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LA LETTRE DU CONSEIL

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N° 61 - août 2015

LA LETTRE DU CONSEIL

| 11, rue de l’Hôtel-de-Ville | 1204 Genève | tel +(41) 22 310 50 65 | fax +(41) 22 781 45 59 | www.odage.ch |

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Discours du Bâtonnier prononcé lors du Banquet de l’Ordre des avocats du 27 mars 2015Me Jean-Marc Carnicé

Communications du BâtonnierMe Jean-Marc Carnicé

Discours prononcé lors du Concours international de plaidoirie pour les droits de l’Homme: «Le programme de torture de la CIA»Me Nicolas Gurtner

Discours prononcé lors du Concours international d’éloquence de la rentrée solen-nelle du Barreau de Toulouse: «Toulouse or not to loose?»Me Louis Frédéric Muskens

Le droit humain à l’eau, un concept mal compris?Me Evelyne Fiechter-Widemann

20ème édition du «Marathon du droit»Me Philipp Fischer

Libres réflexions sur la médiation et le BarreauMe Pierluca Degni et Me Guillaume Tattevin

Missions à Bamako, MaliMe Philippe Currat et Me Arnaud Moutinot

L’innovation radicale ou la promesse d’un nouvel avenir économiqueM. Christophe Donay

Le nouveau plan d’utilisation du sol de la Ville de Genève: nouveautés et incertitudesMe Philippe Cottier

La contribution de l’avocat dans la pérennité et l’instauration de l’Etat de droitMe Taoufik Ouanes

MAH+ Genève: droit de réponseMe Philippe Cottier

Admissions à l’Ordre des avocats

SOMMAIRE

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Il incarnait pour nous tous l’avocat par excellence.

Il a porté nos valeurs au plus haut, jusque dans l’élé-gance de son quotidien.

Elégance du verbe mais aussi des relations humaines.

Il n’était pas seulement un avocat d’une grande intel-ligence et un orateur d’exception mais aussi et peut-être surtout un homme de dialogue et de tolérance.

La disparition du Bâtonnier Halpérin a laissé un im-mense vide dans notre Barreau et dans nos cœurs.

Le Bâtonnier Halpérin a rejoint les grandes voix éteintes de notre Barreau.

Son Bâtonnat brillant et éclairé a marqué l’histoire de notre Ordre et nous lui en serons toujours infiniment reconnaissants.

Michel Halpérin s’est battu pour la défense, contre la gigantesque machine à broyer du pouvoir.

Il ne se taisait pas quand il voyait la justice faire fausse route, précisément parce qu’il la respectait.

Les avocats n’ont jamais eu de plus grand défenseur que lui.

Ce soir il nous manque, il est dans nos pensées et dans nos cœurs et il y restera pour toujours.

Monsieur le Procureur général de la Confédération,

Messieurs les Procureurs fédéraux,

Monsieur le Président du Grand Conseil,

Monsieur le Procureur général,

Monsieur le Conseiller d’Etat,

Messieurs les députés genevois aux Chambres fédé-rales,

Madame et Messieurs les Juges fédéraux,

Mesdames et Messieurs les Présidents de juridiction,

Mesdames et Messieurs les députés au Grand Conseil,

Madame la Présidente de la Cour des comptes,

Monsieur le Conseiller administratif de la Ville de Ge-nève,

Monsieur le Conseiller municipal de la Ville de Genève,

Mesdames et Messieurs les représentants du Pouvoir judiciaire,

Monsieur le Directeur de la Prison de Champ-Dollon,

Madame la Cheffe de la Police,

Monsieur le Président de la Fédération Suisse des Avocats,

Monsieur le Président de l’Union internationale des avocats,

Madame et Messieurs les Bâtonniers des cantons de Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Jura et Valais,

Madame et Messieurs les Bâtonniers des Barreaux de Paris, Nice, de l’Ain, de Thonon-les-Bains et du Luxembourg,

Madame et Messieurs les représentants des Bâton-niers du Barreau flamand de Bruxelles, d’Anvers, de Liège, des Barreaux de Chambéry et de Milan,

Monsieur le Secrétaire général adjoint de la CIB,

Monsieur le Secrétaire général du Barreau pénal inter-national,

Madame la Présidente d’Avocats Sans Frontières Suisse,

Monsieur le représentant du Conseil national des bar-reaux de France,

Madame la Doyenne de la Faculté de droit de Genève,

Monsieur le Président du Conseil de direction de l’Ecole d’avocature,

Mesdames les Présidentes de l’Association des ju-ristes progressistes,

Monsieur le Président de la Société de droit et de législation,

Monsieur le Président de la Chambre des Notaires,

Monsieur le Président de l’Association des clercs,

Monsieur le Président de la Chambre des huissiers judiciaires,

Monsieur le Premier secrétaire,

Madame la Présidente de la Section des avocats étrangers,

Madame la Secrétaire générale de l’Ordre,

Madame et Messieurs les Bâtonniers,

Chers Confrères,

Chers Amis,

* * *

Vous êtes très nombreux ce soir.

Plus de 800.

Jamais vous n’avez été aussi nombreux.

Et votre présence compte beaucoup pour moi.

Je l’accueille comme un signe de soutien, un geste d’amitié.

Grâce à vous je suis un Bâtonnier heureux.

Pour celui qui aime être courtisé, le Bâtonnat est un moment de jouissance.

Il l’est pour moi aussi, mais pour d’autres raisons.

Ce qui m’a particulièrement touché pendant cette première année de Bâtonnat, c’est la confiance qu’on m’a témoignée.

Dans les conflits, personnels ou professionnels, vous pouvez compter sur moi pour être discrètement médiateur ou simplement confident et vous aider à résoudre les situations délicates auxquelles vous pourriez être confrontés.

C’est mon activité quotidienne depuis que j’ai initié mon Bâtonnat.

Je veux être particulièrement attentif à cet aspect de

DISCOURS DU BATONNIER PRONONCE LORS DU BANQUET DE L’ORDRE DES AVOCATS LE 27 MARS 2015Me Jean-Marc Carnicé

* * *

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ma mission.

Les affaires que j’ai gagnées m’ont fait plaisir.

Celles que j’ai conciliées m’ont rempli de bonheur.

* * *

Certains m’ont approché pour me dire leur inquiétude face à la dégradation de notre image dans l’opinion.

Nous serions impopulaires.

Rien de nouveau cependant.

Voilà des millénaires que notre profession fait l’objet de critiques.

Les avocats ne seraient que des mercenaires habités par le goût de l’argent et un désir de gloire personnel.

Ils seraient au service des criminels et des nantis.

Les gens confondent malheureusement souvent dé-fense et complicité.

Ils voudraient qu’on assiste les innocents et ne nous pardonnent pas de nous occuper des autres.

Un institut a réalisé un sondage sur la cote d’amour des professions.

En tête viennent les pompiers parce qu’ils sauvent les animaux.

Ensuite les vétérinaires parce qu’ils les soignent.

Les médecins – qui ne soignent que les hommes – viennent évidemment bien après.

Les avocats sont pratiquement les derniers de la liste...

Pourtant lorsqu’on demande aux gens quelle pro-fession ils voudraient voir leurs enfants exercer, ils répondent d’abord: avocat!

Quel paradoxe!

Et quelle injustice!

James Fazy disait: «il est plus facile de critiquer les avocats que de s’en passer».

La défense de notre image nécessite de communi-quer, de réagir tout le temps et partout.

L’Ordre est présent chaque fois qu’il le faut dans les médias.

Cela est nécessaire mais pas suffisant.

Ce qui importe plus que tout, c’est la nécessité de défendre et faire vivre nos valeurs.

Et nos valeurs c’est aussi notre engagement, sou-vent désintéressé et discret, pour la communauté.

Les avocats se mobilisent pour des actions béné-voles de toutes sortes.

Ils s’engagent de façon citoyenne et solidaire et dis-pensent des services à ceux qui en ont besoin.

Il y a ceux qui défendent les droits de l’Homme. Ceux qui sont actifs au sein d’associations culturelles ou environnementales.

Ceux qui s’occupent des familles de détenus ou en-core du sort des enfants.

L’Ordre vient d’ailleurs de créer une nouvelle Com-mission des droits de l’enfant, la première de Suisse, qui a pour objectif de soutenir et former les avocats qui pratiquent la justice aux côtés des mineurs et de veiller au respect de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Tout cela mérite du respect et de la considération.

Je souhaite renforcer les actions bénévoles des avo-cats mais aussi les mettre en valeur, que le public prenne conscience de notre engagement pour le bien commun.

Comment mieux le faire qu’en allant à la rencontre des citoyens?

Nous allons nous rendre plus accessibles et plus visibles en descendant dans la rue!

C’est le projet de l’Avocat dans la Cité auquel le Conseil travaille depuis quelques mois.

Pour la première fois, les Genevois pourront bénéfi-cier d’un entretien gratuit d’environ vingt minutes en prenant rendez-vous sur le site internet de l’Ordre ou sans rendez-vous en se présentant spontanément dans divers lieux de la République.

Cette opération ambitieuse, qui devrait se répéter chaque année, aura pour point central une tente dressée en ville.

Mais d’autres consultations juridiques gratuites se-ront dispensées à la Maison des Avocats, dans les locaux de la permanence de l’Ordre et dans des mai-ries en périphérie.

Des animations pédagogiques dans les écoles sont prévues.

A l’aide de cas pratiques, on expliquera aux écoliers le rôle du droit dans la société, celui de l’avocat et aussi le fonctionnement général de la justice.

Je remercie la Ville de Genève, M. Barazzone qui est avec nous ce soir et qui est l’un des nôtres, et le Département de l’instruction publique de leur intérêt pour ce projet.

Tous les avocats seront bénévoles. Je solliciterai une soixantaine d’entre vous.

Ici aussi, l’Ordre sera pionnier en Suisse.

* * *

Nous ne devons pas avoir peur d’être un Barreau impliqué et visible parce que nous sommes un Bar-reau fort.

Une association de référence.

Il faut que cela se sache!

Notre Ordre est le deuxième plus grand de Suisse.

L’Ordre tel que nous le connaissons aujourd’hui fête-ra ses cent vingt ans en novembre prochain.

Mais la profession est organisée depuis 1712.

Il y avait alors cinquante-et-un avocats à Genève.

L’événement mérite d’être célébré.

J’ai chargé un historien de rédiger un ouvrage sur l’histoire de l’Ordre et de l’avocat dans la cité depuis le dix-huitième siècle.

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Ce livre, disponible cet automne, sera destiné aux avocats mais sera aussi distribué en librairie et pourra intéresser le grand public.

Je souhaite que le rôle des avocats dans l’histoire de Genève soit expliqué et mis en valeur.

Je veux que chacun se sente fier d’appartenir à notre Barreau.

Je tiens aussi à ce que l’Ordre intervienne et prenne position chaque fois qu’un projet de loi touche à un domaine du droit. Et nous le faisons plus que jamais.

Mais je tiens aussi à notre influence internationale.

J’ai beaucoup voyagé cette année pour l’Ordre des Avocats.

Je me suis rendu à Paris, à Madrid, à Barcelone, à Florence et dans toute la Suisse.

J’ai été représenté à Milan, à Tunis et ailleurs.

Partout j’ai reçu un accueil chaleureux.

En Suisse et à l’étranger, notre Ordre est respecté et écouté.

J’ai été heureux de constater que notre Barreau a une réputation flatteuse.

Celle d’incarner l’esprit de Genève.

Et l’esprit de Genève c’est notre vocation unique pour les droits de l’Homme.

L’Ordre est de plus en plus engagé dans l’assistance et le soutien aux avocats menacés dans l’exercice de leur profession ici et partout.

Nous avons envoyé une mission d’observation en Chine, reçu des avocats africains, soutenu des défenseurs des droits de l’Homme partout dans le monde.

* * *

Si le Barreau de Genève est écouté à l’étranger, c’est parce que notre Cité a un attachement profond, vis-céral, ancien et reconnu dans le monde entier à la liberté d’expression et aux autres droits fondamen-taux.

C’est notre histoire qui l’explique.

Mais soyons vigilants!

Gardons à l’esprit qu’aucun pays, même le nôtre, n’est à l’abri d’une érosion parfois subtile des droits fondamentaux.

Cela est aussi valable en matière judiciaire.

A l’heure où les débats politiques s’enveniment à propos de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, où certains irresponsables – y compris au gouvernement – suggèrent qu’il serait judicieux de dénoncer cette convention, battons-nous aussi pour protéger nos droits fondamentaux et conserver les mécanismes qui protègent nos libertés.

La CEDH a renforcé l’état de droit en Suisse.

Elle permet également un regard extérieur sur le sys-tème légal de notre pays.

Enfin la Suisse, présente à Strasbourg, contribue au respect des droits fondamentaux dans le reste du monde.

Veillons à ce que la Suisse reste un pays ouvert et ne s’isole pas davantage sur la scène internationale.

L’Ordre se battra contre l’inscription dans la Consti-tution de la primauté du droit national et pour la défense des droits humains parce que c’est notre devoir d’avocat qui l’exige.

* * *

Et puisque je viens de parler du devoir de résistance de l’avocat, permettez-moi de vous dire un mot de notre serment.

Il devrait se limiter aux qualités qui figurent au rang de principes essentiels de notre profession.

Soit honneur, dignité, conscience, indépendance et humanité.

Ce sont les cinq vertus cardinales de l’avocat.

Les méconnaître constituerait une faute profession-nelle.

L’honneur de l’avocat c’est sa dignité morale, son intégrité mais aussi sa forme toujours irréprochable.

La dignité c’est sans doute l’élégance que doit mani-fester en toute circonstance l’avocat et sa probité.

C’est aussi un comportement qui traduit ce senti-ment, une allure dans les manières qui inspire le res-pect.

La conscience de l’avocat c’est son engagement de défendre tout le monde, de ne jamais se taire sans autre limite que la loi et les règles de la déontologie.

L’avocat ne doit des comptes qu’à sa seule conscience.

L’indépendance, c’est d’abord la liberté.

Liberté de parole et de comportement que personne n’a le droit de restreindre.

Quant à la notion d’humanité, elle est importante et figure dans peu de serments.

Il s’agit d’un vrai sentiment de bienveillance, de com-passion envers les autres.

Or notre serment ne s’arrête malheureusement pas à ces cinq engagements.

Nous avons aussi promis ou juré de respecter la loi et de ne jamais nous écarter du respect dû aux Tribu-naux et aux Autorités.

Ce sont des évidences qui induisent l’idée d’une forme de soumission aux autorités.

Les magistrats méritent bien entendu notre respect.

Mais cette partie du serment doit être supprimée.

Les qualités humaines et professionnelles suffisent.

Notre serment ne doit plus être celui d’un auxiliaire de justice mais celui d’un véritable acteur et sa modifica-tion nous donner toute notre place dans la cité.

* * *

Je ne veux pas terminer sans adresser aux jeunes avocats un message positif: vous n’avez rien à craindre de l’avenir.

N’écoutez pas ceux qui vous disent que c’était mieux avant et que la profession est morte.

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C’est tout le contraire: vous allez faire une belle car-rière et l’Ordre est à vos côtés.

Veillez comme vos aînés au rayonnement intellectuel de notre profession.

Maintenez vivant l’esprit de résistance des avocats.

A nos invités suisses, français, belges, luxembour-geois, italiens, espagnols, uruguayens, russes, séné-galais, burkinabé, canadiens, je dis que le Barreau de Genève est très heureux et fier de vous accueillir. Merci de tout cœur de votre présence ce soir. Vous êtes ici chez vous.

Le Bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, nous honore ce soir de sa présence. Nos liens avec Paris sont pré-cieux. Je vous réassure, Monsieur le Bâtonnier, du soutien de notre Ordre suite aux terribles attentats de Paris contre la liberté d’expression et contre des innocents simplement parce qu’ils étaient juifs.

La violation délibérée du secret professionnel de certains avocats à Paris a profondément choqué le Barreau genevois. Nous serons toujours à vos côtés pour défendre les principes d’une défense libre et indépendante, sans laquelle il n’y a ni justice ni dé-mocratie.

Ma sympathie va aussi au Bâtonnier Mahfoudh de Tunisie qui a dû renoncer à être présent ce soir suite à l’attentat du Musée du Bardo. Nous serons en pen-sées avec nos Confrères tunisiens lors de la marche de solidarité contre le terrorisme prévue dimanche à Tunis.

Les magistrats sont très nombreux ce soir. Plus de trente. Vous êtes et vous serez toujours les bienvenus chez les avocats. Merci d’être parmi nous ce soir.

Je remercie chaleureusement la Secrétaire générale, Caroline Bydzovsky, les membres du Conseil, le Pre-mier secrétaire et le Comité du Jeune Barreau, la Pré-sidente du concours d’art oratoire, la Banque Pictet ainsi que tous ceux qui contribuent à la réussite de cette soirée, en particulier Mes Degni, de Lucia, Vec-chio et Micucci, vidéastes et comédiens de talent, Me Lembo et les Bâtonniers Reymond et Spira.

La fête ne fait que commencer.

Je vous souhaite à toutes et à tous une très belle soirée.

COMMUNICATIONS DU BÂTONNIERMe Jean-Marc Carnicé

1. Séminaire du Conseil

Le 8 mai 2015, à l’occasion de leur retraite bian-nuelle, les membres du Conseil ont notamment tra-vaillé à l’organisation de l’Avocat dans la Cité et à la célébration des 120 ans de l’Ordre.

Ils ont également préparé diverses communications aux membres en lien avec l’entrée en vigueur de la loi FATCA.

Le prochain séminaire du Conseil se tiendra du 1er au 3 octobre 2015.

2. Rencontre avec le Conseil de l’Ordre des avo-cats vaudois

Le 21 mai 2015 a eu lieu la traditionnelle rencontre annuelle entre les Conseillers des Ordres vaudois et genevois. Divers sujets ont été abordés, dont notam-ment la surpopulation carcérale et la détention illicite.

3. Rencontre avec les Bâtonniers des Barreaux lémaniques

Le 22 mai 2015, le Bâtonnier a rencontré les Bâton-niers des Barreaux de Thonon, de Bonneville, d’An-necy, de l’Ain, ainsi que les Bâtonniers du canton de Vaud et du Valais.

Les Bâtonniers d’Annecy et Thonon ont décidé d’or-ganiser un événement similaire à l’Avocat dans la Cité aux mêmes dates que Genève.

4. Rencontre avec les représentants de la Banque Pictet

Le 28 mai 2015 a eu lieu une rencontre entre les représentants de la Banque et le Conseil de l’Ordre. Les discussions ont notamment porté sur l’avenir du

partenariat.

Le Bâtonnier et très satisfait des relations entrete-nues avec la Banque Pictet.

Une conférence sur un thème d’actualité se tiendra le 24 septembre 2015 dans les locaux de la banque.

Une communication sera adressée en septembre à tous les membres à cet égard.

5. Rencontre avec le Ministère public de la Confédération

Le 28 mai 2015, le Bâtonnier a rencontré, avec les autres Bâtonniers romands, les Procureurs en chefs du Ministère public de la Confédération, à Lausanne.

Diverses questions ont été abordées dont notam-ment celles de la sécurité, de l’utilisation de la vidéo-conférence lors d’auditions de témoins à l’étranger et de la remise des copies des dossiers. Le Ministère public a accepté que les Ordres cantonaux dressent une liste des avocats prêts à accepter des nomina-tions d’office.

6. Election de Me Birgit Sambeth Glasner au Conseil de la Fédération Suisse des Avocats

Du 4 au 6 juin a eu lieu à Lucerne le Congrès de la FSA et la 114ème assemblée des délégués cantonaux de la FSA à l’occasion de laquelle Me Birgit Sambeth Glasner, ancien membre du Conseil de l’Ordre des avocats de Genève, a été élue au Conseil de la Fé-dération Suisse des Avocats.

Le Bâtonnier et le Conseil de l’Ordre sont très heu-reux de cette élection et félicitent chaleureusement Me Birgit Sambeth Glasner.

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Le Bâtonnier était accompagné de plusieurs membres du Conseil de l’Ordre et d’une importante délégation genevoise.

7. Rencontre avec le Département fédéral des affaires étrangères à Berne

Le 11 juin 2015, le Bâtonnier a été reçu par Mon-sieur le Secrétaire d’Etat Yves Rossier, en compa-gnie notamment de Me Sandrine Giroud et Me Jean-Jacques Martin.

Il s’agissait d’examiner dans quelle mesure la Com-mission des droits de l’Homme et l’Ordre des avo-cats de Genève peuvent contribuer à aider les avo-cats chinois à exercer leur profession de la manière la plus indépendante possible.

