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Lrsquoinstitutionnalisation
de la laquo culture scientifique et technique raquo un fait social franccedilais (1970 ndash 2010)
Version du 12 octobre 2011
Olivier LAS VERGNAS
Chercheur inviteacute - eacutequipe apprenance et formation des adultes CREF Paris Ouest Nanterre La Deacutefense (EA 1589) directeur de la Citeacute des meacutetiers ndash Universcience preacutesident de lassociation franccedilaise dastronomie
Champ et meacutethodologie adopteacutee
Cette note srsquoappuie sur une revue de la litteacuterature traitant des diffeacuterents dispositifs
organisations et courants drsquoacteurs qui ont explicitement joueacute un rocircle dans la mise en
valeur sociale de la dimension scientifique des cultures individuelle et collective Elle
se focalise sur la situation franccedilaise ougrave les discours ont speacutecifiquement mis en scegravene
la laquo culture scientifique et technique raquo tout en tentant de lrsquoeacuteclairer par des
publications internationales pertinentes pour saisir les dissemblances et les
similariteacutes avec drsquoautres contextes
Compte tenu des diffeacuterences et de la polyseacutemie des vocabulaires utiliseacutes (mecircme si
on se limite agrave la France) ainsi que de la pluridisciplinariteacute des publications la
recherche documentaire classique par mots clefs dans des bases de donneacutees
geacuteneacuterales se reacutevegravele peu pertinente1 Nous avons donc proceacutedeacute de maniegravere
empirique drsquoune part en remontant les arborescences de citations agrave partir des
bibliographies de colloques et de dossiers scientifiques reacutecents et chaque fois que
cela eacutetait possible par des recherches cibleacutees sur des expressions discriminantes
Reacutesumeacute (400 mots) Dans les publications franccedilaises laquo culture scientifique et technique raquo (CST) recouvre
le champ intituleacute ailleurs public understanding of science ou scientific literacy Avant
drsquoecirctre consacreacutee par la loi (1982) cette CST a eacutemergeacute drsquohybridations entre acteurs
socio-culturels et scientifiques Un conseil national et un programme mobilisateur
des colloques ou eacutetats geacuteneacuteraux ainsi qursquoun reacuteseau de centres ad hoc ont ensuite
fait converger derriegravere cette appellation de multiples organisations Deacutesignant tout
1 Lrsquoexemple le plus frappant est le reacutesultat drsquoune requecircte sur lrsquoexpression franccedilaise de laquo culture scientifique raquo dans les bases
documentaires de reacutefeacuterence comme Francis ou Refdoc qui renvoie des reacuteponses tregraves disparates et tregraves fragmentaires par rapports aux citations des auteurs contemporains On peut noter aussi lrsquoextrecircme dispersion non significative des mots clefs qui ne sont en rien stabiliseacutes et donc ni seacutelectifs ni exhaustifs ainsi laquo culture scientifique raquo renvoie autant agrave lrsquoobjet drsquoeacutetude CST qursquoau contenu des articles
2
autant de la communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats
sur la gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques et se nourrissant drsquoacquis et de travaux rattacheacutes aux sciences de
lrsquoeacuteduction aux SIC ou agrave la sociologie et aux sciences politiques le champ de la
CST a ainsi agglomeacutereacute des corpus disparates sans donner naissance agrave un cadre
conceptuel inteacutegrateur ou agrave des frontiegraveres preacutecises
Ainsi les reacutesultats de ces politiques de CST ne peuvent ecirctre eacutevalueacutes en raison
drsquoamalgames seacutemantiques et les discours en leur faveur se trouvent se reacutepeacuteter
vainement depuis trois deacutecennies Entretenant lrsquoillusion de pouvoir ameacuteliorer agrave la fois
la deacutetection de lrsquoeacutelite et le partage des savoirs par tous ils oublient que le systegraveme
drsquoenseignement initial est reacutegleacute pour ne retenir en bac scientifique qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge et qursquoil renforce ainsi pour les frac34 restants les obstacles
cognitifs individuels en y ajoutant un obstacle laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite
une auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences Drsquoautant
que la CST officielle eacutetant une culture prescrite et non une culture veacutecue elle
renforce la rupture entre savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne
ce qui introduit une nouvelle forme drsquoobstacle eacutepisteacutemologique qualifiable de
laquo scolastique raquo
Coexistent ainsi deux familles de pratiques de CST La premiegravere organise le dialogue
entre scientifiques et profanes sans remettre en cause ce clivage La seconde
favorise lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave le
transgresser Alors que la premiegravere srsquointeacuteresse agrave la deacutemocratie technoscientifique et
non aux questions cognitives la seconde est porteacutee par des courants de lrsquoeacuteducation
populaire et de lrsquoautodirection Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des
apprenances agrave viseacutee drsquoeacutemancipation par exemple pour geacuterer au mieux une
maladie chronique participer agrave des investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers
de loisirs technoscientifiques expeacuterimentaux Mais chacune de ces deux familles
peut-elle exister sans lrsquoautre
Mots clefs (proposition)
Culture scientifique science et socieacuteteacute apprenance deacutesaffection des sciences
obstacle eacutepisteacutemologique
3
1 HISTORIQUE
11 Lrsquoeacutemergence drsquoun laquo sens figureacute raquo de la CST
Des institutions de CST speacutecificiteacute seacutemantique franccedilaise
La question des rapports des habitants aux sciences et aux savoirs scientifiques2
preacuteoccupe les organisations eacuteconomiques ou culturelles internationales et de
nombreux pays du globe (Schiele 1994) mais sa formulation varie beaucoup selon
les contextes Ainsi au sein des pays de lrsquoOCDE des diffeacuterences portent non
seulement sur les repreacutesentations et deacutesignations des activiteacutes scientifiques et
technologiques elles-mecircmes mais aussi sur la faccedilon dont celles-ci sont relieacutees aux
concepts lieacutes agrave la culture agrave la connaissance agrave la gouvernance et agrave lrsquoeacuteducation (Felt
2003)
En France3 lrsquoexpression laquo culture scientifique et technique raquo (CST) srsquoest aujourdrsquohui
geacuteneacuteraliseacutee dans des sphegraveres politiques universitaires ou culturelles pour deacutesigner
non seulement la dimension scientifique et technique de la culture mais aussi par
extension les actions voire les acteurs qui visent agrave la deacutevelopper Il en va
diffeacuteremment dans les pays anglophones ougrave lrsquoon utilise beaucoup plus freacutequemment
les expressions de public understanding of science (PUS) ou science [ou scientific]
literacy que celle de scientific culture4 Certes en France comme dans les autres
pays on voit aussi se multiplier aujourdrsquohui des reacutefeacuterences agrave des actions et des
dispositifs speacutecifiquement qualifieacutes laquo science et socieacuteteacute raquo ou laquo sciences en socieacuteteacute raquo
mais ces appellations secondaires se juxtaposent agrave celle de laquo CST raquo sans la
concurrencer5 Nous appellerons dans la suite ce second sens meacutetonymique6
synonyme de laquo lrsquoaction culturelle scientifique et technique raquo le sens figureacute de CST
Les hybridations militantes des anneacutees 70
Compareacutee agrave lrsquoemploi de formes terminologiques historiques comme les amateurs de
science la science populaire puis la vulgarisation scientifique ou les cabinets puis les
museacutees de sciences qui ont accompagneacute depuis plusieurs siegravecles la formalisation ou
2 Voir par exemple les eurobaromegravetres EBS et les eacutetudes scolaires ou peacuteri-scolaires TIMMS (2005) ROSE 2004 et PISA (2006
2009)
3 La litteacuterature semble indiquer que ce pheacutenomegravene srsquoobserve principalement en France en Belgique francophone et agrave un
degreacute moindre au Queacutebec et au Portugal
4 Le moteur de recherche international Google donnait en deacutecembre 2010 environ 2 millions de reacutesultats pour laquo culture
scientifique raquo et seulement 6 fois moins pour laquo scientific culture raquo en revanche il indiquait pregraves de 500 mille occurrences cumuleacutees pour laquo science literacy raquo laquoscientific literacy raquo ou laquo scientific and technologic literacy raquo contre seulement 100 fois moins pour lrsquoexpression laquo alphabeacutetisation scientifique raquo en franccedilais 5 Lrsquoexpression CST est par exemple au centre des champs seacutemantiques deacuteployeacutes en 2010 et 2011 lors de la creacuteation de
lrsquoeacutetablissement universcience qui est deacutefinit comme laquo eacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST raquo et dans les textes officiels concernant le plan national science agrave lrsquoeacutecole qui instaure dans chaque acadeacutemie un ou plusieurs laquo lyceacutees de CST raquo
6 Il srsquoagit drsquoune forme de meacutetonymie puisque lrsquoexpression laquo CST raquo est alors employeacutee pour deacutesigner non plus seulement
une laquo culture raquo mais lrsquoensemble des acteurs actions et dispositifs concerneacutes par son deacuteveloppement Il srsquoagit drsquoune extension analogue agrave celle subie par lrsquoexpression PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) voire la laquo seacutecuriteacute routiegravere raquo
4
la circulation des connaissances scientifiques le recours agrave lrsquoexpression laquo CST raquo
employeacutee au sens figureacute drsquoaction culturelle preacuteciseacute plus haut peut paraicirctre reacutecente
puisque la plupart des auteurs (Bensaude-Vincent 1999 Crozon et Maitte 2001 et
Guyon et Maitte 2008) en font remonter7 la formalisation progressive aux anneacutees 70
et lrsquoeacutemergence aux anneacutees 50 (Schiele 2005 Bensaude-Vincent 2010) En reacutealiteacute
le terme de laquo culture scientifique8 raquo en son sens eacutetymologique est largement
anteacuterieur agrave cette peacuteriode (Hulin 2011) il a eacuteteacute freacutequemment utiliseacute par des
peacutedagogues comme Bachelard (1938) qui emploie souvent agrave propos de laquo lrsquoesprit
scientifique raquo sur la laquo formation raquo duquel il travaille
Ainsi la nouveauteacute des anneacutees 709 et 80 est bien lrsquoapparition du sens laquo figureacute raquo de
CST employeacute pour deacutesigner un ensemble drsquoactions et drsquoorganisations visant agrave
modifier la culture scientifique agrave lrsquoeacutechelle de la socieacuteteacute dans lrsquoesprit de la creacuteation
drsquoun Groupe de liaison pour lrsquoaction culturelle scientifique (GLACS) ou de la
deacutemultiplication drsquoinitiatives croiseacutees de diffeacuterents acteurs issus des sphegraveres
scientifiques culturelles eacuteducatives et socio-eacuteducatives
Concregravetement lrsquoeacutemergence en France drsquoune corporation de la CST est agrave mettre en
relation avec deux mouvements drsquohybridation qui se sont produits au cours de la
deacutecennie 70-80 Le premier donnera naissance en 1974 agrave ce GLACS et le second agrave
lrsquoAssociation nationale sciences techniques jeunesse (ANSTJ) qui succeacuteda en 1977
agrave la Feacutedeacuteration nationale des clubs scientifiques (FNCS creacuteeacutee elle-mecircme en 1968
cf Gautier Las Vergnas et al 2011)
Dans le premier cas des chercheurs (en particulier des physiciens) srsquoeacutetaient
rapprocheacutes des acteurs culturels faisant descendre laquo la science dans la ville raquo ndash
comme lors drsquoAix-pop en septembre 1973 ndash agrave lrsquooccasion de leurs congregraves
anteacuterieurement exclusivement focaliseacute sur la communication entre professionnels
(Detoeuf amp Dauphin 2007) Dans ce nouvel univers est mis explicitement en
exergue la relation laquo science et culture raquo Plus qursquoune dimension classique de
transmission de savoirs il srsquoagit non seulement drsquoun travail politique sur le rapport
entre scientifique et profanes mais aussi de critique des modes de production des
8 PISA 2006 propose dans sa version franccedilaise une deacutefinition de la CS dans son premier sens laquo Par culture scientifique on
entend la mesure dans laquelle un individu (1) possegravede des connaissances scientifiques et les applique pour identifier des questions acqueacuterir de nouvelles compeacutetences expliquer des pheacutenomegravenes de maniegravere scientifique et tirer des conclusions nouvelles fondeacutees sur des faits agrave propos drsquoaspects scientifiques (2) comprend les eacuteleacutements caracteacuteristiques des sciences en tant que forme de recherche et de connaissance humaines (3) est conscient du rocircle des sciences et de la technologie dans la constitution de notre environnement mateacuteriel intellectuel et culturel (4) a la volonteacute de srsquoengager en qualiteacute de citoyen reacutefleacutechi dans des problegravemes agrave caractegravere scientifique et touchant agrave des notions relatives aux sciences La culture scientifique passe par la compreacutehension de concepts scientifiques et renvoie agrave la capaciteacute drsquoappliquer une perspective scientifique et drsquoanalyser les faits de maniegravere scientifique Suit une liste de contenus (connaissances en sciences et connaissances agrave propos des sciences) de compeacutetences requises (taches ou processus scientifiques) puis de contextes et situations drsquoapplication]raquo httpwwwoecdorgdataoecd104539777163pdf p 23
9 Schiele (2005) rappelle que les questions fondatrices de ces hybridations eacutetaient deacutejagrave explicitement formuleacutees lors drsquoun
colloque organiseacute au Palais de la Deacutecouverte et associant les eacutecrivains scientifiques en 1958 mais indique qursquoelles sont devenues visibles pour trois raisons lrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoautonomisation de la vulgarisation la prise de conscience que le progregraves se double de nuisances et de risques et la fin des trente glorieuses en lien sans doute pour la France avec la transformation des rapports de pouvoir conseacutecutifs aux eacuteveacutenements de mai 68 (p 21-23)
5
savoirs scientifiques10 comme le suggegraverent les titres des ouvrages de reacutefeacuterence de
lrsquoeacutepoque (par exemple laquo auto-critique de la science raquo Leacutevy-Leblond 1975) et une
inspiration lieacutee agrave des travaux de sociologie des sciences comme Habermas ou
Feyerabend
En ce qui concerne lrsquoautre hybridation elle a reacutesulteacute des initiatives des militants des
clubs de loisirs scientifiques regroupeacutes au sein de la FNCS11 heacutebergeacutee au Palais de
la Deacutecouverte qui acceacuteleacuteregraverent leur rapprochement avec des mouvements de jeunes
et drsquoeacuteducation populaire ces acteurs se reconnaissent dans laquo lrsquoanimation
scientifique raquo12 deacuteveloppant entre autre des formations sanctionneacutees dans le cadre
des speacutecialisations du Brevet drsquoaptitude aux fonctions drsquoanimation (BAFA) Tregraves vite
(1973-1979) ces eacutequipes firent le pont avec des chercheurs en peacutedagogie gracircce agrave
une perception de continuiteacute entre animation de centre de vacances et de loisirs et
animation de classes transplanteacutees (comme Host Deunf travaillant au sein de lrsquoINRP
sur les activiteacutes drsquoeacuteveil scientifique agrave lrsquoeacutecole) Mecircme si agrave lrsquoeacutepoque cette mouvance
laquo eacuteveil et loisirs scientifiques raquo se meacutelange assez peu avec le GLACS elle va agir en
compleacutementariteacute fertilisant des reacuteseaux13 de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire
extrascolaire ou peacuteriscolaire avec de nouvelles pratiques de deacutecouverte voire
drsquoinvestigation scientifique
De fait crsquoest la premiegravere de ces deux hybridations qui en reacutesonnance avec les
publications de plusieurs auteurs (Roqueplo 1974 Levy-Leblond 1975) et les
reacuteflexions sur la geacuteneacuteralisation14 du dispositif de laquo centre de CST raquo dont le premier a
vu le jour agrave Grenoble (en 1979) qui va propulser sur le devant de la scegravene cette
laquo CST raquo au sens figureacute et pousser agrave son institutionnalisation Etienne Guyon et
Bernard Maitte tous deux chercheurs impliqueacutes dans cette mouvance ont publieacute en
2008 un reacutesumeacute15 de cette peacuteriode de mise en place sous le titre laquo le partage des
savoirs scientifiques les centres de CSTI raquo Ils y mettent en perspective le
deacuteveloppement des CCSTI au sein du foisonnement qui srsquoest produit en France de
1973 (premiegravere manifestation laquo Physique dans la rue raquo) agrave 1992 (premiegravere laquo Science
en Fecircte raquo) raquo signalant que
10
Voir par exemple la thegravese de Debailly 2010 laquo La critique radicale de la science en France origines et incidences de la politisation de la science depuis Mai 1968 raquo
11 Gautier et Las Vergnas (2010) ont reacutecemment deacutecrit les conditions drsquoeacutemergence de ce courant en srsquoappuyant entre autres
sur des entretiens de deux principaux fondateurs (Dubost pour lrsquoANCS en 1962 et Guiraudon pour la FNCS en 1968)
12 Au sein mecircme de cette laquo animation scientifique raquo le champ de lrsquoanimation nature qui deviendra eacuteducation agrave
lrsquoenvironnement meacuterite une analyse particuliegravere car il prend progressivement son autonomie avec la creacuteation dans les anneacutees 75 du mouvement laquo eacutecole et nature raquo puis du CFEE
13 Observant que la coupure GLACSANSTJ seacutepare ceux qui questionnent la mise en scegravene (puis en culture) de la science
(expositions deacutebats theacuteacirctre) drsquoune part et ceux qui expeacuterimentent des formes de loisirs ou drsquoateliers peacuteriscolaires drsquoappropriation de savoirs eacutemancipateurs drsquoautre part on peut se demander si elle ne reproduisait pas vis-agrave-vis des activiteacutes scientifiques la ceacutesure laquo culture raquo versus laquo eacuteducation populaire raquo En observant reacutetrospectivement le positionnement du reacuteseau laquo peuple et culture raquo par exemple on constate que la deacutemarcation se situait plus entre mouvements politiques drsquoadultes drsquoune part et mouvements de jeunesse drsquoautre part
14 Rapport Maleacutecot (1981) puis rapport Maitte (1985)
15 Qui complegravete un premier article eacutecrit lui par Bernard Maitte et Michel Crozon (2001) On pourra aussi consulter le reacutecit de
vie de A Berestesky (2009) qui preacutesente la trajectoire de creacuteateur drsquoun CCSTI atypique (car sans murs) dans ce contexte
6
[ce mouvement militant des chercheurs et acteurs culturels] laquo sera accompagneacute drsquoinitiatives
de lrsquoEacutetat la creacuteation en 1972 du Bureau national drsquoinformation scientifique et technique
(BNIST) le lancement en 1979 par Valeacutery Giscard drsquoEstaing du projet de La Villette reprenant
lrsquoideacutee des Science Centers ameacutericains et permettant ndash gracircce au prestige de la science ndash de
sortir de faccedilon honorable des scandales immobiliers sur le site la transformation cette mecircme
anneacutee du BNIST en mission interministeacuterielle (MIDIST) Mais crsquoest lrsquoarriveacutee de la gauche au
pouvoir en 1981 qui va donner lrsquooccasion au mouvement de srsquoeacutepanouir de se structurer et de
srsquoexprimer politiquement Tout semble alors possible et les initiatives fleurissent tant
militantes qursquoinstitutionnelles raquo
La seconde hybridation elle associe laquo clubs scientifiques raquo et laquo activiteacutes drsquoeacuteveil raquo
peacuteriscolaires au sein de lrsquoassociation nationale sciences techniques jeunesse
(ANSTJ neacutee en 1977 du regroupement drsquoassociations de clubs) Selon Gautier
(1989)
laquo LANSTJ se donne pour objectif de faire pratiquer les sciences et les techniques agrave un public
de jeunes [hellip] La structure de projet demeure une constante mais on est passeacute de projets de
reacutealisation technique avec les clubs aeacuterospatiaux du deacutebut agrave des projets de recherche
collective dans des champs diversifieacutes tels que lastronomie leacutenergie solaire linformatique
Parallegravelement un modegravele peacutedagogique orienteacute vers la deacutecouverte de la deacutemarche
expeacuterimentale a eacuteteacute progressivement formaliseacute raquo
Lrsquoobjectif de lrsquoANSTJ nrsquoest pas formuleacute en termes de deacuteveloppement de la CST mais
drsquoapprentissage de meacutethodes meacutethode expeacuterimentale et meacutethode de
deacuteveloppement de projets scientifiques (en particulier en astronomie et en eacutetude des
milieux laquo naturels raquo) ou technologiques (fuseacutees expeacuterimentales avec le CNES ou
eacutenergies renouvelables) Mais comme lrsquoindiquent Las Vergnas Gautier et Piednoel
(2010) deacutecrivant son eacutevolution sur la peacuteriode 1970-1990
laquo Les animateurs plus inteacuteresseacutes par la deacutemarche des laquo savoirs choisis raquo que par la
technologie sont devenus progressivement pluridisciplinaires et vont se rapprocher du monde
peacuteriscolaire et des peacutedagogies de lrsquoeacuteveil scientifique et se professionnaliser [hellip] Les
interactions avec les milieux de la recherche sur lrsquoeacuteveil scientifique pour des formations
drsquoenseignant [hellip] vont appuyer la theacuteorisation des pratiques et des meacutethodes et contribuer agrave la
professionnalisation des formateurs Sous ces deux effets les animateurs et amateurs qui
avaient eacuteteacute entraineacute dans la mouvance laquo manips raquo de 1975 se trouvent ainsi scindeacutes en deux
sous-courants laquo peacutedagogues raquo de la deacutecouverte de la science expeacuterimentale et laquo amateurs raquo
de la mise au point technologique
Affirmer que lrsquoinstitutionnalisation franccedilaise de la CST reacutesulte seulement du
deacuteveloppement symeacutetrique de ces deux courants GLACS et ANSTJ serait reacuteducteur
Drsquoune part agrave leur naissance le GLACS et lrsquoANSTJ sont positionneacutes diffeacuteremment le
GLACS naicirct speacutecifiquement pour deacutevelopper lrsquoaction de culture scientifique et ses
membres seront directement les acteurs de son institutionnalisation dans les anneacutees
80 alors que lrsquoANSTJ centreacutee sur les apprentissages de meacutethodes par des pratiques
7
expeacuterimentales ne se ralliera16 que tregraves progressivement agrave la seacutemantique et aux
instances de la CST Drsquoautre part plus ou moins imbriqueacutes avec le GLACS et
lrsquoANSTJ ont existeacute plusieurs autres courants17 comme celui propre agrave la culture
technique alliant culture des objets techniques (dans la filiation des travaux de
Simondon 1958) et cultures du travail Il a eacutemergeacute avec la creacuteation en 1976 du
groupe laquo ethnotechnologie raquo par Thierry Gaudin chef de bureau au Ministegravere de
lrsquoindustrie qui donnera naissance en 1979 agrave la revue laquo Culture Technique raquo et agrave un
Centre de recherche sur la culture technique (CRCT disparu en 1996) dont Leroi-
Gourhan (1981) preacutefacera le manifeste fondateur en ces termes
laquo La technique et la culture dans nos socieacuteteacutes entretiennent des rapports de caractegravere
hieacuterarchique et lrsquoauteur de cet ouvrage souhaiterait que cela change [hellip] La civilisation repose
sur le deacuteveloppement de lartisanat qui possegravede une veacuteritable culture technique puis sur le
deacuteveloppement de lindustrie qui met en jeu les ressources eacuteconomiques qui subordonnent le
technicien aux deacutetenteurs du pouvoir La conversion du comportement de la socieacuteteacute repreacutesente
un obstacle agrave la mesure des propositions de lauteur La recherche plus ou moins consciente
dune solution pour sortir du cercle infernal dans lequel le monde est en train de senfermer
passera certainement par la prise de conscience des diffeacuterents axes du deacuteveloppement culturel
et lun de ces axes laxe majeur celui sur lequel gravite la connaissance et la pratique
technique meacuterite que son action soit soutenue et amplifieacutee raquo
Lrsquoinstitutionnalisation par la loi de 1982
Les courants reacutesultant de ces hybridations vont prendre de lrsquoampleur pour constituer
le fait social que nous qualifions ici reacutetrospectivement drsquoinstitutionnalisation de la
CST Une des eacutetapes clefs est celle de la promulgation le 16 juillet 1982 de la loi
dorientation de la recherche dont les articles 7 et 24 inscrivent dans la mission
assureacutee par les meacutetiers de recherche laquo la diffusion de la culture et de lrsquoinformation
scientifique et technique dans toute la population raquo On lit dans son annexe publieacutee
au JO18 sous le titre de laquo rapport sur la programmation et lrsquoorientation de lrsquoeffort
national de recherche et de deacuteveloppement technologique
laquo Le second volet du programme a pour ambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture En liaison avec le ministegravere de
16
En 1986 lrsquoANSTJ publiera son premier laquo Guide de la culture scientifique technique et industrielle raquo annuaire des acteurs de la CST mais la terminologie dominante au sein de lrsquoANSTJ (puis de Planegravete sciences agrave partir de 2002) restera celle de lrsquoanimation scientifique et technique Son objet statutaire principal est en effet laquo de favoriser aupregraves des jeunes linteacuterecirct la pratique et la connaissance des sciences et des techniques raquo alors que la mention laquo de deacutevelopper des actions en partenariat avec les structures de culture scientifique et technique raquo nrsquoapparait que dans une longue eacutenumeacuteration (Planegravete Sciences 2002 httpwwwplanete-sciencesorgnationaldocsstatuts_planetesciencespdf)
17 Lrsquoanimation visant agrave la laquo protection de la nature raquo eacutemerge eacutegalement dans le contexte de la confeacuterence de lrsquoONU de
Stockholm (juin 1972) deacuteclarant la neacutecessiteacute de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement Lrsquoanneacutee 1972 voit ainsi la mise en place drsquoun BTSA eacuteponyme au lyceacutee agricole de Neuvic ainsi que la creacuteation du journal peacutedagogique laquo La Hulotte raquo du premier camp de vacances pour adolescents consacreacute agrave laquo lrsquoeacutecologie raquo (FNCS) et des clubs CPN puis (1973) celle du premier laquo centre permanent drsquoinitiation agrave lrsquoenvironnement raquo (CPIE) Ce courant est au deacutepart en forte interaction avec la FNCS-ANSTJ au sein de laquelle ces actions sont coordonneacutees par un groupe laquo E raquo regroupant des animateurs issus en nombre du lyceacutee de Neuvic ce groupe srsquoautonomisera sous la forme du laquo reacuteseau eacutecole et nature raquo en 1983
18 JO du 16 juillet 1982 p 2276 et aussi httpwwwdsicnrsfrRMLRtextesintegrauxvolume111-l82-610htm
8
leacuteducation nationale un effort sera reacutealiseacute pour donner une place accrue aux disciplines et
aux meacutethodes scientifiques pour deacutevelopper lesprit critique la creacuteativiteacute et laptitude au
jugement personnel Cet effort prendra notamment appui sur lhistoire et les perspectives des
sciences et des techniques En liaison avec les ministegraveres de la culture du temps libre de la
communication et les autres ministegraveres concerneacutes des actions culturelles seront conduites
visant agrave associer les grands moyens dinformation en particulier les stations de radio et les
chaicircnes de teacuteleacutevision les reacutegions le mouvement associatif les entreprises les syndicats et
dune maniegravere geacuteneacuterale le monde du travail au deacuteveloppement de linformation et de la
culture scientifiques et techniques [hellip]Le renforcement des centres reacutegionaux de culture
scientifique et technique et la creacuteation de la citeacute des sciences et techniques de La Villette
constitueront des instruments de cette politique raquo
En compleacutement agrave son inscription dans la loi de 1982 et agrave la multiplication des
actions sur le terrain de nombreux systegravemes symboliques ndash eacuteponymes pour la
plupart ndash ont contribueacute agrave mettre socialement en scegravene la CST souvent eacutetendue agrave la
CSTI (ougrave le laquo I raquo eacutelargit agrave la dimension Industrielle) ainsi le conseil national de la
CSTI qui a eacuteteacute creacuteeacute en 1983 preacutesideacute par JM Leacutevy-Leblond et le programme
mobilisateur de la CSTI lanceacute en octobre 1985 par le Ministre H Curien De mecircme
se sont succeacutedeacutees une multipliciteacute drsquoassises ou drsquoeacutetats geacuteneacuteraux et a eacuteteacute
institutionnaliseacute le reacuteseau de centres ad hoc les CCSTI dont la geacuteneacuteralisation a eacuteteacute
souhaiteacutee degraves 1985
12 La professionnalisation des meacutediateurs
Consolidations progressives
Les anneacutees 80 voient donc19 la monteacutee en puissance des mouvances issues des
deux hybridations deacutecrites plus haut Mecircme si la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave
La Villette ne parvient pas agrave tenir le rocircle drsquoanimateur national qui lui eacutetait deacutevolu la
peacuteriode est celle de la professionnalisation
(1) Du cocircteacute de ceux qui se reconnaissaient degraves leur naissance dans lrsquointituleacute de CST
(notamment la filiation du GLACS) crsquoest lrsquoassociation des museacutees et centres de
CSTI (AMCSTI creacuteeacutee agrave lrsquooccasion de la mise en place ndash au deacutebut des anneacutees 80 ndash
du projet qui allait devenir la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave La Villette) et le
reacuteseau des CCSTI (Maitte 1985) qui vont progressivement structurer le paysage
mecircme si quelques mouvances srsquoaffirment plus autonomes comme certains de ces
CCSTI (Fondation 93 par exemple cf Berestesky 2009) lrsquoAssociation Sciences
Technologies et Socieacuteteacute (ASTS) ou encore le reacuteseau des laquo boutiques de sciences raquo
(Stewart et Havelange 1989) Plusieurs auteurs (Jantzen 2001 Crozon et Maitte
2001 Guyon et Maitte 2008) ont deacutecrit cette eacutevolution en mettant en avant le
foisonnement drsquoinitiatives locales et reacutegionales la creacuteation de la Fecircte de la Science
(1992) et les deacutesillusions lieacutees agrave la conception principalement laquo intramuros raquo et
parisienne de la Citeacute des sciences (Beretetski 2009 Caillet 2011)
19
Il ne faudrait pas croire que cette mise en scegravene de la CST est speacutecifiquement lieacutee au changement politique de 1981 en France Schiele (2005) a deacutemontreacute que le Royaume Uni avait suivi la mecircme institutionnalisation des politiques de Public understanding of science (ou de Public engagement in science and technology)
9
(2) Cocircteacute loisirs et eacuteveil scientifique lrsquoANSTJ va progressivement eacutelargir son spectre
autour de son objectif initial drsquoappropriation de meacutethodes drsquoinvestigation et de
reacutesolution de problegravemes et en parallegravele ces activiteacutes de laquo deacutecouvertes scientifiques
pour les jeunes raquo vont faire largement tacircche drsquohuile au sein drsquoautres reacuteseaux Ainsi
agrave lrsquooccasion de lrsquoanneacutee de la jeunesse deacutecreacuteteacutee par lrsquoUNESCO pour 1984 les
deacuteveloppeurs de lrsquoANSTJ vont importer20 du Queacutebec en France le concept
drsquoexposcience (preacutesentation annuelle sous forme drsquoun salon ouvert agrave tous les
habitants de dizaines ou centaines de stands preacutesentant des projets scientifiques
de jeunes) et dans cette mouvance reacuteussir agrave entraicircner une dizaine de reacuteseaux
nationaux de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire (Escot 1999) et donner naissance
au Collectif interassociatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et techniques
internationales (CIRASTI) qui va enfin reacuteussir agrave amplifier le niveau drsquohybridation
resteacute timide dans les anneacutees 70 Meacutelangeant des associations speacutecialiseacutees en
animation scientifiques et des reacuteseaux geacuteneacuteralistes de lrsquoeacuteducation populaire
(agissant via des MJC foyers ruraux centres de loisirs) il va en effet devenir agrave la
fois un interlocuteur international21 se territorialiser dans la plupart des reacutegions
franccedilaises et devenir un entrelacs de creusets drsquoeacutechanges de nouvelles strateacutegies
et drsquoamplification (Escot 1999) assumant mecircme un rocircle de porte-parole de
lrsquoeacuteducation populaire pour la theacutematique de la CST
Il serait reacuteducteur de deacutecrire le fourmillement des actions de CST dans ces anneacutees
80-90 agrave partir de ces deux seuls courants Dans beaucoup de reacutegions la dimension
de la culture et du patrimoine industriels occupe alors une place importante comme
le montrent les travaux22 de Marie-Jeanne Choffel - Mailfert (2000) De mecircme la
reacuteflexion peacutedagogique sur lrsquoeacuteducation scientifique srsquoest souvent associeacutee agrave des
expeacuteriences non strictement scolaires souvent analyseacutees lors des journeacutees
annuelles de Chamonix ou agrave partir de 1996 au sein du mouvement de laquo la main agrave la
pacircte raquo Certaines speacutecificiteacutes tactiques ou disciplinaires vont aussi marquer le
paysage en particulier dans les champs de lrsquoastronomie et de lrsquoeacuteducation agrave
lrsquoenvironnement23 ainsi le rapprochement de lrsquoANSTJ avec lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie va conduire agrave faire eacutemerger des manifestations embleacutematiques degraves les
anneacutees 80 laquo Au-delagrave de [son] cette acception qualitative de la laquo deacutemocratisation raquo (faire partager une
expeacuterience scientifique) srsquoest progressivement ajouteacutee une autre dimension au sein de
lrsquoANSTJ Celle de favoriser massivement lrsquointeacuterecirct pour lrsquoastronomie elle se concreacutetise
20
Il srsquoagit de Jean-Claude Guiraudon (devenu depuis Preacutesident du MILSET puis du CIRASTI) qui avait deacutejagrave importeacute quelques anneacutees auparavant les outils et les deacutemarches peacutedagogiques des laquo Petits deacutebrouillards raquo
21 Gracircce agrave lrsquoexistence au sein du Mouvement international pour le loisir scientifique ndash MILSET ndash drsquoun systegraveme
drsquoexposciences internationales ougrave srsquoexposent des seacutelections nationales
22 Dans son ouvrage laquo Une politique culturelle agrave la rencontre drsquoun territoire Culture scientifique technique et industrielle
en reacutegion Lorraine 1980-1995 raquo elle propose ainsi quatre analyses imbriqueacutees celles des textes fondateurs nationaux de la CST celles des volets CSTI des laquo livres blancs de la recherche raquo demandeacutes par le gouvernement aux conseils reacutegionaux en 1990 celles des initiatives de CSTI en Lorraine et enfin celle des perceptions des publics de 12 dispositifs de CSTI en Lorraine
