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LA CONCEPTUALISATION DANS L'ACTIVITÉ INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE Implications pour le management des connaissances et des savoirs Jean-Claude Coulet ESKA | Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels 2014/49 - Vol. XIX pages 135 à 158 ISSN 1260-1705 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2014- -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Coulet Jean-Claude, « La conceptualisation dans l'activité individuelle et collective » Implications pour le management des connaissances et des savoirs, Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 2014/49 Vol. XIX, p. 135-158. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ESKA. © ESKA. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Rennes 2 - Haute Bretagne - - 193.52.64.244 - 26/10/2014 19h56. © ESKA Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Rennes 2 - Haute Bretagne - - 193.52.64.244 - 26/10/2014 19h56. © ESKA

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LA CONCEPTUALISATION DANS L'ACTIVITÉ INDIVIDUELLE ETCOLLECTIVEImplications pour le management des connaissances et des savoirsJean-Claude Coulet ESKA | Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportementsorganisationnels 2014/49 - Vol. XIXpages 135 à 158

ISSN 1260-1705

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2014-49-page-135.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Coulet Jean-Claude, « La conceptualisation dans l'activité individuelle et collective » Implications pour le management

des connaissances et des savoirs,

Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 2014/49 Vol. XIX, p.

135-158.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour ESKA.

© ESKA. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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LA CONCEPTUALISATION DANS L’ACTIVITÉ INDIVIDUELLE

ET COLLECTIVE Implications pour le management

des connaissances et des savoirs

Jean-Claude COULET40

Au-delà de l’importance souvent donnée aux

savoirs scientifiques dans l’économie de la connaissance (notamment pour nourrir les processus d’innovation), il existe également, pour les organisations, de forts enjeux liés à l’élaboration de savoirs fondés sur les conceptualisations en action, caractérisant les activités individuelles et collectives. Il est ainsi incontestable que les pratiques orientées vers l’exploitation des retours d’expérience, la conversion de connaissances tacites en savoirs formalisés, l’analyse des pratiques expertes, etc., sont aujourd’hui de plus en plus valorisées dans la constitution du capital immatériel des organisations. Toutefois, les approches théoriques de ces problématiques sont encore profondément marquées par le statut donné aux connaissances par les sciences de gestion et de l’ingénieur, dans leur relation avec l’ingénierie des systèmes d’information, dont la place reste centrale en gestion des connaissances.

D’autres cadres théoriques se sont néanmoins développés autour des

notions de connaissances et de compétences, intégrant des approches dynamiques, cognitives et systémiques dans les recherches (Prévot, Brulhart, Guieu & Maltese, 2010). Ces travaux montrent, notamment à travers leur évolution, non seulement l’importance qu’ils accordent à l’acquisition de connaissances et de compétences pour accroître l’adaptation de l’organisation aux changements de son environnement mais, également, l’impossibilité d’envisager les connaissances et les compétences

40 Jean-Claude Coulet est chercheur associé au Centre de Recherche en Psychologie, Cognition et

Communication de l’Université Rennes2, (CRPCC, Université Rennes 2) après y avoir occupé un poste d’enseignant-chercheur en psychologie du développement. Ses recherches portent essentiellement sur les compétences individuelles et collectives. Actuellement, il enseigne à l’Institut de Gestion de Rennes sur la thématique : « Intelligence économique et innovation. [email protected]

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indépendamment des activités individuelles et collectives qui les mobilisent, y compris celles qui concernent les relations avec d’autres organisations41.

Pourtant, il faut bien constater qu’en sciences de gestion les travaux s’inscrivant explicitement dans les perspectives ouvertes par les théories de l’activité demeurent assez peu nombreux et, comme le soulignent de La Ville, Leca & Magakian (2011, p. 82), à propos de l’utilisation de la théorie de l’activité de Vygotski : « si ce cadre conceptuel connaît un certain intérêt, il semble cependant qu’il soit demeuré marginal dans les études processuelles ». Or, comprendre quels sont les processus à l’œuvre dans le déploiement d’une activité individuelle et/ou collective et par quels mécanismes ces activités évoluent à travers l’expérience tirée de leur mise en œuvre constitue bien un enjeu fort pour les organisations. De même, parce que les conceptualisations sont au cœur de l’organisation des activités individuelles et collectives, il semble difficile de faire l’économie de l’analyse de ces activités dans une perspective de management des connaissances et des savoirs.

Notre premier objectif sera donc ici de rappeler, tout d’abord, quelques uns

des principaux concepts, tirés des approches théoriques de type « analyse de l’activité », et d’en expliciter l’intérêt pour le management des connaissances. Plus précisément, il s’agira de caractériser l’organisation des activités humaines et la place qu’y occupent les conceptualisations, depuis celles qui prennent la forme de connaissances et de savoirs jusqu’à celles qui restent irrémédiablement « en-acte », mais aussi celles qui s’expriment en termes de valeurs, de normes, de croyances, d’intuitions, de conjectures, etc. Plus précisément encore, nous essaierons de montrer en quoi les notions de « schème » et « d’invariant opératoire » (Vergnaud, 1990) se prêtent particulièrement bien à de telles analyses et, surtout au repérage des mécanismes d’élaboration de ces différentes formes de conceptualisations. Nous soulignerons, au passage, l’inadaptation de certains termes fréquemment utilisés dans le champ du management des connaissances. Puis, en nous inspirant de Wallon (1946) et Vygotski (1934/1997), nous évoquerons les différents plans sur lesquels se déploie l’activité humaine et l’intérêt de ne pas dissocier ses aspects cognitifs, sociaux et identitaires.

Dans un second temps, nous nous attacherons à tirer profit des apports de

ces ancrages théoriques pour esquisser quelques pistes méthodologiques, tant en ce qui concerne l’objectivation des connaissances expertes et leurs modalités de formalisation, que les stratégies d’appropriation et de co-construction de savoirs au sein de l’organisation. On se focalisera alors sur la gestion des processus de conceptualisation impliqués dans diverses activités individuelles et collectives.

41 Cf. la description qui est fournie de l’approche relationnelle par Prévot, Brulhart, Guieu & Maltese

(2010).

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LA CONCEPTUALISATION : APPORTS DES THEORIES DE L’AC TIVITE

Le point de vue adopté ici ne vise évidemment pas à faire, en quelques paragraphes, une revue complète de tous les travaux qu’on peut inscrire dans ce champ. Il s’agit seulement d’en pointer, de façon ciblée, quelques éléments significatifs nous permettant d’alimenter notre propos sur la conceptualisation, en considérant délibérément la théorie piagétienne de l’équilibration comme une théorie de l’activité.

La théorie piagétienne de l’équilibration Au regard des théories de l’activité développées, notamment, par l’école

russe (Vygotski, Luria, Léontiev, Rubinstein, etc.), la théorie piagétienne de l’équilibration occupe une place particulière. Tout d’abord, parce qu’à la différence celui de ses collègues russes, le cadre conceptuel piagétien n’a pas été élaboré dans une logique socio-historique (donnant une importance fondamentale à l’inscription culturelle de l’ontogenèse humaine) mais depuis un point de vue où cette ontogenèse n’est envisagée et étudiée que dans le but de comprendre scientifiquement les ressorts d’une genèse épistémique, à travers celle que réalise l’enfant au cours de son développement. Par ailleurs, la position piagétienne se démarque aussi très nettement de celle de ses collègues russes de par son inscription dans une optique structurale, qui l’a conduit à une formalisation des stades de développement aujourd’hui fortement remise en cause. Toutefois, il faut bien reconnaître à Piaget le mérite d’avoir réhabilité la notion kantienne de schème42 pour rendre compte de l’organisation de l’activité et de son adaptation via les processus d’assimilation et d’accommodation.