8. Délibération du Prix Ludovic-Trarieux 2015

Le 12 juin 2015, Me Isabelle Bühler Galladé, Me Marc Joory et Me Arnaud Moutinot ont représenté l’Ordre à l’occasion de la délibération du Prix Ludo-vic Trarieux 2015 qui s’est déroulée à Amsterdam.

Le Prix a été remis à Me Walid Abu al-Khair, avo-cat saoudien ayant largement œuvré en faveur de la défense des droits de l’Homme. Il a participé depuis plusieurs années à des actions intentées contre le gouvernement pour avoir emprisonné des militants sans charge et pour avoir interdit le vote des femmes aux élections municipales. Il a notamment été l’avo-cat d’un célèbre blogueur saoudien condamné en juillet 2013 à sept ans de prison et six cent coups de fouets. Me Abu al-Khair a été condamné à quinze ans de prison pour «désobéissance et rupture de l’allégeance du souverain», «manque de respect en-vers les autorités» et «outrage à magistrats»1.

La remise du Prix Ludovic Trarieux se déroulera le 27 novembre 2015 pour la première fois à Genève, dans le cadre de la célébration des 120 ans de l’Ordre des avocats (cf. infra ch. 17).

9. Rencontre avec la Section des avocats de Barreaux étrangers (SABE)

Le traditionnel dîner entre la Section des avocats de barreaux étrangers (SABE) et le Conseil de l’Ordre a eu lieu le 22 juin 2015. Le Bâtonnier remercie vive-ment la Présidente de la SABE, Me Karen Monroe, pour son immense engagement pour l’Ordre des avocats.

10. Rencontre avec la Chambre des notaires

Le 23 juin 2015, le Bâtonnier s’est rendu au dîner annuel des notaires et a pu prononcer un discours. Les relations avec les notaires sont excellentes et les intérêts communs nombreux.

11. Cérémonie solennelle du brevet d’avocat

La dernière cérémonie solennelle du brevet d’avocat

s’est déroulée le 29 juin 2015.

Cette promotion était parrainée par le Bâtonnier Luc Argand. Le Bâtonnier a également prononcé un dis-cours.

12. Prises de position sur des projets de lois

En avril 2015, l’Ordre des avocats a adressé au Dé-partement fédéral des fi nances une prise de position sur la procédure de consultation relative à l’échange international de renseignements en matière fi scale. La Fédération Suisse des Avocats et l’Ordre des avocats de Genève ont également conjointement adressé au Département fédéral des fi nances une prise de position sur le projet de loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origines illicites de personnes politiquement expo-sées (LVP).

En mai 2015, l’Ordre des avocats a adressé au Se-crétariat d’Etat aux migrations une prise de position sur la procédure de consultation relative à la révision de la Loi fédérale sur les étrangers.

Les Commissions sont vivement remerciées pour le travail qu’elles ont accompli à cet égard.

13. Participation à des événements organisés par les Barreaux suisses et étrangersEn mars et avril 2015, le Bâtonnier s’est rendu aux Rentrées annuelles des Ordres des avocats vaudois et fribourgeois. Il a également assisté à la Rentrée de Madrid.

En mai, juin et juillet 2015, le Bâtonnier s’est rendu aux Rentrées annuelles des Ordres neuchâtelois et valaisans. Il s’est également rendu aux Rentrées des Barreaux de Toulouse, de Thonon et de l’Ain. Il a été représenté aux Rentrées de Bordeaux et du Tessin.

14. Concours international de plaidoirie pour les droits de l’Homme

Le Bâtonnier félicite Me Nicolas Gurtner, qui a rem-porté le 2ème Prix du concours international de plai-doirie pour les droits de l’Homme. Le concours s’est déroulé à Nouakchott, en Mauritanie. La consigne invitait les candidats à choisir un cas tiré de l’actua-lité représentant, selon eux, une violation des droits de l’Homme. Me Gurtner a choisi de plaider contre le programme de torture de la CIA.

15. Concours international d’éloquence de la rentrée solennelle du Barreau de Toulouse

Le Bâtonnier félicite Me Louis Frédéric Muskens, qui a remporté le 1er Prix du concours international d’éloquence lors de la rentrée solennelle du Barreau de Toulouse. Tous les candidats étaient invités à pro-noncer un discours, dont le sujet s’intitulait: «Tou-louse or not to loose?».

16. L’Avocat dans la Cité

La manifestation s’inscrit dans le cadre de la se-maine de la citoyenneté qui se déroulera à Genève du 26 au 31 octobre 2015. 1 Des informations complémentaires relatives à la biographie du Lauréat du Prix Trarieux 2015 sont disponibles depuis le lien suivant:

http://www.ludovictrarieux.org/fr-page3.callplt2015.htm.

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Tous les jours de la semaine, des avocats se ren-dront dans les Cycles d’orientation de la République et transmettront à des jeunes de 13 ou 14 ans un certain nombre de valeurs essentielles dans un Etat de droit. Cet événement a été extrêmement bien accueilli par le Département de l’instruction publique avec lequel l’Ordre des avocats coopère étroitement.

La manifestation prévoit également un projet citoyen destiné à servir la communauté genevoise qui se dé-roulera du vendredi 30 au samedi 31 octobre 2015. Cette opération ambitieuse vise à rendre les avocats plus accessibles et à permettre à ceux qui sont hési-tants ou rebutés par les honoraires de bénéficier de conseils gratuits. Une tente sera dressée au centre-ville et aménagée de telle manière que le secret pro-fessionnel soit préservé. Des consultations juridiques auront également lieu à la Maison des avocats et à la permanence de l’Ordre. L’avocat aura un droit de suite. Il pourra gérer le dossier et accompagner la personne qui l’a consulté.

Le Bâtonnier et le Conseil de l’Ordre des avocats de Genève se sont engagés avec énergie et détermi-nation dans ce projet qui a vocation à être reconduit chaque année.

17. 120 ans de l’Ordre des avocats

La célébration des 120 ans de l’Ordre des avocats de Genève aura lieu du 25 au 27 novembre 2015.

La cérémonie solennelle des 120 ans de l’Ordre des avocats se déroulera le 27 novembre 2015 au Palais de justice dans la salle Dominique Poncet. Le Prix Trarieux 2015 sera remis au Lauréat pour la première fois à Genève (cf. supra ch. 8). Un livre consacré à l’histoire des avocats dans la République et à l’Ordre sera présenté à cette occasion. La cérémonie sera

suivie d’un cocktail dînatoire. Une communication sera adressée à tous les membres en septembre.

18. Rappel de certaines règles déontologiques

Saisine du Bâtonnier

Le secrétariat de l’Ordre rappelle que les avocats souhaitant soumettre un incident entre avocats au Bâtonnier, conformément à l’art. 24 de nos Us et coutumes, sont priés de s’adresser par écrit à la Maison des avocats, sise 11, rue de l’Hôtel-de-Ville. Les parties sont invitées à adresser systématique-ment copie de leurs écritures à leur partie adverse lors de toutes communications, à moins qu’un motif légitime s’y oppose.

Art. 8 LPav – Nominations d’office

En cas de défense obligatoire, le Bâtonnier invite les avocats à s’adresser à la Commission du Barreau, lorsqu’ils souhaitent se faire relever de leur ministère en invoquant un motif légitime d’excuse.

Si le motif d’excuse est admis, l’avocat transmettra le préavis de la Commission à la direction de la pro-cédure qui en principe donnera suite à la demande de révocation.

Aucune autre solution n’est acceptable au regard du respect du secret professionnel. Exposer à la direc-tion de la procédure les raisons pour lesquelles l’avo-cat souhaiterait être relevé de son mandat exposerait l’avocat à violer ledit secret.

L’art. 8 LPAv a précisément pour but de protéger ce secret.

Présence nécessaire du Bâtonnier lors d’une perquisition

Il arrive que l’avocat concerné par une perquisition renonce à la présence du Bâtonnier, celle-ci n’étant selon lui pas obligatoire.

La présence du Bâtonnier ou de son suppléant lors d’une perquisition est indispensable pour préserver le secret professionnel, en évitant que soient empor-tés des documents non visés par l’ordonnance de perquisition ou encore en assurant la mise sous scel-lés (art. 248 CPP) de tout document ayant trait à une activité typique de l’avocat.

Les avocats faisant l’objet d’une perquisition sont invités à exiger la présence du Bâtonnier ou de son suppléant, sans exception.

En tout état, chaque fois que des pièces saisies sont en lien avec une activité typique de l’avocat ou s’il y a le moindre doute à ce sujet, il est impératif de demander leur mise sous scellés immédiatement, soit en cours de perquisition.

Il est rappelé que l’identité de l’avocat et de son Etude sont tenues confidentielles par le Bâtonnier ou son suppléant, qui n’en informe pas les autres membres du Conseil.

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Sénat, qui a souligné l’inutilité... abyssale du pro-gramme vis-à-vis de la lutte contre le terrorisme; mais surtout, j’aimerais vous rappeler cet aphorisme de Benjamin Franklin, l’un de vos Pères fondateurs, «[c]eux qui sont prêts à sacrifier une liberté fonda-mentale au profit d’un peu de sécurité temporaire ne méritent ni l’une, ni l’autre».

Torture avérée, absence de faits justificatifs: Mes-dames et Messieurs, je pourrais m’arrêter là. Mais ce serait oublier – et j’ai promis de vous en parler – que le programme de torture de la CIA a également heurté les principes cardinaux de l’État de droit.

Le procès équitable et l’interdiction de la détention arbitraire: mon client a été détenu pendant plu-sieurs années, sans aucune possibilité de contester les charges à son encontre, et pour cause, aucune charge, aucune accusation, n’a été notifiée à cet homme, ici présent. Ah non, j’oubliais, il est toujours détenu, sans procès, depuis treize ans.

Deuxième violation: nonobstant la preuve des actes de torture, le gouvernement américain a explicite-ment refusé d’attraire les responsables devant les Tribunaux. Cette omission consacre tant un déni de justice, qu’une violation de l’obligation faite aux États de poursuivre tout auteur de torture (art. 6 de la Convention).

Le droit à l’information et la séparation des pouvoirs: en 2005, la CIA a détruit plusieurs preuves du crime, notamment des enregistrements vidéos. Le secréta-riat d’État et la Maison Blanche se sont opposés à la publication du rapport de la Commission sénato-riale. En 2010, la CIA a espionné les sénateurs de la Commission en piratant leurs ordinateurs. Somme toute, on a essayé, en violant la séparation des pou-voirs, de limiter l’information du public, oubliant par-

là l’alexandrin de Racine: «Il n’est point de secret que le temps ne révèle».

La presse a souvent dénoncé les actes itératifs de torture de la CIA; elle s’est montrée moins diserte au sujet des trois violations décrites à l’instant. Sont-elles dérisoires? Je ne le pense pas: à quoi sert l’in-terdiction de la torture, si elle ne comprend pas le droit des victimes d’attraire leurs tortionnaires devant la justice? Loin d’être accessoires, ces points sont cardinaux, car les droits fondamentaux ne doivent pas se limiter à des niaiseries étalées sur un feuillet. Ils doivent être effectifs.

Au vu des preuves apportées, je sollicite respectueu-sement de votre Comité les constats suivants: viola-tion du droit au procès équitable, détention arbitraire, déni de justice, violation du droit à l’information et violation de la Convention contre la torture.

À supposer que vous me donniez raison, j’en se-rais certes aise, mais je dois vous avouer que cela ne suffirait peut-être pas, car je vous devine aussi curieux que moi de comprendre comment ce pays, jadis cité par Alexis de Tocqueville comme un pa-rangon de démocratie, a pu sombrer dans une telle barbarie. En effet, les dérives de la CIA nous invitent à nous interroger, au-delà de ce cas, sur la notion même des droits de l’Homme, et, dans une certaine mesure, sur la nature humaine.

Vous le savez, Rousseau considérait l’homme à l’état originel comme foncièrement bon, alors que Plaute et Machiavel le qualifiaient de naturellement mauvais. Pour Sartre, l’homme naît sans programme initial, sans nature particulière. Ni bon, ni mauvais, il n’a pas d’essence propre, et se construit par son existence, d’où le précepte «l’existence précède l’essence»; Toujours pour Sartre, le corollaire est que

Mesdames et Messieurs les membres du Comité onusien des droits de l’Homme, Votre organe est le gardien de l’un des traités les plus importants de l’ONU, le Pacte relatif aux droits civils et politiques. Ce Pacte confie à votre Comité la mission de juger les plaintes déposées par les particuliers contre les États pour violation de droits fondamentaux.

Mon client, M. Abou Zoubaydah, vous soumet une plainte contre le gouvernement américain.

En effet, la CIA a fait de lui le tout premier détenu de la lutte anti-terroriste post-attentats du 11 sep-tembre, mais aussi la première victime des «tech-niques d’interrogatoire renforcées».

Certains contradicteurs, à l’instar du représentant du gouvernement américain, ne manqueront pas de soutenir que ce cas serait dépourvu d’intérêt, car pas assez actuel, car trop ancien. Je vous invite à éconduire ces esprits chicaniers, pour plusieurs rai-sons. D’abord, le programme de torture de la CIA est singulier par son ampleur, puisqu’il a touché 123 victimes. Ensuite, ce cas traite d’actes de torture, mais aussi d’autres droits fondamentaux, j’y revien-drai. De plus, cette affaire conserve son actualité puisqu’elle a refait surface en décembre 2014 en raison du rapport sur la CIA et la torture, établi par la Commission du Sénat américain et publié grâce au courageux sénateur Dianne Feinstein. Enfin, dans le contexte actuel de la lutte zélée contre le terrorisme, on ne peut exclure que certains États sombrent à l’avenir dans des excès antidémocratiques.

Ces implications, actuelles et futures, m’invitent à plaider la cause de M. Zoubaydah.

Mon client fut capturé le 28 mars 2002 au Pakistan; en dépit d’une collaboration efficace avec le FBI, il fut soumis à la CIA, qui opta pour une autre méthode: les «techniques d’interrogatoire renforcées».

Sans explications, la CIA plaça M. Zoubaydah dans une cellule dépourvue de fenêtres. Les premiers sévices suivirent: privation de sommeil, harcèle-ment sonore permanent, nudité imposée, isolement complet pendant 47 jours d’affilée, alimentation for-cée. Deuxième phase, la violence s’accrut: gifles, insultes, placement dans les «stress positions»: mon client – menotté au sol et au plafond – était forcé de tenir debout, quarante heures durant. Pénultième supplice: on plaça M. Zoubaydah dans un coffre de bois, on cloua ensuite un couvercle. C’était un cer-cueil. Il y restera pendant 11 jours. Dernière phase, l’asphyxie: on bâillonna mon client, l’attacha, puis déversa un torrent d’eau sur son visage. Sa gorge se remplissait, il étouffait. La séance s’interrompit, puis recommença, 83 fois, en un mois.

Les médecins et les agents du FBI confrontés à ces scènes de noyade simulée protestaient. L’effroi gagnait même des gardiens: certains pleuraient, d’autres vomissaient.

Le cauchemar dura quatre ans et demi.

Aujourd’hui, ces faits sont incontestables, car la Commission sénatoriale elle-même les a établis; Leur qualification juridique confine à l’évidence: de 2002 à 2006, mon client fut bien victime de torture au sens de l’art. 1er de la Convention éponyme.

Vous entendez déjà la riposte du représentant amé-ricain: «Actes de torture certes, mais la CIA a sauvé des vies grâces aux interrogatoires». Sur cette ques-tion, Monsieur, consultez simplement le rapport du

LE PROGRAMME DE TORTURE DE LA CIAMe Nicolas Gurtner

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l’homme jouit de la liberté, même si des éléments extérieurs (statut, éducation, fortune, etc.) peuvent influencer ce libre-arbitre.

Je sais, Monsieur le représentant américain, la thèse de Sartre peut sembler abstraite, mais elle a heu-reusement été testée, notamment dans l’expérience dite de Stanford en 1971. Un professeur de psycho-logie sociale avait attribué à des étudiants des rôles de gardiens ou de prisonniers, pour examiner leur comportement dans une prison fictive. Durant l’ex-périence, il constata que les étudiants surpassèrent les rôles attribués: un tiers des gardiens avaient même eu des comportements sadiques, à tel point qu’il fallut interrompre l’exercice. Pour le scientifique, ces gardiens n’auraient jamais sombré dans de tels travers hors d’un contexte carcéral. Il considérait donc que l’élément systémique avait participé à la survenance de ces débordements et il craignait que tout individu confronté aux mêmes circonstances fût enclin aux mêmes excès.

Quel lien avec les droits de l’Homme, me direz-vous? Pour Sartre et ce scientifique, toute personne est susceptible de commettre le mal si on la soumet à des conditions idoines. L’Histoire l’a malheureuse-ment illustré à de multiples reprises. C’est précisé-ment là qu’interviennent les droits fondamentaux, qui découlent également de la liberté humaine, celle qui permet à l’homme de choisir ses propres normes.

Je suis en effet convaincu que les droits fondamen-taux ne sont pas innés: ils ne sont pas – pardonnez l’expression incongrue – livrés à la naissance. Au contraire, ils résultent d’une construction historique, diachronique, car ils sont survenus, non pas avant, mais après des violations commises par les États. Plus qu’un héritage dont on profiterait de façon oi-sive, ces garanties sont une construction, un édifice, fragile, sur lequel chacun doit veiller; veiller constam-

ment, tant il est vrai que les abus surviennent sou-vent de manière sournoise.

Dans notre cas justement, les États-Unis n’ont pas sombré dans la barbarie abruptement; les parois de l’édifice démocratique se sont d’abord effritées, puis fissurées, avant de choir.

Suivez les étapes: le 17 septembre 2001, le Pré-sident Bush autorisa l’arrestation extrajudiciaire de toute personne représentant une menace grave pour le pays. Au printemps 2002, la CIA octroya, au-delà du décret présidentiel, le droit de détenir de simples témoins potentiels. On créa cinq sites secrets de détention à l’étranger. Ensuite, un «expert» psycho-logue, totalement inexpérimenté en interrogation, recommanda les auditions violentes. Personne ne remit en doute. Quelques mois plus tard, un juriste du Département de la Justice donna son aval pour le waterboarding. Personne ne contrôla.

Pendant quatre ans, alors même que les détenus fournissaient des informations souvent erronées pour faire cesser le supplice, on s’obstinait. Pendant quatre ans, la CIA mentit au Département de la Jus-tice, au Président, au Congrès. Alors que l’Amérique, modèle démocratique depuis les Lumières, sombrait doucement dans les ténèbres, aucun homme poli-tique n’a osé s’interposer.

Ces événements le prouvent: dans une situation de menace ou d’urgence, toute démocratie court le risque de glisser dans la tyrannie. Il faut donc être attentif à chaque atteinte aux droits fondamentaux, car l’effritement imperceptible d’un pilier peut mener l’édifice entier à s’écrouler.

Comme avocat, comme citoyen, nous devons gar-der un regard critique sur l’actualité, parfois annon-ciatrice de graves dérives. Prenez les exemples

récents: en Turquie, le refus d’accès à l’avocat pour une personne accusée d’appartenir au PKK; en France, la récente loi anti-terroriste qui permet, sans passer par un juge, de bloquer la diffusion de sites Internet; au Venezuela, l’arrestation du Maire de Caracas au motif spécieux qu’il eût fomenté un coup d’État; aux États-Unis, on a découvert qu’un ancien tortionnaire de Guantanamo appliquait des méthodes choquantes pour la police de Chicago.

Tous ces exemples sont autant d’indices d’un État qui dysfonctionne. Ils rappellent donc le rôle de tout avocat, qui doit dénoncer et combattre chacune de ces violations, prémisses d’une procession macabre.

Mesdames et Messieurs, qu’André Malraux m’auto-rise à le paraphraser, les droits de l’Homme ne s’hé-ritent pas, ils se conquièrent. Alors, restons vigilants et agissons: la conquête des droits fondamentaux ne fait que commencer.

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TOULOUSE OR NOT TO LOOSE?Me Louis Frédéric MUSKENS, av. st.1

Madame le Bâtonnier, Mesdames et Messieurs les membres du Jury,Chers Confrères, Chers Amis,

A la question être ou ne pas être, je réponds: «J’expire donc je ne suis plus».

En ces temps austères où nous courbons l’échine sous le poids de la dette publique, la véritable ques-tion, essentielle parce qu’existentielle, métaphysique parce que fondamentale, est et demeure celle d’être ou de ne pas être… payé.

Ce glissement traduit une mouvance bien plus pro-fonde et structurante: l’avènement du matérialisme. Dans un monde où être se résume à posséder, lutter pour son existence ne préoccupe guère plus que le parti communiste français. Le reste du monde se bat pour gagner, gagner, encore et toujours gagner.

