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PIERRE et JEAN – Guy de MAUPASSANT Extrait 1 sur 7 AXE DE LECTURE : Incipit (de roman) ou exposition (de théâtre) ? La mise en scène de ce début de roman correspond dans l'ensemble à celle d'une exposition théâtrale. 1. La situation spatio-temporelle : quelques didascalies... a. l'heure : lumière, calme, loisir tranquille. (1 : "un quart d'heure" 7 : "depuis midi" 35 : "l'après-midi") b. le lieu : (2 : "sur l'eau", 4 : "à l'arrière du bateau", 9 : "l'un à bâbord, l'autre à tribord", 16 : " le large horizon de falaises et de mer") fermé et ouvert à la fois, mobile. On retrouve cet élément liquide en ouverture et en clôture du roman. Un décor simple (le bateau), capable de regrouper tout le monde dans un espace très limité. 2. L'activité pratiquée :(9 : "une ligne enroulée à l'index", 34 : "enroulé son fil au tolet d'un aviron") l'action en arrière-plan, une passion pour M. Roland. Champ lexical de la pêche assorti de remarques spécialisées (qui montrent les connaissances et les habitudes de l'auteur, sans doute). 3. Les personnages : Présentation générale de la famille, membre après membre, dans cet incipit. a. le père Roland : désignation importante (1,21 : "le père Roland", 6 : "Jérôme", 6,36 : "le bonhomme", 11 : "papa", 12 : M. Roland, 17 : "son mari", 25 : "le vieux pêcheur", 29 : "le père") et plutôt péjorative ; caractérisation négative. Pourtant, ici, c'est le centre d'intérêt et chacun s'accorde à lui faire plaisir. Il ne conservera pas ce rôle central longtemps... b. les deux frères : ensemble, mais différents : des points communs dans l'attitude vis-à-vis du père des différences dans la situation spatiale (9 : "bâbord", "tribord") , dans l'aspect physique (27 : "favoris noirs(...) moustaches et menton rasés" / 30 : "grand garçon blond, très barbu, beaucoup pls jeune") et dans le comportement en famille : Pierre a l'air sérieux (27 : "docteur", 28 : "comme un magistrat") , grave même. Jean, plus ouvert, semble s'amuser (11 : "Tu n'es pas galant... papa"), sympathique avec tout le monde. une certaine complicité (10 : "se mirent à rire en même temps") dans le mensonge fait au père (32 : "Ils faisaient à chaque fois le même mensonge") mais une probable rivalité pointe déjà (dans le nombre de poissons pêchés, 29 : "3 ou 4" devient 32 : "4 ou 5"...) c. Les deux femmes : juste évoquées, plutôt absentes, elles n'ont qu'un rôle secondaire dans cet univers masculin. On n'a encore aucune idée de leur aspect physique. Mme Roland dort à l'écart du groupe (3 : "assoupie à l'arrière du bateau"), se réveille lentement (15 : "s'était tout à fait réveillée") , regarde ailleurs (15,16 : "regardait d'un air attendri le vaste horizon", et félicite Bac 2001 – Les (Se)cours de français – www.multimania.com/francaisaubac Lectures méthodiques

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PIERRE et JEAN – Guy de MAUPASSANT

Extrait 1 sur 7 AXE DE LECTURE : Incipit (de roman) ou exposition (de théâtre) ?

La mise en scène de ce début de roman correspond dans l'ensemble à celle d'une exposition théâtrale.

1. La situation spatio-temporelle : quelques didascalies... a. l'heure : lumière, calme, loisir tranquille. (1 : "un quart d'heure" 7 : "depuis midi" 35 : "l'après-

midi") b. le lieu : (2 : "sur l'eau", 4 : "à l'arrière du bateau", 9 : "l'un à bâbord, l'autre à tribord", 16 : " le

large horizon de falaises et de mer") fermé et ouvert à la fois, mobile. On retrouve cet élément liquide en ouverture et en clôture du roman. Un décor simple (le bateau), capable de regrouper tout le monde dans un espace très limité.

2. L'activité pratiquée :(9 : "une ligne enroulée à l'index", 34 : "enroulé son fil au tolet d'un aviron") l'action en arrière-plan, une passion pour M. Roland. Champ lexical de la pêche assorti de remarques spécialisées (qui montrent les connaissances et les habitudes de l'auteur, sans doute).

3. Les personnages : Présentation générale de la famille, membre après membre, dans cet incipit. a. le père Roland : désignation importante (1,21 : "le père Roland", 6 : "Jérôme", 6,36 : "le

bonhomme", 11 : "papa", 12 : M. Roland, 17 : "son mari", 25 : "le vieux pêcheur", 29 : "le père") et plutôt péjorative ; caractérisation négative. Pourtant, ici, c'est le centre d'intérêt et chacun s'accorde à lui faire plaisir. Il ne conservera pas ce rôle central longtemps...

b. les deux frères : ensemble, mais différents : des points communs dans l'attitude vis-à-vis du père des différences dans la situation spatiale (9 : "bâbord", "tribord") , dans l'aspect physique

(27 : "favoris noirs(...) moustaches et menton rasés" / 30 : "grand garçon blond, très barbu, beaucoup pls jeune") et dans le comportement en famille : Pierre a l'air sérieux (27 : "docteur", 28 : "comme un magistrat") , grave même. Jean, plus ouvert, semble s'amuser (11 : "Tu n'es pas galant... papa"), sympathique avec tout le monde.

une certaine complicité (10 : "se mirent à rire en même temps") dans le mensonge fait au père (32 : "Ils faisaient à chaque fois le même mensonge") mais une probable rivalité pointe déjà (dans le nombre de poissons pêchés, 29 : "3 ou 4" devient 32 : "4 ou 5"...)

c. Les deux femmes : juste évoquées, plutôt absentes, elles n'ont qu'un rôle secondaire dans cet univers masculin. On n'a encore aucune idée de leur aspect physique.

Mme Roland dort à l'écart du groupe (3 : "assoupie à l'arrière du bateau"), se réveille lentement (15 : "s'était tout à fait réveillée") , regarde ailleurs (15,16 : "regardait d'un air attendri le vaste horizon", et félicite en vain son mari (ligne 17 entière) qui ne tient pas compte de son avis.

L'invitée, Mme Rosémilly, est nommée deux fois (lignes 4 et 13) mais n'intervient jamais. M. Roland l'insulte presque (7, 8 : "pêcher qu'entre hommes. Les femmes vous font toujours...") en l'accusant d'être gênante ou inutile. Elle est englobée dans le terme 13 : "les dames" dans son excuse généralisante (peu importante, donc). On peut toutefois l'imaginer comme objet de la rivalité entre les frères car c'est un élément rapporté, qui déséquilibre la situation familiale : un couple, leurs deux garçons et une femme... Il y a déjà présent un élément de tension dramatique, et la tragédie peut se nouer...

4. Les dialogues : plutôt nombreux, ils donnent vie à cette scène : le premier mot est un juron, bien frappé, et les répliques, courtes, ponctuées de points d'exclamation, naturelles, montrent l'art de conteur que l'on connaît à Maupassant. Même dans un moment de calme plat, il faut un peu d'animation. On entre ainsi facilement, et avec plaisir, dans le récit. On peut d'ailleurs remarquer que les descriptions et les portraits suivent ces dialogues et ne les précèdent jamais. Le choix stylistique fait ici est celui du naturel.

Conclusion : un début de roman riche, un huis-clos encore détendu dans lequel nous sont présentés tous les protagonistes de l'histoire. Celui qui est mis ici en valeur (le père) a déjà le rôle du père de famille suffisant et ridicule ( 37 : "un air satisfait de propriétaire..." de la mer ?). Une famille bourgeoise, dans son apparente sérénité : le calme avant la tempête ?

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Extrait 2 sur 7AXE DE LECTURE : L'art du dialogue chez Maupassant

I) Les informations apportées par le notaire :

Comme c'est un notaire, tout le monde s'attend à des infos importantes. Impatience et curiosité de la famille une question (rhétorique ?) en préambule : en effet, il en connaît forcément la réponse. Respect des

conventions, de la légalité. L'homme de loi met les formes afin de bien s'assurer qu'il ne s'est pas trompé de famille, ce qui est peu probable. Une seconde question, à laquelle M. Roland répond parfaitement (6 : adresse, 7 : métier, 8 : lien d'amitié) permet de vérifier la relation entre ces "amis de trente ans".

L'information centrale (10), la mort d'un ami, est tragique et annoncée cérémonieusement (9 : "reprit gravement").

Ce n'est pas, en réalité, le plus important ! (14). L'information capitale est placée au bout d'une phrase longue ("légataire universel") et donc retardée de cette façon par l'auteur. Effet de suspens.

L'information suivante, celle qui intéresse particulièrement M. Roland,(la somme léguée, ligne 26) est assortie :

1. d'une justification en gradation : (27 : "qu'il a vu naitre, grandir, et qu'il juge [seul ?] digne de ce legs.") qui n'explique rien mais créera la confusion plus tard. C'est l'événement perturbateur du roman...

2. d'une menace sous-entendue : seul Jean peut hériter. Sinon, (28) "l'héritage irait aux enfants abandonnés.

2) Les réactions de la famille :

L'unité, la simultanéité, (3 : "la même exclamation", 10 : "L'homme et la femme eurent ensemble ce petit mouvement") au début : un couple uni, qui fait face à une situation difficile, la mort d'un ami.

Rupture de cette unité par l'effet secondaire que produit cette annonce : la douleur de Mme Roland (16 : "Mme Roland, la première") contraste avec la cupidité de son époux (20 : "Mais Roland songeait moins à la tristesse..."). En fait, chacun, de son côté, retient quelque chose. Elle cache la douleur d'une maîtresse (16 : "dominant son émotion", 17 : "notre pauvre ami", 19 : "semblent si douloureuses") et lui cache sa curiosité à propos de la somme (22 : "pour arriver à la question intéressante")

Fausse question du mari, (23) parfaitement hypocrite, à laquelle le notaire ne répond d'ailleurs pas. Il donne au contraire, l'information tant attendue, après une réponse au style indirect libre (24).

Sincérité, enfin, des réactions générales à cette annonce : juron (30) de M. Roland suivi d'un commentaire heureux, sourire d'aise du notaire qui commet d'ailleurs une maladresse en parlant de (33) "bonne nouvelle", tristesse du reste de la famille, isolé par l'auteur (36 : "Seuls"). Deux groupes sont ainsi formés : les contents (le notaire, M. Roland) et les tristes (Mme Roland et ses fils).

Les réactions d'émotion sont exprimées grâce à deux types de termes, en ce qui concerne Mme Roland : concrètes (37, 38 : "mouchoir", "bouche","soupirs") et abstraites, poétiques, métaphoriques (19 : "gouttes de chagrin venues de l'âme"). Cette poésie masque ce que l'auteur ne peut pas encore dire...

3) Les interventions de l'auteur :

Ici, c'est la focalisation zéro qui est utilisée la plupart du temps : Maupassant connaît les pensées de chacun des personnages et nous les dévoile. Cependant, il utilise la focalisation externe pour Madame Roland, afin de ne pas dévoiler le coeur du roman. Nous ne devons pas connaître ses vrais sentiments.

En plus du dialogue, l'auteur ajoute ainsi quelques remarques plutôt ironiques sur cette famille. Nombreuses, ces interventions insistent sur l'aptitude de chacun à dissimuler ses sentiments, à faire semblant, à paraître (11 : "feint ou vrai, mais toujours prompt", "larmes... (19) semblent si douloureuses, étant si claires"). Ce dernier mot est particulièrement ambigu : Mme Roland a tout à cacher !

On peut aussi noter la cruauté de la remarque concernant le notaire, aux lignes 33 à 35. Celui-ci n'est pas sot, et il se doute que la somme annoncée compensera bien, dans cette famille bourgeoise, la douleur de la mort d'un lointain ami.

Conclusion :

Comédie de l'amitié, de la tristesse, manifestées dans cet extrait. Ce qui compte dans ce milieu petit-bourgeois, c'est l'argent, seul. Et celui qui arrive là de façon abrupte va bientôt être la cause de tensions et de discorde. L'événement heureux est en réalité l'événement perturbateur du roman.Mme Roland, de son côté, est déchirée entre ses sentiments profonds (elle vient de perdre son seul amour !) et la contenance à adopter face à la mort d'un simple ami. Mais elle joue parfaitement la comédie, et sait se dominer, rester digne. Ses talents de dissimulatrice lui seront encore utiles. Tout au long du texte, l'auteur ironise sur cette hypocrisie générale de la famille Roland, celle des parents essentiellement. Cet extrait accorde encore aux "enfants" un rôle mineur, ce qui va bientôt évoluer.

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Extrait 3 sur 7AXE DE LECTURE : Les caractères et les comportements.

Plan : I - Caractère et comportement du père - II - Caractère et comportement du fils - III - L'alcool

I - Caractère et comportement du père :

a. Presque enfantin : "très excité" (2), il s'amuse, plaisante b. hypocondriaque : (7,8 : "depuis longtemps il se plaignait de sa santé... inexplicables"), une allusion au

risque lui fait tout de suite peur (7, 14 :"ivresse dissipée", "yeux inquiets") c. méfiant : (15 : "cherchant à comprendre... pas") il est associé à cet animal rusé qu'est le renard dans une

métaphore filée (33 : "une méfiance de renard qui trouve une poule morte et flaire un piège".) d. apprécie beaucoup l'alcool, il a du mal à y résister, finalement (cf. suite du texte dans le roman, le verre

suivant...) e. partagé entre (b) et (d), il est faible (35 : "en hésitant") : l'antithèse (40 : "envie"/"crainte") puis

l'accumulation (41 : "plein d'angoisse, de faiblesse et de gourmandise, puis de regrets") le montrent bien.

