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PIERRETTE FLEUTIAUX La saison de mon contentement ROMAN Extrait de la publication

La saison de mon contentement… · nu le temps des murs, dans le meilleur des cas con fiés à de grands artistes. Puis le temps des surfaces et des sup-ports. Nous sommes au temps

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PIERRETTE FLEUTIAUX

La saisonde mon

contentementROMAN

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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS

Déclenché par l’apparition d’une femme au

second tour des élections présidentielles, un texte

lucide et généreux à la fois, qui dit ce qu’est et

peut être le féminin, ce à quoi on voudrait le

réduire et à quoi parfois il se réduit lui-même.

Qui le dit avec émotion, par séquences, par frag-

ments, par sursauts. Tout un territoire de la

conscience, souvent négligé ou occulté. C’est une

sorte de purgation de sentiments trop longtemps

retenus.

Un livre qui passe avec une alacrité magni-

fique de l’intime à l’unanime, de la solitude à la

multitude, de soi à l’autre, aux autres. Un livre où

l’interrogation remplace l’injonction, un livre sur

notre temps et, comme tel, un livre de réflexion.

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PIERRETTE FLEUTIAUX

Lauréate du prix Femina en 1990 pour son

roman Nous sommes éternels, Pierrette Fleutiaux

est l’auteur d’une œuvre de fiction de tout premier

plan.

DU MÊME AUTEUR

L’OS D’AUROCHS, nouvelles, éditions du Chemin de Fer, 2007.

LES ÉTOILES A L’ENVERS. NEW YORK PHOTO-ROMAN (avec JS Cartier), Actes Sud, 2006.

LES AMANTS IMPARFAITS, roman, Actes Sud /Leméac, 2005 ; Babel, 2007.

DES PHRASES COURTES, MA CHÉRIE, roman,Actes Sud / Leméac, 2001, prix des Bibliothé-

caires ; Babel, 2003 ; J’ai Lu, 2004.L’EXPÉDITION, roman, Gallimard, 1999 ;

Folio n° 3405.ALLONS-NOUS ÊTRE HEUREUX ?, roman,

Gallimard, 1994 ; Folio n° 2890.SAUVÉE !, nouvelles, Gallimard, 1993 ;

Folio n° 2719.NOUS SOMMES ÉTERNELS, roman, Gallimard,

1990, prix Femina ; Folio n° 2413.MÉTAMORPHOSES DE LA REINE, nouvelles, Gallimard, 1985, Goncourt de la nouvelle ;

Folio n° 2183.LA FORTERESSE, nouvelles, Julliard, 1979.

HISTOIRE DU TABLEAU, roman, Julliard, 1977 ;Gallimard, Folio n° 2447.

HISTOIRE DU GOUFFRE ET DE LA LUNETTE,nouvelles, Julliard, 1976 ; Actes Sud,

Babel, 2003.HISTOIRE DE LA CHAUVE-SOURIS, roman,

Julliard, 1975 ; Gallimard, Folio n° 2445.

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Pour la jeunesse :TRINI A L’ÎLE DE PÂQUES, Gallimard,

Folio Junior, 1999.LE CHEVAL FLAMME, Calmann-Lévy / Réunion

des musées nationaux, 1998.LA MAISON DES VOYAGES (avec Alain Wagneur), Gallimard Jeunesse, 1998 ;

film La 5e et le CRDP.TRINI FAIT DES VAGUES, Gallimard,

Folio Junior, 1997.MON FRÈRE AU DEGRÉ X, L’Ecole des

loisirs, 1995.

© ACTES SUD, 2008ISBN 978-2-330-00367-8978-2-330-00367-8

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PIERRETTE FLEUTIAUX

LA SAISON DE MON

CONTENTEMENT

unendroit où aller

ACTES SUD

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THE WINTER OF OUR DISCONTENT

L E PREMIER VERS qui ouvre la piècede Sha kespeare Richard III con tientles mots suivants : the winter of our

discontent, généralement traduits par “l’hi -ver de notre déplaisir”.

Seuls de tout ce long drame histo -ri que, ces mots s’étaient logés autrefoisen quelque recoin de mon esprit et là ilsétaient restés, sages et silencieux. Ils mesont revenus lors de la campa gne prési -dentielle. Pendant plusieurs décennies,“l’hiver de notre déplaisir”, à demi ou -blié, avait attendu son heure.

Or vers le mois de mars de l’année 2007,profitant des mouvements tectoni ques quise produisent sans cesse dans la mémoire,les mots ont surgi dans ma tête, commeneufs et lustrés de frais, prêts à servir, “nous

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sommes là, maîtresse, or donnez, nousferons”. Je les ai reconnus immédiate-ment, non pas seulement com me les versd’une pièce du XVIe siècle, mais commedes mots envoyés par le grand ordonna-teur secourable qui se manifeste parfoisdans nos vies. Il m’avait dépêché ces motspour m’aider.