Les Toulousains le résument à leur manière, c’est-à-dire avec la désinvolture qu’on leur connaît, en disant: «Per Tolosa totjorn mai» (Pour Toulouse toujours plus). Devise qui équivaut à sa traduction anglaise «Tou-louse or not to loose».

Avant toute chose, notez que l’analyse qui va suivre provient d’un Genevois dont la ville a pour devise «Post tenebras lux»2. Qui plus est, les Suisses se plaisent à dire que les Genevois sont les Français des Suisses, c’est vous dire la légitimité avec laquelle je m’exprime devant vous.

La question qui nous rassemble aujourd’hui est celle de savoir si cette affirmation relève de la clameur

triomphale ou de la lamentation du vaincu.

Je suis de ceux qui estiment que les mots trahissent davantage la nature de leur auteur que celle de leur objet. Ne m’en voulez pas, j’ai un penchant certain pour la psychanalyse et l’idée selon laquelle le verbe tait souvent ce qu’il dit, au profit de ce qu’il suggère, qu’il révèle la psyché de son locuteur, qu’il se fait le témoin d’une réalité voilée parce qu’incarnée.

«Toulouse or not to loose». Si j’ose dire, dans les deux cas c’est perdu. Un mot anglais, deux orthographes différentes et pas une seule de correcte. Le verbe perdre «to lose» ne s’écrit bien évidemment ni comme la ville Toulouse ni comme le verbe «to loose» libérer.

S’il me fallait désigner les derniers des perdants en matière de langues étrangères, mon choix se porterait assurément sur les Français.Ce n’est d’ailleurs pas Jean-Pierre Raffarin qui me ferait mentir.

Souvenez-vous, lorsqu’en tant que Premier Ministre, il y a une dizaine d’années de cela, il plaidait en faveur du projet de Constitution européenne en déclarant: «Le oui a besoin du débat pour gagner… win… the yes… needs the no… to win. Against the no.»

Incompréhensible. Affligeant.

«Time flies like an arrow»3, les français comprennent: «les mouches du temps aiment une flèche».

Révoltant, abjecte.

A tout le moins, votre incompétence en matière

de langage shakespearien vous préserve-t-elle de l’américanisation outrancière du droit et du monde judiciaire, fléau qui sévit plus que jamais en Helvétie. Voyons le bon côté des choses, vos élèves avocats gardent un semblant de dignité puisqu’on ne les qua-lifie pas de trainees (prononciation à la française). Il semblerait qu’outre-Atlantique cela signifie quelque chose comme stagiaire. Bref, passons.

Le paiement viager, rien de plus qu’un moyen non rentable lorsque son bénéficiaire vit âgé;

point de chauve à Toulouse, mais à Calvi si;

le film Spiderman a régné sur la toile, preuve que l’art est niais;

on ne sait jamais par quel bout prendre une personne qu’on vexe;

tous les ambassadeurs ont obtenu leur diplôme as-sis;

plus les hommes ont d’argent, plus les femmes en brassent;

Johnny a une voix très rock.4

Vous l’aurez reconnu, c’est le calembour, la fiente de l’esprit qui vole comme se plaît à le décrire Vic-tor Hugo. Paroxysme de la pudeur, quiproquo de la honte, il ne dupera personne. La rencontre de Tou-louse et du revers s’avère aussi fortuite que celle du marteau et de l’enclume.

Songez ne serait-ce qu’à la diversité des vocables pour désigner la défaite en français: débâcle, dé-route, perte, chute, déconfiture, échec, fiasco, revers,

bide, déculottée, capitulation, débandade, insuccès, raclée, faillite.

Devant ce choix infini, pour quel substantif le Toulou-sain opte-t-il? Pour le mot «Toulouse». Voilà un hasard qui éveille la suspicion plus qu’il ne la jugule. Ce d’au-tant plus que si ledit Toulousain avait voulu employer un régionalisme il eût aisément pu parler de tuile.

Calembour et anglais de cuisine chez le Toulousain participent tous deux d’une même tentative de dé-négation de sa véritable nature, tentative tout aussi risible que celle de l’avocat qui prétend que le gain de cause s’explique par ses qualités personnelles et le déboutement par la faiblesse de son dossier.

«Toulouse or not to loose» c’est ériger à tort la ville rose en vainqueur. C’est nier l’évidence en s’expo-sant à un retour du refoulé aussi inattendu que violent. Démarche éminemment magritéenne que d’affirmer: «Ceci n’est pas une pipe» au-dessous de ladite pipe. Certes, ce n’est pas cette pipe, raison pour laquelle il s’agit précisément d’une pipe. Quod erat demons-trandum.

Quelles sont les débâcles que Toulouse occulte ainsi à la vue du plus grand nombre?

Les clés de cette honte indicible se trouvent certai-nement dans une déchéance passée. Procédons par anamnèse.

Au commencement étaient les Volques Tectosages, ces Celtes qui avaient profané et pillé le sanctuaire d’Apollon à Delphes, emportant avec eux moultes tonnes d’un or aussi pur que celui des Nibelungen. Revenus en terres gauloises ils comptaient bien dor-mir sur leur trésor de guerre. C’était sans compter 1 Discours prononcé à l’occasion du Concours international d’éloquence de la rentrée solennelle du Barreau de Toulouse. L’auteur remercie particuliè-

rement Me Charles-Louis Notter, Me Nathalie Hubert et Me Jennifer Crettaz pour leurs précieux conseils.2 J’emprunte ce calembour, prononcé lors de la dernière Conférence Berryer, à Me Diane de Bavier, Secrétaire au Comité du Jeune Barreau.3 Célèbre exemple de phrase au sens équivoque. 4 Ce florilège de calembours est issu du site http://finallyover.com.

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les assauts de l’infortuné proconsul romain Quintus Servilius Caepio, fils de Quintus Servilius Caepio et père de Quintus Servilius Caepio. Celui-ci déroba aux Volques Tectosages soixante-dix tonnes d’or avant de se faire piller en chemin puis de subir à Arausio une cuisante défaite qui coûta la vie à près de cent mille Romains. Se faire piller par un vaincu, être bat-tu par un Romain qui fut déchu de sa citoyenneté et condamné à l’exil, n’est-ce pas là le destin d’un peuple damné?

Et que dire du temps des comtes de Toulouse et de la Croisade contre les Albigeois (XIIIe siècle), du temps où Raymond V, puis Raymond VI résistaient aux sièges de Simon IV de Montfort, du temps où Toulouse jouissait d’une indépendance de fait vis-à-vis du roi de France et inventait une nouvelle forme de gouvernement démocratique? Ô délices des temps révolus, cruel acharnement d’un sort sans cœur: Ray-mond s’inclina, Toulouse fut annexée et les Capitouls capitulèrent dans un vent de Révolution.

Autre hypothèse. Peut-être Toulouse tente-t-elle de se soustraire à la faillite intellectuelle française?

Après le Zadig et Voltaire de Frédéric Lefèbvre, place à 1793 de Nicolas Sarkozy en attendant: Modem et tabou, une saga politique; En rouge et noir, un récit mélodieux; A la recherche du pain perdu, nouvelles recettes de madeleines; L’Etrange haie, manuel de jardinage; Crime et bâtiment, thriller étonnement bien construit et Madame Rotary, roman social participatif.5

Peut-être encore s’agit-il d’occulter une capitulation de son système judiciaire?

Saturnin, premier évêque de Toulouse fut envoyé de

Rome par le pape Fabien pour évangéliser la Gaule. A cette époque, nous nous situons au IIIe siècle, To-losa était romaine, entourée de remparts et prospère. Sous prétexte que sa présence rendait les oracles muets, des prêtres païens lui demandèrent de sacri-fier un taureau à l’empereur. Il refusa si bien qu’il fut attaché au bovidé du sacrifice et condamné, sans autre forme de jugement, à mourir entraîné dans la course folle de ce dernier du haut du Capitole jusqu’à la rase campagne.

Citons une autre affaire, tout aussi parlante: celle de Jean Calas, un marchand toulousain protestant, ou plutôt calviniste, pour ainsi dire genevois. Jean Calas eut le malheur d’être protestant dans une ville de plus en plus hostile à sa croyance, le malheur d’avoir un fils qui lui-même eût le malheur d’être dépressif et eût le mauvais goût de se suicider. Jusqu’à ce moment-là, tout allait bien, si j’ose dire.

Pour éviter que le suicidé ne fût trainé sur la claie, Jean Calas prétendit que son fils avait été tué par un inconnu. La rumeur accusa le père Calas d’avoir étranglé son fils pour prévenir sa conversion au catho-licisme. Condamné en première instance par le Tribu-nal des Capitouls, le Parlement prononça, en appel, à l’encontre de Jean Calas une triple peine composée du supplice de la roue, puis de l’étranglement et enfin du bûcher.

Sur quelle base Jean Calas fut-il condamné à mort? Sur la seule foi de témoignages indirects et d’autres indices ténus, au terme d’une instruction strictement à charge et quasi inquisitoriale. Il y a là de quoi transir d’effroi tout homme de loi qui se respecte et heurter irrémédiablement le sentiment de justice de chacun d’entre nous.

Et si le déni était dû à une déculottée culinaire?

Ce n’est en effet pas aux Toulousains que l’on doit le cassoulet mais aux Chauriens qui durent confection-ner un plat de résistance – au sens propre – alors que Castelnaudary était assiégé par les Anglais durant la guerre de Cent Ans (1337-1453).

A moins qu’il ne s’agisse de couper court à une dé-route réputationnelle?

Comment prendre au sérieux une ville où l’art se donne à voir aux Abattoirs et les concerts sont orga-nisés au Bikini?

Rassurez-vous, tout n’est pas perdu pour Toulouse et la clé du mystère réside peut-être dans ce que je nommerai le miracle de la ville rose.

Il faut en effet reconnaître à Toulouse un don des plus particuliers. Celui de transfigurer la déconfiture en triomphe retentissant dans une démarche toute napoléonienne.

Je m’explique.

Waterloo, il y a tout juste deux siècles, fut le théâtre d’une chute rapide de l’Empereur français, contraint de s’exiler à Sainte-Hélène où il mourut quelque temps plus tard, chez les Anglais, sort peu enviable au vu des talents linguistiques de vos chefs d’Etat. En dépit de l’état de désolation et de ruine dans lequel il avait laissé le pays et nonobstant sa dernière débâcle le souvenir qu’il laissa fut celui d’un grand conqué-rant, d’un stratège hors pair, d’un Empereur tout puis-sant, marquant l’histoire de son sceau.

Abba fit d’ailleurs de la défaite de Waterloo une mé-taphore de l’abandon heureux de soi à l’autre, une métaphore des transports immédiats et irrésistibles.

Toulouse, tu es nyctalope. Dans la pénombre du désespoir, tu vois clair, tu t’avances resplendissante, dardant les ténèbres de tes terribles rayons.

Ton stade toulousain porte sur son maillot les couleurs du deuil, celui des Capitouls déchus. Et pourtant, en rouge et noir, il perce les cieux dans sa chevauchée victorieuse, éblouit par-delà les frontières, impose sa loi aux équipes de l’Europe entière. Citons ses dix-neuf titres nationaux et ses quatre titres européens.

Les toits de la vieille-ville de Dubrovnik furent endom-magés au cours de la guerre d’indépendance de la Croatie par des Serbo-Monténégrins impitoyables. C’est sur ce champ de bataille, chaos de la dé-chéance humaine, que tu vins, Ô Toulouse, poser tes roses tuiles, sublimant par là même la destruction à l’état pur dans un mouvement ample et poétique.

Gloire à toi, Ô Toulouse et gloire à tes Toulousains, car tes faiblesses sont tes forces. Aucune nation n’a à rougir lorsqu’elle se contemple dans ton reflet. Tu ne te bats pas pour exister mais pour la beauté du geste. Tel Cyrano de Bergerac tu t’écries: «Que dites-vous?... C’est inutile?... Je le sais! Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès! Non! Non c’est bien plus beau lorsque c’est inutile!».6 Ton fard efface jusqu’au plus pénible échec, ton franglais te préserve de l’américanisation judiciaire ainsi que de toute souil-lure culturelle du monde extérieur. Tu as la vue biai-sée d’un solipsiste de fin de siècle, monochromatique certes, mais au moins tu vois ta ville en rose.

5 Ces titres fantaisistes sont issus de l’actualité soit de tweets publiés avec le hashtag #TweeteCommeSarko en réaction à l’erreur de Nicolas Sarkozy. 6 Rostand Edmond, Cyrano de Bergerac, Acte V, Scène V.

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LE DROIT HUMAIN A L’EAU, UN CONCEPT MAL COMPRIS?Evelyne Fiechter-Widemann

Introduction

«Droit humain à l’eau: justice ou… imposture?»1 Peut-être audacieux, l’intitulé de mon étude devrait inviter à réfléchir. En effet, avant d’être un droit, l’eau n’est-elle pas une question de vie ou de mort?

Connaître l’histoire des droits de l’Homme

Le Conseiller fédéral Alain Berset, à l’occasion de la commémoration de la bataille de Marignan de 1515 insistait, dans son allocution du 27 mars 2015 au Musée national suisse de Zürich, sur la nécessité de connaître l’histoire politique de la Suisse. Le Profes-seur d’histoire du droit, Alfred Dufour, enjoint quant à lui tout juriste, dans un ouvrage de référence «Droits de l’homme, droit naturel et histoire»2, à connaître l’histoire des droits de l’Homme. Il m’a paru donc judicieux de me laisser interpeller par les sources fort anciennes de cette branche du droit international public, au moment où, avec l’adoption du nouveau «droit humain à l’eau» par l’Assemblée générale de l’ONU le 28 juillet 20103, la liste de nouveaux droits ne cesse de s’allonger.

Les Etats connaissaient-ils toutes ces sources lorsqu’ils devaient, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, fixer un socle de valeurs communes pour assurer la paix mondiale? Certes la Déclaration uni-verselle des Droits de l’Homme de 1948 (ci-après «DUDH») a permis de croire à un monde meilleur. Il me paraît toutefois nécessaire, en 2015, d’avoir un regard critique sur le langage onusien, lequel a

tendance aujourd’hui à devenir vernaculaire pour le meilleur et pour le pire, selon l’avis même d’un pro-fesseur de droit américain, Samuel Moyn, dans un récent ouvrage «The last Utopia, Human rights in History»4.

S’il y a des linguistes responsables de nous ensei-gner l’origine des mots, les juristes à mon sens, ont la responsabilité d’expliquer les concepts que tout un chacun utilise sans se préoccuper de leur signifi-cation profonde.

Le «droit humain à l’eau» me paraît figurer au nombre de ces concepts sibyllins et mérite donc une atten-tion particulière. Pourquoi? C’est qu’il paraît «couler de source» en raison même de la nécessité pour l’homme de disposer de la ressource «eau», sous peine de mourir assoiffé. Il donne donc l’impression, trompeuse, d’avoir existé depuis la nuit des temps.

Or, si je souhaite mettre en garde contre une utili-sation abusive des droits de l’Homme pour la res-source vitale qu’est l’eau potable, c’est notamment en raison de faits d’actualité récente. On peut citer pour exemple les événements qui se sont dérou-lés en Irlande en automne 2014 où un groupe de citoyens est descendu dans la rue pour manifester bruyamment, au nom du nouveau droit humain à l’eau, contre une décision du gouvernement visant à mettre en place des compteurs d’eau pour justifier une modification de la tarification de l’eau potable.

La croyance, profondément ancrée dans le sub-conscient de certains individus, que l’eau doit être

1 Me Evelyne Fiecher-Widemann, avocate honoraire du Barreau de Genève, a développé le thème de cette contribution «Droit humain à l’eau, Justice ou…imposture?» dans sa thèse de doctorat à la Faculté de théologie de l’Université de Genève soutenue le 30 mars 2015 (http://archive-ouverte.unige.ch/unige:5518).

2 Alfred Dufour, Droits de l’homme, droit naturel et histoire, Léviathan, PUF, Paris, 1991.3 Il faut préciser que le «droit humain à l’eau» est déjà mentionné dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard

des femmes du 18 décembre 1979 et dans la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.4 Samuel Moyn, The last Utopia, Human Rights in History, The Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, and London,

2010.

gratuite, occulte le fait que le précieux liquide ne tombe pas seulement du ciel, mais qu’il faut des in-frastructures très coûteuses pour l’adduction, la dis-tribution et surtout l’épuration des eaux usées pour assurer sa réutilisation par d’autres.

Ces actions citoyennes, si elles devaient se multi-plier au plan universel, me paraissent donc aller à fins contraires et sont susceptibles de nuire à ceux que ce droit devrait protéger.

Ambiguïté de la nouvelle norme onusienne

De fait, c’est dans le cadre d’un mandat au sein du Conseil de fondation d’une ONG suisse, que j’ai été vivement interpellée par l’ambiguïté du concept de «droit humain à l’eau». Je tenais à élucider les rai-sons qui avaient conduit d’éminents représentants de la communauté protestante suisse à s’opposer de façon étonnamment virulente, finalement sans succès, contre la nomination du directeur de Nestlé (Suisse) au sein du Conseil de fondation. Cette levée de boucliers ayant pour cible un employé d’une mul-tinationale me paraissait absolument injuste, la per-sonnalité visée étant non seulement profondément croyante et engagée personnellement au service des plus pauvres, mais aussi dotée de compétences entrepreneuriales de tout premier plan, qualités bien-venues pour la bonne gouvernance de la fondation humanitaire.

Ma perplexité devant la vivacité des sentiments exprimés et fondés sur la certitude qu’ils étaient justifiés par le «droit humain à l’eau», m’a conduit à

entreprendre une recherche interdisciplinaire à l’Uni-versité de Genève. Je partais de la prémisse que les enjeux de l’eau, et de l’eau potable en particulier, couvraient tous les domaines scientifiques au sens large, et donc pas seulement le droit et le droit inter-national5, la politique, l’économie et les sciences de l’environnement, mais aussi la philosophie, et même la théologie.

La Faculté de théologie de Genève comprenant un Département d’éthique, c’est tout naturellement cette Faculté que j’ai choisie comme cadre pour mon travail. Ce fut pour moi l’occasion de découvrir, sur le ter-rain6, l’immense complexité de la problématique, la question de la pauvreté hydrique dans nombre de lieux sur la planète devenant un réel problème éthique, auquel tant les nations que les individus sont et doivent être confrontés. Des appels poignants comme ceux de Saint-Exupé-ry dans «Terre des Hommes»7 ou, tout récemment, de Michaïl Gorbatchev8, ne peuvent nous laisser indifférents.

Guidée dans ma recherche par la maxime kantienne «oser penser»9, je me suis mise à penser à l’eau et ses nombreux usages, non seulement pour cou-vrir les besoins vitaux, mais aussi notamment pour l’agriculture, l’industrie, l’énergie, l’environnement, les écosystèmes et le luxe (piscine et lavage de voi-ture).

5 Faculté de droit et «Plateforme pour le droit international de l’eau douce» créée par le Professeur Laurence Boisson-de-Chazournes (www.unige.ch/droit).6 Visites de communautés africaines au Zimbabwe et en Afrique du Sud, ainsi qu’en Asie (cf. Fiechter-Widemann, op. cit.).7 Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes, Gallimard, Collection Folio, Paris, 1939, p. 149: «Ce n’est pas ma faute si le corps humain ne peut

résister trois jours sans boire […]. On croit que l’homme est libre… On ne voit pas la corde qui le rattache au puits, qui le rattache, comme un cordon ombilical, au ventre de la terre. S’il fait un pas de plus, il meurt».

8 Michaïl Gorbatchev, Allons-nous attendre d’avoir soif pour mesurer la valeur de l’eau?, Quotidien de Suisse romande, «Le Temps», 2 septembre 2013 (www.letemps.ch/Page/.../e5a26dbe-1326-11e3-acd6-023421410140%7...).

9 Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières? (trad. par Jean-François Poirier et Françoise Proust), Flammarion, Paris, 2006, p. 43.

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Penser le droit humain à l’eau, c’est penser la justice pour l’eau potable

Je me suis aussi et surtout mise à penser la «justice» en lien avec l’eau, me souvenant que «droit et jus-tice» étaient les deux faces d’une même médaille10. Cela m’a permis de me souvenir que, selon Aristote, il convient de distinguer la justice arithmétique ou justice commutative, de la justice distributive fondée sur le mérite, la compétence ou le besoin. Mais cela m’a aussi permis de découvrir que des penseurs contemporains avaient réfléchi à la justice selon d’autres critères encore. Je me suis penchée notam-ment sur les travaux de John Rawls11 et d’Amartya Sen12.