La notion de schème chez Piaget L’idée fondamentale de Piaget consiste à poser d’une part, que l’activité

n’est pas improvisée, au gré des circonstances mais qu’elle procède d’une histoire, qui lui donne un format en quelque sorte a priori. C’est ainsi que Piaget inscrit l’ontogenèse dans la continuité de la phylogenèse en faisant des réflexes, constitués durant la phylogenèse, la première organisation ontogénétique, les premiers schèmes à disposition du nouveau-né. D’autre part, malgré une certaine forme d’invariance, le schème n’est pas non plus un stéréotype, un simple automatisme. Il s’inscrit dans une évolution adaptative où il va se modifier pour, notamment, tirer profit de ses interactions avec les situations qu’il rencontre. Ainsi, le schème n’est pas seulement un potentiel assimilateur, résultat de son histoire phylogénétique et ontogénétique, il est aussi capable d’accommodation lui permettant de capitaliser son expérience.

Les trois formes d’équilibration Par ailleurs, la théorie de l’équilibration (Piaget, 1975) (rendant compte des

processus d’assimilation et d’accommodation) pose bien que, si les interactions des schèmes avec les situations qu’il rencontre constituent une source importante de

42 Cf. Vergnaud & Récopé, (2000) pour un historique de l’utilisation de la notion de schème,

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développement, elles ne sont pas les seules. En effet, l’équilibration opère également entre les divers schèmes existants dont les assimilations sont aussi, de par leurs différences, susceptibles d’engendrer des « perturbations43 », lesquelles peuvent donner lieu à des rééquilibrations, au même titre que les perturbations situationnelles. Dans cette logique, les schèmes sont eux-mêmes organisés, les uns par rapport aux autres, avec des processus d’équilibration agissant aussi bien sur des schèmes de même niveau que sur des schèmes de différents niveaux dans la structure hiérarchique qu’ils forment. Celle-ci n’est donc pas donnée a priori mais construite par différentiation et intégration de schèmes : un schème unique, permettant d’assimiler un certain nombre de situations, pouvant donner naissance par accommodation, à deux schèmes distincts, assimilant respectivement deux sous-ensembles de ces situations (différentiation) et à un schème plus général « intégrant » ces deux sous-schèmes.

Intérêt et limites de la notion de schème chez Piaget Ces quelques brefs rappels nous permettent, déjà, de comprendre ce qu’est

l’activité, en tant que processus dynamique global, impliquant une organisation (le schème), riche d’une histoire (phylogénétique et ontogénétique), dont les interactions avec l’environnement externe à l’organisme (les situations) et interne à celui-ci (les autres schèmes de même niveau ou de niveaux différents) sont à l’origine de ses évolutions propres (accommodation) ou des réorganisations de ses rapports avec les autres schèmes (différentiation et intégration). Néanmoins, le schème n’est décrit chez Piaget qu’en termes syncrétiques et c’est Vergnaud (1990) qui en a précisé les composantes d’un point de vue analytique.

La théorie des champs conceptuels de Vergnaud

Les composantes du schème et leurs liens fonctionnels dans l’activité Pour sa part, Vergnaud décrit le schème comme un ensemble fonctionnel

invariant, associé à une classe de situations, comportant à la fois : des attentes quant aux résultats escomptés de la mise en œuvre du schème (anticipations), l’organisation d’actions permettant de produire ces résultats (règles d’action), des ajustements de cette organisation d’actions en fonction des caractéristiques spécifiques de la situation à laquelle est confronté le schème (inférences) et, enfin, des formes de conceptualisation sur lesquelles se fonde le schème mis en œuvre pour faire face à cette situation (invariants opératoires). Vergnaud précise encore que les invariants opératoires sont de deux ordres : des éléments tenus pour vrais, à tort ou à raison, de façon explicite ou non (les théorèmes-en-acte) et des éléments tenus pour pertinents, à tort ou à raison, de façon explicite ou non (les concepts-en-acte).

43 Le terme de perturbation est utilisé par Piaget pour désigner ce qui fait obstacle au processus

d’assimilation et qui, si elle est prise en compte, engendre un processus d’accommodation.

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Cette théorie analytique du schème s’avère ainsi très pertinente pour appréhender les processus en jeu lors de la mobilisation d’une activité. En effet, toute activité (individuelle ou collective), suppose des résultats attendus (anticipations), des moyens à mobiliser (règles d’action), des ajustements liés au fait qu’on ne procède jamais exactement de la même manière en fonction des circonstances (inférences), des conceptualisations (invariants opératoires de type : connaissances, normes, valeurs, etc.) qui, d’une part, légitiment l’activité engagée (théorèmes-en-acte) et qui, d’autre part, permettent la focalisation sur les aspects de la situation dont il faut tenir compte, au regard de l’activité engagée (concepts-en-acte). En outre, cette approche théorique offre de nombreux éléments permettant d’affiner notre compréhension des statuts et fonctions de la connaissance et/ou des savoirs dans l’action.

Le caractère explicite ou non des invariants opératoires Pour commencer il faut souligner que, chez Vergnaud, les termes de

théorème-en-acte et de concept-en-acte renvoient au fait que tout ce que nous tenons pour vrai (théorèmes-en-acte) ou pour pertinent (concepts-en-acte) n’est pas nécessairement explicite, verbalisé ou verbalisable, mais reste le plus souvent implicite et, en quelque sorte, englué dans l’action. Ainsi, par exemple, lorsqu’un enfant compte 2 après 5, pour répondre à la question « combien font 2 + 5 ? », il tient (entre autre) pour vraie la commutativité de l’addition (théorème-en-acte), sans pour autant être capable de l’expliciter et, encore moins de la nommer, alors même qu’il la mobilise « en-acte ». De la même manière, lorsqu’un opérateur expérimenté ne procède pas exactement de la même manière pour changer la bobine de fil sur sa machine à tresser des câbles, selon qu’il le fait le lundi matin (lorsque la machine est froide) ou à un autre moment où la machine est chaude (Pouté & Coulet, 2007), on peut considérer que la température de la machine est un concept-en-acte, qu’il juge pertinent de prendre en compte au regard de son activité, mais sans qu’il soit nécessairement explicité, voire explicitable (parce qu’automatisé et intégré dans d’autres activités plus génériques).

Par ailleurs, un théorème-en-acte (qu’il soit explicite ou non), en tant qu’élément tenu pour vrai, peut être formalisé en termes de proposition : « je sais que 2 + 5 donne le même résultat que 5 + 2 », par exemple, pour l’enfant qui répond à la question « combien font 2 + 5 ? ». Dans ce cas, on peut considérer qu’il s’agit d’une connaissance non explicite ou tacite, chez cet enfant, mais qui sera explicite pour un enfant plus âgé ou un adulte. Elle peut également être très locale, chez cet enfant qui ne la généralise pas à d’autres nombres ou seulement à un nombre limité d’entre eux (par exemple, uniquement les nombres à un seul chiffre) ou, au contraire, très générale. Cette fois, la proposition tenue pour vraie peut s’exprimer sous d’autres formes : « dans N, quelle que soit la valeur de a et de b, a + b = b + a », par exemple ou encore « l’addition est commutative dans N », chez le mathématicien. On comprend alors qu’une même conduite peut être associée à des théorèmes-en-acte (explicites ou non), renvoyant à différents niveaux

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d’abstraction44. Quant aux schèmes, organisateurs de cette conduite, on voit bien qu’ils sont associés à des classes de situations très différentes (depuis une classe très restreinte chez le jeune enfant, jusqu’à une classe extrêmement générale chez le mathématicien). Ces exemples nous permettent de repérer combien est étroit le lien existant entre schème et connaissance et combien leurs restructurations peuvent être longues avant de prendre une forme congruente avec celle qu’expriment les scientifiques.