II - Caractère et comportement du fils :

1. Malheureux, il ne supporte pas le bonheur des autres (3 : "agacé", 21 : "aigreur", 29 et 30 "murmura, en haussant les épaules : qu'il fasse ce qu'il voudra...", 37 : "sa mauvaise humeur")

2. Intelligent et manipulateur, il profite de son statut de médecin il est la référence médicale (8 : "le docteur reprit") il utilise l'ironie avec sa métaphore de la balle de pistolet (9 : "à côté de toi"..."dans le ventre") ou

sa répartie à Beausire (22 : tous les viveurs parlent comme vous... ne reviennent pas le lendemain dire au médecin prudent")

il se présente comme un bon fils prenant soin de ceux qu'il aime (24 : "quand je vois mon père...", 25 : "je serais un mauvais fils")

3. Sensible au regard et à l'opinion des autres, cependant (36 : "eut un remords", "se reprocha"). Belle gradation de cette télépathie (44 : "et il sentit, il pénétra, il devina la pensée nette") et parallélisme de construction (43 : "limpide et bleu, clairvoyant et dur") à propos de l’œil de Mme Rosémilly.

4. Humilié et traité comme un gamin par tous les autres membres de la famille qui voient clair dans son jeu : vocabulaire de l'enfance, du puéril même (19 : "tout ça fait bobo à petite santé", 29 " c'est vilain, ce que tu fais là", 45, 46 : "Tu es jaloux, toi. C'est honteux, cela"). Sa réaction est d'ailleurs celle de l'enfant puni, à la dernière ligne : il baisse la tête...

III - L'alcool (Conclusion) :

C'est certainement la boisson qui provoque chez Pierre cet état d'esprit, cette mauvaise humeur manifeste. Le plaisir de boire s'accompagne d'un relâchement des inhibitions et ce qu'il retient d'habitude, ce qu'il rumine seul, il ose l'exprimer au cours de ce repas où tout le monde est décontracté. Les effets de l'alcool :

Chez Pierre : il veut faire mal, vexer, humilier. Il sait qu'il est de mauvaise foi mais il persiste en utilisant l'ironie avec Beausire, ou en faisant la morale à son père (38 : "pour une fois, tu peux le boire. Mais n'en abuse point et n'en prends pas l'habitude.")

Chez son père, les défenses tombent. Après la plaisanterie, l'homme peu intelligent et bon vivant passe par tous les stades de l'inquiétude et de l'envie de boire quand même. Cette envie l'emporte finalement.

Chez les autres, c'est la consternation maternelle, le regard accusateur de Mme Rosémilly, l'emportement du capitaine Beausire. Chacun tente de remettre Pierre à sa place et de restaurer l'ambiance festive de ce repas.

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Extrait 4 sur 7ÉTUDE LINÉAIRE : les étapes de la prise de conscience

1 - L'adoration : lignes 1 à 8.

Pierre au pieds d'une sainte.Champ lexical de la religion et de la passion mêlés expriment ce sentiment trouble du fils pour la mère. A ce stade, Pierre s'en veut d'avoir de telles pensées (2 : "je suis fou") mais il ne peut s'empêcher de douter : forme interrogative (4,5) et champ lexical du soupçon. Cette partie s'achève sur une posture d'adoration : le fils, à genoux aux pieds de la mère (en imagination seulement, 7 : "comme il l'eût", 8 : comme il se fût", utilisation du conditionnel.)

2 - L'examen des faits : lignes 9 à 21.

Un mariage certainement sans amour. Le père n'est pas très intelligent (10,11 : "dont l'esprit n'avait jamais... boutique", périphrase péjorative ) Elle était, au contraire, jolie (12) et tendre (13) => Deux personnages trop opposés, différents. Il s'agissait donc d'un mariage d'argent (21 : "sans tendresse"). Le foyer est décrit comme un lieu d'intérêts

économiques partagés. (Champ lexical du commerce, lignes 15 à 21: "doté", "magasin", "comptoir", "intérêt commun", "ménages commerçants", "travailler", "fortune espérée", "honnête")

3 - Le passage du général au particulier : lignes 22 à 32.

Sa mère était une parisienne.Pierre utilise la logique, ainsi que l'image qu'il se fait des femmes, et il plaque cette image sur sa mère. La conclusion de cet examen surgit de façon implacable. Il construit le syllogisme suivant :

ligne 22 : toutes les femmes, jeunes, jolies, parisiennes, tombent amoureuses. ligne 25 : sa mère réunissait toutes ces caractéristiques. Donc ? ligne 26 : Pierre remue cette certitude : sa mère est une femme comme les autres.

Aux lignes 28 à 32, il trouve cependant des prétextes, des justifications à son comportement hypothétique :sa jeunesse, sa solitude face à un époux trop différent, son esprit romanesque, le charme de cet inconnu...- Utilisation d'un vocabulaire argumentatif (26 : "certes", "car pourquoi", 33 : "Pourquoi pas ?", 34 : "rejeter l'évidence", 35 et 36 : anaphore de "mais oui"). - Les questions oratoires (ponctuation interrogative des lignes 22 à 35) se multiplient et leur évidente réponse frappe celui qui se les pose.- Une suite de concessions permet d'arriver à la question centrale, ligne 35 : "S'était-elle donnée ?"

4 - La violence de la révélation : lignes 33 à 40.

L'évidence enfin acceptée.Pierre s'en veut d'avoir manqué de lucidité, de clairvoyance (Ironie de sa supposition lignes 4 et 5 : "l'âme, la vie de cette femme [...] n'étaient pas plus claires que l'eau ?")Il en veut à son père borné qui n'a rien vu et rien compris, à son frère profiteur et bâtard qui hérite de tout, à ce mort qui détruit l'univers familial, à sa mère vénérée qui a réussi à tromper tout le monde. Pierre se sent d'ailleurs plus trompé que monsieur Roland lui-même (qui n'est au courant de rien). La folie amoureuse du début du passage devient furie meurtrière, après un intermède durant lequel la logique et la raison avaient semblé l'emporter.La synecdoque de la main meurtrière (39 : "sa main grande ouverte avait envie de...") montre ce dédoublement de la personnalité de Pierre, et la gradation dans le choix des victimes montre bien qui sont les êtres les plus importants pour lui.

Conclusion : Toujours pas de certitude.

La découverte de la duplicité maternelle est pour Pierre un choc : celui du passage du monde de l'enfance à celui des adultes. Il devient un homme en se rendant compte que sa mère est une femme... Une lente initiation, une acceptation qui ne sera d'ailleurs pas totale. Quelques minutes plus tard, dans le roman, Pierre reviendra sur tout ce qu'il vient d'élaborer, et il continuera à hésiter, à douter, à être déchiré entre certitudes et remords. Seul son frère, dans la scène de l'aveu (extrait 6), aura la confirmation de la vérité de la bouche même de sa mère.

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Extrait 5 sur 7AXE DE LECTURE :L'image de la femme dans l'extrait

I - Qui propose cette image ?

Le système d'énonciation utilisé est la focalisation interne. Nous lisons les pensées de Pierre, il est narrateur (à la troisième personne cependant) et il indique au lecteur sa façon personnelle de voir (2 : "noyé dans sa pensée torturante", 7 : "saisi par des pensées nouvelles", 23 : "et il songea").

L'auteur insiste bien sur cet isolement de son personnage dans la foule avec la splendide gradation en anaphore du début (1 : "plus perdu, plus séparé d'eux, plus isolé, plus noyé")

Cette image est peut-être partagée par Maupassant, l'auteur, mais il n'y a aucune indication de sa complicité ici. Il prend bien soin de nous indiquer que c'est son personnage qui pense, dès le début du passage. Le dernier paragraphe nous présente même le débat qui l'agite à l'aide d'un dialogue intérieur. A la ligne 24, le narrateur parle et se répond à lui-même avec une ponctuation interrogative et exclamative montrant sa perturbation mentale : "Sa mère avait fait comme les autres, voilà tout ! Comme les autres ? non !"

II - Quelle est cette image ?

La beauté, l'artifice, la chasse, la vénalité.1. La beauté : le champ lexical de l'apparence agréable, de la couleur est lié à celui de la mode (8 : "toilettes

multicolores", "bouquet", 9 : "étoffes jolies", "grâce", 10 : "chaussure mignonne", 11 : "coquetterie", 14 : "s'étaient faites belles"). C'est le regard masculin et observateur, voire fétichiste, porté sur la beauté féminine.

2. L'artifice : Cette belle femme ne l'est pas naturellement. Elle a travaillé pour cela. Cette beauté est calculée en vue d'un effet, artificielle : une arme de chasse (à l'homme). On trouve clairement exprimée cette intention dans les termes de 9 : grâce factice", 10 :"inventions ingénieuses", 11 : "séduction du geste, de la voix, du sourire", et dans la gradation, ligne 13 : "voulaient plaire, séduire et tenter quelqu'un". Cette gradation passe du positif au négatif en présentant la femme comme un démon à l'apparence agréable.

3. La chasse : Nous sommes au moment de la grande parade amoureuse. La femme est associée à la fleur au printemps, cherchant à attirer le papillon qu'est l'homme, ce "gibier souple et fuyant" (18) attiré malgré lui. Comme dans le monde animal, le piège utilisé par cette chasseresse est la forme et la couleur. (8 : "multicolores", 9 : "voyantes", 11 : étalée sur cette plage", 12 : immense floraison de la perversité féminine). Cette dernière expression est particulièrement violente, et elle insiste bien sur le côté anormal de cette beauté qui ne peut que piéger l'homme affolé. (N.B : Diane, la Déesse de la Chasse des Romains, refuse, elle, la compagnie des hommes, et symbolise au contraire la pureté et l'innocence féminine.)

4. La vénalité : c'est le côté le plus choquant de cette observation. Cette femme vend ses sentiments, vend son corps, à tous ceux qui pourraient en avoir envie (14 : "tous les hommes, excepté pour l'époux". Le champ lexical du commerce est délibérément employé par Maupassant (19: "une halle d'amour" (halle = marché), 20 : "les unes se vendaient", 21 : "marchandaient leurs caresses", "se promettaient seulement", 22 "offrir et faire désirer") et surtout la terrible anaphore de "déjà" associe clairement et crûment la femme à une prostituée dont on parle de la 22 : "chair déjà donnée, déjà vendue, déjà promise à d'autres hommes."

III - Quelle place occupe cette femme dans la société ?

Elle a toutes les armes pour plaire et pour séduire. Elle est infidèle et ne respecte rien. Elle dirige le monde des hommes, riches peut-être, mais volages eux aussi et faciles à piéger grâce à ses

artifices. Elle remplace les sentiments par l'argent. Elle souffre peu d'exceptions : les femmes qui ne correspondent pas à ce tableau négatif sont cloîtrées : ce

sont les bonnes mères de famille anonymes, invisibles, "honnêtes femmes" qui restent "enfermées dans la maison close" (29). Le terme est d'ailleurs ambigu et Maupassant ne peut pas l'ignorer. (Le mari deviendrait-il alors le proxénète de cette femme pourtant exemplaire ?) La femme idéale est englobée dans le terme généralisant (28) "peuple" indiquant bien une condition inférieure et démunie, par opposition à "la légion des désœuvrées"(28) qui serait, lui, un corps d'armée aguerri et prêt à aller au combat.

Conclusion :

Un texte violent présentant les réflexions d'un homme malheureux, aigri et désabusé. Sa confiance a été trompée par celle qu'il vénérait, et il met toutes les femmes "dans le même panier". Mais l'image de la femme qu'il présente ici va plus loin que celle que pourrait avoir un homme déçu par les femmes. C'est aussi celle d'un misogyne (ou d'un macho), qui ne classe les femmes qu'en deux catégories : les saintes et les prostituées, vision qui est celle d'un homme immature, qui ne peut qu'adorer ou salir, et incapable d'un amour partagé.

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Extrait 6 sur 7AXE DE LECTURE : La mise en scène du coup de théâtre

A - L'auteur s'applique à créer une ambiance :

Dans le décor s'opposent le noir (1 : "volets clos", 2 : "coins noirs", "rideaux... tirés", 4 : "enfouis", 8 :"cachait le visage") et le blanc du visage, presque illuminé (25 : "toute pâle, toute blanche").

Le lieu est mélodramatique : une chambre, un lit, une fenêtre, des rideaux, une chandelle sans doute. Le lieu a été mis en scène avec soin (par la mère) : "les rideaux du lit avaient été tirés", lignes 2 et 3.

Huis-clos donc, avec deux issues : la porte que vient de franchir Jean, et la fenêtre du suicide possible. C'est d'ailleurs cette idée qui affole le fils, sa première inquiétude.

B - Deux personnages, jouant chacun son rôle :

Jean précise même quel est le sien. Ligne 13 "pas un juge[...], un homme[...], un fils[...]". Des indications scéniques, proches des didascalies, décomposent chacun des mouvements de Jean (verbes d'action lignes 1, 4, 6, 7, 8). Certaines attitudes de la mère sont même découpées, décomposées, présentées au ralenti : ligne 23:"ses nerfs se détendirent, ses muscles raidis s'amollirent, ses doigts s'entrouvrant lâchèrent la toile", ligne 29: "se souleva, s'assit, le regarda". Ce découpage minutieux donne de l'intensité à l'action.

C - Le jeu des acteurs est peu naturel, théâtral :

Le fils, agité, a une attitude brusque, presque violente. Il fouille la chambre du regard, se retient d'arracher l'oreiller; court (4), manipule le corps inerte (7, 8), embrasse la robe maternelle (17), crie (17)...

La mère est figée dans l'attitude du gisant, à l'envers d'abord (sur le ventre) puis retournée, visage enfoui (5) dans l'oreiller et corps crispé agité de secousses (9, 19 et 20). Quand elle réagit (22), il s'agit de "spasme", de "suffocation", de sanglots.