23 Voir le reacutecit laquo histoire de famille et saga de lrsquoanimation scientifique et de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement eacuteclairages lieacutes au
reacuteseau FNCS-ANSTJ entre 1972 et 1985 raquo Las Vergnas 2009
10
drsquoabord agrave Paris en 1985 avec les quinze jours de laquo meacutetro agrave ciel ouvert raquo avec leurs millions
de visiteurs dans 16 stations et leur centaine drsquoanimateurs puis ensuite par les campagnes
nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
ANSTJ Association nationale sciences techniques jeunesse et devenue aujourdrsquohui
laquo Planegravete sciences raquo httpplanete-sciencesorg
CCSTI Centre de culture scientifique technique et industrielle
CIRASTI Collectif inter associatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et
techniques internationales Mouvement franccedilais des exposciences httpcirastiorg
33
CNAM conservatoire national des arts et meacutetiers
CSI Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie httpuniversciencefr
CST Culture Scientifique et technique
34
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autant de la communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats
sur la gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques et se nourrissant drsquoacquis et de travaux rattacheacutes aux sciences de
lrsquoeacuteduction aux SIC ou agrave la sociologie et aux sciences politiques le champ de la
CST a ainsi agglomeacutereacute des corpus disparates sans donner naissance agrave un cadre
conceptuel inteacutegrateur ou agrave des frontiegraveres preacutecises
Ainsi les reacutesultats de ces politiques de CST ne peuvent ecirctre eacutevalueacutes en raison
drsquoamalgames seacutemantiques et les discours en leur faveur se trouvent se reacutepeacuteter
vainement depuis trois deacutecennies Entretenant lrsquoillusion de pouvoir ameacuteliorer agrave la fois
la deacutetection de lrsquoeacutelite et le partage des savoirs par tous ils oublient que le systegraveme
drsquoenseignement initial est reacutegleacute pour ne retenir en bac scientifique qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge et qursquoil renforce ainsi pour les frac34 restants les obstacles
cognitifs individuels en y ajoutant un obstacle laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite
une auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences Drsquoautant
que la CST officielle eacutetant une culture prescrite et non une culture veacutecue elle
renforce la rupture entre savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne
ce qui introduit une nouvelle forme drsquoobstacle eacutepisteacutemologique qualifiable de
laquo scolastique raquo
Coexistent ainsi deux familles de pratiques de CST La premiegravere organise le dialogue
entre scientifiques et profanes sans remettre en cause ce clivage La seconde
favorise lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave le
transgresser Alors que la premiegravere srsquointeacuteresse agrave la deacutemocratie technoscientifique et
non aux questions cognitives la seconde est porteacutee par des courants de lrsquoeacuteducation
populaire et de lrsquoautodirection Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des
apprenances agrave viseacutee drsquoeacutemancipation par exemple pour geacuterer au mieux une
maladie chronique participer agrave des investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers
de loisirs technoscientifiques expeacuterimentaux Mais chacune de ces deux familles
peut-elle exister sans lrsquoautre
Mots clefs (proposition)
Culture scientifique science et socieacuteteacute apprenance deacutesaffection des sciences
obstacle eacutepisteacutemologique
3
1 HISTORIQUE
11 Lrsquoeacutemergence drsquoun laquo sens figureacute raquo de la CST
Des institutions de CST speacutecificiteacute seacutemantique franccedilaise
La question des rapports des habitants aux sciences et aux savoirs scientifiques2
preacuteoccupe les organisations eacuteconomiques ou culturelles internationales et de
nombreux pays du globe (Schiele 1994) mais sa formulation varie beaucoup selon
les contextes Ainsi au sein des pays de lrsquoOCDE des diffeacuterences portent non
seulement sur les repreacutesentations et deacutesignations des activiteacutes scientifiques et
technologiques elles-mecircmes mais aussi sur la faccedilon dont celles-ci sont relieacutees aux
concepts lieacutes agrave la culture agrave la connaissance agrave la gouvernance et agrave lrsquoeacuteducation (Felt
2003)
En France3 lrsquoexpression laquo culture scientifique et technique raquo (CST) srsquoest aujourdrsquohui
geacuteneacuteraliseacutee dans des sphegraveres politiques universitaires ou culturelles pour deacutesigner
non seulement la dimension scientifique et technique de la culture mais aussi par
extension les actions voire les acteurs qui visent agrave la deacutevelopper Il en va
diffeacuteremment dans les pays anglophones ougrave lrsquoon utilise beaucoup plus freacutequemment
les expressions de public understanding of science (PUS) ou science [ou scientific]
literacy que celle de scientific culture4 Certes en France comme dans les autres
pays on voit aussi se multiplier aujourdrsquohui des reacutefeacuterences agrave des actions et des
dispositifs speacutecifiquement qualifieacutes laquo science et socieacuteteacute raquo ou laquo sciences en socieacuteteacute raquo
mais ces appellations secondaires se juxtaposent agrave celle de laquo CST raquo sans la
concurrencer5 Nous appellerons dans la suite ce second sens meacutetonymique6
synonyme de laquo lrsquoaction culturelle scientifique et technique raquo le sens figureacute de CST
Les hybridations militantes des anneacutees 70
Compareacutee agrave lrsquoemploi de formes terminologiques historiques comme les amateurs de
science la science populaire puis la vulgarisation scientifique ou les cabinets puis les
museacutees de sciences qui ont accompagneacute depuis plusieurs siegravecles la formalisation ou
2 Voir par exemple les eurobaromegravetres EBS et les eacutetudes scolaires ou peacuteri-scolaires TIMMS (2005) ROSE 2004 et PISA (2006
2009)
3 La litteacuterature semble indiquer que ce pheacutenomegravene srsquoobserve principalement en France en Belgique francophone et agrave un
degreacute moindre au Queacutebec et au Portugal
4 Le moteur de recherche international Google donnait en deacutecembre 2010 environ 2 millions de reacutesultats pour laquo culture
scientifique raquo et seulement 6 fois moins pour laquo scientific culture raquo en revanche il indiquait pregraves de 500 mille occurrences cumuleacutees pour laquo science literacy raquo laquoscientific literacy raquo ou laquo scientific and technologic literacy raquo contre seulement 100 fois moins pour lrsquoexpression laquo alphabeacutetisation scientifique raquo en franccedilais 5 Lrsquoexpression CST est par exemple au centre des champs seacutemantiques deacuteployeacutes en 2010 et 2011 lors de la creacuteation de
lrsquoeacutetablissement universcience qui est deacutefinit comme laquo eacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST raquo et dans les textes officiels concernant le plan national science agrave lrsquoeacutecole qui instaure dans chaque acadeacutemie un ou plusieurs laquo lyceacutees de CST raquo
6 Il srsquoagit drsquoune forme de meacutetonymie puisque lrsquoexpression laquo CST raquo est alors employeacutee pour deacutesigner non plus seulement
une laquo culture raquo mais lrsquoensemble des acteurs actions et dispositifs concerneacutes par son deacuteveloppement Il srsquoagit drsquoune extension analogue agrave celle subie par lrsquoexpression PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) voire la laquo seacutecuriteacute routiegravere raquo
4
la circulation des connaissances scientifiques le recours agrave lrsquoexpression laquo CST raquo
employeacutee au sens figureacute drsquoaction culturelle preacuteciseacute plus haut peut paraicirctre reacutecente
puisque la plupart des auteurs (Bensaude-Vincent 1999 Crozon et Maitte 2001 et
Guyon et Maitte 2008) en font remonter7 la formalisation progressive aux anneacutees 70
et lrsquoeacutemergence aux anneacutees 50 (Schiele 2005 Bensaude-Vincent 2010) En reacutealiteacute
le terme de laquo culture scientifique8 raquo en son sens eacutetymologique est largement
anteacuterieur agrave cette peacuteriode (Hulin 2011) il a eacuteteacute freacutequemment utiliseacute par des
peacutedagogues comme Bachelard (1938) qui emploie souvent agrave propos de laquo lrsquoesprit
scientifique raquo sur la laquo formation raquo duquel il travaille
Ainsi la nouveauteacute des anneacutees 709 et 80 est bien lrsquoapparition du sens laquo figureacute raquo de
CST employeacute pour deacutesigner un ensemble drsquoactions et drsquoorganisations visant agrave
modifier la culture scientifique agrave lrsquoeacutechelle de la socieacuteteacute dans lrsquoesprit de la creacuteation
drsquoun Groupe de liaison pour lrsquoaction culturelle scientifique (GLACS) ou de la
deacutemultiplication drsquoinitiatives croiseacutees de diffeacuterents acteurs issus des sphegraveres
scientifiques culturelles eacuteducatives et socio-eacuteducatives
Concregravetement lrsquoeacutemergence en France drsquoune corporation de la CST est agrave mettre en
relation avec deux mouvements drsquohybridation qui se sont produits au cours de la
deacutecennie 70-80 Le premier donnera naissance en 1974 agrave ce GLACS et le second agrave
lrsquoAssociation nationale sciences techniques jeunesse (ANSTJ) qui succeacuteda en 1977
agrave la Feacutedeacuteration nationale des clubs scientifiques (FNCS creacuteeacutee elle-mecircme en 1968
cf Gautier Las Vergnas et al 2011)
Dans le premier cas des chercheurs (en particulier des physiciens) srsquoeacutetaient
rapprocheacutes des acteurs culturels faisant descendre laquo la science dans la ville raquo ndash
comme lors drsquoAix-pop en septembre 1973 ndash agrave lrsquooccasion de leurs congregraves
anteacuterieurement exclusivement focaliseacute sur la communication entre professionnels
(Detoeuf amp Dauphin 2007) Dans ce nouvel univers est mis explicitement en
exergue la relation laquo science et culture raquo Plus qursquoune dimension classique de
transmission de savoirs il srsquoagit non seulement drsquoun travail politique sur le rapport
entre scientifique et profanes mais aussi de critique des modes de production des
8 PISA 2006 propose dans sa version franccedilaise une deacutefinition de la CS dans son premier sens laquo Par culture scientifique on
entend la mesure dans laquelle un individu (1) possegravede des connaissances scientifiques et les applique pour identifier des questions acqueacuterir de nouvelles compeacutetences expliquer des pheacutenomegravenes de maniegravere scientifique et tirer des conclusions nouvelles fondeacutees sur des faits agrave propos drsquoaspects scientifiques (2) comprend les eacuteleacutements caracteacuteristiques des sciences en tant que forme de recherche et de connaissance humaines (3) est conscient du rocircle des sciences et de la technologie dans la constitution de notre environnement mateacuteriel intellectuel et culturel (4) a la volonteacute de srsquoengager en qualiteacute de citoyen reacutefleacutechi dans des problegravemes agrave caractegravere scientifique et touchant agrave des notions relatives aux sciences La culture scientifique passe par la compreacutehension de concepts scientifiques et renvoie agrave la capaciteacute drsquoappliquer une perspective scientifique et drsquoanalyser les faits de maniegravere scientifique Suit une liste de contenus (connaissances en sciences et connaissances agrave propos des sciences) de compeacutetences requises (taches ou processus scientifiques) puis de contextes et situations drsquoapplication]raquo httpwwwoecdorgdataoecd104539777163pdf p 23
9 Schiele (2005) rappelle que les questions fondatrices de ces hybridations eacutetaient deacutejagrave explicitement formuleacutees lors drsquoun
colloque organiseacute au Palais de la Deacutecouverte et associant les eacutecrivains scientifiques en 1958 mais indique qursquoelles sont devenues visibles pour trois raisons lrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoautonomisation de la vulgarisation la prise de conscience que le progregraves se double de nuisances et de risques et la fin des trente glorieuses en lien sans doute pour la France avec la transformation des rapports de pouvoir conseacutecutifs aux eacuteveacutenements de mai 68 (p 21-23)
5
savoirs scientifiques10 comme le suggegraverent les titres des ouvrages de reacutefeacuterence de
lrsquoeacutepoque (par exemple laquo auto-critique de la science raquo Leacutevy-Leblond 1975) et une
inspiration lieacutee agrave des travaux de sociologie des sciences comme Habermas ou
Feyerabend
En ce qui concerne lrsquoautre hybridation elle a reacutesulteacute des initiatives des militants des
clubs de loisirs scientifiques regroupeacutes au sein de la FNCS11 heacutebergeacutee au Palais de
la Deacutecouverte qui acceacuteleacuteregraverent leur rapprochement avec des mouvements de jeunes
et drsquoeacuteducation populaire ces acteurs se reconnaissent dans laquo lrsquoanimation
scientifique raquo12 deacuteveloppant entre autre des formations sanctionneacutees dans le cadre
des speacutecialisations du Brevet drsquoaptitude aux fonctions drsquoanimation (BAFA) Tregraves vite
(1973-1979) ces eacutequipes firent le pont avec des chercheurs en peacutedagogie gracircce agrave
une perception de continuiteacute entre animation de centre de vacances et de loisirs et
animation de classes transplanteacutees (comme Host Deunf travaillant au sein de lrsquoINRP
sur les activiteacutes drsquoeacuteveil scientifique agrave lrsquoeacutecole) Mecircme si agrave lrsquoeacutepoque cette mouvance
laquo eacuteveil et loisirs scientifiques raquo se meacutelange assez peu avec le GLACS elle va agir en
compleacutementariteacute fertilisant des reacuteseaux13 de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire
extrascolaire ou peacuteriscolaire avec de nouvelles pratiques de deacutecouverte voire
drsquoinvestigation scientifique
De fait crsquoest la premiegravere de ces deux hybridations qui en reacutesonnance avec les
publications de plusieurs auteurs (Roqueplo 1974 Levy-Leblond 1975) et les
reacuteflexions sur la geacuteneacuteralisation14 du dispositif de laquo centre de CST raquo dont le premier a
vu le jour agrave Grenoble (en 1979) qui va propulser sur le devant de la scegravene cette
laquo CST raquo au sens figureacute et pousser agrave son institutionnalisation Etienne Guyon et
Bernard Maitte tous deux chercheurs impliqueacutes dans cette mouvance ont publieacute en
2008 un reacutesumeacute15 de cette peacuteriode de mise en place sous le titre laquo le partage des
savoirs scientifiques les centres de CSTI raquo Ils y mettent en perspective le
deacuteveloppement des CCSTI au sein du foisonnement qui srsquoest produit en France de
1973 (premiegravere manifestation laquo Physique dans la rue raquo) agrave 1992 (premiegravere laquo Science
en Fecircte raquo) raquo signalant que
10
Voir par exemple la thegravese de Debailly 2010 laquo La critique radicale de la science en France origines et incidences de la politisation de la science depuis Mai 1968 raquo
11 Gautier et Las Vergnas (2010) ont reacutecemment deacutecrit les conditions drsquoeacutemergence de ce courant en srsquoappuyant entre autres
sur des entretiens de deux principaux fondateurs (Dubost pour lrsquoANCS en 1962 et Guiraudon pour la FNCS en 1968)
12 Au sein mecircme de cette laquo animation scientifique raquo le champ de lrsquoanimation nature qui deviendra eacuteducation agrave
lrsquoenvironnement meacuterite une analyse particuliegravere car il prend progressivement son autonomie avec la creacuteation dans les anneacutees 75 du mouvement laquo eacutecole et nature raquo puis du CFEE
13 Observant que la coupure GLACSANSTJ seacutepare ceux qui questionnent la mise en scegravene (puis en culture) de la science
(expositions deacutebats theacuteacirctre) drsquoune part et ceux qui expeacuterimentent des formes de loisirs ou drsquoateliers peacuteriscolaires drsquoappropriation de savoirs eacutemancipateurs drsquoautre part on peut se demander si elle ne reproduisait pas vis-agrave-vis des activiteacutes scientifiques la ceacutesure laquo culture raquo versus laquo eacuteducation populaire raquo En observant reacutetrospectivement le positionnement du reacuteseau laquo peuple et culture raquo par exemple on constate que la deacutemarcation se situait plus entre mouvements politiques drsquoadultes drsquoune part et mouvements de jeunesse drsquoautre part
14 Rapport Maleacutecot (1981) puis rapport Maitte (1985)
15 Qui complegravete un premier article eacutecrit lui par Bernard Maitte et Michel Crozon (2001) On pourra aussi consulter le reacutecit de
vie de A Berestesky (2009) qui preacutesente la trajectoire de creacuteateur drsquoun CCSTI atypique (car sans murs) dans ce contexte
6
[ce mouvement militant des chercheurs et acteurs culturels] laquo sera accompagneacute drsquoinitiatives
de lrsquoEacutetat la creacuteation en 1972 du Bureau national drsquoinformation scientifique et technique
(BNIST) le lancement en 1979 par Valeacutery Giscard drsquoEstaing du projet de La Villette reprenant
lrsquoideacutee des Science Centers ameacutericains et permettant ndash gracircce au prestige de la science ndash de
sortir de faccedilon honorable des scandales immobiliers sur le site la transformation cette mecircme
anneacutee du BNIST en mission interministeacuterielle (MIDIST) Mais crsquoest lrsquoarriveacutee de la gauche au
pouvoir en 1981 qui va donner lrsquooccasion au mouvement de srsquoeacutepanouir de se structurer et de
srsquoexprimer politiquement Tout semble alors possible et les initiatives fleurissent tant
militantes qursquoinstitutionnelles raquo
La seconde hybridation elle associe laquo clubs scientifiques raquo et laquo activiteacutes drsquoeacuteveil raquo
peacuteriscolaires au sein de lrsquoassociation nationale sciences techniques jeunesse
(ANSTJ neacutee en 1977 du regroupement drsquoassociations de clubs) Selon Gautier
(1989)
laquo LANSTJ se donne pour objectif de faire pratiquer les sciences et les techniques agrave un public
de jeunes [hellip] La structure de projet demeure une constante mais on est passeacute de projets de
reacutealisation technique avec les clubs aeacuterospatiaux du deacutebut agrave des projets de recherche
collective dans des champs diversifieacutes tels que lastronomie leacutenergie solaire linformatique
Parallegravelement un modegravele peacutedagogique orienteacute vers la deacutecouverte de la deacutemarche
expeacuterimentale a eacuteteacute progressivement formaliseacute raquo
Lrsquoobjectif de lrsquoANSTJ nrsquoest pas formuleacute en termes de deacuteveloppement de la CST mais
drsquoapprentissage de meacutethodes meacutethode expeacuterimentale et meacutethode de
deacuteveloppement de projets scientifiques (en particulier en astronomie et en eacutetude des
milieux laquo naturels raquo) ou technologiques (fuseacutees expeacuterimentales avec le CNES ou
eacutenergies renouvelables) Mais comme lrsquoindiquent Las Vergnas Gautier et Piednoel
(2010) deacutecrivant son eacutevolution sur la peacuteriode 1970-1990
laquo Les animateurs plus inteacuteresseacutes par la deacutemarche des laquo savoirs choisis raquo que par la
technologie sont devenus progressivement pluridisciplinaires et vont se rapprocher du monde
peacuteriscolaire et des peacutedagogies de lrsquoeacuteveil scientifique et se professionnaliser [hellip] Les
interactions avec les milieux de la recherche sur lrsquoeacuteveil scientifique pour des formations
drsquoenseignant [hellip] vont appuyer la theacuteorisation des pratiques et des meacutethodes et contribuer agrave la
professionnalisation des formateurs Sous ces deux effets les animateurs et amateurs qui
avaient eacuteteacute entraineacute dans la mouvance laquo manips raquo de 1975 se trouvent ainsi scindeacutes en deux
sous-courants laquo peacutedagogues raquo de la deacutecouverte de la science expeacuterimentale et laquo amateurs raquo
de la mise au point technologique
Affirmer que lrsquoinstitutionnalisation franccedilaise de la CST reacutesulte seulement du
deacuteveloppement symeacutetrique de ces deux courants GLACS et ANSTJ serait reacuteducteur
Drsquoune part agrave leur naissance le GLACS et lrsquoANSTJ sont positionneacutes diffeacuteremment le
GLACS naicirct speacutecifiquement pour deacutevelopper lrsquoaction de culture scientifique et ses
membres seront directement les acteurs de son institutionnalisation dans les anneacutees
80 alors que lrsquoANSTJ centreacutee sur les apprentissages de meacutethodes par des pratiques
7
expeacuterimentales ne se ralliera16 que tregraves progressivement agrave la seacutemantique et aux
instances de la CST Drsquoautre part plus ou moins imbriqueacutes avec le GLACS et
lrsquoANSTJ ont existeacute plusieurs autres courants17 comme celui propre agrave la culture
technique alliant culture des objets techniques (dans la filiation des travaux de
Simondon 1958) et cultures du travail Il a eacutemergeacute avec la creacuteation en 1976 du
groupe laquo ethnotechnologie raquo par Thierry Gaudin chef de bureau au Ministegravere de
lrsquoindustrie qui donnera naissance en 1979 agrave la revue laquo Culture Technique raquo et agrave un
Centre de recherche sur la culture technique (CRCT disparu en 1996) dont Leroi-
Gourhan (1981) preacutefacera le manifeste fondateur en ces termes
laquo La technique et la culture dans nos socieacuteteacutes entretiennent des rapports de caractegravere
hieacuterarchique et lrsquoauteur de cet ouvrage souhaiterait que cela change [hellip] La civilisation repose
sur le deacuteveloppement de lartisanat qui possegravede une veacuteritable culture technique puis sur le
deacuteveloppement de lindustrie qui met en jeu les ressources eacuteconomiques qui subordonnent le
technicien aux deacutetenteurs du pouvoir La conversion du comportement de la socieacuteteacute repreacutesente
un obstacle agrave la mesure des propositions de lauteur La recherche plus ou moins consciente
dune solution pour sortir du cercle infernal dans lequel le monde est en train de senfermer
passera certainement par la prise de conscience des diffeacuterents axes du deacuteveloppement culturel
et lun de ces axes laxe majeur celui sur lequel gravite la connaissance et la pratique
technique meacuterite que son action soit soutenue et amplifieacutee raquo
Lrsquoinstitutionnalisation par la loi de 1982
Les courants reacutesultant de ces hybridations vont prendre de lrsquoampleur pour constituer
le fait social que nous qualifions ici reacutetrospectivement drsquoinstitutionnalisation de la
CST Une des eacutetapes clefs est celle de la promulgation le 16 juillet 1982 de la loi
dorientation de la recherche dont les articles 7 et 24 inscrivent dans la mission
assureacutee par les meacutetiers de recherche laquo la diffusion de la culture et de lrsquoinformation
scientifique et technique dans toute la population raquo On lit dans son annexe publieacutee
au JO18 sous le titre de laquo rapport sur la programmation et lrsquoorientation de lrsquoeffort
national de recherche et de deacuteveloppement technologique
laquo Le second volet du programme a pour ambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture En liaison avec le ministegravere de
16
En 1986 lrsquoANSTJ publiera son premier laquo Guide de la culture scientifique technique et industrielle raquo annuaire des acteurs de la CST mais la terminologie dominante au sein de lrsquoANSTJ (puis de Planegravete sciences agrave partir de 2002) restera celle de lrsquoanimation scientifique et technique Son objet statutaire principal est en effet laquo de favoriser aupregraves des jeunes linteacuterecirct la pratique et la connaissance des sciences et des techniques raquo alors que la mention laquo de deacutevelopper des actions en partenariat avec les structures de culture scientifique et technique raquo nrsquoapparait que dans une longue eacutenumeacuteration (Planegravete Sciences 2002 httpwwwplanete-sciencesorgnationaldocsstatuts_planetesciencespdf)
17 Lrsquoanimation visant agrave la laquo protection de la nature raquo eacutemerge eacutegalement dans le contexte de la confeacuterence de lrsquoONU de
Stockholm (juin 1972) deacuteclarant la neacutecessiteacute de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement Lrsquoanneacutee 1972 voit ainsi la mise en place drsquoun BTSA eacuteponyme au lyceacutee agricole de Neuvic ainsi que la creacuteation du journal peacutedagogique laquo La Hulotte raquo du premier camp de vacances pour adolescents consacreacute agrave laquo lrsquoeacutecologie raquo (FNCS) et des clubs CPN puis (1973) celle du premier laquo centre permanent drsquoinitiation agrave lrsquoenvironnement raquo (CPIE) Ce courant est au deacutepart en forte interaction avec la FNCS-ANSTJ au sein de laquelle ces actions sont coordonneacutees par un groupe laquo E raquo regroupant des animateurs issus en nombre du lyceacutee de Neuvic ce groupe srsquoautonomisera sous la forme du laquo reacuteseau eacutecole et nature raquo en 1983
18 JO du 16 juillet 1982 p 2276 et aussi httpwwwdsicnrsfrRMLRtextesintegrauxvolume111-l82-610htm
8
leacuteducation nationale un effort sera reacutealiseacute pour donner une place accrue aux disciplines et
aux meacutethodes scientifiques pour deacutevelopper lesprit critique la creacuteativiteacute et laptitude au
jugement personnel Cet effort prendra notamment appui sur lhistoire et les perspectives des
sciences et des techniques En liaison avec les ministegraveres de la culture du temps libre de la
communication et les autres ministegraveres concerneacutes des actions culturelles seront conduites
visant agrave associer les grands moyens dinformation en particulier les stations de radio et les
chaicircnes de teacuteleacutevision les reacutegions le mouvement associatif les entreprises les syndicats et
dune maniegravere geacuteneacuterale le monde du travail au deacuteveloppement de linformation et de la
culture scientifiques et techniques [hellip]Le renforcement des centres reacutegionaux de culture
scientifique et technique et la creacuteation de la citeacute des sciences et techniques de La Villette
constitueront des instruments de cette politique raquo
En compleacutement agrave son inscription dans la loi de 1982 et agrave la multiplication des
actions sur le terrain de nombreux systegravemes symboliques ndash eacuteponymes pour la
plupart ndash ont contribueacute agrave mettre socialement en scegravene la CST souvent eacutetendue agrave la
CSTI (ougrave le laquo I raquo eacutelargit agrave la dimension Industrielle) ainsi le conseil national de la
CSTI qui a eacuteteacute creacuteeacute en 1983 preacutesideacute par JM Leacutevy-Leblond et le programme
mobilisateur de la CSTI lanceacute en octobre 1985 par le Ministre H Curien De mecircme
se sont succeacutedeacutees une multipliciteacute drsquoassises ou drsquoeacutetats geacuteneacuteraux et a eacuteteacute
institutionnaliseacute le reacuteseau de centres ad hoc les CCSTI dont la geacuteneacuteralisation a eacuteteacute
souhaiteacutee degraves 1985
12 La professionnalisation des meacutediateurs
Consolidations progressives
Les anneacutees 80 voient donc19 la monteacutee en puissance des mouvances issues des
deux hybridations deacutecrites plus haut Mecircme si la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave
La Villette ne parvient pas agrave tenir le rocircle drsquoanimateur national qui lui eacutetait deacutevolu la
peacuteriode est celle de la professionnalisation
(1) Du cocircteacute de ceux qui se reconnaissaient degraves leur naissance dans lrsquointituleacute de CST
(notamment la filiation du GLACS) crsquoest lrsquoassociation des museacutees et centres de
CSTI (AMCSTI creacuteeacutee agrave lrsquooccasion de la mise en place ndash au deacutebut des anneacutees 80 ndash
du projet qui allait devenir la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave La Villette) et le
reacuteseau des CCSTI (Maitte 1985) qui vont progressivement structurer le paysage
mecircme si quelques mouvances srsquoaffirment plus autonomes comme certains de ces
CCSTI (Fondation 93 par exemple cf Berestesky 2009) lrsquoAssociation Sciences
Technologies et Socieacuteteacute (ASTS) ou encore le reacuteseau des laquo boutiques de sciences raquo
(Stewart et Havelange 1989) Plusieurs auteurs (Jantzen 2001 Crozon et Maitte
2001 Guyon et Maitte 2008) ont deacutecrit cette eacutevolution en mettant en avant le
foisonnement drsquoinitiatives locales et reacutegionales la creacuteation de la Fecircte de la Science
(1992) et les deacutesillusions lieacutees agrave la conception principalement laquo intramuros raquo et
parisienne de la Citeacute des sciences (Beretetski 2009 Caillet 2011)
19
Il ne faudrait pas croire que cette mise en scegravene de la CST est speacutecifiquement lieacutee au changement politique de 1981 en France Schiele (2005) a deacutemontreacute que le Royaume Uni avait suivi la mecircme institutionnalisation des politiques de Public understanding of science (ou de Public engagement in science and technology)
9
(2) Cocircteacute loisirs et eacuteveil scientifique lrsquoANSTJ va progressivement eacutelargir son spectre
autour de son objectif initial drsquoappropriation de meacutethodes drsquoinvestigation et de
reacutesolution de problegravemes et en parallegravele ces activiteacutes de laquo deacutecouvertes scientifiques
pour les jeunes raquo vont faire largement tacircche drsquohuile au sein drsquoautres reacuteseaux Ainsi
agrave lrsquooccasion de lrsquoanneacutee de la jeunesse deacutecreacuteteacutee par lrsquoUNESCO pour 1984 les
deacuteveloppeurs de lrsquoANSTJ vont importer20 du Queacutebec en France le concept
drsquoexposcience (preacutesentation annuelle sous forme drsquoun salon ouvert agrave tous les
habitants de dizaines ou centaines de stands preacutesentant des projets scientifiques
de jeunes) et dans cette mouvance reacuteussir agrave entraicircner une dizaine de reacuteseaux
nationaux de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire (Escot 1999) et donner naissance
au Collectif interassociatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et techniques
internationales (CIRASTI) qui va enfin reacuteussir agrave amplifier le niveau drsquohybridation
resteacute timide dans les anneacutees 70 Meacutelangeant des associations speacutecialiseacutees en
animation scientifiques et des reacuteseaux geacuteneacuteralistes de lrsquoeacuteducation populaire
(agissant via des MJC foyers ruraux centres de loisirs) il va en effet devenir agrave la
fois un interlocuteur international21 se territorialiser dans la plupart des reacutegions
franccedilaises et devenir un entrelacs de creusets drsquoeacutechanges de nouvelles strateacutegies
et drsquoamplification (Escot 1999) assumant mecircme un rocircle de porte-parole de
lrsquoeacuteducation populaire pour la theacutematique de la CST
Il serait reacuteducteur de deacutecrire le fourmillement des actions de CST dans ces anneacutees
80-90 agrave partir de ces deux seuls courants Dans beaucoup de reacutegions la dimension
de la culture et du patrimoine industriels occupe alors une place importante comme
le montrent les travaux22 de Marie-Jeanne Choffel - Mailfert (2000) De mecircme la
reacuteflexion peacutedagogique sur lrsquoeacuteducation scientifique srsquoest souvent associeacutee agrave des
expeacuteriences non strictement scolaires souvent analyseacutees lors des journeacutees
annuelles de Chamonix ou agrave partir de 1996 au sein du mouvement de laquo la main agrave la
pacircte raquo Certaines speacutecificiteacutes tactiques ou disciplinaires vont aussi marquer le
paysage en particulier dans les champs de lrsquoastronomie et de lrsquoeacuteducation agrave
lrsquoenvironnement23 ainsi le rapprochement de lrsquoANSTJ avec lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie va conduire agrave faire eacutemerger des manifestations embleacutematiques degraves les
anneacutees 80 laquo Au-delagrave de [son] cette acception qualitative de la laquo deacutemocratisation raquo (faire partager une
expeacuterience scientifique) srsquoest progressivement ajouteacutee une autre dimension au sein de
lrsquoANSTJ Celle de favoriser massivement lrsquointeacuterecirct pour lrsquoastronomie elle se concreacutetise
20
Il srsquoagit de Jean-Claude Guiraudon (devenu depuis Preacutesident du MILSET puis du CIRASTI) qui avait deacutejagrave importeacute quelques anneacutees auparavant les outils et les deacutemarches peacutedagogiques des laquo Petits deacutebrouillards raquo
21 Gracircce agrave lrsquoexistence au sein du Mouvement international pour le loisir scientifique ndash MILSET ndash drsquoun systegraveme
drsquoexposciences internationales ougrave srsquoexposent des seacutelections nationales
22 Dans son ouvrage laquo Une politique culturelle agrave la rencontre drsquoun territoire Culture scientifique technique et industrielle
en reacutegion Lorraine 1980-1995 raquo elle propose ainsi quatre analyses imbriqueacutees celles des textes fondateurs nationaux de la CST celles des volets CSTI des laquo livres blancs de la recherche raquo demandeacutes par le gouvernement aux conseils reacutegionaux en 1990 celles des initiatives de CSTI en Lorraine et enfin celle des perceptions des publics de 12 dispositifs de CSTI en Lorraine
23 Voir le reacutecit laquo histoire de famille et saga de lrsquoanimation scientifique et de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement eacuteclairages lieacutes au
reacuteseau FNCS-ANSTJ entre 1972 et 1985 raquo Las Vergnas 2009
10
drsquoabord agrave Paris en 1985 avec les quinze jours de laquo meacutetro agrave ciel ouvert raquo avec leurs millions
de visiteurs dans 16 stations et leur centaine drsquoanimateurs puis ensuite par les campagnes
nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
ANSTJ Association nationale sciences techniques jeunesse et devenue aujourdrsquohui
laquo Planegravete sciences raquo httpplanete-sciencesorg
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1 HISTORIQUE
11 Lrsquoeacutemergence drsquoun laquo sens figureacute raquo de la CST
Des institutions de CST speacutecificiteacute seacutemantique franccedilaise
La question des rapports des habitants aux sciences et aux savoirs scientifiques2
preacuteoccupe les organisations eacuteconomiques ou culturelles internationales et de
nombreux pays du globe (Schiele 1994) mais sa formulation varie beaucoup selon
les contextes Ainsi au sein des pays de lrsquoOCDE des diffeacuterences portent non
seulement sur les repreacutesentations et deacutesignations des activiteacutes scientifiques et
technologiques elles-mecircmes mais aussi sur la faccedilon dont celles-ci sont relieacutees aux
concepts lieacutes agrave la culture agrave la connaissance agrave la gouvernance et agrave lrsquoeacuteducation (Felt
2003)
En France3 lrsquoexpression laquo culture scientifique et technique raquo (CST) srsquoest aujourdrsquohui
geacuteneacuteraliseacutee dans des sphegraveres politiques universitaires ou culturelles pour deacutesigner
non seulement la dimension scientifique et technique de la culture mais aussi par
extension les actions voire les acteurs qui visent agrave la deacutevelopper Il en va
diffeacuteremment dans les pays anglophones ougrave lrsquoon utilise beaucoup plus freacutequemment