Des invariants opératoires non limités aux connaissances Si, comme on vient de le voir, les connaissances (tacites ou explicites)

constituent des invariants opératoires, les propositions tenues pour vraies (ou « théorèmes-en-acte ») ne sont pas nécessairement des connaissances. En effet elles peuvent, tout aussi bien, exprimer des normes, des valeurs, des croyances, des intuitions, des conjectures, des convictions, etc., qui, néanmoins, jouent exactement le même rôle que les connaissances dans l’organisation de l’activité. Ainsi, par exemple, je peux développer une conduite consistant à céder ma place dans le bus à une personne parce que je tiens pour vrai, tout autant, que : « une femme enceinte est prioritaire pour une place assise dans un bus » (connaissance) ; « j’adhère à la norme selon laquelle une femme enceinte est prioritaire pour une place assise dans un bus » (norme) ; « je suis respectueux des normes sociales » (valeur) ; « j’ai le sentiment que cette femme est enceinte » (intuition) ; « je fais l’hypothèse selon laquelle, au regard de son aspect physique, cette femme est enceinte » (conjecture) ; « j’ai la conviction qui s’impose à moi : cette femme est enceinte » (conviction), « je le crois » (croyance) ; etc. En d’autres termes, tout ou partie de ces propositions (dont la liste n’est évidemment pas exhaustive), tenues pour vraies à tort ou à raison, peuvent être considérées comme des théorèmes-en-acte impliqués dans la mobilisation du schème : « céder sa place à une femme enceinte dans un bus ».

Par ailleurs, pour céder ma place, j’ai pris en compte un certain nombre d’éléments de la situation (certaines caractéristiques de la personne, aucune autre place assise n’est libre, les autres personnes sont peu susceptibles de céder leur place, etc.), que j’ai jugés pertinents au regard de cette activité (concepts-en-acte). Ainsi, l’activité engagée suppose des conceptualisations dont la fonction consiste, cette fois, à donner un certain type de relief à la situation, certains éléments (comme ceux qu’on vient d’évoquer) étant majorés, tandis que d’autres sont minorés (par exemple ici : la vitesse du bus, le temps qu’il fait à l’extérieur, l’heure qu’il est, etc.). Autrement dit, théorèmes-en-acte et concepts-en-acte ont des fonctions de conceptualisation très différentes, les unes étant plutôt orientées vers la justification de l’activité engagée (théorèmes-en-acte), tandis que les autres sélectionnent les éléments de situation à prendre en compte pour en optimiser l’efficacité. On voit ici

44 Sur cette question de l’abstraction, on peut consulter les travaux de Douady (1992, par exemple)

concernant ce qu’elle appelle : « la dialectique outil / objet » dans le domaine de la didactique des mathématiques et de l’enseignement ou, encore ceux de Cordier (1993) concernant les catégories naturelles.

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tout l’intérêt de ce cadre théorique qui, à travers la notion d’invariant opératoire, ne limite pas (comme on le fait trop souvent) la conceptualisation aux connaissances, tout en insistant sur la dichotomie fondamentale inhérente aux théorèmes-en-acte, d’une part et concepts-en-acte, d’autre part.

Les invariants opératoires des collectifs Bien entendu, une telle analyse des invariants opératoires n’a aucune raison

d’être limitée à l’organisation de l’activité individuelle, dès lors que l’on admet que l’activité d’un collectif peut, elle aussi, être décrite en termes de schème. En effet, comme au niveau individuel, celle-ci n’est pas produite au gré des circonstances mais organisée de manière relativement invariante pour une classe de situations. On voit mal, par exemple, une équipe de football aborder chacun de ses matches de façon complètement originale, sans aucun rapport avec l’organisation des activités qu’elle a déjà mobilisées dans d’autres matches. Ainsi, peut-on parler de schème collectif comportant, au même titre qu’un schème individuel : des attentes quant aux résultats visés (anticipations) ; des suites d’actions permettant de les produire (règles d’action, mises en œuvre par chacun des membres du collectif), lesquelles sont choisies parmi celles dont il dispose, en fonction des circonstances (inférences) ; de même que des conceptualisations consensuelles, exprimant ce qui est tenu pour vrai (théorèmes-en-acte) et pour pertinent (concepts-en-acte) par le collectif (via chacun de ses membres), au regard de l’activité engagée. Nous considérons alors que les théorèmes-en-acte (qui, au niveau individuel, sont de type « connaissances ») prennent, sur le plan collectif, le statut de savoirs45, soit parce qu’il s’agit de savoirs académiques (ceux qu’on trouve dans les livres, ceux qui sont enseignés etc.), soit de savoirs d’expérience (construits à partir des situations vécues). Concernant les premiers, ils sont nécessairement explicites, les seconds pouvant être explicites ou non, leur caractéristique essentielle étant de faire suffisamment consensus dans le collectif pour donner cohérence et efficacité à son activité. De plus, il va de soi que, comme les savoirs, les normes, les valeurs, les croyances, etc. peuvent également faire consensus et contribuer tout autant que les connaissances à l’organisation de l’activité collective. On sait bien, par exemple, qu’un consensus sur la valeur de solidarité constitue un avantage indiscutable pour « souder » une équipe de football (ou de travail) et faire en sorte que l’erreur de l’un des ses membres soit moins vécue en tant que telle que comme l’impérative nécessité, pour les autres, d’y pallier. De même, a-t-on de bonnes raisons de penser46 que l’existence d’une croyance, collectivement partagée, en la supériorité de l’équipe adverse peut s’avérer très péjorative pour les performances d’une équipe sportive.

45 Nous reprenons ici une distinction classique en sciences de l’éducation et en didactique (cf., par exemple,

Margolinas, 2005, p. 346)) qui explique : « Le savoir est une construction sociale, qui résulte d’un processus historique. La connaissance est un acquis personnel, signe de l’équilibre entre un sujet et son milieu ».

46 Cf. les travaux sur la notion de prophétie auto-réalisatrice, illustrée dans un contexte scolaire par Rosenthal & Jacobson (1971), à travers l’effet Pygmalion.

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En d’autres termes, comme au niveau individuel, l’organisation de l’activité d’un collectif (schème collectif) comporte des invariants opératoires qui, parce qu’ils font consensus au sein du collectif, ils lui fournissent la cohérence nécessaire à son activité. Il nous reste à voir, maintenant, comment ces apports théoriques se situent au regard des approches classiques du management des connaissances.

Activité et conceptualisation en management des connaissances

Au regard de ce qui vient d’être dit des théories de l’équilibration (Piaget,

1975) et des champs conceptuels (Vergnaud, 1990), nous pointerons d’une part, l’inadéquation de certains concepts, pourtant fréquemment utilisés en management des connaissances et tenterons de clarifier, d’autre part, ce qu’apporte la notion de conceptualisation.