Enfin, les gestes simples (lâcher l'oreiller, s'asseoir) sont réalisés avec une emphase, une outrance, qui en accentuent la valeur.

D - Les dialogues, extrêmement limités, sont répétitifs.

Jean, avec un langage puéril (21, 28), implore en pleurant peut-être lui aussi (27 : grands baisers désolés qui se mouillaient à ses larmes"). Maupassant résume l'inutilité de ces mots par l'imparfait et l'adverbe "et il disait toujours" (27). Le dénouement tombe comme une contradiction flagrante avec toute cette scène, dès que parle la mère (31 : "Non, c'est vrai, mon enfant."). On peut ainsi parler de coup de théâtre. Avec cette chute, chacun reprend sa place : le fils redevient le fils, la mère redevient la mère ("mon enfant"), et la vérité reprend ses droits : fin de la comédie, fin de la scène. Il s'agit donc d'une scène presque muette, dans laquelle les gestes sont plus importants que les mots.

E - L'action dramatique :

Le fils entre dans la chambre. Il sait que sa mère a entendu sa dispute violente et sonore avec Pierre. Il s'attend éventuellement au suicide de la mère. Ce n'est pas le cas. Il cherche alors la vérité sur le visage de celle-ci. Elle n'a pas besoin de parler pour la lui montrer. Le fait de la trouver cachée au fond du lit, terrée, le visage caché, lui donne la réponse qu'il attend. Mais il refuse de l'admettre. Sa mère ne peut pas être une femme infidèle, il ne peut être un bâtard. Il ne pose d'ailleurs pas de question mais affirme, comme un enfant, presque en tapant du pied, que "ce n'est pas vrai".La mère doit alors reprendre son rôle de mère. Elle a vécu depuis une trentaine d'années dans le mensonge, et la vérité lui fait peur. Cette vie d'hypocrisie va mourir lentement, et cette scène en est le symbole. Le souffle manque à Mme Roland, qui se crispe, puis lentement, après une agonie maîtrisée sous l'œil inquiet de jean, revient à la vie et fait de lui son complice dans le mensonge. C'est à lui, et à lui seulement, qu'elle avouera la vérité. Il devra ensuite l'assumer et la protéger de son époux et de son autre fils, légitime celui-ci. Sa comédie a porté ses fruits.

Conclusion :

Une scène extrêmement travaillée, calculée, artificielle, dans laquelle Maupassant s'applique à créer les conditions du coup de théâtre de son roman. Il en profite pour nous montrer à quel point cet univers est conventionnel, stéréotypé : la mère a préparé le décor, le fils joue le jeu, refuse de juger (13) et choisit d'avance de pardonner (14 et 15). Deux solitudes vont maintenant se liguer contre le reste du monde. Cette scène capitale de retrouvailles de Mme Roland avec la vérité est pleine de contradiction. Cette vérité si longtemps retenue n'est finalement dévoilée que par calcul à un fils déjà acquis à sa cause.

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PIERRE et JEAN – Guy de MAUPASSANT

Extrait 7 sur 7AXE DE LECTURE : La mort symbolique de Pierre - La fin du roman.

A - Les indications spatio-temporelles ; le contexte.

L'auteur précipite la fin de son roman par diverses accélérations temporelles. (cf. Méthodes et Techniques, page 95, la définition du sommaire et de l'ellipse.) Le rythme du récit ne correspond pas au temps de la fiction, mais il est accéléré par des ellipses (4 : le "lendemain", 11 : "ce jour-là même") et des sommaires (14 : "pendant les jours qui suivirent"). L'attitude de Pierre est différente, et l'on sent bien que la fin des hostilités approche ; sa mère est ignorée, et même violemment repoussée quand elle tente un acte de contrition afin de se faire pardonner (lignes 4 à 10). Une telle attitude ne peut être maintenue très longtemps sans rupture ou incident grave. Nous nous rendons compte que la communication ne passe pas dans le couple car le mari ignore la mésaventure de son épouse (ligne 12) et met "les pieds dans le plat" avec son habituelle maladresse (12 :"s'étonna beaucoup que sa femme n'eût aucune envie de le connaître puisque leur fils allait s'embarquer dessus.")L'isolement de Pierre est alors à son paroxysme (14 : "Pierre ne vécut guère dans sa famille"). La séparation est déjà effective.

B - Les préparatifs de la cérémonie :

Le dialogue se mêle au récit, et le ton change un peu, quand arrivent les derniers instants. Pierre, conscient de la proximité de sa "mort", fait des concessions à son entourage.

changement d'attitude : Pierre passe de la brutalité (15 : "sa parole brutale semblait fouetter tout le monde") à la douceur (16 : double adverbe "très changé, très adouci"). Le père est allègre : il a eu une idée (19) et il consulte son épouse ("N'est-ce pas, Louise" deux fois, aux lignes 19 et 25). La mère est désolée et s'efface, consent à tout (20 : "mais certainement", 27 : "oui, certainement"). Tout le monde est prêt à donner le meilleur de soi, dans cette communion qui rapproche habituellement autour du "défunt". Chacun sent bien qu'il s'agit d'un moment important et définitif.

Le cortège est organisé par 'l'ordonnateur des pompes funèbres' : un accompagnement personnalisé du "défunt", très poétique, est imaginé par le père (24, 25) : on accompagnera Pierre à sa dernière demeure.

Brusque passage de la communauté familiale marqué par la fin du discours direct (30) à la solitude, avec une nouvelle ellipse : "une heure plus tard", ligne 30. La brusquerie de la séparation est ainsi mise en évidence. Pierre est encore et toujours seul.

C - La mise en bière, l'enterrement :

Une comparaison morbide (31 : "comme un cercueil") introduit une suite de figures de style décrivant la mort symbolique du personnage.

1. L'expression "petit lit marin" (31) reprend "petite cabine flottante" (3). Le cercueil est "étroit et long"(31) et retient le corps prisonnier. Mais on a l'impression que cette étroitesse sert aussi de refuge, de soutien à ce corps sans âme.

2. "comme une lame émoussée" (34) : Pierre a reçu un coup de poignard, la révélation de l'adultère maternel. Il est blessé et cette comparaison pourrait indiquer que la blessure n'est pas très profonde. Pourtant, il ne va pas s'en remettre !

3. "laissait aller sa révolte à vau-l'eau"(35) : métaphore maritime de la barque, sans direction, sans but, qui coulera peut-être sans que personne ne s'en préoccupe.

4. "las de lutter, las de frapper, las de détester, las de tout" (36) : anaphore insistant sur le ras le bol. La limite de la résistance psychologique de Pierre est atteinte.

5. "engourdir son cœur... tombe dans le sommeil" (37) : ici, clairement, cette notion de mort psychologique, choisie et acceptée, est reprise de façon explicite par la métaphore filée de la blessure poursuivie à la ligne 40 :"les tiraillements douloureux des plaies qui se cicatrisent." Pour ne plus souffrir, Pierre préfère mourir. Mais il meurt sans se tuer, en partant, en oubliant.

Conclusion :

Pierre a reçu une blessure qui ne sera en fait jamais guérie. L'oubli, le bercement des flots, l'éloignement, le travail, la solitude vont peut-être engourdir cette souffrance. On peut dire que Pierre a choisi la mer pour oublier sa mère, dans un raccourci psychanalytique qui n'est peut-être pas intentionnel de la part de Maupassant, mais que l'on retrouve dans sa propre vie, très désordonnée, vie de grand voyageur marin et de recherche éperdue des femmes. Cette immersion est autant une rupture du cordon ombilical que d'une régression, dans cet élément liquide et étroit à la fois, au stade fœtal initial.Plus conventionnellement, il est remarquable que le roman s'achève comme il a commencé : sur l'eau. Dans la barque, la famille est à nouveau réunie, saluant le départ de la Lorraine, et unie enfin sans le fils perturbateur. L'équilibre est donc retrouvé et la vie bourgeoise tranquille pourra reprendre son cours. Un couple, Monsieur et Mme Roland ; un autre couple, Jean et sa future épouse, Mme Rosémilly. M. Roland sera encore une fois le dindon de la farce, car il apprendra à ce moment, après tout le monde, le projet de mariage... et donnera son accord, comme s'il était toujours maître des événements.

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Groupement : Le Temps dans la poésie

Joachim Du BELLAY, « Heureux qui, comme Ulysse »

Axe de lecture : Les sentiments du poète

Situation

Joachim Du Bellay rédige ce sonnet lors de son séjour de quatre ans à Rome. Il y accompagne en effet son oncle, le cardinal Jean Du Bellay, qui est en ambassade pour le roi de France auprès du pape. Joachim lui sert de secrétaire particulier et d'intendant. Ce séjour est pour Du Bellay long et pénible : il a beaucoup de travail , est malade, et voudrait revoir la France. De plus, il ne lui plaît guère d'être obligé de se comporter en courtisan. Ce sont ces deux thèmes que l'on retrouve tout au long des Regrets, recueil de 191 sonnets qu'il publiera à son retour en France, en 1558, deux ans avant sa mort, le 1er janvier 1560, à l'âge de trente-sept ans. Si ce célèbre sonnet est le symbole de la nostalgie (du grec "nostos" : retour, et "algie" : douleur), il peut être intéressant d'y découvrir quels sont les autres sentiments représentés.

1. La tonalité épique

Les références mythologiques du début présentent de grands voyageurs, audacieux et emblématiques. Ulysse mettra dix ans pour rentrer chez lui, et Jason devra affronter maintes épreuves avant de revenir triomphant. Les personnages choisis sont héroïques, victorieux : si l'on part de chez soi, c'est pour la gloire, et il est hors de question de rentrer la tête basse !

2. Le plaisir d'apprendre

"plein d'usage et raison"… Le voyage peut être un apprentissage, et n'est pas simplement un déplacement inutile. D'ailleurs, le bonheur est, selon cette définition, le plaisir de rentrer ensuite "entre ses parents" (métonymie) afin de partager avec eux les fruits de ce voyage. La sagesse devra s'acquérir à l'extérieur. "Les voyages forment la jeunesse", dit le proverbe.

3. La tonalité lyrique élégiaque

La souffrance et l'amour du foyer : l'impatience (" quand reverrai-je ") se transforme en doute et en inquiétude (" reverrai-je "). L'exclamation " hélas " au milieu du cinquième vers est bien ce cri de nostalgie que poussent tous ceux qui sont loin de chez eux et qui aspirent à y retourner.

4. L'amour du pays

Les anaphores insistent sur le côté familier et simple de l'Anjou, opposé à la glorieuse, mais trop froide ville de Rome. On pourrait presque parler de chauvinisme (le terme est anachronique !) car tout ce qui est " petit " ou "pauvre" semble préférable au narrateur, simplement parce que c'est chez lui (cf. les adjectifs possessifs " mon petit village ", " ma pauvre maison " s'opposent aux articles définis " Mon Loire… Le Tibre… ").

5. La simplicité des goûts, la modestie

" ardoise " plutôt que " marbre " ne sont pas sans ambiguïté. Les adjectifs en antithèse (" dur ", " fine ") montrent le caractère irrationnel de ces préférences. Il s'agit d'aimer son pays sans vraiment se l'expliquer. Le luxe des palais romains ne déplaisait pas tant que cela à du Bellay. Les palais ont des "fronts audacieux" et l'auteur admire par cette personnification leurs constructeurs.

6. Le manque affectif

La famille est l'une des valeurs mises en évidence dans ce poème avec des références architecturales ou géographiques. Au "front" (la façade) des palais s'oppose la "cheminée" du "petit village", dans une métonymie qui évoque le foyer, au sens propre comme au sens figuré. L'on retrouve cette idée de petit chez soi avec " le clos " (la clôture) qui enferme, ainsi que dans le dernier vers : « la douceur angevine », c'est la douceur du repos, de la maison, du coin du feu, de la stabilité, opposée au voyage et à l'agitation de l'extérieur, "l'air marin" qui caractérise les héros mythologiques Ulysse ou Jason. Le personnage est casanier, et il rêve de cheminée, de portes fermées… quand il vit dans un somptueux mais froid ("marbre dur") palais romain.

Conclusion :

La partialité de l'auteur est certaine, mais il ne s'agit pas ici de logique : Rome, ville antique, éternelle, magnifique, reste une ville impersonnelle aux yeux de l'exilé qui soupire en songeant à sa famille et à son pays natal. Les sentiments qu'il exprime sont universels et peuvent être résumés dans une formule : le mal du pays.

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Groupement : Le Temps dans la poésie

Pierre de RONSARD, « Quand vous serez bien vieille »

AXE DE LECTURE : Indications temporelles : la fuite du temps

Le temps et ses aléas, dans ce poème, sont représentés par :1. des expressions désignant des moments (en gras) 2. la conjugaison, le temps des verbes (en trois couleurs) 3. le champ lexical de la vieillesse (souligné)

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,Assise auprès du feu, dévidant et filant,

Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle."

Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,Déjà sous le labeur à demi sommeillant,

Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,

Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,Par les ombres myrteux je prendrai mon repos

Vous serez au foyer une vieille accroupie,Regrettant mon amour et votre fier dédain.