Le plus étrange, c’est qu’ils resurgis-saient en leur contraire. Ils étaient là, l’hi-ver et son déplaisir, mais tout souriants,vivaces, vêtus de printemps et pétillantsde plaisir. Ils chantaient en moi une mé -lodie nouvelle, qui avait pour nom “la sai -son de mon contentement”.

Vous vous demandez bien de quoi jeparle. Moi aussi, je me le suis demandé.De quoi s’agissait-il ?

Nous étions en pleine campagne pré-sidentielle. Pour la première fois dansno tre pays, une femme se trouvait en po -sition de devenir chef de l’Etat.

Pour la première fois dans mon his-toire personnelle, je me suis sentie inti-mement et joyeusement concernée pardes élections.

C’est ce rapport entre les deux événe-ments que j’ai besoin d’explorer ici.

Je ne sais s’il y avait eu, avant, unhiver de mon déplaisir, en revanche unechose était claire : la saison de mon con -tentement était là.

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Pendant ces quelques mois, notre paysest devenu un grand théâtre politique.Mais pour moi il se passait quelque cho sede nouveau, d’étrange, et d’assez dé con -certant. La politique se faufilait jus que dansmon corps, remuant souvenirs, émo tions,lectures, sensations fortes ou infimes,choses oubliées mais pas vraiment ou -bliées, images incongrues mais peut-êtrepas si incongrues. Une activité intenseétait à l’œuvre dans la maison de monêtre. Je métabolisais la politique.

Ce que je vais raconter, c’est cette mé -tabolisation de la politique durant la gran desaison de mon contentement.

AFFICHES

Je sais peu de choses de la candidate. Jen’ai pas cherché à connaître sa vie. Par-courant un jour les sites Internet de lacampagne, je suis tombée sur sa biogra-phie. Je l’ai survolée à toute vitesse,comme gênée de faire intrusion là où jen’aurais pas dû.

Pendant les mois de la primaire socia-liste, son visage s’est trouvé sur la couver -ture de quantité de magazines, je n’ai passongé à en acheter un seul. Pourtant,mes parcours dans la ville en étaient toutéclairés. J’éprouvais du contentement à

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voir ce visage sur les étalages des kios -ques, aux vitrines des librairies, sur lesaffiches, et jusque dans les escaliers dumétro, sur les feuilles abandonnées desjournaux gratuits. Je m’écartais légère-ment pour ne pas le fouler aux pieds, etpoursuivais, avec un petit sourire par-de vers moi.

Jalons partout dans la ville. Ce visageme souriait, oh pas vraiment à moi biensûr, je n’allais pas jusque-là, mais souriaitpour moi, voilà ce que je sentais, ce queje devais sentir, car sans aucun doute jemarchais avec plus d’entrain. Et moi aussije souriais, discrètement, rien que pourmoi. Pendant ces quelques semai nes,mon visage était doublé à l’intérieur d’unsourire mystérieux, je portais la Jo condeen moi et personne ne le voyait.

Avez-vous jamais pensé à tous ces vi -sages qui nous accompagnent dans nosparcours à travers la ville ? Ces visages,nous les subissons. Pour la plupart, ilsne m’évoquent rien. Animateurs ou pro-ducteurs de télévision, acteurs de sériesaméricaines, chanteurs d’un mois, per-sonnalités aux activités et à la renomméepeu claires, gagnants de grands jeuxdont j’ignore à peu près tout. Qui sonttous ces gens, pourquoi couvrent-ils nosmurs, que nous disent-ils ? Quelle actiond’éclat, de courage, de bonté, quelle

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avan cée de la pensée, quelle grandeidée pour l’humanité leur ont valu d’êtreainsi portés aux regards de tous ? Quellehistoire de notre culture proposent-ils,quelle éthique, quel idéal, quel sens ?

Longtemps les églises et cathédralesont eu le privilège d’exposer des fi -gures, de raconter une histoire, parceque ces figures et cette histoire appar-tenaient au religieux et étaient seulesjugées dignes d’être exposées et racon-tées. Les gran des demeures privées ontpris la relève avec des représentationsqui ne relevaient plus du sacré. Plustard les galeries et musées. Puis est ve -nu le temps des murs, dans le meilleurdes cas con fiés à de grands artistes.Puis le temps des surfaces et des sup-ports.