L’approche classique du management des connaissances Très clairement, l’approche classique du management des connaissances

s’est développée en reprenant à son compte les principes fondateurs d’une psychologie cognitive fondée sur la notion de traitement de l’information (des données d’entrée qui, grâce à des traitements opérés par un système, humain ou non-humain, se transforment en données de sortie). Ainsi, pour Pesqueux & Durance (2004, p. 32) « le Knowledge Management a pour objectif la mise en place d’une organisation de l’information visant à identifier, saisir, indexer et distribuer les informations pertinentes quant à l’exercice des ses activités par chacun des agents de l’organisation ». Dans cette logique, la connaissance est posée comme une donnée de sortie issue d’un traitement particulier de l’information : « Pour chaque agent, une connaissance vient s’intégrer dans un système personnel de représentation. En ce sens, une connaissance est une information qui subit une série d’interprétations liées aux représentations partagées au travers de cadres généraux (le cadre professionnel, par exemple) avant de s’inscrire dans la représentation spécifique d’un agent donné » […] « un système de connaissances est, pour cet auteur47, de l’information qui prend une certaine signification dans un contexte donné trilogie information – contexte – signification » (Pesqueux & Durance, 2004, p. 33-34). Quant à l’information, elle est elle-même, produite par une transformation de données en informations : « L’information est une donnée ou un ensemble de données articulées de façon à construire un message qui fasse sens. […] L’information est donc un ensemble de données replacées dans un contexte, principalement organisationnel pour ce qui nous intéresse ici, et porteuse d’un sens particulier » (Pesqueux & Durance, 2004, p. 33). Enfin, les données elles-mêmes sont définies comme résultant : « d’une acquisition, d’une mesure. Qualitative ou quantitative, elle ne correspond ni à une intention, ni à un projet. Une donnée n’a qu’une signification et n’a pas de sens en elle-même » […] « le K.M. se construit

47 Pesqueux & Durance se réféèrent ici à Ermine (2003).

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donc sur une gradation qui s’établit entre 3 notions : donnée, information et connaissance » (Pesqueux & Durance, 2004, p. 33).

Si une telle conception présente des avantages incontestables pour implémenter les systèmes d’informations, dont l’architecture est parfaitement congruente avec cette logique, elle a néanmoins engendré l’utilisation courante d’un certain nombre de notions susceptibles de véhiculer des représentations, pour le moins, discutables.

Une terminologie bien loin d’être neutre Poser la connaissance comme le simple résultat d’une transformation de

l’information conduit, en effet, à la concevoir comme un objet dont la matérialité ferait qu’on peut, sans problème, la transférer (d’un individu à l’autre, d’un expert à un système d’information, d’un formateur à un formé, etc.) ou bien, encore, la partager comme on le fait d’un bien en co-propriété. On perd alors complètement de vue qu’une connaissance est propre à un individu et qu’elle se construit via une activité organisée (un schème, fondé sur des invariants opératoires, dont des connaissances déjà construites), grâce à des régulations permettant de compenser une perturbation externe au sujet mais, bien souvent aussi, une perturbation interne (cf. les 3 formes d’équilibration chez Piaget). En outre, une telle conception objectale des connaissances autorise qu’on les présente également comme cumulatives (cf. les bases de connaissances des SI), l’individu étant (lui aussi) considéré comme porteur de connaissances, uniquement acquises en donnant du sens à des informations auxquelles il a été confronté, qu’il a « stockées » en mémoire et qu’il peut utiliser, à la demande, pour réaliser ses activités48. Manifestement, comme on l’a vu, les apports des théories de l’activité sont peu compatibles avec une telle modélisation des processus de construction et de mobilisation de connaissances et suggèrent d’établir une claire distinction entre connaissance et savoir d’une part, et entre connaissances et compétences, d’autre part (Coulet, 2012 b). Ainsi, les connaissances (pas plus que les autres invariants opératoires) ne sont, ni transférables, ni partageables, ni cumulables. Tout au plus, des interactions interindividuelles, entre schèmes chez un même individu, ou entre un individu et un artéfact (un SI, par exemple) peuvent-elles constituer une source de perturbation des schèmes qui les portent, dont les réorganisations (par accommodation) peuvent affecter les connaissances (parmi d’autres invariants opératoires).

La conceptualisation par et dans l’action Comme on vient de le voir, la connaissance est fonctionnellement liée à

l’action. En premier lieu, parce que sa construction passe nécessairement par l’action : ce sont les réorganisations du schème (et elles seules !) ou des schèmes les

48 Il devient alors « compétent » comme le suggère la citation suivante de Pesqueux & Durance (2004, p.

29), lorsqu’ils posent, à la suite de Prax (2000) : « la compétence est l’application effective des connaissances à une situation donnée ».

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uns par rapport aux autres qui peuvent entraîner des changements cognitifs. Encore faut-il, pour qu’ils soient effectifs, que les régulations du schème mobilisé soient orientées vers les connaissances. Dans le modèle de la compétence (Coulet, 2011) présenté ci-dessous (cf. fig. 1), ce type de régulation correspond à une « boucle longue » vers les invariants opératoires, dont certains sont des connaissances, éventuellement ciblées comme candidates au changement. Ainsi, selon MADDEC (Coulet, 2011), les changements de conceptualisation (exprimée par les invariants opératoires) ne s’opèrent qu’à travers la mobilisation d’un schème, régulé en boucle longue.

fig. 1 – MADDEC49 (Coulet, 2011)

En second lieu, la connaissance est liée à l’action parce qu’il n’y a pas de

schème, mobilisable pour traiter une tâche, indépendamment des invariants opératoires (dont certains sont des connaissances). En d’autres termes, la conceptualisation est toujours dans l’action.

Il faut, enfin, souligner que ces conceptualisations, élaborées par l’action et

mobilisées dans l’action, ont deux fonctions distinctes : alors que les unes (théorèmes-en-acte) justifient l’activité engagée, les autres (concepts-en-acte) lui servent à identifier et à privilégier les éléments de situation pertinents à prendre en compte pour l’optimiser.

Conceptualisations et activités collectives Qu’il s’agisse d’une équipe de travail, d’une communauté de pratique,

d’une communauté fonctionnelle (un service, un département, un groupe projet…), d’une organisation, d’un cluster, d’un territoire, etc., les activités collectives se caractérisent, avant tout, par la combinaison d’activités individuelles ou de groupes,

49 Modèle d’Analyse Dynamique pour Décrire et Evaluer les Compétences.

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dont on peut modéliser l’organisation en termes de schème. Bien entendu, chacun d’entre eux suppose des conceptualisations (invariants opératoires) dont il convient de préciser le statut dans la mise en œuvre de l’activité collective, notamment au regard des relations qu’ils entretiennent, les uns par rapport aux autres. De ce point de vue, il est important de rappeler que, dans la logique de la théorie de l’équilibration (Piaget, 1975), des champs conceptuels (Vergnaud, 1990) ou de MADDEC (Coulet, 2011), les règles d’actions d’une activité donnée doivent être considérées comme des schèmes subordonnés à l’activité générique (des sous-schèmes), dont les règles d’action sont, elles aussi, des schèmes qui leur sont subordonnés et ainsi de suite (cf. l’organisation hiérarchique des schèmes chez Piaget). Ainsi, schèmes individuels et schèmes collectifs sont dans un rapport hiérarchique où les premiers constituent les règles d’action des seconds. Quant aux conceptualisations qu’ils portent, elles sont évidemment l’apanage des individus dans les deux cas mais, au niveau des schèmes collectifs, elles expriment un consensus suffisant pour donner à l’activité collective un minimum de cohérence et d’efficacité. Par ailleurs, il est clair que toutes ces conceptualisations (consensuelles ou non) évoluent avec les rapports dynamiques qu’entretiennent schèmes individuels et schèmes collectifs, dont on peut aisément rendre compte, comme on va le voir, en s’inspirant du modèle SECI de Nonaka & Takeuchi (1995).