Bénissant votre nom de louange immortelle.Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demainCueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

1. Les indications temporelles :Demain : Les expressions désignant le temps concernent un futur hypothétique(1 : "quand"), la fin du jour (1 :"au soir") et de la vie, symboliquement. Ce futur annoncé peut ne jamais se réaliser. Ce futur est à la fois triste (12 : "regrettant") et monotone (2 : "assise", "dévidant et filant") pour la femme décrite. Aujourd'hui : L'immortalité, l'éternité donnée par le poète (8) mérite bien un effort actuel (14 "dès aujourd'hui") mis en antithèse (13) dans le conseil final. L'expression du poète latin Horace "Carpe Diem", (cueille le jour) devient ici plus poétique et plus douce (cueille les roses du jour, avant qu'elles ne fanent, sache prendre, quand ils sont là, les plaisirs quotidiens.)2. Le temps des verbes :Les verbes sont au futur (rouge) dans cette prophétie, puis à l'imparfait (vert) dans le discours direct, et enfin au présent de l'impératif dans le dernier tercet, comportant la chute (et la morale). Le futur est narratif, décrivant la situation probable d'Hélène dans quelques années. Ce futur n'est positif ni pour elle, "vieille accroupie" (11) ni pour lui (9 : "je serai sous la terre"). Il sera trop tard pour tout le monde. L'attitude négative (12 : "votre fier dédain") d'Hélène est presque présentée comme la cause de sa situation actuelle, si l'on suit l'enchaînement des vers : elle est vieille et seule car elle n'a pas aimé Ronsard. La ponctuation forte découpe d'ailleurs le sonnet en trois quatrains et un distique(=groupe de deux vers formant un sens complet) achevant cette description négative. L'imparfait exprime la probable nostalgie d'Hélène regardant son glorieux passé ("j'étais belle") et songeant au fameux Ronsard de sa jeunesse. Peu modeste, celui-ci n'hésite pas à mettre son nom deux fois (4, 7) dans le sonnet, alors que celui d'Hélène n'apparaît jamais... Mais le poète, plus âgé, sera mort quand Hélène ne sera que vieille...L'impératif présent insiste sur l'urgence de vivre, et de profiter des moments agréables de la jeunesse. Le conseil épicurien se double d'un conseil à la forme négative, insistant sur le peu de temps qu'il reste pour cela ("demain" est plus proche que "plus tard"). Ronsard intervient à nouveau dans ce conseil ("si m'en croyez"), omniprésent.3. Le champ lexical de la vieillesse :enfin, accorde à Hélène de tristes caractéristiques. Elle n'est tout de même pas seule (plusieurs servantes sont autour d'elle, car elle est riche) mais c'est le crépuscule de sa vie, avec cet éclairage tamisé ("à la chandelle") qui contraste avec l'éclat de sa beauté passée. Le feu de cheminée symbolise aussi la nécessité de réchauffer ses vieux os, étant donné son âge. La position "accroupie" de la vieille au foyer évoque d'ailleurs de façon plus cruelle un personnage rabougri, ratatiné, et attendant la mort. L'image de la femme ainsi présentée par Ronsard à celle qu'il aime n'est certes pas celle que l'on attend d'un soupirant. Mais le poète propose en fin de sonnet une alternative heureuse à cet état : "Vivez..." Elle aussi peut accéder à une éternité "de gloire immortelle" grâce au talent de celui qui l'aura célébrée.

Conclusion :

Ainsi, le rôle du poète, permettant à celle qu'il aura élue de subsister dans la mémoire humaine, est encore une fois mis en valeur. Il faut d'ailleurs remarquer que lui ne meurt pas, mais prend "son repos" dans un euphémisme évoquant une vie bien remplie. Le côté ironique de la description du "fantôme sans os" montre bien l'insouciance qui accompagne sa disparition. Seule celle qui restera, et qui n'aura pas su profiter de la chance qu'il lui proposait, éprouvera des regrets... L'excitation des servantes au "bruit de Ronsard" contraste avec le calme du tableau. La belle Hélène ne connaît pas sa chance !

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Groupement : Le Temps dans la poésie

Pierre CORNEILLE, Stances à Marquise

AXE DE LECTURE : Grandeur et bassesses de l'écrivain

Situation

Marquise est Thérèse Du Parc, une comédienne de la Troupe de Molière, dont sont amoureux le vieux Corneille et le jeune Racine. Ce dernier en fera sa maîtresse, ainsi que l'interprète d'Andromaque, sa célèbre pièce. Corneille, si l'on en croit ce qu'il lui dit plutôt cruellement ici, n'a certainement pas eu droit à ses faveurs…

Lecture

Respecter le rythme de la chanson. Ce sont des vers de sept syllabes ! Scander avec une pause après la troisième ou la quatrième syllabe, ce qui provoque rapidement l'impression de mélopée voulue par l'auteur. Les stances, selon la définition du dictionnaire, sont des " poèmes lyriques d'inspiration grave (religieuse, morale, élégiaque) composés d'un nombre variable de strophes habituellement du même type. "1. Les mesquineries :L'attaque est brutale (strophe 1) et le coup bas. Le ton est donné : l'ironie domine dans ce texte. Si le fait énoncé est probable, voire certain, il n'y a aucune galanterie à comparer le visage de celle que l'on désire séduire avec celui d'un vieil homme. Les charmes " usés " de la fin de la cinquième strophe reprennent cette image dégradée, peu flatteuse. On retrouve ici le langage agressif de Ronsard commençant son sonnet par " Quand vous serez bien vieille… "Dans la seconde strophe, le langage métaphorique (" roses ") , précieux et périphrastique (" aux plus belles choses ") est adouci. La femme est enfin glorifiée pour ce qu'elle a : sa beauté, certes passagère, mais bien réelle. Le superlatif vaut ici compliment. Cependant, la seconde strophe s'achève sur le " front " du narrateur, et non sur ces beautés féminines évoquées avec condescendance.Quelle est la part de la beauté féminine dans ce poème ? - Elle est ignorée " On m'a vu ce que vous êtes " Corneille aurait été jeune (certes) et beau (discutable ! ) - Elle est cependant évidente : " Vous en avez qu'on adore " = des charmes : " on " est une litote pour désigner Corneille. (De la même façon, " on " deviendra une litote pour désigner la Belle Marquise à la fin du poème : " Il vaut bien qu'on le courtise ") - Cette beauté sera à " sauver " (6eme strophe), incertaine " faire croire ce qu'il me plaira ", " des yeux qui me semblent doux ", " vous ne passerez pour belle... ". Et pourtant, l'adjectif final " Belle Marquise " ne laisse pas de place au doute. Cette qualité de la jeune actrice est indéniable, et fait presque partie de sa dénomination.2. Le " Carpe Diem " détourné :

L'importance du présent : " Le temps… se plaît à " : ici, l'allégorie rappelle l'Ennemi de l'homme, le Temps qui passe et saccage avec plaisir. " Il vaut bien qu'on le courtise… " insiste sur une situation actuelle : n'attendez pas demain pour me courtiser, comme le feront les générations futures.

L'immuabilité des choses : il est dans l'ordre cosmique " le cours des planètes " que cette marche vers la dégradation et la mort soit inexorable. La roue tourne pour tout le monde, dans le splendide chiasme : " On m'a vu (MOI) ce que vous êtes (VOUS) / vous serez (VOUS) ce que je suis (MOI)." On peut remarquer que c'est le poète qui se trouve aux deux extrémités de ce chiasme, dans un but évident d'auto-glorification.

Le retournement de situation : ce qui est beau aujourd'hui sera laid demain, pour la femme. Ce qui est charme aujourd'hui pour l'écrivain sera charme toujours, pour l'éternité. La mort, le temps ne s'acharnent pas sur lui ; au contraire " dans mille ans " ces charmes " pourraient bien durer encore ". Tout le poème est construit autour de cette idée : la beauté passe mais l'œuvre survit à son auteur, le rendant par cela immortel.

3. La grandeur de l'écrivain ?Tout ce poème est marqué par une évidente mauvaise foi, que l'on peut justifier par le dépit. Ayant été éconduit, Corneille se venge en mettant en avant ses qualités d'auteur : lui aussi vend ses charmes... Lui aussi mérite les honneurs. Lui aussi désire être courtisé. La menace, d'ailleurs, est à peine voilée : " Pensez-y, belle Marquise ", car moi, je ne suis pas inquiet des ravages du temps. Je suis même capable, dans mille ans, de faire croire que vous n'étiez pas si belle… Est-ce une bonne façon d'utiliser ces " charmes " présentés modestement comme " assez éclatants " (oxymore !) ?

Conclusion :

Ce poème ne met en avant que le talent de Corneille : effectivement, celui-ci ridiculise ainsi la femme qui l'a ignoré, mais il se montre aussi mesquin dans la façon de combattre. Ce manque de modestie dont il fait preuve, et qui est peut-être justifié, ne le rend pas sympathique. La réplique impossible de Marquise à une telle déclaration de guerre présentée sous l'apparence trompeuse d'un poème de séduction montre bien son but : il cherche à blesser comme il l'a sans doute été lui-même.

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Charles BAUDELAIRE, L’Ennemi

AXE DE LECTURE : Des figures de style aux idées

Champs lexicaux :

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,Traversé çà et là par de brillants soleils!Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêveTrouveront dans ce sol lavé comme une grèveLe mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,Et qu'il faut employer la pelle et les râteauxPour rassembler à neuf les terres inondées,Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

- Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœurDu sang que nous perdons croît et se fortifie!

Mots soulignés : verbes indiquant des actions violentes Les intempéries : ces deux champs lexicaux associés montrent bien que la vie de Baudelaire n'a pas été un

"long fleuve tranquille" La lumière et l'obscurité : deux aspects d'une même vie Le temps qui passe : c'est le thème même de ce sonnet Le travail du jardinier : Le poème est une fleur qui ne pousse pas sans peine... Le "vampire" buveur de vie / La mort (voir la pointe en versification et la conclusion)

Versification : Pourquoi choisir un sonnet, pour parler de la vie du poète ? Le sonnet est une forme de contraintes, donnant d'autre part la possibilité de conclure par une pointe. Ici, les contraintes du sonnet classique sont plus ou moins ignorées (rimes croisées et non embrassées dans les quatrains, par exemple). Cependant, l'alternance de rimes masculines et féminines est conservée. Bref, une certaine liberté, mais un talent certain.La pointe : marquée par une ponctuation forte et expressive ("!"), elle exprime un paradoxe très intéressant : Plus nous "diminuons" (ou nous sentons diminués) , plus le temps augmente, dans un phénomène de vases communicants : il se nourrit donc certainement de notre déchéance !

Procédés d'énonciation :

Grâce à la première personne, dans ce texte se confondent narrateur et auteur. Le personnage est bien un poète, qui parle de lui, utilisant deux fois l'adjectif possessif et deux fois le pronom personnel de première personne. Cependant, à la fin du texte, il nous associe à sa détresse, en tant qu'êtres humains (v. 13, 14 : "nous")

Figures de style :1. Antithèse : ténébreux s'oppose à brillants et montre le contraste entre les deux situations2. Le mot orage débute la métaphore qui sera filée ensuite à l'aide du champ lexical des intempéries. (mots en vert) 3. Métaphore du jardin, filée (mots en jaune) 4. métaphore des saisons : Quatrain 1 > été("orage")- 2 automne - Tercet 1 : printemps ("fleurs")- 2 = hiver : vieillesse, mort5. Comparaison : comparant = tombeaux / comparé = trous outil = comme / point commun = taille ("grands") 6. Comparaison : la grève est un endroit en bord de mer, de fleuve... 7. Métaphore filée de l'inspiration comme force vitale qui se nourrit de la vie et qui épuise l'homme.8. Apostrophe : exclamation, plainte et reproche à la fois (tonalité élégiaque) 9. Allégorie : Abstrait, le temps devient le Temps, quelque chose de concret, à combattre

Idées :

Dans la première strophe, une métaphore filée établit une analogie entre les âges de la vie et les saisons. La seconde strophe évoque l'automne, saison de l'âge mûr, où arrive le défaut d'inspiration. Le champ lexical de la mort apparaît. Dans le premier tercet, "les fleurs nouvelles", les idées neuves, sont rêvées, espérées, attendues. Enfin, dans la dernière strophe, le Temps est présenté en allégorie comme un vampire, buvant la vie et rongeant le cœur de l'homme. Il lui prend sa force et ses idées.

Conclusion :

Le poète vieillissant exprime ici son angoisse devant l'âge qui avance, et la mort qui approche, surtout que cette vieillesse s'accompagne de la perte de l'inspiration. Il le fait dans un sonnet, choisissant ainsi une contrainte formelle qu'il affectionne et qui montre qu'il n'est pas tout à fait incapable. Il le fait en utilisant avec talent une métaphore filée sur les saisons représentant les âges de la vie, image courante mais utilisée ici avec originalité : en effet, le narrateur est tout à la fois un ex-poète génial ("de brillants soleils"), un actuel "jardinier" se raclant le cerveau et cherchant désespérément à faire fructifier ses derniers talents et, comme nous tous, un futur mort, un être humain en sursis, inexorablement poursuivi par le Temps.

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Groupement : Le Temps dans la poésie

Paul VERLAINE, NevermoreAXE DE LECTURE : Les champs lexicaux, les sonorités et les idées

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automneFaisait voler la grive à travers l'air atone,Et le soleil dardait un rayon monotone

Sur le bois jaunissant où la bise détonne.

Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.Un sourire discret lui donna la réplique,

Et je baisai sa main blanche, dévotement.

Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.

Soudain, tournant vers moi son regard émouvant«Quel fut ton plus beau jour ? » fit sa voix d'or vivant,

Ah ! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées !Et qu'il bruit avec un murmure charmant

Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !

(Melancholia, II) Poèmes Saturniens, 1866

Champs lexicaux : Le passé - les bruits, les sons -[l'aérien - la nature]- elle - moiVocabulaire :- atone : sans vitalité, sans vigueur, qui manque de dynamisme - dardait : lançait comme un dard ou un flèche- détonne : s'écarte du ton, choque, contraste - dévotement : religieusement, pieusement, mystiquement- bruit : fait entendre un son, un murmure

I) Comment peut-on reconstituer le récit sous-entendu ?Verlaine évoque, au présent ("Que me veux-tu ?") le souvenir d'une promenade contemplative, en automne (Premier quatrain et vers 5). Cette évocation au présent encadre le souvenir du passé. Ce présent serait l'hiver du souvenir. Lors de cette promenade automnale, la jeune fille lui a posé la question citée au vers 8, faisant ainsi indirectement allusion à leur relation et voulant peut-être le pousser à se révéler. Au lieu de répondre (v.10) il lui a souri puis lui a embrassé la main (v.11). Par pudeur ? Par timidité ? Par respect ? Parce qu'il ne faut pas ?Le récit s'achève par l'évocation de qu'est ce "plus beau jour", situé au printemps de l'amour : printemps qui peut être réel (la saison) ou symbolique (le début), et signifiant en tous cas ici le début d'une aventure sentimentale.On peut donc imaginer une histoire d'amour, la première du narrateur, qui aurait débuté au printemps, aurait duré jusqu'à l'automne, et se serait plus tard achevée, sans espoir de retour et peut-être même sans aboutir.Quelques indices, d'ailleurs, sont en faveur d'une aventure sentimentale platonique : au vers 5, ce "seul à seule" n'est pas la fusion du couple que l'on pourrait imaginer, mais bien la réunion, pour une promenade commune, de deux solitudes qui "march(ent) en rêvant". Et le "soudain" serait l'initiative féminine pour briser cette solitude, pour provoquer l'aveu qui tarde... et qui ne viendra peut-être pas. Ce premier "Oui" n'est peut-être pas encore dit !

II) Quel peut être le sens du titre ? Le titre «Nevermore» (Jamais plus) peut signifier que l'émotion, lorsqu'elle a été vécue, ne revient plus. Cependant, le poète tente de retrouver et de nous faire partager cette émotion par l'écriture, et il y parvient. En tous cas, le bruit (indications sonores) et l'ambiance (parfums, couleurs) lui reviennent avec une certaine violence. Au début submergé (première strophe en plan large et flou partant du ciel) il parvient progressivement à concrétiser ce souvenir dans une plongée vertigineuse et de plus en plus précise jusqu'aux lèvres qui murmurent ce premier "oui", pourtant lointain dans le passé. Son trouble passé laisse la place à un désir présent, qui ne pourra plus être satisfait.«Nevermore» induit aussi l'idée qu'il ne peut y avoir qu'une première fois, et que celle-ci sera toujours idéale, toujours restituée avec l'émotion de la découverte : "regard émouvant", "voix d'or vivant", "frais timbre angélique". C'est sans doute l'innocence de l'inexpérience qui produit cette sacralisation du sentiment amoureux, encore pur, qui pourrait devenir banal ensuite, mais qui, en ces premiers instants, fait "baiser dévotement" "sa main blanche" seulement et non ses "lèvres bien-aimées". D'ailleurs, quand Victor Hugo racontait la même promenade, mais avec Rose, c'est cette maladresse du jeune homme peu audacieux (et même vexant, finalement, car il laissant la jeune fille sur sa faim) qu'il faisait ressortir. Le choix de l'anglais, enfin, doit provoquer un peu plus d'étrangeté dans ce lointain passé, qui devient aussi un peu "ailleurs". C'était un autre monde, celui des sentiments frais et printaniers. Et, sur le plan des sonorités, ce mot rime avec "voix d'or", "sonore", en reprenant les trois consonnes retenues par Verlaine pour réaliser ce sonnet : N et V, dans les quatrains et M, dans les tercets.

Ces deux questions permettent de mieux comprendre le poème et d’en préparer la lecture méthodique, qui se trouve à la page suivante…

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Groupement : Le Temps dans la poésie

Axes de lecture : Les champs lexicaux, les sonorités et les idées

a) Le premier champ lexical du texte est sans doute celui du son. Il apparaît dans le silence engourdi de l'air atone (vocabulaire moral mais aussi musical), dans le bruit du vent, le chant de l'oiseau au cours de la promenade bucolique. Il apparaît dans la bise, le baiser et le "oui". Ce souvenir est donc essentiellement auditif. Une promenade, des bruits, un mot, voila le souvenir qui se reconstitue...Le mot "voix", au milieu du poème, achève les quatrains puis il est repris de façon insistante au début des tercets, à l'aide d'épithètes contrastés : "douce" et "sonore" s'opposent ainsi que "or" et "vivant". Ces deux oxymores laissent perplexe. On peut en conserver l'idée de clarté, de vivacité, qui va à l'encontre de la monotonie et de la lente mort de la nature que représente l'automne. Cette voix est comme un rayon de soleil . C'est l'élément essentiel de la description de la jeune fille, le seul qui soit précis. Cette métonymie présente, avec les lèvres, les points de fixation du regard et des souvenirs."Est-elle brune ou blonde ou rousse ? Je l'ignore..." dit aussi Verlaine dans un autre de ses Poèmes Saturniens, Mon Rêve familier.

b) Le champ lexical de la nature, peu consistant, cherche à placer les personnages dans un décor pastoral : la fée, l'oiseau, l'enfant, l'émerveillement. Un cadre champêtre permet d'idéaliser cette relation, qui devient surnaturelle. Le mot "charmant" qui qualifie le "murmure" dans l'avant-dernier vers est d'ailleurs polysémique : envoûtant, fascinant. Sans parler d'hypnose, on peut dire que le jeune Paul est sous le charme de la voix magique, qu'il entend encore comme un écho, dans ses souvenirs obsédants. Il est d'ailleurs intéressant d'associer la nature et l'aérien, pour créer ce décor éthéré où sont absents l'eau et la terre. Il ne reste que l'air et le feu. Nos personnages ont la tête dans les nuages : "les cheveux et la pensée au vent". Ils ne font que rêver.

c) La double apostrophe du début lance un reproche au souvenir personnifié "Que me veux-tu ?". Le narrateur semble vouloir se débarrasser d'une obsession, qu'il va pourtant développer jusqu'à son aboutissement. Le champ lexical du passé, est évoqué par quelques termes dépréciatifs dans le premier quatrain ("atone", "monotone","jaunissant") marquant l'apathie, le terne, l'usure du temps. Il est évident que le choix des sonorités de ces trois mots n'est pas un choix innocent. Ce sont les mêmes phonèmes que l'on retrouve dans le titre, « Nevermore », et dans le mot "Souvenir", qui se répètent tout au long des quatrains. Cet aspect négatif des premiers vers, marqué par des voyelles obscures [o], [õ] , des consonnes constrictives [s], [v],[f] imitant le souffle du vent et par le [n] de la négation, de la souffrance, va heureusement changer de polarité dès le milieu du poème, quand retentira la question du revirement. Quand le narrateur devra se remémorer le plus beau jour de son passé, avec ce "fut" qui lui donnera un côté définitif et paradis perdu, ce souvenir sera nimbé, auréolé, lumineux : les voyelles vont s’éclaircir, passant du [o] au [i] :

Un sourire discret lui donna la réplique Le premier oui qui sort des lèvres bien aimées

et les bilabiales [p] [b] et [m] reproduiront les deux lèvres tendues dans la posture du baiser :Et je baisai sa main blanche, dévotement.Ah ! les premières fleurs, qu’elles sont parfuméesLe premier oui qui sort de lèvres bien-aimées.

On peut y ajouter le son [L], qui se fait avec la langue, mais le poème y perdra un peu de sa pureté… Le vers marquant cette évolution est très exactement celui du milieu de la volta du sonnet :

Sa voix douce et sonore / au frais timbre angélique. Le premier hémistiche est encore sombre, utilisant des voyelles d’arrière, tandis que le second est clair, avec des vocalises plus aiguës. Les consonnes constrictives du début [s] [v] [f] se transforment en occlusives [t] [b] [g] [k]. La force, l’énergie reviennent.

ConclusionUne technique imparable au service d’une émotion unique. Un texte d’une grande perfection formelle, à l’instar des poètes parnassiens, et pourtant qui conserve ses multiples possibilités d’interprétation. Il est certain que l’analyse faite ici est une vision personnelle car elle fait de Paul Verlaine un enfant « soumis » à une amoureuse ? maîtresse ? initiatrice ? dont il serait le jouet. Ce n’est qu’une possibilité, même si des indices biographiques (la cousine) vont dans ce sens.

Pour compléter l’étude de ce poème, si vous avez un doute quant à son interprétation, je vous conseille de comparer Nevermore à quatre autres poèmes que j’ai pris dans les Poèmes Saturniens et dans les Fêtes Galantes. Vous trouverez cette étude comparée, rapide mais utile, à l’adresse suivante :http://www.multimania.com/francaisaubac/docs/word/lem05_nevermore_lem.docVous ne le regretterez pas !

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Groupement : Les Lumières – L’Autre

VOLTAIRE, Prière à Dieu

AXE DE LECTURE : La religion et la tolérance

I- Les destinataires du message ? 2e pers. sing ; subjonctif a ) Dieu est pris à témoin, dans une sorte de prière. Procédé rhétorique qui permet un certain recul. De plus, le message est présenté comme un vœu, un rêve : seul Dieu pourrait changer une telle situation. Peut-être même en est-il responsable. On trouve ce type de mise à distance dans les Contes philosophiques de Voltaire (Zadig, Micromégas...)b) Les hommes sont concernés. Ils sont définis comme violents (8 : "haïr", 9 : "égorger") mortels et faibles (10 : "vie pénible et passagère", 11 : "débiles corps", 16 : "atomes") et surtout comme se croyant différents les uns des autres par leurs petites différences : vêtements, langage, mœurs, opinions, condition (=rang social). Chacune de ces différences est relativisée par un adjectif péjoratif (11 : "petites", 12 : "insuffisants", 13 : "ridicules", 13 : "imparfaites", 14 : "insensées")

II - Ces différences sont cependant les causes de l'intolérance.Manquant de recul, l'homme va faire de ces 15 : "petites nuances" des 17 : "signaux de haine et de persécution". Le champ lexical de la religion (18 : "célébrer", 20 : "t'aimer", 22 : "t'adorer" présente Dieu comme l'objet du culte et de la discorde. Cette discorde tient à des détails rituels insignifiants :a ) "cierges à midi" (18) "soleil" (19) opposent les chrétiens et les déistes, l'église et la nature.b) "robe de toile blanche"(20) , "manteau de laine noire" en antithèse fait référence aux confréries et ordres religieux divers.c) "jargon formé d'une langue ancienne"/ "jargon plus nouveau"(22,23) est une allusion directe au latin et au français dans la pratique du culte, opposant alors protestants et catholiques.Cette suite de périphrases péjoratives ridiculisent la religion et évitent peut-être la censure. Mais elles montrent bien la mesquinerie de ce qui peut opposer les adorateurs d'un même Dieu, bien au-dessus de tout cela.

III - Le texte s'achève par une attaque en règle des catholiques et de leur splendeur :a) leur habit "teint en rouge ou en violet"(24) est celui des dignitaires de l'Église, cardinaux, évêques...b) leur état "petite parcelle d'un petit tas de boue", ironise sur la taille minuscule du Vatican, au milieu d'un pays, d'une ville (Rome)c) leur richesse, présentée par un euphémisme (26 : "quelques fragments...") dépréciatif.Bref, tout ce qui fait la "grandeur" et la "richesse"(27) des catholiques devient ici ridicule : ce devrait être insignifiant aux yeux des chrétiens, qui n'ont aucune raison d'être intolérants, car pour Dieu, ce sont des choses insignifiantes (28), des "vanités" qui ne devraient provoquer ni "envie", ni orgueil". Ces derniers termes sont présentés en chiasme détruisant sans pitié ce qui fait la gloire et la honte de cette religion. On en arrive presque au paradoxe suivant : on ne peut pas être catholique sans être intolérant !

Conclusion :

A l'aide de périphrases ironiques, d'antithèses, et surtout de ce procédé de mise à distance qu'est la prière, Voltaire lance ici une attaque en règle contre la religion en général, et la catholique en particulier, prête à tout pour asseoir sa puissance, vivant dans un monde suffisant et orgueilleux, loin du message biblique de charité et d'humanité. Il définit, d’autre part, ce que pourrait être la tolérance : ne pas tenir compte des différences entre individus.Enfin, sa façon très ironique d'en appeler Dieu à témoin de ce qui se fait en son nom détourne d'une certaine façon les critiques qui pourraient pleuvoir contre lui.Mais, en tournant ainsi en ridicule la pratique religieuse, ne fait-il pas un peu preuve d'intolérance, lui aussi ?

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Groupement : Les Lumières – L’Autre

Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité…

AXE DE LECTURE : Les procédés oratoires

I - La structure argumentative :Le premier paragraphe est constitué d'une période oratoire très structurée. Cette période ternaire peut être décomposée ainsi :a) Montée : Avant le progrès. Suite de propositions subordonnées circonstancielles de temps introduites par "tant que" et présentant "l'homme sauvage" dans son cadre primitif.b) Sommet : L'état de bonheur : gradation d'adjectifs qualificatifs positifs représentatifs de l'âge d'or antique.c) Descente : les conséquences négatives de l'industrie. Les causes négatives sont introduites par "dès que" (11,12). Les conséquences, séparées par des virgules décrivent la dégradation de la situation. Cette descente s'achève par une double métaphore (15 : "arroser de la sueur des hommes", 16 : "l'esclavage et la misère croître avec les moissons") qui associe le travail en général avec celui d'un agriculteur.Cette construction plutôt lourde fait du paragraphe entier un système démonstratif impressionnant par sa rigueur. Il peut d'ailleurs emporter l'adhésion du lecteur par sa forme rigoureuse et par sa logique apparente.