Nous sommes au temps des surfaceset des supports. Les visages s’y succè-dent en accéléré, pour la plupart ce sontdes célébrités d’un jour, des inconnusjaillis à la surface par quelque bref re -mous du grand marigot où nous patau-geons tous, et plus ou moins vite aspirésde nouveau vers les profondeurs. Va -riantes de hasard du visage humain, as -semblages de traits et de couleurs quin’ont aucune nécessité interne, ne for-ment rien dont on éprouverait soudain ensoi la correspondance. Correspondance

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avec quoi… on ne sait, mais qui nousferait sentir agrandis, élevés.

Mon regard glisse sur ces visages-là,sur les affiches qui les portent. Elles fati-guent la vue, elles rompent le fil intérieurd’une pensée, d’une rêverie, elles veu-lent s’imposer à toute force, nuisancesvisuelles, on finit par ne plus les distin-guer les unes des autres. En fin de compte,elles ne font plus qu’une sorte de fondcolorié qui “anime”, qui “égaie” le pay-sage urbain, et ce ne serait en soi pas simal, s’il n’arrivait parfois qu’on n’ait pasdu tout envie d’être animé ni égayé. Cesvisages font leur retape de leur côté, nousmarchons du nôtre, ils sont si nombreux,ils ne valent pas le dé tour, passons.

Dans ce grouillement d’images, toutse mêle et s’annule pour se fondre dansl’indifférenciation, et donc l’indifférence.

Or rien de tout cela avec le visage dela candidate.

JUSTIFIÉE

Quasiment pour la première fois, une deces innombrables images dans notrepaysage semble entrer directement enmoi, ou bien émaner directement de moi,et coïncider avec une figure intérieurejusque-là gommée.

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Ou plutôt elle semble rassembler desmilliers de traces qui ne pointaient quedes impasses, des pans de la consciencelaissés à l’abandon. Elle rassemble toutcela en une figure intelligible, visible,por tée à l’attention de tous. Ce visage,c’est celui de la candidate. Ce visage, c’estmoi.

Ainsi, pendant quelques semaines, jevaque dans la ville, dans les rues, dansles couloirs du métro, dans un accordnouveau entre ma personne et le monde.Les dissensions sont toujours là, alimen-tant l’éternel discours intérieur qui m’estune seconde nature, mais elles ne sontplus de mise, adieu démangeaisons eturticaires diverses. Le visage de la candi-date a balayé tout cela. Grâce à elle, j’existeaussi dans le monde. Je suis justifiée.

D’une façon stupéfiante et si massiveque je ne cherche d’abord pas à me l’ex-pliquer, je suis justifiée.

Je crois n’avoir jamais connu cet état.J’en éprouve d’abord les effets, un bien-être, une façon d’être plus directe, plusouverte. Quelque chose s’est normalisépour moi dans le monde. Une divisioninterne très ancienne, devenue presqueimperceptible, s’est atténuée, presque ef -facée.

Je suis comme quelqu’un qui a long-temps traîné une douleur chronique,

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une gêne si ancrée qu’elle fait partie del’or dre des choses. Cette douleur sourde,devenue la normalité, a façonné toutesvos sensations, toutes vos perceptions,votre être pour tout dire. Sa dispari-tion abrupte est étourdissante. Il faut seré a dap ter. Le soulagement n’est pas locali -sa ble. Une étincelle se propage. De pro - che en proche, le soulagement ga gnetout un réseau enchevêtré et bien en foui.Et voilà, il me faut bien le re connaître,je suis contente, je suis joyeuse, ça alors !

J’ai apprécié d’autres personnalités po -litiques, mais il se passe bien autre choseavec la candidate.

De quoi s’agit-il ? De réparation d’uneinjustice ? Certainement. L’injustice à l’égarddes femmes est si ancienne, aussi loinqu’on remonte dans le temps, quel quecivilisation qu’on interroge, elle est là. Ellea parfois été atroce, parfois plus suppor-table, et parfois si bien masquée qu’onaurait presque honte d’en faire mention.

Il y a peu de départements d’histoiredes femmes et du féminisme dans nosuniversités. En musique, en littérature,en philosophie, en mathématiques, lesœuvres des femmes ont été empêchéesd’advenir et, lorsqu’elles sont malgrétout advenues, elles ont été largementoccultées. Le sort fait aux femmes etleurs luttes ne sont pas enseignés à l’école

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de la République. Nos grandes spécia-listes de la question sont peu connuesdu grand public. Aujourd’hui, le nomde Michel Foucault évoque quelquechose à des gens même moyennementavertis, évo que au moins la situationdes prisons, celui de Pierre Bourdieu lasituation des pauvres, celui de Bernard-Henri Lévy les victimes des guerres duKosovo ou du Darfour, Glucksman laTchétchénie, Salman Rushdie la censureislamiste, notre subtil footballeur LilianThu ram la discrimination envers les Noirs.Mais connaît-on à l’égal de ces nomsMichelle Perrot, Françoise Héritier, Antoi -nette Fou que, Séverine Auffret, FrançoiseCollin, Geneviève Fraisse, Fran çoise Thé-baud, Françoise Gaspard, Arlette Farge,Michèle Riot-Sarcey, et même Julia Kris-teva, Luce Irigaray, et bien d’autres ?