Les rapports dynamiques entre schèmes individuels et collectifs Lorsque Nonaka & Takeuchi (1995) proposent leur modèle SECI en termes

de connaissances tacites et explicites, ils pointent deux éléments importants. Ils soulignent, tout d’abord, l’importance de considérer que les conceptualisations liées à l’action sont loin d’être toujours explicites. Les notions de théorèmes-en-acte et de concepts-en-acte, introduites par Vergnaud (1990) et commentées plus haut (cf. § 1.2.2.), le confirment clairement. Par ailleurs, ils montrent que l’activité collective implique des changements de ces conceptualisations à travers les rapports qu’entretiennent activités individuelle et collective, décrites à travers les notions de : « socialisation, externalisation, combinaison et intériorisation ».

Cependant, la focalisation qu’ils opèrent sur les connaissances (tacites ou

explicites) masque l’essentiel : ce sont les rapports entre activité individuelle et collective ou, mieux encore, entre schèmes individuels et collectifs qui sont responsables de ces changements, dont les invariants opératoires (certains étant des connaissances tacites ou explicites et des savoirs) ne sont affectés qu’à travers certaines accommodations (régulations en boucle longue) des schèmes qui les portent. C’est la raison pour laquelle nous proposons (Coulet, 2012 b) une adaptation du modèle SECI aux schèmes individuels et collectifs (cf. fig. 2), distinguant des processus ascendants (depuis les schèmes individuels vers les schèmes collectifs) et descendants (depuis les schèmes collectifs vers les schèmes individuels).

Dans ce schéma (fig. 2), nous utilisons le terme de « percolation de schèmes » pour rendre compte des processus de socialisation (du modèle SECI).

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Nous les interprétons comme des accommodations de schèmes individuels par simple contact50 avec ceux que mobilisent d’autres individus. Ensuite, grâce à une formalisation (par exemple dans un référentiel de compétences) ces schèmes ainsi modifiés peuvent devenir de nouvelles règles d’action des schèmes collectifs qui, à leur tour peuvent s’accommoder (articulation de schèmes). Enfin, ces accommodations de schèmes collectifs imposent nécessairement des changements affectant leurs règles d’action et, par conséquent, les schèmes individuels eux-mêmes dont, grâce à de nouvelles accommodations, la réorganisation devient une nécessité. On comprend, en outre, que de telles évolutions de schèmes individuels et collectifs, s’accompagnent généralement de changements portant sur leurs invariants opératoires, dont des connaissances et des savoirs.

fig. 2 - Adaptation du modèle SECI à la dynamique des schèmes individuels et collectifs.

Les apports de Wallon et Vygotski

Au-delà de toutes les considérations qui précèdent, il nous semble encore

important de faire état de certains apports théoriques, toujours issus de la psychologie du développement, pour préciser ce que sont les processus en jeu dans les activités individuelles et collectives. Nous le ferons, succinctement, à partir des conceptions de Wallon et Vygotski.

La conception wallonnienne du développement A la différence de Piaget, Wallon ne pose pas du tout le développement

social comme un cheminement allant d’une forme de solipsisme initial jusqu’à la coopération51 en passant par l’égocentrisme. Pour Wallon (1946, p. 286), au contraire, l’enfant est, dès sa naissance, un être « intimement et essentiellement social », ce qui conduit Wallon à mettre en évidence la place qu’il faut accorder à la relation à autrui pour rendre compte de toutes les dimensions du développement de

50 Il convient, néanmoins, de ne pas perdre de vue le caractère actif de ces accommodations. 51 En un seul ou en deux mots (co-opération), nous dit Piaget, au regard de sa conception des opérations

concrètes, caractérisant un des stades de développement qu’il a décrits.

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l’enfant (mais, également des conduites adultes, y compris lorsqu’elles sont pathologiques). Ce faisant, comme l’indique le titre de son article, il pointe : « le rôle de l’autre dans la conscience du moi » et montre que cette relation à autrui est déterminante dans la construction identitaire, en même temps que celle-ci règle, de façon dialectique, les rapports à autrui. D’une certaine façon, Wallon reprend à son compte l’idée selon laquelle les personnes de l’entourage de l’enfant l’inscrivent dans leur culture grâce à des interactions que, suite à Bruner (cf. par exemple, Bruner, 1983), on appellera : « interactions de tutelle ». Cette idée est également chère à Vygotski.

La conception vygotskienne du développement En effet, pour Vygotski (1934/1985), l’adulte (ou un pair plus avancé) fait

voyager l’enfant dans sa « Zone proximale de développement52 ». D’une façon plus générale, on peut dire que ces voyages sont l’occasion pour l’enfant de s’approprier la culture dans laquelle il insère ses activités et, en particulier, les outils matériels et symboliques (au premier rang desquels le langage) qui médiatisent les activités humaines (cf. Vygotski, 1934/1997). A travers les concepts d’artéfact, d’instrumentation et d’instrumentalisation, Rabardel (1995) reprend cette conception vygotskienne et montre sa compatibilité53 avec celle de schème.

Les trois facettes de l’activité Au regard de ces apports wallonniens et vygotskiens, on peut donc

considérer que l’activité humaine ne se limite pas à un rapport aux objets car celui-ci est ontologiquement lié aux rapports à autrui, lequel est lui-même ontologiquement lié au rapport à soi. De plus, l’activité humaine est, en permanence, médiatisée par des artéfacts (culturellement construits). Dès lors, comme on le verra dans la deuxième partie de ce texte, décrire une activité suppose de tenir compte de l’ensemble de ces éléments, ce qui revient à considérer que toute activité : - implique trois types de schèmes : ceux qui sont orientés vers l’objet de cette

activité, ceux qui sont orientés vers autrui (réel ou imaginaire54) et ceux qui sont orientés vers le sujet lui-même ;

- est médiatisée par des artéfacts, matériels ou symboliques.

PERSPECTIVES METHODOLOGIQUES

En nous fondant sur l’ensemble des données théoriques précédemment évoquées, il nous reste à voir maintenant quels sont les cadres méthodologiques utilisables concrètement pour aborder quelques questions cruciales en management des connaissances. Nous le ferons en nous focalisant successivement sur chacun des processus décrits dans l’adaptation du modèle SECI (cf. fig. 2) avant de dégager un modèle général de management stratégique.

52 Pour Vygotski, la « zone proximale de développement » représente l’écart qu’il y a entre ce que l’enfant,

confronté à une tâche, peut faire seul et ce qu’il est capable de faire avec l’aide de l’adulte.. 53 Cf. la notion d’instrument, que Rabardel définit comme relevant, à la fois, de l’artéfact et du schème. 54 Dans son texte (Wallon, 1946, p. 284), Wallon parle « du fantôme d’autrui que chacun porte en soi ».

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Comment favoriser la « percolation de schèmes » individuels ?

Pour l’organisation, cette question n’est pas sans importance, dans la

mesure où c’est à ce niveau que se situe le développement des compétences incorporées, fondées sur l’expérience et constituant, bien souvent, des compétences-clé pour l’organisation. Ces compétences sont aussi, fréquemment, celles dont les individus privent l’organisation lorsque, pour des raisons diverses, ils sont amenés à la quitter. Dès lors, on comprend l’enjeu qu’il y a, non seulement à ne pas perdre ces compétences mais, également, à faire en sorte qu’elles essaiment au sein de l’organisation. Bien entendu, placer les individus, porteurs de ces compétences, en situation de visibilité pour d’autres (susceptibles d’en tirer profit) représente une première solution. Il reste, cependant à voir comment on peut en optimiser l’efficacité.