Le principe de «justice comme équité» du philosophe américain suscite de vifs débats, notamment parce qu’il est réinterprété par ses détracteurs, les tenants d’une «justice distributive globale», laquelle viserait à revendiquer des Etats riches, que John Rawls ap-pelle «Etats fourmis», de partager leurs biens avec les Etats dits «cigales». Cela reviendrait-il à dire que les premiers devraient payer les infrastructures pour l’accès à l’eau aux seconds? Le Prix Nobel d’écono-mie 1997 et philosophe d’origine indienne Amartya Sen met en avant, pour sa part, le pragmatisme, ap-proche salutaire dans le domaine de l’eau, car impli-quant la responsabilité de chaque individu sur cette planète pour un usage raisonnable de la ressource.

Pendant que les académies s’affrontent sur les meil-leures théories à retenir, certains politiciens sur le ter-

rain agissent. Je ne donnerai qu’un exemple, celui de Singapour. Ce petit Etat de l’Asie du Sud-Est était considéré comme un des plus pauvres de la planète au mo-ment de son indépendance, en 1965. Alors qu’il était fort souvent victime de sécheresses et d’inon-dations, son Premier Ministre de l’époque en a fait un Etat prospère notamment grâce à la construc-tion de canalisations pharaoniques. Lee Kuan Yew obtenait ainsi la tolérance zéro pour les inondations. Il faut souligner que le succès de cette vaste entre-prise réside dans le fait que toute la population a été appelée à participer à l’effort collectif. En cette année du cinquantenaire de l’Etat singapourien, l’ensemble de la communauté singapourienne honore spéciale-ment les «pionniers» qui ont consenti d’importants sacrifices personnels pour passer du «tiers monde» au «premier»13.

Conclusion

Je suis tous les jours davantage convaincue que si la «guerre de l’eau», annoncée urbi et orbi, fait peur à plus d’un parmi nous, il est possible d’éviter qu’elle n’advienne. La majorité des internationalistes plaide pour une application large du «droit humain à l’eau», implicitement contenu, selon eux, dans le droit à l’alimentation des articles 25 de la DUDH et 11 du Pacte I. Pour ma part, je défends un «droit humain à l’eau» à appliquer de façon restrictive, fondé sur le droit à la vie des articles 3 de la DUDH et 6 du Pacte II, c’est-à-dire visant à assurer la couverture minimale des besoins en eau14. Tout autre usage de

10 Aristote, Ethique à Nicomaque.11 John Rawls, Théorie de justice (trad. Catherine Audard) Éd. Points, Paris, 2009. 12 Amartya Sen, L’idée de Justice [trad. Paul Chemla] Flammarion, Paris, 2009.13 Lee Kuan Yew From Third World To First, The Singapore Story: 1965-2000, Marshall Cavendish Editions, Singapore, 2000.14 Entre 20 et 70 litres par personne et par jour selon www.who.int/water_sanitation_health: «How much water is needed in emergencies», technical note

9, updated July 2013, p. 2.

l’eau, selon moi, compte au nombre des adiapho-ra15, c’est-à-dire n’a pas de valeur éthique et doit être donc considéré comme un bien économique, thèse retenue par les signataires de la Déclaration de Dublin sur l’eau dans une perspective de développe-ment durable de 199216.

La responsabilité première des Etats, ce n’est pas tant l’eau gratuite ou subventionnée, mais l’éduca-tion des populations à prendre soin de la ressource vitale. Une bonne gestion de l’eau va de pair avec une interdiction, strictement mise en œuvre, de déverser dans les eaux toutes espèces de détritus, pollutions subie notamment par la Yamouna River à New Dehli.

Mon espoir: que les idéologies qui agitent les contro-verses autour de cette ressource vitale en abusant de la notion de «droit de l’Homme», s’effacent au profit d’une approche de justice surérogatoire, si bien résumée par la Règle d’Or: «fais aux autres ce que tu voudrais que l’on te fasse».

15 D’origine grecque, le terme d’adiaphora signifie «les choses indifférentes, médianes, neutres». La morale stoïcienne définit les adiaphora comme domaine intermédiaire entre le bien et le mal. Leur valeur morale se décide dans l’usage qu’en fait le sage.

16 L’impact de cette déclaration est la mise sur pied, depuis 1997, par le «Conseil mondial de l’eau» de fora internationaux de l’eau, Marakech en 1997, La Haye en 2000, Kyoto, Osaka et Shiga (Japon) en 2003, Mexico en 2006, Istanbul en 2009, Marseille en 2012 et Daegu-Gyeongbuk (Corée du Sud) en 2015.

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1 ATF 127 III 357, c. 2d, JdT 2002 I 192 ; arrêt du TF, 11 août 2005, 4C.80/2005, c. 2.2.1 ; arrêt du TF, 15 novembre 2005, 6P.91/2005, c. 3.5.

20ème EDITION DU «MARATHON DU DROIT»Me Philipp Fischer

Le 14 novembre 2015, le «Marathon du droit» fête-ra sa 20ème édition. En créant ex nihilo ce nouveau concept de formation continue il y a 10 ans, l’Ordre des avocats de Genève a jeté les bases d’une nou-velle approche de la formation continue des avocats, qui s’est immédiatement avérée indispensable dans un environnement juridique soumis à des chan-gements toujours plus rapides. L’impressionnant nombre de participants (régulièrement plus de 360 au «Marathon du droit» du mois d’avril!) démontre l’investissement des membres de notre Ordre (et des autres participants) dans la formation continue. For-mation continue qui n’est pas seulement un gage de qualité à l’égard de notre clientèle, mais également une nécessité: selon le Tribunal fédéral, l’avocat doit connaître la jurisprudence des tribunaux supérieurs et de la doctrine pour exécuter correctement son mandat1.

Afin de célébrer la 20ème édition du «Marathon du droit», la Commission de formation permanente de l’Ordre des avocats (CFP) publie un ouvrage qui cherche à faire revivre par écrit l’esprit de cette for-mule très particulière de formation continue. Pour ce faire, la CFP a proposé aux orateurs du «Marathon du droit» d’écrire une brève contribution dans leur domaine de prédilection en choisissant l’une des approches suivantes:

- la photo: un fait juridique marquant des dix der- nières années;

- le film: une évolution juridique intervenue au cours des dix dernières années;- la rupture: un changement législatif ou de pra- tique intervenu au cours des dix dernières an- nées;

- l’anticipation: une vision prospective sur l’évolu- tion d’un domaine juridique au cours des dix pro- chaines années.

Du droit de la personnalité à la procédure adminis-trative, du droit de la protection des données aux contrats bancaires, de l’aménagement du territoire au droit du travail, plus de 50 orateurs – magistrats, professeurs et avocats – ont répondu à l’appel et ont fait revivre par écrit l’esprit du «Marathon du droit». La liste des auteurs figure ci-dessous.

Ce livre de plus de 480 pages, qui paraîtra en no-vembre 2015, sera offert à toutes les personnes qui ont participé au «Marathon du droit» du 25 avril 2015 ou participeront au «Marathon du droit» du 14 novembre 2015. Par ailleurs, cet ouvrage est éga-lement disponible en souscription. Le bon de sous-cription peut être téléchargé sur le site de la CFP (http://www.odage.ch/formation-permanente).

La CFP espère vous voir nombreux sur la ligne de départ du 20ème «Marathon du droit» le samedi 14 novembre 2015 à Uni Dufour.

«L’important, c’est de participer», comme le disait le Baron Pierre de Coubertin.

Liste des auteurs et thèmes

Manuel Bianchi della Porta Droit de la personnalité et des médias

Yves Burnand Droit de la personnalité et des médias

Anne Reiser Droit de la famille

Margareta Baddeley Droit des successions

Micaela Vaerini Tutelle et curatelle

Bénédict Foëx Droits réels

Giuseppe Donatiello Partie générale du Code des obligations

Christine Chappuis Responsabilité extracontractuelle et responsabilité fondée sur la confiance

François Chaix Contrat d’entreprise

Fabien Waelti Contrat d’architecte

Vincent Brulhart Droit des assurances privées

Dominique Burger Droit du bail

Karin Grobet Thorens Droit du bail

David Lachat Droit du bail

Patrick Spinedi Droit du travail

Rémy Wyler Droit du travail

Juliette Ancelle Droit de l’Internet et des nouvelles technologies

Carlo Lombardini Contrats bancaires

Olivier Dunant Droit de la SA

Rita Trigo Trindade Droit de la SA

Alexandre Richa Gouvernance des sociétés cotées ou réglementées

Michel Ochsner Poursuite et séquestre

Olivier Hari Procédures collectives de liquidation et assainissement

Vincent Jeanneret Procédures collectives de liquidation et assainissement

Elliott Geisinger Droit international privé et Convention de Lugano

Niklaus Meier Droit international privé et Convention de Lugano

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Frédéric Bernard Libertés fondamentales

Michel Hottelier Droits politiques

Olivier Bindschedler Tornare Droit administratif genevois

Christine Junod Droit administratif genevois

Stéphane Grodecki Procédure administrative

Romain Jordan Procédure administrative

Valérie Défago Gaudin Droit de l’aménagement du territoire

Nicolas Wisard Droit de l’aménagement du territoire

Marc Balavoine Droit de la santé

Christian Bovet Droit de la concurrence

Jacques-André Schneider Assurances sociales

Jean-Marc Carnicé Criminalité économique

Daniel Tunik Criminalité économique

Robert Roth Droit pénal

Alain Macaluso Droit de la circulation routière

Daniel Kinzer Procédure pénale

Bernhard Sträuli Procédure pénale

Corinne Corminboeuf Harari Entraide judiciaire en matière pénale

Louis Gaillard Procédure civile

Michel Jaccard Protection des données

Jean-Frédéric Maraia Fiscalité directe

Xavier Oberson Entraide en matière fiscale

Benoît Chappuis Droit de la profession d’avocat

Christian Reiser Droit de la profession d’avocat

Michel Valticos Droit de la profession d’avocat

L’uberisation est à la mode: à l’image de la société californienne qui en a imposé le concept et à laquelle elle doit son nom, elle remet en cause des situa-tions établies et se joue des remparts élevés par la loi autour de vieilles professions. L’actualité nous fait penser aux taxis genevois, français ou californiens mais il est dans l’air du temps d’imaginer le prochain «Uber»: l’Uber du médicament, du transport, de l’hôtellerie...

Uber n’est pourtant pas la première entreprise à bousculer un marché. Le phénomène a été théorisé: les acteurs dominants n’ayant pas d’intérêt immé-diat à perturber leur propre marché sont voués, à terme, à manquer le train de l’innovation et à céder la place à de nouveaux entrants.3

La spécificité de l’uberisation, c’est la rapidité. Alors que Kodak a mis autrefois dix ans à disparaître, Mau-rice Lévy, le patron de Publicis, a résumé la nouvelle donne de la manière suivante: «Aujourd’hui, tout le monde a peur de se faire uberiser, de se réveiller un matin pour s’apercevoir que son business tradition-nel a disparu».4

Ce qui rend possible le phénomène Uber, c’est la conjonction de deux astres: le progrès technolo-gique, qui met le savoir à la portée du nouvel entrant (on pense au GPS, qui permet au quidam de se re-pérer dans les dédales d’une métropole avec autant de facilité qu’un taxi blanchi sous la bonbonne); et un besoin des clients demeuré non-satisfait dans le modèle traditionnel (et qui n’a pas une anecdote déplaisante à partager sur les taxis de telle ou telle ville?).

Pourquoi cette entrée en matière? Parce que, pour les besoins des «P’tits Déjeuners de la Médiation», organisés chaque premier mercredi du mois à la Chambre de commerce et d’industrie de Genève,5 nous avons conduit une enquête informelle auprès de certains de nos Confrères sur la relation qu’ils entretiennent avec la médiation. Précisons d’abord qu’il s’agissait d’interroger les volontaires sur leur activité d’ «avocat en médiation», c’est-à-dire l’avo-cat qui défend les intérêts de son client dans le cadre d’une médiation. La question de l’avocat agissant en tant que médiateur ne sera donc pas abordée. Soulignons encore que cette enquête n’a pas de prétentions scientifiques: l’échantillon a été consti-tué empiriquement de Confrères d’expériences et de spécialités diverses, mais sans méthodologie parti-culière. Les questions qui ont été posées étaient: «Que pen-sez-vous de la médiation? La pratiquez-vous? Pour-quoi?». La conclusion est sans surprise:

- La plupart des participants restituent une image positive de la médiation, comme concept abs- trait.

- Très peu la pratiquent.

- Peu l’intègrent dans la panoplie des outils de l’avocat.

- Quelques-uns considèrent même la médiation comme antithétique de l’activité de l’avocat en

1 Avocat au barreau de Genève, ancien Premier secrétaire.2 Avocat à la Cour (Paris), inscrit au barreau de Genève, membre de la Commission ADR, membre du Comité de la Section des avocats de barreaux

étrangers (SABE).3 C. Christensen, The Innovator’s Dilemma, Harper Business, 2011.4 La Tribune, 17 décembre 2014. 5 Les «P’tits Déjeuners de la médiation» sont organisés à la CCIG sous les auspices de la Chambre suisse de médiation commerciale, Section romande

(www.csmc.ch). Voir http://www.ccig.ch/FileDownload/Download/21.

LIBRES REFLEXIONS SUR LA MEDIATION ET LE BARREAUMe Pierluca Degni1 et Me Guillaume Tattevin2

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N° 61 - août 2015 33N° 61 - août 2015 32

contentieux: confesser une activité d’ «avo- cat en médiation», c’est révéler une faiblesse, condamner le client à l’échec et son avocat à la médiocrité.

Ce constat est sans surprise parce qu’il n’est pas propre à Genève. Dans de nombreux pays, les avo-cats sont perçus comme rétifs aux modes alternatifs/amiables de résolution des conflits et à la médiation en particulier.6 Bien plus, le Barreau est parfois soup-çonné de s’opposer au développement de la média-tion pour des raisons d’intérêt financier propre.7 La première réponse à ce type d’insinuation doit être de rappeler la déontologie, qui impose à l’avocat d’agir au mieux des intérêts de son client, sans égard pour son intérêt personnel.8 Il reste qu’il serait maladroit d’ignorer une question qui fâche et qu’il est préfé-rable de la poser ouvertement: le développement de la médiation a-t-il pour conséquence une baisse du chiffre d’affaire du Barreau dans son ensemble?9

Un simple calcul peut le laisser penser. Si la média-tion remplit l’office que lui imputent ses promoteurs, elle permet aux parties de réaliser des économies substantielles par rapport aux coûts d’un procès ou d’un arbitrage. Ces coûts étant pour une large part des honoraires d’avocats, il en résulte qu’en faisant le produit de l’économie moyenne réalisée, d’une part, par le nombre de contentieux ainsi réglés, d’autre part, on constaterait le manque à gagner pour les membres du Barreau.

À titre individuel, des avocats pourraient certes s’attirer la clientèle récurrente de plaideurs satisfaits

et s’approprier une part du chiffre d’affaires global subsistant, créant ainsi des réussites individuelles. Néanmoins, comme il faut être deux pour consentir à une médiation, le reste du barreau aurait intérêt à créer, par inertie, une entrave au développement de la médiation. Cependant, le calcul ci-dessus est faux parce qu’il part du principe qu’il existe une quantité finie de contentieux. Or, le coût et la complexité d’accès à la justice créent une barrière à l’entrée qui en écarte un certain nombre de litiges. C’est vrai pour les par-ticuliers, mais également pour les entreprises, tant le coût du contentieux a tendance à s’adapter à la valeur litigieuse. En facilitant la résolution amiable/alternative des différends, la médiation a vocation à ouvrir la porte au traitement de nouveaux litiges.

Surtout, ce calcul relève à notre avis d’un mauvais procès fait à la profession d’avocat. Si les avocats ne montrent que peu d’intérêt pour le développe-ment de la médiation, notre enquête nous a mon-tré que la cause en est plutôt à chercher dans la force de l’habitude. Même instruit de l’existence de la médiation,10 l’avocat qui ne l’a jamais pratiquée rechignera à la proposer à un client, à s’aventurer en terre inconnue, au risque de se dévoiler novice. Au contraire, la voie du contentieux est toute tracée, l’avocat l’emprunte depuis ses premiers jours de stage et peut, en confiance, y guider son client.

L’habitude étant acquise, peu importent la médiation et ses bénéfices éventuels pour les parties ou leurs Conseils, car ce sont les avocats qui contrôlent,

6 D. Peters, “Understanding why lawyers resist mediation”, Paper presented at 2nd AMA Conference, Kuala Lumpur, février 2011. L’auteur fait état de résistance avérée à la médiation de la part des avocats américains, danois, écossais ou encore polonais.

7 Id.8 Article 9 du Code suisse de déontologie.9 D’aucuns prétendent que ADR veut dire Alarming Drop in Revenue et non pas Alternative Dispute Resolution.10 A Genève, il existe depuis 2011 à l’Ecole d’avocature une formation à la médiation.

aujourd’hui, les portes d’accès à la résolution des différends et qui jouent un rôle de prescripteur de premier recours.

C’est à ce stade que nous voulons vous reparler d’uberisation. Il est techniquement simple de créer une plate-forme de médiation en ligne, d’ailleurs elles existent déjà. Le contentieux en matière d’achats en ligne se règle déjà très efficacement, à moindre coût, en quelques jours et sans l’intervention d’avocats, par le biais des systèmes mis en place par les princi-paux intermédiaires de paiement ou de vente (EBay, PayPal, etc.). L’imperium que la loi attache à la déci-sion du juge est rendu inutile par la sanction réputa-tionnelle: en faisant ou défaisant une réputation de vendeur ou d’acheteur en ligne, en interdisant ou autorisant l’accès à une plate-forme de vente, ces mécanismes garantissent la contrainte sociale sans intervention de l’Etat.

Ces solutions sont pour l’instant limitées à certains litiges de très faible valeur financière ou émotionnelle. Il n’en demeure pas moins que l’offre technique est susceptible de se développer à tout moment. On pourrait imaginer par exemple qu’Apple – qui détient plus de la moitié du marché suisse du smartphone11 – vienne à proposer à tous ses abonnés de sou-mettre en priorité à la médiation en ligne tout litige entre eux, contre une somme modique.

Au-delà de la faisabilité technique, la seconde condi-tion de l’uberisation est l’insatisfaction des clients face à l’offre présente sur le marché. En matière de justice, même en Suisse où les tribunaux fonc-tionnent globalement mieux qu’ailleurs, cette insatis-faction est évidente et relève de l’organisation judi-ciaire et de ses contraintes. Un Premier président de

la Cour de cassation française avait constaté la ten-dance de la justice à apporter «des réponses mortes à des questions mortes».12

Notre conviction est qu’à l’époque de la négociation raisonnée et des techniques de résolution basées sur les intérêts, la justice fondée sur le droit et l’af-frontement des positions n’a plus vocation à demeu-rer le seul recours des parties. La flexibilité qu’offre la médiation, la manière dont elle place les parties au centre du processus, prend en compte leurs intérêts plutôt que leurs positions, ainsi que la liberté qu’elle offre en terme de solutions en font un complément précieux aux méthodes traditionnelles de résolution des différends.

Or, si les avocats n’ont pas d’emprise sur le progrès technologique, ils en ont une sur la satisfaction des plaideurs. Plutôt que d’ignorer la médiation, le Bar-reau aurait tout à gagner à l’investir pour y impo-ser ses pratiques. Contrairement à ce que pensent certains médiateurs, les avocats, dès lors qu’ils y sont préparés, sont les partenaires naturels de leurs clients dans une médiation: ils ont les compétences nécessaires pour analyser la situation et renseigner précisément les parties sur leur situation; ils ont l’expérience des situations de conflit et la capacité à prendre du recul; ils sont des techniciens du droit et peuvent mettre en œuvre pour leur client des so-lutions pérennes à l’issue d’une médiation réussie; ils sont, enfin, des spécialistes de leur domaine ca-pables d’apporter leur connaissance des situations commerciales ou familiales similaires.

En bref, à condition de s’y être préparé, l’avocat peut offrir en médiation la même valeur ajoutée qui le rend aujourd’hui incontournable dans un procès ou un

11 A. Seydtaghia, Le Temps, 27 septembre 2014.12 P. Drai, Discours prononcé à l’audience solennelle de rentrée de l’année 1995.

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arbitrage: celle d’un expert et d’un guide.

Il n’est pas dans notre propos de suggérer que tout avocat doit pratiquer la médiation, pas plus que le droit pénal, l’enregistrement de marques ou la fiducie. Le choix d’engager une activité d’avocat en médiation est un risque entrepreneurial comme un autre. La formation est coûteuse au moins en temps. Les bénéfices demandent de considérer la rémunération autrement que sur une base horaire traditionnelle. On est même en droit de craindre que la médiation reste l’équivalent de la fusion nucléaire, dont on affirme par boutade que cela fait un demi-siècle qu’elle est à dix ans d’être réalisée.