les expressions de public understanding of science (PUS) ou science [ou scientific]
literacy que celle de scientific culture4 Certes en France comme dans les autres
pays on voit aussi se multiplier aujourdrsquohui des reacutefeacuterences agrave des actions et des
dispositifs speacutecifiquement qualifieacutes laquo science et socieacuteteacute raquo ou laquo sciences en socieacuteteacute raquo
mais ces appellations secondaires se juxtaposent agrave celle de laquo CST raquo sans la
concurrencer5 Nous appellerons dans la suite ce second sens meacutetonymique6
synonyme de laquo lrsquoaction culturelle scientifique et technique raquo le sens figureacute de CST
Les hybridations militantes des anneacutees 70
Compareacutee agrave lrsquoemploi de formes terminologiques historiques comme les amateurs de
science la science populaire puis la vulgarisation scientifique ou les cabinets puis les
museacutees de sciences qui ont accompagneacute depuis plusieurs siegravecles la formalisation ou
2 Voir par exemple les eurobaromegravetres EBS et les eacutetudes scolaires ou peacuteri-scolaires TIMMS (2005) ROSE 2004 et PISA (2006
2009)
3 La litteacuterature semble indiquer que ce pheacutenomegravene srsquoobserve principalement en France en Belgique francophone et agrave un
degreacute moindre au Queacutebec et au Portugal
4 Le moteur de recherche international Google donnait en deacutecembre 2010 environ 2 millions de reacutesultats pour laquo culture
scientifique raquo et seulement 6 fois moins pour laquo scientific culture raquo en revanche il indiquait pregraves de 500 mille occurrences cumuleacutees pour laquo science literacy raquo laquoscientific literacy raquo ou laquo scientific and technologic literacy raquo contre seulement 100 fois moins pour lrsquoexpression laquo alphabeacutetisation scientifique raquo en franccedilais 5 Lrsquoexpression CST est par exemple au centre des champs seacutemantiques deacuteployeacutes en 2010 et 2011 lors de la creacuteation de
lrsquoeacutetablissement universcience qui est deacutefinit comme laquo eacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST raquo et dans les textes officiels concernant le plan national science agrave lrsquoeacutecole qui instaure dans chaque acadeacutemie un ou plusieurs laquo lyceacutees de CST raquo
6 Il srsquoagit drsquoune forme de meacutetonymie puisque lrsquoexpression laquo CST raquo est alors employeacutee pour deacutesigner non plus seulement
une laquo culture raquo mais lrsquoensemble des acteurs actions et dispositifs concerneacutes par son deacuteveloppement Il srsquoagit drsquoune extension analogue agrave celle subie par lrsquoexpression PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) voire la laquo seacutecuriteacute routiegravere raquo
4
la circulation des connaissances scientifiques le recours agrave lrsquoexpression laquo CST raquo
employeacutee au sens figureacute drsquoaction culturelle preacuteciseacute plus haut peut paraicirctre reacutecente
puisque la plupart des auteurs (Bensaude-Vincent 1999 Crozon et Maitte 2001 et
Guyon et Maitte 2008) en font remonter7 la formalisation progressive aux anneacutees 70
et lrsquoeacutemergence aux anneacutees 50 (Schiele 2005 Bensaude-Vincent 2010) En reacutealiteacute
le terme de laquo culture scientifique8 raquo en son sens eacutetymologique est largement
anteacuterieur agrave cette peacuteriode (Hulin 2011) il a eacuteteacute freacutequemment utiliseacute par des
peacutedagogues comme Bachelard (1938) qui emploie souvent agrave propos de laquo lrsquoesprit
scientifique raquo sur la laquo formation raquo duquel il travaille
Ainsi la nouveauteacute des anneacutees 709 et 80 est bien lrsquoapparition du sens laquo figureacute raquo de
CST employeacute pour deacutesigner un ensemble drsquoactions et drsquoorganisations visant agrave
modifier la culture scientifique agrave lrsquoeacutechelle de la socieacuteteacute dans lrsquoesprit de la creacuteation
drsquoun Groupe de liaison pour lrsquoaction culturelle scientifique (GLACS) ou de la
deacutemultiplication drsquoinitiatives croiseacutees de diffeacuterents acteurs issus des sphegraveres
scientifiques culturelles eacuteducatives et socio-eacuteducatives
Concregravetement lrsquoeacutemergence en France drsquoune corporation de la CST est agrave mettre en
relation avec deux mouvements drsquohybridation qui se sont produits au cours de la
deacutecennie 70-80 Le premier donnera naissance en 1974 agrave ce GLACS et le second agrave
lrsquoAssociation nationale sciences techniques jeunesse (ANSTJ) qui succeacuteda en 1977
agrave la Feacutedeacuteration nationale des clubs scientifiques (FNCS creacuteeacutee elle-mecircme en 1968
cf Gautier Las Vergnas et al 2011)
Dans le premier cas des chercheurs (en particulier des physiciens) srsquoeacutetaient
rapprocheacutes des acteurs culturels faisant descendre laquo la science dans la ville raquo ndash
comme lors drsquoAix-pop en septembre 1973 ndash agrave lrsquooccasion de leurs congregraves
anteacuterieurement exclusivement focaliseacute sur la communication entre professionnels
(Detoeuf amp Dauphin 2007) Dans ce nouvel univers est mis explicitement en
exergue la relation laquo science et culture raquo Plus qursquoune dimension classique de
transmission de savoirs il srsquoagit non seulement drsquoun travail politique sur le rapport
entre scientifique et profanes mais aussi de critique des modes de production des
8 PISA 2006 propose dans sa version franccedilaise une deacutefinition de la CS dans son premier sens laquo Par culture scientifique on
entend la mesure dans laquelle un individu (1) possegravede des connaissances scientifiques et les applique pour identifier des questions acqueacuterir de nouvelles compeacutetences expliquer des pheacutenomegravenes de maniegravere scientifique et tirer des conclusions nouvelles fondeacutees sur des faits agrave propos drsquoaspects scientifiques (2) comprend les eacuteleacutements caracteacuteristiques des sciences en tant que forme de recherche et de connaissance humaines (3) est conscient du rocircle des sciences et de la technologie dans la constitution de notre environnement mateacuteriel intellectuel et culturel (4) a la volonteacute de srsquoengager en qualiteacute de citoyen reacutefleacutechi dans des problegravemes agrave caractegravere scientifique et touchant agrave des notions relatives aux sciences La culture scientifique passe par la compreacutehension de concepts scientifiques et renvoie agrave la capaciteacute drsquoappliquer une perspective scientifique et drsquoanalyser les faits de maniegravere scientifique Suit une liste de contenus (connaissances en sciences et connaissances agrave propos des sciences) de compeacutetences requises (taches ou processus scientifiques) puis de contextes et situations drsquoapplication]raquo httpwwwoecdorgdataoecd104539777163pdf p 23
9 Schiele (2005) rappelle que les questions fondatrices de ces hybridations eacutetaient deacutejagrave explicitement formuleacutees lors drsquoun
colloque organiseacute au Palais de la Deacutecouverte et associant les eacutecrivains scientifiques en 1958 mais indique qursquoelles sont devenues visibles pour trois raisons lrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoautonomisation de la vulgarisation la prise de conscience que le progregraves se double de nuisances et de risques et la fin des trente glorieuses en lien sans doute pour la France avec la transformation des rapports de pouvoir conseacutecutifs aux eacuteveacutenements de mai 68 (p 21-23)
5
savoirs scientifiques10 comme le suggegraverent les titres des ouvrages de reacutefeacuterence de
lrsquoeacutepoque (par exemple laquo auto-critique de la science raquo Leacutevy-Leblond 1975) et une
inspiration lieacutee agrave des travaux de sociologie des sciences comme Habermas ou
Feyerabend
En ce qui concerne lrsquoautre hybridation elle a reacutesulteacute des initiatives des militants des
clubs de loisirs scientifiques regroupeacutes au sein de la FNCS11 heacutebergeacutee au Palais de
la Deacutecouverte qui acceacuteleacuteregraverent leur rapprochement avec des mouvements de jeunes
et drsquoeacuteducation populaire ces acteurs se reconnaissent dans laquo lrsquoanimation
scientifique raquo12 deacuteveloppant entre autre des formations sanctionneacutees dans le cadre
des speacutecialisations du Brevet drsquoaptitude aux fonctions drsquoanimation (BAFA) Tregraves vite
(1973-1979) ces eacutequipes firent le pont avec des chercheurs en peacutedagogie gracircce agrave
une perception de continuiteacute entre animation de centre de vacances et de loisirs et
animation de classes transplanteacutees (comme Host Deunf travaillant au sein de lrsquoINRP
sur les activiteacutes drsquoeacuteveil scientifique agrave lrsquoeacutecole) Mecircme si agrave lrsquoeacutepoque cette mouvance
laquo eacuteveil et loisirs scientifiques raquo se meacutelange assez peu avec le GLACS elle va agir en
compleacutementariteacute fertilisant des reacuteseaux13 de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire
extrascolaire ou peacuteriscolaire avec de nouvelles pratiques de deacutecouverte voire
drsquoinvestigation scientifique
De fait crsquoest la premiegravere de ces deux hybridations qui en reacutesonnance avec les
publications de plusieurs auteurs (Roqueplo 1974 Levy-Leblond 1975) et les
reacuteflexions sur la geacuteneacuteralisation14 du dispositif de laquo centre de CST raquo dont le premier a
vu le jour agrave Grenoble (en 1979) qui va propulser sur le devant de la scegravene cette
laquo CST raquo au sens figureacute et pousser agrave son institutionnalisation Etienne Guyon et
Bernard Maitte tous deux chercheurs impliqueacutes dans cette mouvance ont publieacute en
2008 un reacutesumeacute15 de cette peacuteriode de mise en place sous le titre laquo le partage des
savoirs scientifiques les centres de CSTI raquo Ils y mettent en perspective le
deacuteveloppement des CCSTI au sein du foisonnement qui srsquoest produit en France de
1973 (premiegravere manifestation laquo Physique dans la rue raquo) agrave 1992 (premiegravere laquo Science
en Fecircte raquo) raquo signalant que
10
Voir par exemple la thegravese de Debailly 2010 laquo La critique radicale de la science en France origines et incidences de la politisation de la science depuis Mai 1968 raquo
11 Gautier et Las Vergnas (2010) ont reacutecemment deacutecrit les conditions drsquoeacutemergence de ce courant en srsquoappuyant entre autres
sur des entretiens de deux principaux fondateurs (Dubost pour lrsquoANCS en 1962 et Guiraudon pour la FNCS en 1968)
12 Au sein mecircme de cette laquo animation scientifique raquo le champ de lrsquoanimation nature qui deviendra eacuteducation agrave
lrsquoenvironnement meacuterite une analyse particuliegravere car il prend progressivement son autonomie avec la creacuteation dans les anneacutees 75 du mouvement laquo eacutecole et nature raquo puis du CFEE
13 Observant que la coupure GLACSANSTJ seacutepare ceux qui questionnent la mise en scegravene (puis en culture) de la science
(expositions deacutebats theacuteacirctre) drsquoune part et ceux qui expeacuterimentent des formes de loisirs ou drsquoateliers peacuteriscolaires drsquoappropriation de savoirs eacutemancipateurs drsquoautre part on peut se demander si elle ne reproduisait pas vis-agrave-vis des activiteacutes scientifiques la ceacutesure laquo culture raquo versus laquo eacuteducation populaire raquo En observant reacutetrospectivement le positionnement du reacuteseau laquo peuple et culture raquo par exemple on constate que la deacutemarcation se situait plus entre mouvements politiques drsquoadultes drsquoune part et mouvements de jeunesse drsquoautre part
14 Rapport Maleacutecot (1981) puis rapport Maitte (1985)
15 Qui complegravete un premier article eacutecrit lui par Bernard Maitte et Michel Crozon (2001) On pourra aussi consulter le reacutecit de
vie de A Berestesky (2009) qui preacutesente la trajectoire de creacuteateur drsquoun CCSTI atypique (car sans murs) dans ce contexte
6
[ce mouvement militant des chercheurs et acteurs culturels] laquo sera accompagneacute drsquoinitiatives
de lrsquoEacutetat la creacuteation en 1972 du Bureau national drsquoinformation scientifique et technique
(BNIST) le lancement en 1979 par Valeacutery Giscard drsquoEstaing du projet de La Villette reprenant
lrsquoideacutee des Science Centers ameacutericains et permettant ndash gracircce au prestige de la science ndash de
sortir de faccedilon honorable des scandales immobiliers sur le site la transformation cette mecircme
anneacutee du BNIST en mission interministeacuterielle (MIDIST) Mais crsquoest lrsquoarriveacutee de la gauche au
pouvoir en 1981 qui va donner lrsquooccasion au mouvement de srsquoeacutepanouir de se structurer et de
srsquoexprimer politiquement Tout semble alors possible et les initiatives fleurissent tant
militantes qursquoinstitutionnelles raquo
La seconde hybridation elle associe laquo clubs scientifiques raquo et laquo activiteacutes drsquoeacuteveil raquo
peacuteriscolaires au sein de lrsquoassociation nationale sciences techniques jeunesse
(ANSTJ neacutee en 1977 du regroupement drsquoassociations de clubs) Selon Gautier
(1989)
laquo LANSTJ se donne pour objectif de faire pratiquer les sciences et les techniques agrave un public
de jeunes [hellip] La structure de projet demeure une constante mais on est passeacute de projets de
reacutealisation technique avec les clubs aeacuterospatiaux du deacutebut agrave des projets de recherche
collective dans des champs diversifieacutes tels que lastronomie leacutenergie solaire linformatique
Parallegravelement un modegravele peacutedagogique orienteacute vers la deacutecouverte de la deacutemarche
expeacuterimentale a eacuteteacute progressivement formaliseacute raquo
Lrsquoobjectif de lrsquoANSTJ nrsquoest pas formuleacute en termes de deacuteveloppement de la CST mais
drsquoapprentissage de meacutethodes meacutethode expeacuterimentale et meacutethode de
deacuteveloppement de projets scientifiques (en particulier en astronomie et en eacutetude des
milieux laquo naturels raquo) ou technologiques (fuseacutees expeacuterimentales avec le CNES ou
eacutenergies renouvelables) Mais comme lrsquoindiquent Las Vergnas Gautier et Piednoel
(2010) deacutecrivant son eacutevolution sur la peacuteriode 1970-1990
laquo Les animateurs plus inteacuteresseacutes par la deacutemarche des laquo savoirs choisis raquo que par la
technologie sont devenus progressivement pluridisciplinaires et vont se rapprocher du monde
peacuteriscolaire et des peacutedagogies de lrsquoeacuteveil scientifique et se professionnaliser [hellip] Les
interactions avec les milieux de la recherche sur lrsquoeacuteveil scientifique pour des formations
drsquoenseignant [hellip] vont appuyer la theacuteorisation des pratiques et des meacutethodes et contribuer agrave la
professionnalisation des formateurs Sous ces deux effets les animateurs et amateurs qui
avaient eacuteteacute entraineacute dans la mouvance laquo manips raquo de 1975 se trouvent ainsi scindeacutes en deux
sous-courants laquo peacutedagogues raquo de la deacutecouverte de la science expeacuterimentale et laquo amateurs raquo
de la mise au point technologique
Affirmer que lrsquoinstitutionnalisation franccedilaise de la CST reacutesulte seulement du
deacuteveloppement symeacutetrique de ces deux courants GLACS et ANSTJ serait reacuteducteur
Drsquoune part agrave leur naissance le GLACS et lrsquoANSTJ sont positionneacutes diffeacuteremment le
GLACS naicirct speacutecifiquement pour deacutevelopper lrsquoaction de culture scientifique et ses
membres seront directement les acteurs de son institutionnalisation dans les anneacutees
80 alors que lrsquoANSTJ centreacutee sur les apprentissages de meacutethodes par des pratiques
7
expeacuterimentales ne se ralliera16 que tregraves progressivement agrave la seacutemantique et aux
instances de la CST Drsquoautre part plus ou moins imbriqueacutes avec le GLACS et
lrsquoANSTJ ont existeacute plusieurs autres courants17 comme celui propre agrave la culture
technique alliant culture des objets techniques (dans la filiation des travaux de
Simondon 1958) et cultures du travail Il a eacutemergeacute avec la creacuteation en 1976 du
groupe laquo ethnotechnologie raquo par Thierry Gaudin chef de bureau au Ministegravere de
lrsquoindustrie qui donnera naissance en 1979 agrave la revue laquo Culture Technique raquo et agrave un
Centre de recherche sur la culture technique (CRCT disparu en 1996) dont Leroi-
Gourhan (1981) preacutefacera le manifeste fondateur en ces termes
laquo La technique et la culture dans nos socieacuteteacutes entretiennent des rapports de caractegravere
hieacuterarchique et lrsquoauteur de cet ouvrage souhaiterait que cela change [hellip] La civilisation repose
sur le deacuteveloppement de lartisanat qui possegravede une veacuteritable culture technique puis sur le
deacuteveloppement de lindustrie qui met en jeu les ressources eacuteconomiques qui subordonnent le
technicien aux deacutetenteurs du pouvoir La conversion du comportement de la socieacuteteacute repreacutesente
un obstacle agrave la mesure des propositions de lauteur La recherche plus ou moins consciente
dune solution pour sortir du cercle infernal dans lequel le monde est en train de senfermer
passera certainement par la prise de conscience des diffeacuterents axes du deacuteveloppement culturel
et lun de ces axes laxe majeur celui sur lequel gravite la connaissance et la pratique
technique meacuterite que son action soit soutenue et amplifieacutee raquo
Lrsquoinstitutionnalisation par la loi de 1982
Les courants reacutesultant de ces hybridations vont prendre de lrsquoampleur pour constituer
le fait social que nous qualifions ici reacutetrospectivement drsquoinstitutionnalisation de la
CST Une des eacutetapes clefs est celle de la promulgation le 16 juillet 1982 de la loi
dorientation de la recherche dont les articles 7 et 24 inscrivent dans la mission
assureacutee par les meacutetiers de recherche laquo la diffusion de la culture et de lrsquoinformation
scientifique et technique dans toute la population raquo On lit dans son annexe publieacutee
au JO18 sous le titre de laquo rapport sur la programmation et lrsquoorientation de lrsquoeffort
national de recherche et de deacuteveloppement technologique
laquo Le second volet du programme a pour ambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture En liaison avec le ministegravere de
16
En 1986 lrsquoANSTJ publiera son premier laquo Guide de la culture scientifique technique et industrielle raquo annuaire des acteurs de la CST mais la terminologie dominante au sein de lrsquoANSTJ (puis de Planegravete sciences agrave partir de 2002) restera celle de lrsquoanimation scientifique et technique Son objet statutaire principal est en effet laquo de favoriser aupregraves des jeunes linteacuterecirct la pratique et la connaissance des sciences et des techniques raquo alors que la mention laquo de deacutevelopper des actions en partenariat avec les structures de culture scientifique et technique raquo nrsquoapparait que dans une longue eacutenumeacuteration (Planegravete Sciences 2002 httpwwwplanete-sciencesorgnationaldocsstatuts_planetesciencespdf)
17 Lrsquoanimation visant agrave la laquo protection de la nature raquo eacutemerge eacutegalement dans le contexte de la confeacuterence de lrsquoONU de
Stockholm (juin 1972) deacuteclarant la neacutecessiteacute de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement Lrsquoanneacutee 1972 voit ainsi la mise en place drsquoun BTSA eacuteponyme au lyceacutee agricole de Neuvic ainsi que la creacuteation du journal peacutedagogique laquo La Hulotte raquo du premier camp de vacances pour adolescents consacreacute agrave laquo lrsquoeacutecologie raquo (FNCS) et des clubs CPN puis (1973) celle du premier laquo centre permanent drsquoinitiation agrave lrsquoenvironnement raquo (CPIE) Ce courant est au deacutepart en forte interaction avec la FNCS-ANSTJ au sein de laquelle ces actions sont coordonneacutees par un groupe laquo E raquo regroupant des animateurs issus en nombre du lyceacutee de Neuvic ce groupe srsquoautonomisera sous la forme du laquo reacuteseau eacutecole et nature raquo en 1983
18 JO du 16 juillet 1982 p 2276 et aussi httpwwwdsicnrsfrRMLRtextesintegrauxvolume111-l82-610htm
8
leacuteducation nationale un effort sera reacutealiseacute pour donner une place accrue aux disciplines et
aux meacutethodes scientifiques pour deacutevelopper lesprit critique la creacuteativiteacute et laptitude au
jugement personnel Cet effort prendra notamment appui sur lhistoire et les perspectives des
sciences et des techniques En liaison avec les ministegraveres de la culture du temps libre de la
communication et les autres ministegraveres concerneacutes des actions culturelles seront conduites
visant agrave associer les grands moyens dinformation en particulier les stations de radio et les
chaicircnes de teacuteleacutevision les reacutegions le mouvement associatif les entreprises les syndicats et
dune maniegravere geacuteneacuterale le monde du travail au deacuteveloppement de linformation et de la
culture scientifiques et techniques [hellip]Le renforcement des centres reacutegionaux de culture
scientifique et technique et la creacuteation de la citeacute des sciences et techniques de La Villette
constitueront des instruments de cette politique raquo
En compleacutement agrave son inscription dans la loi de 1982 et agrave la multiplication des
actions sur le terrain de nombreux systegravemes symboliques ndash eacuteponymes pour la
plupart ndash ont contribueacute agrave mettre socialement en scegravene la CST souvent eacutetendue agrave la
CSTI (ougrave le laquo I raquo eacutelargit agrave la dimension Industrielle) ainsi le conseil national de la
CSTI qui a eacuteteacute creacuteeacute en 1983 preacutesideacute par JM Leacutevy-Leblond et le programme
mobilisateur de la CSTI lanceacute en octobre 1985 par le Ministre H Curien De mecircme
se sont succeacutedeacutees une multipliciteacute drsquoassises ou drsquoeacutetats geacuteneacuteraux et a eacuteteacute
institutionnaliseacute le reacuteseau de centres ad hoc les CCSTI dont la geacuteneacuteralisation a eacuteteacute
souhaiteacutee degraves 1985
12 La professionnalisation des meacutediateurs
Consolidations progressives
Les anneacutees 80 voient donc19 la monteacutee en puissance des mouvances issues des
deux hybridations deacutecrites plus haut Mecircme si la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave
La Villette ne parvient pas agrave tenir le rocircle drsquoanimateur national qui lui eacutetait deacutevolu la
peacuteriode est celle de la professionnalisation
(1) Du cocircteacute de ceux qui se reconnaissaient degraves leur naissance dans lrsquointituleacute de CST
(notamment la filiation du GLACS) crsquoest lrsquoassociation des museacutees et centres de
CSTI (AMCSTI creacuteeacutee agrave lrsquooccasion de la mise en place ndash au deacutebut des anneacutees 80 ndash
du projet qui allait devenir la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave La Villette) et le
reacuteseau des CCSTI (Maitte 1985) qui vont progressivement structurer le paysage
mecircme si quelques mouvances srsquoaffirment plus autonomes comme certains de ces
CCSTI (Fondation 93 par exemple cf Berestesky 2009) lrsquoAssociation Sciences
Technologies et Socieacuteteacute (ASTS) ou encore le reacuteseau des laquo boutiques de sciences raquo
(Stewart et Havelange 1989) Plusieurs auteurs (Jantzen 2001 Crozon et Maitte
2001 Guyon et Maitte 2008) ont deacutecrit cette eacutevolution en mettant en avant le
foisonnement drsquoinitiatives locales et reacutegionales la creacuteation de la Fecircte de la Science
(1992) et les deacutesillusions lieacutees agrave la conception principalement laquo intramuros raquo et
parisienne de la Citeacute des sciences (Beretetski 2009 Caillet 2011)
19
Il ne faudrait pas croire que cette mise en scegravene de la CST est speacutecifiquement lieacutee au changement politique de 1981 en France Schiele (2005) a deacutemontreacute que le Royaume Uni avait suivi la mecircme institutionnalisation des politiques de Public understanding of science (ou de Public engagement in science and technology)
9
(2) Cocircteacute loisirs et eacuteveil scientifique lrsquoANSTJ va progressivement eacutelargir son spectre
autour de son objectif initial drsquoappropriation de meacutethodes drsquoinvestigation et de
reacutesolution de problegravemes et en parallegravele ces activiteacutes de laquo deacutecouvertes scientifiques
pour les jeunes raquo vont faire largement tacircche drsquohuile au sein drsquoautres reacuteseaux Ainsi
agrave lrsquooccasion de lrsquoanneacutee de la jeunesse deacutecreacuteteacutee par lrsquoUNESCO pour 1984 les
deacuteveloppeurs de lrsquoANSTJ vont importer20 du Queacutebec en France le concept
drsquoexposcience (preacutesentation annuelle sous forme drsquoun salon ouvert agrave tous les
habitants de dizaines ou centaines de stands preacutesentant des projets scientifiques
de jeunes) et dans cette mouvance reacuteussir agrave entraicircner une dizaine de reacuteseaux
nationaux de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire (Escot 1999) et donner naissance
au Collectif interassociatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et techniques
internationales (CIRASTI) qui va enfin reacuteussir agrave amplifier le niveau drsquohybridation
resteacute timide dans les anneacutees 70 Meacutelangeant des associations speacutecialiseacutees en
animation scientifiques et des reacuteseaux geacuteneacuteralistes de lrsquoeacuteducation populaire
(agissant via des MJC foyers ruraux centres de loisirs) il va en effet devenir agrave la
fois un interlocuteur international21 se territorialiser dans la plupart des reacutegions
franccedilaises et devenir un entrelacs de creusets drsquoeacutechanges de nouvelles strateacutegies
et drsquoamplification (Escot 1999) assumant mecircme un rocircle de porte-parole de
lrsquoeacuteducation populaire pour la theacutematique de la CST
Il serait reacuteducteur de deacutecrire le fourmillement des actions de CST dans ces anneacutees
80-90 agrave partir de ces deux seuls courants Dans beaucoup de reacutegions la dimension
de la culture et du patrimoine industriels occupe alors une place importante comme
le montrent les travaux22 de Marie-Jeanne Choffel - Mailfert (2000) De mecircme la
reacuteflexion peacutedagogique sur lrsquoeacuteducation scientifique srsquoest souvent associeacutee agrave des
expeacuteriences non strictement scolaires souvent analyseacutees lors des journeacutees
annuelles de Chamonix ou agrave partir de 1996 au sein du mouvement de laquo la main agrave la
pacircte raquo Certaines speacutecificiteacutes tactiques ou disciplinaires vont aussi marquer le
paysage en particulier dans les champs de lrsquoastronomie et de lrsquoeacuteducation agrave
lrsquoenvironnement23 ainsi le rapprochement de lrsquoANSTJ avec lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie va conduire agrave faire eacutemerger des manifestations embleacutematiques degraves les
anneacutees 80 laquo Au-delagrave de [son] cette acception qualitative de la laquo deacutemocratisation raquo (faire partager une
expeacuterience scientifique) srsquoest progressivement ajouteacutee une autre dimension au sein de
lrsquoANSTJ Celle de favoriser massivement lrsquointeacuterecirct pour lrsquoastronomie elle se concreacutetise
20
Il srsquoagit de Jean-Claude Guiraudon (devenu depuis Preacutesident du MILSET puis du CIRASTI) qui avait deacutejagrave importeacute quelques anneacutees auparavant les outils et les deacutemarches peacutedagogiques des laquo Petits deacutebrouillards raquo
21 Gracircce agrave lrsquoexistence au sein du Mouvement international pour le loisir scientifique ndash MILSET ndash drsquoun systegraveme
drsquoexposciences internationales ougrave srsquoexposent des seacutelections nationales
22 Dans son ouvrage laquo Une politique culturelle agrave la rencontre drsquoun territoire Culture scientifique technique et industrielle
en reacutegion Lorraine 1980-1995 raquo elle propose ainsi quatre analyses imbriqueacutees celles des textes fondateurs nationaux de la CST celles des volets CSTI des laquo livres blancs de la recherche raquo demandeacutes par le gouvernement aux conseils reacutegionaux en 1990 celles des initiatives de CSTI en Lorraine et enfin celle des perceptions des publics de 12 dispositifs de CSTI en Lorraine
23 Voir le reacutecit laquo histoire de famille et saga de lrsquoanimation scientifique et de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement eacuteclairages lieacutes au
reacuteseau FNCS-ANSTJ entre 1972 et 1985 raquo Las Vergnas 2009
10
drsquoabord agrave Paris en 1985 avec les quinze jours de laquo meacutetro agrave ciel ouvert raquo avec leurs millions
de visiteurs dans 16 stations et leur centaine drsquoanimateurs puis ensuite par les campagnes
nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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la circulation des connaissances scientifiques le recours agrave lrsquoexpression laquo CST raquo
employeacutee au sens figureacute drsquoaction culturelle preacuteciseacute plus haut peut paraicirctre reacutecente
puisque la plupart des auteurs (Bensaude-Vincent 1999 Crozon et Maitte 2001 et
Guyon et Maitte 2008) en font remonter7 la formalisation progressive aux anneacutees 70
et lrsquoeacutemergence aux anneacutees 50 (Schiele 2005 Bensaude-Vincent 2010) En reacutealiteacute
le terme de laquo culture scientifique8 raquo en son sens eacutetymologique est largement
anteacuterieur agrave cette peacuteriode (Hulin 2011) il a eacuteteacute freacutequemment utiliseacute par des
peacutedagogues comme Bachelard (1938) qui emploie souvent agrave propos de laquo lrsquoesprit
scientifique raquo sur la laquo formation raquo duquel il travaille
Ainsi la nouveauteacute des anneacutees 709 et 80 est bien lrsquoapparition du sens laquo figureacute raquo de
CST employeacute pour deacutesigner un ensemble drsquoactions et drsquoorganisations visant agrave
modifier la culture scientifique agrave lrsquoeacutechelle de la socieacuteteacute dans lrsquoesprit de la creacuteation
drsquoun Groupe de liaison pour lrsquoaction culturelle scientifique (GLACS) ou de la
deacutemultiplication drsquoinitiatives croiseacutees de diffeacuterents acteurs issus des sphegraveres
scientifiques culturelles eacuteducatives et socio-eacuteducatives
Concregravetement lrsquoeacutemergence en France drsquoune corporation de la CST est agrave mettre en
relation avec deux mouvements drsquohybridation qui se sont produits au cours de la
deacutecennie 70-80 Le premier donnera naissance en 1974 agrave ce GLACS et le second agrave
lrsquoAssociation nationale sciences techniques jeunesse (ANSTJ) qui succeacuteda en 1977
agrave la Feacutedeacuteration nationale des clubs scientifiques (FNCS creacuteeacutee elle-mecircme en 1968
cf Gautier Las Vergnas et al 2011)
Dans le premier cas des chercheurs (en particulier des physiciens) srsquoeacutetaient
rapprocheacutes des acteurs culturels faisant descendre laquo la science dans la ville raquo ndash
comme lors drsquoAix-pop en septembre 1973 ndash agrave lrsquooccasion de leurs congregraves
anteacuterieurement exclusivement focaliseacute sur la communication entre professionnels
(Detoeuf amp Dauphin 2007) Dans ce nouvel univers est mis explicitement en
exergue la relation laquo science et culture raquo Plus qursquoune dimension classique de
transmission de savoirs il srsquoagit non seulement drsquoun travail politique sur le rapport
entre scientifique et profanes mais aussi de critique des modes de production des
8 PISA 2006 propose dans sa version franccedilaise une deacutefinition de la CS dans son premier sens laquo Par culture scientifique on
entend la mesure dans laquelle un individu (1) possegravede des connaissances scientifiques et les applique pour identifier des questions acqueacuterir de nouvelles compeacutetences expliquer des pheacutenomegravenes de maniegravere scientifique et tirer des conclusions nouvelles fondeacutees sur des faits agrave propos drsquoaspects scientifiques (2) comprend les eacuteleacutements caracteacuteristiques des sciences en tant que forme de recherche et de connaissance humaines (3) est conscient du rocircle des sciences et de la technologie dans la constitution de notre environnement mateacuteriel intellectuel et culturel (4) a la volonteacute de srsquoengager en qualiteacute de citoyen reacutefleacutechi dans des problegravemes agrave caractegravere scientifique et touchant agrave des notions relatives aux sciences La culture scientifique passe par la compreacutehension de concepts scientifiques et renvoie agrave la capaciteacute drsquoappliquer une perspective scientifique et drsquoanalyser les faits de maniegravere scientifique Suit une liste de contenus (connaissances en sciences et connaissances agrave propos des sciences) de compeacutetences requises (taches ou processus scientifiques) puis de contextes et situations drsquoapplication]raquo httpwwwoecdorgdataoecd104539777163pdf p 23
9 Schiele (2005) rappelle que les questions fondatrices de ces hybridations eacutetaient deacutejagrave explicitement formuleacutees lors drsquoun
colloque organiseacute au Palais de la Deacutecouverte et associant les eacutecrivains scientifiques en 1958 mais indique qursquoelles sont devenues visibles pour trois raisons lrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoautonomisation de la vulgarisation la prise de conscience que le progregraves se double de nuisances et de risques et la fin des trente glorieuses en lien sans doute pour la France avec la transformation des rapports de pouvoir conseacutecutifs aux eacuteveacutenements de mai 68 (p 21-23)
5
savoirs scientifiques10 comme le suggegraverent les titres des ouvrages de reacutefeacuterence de
lrsquoeacutepoque (par exemple laquo auto-critique de la science raquo Leacutevy-Leblond 1975) et une
inspiration lieacutee agrave des travaux de sociologie des sciences comme Habermas ou
Feyerabend
En ce qui concerne lrsquoautre hybridation elle a reacutesulteacute des initiatives des militants des
clubs de loisirs scientifiques regroupeacutes au sein de la FNCS11 heacutebergeacutee au Palais de
la Deacutecouverte qui acceacuteleacuteregraverent leur rapprochement avec des mouvements de jeunes
et drsquoeacuteducation populaire ces acteurs se reconnaissent dans laquo lrsquoanimation
scientifique raquo12 deacuteveloppant entre autre des formations sanctionneacutees dans le cadre
des speacutecialisations du Brevet drsquoaptitude aux fonctions drsquoanimation (BAFA) Tregraves vite
(1973-1979) ces eacutequipes firent le pont avec des chercheurs en peacutedagogie gracircce agrave
une perception de continuiteacute entre animation de centre de vacances et de loisirs et
animation de classes transplanteacutees (comme Host Deunf travaillant au sein de lrsquoINRP
sur les activiteacutes drsquoeacuteveil scientifique agrave lrsquoeacutecole) Mecircme si agrave lrsquoeacutepoque cette mouvance
laquo eacuteveil et loisirs scientifiques raquo se meacutelange assez peu avec le GLACS elle va agir en
compleacutementariteacute fertilisant des reacuteseaux13 de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire
extrascolaire ou peacuteriscolaire avec de nouvelles pratiques de deacutecouverte voire