Favoriser la visibilité de la mobilisation des schèmes individuels En premier lieu, il va de soi qu’on ne peut guère imaginer de

« percolation » sans contact. Par conséquent, favoriser la percolation de schèmes individuels suppose que des individus actifs (mobilisant des schèmes) soient observables dans l’exécution de leur activité. Cependant, si cette condition est nécessaire, elle est loin d’être suffisante. Encore faut-il, en effet, que les schèmes mobilisés par ces individus soient source de perturbation pour d’autres individus susceptibles d’en tirer profit. Ceci implique, tout d’abord, que ces schèmes présentent un réel intérêt pour eux, au regard de leur propre activité, c’est-à-dire qu’ils soient, à la fois, suffisamment proches des schèmes qu’ils mobilisent eux-mêmes mais aussi, suffisamment différents pour constituer une perturbation les remettant en cause. En d’autres termes, ils doivent se situer dans leur « zone proximale de développement ».

S’appuyer sur les processus en jeu pour créer des situations optimales Ainsi, toute visibilité interindividuelle n’a pas le même potentiel « de

percolation » et celui-ci est certainement optimisé par des situations où, dans un même « genre professionnel » (cf. Clot & Faïta, 2000), sont en présence des individus ayant des « styles » (ibid.) différents. A ce niveau, ce sont bien les activités réalisées en présence d’autrui, en dehors de toute explicitation et de toute intention formative, qui sont censées provoquer des changements. Ce que fait l’autre est mis en relation avec ce que fait l’individu lui-même et, grâce à la perturbation potentiellement créée (dès lors qu’elle est effectivement prise en compte), provoque une accommodation. De plus, celle-ci est d’autant plus facile à opérer qu’autrui offre, en quelque sorte, un modèle d’organisation de l’activité à mettre en œuvre. Il s’agit là de ce qu’on pourrait appeler, à la suite de Bandura (1980), un apprentissage par observation. Quant à la nature de cet apprentissage, il peut être, selon MADDEC, de trois types, en fonction de la boucle de régulation privilégiée dans l’accommodation du schème : une boucle courte produisant un changement dans les

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règles d’action ; une boucle longue produisant un changement d’invariants opératoires ; une boucle de type changement de schème produisant une réorganisation du schème par rapport à d’autres. Par ailleurs, ces trois types de changements peuvent intervenir sur chacun des trois plans sur lesquels se déploie toute activité (rapport à l’objet de l’activité, rapport à autrui, rapport à soi). On voit donc que ce que nous appelons « percolation de schèmes » reste largement spontané même si l’on peut, à partir des quelques éléments qui viennent d’être énoncés, tenter d’imaginer des formes de travail judicieusement choisies afin d’optimiser l’efficacité de ce type d’observations d’autrui en train d’agir. Au passage, on peut souligner que si un individu peu compétent peut ainsi tirer profit de l’observation d’un autre, plus compétent que lui, l’inverse peut être vrai aussi. Ainsi, par exemple, est-il possible d’identifier une dimension importante à prendre en compte (concept-en-acte) à travers la production, par autrui, de résultats non satisfaisants puis, engager sur son propre schème, une régulation en boucle longue débouchant sur une modification de ses concepts-en-acte.

Les changements produits dans ces situations de « percolation de schèmes », restent donc, le plus souvent, limités aux accommodations réalisées sur seulement quelques unes des composantes du schème. Fort heureusement, ces apprentissages par observation, dont les apports au niveau des compétences implicites ou « en-acte » restent irremplaçables, sont étayés et majorés par d’autres formes d’apprentissages fondés, cette fois, sur l’explicitation et la formalisation (via le langage ou d’autres systèmes symboliques).

Comment favoriser la formalisation des schèmes individuels ?

Si donner une visibilité à la mobilisation de schèmes individuels peut

constituer une source non négligeable de protection et de développement des compétences, il est clair, pour nous, que leur explicitation et leur formalisation représentent un enjeu majeur pour les organisations. Elles sont, en effet, non seulement l’occasion de constituer une mémoire des ingrédients de la compétence organisationnelle mais également, on va le voir, un formidable levier donnant sens et cohérence aux activités individuelles, collectives et organisationnelle.

Bien sûr, dès lors qu’un individu est amené à s’exprimer sur son activité, il explicite nécessairement tout ou partie des éléments constitutifs des schèmes qu’il y mobilise. Ainsi, les motifs d’explicitation de schèmes individuels ne sont pas rares au sein de l’organisation, depuis les discussions informelles autour de la machine à café, jusqu’à l’élaboration institutionnalisée de référentiels de compétences, dont ce qui suit devrait permettre d’en mesurer la pertinence.

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L’élaboration de référentiels de compétences Pour rester succinct sur cette question, à laquelle est consacrée une

littérature très importante55, on peut dire que les organisations ont beaucoup investi sur les référentiels de compétences, sans pouvoir néanmoins en retirer tous les bénéfices escomptés (Defélix, 2010 ; Coulet, 2013). En effet, la conception même de la notion de compétences, essentiellement définie en termes de « savoirs, savoir-faire, savoir-être » ou de « combinaison de ressources » ne va pas sans poser de problème et mériterait (Coulet, 2011 ; Coulet, 2013) d’être envisagée différemment. Dans cette logique, et au regard des éléments théoriques présenté dans la première partie, un référentiel de compétences devrait décrire (Coulet, 2012 a), non seulement les schèmes organisateurs de l’activité mais, également, leurs composantes, les artéfacts qui lui sont associés et les observables sur lesquels on peut se fonder pour mettre en œuvre des régulations, le tout en prenant en compte les trois plans sur lesquels se déploie toute activité (relation à l’objet de l’activité, à autrui, à soi). C’est ce que résume le tableau 1.

Les avantages d’une telle description sont nombreux. En premier lieu, la

compétence n’y est pas traitée comme une juxtaposition d’éléments hétéroclites, posés sous forme de listes mais comme un ensemble de données, en liens fonctionnels les unes avec les autres, au regard d’un cadre théorique explicite.

Tableau 1 – Cadre de description des compétences.

Dénomination du schème : Invariants

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Orientation vers autrui

Orientation vers soi

Par ailleurs, une telle description offre la possibilité de décrire des schèmes

plus ou moins génériques et donc, d’adapter le niveau de grain de description en fonction des objectifs assignés au référentiel. De plus, un tel référentiel reste toujours ouvert, dans le sens où le contenu de chaque case du tableau n’est jamais

55 Pour donner un ordre d’idée, l’expression « référentiel de compétences » donne, sur Google : « environ

2 400 000 résultats » et on trouve « environ 60 100 000 résultats » pour le terme « compétences ».

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exhaustif. De ce fait, contrairement à beaucoup, un tel référentiel ne constitue pas un document figé, qu’on ne consulte que de façon occasionnelle. Au contraire, il peut (et même, il devrait) être régulièrement complété pour « coller » au mieux à ce que sont les pratiques professionnelles effectives et y capitaliser, périodiquement, l’expérience acquise. Du point de vue d’un collectif, il peut ainsi être une référence (certes provisoire mais explicite) faisant consensus (surtout si, contrairement à la plupart des référentiels, il a été collectivement élaboré). En outre, il peut être investi, sur le plan individuel, comme un portfolio permettant à chaque professionnel de rendre explicite son « style » (au sens de Clot & Faïta, 2000) au regard du référentiel consensuel qui, lui, exprime plutôt ce que sont les compétence de son « genre » professionnel. Enfin, la coexistence des trois lignes du tableau, pour décrire les trois plans sur lesquels se déploie l’activité, permet, non seulement de faire émerger des aspects de la compétence généralement peu pris en compte (relation aux autres et, surtout, relation à soi) mais, de leur rendre aussi la cohérence qu’ils ont dans la mise en œuvre effective d’une activité.