Il reste que si le Barreau ne prend pas le virage des techniques nouvelles de résolution des différends, il risque de s’exposer soudainement à la situation peu enviable des taxis devant l’arrivée d’Uber. Pour éviter cela, il existe quelques solutions pra-tiques simples:

– si vous n’êtes pas entraîné à la négociation sur les intérêts et à la médiation, profitez des for- mations organisées par la Commission ADR de l’ODA;– lorsque vous rédigez une clause de résolution des différends, pensez à y inclure une phase de médiation, sauf cas d’incompatibilité;13

– lorsque vous examinerez votre prochain dos- sier de contentieux, ne cédez pas à la force de l’habitude et demandez-vous – vraiment – si une médiation ne serait pas appropriée.

Sous réserve d’un soupçon de volontarisme de la

part de ses membres, gageons que le Barreau de Genève pourrait être un moteur en la matière, en Suisse et en Europe.

13 La Swiss Chambers’ Arbitration Institution propose sur son site internet des clauses de médiation et arbitrage: https://www.swissarbitration.org/sm/fr/.

I. Introduction

La Commission des droits de l’Homme de l’Ordre des avocats œuvre en faveur des droits de l’Homme tant en Suisse qu’à l’étranger par le biais d’interven-tions diverses. Elle effectue notamment un travail de sensibilisation et de formation aux problématiques liées aux droits de l’Homme et à la défense de la défense et s’engage dans des missions de soutien en faveur de Confrères étrangers.

Dans cette optique et pour répondre à l’invitation du Bâtonnier du Mali, Me Seydou Sidiki Coulibaly, la Commission des droits de l’Homme a décidé d’en-voyer une délégation à Bamako.

Cet évènement, soutenu par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et La Mission multidi-mensionnelle intégrée des Nations Unies pour la sta-bilisation au Mali (MINUSMA) a eu pour objet la tenue d’un séminaire d’une semaine de formation en droit de l’Homme et droit international pénal à l’attention de nos Confrères maliens.

II. Situation actuelle au Mali

Les groupes armés

Le Mali connaît actuellement et depuis le coup d’Etat de mars 2012 une situation d’instabilité et de conflit armé, affectant essentiellement le nord du pays, soit les provinces de Tombouctou, Kidal et Gao. Dans ces régions, divers groupes armés combattent l’armée nationale, appuyée par l’armée française et les forces internationales des Nations Unies, ces dernières étant essentiellement composées de soldats tchadiens.Le conflit a pris de l’ampleur avec l’engagement de

certains groupes dans des activités armées ou terro-ristes, parmi lesquels on peut citer:

Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), essentiellement touareg, indépendantiste et laïc qui se concentre désormais dans quelques régions autour d’Hombori et le long de la frontière mauritanienne.

Ansar Dine (les Partisans de la religion, en arabe) est le groupe touareg rival du MNLA et semble être au-jourd’hui le mouvement le plus important. Considéré comme proche d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), il prône l’application stricte de la charia. Il compterait des Touaregs mais aussi dans ses rangs de jeunes étrangers venus du Sénégal, du Niger et du Nigeria. Ansar Dine a fait de Tombouctou sa base principale. Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) est une cel-lule africaine de la nébuleuse terroriste née en 2007 des restes du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), un mouvement terroriste algérien. Depuis une décennie, ses membres, pour la plupart algériens, ont infiltré le Sahel, et particulièrement le Mali pour échapper aux forces de sécurité d’Alger. Aqmi s’est signalée par de nombreux attentats et enlèvements et détient encore certains otages euro-péens.1

Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) est un groupe djihadiste, né d’une scission d’Aqmi et composé d’Arabes maliens ou mauritaniens. Ce groupe a pris un essor rapide en 2012. Comme Ansar Dine, il multiplie les recrues à l’étranger, au Sénégal et au Nigeria auprès du groupe Boko Haram mais aussi dans les commu-

1 Voir not. Stuart Casey-Maslen, éditor, The War Report 2012, Oxford, 2013, Armed conflict in Mali in 2012, pp. 117 et ss. Les informations ci-dessus sont reprises d’éléments publiquement accessibles; la situation réelle sur le terrain peut avoir évolué.

MISSION À BAMAKO, MALIMe Philippe Currat et Me Arnaud Moutinot

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2 Vhttp://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/minusma/. 3 http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/situations%20and%20cases/situations/icc0112/ Pages/situation%20index.aspx.4 HRW, World Report 2015, Events of 2014, mars 2015, pp. 371 et ss.

nautés noires maliennes, les Songhaïs et les Peuls. Plusieurs sources mentionnent aussi la présence, dans son état-major, de personnalités connues pour leur implication dans le trafic international de stupéfiants. Les objectifs politiques poursuivis par le Mujao sont peu clairs.

L’évolution des groupes armés, leurs divisions, le fait que les autorités nationales maliennes soutiennent et arment certains groupes afin qu’ils en combattent d’autres, rendent la situation particulièrement confuse et instable.

L’ONU au Mali

La MINUSMA a été créée par la résolution 2100 du Conseil de sécurité, du 25 avril 2013, pour appuyer le processus politique dans ce pays et effectuer un certain nombre de tâches d’ordre sécuritaire. Le Conseil de sécurité a demandé à la MINUSMA d’aider les autorités de transition maliennes à stabi-liser le pays et à appliquer la feuille de route pour la transition. Par l’adoption de la résolution 2164, du 25 juin 2014, le Conseil a décidé d’axer le mandat de la MINUSMA sur des tâches prioritaires telles que la sécurité, la stabilisation et la protection des civils, l’appui au dialogue politique national et à la réconciliation nationale, ainsi qu’à l’appui au rétablis-sement de l’autorité de l’État dans tout le pays, à la reconstruction du secteur de la sécurité malien, à la promotion et la protection des droits de l’Homme et à l’aide humanitaire.2

Le 16 janvier 2013, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les crimes qui pourraient être commis sur le territoire du Mali depuis janvier 2012. La situation au Mali a

été déférée à la Cour par le Gouvernement du Mali le 13 juillet 2012. Après avoir procédé à un examen préliminaire de la situation, notamment une évalua-tion de la recevabilité d’affaires éventuelles, le Bu-reau du Procureur de la Cour pénale internationale a conclu qu’il existait une base raisonnable pour ouvrir une enquête, laquelle se poursuit actuellement avec la coopération des autorités nationales.3

Système judiciaire et accords de paix

Le dernier rapport annuel de «Human Rights Watch», World Report 2015, Events of 2014, qui vient de sortir, souligne le manque de progrès dans la lutte contre l’impunité relative aux exactions commises durant le conflit armé en 2012 et 2013. Il y est égale-ment fait mention, depuis l’entrée en fonction du Pré-sident Ibrahim Boubacar Keita, en septembre 2013, de sa volonté de mettre en place un mécanisme de justice transitionnelle, composé d’une Commission Vérité, Justice et Réconciliation, laquelle devra, dans un mandat de trois ans, investiguer toute la période 1960-2013, soit depuis l’indépendance du pays. HRW souligne quelques progrès dans la réinstal-lation d’éléments du pouvoir judiciaire au nord du pays, en particulier dans les régions de Tombouctou et de Gao.4

Un accord de paix entre le gouvernement malien et les groupes armés du nord du Mali a été paraphé le 1er mars 2015 à Alger par le gouvernement malien et six groupes armés du nord engagés dans les négo-ciations. Cet accord est le cinquième depuis l’été 2014. Il demeure des inquiétudes sur un retour en force des djihadistes dont la présence est à nouveau signalée dans le nord du Mali. La reprise des trafics en tout genre – dont les armes et les stupéfiants –

qui s’imbriquent aussi avec les groupes djihadistes, fait craindre, sur fond de multiplication des groupes armés au nord, un retour à l’instabilité. L’expérience des accords passés montre que l’on est toujours dans un processus difficile de reconstruction d’une confiance, laminée par des décennies de conflit, entre les populations du nord et Bamako. Les atten-tats du 7 mars 2015 à Bamako et les attaques du 8 mars 2015 contre les bases militaires de la MINUS-MA à Gao et Kidal montrent que la situation reste dangereuse dans le pays. Néanmoins, de nouveaux accords paraphés le 22 juin 2015 par le Mouvement arabe de l’Azawad rallument l’espoir de paix.

Il ressort de l’expérience acquise au Mali depuis ces douze derniers mois, que la faiblesse du système judiciaire, lequel ne dispose ni de moyens ni d’exper-tise suffisante en matière de crimes complexes, est abyssale. Il existe environ 500 Magistrats et Procu-reurs au Mali, toutes fonctions confondues, et un peu plus de 300 avocats composent l’Ordre des avocats Malien, couvrant un territoire grand comme 30 fois la Suisse et comptant plus de 17 millions d’habitants.

III. Le séminaire

La délégation de l’Ordre des avocats de Genève, composée de Mes Philippe Currat et Arnaud Moutinot, s’est enrichie d’un Confrère de l’Ordre des avocats neuchâtelois, Me Claude Nicati, ancienne-ment Procureur général suppléant de la Confédé-ration et Conseiller d’Etat du canton de Neuchâtel, qui a fait office de chef de délégation; le Barreau pénal international, dont Me Philippe Currat est le Secrétaire général, s’est associé à la formation. La cérémonie d’ouverture a permis de constater la présence, qui se maintiendra tout au long du pro-gramme de formation, d’environ deux cents de nos Confrères maliens, soit les deux tiers de l’effectif total du Barreau. Leur présence s’est avérée à ce

point massive, que le Bâtonnier Coulibaly a requis et obtenu la suspension de toutes les procédures judiciaires dans le pays, afin de permettre aux avo-cats de se former. Après un discours d’accueil du Bâtonnier Coulibaly, Me Claude Nicati a pris la pa-role, avant que le Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux de la République du Mali, ne prononce formellement l’ouverture des travaux.

Au cours de la leçon inaugurale, donnée conjoin-tement par l’ancienne Juge et Vice-Présidente de la Cour pénale internationale, Fatoumata Dembele Diarra, et Me Philippe Currat, le besoin d’intégrer une vision complète de la société malienne a été mis en avant. Dans un pays où le système judiciaire s’est complètement retiré des zones de conflits, une forme de justice transitionnelle apparaît nécessaire. Afin de présenter à nos Confrères maliens un pro-gramme adapté à leurs attentes et après un exposé sur l’état des droits de l’Homme au Mali par Me Moctar Mariko, Président de l’Association malienne des droits de l’Homme, tous les thèmes ont été abordés en binômes par un avocat malien et un avocat suisse. C’est ainsi que Mes Amadou Diarra et Claude Nicati ont présenté les problématiques de la participation et de la protection des victimes et des témoins aux audiences pénales, notamment lorsqu’elles portent sur des crimes de masse. Mes Cire Clédor Ly, du Barreau du Sénégal, et Arnaud

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Moutinot ont traité, avec le Procureur général Daniel Tessougue, des standards du procès équitable, avant de prolonger sur les droits de la défense. Mon-sieur Oumarou Bocar, Magistrat pénaliste, Ancien Directeur de l’institut de Formation Judiciaire des Magistrats, Mes Magatte A. Seye, Ancien Bâtonnier de l’Ordre malien, et Philippe Currat ont présenté les infractions de droit international pénal, ainsi que les règles de complémentarité et de coopération régis-sant la Cour pénale internationale. La Juge Fatoumata Dembele Diarra a abordé avec Me Arnaud Moutinot les problématiques essentielles de la déontologie de la profession tandis que Monsieur Wafi Ouga-dèye Cisse, Magistrat, Ancien Procureur Général et Ancien Consul Général du Mali en France, Mes Alhassane Sangare et Claude Nicati ont traité des enquêtes et des droits de la défense dans le cadre des poursuites devant les juridictions nationales. Le Professeur Alioune Sall, Juge à la Cour de Justice de la CEDEAO et Me Philippe Currat ont enfi n présenté les règles de la responsabilité pénale internationale, en se concentrant essentiellement sur le cas spéci-fi que des groupes armés.

Une séance de travail complémentaire a été orga-nisée à l’attention du Jeune Barreau malien, dans les locaux de l’Ordre au Palais de justice, séance intense qui a débouché sur une visite du Palais de justice de Bamako et des rencontres impromptues avec un Procureur et un Juge d’instruction esseulés

dans un Palais fermé en ce samedi après-midi étouf-fant de chaleur.

IV. Le suivi

Les séances d’analyse qui ont suivi avec les parti-cipants comme avec la MINUSMA ont permis de mettre en avant la qualité de la participation de cha-cun, les débats avec les participants étant toujours très denses, pour toutes les thématiques abordées. La volonté que cette mission ne soit pas sans len-demain a engagé la Commission dans un intense programme de suivi.

Il doit être noté que le séminaire s’inscrit déjà dans une forme de suivi, du fait de la participation de cer-tains avocats maliens aux séances de formations organisées par la MINUSMA en février et septembre 2014 et en février 2015, auxquels Me Philippe Currat a participé également, en tant que formateur.

Par ailleurs et en date du 26 mars 2015, la Com-mission a reçu à Genève, dans le cadre de l’examen périodique universel du Mali, une délégation ma-lienne avec laquelle plusieurs pistes de suivis furent évoquées.

En date du 8 juin 2015, Monsieur le Bâtonnier Jean-Marc Carnicé a rencontré Me Guillaume Ngefa afi n d’évoquer les collaborations futures de l’Ordre avec la MINUSMA. A cette occasion, Me Guillaume Ngefa a fait part au Bâtonnier de l’enthousiasme de la MINUS-MA et du Barreau du Mali avec le projet réalisé qui est le premier de ce type depuis la création d’un Barreau au Mali. Il a également souligné l’infl uence favorable de cette action sur le plan diplomatique. Il a également été évoqué la conclusion d’une convention de colla-boration entre le Barreau du Mali et l’Ordre des avo-cats portant sur la mise en œuvre des projets futurs et les engagements respectifs des uns et des autres.

Le dernier jour du séminaire s’est vu consacré à une synthèse effectuée tant avec les participants qu’avec la MINUSMA et en vue de préparer le suivi. A cette occasion, tant la forme que les sujets à aborder lors des éditions futures de ce séminaire furent abordés.

En partenariat avec la MINUSMA et le Barreau du Mali, il a également été largement débattu des mo-dalités d’un projet du type «caravane des droits de l’Homme», selon un concept similaire à la mission à laquelle la Commission des droits de l’Homme avait déjà participé au Bénin en 2011.

Sous réserve de la question de la sécurité, problé-matique hautement évolutive, la MINUSMA consi-dère en effet que les conditions cadres d’une telle approche sont réunies et qu’elle répond à un besoin drastique. En effet, les avocats locaux ne quittent jamais Bamako et les cas tant des victimes du confl it que des détenus de droit commun ne voient jamais l’intervention d’un avocat. Une telle intervention paraît pourtant largement nécessaire compte tenu notamment des nombreuses détentions provisoires dépassant largement les maximas admis.

D’une manière générale, il est apparu que la MINUS-MA est hautement preneuse de toute l’aide que la Commission serait en mesure de fournir en matière de soutien, développement et reconstruction du sys-tème judiciaire, l’appui fi nancier, logistique et sécuri-taire de la MINUSMA pouvant être largement sollicité dans le cadre des futurs projets.

Il a également été noté un accès très limité à la lit-térature scientifi que, la bibliothèque du Barreau du Mali étant presque inexistante. Un projet de sélec-tion/collecte/achat d’ouvrages topiques à faire par-venir est en examen.

Il doit enfi n être noté que les documents de référence

utilisés comme support de cours par les interve-nants ont été distribués aux participants au format numérique et sont naturellement susceptibles d’être réutilisés lors de formations futures, la Commission s’employant d’ailleurs à la création de modules de formation prêts à l’emploi.

Il est enfi n important de mentionner la réception très favorable de ce projet par nos Confrères maliens dont l’enthousiasme encourage la Commission à poursuivre ce projet qui s’inscrit dans la droite ligne de son mandat.

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L’INNOVATION RADICALE OU LA PROMESSE D’UN NOUVEL AVENIR ECONOMIQUE M. Christophe Donay1

Les économies occidentales se situent à un tour-nant de leur histoire. Deux grandes voies opposées s’ouvrent devant elles. Sans changement de para-digme – c’est-à-dire sans choc positif de croissance – elles plieront sous le poids d’une dette croissante, perdront constamment du terrain vis-à-vis des pays émergents, puis, finalement, s’appauvriront. A l’in-verse, elles peuvent reprendre l’initiative en renouant avec une croissance économique soutenue. Com-ment peuvent-elles générer une nouvelle croissance? Les déterminants de celle-ci sont nombreux et leur in-teraction complexe. De cette complexité émerge une idée simple: dans les économies modernes matures, l’offre précède la demande. L’innovation, à la source d’une nouvelle offre, est donc le moteur essentiel de la croissance économique. Croissance économique: une histoire d’innovation

Dès lors qu’une offre nouvelle apparaît, une phase d’expansion de l’investissement se développe. Le rôle de l’investissement dans la dynamique de crois-sance est donc essentiel. Car à travers celui-ci, les nouveaux produits et services se diffusent dans l’en-semble des strates de l’économie, conduisant à un large processus de transformation par l’innovation. Plus le couple innovation-investissement est fort, plus la croissance économique est à la fois pérenne et éle-vée. Par exemple, dans les années 90, la croissance économique américaine, stimulée par l’investisse-ment dans les nouvelles technologies d’information et de communication, s’est établie à 4 pour cent. Cela correspond à 1,5 points de pourcentage de plus que la croissance susceptible d’être produite par les Etats-Unis dans les prochaines années. L’innovation est le meilleur remède pour transformer une écono-mie léthargique en une économie prospère. Il en est ainsi depuis l’avènement du capitalisme au XIIe siècle.

L’innovation doit être, plus que jamais, le leitmotiv des économies matures, pour qu’elles prorogent l’histoire de leur fabuleux développement. Sept sources majeures d’innovation pour transfor-mer les économies développées

Peut-on espérer, voire percevoir, une nouvelle vague d’innovation susceptible de conduire les économies américaines et européennes sur un chemin de crois-sance économique à la fois plus équilibrée et plus éle-vée? La réponse à cette question se heurte à la difficul-té de percevoir l’éventuel prochain choc d’innovation, d’autant plus que les véritables révolutions technolo-giques mettent du temps avant de produire des effets visibles et durables dans les économies dans leur en-semble. Si nous sommes en mesure d’apporter une réponse positive à cette question, alors nous devrions être remplis de bienveillance à l’égard de l’avenir. Alors que de notre analyse découle une question cruciale, son enjeu mérite que nous apportions une réponse. Aucune réponse définitive ne peut être apportée à ce stade du développement des innovations quant à leur impact à long terme sur la croissance. Toutefois, par-mi les sept sources majeures d’innovation que nous avons identifiées, quelques-unes sont susceptibles de produire un avenir très différent des réalités actuelles, en repoussant les limites et les contraintes technolo-giques d’aujourd’hui. Ces sources d’innovation radi-cale se forment dans des secteurs aussi divers que l’énergie, la communication, l’informatique, la méde-cine ou encore le transport. C’est donc au cœur des entreprises audacieuses et innovantes de ces sept secteurs que se façonnent l’avenir et que réside la croissance économique de la prochaine décennie. Le tableau numéro 2 ci-dessous résume les sept princi-pales sources d’innovation.

1 Directeur de l’allocation d’actif et de la recherche macroéconomique auprès de Pictet & Cie.

L’accélération de la vitesse de diffusion de l’inno-vation accélère la vitesse de transformation

La capacité de ces sources d’innovation à transfor-mer rapidement les économies dépend de leur vitesse de diffusion à grande échelle. Nous pouvons obser-ver qu’au cours de l’histoire, la vitesse d’adoption des nouvelles technologies s’est constamment accélérée. Comme l’illustre le tableau 1 ci-dessous, il a fallu 85 années pour que la voiture soit adoptée par 50 pour cent de la population américaine, 30 ans pour la télévision et 10 ans pour le téléphone mobile. Paral-lèlement, la diffusion internationale des innovations radicales s’est accélérée, comme le montre la rapidité avec laquelle les téléphones portables ont été adop-tés dans les économies émergentes. Selon le Pew Research Center aux Etats-Unis, seulement 1 pour cent de la population au Nigeria, au Ghana, au Ban-gladesh ou encore en Ouganda possède un téléphone fixe dans leur ménage. Mais 89 pour cent d’entre elle au Nigeria, 83 pour cent au Ghana, 76 pour cent au Bangladesh et 65 pour cent en Ouganda possèdent un téléphone mobile.