II - Les spéculations du philosophe :Dans les deux autres paragraphes, l'imagination du poète remplace la rigueur philosophique. Rousseau s'abandonne à des suppositions gratuites quant à l'origine de la métallurgie et de l'agriculture à grande échelle.a) La métallurgie : référence à la mythologie (âge d'or, âge d'argent) opposée à sa propre réflexion (19 : "le fer et le blé") utilisant des métonymies pour désigner ces deux activités. L'Europe, "mieux policée" (25) que les autres civilisations, possède les deux en abondance. A partir de la ligne 27, suite de suppositions difficilement justifiables :1 : L'homme ne l'a pas trouvée seul2 : Ce n'est pas un hasard, un accident qui a permis cette découverte3 : La nature (personnifiée) a voulu garder son "fatal secret" (péjoratif)4 : Sans doute, le hasard, la curiosité, le courage, la prévoyance ont permis d'aboutir à la découverte de la métallurgie, ce qui n'est pas crédible pour l'homme sauvage tel que le conçoit Rousseau : Donc, aucune hypothèse valable !b) L'agriculture : Ses origines sont plus anciennes (45) mais elle n'est pas devenue systématique car :1 : inutile (47) : il y avait assez de nourriture pour tous2 : le blé n'était pas encore connu (49)3 : il n'y avait pas d'instrument araire performant (49, 50)4 : l'homme sauvage n'est pas économe ou prévoyant (50)5 : on ne pouvait conserver ou protéger une récolte (51, 52)

Conclusion :

La notion de "bon sauvage" selon Rousseau : L'homme primitif est ici visiblement dévalorisé ; il est rustique, peu intelligent. Imprévoyant, il se contente du minimum. Il ne pense pas au lendemain, n'économise pas et vit au jour le jour. Il ne pense qu'à se distraire (peinture du corps, musique) et n'a pas envie de travailler.Il n'apprécie guère le groupe, la société, et ses obligations. Il préfère ne pas avoir besoin des autres.De cette façon, il est (9) "libre" mais seul, "sain" dans la nature, "bon" (avec qui ?) et "heureux autant qu'il peut l'être" (avec son esprit limité…) Cette présentation négative peut surprendre, car c’est tout de même un modèle de Rousseau propose là ! Mais cet état de nature est pour le philosophe l’état de l’innocence et donc celui du bonheur.Cet être frustre, presque stupide, ne correspond en rien à l'image de nos ancêtres pour la morale chrétienne (Adam et Ève) ou pour les philosophes Voltaire ou Diderot, qui considèrent l'homme comme un être intelligent, dès le début, assoiffé de savoir et de progrès. Les critiques, de Voltaire en particulier, seront vives à ce propos.

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Denis DIDEROT, Supplément au voyage de Bougainville

AXE DE LECTURE : L'art de la persuasion - Le réquisitoire

A - Le vocabulaire :Il est simple, presque naïf. Il convient peut-être à l'image du "sauvage" telle que se le représente l'Européen de l'époque... Les mots appartiennent au langage courant, et, même si quelques expressions imagées s'y trouvent (13 :"dieu", "démon", 15: "cette lame de métal", 32 : "troquer"), on n'y trouve ni exotisme, ni folklore. On ne peut pas accuser Diderot de vouloir faire à tout prix couleur locale.

B - Les structures grammaticales utilisées : 1) il y a de nombreuses juxtapositions et coordinations de propositions indépendantes. Ainsi, les phrases sont claires et univoques. Le point-virgule suivi de "et" se trouve quatre fois dans les premières lignes (3,4,5,7). Les phrases sont en général courtes, précises, violentes.2) Il y a peu de subordonnées (17 : "Si un tahitien...", 20 : "Lorsqu'on t'a...") et elles introduisent des exemples, l'un irréaliste, l'autre concret, qui soutiennent la démonstration. 3) Le jeu habile des pronoms permet une variation assez imagée sur les personnes ("Tu" s'oppose à "nous", devient "vous" quand les Européens se déchirent pour "elles"). L'étranger est vu comme un groupe inexistant derrière un chef, alors que les Tahitiens sont une entité unie, soudée, et qui résiste. 4) De nombreux parallélismes de construction viennent soit renforcer cette opposition entre les comportements des deux peuples, soit au contraire montrer la singularité de la condition d'être humain.5) La ponctuation est très expressive : exclamative, elle souligne l'indignation, la révolte, la colère du chef face à l'injustice. Interrogative, il s'agit de questions oratoires, mettant en évidence la mauvaise foi des colonisateurs (16) ou le comportement exemplaire des soit-disant sauvages (26 à 29).

C - Les figures de style : Accumulation dans les questions, jeu sur les sons (6 : "du tien et du mien", 5 : "tout est à tous"), antithèses ("notre ignorance... tes inutiles lumières" à la fin du texte), tous les procédés de la rhétorique montrent finalement un texte extrêmement travaillé et construit, sous son apparente simplicité : un réquisitoire d'une grande éloquence, donc. Deux paradoxes montrent bien la maîtrise de l'exemple : 1) Nous te volons des bagatelles (20) donc tu te mets en colère et pendant ce temps tu voles notre pays tout entier...2) Tu n'es pas esclave, tu ne supporterais pas de l'être et en même temps tu penses que nous pourrions le supporter sans résister...

D - Les idées : - Menace sous-entendue : nous ne nous laisserons pas dominer sans résister.- La notion de propriété n'est pas un apport positif de la civilisation. Elle crée la discorde. Cette polygamie qui choque les européens est, chez les Tahitiens, facteur de cohésion sociale. - Un Tahitien vaut un Européen par sa nature (métaphore du miroir : "notre image en toi"), par son courage (25 : " défendre sa liberté et mourir"), et par ses droits à vivre en paix chez lui. - La prise de possession d'un pays par le plus fort n'est que du vol (22).- La civilisation dite sauvage a eu un comportement exemplaire alors que l'autre a apporté haine et violence avec elle. Pourquoi donc la prendre comme modèle ?

Conclusion :

Ce texte est un virulent réquisitoire contre la colonisation. Ses traditions, la vie naturelle, voire sauvage, son peu d'intérêt pour les valeurs marchandes, la tranquillité, voilà ce que le Tahitien a à perdre. Mais en face, ce qu'on lui propose, c'est la violence, le vol, la loi du plus fort, le non-respect de l'autre, soi-disant au nom des Lumières et de la civilisation. Son choix est donc celui de la sagesse et peut-être aussi du courage.

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MONTESQUIEU, De l’Esclavage des nègres

AXE DE LECTURE : L'ironie comme procédé démonstratif

I - La prise de distance par rapport à ses propos :Utilisation du conditionnel, de l'hypothèse "si j'avais... je dirais"Cette hypothèse de départ n'étant pas valide, le reste est automatiquement invalidé. Cette supposition (ridicule) que Montesquieu pourrait prendre le parti des esclavagistes tombe d'elle même quand on considère le ton employé...

II - L'ironie : a) Elle est rapidement manifeste quand les arguments avancés sont absurdes. Ex1. : Les Égyptiens, intelligents, faisaient mourir les hommes roux ! Alors nous, tuons les noirs... Ex2. : On ne peut avoir une âme blanche (pure) dans un corps noir... Le côté choquant ou simplement stupide de ces arguments saute aux yeux de tout homme intelligent, même esclavagiste. D'ailleurs, il existe sans doute des esclavagistes roux...b) L'ironie est perceptible quand les relations logiques utilisées sont fausses, dans les syllogismes.Ex1. : Les peuples d'Europe on tué les Indiens - Mais ils ont beaucoup de terres à défricher - Donc ils doivent mettre en esclavage les Africains.Ex.2 : Ces hommes sont tout noirs et ils ont le nez écrasé. Donc on ne peut pas les plaindre. Et on peut continuer à les exploiter...Ici, la relation de cause à effet annoncée et attendue est inexistante.Même si ces deux arguments sont racistes et cruels, ce sont sans doute les vraies raisons des esclavagistes qui sont présentées là. Mais elles sont présentées de façon si méchante que celui qui aurait cette opinion serait obligé de s'en défendre, pour ne pas paraître stupide ou inhumain.c) Enfin, l'ironie est manifeste quand les arguments choisis ne pourraient pas être employés, même par un fervent esclavagiste : "il est impossible que nous supposions... nous ne sommes pas nous mêmes chrétiens". Ici, l'ironie se double d'une leçon d'humanisme.

V – Explication de la phrase :« … les peuples d’Asie, qui font les eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée ». Cette phrase, difficile à comprendre au premier abord, est une allusion sous forme de périphrase à la coutume barbare qui consistait, chez les sultans, à castrer (« d’une façon plus marquée ») les hommes chargés de surveiller leur harem (les eunuques) et à les priver ainsi « du rapport » (jeu de mots ?) qu’ils ont avec les êtres humains, avec les hommes « à part entière ». Désolé ;-)… Déjà qu’ils étaient choisis justement parce qu’ils étaient noirs, et que l’on supposait qu’ils seraient ainsi moins attirants que les hommes de leur pays…

IV - La démonstration : Montesquieu ne se contente pas d'ironiser ; il reproduit de vrais arguments esclavagistes, en en démontrant l'absurdité ou la cruauté : a) Pourquoi y a-t-il des esclaves noirs ? Simplement parce qu'il ne reste plus assez d'Indiens. Nous, Européens, les avions déjà exterminés... (Sous-entendu : nous sommes des monstres ; allons jusqu’au bout !)b) Pourquoi utiliser des esclaves ? Parce que cela coûte moins cher que des hommes libres.c) Pourquoi prétendre que les Noirs ne sont pas des êtres humains ? Parce qu'on ne peut pas traiter un être humain de cette façon. Effectivement, les esclavagistes devaient avoir besoin d’être confortés – par la religion catholique, entre autre - pour pouvoir continuer à exploiter les Noirs sans éprouver de remords. Ces arguments appartiennent aux domaines politique, économique ou moral. La religion, la race, l'apparence physique... ne sont que des prétextes, des excuses, de fausses justifications.

V - Le dernier argument : Le ton de la fin n'est plus ironique mais indigné; le vocabulaire moral employé ("miséricorde", "pitié") permet de dévoiler clairement la pensée de l'auteur, si le lecteur avait encore un doute. La critique politique faite aux princes d'Europe avec leurs "conventions inutiles" fait de ceux-ci les responsables d'un état de fait qu'eux seuls peuvent changer. Montesquieu en appelle ici à leur humanité, à leurs sentiments chrétiens. Il les oblige à considérer l'esclave comme un être humain, et l'esclavagiste comme un criminel.

Conclusion :

Ce texte n'est finalement guère équivoque; Il démonte bien les mécanismes économiques, religieux, culturels ou les préjugés qui ont poussé des hommes à utiliser d'autres hommes comme esclaves. L'attrait de l'argent, l'indifférence à la souffrance d'autrui, le mépris des autres se trouvent ici clairement désignés comme responsables d'un tel comportement, malgré tout ce que l'on peut prétexter. Et les parents esclavagistes auront bien du mal, ensuite, à expliquer à leurs enfants, qui les verront faire, comment ils peuvent être chrétiens et en même temps si inhumains…

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Jean RACINE, Andromaque (1667)

Acte I, scène 2 : Rencontre Oreste – Pyrrhus

AXE DE LECTURE : Deux négociateurs de talent

Situation

Oreste, ambassadeur grec, est reçu à la cour de Pyrrhus, roi d'Épire. Il aime depuis toujours Hermione, fiancée à Pyrrhus. La mission d'Oreste est de ramener aux grecs le petit Astyanax, fils d'Hector et d'Andromaque. Pyrrhus, roi d'Épire, est tombé amoureux de sa captive Andromaque, veuve du grand chef troyen Hector et fidèle à la mémoire de cet époux. Hector a en effet été tué, durant la guerre de Troie, par le père de Pyrrhus, le glorieux Achille. Si Pyrrhus aime tant Andromaque, il refusera de laisser partir et de sacrifier son fils Astyanax, que les Grecs veulent tuer. Oreste aura donc failli à sa mission qui consiste à le ramener, mais il aura eu sur le plan sentimental, l'avantage de séparer définitivement Hermione, la princesse grecque, de Pyrrhus à qui elle est fiancée. Elle ne pourrait évidemment pas rester chez celui qui aurait décidé d'épouser une autre femme. Oreste se demande s'il ne va pas purement et simplement enlever Hermione (v.99) Ici, nous sommes au début de la pièce : Oreste va faire sa demande à Pyrrhus, au nom des Grecs... La scène se passe au palais de Buthrote, la capitale de l'Épire. V.140 : "Pressez, demandez tout pour ne rien obtenir" a conseillé Pylade, roi et confident d'Oreste. C'est ce qu'il fait ici...

La demande d'ORESTE

V.143 à 150 : Les salutations et les compliments, exagérés - Le rôle de chacun est précisé : Oreste est la "voix" de "tous les Grecs" (143), fier d'avoir été choisi pour rencontrer (périphrases, v.146) "le fils d'Achille et le vainqueur de Troie". Une extrême politesse ("Seigneur", v.145) et un peu de flatterie ("nous admirons vos coups", v.147) permettent de montrer le rôle primordial de Pyrrhus dans la conquête de Troie.V.148 : "Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous" : Une suite de figures de style :

Personnification de Troie (sublimation de la tragédie). Mort d'Hector présentée par un euphémisme. Parallélisme de construction pour comparer les effets du père et ceux du fils, à l'avantage du fils...