Toutefois, l’intérêt essentiel d’un référentiel de ce type se situe moins dans les propriétés intrinsèques d’organisation de son contenu que dans les manières de l’élaborer et de l’utiliser. En effet, en tant qu’outil d’explicitation de schèmes individuels, il permet à l’organisation de capitaliser, de façon relativement fine, toute la partie explicitable des compétences individuelles. Pour cela, peuvent être utilisées des techniques classiques : recueil de verbalisations spontanées, réunion participative (Coulet & Gosselin, 2002), entretien semi-directif (Blanchet, 1995), entretien d’explicitation (Vermersch, 1994), autoconfrontation simple et croisée (Clot, Faïta, Fernandez & Scheller, 2000), etc., en les couplant à notre grille d’analyse (tableau 1) pour en renseigner les différentes rubriques. Cependant, ce travail peut aussi être réalisé de telle sorte que chaque professionnel soit associé à cette construction et qu’il y voit, notamment : la valorisation de sa contribution propre, fondée sur son niveau actuel de compétence (à travers son « style ») ; un document consensuel dans lequel il reconnaît son appartenance à un « genre » professionnel ; la formalisation d’une activité professionnelle s’insérant parmi d’autres pour constituer, ensemble, celle d’un collectif, d’une organisation, d’un cluster, d’un territoire, etc. ; un outil ouvert, qu’il aura, avec d’autres, la responsabilité de faire évoluer. Si tel est le cas, on comprend que le référentiel de compétence n’est plus une norme (élaborée par la hiérarchie), qui s’impose à chacun (avec une connotation évaluative) mais devient un outil donnant du sens à l’activité qu’on tente ainsi d’appréhender dans toute sa complexité et sa dynamique. C’est également un moyen (nous y reviendrons) d’associer l’ensemble du personnel aux évolutions importantes de l’organisation (pour un exemple, concernant l’introduction d’une nouvelle technologie, cf. Quiguer, 2013).

Quant aux processus d’apprentissage impliqués dans ce type de pratique, on peut considérer qu’ils sont de deux ordres : d’une part, des processus liés aux interactions interindividuelles, finement analysés par les psychologues (cf., par exemple, Doise & Mugny, 1981), et qu’on peut qualifier de sociocognitifs ; d’autre

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part, des processus de prise de conscience (Piaget, 1974 a et b), liés à l’explicitation et à la formalisation des compétences.

Les productions de différents types de collectifs Si, de notre point de vue, l’élaboration collective de référentiels de

compétences, selon la méthode que nous venons de décrire, constitue la voie privilégiée pour opérer la formalisation de schèmes individuels en vue de capitaliser les compétences (tout en promouvant un management participatif), l’organisation dispose de nombreuses autres ressources pour s’engager sur cette voie. En effet, nous l’avons dit, toutes les interactions interindividuelles à propos de l’activité professionnelle déployée par des membres de l’organisation sont des occasions de formalisation d’éléments constitutifs des schèmes individuels. Evidemment, ces interactions ne revêtent pas la systématicité qu’on peut trouver dans l’élaboration de référentiels de compétences et ne débouchent pas nécessairement sur des formalisations allant au-delà d’un contenu oral. Néanmoins, les participants en conservent au moins des traces mnésiques, susceptibles de provoquer des accommodations de leurs propres schèmes et/ou de contribuer à des changements organisationnels. Très clairement, les interactions dans les communautés de pratiques ou épistémiques sont de cet ordre, avec une focalisation forte sur les règles d’action (le comment faire), pour les premières et sur les invariants opératoires (le pourquoi faire ainsi), pour les secondes, sans que pour autant d’autres types de composantes des schèmes individuels ne soient explicitées.

Quant au pilotage (lorsqu’il existe) de ces communautés de pratiques (Bootz, 2012) ou épistémiques, on peut aisément faire l’hypothèse qu’il gagnerait à s’orienter vers l’outillage des membres de la communauté, de telle sorte qu’ils s’attachent, non seulement à laisser des traces écrites de leurs productions mais, aussi et surtout, qu’ils prennent en compte, dans leurs interactions, l’ensemble des dimensions du schème et les trois plans sur lesquels se déploient leurs activités. Ainsi, à propos des activités qu’elles choisissent d’aborder, on peut supposer qu’un tel fonctionnement pourrait permettre à ces communautés de travailler en profondeur les compétences qui les concernent (ce que ne fait pas nécessairement un référentiel de compétences, plus général). On peut également supposer une efficacité accrue d’un pilotage orientant les productions dans une double direction : la recherche des « bonnes pratiques » (Bootz, 2012) mais aussi la constitution de pratiques vicariantes susceptibles de promouvoir différentes façon de faire, en fonction des circonstances. Il s’agirait alors d’amener ces communautés à focaliser sur la dimension « inférence » du schème. De façon analogue, on pourrait imaginer des focalisations sur les invariants opératoires dans le management de communautés épistémiques, ou encore sur chacune des différentes formes de régulation pour penser des évolutions incrémentales ou de rupture, dans le pilotage de groupes projets ou fonctionnels (une équipe de travail, un service, etc.).

Plus généralement, les collectifs quels qu’ils soient, dès lors qu’ils conduisent les individus à expliciter leurs compétences (ou, simplement des éléments constitutifs de leurs compétences) peuvent parvenir, de façon autonome ou

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pilotée, à produire des formalisations les exprimant et dont l’organisation peut se saisir pour, à son niveau, réorganiser sa propre activité, par « articulation de schèmes » individuels et (on va le voir) collectifs.

Comment favoriser l’articulation de schèmes dans l’activité organisationnelle ?

En reprenant ici l’idée de hiérarchie des schèmes et en suivant Rouby et

Thomas (2004) lorsqu’elles posent, pour l’organisation, trois niveaux de compétences (niveau micro ou individuel ; niveau meso ou collectif ; niveau macro ou organisationnel), on peut considérer que les schèmes organisationnels (niveau macro) peuvent très largement être alimentés par l’explicitation et la formalisation de schèmes collectifs (niveau meso) et individuels (niveau micro). Par ailleurs, on sait que les ergonomes, qui ont introduit la distinction (Leplat, 2004) entre tâche (ce qu’il y a à faire) et activité (ce qui est fait), montrent que le travail réel diffère toujours assez sensiblement du travail prescrit. De ce fait, l’explicitation et la formalisation de schèmes individuels, au plus près de leur mise en œuvre réelle constituent, pour le collectif et l’organisation, une source particulièrement riche à exploiter en vue d’optimiser leur propre activité et leurs prescriptions en direction des individus. Il s’agit alors d’identifier quels schèmes (voire quelles composantes de schèmes ainsi explicités et formalisés) présentent un intérêt au regard de l’organisation de l’activité actuelle du collectif et/ou de l’organisation. A ce niveau, il est clair qu’une telle description n’est pas autre chose que celle d’un schème collectif et/ou organisationnel sur la base desquels se définit le travail prescrit actuel et, bien entendu, comme pour les schèmes individuels, il est possible de le faire à partir du cadre théorique présenté précédemment (cf. tableau 1). Là encore, ce travail peut être fait collectivement, ce qui offre la possibilité à chacun de bien comprendre ce qu’est l’activité collective qu’il sert, la manière dont il y trouve sa place et le sens qu’a sa propre activité au regard de celle du collectif ou de l’organisation.