Capacité d’innovation: avantage confirmé aux Etats-Unis

Les entreprises à l’origine de ces sept sources d’inno-vation sont principalement américaines. La construc-tion d’indices boursiers d’innovation par source nous enseigne, sans ambiguïté, que les entreprises américaines y sont majoritairement représentées: en moyenne, elles comptent pour les trois quarts des 10 premières sociétés en termes de capitalisation bour-sière, alors que les entreprises européennes ne repré-sentent que 15 pour cent et les asiatiques 10 pour cent.

Les Etats-Unis sont en bonne voie pour rester au cœur – notamment dans les centres de la côte Ouest

– de l’innovation et du système capitaliste. Tandis qu’il existe quelques centres de référence en Europe, comme à Stockholm ou à Cambridge, le Vieux conti-nent fait malheureusement largement partie de la péri-phérie dans ce domaine. En outre, les pays de la zone euro émergent à peine de plusieurs années d’aus-térité. Il est peu probable d’assister à un retour de l’Europe dans la course à l’innovation. Les différences des dynamiques d’innovation de part et d’autre de l’Atlantique se reflètent dans leurs taux de croissance historiques respectifs. La croissance réelle au cours des 20 dernières années a été en moyenne de près de 2,5 pour cent aux Etats-Unis, alors qu’elle n’a été que de 1,5 pour cent en Europe.

En conclusion, nous pouvons tirer un enseignement de la fantastique dynamique de l’innovation pour résoudre le douloureux problème du surendettement des Etats européens, à l’origine de la crise de la zone euro: des politiques économiques visant à stimuler davantage l’innovation et à attirer les investissements seraient souhaitables. Si ce virage n’est pas rapide-ment pris, l’Europe est destinée à se languir dans la périphérie de l’économique mondiale.

Tableau 1: Vitesse d’adoption des nouvelles tech-nologies

Automobile 85 ans

Avion 75 ans

Téléphone 69 ans

Electricité 53 ans

Caméra vidéo 35 ans

Radio 30 ans

Télévision 30 ans

Ordinateur personnel 27 ans

Internet 18 ans

Téléphone portable 10 ans

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Tableau 2: Sept sources potentielles pour la prochaine vague d’innovation

SECTEURS TECHNOLOGIQUES INNOVATIONS RADICALES POTENTIELLES

1. Internet - Applications mobiles

- Internet des choses

- Crowd sourcing, crowd funding, crowd teaching

2. Informatique / Traitement de l’information

- Extension de la loi de Moore (microprocesseurs de nouvelle génération)

- Informatique quantique

- Big data

3. Automatisation - Robotique avancée - automatisation de travail manuel et d’expertise (intelligence artificielle), interface homme-machine, drones, processus décisionnels

- Impression 3D

4. Transports - Véhicules autonomes

- Véhicules fonctionnant avec de nouvelles énergies

5. Energie - Pétrole et gaz de schiste

- Stockage et gestion de l’énergie électrique

- Nouvelles énergies - solaire, biomasse, éolien, géothermique, énergie des océans et hydrogène

6. Sciences de la vie - Pharmaceutique

‐ Biotechnologie – bio-marqueurs, nano-biotechnologie, bio-médicaments ciblés, génomique (décodage de l’ADN), génétique moléculaire et cellulaire

‐ Neurobiologie

‐ Bioinformatique

‐ Immunologie

‐ Oncologie

7. Matériaux intelligents ‐ Nanotechnologies

‐ Graphène

‐ Matériaux composites

- Contrôle de la matière douce (polymères, protéines)

LE NOUVEAU PLAN D’UTILISATION DU SOL DE LA VILLE DE GENÈVE: NOUVEAUTÉS ET INCERTITUDESMe Philippe Cottier

1. Introduction

Depuis 1983, la Ville de Genève dispose d’un ins-trument afin de maintenir et de rétablir l’habitat ainsi que de favoriser une implantation harmonieuse et équilibrée des activités économiques, il s’agit du plan d’utilisation du sol (ci-après le «PUS») et du Règlement d’application du plan d’utilisation du sol (ci-après le «RPUS»). Cet outil est l’aboutissement d’une initiative populaire pour la protection de l’habitat et contre les constructions abusives qui a donné lieu à l’adoption du chapitre II A. de la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités (ci-après «LExt») (point 2 ci-dessous).

Cet instrument a longtemps été utilisé pour créer un équilibre entre logements et activités et pour favoriser l’implantation de commerces aux rez-de-chaussée des bâtiments du centre-ville de Genève (point 3 ci-dessous).

Le 28 juin 2011, le Conseil municipal a proposé de modifier le RPUS du 15 juin 2009. La Ville de Genève vise deux objectifs avec cette modification: première-ment, elle veut garantir le maintien de cafés, restau-rants, théâtres, cinémas, musées et autres activités, qualifiées d’indispensables. Ensuite, elle entend main-tenir une certaine diversité de l’offre, c’est-à-dire qu’un café peut changer d’enseigne, mais doit être remplacé par un café (point 4 ci-dessous).

Les propositions de modifications sont éminemment politiques et semblent motivées par le souci de la Ville de sauvegarder quelques enseignes emblématiques de Genève, dont notamment le bar «Cristallina» ou le restaurant «l’Entrecôte», qui tendent à disparaître au profit d’autres commerces tels que banques et bijou-teries.

Cependant, ces modifications sont extrêmement inci-sives et limitent le droit de propriété et la liberté éco-nomique des propriétaires des bâtiments sis dans les périmètres concernés. Plusieurs associations se sont regroupées afin de recourir contre ce nouveau RPUS, recours qui a été porté jusque devant le Tribunal fédé-ral (point 5 ci-dessous).

La mise en œuvre du règlement sera susceptible de poser quelques problèmes également car le RPUS lui-même ne contient aucune règle d’application (point 6 ci-dessous).

2. Plans relatifs à l’utilisation du sol — définition et procédure d’adoption

Le 1er juillet 1983, le chapitre II A. de la LExt est entré en vigueur. L’art. 15A LExt prévoit à son alinéa 1 qu’ «afin de maintenir et de rétablir l’habitat dans les 4 pre-mières zones de construction au sens de l’article 19 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménage-ment du territoire, du 4 juin 1987, et dans leurs zones de développement, d’y favoriser une implantation des activités qui soit harmonieuse et équilibrée, tout en garantissant le mieux possible l’espace habitable et en limitant les nuisances qui pourraient résulter de l’acti-vité économique, les communes élaborent en collabo-ration avec l’Etat et adoptent des plans d’utilisation du sol approuvés par leur Conseil municipal.»

Les moyens envisagés pour atteindre le but visé par l’art. 15A LExt sont notamment de répartir les terrains de la commune en terrains à bâtir et en espaces verts, privés ou publics. Les terrains à bâtir peuvent ensuite être répartis en secteur d’intérêt public, d’habitation ou de logement et d’activités (art. 15B LExt). Fina-lement, à l’intérieur de ces secteurs, les communes peuvent établir des pourcentages de répartition entre

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l’habitat et les activités (art. 15C LExt).

La procédure d’adoption des plans d’utilisation du sol est décrite aux articles 15D et 15F LExt. Tout d’abord, le plan et son règlement doivent obligatoirement être soumis à une enquête publique la plus large possible. Ils doivent ensuite être traités et adoptés par le Conseil municipal de la commune intéressée. Le Conseil d’Etat doit ensuite approuver des versions du plan et du règlement validées par le Conseil municipal, en vérifiant notamment qu’ils sont conformes aux plans de zones et au plan directeur cantonal et aux plans directeurs localisés.

Une fois le plan d’utilisation du sol et son règlement adoptés par le Conseil d’Etat, ils peuvent faire l’objet d’un recours dans un délai de 30 jours dès la publica-tion de l’arrêté d’approbation du Conseil d’Etat dans la Feuille d’avis officielle. Le recours doit être déposé auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice. La décision de la Cour de justice peut ensuite faire l’objet d’un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral.

3. Historique du RPUS de la Ville de Genève

Suite à l’adoption du chapitre II. A de la LExt, le Conseil municipal et le Conseil d’Etat de Genève ont rédigé un règlement transitoire relatif au plan d’utilisation du sol de la Ville de Genève (ci-après «RTPUS»). Le RTPUS est entré en vigueur le 1er septembre 1988.

Les buts principaux du RTPUS étaient les suivants:

- En cas de construction, démolition-recons-truction ou d’agrandissement d’un bâtiment, il imposait une obligation d’affecter des surfaces nouvelles au logement, selon un taux de répar-

tition entre le logement et les activités, variant selon les secteurs.

- Le RTPUS visait également à maintenir les hô-tels de catégorie modestes.

- Le RTPUS comportait des restrictions d’affec-tation des locaux situés aux rez-de-chaussée en interdisant par exemple l’implantation de bureaux fermés au public.

Parallèlement à l’adoption du RTPUS, la Ville de Ge-nève a élaboré un projet de RPUS. Après plusieurs modifications et mises à l’enquête, le RPUS est entré en vigueur le 15 juin 2009.

Le plan répartit la Ville en plusieurs secteurs auxquels sont appliqués des taux de réparation entre logements et activités dans les bâtiments concernés. Le RPUS reprend les buts visés par le RTPUS en renforçant la réglementation relative à l’affectation des rez-de-chaussée et en restreignant les règles relatives aux hô-tels. Il instaure un taux minimal d’espaces verts et met également en place des restrictions quant aux chan-gements d’affectation des bâtiments commerciaux. Son article 9 indique en effet que «les surfaces au rez-de-chaussée, lorsqu’elles donnent sur des lieux de passage ouverts au public, doivent être affectées ou rester affectées, pour la nette majorité de chaque sur-face, à des activités accessibles au public en matière de commerce, d’artisanat ou d’équipements sociaux ou culturels à l’exclusion des locaux fermés au public.»

Après une longue procédure relative principalement à la validité de l’article 11 RPUS concernant le maintien de l’affectation des hôtels, le Tribunal fédéral a confir-mé sa validité par arrêt du 20 février 20071.

1 Arrêt du TF 1C_229/2009.

4. Modifications du RPUS selon l’arrêté du Conseil municipal du 28 juin 2011

Le 28 juin 2011, le Conseil municipal de la Ville de Genève a adopté un arrêté visant la modification du RPUS. La nouvelle version du plan ne comporte plus uniquement une répartition de la ville en secteurs vi-sant à répartir les locaux destinés aux logements et aux activités. Il comporte également une délimitation des secteurs d’animation (réglementé par le nouvel article 9 que nous détaillerons ci-dessous), avec un secteur A (vieille-ville – trait-tillé orange) et un secteur B (rues commerçantes de quartiers - ligne orange):

Cette version du RPUS comporte plusieurs nouvelles définitions:

1. L’article 3 al. 6 définit les bâtiments d’activités comme tout bâtiment comportant des locaux qui, par leur destination, leur aménagement et leur distribution, sont destinés à des activités telles que les services de prestations ou admi-nistratifs, les diverses catégories de magasins, les cafés, les restaurants, les tea-rooms, les théâtres, les cinémas, les musées, les salles de concert, de spectacles, de conférences, ou les lieux de loisirs.

2. L’article 9 al. 2.1 définit les activités accessibles au public comme les locaux ouverts au public, les arcades ou les bâtiments accessibles de-puis le rez-de-chaussée, quels que soient les

étages ouverts au public, notamment destinés au commerce, à l’artisanat, aux loisirs, aux acti-vités sociales ou culturelles, à l’exclusion des locaux fermés au public.

3. L’article 9 al. 2.2 définit les locaux fermés au public comme des locaux inoccupés par des personnes ou des locaux occupés essentielle-ment par des personnes de l’entreprise ou qui sont destinés à une clientèle accueillie dans des conditions de confidentialité, notamment des bureaux, cabinets médicaux, études d’avocats, de notaires, fiduciaires, experts-comptables, agents immobiliers, etc.

Cependant, ce qui est frappant dans cette version du RPUS, ce sont les nouvelles restrictions qu’il com-porte, notamment en relation avec le changement d’affectation des locaux:

1. l’article 9 al. 3 indique qu’un certain nombre d’activités telles que cafés, restaurants, lieux de loisirs etc. situés tout particulièrement au centre-ville (secteur A) ou en bordure des rues commerçantes de quartiers (secteur B) conservent en règle générale leur catégorie d’activité en cours d’exploitation ou leur der-nière exploitation, s’il s’agit de locaux vacants.

2. L’article 9 al. 4 indique que les commerces et les diverses catégories de magasins ouverts au public, au centre-ville (secteur A) conservent ou changent, selon leur activité, afin d’améliorer et de développer la diversité de l’offre, le com-merce de proximité et l’animation du centre-ville.

3. L’article 9 al. 5 comporte une exception à ce principe. S’il est démontré que l’exploitation des activités mentionnées à l’alinéa 3 ne peut

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pas être poursuivie, pour d’autres motifs qu’une majoration de loyer excessive ou un prix d’ac-quisition disproportionné du bien immobilier ou du fonds de commerce, une dérogation au sens de l’article 14 peut être octroyée.

4. L’article 14 mentionne qu’une dérogation peut être octroyée lorsqu’une utilisation plus judi-cieuse du sol ou des bâtiments l’exige impé-rieusement.

Il découle de ces nouveaux articles qu’en règle géné-rale, un café devra demeurer un café, une boulangerie une boulangerie, un restaurant un restaurant, les ex-ceptions à ce principe étant limitées. De plus, ce prin-cipe ne se limitera pas au centre-ville puisque l’alinéa 3 mentionne «tout particulièrement» au centre-ville et en bordure des rues commerçantes de quartier. Ces modifications sont donc lourdes de conséquences pour les propriétaires de bâtiments situés dans le large périmètre concerné.

A la lecture des débats du Conseil municipal, l’on peut toutefois constater que les différents intervenants ont tenté de limiter l’impact du nouveau RPUS. En effet, il a été précisé à plusieurs reprises par les partisans du nouveau règlement qu’un établissement qui ne fonc-tionne pas pourra devenir autre chose, car le règle-ment doit être souple2.

M. Pagani a précisé lors des débats qu’en matière de changement d’affectation et contre le phénomène de disparition des petits commerces, la Ville n’avait actuellement aucun outil pour agir3. M. Pagani parle donc bien d’un instrument pour lutter contre la dispari-tion de petits commerces et non pas pour figer toutes les activités actuelles coûte que coûte. Les Conseillers

municipaux ont également soulevé ce point en argu-mentant que seuls les petits commerces tels que ma-gasins de proximité, cafés et restaurants, situés dans l’hyper centre de la ville, doivent être protégés et non l’ensemble des activités4.

Quoiqu’il en soit, de vives réactions se sont vite fait entendre au sujet de cette nouvelle version du RPUS. Plusieurs associations et un particulier ont recouru contre ce texte.

5. Procédure de recours contre la modification du RPUS du 28 juin 2011

a. Arguments des recourants

Selon les recourants, le but du RPUS est de fixer un taux de répartition dans les différents secteurs, afin de s’assurer un équilibre entre l’habitat et l’artisanat, le commerce, l’administration et les secteurs de détente. Le nouvel article 9 al. 3 et 4 RPUS ne se borne pas selon les recourants à répartir diverses affectations en fonction de secteurs, il fige l’ensemble des activités qualifiées «d’animation». En outre, la sélection des activités apparaît arbitraire.

De plus, ces alinéas obligent un propriétaire à pour-suivre une activité déterminée même contre son gré. Il s’agit là d’une mesure de politique économique, inter-venant dans la libre concurrence pour favoriser cer-taines branches d’activités.

Toujours selon les recourants, le nouvel article 9 al. 5 RPUS attribue aux autorités cantonales une nouvelle prérogative, à savoir le contrôle de la juste valeur des loyers, respectivement de la juste valeur des fonds de commerce. L’article 9 al. 5 RPUS est donc un instru-

2 Pour exemple, Mme Belmonte, p. 7 du rapport de la Commission de l’aménagement (PA-78A).3 M. Pagani, p. 7 du rapport de la Commission de l’aménagement (PA-78A).4 Pour exemple, M. Chappuis, séance du 28 juin 2011, p. 620.

ment déguisé de lutte contre les hausses abusives de loyer, prérogative du législateur fédéral uniquement.

b. Décision du Tribunal fédéral confirmant l’arrêt de la Cour de justice

Le Tribunal fédéral a rendu son arrêt en date du 1er

novembre 2013, suite à la décision de la Cour de jus-tice du 29 janvier 2013.

Le Tribunal fédéral a jugé que l’article 9 al. 3 RPUS ne consacre pas une atteinte inadmissible à la liberté économique et à la garantie de la propriété. Selon lui, une réglementation est admissible même si elle peut avoir des répercussions susceptibles d’être qualifiées de politique économique, par exemple en favorisant une catégorie d’entreprises par rapport à d’autres, pour autant que l’objectif principal relève de l’aména-gement du territoire5. Les mesures contenues dans l’art. 9 al. 3 RPUS poursuivent un intérêt public recon-nu, qui est de favoriser une implantation des activités qui soit harmonieuse et équilibrée, conformément aux objectifs visés par les articles 15A et suivants LExt. Il s’agit donc de favoriser un équilibre des activités et de garantir un approvisionnement suffisant de la popu-lation et non de favoriser certains branches d’activi-tés par rapport à d’autres, comme le soutiennent les recourants6.

D’une manière succincte, le Tribunal fédéral relève que par l’utilisation des termes «en général», l’art. 9 al. 3 RPUS laisse à l’autorité d’application une certaine marge d’appréciation7.

Le Tribunal fédéral a ensuite jugé que l’article 9 al. 5

RPUS n’a pas pour objectif le contrôle des loyers et n’empiète dès lors pas sur l’art. 271 CO, contraire-ment à ce que soutiennent les recourants8. Selon le Tribunal fédéral, cette disposition est analogue à l’art. 11 RPUS concernant les hôtels, dont la conformité au droit supérieur a déjà été approuvée. En résumé, le Tri-bunal fédéral avait jugé en rapport avec l’art. 11 RPUS que la disposition n’empêche pas les propriétaires de disposer de leur bien car il existe une dispense au prin-cipe du maintien de l’affectation pour le cas où il est établi que l’exploitation ne peut pas être poursuivie. La marge d’appréciation laissée à l’administration pour vérifier que les conditions de la dérogation sont rem-plies peut certes mener à des abus mais il appartient, cas échéant, à l’autorité judiciaire de les sanctionner9.

Le Tribunal fédéral a finalement confirmé l’arrêt de la Cour de justice en ce qui concerne l’article 9 al. 4 RPUS. Lors de l’application de cet article, la Ville de Genève pourrait s’opposer à la réouverture d’un café ou d’un restaurant, ou d’une autre activité déjà offerte en abondance dans des secteurs bien définis, afin de garantir une diversité des services à la population. Cet examen suppose que l’autorité prévoie quel type de commerce serait, cas échéant, manquant dans l’offre existante ou encore lesquels seraient pléthoriques. Cette mesure n’est à l’évidence pas neutre sur le plan économique et intervient directement sur la libre concurrence. Elle doit donc être qualifiée de mesure de politique économique et n’est pas compatible avec la liberté économique10.

Il découle de l’arrêt du Tribunal fédéral que l’article 9 al. 5 devient l’article 9 al. 4 RPUS et l’article 9 al. 6 l’article 9 al. 5 RPUS.

5 Arrêt du TF 1C_453/2007, consid. 8.2.6 Arrêt du TF 1C_253/2013, consid. 4.2.7 Idem.8 Arrêt du TF 1C_253/2013, consid. 5.2.9 Arrêt du TF 1C_229/2009, consid. 4.4 10 Arrêt du TF 1C_229/2009, consid. 6.

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6. Mise en œuvre du RPUS

Selon l’article 9 al. 5 RPUS, «les changements de des-tination de surfaces de plancher, au sens du présent article seront soumis à autorisation du Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après le «DALE»), même en l’absence de travaux, en application de l’article 1 al. 1 let. b) de la loi sur les constructions et installations diverses».

Il en découle que le DALE demandera, lors de chaque dépôt d’une demande d’autorisation de modifier la destination de locaux situés dans le périmètre d’ap-plication du PUS, un préavis de la Ville. Le RPUS ne contient aucune règle d’exécution mentionnant quelle autorité est habilitée à l’appliquer. Il faut donc se réfé-rer aux règles d’organisation de la commune de Ge-nève. Selon l’art. 48 let. o) de la loi sur l’administration des communes, «le Conseil administratif est chargé d’exécuter les lois, les règlements et les arrêtés si cette compétence est conférée à la commune.»

Se pose la question de savoir, en cas de préavis né-gatif de la Ville, si le DALE peut ne pas tenir compte du préavis et autoriser la modification d’affectation. A notre avis, le DALE ne pourra pas écarter le préavis de la Ville car ce dernier met en œuvre un règlement communal, de nature obligatoire pour les administrés.