La campagne présidentielle voyaitpour la première fois une femme en po -sition de devenir chef de l’Etat. J’ai penséque ce serait sûrement l’occasion d’ungrand remue-ménage intellectuel dansnos médias, qu’il y aurait des dé bats à latélévision avec des spécialistes des fémi-nismes, des mises au point historiquesdans les journaux, des articles de fond,des documentaires, tout un travail péda-gogique comme il arrive qu’il y en aitaux grands moments de notre histoire

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(comme, par exemple, au moment du ré -férendum sur le projet de Constitutioneuropéenne). Il y en a eu, mais très peu,et rien de sérieux dans les émissions etmagazines où se fait l’opinion du plusgrand nombre.

On a discuté de tout, mais on a con -si déré comme un à-côté ce fait radicale-ment nouveau pourtant : l’arrivée pos sibled’une femme à la tête de notre pays. Si lesujet est venu sur le tapis, il y est venudans la mesure où il pouvait créer unepolémique sexy et distrayante, de lacouleur dans la grisaille de l’habit poli-tique. Et, de toute façon, le postulat quis’imposait était que ce sujet-là était ano-din, futile au pire, et devait demeurersecondaire. Il y avait plus important àtraiter.

Il y a toujours plus sérieux, plus im -portant à traiter que le sujet des femmes.

TERRITOIRES DU NOIR

Après un mois de mai qui ressemblait àun mois de juin*, voici une chute brus -que des températures, ciel colonisé denuages menaçants, rafales de vent, bran -ches cassées sur les trottoirs, la pluie.

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* Mai 2007.

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Etrange comme alors il me sembleêtre revenue au lieu qui m’est destiné,celui auquel j’appartiens, hanté d’unetristesse indéfinissable, tissée à ma viedès ses premiers jours, peut-être mêmeavant, si fa milière. Les belles journées en -soleillées me semblent toujours prêtées,pas vraiment faites pour moi. J’attendssourdement le moment où elles me se -ront retirées, où je me retrouverai dansle lieu de pluie et de vent, sous un cielcrépusculaire, le cœur mystérieusementétreint.

Les humains qui se pressent aux ter-rasses des cafés, bras nus, jambes nues,qui se déploient dans les rues, oiseauxjacasseurs et colorés, et qui rient au so -leil comme si la lumière éclatante etla douce chaleur leur étaient des ca -deaux de naissance, des cadeaux natu-rels auxquels ils ont droit, ces humainsm’apparaissent un peu comme des extra -terrestres.

Oh, je fais comme eux, contenteaussi, profitant de la belle journée, maisil me semble que je suis en effraction, etquand le ciel s’assombrit, que les nuageset le vent reprennent leur obscure domi-nation, un grand calme m’enveloppe. Si -lence intérieur, une présence muettecircule, elle est là, je ne sais ce qu’elleveut, je le sais pourtant, j’attends.

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Et les gens qui marchent vite, visagesrefermés, corps repliés sous les vête-ments, oui, ils me semblent parfois plusfraternels dans leur déroute solitaire, cour -bés contre le vent mouillé, affairés com meà l’ordinaire, mais éprouvant peut-être le frô-lement furtif de la présence muette.

Pendant la campagne de la candidate,je n’ai pas rencontré les territoires dunoir. Je les appelle ainsi, mais ils ne sontpas si sombres, ils ont leur douceur, et jesuis habituée à eux. Cependant, durantla campagne, je n’ai guère pensé à eux.Quand ils sont absents, on ne les oubliepas, mais on les laisse dans leur ab sence.Les jours qui ont suivi le vote final et ladéfaite de la candidate, j’ai été moinstriste que beaucoup d’autres. C’est quej’avais retrouvé des territoires familiers,quelque chose était passé comme unecomète et s’était éteint. Mais j’avais con nuune saison radieuse, pour une fois ellene m’avait pas semblé étrangère, je nem’y étais pas sentie en effraction. Le so -leil qui brillait alors presque sans dis-continuer brillait aussi en moi, et j’enavais profité intensément.

Cette saison, je ne l’ai pas rêvée, elle abel et bien existé, je l’ai partagée avecbeaucoup de gens qui ont éprouvé lemême sentiment que moi, elle est en moiet ne se laissera pas effacer.

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