En outre, en référence à MADDEC, il est possible de penser l’intégration des apports de la description et de la formalisation des schèmes individuels à partir des boucles de régulation en caractérisant leur impact sur l’organisation de l’activité actuelle du collectif et/ou de l’organisation. Ainsi, peut-on imaginer des apports dont l’intégration se traduit, sur le schème collectif ou organisationnel, par une boucle courte ou une boucle longue ou une boucle de type changement de schème. On comprend alors comment il est possible de gérer l’innovation dans un tel cadre en associant, ici, chaque individu, non seulement à l’explicitation des schèmes collectif et organisationnel actuels mais, également à la description de ce qu’ils peuvent devenir grâce à telle ou telle forme de régulation.

Autrement dit, la construction de référentiels de compétences, explicitant celles de l’organisation et des collectifs fonctionnels qui œuvrent en son sein, peut s’avérer tout aussi cruciale que celle des référentiels renvoyant à des compétences individuelles. En effet, au-delà de l’avantage évident qu’il y a à caractériser finement ce que sont ces compétences collectives (généralement peu explicitées),

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c’est à travers de tels référentiels qu’il est possible d’exploiter toute la richesse de l’explicitation et la formalisation de schèmes individuels et, sur cette base, concevoir et mettre en œuvre les changements stratégiques à opérer au niveau des collectifs et/ou de l’organisation. Indiscutablement, s’engager sur cette voie offre un énorme potentiel à l’organisation pour découvrir, développer et protéger ses compétences-clé et donc, préserver ses avantages concurrentiels, dans une démarche dynamique qui fait sens pour chacun de ses membres. Comment favoriser les réorganisations des schèmes collectifs et individuels ?

Dès lors que l’organisation souhaite réguler son schème d’activité, il va de

soi qu’elle va devoir accompagner tous les changements que cela implique, tant au niveau des schèmes collectifs qu’au niveau des schèmes individuels. Ainsi va-t-elle devoir modifier ses prescriptions et faire en sorte que celles-ci soient prises en compte à chacun de ces niveaux. Là, encore, le concept de zone proximale de développement est important à mettre en avant car il s’agit bien de faire évoluer les compétences visées vers les compétences attendues. Evidemment cela n’est possible qu’à condition que l’écart entre l’organisation de l’activité actuelle des collectifs ou des individus et celles que l’on vise pour les uns et les autres, se situe bien dans cette « zone proximale » ou qu’on soit en mesure de la faire évoluer par étapes. Effectivement, on sait bien (même si l’on a tendance à l’oublier souvent !) qu’un changement qu’on cherche à produire chez autrui ne relève pas d’une simple injonction. Encore faut-il qu’un certain nombre de conditions soient réunies et, notamment qu’on dispose, d’une part, de suffisamment de données sur l’organisation de l’activité actuelle et qu’on soit, d’autre part, en mesure de provoquer la mise en œuvre, chez autrui, des régulations nécessaires au changement attendu. Nous avons modélisé (Coulet, 2011) cet accompagnement (tutorat) du développement de compétences chez autrui à travers MADIC 56 (cf. fig. 3).

fig. 3 - MADIC

56 MADIC, pour Modèle d’Aide au Développement Individuel des Compétences, est dérivé de MADDEC et

a pour objectif de modéliser les différentes activités qu’un tuteur peut mettre en œuvre pour aider un tutoré à faire évoluer ses compétences.

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Sur la fig. 3, les flèches grises ascendantes représentent les prises

d’information sur les composantes du schèmes (IO, I, RA, A), ses résultats (feed-back), ses formes de régulation (flèches en pointillés), les artéfacts qu’il utilise (AR), la tâche sur laquelle porte l’activité, la situation dans laquelle se déroule l’interaction du tutoré avec la tâche et le tutoré pris dans sa globalité. Quant aux flèches descendantes, elles correspondent aux multiples possibilités d’intervention du tuteur pour aider le tutoré à mettre en place les régulations nécessaires aux changements attendus. Bien entendu, MADIC peut, aussi bien, être utilisé pour accompagner l’évolution des compétences individuelles que collectives, si, comme on l’a fait jusqu’ici, on considère qu’on peut les modéliser, les unes et les autres, en termes de schème régulé.

Bien entendu, cet accompagnement des évolutions de schèmes collectifs et

individuels est d’autant plus aisé à conduire que leur explicitation et leur formalisation a été faite selon la méthode que nous avons présentée, puisque celle-ci conduit à disposer de l’ensemble des données nécessaires. Par ailleurs, on voit bien ici que la notion d’intériorisation utilisée par Nonaka & Takeuchi (1995) ne peut se concevoir comme un simple passage d’une prescription externe à l’individu, à une activité adaptée qui serait la marque de son intériorisation. Les processus en jeu sont, indiscutablement, beaucoup plus complexes.

Un modèle général de management stratégique

Au total, les quatre temps de la démarche qui vient d’être présentée peuvent être synthétisés dans un modèle général de management stratégique (fig. 4) qui, dans l’esprit de SECI, place l’organisation dans une dynamique évolutive spiraliforme, fondée sur l’analyse de ses activités individuelles, collectives et organisationnelle.

fig. 4 – Un modèle général de management stratégique

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Au-delà des emprunts à SECI, l’intérêt d’un tel modèle réside, avant tout, dans le fait qu’il repose sur les principaux apports des théories de l’activité et qu’il peut ainsi s’exprimer en termes de processus, tant en ce qui concerne la mise en œuvre du management stratégique qu’il décrit que du point de vue des apprentissages organisationnels qui lui sont associés.

CONCLUSION

D’une façon générale, la littérature consacrée au management des

connaissances, en restant le plus souvent attachée à une logique de type « traitement de l’information », tend à donner à la connaissance un statut d’objet, pris dans une série de transformations successives : des données n’ayant qu’une signification, placées dans un contexte donné, prennent du sens et se transforment en informations qui, elles-mêmes, grâce à des interprétations opérées par des sujets, se transforment en connaissances, lesquelles, mobilisées en situation, se transforment en compétences. Une telle conception, outre les usages terminologiques discutables qu’elle génère (cf. § 1.3.2.), laisse dans l’ombre un certain nombre de distinctions conceptuelles et de processus dont l’explicitation s’avère pourtant cruciale pour en déduire des pratiques managériales les intégrant. Il en est ainsi, notamment, des processus de construction et de mobilisation des connaissances et, plus largement, des conceptualisations (ou invariants opératoires) dans une activité organisée (le schème) qu’il est possible de décrire finement (portfolios, référentiels de compétences) aux niveaux individuel, collectif et organisationnel. Notre proposition méthodologique (§ 2) va dans ce sens et l’adaptation du modèle SECI tend à résumer les processus de management stratégique qu’elle implique dans sa mise en œuvre. Ainsi resituées, les connaissances ne sont plus qu’une forme de conceptualisation parmi d’autres invariants opératoires, dont la construction et la mobilisation ne s’opèrent que dans des activités organisées (les schèmes individuels et collectifs) où ils ne sont qu’une de leurs composantes. Dès lors, on voit tout l’intérêt qu’il y a à prendre en compte en management des connaissances des dimensions souvent négligées par les approches classiques et, notamment, les perspectives ouvertes par la dichotomie « théorème-en-acte » et « concept-en-acte » quant aux fonctions qu’exercent les conceptualisations dans les activités individuelles et collectives.

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