En cas de préavis négatif de la Ville, une nouvelle ques-tion se pose: l’administré doit-il déposer une demande de dérogation au sens de l’article 9 al. 4 et 14 RPUS ou doit-il attendre la décision négative du DALE et recourir? Et, s’il ne demande pas de dérogation, son droit de recours contre la décision du refus du DALE existe-il toujours pour un motif découlant du RPUS?

Nous comprenons de l’article 9 al. 4 RPUS qu’en cas de préavis négatif de la Ville, il faudra déposer un dos-sier complet auprès du service compétent du Conseil

municipal afin d’obtenir une dérogation au préavis.

Finalement, en cas de refus de la dérogation, l’admi-nistré devra-t-il recourir contre la décision de refus de la Ville ou devra-t-il recourir contre le refus du DALE? Nous partons du principe qu’il devra recourir contre la décision du refus de la dérogation, rendue par la Ville.

Ces questions de mise en œuvre du règlement devront être éclaircies avec la pratique car le RPUS lui-même ne contient aucune règle de mise en œuvre.

7. Conclusion

Le RPUS est un instrument qui existe depuis plusieurs années. Il s’est limité dans un premier temps à assurer un pourcentage équilibré de logements et d’activités dans le périmètre limité du centre-ville. Il a ensuite été modifié pour y intégrer une notion de promotion des activités ouvertes au public aux rez-de-chaussée des immeubles situés au centre-ville, avec une protection particulière pour les hôtels.

Aujourd’hui, ce règlement va beaucoup plus loin et prend une connotation nettement plus politique visant à protéger les petits commerces du centre-ville et alentours. Si l’on en fait une lecture stricte, les activités exercées actuellement dans les bâtiments situés non seulement au centre-ville mais également aux abords des routes commerçantes seront figées pour l’avenir.

Cette règlementation porte atteinte aux droits consti-tutionnels des propriétaires des bâtiments concernés. Le Tribunal fédéral a certes jugé que les droits de propriété et de liberté économique étaient respectés par le nouveau RPUS mais il s’est retranché derrière l’argument selon lequel il s’impose une certaine rete-nue lorsqu’il s’agit de tenir compte des circonstances locales, mieux connues des autorités cantonales. Le Tribunal fédéral a cependant soulevé deux points im-

portants permettant une certaine marge de manœuvre dans la souplesse de l’application de l’article 9 RPUS:

- L’indication «en général» de l’al. 3 permettant à l’autorité d’application de bénéficier d’une cer-taine marge de manœuvre.

- La possibilité de faire constater par les autori-tés judiciaires l’abus du pouvoir d’appréciation laissée à l’administration pour vérifier que les conditions de la dérogation au sens de l’article 9 al. 4 RPUS sont remplies.

Il faudra donc attendre les premières décisions de la Ville de Genève pour connaître le niveau de sou-plesse avec lequel ce Règlement sera appliqué et le cas échéant, comme le souligne le Tribunal fédéral, l’on devra s’adresser aux autorités judiciaires en cas d’abus du pouvoir d’appréciation du Conseil adminis-tratif.

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Si le rôle de l’avocat est bien connu en matière de défense des intérêts privés, sa contribution à la dé-fense de l’intérêt général est moins connue. Pourtant, la défense des intérêts privés constitue également et par ricochet une contribution substantielle à l’appli-cation de la norme juridique et à la mise en œuvre de la primauté du droit. Ceci est aussi bien valable en droit privé qu’en droit public. Cette contribution constitue, selon les pays et les conditions d’exercice de notre métier, une contribution à l’instauration de l’état de droit (ou de l’Etat de droit) et à celle de sa pérennité. Ce rôle que joue l’avocat dans ce domaine est suffisamment complexe et important pour ne pas prétendre en dresser un tableau exhaustif dans les limites de quelques pages. Nous ne ferons ainsi que mettre en relief ses traits les plus saillants en espé-rant que d’autres études plus approfondies viennent nous éclairer sur les subtilités et les fins contours de ce rôle. Mais avant d’en arriver là, nous tâcherons de jeter certains éclairages sur le concept même de «l’état de droit».

A. Signification et évolution du concept de «l’état de droit»

Toute norme légale se rattache à un système juridique et à ses fondements métajuridiques. Aucune norme juridique ne peut exister ex nihilo et d’une manière isolée, et n’appartenant à aucun ensemble, interne, international ou encore universel, tel que les principes généraux du droit. Elle est toujours rattachée à un système qui constitue son socle nécessaire pour son interprétation ou de son application. Aucune norme ne peut prétendre à la moindre juridicité si elle ne ren-voie pas au lien qui la rattache à un système de droit

– ou plus précisément – un ensemble normatif qui la fonde et l’encadre. Cependant, un tel ensemble nor-matif ne devient un ordre juridique que si les normes qui le constituent sont à la fois cohérentes, générales, accessibles à tous et assorties de fortes structures d’application.

1. «Etat de droit» ou «état de droit»

Toutefois, il est accepté depuis Aristote2 que tout ordre juridique doit également prévoir en son sein des institutions et des professions judiciaires et légales indépendantes pour protéger les justiciables contre l’arbitraire de la puissance publique, des individus ou de toute autre part. De là on voit pointer la notion de justice et de la primauté du droit par opposition à l’arbitraire. C’est ce qui fonde les concepts d’«état de droit» et «Etat de droit».

Le concept de l’état de droit trouve ses racines dans de nombreuses cultures juridiques dans tous les conti-nents. La marche vers l’instauration et de la pérennité de l’état de droit et de sa primauté est étroitement liée à l’évolution de l’histoire du droit elle-même. Le Code de Hammourabi, promulgué par le roi de Babylone vers 1760 avant J.-C., est l’un des premiers exemples de la codification du droit et de la reconnaissance de la primauté de ses règles dans les relations sociales, interpersonnelles et avec les gouvernants. Cependant, le principe de la primauté du droit ne peut se traduire dans la pratique et dans les faits sans établir en son sein une hiérarchisation des normes juridiques. Cette hiérarchisation a présidé à la naissance du constitu-tionnalisme3.

LA CONTRIBUTION DE L’AVOCAT DANS LA PÉRENNITÉ ET L’INSTAURA-TION DE L’ETAT DE DROITMe Taoufik Ouanes1

1 Avocat au barreau de Tunis, membre de la Section des avocats de barreaux étrangers (SABE).2 Aristote, Livre III, 11, section 3: «Il faut donc préférer la souveraineté de la loi à celle d’un des citoyens». Cette citation est considérée comme l’origine

de la notion d’état de droit. 3 Selon une définition plus ancienne, l’état de droit est un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Le juriste autri-

chien Hans Kelsen a redéfini cette notion d’origine allemande (Rechtsstaat) au début du XXe siècle, comme un «État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée».

Par ailleurs, le respect de ces normes et de leur hié-rarchie ne pouvait être assuré que par des corps et des institutions indépendants: La magistrature dans la plénitude de ses compétences, ses auxiliaires ainsi que d’autres organes à commencer par la défense représentée par sa cheville ouvrière, les avocats. Le principe de la séparation des pouvoirs (législatif, exé-cutif et judiciaire) – fondement de la théorie de l’Etat moderne – garantit l’indépendance du pouvoir judi-caire et de ses organes, à savoir les magistrats et les avocats. Tous ces aspects, essentiellement nor-matifs et organisationnels, ne peuvent avoir de sens sans les mettre en relation avec la notion fondatrice de toute la coexistence humaine, à savoir la justice. Ainsi et à travers l’histoire du droit, ces aspects nor-matifs et organisationnels ont progressivement trouvé leur pleine signification dans le développement des droits fondamentaux, à savoir les droits de l’Homme, le droit humanitaire et le droit pénal international. Par ailleurs et dans une évolution remarquable durant ces dernières décennies, la notion d’état de droit et de sa primauté dans sa hiérarchie s’est considérablement rapprochée de la notion de démocratie. Ce fut une très significative étape à tel point que Raymond Carré De Malberg considère que «La naissance de l’Etat se place au moment même où il se trouve pourvu de sa première Constitution»4, car les constitutions sont censées déclarer et attribuer les droits fondamentaux aux citoyens. Ainsi, dans la notion moderne de l’état de droit, la légalité ne suffit plus, dans la mesure où le respect de ces droits fondamentaux vient s’ajouter à la nécessaire conformité de toute règle de droit à la hiérarchie des normes telle que prévue par la consti-tution. Ainsi, on est passé de «l’état de droit», simple constatation de légalité (et qui se rapproche plutôt de

la notion de «due process»), à «l’Etat de droit». L’Etat de droit suppose non seulement un système juridique hiérarchisé mais aussi et surtout une structure éta-tique dotée d’un ordonnancement juridique démocra-tique basé sur l’intérêt des sujets de droit et disposant d’une puissance publique, elle-même soumise au droit et juridiquement responsable de ses actes. Dans ce sens, l’Etat de droit se rapproche de la notion de «rule of law».

De nos jours, «état de droit» et «Etat de droit» tendent de plus en plus à se confondre au gré de l’évolution de l’histoire et du développement des libertés publiques, vecteurs essentiels de la démocratie.5

2. Normes internationales et «état de droit»

Ce développement a été également favorisé par l’évo-lution juridique au niveau international. Ainsi, le principe de l’état de droit et sa nature obligatoire en tant que principe général de droit ont été mis en exergue, déjà en 1948, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui stipule dans son préambule «…qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit6 pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression». Les Nations Unies ont, elles aussi et à plusieurs reprises, affirmé que l’état de droit et la bonne administration de la justice sont néces-saires pour la promotion et la protection des droits de l’Homme. L’ONU définit l’état de droit comme «un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble des individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l’État lui-même, ont à répondre de l’observation de lois promulguées publiquement,

4 Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Ed. Dalloz. p 66.5 Afin de ne pas trop compliquer la sémantique de ce texte, nous et du moment que cette distinction ne présente pas d’utilité fondamentale aux fins

de cette brève étude, nous utiliserons ces deux concepts avec cette seule distinction, certes un peu schématique. 6 Dans le contexte du préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le sens de l’expression «régime de droit» est identique à celle

de «état de droit».

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appliquées de façon identique pour tous et adminis-trées de manière indépendante, et compatibles avec les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme.»7

Toutefois, le concept «d’état de droit», ainsi que tous les principes qui en dérivent, seraient totalement illu-soires sans l’existence de professions judiciaires et légales indépendantes chargées de mettre en œuvre, défendre et développer l’état de droit. Il s’agit prin-cipalement des magistrats et des avocats. Si le rôle de la magistrature est facilement percevable dans la pérennité de l’état de droit par l’application du droit, celui de l’avocat est moins perceptible malgré son importance fondamentale.

B. Rôle de l’avocat dans la pérennité et le ren-forcement de l’état de droit

Quand il s’agit de défendre les intérêts ou les droits du justiciable, l’avocat finit inéluctablement par défendre le «Droit» et sa bonne application. Certes, l’avocat injecte une certaine dose de sa propre subjectivité quand il défend le droit de son client; mais il n’y a pas de droits à défendre qui ne s’inscrivent dans un ordonnancement juridique public ou privé, interne ou international. En défendant les intérêts de son client l’avocat exerce toujours sa mission dans le cadre d’un ordonnancement juridique donné. Lorsque cet ordon-nancement constitue un «Etat de droit» qui respecte, non seulement la primauté du droit, mais également les droits de l’Homme et les libertés fondamentales – telles que constitutionnellement et internationalement prévues et garanties – le rôle de l’avocat consiste aus-si à pérenniser et développer l’Etat de droit. Le droit constitutionnel, le droit administratif et le droit pénal international sont des exemples parlants de l’évolution

vers l’Etat de droit. Le fait que l’avocat, lors de l’exer-cice du droit de la défense, questionne la constitution-nalité des lois constitue une composante importante de l’état de droit et de l’attachement de l’avocat à sa bonne application et à sa pérennité. Dans le même sens, l’avocat peut aussi soulever la question de la conformité du droit interne aux engagements interna-tionaux conclus par l’Etat par le biais des conventions bi ou multilatérales. Un tel moyen de défense trouve son fondement dans le fait que l’état de droit n’est pas l’apanage unique des pouvoirs internes, mais est également constitué par des normes de droit interna-tional comme partie intégrante de l’état de droit. Le domaine de prédilection où l’avocat fait appel aux normes internationales de l’état de droit est celui des droits de l’Homme. A telle enseigne que de plus en plus systématiquement, les avocats européens exercent des recours supranationaux devant les cours européennes, surtout devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. A l’occasion de ces recours, les avocats jouent un rôle important non seulement dans la mise en œuvre des normes de l’état de droit, mais également dans l’affirmation et le renforcement de ces mêmes normes.

De la même manière et dans le domaine du droit ad-ministratif, l’avocat en défendant son client contre les actes arbitraires de l’administration, défend aussi l’état de droit car, l’une des avancées les plus remarquables de ce dernier a été de soumettre l’administration – apanage le plus puissant de la puissance publique – à l’autorité du droit et de son contrôle. Là aussi et à travers le contentieux administratif, l’avocat contribue substantiellement à la pérennité et au renforcement de l’état de droit.

Dans sa fameuse phrase, issue de l’Esprit des Lois

7 Rapport du Secrétaire général «Rendre la justice: programme d’action visant à renforcer l’état de droit aux niveaux national et international» (A/66/749).

(1748), Montesquieu considère que «le juge n’est que la bouche qui prononce les paroles de la loi». Cette citation paraît avoir beaucoup perdu de sa pertinence depuis la reconnaissance du rôle du juge dans la création du droit à travers son œuvre jurisprudentielle. Cependant, il est indéniable que l’avocat contribue toujours à cette œuvre de création du droit car la juris-prudence n’est, en général, que la consécration par le juge, de l’une ou l’autre thèse défendue par les avo-cats des parties dans le cadre d’un litige donné. Ainsi, l’œuvre créatrice du droit par la jurisprudence est de parenté double: le magistrat et l’avocat. Si l’avocat n’est pas le créateur direct de la jurisprudence, il n’en demeure pas moins son inspirateur et son féconda-teur. Ceci constitue une autre forme de contribution de l’avocat à la pérennité et au renforcement de l’état de droit et fait partie de la mission de l’avocat et de l’exer-cice du droit de la défense. Cependant l’exercice du droit de la défense et la contribution au renforcement de l’état de droit ne sont possibles que si l’avocat jouit d’une indépendance réelle dans l’accomplissement de sa mission.

L’indépendance de l’avocat

Dans son célèbre discours en 1693, le célèbre magis-trat français Henri François d’ Aguesseau s’adressant aux avocats prononça ces paroles: «Vous êtes placés, pour le bien du public, entre le tumulte des passions humaines et le trône de la justice (...); vous êtes égale-ment redevables et aux juges et à vos parties, et c’est ce double engagement qui est le double principe de toutes vos obligations.»8

Cette formulation est proche de celle de la Cour Euro-péenne des Droits de l’Homme dans son arrêt Nikula c. Finlande en 2002: «Le statut spécifique des avocats les place dans une situation centrale dans l’adminis-tration de la justice, comme intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux (...). Eu égard au rôle clé des avocats dans ce domaine, on peut attendre d’eux qu’ils contribuent au bon fonctionnement de la justice et, ainsi, à la confiance du public en celle-ci.»9

L’indépendance de l’avocat est cruciale, tout comme sa protection. L’avocat en tant que défenseur des droits doit être à l’abri de tout arbitraire afin de pou-voir utiliser tous les moyens légaux pour la défense de son client. Mieux, cette protection est d’autant plus nécessaire à l’avocat car, d’une façon ou d’une autre et même en filigrane, il assure une fonction «de service public» qui consiste à assurer les sacro-saints principes du «droit à la défense», de «l’accès à la jus-tice» et du «droit à un procès équitable». L’institution de «l’aide juridictionnelle»10 est une éclatante illustra-tion car l’avocat peut être réquisitionné, aux frais de l’Etat, pour prêter son concours à des justiciables né-cessiteux ou incapables de payer les honoraires d’un avocat ou les frais de justice. La Rapporteuse spé-ciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats définit l’aide juridique (ou judiciaire) comme suit: «De ce fait, la définition de l’aide juridique doit être aussi large que possible et comprendre non seulement le droit à une assistance juridique gratuite en matière pénale, au sens de l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais aussi à une assistance juridique effi-cace dans toute procédure judiciaire ou extrajudiciaire

8 Cf. Intervention de l’avocat historien du droit Jean-Luc Chartier évoquant la figure vertueuse du Chancelier d’Aguesseau et sa conception de la vertu pour les avocats et magistrats. http://www.canalacademie.com/ida2520-La-vertu-des-hommes-du-droit-selon-le-chancelier-d-Aguesseau.html.

9 Alexandre Cordahi,«Les garanties de l’indépendance des avocats».http://www.oib-france.com/wp-content/uploads/LesGarantiesdelindependance-desavocatsTunisMars2013.pdf.

10 L’aide juridictionnelle est une aide financière accordée aux personnes disposant de ressources modestes souhaitant l’assistance d’un avocat. Elle leur permet de faire valoir leurs droits en justice pour faire un procès ou se défendre, trouver un accord, faire exécuter une décision de justice.

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visant à statuer sur des droits ou des obligations, y compris les droits civils.»11

L’avocat doit être totalement exempt de toute subordi-nation à qui ou quoi que ce soit sur les plans matériel, moral, social ou autre. L’indépendance est aussi bien une garantie qu’une obligation de l’avocat car il jure d’exercer ses fonctions avec indépendance lorsqu’il prête serment.

Comme souligne Me Anne Marion de Cayeux «Le Code de déontologie des avocats de l’Union euro-péenne, adopté le 28 octobre 1988 à Strasbourg – qui est désormais érigé au rang de norme déontologique européenne – fait figurer au premier rang des prin-cipes généraux de la déontologie, l’indépendance.»12

Cette indépendance est aussi bien valable vis-à-vis du client que des magistrats. La Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat adoptée le 25 octobre 2000 pose en substance six principales conditions:

1) un véritable «droit d’accès aux clients»;

2) un accès total aux informations, renseigne- ments et pièces des dossiers;

3) le droit à la «liberté d’opinion, d’expression, mais aussi d’associations et de réunions»;

4) le droit de se déplacer;

5) le droit de participer à des débats publics sur les questions relatives à la loi et à l’administra-tion de la justice et de suggérer des réformes;

6) le droit de s’associer librement au sein d’orga- nisations professionnelles ou de barreaux eux-mêmes autonomes et indépendants.»13

Ces assurances données à l’avocat dans l’exercice de ses fonctions lui octroient des prérogatives de na-ture fonctionnelles qui dépassent les droits du simple citoyen. Le rationale de ces prérogatives réside dans le fait que le droit de la défense dépasse le strict inté-rêt privé du client pour déborder sur l’intérêt général à la mise en œuvre juste et égalitaire de l’arsenal des normes qu’édicte l’état de droit. Par ailleurs, ce même intérêt général se retrouve dans l’aspiration collective à ce que ces normes soient en phase avec les droits humains, tels que secrétés par l’évolution de l’histoire du droit. Ainsi et par conséquent, l’avocat se trouve – lui aussi – investi d’une mission d’intérêt général, à savoir la défense et la promotion de l’état de droit. C’est dans ce sens que la Recommandation R (2000) 21, adoptée le 25 octobre 2000 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe porte sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat et précise qu’elle a pour objet de «promouvoir la liberté d’exercice de la profession d’avocat afin de renforcer l’Etat de droit, auquel participe l’avocat, notamment dans le rôle de défense des libertés individuelles». Donc de mettre en œuvre «un système judiciaire équitable garantis-sant l’indépendance des avocats dans l’exercice de leur profession sans restriction injustifiée et sans être l’objet d’influences, d’incitations, de pressions, de menaces ou d’interventions indues, directes ou indi-rectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit».

Au-delà des domaines des droits constitutionnel, pénal, administratif et des droits de l’Homme, le rôle

11 Documents des Nations Unies A/69/294.12 Maître Anne Marion de Cayeux, Avocat au Barreau de Paris. Article publié sur internet le 6 Mai 2011, http://www.decayeux-avocat.com/2011/05/

independance-definition/. 13 Ibid.

de l’avocat dans la mise en œuvre et le renforcement de l’état de droit connaît une évolution importante en s’étendant au droit des affaires dans ses branches économiques et financières.

