doncvérifier si le patient s’identifie aux soignants ou s’il se pose encontrepartie. La conviction par procuration maintient souvent présentel’anxiété et rend l’espoir instable si l’ambivalence existe entre le patientet les soignants.

Équilibrer l’approche verbale et pharmacologique. Bien qu’elleoccupe une place importante en soins aigus, la médication ne dispensepas d’un contact verbal personnel avec le patient quelle que soit sacondition comme le souligne Kontos (2003). Il est important de savoircomment le patient vit la sédation. Il ne faut pas minimiser le potentielcalmant d’une ventilation de l’anxiété, d’un encadrement verbal del’agité, de l’effet de détente de la volubilité accrocheuse de l’anxieuxchronique. Les traits de caractère sont importants à jauger pour savoir sila parole est utilisée comme une action pour garder contact plutôt quepour exprimer un état intérieur. Presque tous les patients bénéficientd’une écoute attentive qui leur permette de se sentir entendus dans leursangoisses, quelles qu’elles soient. Par exemple, souligner l’inconvénientpsychique d’une situation de dépendance, la crainte d’une perted’intégrité physique ou la menace narcissique que représente la maladie.

Être à l’affut des réactions paradoxales. Parfois le patient réagit àune évolution favorable par une attitude d’abattement. Il se présenteaffaibli, déprimé, insatisfait, et le temps de séjour s’allonge indûmentau-delà des paramètres usuels sans évidence de complication parti-culière. Blacher (1978) a décrit cette situation comme une dépressionparadoxale analogue au syndrome du survivant. Le patient a échappé aupire, comme le soldat revenu du front ou le rescapé d’un campd’extermination. Il se sent mal et coupable à cet effet en rapport avecd’autres qui n’ont pas eu cette chance. Ces « autres » doivent être repéréset identifiés par le consultant ; parfois un père décédé subitement ducœur sans avoir été aidé par la médecine alors que le fils a bénéficié dusuccès d’un pontage coronarien, parfois un frère ou une sœur décédéeen bas âge. Le patient vit alors le succès du traitement ou de la chirurgiecomme une chance non méritée, comme si sa vie avait été préservée auxdépens de quelqu’un d’autre. D’autres patients qui ont vécu depuistoujours avec des pathologies congénitales semblent ne pas croire à unediminution des symptômes qui les ont accompagnés toute leur vie.

Travailler à contrer la régression. La régression, telle que définiepar le Comprehensive Textbook of Psychiatry (2005, 857) est un méca-nisme de défense par lequel une personne retourne à d’anciennes façonsde s’adapter. On parle aujourd’hui de déconditionnement pour despatients qui ont passé de longues semaines intubés, alités, immobilisés,

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gavés, avec la perte subséquente de réactivité et d’autonomie. De façonplus atténuée, certains patients ont de la difficulté à quitter l’étatrégressif nécessaire au déroulement de l’intervention chirurgicale. Ils nepassent pas facilement d’un état de soins aigus à un état deconvalescence. Ils esquivent une participation plus active au processusde traitement et aspirent à prolonger la période de soins maximaux. Desconflits sont alors activés autour de besoins de dépendance et depassivité ; le sevrage dans l’intensité des soins qui accompagnent larécupération est vécu comme une perte d’attention et d’affection plusqu’un pas vers le retour à la santé. Parfois le conflit va surgir de façonlatérale par une préoccupation du conjoint qui affirme ne pas être enmesure de veiller aux besoins du patient ou de s’en occuper, ou met encause l’orientation du retour à domicile. La plupart des cas vontrépondre à une poussée ferme et constante vers une autonomie accrue siles gains peuvent être renforcés aux dépens de la perte. Certains, plusrares, résistent par culpabilité à récupérer comme s’ils ne le méritaientpas ou parce que l’épisode de soins est vécu comme une insurmontableinsulte narcissique à leur intégrité (s’ils ne sont plus à 100 %, ilspréfèrent être à 0) ; ils sont dirigés vers des ressources à plus long terme.

Valider l’information apportée par le patient. C’est le cas usuel despatients avec des troubles de caractère qui recourent à des alléguésreposant sur des tiers dans leur discours. L’aspect manipulatoire estconstruit autour du marchandage, du ouï-dire, d’allégués difficiles àvérifier. Le clivage dans l’équipe soignante est alors fréquent puisquedivers intervenants recueillent divers fragments de la psyché du patient,marqués par une ambivalence massive, un fonctionnement omnipotentou encore un sadisme violent. L’établissement de limites et la directionclaire du traitement n’épargnent pas toujours la nécessité de négo-ciations souvent reconduites. Reconnaitre l’insatisfaction irréductible etl’impossibilité sinon l’impuissance à tout offrir reste un élément centralpour établir les limites de l’offre de soins. Ce travail reste souventlaborieux, voire pénible, et doit conduire rapidement à la délimitationprécise de l’offre de soins et à l’imposition de limites.

Conclusion

La tâche du psychiatre consultant est de favoriser le bondéroulement de l’épisode de soin tant du côté de l’offre que du côté dela demande. Il est donc entre l’arbre et l’écorce, à la fois attentif à l’étatd’esprit du patient et aux contraintes du soignant. Le travail se situe ainsisouvent dans cet écart ouvert entre la position de l’un et de l’autre. Bienque l’intervention s’organise sur un socle pharmacologique, elle se

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développe comme psychothérapie brève au chevet du patient (Griffith,2005 ; Blacher, 1984) ; un type d’intervention dont il importera ulté-rieurement de préciser les paramètres et discuter les ressorts.

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ABSTRACT

Brief intervention in psychiatric consultationThis essay presents a perspective on intervention in psychiatric

consultation based on the patient’s subjective experience as supportedby Kendler in 2005 in the American Journal of Psychiatry in his positionagainst biological reductionism in psychiatry, distinguishing the psychicapproach from the biological. The paper presents aspects of the settingand major features of the assessment in the consultation process, thenproceeds to discussing principles of intervention as to specifydimensions of the psychiatric intervention in this particular context.

RESUMEN

La intervención breve en psiquiatría de enlaceEste ensayo presenta un punto de vista sobre la intervención breve

en psiquiatría de enlace, basada en la experiencia subjetiva de lospacientes, tal como afirmó Kendler en 2005, en American Journal ofPsychiatry, en su toma de posición contra el reduccionismo biológico enpsiquiatría, para no confundir el enfoque de la mente con el del cerebro.El autor presenta ciertas particularidades del enfoque del problema y dela evaluación, seguidas de una discusión sobre los principios deintervención, con el fin de precisar las cuestiones y dimensiones deltrabajo psiquiátrico en este contexto en particular.

RESUMO

Intervenção breve em psiquiatria de consulta-relaçãoEste ensaio apresenta um ponto de vista sobre a intervenção breve

em psiquiatria de consulta-relação baseada na experiência subjetiva dospacientes, como defendido por Kendler em 2005 no American Journal

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of Psychiatry em sua manifestação contra o reducionismo biológico empsiquiatria, para não confundir a abordagem do espírito com a do cére-bro. O autor apresenta algumas particularidades da abordagem doproblema e da avaliação, seguidas por uma discussão sobre os princípiosda intervenção, a fim de precisar os desafios e as dimensões do trabalhopsiquiátrico neste contexto singular.

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