drsquoinvestigation scientifique
De fait crsquoest la premiegravere de ces deux hybridations qui en reacutesonnance avec les
publications de plusieurs auteurs (Roqueplo 1974 Levy-Leblond 1975) et les
reacuteflexions sur la geacuteneacuteralisation14 du dispositif de laquo centre de CST raquo dont le premier a
vu le jour agrave Grenoble (en 1979) qui va propulser sur le devant de la scegravene cette
laquo CST raquo au sens figureacute et pousser agrave son institutionnalisation Etienne Guyon et
Bernard Maitte tous deux chercheurs impliqueacutes dans cette mouvance ont publieacute en
2008 un reacutesumeacute15 de cette peacuteriode de mise en place sous le titre laquo le partage des
savoirs scientifiques les centres de CSTI raquo Ils y mettent en perspective le
deacuteveloppement des CCSTI au sein du foisonnement qui srsquoest produit en France de
1973 (premiegravere manifestation laquo Physique dans la rue raquo) agrave 1992 (premiegravere laquo Science
en Fecircte raquo) raquo signalant que
10
Voir par exemple la thegravese de Debailly 2010 laquo La critique radicale de la science en France origines et incidences de la politisation de la science depuis Mai 1968 raquo
11 Gautier et Las Vergnas (2010) ont reacutecemment deacutecrit les conditions drsquoeacutemergence de ce courant en srsquoappuyant entre autres
sur des entretiens de deux principaux fondateurs (Dubost pour lrsquoANCS en 1962 et Guiraudon pour la FNCS en 1968)
12 Au sein mecircme de cette laquo animation scientifique raquo le champ de lrsquoanimation nature qui deviendra eacuteducation agrave
lrsquoenvironnement meacuterite une analyse particuliegravere car il prend progressivement son autonomie avec la creacuteation dans les anneacutees 75 du mouvement laquo eacutecole et nature raquo puis du CFEE
13 Observant que la coupure GLACSANSTJ seacutepare ceux qui questionnent la mise en scegravene (puis en culture) de la science
(expositions deacutebats theacuteacirctre) drsquoune part et ceux qui expeacuterimentent des formes de loisirs ou drsquoateliers peacuteriscolaires drsquoappropriation de savoirs eacutemancipateurs drsquoautre part on peut se demander si elle ne reproduisait pas vis-agrave-vis des activiteacutes scientifiques la ceacutesure laquo culture raquo versus laquo eacuteducation populaire raquo En observant reacutetrospectivement le positionnement du reacuteseau laquo peuple et culture raquo par exemple on constate que la deacutemarcation se situait plus entre mouvements politiques drsquoadultes drsquoune part et mouvements de jeunesse drsquoautre part
14 Rapport Maleacutecot (1981) puis rapport Maitte (1985)
15 Qui complegravete un premier article eacutecrit lui par Bernard Maitte et Michel Crozon (2001) On pourra aussi consulter le reacutecit de
vie de A Berestesky (2009) qui preacutesente la trajectoire de creacuteateur drsquoun CCSTI atypique (car sans murs) dans ce contexte
6
[ce mouvement militant des chercheurs et acteurs culturels] laquo sera accompagneacute drsquoinitiatives
de lrsquoEacutetat la creacuteation en 1972 du Bureau national drsquoinformation scientifique et technique
(BNIST) le lancement en 1979 par Valeacutery Giscard drsquoEstaing du projet de La Villette reprenant
lrsquoideacutee des Science Centers ameacutericains et permettant ndash gracircce au prestige de la science ndash de
sortir de faccedilon honorable des scandales immobiliers sur le site la transformation cette mecircme
anneacutee du BNIST en mission interministeacuterielle (MIDIST) Mais crsquoest lrsquoarriveacutee de la gauche au
pouvoir en 1981 qui va donner lrsquooccasion au mouvement de srsquoeacutepanouir de se structurer et de
srsquoexprimer politiquement Tout semble alors possible et les initiatives fleurissent tant
militantes qursquoinstitutionnelles raquo
La seconde hybridation elle associe laquo clubs scientifiques raquo et laquo activiteacutes drsquoeacuteveil raquo
peacuteriscolaires au sein de lrsquoassociation nationale sciences techniques jeunesse
(ANSTJ neacutee en 1977 du regroupement drsquoassociations de clubs) Selon Gautier
(1989)
laquo LANSTJ se donne pour objectif de faire pratiquer les sciences et les techniques agrave un public
de jeunes [hellip] La structure de projet demeure une constante mais on est passeacute de projets de
reacutealisation technique avec les clubs aeacuterospatiaux du deacutebut agrave des projets de recherche
collective dans des champs diversifieacutes tels que lastronomie leacutenergie solaire linformatique
Parallegravelement un modegravele peacutedagogique orienteacute vers la deacutecouverte de la deacutemarche
expeacuterimentale a eacuteteacute progressivement formaliseacute raquo
Lrsquoobjectif de lrsquoANSTJ nrsquoest pas formuleacute en termes de deacuteveloppement de la CST mais
drsquoapprentissage de meacutethodes meacutethode expeacuterimentale et meacutethode de
deacuteveloppement de projets scientifiques (en particulier en astronomie et en eacutetude des
milieux laquo naturels raquo) ou technologiques (fuseacutees expeacuterimentales avec le CNES ou
eacutenergies renouvelables) Mais comme lrsquoindiquent Las Vergnas Gautier et Piednoel
(2010) deacutecrivant son eacutevolution sur la peacuteriode 1970-1990
laquo Les animateurs plus inteacuteresseacutes par la deacutemarche des laquo savoirs choisis raquo que par la
technologie sont devenus progressivement pluridisciplinaires et vont se rapprocher du monde
peacuteriscolaire et des peacutedagogies de lrsquoeacuteveil scientifique et se professionnaliser [hellip] Les
interactions avec les milieux de la recherche sur lrsquoeacuteveil scientifique pour des formations
drsquoenseignant [hellip] vont appuyer la theacuteorisation des pratiques et des meacutethodes et contribuer agrave la
professionnalisation des formateurs Sous ces deux effets les animateurs et amateurs qui
avaient eacuteteacute entraineacute dans la mouvance laquo manips raquo de 1975 se trouvent ainsi scindeacutes en deux
sous-courants laquo peacutedagogues raquo de la deacutecouverte de la science expeacuterimentale et laquo amateurs raquo
de la mise au point technologique
Affirmer que lrsquoinstitutionnalisation franccedilaise de la CST reacutesulte seulement du
deacuteveloppement symeacutetrique de ces deux courants GLACS et ANSTJ serait reacuteducteur
Drsquoune part agrave leur naissance le GLACS et lrsquoANSTJ sont positionneacutes diffeacuteremment le
GLACS naicirct speacutecifiquement pour deacutevelopper lrsquoaction de culture scientifique et ses
membres seront directement les acteurs de son institutionnalisation dans les anneacutees
80 alors que lrsquoANSTJ centreacutee sur les apprentissages de meacutethodes par des pratiques
7
expeacuterimentales ne se ralliera16 que tregraves progressivement agrave la seacutemantique et aux
instances de la CST Drsquoautre part plus ou moins imbriqueacutes avec le GLACS et
lrsquoANSTJ ont existeacute plusieurs autres courants17 comme celui propre agrave la culture
technique alliant culture des objets techniques (dans la filiation des travaux de
Simondon 1958) et cultures du travail Il a eacutemergeacute avec la creacuteation en 1976 du
groupe laquo ethnotechnologie raquo par Thierry Gaudin chef de bureau au Ministegravere de
lrsquoindustrie qui donnera naissance en 1979 agrave la revue laquo Culture Technique raquo et agrave un
Centre de recherche sur la culture technique (CRCT disparu en 1996) dont Leroi-
Gourhan (1981) preacutefacera le manifeste fondateur en ces termes
laquo La technique et la culture dans nos socieacuteteacutes entretiennent des rapports de caractegravere
hieacuterarchique et lrsquoauteur de cet ouvrage souhaiterait que cela change [hellip] La civilisation repose
sur le deacuteveloppement de lartisanat qui possegravede une veacuteritable culture technique puis sur le
deacuteveloppement de lindustrie qui met en jeu les ressources eacuteconomiques qui subordonnent le
technicien aux deacutetenteurs du pouvoir La conversion du comportement de la socieacuteteacute repreacutesente
un obstacle agrave la mesure des propositions de lauteur La recherche plus ou moins consciente
dune solution pour sortir du cercle infernal dans lequel le monde est en train de senfermer
passera certainement par la prise de conscience des diffeacuterents axes du deacuteveloppement culturel
et lun de ces axes laxe majeur celui sur lequel gravite la connaissance et la pratique
technique meacuterite que son action soit soutenue et amplifieacutee raquo
Lrsquoinstitutionnalisation par la loi de 1982
Les courants reacutesultant de ces hybridations vont prendre de lrsquoampleur pour constituer
le fait social que nous qualifions ici reacutetrospectivement drsquoinstitutionnalisation de la
CST Une des eacutetapes clefs est celle de la promulgation le 16 juillet 1982 de la loi
dorientation de la recherche dont les articles 7 et 24 inscrivent dans la mission
assureacutee par les meacutetiers de recherche laquo la diffusion de la culture et de lrsquoinformation
scientifique et technique dans toute la population raquo On lit dans son annexe publieacutee
au JO18 sous le titre de laquo rapport sur la programmation et lrsquoorientation de lrsquoeffort
national de recherche et de deacuteveloppement technologique
laquo Le second volet du programme a pour ambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture En liaison avec le ministegravere de
16
En 1986 lrsquoANSTJ publiera son premier laquo Guide de la culture scientifique technique et industrielle raquo annuaire des acteurs de la CST mais la terminologie dominante au sein de lrsquoANSTJ (puis de Planegravete sciences agrave partir de 2002) restera celle de lrsquoanimation scientifique et technique Son objet statutaire principal est en effet laquo de favoriser aupregraves des jeunes linteacuterecirct la pratique et la connaissance des sciences et des techniques raquo alors que la mention laquo de deacutevelopper des actions en partenariat avec les structures de culture scientifique et technique raquo nrsquoapparait que dans une longue eacutenumeacuteration (Planegravete Sciences 2002 httpwwwplanete-sciencesorgnationaldocsstatuts_planetesciencespdf)
17 Lrsquoanimation visant agrave la laquo protection de la nature raquo eacutemerge eacutegalement dans le contexte de la confeacuterence de lrsquoONU de
Stockholm (juin 1972) deacuteclarant la neacutecessiteacute de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement Lrsquoanneacutee 1972 voit ainsi la mise en place drsquoun BTSA eacuteponyme au lyceacutee agricole de Neuvic ainsi que la creacuteation du journal peacutedagogique laquo La Hulotte raquo du premier camp de vacances pour adolescents consacreacute agrave laquo lrsquoeacutecologie raquo (FNCS) et des clubs CPN puis (1973) celle du premier laquo centre permanent drsquoinitiation agrave lrsquoenvironnement raquo (CPIE) Ce courant est au deacutepart en forte interaction avec la FNCS-ANSTJ au sein de laquelle ces actions sont coordonneacutees par un groupe laquo E raquo regroupant des animateurs issus en nombre du lyceacutee de Neuvic ce groupe srsquoautonomisera sous la forme du laquo reacuteseau eacutecole et nature raquo en 1983
18 JO du 16 juillet 1982 p 2276 et aussi httpwwwdsicnrsfrRMLRtextesintegrauxvolume111-l82-610htm
8
leacuteducation nationale un effort sera reacutealiseacute pour donner une place accrue aux disciplines et
aux meacutethodes scientifiques pour deacutevelopper lesprit critique la creacuteativiteacute et laptitude au
jugement personnel Cet effort prendra notamment appui sur lhistoire et les perspectives des
sciences et des techniques En liaison avec les ministegraveres de la culture du temps libre de la
communication et les autres ministegraveres concerneacutes des actions culturelles seront conduites
visant agrave associer les grands moyens dinformation en particulier les stations de radio et les
chaicircnes de teacuteleacutevision les reacutegions le mouvement associatif les entreprises les syndicats et
dune maniegravere geacuteneacuterale le monde du travail au deacuteveloppement de linformation et de la
culture scientifiques et techniques [hellip]Le renforcement des centres reacutegionaux de culture
scientifique et technique et la creacuteation de la citeacute des sciences et techniques de La Villette
constitueront des instruments de cette politique raquo
En compleacutement agrave son inscription dans la loi de 1982 et agrave la multiplication des
actions sur le terrain de nombreux systegravemes symboliques ndash eacuteponymes pour la
plupart ndash ont contribueacute agrave mettre socialement en scegravene la CST souvent eacutetendue agrave la
CSTI (ougrave le laquo I raquo eacutelargit agrave la dimension Industrielle) ainsi le conseil national de la
CSTI qui a eacuteteacute creacuteeacute en 1983 preacutesideacute par JM Leacutevy-Leblond et le programme
mobilisateur de la CSTI lanceacute en octobre 1985 par le Ministre H Curien De mecircme
se sont succeacutedeacutees une multipliciteacute drsquoassises ou drsquoeacutetats geacuteneacuteraux et a eacuteteacute
institutionnaliseacute le reacuteseau de centres ad hoc les CCSTI dont la geacuteneacuteralisation a eacuteteacute
souhaiteacutee degraves 1985
12 La professionnalisation des meacutediateurs
Consolidations progressives
Les anneacutees 80 voient donc19 la monteacutee en puissance des mouvances issues des
deux hybridations deacutecrites plus haut Mecircme si la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave
La Villette ne parvient pas agrave tenir le rocircle drsquoanimateur national qui lui eacutetait deacutevolu la
peacuteriode est celle de la professionnalisation
(1) Du cocircteacute de ceux qui se reconnaissaient degraves leur naissance dans lrsquointituleacute de CST
(notamment la filiation du GLACS) crsquoest lrsquoassociation des museacutees et centres de
CSTI (AMCSTI creacuteeacutee agrave lrsquooccasion de la mise en place ndash au deacutebut des anneacutees 80 ndash
du projet qui allait devenir la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave La Villette) et le
reacuteseau des CCSTI (Maitte 1985) qui vont progressivement structurer le paysage
mecircme si quelques mouvances srsquoaffirment plus autonomes comme certains de ces
CCSTI (Fondation 93 par exemple cf Berestesky 2009) lrsquoAssociation Sciences
Technologies et Socieacuteteacute (ASTS) ou encore le reacuteseau des laquo boutiques de sciences raquo
(Stewart et Havelange 1989) Plusieurs auteurs (Jantzen 2001 Crozon et Maitte
2001 Guyon et Maitte 2008) ont deacutecrit cette eacutevolution en mettant en avant le
foisonnement drsquoinitiatives locales et reacutegionales la creacuteation de la Fecircte de la Science
(1992) et les deacutesillusions lieacutees agrave la conception principalement laquo intramuros raquo et
parisienne de la Citeacute des sciences (Beretetski 2009 Caillet 2011)
19
Il ne faudrait pas croire que cette mise en scegravene de la CST est speacutecifiquement lieacutee au changement politique de 1981 en France Schiele (2005) a deacutemontreacute que le Royaume Uni avait suivi la mecircme institutionnalisation des politiques de Public understanding of science (ou de Public engagement in science and technology)
9
(2) Cocircteacute loisirs et eacuteveil scientifique lrsquoANSTJ va progressivement eacutelargir son spectre
autour de son objectif initial drsquoappropriation de meacutethodes drsquoinvestigation et de
reacutesolution de problegravemes et en parallegravele ces activiteacutes de laquo deacutecouvertes scientifiques
pour les jeunes raquo vont faire largement tacircche drsquohuile au sein drsquoautres reacuteseaux Ainsi
agrave lrsquooccasion de lrsquoanneacutee de la jeunesse deacutecreacuteteacutee par lrsquoUNESCO pour 1984 les
deacuteveloppeurs de lrsquoANSTJ vont importer20 du Queacutebec en France le concept
drsquoexposcience (preacutesentation annuelle sous forme drsquoun salon ouvert agrave tous les
habitants de dizaines ou centaines de stands preacutesentant des projets scientifiques
de jeunes) et dans cette mouvance reacuteussir agrave entraicircner une dizaine de reacuteseaux
nationaux de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire (Escot 1999) et donner naissance
au Collectif interassociatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et techniques
internationales (CIRASTI) qui va enfin reacuteussir agrave amplifier le niveau drsquohybridation
resteacute timide dans les anneacutees 70 Meacutelangeant des associations speacutecialiseacutees en
animation scientifiques et des reacuteseaux geacuteneacuteralistes de lrsquoeacuteducation populaire
(agissant via des MJC foyers ruraux centres de loisirs) il va en effet devenir agrave la
fois un interlocuteur international21 se territorialiser dans la plupart des reacutegions
franccedilaises et devenir un entrelacs de creusets drsquoeacutechanges de nouvelles strateacutegies
et drsquoamplification (Escot 1999) assumant mecircme un rocircle de porte-parole de
lrsquoeacuteducation populaire pour la theacutematique de la CST
Il serait reacuteducteur de deacutecrire le fourmillement des actions de CST dans ces anneacutees
80-90 agrave partir de ces deux seuls courants Dans beaucoup de reacutegions la dimension
de la culture et du patrimoine industriels occupe alors une place importante comme
le montrent les travaux22 de Marie-Jeanne Choffel - Mailfert (2000) De mecircme la
reacuteflexion peacutedagogique sur lrsquoeacuteducation scientifique srsquoest souvent associeacutee agrave des
expeacuteriences non strictement scolaires souvent analyseacutees lors des journeacutees
annuelles de Chamonix ou agrave partir de 1996 au sein du mouvement de laquo la main agrave la
pacircte raquo Certaines speacutecificiteacutes tactiques ou disciplinaires vont aussi marquer le
paysage en particulier dans les champs de lrsquoastronomie et de lrsquoeacuteducation agrave
lrsquoenvironnement23 ainsi le rapprochement de lrsquoANSTJ avec lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie va conduire agrave faire eacutemerger des manifestations embleacutematiques degraves les
anneacutees 80 laquo Au-delagrave de [son] cette acception qualitative de la laquo deacutemocratisation raquo (faire partager une
expeacuterience scientifique) srsquoest progressivement ajouteacutee une autre dimension au sein de
lrsquoANSTJ Celle de favoriser massivement lrsquointeacuterecirct pour lrsquoastronomie elle se concreacutetise
20
Il srsquoagit de Jean-Claude Guiraudon (devenu depuis Preacutesident du MILSET puis du CIRASTI) qui avait deacutejagrave importeacute quelques anneacutees auparavant les outils et les deacutemarches peacutedagogiques des laquo Petits deacutebrouillards raquo
21 Gracircce agrave lrsquoexistence au sein du Mouvement international pour le loisir scientifique ndash MILSET ndash drsquoun systegraveme
drsquoexposciences internationales ougrave srsquoexposent des seacutelections nationales
22 Dans son ouvrage laquo Une politique culturelle agrave la rencontre drsquoun territoire Culture scientifique technique et industrielle
en reacutegion Lorraine 1980-1995 raquo elle propose ainsi quatre analyses imbriqueacutees celles des textes fondateurs nationaux de la CST celles des volets CSTI des laquo livres blancs de la recherche raquo demandeacutes par le gouvernement aux conseils reacutegionaux en 1990 celles des initiatives de CSTI en Lorraine et enfin celle des perceptions des publics de 12 dispositifs de CSTI en Lorraine
23 Voir le reacutecit laquo histoire de famille et saga de lrsquoanimation scientifique et de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement eacuteclairages lieacutes au
reacuteseau FNCS-ANSTJ entre 1972 et 1985 raquo Las Vergnas 2009
10
drsquoabord agrave Paris en 1985 avec les quinze jours de laquo meacutetro agrave ciel ouvert raquo avec leurs millions
de visiteurs dans 16 stations et leur centaine drsquoanimateurs puis ensuite par les campagnes
nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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33
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CST Culture Scientifique et technique
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savoirs scientifiques10 comme le suggegraverent les titres des ouvrages de reacutefeacuterence de
lrsquoeacutepoque (par exemple laquo auto-critique de la science raquo Leacutevy-Leblond 1975) et une
inspiration lieacutee agrave des travaux de sociologie des sciences comme Habermas ou
Feyerabend
En ce qui concerne lrsquoautre hybridation elle a reacutesulteacute des initiatives des militants des
clubs de loisirs scientifiques regroupeacutes au sein de la FNCS11 heacutebergeacutee au Palais de
la Deacutecouverte qui acceacuteleacuteregraverent leur rapprochement avec des mouvements de jeunes
et drsquoeacuteducation populaire ces acteurs se reconnaissent dans laquo lrsquoanimation
scientifique raquo12 deacuteveloppant entre autre des formations sanctionneacutees dans le cadre
des speacutecialisations du Brevet drsquoaptitude aux fonctions drsquoanimation (BAFA) Tregraves vite
(1973-1979) ces eacutequipes firent le pont avec des chercheurs en peacutedagogie gracircce agrave
une perception de continuiteacute entre animation de centre de vacances et de loisirs et
animation de classes transplanteacutees (comme Host Deunf travaillant au sein de lrsquoINRP
sur les activiteacutes drsquoeacuteveil scientifique agrave lrsquoeacutecole) Mecircme si agrave lrsquoeacutepoque cette mouvance
laquo eacuteveil et loisirs scientifiques raquo se meacutelange assez peu avec le GLACS elle va agir en
compleacutementariteacute fertilisant des reacuteseaux13 de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire
extrascolaire ou peacuteriscolaire avec de nouvelles pratiques de deacutecouverte voire
drsquoinvestigation scientifique
De fait crsquoest la premiegravere de ces deux hybridations qui en reacutesonnance avec les
publications de plusieurs auteurs (Roqueplo 1974 Levy-Leblond 1975) et les
reacuteflexions sur la geacuteneacuteralisation14 du dispositif de laquo centre de CST raquo dont le premier a
vu le jour agrave Grenoble (en 1979) qui va propulser sur le devant de la scegravene cette
laquo CST raquo au sens figureacute et pousser agrave son institutionnalisation Etienne Guyon et
Bernard Maitte tous deux chercheurs impliqueacutes dans cette mouvance ont publieacute en
2008 un reacutesumeacute15 de cette peacuteriode de mise en place sous le titre laquo le partage des
savoirs scientifiques les centres de CSTI raquo Ils y mettent en perspective le
deacuteveloppement des CCSTI au sein du foisonnement qui srsquoest produit en France de
1973 (premiegravere manifestation laquo Physique dans la rue raquo) agrave 1992 (premiegravere laquo Science
en Fecircte raquo) raquo signalant que
10
Voir par exemple la thegravese de Debailly 2010 laquo La critique radicale de la science en France origines et incidences de la politisation de la science depuis Mai 1968 raquo
11 Gautier et Las Vergnas (2010) ont reacutecemment deacutecrit les conditions drsquoeacutemergence de ce courant en srsquoappuyant entre autres
sur des entretiens de deux principaux fondateurs (Dubost pour lrsquoANCS en 1962 et Guiraudon pour la FNCS en 1968)
12 Au sein mecircme de cette laquo animation scientifique raquo le champ de lrsquoanimation nature qui deviendra eacuteducation agrave
lrsquoenvironnement meacuterite une analyse particuliegravere car il prend progressivement son autonomie avec la creacuteation dans les anneacutees 75 du mouvement laquo eacutecole et nature raquo puis du CFEE
13 Observant que la coupure GLACSANSTJ seacutepare ceux qui questionnent la mise en scegravene (puis en culture) de la science
(expositions deacutebats theacuteacirctre) drsquoune part et ceux qui expeacuterimentent des formes de loisirs ou drsquoateliers peacuteriscolaires drsquoappropriation de savoirs eacutemancipateurs drsquoautre part on peut se demander si elle ne reproduisait pas vis-agrave-vis des activiteacutes scientifiques la ceacutesure laquo culture raquo versus laquo eacuteducation populaire raquo En observant reacutetrospectivement le positionnement du reacuteseau laquo peuple et culture raquo par exemple on constate que la deacutemarcation se situait plus entre mouvements politiques drsquoadultes drsquoune part et mouvements de jeunesse drsquoautre part
14 Rapport Maleacutecot (1981) puis rapport Maitte (1985)
15 Qui complegravete un premier article eacutecrit lui par Bernard Maitte et Michel Crozon (2001) On pourra aussi consulter le reacutecit de
vie de A Berestesky (2009) qui preacutesente la trajectoire de creacuteateur drsquoun CCSTI atypique (car sans murs) dans ce contexte
6
[ce mouvement militant des chercheurs et acteurs culturels] laquo sera accompagneacute drsquoinitiatives
de lrsquoEacutetat la creacuteation en 1972 du Bureau national drsquoinformation scientifique et technique
(BNIST) le lancement en 1979 par Valeacutery Giscard drsquoEstaing du projet de La Villette reprenant
lrsquoideacutee des Science Centers ameacutericains et permettant ndash gracircce au prestige de la science ndash de
sortir de faccedilon honorable des scandales immobiliers sur le site la transformation cette mecircme
anneacutee du BNIST en mission interministeacuterielle (MIDIST) Mais crsquoest lrsquoarriveacutee de la gauche au
pouvoir en 1981 qui va donner lrsquooccasion au mouvement de srsquoeacutepanouir de se structurer et de
srsquoexprimer politiquement Tout semble alors possible et les initiatives fleurissent tant
militantes qursquoinstitutionnelles raquo
La seconde hybridation elle associe laquo clubs scientifiques raquo et laquo activiteacutes drsquoeacuteveil raquo
peacuteriscolaires au sein de lrsquoassociation nationale sciences techniques jeunesse
(ANSTJ neacutee en 1977 du regroupement drsquoassociations de clubs) Selon Gautier
(1989)
laquo LANSTJ se donne pour objectif de faire pratiquer les sciences et les techniques agrave un public
de jeunes [hellip] La structure de projet demeure une constante mais on est passeacute de projets de
reacutealisation technique avec les clubs aeacuterospatiaux du deacutebut agrave des projets de recherche
collective dans des champs diversifieacutes tels que lastronomie leacutenergie solaire linformatique
Parallegravelement un modegravele peacutedagogique orienteacute vers la deacutecouverte de la deacutemarche
expeacuterimentale a eacuteteacute progressivement formaliseacute raquo
Lrsquoobjectif de lrsquoANSTJ nrsquoest pas formuleacute en termes de deacuteveloppement de la CST mais
drsquoapprentissage de meacutethodes meacutethode expeacuterimentale et meacutethode de
deacuteveloppement de projets scientifiques (en particulier en astronomie et en eacutetude des
milieux laquo naturels raquo) ou technologiques (fuseacutees expeacuterimentales avec le CNES ou
eacutenergies renouvelables) Mais comme lrsquoindiquent Las Vergnas Gautier et Piednoel
(2010) deacutecrivant son eacutevolution sur la peacuteriode 1970-1990
laquo Les animateurs plus inteacuteresseacutes par la deacutemarche des laquo savoirs choisis raquo que par la
technologie sont devenus progressivement pluridisciplinaires et vont se rapprocher du monde
peacuteriscolaire et des peacutedagogies de lrsquoeacuteveil scientifique et se professionnaliser [hellip] Les
interactions avec les milieux de la recherche sur lrsquoeacuteveil scientifique pour des formations
drsquoenseignant [hellip] vont appuyer la theacuteorisation des pratiques et des meacutethodes et contribuer agrave la
professionnalisation des formateurs Sous ces deux effets les animateurs et amateurs qui
avaient eacuteteacute entraineacute dans la mouvance laquo manips raquo de 1975 se trouvent ainsi scindeacutes en deux
sous-courants laquo peacutedagogues raquo de la deacutecouverte de la science expeacuterimentale et laquo amateurs raquo
de la mise au point technologique
Affirmer que lrsquoinstitutionnalisation franccedilaise de la CST reacutesulte seulement du
deacuteveloppement symeacutetrique de ces deux courants GLACS et ANSTJ serait reacuteducteur
Drsquoune part agrave leur naissance le GLACS et lrsquoANSTJ sont positionneacutes diffeacuteremment le
GLACS naicirct speacutecifiquement pour deacutevelopper lrsquoaction de culture scientifique et ses
membres seront directement les acteurs de son institutionnalisation dans les anneacutees
80 alors que lrsquoANSTJ centreacutee sur les apprentissages de meacutethodes par des pratiques
7
expeacuterimentales ne se ralliera16 que tregraves progressivement agrave la seacutemantique et aux
instances de la CST Drsquoautre part plus ou moins imbriqueacutes avec le GLACS et
lrsquoANSTJ ont existeacute plusieurs autres courants17 comme celui propre agrave la culture
technique alliant culture des objets techniques (dans la filiation des travaux de
Simondon 1958) et cultures du travail Il a eacutemergeacute avec la creacuteation en 1976 du
groupe laquo ethnotechnologie raquo par Thierry Gaudin chef de bureau au Ministegravere de
lrsquoindustrie qui donnera naissance en 1979 agrave la revue laquo Culture Technique raquo et agrave un
Centre de recherche sur la culture technique (CRCT disparu en 1996) dont Leroi-
Gourhan (1981) preacutefacera le manifeste fondateur en ces termes
laquo La technique et la culture dans nos socieacuteteacutes entretiennent des rapports de caractegravere
hieacuterarchique et lrsquoauteur de cet ouvrage souhaiterait que cela change [hellip] La civilisation repose
sur le deacuteveloppement de lartisanat qui possegravede une veacuteritable culture technique puis sur le
deacuteveloppement de lindustrie qui met en jeu les ressources eacuteconomiques qui subordonnent le
technicien aux deacutetenteurs du pouvoir La conversion du comportement de la socieacuteteacute repreacutesente
un obstacle agrave la mesure des propositions de lauteur La recherche plus ou moins consciente
dune solution pour sortir du cercle infernal dans lequel le monde est en train de senfermer
passera certainement par la prise de conscience des diffeacuterents axes du deacuteveloppement culturel
et lun de ces axes laxe majeur celui sur lequel gravite la connaissance et la pratique
technique meacuterite que son action soit soutenue et amplifieacutee raquo
Lrsquoinstitutionnalisation par la loi de 1982
Les courants reacutesultant de ces hybridations vont prendre de lrsquoampleur pour constituer
le fait social que nous qualifions ici reacutetrospectivement drsquoinstitutionnalisation de la
CST Une des eacutetapes clefs est celle de la promulgation le 16 juillet 1982 de la loi
dorientation de la recherche dont les articles 7 et 24 inscrivent dans la mission
assureacutee par les meacutetiers de recherche laquo la diffusion de la culture et de lrsquoinformation
scientifique et technique dans toute la population raquo On lit dans son annexe publieacutee
au JO18 sous le titre de laquo rapport sur la programmation et lrsquoorientation de lrsquoeffort
national de recherche et de deacuteveloppement technologique
laquo Le second volet du programme a pour ambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture En liaison avec le ministegravere de
16
En 1986 lrsquoANSTJ publiera son premier laquo Guide de la culture scientifique technique et industrielle raquo annuaire des acteurs de la CST mais la terminologie dominante au sein de lrsquoANSTJ (puis de Planegravete sciences agrave partir de 2002) restera celle de lrsquoanimation scientifique et technique Son objet statutaire principal est en effet laquo de favoriser aupregraves des jeunes linteacuterecirct la pratique et la connaissance des sciences et des techniques raquo alors que la mention laquo de deacutevelopper des actions en partenariat avec les structures de culture scientifique et technique raquo nrsquoapparait que dans une longue eacutenumeacuteration (Planegravete Sciences 2002 httpwwwplanete-sciencesorgnationaldocsstatuts_planetesciencespdf)
17 Lrsquoanimation visant agrave la laquo protection de la nature raquo eacutemerge eacutegalement dans le contexte de la confeacuterence de lrsquoONU de
Stockholm (juin 1972) deacuteclarant la neacutecessiteacute de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement Lrsquoanneacutee 1972 voit ainsi la mise en place drsquoun BTSA eacuteponyme au lyceacutee agricole de Neuvic ainsi que la creacuteation du journal peacutedagogique laquo La Hulotte raquo du premier camp de vacances pour adolescents consacreacute agrave laquo lrsquoeacutecologie raquo (FNCS) et des clubs CPN puis (1973) celle du premier laquo centre permanent drsquoinitiation agrave lrsquoenvironnement raquo (CPIE) Ce courant est au deacutepart en forte interaction avec la FNCS-ANSTJ au sein de laquelle ces actions sont coordonneacutees par un groupe laquo E raquo regroupant des animateurs issus en nombre du lyceacutee de Neuvic ce groupe srsquoautonomisera sous la forme du laquo reacuteseau eacutecole et nature raquo en 1983
18 JO du 16 juillet 1982 p 2276 et aussi httpwwwdsicnrsfrRMLRtextesintegrauxvolume111-l82-610htm
8
leacuteducation nationale un effort sera reacutealiseacute pour donner une place accrue aux disciplines et
aux meacutethodes scientifiques pour deacutevelopper lesprit critique la creacuteativiteacute et laptitude au
jugement personnel Cet effort prendra notamment appui sur lhistoire et les perspectives des
sciences et des techniques En liaison avec les ministegraveres de la culture du temps libre de la
communication et les autres ministegraveres concerneacutes des actions culturelles seront conduites
visant agrave associer les grands moyens dinformation en particulier les stations de radio et les
chaicircnes de teacuteleacutevision les reacutegions le mouvement associatif les entreprises les syndicats et
dune maniegravere geacuteneacuterale le monde du travail au deacuteveloppement de linformation et de la
culture scientifiques et techniques [hellip]Le renforcement des centres reacutegionaux de culture
scientifique et technique et la creacuteation de la citeacute des sciences et techniques de La Villette
constitueront des instruments de cette politique raquo
En compleacutement agrave son inscription dans la loi de 1982 et agrave la multiplication des
actions sur le terrain de nombreux systegravemes symboliques ndash eacuteponymes pour la
plupart ndash ont contribueacute agrave mettre socialement en scegravene la CST souvent eacutetendue agrave la
CSTI (ougrave le laquo I raquo eacutelargit agrave la dimension Industrielle) ainsi le conseil national de la
CSTI qui a eacuteteacute creacuteeacute en 1983 preacutesideacute par JM Leacutevy-Leblond et le programme
mobilisateur de la CSTI lanceacute en octobre 1985 par le Ministre H Curien De mecircme
se sont succeacutedeacutees une multipliciteacute drsquoassises ou drsquoeacutetats geacuteneacuteraux et a eacuteteacute
institutionnaliseacute le reacuteseau de centres ad hoc les CCSTI dont la geacuteneacuteralisation a eacuteteacute
souhaiteacutee degraves 1985
12 La professionnalisation des meacutediateurs
Consolidations progressives
Les anneacutees 80 voient donc19 la monteacutee en puissance des mouvances issues des
deux hybridations deacutecrites plus haut Mecircme si la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave
La Villette ne parvient pas agrave tenir le rocircle drsquoanimateur national qui lui eacutetait deacutevolu la
peacuteriode est celle de la professionnalisation
(1) Du cocircteacute de ceux qui se reconnaissaient degraves leur naissance dans lrsquointituleacute de CST