L’intensification et la complexification des relations économiques à l’échelle nationale et internationale impliquent l’impérieuse nécessité d’un cadre juridique précis, intelligible et stable. Bref, un état de droit fiable. Les investissements internationaux – directs ou indi-rects – dans les pays du tiers-monde ont soulevé à ce propos de graves litiges car dans plusieurs de ces pays, l’état de droit est souvent confus ou défectueux aussi bien dans ses aspects législatifs que dans ses aspects judiciaires. Par ailleurs, certaines pratiques de mauvaise gouvernance peuvent ressembler à des pratiques arbitraires telles que des pseudo-nationali-sations de nature plutôt intempestive que juridique ou des dénis de justice caractérisés.

La multiplicité et la diversité du contentieux écono-mique sont en croissance exponentielle. L’implica-tion de l’avocat dans ces domaines est évidente. Vu l’importance des enjeux, toute défaillance, application arbitraire ou déstabilisation de l’état de droit, implique-rait une perte de confiance des acteurs économiques aussi bien nationaux qu’étrangers avec les grands risques qui ne manqueront pas de peser immédiate-ment sur la prospérité, le progrès et même la cohésion sociale de tels pays. A cet effet, et afin de limiter les inconvénients ou les insuffisances de l’état de droit, la tendance est de soumettre, de plus en plus, les litiges économiques à l’arbitrage, une ingéniosité juridique imaginée et instituée afin de pallier les éventuelles ca-rences ou lenteur du ou de l’état ou (Etat de droit). La très forte implication des avocats dans l’arbitrage (in-terne et international) n’est un secret pour personne.

Dans l’arbitrage (tout comme dans la médiation, l’avocat n’est plus cantonné dans son rôle originel de défenseur de droits, mais se trouve très souvent dans la position d’arbitre ou de médiateur. Ceci constitue une véritable reconnaissance légale et institutionnelle de l’importance du rôle de l’avocat dans le prononcé, l’application et même la création du droit. Ces trois fonctions étant essentiellement celles dévolues à l’ins-tauration et la pérennité de l’état de droit.

Le rôle de l’avocat dans le renforcement de l’état de droit a été également reconnu au niveau international en ces termes: «L’état de droit est renforcé lorsque chacun a la possibilité de faire valoir ses droits, de disposer d’un recours utile et de demander des comptes légitimes aux autorités publiques au regard de leur responsabilité de fournir des services publics justes et équitables. Les organisations de la société civile, notamment les associations professionnelles d’avocats, (…) contribuent grandement à renforcer les services garants de l’état de droit, particulièrement en informant la population et en lui donnant les moyens d’agir.»14

Si le rôle de l’avocat dans la pérennité et le renfor-cement de l’état de droit est important, son rôle en cas d’absence d’Etat de droit ou de sa violation mas-sive est non seulement crucial mais peut également comporter des risques pour l’avocat. Ainsi, le rôle de l’avocat devient double: Il ne s’agit plus seulement d’exercer les droits de la défense, mais de le faire dans un environnement où l’Etat de droit est gravement dé-faillant ou carrément inexistant. C’est largement plus complexe et plus périlleux.

14 Nations Unies, Rendre la justice: programme d’action visant à renforcer l’état de droit aux niveaux national et international, Rapport du Secrétaire général, Document A/66/749, p 8.

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C. Rôle de l’avocat dans la restauration ou l’ins- tauration de l’Etat de droit

Dans son discours du 24 septembre 2014 devant la réunion de haut niveau tenue par l’Assemblée géné-rale à sa soixante-septième session sur le thème «L’état de droit aux niveaux national et international», le Secrétaire général des Nations Unies s’exprimait ainsi: «L’état de droit est comme la loi de la pesanteur. C’est lui qui fait que notre monde et nos sociétés restent soudés, que l’ordre prévaut sur le chaos. Il nous ras-semble autour de valeurs communes; il nous ancre dans le bien commun. Mais contrairement à la loi de la pesanteur, l’état de droit ne se manifeste pas spon-tanément. Il doit être nourri par les efforts continus et concertés de dirigeants véritables.»15. Dans certaines situations, malheureusement assez nombreuses, le manque de démocratie, le fanatisme ou la pauvreté débouchent sur de graves déficits de l’état de droit ou à sa faillite et sa disparition.

1. Les déficits de l’état de droit

Depuis longtemps, le métier d’avocat a été ressenti comme un contre-pouvoir par les gouvernants ayant instauré des régimes autoritaires. «Quand j’entends le mot avocat, je sors mon épée» s’écriait Napoléon Bonaparte. Mieux encore, «Je veux qu’on puisse cou-per la langue à un avocat qui s’en servirait contre le gouvernement», écrivait le même Napoléon Bona-parte à Cambacérès en 1804. Bonaparte, et il n’est pas le seul, avait une hostilité déclarée à l’égard d’une profession qu’il jugeait difficilement contrôlable. Il pen-sait, à juste titre d’ailleurs, que la mission première de l’avocat est d’assurer le respect du droit de l’Etat et non de l’Etat de droit.

En effet, l’attachement de l’avocat au droit, lui répu-gnerait de se soumettre ou de faire soumettre les intérêts qu’il défend à l’arbitraire. Sa vocation, sa for-mation et sa fonction l’en empêcheraient. La loi, ou plus précisément la légalité (aussi bien substantielle que formelle) sont ses seuls outils lors de l’exercice des droits de la défense. Dans un Etat de droit et en présence d’un ordonnancement juridique basé sur la justice et la démocratie, la mission de l’avocat est relativement simple du point de vue philosophique et moral. En effet dans une telle situation, le droit dans un Etat de droit ne peut consacrer l’arbitraire par les normes juridiques. Si un avocat croit que l’existence ou l’absence d’une règle de droit – substantielle ou procédurale – causant ou contribuant à un résultat injuste ou absurde, il pourrait et devrait essayer par des moyens légaux d’en obtenir les changements appropriés.

L’avancement et la promotion de tout système légal n’est réellement possible qu’avec la contribution des avocats. Ce sont eux qui, les premiers, se rendent compte des carences, des défaillances ou des inco-hérences du système juridique. Ce sont donc eux qui sont souvent à l’origine des initiatives d’abrogations ou d’amendements adéquats pour renforcer et faire progresser l’état de droit. De même, l’avocat est sou-vent l’inspirateur du législateur pour simplifier ou amé-liorer les procédures légales ou initier l’adoption de nouvelles normes juridiques.

Malheureusement, dans les Etats de non droit, l’état de droit instaure et légalise l’arbitraire. Et c’est là que réside le dilemme pour l’avocat car il se trouverait souvent dans des situations professionnelles antino-miques et même schizophréniques quand il doit uti-liser des outils diamétralement opposés à l’objet et à

15 Mhttp://www.unrol.org/article.aspx?article_id=168.

l’essence de sa fonction et de son rôle. De ce fait, il se trouve également démuni de son indépendance, condition sine qua non pour le droit de la défense et donc en porte à faux vis-à-vis de son client. Ce déchi-rement est l’une des causes profondes qui font que les avocats se trouvent habituellement aux premiers rangs des professions qui luttent contre l’arbitraire qui les prive non seulement de leur outil de travail, mais de la raison d’être de leur profession16.

Certes, il y a des degrés et des différences dans les si-tuations où l’arbitraire supplante la justice et les droits fondamentaux. Mais le seuil de l’intolérable peut rapi-dement être atteint et les avocats peuvent se trans-former en défenseurs, non seulement de leurs clients, mais aussi et surtout des défenseurs de la nécessité de restaurer un Etat de droit à cause de la faillite de l’état de droit.

2. La faillite de l’état de droit

Dans le cas où un pseudo état de droit est mis en œuvre par un Etat de non droit qui gouverne par l’arbi-traire et la violence, très vite et très souvent les avocats et les défenseurs de droits de l’Homme, deviennent menacés, intimidés et parfois harcelés, torturés et même tués17. De telles situations s’avèreront – tôt ou tard – insoutenables et déboucheront quasi inélucta-blement sur une violence généralisée. Et si la violence généralisée perdure, cela dégénère en guerre civile et aboutit très vite à la dislocation sinon la disparition de toute forme de puissance publique organisée.18 Le rôle

de l’avocat dans une telle situation, tout comme les autres professions judiciaires se trouve pratiquement anéanti.

Une restauration de l’état de droit ne paraît envisa-geable qu’en cas de cessation ou au moins une décrue de la violence qui pourra donner naissance à une volonté de reconstruction. En premier lieu et comme mesure d’urgence, les mécanismes de la jus-tice doivent être réhabilités, au moins dans une forme transitoire afin d’apaiser les passions et commencer à réparer les violations massives du droit. Une telle mis-sion dans un état de conflit ou même qui commence à en sortir, est extrêmement compliquée et délicate, car les institutions compétentes (magistrature) et leurs règles et moyens de fonctionnement (législation res-pectueuse des droits, et surtout des avocats pour les défendre) font terriblement défaut en cas de crise ou de sortie de crise. Le rétablissement de l’état de droit et l’administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit de-vient donc une nécessité impérieuse.

C’est pour cela que le génie de la pensée juridique a inventé la notion de «justice transitionnelle», concept d’administration de la justice pendant les périodes de transition vers la démocratie et l’état de droit. Le Secrétaire général de l’ONU la décrit comme «englob[ant] l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives com-mises dans le passé, en vue d’établir les responsa-

16 A ce propos, il faudrait rappeler que les avocats tunisiens avaient mené des actions d’opposition au régime de Ben Ali pendant deux décades. En effet et malgré les manipulations du gouvernement, le Barreau tunisien a toujours élu son Bâtonnier dans des conditions de démocratie et de trans-parence. Par ailleurs, beaucoup de juristes, et surtout des avocats ont été emprisonnés et torturés à cause de leur position contre la torture! Citons à ce propos, le cas de Maître Mohamed Abbou qui a passé plusieurs années en prison pour la simple raison d’avoir publié un article sur la toile informatique dénonçant la torture dans les prisons tunisiennes.

17 Salwa Bugaighis, une des figures de la révolution libyenne contre le colonel Kadhafi en 2011et brillante juriste de 51 ans a été assassinée mercredi 25 juin 2014 vers 20 heures, à Benghazi. Cf. Le Monde, 26 juin 2014.

18 Les événements liés à ce qu’on appelle «printemps arabe» ont dégénéré d’une manière dramatique dans des pays tels que la Lybie, la Syrie ou le Yémen. Dans d’autres pays, un peu partout dans le monde, ces situations de violence généralisée risquent de durer très longtemps, comme en Somalie par exemple.

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bilités, de rendre la justice et de permettre la réconci-liation. Peuvent figurer au nombre de ces processus des mécanismes tant judiciaires que non judiciaires, avec (le cas échéant) une intervention plus ou moins importante de la communauté internationale, et des poursuites engagées contre des individus, des indem-nisations, des enquêtes visant à établir la vérité, une réforme des institutions, des contrôles et des révoca-tions, ou une combinaison de ces mesures»19.

A la pratique, les avocats ont joué les premiers rôles dans de tels processus. Dans le continent africain, en particulier en Afrique du sud, les avocats (et les religieux), tout comme en Amérique latine, avaient accompli un travail gigantesque pour mener des en-quêtes afin de rétablir la vérité, indemniser les victimes et favoriser la réconciliation.

Un autre travail similaire mais non moins important a été accompli par les avocats avec l’appui d’autres avocats d’autres pays et le soutien de l’ONU et de l’Union européenne. Il consiste dans la mise en œuvre de réformes institutionnelles de la justice et l’appui donné aux instances nationales pour l’adoption de législations qui consacrent l’état de droit et le renfor-cement des protections contre l’arbitraire. Le droit d’accès à la justice dans les pays de non droit ou qui connaissent de graves conflits est fortement handi-capé par des coûts prohibitifs, la corruption et les pré-jugés socioculturels.

Plusieurs avocats de tous les pays ont substantielle-ment contribué dans les programmes d’accès à la jus-tice de l’ONU et ont aidé des dizaines de milliers d’in-dividus vulnérables à obtenir justice. Un autre domaine où l’avocat peut jouer un rôle essentiel est celui de la

formation des défenseurs publics et la sensibilisation des justiciables à leurs droits.

D. Conclusion

Cantonal par sa géographie, international par son prestige, l’Ordre des avocats de Genève (OdA) est universel par ses intérêts et ses principes. Profondé-ment enraciné dans l’histoire depuis plusieurs siècles, l’OdA a substantiellement contribué à l’édification de l’un des Etats de droit les plus avancés du monde, la Suisse. De la Genève savoyarde à la Genève helvé-tique, l’OdA a toujours porté l’étendard et développé l’indépendance de la profession et l’attachement à la primauté du droit et au renforcement de l’état de droit. Le droit à être défendu, également dans sa dimension sociale, a toujours été un centre d’intérêt de l’OdA qui a été «à l’origine de plusieurs institutions destinées à venir en aide au plus grand nombre, y compris les plus démunis, afin de leur offrir, dans un cadre organisé, un accès facilité à une consultation juridique ou à une défense immédiate en cas de privation de liberté»20.

Dans le même esprit, signalons la tenue de la Confé-rence du 12 juin 2014 sur l’activité pro bono des avo-cats organisée par la Section des avocats de barreaux étrangers (SABE) de l’OdA. Cette conférence et les débats qui l’ont suivie démontrent l’importance qu’at-tachent les avocats de Genève à ce que l’état de droit règne partout et pour tous.

La fécondation mutuelle entre la Genève internationale et l’OdA est également un facteur qui mérite d’être noté car, comme signalé plus haut, la promotion des droits humains est un facteur fondamental dans le ren-forcement de l’état de droit. C’est ainsi que le Conseil

19 Rapport du Secrétaire général: «Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit»,S/2004/616 23.8.2004. Paragraphe 8.

20 Cf. Caroline Bydzovsky, L’Ordre des avocats de Genève, in Revue de l’Avocat (01/ 2014), p. 15. 21 www.odage.ch/commissions/droits-de-l-homme

de l’Ordre a institué une Commission des droits de l’Homme qui œuvre tant en Suisse qu’à l’étranger, par le biais d’interventions diverses, telles que des communiqués de presse, des missions d’observa-tion judiciaire et des interpellations écrites ou orales, notamment auprès des autorités. Des rapports sur les interventions de la Commission sont périodiquement publiés dans la Lettre du Conseil.21

L’évolution du monde telle que nous l’observons de-puis le début de ce siècle nous laisse assez inquiets sur le futur du règne du droit et de la liberté. La mon-tée de l’intolérance et des fanatismes de tout ordre menace l’état de droit et compromettent l’espoir dans l’émergence de nouveaux Etats de droit. Même les Etats traditionnellement démocratiques où l’état de droit paraît irréversible ne doivent pas sous-estimer les dangers de la propagation de la violence aveugle qui risquent de mettre à mal les droits de tous et dont le but ultime est le renoncement à l’état de droit. Seuls l’attachement, la défense de ces droits et leur pro-tection constituent la réponse adéquate. Dans cette perspective, l’avocat a toujours eu et aura toujours un rôle prépondérant.

21 www.odage.ch/commissions/droits-de-l-homme

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Quelque peu surpris de lire, dans la Lettre du Conseil de mars 2015, un plaidoyer en faveur du projet MAH+, j’ai sollicité un droit de réponse. Le voici.

Personne ne conteste la nécessité de rénover voire d’agrandir le MAH. Je suis également plutôt sen-sible au mélange des genres et la combinaison entre architecture contemporaine et bâtiments protégés a donné lieu à de belles réussites en Europe et ailleurs.

En tant qu’homme de loi, je me suis donc principa-lement intéressé au processus décisionnel. Il s’agit du plus important investissement à ce jour pour la Ville de Genève, ce n’est donc pas un souci de pur formalisme.

A-t-on respecté tant la forme que le fond?

Examinons tout d’abord l’appel d’offres publié dans la FAO des 5 et 14 octobre 1998. Il s’agissait d’une procédure sélective à deux tours fondée sur le Règlement cantonal sur la passation des marchés publics en matière de construction (RMP – RS/GE L 6 05.01). Le coût estimé des «travaux de rénovation partielle et réaménagement» était de CHF 10 millions et il était clairement stipulé que ces travaux se dérou-leraient «par étapes, en maintenant l’exploitation».

34 concurrents ont répondu à cet appel d’offres. 5 d’entre eux ont été retenus pour le second tour. C’est là que le bât blesse déjà! La composition du Comi-té de sélection du premier tour et du second tour n’était pas la même ce qui est parfaitement contraire aux principes régissant les marchés publics.

Au premier tour, 29 concurrents ont donc été éli-minés par le directeur de la division de l’aménage-ment et des constructions de la Ville de Genève de l’époque et ses deux adjoints!

Cette composition différente du Comité de sélection entre les deux tours viole gravement le principe de la transparence, principe cardinal en matière de mar-chés publics, et pose donc sérieusement la question de savoir si la décision d’attribution du marché du MAH à Jean Nouvel & consorts n’est pas nulle de plein droit. A méditer!

Passons maintenant à la Convention passée en mars 2010 entre la Ville de Genève et la Fondation Gan-dur pour l’Art. Si les partenariats public/privé sont sans conteste possible un excellent moyen d’alléger les finances d’une collectivité et de rassembler les divers acteurs de la société civile autour d’un projet commun, encore faut-il que les formes soient res-pectées.

L’article 30 al. 1 let j) de la loi sur l’administration des communes (LAC – RS/GE B 6 05) précise:

«Le conseil municipal délibère sur les objets suivants:

(…)

j) l’acceptation des donations et les legs à la com-mune avec ou sans destination mais avec charges et conditions sous réserve de l’article 48, lettre i; ».

Une lecture attentive de cette Convention démontre qu’elle tombait clairement sous le coup de l’article précité et que le Conseil Municipal de la Ville de Ge-nève aurait donc dû se prononcer sur son contenu. La réalité est qu’elle n’a jamais été soumise au pou-voir législatif de la Ville puisqu’elle a été signée par la seule volonté du seul Conseiller administratif en charge du Département de la Culture de l’époque. L’exception de l’article 48 lettre i) LAC n’est d’aucun secours. Quelles conséquences juridiques? Annula-bilité ou nullité absolue? À méditer.

MAH+ GENEVE: DROIT DE RÉPONSE Me Philippe Cottier

Cette contribution se veut non-partisane et objec-tive. Nous sommes des avocats et notre pain quo-tidien est de nous assurer que les lois et règlements ont été appliqués correctement quel que soit l’enjeu au risque sinon d’y perdre notre indépendance et notre liberté.

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ADMISSIONS À L’ORDRE

SEANCE D’ADMISSION DU 23 JUIN 2015

Avocats Etude

Gian-Reto AGRAMUNT Budin & Associés

Hélène CASTRO* Lenz & Staehelin

Nicolas LEROUX Kalexius

Krista MAHONEY* Lecocq Associate

Giulia MARCHETTINI Schellenberg Wittmer SA

Jeremy NACHT Lenz & Staehelin

François TRIPET* LHA Avocats

Mirolub VOUTOV Voutov Avocat

* membre de la Section des avocats de barreaux étrangers de l’Ordre (SABE)

Avocats stagiaires Etude

Quentin ADLER Baker & McKenzie

Ramona AKKAWI Etude d’avocat-e-s Collectif de défense à Genève

Emmanuel BADOUD FBT Avocats

Laura BISIANI Ming Halpérin Burger Inaudi

Rivka BOBROVSKY Cabinet Mayor

Mathias BUHLER Eversheds

Alison CARLUY 100 Rhône Avocats

Emeline CAZZOLA BM Avocats

Giulia CORTI BCCC Avocats

Romain COSANDIER Pfyffer Avocats

Jennifer CRETTAZ Köstenbaum & Associés

Adrien CURTIN Etude Junod & Associés

Amélie EVEQUOZ Rouvinet Avocats

Romain FAKHOURY Python & Peter

Natasha HAERING Keppeler & Associés

Clément JATON Lenz & Staehelin

Jacques JOHNER Meyerlustenberger Lachenal Avocats

Chrystie KALALA Oberson-Vouilloz

Yolande LAGRANGE GVA law

Elodie MAURIS Mont-de-Sion 8

Damien MENUT Meyerlustenberger Lachenal Avocats

Léonard MICHELI-JEANNET Emery & Ribeiro

Duy-Lam NGUYEN Python & Peter

Mélisande NUSSBAUM Schellenberg Wittmer SA

Noémie RAETZO Fontanet & Associés

Emilia REBETEZ Lenz & Staehelin

Bjondina REDZEPI Schellenberg Wittmer SA

Daphnée ROULIN Etude de Me Stephane Rey

Isabelle SEIDLER Perréard de Boccard

Nadia SMAHI Lenz & Staehelin

Victoria SURER FBT Avocats

Olivia TEREINS Etude de Me Karin Grobet Thorens

Doris VELLUT Fontanet & Associés

Caroline VIRET Dayer Ahlström Fauconnet

Wanda SERENA Felder, Lammar, Bolivar, Sommaruga & de Morawitz

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