V.151 : L'objet de l'ambassade est évoqué : le fils doit achever ce que le père a commencé, et non "entretenir le reste"(154) d'une trop longue guerre. Rappel du devoir donc. V.155 : Pourquoi ? Parce que le seul nom d'Hector fait encore frémir les veuves et les filles grecques, pensant aux enfants et aux époux qu'Hector leur a ravis. Le fils, Astyanax, sera peut-être "tel qu'on a vu son père"(163). Les Grecs ont peur. V.165 : Seconde raison, personnelle ("Ce que JE pense") : Vous êtes trop gentil ("vos soins", "récompense" sont ironiques.) La fable du paysan recueillant un serpent et le réchauffant, avant qu'il ne s'attaque à celui qui l'a sauvé de la mort, est évoquée. Cette faiblesse, de la part d'un guerrier, peut être fatale. Il faut être méfiant, prudent. V.169 : Troisième raison : Faites plaisir à vos alliés, les Grecs, et non à vos ennemis, les Troyens. Petite menace perfide : "Assurez leur vengeance, assurez votre vie" pendant qu'il en est temps car votre ennemi n'est pour l'instant qu'un petit enfant, qui, pour s'entraîner, "s'essaiera sur vous" et finira par les Grecs. Il faut faire vite, et ne pas vexer ses alliés. Faire autrement serait trahir.

La réponse de PYRRHUS

Les salutations et les compliments, ironiques cette fois - La Grèce a peur pour moi ? Quand on m'a dit que c'était "le fils d'Agamemnon" (= Oreste, vers 178) qui venait en ambassade, j'ai cru à un problème plus grave, à "plus de grandeur" (v.176). En effet, ce projet est ridiculisé et décrit en termes humiliants car il consiste à ne "conspirer que la mort d'un enfant" (v.180). On retrouve l'allusion à une ascendance paternelle glorieuse ainsi que le terme de "seigneur" (v.175) mais la réponse, s'adressant à "La Grèce" et non à l'ambassadeur, est dès le départ négative. Occupez-vous de "soins plus importants"(v.174). Et pourquoi un tel refus ? D'abord, parce que les captifs sont un droit du vainqueur. Le champ lexical de la justice "à qui prétend-on" (v.181), "quelque droit" (v.182), "pas permis" (v.183),"mes droits" (v.191) montre bien cette réticence du héros, qui veut avoir tous les privilèges de sa victoire. Si on les lui ôte, ce sera une injustice (telle que celle que l'on retrouve déjà chez son père, privé par celui d'Oreste, de sa captive Briséis.) Le rappel de la règle est exposé par l'exemple : "Le sort" (v.187) a désigné Hécube pour Ulysse, Cassandre pour Agamemnon, Andromaque et son fils pour Pyrrhus : Et personne n'a protesté alors... Ensuite, parce que Pyrrhus ne saurait avoir peur d'un danger si peu probable. Or, il ne lit pas dans l'avenir, explique-t-il ironiquement (v.196 : "je ne sais point prévoir les malheurs de si loin"). Quand il contemple Troie, il se souvient de la ville d'autrefois, "si superbe en remparts, en héros si fertile" : (chiasme flamboyant des adjectifs, vers 198). Cette ville, "Maîtresse de l'Asie", il l'a pourtant conquise et anéantie : "des tours que la cendre a couvertes, un fleuve teint de sang, des campagnes désertes, un enfant dans les fers". Par cette énumération, le déclin est sensible. Il ne reste de Troie qu'un enfant sans défense. Vers 204: "Troie en cet état", est-ce vraiment un danger ?

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Jean RACINE, Andromaque (1667)

Dernier argument : un an après, c'est trop tard. Il aurait fallu le faire un an avant, pendant la guerre et dans l'excitation du combat. Maintenant, ce serait criminel. Le rappel de la cruauté de la guerre, par le champ lexical de l'horreur, justifie la clémence du vainqueur ("cendre", "sang", "fers", "immoler", "morts", "accabler", "meurtre", "coups", "courroux", "cruauté", "sang d'un enfant"). Pourquoi s'acharner sur ce peuple, après lui avoir tout pris ? Il évoque ce qui aurait dû se produire, la mort immédiate du petit garçon et de son grand-père Priam, le père d'Hector, à l'aide d'une tournure abstraite : "la vieillesse et l'enfance / En vain sur leur faiblesse appuyaient leur défense". Le vieillard n'aurait pas pu sauver l'enfant et réciproquement. Ils seraient tous les deux morts alors, en pleine bataille, et cela aurait été normal, pendant cette nuit de victoire (vers 211) où ces deux éléments, présentés en allégorie, poussent les hommes à accomplir des choses qu'ils ne font pas en temps normal. Ce n'est donc pas de la faiblesse qui a poussé Pyrrhus à ne pas sacrifier cet enfant, c'est de la grandeur. Selon lui, les Grecs ne peuvent pas considérer un enfant comme un ennemi sérieux. "Qu'ils poursuivent ailleurs ce qui reste de Troie". Il envoie donc les Grecs (v.220) se faire voir ailleurs ;-)

Conclusion :

Oreste va tenter de poursuivre le débat, sans conviction. Il sait qu'il ne partira pas avec Astyanax. Il rappelle cependant :

qu'Astyanax aurait dû l'être mais qu'il n'a pas été tué par erreur, à ce moment-là, que les Grecs pourraient s'étonner et se vexer qu'un allié soutienne l'ennemi, qu'Hermione et son père sauront peut-être faire changer d'avis le vainqueur de Troie.

Pyrrhus reste ferme : Je n'ai pas peur des Grecs et ne suis ni l'esclave d'Hermione, ni celui de son père. Il conseille à Oreste d'aller rendre visite à sa cousine Hermione, en partant. "Je ne vous retiens plus" (v.247) Quand son ami Phœnix lui demandera pourquoi il pousse Oreste dans les bras de sa maîtresse (v.249), Pyrrhus répond à celui-ci qu'il sait bien qu'Oreste en est amoureux, et qu'il pourrait peut-être le débarrasser d'une fiancée encombrante. "Qu'elle parte [...] Tous nos ports sont ouverts et pour elle et pour lui." (v.255) Ainsi le double langage et le double jeu de ces deux personnages est total.

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Jean RACINE, Andromaque (1667)

Acte II, scène 4 AXE DE LECTURE : Un parfait coup de théâtre

I - La prise de parole :Dans cette courte scène de 21 vers (vivacité), Pyrrhus mène nettement le jeu :10 vers (Pyrrhus) + 2 vers (Oreste) + 8 vers (Pyrrhus) + 0,25 vers (Oreste) . Oreste ne prononce que deux vers auxquels s'ajoutent les deux mots de la fin. Pyrrhus jubile. Il annonce sa décision en deux tirades, en dosant ses effets, la première de dix vers, la seconde de huit. Dans la première tirade, il livre Astyanax, dans la seconde, il épouse Hermione. La situation d'Oreste est celle d'un témoin de la décision, pas celle d'un interlocuteur. Et il va être mis face à l'évidente : il n'a aucun pouvoir.II - La ruse de Pyrrhus dans la première tirade :a ) L'utilisation des pronoms personnels "Je" et "vous" : Observer comment le pronom personnel de première personne est en tête de vers, en début d'expression et en position dominante dans la tirade, qui s'achève cependant par une ouverture : "on", représentant "nous, mon peuple et moi" et surtout par "votre victime". Ainsi, Oreste est désigné comme responsable, voire comme assassin du petit enfant innocent. b) Cette tirade présente une argumentation simple : Vous m'avez convaincu, vous aviez raison ! Le travail psychologique fait par Oreste a porté ses fruits, prétend Pyrrhus : Le champ lexical de la conviction est utilisé : "vos raisons", "je l'avoue", "comme vous", "je ne condamne plus", "légitime". En effet, vos arguments faisaient preuve de "puissance", de "force", d'"équité". Liste des valeurs chevaleresques auxquelles Pyrrhus avait failli manquer : la Grèce : alliés politiques (la patrie) , mon père : la famille , moi-même : l'honneur. Ces valeurs reprennent leurs droits. Pyrrhus retourne à la raison et livre Astyanax.II - La réaction d'OresteOreste est surpris, mais il réagit rapidement. L'ambassadeur ne félicite pas le roi de se plier ainsi à la demande que lui-même avait faite... La contradiction entre ce qu'il a demandé et ce qu'il voulait en réalité (le refus de Pyrrhus) éclate ici. Mais il réagit avec ironie : Si le conseil est "prudent", c'est que Pyrrhus a eu raison d'avoir peur des menaces des Grecs. Et s'il est "rigoureux", c'est que l'esprit strict, sévère de Pyrrhus ne s'embarrasse pas de scrupules. Il sait et a toujours su être cruel. Le second vers est très ambigu : il renvoie l'accusation. Ce n'est pas ma victime, c'est votre rançon ! Le "sang d'un malheureux" montre Oreste comme plus sensible au malheur de l'enfant que Pyrrhus. Il s'agit d'un agneau, d'une victime qui expie pour les autres, d'un sacrifice au service d'une cause peut-être juste, "la paix", mais d'une cause que l'on "achèt[e]" au prix de la mort d'un innocent.III - L'estocade finale : la méchanceté de Pyrrhus.

Oui, mais je veux, Seigneur, l'assurer davantage (1):D'une éternelle paix Hermione est le gage ;Je l'épouse (2). Il semblait qu'un spectacle si douxN'attendît en ces lieux qu'un témoin tel que vous (3).

Vous y représentez tous les Grecs et son père (4),Puisqu'en vous Ménélas voit revivre son frère (5).Voyez-la(6) donc. Allez (6). Dites-lui(6) que demainJ'attends, avec la paix, son cœur de votre main (7).

Pyrrhus pousse plus loin la cruauté (1). Il veut faire plier Oreste, le rabaisser, l'humilier totalement et lui porter le coup de grâce final. Il le fait grâce à Hermione (2). Son rival est à sa merci, et il ne se gène pas pour le faire souffrir (3).Le ton change : - rappel sec de son rang et de son rôle d'ambassadeur (4), - rappel des liens familiaux, qu'il faut maintenant distinguer des liens sentimentaux (5). Pyrrhus feint d'ignorer la passion d'Oreste pour sa cousine et s'adresse, soit-disant, au cousin, non à l'amoureux. - ordres (6) et obligation de les exécuter : trois impératifs enchaînés.- demande protocolaire en mariage (7) : C'est Oreste qui devra amener Hermione à Pyrrhus, en tant que proche parent et en tant que représentant de son père Ménélas (5). La double synecdoque :"son cœur" et "votre main" (7) éclate les personnages en morceaux, les déchire, sépare les sentiments amoureux d'Oreste de ses devoirs de prince et d'ambassadeur grec.

Conclusion :

Après ces deux mots, Oreste quitte la scène. Evidemment, on est loin de la réponse intelligente. La surprise, la stupeur, la stupéfaction, la sidération... Bref ! Il ne lui reste plus qu'à s'en prendre à son destin, aux dieux qui lui en veulent depuis toujours (voir la légende concernant sa vie) et qui s'acharnent encore une fois sur lui. Il sait qu’il est maudit. Pyrrhus triomphe, surpris lui-même d'avoir fait son devoir. Dans la scène suivante il s’en vantera à son conseiller Phœnix, qui n'en revient pas non plus mais qui approuve, bien entendu. Pour une fois que Pyrrhus fait ce qu'il doit faire !

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Jean RACINE, Andromaque (1667)

Acte III, scène 7 : AXE DE LECTURE : La désignation des personnages

I – L’apostrophe : « Madame » Quatre fois dans le texte (1, 6, 21,30) Respect pour une « esclave, prisonnière » Amour et déférence Contact (fonction phatique du langage = Rester en communication, attirer l’attention)

II – La première personne : « je » Souvent en début de vers, et même en anaphore : Personnage qui agit Extrêmement présent dans le texte : égocentrique (au moins 25 occurrences) Souvent suivi de « vous » : une tirade qui s’adresse à Andromaque et montre le pouvoir que le sujet « je » a sur

le complément d’objet « vous » Associé à « moi » : qui montre les sentiments personnels (amour, sympathie, compassion, émotion) Deux fois remplacé par « nous » : (vers 10 et 14) le personnage rêve de pouvoir associer les deux noms, les

deux vies, par le mariage.

III – Les autres personnes : L’enfant, Astyanax, est « ce fils » (vers 1 et vers 28) : distance par rapport à Pyrrhus : ce n’est pas et ce ne sera

jamais son enfant. « sa vie » vers 12, « en sa faveur » vers 13, « sauvez-le » vers 14: la troisième personne ici marque l’enjeu de la

négociation. Pyrrhus semble plaider en faveur de cet enfant, et il rend en même temps Andromaque responsable, s’il son fils est tué par Pyrrhus. « vous couronner, Madame, ou le perdre » vers 30.

Hermione : la fiancée délaissée. Nommée puis décrite par le tort que Pyrrhus va lui faire par amour pour Andromaque : il est prêt à rompre les liens politiques (alliance avec les grecs) et les liens matrimoniaux (« son hymen » vers 19)

Conclusion :

Les pronoms personnels et adjectifs possessifs ou démonstratifs illustrent bien ici le talent de négociateur de Pyrrhus. Ses arguments sont à double tranchant, et la menace suspendue sur la tête du fils d’Andromaque est maintenant clairement présentée : c’est elle qui a le choix de la vie ou de la mort de son fils.Que fera-t-elle ?

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Jean RACINE, Andromaque (1667)

Acte IV, scène 5 : la fureur d’HERMIONEAXE DE LECTURE : un amour non partagé

I - Situation de la pièce et du passage :

Cette pièce a été écrite en 1667, à l'époque classique, par Racine, poète dramatique rival de Corneille. Andromaque, tragédie racinienne, se déroule à la fin de la guerre de Troie. Pyrrhus, roi grec, est amoureux de sa prisonnière troyenne, Andromaque, et il a décidé de rompre ses fiançailles avec Hermione, princesse grecque. Dans cette tirade, Hermione lui en fait le reproche de façon violente.