(notamment la filiation du GLACS) crsquoest lrsquoassociation des museacutees et centres de
CSTI (AMCSTI creacuteeacutee agrave lrsquooccasion de la mise en place ndash au deacutebut des anneacutees 80 ndash
du projet qui allait devenir la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave La Villette) et le
reacuteseau des CCSTI (Maitte 1985) qui vont progressivement structurer le paysage
mecircme si quelques mouvances srsquoaffirment plus autonomes comme certains de ces
CCSTI (Fondation 93 par exemple cf Berestesky 2009) lrsquoAssociation Sciences
Technologies et Socieacuteteacute (ASTS) ou encore le reacuteseau des laquo boutiques de sciences raquo
(Stewart et Havelange 1989) Plusieurs auteurs (Jantzen 2001 Crozon et Maitte
2001 Guyon et Maitte 2008) ont deacutecrit cette eacutevolution en mettant en avant le
foisonnement drsquoinitiatives locales et reacutegionales la creacuteation de la Fecircte de la Science
(1992) et les deacutesillusions lieacutees agrave la conception principalement laquo intramuros raquo et
parisienne de la Citeacute des sciences (Beretetski 2009 Caillet 2011)
19
Il ne faudrait pas croire que cette mise en scegravene de la CST est speacutecifiquement lieacutee au changement politique de 1981 en France Schiele (2005) a deacutemontreacute que le Royaume Uni avait suivi la mecircme institutionnalisation des politiques de Public understanding of science (ou de Public engagement in science and technology)
9
(2) Cocircteacute loisirs et eacuteveil scientifique lrsquoANSTJ va progressivement eacutelargir son spectre
autour de son objectif initial drsquoappropriation de meacutethodes drsquoinvestigation et de
reacutesolution de problegravemes et en parallegravele ces activiteacutes de laquo deacutecouvertes scientifiques
pour les jeunes raquo vont faire largement tacircche drsquohuile au sein drsquoautres reacuteseaux Ainsi
agrave lrsquooccasion de lrsquoanneacutee de la jeunesse deacutecreacuteteacutee par lrsquoUNESCO pour 1984 les
deacuteveloppeurs de lrsquoANSTJ vont importer20 du Queacutebec en France le concept
drsquoexposcience (preacutesentation annuelle sous forme drsquoun salon ouvert agrave tous les
habitants de dizaines ou centaines de stands preacutesentant des projets scientifiques
de jeunes) et dans cette mouvance reacuteussir agrave entraicircner une dizaine de reacuteseaux
nationaux de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire (Escot 1999) et donner naissance
au Collectif interassociatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et techniques
internationales (CIRASTI) qui va enfin reacuteussir agrave amplifier le niveau drsquohybridation
resteacute timide dans les anneacutees 70 Meacutelangeant des associations speacutecialiseacutees en
animation scientifiques et des reacuteseaux geacuteneacuteralistes de lrsquoeacuteducation populaire
(agissant via des MJC foyers ruraux centres de loisirs) il va en effet devenir agrave la
fois un interlocuteur international21 se territorialiser dans la plupart des reacutegions
franccedilaises et devenir un entrelacs de creusets drsquoeacutechanges de nouvelles strateacutegies
et drsquoamplification (Escot 1999) assumant mecircme un rocircle de porte-parole de
lrsquoeacuteducation populaire pour la theacutematique de la CST
Il serait reacuteducteur de deacutecrire le fourmillement des actions de CST dans ces anneacutees
80-90 agrave partir de ces deux seuls courants Dans beaucoup de reacutegions la dimension
de la culture et du patrimoine industriels occupe alors une place importante comme
le montrent les travaux22 de Marie-Jeanne Choffel - Mailfert (2000) De mecircme la
reacuteflexion peacutedagogique sur lrsquoeacuteducation scientifique srsquoest souvent associeacutee agrave des
expeacuteriences non strictement scolaires souvent analyseacutees lors des journeacutees
annuelles de Chamonix ou agrave partir de 1996 au sein du mouvement de laquo la main agrave la
pacircte raquo Certaines speacutecificiteacutes tactiques ou disciplinaires vont aussi marquer le
paysage en particulier dans les champs de lrsquoastronomie et de lrsquoeacuteducation agrave
lrsquoenvironnement23 ainsi le rapprochement de lrsquoANSTJ avec lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie va conduire agrave faire eacutemerger des manifestations embleacutematiques degraves les
anneacutees 80 laquo Au-delagrave de [son] cette acception qualitative de la laquo deacutemocratisation raquo (faire partager une
expeacuterience scientifique) srsquoest progressivement ajouteacutee une autre dimension au sein de
lrsquoANSTJ Celle de favoriser massivement lrsquointeacuterecirct pour lrsquoastronomie elle se concreacutetise
20
Il srsquoagit de Jean-Claude Guiraudon (devenu depuis Preacutesident du MILSET puis du CIRASTI) qui avait deacutejagrave importeacute quelques anneacutees auparavant les outils et les deacutemarches peacutedagogiques des laquo Petits deacutebrouillards raquo
21 Gracircce agrave lrsquoexistence au sein du Mouvement international pour le loisir scientifique ndash MILSET ndash drsquoun systegraveme
drsquoexposciences internationales ougrave srsquoexposent des seacutelections nationales
22 Dans son ouvrage laquo Une politique culturelle agrave la rencontre drsquoun territoire Culture scientifique technique et industrielle
en reacutegion Lorraine 1980-1995 raquo elle propose ainsi quatre analyses imbriqueacutees celles des textes fondateurs nationaux de la CST celles des volets CSTI des laquo livres blancs de la recherche raquo demandeacutes par le gouvernement aux conseils reacutegionaux en 1990 celles des initiatives de CSTI en Lorraine et enfin celle des perceptions des publics de 12 dispositifs de CSTI en Lorraine
23 Voir le reacutecit laquo histoire de famille et saga de lrsquoanimation scientifique et de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement eacuteclairages lieacutes au
reacuteseau FNCS-ANSTJ entre 1972 et 1985 raquo Las Vergnas 2009
10
drsquoabord agrave Paris en 1985 avec les quinze jours de laquo meacutetro agrave ciel ouvert raquo avec leurs millions
de visiteurs dans 16 stations et leur centaine drsquoanimateurs puis ensuite par les campagnes
nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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CIRASTI Collectif inter associatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et
techniques internationales Mouvement franccedilais des exposciences httpcirastiorg
33
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CSI Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie httpuniversciencefr
CST Culture Scientifique et technique
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[ce mouvement militant des chercheurs et acteurs culturels] laquo sera accompagneacute drsquoinitiatives
de lrsquoEacutetat la creacuteation en 1972 du Bureau national drsquoinformation scientifique et technique
(BNIST) le lancement en 1979 par Valeacutery Giscard drsquoEstaing du projet de La Villette reprenant
lrsquoideacutee des Science Centers ameacutericains et permettant ndash gracircce au prestige de la science ndash de
sortir de faccedilon honorable des scandales immobiliers sur le site la transformation cette mecircme
anneacutee du BNIST en mission interministeacuterielle (MIDIST) Mais crsquoest lrsquoarriveacutee de la gauche au
pouvoir en 1981 qui va donner lrsquooccasion au mouvement de srsquoeacutepanouir de se structurer et de
srsquoexprimer politiquement Tout semble alors possible et les initiatives fleurissent tant
militantes qursquoinstitutionnelles raquo
La seconde hybridation elle associe laquo clubs scientifiques raquo et laquo activiteacutes drsquoeacuteveil raquo
peacuteriscolaires au sein de lrsquoassociation nationale sciences techniques jeunesse
(ANSTJ neacutee en 1977 du regroupement drsquoassociations de clubs) Selon Gautier
(1989)
laquo LANSTJ se donne pour objectif de faire pratiquer les sciences et les techniques agrave un public
de jeunes [hellip] La structure de projet demeure une constante mais on est passeacute de projets de
reacutealisation technique avec les clubs aeacuterospatiaux du deacutebut agrave des projets de recherche
collective dans des champs diversifieacutes tels que lastronomie leacutenergie solaire linformatique
Parallegravelement un modegravele peacutedagogique orienteacute vers la deacutecouverte de la deacutemarche
expeacuterimentale a eacuteteacute progressivement formaliseacute raquo
Lrsquoobjectif de lrsquoANSTJ nrsquoest pas formuleacute en termes de deacuteveloppement de la CST mais
drsquoapprentissage de meacutethodes meacutethode expeacuterimentale et meacutethode de
deacuteveloppement de projets scientifiques (en particulier en astronomie et en eacutetude des
milieux laquo naturels raquo) ou technologiques (fuseacutees expeacuterimentales avec le CNES ou
eacutenergies renouvelables) Mais comme lrsquoindiquent Las Vergnas Gautier et Piednoel
(2010) deacutecrivant son eacutevolution sur la peacuteriode 1970-1990
laquo Les animateurs plus inteacuteresseacutes par la deacutemarche des laquo savoirs choisis raquo que par la
technologie sont devenus progressivement pluridisciplinaires et vont se rapprocher du monde
peacuteriscolaire et des peacutedagogies de lrsquoeacuteveil scientifique et se professionnaliser [hellip] Les
interactions avec les milieux de la recherche sur lrsquoeacuteveil scientifique pour des formations
drsquoenseignant [hellip] vont appuyer la theacuteorisation des pratiques et des meacutethodes et contribuer agrave la
professionnalisation des formateurs Sous ces deux effets les animateurs et amateurs qui
avaient eacuteteacute entraineacute dans la mouvance laquo manips raquo de 1975 se trouvent ainsi scindeacutes en deux
sous-courants laquo peacutedagogues raquo de la deacutecouverte de la science expeacuterimentale et laquo amateurs raquo
de la mise au point technologique
Affirmer que lrsquoinstitutionnalisation franccedilaise de la CST reacutesulte seulement du
deacuteveloppement symeacutetrique de ces deux courants GLACS et ANSTJ serait reacuteducteur
Drsquoune part agrave leur naissance le GLACS et lrsquoANSTJ sont positionneacutes diffeacuteremment le
GLACS naicirct speacutecifiquement pour deacutevelopper lrsquoaction de culture scientifique et ses
membres seront directement les acteurs de son institutionnalisation dans les anneacutees
80 alors que lrsquoANSTJ centreacutee sur les apprentissages de meacutethodes par des pratiques
7
expeacuterimentales ne se ralliera16 que tregraves progressivement agrave la seacutemantique et aux
instances de la CST Drsquoautre part plus ou moins imbriqueacutes avec le GLACS et
lrsquoANSTJ ont existeacute plusieurs autres courants17 comme celui propre agrave la culture
technique alliant culture des objets techniques (dans la filiation des travaux de
Simondon 1958) et cultures du travail Il a eacutemergeacute avec la creacuteation en 1976 du
groupe laquo ethnotechnologie raquo par Thierry Gaudin chef de bureau au Ministegravere de
lrsquoindustrie qui donnera naissance en 1979 agrave la revue laquo Culture Technique raquo et agrave un
Centre de recherche sur la culture technique (CRCT disparu en 1996) dont Leroi-
Gourhan (1981) preacutefacera le manifeste fondateur en ces termes
laquo La technique et la culture dans nos socieacuteteacutes entretiennent des rapports de caractegravere
hieacuterarchique et lrsquoauteur de cet ouvrage souhaiterait que cela change [hellip] La civilisation repose
sur le deacuteveloppement de lartisanat qui possegravede une veacuteritable culture technique puis sur le
deacuteveloppement de lindustrie qui met en jeu les ressources eacuteconomiques qui subordonnent le
technicien aux deacutetenteurs du pouvoir La conversion du comportement de la socieacuteteacute repreacutesente
un obstacle agrave la mesure des propositions de lauteur La recherche plus ou moins consciente
dune solution pour sortir du cercle infernal dans lequel le monde est en train de senfermer
passera certainement par la prise de conscience des diffeacuterents axes du deacuteveloppement culturel
et lun de ces axes laxe majeur celui sur lequel gravite la connaissance et la pratique
technique meacuterite que son action soit soutenue et amplifieacutee raquo
Lrsquoinstitutionnalisation par la loi de 1982
Les courants reacutesultant de ces hybridations vont prendre de lrsquoampleur pour constituer
le fait social que nous qualifions ici reacutetrospectivement drsquoinstitutionnalisation de la
CST Une des eacutetapes clefs est celle de la promulgation le 16 juillet 1982 de la loi
dorientation de la recherche dont les articles 7 et 24 inscrivent dans la mission
assureacutee par les meacutetiers de recherche laquo la diffusion de la culture et de lrsquoinformation
scientifique et technique dans toute la population raquo On lit dans son annexe publieacutee
au JO18 sous le titre de laquo rapport sur la programmation et lrsquoorientation de lrsquoeffort
national de recherche et de deacuteveloppement technologique
laquo Le second volet du programme a pour ambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture En liaison avec le ministegravere de
16
En 1986 lrsquoANSTJ publiera son premier laquo Guide de la culture scientifique technique et industrielle raquo annuaire des acteurs de la CST mais la terminologie dominante au sein de lrsquoANSTJ (puis de Planegravete sciences agrave partir de 2002) restera celle de lrsquoanimation scientifique et technique Son objet statutaire principal est en effet laquo de favoriser aupregraves des jeunes linteacuterecirct la pratique et la connaissance des sciences et des techniques raquo alors que la mention laquo de deacutevelopper des actions en partenariat avec les structures de culture scientifique et technique raquo nrsquoapparait que dans une longue eacutenumeacuteration (Planegravete Sciences 2002 httpwwwplanete-sciencesorgnationaldocsstatuts_planetesciencespdf)
17 Lrsquoanimation visant agrave la laquo protection de la nature raquo eacutemerge eacutegalement dans le contexte de la confeacuterence de lrsquoONU de
Stockholm (juin 1972) deacuteclarant la neacutecessiteacute de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement Lrsquoanneacutee 1972 voit ainsi la mise en place drsquoun BTSA eacuteponyme au lyceacutee agricole de Neuvic ainsi que la creacuteation du journal peacutedagogique laquo La Hulotte raquo du premier camp de vacances pour adolescents consacreacute agrave laquo lrsquoeacutecologie raquo (FNCS) et des clubs CPN puis (1973) celle du premier laquo centre permanent drsquoinitiation agrave lrsquoenvironnement raquo (CPIE) Ce courant est au deacutepart en forte interaction avec la FNCS-ANSTJ au sein de laquelle ces actions sont coordonneacutees par un groupe laquo E raquo regroupant des animateurs issus en nombre du lyceacutee de Neuvic ce groupe srsquoautonomisera sous la forme du laquo reacuteseau eacutecole et nature raquo en 1983
18 JO du 16 juillet 1982 p 2276 et aussi httpwwwdsicnrsfrRMLRtextesintegrauxvolume111-l82-610htm
8
leacuteducation nationale un effort sera reacutealiseacute pour donner une place accrue aux disciplines et
aux meacutethodes scientifiques pour deacutevelopper lesprit critique la creacuteativiteacute et laptitude au
jugement personnel Cet effort prendra notamment appui sur lhistoire et les perspectives des
sciences et des techniques En liaison avec les ministegraveres de la culture du temps libre de la
communication et les autres ministegraveres concerneacutes des actions culturelles seront conduites
visant agrave associer les grands moyens dinformation en particulier les stations de radio et les
chaicircnes de teacuteleacutevision les reacutegions le mouvement associatif les entreprises les syndicats et
dune maniegravere geacuteneacuterale le monde du travail au deacuteveloppement de linformation et de la
culture scientifiques et techniques [hellip]Le renforcement des centres reacutegionaux de culture
scientifique et technique et la creacuteation de la citeacute des sciences et techniques de La Villette
constitueront des instruments de cette politique raquo
En compleacutement agrave son inscription dans la loi de 1982 et agrave la multiplication des
actions sur le terrain de nombreux systegravemes symboliques ndash eacuteponymes pour la
plupart ndash ont contribueacute agrave mettre socialement en scegravene la CST souvent eacutetendue agrave la
CSTI (ougrave le laquo I raquo eacutelargit agrave la dimension Industrielle) ainsi le conseil national de la
CSTI qui a eacuteteacute creacuteeacute en 1983 preacutesideacute par JM Leacutevy-Leblond et le programme
mobilisateur de la CSTI lanceacute en octobre 1985 par le Ministre H Curien De mecircme
se sont succeacutedeacutees une multipliciteacute drsquoassises ou drsquoeacutetats geacuteneacuteraux et a eacuteteacute
institutionnaliseacute le reacuteseau de centres ad hoc les CCSTI dont la geacuteneacuteralisation a eacuteteacute
souhaiteacutee degraves 1985
12 La professionnalisation des meacutediateurs
Consolidations progressives
Les anneacutees 80 voient donc19 la monteacutee en puissance des mouvances issues des
deux hybridations deacutecrites plus haut Mecircme si la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave
La Villette ne parvient pas agrave tenir le rocircle drsquoanimateur national qui lui eacutetait deacutevolu la
peacuteriode est celle de la professionnalisation
(1) Du cocircteacute de ceux qui se reconnaissaient degraves leur naissance dans lrsquointituleacute de CST
(notamment la filiation du GLACS) crsquoest lrsquoassociation des museacutees et centres de
CSTI (AMCSTI creacuteeacutee agrave lrsquooccasion de la mise en place ndash au deacutebut des anneacutees 80 ndash
du projet qui allait devenir la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave La Villette) et le
reacuteseau des CCSTI (Maitte 1985) qui vont progressivement structurer le paysage
mecircme si quelques mouvances srsquoaffirment plus autonomes comme certains de ces
CCSTI (Fondation 93 par exemple cf Berestesky 2009) lrsquoAssociation Sciences
Technologies et Socieacuteteacute (ASTS) ou encore le reacuteseau des laquo boutiques de sciences raquo
(Stewart et Havelange 1989) Plusieurs auteurs (Jantzen 2001 Crozon et Maitte
2001 Guyon et Maitte 2008) ont deacutecrit cette eacutevolution en mettant en avant le
foisonnement drsquoinitiatives locales et reacutegionales la creacuteation de la Fecircte de la Science
(1992) et les deacutesillusions lieacutees agrave la conception principalement laquo intramuros raquo et
parisienne de la Citeacute des sciences (Beretetski 2009 Caillet 2011)
19
Il ne faudrait pas croire que cette mise en scegravene de la CST est speacutecifiquement lieacutee au changement politique de 1981 en France Schiele (2005) a deacutemontreacute que le Royaume Uni avait suivi la mecircme institutionnalisation des politiques de Public understanding of science (ou de Public engagement in science and technology)
9
(2) Cocircteacute loisirs et eacuteveil scientifique lrsquoANSTJ va progressivement eacutelargir son spectre
autour de son objectif initial drsquoappropriation de meacutethodes drsquoinvestigation et de
reacutesolution de problegravemes et en parallegravele ces activiteacutes de laquo deacutecouvertes scientifiques
pour les jeunes raquo vont faire largement tacircche drsquohuile au sein drsquoautres reacuteseaux Ainsi
agrave lrsquooccasion de lrsquoanneacutee de la jeunesse deacutecreacuteteacutee par lrsquoUNESCO pour 1984 les
deacuteveloppeurs de lrsquoANSTJ vont importer20 du Queacutebec en France le concept
drsquoexposcience (preacutesentation annuelle sous forme drsquoun salon ouvert agrave tous les
habitants de dizaines ou centaines de stands preacutesentant des projets scientifiques
de jeunes) et dans cette mouvance reacuteussir agrave entraicircner une dizaine de reacuteseaux
nationaux de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire (Escot 1999) et donner naissance
au Collectif interassociatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et techniques
internationales (CIRASTI) qui va enfin reacuteussir agrave amplifier le niveau drsquohybridation
resteacute timide dans les anneacutees 70 Meacutelangeant des associations speacutecialiseacutees en
animation scientifiques et des reacuteseaux geacuteneacuteralistes de lrsquoeacuteducation populaire
(agissant via des MJC foyers ruraux centres de loisirs) il va en effet devenir agrave la
fois un interlocuteur international21 se territorialiser dans la plupart des reacutegions
franccedilaises et devenir un entrelacs de creusets drsquoeacutechanges de nouvelles strateacutegies
et drsquoamplification (Escot 1999) assumant mecircme un rocircle de porte-parole de
lrsquoeacuteducation populaire pour la theacutematique de la CST
Il serait reacuteducteur de deacutecrire le fourmillement des actions de CST dans ces anneacutees
80-90 agrave partir de ces deux seuls courants Dans beaucoup de reacutegions la dimension
de la culture et du patrimoine industriels occupe alors une place importante comme
le montrent les travaux22 de Marie-Jeanne Choffel - Mailfert (2000) De mecircme la
reacuteflexion peacutedagogique sur lrsquoeacuteducation scientifique srsquoest souvent associeacutee agrave des
expeacuteriences non strictement scolaires souvent analyseacutees lors des journeacutees
annuelles de Chamonix ou agrave partir de 1996 au sein du mouvement de laquo la main agrave la
pacircte raquo Certaines speacutecificiteacutes tactiques ou disciplinaires vont aussi marquer le
paysage en particulier dans les champs de lrsquoastronomie et de lrsquoeacuteducation agrave
lrsquoenvironnement23 ainsi le rapprochement de lrsquoANSTJ avec lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie va conduire agrave faire eacutemerger des manifestations embleacutematiques degraves les
anneacutees 80 laquo Au-delagrave de [son] cette acception qualitative de la laquo deacutemocratisation raquo (faire partager une
expeacuterience scientifique) srsquoest progressivement ajouteacutee une autre dimension au sein de
lrsquoANSTJ Celle de favoriser massivement lrsquointeacuterecirct pour lrsquoastronomie elle se concreacutetise
20
Il srsquoagit de Jean-Claude Guiraudon (devenu depuis Preacutesident du MILSET puis du CIRASTI) qui avait deacutejagrave importeacute quelques anneacutees auparavant les outils et les deacutemarches peacutedagogiques des laquo Petits deacutebrouillards raquo
21 Gracircce agrave lrsquoexistence au sein du Mouvement international pour le loisir scientifique ndash MILSET ndash drsquoun systegraveme
drsquoexposciences internationales ougrave srsquoexposent des seacutelections nationales
22 Dans son ouvrage laquo Une politique culturelle agrave la rencontre drsquoun territoire Culture scientifique technique et industrielle
en reacutegion Lorraine 1980-1995 raquo elle propose ainsi quatre analyses imbriqueacutees celles des textes fondateurs nationaux de la CST celles des volets CSTI des laquo livres blancs de la recherche raquo demandeacutes par le gouvernement aux conseils reacutegionaux en 1990 celles des initiatives de CSTI en Lorraine et enfin celle des perceptions des publics de 12 dispositifs de CSTI en Lorraine
23 Voir le reacutecit laquo histoire de famille et saga de lrsquoanimation scientifique et de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement eacuteclairages lieacutes au
reacuteseau FNCS-ANSTJ entre 1972 et 1985 raquo Las Vergnas 2009
10
drsquoabord agrave Paris en 1985 avec les quinze jours de laquo meacutetro agrave ciel ouvert raquo avec leurs millions
de visiteurs dans 16 stations et leur centaine drsquoanimateurs puis ensuite par les campagnes
nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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expeacuterimentales ne se ralliera16 que tregraves progressivement agrave la seacutemantique et aux
instances de la CST Drsquoautre part plus ou moins imbriqueacutes avec le GLACS et
lrsquoANSTJ ont existeacute plusieurs autres courants17 comme celui propre agrave la culture
technique alliant culture des objets techniques (dans la filiation des travaux de
Simondon 1958) et cultures du travail Il a eacutemergeacute avec la creacuteation en 1976 du
groupe laquo ethnotechnologie raquo par Thierry Gaudin chef de bureau au Ministegravere de
lrsquoindustrie qui donnera naissance en 1979 agrave la revue laquo Culture Technique raquo et agrave un
Centre de recherche sur la culture technique (CRCT disparu en 1996) dont Leroi-
Gourhan (1981) preacutefacera le manifeste fondateur en ces termes
laquo La technique et la culture dans nos socieacuteteacutes entretiennent des rapports de caractegravere
hieacuterarchique et lrsquoauteur de cet ouvrage souhaiterait que cela change [hellip] La civilisation repose
sur le deacuteveloppement de lartisanat qui possegravede une veacuteritable culture technique puis sur le
deacuteveloppement de lindustrie qui met en jeu les ressources eacuteconomiques qui subordonnent le
technicien aux deacutetenteurs du pouvoir La conversion du comportement de la socieacuteteacute repreacutesente
un obstacle agrave la mesure des propositions de lauteur La recherche plus ou moins consciente
dune solution pour sortir du cercle infernal dans lequel le monde est en train de senfermer
passera certainement par la prise de conscience des diffeacuterents axes du deacuteveloppement culturel
et lun de ces axes laxe majeur celui sur lequel gravite la connaissance et la pratique
technique meacuterite que son action soit soutenue et amplifieacutee raquo
Lrsquoinstitutionnalisation par la loi de 1982
Les courants reacutesultant de ces hybridations vont prendre de lrsquoampleur pour constituer
le fait social que nous qualifions ici reacutetrospectivement drsquoinstitutionnalisation de la
CST Une des eacutetapes clefs est celle de la promulgation le 16 juillet 1982 de la loi
dorientation de la recherche dont les articles 7 et 24 inscrivent dans la mission
assureacutee par les meacutetiers de recherche laquo la diffusion de la culture et de lrsquoinformation
scientifique et technique dans toute la population raquo On lit dans son annexe publieacutee
au JO18 sous le titre de laquo rapport sur la programmation et lrsquoorientation de lrsquoeffort
national de recherche et de deacuteveloppement technologique
laquo Le second volet du programme a pour ambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture En liaison avec le ministegravere de
16
En 1986 lrsquoANSTJ publiera son premier laquo Guide de la culture scientifique technique et industrielle raquo annuaire des acteurs de la CST mais la terminologie dominante au sein de lrsquoANSTJ (puis de Planegravete sciences agrave partir de 2002) restera celle de lrsquoanimation scientifique et technique Son objet statutaire principal est en effet laquo de favoriser aupregraves des jeunes linteacuterecirct la pratique et la connaissance des sciences et des techniques raquo alors que la mention laquo de deacutevelopper des actions en partenariat avec les structures de culture scientifique et technique raquo nrsquoapparait que dans une longue eacutenumeacuteration (Planegravete Sciences 2002 httpwwwplanete-sciencesorgnationaldocsstatuts_planetesciencespdf)
17 Lrsquoanimation visant agrave la laquo protection de la nature raquo eacutemerge eacutegalement dans le contexte de la confeacuterence de lrsquoONU de
Stockholm (juin 1972) deacuteclarant la neacutecessiteacute de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement Lrsquoanneacutee 1972 voit ainsi la mise en place drsquoun BTSA eacuteponyme au lyceacutee agricole de Neuvic ainsi que la creacuteation du journal peacutedagogique laquo La Hulotte raquo du premier camp de vacances pour adolescents consacreacute agrave laquo lrsquoeacutecologie raquo (FNCS) et des clubs CPN puis (1973) celle du premier laquo centre permanent drsquoinitiation agrave lrsquoenvironnement raquo (CPIE) Ce courant est au deacutepart en forte interaction avec la FNCS-ANSTJ au sein de laquelle ces actions sont coordonneacutees par un groupe laquo E raquo regroupant des animateurs issus en nombre du lyceacutee de Neuvic ce groupe srsquoautonomisera sous la forme du laquo reacuteseau eacutecole et nature raquo en 1983
18 JO du 16 juillet 1982 p 2276 et aussi httpwwwdsicnrsfrRMLRtextesintegrauxvolume111-l82-610htm
8
leacuteducation nationale un effort sera reacutealiseacute pour donner une place accrue aux disciplines et
aux meacutethodes scientifiques pour deacutevelopper lesprit critique la creacuteativiteacute et laptitude au
jugement personnel Cet effort prendra notamment appui sur lhistoire et les perspectives des
sciences et des techniques En liaison avec les ministegraveres de la culture du temps libre de la
communication et les autres ministegraveres concerneacutes des actions culturelles seront conduites
visant agrave associer les grands moyens dinformation en particulier les stations de radio et les
chaicircnes de teacuteleacutevision les reacutegions le mouvement associatif les entreprises les syndicats et
dune maniegravere geacuteneacuterale le monde du travail au deacuteveloppement de linformation et de la
culture scientifiques et techniques [hellip]Le renforcement des centres reacutegionaux de culture
scientifique et technique et la creacuteation de la citeacute des sciences et techniques de La Villette
constitueront des instruments de cette politique raquo
En compleacutement agrave son inscription dans la loi de 1982 et agrave la multiplication des
actions sur le terrain de nombreux systegravemes symboliques ndash eacuteponymes pour la
plupart ndash ont contribueacute agrave mettre socialement en scegravene la CST souvent eacutetendue agrave la
CSTI (ougrave le laquo I raquo eacutelargit agrave la dimension Industrielle) ainsi le conseil national de la
CSTI qui a eacuteteacute creacuteeacute en 1983 preacutesideacute par JM Leacutevy-Leblond et le programme
mobilisateur de la CSTI lanceacute en octobre 1985 par le Ministre H Curien De mecircme
se sont succeacutedeacutees une multipliciteacute drsquoassises ou drsquoeacutetats geacuteneacuteraux et a eacuteteacute
institutionnaliseacute le reacuteseau de centres ad hoc les CCSTI dont la geacuteneacuteralisation a eacuteteacute
souhaiteacutee degraves 1985
12 La professionnalisation des meacutediateurs
Consolidations progressives
Les anneacutees 80 voient donc19 la monteacutee en puissance des mouvances issues des
deux hybridations deacutecrites plus haut Mecircme si la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave
La Villette ne parvient pas agrave tenir le rocircle drsquoanimateur national qui lui eacutetait deacutevolu la
peacuteriode est celle de la professionnalisation
(1) Du cocircteacute de ceux qui se reconnaissaient degraves leur naissance dans lrsquointituleacute de CST
(notamment la filiation du GLACS) crsquoest lrsquoassociation des museacutees et centres de
CSTI (AMCSTI creacuteeacutee agrave lrsquooccasion de la mise en place ndash au deacutebut des anneacutees 80 ndash
du projet qui allait devenir la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave La Villette) et le
reacuteseau des CCSTI (Maitte 1985) qui vont progressivement structurer le paysage
mecircme si quelques mouvances srsquoaffirment plus autonomes comme certains de ces
CCSTI (Fondation 93 par exemple cf Berestesky 2009) lrsquoAssociation Sciences
Technologies et Socieacuteteacute (ASTS) ou encore le reacuteseau des laquo boutiques de sciences raquo
(Stewart et Havelange 1989) Plusieurs auteurs (Jantzen 2001 Crozon et Maitte
2001 Guyon et Maitte 2008) ont deacutecrit cette eacutevolution en mettant en avant le
foisonnement drsquoinitiatives locales et reacutegionales la creacuteation de la Fecircte de la Science
(1992) et les deacutesillusions lieacutees agrave la conception principalement laquo intramuros raquo et
parisienne de la Citeacute des sciences (Beretetski 2009 Caillet 2011)
19
Il ne faudrait pas croire que cette mise en scegravene de la CST est speacutecifiquement lieacutee au changement politique de 1981 en France Schiele (2005) a deacutemontreacute que le Royaume Uni avait suivi la mecircme institutionnalisation des politiques de Public understanding of science (ou de Public engagement in science and technology)
9
(2) Cocircteacute loisirs et eacuteveil scientifique lrsquoANSTJ va progressivement eacutelargir son spectre
autour de son objectif initial drsquoappropriation de meacutethodes drsquoinvestigation et de
reacutesolution de problegravemes et en parallegravele ces activiteacutes de laquo deacutecouvertes scientifiques
pour les jeunes raquo vont faire largement tacircche drsquohuile au sein drsquoautres reacuteseaux Ainsi
agrave lrsquooccasion de lrsquoanneacutee de la jeunesse deacutecreacuteteacutee par lrsquoUNESCO pour 1984 les
deacuteveloppeurs de lrsquoANSTJ vont importer20 du Queacutebec en France le concept
drsquoexposcience (preacutesentation annuelle sous forme drsquoun salon ouvert agrave tous les
habitants de dizaines ou centaines de stands preacutesentant des projets scientifiques
de jeunes) et dans cette mouvance reacuteussir agrave entraicircner une dizaine de reacuteseaux
nationaux de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire (Escot 1999) et donner naissance
au Collectif interassociatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et techniques
internationales (CIRASTI) qui va enfin reacuteussir agrave amplifier le niveau drsquohybridation
resteacute timide dans les anneacutees 70 Meacutelangeant des associations speacutecialiseacutees en
animation scientifiques et des reacuteseaux geacuteneacuteralistes de lrsquoeacuteducation populaire
(agissant via des MJC foyers ruraux centres de loisirs) il va en effet devenir agrave la
fois un interlocuteur international21 se territorialiser dans la plupart des reacutegions
franccedilaises et devenir un entrelacs de creusets drsquoeacutechanges de nouvelles strateacutegies
et drsquoamplification (Escot 1999) assumant mecircme un rocircle de porte-parole de
lrsquoeacuteducation populaire pour la theacutematique de la CST
Il serait reacuteducteur de deacutecrire le fourmillement des actions de CST dans ces anneacutees
80-90 agrave partir de ces deux seuls courants Dans beaucoup de reacutegions la dimension
de la culture et du patrimoine industriels occupe alors une place importante comme
le montrent les travaux22 de Marie-Jeanne Choffel - Mailfert (2000) De mecircme la
reacuteflexion peacutedagogique sur lrsquoeacuteducation scientifique srsquoest souvent associeacutee agrave des
expeacuteriences non strictement scolaires souvent analyseacutees lors des journeacutees
annuelles de Chamonix ou agrave partir de 1996 au sein du mouvement de laquo la main agrave la
pacircte raquo Certaines speacutecificiteacutes tactiques ou disciplinaires vont aussi marquer le
paysage en particulier dans les champs de lrsquoastronomie et de lrsquoeacuteducation agrave
lrsquoenvironnement23 ainsi le rapprochement de lrsquoANSTJ avec lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie va conduire agrave faire eacutemerger des manifestations embleacutematiques degraves les
anneacutees 80 laquo Au-delagrave de [son] cette acception qualitative de la laquo deacutemocratisation raquo (faire partager une
expeacuterience scientifique) srsquoest progressivement ajouteacutee une autre dimension au sein de
lrsquoANSTJ Celle de favoriser massivement lrsquointeacuterecirct pour lrsquoastronomie elle se concreacutetise
20
Il srsquoagit de Jean-Claude Guiraudon (devenu depuis Preacutesident du MILSET puis du CIRASTI) qui avait deacutejagrave importeacute quelques anneacutees auparavant les outils et les deacutemarches peacutedagogiques des laquo Petits deacutebrouillards raquo
21 Gracircce agrave lrsquoexistence au sein du Mouvement international pour le loisir scientifique ndash MILSET ndash drsquoun systegraveme
drsquoexposciences internationales ougrave srsquoexposent des seacutelections nationales
22 Dans son ouvrage laquo Une politique culturelle agrave la rencontre drsquoun territoire Culture scientifique technique et industrielle
en reacutegion Lorraine 1980-1995 raquo elle propose ainsi quatre analyses imbriqueacutees celles des textes fondateurs nationaux de la CST celles des volets CSTI des laquo livres blancs de la recherche raquo demandeacutes par le gouvernement aux conseils reacutegionaux en 1990 celles des initiatives de CSTI en Lorraine et enfin celle des perceptions des publics de 12 dispositifs de CSTI en Lorraine
23 Voir le reacutecit laquo histoire de famille et saga de lrsquoanimation scientifique et de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement eacuteclairages lieacutes au
reacuteseau FNCS-ANSTJ entre 1972 et 1985 raquo Las Vergnas 2009
10
drsquoabord agrave Paris en 1985 avec les quinze jours de laquo meacutetro agrave ciel ouvert raquo avec leurs millions
de visiteurs dans 16 stations et leur centaine drsquoanimateurs puis ensuite par les campagnes
nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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leacuteducation nationale un effort sera reacutealiseacute pour donner une place accrue aux disciplines et
aux meacutethodes scientifiques pour deacutevelopper lesprit critique la creacuteativiteacute et laptitude au
jugement personnel Cet effort prendra notamment appui sur lhistoire et les perspectives des
sciences et des techniques En liaison avec les ministegraveres de la culture du temps libre de la
communication et les autres ministegraveres concerneacutes des actions culturelles seront conduites
visant agrave associer les grands moyens dinformation en particulier les stations de radio et les
chaicircnes de teacuteleacutevision les reacutegions le mouvement associatif les entreprises les syndicats et
dune maniegravere geacuteneacuterale le monde du travail au deacuteveloppement de linformation et de la
culture scientifiques et techniques [hellip]Le renforcement des centres reacutegionaux de culture
scientifique et technique et la creacuteation de la citeacute des sciences et techniques de La Villette
constitueront des instruments de cette politique raquo
En compleacutement agrave son inscription dans la loi de 1982 et agrave la multiplication des
actions sur le terrain de nombreux systegravemes symboliques ndash eacuteponymes pour la
plupart ndash ont contribueacute agrave mettre socialement en scegravene la CST souvent eacutetendue agrave la
CSTI (ougrave le laquo I raquo eacutelargit agrave la dimension Industrielle) ainsi le conseil national de la
CSTI qui a eacuteteacute creacuteeacute en 1983 preacutesideacute par JM Leacutevy-Leblond et le programme
mobilisateur de la CSTI lanceacute en octobre 1985 par le Ministre H Curien De mecircme
se sont succeacutedeacutees une multipliciteacute drsquoassises ou drsquoeacutetats geacuteneacuteraux et a eacuteteacute
institutionnaliseacute le reacuteseau de centres ad hoc les CCSTI dont la geacuteneacuteralisation a eacuteteacute
souhaiteacutee degraves 1985
12 La professionnalisation des meacutediateurs
Consolidations progressives
Les anneacutees 80 voient donc19 la monteacutee en puissance des mouvances issues des
deux hybridations deacutecrites plus haut Mecircme si la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave
La Villette ne parvient pas agrave tenir le rocircle drsquoanimateur national qui lui eacutetait deacutevolu la
peacuteriode est celle de la professionnalisation
(1) Du cocircteacute de ceux qui se reconnaissaient degraves leur naissance dans lrsquointituleacute de CST
(notamment la filiation du GLACS) crsquoest lrsquoassociation des museacutees et centres de
CSTI (AMCSTI creacuteeacutee agrave lrsquooccasion de la mise en place ndash au deacutebut des anneacutees 80 ndash
du projet qui allait devenir la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie agrave La Villette) et le
reacuteseau des CCSTI (Maitte 1985) qui vont progressivement structurer le paysage
mecircme si quelques mouvances srsquoaffirment plus autonomes comme certains de ces
CCSTI (Fondation 93 par exemple cf Berestesky 2009) lrsquoAssociation Sciences
Technologies et Socieacuteteacute (ASTS) ou encore le reacuteseau des laquo boutiques de sciences raquo
(Stewart et Havelange 1989) Plusieurs auteurs (Jantzen 2001 Crozon et Maitte
2001 Guyon et Maitte 2008) ont deacutecrit cette eacutevolution en mettant en avant le
foisonnement drsquoinitiatives locales et reacutegionales la creacuteation de la Fecircte de la Science
(1992) et les deacutesillusions lieacutees agrave la conception principalement laquo intramuros raquo et
parisienne de la Citeacute des sciences (Beretetski 2009 Caillet 2011)
19
Il ne faudrait pas croire que cette mise en scegravene de la CST est speacutecifiquement lieacutee au changement politique de 1981 en France Schiele (2005) a deacutemontreacute que le Royaume Uni avait suivi la mecircme institutionnalisation des politiques de Public understanding of science (ou de Public engagement in science and technology)
9
(2) Cocircteacute loisirs et eacuteveil scientifique lrsquoANSTJ va progressivement eacutelargir son spectre
autour de son objectif initial drsquoappropriation de meacutethodes drsquoinvestigation et de
reacutesolution de problegravemes et en parallegravele ces activiteacutes de laquo deacutecouvertes scientifiques
pour les jeunes raquo vont faire largement tacircche drsquohuile au sein drsquoautres reacuteseaux Ainsi
agrave lrsquooccasion de lrsquoanneacutee de la jeunesse deacutecreacuteteacutee par lrsquoUNESCO pour 1984 les
deacuteveloppeurs de lrsquoANSTJ vont importer20 du Queacutebec en France le concept
drsquoexposcience (preacutesentation annuelle sous forme drsquoun salon ouvert agrave tous les
habitants de dizaines ou centaines de stands preacutesentant des projets scientifiques
de jeunes) et dans cette mouvance reacuteussir agrave entraicircner une dizaine de reacuteseaux
nationaux de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire (Escot 1999) et donner naissance
au Collectif interassociatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et techniques
internationales (CIRASTI) qui va enfin reacuteussir agrave amplifier le niveau drsquohybridation
resteacute timide dans les anneacutees 70 Meacutelangeant des associations speacutecialiseacutees en
animation scientifiques et des reacuteseaux geacuteneacuteralistes de lrsquoeacuteducation populaire
(agissant via des MJC foyers ruraux centres de loisirs) il va en effet devenir agrave la
fois un interlocuteur international21 se territorialiser dans la plupart des reacutegions
franccedilaises et devenir un entrelacs de creusets drsquoeacutechanges de nouvelles strateacutegies
et drsquoamplification (Escot 1999) assumant mecircme un rocircle de porte-parole de
lrsquoeacuteducation populaire pour la theacutematique de la CST
Il serait reacuteducteur de deacutecrire le fourmillement des actions de CST dans ces anneacutees
80-90 agrave partir de ces deux seuls courants Dans beaucoup de reacutegions la dimension
de la culture et du patrimoine industriels occupe alors une place importante comme
le montrent les travaux22 de Marie-Jeanne Choffel - Mailfert (2000) De mecircme la
reacuteflexion peacutedagogique sur lrsquoeacuteducation scientifique srsquoest souvent associeacutee agrave des
expeacuteriences non strictement scolaires souvent analyseacutees lors des journeacutees
annuelles de Chamonix ou agrave partir de 1996 au sein du mouvement de laquo la main agrave la
pacircte raquo Certaines speacutecificiteacutes tactiques ou disciplinaires vont aussi marquer le
paysage en particulier dans les champs de lrsquoastronomie et de lrsquoeacuteducation agrave
lrsquoenvironnement23 ainsi le rapprochement de lrsquoANSTJ avec lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie va conduire agrave faire eacutemerger des manifestations embleacutematiques degraves les
anneacutees 80 laquo Au-delagrave de [son] cette acception qualitative de la laquo deacutemocratisation raquo (faire partager une
expeacuterience scientifique) srsquoest progressivement ajouteacutee une autre dimension au sein de
lrsquoANSTJ Celle de favoriser massivement lrsquointeacuterecirct pour lrsquoastronomie elle se concreacutetise
20
Il srsquoagit de Jean-Claude Guiraudon (devenu depuis Preacutesident du MILSET puis du CIRASTI) qui avait deacutejagrave importeacute quelques anneacutees auparavant les outils et les deacutemarches peacutedagogiques des laquo Petits deacutebrouillards raquo
21 Gracircce agrave lrsquoexistence au sein du Mouvement international pour le loisir scientifique ndash MILSET ndash drsquoun systegraveme
drsquoexposciences internationales ougrave srsquoexposent des seacutelections nationales
22 Dans son ouvrage laquo Une politique culturelle agrave la rencontre drsquoun territoire Culture scientifique technique et industrielle
en reacutegion Lorraine 1980-1995 raquo elle propose ainsi quatre analyses imbriqueacutees celles des textes fondateurs nationaux de la CST celles des volets CSTI des laquo livres blancs de la recherche raquo demandeacutes par le gouvernement aux conseils reacutegionaux en 1990 celles des initiatives de CSTI en Lorraine et enfin celle des perceptions des publics de 12 dispositifs de CSTI en Lorraine
23 Voir le reacutecit laquo histoire de famille et saga de lrsquoanimation scientifique et de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement eacuteclairages lieacutes au
reacuteseau FNCS-ANSTJ entre 1972 et 1985 raquo Las Vergnas 2009
10
drsquoabord agrave Paris en 1985 avec les quinze jours de laquo meacutetro agrave ciel ouvert raquo avec leurs millions
de visiteurs dans 16 stations et leur centaine drsquoanimateurs puis ensuite par les campagnes
nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
ANSTJ Association nationale sciences techniques jeunesse et devenue aujourdrsquohui
laquo Planegravete sciences raquo httpplanete-sciencesorg
CCSTI Centre de culture scientifique technique et industrielle
CIRASTI Collectif inter associatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et
techniques internationales Mouvement franccedilais des exposciences httpcirastiorg
33
CNAM conservatoire national des arts et meacutetiers
CSI Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie httpuniversciencefr
CST Culture Scientifique et technique
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(2) Cocircteacute loisirs et eacuteveil scientifique lrsquoANSTJ va progressivement eacutelargir son spectre
autour de son objectif initial drsquoappropriation de meacutethodes drsquoinvestigation et de
reacutesolution de problegravemes et en parallegravele ces activiteacutes de laquo deacutecouvertes scientifiques
pour les jeunes raquo vont faire largement tacircche drsquohuile au sein drsquoautres reacuteseaux Ainsi
agrave lrsquooccasion de lrsquoanneacutee de la jeunesse deacutecreacuteteacutee par lrsquoUNESCO pour 1984 les
deacuteveloppeurs de lrsquoANSTJ vont importer20 du Queacutebec en France le concept
drsquoexposcience (preacutesentation annuelle sous forme drsquoun salon ouvert agrave tous les
habitants de dizaines ou centaines de stands preacutesentant des projets scientifiques
de jeunes) et dans cette mouvance reacuteussir agrave entraicircner une dizaine de reacuteseaux
nationaux de jeunesse et drsquoeacuteducation populaire (Escot 1999) et donner naissance
au Collectif interassociatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et techniques
internationales (CIRASTI) qui va enfin reacuteussir agrave amplifier le niveau drsquohybridation
resteacute timide dans les anneacutees 70 Meacutelangeant des associations speacutecialiseacutees en
animation scientifiques et des reacuteseaux geacuteneacuteralistes de lrsquoeacuteducation populaire
(agissant via des MJC foyers ruraux centres de loisirs) il va en effet devenir agrave la
fois un interlocuteur international21 se territorialiser dans la plupart des reacutegions
franccedilaises et devenir un entrelacs de creusets drsquoeacutechanges de nouvelles strateacutegies
et drsquoamplification (Escot 1999) assumant mecircme un rocircle de porte-parole de
lrsquoeacuteducation populaire pour la theacutematique de la CST
Il serait reacuteducteur de deacutecrire le fourmillement des actions de CST dans ces anneacutees
80-90 agrave partir de ces deux seuls courants Dans beaucoup de reacutegions la dimension
de la culture et du patrimoine industriels occupe alors une place importante comme
le montrent les travaux22 de Marie-Jeanne Choffel - Mailfert (2000) De mecircme la
reacuteflexion peacutedagogique sur lrsquoeacuteducation scientifique srsquoest souvent associeacutee agrave des
expeacuteriences non strictement scolaires souvent analyseacutees lors des journeacutees
annuelles de Chamonix ou agrave partir de 1996 au sein du mouvement de laquo la main agrave la
pacircte raquo Certaines speacutecificiteacutes tactiques ou disciplinaires vont aussi marquer le
paysage en particulier dans les champs de lrsquoastronomie et de lrsquoeacuteducation agrave
lrsquoenvironnement23 ainsi le rapprochement de lrsquoANSTJ avec lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie va conduire agrave faire eacutemerger des manifestations embleacutematiques degraves les
anneacutees 80 laquo Au-delagrave de [son] cette acception qualitative de la laquo deacutemocratisation raquo (faire partager une
expeacuterience scientifique) srsquoest progressivement ajouteacutee une autre dimension au sein de
lrsquoANSTJ Celle de favoriser massivement lrsquointeacuterecirct pour lrsquoastronomie elle se concreacutetise
20
Il srsquoagit de Jean-Claude Guiraudon (devenu depuis Preacutesident du MILSET puis du CIRASTI) qui avait deacutejagrave importeacute quelques anneacutees auparavant les outils et les deacutemarches peacutedagogiques des laquo Petits deacutebrouillards raquo
21 Gracircce agrave lrsquoexistence au sein du Mouvement international pour le loisir scientifique ndash MILSET ndash drsquoun systegraveme
drsquoexposciences internationales ougrave srsquoexposent des seacutelections nationales
22 Dans son ouvrage laquo Une politique culturelle agrave la rencontre drsquoun territoire Culture scientifique technique et industrielle
en reacutegion Lorraine 1980-1995 raquo elle propose ainsi quatre analyses imbriqueacutees celles des textes fondateurs nationaux de la CST celles des volets CSTI des laquo livres blancs de la recherche raquo demandeacutes par le gouvernement aux conseils reacutegionaux en 1990 celles des initiatives de CSTI en Lorraine et enfin celle des perceptions des publics de 12 dispositifs de CSTI en Lorraine
23 Voir le reacutecit laquo histoire de famille et saga de lrsquoanimation scientifique et de lrsquoeacuteducation agrave lrsquoenvironnement eacuteclairages lieacutes au
reacuteseau FNCS-ANSTJ entre 1972 et 1985 raquo Las Vergnas 2009
10
drsquoabord agrave Paris en 1985 avec les quinze jours de laquo meacutetro agrave ciel ouvert raquo avec leurs millions
de visiteurs dans 16 stations et leur centaine drsquoanimateurs puis ensuite par les campagnes
nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
ANSTJ Association nationale sciences techniques jeunesse et devenue aujourdrsquohui
laquo Planegravete sciences raquo httpplanete-sciencesorg
CCSTI Centre de culture scientifique technique et industrielle
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nationales drsquoobservation des eacutetoiles filantes en 1987 qui donneront naissance en 1991 agrave la
laquo nuit des eacutetoiles filantes raquo renommeacutee ensuite laquo Nuits des eacutetoiles raquo (Las Vergnas Gautier et
Piednoeumll 2011)
Les formations universitaires teacutemoins de lrsquoinstitutionnalisation
Sur la peacuteriode des anneacutees 90 lrsquoeacuteleacutement qui atteste le plus objectivement de la
professionnalisation est la mise en place de formations diplomantes24 de diffeacuterents
niveaux Elles naissent rattacheacutees soit aux carriegraveres sociales soit aux SIC soit aux
meacutetiers de la culture mais restant paradoxalement25 agrave distance des sciences de
lrsquoeacuteducation
Plusieurs colloques sur cette question de la formation vont ainsi se succeacuteder au
deacutebut des anneacutees 90 (Deveze-Berthet Emptoz 1992) tentant de clarifier le deacutebat
entre deux visions du meacutediateur ideacuteal celle drsquoun laquo scientifique raquo agrave plus-value de
communicant ou celle drsquoun animateur socio-culturel agrave compleacutement scientifique
Dans les filiegraveres laquo jeunesse et sports raquo elles vont prendre la forme drsquoUV du BEATEP
ou du BPJEPS dans lrsquoenseignement supeacuterieur elles sont mises en place degraves les
anneacutees 1980 agrave trois niveaux diffeacuterents Au niveau Bac+2 ou 3 on trouve lrsquoanneacutee
speacuteciale du DUT carriegraveres sociales de lrsquoIUT de Tours creacuteeacutee en 1985 et devenue en
2005 une Licence pro agreacutegeant animation scientifique et eacuteducation relative agrave
lrsquoenvironnement A Bac+5 lrsquooffre se deacutemultiplie rapidement avec des formations
speacutecialiseacutees (Paris 7 Museacuteum national drsquohistoire naturelle Dijon Strasbourg) ou
deacuteveloppant une vision transversale de la meacutediation (Paris 8 Avignon) On assiste
aussi agrave la mise en place drsquoUV en DEUG scientifique (Paris 11) Les questions
poseacutees agrave lrsquoeacutepoque resteront ouvertes dans les deacutecennies qui suivront quel doit ecirctre
le niveau de qualification du meacutediateur entre B+23 ou 5 Quel niveau de formation
scientifique minimum doit-il posseacuteder Les employeurs ont-ils les moyens de
reacutemuneacuterer les niveaux de compeacutetences qursquoils recircvent drsquoembaucher Srsquoagit-il drsquoune
activiteacute occasionnelle au cours des eacutetudes ou drsquoun meacutetier en tant que tel
2 CARACTERISATION
21 Un conglomeacuterat disparate
Les acteurs de la CST comme une corporation de facto
Mecircme si ces formations ont contribueacute agrave identifier les compeacutetences souhaiteacutees pour
les actions de CST force est de constater qursquoelles sont loin drsquoavoir complegravetement
clarifieacute le paysages des professionnels
24
Srsquoaccompagnant souvent drsquoun glissement terminologique drsquoanimateur vers laquo meacutediateur scientifique raquo cf Beaumeloup et Las Vergnas 1986 Caillet Las Vergnas amp Prokhoroff 1993 Caillet 1995 tous reprenant Moles et Oulif (1967) citeacute par Schiele (2005 en note 3)
25 Peut-ecirctre pour affirmer le caractegravere culturel et donc non scolaire de la CST
11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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11
En fait les acteurs constituent aujourdrsquohui une corporation de facto agglomeacuterant des
organisations et des personnes aux origines statuts et missions disparates Certes
toutes leurs activiteacutes ont en commun drsquoecirctre lieacutees de pregraves ou de loin agrave la transmission
ou au partage de savoirs scientifiques techniques ou industriels mais leurs reacuteseaux
et leurs motivations sont particuliegraverement varieacutes allant par exemple drsquoopeacuterations
promotionnelles drsquoeacutetablissement de recherche agrave des deacutemonstrations de rejet de telle
ou telle option technologique on peut drsquoailleurs faire lrsquohypothegravese que ce sont surtout
des effets drsquoaubaines (prioriteacute des financements renforcement de la reconnaissance
par certaines instances) qui ont conduits beaucoup drsquoacteurs agrave adopter la
terminologie de laquo CST raquo
Concregravetement la fabrication de ce conglomeacuterat de la CST a eacuteteacute aussi favoriseacute par de
grands eacutevegravenements instituants -opportuniteacute difficilement refusable de se faire
connaicirctre et reconnaicirctre- comme les laquo eacutetats geacuteneacuteraux de la culture scientifique et
technique raquo mis en place en 1989 par quatre ministegraveres26 le colloque national des
laquo assises de la culture scientifique raquo organiseacute par lrsquoASTS (association sciences
techniques et socieacuteteacute) avec lrsquoUnesco en 2001 ou le colloque de la commission des
affaires culturelles du Seacutenat laquo la culture scientifique et technique pour tous une
prioriteacute nationale raquo en 2003 pour nrsquoen citer que quelques-uns
Ainsi lrsquoAMCSTI organisation de reacutefeacuterence de la corporation revendique aujourdrsquohui
laquo des milliers drsquoacteurs raquo que sa documentation preacutesente27 en ces termes
laquo Depuis une trentaine danneacutees la CSTI sest fortement deacuteveloppeacutee en France Partie
inteacutegrante de la culture au sens large elle doit permettre au citoyen de comprendre le monde
dans lequel il vit et de se preacuteparer agrave vivre dans celui de demain En deacuteveloppant linformation
et la reacuteflexion des publics sur la science et ses enjeux en favorisant les eacutechanges avec la
communauteacute scientifique en partageant les savoirs en eacuteduquant agrave une citoyenneteacute active
elle inscrit la science dans la socieacuteteacute Elle inteacuteresse eacutegalement les collectiviteacutes territoriales
dans leur projet dameacutenagement du territoire ainsi que le secteur eacuteconomique de par son
poids en termes de retombeacutees touristiques et demplois [hellip] En dialogue avec le monde de
leacuteducation et des meacutedias des milliers dacteurs de la CSTI maillent aujourdhui le territoire
- La reacutepartition des museacutees eacutevoque lhistoire des collections naturalistes et des activiteacutes
industrielles Nombre de ces lieux reacutenoveacutes ont trouveacute de nouvelles meacutediations et de
nouveaux publics
- Depuis 1979 ce sont plusieurs dizaines de centres de culture scientifique qui ont vu le jour
Le label Science et socieacuteteacute innovation distinguent ceux qui se sont engageacutes dans un projet
territorial fort
- Plus reacutecemment encore des cellules de culture scientifique ont eacuteteacute creacuteeacutees au sein des
universiteacutes tandis que les eacutecoles dingeacutenieurs deacuteveloppent des actions deacuteducation aux
sciences
- Le monde de leacuteducation populaire intervient en zones urbaines ou rurales par des
approches diverses abordant la science par la pratique expeacuterimentale la deacutemarche
environnementale ou tout autre moyen
26 et srsquoappuyant sur 31 eacutetats geacuteneacuteraux reacutegionaux qui ont servi agrave alimenter les colloque national les 4 5 et 6 deacutecembre 1989 pour tirer bilan laquo des initiatives et expeacuteriences conduites [pendant les] derniegraveres anneacutees [et permettant] de mieux cerner la place de la science et de la technologie dans la culture
27 Cette auto-caracteacuterisation prise dans la documentation de lrsquoAMCSTI montre bien la nature du champ deacutefini en extension
(sont listeacutees les instances sociales existantes) et non en intention (on ne travaille pas agrave partir drsquoune deacutefinition)
12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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12
- Les collectiviteacutes territoriales simpliquent de maniegravere croissante en financcedilant des
eacutetablissements publics en organisant des manifestations ou en accompagnant diverses
structures de terrain
- Les acteurs de la CSTI sont en fait innombrables planeacutetariums PNR maisons de
lenvironnement sans compter le rocircle de certaines entreprises et fondations
- Dautre part des eacuteveacutenements feacutedeacuterateurs marquent au niveau national le deacuteroulement de
lanneacutee Il en est de mecircme pour des festivals et manifestations au rayonnement reacutegional fortraquo
22 Les ambiguumliteacutes protectrices creacuteeacutees par la terminologie laquo CST raquo
Cet inventaire illustre bien ce caractegravere de conglomeacuterat du champ de la CST Autour
des diffeacuterents noyaux se sont agglutineacutes de nouveaux partenaires qui ont adheacutereacute agrave la
seacutemantique de la CST Ce meacutecanisme drsquoaccreacutetion progressive se trouve encourageacute
et renforceacute par des ambiguiumlteacutes seacutemantiques propres agrave lrsquoexpression laquo CST raquo qui peut
recouvrir beaucoup de preacuteoccupations ou de centres drsquointeacuterecirct Ces ambiguiumlteacutes
releveacutees par de nombreux auteurs (comme Jantzen et Schiele) peuvent ecirctre
classeacutees en trois familles celles lieacutees agrave la reacutefeacuterence agrave la laquo culture raquo celles lieacutees agrave
lrsquoamalgame laquo sciences et techniques raquo celles plus speacutecifiquement lieacutees agrave la
repreacutesentation de la laquo science raquo
Un rattachement flottant au champ de la laquo culture raquo
La reacutefeacuterence au signifiant laquo culture raquo dans lrsquoexpression CST creacutee elle-mecircme trois
sous-niveaux drsquoambiguiumlteacute
Le premier est celui deacutejagrave citeacute entre le sens premier de CST utiliseacute pour parler de la
dimension scientifique dans la culture drsquoune personne ou drsquoun groupe et le sens
figureacute que nous eacutetudions dans cette preacutesente note de synthegravese qui lui deacutesigne les
programmes et actions de deacuteveloppement voire de mise en scegravene de cette culture
(lrsquoappareil et les outils qui permettent cette mise en scegravene de la CST)
La deuxiegraveme ambiguiumlteacute concerne la repreacutesentation veacutehiculeacutee par lrsquoideacutee mecircme de
culture culture de lrsquoindividu (Bildung en allemand) ou culture drsquoune socieacuteteacute ou drsquoune
civilisation (Kultur en allemand)
La troisiegraveme enfin est lieacute au glissement seacutemantique entre le raccourci de laquo CST raquo et
la volonteacute inscrite dans la loi du 1982 de laquoreacuteinteacutegrer la dimension scientifique et
technique dans linformation leacuteducation et la culture raquo formulation directement
inspireacutee de lrsquoexpression de Leacutevy-Leblond laquo remettre la science en culture raquo28 Certes
loin de souhaiter lrsquoinstauration drsquoune laquo sous culture raquo scientifique seacutepareacutee les
acteurs suivent Levy-Leblond et agissent pour le deacuteveloppement de la part
scientifique de la culture geacuteneacuterale Or a contrario le vocable culture scientifique
peut laisser croire qursquoil srsquoagit de mettre de la science dans lrsquoaction culturelle
srsquointeacuteresser aux relations entre arts et sciences mettre en valeur le patrimoine
28
Il semble que la formulation franccedilaise de laquo culture scientifique et technique raquo reacutesulte drsquoune eacuterosion seacutemantique de cette expression Dans cette simplification la repreacutesentation drsquoune part scientifique de la culture geacuteneacuterale est devenue celle ndash conceptuellement inverse et anthropologiquement discutable - drsquoune culture speacutecifique
13
scientifiquehellip et mettre de la science dans lrsquoaction culturelle et les ldquopratiques
culturelles institueacuteesrdquo
Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
ANSTJ Association nationale sciences techniques jeunesse et devenue aujourdrsquohui
laquo Planegravete sciences raquo httpplanete-sciencesorg
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CIRASTI Collectif inter associatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et
techniques internationales Mouvement franccedilais des exposciences httpcirastiorg
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CSI Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie httpuniversciencefr
CST Culture Scientifique et technique
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Voilagrave qui renvoie agrave une question clef (Jantzen 2001 Las Vergnas 2006a) quand
les sciences seront revenues laquo en culture geacuteneacuterale raquo en quoi cela se verra-t-il Au
fait qursquoil srsquoagira drsquoun sujet de conversation dans les cafeacutes au fait que les CCSTI
seront plus freacutequenteacutes au fait que les habitants auront plus drsquoaffection pour la
recherche scientifique ou au fait qursquoils feront mieux appel aux savoirs et savoir-faire
scientifiques pour srsquoapproprier et geacuterer leur environnement
Une telle question volontairement simpliste fournit un analyseur de la difficulteacute agrave
eacutetablir un projet macro social de CST la plupart des acteurs savent reacutepondre agrave la
question de la finaliteacute de leurs actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoindividu et du petit groupe mais
se retrouvent dans lrsquoincapaciteacute agrave formuler des finaliteacutes creacutedibles agrave la CST agrave lrsquoeacutechelle
socieacutetale Ils semblent ecirctre victimes drsquoun pheacutenomegravene que nous serions tenteacutes de
qualifier de laquo dissonance scalaire raquo propre agrave des objectifs atteignables pour des
individus mais impossibles agrave reacutealiser agrave lrsquoechelle de la socieacuteteacute toute entiegravere en raison
drsquoinvariants sociaux sur lesquels les acteurs ne disposent drsquoaucune prise
Des qualificatifs agrave la fois polyseacutemiques et impreacutecis
Technique Technologie ou Techno-science
Le double qualificatif scientifique et technique est aussi source de problegravemes29
malgreacute les efforts du courant de laquo culture technique raquo de revendiquer une place
autonome pour la part technique de la culture cet amalgame est compris comme
signifiant que la science nrsquoest autre que de la technoscience non seacuteparable de la
dimension technologique voire drsquoindustrialisation Il en reacutesulte de fait une
confiscation de la laquo culture technique raquo et un deacuteni de la speacutecificiteacute des laquo pratiques
techniques raquo au sens traditionnel du terme comme si elles nrsquoeacutetaient qursquoindignes
drsquointeacutegrer la CST distingueacutee A contrario agrave partir du moment ougrave il y a modeacutelisation
induction deacuteduction observation meacutetrologie certaines pratiques techniques de nos
concitoyens celles qui confrontent agrave observer modeacuteliser tirer des conclusions ne
pourraient-elles pas ecirctre consideacutereacutees comme des pratiques culturelles scientifiques
justement profanes ou amateurs Vis-agrave-vis de cette question beaucoup drsquoacteurs
ont une conception restrictive du signifieacute CST comme une alphabeacutetisation
scientifique descendante plutocirct que comme la valorisation des dimensions
scientifiques et techniques de la culture veacutecue par chacun Ce point de vue aggrave
lrsquoobstacle eacutepisteacutemologique (Bachelard 1938) entre savoirs scientifiques et savoirs
issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur les opportuniteacutes
29
Voilagrave qui renvoie agrave la ceacutelegravebre remarque de Latour (1991 p156) sur la faible pertinence de tels adjectifs qualificatifs laquo Les mots science
technique organisation eacuteconomie [hellip] sont de bons substantifs mais de mauvais adjectifs et drsquoexeacutecrables adverbes La science ne se produit pas de faccedilon plus scientifique que la technique de maniegravere technique que lrsquoorganisation de maniegravere organiseacutee ou lrsquoeacuteconomie de maniegravere eacuteconomique raquo in laquo nous nrsquoavons jamais eacuteteacute modernes raquo (p 156)
14
drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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drsquoacculturation scientifique que fournissent de nombreuses pratiques techniques
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle dimension agrave cet obstacle30
LrsquoACST Alphabeacutetisation esprit scientifique ou dialogue science-socieacuteteacute
Une autre source drsquoambiguumliteacute est fournie par la question de la deacutefinition mecircme du
laquo scientifique raquo Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait attendre la question classique
eacutepisteacutemologique de la deacutemarcation entre science et non science ne deacutepartage que
marginalement les acteurs de la CST a contrario ils se diffeacuterentient surtout par la
perspective sous laquelle ils envisagent prioritairement lrsquoactiviteacute scientifique Selon
John Durant (1993) existent parmi les acteurs de la CST trois visions diffeacuterentes de ce
qui est signifieacute par laquo les sciences raquo (1) un corpus de savoirs de reacutefeacuterence qui se
transmet par lrsquoenseignement (2) des meacutethodes de reacutesolution de problegravemes (3) la
laquo civilisation scientifique raquo agrave savoir le systegraveme de production socio-eacuteconomique de
savoirs et drsquoinnovations correspondant agrave la big science globaliseacutee au sens ougrave celle ci a
eacuteteacute introduite par Price (1963) par opposition agrave la little science celle des meacutethodes
appropriables agrave lrsquoeacutechelle individuelle de la vision (2) Comme le remarque Bensaude-
Vincent (2010) laquo les pratiques de meacutediation scientifique configurent non seulement le
public mais aussi [notre vision de] la science elle-mecircme raquo
23 Les effets collateacuteraux des ambiguumliteacutes terminologiques
Un champ recouvrant des pratiques qui peuvent viser des objectifs contradictoires
Ce caractegravere tregraves disparate a souvent eacuteteacute vu comme un des teacutemoignages de la
richesse du champ de la CST On peut penser que ces ambiguumliteacutes seacutemantiques ont
faciliteacute lrsquoagglomeacuteration aux discours de CST drsquoune tregraves grande diversiteacute drsquoacteurs de
fait elles ont aussi autoriseacute une coexistence paradoxale de projets aux objectifs
contradictoires Sous la mecircme volonteacute geacuteneacuterale drsquoencourager le deacuteveloppement de la
culture scientifique et technique dans la socieacuteteacute se cocirctoient ainsi des actions visant agrave
la reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux savoirs pour tous ou a contrario la deacutetection des
vocations scientifiques pour drsquoautres De mecircme peuvent coexister au sein de la
corporation de la CST des actions visant expresseacutement au deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique vis-agrave-vis de la notion de progregraves technique pendant que drsquoautres deacuteclareront
agir pour la promotion de la consommation des fruits du progregraves drsquoautre part De ce
point de vue le champ de la CST apparait comme un systegraveme de laquo consensus mou raquo
propice aux amalgames
30
Dans un travail reacutecent (Las Vergnas 2011) nous le qualifions drsquoobstacle laquo scolastique raquo pour signifier que la laquo relation agrave la science raquo de