II – ETUDE :

La désignation de Pyrrhus par Hermione : Hermione passe du tutoiement au vouvoiement et revient en fin de tirade au tutoiement : les reproches, la soumission, la colère et la menace se succèdent dans cette désignation. En effet, Pyrrhus est d'abord « cruel » (1) car il joue avec les sentiments amoureux, puis accusé de « parjure » (7) car il a promis de l'épouser. Mais Hermione l'aime et ne reçoit rien en retour : « ingrat » (13), il ne voit pas toutes les humiliations qu'elle a subies pour lui. Dans cette première partie, elle utilise le tutoiement.

Ensuite, elle demande une faveur : son ton humble « Seigneur (14) et « Maître » sert alors à tenter de le fléchir. De plus, par respect, elle le vouvoie. Dans l'attitude distante de celui-ci, le mépris semble évident. Alors Hermione éclate. Elle revient brusquement au tutoiement : « Vous ne répondez point ? / Perfide [...] tu comptes les moments que tu perds avec moi ! »(21). Cet épithète (« perfide ») marque la colère d'Hermione consternée du double jeu de celui qu'elle aime. Prise d'une fureur froide, elle finit par menacer celui qu'elle appelait « Maître » quelques instants avant. Cette fois, elle parle d'elle à la troisième personne, devenant une menace pour lui (« crains encor d'y trouver Hermione » au vers 31)

La violence de la passion : La passion, d'abord, s'exprime dans une déclaration d'amour très claire, voire impudique (vers 1, 10 ou 13). Hermione s'abaisse et se présente comme capable de tout accepter de la part de celui qu'elle aime, même son infidélité. Elle a honte (v.5) de son comportement qui manque de noblesse, mais elle n'y peut rien . Vers 13 :« Je doute encor si je ne t'aime pas »Tout ce qu'elle a subi et accepté se trouve réuni dans les treize premiers vers « aimé », « dédaigné », « mes bontés », « mon injure », « j'attendais », « j'ai cru », « je t'aimais inconstant », « même en ce moment ».

La ponctuation (exclamative et interrogative) exprime cette violence, marquée aussi par les anaphores (« Va ») et les verbes à l'impératif. Les questions rhétoriques (v.1 et 10), la colère (v. 10 ou 21), nous montrent bien une femme jalouse et hors d'elle.

La menace, enfin, vient achever cette tirade ou l'exaspération d'Hermione culmine, face à la froideur de celui qui la repousse avec dédain. Les Dieux seront ses alliés (v.28 : « Ces Dieux, ces justes Dieux n'auront pas oublié & ») car elle est dans son bon droit (v.29 : « Que les mêmes serments avec moi t'ont lié ») Ils n'accepteront pas ce parjure « au pied des autels » (v.30). Le dernier vers exprime bien le risque que prend alors Pyrrhus : Qu'y aura-t-il au pied de ces autels ? Hermione morte (elle menace peut-être de se suicider au vers 18) ou un assassin envoyé par elle (ce qu'elle fera) ?

La tonalité du passage : Lyrique, cette tirade décrit les sentiments d'Hermione prête à tout par amour. Le champ lexical de la passion s'y mêle à la synecdoque du coeur qui s'exprime ou qui s'absente vers l'être aimé. C'est une véritable déclaration d'amour.

Élégiaque , elle présente une Hermione abattue, prête à accepter sa défaite et à mourir, soumise, résignée (v.16 : « achevez votre hymen, j'y consens ») et triste. Cet état d'esprit ne durera pas longtemps !

Le texte s'achève sur le ton épique : la suite d'impératifs, les anaphores violentes poussent Pyrrhus à précipiter son crime (son mariage sacrilège) et sa propre mort. Les termes employés expriment la grandeur : v.26,« la foi », 27, « majesté sacrée » des « Dieux », v.29, « serments ». La gradation finale rappelle l'appel aux armes de Don Diègue à Rodrigue (« Va, cours, vole et nous venge ! ») dans le Cid de Corneille. Ce rappel ironique montre bien l'attitude combative d'Hermione : inutile de traîner, s'il doit l'abandonner de toutes façons ! Elle ne laissera pas celui qu'elle aime à quelqu'un d'autre et elle saura s'en débarrasser...

III - Conclusion : La catharsis dans le théâtre classique.

La catharsis est la « purgation des passions » par le spectacle de celles-ci et celui des conséquences que cette passion peut entraîner. La tragédie doit inspirer la terreur et la pitié du spectateur .Ce principe d'Aristote mène toutes la tragédie racinienne En voyant sur scène ces personnages livrés aux tourments de leur amour impossible ou fou, le spectateur sera purifié de ses propres passions, comme un sacrifice animal prendrait sur lui les péchés humains. Ici, le spectacle d'Hermione qui se rabaisse par amour toute princesse qu'elle est, et qui perd toute dignité face à celui qui la méprise, celui de Pyrrhus prêt à oublier son devoir et à risquer la mort ou la destitution par amour pour une esclave, la jalousie exacerbée d'Hermione, qui lui fera commanditer un crime, sont bien des exemples que l'on n'a guère envie d'imiter. Tout ici manque de grandeur d'âme, de noblesse.

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Jean RACINE, Andromaque (1667)

Acte V, scène V : La folie d’ORESTEAXE DE LECTURE : Un épilogue tragique

[Plan : I) La fuite - II) La mort - III) La folie ]I) La fuite : A. Il n’y a aucune autre issue : ni le combat, inégal, ni le sacrifice, inutile.Pylade, roi et conseiller, cherche à sauver son ami Oreste. Il lui propose la solution de la dernière chance. Acte I, scène 1, il était là pour accueillir Oreste. Acte V, scène 5, il est là pour le sauver. Cette reprise des mêmes personnages confirme le statut d’épilogue : retour au point de départ, la boucle est bouclée. Le dramaturge remet sur scène ces personnages afin de signifier la fin.B. C’est le dernier espoir : 1. Les dangers sont nombreux : v.4 « tout le peuple assemblé » (périphrase destinée à impressionner) ; v.6 « nous comme ennemis » : leur position sociale a changé ;v.3 « nos Grecs pour un moment... » : ils ont encore des alliés, mais cela ne va pas durer.2.Il est urgent de s’enfuir. Ch. lex. du temps (« pour un moment », 3, « n’attendons pas », 11, « Hermione tient encore le peuple autour d’elle», 13,  « Amis, le temps nous presse »,66)Le délai est donc du au spectacle du suicide d’Hermione. Le peuple hostile va bientôt reprendre sa chasse.

II) La mort :Elle est très présente dans ce passage. On la retrouve dans :1. Les deux récits successifs de Pylade à Oreste. Le premier ayant ici la double fonction de narrateur et de confident dévoile au spectateur en même temps qu’à son ami ce qui s’est déroulé en dehors de la scène. De cette façon la bienséance est respectée : pas d’action violente, pas de sang sur scène. Il ne faut pas choquer. (De même l’unité de lieu ne souffre pas. Le temple et le palais restent deux lieux distincts :- Le temple est ouvert, extérieur, politique, populaire. C’est le lieu de l’action invisible, juste évoquée.- Le palais est fermé, royal, calme. C’est le lieu des passions intérieures, de la réflexion.)2. La crainte d’être assassiné : par un euphémisme, v.2, Pylade évoque le risque de mort « n’en sortir jamais ». Il ne doit pas montrer de lâcheté, mais il a peur... Le champ lexical de la violence [« défendent la porte » 3 , « main forte » 4, « ennemis » 5, « on le venge » 9, « venger » 10 , « sûreté » 14] montre qu’il ne s’agit pas d’une simple arrestation puis d’un jugement qui attend ces régicides. Ils mourront si le peuple, les soldats les attrapent.La violence sera aussi celle que l’on s’inflige soi-même, parce que l’on souffre trop. Hermione, v.32, va « se frapper et tomber ». Oreste veut, dans un geste de démence, s’arracher le cœur et le porter à celle qui l’a fait souffrir (v.65).3. Le ch. lex. de la mort, constant, du début à la fin du texte : l.20, 21 (deux fois), 22, 28 « trépas », 31 « poignard », 32 « se frapper et tomber », 40 « je meurs content », 43 « en mourant », la périphrase 45 « épaisse nuit » ou 61 « l’éternelle nuit » 4. le ch. lex. de l’horreur, qui dépeint une vison apocalyptique : trois fois le mot «  sang » dont une fois dans l’hyperbole « ruisseaux de sang » (28,42,48), « poignard », la litote qui atténue l’insoutenable : 29 « cet objet » (le corps de Pyrrhus transpercé et couvert de sang), 52 « percé de tant de coups », 58 « filles d’enfer », 57 « démons » et « serpents », 64 « déchirer » et 65 « mon cœur à dévorer ». On peut ajouter à ces termes les connotations morbides des couleurs rouge et noire qui obsèdent Oreste dans son hallucination.

III) La folie :Au comportement logique de Pylade s’oppose celui d’Oreste, irrationnel et désespéré, souhaitant la mort, hurlant des imprécations aux Dieux, provoquant la mort. C’est sa punition, mais pour quelle faute ? En effet, son tort est d’être « follement » amoureux. Il présente une démarche courageuse et suicidaire au début de la scène : v. 17 « J’ai fait le crime et je vais l’expier ». (Pourtant, ce n’est pas lui qui a directement tué Pyrrhus. Ce sont ses hommes. Il a avoué ne pas en avoir eu le courage.) Apprenant la mort d’Hermione, il garde quelques instants de lucidité, lançant des imprécations au Ciel qui s’acharne sur lui et parlant avec ironie de son sort. Mais il parle déjà de lui au passé : vers 38 : « j’étais né pour servir d’exemple à ta colère ». Hermione est morte, il n’a plus d’avenir et pense encore plus au suicide (v.42) : « Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie / L’un et l’autre en mourant je les veux regarder. » Il n’aura pas l’occasion d’accomplir cet acte qui en ferait quelqu’un de responsable. Les Dieux peuvent aller encore plus loin dans la punition et vont le rendre fou. Il se voit alors, dans un décor sanguinolent, poursuivi par les « regards affreux » d’Hermione (v.56), par les serpent et les démons qui sont derrière elle (v.57), par les « Filles d’enfer » (59), (les Furies ou Erynies) tirant derrière elles un véhicule nautique certainement (« l’appareil ») destiné à l’emporter à tout jamais (v.60) sur le fleuve des Enfers. La fatalité, le « fatum » dispose ainsi de l’individu. Oreste sait qu’il n’est qu’un jouet entre les mains des Dieux. Il manifeste l’acceptation de ce rôle (l.38: j’étais né pour servir d’exemple ») par l’ironie (v.34, « je te loue, ô Ciel », v.40 « je meurs content et mon sort est rempli », v. 41 « pour couronner ma joie ». Stupidité ? Provocation ? Il ne peut pas être plus mal traité, « modèle accompli » du malheur, comme il le dit lui-même. Mais il se dit peut-être qu’il l’a mérité. Il n’est pas insensible : au contraire, il souffre tant qu’il ne sent plus les coups. Cette folie, c’est certainement une façon (brutale et involontaire) d’échapper à sa douleur.

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Jean RACINE, Andromaque (1667)

Les manifestations de la folie d’Oreste : a) Ses sens sont brouillés (obscurité, rouge); vision (face à Pylade, il voit Pyrrhus, au vers 50, et le frappe enfin « Tiens, tiens, voilà le coup que je t’ai réservé » )b) Son élocution se trouble : le récit hésite et bégaye (les serpents d’Hermione deviennent ceux des Furies). Dans l’écriture, Racine s’applique à produire des effets de style marqués : la ponctuation interrogative montre l’incompréhension, les points de suspension la stupéfaction et le doute. La suite de verbes au présent de l’indicatif nous permet de suivre « en direct » la progression de la folie.c) Oreste délire à haute voix et nous fait part de ses visions. Elles n’ont rien de réaliste, mais elles ne le surprennent même plus. Il se laisse emporter. Les impératifs de la fin « Venez (62)... Mais non, retirez-vous (63) » montre d’abord qu’il ne sait plus ce qu’il veut, ensuite qu’il est devenu une victime, qu’il n’est plus acteur de sa vie. Il parle même une fois de lui à la troisième personne (v. 62)La synecdoque qui achève sa tirade : « Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer » nous indique que pour lui, Hermione fait maintenant partie des Furies, ces divinités qui poursuivent les assassins.d) Son comportement, déjà agité, devient violent : « Tiens, tiens » fait presque partie des didascalies et les derniers mots de Pylade, parlant de son ami à la troisième personne, nous permettent de comprendre qu’il s’est évanoui et qu’il faut vite en profiter : « il perd le sentiment... Sauvons-le... reprenait sa rage avec ses sens». Une fuite donc, mais surtout un personnage dégradé, dont il faut maintenant s’occuper comme d’un enfant.

Conclusion :La fonction cathartique de la tragédie (la catharsis correspond au fait de provoquer l’horreur et la pitié chez le spectateur afin de le purifier de ses mauvais penchants) est parfaitement remplie par cet épilogue qui contient le récit d’un meurtre, la description du corps sanglant, le récit précis d’un suicide, la vision d’un personnage qui maudit les Dieux et qui perd la raison... La scène de théâtre est ici le lieu de l’extrême où se rejoignent la passion et la folie, la gloire et la mort. Et Racine termine par cette pitié qui ne peut que nous saisir à la vue d’Oreste fou. Ce personnage n’était ni un méchant (comme Pyrrhus) ni un personnage héroïque (comme Andromaque). Il a été emporté par une histoire plus grande que la sienne, jouet de la fatalité, comme nous pouvons tous l’être un jour. Mais il ne sort pas grandi de cette histoire qui se déroule au-dessus de sa tête. Il y perd au contraire sa dignité et son humanité. Il se trouve rabaissé au rang de « déchet » et évacué de la scène par ses camarades consternés. Si nous pouvions jusqu’alors nous comparer à lui, et même le trouver sympathique en amoureux sans cesse repoussé, l’identification du spectateur au personnage cesse brutalement. Quelle horreur ! Quelle tragédie !

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