telle ou telle activiteacute de la personne [est] masqueacutee agrave celle-ci scotomiseacutee par le fait que la qualification de laquo scientifique raquo ne peut ecirctre attribueacutee qursquoagrave ce qui prend une forme similaire agrave ce qursquoa eacuteteacute lrsquoexpeacuterience des disciplines scientifiques scolaires Nous employons laquo scolastique raquo en lui attribuant un sens proche de son eacutetymologie signifiant laquo limiteacute strictement agrave ce qui est enseigneacute dans les eacutecoles garantes des dogmes et de la tradition leacutegitime raquo Cela renvoie aussi au laquo complexe du sale raquo introduit par Andreacute Desvalleacutees (1992) agrave propos de lrsquohistoire de la museacuteologie industrielle pour laquelle il fallait laquo montrer de beaux produits (donc des produits dits artistiques) plutocirct que des produits vulgaires (autrement dit seulement utilitaires) [hellip et eacuteviter de parler de hellip] la production qui avait pour corollaire est lrsquoexploitation sociale et en outre [hellip] se faisait dans la crasse raquo
15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
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15
Sans aller jusqursquoagrave des oppositions aussi extrecircmes il est de fait courant drsquoobserver que
les ambiguumliteacutes seacutemantiques releveacutees plus haut produisent des ambiguiumlteacutes strateacutegiques
Cela est par exemple le cas en ce qui concerne les discours sur les valeurs
eacutemancipatrices de la CST ou encore sur les enjeux de la CST en matiegravere drsquoorientation
scolaire et professionnelle
Ambiguiumlteacutes concernant la valeur eacutemancipatrice de la CST
Le deacutecoupage proposeacute plus haut par Durant en trois visions de la science (corpus de
savoirs little science de reacutesolution de problegraveme ou big science socio-eacuteconomique
globaliseacutee) peut aussi servir agrave mieux comprendre les diffeacuterences entre les projets
politiques que les acteurs deacutefendent (Las Vergnas 2006a)
Chacune des deux derniegraveres perspectives (little science ou big science) correspond agrave
un projet drsquoeacutemancipation drsquoempowerment31 drsquoeacutechelle diffeacuterente lrsquoun individuel et
lrsquoautre collectif Le premier construit par reacutefeacuterence agrave la vision drsquoune little science se
propose de doter chaque personne de capaciteacutes et drsquooutils de reacuteflexion et de reacutesolution
de ses propres problegravemes Ses promoteurs militent pour le deacuteveloppement de lrsquoesprit
critique et scientifique permettant de distinguer croyances convictions et savoirs
eacutetayeacutes et de limiter lrsquoeffet drsquoarguments drsquoautoriteacute infondeacutes Le second deacutecoulant lui des
craintes associeacutees agrave la big science vise surtout une transformation de la place des
individus dans systegraveme de deacutecision concernant les technosciences et les innovations
Ses promoteurs veulent permettre la reacutegulation et le controcircle par les citoyens du
deacuteveloppement technoscientifique et de ses impacts sur les ecirctres humains et leurs
organisations socio-eacuteconomiques
Or on trouve peu drsquoacteurs associant ces deux projets eacutemancipateurs qui de fait ont
donneacute naissance agrave des programmes drsquoaction et agrave des ideacuteologies seacutepareacutees Le regard
little science se concreacutetise par des pratiques de tacirctonnements expeacuterimentaux ou de
projets de deacutecouverte scientifique qui se retrouvent au sein de la famille du Cirasti (et
autres descendants de lrsquoANSTJ) tandis que le regard big science a conduit au
deacuteveloppement de pratiques du type ateliers deacutelibeacuteratifs confeacuterences de consensus ou
cafeacutes scientifiques voire agrave la creacuteation de nouveau concepts comme celui des lanceurs
drsquoalerte au sein de multiples organisations dont la plus embleacutematique est la Fondation
sciences citoyennes Aujourdrsquohui la question du controcircle deacutemocratique des choix
techno scientifiques et les discours concernant le laquo deacuteveloppement durable raquo
propulsent sur le devant de la scegravene le regard big science alors que le regard
laquo sciences = corpus raquo reste dominant chez les acteurs de lrsquoenseignement initial Le
regard little science srsquoen trouve largement releacutegueacute au second plan y compris pour
certaines organisations drsquoeacuteducation populaire qui se tournent plus vers des formes de
deacutebats publics et moins vers des approches expeacuterimentales concregravetes pour ces
derniegraveres la neacutecessiteacute deacutemocratique dun empowerment social est tellement urgent
qursquoil ne saurait attendre lrsquoempowerment meacutethodologique des individus
31
Au sens fort drsquoeacutemancipation tel qursquoil est deacutefinit par Rappoport (1987) pour les individus et Hawley et Mc Whirter (1991) pour une communauteacute permettant lrsquoexercice drsquoun pouvoir leacutegitime affirmeacute regagneacute ou restaureacute
16
Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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Pourtant peut-on envisager lrsquoun sans lrsquoautre Par la publication du laquo manifeste de
Montsouris raquo (Cirasti et al 2011) les mouvements de jeunesse et drsquoeacuteducation
populaire impliqueacutes dans les actions de deacutecouverte scientifique pour tous CST ont tenu
agrave affirmer que ce nrsquoest pas souhaitable Selon ces mouvements on court aujourdrsquohui
un grand risque agrave reacuteduire la little science agrave un simple rocircle drsquoauxiliaire de lrsquoeacutecole et du
collegravege En effet sans opportuniteacutes concregravetes de deacutecouverte de pratiques scientifiques
pheacutenomeacutenologiques les actions laquo culturelles raquo lieacutees agrave la big science se reacuteduisent agrave des
recueils drsquoopinions meacutethodes dogmatiques drsquoinformation et drsquoassociation des citoyens
mecircme dans des ateliers deacutelibeacuteratifs32 faute drsquoempowerment individuel lrsquoempowerment
collectif ne serait que deacutemagogie33 Comme le preacutecise le manifeste de Montsouris
laquo Il est illusoire drsquoespeacuterer un partage plus deacutemocratique des deacutecisions scientifiques et
techniques en se contentant de chercher agrave combler un preacutesumeacute deacuteficit drsquoinformations des non
speacutecialistes Il le serait tout autant de vouloir recueillir des opinions citoyennes pertinentes
sans favoriser des appropriations de meacutethodes de raisonnement et de reacutesolution de
problegravemes Il le serait encore de croire que lrsquoaction culturelle scientifique et technique ne
puisse se reacutesumer quagrave lrsquoaccroissement de lrsquooffre et la multiplication des ressources raquo
Ambiguiumlteacutes concernant la relation entre CST et orientation
professionnelle lutte contre lrsquoillettrisme ou deacutetection des vocations
Une autre ambiguiumlteacute reacutecurrente obscurcit aussi lrsquoanalyse de lrsquoinstitutionnalisation de la
CST celle qui porte sur la relation entre CST et orientation professionnelle vers les
meacutetiers dits laquo scientifiques et techniques raquo (Doray Gemme et Gibeau 2003 et Las
Vergnas 2006b)
De fait degraves lors qursquoils deacutefendent lrsquointeacuterecirct de la CST la quasi-totaliteacute des discours
institutionnels rapporte des inquieacutetudes creacuteeacutees par une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection raquo des
eacutetudes scientifiques supeacuterieures En cela le secteur de la recherche scientifique nrsquoest
pas diffeacuterent de nombreux autres secteurs professionnels En lrsquooccurrence pour ce qui
le concerne il a eacuteteacute eacutetabli agrave de nombreuses reprises (Bourdin 2003 Convert 2006
Beacuteduweacute 2006)34 que lrsquoon nrsquoobserve pas aujourdrsquohui de peacutenurie patente de recrutement
de chercheurs et seulement occasionnellement des difficulteacutes de recrutement
drsquoingeacutenieurs ou (selon le nombre de places ouvertes aux concours) drsquoenseignants de
matheacutematiques mais beaucoup moins que dans drsquoautres meacutetiers consensuellement
deacuteclareacutes en tension comme certains meacutetiers de bouche du BTP de lrsquohocirctellerie-
32
En la matiegravere le travail de synthegravese de Callon Lascoumes et Barthes (2001) est eacuteclairant sur 350 pages consacreacutees agrave laquo agir dans lrsquoincertitude raquo seules quelques pages explorent la dimension des savoirs et de la formation le reste eacutetant focaliseacute sur la question de lrsquoexpression et du recueil des opinions
33 Preacuteciser cette question neacutecessite de clarifier ce qui peut ecirctre qualifieacute drsquoeacutemancipation et de processus non dogmatique
Comme son eacutetymologie le laisse transparaicirctre la posture traditionnelle de la vulgarisation est descendante voire condescendante et srsquoinscrit dans une logique drsquoadaptation infantilisant celui qui reccediloit le message Se positionner dans une logique drsquoempowerment impose a contrario de srsquointeacuteresser aux strateacutegies de meacutediation dont la maicirctrise est assureacutee par celui qui veut savoir ougrave le laquo sachant raquo ne fait plus les questions et les reacuteponses reversant la logique de la vulgarisation au profit drsquoune logique ascendante Deacutecreacuteter la fin du pouvoir du savoir mecircme agrave si petite eacutechelle est en effet illusoire mais il est possible de chercher agrave lrsquoeacutequilibrer par le pouvoir sur le controcircle du processus En donnant au profane le controcircle de la deacutemarche de meacutediation on prolonge les bases constructivistes des peacutedagogies actives Cela conduit agrave refuser de deacutefinir le but de la meacutediation scientifique comme visant agrave adapter les savoir pour les rendre accessibles (deacutefinition de la vulgarisation par le Petit Robert) mais laquo plutocirct agrave favoriser des pratiques autodidactes (Las Vergnas 1994) 34
Pour la France pour le Queacutebec voir par exemple Foisy et Gingras 2003
17
restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
ANSTJ Association nationale sciences techniques jeunesse et devenue aujourdrsquohui
laquo Planegravete sciences raquo httpplanete-sciencesorg
CCSTI Centre de culture scientifique technique et industrielle
CIRASTI Collectif inter associatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et
techniques internationales Mouvement franccedilais des exposciences httpcirastiorg
33
CNAM conservatoire national des arts et meacutetiers
CSI Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie httpuniversciencefr
CST Culture Scientifique et technique
34
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restauration des services agrave la personne Crsquoest somme toute logique puisque la carte
scolaire nationale est calibreacutee pour que 75 des eacutelegraveves quittent35 les enseignements
scientifiques avant le baccalaureacuteat et que ce choix drsquoun quota dun quart de chaque
classe drsquoacircge obtenant le Bac S reacutesulte dajustements empiriques du systegraveme eacuteducatif
aux possibiliteacutes projeteacutees du marcheacute de lemploi
Il a aussi eacuteteacute montreacute (Las Vergnas 2006b) que ces alertes sur de potentielles peacutenuries
sont moins le reacutesultat drsquoanalyses quantitatives du marcheacute du travail que des projections
de responsables de filiegraveres ou de prospectivistes se preacuteoccupant de trois points (1) du
vieillissement de la population des chercheurs (agrave lrsquoidentique de tous les secteurs
professionnels) (2) du court-circuit des filiegraveres universitaires geacuteneacuterales par les filiegraveres
professionnalisantes (Licence pro en particulier) ce qui autorise drsquoailleurs agrave parler
drsquoune deacutesaffection drsquoune anneacutee agrave llsquoautre de certaines filiegraveres sans qursquoil y ait de
deacutesaffection par rapport aux deacuteboucheacutes disponibles (3) de lrsquoanticipation drsquoune
croissance espeacutereacutee de la fraction de PIB consacreacutee agrave la recherche (initialement preacutevue
dans le processus de Lisbonne pour passer en dix ans de 21 agrave 3 du PIB mais qui
en fait est resteacute constante) que tous les deacutefenseurs de lrsquoinvestissement recherche
continuent drsquoappeler de leurs vœux A elle toute seule cette croissance recircveacutee si elle se
concreacutetisait demanderait par exemple de passer de 6 000 agrave 10 000 theacutesards en
sciences et technologies par an (Bourdin 2003)
Cette question radicalise le rapport des acteurs de la corporation de la CST agrave
lrsquoorientation professionnelle Une grande partie drsquoentre eux est engageacutee dans une
croisade lobbyiste pour stimuler des vocations scientifiques visant agrave donner lrsquoenvie de
suivre des eacutetudes supeacuterieures scientifiques au plus grand nombre attitude qui est
critiqueacutee comme eacutetant un moyen laquo drsquooccuper le territoire raquo de la CST par les
universitaires queacutebeacutecois Doray Gemme et Gibeau (2003 p139-140)
laquo Les agents de la communication publique des sciences et des technologies associent on
lrsquoa vu le deacuteveloppement de leur activiteacute avec lrsquoorientation scolaire et professionnelle des
jeunes vers les professions technologiques et scientifiques Cette strateacutegie qui vise agrave
instituer le lien entre CST et carriegraveres scientifiques et technologiques nrsquoest pas reacutecente mais
a pris de lrsquoampleur ces derniegraveres anneacutees la majoriteacute des intervenants y faisant appel Elle
constitue une forme drsquooccupation du territoire [hellip] Drsquoun point de vue politique on peut
toutefois se demander si cette strateacutegie ne pourrait pas engendrer un effet pervers En effet
qursquoarrivera-t-il aux organismes associeacutes agrave la CST si dans un avenir rapprocheacute nous nous
retrouvions dans une situation ou lrsquoorientation vers les sciences et les technologies
nrsquoapparaissait plus probleacutematique En drsquoautres mots quel sort serait reacuteserveacute agrave un domaine
drsquoactiviteacute qui se preacutesente comme une solution agrave un problegraveme alors que ce dernier nrsquoexiste
plus Il nous semble que les organismes dont nous avons recenseacute les discours publics
preacutesentent avec beaucoup de force leur volonteacute de favoriser lrsquoorientation vers les sciences et
les technologies et ce peut-ecirctre au deacutetriment des autres volets de leur mission qui risquent
moins de tomber en deacutesueacutetude rapidement raquo
35
Concregravetement lrsquoenseignement secondaire eacuteloigne des centres drsquointeacuterecircts scientifiques de nombreux eacutelegraveves non pas agrave cause drsquoune laquo crise des vocations raquo universitaires mais gracircce agrave un filtrage par administration de mauvaises notes instaureacute pour reacuteguler le quota voulu drsquoaccegraves aux Baccalaureacuteats scientifiques ou assimileacutes Crsquoest ainsi qursquoagrave 75 de chaque classe drsquoacircge (ou presque) la carte scolaire fait comprendre par la voix des livrets scolaires et des conseils de classes qursquoils ne font pas partie du quota des aptes agrave poursuivre en 1eres ou Terminales scientifiques
18
Seuls quelques acteurs comme le CNAM les citeacutes des meacutetiers ou par certains aspects
lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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lrsquoASTS se sont fixeacutes lrsquoobjectif plus large drsquoaider agrave deacutecoder lrsquoeffet des eacutevolutions
scientifiques et techniques sur lrsquoensemble des meacutetiers et des qualifications visant ainsi
agrave aider agrave lrsquoorientation et agrave lrsquoeacutevolution professionnelle de tous On peut se demander
pourquoi ils sont si peu nombreux agrave deacutepasser la simple croisade pour les vocations En
reacutealiteacute on observe que la quasi-totaliteacute des courants de la CST restent isoleacutes du
monde de la formation professionnelle continue (hormis celle de leurs propres
professionnels) Les acteurs de la CST parlent de sciences visent une impreacutegnation
culturelle et non des apprentissages scientifiques ou technologiques professionnels
Cela est patent quand on regarde les outils eacutevoqueacutes dans la litteacuterature de la CST Elle
ignore les bilans de compeacutetences la VAE les congeacutes ou droits individuels agrave la
formation les peacuteriodes de professionnalisations les reprises drsquoeacutetudes les contrats de
professionnalisation voire mecircme le plus souvent les autodidactes Ce constat drsquoune
incommunicabiliteacute entre deux visions du rapport aux savoirs scientifiques et techniques
nrsquoest pas nouveau et renvoie au clivage drsquointeacuterecirct entre les acteurs de la CST et ceux de
laquo lrsquoacquisition des savoirs et des compeacutetences raquo tel qursquoil avait eacuteteacute releveacute degraves 1971 par
Ackermann et Dulong Ces auteurs avaient alors publieacute dans la revue franccedilaise de
sociologie un article intituleacute laquo un nouveau domaine de recherche la diffusion des
connaissances scientifiques raquo A propos des eacutecrits sur laquo limportance sociale de la
diffusion des connaissances scientifiques raquo ils constataient deacutejagrave que
laquo Tout se passe donc comme si on avait sur le mecircme pheacutenomegravene deux langages lun
deacutecrivant la vulgarisation ou leacuteducation des adultes comme acquisition dun savoir dune
compeacutetence lautre deacutecrivant les mecircmes pheacutenomegravenes sous langle de leur signification en
termes de rapports sociaux (gratification sociale motivations ) Pour illustrer ce constat
nous citerons deux eacutetudes en langue franccedilaise qui montrent assez bien les deux points de
vue et leur mutuelle incapaciteacute de se rejoindre [le premier de B Schwartz reacuteflexion sur le
deacuteveloppement de lrsquoeacuteduction permanente et le second de B Jurdant sur la science et son
mythe la scientificiteacute paru respectivement dans la RFP et dans Education permanente]
Ces deux articles sont exemplaires en ce quils expriment chacun dans sa perspective la
place donneacutee aux effets sociaux de la vulgarisation Pour ecirctre complet il convient dajouter
que si B Schwartz traite rapidement le problegraveme que B Jurdant attaque avec rigueur le
contenu que lanalyse de B Jurdant conduit agrave eacutevacuer est preacuteciseacutement ce qui fait le centre du
propos de B Schwartz Tout se passe comme si labord du problegraveme par lune de ses deux
faces interdisait de deacuteboucher en un discours continu de lautre Ou bien on parle de la
communication dun savoir et dune compeacutetence de lacquisition dun outil et on refoule
laspect social agrave larriegravere-plan des supports psychologiques ou sociologiques motivations
institutions etc) ou bien on part du problegraveme sociologique des rapports sociaux qui
fournissent le support du processus et la vulgarisation apparaicirct comme un pheacutenomegravene ougrave la
transmission de connaissances joue un rocircle minime Il serait trop facile den conclure que
nous sommes en preacutesence de deux analyses compleacutementaires dabord parce quil ny a pas
de communication entre elles et ensuite parce que chacun des deux discours est en quelque
sorte la neacutegation de lautre
[hellip] En leacutetat actuel du problegraveme il nous a paru que le meilleur service agrave rendre agrave la
recherche serait de conduire leacutetude de cette distinction de faccedilon agrave manifester son
irreacuteductibiliteacute En montrant comment cette probleacutematique senracine dans le contexte
19
historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
2006 Evaluation des CCSTI pour une labellisation IGEAN Chaumier amp Moreno
2004-2005 Plan national pour la CST Gouvernement Haignereacute
nov 2003 Deacuteveloppement et diffusion de la CST un enjeu
national Parlement Hamelin
2003 Rapport de la Commission du Seacutenat Seacutenat Renar amp Blandin
2002 Socieacuteteacute du Savoir et Citoyenneteacute CES Collectif
2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
1989 Creacuteer et diffuser de la CST Gouvernement MRT Maitte
1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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historico-culturel de notre socieacuteteacute on a tenteacute de faire apparaicirctre dans sa rigueur la seacuteparation
des deux langages leur incommunicabiliteacute mutuelle leur rapport conflictuel raquo (p 379-381)
Quarante ans plus tard les revues de litteacuterature montrent que cette eacutetancheacuteiteacute srsquoest
paradoxalement maintenue Alors que la CST agregravege la quasi-totaliteacute des acteurs qui
ont laquo lrsquoambition de reacuteinteacutegrer la dimension scientifique et technique dans
linformation leacuteducation et la culture raquo pour reprendre lrsquoexpression eacutecrite dans la loi
de 1982 elle nrsquointegravegre pas ceux qui visent agrave la formation professionnelle
technologique Il semble que ce soit bien lrsquoopposition entre laquo impreacutegnation
culturelle raquo et laquo appropriation de compeacutetence professionnelle raquo qui marque la limite
du territoire du consensus mou de la CST Sans doute est-ce agrave mettre en perspective
avec la mise agrave distance de la culture technique et le laquo complexe du sale raquo deacutejagrave citeacutes
plus haut
3 ETAT DE LrsquoART
31 La CST nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoune theacuteorisation propre
Ainsi malgreacute ces ambiguumliteacutes ou plutocirct gracircce agrave elles la terminologie laquo CST raquo domine
aujourdrsquohui le paysage franccedilais de cette impreacutegnation culturelle Les diverses
mouvances et courants issus des hybridations des anneacutees 70 srsquoy sont bon greacute ou
mal greacute rallieacutes36 De nouveaux acteurs comme des fondations pour la promotion
de tel ou tel aspect de la recherche des cellules de communication de consortiums
industriels de projets ou de pocircles universitaires ou de compeacutetitiviteacute des eacutediteurs
les ont rejoints Ainsi se sont agreacutegeacutes derriegravere cette appellation CST des acteurs et
compeacutetences issus de multiples secteurs professionnels incluant tout autant de la
communication des laboratoires de lrsquoeacuteducation populaire des deacutebats sur la
gouvernance de la recherche voire des actions de promotion des eacutetudes
scientifiques
Ce conglomeacuterat a ainsi fort logiquement agreacutegeacute des corpus eacutelaboreacutes dans de multiples
disciplines sans donner naissance agrave un cadre conceptuel inteacutegrateur Crsquoest ainsi que
ses acteurs juxtaposent des acquis issus de plusieurs familles de travaux (1) drsquoune
part celles qui ont traditionnellement partie lieacutee avec la dimension laquo vulgarisation raquo agrave
savoir les sciences de lrsquoeacuteducation37 (comme Giordan De Vecchi Raichvarg) et les
36 Le fait que la terminologie simplificatrice de CST est eacuteteacute utiliseacutee pour deacutesigner des lignes budgeacutetaires les conseils nationaux drsquoexperts et le reacuteseau de reacutefeacuterence labelliseacute par lrsquoEtat explique sa geacuteneacuteralisation malgreacute son caractegravere paradoxal Ne restent que marginalement quelques terminologies speacutecifiques agrave des reacuteseaux theacutematiques comme crsquoest le cas pour laquo lrsquoeacuteducation relative agrave lrsquoenvironnement raquo
37 En lien sans doute avec la prioriteacute donneacutee aujourdrsquohui agrave la perspective laquo sciences et socieacuteteacute raquo on observe aujourdrsquohui une diminution
relative des publications inscrites en sciences de lrsquoeacuteducation la CST nrsquoy est objet de publications que lorsqursquoelle est lieacutee au monde scolaire Felt (2010) Le Marec (2010) Bensaude-Vincent (2010) et Las Vergnas (en cours) proposent drsquoailleurs des analyses compleacutementaires qui montrent que beaucoup drsquoacteurs de la CST non scolaire srsquoeacuteloignent progressivement des preacuteoccupations cognitives leurs prioriteacutes eacutevoluant de plus de plus vers la volonteacute de favoriser des deacutebats drsquoopinion plus vers que la communication de connaissances ou
lrsquoappropriation de savoirs
20
sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
Date Titre Commanditaire Auteurs
2010 feacutevrier
CNCE Avis ndeg109 CNCE Cossart Gaudrey et
al
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2001 La CSTI en 2001 constats pour agir EP-CSI Jantzen
(hellip)
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1985 Rapport pour le deacuteveloppement des CCSTI Gouvernement MRT Maitte
1981 CST et ameacutenagement du territoire Gouvernement Maleacutecot
1981 Discours de clocircture Chevegravenement Gouvernement Chevegravenement
1979 Rapport pour la creacuteation du MNSTI Preacutesidence de la
Reacutepublique Leacutevy
Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
ANSTJ Association nationale sciences techniques jeunesse et devenue aujourdrsquohui
laquo Planegravete sciences raquo httpplanete-sciencesorg
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CIRASTI Collectif inter associatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et
techniques internationales Mouvement franccedilais des exposciences httpcirastiorg
33
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CSI Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie httpuniversciencefr
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sciences de lrsquoinformation et de la communication (comme Jurdant Le Marec Fayart)
auxquelles on peut ajouter lrsquoethnologie si on considegravere les speacutecificiteacutes de la museacuteologie
(Davallon Schiele Van Praet) (2) drsquoautre part celles sous-tendues par la dimension
laquo science et socieacuteteacute raquo agrave la frontiegravere de la sociologie et des sciences politiques (comme
Latour Callon Lascoumes) voire de la philosophie (Stengers)
32 Approches fragmenteacutees et emprunts disciplinaires
En termes de revue de litteacuterature il nrsquoexiste donc pas drsquoeacutetat de lrsquoart transversal agrave tout le
champ de la CST38 ne sont disponibles que des documents speacutecifiques agrave tel ou tel
champ disciplinaire sous-jacent
Ainsi pour les champs traditionnels de lrsquoappropriation ou de la transmission des
savoirs nous pouvons faire reacutefeacuterence agrave une note de synthegravese intituleacutee laquo vulgarisation
scientifique et eacuteducation scientifique non formelle raquo (Jacobi Schiele amp Cyr 1990) ainsi
que drsquoune note de preacutesentation drsquoun dossier intituleacute laquo opinions et savoirs raquo (Girault amp
Lhoste 2010) qui complegravete la premiegravere en la creusant sous cet angle doublement
pertinent drsquoune part agrave lrsquoeacutechelle individuelle et drsquoautre part par agrave lrsquoeacutechelle socieacutetale
Venturini a - quant agrave lui - publieacute (2007) un ouvrage de synthegravese des travaux sur la
question des rapports aux savoirs scientifiques dans lrsquoenseignement initial De plus la
dimension des eacutevolutions des intentions politiques de la CST en tant que discours a eacuteteacute
documenteacutee et reacutesumeacutee par B Schiele dans une note syntheacutetique titreacutee laquo publiciser la
science Pourquoi faire Revisiter la notion de culture scientifique et
technique raquo (publieacutee en Franccedilais en 2005 et reacuteviseacutee en anglais en 2008 cf plus haut)
Quant au champ de la sociologie et des sciences politiques la litteacuterature est en forte
croissance dans de nombreux pays et U Felt (2010) vient de publier une analyse
europeacuteenne du discours politique concernant le complexe laquo science et socieacuteteacute raquo qui a
repegravere quatre phases dans le deacutebat des derniegraveres deacutecennies (1) lrsquoinformation du
public (2) la sensibilisation des citoyens (3) la participation et la gouvernance (4) la
science dans la socieacuteteacute
Il est aussi agrave noter que compte tenu de la polyseacutemie de lrsquoexpression CST plusieurs
filiegraveres francophones de recherches ont introduit des terminologies nouvelles pour
speacutecifier leur champ de recherche et le situer par rapport agrave des eacutepisteacutemologies deacutejagrave
eacutetablies (en lrsquooccurrence en sciences de lrsquoinformation et de la communication) Jacobi
introduit ainsi laquo socio diffusion raquo des concepts ou de la connaissance raquo (1985) avec
lideacutee quil existe bien au sein du champ scientifique un continuum des pratiques de
socio-diffusion de la connaissance Fayard laquo communication publique raquo (1995) et
Pailliart laquo publicisation des sciences raquo (2005)
33 Points de vue sur lrsquoeffet et le rocircle social de la CST
38
Hormis les descriptions reacutetrospectives citeacutees plus haut comme celle de Maitte et Guyon
21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
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Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
ANSTJ Association nationale sciences techniques jeunesse et devenue aujourdrsquohui
laquo Planegravete sciences raquo httpplanete-sciencesorg
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CIRASTI Collectif inter associatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et
techniques internationales Mouvement franccedilais des exposciences httpcirastiorg
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CSI Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie httpuniversciencefr
CST Culture Scientifique et technique
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21
En ce qui concerne lrsquoeacutevaluation des effets des actions (non scolaires) de CST mecircme
si des baromegravetres ou des sondages lieacutes agrave tel ou tel programme ou publics cibles
fournissent des donneacutees ponctuelles la plupart des auteurs (Jurdant Jacobi Cyr et
Schiele) constatent qursquoil nrsquoest pas possible de mettre en eacutevidence un reacutesultat
macroscopique global des actions (non scolaires) de CST Comme lrsquoobserve Schiele
(2005)
laquo Les unes apregraves les autres toutes [les] enquecirctes reacutepegravetent agrave lrsquoenvi que la probabiliteacute drsquoun
contact avec la culture scientifique lorsqursquoil nrsquoest pas encourageacute sciemment par lrsquoeacutecole
rechercheacute systeacutematiquement par une deacutemarche autodidaxique ou provoqueacute par une
rencontre fortuite ressortit pour lrsquoessentiel agrave lrsquoeacutevaluation du degreacute de scolariteacute en science
comme dans les autres domaines Ce que constatent inlassablement ces enquecirctes [ie les
baromegravetres de CST de toute nature] tout en faignant de plaider pour une plus large
publicisation de la science aupregraves du public est que seule une minoriteacute ndashla plus scolariseacutee-
deacuteveloppe lrsquointeacuterecirct souhaiteacute ou acquiert les compeacutetences voulues pour reacutealiser le
rapprochement espeacutereacute entre science et socieacuteteacute raquo (p 35)
Voilagrave qui renvoie agrave un constat deacutejagrave eacutetabli agrave propos de la vulgarisation scientifique Et
mecircme si lrsquoeacutemergence de lrsquoexpression CST dans les anneacutees 70 nrsquoest pas qursquoun
simple glissement seacutemantique on est neacuteanmoins tenteacute de penser que son
institutionnalisation a repris le rocircle de laquo symptocircme raquo que la vulgarisation jouait selon
la formulation39 de Jurdant (1973)
4 TENDANCES ACTUELLES ET DEVENIR
41 Reacutepeacutetition des discours et chronicisation du symptocircme
Les revues de litteacuterature (focaliseacutees sur le niveau national en raison de la speacutecificiteacute
de lrsquoexpression CST) montrent de fait un paysage particulier on repegravere certes de
multiples discours sur la neacutecessiteacute de la CST pour tous eacutemanant non seulement des
institutions de CST elles-mecircmes mais aussi des pouvoirs publics nationaux et
drsquoexperts Le tableau 1 en donne des exemples40 seacutelectionneacutes sur les peacuteriodes
1979-1989 et 2000 ndash 2010 Mais ce que les revues de litteacuterature montrent
eacutegalement crsquoest que plusieurs auteurs ont constateacute que ces discours se reacutepegravetent
depuis au moins trois deacutecennies41 sans que soit remarqueacute drsquoeffet social notable qui
en aurait deacutecouleacute (Labasse 1999 Doray Gemme Gibeau 2001 Schiele 2005
Las Vergnas 2006b) Il est mecircme frappant de constater que commencent
39 Dans sa thegravese Jurdant conclut de la vulgarisation scientifique laquo crsquoest un symptocircme Ce nrsquoest pas la SCIENCE elle-mecircme le symptocircme crsquoest le moyen qursquoelle se donne pour srsquoinscrire sur le corps social ou plutocirct qursquoune certaine partie de ce corps se donne pour lrsquoinscrire elle la science et en reacutepeacuteter lrsquoacte de refoulement neacutecessaire pour empecirccher lrsquouniversaliteacute qursquoelle implique raquo (p217 dans lrsquoeacutedition de 2010)
40 Ce tableau ne preacutetend pas ecirctre exhaustif ne sont citeacutes que les rapports commandeacutes par les pouvoirs publics Il existe
aussi de multiples contributions drsquoauteur (essais ouvrages collectifs articles) comptes rendus de colloques (scientifiques ou non) de congregraves ou de journeacutees drsquoeacutetudes sur ce mecircme sujet non listeacutes ici 41
Schiele (2005) fait remonter encore plus tocirct cette reacutepeacutetition en analysant les deacutebats drsquoun colloque tenu de feacutevrier 1958 sur la vulgarisation scientifique pour en montrer lrsquoactualiteacute
22
aujourdrsquohui dans une surprenante mise en abicircme agrave se reacutepeacuteter les deacutenonciations de
ces reacutepeacutetitions puisque celles-ci avaient deacutejagrave eacuteteacute repeacutereacutees et eacutepingleacutees en 1999 par
Labasse
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Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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Tableau exemples de rapports et discours commandeacutes par des pouvoirs publics nationaux et faisant reacutefeacuterence au deacuteveloppement de la CST pour tous en France (peacuteriodes 1979-1989 et 2001-2010)
Ces discours deacuteplorent tous une laquo deacutesaffection raquo agrave lrsquoeacutegard des sciences une laquo perte
de confiance raquo envisageant les mecircmes types de solutions pour y remeacutedier comme le
deacuteveloppement drsquoun enseignement plus concret des sciences en formation initiale
une preacutesence plus forte de la science sur des meacutedias attractifs pour le plus large
public (TV expositions dans des lieux culturels renforcement du reacuteseau de Centres
de culture scientifique) ainsi que lrsquoassociation des citoyens aux choix
technoscientifiques majeurs Certes ces discours diffeacuterent agrave la marge par les
capaciteacutes qursquoils reconnaissent aux ldquoprofanesrdquo agrave se forger eux-mecircmes des savoirs et
Michel Callon (1999) a distingueacute trois points de vue diffeacuterents sur la place qui leur est
confeacutereacutee dans les dispositifs de CST le premier (modegravele I) qursquoil a qualifieacute laquo de
modegravele de lrsquoinstruction publique raquo caracteacuterise la CST comme une eacuteducation
descendante visant agrave combler un deacuteficit de connaissance par lrsquoalphabeacutetisation des
publics le deuxiegraveme (modegravele II) vise agrave organiser un laquo dialogue entre savoirs savants
et profanes raquo tandis qursquoun troisiegraveme (modegravele III) envisage la possibiliteacute de les
23
associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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associer agrave une laquo co-construction de savoirs raquo Mais mecircme si cette typologie permet
ndashcomme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute- agrave certains auteurs (Felt 2010 et Bensaude-
Vincent 2010) de noter une croissance progressive des deacuteclarations drsquointention en
faveur du deuxiegraveme point de vue voire du troisiegraveme dans certains cas lieacutes agrave des
organisations de malades chroniques ou agrave des revendications eacutecologiques le
constat le plus frappant est bien celui de la reacutepeacutetition systeacutematique des discours que
Bernard Schiele (2005 p27) reacutesume ainsi
laquo hellip la CST est depuis fort longtemps au centre drsquoun projet social Tous les pays ndash agrave des
degreacutes divers certes ndash y ont souscrit Augmenter le niveau drsquoinformation scientifique du
public revaloriser lrsquoimage des sciences impliquer le public dans des deacutebats et engager les
jeunes agrave faire carriegravere en sciencehellip Voilagrave le leitmotiv obligeacute de toutes les politiques et de
toutes les mesures adopteacutees [hellip] Vingt ans apregraves [hellip] il est frappant de constater agrave quel point
les arguments invoqueacutes hier sont aussi ceux drsquoaujourdrsquohui Pourquoi faire comme si tout eacutetait
agrave refaire pour mieux proposer le mecircme programme ou presque Alors pourquoi lrsquoalibi drsquoune
refondation Lrsquoargument comme je lrsquoai rappeleacute est que le fosseacute (knowledge gap) entre la
science et la socieacuteteacute loin de se combler continue de se creuser que les efforts consentis
nrsquoont pas suffisamment porteacute leurs fruits qursquoil faut peacuteriodiquement raviver lrsquointeacuterecirct relancer la
mobilisationhellip raquo
Ce que laisse suggeacuterer cette reacutepeacutetition crsquoest que la repreacutesentation drsquoune
laquo deacutesaffection raquo etou drsquoune laquo crise de confiance raquo agrave deacutenoncer est persistante (et
plus importante que la leveacutee des ambiguiumlteacutes) la situation qui cause cette
deacutenonciation semblant ecirctre de nature chronique et les strateacutegies mises en place pour
la combattre se reacuteveacutelant donc agrave chaque fois nrsquoavoir que peu drsquoeffet notable Bien sucircr
degraves lors que lrsquoon srsquoattelle agrave une analyse des variations entre des projets deacutetailleacutes de
CST comme lrsquoa fait Marie-Jeanne Choffel-Mailfert (1999) en examinant (pp 91 sq)
les laquo eacuteleacutements permettant drsquoalimenter la constitution drsquoun scheacutema reacutegional de la
CST raquo demandeacutes par lrsquoEtat via les DRRT des diffeacuterentes reacutegions franccedilaises en 1991
pour eacutetablir les laquo livres blancs reacutegionaux de la Recherche raquo on observe des eacutecarts
significatifs des diffeacuterentes projections des politiques entre territoires sciences
technologie industrie patrimoines et formations De mecircme les analyses
reacutetrospectives qui commencent agrave voir le jour laissent entrevoir des eacutevolutions dans la
dureacutee (cf encadreacute suivant) qui peuvent ecirctre mises en relation avec les analyses
citeacutees plus haut de Felt Mais au-delagrave de ces eacutevolution temporelles ou variations
locales drsquoappreacuteciation des inteacuterecircts des enjeux et des potentiels (ou des variations
rheacutetoriques) les analyses textuelles des discours nationaux montrent avant tout des
reacutepeacutetitions que lrsquoon peut classer en deux familles
La premiegravere famille de reacutepeacutetitions est celle des jugements porteacutes sur la neacutecessiteacute de
deacutevelopper la CST quelquefois appuyeacutes sur des reacutefeacuterences agrave des eacutetudes drsquoopinion
La seconde famille de reacutepeacutetitions concerne les principales strateacutegies aptes agrave servir
un tel but une approche plus expeacuterimentale des sciences agrave lrsquoeacutecole au collegravege et au
lyceacutee voire agrave lrsquouniversiteacute sans trop preacuteciser les classes viseacutees une preacutesence plus
importante de la science dans les meacutedias de masse et en particulier agrave la TV ainsi
24
que par le deacuteveloppement et le soutien de Centres territoriaux de culture scientifique
et technique (CCST) lrsquoassociation des citoyens (ou de repreacutesentants de ceux-ci) aux
deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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deacutebats lors de choix scientifiques ou techniques majeurs
Deacutebut de lrsquoencadreacute
ENCADRE REGARD RETROSPECTIF SUR LES EVOLUTIONS
Si lrsquoon veut analyser les eacutevolutions des actions de CST sur les derniegraveres deacutecennies ce
sont plutocirct des approches historiographiques deacutecrivant reacutetrospectivement la
constitution de ce champ de la CST vue selon telle ou telle famille drsquoacteurs ainsi que
des ouvrages42 collectifs souvent issus de colloques scientifiques ou non qui dominent
la litteacuterature On y constate que la peacuteriode actuelle se trouve faire charniegravere pour deux
raisons (1) Les hybridations qui enfantegraverent cette mise en scegravene de la CST datent
drsquoune geacuteneacuteration De fait les principaux inventeurs historiques voient les reacuteseaux
dispositifs ou institutions qursquoils ont creacuteeacute ecirctre confieacutees agrave des personnes bien diffeacuterentes
drsquoeux non plus des militants autoproclameacutes mais des professionnels formeacutes agrave
administrer la CST plus clergeacutes que prophegravetes (2) Les reacuteorganisations des politiques
publiques43 ont conduit au regroupement au sein drsquoun eacutetablissement unique intituleacute
laquo universcience raquo et deacutefini comme lrsquoeacutetablissement national de reacutefeacuterence de la CST- de
la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie et du Palais de la Deacutecouverte
Aussi mecircme si la volonteacute est justement explicitement affirmeacutee par plusieurs
personnaliteacutes embleacutematiques de ce domaine agrave entreprendre des analyses
reacutetrospectives et un travail drsquoarchivage afin le rendre lisible aux acteurs y entrant
aujourdrsquohui le risque est grand une perte de meacutemoire qui pourrait conduite agrave
consideacuterer les formes actuelles de CST comme des laquo allants de soi raquo ne neacutecessitant
mecircme pas drsquoecirctre questionneacutees sur leurs finaliteacutes leurs choix ou leurs a priori
Deux facteurs speacutecifiques rendent difficiles le travail reacutetrospectif (1) le manque de
donneacutees quantitatives aussi bien sur les dispositifs que sur leurs effets renforceacute par
le caractegravere autobiographique44 de beaucoup de sources (2) lrsquoarbitraire du choix du
peacuterimegravetre des activiteacutes agrave comparer compte-tenu de lrsquoacception actuelle du terme
CST Ce second point est directement lieacute aux ambiguumliteacutes seacutemantiques citeacutees plus
haut auxquelles srsquoajoute une difficulteacute suppleacutementaire celle du deacuteveloppement de
nouvelles pratiques qualifiables de CST et utilisant lrsquointernet et les autres
technologies de reacuteseau y compris dans de nouvelles formes drsquoactiviteacutes autodirigeacutees
42 Des bibliographies theacutematiques les recensent comme celle de lrsquoOCIM mise en place agrave lrsquooccasion de la constitution de son observatoire de la CST Il est eacutegalement agrave signaler que la multiplication des formations universitaires srsquoest accompagneacutee reacutecemment drsquoune explosion des logs et site web lieacutes aux discours sur la CST
43 Simultaneacutement agrave une territorialisation complexe des politiques eacuteducatives et culturelles
44 Une partie importante des textes reacutetrospectifs sont des reacutecits de vie individuelle ou collective autobiographiques comme ceux de Beretetsky Caillet Crozon Detoeuf Gautier Guyon Las Vergnas Levy-Leblond Maitte Raichvarg on peut a contrario noter lrsquoabsence drsquoun travail historique sur la Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie de La Villette
25
difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
ANSTJ Association nationale sciences techniques jeunesse et devenue aujourdrsquohui
laquo Planegravete sciences raquo httpplanete-sciencesorg
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CIRASTI Collectif inter associatif pour la reacutealisation drsquoactiviteacutes scientifiques et
techniques internationales Mouvement franccedilais des exposciences httpcirastiorg
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CSI Citeacute des sciences et de lrsquoindustrie httpuniversciencefr
CST Culture Scientifique et technique
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difficiles agrave observer et qursquoil serait reacuteducteur de consideacuterer juste comme une simple
transposition des formes classiques En effet savoirs et contenus scientifiques (a
fortiori techniques) sont largement preacutesents dans les pratiques drsquoexpression en ligne
qualifieacutees de web 20 On entrevoit beaucoup de connotation scientifique dans des
blogs wikis groupes flux sous-reacuteseaux sociaux et pages de fans theacutematiques
(actualiteacutes images du jour partages de videacuteos promotion de produits) ainsi que des
propositions de travaux contributifs distribueacutes (comme Setihome Tela botanica
Galaxyzoo cf Las Vergnas 2011a)
Pour la France dans ce contexte global drsquoagreacutegation des acteurs autour de
lrsquoexpression laquo CST raquo deux facettes semblent en croissance et une autre en
affaiblissement Celles qui ont progresseacute sont (1) les strateacutegies de dialogue public
avec les citoyens sur des questions scientifiques ou technologiques (lanceur drsquoalerte
confeacuterence de citoyens PICRI) avec la creacuteation de lrsquoOPCS en 1983 (2) la
communication institutionnelle des entreprises (publiques et priveacutees) de recherche
des laboratoires et plus reacutecemment des universiteacutes (en particulier suite agrave la LRU de
2007) En revanche est en reacutegression (3) la part des loisirs scientifiques traditionnels
(hors loisirs numeacuteriques) dans les activiteacutes repeacutereacutees comme lieacutees agrave la CST
La monteacutee en puissance des dialogues laquo science et socieacuteteacute raquo
La question des relations entre laquo science et socieacuteteacute raquo ou encore des laquo sciences
citoyennes raquo est un des questions politiques agrave lrsquoorigine de la CST Elle est
aujourdrsquohui en France lrsquoobjet principal de plusieurs mouvements dont le plus
transversal et embleacutematique est lrsquoassociation Pour une Fondation Sciences
Citoyennes (FSC) creacuteeacutee en 2002 et qui se deacutefinit ainsi
laquo Elle a pour objectif de favoriser et prolonger le mouvement actuel de reacuteappropriation
citoyenne et deacutemocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun
Sciences Citoyennes fait un double pari Le premier est de reacuteunir des chercheurs scientifiques
critiques et des profanes engageacutes dans des luttes (sociales meacutedicales environnementales)
ougrave ils rencontrent - voire contestent- la technoscience dominante et lrsquoexpertise officielle Le
second est drsquounir dans une reacuteflexion et une action transversale de politisation de la science
et de lrsquoexpertise des acteurs impliqueacutes dans des secteurs souvent compartimenteacutes
(agriculture eacutenergie bio-meacutedical santeacute environnementale NTIC brevetage) Trois axes de
travail sont au cœur de son engagement (1) lrsquoaccroissement des capaciteacutes de recherche et
drsquoexpertise de la socieacuteteacute civile des forces associatives consumeacuteristes syndicales et
citoyennes (creacuteation drsquoun tiers-secteur scientifique) (2) la stimulation de la liberteacute drsquoexpression
et de deacutebat dans le monde scientifique (3) la promotion de lrsquoeacutelaboration deacutemocratique des
choix scientifiques et techniques raquo (httpsciencescitoyennesorgspipphprubrique1 (FSC
2010)
Cette question planeacutetaire est au cœur du reacuteseau international laquo Living Knowledge raquo
feacutedeacuterant agrave la fois les acteurs des laquo science shops raquo45 et drsquoexpeacuteriences de
laquo community based reseach raquo (deacuteveloppeacutees reacutecemment en France sous les
acronymes de PICRI et de QSEC) Les instruments preacuteconiseacutes vont des cafeacutes des
sciences agrave la creacuteation drsquoun statut de laquo lanceur drsquoalerte raquo en passant par les 45 Il srsquoagit de mettre agrave disposition des acteurs et partenaires sociaux des ressources de recherches universitaires pour conduire des recherches souhaiteacutees par des repreacutesentants des habitants (Stewart et Havelange 1989 ) il est agrave noter que les expeacuteriences de boutique de sciences sont toujours resteacutees embryonnaires en France a contrario drsquoautres pays comme les pays scandinaves par exemple
26
boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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boutiques de sciences les deacutebats participatifs ou les confeacuterences de consensus
associant des repreacutesentants De plus en plus explicitement les financements publics
de la CST sont fleacutecheacutes vers ce type drsquoactiviteacutes Au sein de ces pratiques toutes
aujourdrsquohui qualifieacutees de laquo sciences citoyennes raquo sont particuliegraverement distingueacutees
les laquo sciences participatives raquo dans lesquelles les citoyens deviennent producteurs
ou collecteurs de donneacutees voire mecircme associeacutes agrave tout ou partie de lrsquoeacutelaboration du
protocole de recherche (Ifree 2010) ouvrant alors vers lrsquoideacutee drsquoune laquo Impure
science raquo pour reprendre lrsquoexpression introduite degraves 1996 par S Epstein parlant des
malades chroniques srsquoimmisccedilant dans la recherche meacutedicale
La croissance de lrsquooutreach des projets et laboratoires
Les plans de communication de laboratoires ou drsquoeacutequipes de recherche ont fait
progressivement leur apparition dans le champ de la CST agrave une approche classique
de communication institutionnelle drsquoentreprises high tech priveacutees ou publiques puis
de certaines collectiviteacutes territoriales voulant mettre en avant leur dynamisme
technologique pour attirer des emploi (dans une strateacutegie inspireacutee du sommet de
Lisbonne) se sont ajouteacutees des strateacutegies drsquooutreach46 rendues plus ou moins
obligatoires par les financeurs de projets (PCRD hellip) puis plus reacutecemment des
obligations lieacutees agrave la mise en concurrence des universiteacutes avec la loi LRU
La disparition ou la deacutemateacuterialisation des loisirs extrascolaires
Plusieurs auteurs notent un affaiblissement tregraves significatif des formes classiques de
loisirs et clubs scientifiques extra-scolaires (Las Vergnas et Lebras 2009) Mecircme si
le ratio de projets extrascolaire versus scolaires ou peacuteriscolaires est en forte baisse
dans les exposciences ce point nrsquoest pas suffisamment documenteacute aujourdrsquohui pour
ecirctre eacutetudieacute finement car le qualificatif de laquo scientifique raquo est particuliegraverement
impreacutecis voire auto-reacutefeacuterent (crsquoest encore pire si lrsquoon parle des loisirs laquo scientifique et
technique raquo de plus quand on eacutetudie les jeunes drsquoacircge scolaire la notion de laquo loisirs
raquo elle-mecircme nrsquoest pas claire Neacuteanmoins un indicateur indirect est celui du
deacutesengagement des institutions de CST pour les clubs scientifiques sur les 30
derniegraveres anneacutees en France En 1981 le projet naissant de La Villette preacutevoyait la
mise en place dune base technique des clubs scientifiques47 Elle fut effectivement
mise en place en 1986 mais elle fut progressivement utiliseacutee comme centre de
travaux pratiques pour les classes villette avant de fermer deacutefinitivement ses portes
en 1991 Au Palais de la deacutecouverte les clubs Jean Perrin furent arrecircteacutes voici
quelques anneacutees Et aujourdhui aucune activiteacute au sein duniverscience
(eacutetablissement public creacuteeacute par regroupement du Palais et de la CSI pour devenir la
reacutefeacuterence nationale de la CST) nest en lien avec des clubs scientifiques On
pourrait multiplier les exemples de projets institutionnels comme les clubs Inserm-
46 Disseacutemination publique des reacutesultats de recherche par exemple dans le cadre drsquoun projet financeacute par les pouvoirs publics
47 Le premier volume de la collection laquo Les eacutetudes de la Villette raquo destineacute agrave accompagner la mise en place du futur eacutequipement de La Villette titreacute laquo les clubs scientifiques en France raquo y eacutetait mecircme consacreacute
27
jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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jeunesse le dispositif laquo Vacances Plaisir des sciences raquo (Ostrowiecki 2005) ou le
Prix Philips qui nrsquoont pas continueacute
En parallegravele plusieurs auteurs affirment que les activiteacutes de loisir de deacuteveloppement
(pour reprendre la cateacutegorisation des loisirs de Dumazedier 1962) sont en
multiplication profitant en particulier de la geacuteneacuteralisation drsquointernet y compris sous
forme de passions cognitives (Roux Charvolin et Dumain 2009) Flichy (2010)
annonce laquo le sacre de lrsquoamateur raquo et Leadbeater et Miller (2004) la ldquoPro-Am
revolutionrdquo au Royaume-Uni Ces derniers deacuteclarent que 58 de la population laquo is
doing a Pro-Am activity raquo Est-ce agrave dire que la diminution des laquo clubs scientifiques raquo
non scolaires sous les formes classiques drsquoactiviteacutes laquo preacutesentielles raquo pourraient ecirctre
freineacutee voire inverseacutee par la multiplication des nouvelles formes de pratiques ou
drsquoinvestigations personnelles par exemple sur le web48 Malheureusement aucune
eacutetude quantitative ne permet de reacutepondre pour lrsquoinstant drsquoautant que lrsquoon a sans
doute majoritairement affaire agrave des pratiques autodirigeacutees en groupes informels
distribueacutes rejoignant par certains cocircteacutes les laquo sciences participatives raquo
Fin de lrsquoencadreacute
42 Analyse de la chronicisation des discours
Cateacutegorisation scolaire et fonctions des dispositifs de CST
Comment interpreacuteter de telles reacutepeacutetitions de discours et le constat drsquoinefficaciteacute
sociale des dispositifs de deacuteveloppement de la CST qursquoelles sous-tendent
Une des caracteacuteristiques communes agrave tous ces discours crsquoest qursquoils sinteacuteressent agrave
des questions agrave dimension sociale (la relation laquo science et socieacuteteacute raquo) alors qursquoils
utilisent une rheacutetorique affective typique de leacutechelle individuelle (la deacutesaffection)
Or il est facile de reacutefuter lrsquoideacutee selon laquelle ce serait seulement lrsquoexistence
systeacutematique de difficulteacutes cognitives individuelles qui expliquerait lrsquoeacutechec des
politiques de CST par le simple fait que les sciences seraient trop ardues pour ecirctre
accessibles au commun des mortels En effet de nombreux exemples ont montreacute a
contrario qursquoagrave lrsquoeacutechelle individuelle ou du petit groupe des personnes de tout niveau
scolaire peuvent srsquoapproprier des sujets ou des expeacuteriences lieacutes aux sciences
lorsquelles en eacuteprouvent lrsquoenvie ou la neacutecessiteacute et quelles ont lrsquoopportuniteacute de sy
impliquer concregravetement Tel est le cas dans des cadres aussi diffeacuterents que des
clubs drsquoastronomie des associations de malades souffrant de pathologies
chroniques des groupes de passionneacutees drsquoornithologie ou drsquoentomologie de cerfs-
volants drsquoentrainement fractionneacute ou de militants de lrsquoagriculture biologique de
nombreux blogs ou groupes sur les reacuteseaux sociaux en teacutemoignent Pourquoi de
telles situations fondeacutees sur une motivation ou des enjeux personnels (participation agrave
48 Mecircme en se limitant agrave une simple eacutetude quantitative des formes classiques de pratiques extrascolaire (par exemple celles connues dans les mouvements historiques drsquoeacuteducation populaire) sur quels indicateurs se fonder pour objectiver le cas eacutecheacuteant un tel constat De fait nous ne disposons ni de vocabulaire stabiliseacute ni de protocoles dobservation La difficulteacute de ce genre de travaux est illustreacutee par lrsquoinventaire du loisir astronomique produit par Piednoel et al pour lrsquoAfa httpwwwafanetfrafapdfInventaire_n2_2004pdf
28
des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
Glossaire des sigles employeacutes
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des clubs ateliers ou reacuteseaux associatifs actions et prises de paroles militantes
eacutepisodes autodidactes via des expos ou drsquoautres meacutedias) nrsquoont-elles pu servir de
levier pour reacuteduire cette repreacutesentation de laquo deacutesaffection raquo Comment interpreacuteter le
fait qursquoune grande varieacuteteacute drsquoindividus ou des petits groupes puissent localement
manifester de tels inteacuterecircts tandis que les politiques nationales nrsquoarrivent pas agrave faire
plus que de deacuteplorer un deacutesinteacuterecirct global
En fait crsquoest plus agrave lrsquoeacutechelle socio-eacuteconomique que doit se rechercher lrsquoexplication
Comme il a eacuteteacute rappeleacute plus haut en France le systegraveme drsquoenseignement initial est
conccedilu et reacutegleacute pour ne retenir en baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute qursquoun quart de
chaque classe drsquoacircge (figure 1) et il instaure de fait une cateacutegorisation entre ceux qui
sont scolairement scientifiques et les autres qui ne le sont pas
Figure 1 reacutepartition des trajectoires scolaire drsquoune classe drsquoacircge en France (2010 graphique OLV donneacutees MEN)
Parmi les frac34 qui nrsquoobtiendront pas de baccalaureacuteat scientifique ou assimileacute la grande
majoriteacute le vivra comme un jugement drsquoinaptitude marqueacute par des notes
insuffisantes dans les domaines scientifiques Une fois devenu adultes il y a fort agrave
parier que ce jugement drsquoinaptitude ne sera pas sans conseacutequence sur leur rapport
aux savoirs scientifiques A lrsquoobstacle cognitif analyseacute par Bachelard (1938)
srsquoajoutera sans doute une forme drsquoobstacle motivationnel que nous qualifierons de
laquo conatif raquo agrave mecircme de produire ensuite comme une reacutesignation apprise voire une
auto-propheacutetie de ne plus ecirctre capable de srsquointeacuteresser aux sciences (Las Vergnas
2011b)
29
Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
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Dans ce contexte marqueacute par la cateacutegorisation scolaire comment deacutecrire les
fonctions sociales des dispositifs de CST pour tous Sur la figure 2 on distingue49
quatre types de rocircles diffeacuterents selon les acircges et les positions au regard de la
cateacutegorisation scolaire des publics viseacutes Les dispositifs de type 1 visent agrave eacutelargir les
situations de deacutecouverte scientifique pour tous les jeunes avant lrsquoacircge de la
cateacutegorisation scolaire Crsquoest le cas par exemple de lrsquoexploradome de la Citeacute des
enfants agrave La Villette ou du dispositif laquo petite ourse raquo de lrsquoAssociation franccedilaise
drsquoastronomie Le type 2 vise agrave encourager les vocations technoscientifiques comme
les laquo olympiades de physique raquo Les types 3 et 4 correspondent agrave des dispositifs qui
srsquoadressent agrave des non scientifiques (apregraves lrsquoacircge de la cateacutegorisation scolaire) Ceux
de type 3 se fondent sur la diffeacuterence entre scientifiques et non scientifiques pour
proposer une vulgarisation des savoirs savants ou organiser un dialogue entre ces
savoirs et les opinions profanes on y retrouve les modegraveles I et II de Michel Callon
(cf supra le laquo modegravele de lrsquoinstruction publique raquo et celui du laquo dialogue des savoirs raquo
Enfin a contrario le type 4 correspond agrave des situations ougrave des non scientifiques
transgressent la limite de leur statut de profanes et sont impliqueacutes dans un processus
de production de savoirs et non pas seulement de reacuteception comme crsquoest le cas
dans les situations de laquo science participative raquo sous-tendues par le laquo modegravele de la
coproduction raquo de Callon
Figure 2 reacutepartition des fonctions de la CST pour tous (graphique OLV)
49
Il srsquoagit bien sucircr plus drsquoideal-types que drsquoune typologie fondeacutee sur une partition rigoureusement disjonctive des cas observeacutes
30
La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
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La CST et le renforcement de la cateacutegorisation scolaire
Peu de dispositifs de CST institutionnaliseacutee sont de type 4 et de fait la plupart de ceux
promus par les discours officiels ne visent pas agrave contrecarrer la cateacutegorisation scolaire
mais plus agrave permettre drsquoen geacuterer les agrave-cocircteacutes socio-culturels50 donner tout de mecircme un
socle initial agrave tous malgreacute la peacutenurie de formation scientifique des enseignants du
primaire (type 1) seacutelectionner le bon nombre de jeunes ayant la vocation (type 2) puis
organiser le dialogue et la vulgarisation minimum neacutecessaire agrave la productiviteacute agrave la
consommation et au confort individuel et social des adultes dans une socieacuteteacute de boites
noires (type 3)
En revanche si lrsquoon observe non plus les dispositifs institueacutes de la CST mais les
pratiques individuelles ou de groupes on peut alors tenter de faire la diffeacuterence entre la
laquo CST prescrite raquo et la laquo CST veacutecue raquo par les adultes non scientifiques et chercher agrave
identifier des pratiques qui seraient assimilables au type 4 En effet force est de
constater que la volonteacute de laquo mise en culture des sciences raquo a surtout eacuteteacute institueacutee
comme une injection drsquoinstruction publique (au sens du modegravele I de Callon) et non
comme lrsquoencouragement agrave la valorisation des dimensions scientifiques et techniques
de la culture veacutecue par chaque non scientifique En tant que telle la CST officielle
serait drsquoailleurs plutocirct contre-productive pour les adultes en termes de reacuteduction du
clivage scientifiquesnon scientifiques elle renforce la rupture eacutepisteacutemologique entre
savoirs scientifiques et savoirs issus de la vie quotidienne au lieu de mettre en valeur
les opportuniteacutes drsquoacculturation scientifique que leur fournissent de nombreuses
pratiques techniques (jardinage bricolage musique sports cuisine forme et santeacute)
cette conception cliveacutee de la CST introduit une nouvelle forme drsquoobstacle
eacutepisteacutemologique qualifiable de laquo scolastique raquo (Las Vergnas 2011b) en srsquointeacuteressant
en prioriteacute agrave la big science celle sur laquelle il serait plus important socialement
drsquoalphabeacutetiser les adultes Et par ce caractegravere laquo scolastique raquo elle risque drsquoavoir plus
drsquoeffets de renforcement de la cateacutegorisation post scolaire entre scientifique et non
scientifiques en en amplifiant lrsquoeacutetancheacuteiteacute
Ainsi aujourdrsquohui un analyseur de ce champ de la CST pour les adultes est lrsquoeacutetat de la
coexistence des deux types 3 et 4 Si le type 3 organise le dialogue entre scientifiques
et profanes sans remettre en cause ce clivage de cateacutegories le type 4 favorise a
contrario lrsquoappropriation de savoirs scientifiques et de meacutethodes en srsquoautorisant agrave
transgresser la cateacutegorisation scolaire et le steacutereacuteotype qui en deacutecoule poussant agrave
opposer scientifiquenon scientifique Alors que la CST de type 3 peu preacuteoccupeacutee des
obstacles conatifs et scolastiques se situe surtout dans la ligneacutee de la diffusion de
biens culturels de vulgarisation ou lrsquoorganisation de deacutebats drsquoopinion le type 4 est lui
porteacute par des groupes marqueacutes par une vision inspireacutee des courants historiques de
lrsquoeacuteducation populaire Ceux-ci militent pour des laquo savoirs choisis raquo et des apprenances
(Carreacute 2005) agrave viseacutee drsquoeacutemancipation ou drsquoempowerment par exemple pour geacuterer au
mieux une maladie chronique en srsquoappuyant sur les savoirs expeacuterientiels participer agrave
50
On peut faire lrsquohypothegravese qursquoen parallegravele les discours sur laquo la formation tout a long de la vie raquo (version formation professionnelle continue) servent eux agrave en geacuterer les conseacutequences en termes socio-eacuteconomiques et de productiviteacute au travail
31
certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
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certaines investigations militantes ou srsquoaccomplir au travers de loisirs
technoscientifiques expeacuterimentaux comme ceux conduits dans les clubs scientifiques
qui offrent des situations de meacutetacognition non scolaire
Voilagrave donc pourquoi les discours sur la CST pour tous ne font que se reacutepeacuteter
paradoxalement la CST institueacutee ne vise pas agrave changer le rapport au savoir
scientifique mais agrave rendre socialement acceptable le rapport construit par la laquo big
science raquo et le systegraveme eacuteducatif formel Crsquoest en cela que les analyses de cette CST
prescrite rejoint celles faites sur la vulgarisation (Jurdant Jacoby Schiele Le Marrec)
et son rocircle de symptocircme une vulgarisation dont Bensaude-Vincent (2010) dit qursquoil faut
la voir laquo sous un autre jour en reacutealiteacute elle creuse elle-mecircme le fosseacute qursquoelle
preacutesuppose en isolant les scientifiques du reste du monde elle contribue agrave sacraliser
la science agrave entretenir la foi dans le progregraves et agrave soumettre le public agrave lrsquoautoriteacute des
experts raquo
Pourrait-il en ecirctre autrement Pourrait-on faire eacutevoluer le rapport de la socieacuteteacute dans
son ensemble aux sciences Pour y arriver sachant que le ratio de 25 de
scientifiques scolaires nrsquoest pas ajustable le seul moyen serait de changer le rapport
des 75 restants aux savoirs scientifiques Or la solution ne peut ecirctre que de
deacutevelopper massivement les situations de transgression du clivage de type 4 une telle
deacutemultiplication est-elle envisageable Reacutepondre agrave une telle question neacutecessite
drsquoabord drsquoidentifier plus preacuteciseacutement ce que seraient ces pratiques Dans un travail
reacutecent (Las Vergnas 2011b) nous avons identifieacute trois familles de pratiques dans
lesquelles on constate des appropriations volontaires de savoirs dans une logique
drsquoempowerment srsquoappuyant sur des savoirs ou meacutethodes scientifiques non cantonneacutes
aux disciplines scolaires Il srsquoagit de la gestion drsquoune maladie chronique dans une
logique drsquoauto-clinique (Jouet et Las Vergnas 2011) les investigations militantes (par
exemple celles qui rejoignent les laquo sciences participatives raquo) et les pratiques de loisirs
scientifiques expeacuterimentaux constituent ainsi des cadres drsquoappropriation autodirigeacutee de
savoirs savants (Las Vergnas 2011a) Elles consistent non pas seulement en la
reacuteception de savoirs vulgariseacutes ou enseigneacutes mais aussi en autoproduction de
nouveaux savoirs savants la plupart du temps en srsquoappuyant sur une dimension
collective donc qualifiables de laquo transgressions raquo Dans chacun drsquoentre eux des
profanes peuvent en effet ecirctre conduits agrave deacutepasser leur sentiment drsquoinefficaciteacute vis-agrave-
vis de la production de savoirs scientifiques et agrave srsquoatteler -individuellement ou en
groupe- agrave un travail leacutegitime de co-construction autodirigeacutee de savoirs scientifiques du
registre de lrsquoImpure science drsquoEpstein
Conclusion Tendances actuelles drsquoeacutevolution des institutions de CST
Inspireacutes par C Snow (1959) et sa deacutenonciation du risque drsquoun clivage entre laquo deux
cultures raquo lrsquoune scientifique et lrsquoautre non les fondateurs des courants qui ont donneacute
naissance aux programmes de CST avaient penseacute que la solution pour eacuteviter que cette
cateacutegorisation deacutegeacutenegravere en un clivage social eacutetait de combler le deacuteficit de
32
connaissance des habitants ou de laquo remettre la science en culture raquo (Levy Leblond
1986)
Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
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Quarante ans plus tard de nombreux auteurs ont donc identifieacute le risque paradoxal
que a contrario de cette volonteacute la CST renforce les effets de la cateacutegorisation
scolaire au lieu drsquoen reacuteduire lrsquoeffet Ce qui les conduit agrave cette crainte crsquoest le fait que
beaucoup drsquoacteurs (institutionnels ou non) de la CST se positionnent plus sur
lrsquoorganisation du dialogue entre ces deux cateacutegories (les scientifiques et les non
scientifiques) que sur la question du partage des savoirs Schiele (2005 p49) rappelle
mecircme agrave ce propos ce qursquoeacutecrivait deacutejagrave (en 1974) Roqueplo laquo les meacutedias reproduisent
systeacutematiquement lrsquoeacutecart qursquoils deacutenoncent au lieu drsquoeffectuer le rapprochement auquel
ils preacutetendent ils lui substituent un effet de vitrine raquo Bensaude (2010) dit la mecircme
chose de la vulgarisation et Felt (2010) de la peacuteriode laquo science et socieacuteteacute raquo de la CST
De fait les politiques actuelles de CST gegraverent les conseacutequences reacutesultant du clivage
de la cateacutegorisation scolaire En visant agrave reacuteduire une preacutesumeacutee laquo deacutesaffection des
eacutetudes scientifiques raquo elles veulent srsquoassurer que la socieacuteteacute forme bien suffisamment
de technoscientifiques et en deacuteveloppant le laquo dialogue sciences et socieacuteteacute raquo elles
veulent limiter les conflits entre les opinions non scientifiques et la production des
innovations technoscientifiques Ainsi la prioriteacute des politiques actuelles de CST nrsquoest
pas une laquo socieacuteteacute de la connaissance raquo qui serait fondeacutee sur lrsquoappropriation de savoirs
scientifiques elle est a contrario la consolidation drsquoune socieacuteteacute cliveacutee par une forme de
steacutereacuteotype drsquoun nouveau genre le laquo genre scientifique raquo avec un cocircteacute des savoirs
scientifiques et de lrsquoautre des profanes
Mais alors faut-il souhaiter lrsquoeacuteclatement de cette CST ambigueuml et de son consensus
mou La CST va-t-elle se fissurer par neacutecessiteacute de sortir du cercle vicieux de la
reacutepeacutetition et de la chronicisation du symptocircme Va-t-elle eacuteclater en donnant naissance
agrave des programmes plus lisibles et eacutevaluables comme ceux de lrsquoImpure science et de la
deacutemocratie technologique Le web 20 les reacuteseaux sociaux et surtout les sciences
participatives pourraient-ils bouleverser la donne
(corps principal du texte 81 000 caractegraveres espaces compris
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